Iwan GILKIN LE Roi Cophétda DRAME Oe ÉDITIONS DES CAHIERS INDÉPENDANTS 8, rue de la Tribune, 8 BRUXELLES Deuxième édition. i I li ♦ - :J i - CAHIER INDÉPENDANT DU leP avril 1919 • ■' " - ' | Iwan GILKIN LE Roi Cophétda DRAME ÉDITIONS DES CAHIERS INDÉPENDANTS 8, rue de la Tribune, 8 BRUXELLES Deuxième édition. 31 a été tiré de cet ouvrage, sur papier de 3iollande, trois exemplaires hors-commerce, marqués M. C. ; et vingt-cinq exemplaires numérotés de 1 à 25. DU JWÊJVIE AUTEUR La damnation de l'artiste, poésies ; lithogr. d'Odilon Redon, 1 vol. in-4°, chez Deman, Brux., 1890. (épuisé.) Ténèbres, poésies, lithogr. d'Odilon Redon, 1 vol. in-4°, chez Deman, Brux., 1892. Stances dorées, plaquette, 22 fig., Paris, Chamuel, 1893. La nuit, poésies, 1 vol. in-18, chez Fischbacher, Paris, 1897. (épuisé.) La nuit, nouvelle édition, Mercure de France, Paris, 1911. Le cerisier fleuri, poésies, 1 vol., chez Fischbacher, Paris, 1899. Prométhée, poème dramatique, 1 vol., chez Fischbacher, Paris, 1899. Jonas, 1 vol., chez Lamertin, Bruxelles, 1900. Savonarole, drame, 1 vol., chez Lamertin, Bruxelles, 1906, Etudiants russes, drame, 1 vol., chez Larcier, Brux., 1906. Anthologie, 1 vol., portrait, Association des Écrivains belges, Bruxelles, 1914. POUR PARAITRE PROCHAINEMENT Egmont, drame. Le sphinx à l'église, drame philosophique. Les origines du mouvement poétique de 1880 en Belgique. TOUS DROITS RÉSERVÉS. PERSONNAGES : COPHÉTUA, roi d'Astremonde. GOLDMAR, roi de Nordlande. Le roi de Thuringe. Le roi de Tongrie. MARIO, écuyer de Cophétua. Le comte ALBÉRIC. Le capitaine BARBOUF. Le capitaine RANDOLFE. Le lieutenant FOSTER. OSWALD, officier, Un curé. Un paysan. Un béquillard. Un aveugle. Deux gamins. ERMENGARDE, mère de Cophétua. ROSAMIE, mendiante. DOLCIANE, fille du roi ée Nordlande. MARMORANDE, fille du roi de Thuringe. FRAGOLETTE, fille du roi de Tongrie. Une dame du palais. Une petite fille. Une paysanne. Seigneurs, officiers, gens du peuple. £a scène est dans le palais du roi d'Slstremonde et dans la campagne voisine Le Roi Cophétua ACTE PREMIER Scène première. — La chambre du roi Le roi Cophétua. — Mario i i le ROI Qtielle heure est-il, mon bon Mario? MARIO Il elst six heures, Sire. Sur les champs et la ville le soleil printanier s'avance dans sa gloire et, déjà, l'activité des humbles s'agite comme un essaim d'abeilles dans un rucher. ||î le roi J'ai mal dormi, Mario. Au seuil de la journée, je suis las et pesant comme un enfant perdu, le soir, au fond d'un bois. MARIO Votre Majesté pouvait rester au lit une heure ou deux encore. le roi Et mes pauvres, Mario? Et notre promenade accoutumée dans la fraîcheur matinale? Et notre messe, à nous deux, dans l'une des blanches églises des villages voisins? Pourquoi renoncer aujourd'hui à ce qui m'est depuis tant d'années un plaisir et un devoir de chaque jour? Passe-moi mon pourpoint. mario Cette journée n'est point pareille aux autres. C'est aujourd'hui que devant les seigneurs de la Cour, devant les rois étrangers et les nobles princesses qui sont vos hôtes, vous avez promis de vous déclarer et de choisir notre reine. le roi Les pauvres ont faim tous les jours, Mario, et jamais je n'eus tant de raisons de prier. Dis-moi laquelle te plaît le mieux? mario A moi, Sire? le roi Oui, à toi. La sagesse éclaire les vieillards. Ils savent déchiffrer mieux que les jeunes hommes les mystères cachés sous un brillant visage. mario Mais...Votre Majesté n'a donc pas fait son choix? le roi J'y ai pensé toute la nuit. Elles sont toutes également jolies et spirituelles. Leurs pères sont également riches et puissants. mario Eh bien? le roi Je n'en aime pas une et pas une ne m'aime. Elles n'aiment que ma couronne, Mario. Mais leur petit cœur ambitieux est plus sec qu'un briquet. mario Pressez un de ces cœurs sur 'le vôtre, Seigneur, et vous l'enflammerez. LE ROI A quoi bon, si le mien est plus froid que la neige? mario Tout à l'heure, pourtant, vous prendrez par la main l'une de ces princesses et vous lui offrirez... LE ROI Mario, Mario, que ma vie était douce avant ce jour fatal et ce choix odieux ! Toujours libre et léger comme un oiseau sauvage, ma seule volonté dictait mes actions. Je cueillais le plaisir comme on cueille au passage une fleur dans la haie qui borde le chemin. Mais l'amour, Mario, l'amour, le bel amour, je l'ignorais encore et mon cœur l'attendait comme on attend un ange lorsqu'on est enfant