LÉOPOLD COUROUBLE NOTRE LANGUE ÉDITION NOUVELLE revue et augmentée BRUXELLES PAUL LACOMBLEZ, ÉDITEUR 31, rue des paroissiens^ 31 1900 DU MÊME AUTEUR Contes et Souvenirs. Atlantique Idylle. — Les fiançailles de Joseph Kaekebrouck. — Ferdinand Mosselnian. Mes Pandectes. En plein soleil. (Impressions d'Afrique.) EN PRÉPARATION : Croquis Bruxellois. La vengeance de Madame Posenaer. BRUXELLES PAUL LACOMBLEZ, ÉDITEUR 31, RUE DES PAROISSIENS, 31 1900 TOUS DROITS RÉSERVÉS LEOPOLD COUROUBLE NOTRE LANGUE EDITION NOUVELLE revue et augmentée Pour mon petit Robert AVANT LIRE Puisque l'on me presse d'écrire quelques lignes en tête de ces pages extraites, telles quelles, du journal où elles ont paru d'abord, je le ferai d'autant plus volontiers que je voudrais désarmer d'avance une critique trop pointilleuse. J'ai lu « Notre langue » avec attention. Je ne crois pas que l'auteur s'exagère l'utilité de cet opuscule; sinon, je lui répondrais tout de suite qu'il a, comme Diogéne, « roulé son tonneau dans le Cranium », c'est-à-dire qu'il a fait une chose vaine. Mais je crains plutôt qu'il ne s'abuse sur la droi- turc grammaticale de son commentaire... Et voilà qui serait plus grave. Aussi me tarde-t-il de lui rendre un grand service, en demandant au public d'excuser toutes les négligences qu'on ne manquera pas de relever dans ce petit livre et dont l'écrivain ne se doute même pas. Après cela, les bonnes gens prendraient notre linguiste pour un snobneus, « Aioti ).t'«v àmxi'Çei; » comme disait la fruitière de Théophrastc, que je ne m'en étonnerais pas outre mesure et n'y verrais aucun mal. M" Chamaii.i.ac. PREFACE II m'est subitement venu un désir bizarre, une zinnc violente, de composer quelques chroniques didactiques, c'est-à-dire des chroniques pleines de bon sens, des chroniques qui enseigneraient au moins quelque chose et laisseraient dans l'esprit du lecteur étonné, en même temps qu'une admiration profonde pour mon jugement, l'impression d'un petit effort vers les perfections idéales. Donc, ce serait une sorte d'essai de rupture avec « la blague » — impopulaire et stérile dans ce pays très pluvieux. Il va sans dire que je changerai mon style durant quelques lunes; alors, vous verrez dans quelle langue nette, précise, excellemment belge, je saurai m'exprimer, si bien que « me lire » cessera un moment d'être une véritable préparation à l'éso-térisme. Certes, il me faudra un art patient, infini, pour écrire comme le premier venu. Car on ne doit pas s'y tromper : écrire comme tout le monde, rien n'est si difficile; je pense même que c'est un don précieux que possèdent seulement de très rares personnes. Mais il suffit qu'il s'agisse d'un tour de force pour que je le tente. El même je vais l'essayer aussitôt, devant l'indulgence des lecteurs. Maintenant que j'ai déroulé et étendu mon petit tapis, attention, je commence la première chronique didactique ! NOTRE LANGUE Nous parlons mal. Et nous parlons mal avec insouciance, on dirait presque avec un certain contentement de parler si mal. Et nous nous gardons bien de faire quoi que ce soit pour parler mieux. Les générations qui montent et lentement viennent s'aligner derrière la nôtre, parleront aussi mal que nous. C'est bien triste. Passez donc devant une école quand, la classe terminée, les écoliers libérés s'élancent dans la rue et jettent leurs bouquins en l'air... Écoutez-les. Que parlent-ils? Un horrible patois, un idiome malpropre, informe, aggravé par un accent flasque, d'une grossièreté inouïe, et qu'on est stupéfait d'entendre sortir de si fraîches bouches. Je me suistoujours demandé pourquoi les maîtres n'enseignaient point à ces petits, d'abord une langue plus correcte et puis surtout une prononciation plus légère et plus nette, un peu plus