ÉMILE VERHAEREN Les Flammes hautes — POÈMES — PARIS MERCVRE DE FRANGE XXVI, IV VK DE CONDÉ, XXVI DU MÊME AUTEUR Poèmes poèmes e_______......_....................................1 poèmes, nouvelle série ................................................................1 poèmes, 3e série ............................................................................1 vol. LES FORCES TUMULTUEUSES . . ...........................1 Vol. LES VILLES TENTACULAIRES précédées des CAMPAGNES HALLUCINÉES ...............................................................................1 VOl. la MULTIPLE SPLENDEUR ....................................1 vol. les heures du soir précédées des heures claires et DES HEURES D'APRÈS-MIDI ....... .j,. ..............1 vol. LES VISAGES DE LA VIE Suivis dCS DOUZE MOIS ....................1 VOl. LES RYTHMES SOUVERAINS ...............................1 VOl. LES BLÉS MOUVANTS ,................................... 1 VOl. LES AILES ROUGES DE LA GUERRE ............................................1 VOl. CHOIX DE POÈMES ........................................................................1 VOl. A la vie qui s'éloigne ................................................................1 vol. TOUTE LA FLANDRE, I ................................................................1 VOl. TOUTE LA FLANDRE, II ................................................................1 VOl. TOUTE LA FLANDRE, III ......................... ...........1 VOl. Prose impressions, 1" série ................................................................1 vol. impressions, 2" série ................................................................1 vol. Théâtre deux drames (Le Cloître, Philippe II) ................................1 vol. HÉLÈNE DE SPARTE - LES AUBES ..................................1 VOl. ÉMILE VERHAEREN Les Flammes hautes — POÈMES — DOUZIÈME ÉDITION PARIS MERGVRE DE FRANGE xxvi, rvk de condé, xxvi mcmxxvil Ce livre était entièrement écrit avant la guerre, et en août 1914 l'auteur en avait corrigé les premières épreuves, qui sont restées en Belgique avec le manuscrit. Nous nous proposions de ne publier l'ouvrage qu'*près être rentrés en possession de ces papiers, mais il nous a semblé que nous ne devions pas plus longtemps attendre, nous réservant, dès que ce sera possible, de .conformer les éditions futures aux corrections de l'auteur. Note des Editeurs. bibliothèque LIMINAIRE L'A VENIR I Mon cœur qui choit, mais se relève S'est élancé d'un bond puissant Vers un futur éblouissant Tel que le r eut créer mon rêve. Je sais ce qu il m'en faut bannir : Bonheur trop sûr ; clarté trop forte ; Mais doute, excès, périls, qu'importe, J'ai la ferveur de l'avenir. Depuis qu'on ne croit plus en somme Qu'au gré des saints, qu'au nom des dieux Se fait le sort impérieux, Les siècles sont aux mains des hommes. C'est eux qui éclairent demain Avec les feux et les lumières Qu'après les affres de la guerre Gardent encor leurs cœurs humains. Leurs cris, leurs vouloirs et leurs actes Ebauchent tous, par le menu, Ce vaste et tragique inconnu Plein de ténèbre encor compacte, Mais qui groupe si bien les vœux Autour de son puissant mystère Que vers lui montent les prières Que leurs pères jetaient aux dieux. II Non ce n'est plus sur une grève Tel Paradis hospitalier Au repos lourd et régulier Que l'avenir est pour mon rêve. Mais bien l'intrépide cité Où toute âme se ravitaille Dans son incessante bataille D'un haut désir d'intensité, Où surabonde le génie Qui vole à l'univers distrait Les plus profonds de ses secrets Et son aveugle hégémonie, Où tout vieux texte est refondu Au-feu de plus strictes études, Où tout est force et promptitude Autour des dangers suspendus, Où le penseur ligue et entraine D'autres esprits en son élan Dès qu'il hausse de plan en plan Vers la règle, Ventenle humaine. Si bien que l'homme est maître enfin Et de lui-même et de la terre Et que son front autoritaire Masque le front du vieux destin. LA VILLE NOUVELLE Un treuil audacieux Semble lever jusqu'aux cieux D'énormes pierres, une à une; Et son câble d'acier luit aux rais de la lune ; Et plus loin d'autres treuils monumentaux Régnent également de travaux en travaux, Et l'on entend dans l'ombre où de grands feux s'étagent Le bruit de cent marteaux monter jusqu'aux nuages. Un pan de ville est tombé là Dans La poussière et le plâtras Et gît à terre, sous la pluie : Sur le sol défoncé de l'un à l'autre bout Quelque vieux mur branlant s'est maintenu debout, Où zigzague un chemin de fumée et de suie. Des gens aujourd'hui morts ont aimé ces foyers Dont la trace perdure aux flancs d'une ruine ; Ils ont vu les tisons rouges y flamboyer Pour y chauffer leurs mains,leurs fronts etleurs poitrines ; Ils ont passé leur vie à marcher, à s'asseoir, A recompter leur or près des flammes dardées, Et puis se sont éteints comme ces feux, un soir, N'ayant plus dans leur cœur que de vieilles idées. Ils sont partis sous terre, au loin, on ne sait où, Pauvres noms effacés sur des tombes fendues, Et seul à la muraille est demeuré le clou Où leur image, en un vieux cadre, était pendue. L'ég-lise où s'en allaient leur pas chaque matin S'élevait là où se bossuent mille décombres; Ils y glissaient au long des murs comme des ombres Et leur quartier dévot serrait tout leur destin. Un carillon alerte y secouait les heures Et les cloches y imposaient leurs voix majeures ; Et maintenant, Plus rien ne s'y entend Que, de l'aurore au soir, un bruit grinçant de chaînes Et le han du travail et la voix des sirènes. Ainsi s'en va tout le passé Broyé, tordu et dispersé, Avec ses carrefours et ses vieilles ruelles, Et déjà monte et luit jusques à l'horizon, Toujours plus haut, l'orgueil des tours et des maisons,. Bourdonnantes du bruit de leurs foules nouvelles. 0 travaux rassemblés pour créer l'avenir! Tonnerres merveilleux de puissance ordonnée, Comme vous avez mis à bas le souvenir De ceux qui parquaient là leur vie emprisonnée! II Dès le matin, Dans la ville aux vastes entreprises, Mille journaux disséminent soudain La terreur ou le deuil, la hâte ou la surprise. Le monde y retentit au long1 de fils rivés A des cornets sonores; Et jusque dans le sol, sous les sombres pavés, La fièvre court, et vibre encore. A chaque envol de l'innombrable papier blanc On croit voir un million d'ailes Apporter dans le cœur des peuples violents Ou les accords ou les querelles. Chaque maison de la cité tremble et bruit, Chaque cerveau y fait le rêve Qu'un jour, sous son effort,, le bloc d'ombre et de nuit De l'impossible se soulève. Toute lueur y semble un brusque éclat de l'or Qui illumine et qui foudroie; Tout intérêt y guette un intérêt moins fort Pour le mordre comme une proie. Se dépasser sans cesse et dépasser autrui S'y résume en règle de vie; Et s'y faire un corps sain pour qu'il serve d'appui Aux bonds d'une âme inassouvie. 0 cette lureur âpre et constante toujours Qui s'emporte, éclate, s'affole, Mais qui se cache aussi sous de souples discours Et de bénévoles parolesf Vice ou vertu, peu importe ce qu'on en croit, Ni de quel nom chacun la nomme : Elle seule compose et l'espoir et la foi Et le moderne orgueil des hommes. Elle est leur être neuf, féroce et affamé Par la nécessité nouvelle; Elle est leur force dure, elle est leur cœur formé Par les rag-es de leur cervelle. III Là-bas, au loin, illuminant la terre vaste, Régnent Londres, Berlin, New-York et Paris. Diles, de quel orgueil sont armés les esprits Qui se trempent et s'exercent en leurs contrastes ! L'effort, chiffre jadis, aujourd'hui s'y fait somme. Tout s'y condense et s'y espace en même temps ; L'âpre avenir qui vient à nous, le cœur ba tint, Ne s'y veut plus donner qu'à des groupements d'homnes L'ordre y règne. Dûment, il enfonce en sa gaine Les pointes et les dards d'un travail partagé : Sur chaque geste, un plus haut geste est allongé Qui le guide d'abord, puis l'excite et l'entraîne. Si bien que tout s'y noue en une force unique Se resserrant toujours de bureaux à bureaux Et qu'il ne faut qu'un seul, mais lucide cerveau Pour mener vers son but tant d'essors mécaniques. C'est lui, lui seul, qui juge et tout à coup décide; Où d'autres ne voient rien, lui seul il aperçoit; Il est de rêve ardent, s'il est de calcul froid, Et l'heure du danger lui apparaît splendide. Parfois quittant la page où ses notes s'étalent, Le front contre la vitre, il se complaît à voir D'autres maisons, là-bas, se dresser dans le soir Et pousser vers les cieux leurs enseignes rivales. De haut en bas s'illuminent leurs cent fenêtres Qui braquent leur clarté vers sa maison à lui Et, derrière un carreau, il voit passer aussi L'homme qui le jalouse et l'abattra peut-être. Et plus loin, jusques au port, de rue en rue, La même lutte y serre ou bien y rompt ses nœuds, Et l'angoisse y rabat l'espoir impérieux, Et l'espoir y succède à l'affre disparue. Tout y est transe, ardeur, mauvais ou bon augure. Ob ! ces banques qui sont les tragiques brasiers Dont les flammes passent de quartiers en quartiers Jetant sur la cité leurs volantes brûlures; Elles sont l'or hallucinant les capitales, L'or dominant et ses vaincus et ses vainqueurs, L'or qui pénètre et mord jusqu'en ses profondeurs, Terriblement, notre viei.ie âme occidentale, L'ANCIENNE FOI ~ Sa! ïm I ' llll L'ANCIENNE FOI Si ton nom sonne creux dans ma ferme poitrine, Si mon âme est un lieu de décombres rempli Où ma croyance ancienne est vouée à l'oubli, Seigneur, je n'ai rien fait pour hâter ma ruine. Je t'ai longtemps servi d'un cœur timide et doux, Criant vers ton silence et ma joie et ma crainte ; Et, dans ma chair, longtemps a perduré l'empreint» Du rebord de la chaise où l'on prie à genoux. Les soirs, quand ma ferveur s'en