et qu'on prie à genoux dans une vieille église avec la prin-tannière ivresse des yeux vierges, avec le pur désir de la beauté des cieux. Je l'attendais ici, dans ce palais royal, comme si sa main blanche allait ouvrir la porte, écarter la tenture et m'appeler sans bruit; je l'attendais au fond du jardin, sous les arbres, comme si son pied nu devait jaillir des roses et son visage clair attirer mon visage dans un baiser sans fin. mario C'est un rêve d'enfant. / le roi Il est encore le mien. — Donne-moi mon manteau. mario En attendant l'amour qui n'est pas arrivé... le roi J'ai fui le mariage? Parbleu! C'était mon droit. Vivre tous les jours que Dieu donne, sans amour, avec la même femme, avec les mêmes regards, avec la même bouche, avec les mêmes bras, avec les mêmes bavardages et les mêmes grimaces, pouah ! c'est verser du fiel dans le vin pétillant de la vie, c'est mâcher du sable dans tous les mets du banquet! mario Mais vous avez juré à votre noble mère que si vous n'étiez pas marié à trente ans... le roi Je tiendrai mon serment! J'aurai trente ans ce soir. N'ai-je pas convié tous les rois mes voisins et les princesses leurs filles? Et ne me suis-je pas engagé à choisir tout à l'heure dans une assemblée solennelle... le diable les emporte! Sortons, Mario! As-tu mon escarcelle? Double ou triple la somme accoutumée. Tu n'as pas mis un crêpe à mon chapeau? maiuo Un crêpe à votre chapeau ? le roi Pour porter le deuil de ma jeunesse et de ma joie. — Viens! nous partons. Mais nous irons d'abord saluer notre mère. (Ils sortent.) Scène II. — L'appartement de la reine Ermengarde En scène: Ermengarde, Cophétua, Mario. ermengarde Ainsi, votre choix n'est pas fait, mon fils? cophétua Mon choix n'est pas fait. ermengarde Comment donc allez-vous procéder tout à l'heure? Prendrez-vous la première que vous rencontrerez ou la belle qui portera des saphirs dans sa chevelure? Tirerez-vous au sort ou jouerez-vous aux dés la noble enfant qui doit devenir votre femme? Fi donc! cela n'est digne ni d'un roi ni d'un honnête homme. cophétua Hélas! je n'aime point. ekmengarde Avez-vous bien creusé jusqu'au fond de votre âme? Parfois on y découvre, plus minces que des fils, des racines étranges qui porteront plus tard, au sourire du jour, de larges fleurs de pourpre, rayonnantes et parfumées. Le Destin sème en nous des graines invisibles; les unes sont des roses, des lys et des pivoines; les autres de la ciguë, de l'euphorbe ou d'ignobles ronces; nos caprices, nos folies ou notre prudence écrasent les unes et font croître les autres. Un noble et pur amour est tout prêt à germer, peut-être, au fond de vous. cophétua Sur ma foi, je l'ignore. ermengarde Si votre cœur n'a point parlé, que la raison se fasse entendre. cophétua Que dira-t-elle? J'écoute. ermengarde O! mon fils, mon doux roi, la raison tout d'abord vous félicitera du silence de votre coeur, car elle n'aime point que l'aveugle amour règle les fiançailles des rois. L'amour trouble la vie des hommes ordinaires, mais chez les rois, hélas! il accable l'Etat de sombres tragédies. Puisque, grâce au Destin, votre cœur est muet, c'est à l'intérêt du royaume qu'il faut demander un oracle. cophétua L'intérêt du royaume? Mère, c'est une idole ridicule et terrible. C'est un chat empaillé qu'encensent gravement de graves imbéciles; mais, parfois, c'est un sphinx aux mâchoires sanglantes. Ses t.'.igmes obscures, seul Œdipe les devine et quiconque se trompe, l'horrible bête le dévore. ermengarde Vous serez un Œdipe, je vous y aiderai. cophétua C'est cela, aidez-moi. ermengarde Eh bien! considérez, mon fils, votre royaume. N'a-t-il pas pour rivale éternelle la Nordlande? Leur jalousie a fai- couler depuis des siècles trop de fleuves de sang. Tous les autres Etats nous sont plus étrangers. De notre fier royaume et de l'altière Nordlande, ces deux frères ennemis, l'un des deux est de trop à la surface de la terre. Or, le roi de Nordlande a pour seule héritière sa fille Dolciane. Epousez-la, mon fils. Elle est douce, elle est belle. Et quand vous dénouerez sa ceinture dorée, le beau royaume de Nordlande sera votre lit nuptial. cophétua Ma mère, il sera fait selon votre conseil. ermengarde Dans notre glorieux royaume d'Astremonde, les siècles à venir glorifieront sans fin ce mariage conquérant qui nous livrera la Nordlande mieux que vingt guerres et cent batailles. cophétua Ah! j'aimerais autant... ermengarde