française. Je dis un peu plus française, car il ne s'agit pas ici de l'abusif accent parisien. Ces natures jeunes, où si facilement les empreintes se marquent, feraient grand profit de pareilles leçons, et prépareraient des générations d'autant plus dégourdies qu'elles sauraient exprimer les idées en une langue plus leste, facile, et d'une élocu-tion moins épaisse. Une langue influe sur le caractère. Et la jeunesse ainsi allégée de ce parler confus, de ce lourd accent qui pèsent sur elle et la déforment, deviendrait tout à coup plus vivante, s'éclairerait d'une plus riante et intense fraîcheur. Nous parlons mal partout, à l'école, au barreau, au Parlement, dans les salons. Dans les leçons, les plaidoiries, les harangues, les discussions et les conversations quotidiennes, notre langue bruxelloise, lente et tardive comme la Senne, charrie des mots épais, noirs, des figures malsaines et triviales, des agrégations de vocables boueux et putrides. Il est temps, ce semble, qu'on nettoie cette syntaxe d'Augias. Résolument, il s'agit de formuler des édits de proscription ou de mort contre les phrases déshonorantes et sinistres, de décréter des amendes énormes contre ceux qui s'obstineraient à les proférer encore après la publication des Interdicta. Car voici, je pense, quelles seraient les premières mesures à prendre pour le déblaiement de la langue. Des listes, des affiches immenses, où l'on imprimerait en gros caractères toutes les expressions prohibées, avec, en regard, les expressions équipol-lentes, rectifiées et parfaites, devraient être placardées dans toutes les rues, sur toutes les maisons et tous les monuments publics. lit des files de voitures et d'hommes-sandwichs, couverts de ces affiches, flâneraient par la ville interminablement. Tout le monde serait tenu de lire ces listes gigantesques et au bout de six mois, d'un an, de les réciter par cœur devant un jury sévère, armé de férules, hérissé de pensums et d'amendes contre ceux qui ne sauraient rien du tout. * * Certes, la composition de ces affiches syntaxiques 11e serait point facile ; un tel travail exigerait une grande délicatesse. 11 faudrait un intelligent nettoyeur, un trieur profondément érudit et prudent. Car, parmi toutes nos locutions incorrectes et sauvages comme des hydres, il en est dont l'âpre saveur, la couleur, la sonorité, la force d'image et de vie méritent qu'on les sauve du banïssement et même qu'on les hausse une fois pour toutes et hardiment, à la conversation élégante et polie, au style régulier. De plus, ne l'oublions pas, le monsieur tueur de monstres devrait aussi traduire l'expression condamnée par une expression strictement adéquate, et de forme impeccable. Car il ne s'agirait point, n'cst-ce pas, de remplacer des vocables et des tropes corrompus par d'autres de pareille qualité. Alors ce ne serait pas la peine. Mais quel homme, encyclopédique jusqu'au prodige, rempli de science, ou mieux de l'omniscience, oserait oser une tâche si utilement grandiose? Et puis, quel homme assez sûr de lui-même? Dans le patient grattage delà statue, on a si vite fait d'écorclier son resplandissant épiderme... On dira : nommons une commission de beaucoup de membres, dont les lumières se mêlant, éclaireront intensément ce travail tout à la fois minutieux et cyclopéen. Non, pas d'académie, pas de commissaires! Alors quoi? Eh bien, c'est moi, moi seul — bien que je sente toute mon ignorance — qui vais entreprendre cette œuvre redoutable. Mais que je réussisse, et c'est la gloire! Et même ce sera toujours la gloire encore que je succombe, car il est certains efforts qu'il suffit seulement d'avoir tentés pour 11e pas mourir tout entier... * * * Voici la première des affiches syntaxiques que j'avais annoncées et dont j'augure