allait à confesse, Mon être était si fort soulevé par sa foi Qu'à travers l'infini, il dardait jusqu'à toi Le haut brasier d'amour dont brûlait sa jeunesse. J'étais si simple et pur, si humble et clair, Seigneur I Je faisais tant pour mériter un peu ta grâce, Et j'effaçais avec mes pleurs la moindre trace Que le mal aurait pu imprimer dans mon cœur. Je croyais que le ciel, que l'air et que la terre Jusqu'au fond de l'abîme étaient pleins de mon Dieu, Que les siècles marchaient à son geste de feu Et que son pas sonnait dans leur pas centenaire. Tu dominais, Seigneur, sur l'heure et sur l'instant ; Dans chaque aurore neuve, on surprenait ta gloire ; Quoi qu'on dît, je ne voulais penser ni croire Que ta présence, un jour, me quitterait. Pourtant, l'ancienne foi 3i Que ne répondais-tu quand je cherchais la vie A la lueur brusque et rouge des jours nouveaux ? Ton ciel semblait éteint et l'homme en ses travaux Erigeait contre toi sa force inassouvie. Ma voix te suppliait quand même, éperdument ; Mais j'appris qu'en nos temps de pensée errabonde, Ta face n'était plus le visage du monde Et je fis mon péché de mon étonnement. Je tourmentai mon cœur pour qu'il fût encor digne De t'émouvoir par sa souffrance et ses combats, Je te l'ouvris béant, mais tu n'y rentras pas Et tu laissas moisir le raisin sur la vigne. Seigneur, toi seul connais ce qui s'est fait en moi ; Et comme il a fallu que l'urgence de vivre Eperonnât mon être et l'incitât à suivre Le montueux chemin qui m'éloignait de toi. J'ignorais jusqu'alors et la clarté réelle Et la spendeur visible et la haute bonté, Et la lucide ardeur de la ténacité Et l'orgueil qui s'impose à la terre rebelle. J'entendais retentir tous les bonds de l'essor Avec leurs sabots clairs sur le seuil démon âme Et je suivis leur course et leur galop de flamme Vers les neuves cités d'où s'exaltait l'effort. La passion me vint et de l'homme et du monde, Un rythme formidable en mon cerveau chantait. Doutes, affres, fureurs, tout ce qui tourmentait Faisait l'œuvre de tous plus large et plus féconde. Un peu de l'avenir reposant dans ma main, J'y imprimai le sceau de ma tendresse fière ; Et l'ombre m'était autre et autre la lumière ; J'étais ivre de me sentir un être humain. Et maintenant encor ma plus ferme pensée Pour y puiser l'amour s'élève de mon cœur ; Car, bien que vous m'ayez abandonné, Seigneur, Ma ferveur d'autrefois ne s'est point apaisée. / rnmmm MES YEUX MES YEUX Oui, tout s'exaltera et fleurira encore Sans que manque une rose aux jardins de l'aurore Ou que s'éteigne un astre aux terrasses des cieux ; Oui, tout rajeunira sous le vent merveilleux Dans la pleine lumière, Quand vous, hélas I ne serez plus, mes yeux, Que cendre vaine sous la terre. Vous étiez doux et lumineux pourtant ; Et les hivers, et les étés, et les printemps Ne revêtaient mon vers de leur beauté profonde Que parce que d'abord, vous seuls, mes deux yeux clairs, Aviez aimé le sol, les bois, le vent et l'air Et la splendeur innombrable du monde. Vous paraissiez alors deux flambeaux de ferveur Doucement inclinés sur le charme des choses : Vous étiez à l'affût du secret qui compose Le dessin d'un rameau ou l'éclat d'une fleur ; Vous induisiez mon âme à la belle prière Devant tout ce qui reste ardent, vivace et pur Et les pois de senteur et les roses trémières Ornaient, comme un autel, la blancheur de mes murs. Et vous alliez vers les hommes des autres plaines Avec un émoi simple et doux Pour découvrir sous leurs paupières Le même feu qui s'attisait en vous. MES YEUX 39 Et vous alliez encor vers les hommes des villes Dont l'œuvre formidable et tragique mutile, Pour forger l'avenir, les monts et les forêts ; Des pleurs sourdaient en vous, avec d'anciens regrets, Mais la force abondante et dûment asservie Aux calculs merveilleux et précis des cerveaux Vous semblait provoquer le miracle nouveau D'où surgirait, plus vaste et plus sûre, la vie. Et vous alliez toujours, et vous alliez encor Lorsque la nuit d'hiver éclairait ses mystères Dieu sait par quels chemins de ténèbres et d'or Vers les feux bienveillants dont s'exaltait la terre. Et vous cherchiez, là-haut, la plus humble lueur, L'astre le plus perdu qu'entraînaient d'autres mondes Pour lui vouer soudain une tendresse profonde Par besoin de ferveur. Je vous ai tant aimés, avec la fierté d'être Toujours avide, ému, tendre et religieux, Mes yeux, Que les siècles se souviendront peut-être, Même en des jours sans art, De tout l'amour que j'ai pu mettre Et conserver en vos regards. L'ORGUEIL L'ORGUEIL ; Non plus parce qu'il vit d'angoisse et de souffrance, Mais parce qu'à chaque heure il crée une espérance, L'âpre univers est plein de foi. Il n'importe que sous les toits Dans les demeures, Quand lejour naît ou qu'il décroît, Les prières au Christ en croix Se meurent. Efforts multipliés en tous les lieux du monde, C'est vous qui recélez les croyances profondes : Qui risque et qui Iravaille croit; Qui cherche et qui invente croit encore; Les lumières de chaque aurore Ressuscitent, fatalement,au fond des cœurs, La confiance en leur ardeur. Désormais c'est l'orgueil qui s'attaque au mystère Que toujours nous propose et nous cache la terre, Orgueil jeune et joyeux qui se mue en ferveur Pour ne jamais se rebuter devant l'obstacle Et soi-même créer le quotidien miracle Dont a besoin l'esprit humain. 0 croyance en mon front, en mes yeux, en mes mains, Croyanceen mon cerveau que la recherche enivre, Croyance en tout mon être ardent, vibrant, dardé, Comme vous me faites plus sûr et décidé Dans le danger et la gloire que j'ai De vivre. Depuis que je me sens N'être qu'un merveilleux fragment Du monde en proie aux géantes métamorphoses, Le bois, le mont, le sol, le vent, l'air et le ciel Me deviennent plus fraternels Et je m'aime moi-même en la splendeur des choses. Je m aime et je m'admire en tel geste vermeil Que fait un homme à moi pareil En son passage sur la terre. Tout comme lui, je suis doté De génie et de volonté, Et ce qu'il fait, je le puis faire. Avec mes deux poumons, je respire l'exploit Que m'apporte le vent de tous les points du monde. Est mien tout penser clair, utile, allègre et droit Dont j'ai senti l'audace en mon âme profonde. Je communie Avec toute la vie Et des choses et des êtres. Je me prodigue en tout, comme tout me pénètre. Vice, vertu, mérite ou faute, Tout mon orgueil s'exerce à bellement souffrir Et, quand il le faudra à fièrement mourir, Pour n'abaisser jamais ma force intense et haute. LES MACHINES LES MACHINES Dites, connaissez-vous l'émoi De suivre et d'épouser avec vos doigts Les souples lignes Que font les fers et les aciers Et les mille ressorts et les mille leviers Des machines insignes ? Il les faut caresser aux heures de repos, Quand elles sont chaudes encore D'avoir peiné depuis l'aurore Et que leurs lents leviers et leurs brusques marteaux, Qu'un large effort sans cesse entraîne, Ardent encor de volonté humaine. Car elles veulent, les machines. Ceux qui les ont faites, avec amour, Un jour, Leur ont donné le mouvement D'un cœur battant Au fond d'une poitrine; lis leur ont imposé Le bond exact et le recul pour s'élancer Et pour saisir et soudain mordre: Elles trépident et se hâtent avec ordre. Leurs gestes sont plus sûrs que des gestes humains. Chaque effort vole au but comme un dard vers la cible, Si bien que leur travail complexe et inflexible Fait brusquement songer au travail du destin. Quelques-unes frôlent et froissent Et sont fines et sont sournoises ; Il s'en trouve dont les hauts flancs Sonnent d'un bruit fatal mais franc ; Celles-ci rampent sous la terre ; Celles-là montent jusqu'aux tours ; Tandis qu'au feu soudain des fours D'autres, dans l'ombre et la poussière, S'éclairent Et paraissent à tel moment Grandir immensément Au passage de la lumière. ..ans l'air farouche et violent des ateliers, Elles sont l'homme infiniment multiplié; D'un bruit tenace, ardent et unanime, Elles fouillent le sol et remplissent l'abîme : La houille est mise à nu et tout à coup, par blocs, Le marbre et le granit sont arrachés aux rocs. Et là-haut dans le ciel, se dressent les structures De larges treuils mettant la terre à la torture. les flammes haute* Des pays tout entiers sont couverts de travaux Qui fatiguent le sol des chocs de leurs marteaux. Les isthmes sont fendus et les mers sont unies. La machine vers l'impossible s'ingénie Et, sans crainte des cieux tonnants, Un jour, comme un insecte énorme et bourdonnant, Hélice folle, aile tendue, Elle entre et vole et vire et fuit dans l'étendue. Elle est là-haut près des astres et monte encor Dieu sait vers quel exploit.au bout de quel essor 1 Ceux qui la voient dans l'air et dans le vent dardée Changent soudain la vieille et méthodique idée Qu'ils se faisaient jadis de l'espace et du temps. La vie en tout leur corps passe, tambour battant, Vitesse, ardeur, élan, force, courage, audace, Tout semble en eux brûler et devenir vorace Et se précipiter vers quels espoirs nouveaux ? Les cœurs sont transformés ainsi que les cerveaux La terre est à celui qui la tient enlacée Dans le feu circulant des volantes pensées Et dont l'acte précis frappe comme l'éclair. Oh 1 tumulte dompté, verbe net, geste clair ! Oh ! mécanisme ardent qui soudain illumines Et domines l'esprit des hommes de ce temps 1 — Qui donc nous l'offreet nous l'enseigne à chaque instant, Sinon vous, les machines? LA VIE ARDENT® Mon cœur, je l'ai rempli du beau tumulte humain. Tout ce qui fut vivant et haletant sur terre, Folle audace, volonté sourde, ardeur austère Et la révolte d'hier et l'ordre de demain N'ont point pour les juger refroidi ma pensée. Sombres charbons, j'ai fait de vous un grand feu d'or N'exaltant que sa flamme et son volant essor Qui mêlaient leur splendeur à la vie angoissée. LES FLAMMES HAUTES El puis toucher, goûter, sentir, entendre et voir ; Ouvrir les yeux pour regarder l'aube ou le soir Et vous, haines, vertus, vices, rages, désirs, Je vous accueillis tous, avec tous vos contrastes, Afin que fût plus long, plus complexe et plus vaste Le merveilleux frisson qui m'a fait tressaillir. Mon cœur à moi ne vit dûment que s'il s'efforce ; L'humanité totale a besoin d'un tourment Qui la travaille avec fureur, comme un ferment, Pour élargir sa vie et soulever sa force. Qu'importe, si l'on part, qu'on n'arrive jamais, Et que l'on voie au loin se déplacer les cimes I L'orgueil est de monter toujours vers un sommet Tenant la peur de soi pour le plus vil dos crimes ; Celui qui choit s'est rehaussé, quand même, un jour, S'il a senti l'enivrement de la mêlée L'exalter à tel point dans la haine ou l'amour, Que sa force soudaine en parut décuplée. Dorer un horizon ou rosir un nuage; Marcher près de la mer et chanter sur la plage ; Ecouter le vent fou danser sur la forêt Comme sur un brasier de flammes végétales; Recueillir un parfum dans un flot de pétales; Sucer le jus d'un fruit intarissable et frais ; Ou bien vouer des mains aux caresses profondes, Le soir, quand, sur sa couche amoureuse, la chair S'illumine du large éclat de ses seins clairs ; Dites ! n'y eût-il rien que ces bonheurs au monde Qu'il faut les accueillir pour vivre, éperdurnent. 