Taisez-vous, mon héros! Vos valeureux ancêtres secoueront de dépit leurs vieux os dans leur tombe, car vous ferez par vos baisers ce qu'ils n'ont pu faire à grands coups d'épée. Embrassez votre mère, galant vainqueur de la Nordlande! Ai-je votre parole? cophétua Comme vous avez mon seul amour. ERMENGARDE Bien! bien! Les jeunes gens flattent les vieilles femmes. Votre seul amour! Ah! vraiment! C'est ainsi qu'on parle à quinze ans, lorsque derrière vingt buissons, vingt amours haletants vous guettent. Eh! votre seul amour! Epousez Dolciane. Le lendemain matin, nous en reparlerons. Adieu, mon fils chéri. Vous sortez? cophétua Oui, comme d'habitude. Venez-vous, Mario? (Ils sortent.) (Ermengarde frappe un timbre. Une dame d'honneur paraît.) ermengarde Mandez au roi de Nordlande que je serais heureuse et honorée de recevoir son salut avant qu'il descende au jardin. la dame Bien, madame. (Elle sort.) ermengarde L'Astremonde et la Nordlande seront en fête, ce soir, et les autres royaumes trembleront. Il y aura, tout à l'heure, d'âpres dépits et d'orageuses colères: vaine et fugace écume au pied du solide rocher que formeront nos deux royaumes inébranlablement unis. (Entre Goldmar, roi de Nordlande.) goldmar Dieu vous accorde, Madame, la joie et le bonheur dans cette brillante journée, qui donnera une jeune reine au noble royaume d'Astremonde. ermengarde Sire, votre bonheur sera, sans doute, égal au mien. Je voudrais confier tout bas, à votre oreille, le mystère caché dans le cœur de mon fils. Pour moi,déjà, ce n'est plus un mystère et le choix qu'il fera, tantôt, aux yeux de tous, il me l'a confessé en m'em-brassant, ce matin. Tout à l'heure, au milieu de la cour assemblée, il offrira^son cœur et la couronne d'Astremonde à votre aimable Dolciane. goldmar Dieu soit loué! C'est mon souhait le plus ardent et de père et de prince. Car Dolciane l'aime et leur sainte union, joignant nos deux empires et fermant à jamais leurs querelles sanglantes, fera naître, plus tard, cjuand je ne serai plus, un Etat sans égal, pour l'éternel bonheur de nos peuples pacifiés, pour leur grandeur commune et leur invincible puissance. ERMENGARDE Gardez bien le secret jusqu'à l'heure fixée pour le choix solennel, car il importe que la fête, Monseigneur, ne soit point troublée par la colère ou le départ tumultueux des autres princes, nos nobles hôtes! GOLDAIAR Bien ! Je serai muet ! Je vais les rejoindre au jardin, où nous faisons, tous les matins, nos promenades fraternelles. Je ne leur parlerai que des nouvelles politiques, et de la chasse, et des chevaux, et des meilleurs faucons de nos fauconneries. Dieu vous garde! Madame, je vous baise les mains. (Il sort.) ermengarde Adieu, Sire ! — A présent, il sait ce qu'il doit faire. Scène III. — Les jardins du palais Dolciane, Marmorande et Fragolette se promènent en cueillant des fleurs. marmorande Non, ce n'est pas cela du tout. J'étais vêtue d'une robe de perles et d'un manteau de pourpre, et chau-sée de souliers faits de plumes de cygne. Je montais lentement un escalier d'albâtre veiné d'azur et d'or aux exclamations d'un peuple ivre de joie. Au haut de l'escalier, m'attendait un beau prince, qui plaça sur ma tête un diadème d'or, tandis que résonnaient des musiques suaves. Voilà, je vous le jure, le rêve merveilleux que j'ai fait cette nuit. N'est-ce pas un présage? Je ne sais; mais mon cœur en est tout enivré. fragolette Voyez-vous? Voyez-vous la petite ambitieuse? Déjà reine dans ses rêves ! Ah ! chère Marmorande, il faut que je t'embrasse! Moi aussi, j'ai rêvé. dolciane D'une couronne royale? fragolette Non, pas d'une couronne. dolciane Du roi Cophétua? fragolette Vous brûlez, belle amie! Pourtant, ce n'était pas précisément de lui. J'étais là-haut, sur la terrasse du palais, et mes regards erraient sur ce noble jardin. Tout à coup, des nuées d'oiseaux resplendissants remplirent l'air de chants et de battements d'ailes. Une lumière magique éclaira tout le ciel. Et des milliers de roses lumineuses et parfumées se mirent à pleuvoir de tous côtés autour de moi. Je me pris à trembler et je fermai mes yeux, qui s'emplissaient de larmes, cependant que des voix, sur une musique céleste, chantaient comme à l'église quand mugissent les orgues: « Jeune reine, salut! Ton royaume t'attend! » marmorande Oh ! chère Fragolette, te voilà reine aussi. Laisse-moi t'embrasser à mon tour. DOLCIANE Quel beau