tant de bien pour l'épuration de notre langue. Affiche I ne dites pas Elle est tombée dans ses escaliers. J'ai mangé quelque chose qui ne passe pas... On m'a rendu cinquante centimes trop court. Oeïe, oeïe, oeïe. C'est un fransquillon. dites avec élégance Elle a triboulé en bas de tous ses escaliers. J'ai mangé quelque chose de contraire. On m'a fait sclierreweg d'un demi-franc. Ouïe, ouïe, ouïe. Il pince son français. ne dites i'as dites avec élégance Eh bien! quoi ce que vous en pensez ? Avec ça on est prope! Ça me fait une belle jambe ! Prenez donc la peine de vous asseoir. C'est son père tout craché. Ça ne veut pas venir dehors. Il s'est encouru. Il est schcel. La fille de quartier. Aller à la Zologie. Je le remets pas. Il apprend si bien ! Je l'ai fait expressément pour l'embêter. Eh bien ! quoi ce que tu dis en bas de ça ? Avec ça et six cens on a un verre de faro. Quelle avance j'ai avec ça ? Mettez-vous. Il tire si fort sur son père. Ça ne sait comme plus dehors.' Il a joué scliampavic. Il regarde louche. La fille d'en haut. Aller au Zologique. Je sais pas mettre un nom sur sa figure. Il profite si bien ! Je l'ai fait en exprès pour le faire bisquer. La faveur avec laquelle le public a bien voulu accueillir mon travail — comme 011 dit dans ces menteuses et outrecuidantes préfaces des secondes éditions — la vive et féconde émotion qu'il a jetée dans les couloirs de la Chambre et du Palais de justice — là où, suivant la remarque d'un sage, l'on voit surtout comme la parole a été indûment accordée à l'homme — me sont un précieux témoignage du réveil du goût chez mes contemporains, en même temps qu'une flatteuse récompense de nies longues veilles. Je remercie aussi, regrettant de n'être pas plus près d'elles pour dire et faire mieux, les nombreuses lectrices anonymes qui m'ont envoyé des « expressions ». Elles aussi, pour m'exprimer avec nouveauté ou comme dans les meetings, ont tenu à apporter leur pierre à l'édifice... Leur discrète et suggestive collaboration n'est pas superflue. Et maintenant, comme disait l'empereur Sévère et aussi 1111 Auguste plus moderne : Laborcmus ! Affiche II ne dites pas II n a un bon bout de chemin jusque là. C'est de la camelote. Il s'est fait chic. Il a eu ça à sa jambe. Je l'ai rencontré en rue. Il travaille au ministère. J'en ai reçu compliment. dites avec élégance Il y a une bonne trotte jusqu'à là. C'est de la loque. Il s'est mis sur son trente-et-un. Il a attrapé ça à ses guêtres. Je l'ai rencontré sur la rue. Il écrit sur un bureau au ministère. J'en ai eu beaucoup tic compliments. ne dites pas Vous voulez me zwan-ser. Il touche du piano. Je l'ai causé. Je (lois parler monsieur. Il est si comique! Ça c'est un vieze! Non, je saurais plus manger! Du riz au lait. Il fait île ses embarras. Si mon père saurait ça! On peut pas se contenter dans sa vie. On sait rien avoir avec lui! Je l'ai reçu cadeau. dites avec élégance Vous voulez tenir le fou avec moi. Il joue le piano. Je l'ai parlé. Je dois causer monsieur. Il est si farce ! Ocli ! ça c'est un drolle ! Non, savez-vous, je suis pour mourir! De la pappe au riz. Il fait de son nez, ou : Tes n' stou/fcr! Si mon pire devrait jamais savoir ça, j'en aurais! On sait qu'à même pas faire son goût dans sa vie. On sait pas de chemin avec. J'ai eu ça. Tous les jours, des personnes agressives et très impatientes critiquent la nonchalance que je mets à publiermes tables philologiques. Elles m'objurguent avec beaucoup d'amertume. Mais, sapristi, il n'y a pas de ma faute !! Leurs reproches sont injustes et ne sauraient me regarder. Je pense qu'ils s'adresseraient mieux à la Politique, s'il pouvait entrer dans l'esprit biscornu de quelqu'un d'absurde, de blâmer la Politique quand elle s'arroge ici des colonnes