0 muscles que je meus avec emportement ! 0 rythmes de mon sang qui m'allégez tout l'être Et mêlez on ne sait quelle fièvre à votre cours ! Voici que mon cerveau se ranime à son tour Et qu'il cherche et se tend pour découvrir, peut-être, Dans l'univers profond un peu de vérité. Et je tremble et j'exulte à ouïr le mystère Parler comme quelqu'un qui parlerait sous terre, t le sol bat et mon cœur rouge et contracté une œuvre est ardue et plus je la sens proche mon courage dur et de mon orgueil droit. Mes chants ont retenti en ces heures d'effroi Où le malheur tenait mon corps sous sa mailloche. S'écrase sur ce sol pour mieux entendre encore ; Mais déjà le silence a remplacé tout bruit Et le soir tombe, et le deuil choit, et c'est la nuit Et rien ne bouge plus dans la terre sonore. Heureux, pourtant, celui qui ne sanglote pas Et repousse quand même avec un orgueil rude La trop facile et vieille et douce certitude Dont les cœurs les plus francs, en notre temps, sont la?. Une-autre foi s'élève et pousse aux découvertes Nettes, sûres, innombrables, quoique jamais Claires au point de lui livrer tous les secrets ; L'âme nouvelle a limité sa force experte A conquérir, non plus le ciel, mais l'univers. Calcul précis, coups d'œil soudains, recherches lentes, Dieu sait quelle fureur admirable la hante Et quel essor lui impriment tous ses revers. LA VIE ARDENTE 61 La bondissante mer m'a rempli de ferveur ; J'ai célébré la tempête, le vent, la neige, L'espace en marche et l'horizon et son cortège De nuages volants et de rouges lueurs. L'âpre nature a guerroyé par tout mon être Lui imprimant la loi de sa férocité, Pour qu'à mon tour j'éduque aussi ma volonté A me bâtir un front qui doit rester mon maître. SUR LES MOLES DU PORT SUR LES MOLES DU PORT Le soir quand je m'en vais par la côte marine Vers l'océan et sa rumeur, Je serre mes deux mains sur ma creuse poitrine Pour mieux sentir vivre mon cœur. Il est là sous mes doigts qui bat, s'enfièvre, exulte; Et je le sens vibrant et clair D'être perdu dans la folie et le tumulte Des vents du large et de la mer. 66 LES FLAMMES HAUTES Sa vie ;imple se mêle au fourmillement sombre Des flots et des astres, la nuit ; Il e»t comme emporté par leur rythme et leur nombre, De laps en laps, vers l'infini. Et peu à peu, il cède à mon ardeur tenace De concevoir l'éternité Et de remplir soudain et le temps et l'espace D'un espoir fou et tourmenté. Et je songe à tous ceux qui dans mille ans sur terre Avec des yeux comme les miens Regarderont la même innombrable lumière Régir les cieux quotidiens Et qui viendront aussi par la côte marine Vers l'océan et sa rumeur, En serrant leurs deux mains sur leur creuse poitrine Pour mieux sentir vivre leur cœur. SUR LES MÔLES DU PORT 67 Et c'est pour eux que je voudrais trouver sur l'heure, Dans l'âpre espace et le vent dur, Un mot si pénétré de sagesse meilleure Et si chargé de sens futur Qu'ils comprendraient, grâceàlui seul,dequelle flamme J'ai embrassé tout mon destin, Et comme aussi mon âme avait aimé leur âme Depuis le temps le plus lointain. A L'HOMME D'AUJOURD'HUI Songe au monde et sois fier, toi qui vis en ce temps. Il vibre, exulte et bat, selon ton cœur battant ; Il accepte ton rythme et jamais ta pensée Ne s'est aussi humainement divinisée. Les Dieux ne sont plus rien Ou sont ce que tu es ; Leur infini s'ébranle au vent de tes projets ; Tu imprimes ton ordre à la terre sacrée Au point que, désormais, toi seul, tu la recrées. L'orde guerre n'a point sapé ton vouloir droit D'être homme de lutte et non homme d'effroi Et de haïr jusqu'en tes os et tes entrailles La fourmillante horreur des chocs et d»s batailles. Tes sens clairs et subtils sont à toute heure ouverts Pour laisser en toi-même entrer tout l'univers Et pour scruter, à la clarté de ta cervelle, Le moindre aspect nouveau de la vie éternelle. Le mystère est en elle et le génie en toi Si net, que désormais tu laisses l'aventure Et découvres avec sécurité les lois Qui importent à ton immensité future. BELLE SANTÉ Belle santé, Qui me reviens après m'avoir quitté, Voici mon front, mes bras, mes épaules, mon Qui tressaillent une fois encor A te sentir rentrer et revivre en mon corps Avec ta force. Je me détends et je me plais Au moindre geste que je fais. Mon pas nerveux et volontaire Avec ardeur s'appuie et se meut sur la terre. 7« LES FLAMMES HAUTES Sous mon front redressé et mes cheveux vermeils Mes deux yeux sont en fêle et boivent le soleil. Le vent m'est un ami qui chante et m'accompagne En ma course rythmée à travers la campagne. L'air tonique et puissant emplit mon torse creux. Mes nerfs semblent refaits, mes muscles sont heureux Et ma bouche joyeuse et mes mains familières Voudraient saisir l'espace et baiser la lumière. Belle santé, Je suis ivre de fougue et de témérité. Sans toi je ne pourrais jamais dompter la vie Selon mon vouloir brusque et mon tenace espoir. Je suivrais un chemin qui tourne et qui dévie Et m'assoirais, las et vaincu, avant le soir. Le feu rapide et fort dont notre âge flamboie N'allumerait en moi ni vaillance, ni joie Et j'aurais peur de la splendeur de l'univers. 'Tu m'es, belle santé, celle qui me décide A rester prompt et comme allègre en mes revers, A pénétrer d'orgueil ma cervelle lucide BELLE SANTÉ 77 D^s que l'entraîne en ses combats l'effort humain. Belle santé, nourris mes bras, muscle mes mains, Emplis mes deux poumons de vierge et pure haleine, Et pour que jusqu'au bout mon cœur se tienne haut, Brille en mes yeux, bats sous mon front, brûle en mes veines Et cours en moi comme le vent dans les drapeaux. LES MORTS LES MORTS En ces heures de soir où sous 1* brume épaisse Le ciel voilé s'efface et lentement s'endort Je marche recueilli, mais sans vaine tristesse, Sur la terre pleine de morts. Je fais sonner mon pas pour qu'encor ils l'entendent Et qu'ils songent en leur sommeil morne et secret A ceux dont la ferveur et la force plus grandes Refont le monde qu'ils ont fait. LES FLAMMES HALTES Ils ne demandent pas qu'une douleur oisive Se traîne avec des pleurs par-dessus leurs cercueils. Ils comprennent la part que l'œuvre successive Fait à la joie et à l'orgueil. Leur esprit est en nous, mais non pas pour nous nuire Et nous pousser, à contre-jour, comme à tâtons. Leur voix est douce encor lorsqu'on l'entend bruire, Mais que c'est nous, nous qui chantons. Car l'heure est nôtre enfin ; et la belle lumière Et le sol et les flots et les ronflants essaims Des forces qu'on entend vibrer dans la matière Sont asservis à nos desseins. Autres sont pour nos cœurs et les dieux et les hommes, Autres pour nos esprits le pouvoir et ses lois, Un nouvel infini nous fait ce que nous sommes Et met sa force en notre foi, Bondissez donc, désir humain, puissance humaine, Aussi loin que vous porte ou la lutte ou l'accord. Que votre amour soit neuf et neuve votre haine Sur la terre pleine de morts. PROBLÈMES Et vous, phrases solennelles et séculaires, Et vous, problèmes noirs et sombres corollaires, Et vous, mots lourds qui défilez au pas, Le sens qui sous vos syllabes s'arrange Change, Alors que vous ne changez pas. Non, vous n'enfermez plus les modernes pensées Tant vous êtes usées, 88 LES FLAMMES HAUTES Paroles d'aujourd'hui, Et seul parfois l'écho vide et fortuit Répond à la poussée Que font dans l'air vos mille bruits. Pourtant, jamais avec autant de violence, L'homme n'a voulu rompre le silence Pour se confesser mieux Et s'affirmer sur la terre sacrée Le Dieu Qui se cherche sans cesse et toujours se recrée. Oh ! guetter la pensée et la voir qui s'engendre Comme se forme en plein brasier la salamandre, Et la saisir au fond de l'âme Toute brûlante encor de sa première flamme Dites, si dans un cri de tout mon être, Si dans mon vers ferme et soudain Ceux-là qui penseront demain Pouvaient un jour se reconnaître! LA CHANCE i LA CHANCE En tes rêves, en tes pensées, En ta main souple, en ton bras fort, En chaque élan tenace où s'exerce ton corps, La chance active est ramassée. Dis, la sens-tu, prête à bondir Jusques au bout de ton désir? La sens-tu qui t'attend, et te guette, et s'entête A éprouver quand même, et toujours, et encor, Pour ton courage et pour ton réconfort, Le sort 1 LIS FLAMMES HAUTES C ux qui confient aux flots et leurs biens et leurs