rêve! MARMORANDE Et toi, chère Dolciane, les rêves de la nuit ne t'ont-11s pas aussi apporté la couronne? dolciane Si! J'ai rêvé d'une couronne. MARMORANDE et FRAGOLETTE (battant des mains) Elle aussi ! Elle aussi ! Quelle joie ! fragolette Nous voilà reines toutes trois. MARMORANDE Les beaux rêves qu'on fait dans ce palais charmant! Parle donc, Dolciane. Dis-nous quel fut le tien. DOLCIANE Le mien n'était ni beau, ni doux! il fut terrible. FRAGOLETTE Oh! MARMORANDE O! pauvre Dolciane, tu ne seras pas reine. DOLCIANE Je l'étais dans mon rêve. MARMORANDE Vraiment ? FRAGOLETTE Vraiment? Voyons! DOLCIANE Le roi Cophétua me tendait sa couronne. MARMORANDE Rien que cela! FRAGOLETTE Ma belle, laissez-la donc parler. , DOLCIANE Mais un charbonnier, sale et furieux, soudain, empoigna la couronne, la jeta sur le sol et, la foulant aux pieds, la brisa, proférant des jurons si horribles que je m'évanouis. Et je me réveillai toute baignée de larmes. MARMORANDE Oh ! pauvre Dolciane ! FRAGOLETTE Tu ne seras pas reine. DOLCIANE Qu'en sais-tu, ma chérie? MARMORANDE Ah! DOLCIANE Le premier objet que je vis sur ma table quand je rouvris les yeux... MARMORANDE C'était... FRAGOLETTE C'était... quoi donc? ' DOLCIANE C'était une couronne. MARMORANDE et RAGOLETTE Une couronne! Une vraie couronne? DOLCIANE Une couronne exquise de myosotis, que mon père, je crois, avait envoyée à sa fille. FRAGOLETTE Oh! comme c'est gentil! DOLCIANE Ce n'est pas tout. MARMORANDE Allons ! DOLCIANE Pour descendre au jardin, j'ai pris la galerie de marbre noir et vert et le salon de cuir de Cordoue, où sommeille, sur son perchoir d'ébène, le perroquet du roi. Vous devinez? MARMORANDE Mais non! FRAGOLETTE Non! DOLCIANE Ce gros perroquet vert, je crois qu'il est cousin des sorcières de Macbeth. Il m'a crié trois fois : « Salut à toi, reine d'Astremonde! » MARMORANDE et FRAGOLETTE (éclatant de rire) Ah ! ah ! ah ! ah !ah ! ah ! FRAGOLETTE Et l'affreux charbonnier, tu ne l'as pas revu? DOLCIANE Il dort, sans doute, dans les caves. MARMORANDE Taisez-vous ! Taisez-vous ! DOLCIANE Pourquoi? MARMORANDE Chut! C'est le roi! (Entrent Cophétua et Mario.) FRAGOLETTE Le roi Cophétua et son vieil écuyer ! DOLCIANE Comme il a l'air pensif! MARMORANDE Il médite le choix qu'il fera tout à l'heure. FRAGOLETTE Je crois bien qu'il m'a regardée! DOLCIANE Allons donc! Il n'a pas encore levé les yeux. MARMORANDE Viendra-t-il par ici? FRAGOLETTE Notons bien laquelle de nous il regardera la première : nous connaîtrons son choix. (Un page amène au roi Cophétua un grand lévrier.) DOLCIANE Regardez! Regardez! C'est son plus joli page avec son lévrier. FRAGOLETTE Oh ! le charmant jeune homme I MARMORANDE Oh ! le bel animal ! DOLCIANE Connaissez-vous son nom? FRAGOLETTE Le nom du joli page ou celui du beau chien? DOLCIANE Le nom du lévrier. MARMORANDE On l'appelle Oriflamme. DOLCIANE Ohl le beau nom! Voyez! Il est mince, élégant et fier comme une épée. Il ondule des reins comme une longue flamme attentive à la brise. MARMORANDE Le roi Cophétua le caresse et le baise avec une tendresse à nous rendre jalouses. FRAGOLETTE Si nous chantions une chanson afin de l'attirer ici? MARMORANDE (1) Trois douces filles de rois... TOUTES ENSEMBLE Hirondelles, hirondelles, Hirondelles dans le ciel! MARMORANDE Trois douces filles de rois Sont perdues au fond des bois. DOLCIANE Elles cherchent leur chemin... ENSEMBLE Hirondelles, hirondelles, Hirondelles dans le ciel! DOLCIANE Elles cherchent leur chemin En se tenant par la main. (1) Voir à l'appendice : musique n° 1. FRAGOLETTE Voyez-vous, dit la première... ENSEMBLE Hirondelles, hirondelles, Hirondelles dans le ciel. FRAGOLETTE Voyez-vous, dit la première, Là-bas luire une lumière MARMORANDE Ah! c'est là, dit la deuxième... ENSEMBLE Hirondelles, hirondelles, Hirondelles dans le ciel. MARMORANDE Ah! c'est là, dit la deuxième, Qu'habite celui que j'aime. DOLCIANE L'autre dit : « Partez, mes sœurs... » ENSEMBLE Hirondelles, hirondelles, Hirondelles dans le ciel! DOLCIANE L'autre dit: « Partez, mes sœurs! Je reste ici, car je meurs. ENSEMBLE Hirondelles, hirondelles, Hirondelles dans le ciel! COPHÉTUA Salut ! belles princesses ! Votre chanson est fraîche et cristalline, et lumineuse comme la rosée du matin sur le cœur parfumé des roses. Si les ailes des papillons chantaient en vibrant dans l'air tiède, elles chanteraient comme vous. Et si les rayons du soleil caressant