léonines... Tout de même ces reproches immérités sont doux à mon cœur et m'enchantent. Ne révèlent-ils pas chez mes censeurs une fureur d'apprendre, une fièvre, un appétit de syntaxe qu'on ne saurait trop louer ? Oui, oui, notre langue visqueuse a cessé de couler paisiblement dans son vieux lit de boue noire : voilà qu'elle s'émeut de nos barrages, de nos travaux d'art, de nos dragues ! Draguons, draguons I 2 (i Affiche III ne dites pas I C'est comme un fait exprès. Il fait pas toujours froid la même chose. Allo, on s'en va maintenant. Ça je crois. Ou fait pas de bien avec les domestiques. C'est comme ça que ça arrive. dites avec élégance Çct a juste voulu réussir. Il y a des jours qu'il fait plus froid un jour que l'autre. Allo, on esl pour partir, savez-vous. Ça je veux croire. Les sujets c'est la plaieie des ménages. C'est avec ça que ça vient. / ne dites l'a s dites avec élégance Si si, ça rentrera dedans (dans une niallej. Il fait des cancans sur moi. Prendre le convoi. Och! avec loul votre bazar! Elle est bien avec un rien du tout. Elle est si franche ! Il me regarde si vîeze. Il fait un beau parti. Non, ça est qu'à même trop fort. Il en a eu de son père ! Prendre les poussières. Si si, ça sait dedans. Il lire mon ménage sur la rue. Aller en chemin de fer. Och.1 avec tous vos bidons ! Elle csj propre auec une loque. Çà est une ! Il me regarde sidrollc-dement. Il marie une qui a le sac. Oeïe, ça, si on peut dire! Son père lui a flanqué une rameling (une tripotée) ! Faire les poussières. Deux Liégeois m'écrivent que depuis la publication des affiches, ils ont tous les soirs sur la syntaxe des discussions incessantes et si violentes qu'ils sont bien près de se brouiller pour toujours. Ils s'alarment, me supplient gracieusement d'arbitrer et de les mettre enfin d'accord sur un point spécial. Certes, j'aurais mauvaise grâce si je ne consentais à être très flatté. Tout de même je ne répondrai point, surtout aujourd'hui, car je suis aussi très froissé. J'ai l'âme sensitive du papier de soie... Oui, pourquoi mes lecteurs, non contents d'appliquer sur leur enveloppe un timbre rose de dix centimes, ont-ils osé enfermer dans leur lettre, pour la réponse, un autre sale timbre rose de dix centimes? Ils devraient savoir, puisqu'ils sont des lecteurs fidèles, que le timbre rose de dix centimes m'est odieux au-delà de toutes les expressions, et que j'ai sur les personnes qui l'emploient une opinion excessivement triste. Après le réquisitoire sans réplique que je prononçai, l'an dernier, contre ce vénéneux quadrangle, honte de notre paj-s artistique, il me semblait que les lettres seraient libérées, exemptes pour jamais de cette « crapule » de timbre. Oui, je dis « crapule » et sans peur de manquer d'élégance, car j'emprunte ce mot tout simplement à La Bruyère. Notre timbre rose, c'est comme qui dirait le timbre d'une nation qui ne se soigne pas, le timbre d'une nation qui aurait les mains sales... Je rappelle qu'il n'est permis de se servir du timbre rose que dans certains cas déterminés, que voici : quand on n'en a pas d'autre « sur soi », que « ça presse », qu'il fait nuit ou bien que c'est un dimanche, lorsque tous les bureaux de poste sont déjà fermés avant de s'ouvrir, et que les timbres, même ceux de un centime, valent dans les boutiques dix francs cinquante ! Et alors, il faut mouiller ce sale timbre rose — non — cracher dessus avec mépris et le coller à l'envers ! Encore une fois, je ne saurais trop recommander à tous les Kelges de goût, profondément bles.sés par l'existence et la vue d'une ignoble étiquette, de n'affranchir leurs lettres qu'avec des timbres étrangers, par exemple avec des timbrés anglais, français, ou bien avec des timbres américains de plusieurs dollars, ou bien