vie» N'ignorent pas qu'elle dévie De tout chemin trop régulier ; Ils se gardent de la lier Avec des liens trop durs au mât de leur fortune; Ils savent tous que, pareille à la lune, Elle s'éclaire et s'obscurcit à tout moment Et qu'il faut en aimer la joie et le tourment. En tes rêves, en tes pensées, En ta main souple, en ton bras fort, En chaque élan tenace où s'exerce ton corps, La chance active est ramassée. Et tu l'aimes d'autant qu'elle est risque et danger, Que balançant l'espoir comme un levier léger Elle va, vient et court au long d'un fil qui danse. Il n'importe que le calcul et la prudence Te soient chemins plus sûrs pour approcher du but. Tu veux l'effort ardent qui ne biffe et n'exclut LA CHANCE 93 Aucune affre crédule au seuil de la victoire Et tu nourris ainsi, et comme malgré toi, Ce qui demeure encor de ton ancienne foi En ton vieux cueur contradictoire. La chance est comme un bond qui s'ajoute à l'élan Et soudain le redresse au moment qu'il s'affaisse ; Elle règne au delà de la stricte sagesse Et de l'ordre précis, minutieux et lent. Elle est force légère, et sa présence allie On ne sait quelle intense et subtile folie Au travail ponctuel et chercheur des cerveaux. Elle indique d'un coup le miracle nouveau. Las hommes que la gloire aux clairs destins convie Ont tous, grâce à son aide, incendié leur vie De la flamme volante et rouge des exploits. Ils ont crié que la fortune était leur droit Et l'ont crié si fort qu'ils ont fini par croire Qu'ils tenaient l'aile immense et blanche des victoires Sous les poings rabattus de leur ténacité. Oh I dis, que n'auront-ils réussi ou tenté LES FLAMMES HAUTES En notre âge d'orgueil, de force et de vertige Où le monde travaille à son propre prodige? En ta main souple, en ton bras fort, En chaque élan tenace où s'exerce ton corps En tes rêves, en tes pensées, La chance active est ramassée. LE TUNNEL Partout l'œuvre da fer s'exalte et se poursuit. Le mont, comme une immense usine, entend, la nuit, Sonner les sourds marteaux sur les claires enclumes. D'immenses torches d'or dans les sentiers s'allument. Bouviers et chevriers les regardent d'en bas En ramenant au soir tombant leurs troupeaux las, Et ces feux étagés et portés jusqu'aux astres Les font rêver la nuit à quelque fol désastre Sur un étroit plateau les foreuses s'installent — On dirait un faisceau de longs fusils braqués — Pour attaquer le roc et l'obstacle embusqué Avec des dents d'acier,bien mieux qu'avec des balles. LES FLAMMES HAUTES S'abatlant sur l'orgueil des hommes de là-haut. Ils ont la peur en eux de ces volants travaux Suspendant l'incendie au flanc nu des montagnes Et creusant des chemins de France ou d'Allemagne A travers leur pays vers des pays nouveaux. A ceux venus du Rhin, du Danube ou du Rhône On donne à perforer les monts de l'Occident, Tandis que ceux de Gêne et de Pise et d'Ancône Devront trouer les monts du sud aux mille dents D'où l'on peut voir briller les Méditerranées. Chaque escouade à pied d'œuvre s'est amenée; Et l'ordre unique et solennel est de marcher L'une vers l'autre, à coups de pics, dans le rocher. Depuis l'aube qui naît jusqu'au soir commençant On entendra leur fureur calme, mais obstinée, Dites, durant quel laps et de jours et d'années, Forcer ou ralentir son rangement crissant. Les premiers coups portés fendent gaîment la pierre Et s'exaltent — éclairs rythmés dans le soleil ; — Mais leur choc cadencé contre le grès vermeil Demain ne sera plus qu'un bruit sourd sous la terre. Un porche fruste et noir s'est ébauché déjà ; Il verse aux terrassiers sa nuit profonde et large ; L'ombre barre soudain leur dos portant les charges, Tandis que la clarté joue encor sur leurs pas. Sous la voûte, ployant leurs fronts et leurs vertèbres, Ils se perdent enfin avec de grands flambeaux, Dites, pour quels secrets et tortueux tombeaux Ils semblent travailler et sculpter les ténèbres. Certe on s'ignore encor Des deux côtés delà montagne. Ils ignorent bientôt les changeantes saisons Qui promènent leur ronde à l'entour de la terre; Leurs yeux oublient la vraie et vivante lumière Qui réchauffe à midi leur& champs et leurs maisons. Ils sont chacun un chiffre en une immense somme ; Mais qu'importe qu'ils ne soient plus qu'un souvenir Pour ceux des bourgs qui ne les voient plus revenir. Si leurs nocturnes pas s'en vont vers d'autres hommes. Ceux qui percent le mont, au nord, Disciplinent leurs gestes Et 1« han régulier qui scande leur accord, Tandis que ceux du sud aiment le travail preste Et fouetté de surprise et d'entrain dans l'effort. Ceux du Trentin et des Romaines Raillent ceux du Danube et de l'Elbe et du Rhin De vivre et de pourrir en des marais de suie Et de n'avoir chez soi que les vents et la pluie Et des loques de brume à se couvrir les reins. Peu importe que les savants le leur démontrent, Eux ne croiront jamais à l'heureuse rencontre Au fond d'un sol hostile, aveugle et torturé; On creusera chacun un tunnel séparé Et le travail sera d'autant plus long et sombre Dans l'ombre. Pourtant, après des jours et puis encor des jours Et des nuits et des heures sans nombre, Un soir, comme on s'assied en rond pour le repas, Quelqu'un qui s'est calé dans une énorme entaille Prétend Que son oreille entend Battre le bruit sourd et rythmé d'un pas Dans les pierres de la muraille. Oh! que les poings sont lourds et que les bras sontlâches En reprenant, après ce bref espoir, leurs tâches Et leurs luttes contre le roc et ses parois ! Et d'autres jours et d'autres nuits et d'autres heures Mêlent à leurs ennuis et la crainte et le leurre, Quand, un matin, un homme accourt, pâle et pantois, Jurant la Vierge et Dieu qu'en faisant sa prière, Il entendit trois fois un long coup de tonnerre Sortir du mont et rebondir de pierre en pierre, Là -bas. Emus, fiévreux, hâtant le pas, Tous le suivent vers l'endroit proche. Le bruit renaît, chacun l'entend Pareil aux chocs intermittents Tous écoutent, et leurs gestes sont suspendus Et leurs yeux dirigés du côté des ténèbres ; Mais plus rien ne remue et, dans le mont funèbre, Le silence, à nouveau, s'est soudain refondu. LES FLAMMES HAUTES Que fait la poudre en éclatant Dans la mine, de roche en roche. On devine un labeur méthodique et total. Certes des gens sont là qui guettent un signal Avec leur cœur qui bat et s'enfièvre sans halle. Alors tous ceux d'ici saisissant leurs marteaux Répondent coup pour coup comme ferait l'écho, Si bien que le mur, noir degrés et de basalte, Qui seul sépare encor les chants et les travaux Vibre de haut en bas et à son tour s'exalte. Le doute en un instant est mort ou s'est enfui. Pour la première fois, tout est joie et lumière, Tout est ivresse et foi dans le cœur de la terre Jusqu'au fond de la nuit. L'entrain, comme un caillou, sur les groupes ricoche. Légers sont les fardeaux et docile» le» pioches. LES FLAMMES HAUTES Les muscles sont heureux de roburer les corps Et de se contracter pour bander chaque effort. On chante en transportant d'énormes blocs de schiMe. Le travail devient fête et rien ne lui résiste. La dernière cloison est branlante déjà Et dans deux nuits, au jour levant, on l'abattra. Les pics plus T lemment dans la pierre s'implantent. Un milanais, collant sa bouche au creux des fentes, Jette un grand cri qu'entend un ouvrier du Rhin. Les mots seront compris et commentés, demain. Tous s'acharnent d'ensemble et chacun voudrait être Celui qui percera la première fenêtre Dans le haut mur hostile, aveugle et torturé. Oh ! ce conflit d'efforts soudain exaspérés Comme un amas de flots battant le pied des digue s | Nul ne sent plus ni le sommeil, ni la fatigue. Tous les cous sont tendus et tous les souffles courts. Enfin, avant l'aurore, un géant de Hambourg, En descellant un bloc plus pesant qu'une enclume, Voit tout à coup surgir des ténèbres du mont, Non plus à ses côtés, près des lampes qui fument, Mais en face, droit devant lui, un compagnon. A travers la muraille, à peine encor fendue, Cent mains, en un élan, soudain se sont tendues. L'ouverture s'emplit d'un grouillement de bras. Chacun crie et s'agite et l'on ne s'entend pas. Mais les cœurs sont d'accord et joyeux sont les gestes. Ensemble on se remet à la besogne preste. On se sent clair, alerte, ardent et fraternel. Le rail luisant et droit qui fuit par le tunnel Semble un lien de ferveur tendu de terre enterre. Et voici que du sud et du nord, l'horizon, A travers l'ombre et la limaille et la poussière, D3jà fait se rejoindre au cœur sombre du mont Les diverses clartés d'une même lumière. L'orgueil emplit les cœurs, les cerveaux et les mains ; L'espoir de changer tout devient l'espoir humain Et l'on rêve déjà de deux mers séparées Qu'on joindrait à travers les rocs de leurs contrées. SUR LES QUAIS Te souvient-il, te souvient-il De ces longs soirs d'avril Qui, tantôt clairs et tantôt sombres, Faisaient mouvoir de vastes ombres, De plaine en plaine, sur la mer ? Comme du fond d'un pourpre et lumineux désert Sortaient de l'horizon marin les beaux navires Dont on n'apercevait d'abord que le grand mât, L'océan tout entier semblait porter leur poids Et les jeter de flots en flotsjusqu'à la côte. L'œil distinguait bientôtet les vergues en croix Et le tillac bombé sur la carène haute ; Une sirène d'or se dressait à l'avant; Les cordages sifflaient sous les lèvres du vent; On entendait chanter un mousse dans les voiles ; Les navires soudain modéraient leur essor Et, le môle franchi, s'ancraient au fond du port, Dans un coin d'eau où scintillaient des feux d étoiles. Mais qui montaient et grandissaient et s'exaltaient Et déployaient déjà sur le ciel incarnat Les aigles larges de l'Empire. Ils y dormaient, lassés et lourds, toute la nuit, Ecoutant, sous le