les fleurs virginales des narcisses et des lys pouvaient murmurer des poèmes de grâce et de mélancolie, ils seraient vaincus par vos lèvres, car on entend, quand vous chantez, la musique de la lumière. FRAGOLETTE Oh ! que de compliments ! cophétua Vous êtes trois printemps également exquis. MARMORANDE Il faudra bien choisir, pourtant, l'une de nous. COPHÉTUA Tout à l'heure! tout à l'heure! Laissez-moi donc jouir une dernière fois de votre triple grâce. DOLCIANE Sire, vous plairait-il de cueillir avec nous des fleurs dans le jardin? FRAGOLETTE Nous vous chanterons des chansons de plus en plus délicieuses. COPHÉTUA Non, charmantes sirènes. Vous chanterez sans moi. Si vous voulez cueillir des fleurs, vous le ferez en mon absence. Car je vais, selon l'habitude, ouïr la messe dans un village avec mon bon vieux Mario. Je suis fort en retard. Adieu. (Il sort avec Mario.) , LES TROIS PRINCESSES (chantant ensemble en agitant des fleurs) Hirondelles, hirondelles, Hirondelles dans le ciel ! (Elles sortent d'un autre côté. Entrent, d'autre part, les rois de Nordlande, de Thuringe et de Tongrie.) LE ROI DE THURINGE Mon cheval Feu-follet est tombé ce matin comme on le promenait sur la grande esplanade. goldmar Est-ce le cheval noir qui porte sur le front une éclatante étoile blanche? LE ItOI DE TIILRINGE Oui. Je crains qu'il ne soit blessé! LE ROI DE TONGRIE Cela serait fâcheux! Je pourrais vous prêter mon cheval Valkyrie, une bête superbe ! LE ROI DE TIIURINGE Merci. Je veux monter, ce matin, Almanzor, le beau cheval arabe du roi Cophétua. LE ROI DE TONGRIE Bien. Vous avez raison. goldmar Le roi Cophétua est sorti ce matin, comme il fait d'habitude. LE ROI DE TONGRIE Il ne paraît pas très préoccupé du choix qu'il fera tout à l'heure. LE ROI DE THURINGE Avez-vous visité la grande salle d'honneur? Elle est, ma foi, fort belle. Les draperies sont magnifi- ques. Plus de cent ouvriers y travaillent encore. On met partout des fleurs et des statues d'argent qui tiennent des bannières et des statues dorées qui portent des flambeaux. Ah ! c'est vraiment très bien ! GOLD.MAR Si nous parlions un peu de ce que nous ferons lorsque Cophétua aura choisi sa femme? LE ROI DE TIIURINGE Oui, car l'un d'entre nous sera fort satisfait, mais les deux autres... LE ROI DE TONGRIE Dame! ils seront furieux. GOLD.MAR Et pourquoi, je vous prie? Il ne peut pourtant pas épouser nos trois filles. LE ROI DE TIIURINGE C'est parfaitement vrai. LE ROI DE TONGRIE Eh ! mon Dieu, le dépit sera fort naturel. GOLDMAR Pourquoi donc? Nous avons accepté, pour nos filles, ce concours de beauté... Si c'est pour nous fâcher, il valait mieux, je pense, rester chacun chez soi. LE ROI DE TIIL'RINGE Je suis du même avis. LE ROI DE TONGRIE Oui... oui... Mais vous savez..., les trois belles déesses..., le beau berger Pâris... GOLDMAR Et la guerre de Troie! LE ROI DE TONGRIE Oh! oh! vous allez loin. GOLDMAR Nous y allons tout droit... si nous ne jurons point sur notre noble épée de demeurer amis quoi qu'il puisse arriver et quelque soit le choix du roi Cophétua. Quant à moi, je le jure. LE ROI DE THURINGE Moi aussi, je le jure. Et vous, Tongrie, allons! Jurez! Il faut jurer! LE ROI DE TONGRIE Hé bien! soit!... Je le jure. GOLD.MAR Que les anges bénissent notre serment royal et que l'enfer dévore à jamais le parjure. LE ROI DE TONGRIE Amenl LE ROI DE TIIURINGE Amen! Voilà nos cœurs allégés d'un grand poids. Et nous pouvons gaiement continuer la promenade. GOLD.MAR Si nous allions nous reposer, là-bas, sur le vieux banc de martre, au milieu des glaïeuls en fleurs? On aperçoit, de là, la v;lle tout entière. Et les pages viendraient nous y verser un broc des meilleurs crûs du Rhin. LE ROI DE TIIURINGE Accepté. LE ROI DE TONGRIE Allons-y ! GOLDMAR Plus amis que jamais? < LE ROI DE THURINGE Assurément, mon cher Nordlande. le roi de tongrie Assurément ! Assurément ! (Ils sortent.) ACTE II Scène unique. — Une route; au deuxième plan, à gauche, une chaumière. UNE PETITE ITLLE Pourquoi mendiez-vous? LA MENDIANTE Parce que je suis très pauvre. LA PETITE FILLE Nous aussi, nous sommes pauvres, mais nous ne mendions pas. LA MENDIANTE C'est que vous avez de quoi manger et, peut-être, une maisonnette pour y dormir. LA PETITE FILLE Oui, nous avons une maisonnette, toute petite mais très propre. C'est maman qui l'entretient. C'est aussi maman qui me donne mes tartines. Vous n'avez pas de maman? la