tout bonnement avec ces beaux timbres triangulaires du Cap de Bonne-Espérance. Affiche IV ne dites pas II est scherp. C'est ça, non, septante-cinq centimes! A c' l'heure. II fait le crâne. Il a f... le camp. Elle lient ça comme une loque. Il est colère. dites avec élégance t Il couperait une demi-cens en quatre. Septanie-cinque centimes! Vous avez une tête comme septanie-cinque centimes! Le jor d'aujord'hui. Il fait de son jan. Il a pris ses cliques et ses claques. Elle lient ça comme un paquet de sottises. Il joue sur sa patte. ne dites pas dites avec élégance Qu'est-ce pour quek chose? 011! il n'a l ien besoin. Ça je me souviens. Un vigilantier. Lire sur la gazelle. Il s'est levé sur sa jambe, gauche. Hé, on sait rien dire. C'est une fafouille. Il fait tirer son portrait. Aller à pattes. Nous sommes famille ensemble. Vous aimez ça ? Je lui ai f... la porte au nez. Qu'est-ce que c'est que ça pour quek chose ? Oh! il ne se laisse rien manquer. Je me rappelle de ça. Un louageur de vigilantes. Voir sur la feuille. Il s'est levé de travers. On sait pas savoir. C'est une chipotte. Il s'est fait tirer en portrait. Aller de pied. On est tout famil avec. Est-ce que ça goûte ? J'ai claché la porte sur son nez. Pour l'heureuse symétrie de cet in-douze, il faudrait bien que l'affiche V se préliminât comme les autres de quelques lignes profitables. De fait, c'est son droit. Je l'ai méconnu dans la première édition. Réparons vite cet oubli fâcheux par une petite confidence. Il paraît que la publication de ces tablettes a jeté certains Belges établis à Paris (je dis certains, non pas tous) dans une fureur violente, que les chroniques des illustres maîtres Aurélien Scholl et Gauthier-Villars sur Noire Langue ont encore exacerbée. — Nous n'avons jamais parlé comme cela ! Ce monsieur est un mauvais patriote qui nous rabaisse avec injustice. Ainsi clament ces colons qui fransquillonnent à présent. Voyons, me dois-je défendre contre une telle accusation ridicule? Pauvres censeurs! Je vois bien que dans leur exil très doux, ils n'ont rien appris; mais ils ont tout oublié ! Ils nous renient. Ils ne veulent pas comprendre. Ils ne comprennent pas. Ils ne comprendront jamais... Hast, que nous importe 1 Relevons notre charrue au contre luisant par la houe. Hue dia ! Et laissons n'est-ce pas tous ces gens à leur bête indignaâation ! Affiche 7 ne dites pas C'csl un clrollc (le corps. Vous êtes fâché avec moi ?. Ils sont ennuyés avec les servantes. Se f... de quelqu'un. Il n'a pas bien fermé sa porle. Il court toujours dans mes pieds. dites avec élégance C'est un droite de jtis-tolcl. Qu'est-ce que vous avez sur moi? Ils sont clans des embarras de servantes. Tirer quelqu'un en bouteille. Il a laisse la porte contre. Il est toujours entre mes jambes. ne dites pas dites avec élégance Le bac à ordures. Ne le dites pas, savez-i>ous ! La loque ù récurer. Courir perdu. J'ai eu du plaisir avec çaj Ça est un traître! Il s'a tiré en bas (à la conscription ]. Déparier quelqu'un. Attraper sur ses ongles. Prendre un verre. C'est pas de jeu. On sait rien faire à ça. Faire des flikkers. Mon père ne veut pas. Le bac à scramouillcs. Tenez ça pour vous. La loque à reloqueler. Courir en voije. J'ai dû rire avec ça ! Il est si traître qu'il csl grand ! Il s'a tiré dihors. Décauser quelqu'un. Attraper des ruses. Profiter sur un verre. C'est de la triche. Un ne sait pas là contre. Faire des motjes. Je ne peux pas de mon père. Je m'arrête, ma tâche est terminée. Assez d'affiches ! j'enlève ma blouse blanche, j'ôte ma casquette, mouche af! et je laisse ma bio se tranquille dans la colle de pâte — dans la pappe! Je rentre parmi la foule assemblée au pied des murs que j'ai tapissés, je permets qu'on méjugé. Mais je prends du recul et