ciel, les chansons journalières Que chantent dans les tours les cloches familières, A ceux qui de loin s'en reviennent au pays. Mais, dès le lendemain, dans l'aube molle et grasse, De brusques débardeurs envahissaient le pont Pour disperser, au long- des quais, en des wagons, Tous les fragments du monde et les morceaux d'espace Que contenaient les flancs des navires profonds. Et tout à coup apparaissaient dans la lumière Entre le ciel et l'eau De merveilleux métaux : Un levier les serrait en son mobile étau Et déposait leurs blocs, doucement, sur la terre ; Des bois compacts et durs comme les pierres, Des troncs rouges et violets, Absorbaient le soleil en leurs brusques reflets. La cale était pareille au fond d'un ossuaire Où se courbaient, parmi les cornes et les dents, Les grands arcs des ivoires blancs Et les griffes, encor vives comme des ronces, Des lynx et des chacals, des tigres et des onces. On accourait du plus lointain des carrefours Pour voir les larges peaux des aurochs et des ou>s 8 Sur l'aire des hangars immensément s'étendre, Et les mufles crispés et tordus des lions Pendre des deux côtés aux flancs des camions Et grimacer soudain, dans la boue et la cendre. Parfois, là-haut, dans les agrès entremêlés, On se montrait, à l'arrière des hauts navires, De grands oiseaux pareils à des cieux étoilés, Tandis que, sur l'avant, on pouvait voir reluire Un faste glacial de pourpres minéraux. Et les marins contaient les gestes fulguraux Des orages, là-bas, dans les nuits tropicales, Les vents qui jusqu'au ciel soulèvent le désert Et de Chypre à Batoum les caps et les escales, Quand le parfum des fleurs voyage sur la mer. Ils fumaient, en parlant, les lourds tabacs d'Asie Et leurs mains se chauffaient à leurs pipes roussies. Parfois ils déballaient sous la lampe, les soira, ■La figure d'un dieu mystérieux et noir Dont le temple était une montagne ouvragée. Même ils avaient volé au fond des hypogées Des coffrets ténébreux de cèdre et de santal, Et leur voix fredonnait un chant oriental Que les filles d'Alep, quand l'ombre se fait dense, Scandent de leurs pas lents et mêlent à leur danse» Ils racontaient encor Les bonds jusques aux cieux des cités d'Amérique Et leurs ports chevelus de câbles électriques, Et leurs phares fixes et clairs Dont la brusque lueur semblait grandir la mer ; Ou bien encor Les longs calmes profonds sur les flots sans écume Où tout ce qui soufflait de vent Mouvant Se flit ligué en vain pour courber une plume. Us disaient la splendeur des promontoires d'or ; Les diamants mouillés des vagues qui déferlent ; Le geste sinueux et l'élan des plongeurs Qui descendaient dans les lueurs LES FLAMMES HAUTES Aux profondeurs Pour en tirer soudain des coraux et des perles. ■ Et puis, rapidement, pour en finir, Ils rassemblaient, comme au hasard, leurs souvenirs Pour les laisser voguer à la dérive Du Ténériffe au Cap et du Cap aux Maldives. Mais terminaient toujours Par affirmer qu'il avaient vu à Singapour, Un jour, Un albatros géant comme un aigle d'empire Mettre à l'ombre de son grand vol tout leur navire. Ainsi évoquaient-ils, avec des gestes lents, La vie éparse à l'autre bout des Océans, Et l'on venait du fond des quartiers solitaires De tous côtés vers eux Pour regarder avec fièvre leurs yeux Qui avaient vu toute la terre. { MA VILLE J'ai construit dans mon âme une ville torride. Gares, halles, clochers, voûtes, dômes, beffrois, Et du verre et dé l'or et des fetix sut les toits. Passant, tu n'y trouveras pas Autour des vieux foyers de quiétude Les fauteuils lourds, boiteux et las Où sommeillent et se chauffent en tas HiMft B m i; î 1 H ill" î ■ Bib Mi'Bjï ■ , ! Mu ■ lë; r m* • fshï . J| i ■ 111 H ! Si ' Les habitudes ; Ni sur les murs des ardentes maisons Les antiques images, Ni les bergers, ni les rois mages, Ni le bœuf, ni l'ânon, Ni la Vierge Marie, Ni le Christ calme et doux Que j'aime encor, mais plus ne prie A deux genoux ; Passant, tu n'y trouveras guère Sous les poussières Que les débris épars des choses de naguère. Je sais, je sais Le charme exquis des souvenirs inapaisés, Mais mon cœur est trop fier et trop vivace Pour se stériliser Dans le regret et le passé. Souffles et vents illuminant l'espace, Ma ville est trépidante aux bruits de l'univers Et l'avenir frappe à ma porte — et je le sers. ilî h Oh 1 l'exaltante et brûlante atmosphère Que l'on respire en ma cité : Le flux et le reflux des forces de la terre S'y concentrent en volontés Qui luttent ; Rien ne s'y meut torpidement, à reculons; Les triomphes soudains y broient sous leurs talons Les chutes ; Tout rêve y est porté par un rêve plus haut ; Tout y devient l'enjeu de l'unanime assaut; La fièvre et la fureur et le risque et l'angoisse Y perforent les blocs des problèmes nouveaux ; La recherche y nourrit de feu chaque cerveau Pour que l'ardeur d'y vivre immensément s'accroisse- Passant, Si ton cœur d'homme, un seul instant, Hésite ou se rétracte ou se rebute, Va-t'en Loin du tumulte et loin des luttes ; Mais si ce même cœur se sent comme allégé n ■ fifi i, & 0: ' «f#i§'ll Il :j; H ' S K r i? I Pl ^ il • '/ ! ' y? j : !f: i fi j f ili , 120 LES FLAMMES HAUTES Et comme heureux d'être en danger, Entre d'un pas preste et fébrile Dans la fournaise qu'est ma villt. Le sort t'y sera dur Aux détours sinueux de son dédale obscur, Et chaque jour sera mise à l'épreuve Ta force neuve ; Il te faudra en même temps Etre souple et têtu, fol et prudent, Avide et réfréné dans ta dure victoire Et déchaîner tes bonds et mesurer tes sauts Et délier en toi ou serrer le faisceau De tes cent dons contradictoires. Vois-tu, L'ombre a fermé les yeux des paisibles Vèrtus : L'ordre qu'imposent au monde et la force et l'audace A tout à coup changé, pour les peuples, de face. Et la foule se lève et parle, et crie, et veut. Dans Fimmense filet où l'avenir s'agite Jamais il n'a fallu délier tant de nœuds A la fois, ni si vite. Le rameau des devoirs et la grappe des droits Se cultivent partout sur des vignes nouvelles. Dis-moi, sens-tu, passant, Pour ce travail multiple et grandissant Surgir les miracles en ta cervelle ? Ma ville exige et de toi et de tous La joie et l'héroïsme De la servir en ses moments de paroxysme, Fût-ce contre eux et contre nous. Sois fier d'être vivant, quand tel a peur de vivre ; Utilise l'orgueil qui te porte et t'enivre, Et ta pitié, et ta fureur, et ta bonté ; Laisse agir ton esprit en sa complexité D'adresse et de vigueur, de fièvre et de sagesse; Fais efficacement, et sans compter, largesse les flammes hautes De Ion être profond, intense et fort, Dût-on te renier en des heures sans gloire Et ne te réserver, comme extrême victoire, Que d'être fier, devant la mort. J'ai construit dans mon âme une ville torride. MON AMI LE PAYSAGE J'ai pour voisin et compagnon Un vaste et puissant paysage Qui change et luit comme un visage Devant le seuil de ma maison. Je vis chez moi de sa lumière Et de son ciel, dont les grands vents Agenouillent les bois mouvants Avec leur ombre sur la terre. I 20 les flammes iial'tr'S Il est gai dé par onze tours Qui regardent, du bout des plaines, De larges mains semer des graines Sur l'aire immense des labours. Un chêne y détient l'étendue Sous sa rugueuse autorité, Mais les cent doigts de la clarté Jouent dans ses feuilles suspendues. Un bruit s'entend : c'est un ruisseau Qui abaisse de pente en pente Le geste bleu de son eau lente Jusqu'à la crique d'un hameau. Tandis qu'au loin sur les éteules, Tassant les blés sous le soleil, Semble tenir dûment conseil Le peuple d'or des grandes meules. J'ai pour voisin et compagnon Un vaste et puissant paysage Qui change et luit comme un visage Devant le seuil de ma maison. Sous l'azur froid qui le diapré, L'hiver, il accueille mes pas, Pour aiguiser à ses frimas Ma volonté rugueuse et âpre. Lorsqu'en mai brillent les taillis, Tout mon être tremble et chatoie De l'immense frisson de joie Dont son feuillage a tressailli. En août, quand les moissons proclament Les triomphes de la clarté, Je fais régner le bel été Avec son calme dans mon âme. J'ai pour voisin et compagnon Un vaste et puissant paysage Qui change et luit comme un visage Devant le seuil de ma maison. Même la nuit, je le visite Quand les astres semblent les yeux De héros clairs et merveilleux Que les splendeurs du ciel abritent. ia8 LES FLAMMES HAUTES Et si novembre avide et noir Arrache aux bois toute couronne, C'est aux flammes d'un feu d'automDe Que je réchauffe mon espoir. Ainsi le long des jours qui s'arment D'ample lumière ou de grand vent, J'éprouve en mon cerveau vivant L'ardeur diverse de leurs charmes. A haute voix, à cœur ardent, Je dis ton nom, brusque Persée, Et l'ombre immense et angoissée Tressaille encor en l'entendant. Je te nomme à ton tour, Hercule ; Et toi,Pollux, et toi, Castor; Et toi, Vénus, dont le feu d'or Préside au deuil des crépuscules. Je mêle aux légendes des Dieux Ta légende de sang jaspée, Belle et pâle Gassiopée, Qui luis sereine au nord des cieux. Si bien que grâce à votre gloire, Mon cœur se dresse et s'affermit Et qu'il s'exalte et crie au bruit Que font vos noms en ma mémoire. les flammes hautes J'ai pour voisin et compagnon Un vaste et puissant paysage Qui change et luit comme un visage Devant le seuil de ma maison. J'aime et je suis le» humbles sentes Qui vont d'un clos à d'autres clos, Ou descendent le long de l'eau Vers les grottes retentissantes. Quand l'air est sec et refroidi Et que tout bruit semble plus proche, Je reconnais au son des cloches Quel angélus tinte à midi. Je vois le dessin de chaque ombre Dans le soleil sur les hauts murs Et j'ai compté les brugnons mûrs Qui ploient la branche sous leur nombre. Ces deux tilleuls qui montent là, Je sais la main