mendiante Non. LA PETITE FILLE Alors, qui vous donne vos tartines? LA MENDIANTE Personne. Je n'ai pas de pain. LA PETITE FILLE J'ai mangé ma tartine tout à l'heure. Si je l'avais encore, je vous en donnerais la moitié. Maman vous en donnera, peut-être, une. Mais pas maintenant. Elle est allée à la ville vendre des sabots. Vous n'avez pas de sabots? LA MENDIANTE Non. LA PETITE FILLE Pourquoi vos pieds saignent-ils? Quand on n'a pas de sabots, il ne faut pas tant marcher. LA MENDIANTE Je viens de si loin ! LA PETITE FILLE Peut-être qu'on ne fait pas de sabots chez vous? Voilà le petit Jean qui m'appelle. Je dois rentrer à la maison. (Elle sort. Entrent un paysan et une paysanne poussant une petite charrette chargée de légumes.) LE PAYSAN Tu vois cette petite gueuse? LA PAYSANNE Une propre à rien. Une voleuse, peut-être. D'où ça vient-il? LE PAYS\N On ne devrait pas permettre à ces espèces d'encombrer la route des honnêtes gens. Allons, range-toi, coquine! LA PAYSANNE Ça n'a pas de honte. Elle est à moitié toute nue. Si le champêtre te voit, il te mettra en prison. (Ils vont se remettre en route. Entre le curé.) LE PAYSAN Té ! Voilà notre curé. LA PAYSANNE Bonjour, m'sieur le curé. LE PAYSAN Bonjour, notre curé. LE CUHÉ Bonjour, Hubert; bonjour, Marianne. Il fait bien beau, ce matin. Je vous souhaite bonne chance dans vos affaires. LE PAYSAN ET LA PAYSANNE Merci, m'sieur le curé. Et de même pour vous, vous savez! (Ils sortent.) LE CURÉ Eh bien! ma fille, vous pleurez? Et d'abord, qui êtes-vous? Vous n'êtes pas d'ici. LA MENDIANTE Non, monsieur le curé. Ayez pitié de moi, je meurs de faim. LE CURÉ J'ai pitié de vous, mon enfant. Mais je suis attendu à l'église, où je dois dire la messe, ^près quoi j'irai porter les sacrements chez un malade, à l'autre bout du village. Cela prendra du temps. Venez au presbytère à midi. On vous donnera de la soupe. Je vous recommanderai aussi au comité de madame la baronne, qui s'occupe du vêtement des indigents, car votre mise n'est pas décente. Allons, ne perdez pas courage. Le Seigneur aura pitié de vous. (Il sert. Entrent deux gamins.) PREMIER GAMIN Quelle est cette souillon? Regarde, Pierre, comme sa robe est déchirée. DEUXIEME GAMIN Elle est faite comme une voleuse. PREMIER GAMIN C'est sûrement uns voleuse. Eh! voleuse, qu'est-ce que tu as volé? LA MENDIANTE Je n'ai pas volé. Vous êtes des méchants. PREMIER GAMIN Nous sommes des méchants? Attends, crapule, nous allons te chasser. (Ils ramassent des pierres. Un villageois survient et les menace de sa canne.) LE VILLAGEOIS Voulez-vous bien filer, vauriens ! Et plus vite que cela! (Ils s'éloignent.) Ma pauvre fille, voici deux sous. Je n'ai pas d'autre monnaie. Il ne faut pas jouer avec ces garnements. (Il sort Les gamins reviennent; le premier s'est armé d'un bâton.) PREMIER GAMIN Pst! Approche par derrière. Tu la tiendras, si elle résiste. (Il s'avance.) Qu'est-ce qu'il t'a donné, voleuse, le père Leblanc? LA MENDIANTE Allez-vous en! PREAIIER GAMIN Allons, fais voir, ou je frappe. LA MENDIANTE Méchant! Méchant! PREMIER GAMIN Tiens I (Il lui frappe le bras.) LA MENDIANTE Ah! (Elle laisse tomber la monnaie. Les gamins s'en emparent et s'enfuient. La mendiante s'assied en pleurant au bord de la route.) O mon Dieu! que le monde est cruel pour les pauvres ! Mon Dieu ! pardonnez-moi, car je voudrais mourir. Pourquoi l'avez-vous fait si dur et si terrible? Mon Dieu ! pardonnez-moi, car j'aime tant de vivre lorsque je n'ai pas faim ou qu'on me fait l'aumône avec un doux sourire. Alors, vous êtes là, près de moi, mon Dieu, vous êtes là ! (Entre un béquillard qui n'a qu'une jambe.) LE BIÏQUILLARD Quelle est cette intrigante avec ses grands bras nus? Hé! que faites-vous là? LE BÉQUILLARD J'ai faim et je mendie. LE BEQUILLARD Allez plus loin. Ici, c'est ma place. J'attends quelqu'un. (Elle recule un peu. Entre un aveugle, qui tâtonne avec sa canne.) L'AVEl.'GLE Ayez pitié d'un pauvre aveugle! LE BÉQUILLABD Eh! vous voilà, père Lorriquet! Vous aussi! L'AVEUGLE Bonjour, monsieur Ledoux. Vous êtes déjà làl C'est-y aujourd'hui qu'il viendra? LE BËQUILLARD Peut-être aujourd'hui, peut-être demain. Vous le savez bien, c'est comme ça lui chante. Une messe par-ci, une messe par-là, tantôt dans un village et tantôt dans un autre. Eh! regardez donc là-bas, devant la bicoque au rebouteux, c'est-y bien lui qui cause avec la mère Bonjean? Je parie qu'il lui fiche un