je méjugé moi-même. L'œuvre est énorme. Pourtant, on aurait tort de croire que je n'en vois pas comme tout autre les imperfections et les lacunes. II est vrai qu'il serait facile d'affirmer que ces fautes, je les ai voulues dans mon désir de faire un ouvrage rapide, populaire, à la portée des intelligences les moins subtiles. Mais mon impudence ne va pas encore jusque-là. Oui, j'aperçois,je montre les fautes de ces affiches. Elles manquent d'un certain ordre, d'un classement, eh ! tranchons le mot, elles manquent de méthode. Voilà. Mais cela est-il si grave? et ne suis-je pas rassuré, si je pense que mes commentateurs futurs y pourvoiront dans les nombreuses éditions posthumes de ce travail ? Peut-être aussi qu'une autre forme, un dialogue, par exemple, un dialogue vif, simple, où l'on se serait efforcé d'être le moins spirituel possible, afin de rester très précis et très clair, eût mieux convenu à ces tablettes. Je n'aurais eu qu'à prendre pour modèle ces conversations étonnantes, pleines de surprises et de coq à l'âne, dont les manuels de M. X... ont fixé et gradué l'inouïe démence! Vous avez vu M. le conseiller ? — Non, mais ma sœur a acheté six cuillers à soupe. Oui, cela n'eût pas été mal. Mais l'œuvre est achevée et je pense qu'il y a de bien meilleures plaisan- terics que celle qui consisterait à la recommencer... Telle qu'elle a été exécutée, avec peu de soin mais beaucoup de précipitation, elle doit être néanmoins, j'espère, très utile et féconde. Elle mettra le public en garde contre ces bancs de boue qui dans nos conversations affleurent à langue basse : mes bouées marqueront le chenal à suivre... lit je suis sûr que le public a très bien compris. Il suivra mes excellents conseils. Et tenez, il les suit déjà. Lundi dernier, plongé dans un voluptueux recueillement, j'écoutais les Maîtres chanteurs, quand une dame et une jeune fille, placées derrière moi, se mirent à chuchoter. J'entrai dans tous les délires de la crispation. Aussi, pendant le premier entr'acte, je me retournai brusquement et regardai ces bavardes d'un air sévère. Toutefois, je me calmai : elles étaient extrêmement jolies... Le second acte commença. Elles ne chuchotaient plus; mais j'étais maintenant agacé par cette idée qu'elles allaient chuchoter ! Non, elles ne chuchotaient pas. Mais apparemment elles chuchoteraient, lit ce doute provoquait un malaise si insupportable que je mis à désirer qu'elles chuchotassent ! Tout à coup apparut le laid ISeckmesser. — Oh ! fit la dame, c'est qu'il ressemble à l'oncle Charles comme deux gouttes d'eau ! — Mais maman!! s'écria aussitôt la jeune fille d'un ton de reproche, dites avec élégance : c'est l'oncle Charles tout craché ! APPENDICE Un excellent travail ne va jamais sans un appendice ou des notes crudités qui montrent au public la conscience de l'auteur et l'ardeur de ses recherches. Et cela est encore fort ingénieux : par l'appendice l'oeuvre se pose, parait complète : il semble impossible de la parachever davantage. L'appendice, c'est donc parfois un petit stratagème d'écrivain : l'on comprendra que je n'hésite pas à l'employer pour ma gloire. Toutefois, on aurait tort de croire que le supplément qu'on voit ci-après est simplement une ruse d'auteur frivole qui vise à la gravité afin d'attirer -f.-> sur lui la considération des gens très sérieux. Vraiment non. Certes, et l'on en convient de bonne grâce, il ne répond pas, comme on dit, à un besoin très pressant. Mais cet appendice complétera réellement les affiches. Et puis, il fera cesser ce reproche facile autant qu'injuste de certaines « correspondantes » qui, sous prétexte qu'elles avaient trouvé — après une laborieuse grossesse de mémoire — une expression non classée dans mon répertoire, m'accusaient tout bonnement de négligence. Ces personnes eussent bien fait de se demander d'abord si leurs expressions oubliées étaient trans-posables dans la langue parfaite, impeccable, qu'elles ont pu voir. Mais en voilà assez. 