aujourd'hui morte Qui les planta devant la porte Pour que la foudre n'y tombât. Chaque bête qui vague ou broute M'est familière et le sait bien. D'après l'aboi que fait son chien J'entends qui passe sur la route. J'ai pour voisin et compagnon Un vaste et puissant paysage Qui change et luit comme un visage Devant le seuil de ma maison. Et je lui dis des choses tendres Et profondes avec mon cœur, Les soirs, quand la clarté se meurt Et que, seul, il me peut entendre. les flammes HAUTES Je lui parle des jours passés Quand, leco -ps lourd de déchéances, Je vins chercher dans sa jouvence Un air allègre et condensé, Quand je sentis en moi renaître Jour après jour l'ancien désir D'aimer -le monde et l'avenir Et d'être fort et d'être maître, Quand j'étais si vraiment heureux De mes marches de roche en ro<-he, Que j'embrassais les arbres proches Avec des pleurs au fond des yeux Et que les thyms sous la rosée Et que les trèfles sous le vent Me semblaient moins frais et vivants Que mes espoirs et mes pensées. J'ai pour voisin et compagnon Un vaste et puissant paysage Qui change et luit comme un visage Devant le seuil de ma maison. Dites, vous ai-je aimés, retraites, Çoteaux feuillus, sources des Lois, Antres où résonnait ma voix, Avec sa force enfin refaite ! Plus rien de vous n'est étranger Au cœur ému de ma mémoire ; On ne sait quoi de péremptoire Entre nous tous s'est échangé, Aussi quand ma vie accomplie Ployant sous le poing noir du sort Ira se perdre dans la mort, Doux ciel ami, je te supplie LE LIERRE LE LIERRE Lorsque la pourpre et l'or, d'arbre en arbre, festonnent Les feuilîages lassés de soleil irritant, Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s'étend Le lierre humide et bleu, dans les combes d'automne. Il s'y tasse comme une épargne; il se recueille Au cœur de la forêt comme en un terrain clos, Laissant le froid givrer ses ondoyants îlots Disséminés au loin sur une mer de feuilles. les flammes hautes D'après le sol changeant, il ruse ou bien s'exalte; Il se prouve rapide ou lent, brusque ou sournois; Son chemin, tour à tour, est sinueux ou droit; Il connaît le détour, mais ignore la halte. Et dès le printemps clair, si quelque tronc ardent Etage auprès de lui ses branches inclinées, Il l'assaille et en mord l'écorce ravinée, Avec l'acharnement de ses milliers de dents. Pour le passant distrait, il boude et il décline Le régulier effort des œuvres et des jours ; Pourtant, seul sous la terre, il allonge toujours Le tortueux réseau de ses courbes racines. Sa force est ténébreuse et ne se montre pas : Elle est faite de volonté tenace et sourde Qui troue, en s'y cachant, tantôt l'argile lourde, Tantôt le sable dur, tantôt le limon gras. Humble et caché jadis sous la terre âpre et nue, Son travail aujourd'hui se fait dominateur ; Il s'adjuge l'élan et bientôt la hauteur De l'arbre qu'il étreint pour monter jusqu'aux nues. Il frémit de lumière et s'exalte de vent : Sa force est devenue ardente et fraternelle, Son feuillage, léger comme un vêtement d'ailes, Le soulève, le porte et le pousse en avant. Chaque rameau conquis lui est support et proie. Pourtant, ayant appris sous terre à se dompter Au point de ne lâcher jamais sa volonté, Il est si sûr de lui qu'il domine sa joie, Toujours il tord à point sa multiple vigueur, Fibres après fibres, au creux des moindres fentes, Et n'écoute qu'au soir tombant les brises lentes Chant3r en lui et l'émouvoir de leurs rumeurs. LES FLAMMES HAUTES Déjà l'automne aura mêlé l'or et la lie Au funéraire arroi qui précède l'hiver, Que lui, lierre touffu, compact et encor vert, Jusqu'au vol des oiseaux dardera sa folie. Alors, plus libre et clair que ne l'est la forêt, Il oubliera gaîrr.ent qu'il lui est tributaire; Mais, qu'il boi\e un instant la plus haute lumière, Qu'importe qu'il s'affaisse et qu'il retombe après. Et quand toute son œuvre, un jour, sera parfaite Et qu'il ne sera plus qu'un végétal brasier Serrant en son feuillage un arbre tout entier, Immensément, depuis le pied jusqu'à la tête, Il voudra plus encore, et ses plus fins réseaux, N'ayant plus de soutiens, s'élanceront quand même, Dieu sait dans quel élan de conquête suprême, Vers le vide et l'espace et la clarté d'en haut. L'EST, L'OUEST, LE SUD, LE NORD L'EST, L'OUEST, LE SUD, LE NORD Quand tu marches, le pas rythmé, le long- des cb m; s, Aime à nommer pour te plaire à toi-même Le sud, l'ouest, l'est, le nord, Mots clairs et doux, mots terribles et forls, Qui décorent les beaux poèmes. Qu'ils t'évoquent les bois, les monts et le soleil, Qu'ils t'évoquent la mer et le grand port vermeil Illuminant là-bas les confins de la terre, Qu'ils t'évoquent la brousse et les déserts de feu les FLAMMES hautes sont aussi les cavaliers du vieil hiver Qui chevauchent l'averse et fouettent la bourrasque. Le givre les habille et le brouillard les masque. Qu'ils s'élancent soit de la plaine ou de la mer, le minaret blanc sur le ciel rouge et bleu Ou le gel coruscant des montagnes polaires. Au mois d'avril, au mois de mai, Le bras ballant, le pas rythmé, Aime à dire et à redire, pour t'y complaire, Leurs syllabes autoritaires. Aux jours d'été, quand midi bout, Ils sont pareils à quatre aigles qui, tout à coup Battent l'espace avec de grands vol fous Et voyagent dans les nuages. Aux jours d'été, ils sont pareils encor A des houles d'argent et d'or Qui dessinent des monts et des vallées, Immensément, dans les moissons bariolées. Dieu sait vers quelle immense et formidable joute, Us ravagent les carrefours Et les villag-es et les bourg-s, Et les arbres qui font le tour De l'infini, le long- des routes, Quand tu t'en vas le long- d'un champ, Scande pour toi leurs noms puissants. Ainsi, la marche alerte et la chanson rapide Qui célèbrent l'Est, l'Ouest et le Sud et le Nord Les feront comme entrer dans la chair de ton corps, Avec leur souffle ardent et leur vol intrépide. Peut-être ils te diront l'astre qu'ils ont frôlé Au delà del'éther où vivent d'autres mondes, EtPerséeet Vénus palpitante et féconde, Et la Lyre debout sur l'abîme étoilé, Et la Vierge et Véga et le Lion et l'Ourse. Tu sentiras alors ton être impétueux Trouver sa loi dans l'ordre et la splendeur des cieux Et ton rêve régler son élan et sa course les flammes hautes Sur le cortège d'or des étoiles, là-haut, Et ta force grandir et tes pensers sans nombre Laisser choir peu à peu et leur poids et leur ombre Et l'immensité claire entrer en ton cerveau. LÀ FORÊT LA. FORÊT La forêt est un monde et sa vie est la mienne. D'aussi loin qu'il me souvienne, Sa présence me fut un magnifique émoi ; Tout jeune encor, quand je m'en fus vers elle, Je sentis pénétrer sa rumeur éternelle Obscurément, au fond de moi. i5o les flammes hautes J'en avais crainte et joie et j'aimais le mystère Que ses arbres touffus rassemblaient sur la terre ; Je m'avançais furtif et m'enfuyais soudain, Ne retenant, hélas, entre mes mains, Que quelques fleurs décolorées Prises aux buissons de ses orées. Le jour d'après, Malgré ma peur j'y revenais : Le soleil y faisait voyager la lumière De façade en façade autour d'une clairière ; Sur le sentier rugueux ou le sol velouté, L'ombre jouait avec sa mère, la clarté ; Les mains d'argent du large et merveilleux espace S'y rejetaient les vols des mille oiseaux qui passent; A l'ample voix qui tout à coup lui commandait, L'écho des bois avec sa voix correspondait, Tandis que s'épanchant d'entre ses pierres creuses Une source scandait La chute, à bruit léger, de son eau lumineuse. Ainsi Pendant un jour entier par moi-même choisi, Mon âme était alerte et franche Et pénétrait le cœur et la chanson des branches. Pourtant, lorsque le soir mes pas se décidaient A redescendre Des flancs rocheux de la forôt, Tout m'y semblait se taire et de nouveau reprendre Sa méfiance et son secret. D'un coup ma tendresse en devint plus obstinée. De mois en mois, de journée en journée, Les grands arbres sous leur ciel d'or Me requéraient et m'exaltaient parfois si fort Que se mouillaient mes yeux en regardant leur gloire. Les plus anciens portaient un nom, Et quelquefois, à la veillée, un bûcheron, Sa pipe rallumée, en évoquait l'histoire. Il me disait lequel était César, Et celui-là qu'on nommait Charlemagne, Et tel encor qui poussait à l'écart Et sur qui la Grande Ourse illuminait son char,. Pendant la nuit, dans la campagne. Quand je fus grand, les bois m'émurent plus encor, Au dessin d'une pousse, aux lignes d'une écorce, J'appris à reconnaître ou l'âge ou bien la force Des plus grands pins dardés vers la gloire ou l'effortj les flammes hautes 11 me jurait que les plus vieux avaient mille ans, Qu'ils étaient doux et familiers avec les astres, Et que les soirs des mois cléments, Certe, ils causaient entre eux des éclatants désastres Dont autrefois avait tremblé le firmament. Je l'écoutais rêver, parler et puis se taire, Et ne songeais à rien qu'à tant d'arbres là-bas Qui maintenaient debout et leur front et leur bras Et leurs troncs appuyés sur le cœur de la terre. Bientôt l'hiver s'en vint serrer en son étau Et les clos et les champs et les rocs et les eaux : Du gel semblait tomber des lèvres de la lune, Les feuilles s'affaissaient sur le sol, une à une, Et je voyais déjà les grands bois dépouillés Et la Vierge et Persée et l'étoile des mages Dans les nuits de Noël doucement scintiller A travers le dédale aminci des branchages. LA FORÊT 153 Je distinguais l'un de l'autre le charme et l'orme, Les yeux fermés, rien qu'à toucher un seul rameau. L'orme craignait le gui, et le charme, l'assaut De l'ample clématite aux voltiges énormes Qui sautait d'arbre en arbre et là-haut l'étouffait. L'étreinte était danger et surprise soudaine. Parfois de blancs tarets trouaient comme une gaine Le