bel écu tout neuf. J'y vas à sa rencontre, père Lorriquet, j'y va:; à sa rencontre! (Il s'en va.) L'AVEUGLE Attendez-moi ! Attendez-moi ! (Il sort en tâtonnant.) LA MENDIANTE Ceux-ci, du moins, ne m'ont pas fait de mal. Pourquoi n'ai-je pour eux que dégoût et mépris? Oh! lorsque le malheur frappe les âmes basses, il les rabaisse encore — lèpre sur une lèpre... Où courent-ils ainsi? Les voilà qui accostent deux hommes sur la route. L'un est un beau vieillard et l'autre est un jeune homme... Ah! sans doute, ils ont fait l'aumône largement, car les deux mendiants s'agitent et saluent comme devant des princes. Ils viennent. Auront-ils pitié de ma misère? Je n'ose leur parler. Je vais leur chanter ma complainte. (Elle chants.) (1) Par l'horrible ouragan du nord Ils ont jeté l'agneau dehors. Le vent aigu comme un couteau A coups glacés lui fend la peau. La neige comme un fouet fangeux Cingle sans fin ses pauvres yeux. Quel est ce hurlement, là-bas? C'est un loup qui cherche sa proie. Et dans l'air quel est ce bruit sourd? C'est le vol pesant d'un vautour. Ouvrez la porte! Ouvrez la porte! La victime innocente est morte. (1) Voir à l'appendice : musique n° 2. Un peu de laine, un peu de sang, C'est tout ce que voit le passant. Aux malheureux, donnez! donnez! Afin que tout soit pardonné. (Copliéiua et Mario sont entrés.) cophétua Oh! la triste chanson et la voix douloureuse! On dirait, Mario, que toute la souffrance de notre pauvre terre y sanglotte sa plainte à la face du ciel. — Que veux-tu, pauvre fille? LA MENDIANTE Seigneur, j'ai faim. Je n'ai pas un morceau de pain. Je n'ai plus rien mangé depuis une journée. Et je me sens si faible que je crois bien, hélas! que je mourrai ce soir. cophétua Oh! cela fait pitié! Les gens de ce pays ont-ils le cœur si dur qu'ils ne t'aient rien donné pour apaiser ta faim? LA MENDIANTE Il est de bonnes gens dont l'âme est secourable. Un brave homme, tantôt, m'a donné de l'argent. COPHÉTUA Hé bien! pourquoi n'as-tu pas acheté du pain? LA MENDIANTE Je n'ai pas eu le temps. Dès qu'il s'est éloigné, on m'a volé l'argent. Il ne m'est resté que mes larmes. COPHÉTUA Monstrueux! Monstrueux! Tu feras, Mario, rechercher les coupables et de leur châtiment nous ferons un exemple. LA MENDIANTE Oh ! Seigneur, ce n'étaient que de pauvres enfants. COPHÉTUA Ton âme est généreuse. — Regarde, Mario, comme ses yeux sont beaux ! Que son regard est pur et que sa bouche est douce! Contemple son visage. En dépit du malheur qui flétrit et qui ronge, il est plus merveilleux que celui des statues des plus nobles déesses; il est plus rayonnant qu'un beau ciel de printemps lorsque le jeune azur enivre nos prunelles. — Tu viendras avec moi. Je te ferai manger et boire sous mes yeux, tiens, dans cette chaumière. LA MENDIANTE Là? La femme est sortie et deux petits enfants gardent seuls la maison. COPIIÉTUA Nous trouverons ailleurs. — Dis-moi, quel est ton nom? la mendiante On m'appelle Rosamie. COPHÉTUA Rosamie? Un beau nom. Il me plaît. Il est fait d'une musique exquise. Entends-tu, Mario? Rosamie! Rosamie! Oh! c'est un nom charmant. Rosamie! Rosamie! On dirait que le vent fait tinter dans les bois les grelots des muguets et les clochettes des jacinthes. — Mais tu parais, ma pauvre enfant, bien misérable. rosamie Je le suis, monseigneur. Je n'ai pas un abri où reposer ma tête. Quant à mes vêtements, vous voyez ce qu'ils sont. COPHÉTUA C'est à faire pleurer les pierres. — Oh ! nous aviserons et nous ferons rougir la face de la Destinée.— Tu n'as donc ni père ni mère? ROSAMIE Ils sont morts quand j'étais un tout petit enfant. COPHÉTUA Dis-moi, — si ma demande ne blesse pas ton cœur, — étaient-ils pauvres comme toi? ROSAMIE Non, seigneur; ils vivaient dans l'aisance, ils avaient une jolie maison, un jardin plein de fleurs, de fruits et de légumes. Mais le frère de mon père était un méchant homme. Il les tourmentait fort. Ils sont morts de chagrin. Alors, on a vendu tout ce qu'ils possédaient et j'ai vécu chez ma grand'mère. Grand'mère était très bonne et elle m'adorait. Mais le frère de mon père venait parfois la voii^ et la faisait pleurer. Il l'insultait, seigneur; il prenait son argent. Puis, il allait de porte en porte dans le village, disant que ma grand'mère était une sorcière, qu'elle jetait le mauvais sort sur les bêtes et sur les gens; et, lorsqu'une brebis ou un enfant mourait, il jurait que c'était son œuvre. Les