11 est temps de terminer cette tâche profondément didactique. Donc, je ne saurais trop recommander à tous les gens de goût, désireux de s'exprimer dans une langue suprêmement raffinée, l'emploi des locutions suivantes : (Faites-lui mes compliments.)—Autant de sa part —autant chez vous. Il est quelque chose de trois heures. Tant qu'à lui. (Quant à lui.) Des caoutchoucs (galoches). Il a une figure qui ne me revient pas. C'est un morceau très profitable. Mettez encore un mètre tout près. Courir tout partout. Faire son estaminet. La cliché de la porte. La buse du poêle. Acheter des postures. Faire une couple de courses. Aller à la douce. Comment va-l-il avec lui? Il est bien éduqué, bien instruit. Monsieur un tel avec sa dame et sa demoiselle. Je n'envoie pus ma fille A l'école de la ville, c'esl si mêlé, ou bien : si ordinaire. Ça coûte cinque francs l'un dans l'autre. J'ai été en société avec elle [dans le mondeJ. La bonne bourgeoisie bruxelloise. Je vais me remettre en commerce. Une femme à journée. Avoir une brette avec quelqu'un. J'y suis allé de retour. Fait à fait. Du papier de tache. Boire du syphon. La pendule est en avance. Elle tire sur ses vingt ans. Il est dans la place à manger. Fin contre fin, il n'y a pas de doublure. Faire café. Donner une baise. Vol' robe est presque si sale qu'une vodden en becnen. Vous avez encore une fois couru dans la moerasse avec vos belles bol Unes ! J'ai si mal de lête que je ne vois plus clair. On ne sait tout de même pas cire toujours après les servantes. Ça est pour votre spoorpol. Ouïe ! votre cigare sent bon ! Laissez-moi une fois tirer après ? Qu'il boit seulement à mon verre ! Je ne suis pas droite de lui. On veut une fois bien rire ? Je ne saie de rien... Etc., etc. NOTRE ACCENT Il y a quelques jours, je suivais une division d'écoliers <[ui s'en allaient jouer dans la plaine. Ils parlaient liaut, disputaient fort. Je dis : ils parlaient — c'est un euphémisme ! Un dialecte eoplite, la bachmourique par exemple, ou bien le yahou du pays des Houyhnhums ne doit pas sembler plus barbare à l'ouïe que les sons vocaux proférés par cet « espoir de la cité » ! Cependant, le poète candide et imperturbable ne sciasse point d'appeler cela babil. O poète! Ces petits avaient déjà une grosse voix, une lourde voix grasse et canaille — engueulatoire! Il fallait voir leurs vilains gestes de leurs farces, entendre leurs lazzis, leurs rires! Cela était désolant. Tous les animaux sont charmants, jolis, gracieux quand ils sont petits, même les petites grenouilles et les petits crapauds qui sautent très gentiment et attendent avec soin d'être adultes pour montrer leur triste ramage. Mais les petits jeunes Belges! Cependant, à quelques pas de moi, le maître marchait penché et ses pensées étaient sombres. Je me plus à deviner qu'il s'attristait comme moi d'ouïr ces méchantes voix, ces propos bêtes. Je me dis que lui aussi rêvait des réformes, des remèdes, cherchait l'odieux microbe de ce cancer horrible et purulent — l'accent! — qui ronge notre langue... H= Oui, notre accent subsistera-t-il toujours, fort de son incurabilité, fort de sa contagion? Même aujour- d'hui, qui s'Inquiète de tuer ce monstre? Personne. Qu'est-ce donc que l'on fait pour nous guérir d'une prononciation pâteuse? Rien, rien. 11 semble au contraire que tous les jours nous exagérons davantage sa grossièreté. Nous ne prenons plus garde à l'horrible inflexion de nos voix! Et ceux qui l'entendent trouvent ça drôle! 