fût morne et noirci d'un tilleul contrefait ; Le ciel se faisait foudreet la nuée, orage; Mais quel que fût l'éclair qui ravageât leurs fronts, Jamais aucun péril ne put forcer les troncs A abdiquer l'orgueil d'étager leurs branchages Jusqu'aux nuages. A leur pied, dont la mousse était d'or ou d'argent, S'ouvraient l'euphorbe et la pervenche et l'anémone Fleurs très humbles, mais qui sont bonnes Aux bêtes et aux gens; Et près d'elles s'ouvraient aussi la centaurée, Le fumeterre et le lotier Et les roses de l'églantier Qu'entrelaçait Vénus sur sa tête dorée. Mais, si morne et ténébreuse qu'en fût la cause, L'arbre,pour mieux vivre et grandir,n'y songeait pas. Il sentait l'air léger parcourir ses cent bras Et la pluie innombrable incliner son feuillage ; Il jetait sur le sol comme un mouvant treillage Où se jouaient des rais de iune et de soleil; Des musiques d'oiseaux célébraient son réveil ; Qu'il fût hêtre ou mélèze ou chêne solitaire, Il s'imposait sa tâche à remplir sur la terre, A servir d'os et de muscles à la cité, A n'être qu'un fragment de la vaste unité, Et tout cela semblait sincère et puéril : Fibres, tiges, feuilles, pistils, Et pétales et pétioles. Pourtant, non loin de là, montaient en floraisons Et les venins et les poisons : L'hostile jusquiame et le gouet malévole, Si bien qu'au ras du sol tout autant que là-haut L'embûche se dressait et donnait son assaut A l'ardeur méritoire et loyale des choses. Ou mortaise ou tenon, ou solive ou pilastre, Ou madrier là-haut, dans la tour, près des astres, Ou simplement encore, autour d'un front guerrier, La branche que l'on mêle au rameau d'un laurier. Oh! que de fois l'ample forêt dominatrice Ne fut-elle pour tous que dons et sacrifice ! Chacun la regardait, là-bas, aux horizons, Epouser la splendeur ou le deuil des saisons Et se mettre d'accord avec l'ordre du monde. Même au fond de l'hiver, elle semblait féconde Et les germes jamais ne désertaient ses flancs. Son silence à sa force était équivalent. Dès que juin ramenait les soleils pacifiques, Elle allongeait aux champs son immense ombre oblique; Et ceux qui l'aimaient bien la préféraient ainsi Calme, dans l'aube claire et le soir adouci. Mais moi, je l'aimais mieux quand l'automne rebelle L'agitait jusqu'au cœur, des coups de sa grande aile. Alors, Tout devenait tragique et surhumain en elle. les fiammes hautes La forêt est un monde et sa vie est la mienne. Sitôt que l'ouragan se déchaînait du nord, Elle s'abandonnait aux rythmes formidables. Chênes, ormes, bouleaux, sapins, tilleuls, érables S'exaltaient tout à coup de leur front à leur pied En un branle profond, énorme et régulier. A ceux qui les voyaient bouger sur fond d'orage Ils semblaient balayer la horde des nuages Et comme fuir le sol en leurs balancements. L'éclair les menaçait de moment en moment ; L'insidieux poison des fleurs violettes .Mêlait son maléfice au souffle des tempêtes ; La fourbe clématite éparpillait ses bonds Et sautait d'arbre en arbre et s'accrochait aux troncs ; Le mal mordait avec sa rage âpre et dentée L'élan vertigineux de la vie exaltée ; Mais quel que fût l'effort que ses mille réseaux Mettaient à enserrer la combe et la clairière, Quand même, immensément, avec force, là-haut, Les vents faisaient chanter la forêt tout entière. VERS LES FLEURS Laissez-moi m'en aller vers les fleurs, mes amies, En ce calme jardin où s'enclôt leur clarté : La lune est déjà haute et luit au ciel d'été Et l'étang- dort, près des fontaines endormies. Je suis las de marcher par le soir oppresseur ; J'ai besoin de sentir ce qui est pur sur terre Pencher vers moi sa bonté d'âme involontaire Et donner à ma force un peu de sa douceur. Il se sera senti du moins comme autrefois Simple, fervent, naïf et doux devant les hommes. Et c'est en respirant vos chairs et vos arômes, 0 Fleurs, qu'il aura recouvré toute sa foi. les flammes hautes Il s'offre à qui s'en vient vers lui, tout simplement, Avec un chant naïf au détour de la route ; Il est si content d'être et sans feinte et sans doute Qu'il ne veut point savoir qu'on trahit et qu'on ment. Joyeusement, il s'enfonce dans sa folie. Qu'importe si demain il se doit repentir D'avoir donné l'essor au pur et clair désir Que nul ne comprend plus sur la terre vieillie! Fleurs tranquilles, avec vos tons qui se fiancent Aux changeantes splendeurs de la nuit et du jour, Si vieux soit-il, mon cœur g-arde encor dans l'amour La naïve ferveur dont brûlait son enfance. Toujours vous lui fûtes les bonnes conseillères : •On ne sait quoi de sûr et d'égal règne en vous ; Que croisse à vos côtés ou la ronce ou le houx, •Rien ne trouble jamais votre ardeur régulière. LE PREMIER ARBRE DE I/A.LLÉE LE PREMIER ARBRE DE L'ALLÉE Le premier arbre de l'allée ? — Il est parti, dites, vers où, Avec son tronc qui bouge et son feuillage fou Et la rage du ciel à ses feuilles mêlée ? Les autres arbres ? — L'ont suivi Sur double rang, à l'infini ; lis vont là-bas, sans perdre haleine, A sa suite, de plaine en plaine ; Ils vont là-bas où les conduit les flammes uautts Sa marche à lui, immense et monotone, A travers la fureur et l'effroi de l'automne. Le premier arbre est grand d'avoir souffert : Depuis longtemps, c'est dans ses branches Que les hivers Prenaient, des beaux étés, leurs sinistres revanches : Contre lui seul, le Nord Poussait d'abord Et ses rages et ses tempêtes Et quelquefois, le soir, il le courbait si fort, Que l'arbre immensément épars sous la défaite Semblait toucher le sol et buter dans la mort. •L'orage était partout et l'espace était blême; L'arbre ployé criait, mais redressait quand même, Après l'instant d'angoisse et de terreur passé, Son branchage tordu et son front convulsé. Grâce à sa force large et mouvante et solide, Il rassurait tous ceux dont il était le guide. Il leur servait d'exemple et de gloire à la fois. Au temps de l'accalmie, ils écoutaient sa voix Leur parler à travers l'émoi de son feuillage. Ils lui disaient leur peur en face du nuage Qui rôdait plein de foudre à l'horizon subtil. L'un voulait fuir sans lutte et l'autre se défendre; Tous différaient d'avis, quoique voulant s'entendre, Si bien qu'il lui fallait assumer le péril D'entraîner seul, là-bas, en quels itinéraires! Ces mille arbres nourris de volontés contraires. S'il les menait ainsi, c'est qu'il savait agir : Son vouloir était dur, mais son geste était souple. Pour les mieux exalter,il les rangeait par couples Et dès qu'au loin il entendait les vents rugir, Sans hésiter jamais, il se mettait en route. Eux le suivaient, abandonnant dispute et doute, Heureux de retrouver un chef dans le danger. Ils adoraient alors et son geste enragé Et son cri despotique à travers les tumultes. Par les soirs éclatants ou par les nuits occultes, y les flammes hautes Il tenait tête à tout le ciel, tragiquement; Tous l'admiraient et tous se demandaient comment, A mesure que l'ombre étreignait son écorce, Il sentait mieux l'orgueil lui insuffler la force. Mais les arbres qu'il entraînait dans le combat Que son ardeur changeait en fête, Bien qu'ils fussent ses compagnons,ne savaient pas Quel signe alors sacrait sa tête. Nul ne voyait le feu dont l'or le surmontait — Vague couronne et flamboyance — Et que s'il était maître et roi, il ne l'était Qu'en s'affolant de confiance. PROMENADES PROMENADES Je vis parmi les fleurs, les ruisseaux et les arbres. La ville? elle est là-bas Avec ses millions de pas Et ses carrefours d'or, de basalte et de marbre; La ville est loin des fleurs, des ruisseaux et des arbres. Dès qu'un peu de soleil m'y pousse ou m'y incite, Je fais visite, les flammes hautes Comme à des rois, Aux trois tilleuls qu'on aperçoit Au bout du dernier champ qui limite les plaines. Je souhaite'parfois Que leurs branches soient mon seul toit Et que le grand pan d'ombre Que déplacent, autour des troncs, les feuilles sombre», Soit ma légère et mobile maison : Je vivrais là, avec la pluie et la lumière, Au long des jours nombreux de la belle saison, Heureux d'être perdu dans l'immense horizon Et de sentir mon cœur aussi près de la terre I Arbres, vous me diriez la souplesse du vent Qui danse et court et joue sur vos rameaux vivants. Vous me diriez ce qu'est l'endurance et la force Qui vous dressent sous l'armure de votre écorce Contre l'ample tonnerre et l'éclair contracté Et votre sève calme apprendrait la santé A mon corps où le sang précipite ses ondes A travers les réseaux de mes veines profondes. promenades i73 Arbres, non loin de vous, Un sinueux ruisseau coule sur les cailloux; Et les rochers des bords poussent vers le ciel large, Toujours plus haut,leurs blocs roùgescomme destarges; Dans le courant diamanté, A l'endroit même où le jour se reflète, On voit aller, venir et s'abriter De longs poissons visqueux et veloutés ; Un insecte reluit dans l'ombre violette Et tout à coup, hors de l'eau nette, Saute l'ablette Courbant violemment dans l'air Un croissant clair. Et je plonge mes mains dans le flot qu'elles peignent Et mes doigts emperlés que j'en retire après Semblent serrer en eux des tas de joyaux frais Qui retombent et scintillent et puis s'éteignent; Mais la claire et divine pureté Au long des bras a remonté Et lentement a pénétré LEE FLAMMES HAUTES Jusqu'au cœur de mon être, Elle habite mon front et se glisse en mes yeux. Oh I mon âme, qu'il doit être doux et pieux, Le regard qui s'en va de toi vers la lumière A cette heure d'élan, de joie et de prière ! Et le vent monte et cueille aux pétales des fleurs Les pleurs De la pâle et candide et tremblante rosée. Les étamines et les pistils Disséminent dans l'air tant d'arômes subtils -Que se porte aussitôt, vers les fleurs, ma pensée. Elles sont là Qui écoutent déjà Se rapprocher de leur