11 est triste de devoir désarmer et rire devant ses tares ! Ah! rien comme un pareil accent n'est funeste surtout chez les petits. Leur jeunesse n'a plus de grâce, plus de clarté! Elle est vieille. Elle s'incline, se courbe comme sous un fardeau. Elle se traîne. Et les jeunes pensées fraîches et riantes meurent, se refusant à être exprimées dans un jargon indigne. Vraiment, je crois que les pensées sont dégoûtées de nos lèvres. Notre accent en tue beaucoup. Il flétrit nos idées, les cantonne dans les frigiilis neyotiis, les rabaisse au niveau des seules préoccupations matérielles. Avec cet accent, peu ou pas d'art, peu ou presque plus d'idéal. Notre accent, c'est un lourd poids, qui retarde nos aspirations quand il ne les étouffe. Et cependant les générations ne cessent de naître marquées de cet accent originel et terrible! Là, n'est-ce pas assez d'infamie? * * * Et le maître, mélancolique, continuait de suivre ses élèves. Sans doute il pensait à ces choses et s'affligeait dans son cœur. Mais voilà que tout à coup un écolier, bousculé par un camarade farceur, fut jeté hors des rangs et s'étala sur la route avec complaisance. Aussitôt le maître redressa la tête, et lança ces paroles ailées : — Elève Steves (Stevens), je saie ce qui me reste à faire avec vous. Kecommenceie seulement!.. Et comme « Steves» répliquait sur un ton hardi, marqué d'insolence, le maître furieux s'emballa dans une mercuriale que la colère lui faisait bé- gaver en une langue détestable. Et toute la division ricanait. * * * Je restai saisi d'un étonnement triste. Il n'en fallait pas plus pour me persuader qu'un tel maître ne réformerait jamais un accent dont il ne percevait pas l'horreur et dont il abusait lui-même avec une parfaite inconscience. Ça ne faisait pas grincer ses oreilles ! ■V. .V. On pourrait croire que je m'avance ici sur un terrain brûlant, que je vais accuser tous nos maîtres d'école de s'exprimer dans une langue et sur un ton très fâcheux. Loin de moi cette pensée absurde autant qu'imprudente. Mon maître de tout à l'heure est une exception. Nous avons beaucoup de professeurs de talent, beaucoup de maîtres d'un savoir plus modeste, qui donnent leurs leçons dans une langue excellemment française et parlée d'un bon accent ou mieux sans accent. Mais je veux exprimer seulement cette crainte qu'ils n'entendent plus la vile prononciation de nos écoliers ou bien qu'elle les laisse fort indifférents, sans désir, sans ardeur de la combattre et convaincus que c'est une tâche chimérique et vainc de vouloir changer l'accent qui est dans la moelle d'un peuple, comme quelque chose de confusément organique. Après tout l'accent ne serait-ce pas une harmonie (!) tenant au sol, à l'air, au climat, partant ineommutablc ? Eh bien, non! Notre accent peut se transformer, s'adoucir, disparaître ! Et c'est dans l'école qu'il faut commencer la réforme. C'est le grand devoir des maîtres de tenter cette purification glorieuse. Qu'ils cherchent et découvrent la méthode. Et tandis que j'y pense, Edison ne pourrait-il pas les aider? Imaginez dans chacune de nos classes un phonographe dont tout un répertoire île plaques mélodieuses reproduirait chaque jour la langue et la voix des plus purs parleurs français ! Serait-ce pas de précieuses, d'admirables leçons ? Alors nos « grincements » d'oreilles seraient Unis. Bientôt le souvenir du patois et de l'accent belges sentit effacé, et s'enfoncerait dans le doute d'une légende... TABLE DES MATIÈRES Pages Avant lire....................7 Préface............................9 Notre langue....................11 Affiche I............................17 » Il............................23 .,111..........................27 » IV..........................35 » V............................39 Appendice..........................45 Notre accent....................'r'l