clarté mon pas. Elles sont là, Tout au long du chemin qui vient de la rivière, Et la rose odontite et la jaune épervière Et l'âcre tanaisie et l'origan mielleux. Longtemps je les contemple et doucement lestouche. -Je leur donne l'amour que renferment mes yeux Et la ferveur vivante et rouge de ma bouche. Je me surprends plus net, plus candide, plus droit Lorsque je suis en leur présence salutaire, Et je fais mieux encor ma tâche sur la terre Dès qu'un peu de leur âme a pénétré en moi. Je pense haut et clair : toutes me sont amies Et de si simple ardeur et de si bon conseil ! Elles font même accueil à l'ombre et au soleil Et résistent sans plainte à la bise ennemie ; Elles vivent dans l'espace immense et déchiré, Cherchant en un coin maigre un peu de sol fertile, Mais acceptant tout ce qui est réel et vrai Et plaignant ceux qui les proclament inutiles. Ainsi, Après avoir près des grands bois déjà transis Armé mon être, La ville, au loin, dans les brumes peut m'apparaître Et m'appeler, avec sa grande voix ; Je m'y sentirai doux et fort tout à la fois ; ii ■ mwmmmmmmrn les flammes hautes Mon pas y sonnera sur les routes de marbre, Preste, rythmique, ardent, joyeux Et ceux qui m'y verront pourront lire en mes yeux L'ample clarté des fleurs, des ruisseaux et des arbres, AU PASSANT D'UN SOIR AU PASSANT D'UN SOIR Dites, quel est le pas Des mille pas qui vont et passent Sur les grand'routes de l'espace, Dites, quel est le pas Qui doucement, un soir, devant ma porte basse S'arrêtera? Elle est humble, ma porte, Et pauvre, ma maison. Mais ces choses n'importent. les flammes hautes Je regarde rentrer chez moi tout l'horizon A chaque heure du jour, en ouvrant ma fenêtre ; Et la lumière et l'ombre et le vent des saisons Sont la joie et la force et l'élan de mon être. Si je n'ai plus en moi cette angoisse de Dieu Qui fit mourir les saint» et les martyrs dans Rome, Mon cœur, qui n'a changé que de liens et de vœux, Eprouve en lui l'amour et l'angoisse de l'homme. Dites, quel est le pas Des mille pas qui vont et passent Sur les grand'routes de l'espace, Dites, quel est le pas Qui doucement, un soir, devant ma porte basse S'arrêtera ? Je saisirai les mains, dans mes deux mains t«ndues, A cet homme qui s'en viendra Du fond du soir, avec son pas ; Et devant l'ombre et ses cent flammes suspendues Là-haut, au firmament, Nous nous tairons longtemps, Laissant agir le bienveillant silence, Pour apaiser l'émoi et la double cadence, ' De nos deux cœurs battants. Il n'importe d'où qu'il me vienne, S'il est quelqu'un qui aime et croit Et qu'il élève et qu'il soutienne La même ardeur qui règne en moi. Alors, combien tous deux, nous serons émus d'être Ardents et fraternels l'un pour l'autre, soudain, Et combien nos deux cœurs seront fiers d'être humaim Et clairs et confiants sans encor se connaître I On se dira sa vie avec le désir fou D'être sincère et vrai jusqu'au fond de son âme, De confondre en un flux : erreurs, pardons et blâmes Et de pleurer ensemble en ployant les genoux. les flammes hautes Oh! belle et brusque joie! Oh! rare et âpre ivresse ! Oh ! partage de force, et d'audace, et d'émoi ! Oh ! regards descendusjusques au fond de soi Qui remontez chargés d'une immense tendresse, Vous unirez si bien notre double ferveur D'hommes qui, tout à coup, sont exaltés d'eux-mêmes, Que vous soulèverez jusques au plan suprême Leur amour path tique et leur total bonheur. Et maintenant Que nous voici à la fenêtre Devant le firmament, Ayant appris à nous connaître Et nous aimant, Nous regardons, dites, avec quelle attirance, L'univers qui nous parle à travers son silence. Nous l'entendons aussi se confesser à nous Avec ses astres et ses forêts et ses montagnes Et sa brise qui va et vient par les campagnes Frôler en même temps et la rose et le houx. Nous écoutons jaser la source à travers l'herbe Et les souples rameaux chanter autour des fleurs ; Nous comprenons leur hymne et surprenons leur verb& Et notre amour s'emplit de nouvelles ardeurs. Ainsi tout change en nous à nous sentir ensemble Vivre et brûler d'un feu si largement humain, Et dans notre être où l'avenir espère et tremble Nous ébauchons le cœur de l'homme de demain. Dites, quel est le pas Des mille pas qui vont et passent Sur les grand'routes de l'espace, Dites, quel est le pas Qui doucement, un soir, devant ma porte S'arrêtera ? ÉPILOGUE MA GERBE Le jour que mon cerveau et mes yeux seront morts, Ma gloire Demeurera longtemps encor dans les mémoires Et mon vers clair et fort Précédera et rythmera longtemps encor Tel pas sonore et volontaire, Quand les peuples nouveaux marcheront sur la terre. les flammes hautes Je serai dans le corps, dans les mains, dans la voix De ceux qui, malgré l'homme, obstinément espèrent Et façonnent leur être ardent, quoique éphémère, A ne vivre que pour l'effort et pour l'exploit. Mon cri dominera les plus longs cris d'alarme Et mes strophes de fougue et de témérité Jetteront de tels feux pendant Véternité Qu'elles luiront pour tous comme des faisceaux d'armes. Mon cœur ira gatment en ton cœur se répandre, Homme dont l'esprit calme aime son champ vermeil Loin de la guerre atroce et du sanglant soleil Et des clochers fendus et des hameaux en cendre. Vous sentirez courir en vos veines mon sang, Vous les savants sereins, vous,les chercheurs fébriles Qui deviendrez l'orgueil et là clarté des villes Et les hauts constructeurs d'un avenir puissant. Mes rimes vous diront les mots que vous cherchez, Amants qui sentirez votre double lumière Se répandre en vos yeux et mouiller vos paupières De tout l'amour qu'envoi deux cœurs vous rapprochez. Et vous, les tâcherons perdus dans les dédales Du port qui retentit ou du chantier qui bout, Pour les siècles lointains je vous dressai debout Avec vos sombres bras forgeant les capitales. Vous m'êtes tous tributaires devant le temps Qui seul est juge et maintiendra mon œuvre vaste, Où j'ai d'un poing vainqueur tordu tous vos contrastes Pour qu'en tonne l'orage en mes vers exaltants. >1 i3 LIMINAIRE L'Avenir................................................................................n là ville nouvelle..................................................................17 l'ancienne foi........................................................................29 mes yeux..................................................................................37 l orgueil.............. ....................................................43 LES MACHINES..................................... la vie ardente......................................................................57 sur lis môles du port. .......................................................65 a l'homme d'aujourd'hui......................................................71 belle santé..............................................................75 les morts........................................ problèmes................................................................................87 la chance...........'......................................................91 le tunnel................................................................................97 sur les quais..................................................i09 ' les flammes hautes MA VILLE................'................................................117 mon ami le paysage............................... le lierre................................................................................i 37 l'est, l'ouest, le sud, le nord..........................................l43 la forêt................................................................................1^9 vers les fleurs.........................................'5g le premier arbre de l'allee..............................................l65 promenades............................................................................i 7 1 au passant d'un soir............................................................179 ÉPILOGUE Ma Gerbe..............................................................................187 POITIERS. - IMP. MARC TEXIER. — 25-111-27 MERCVRE DE FRANCE Paraît le 1er et le 15 du mois DinECTKUn A.LFR VALLKTTB Le Mercure de France, fondé en 1890, est à la fois une revue de lecture comme toutes les revues et une revue documentaire d'actualité. Chacune des livraisons se divise en deux parties très distinctes. La première est établie selon la conception traditionnelle des revues en France, et, en même temps que toutes les questions dans les préoccupations du moment y sont traitées, on y lit des articles ou des études d'histoire littéraire, d'art, de musique, de philosophie, de science, d'économie politique et sociale, des poésies, des contes, nouvelles et romans. La seconde partie est occupée par la « Revue de la Quinzaine », domaine exclusif de l'actualité, qui expose, renseigne, rend compte avec des aperçus critiques, attentive à tout ce qui se passe à l'étranger aussi bien qu'en France et à laquelle n'échappe aucun événement de quelque portée. Le Mercure de France paraît en copieux fascicules in-8, formant dans l'année 8 forts volumes d'un maniement aisé. Une table générale des Sommaires, une Table alphabétique par noms d'Auteurs et une Table chronologique de la « Revue de la Quinzaine » par ordre alphabétique des Rubriques sont publiées avec le numéro du i5 décembre, et permettent les recherches rapides dans la masse considérable d'environ 7.000 pages que comprend l'année complète. 11 n'est pas inutile de signaler que le Mercure de France donne plus de matières que les autre» grands périodiques français et qu'il coûte moins cher. Envoi franco d'un numéro spécimen sur demande ^ adressée 26, rue de Condé, Paris-6e poitikft*. — im r- marc t|ki(h