villageois venaient hurler à notre porte. Un jour, ils ont brûlé la maison. Ma grand'mère est morte dans les flammes. Et moi, ils m'ont chassée en me jetant des pierres. Je me suis enfuie dans les bois. J'ai marché, j'ai marché jusqu'à ce que je fusse dans un autre pays. COPHÉTUA Cela brise le cœur. — Et de quoi vivais-tu? ROSAMIE De fruits et de racines. Quelquefois, quand la faim me mangeait les entrailles, j'entrais dans une ferme, je demandais du pain. Parfois on m'en donnait. Souvent, on me chassait en me couvrant d'injures... Je vis. Dieu ne veut pas encore que je meure. COPHÉTUA Dieu t'a conduite sur ma route. N'en doute pas, enfant! Une force invisible m'a contraint, ce matin, de marcher jusqu'ici. Et voici qu'elle parle dans mon cœur éperdu. Je l'entends! Je l'entends! C'est la voix de ma Destinée. MARIO Mais, mon seigneur... COPHÉTUA Tais-toi! Elle me donne un ordre. Crois-tu que c'est en vain que j'ai vu cette enfant, douce et humble martyre, belle entre les plus belles, et que mes yeux sont pleins de larmes et de lumières angéliques? Ma destinée! Ma destinée... MARIO Oh! songez, mon seigneur... COPHÉTUA Elle se noue ici, dans mes yeux, dans ses yeux, sous le regard de Dieu. — Enfant, tu vas me suivre. (Plus doux,) Tu vas me suivre, Rosamie. ROSAMIE Où, monseigneur? COPHÉTUA Dans ma demeure. ROSAMIE Non, monseigneur; cela ne serait pas honnête. COPHÉTUA O pudeur virginale! Elle est pure et farouche comme un beau lis sauvage. — Viens, Rosamie. Tu peux, en toute sûreté, confier ton honneur au mien. ROSAMIE Non, seigneur; mon honneur ne se fie qu'à lui-même. COPHÉTUA Je suis un chevalier...\ ROSAMIE Et je suis une pauvre fille instruite par trop de malheurs et par trop de dangers. COIMIÉTUA O Rosamie, chez moi tu trouveras ma mère. ROSAMIE Je vous crois, monseigneur; je crois votre cœur par autant que généreux. Mais vo.us me pressez trop. J'ai peur... J'entends aussi parler la Destinée. Je ne dois pas vous suivre. Je ne vous suivrai pas. COPHÉTUA Tu me suivras, te dis-je. ROSAMIE Adieu, seigneur. Adieu. Oubliez, je vous prie, la pauvre mendiante qui demandait du pain... COPHÉTUA Non, non! Tu dois me suivre. Je ne prie plus. J'ordonne. Je suis le roi. ROSAMIE Le roi? Vous n'êtes pas le roi, seigneur. Hélas! de moi. Un roi ne conduit pas une humble mendiante dans le palais royal. COPHÉTUA Je dis: je suis le roi. ROSAMIE Je n'en crois rien, seigneur. Vous voulez m'abu-ser, hélas! par un mensonge, moi qui ouvrais mon cœur... COPIIÉTUA Parle donc, Mario! Parle, je te l'ordonne! Dis-lui donc qui je suis, puisque ce jeune cœur orgueilleux et rebelle refuse de me croire. MARIO (saluant très bas) Oui, sire, vous êtes le roi. (On entend marcher des soldats.) COPHÉTUA Rosamie, croiras-tu mon fidèle écuyer mieux que le roi lui-même ? ROSAMIE Non, je ne vous crois pas. J'ai peur. J'ai peur. Adieu ! (Elle veut fuir. Il la relient par la main. Les soldats débouchent,, conduits par un officier.) MARIO Sire, voici la garde qui remonte à la ville. (Le roi lâche la main de Rosamie, qui recule et s'arrête, pétrifiée. Il s'avance d'un pas et crie d'une voix forte.) COPHÉTUA Comte Albéric ! L'OFFICIER Halte! le roi! (Le bataillon s'arrête et présente les armes. L'officier salue. La trompette sonne aux champs. Le roi salue. Le bataillon se remet en marche et sort.) (1). COPHÉTUA Eh bien, suis-je le roi? ROSAMIE (Elle tombe à genoux et cache son visage dans ses mains.) Oh! Sire, j'étais folle! Sire, pardonnez-moi! Je suis votre servante. (Elle sanglote.) COPHÉTUA Lève-toi, Rosamie. Ne pleure pas! Ne pleure pas! Prends ma main, Rosamie. ROSAMIE Hélas, je n'ose pas. (1) Voir à l'appendice : musique n° 3. COPHÉTUA Prends ma main, chère enfant; c'est le roi qui l'ordonne. Viens! Nous allons ensemble marcher vers le palais. Mario nous suivra. (Ils sortent lentement.) MARIO Cette folle et cruelle fantaisie, hélas! comment finira-t-elle ? (Il sort.) ACTE III Scène première. — L'entrée du nalais. Une grille monumentale sépare l'avant-plan de l'arrière-plan. — A gauche, sous un cintre orné d'un dais et d'un énorme rideau, commence ls grand escalier. — A droite, le corps de garde. Un banc. Sentinelles, officiers, soldats. le capitaine barbouf Sacrés mille millions de hallebardes! Cartes de malheur! Je viens encore de perdre deux mille ducats. En voilà, un jour de fêfe ! Que tous les diables embrochent les princesses et leurs papas. LE LIEUTENANT FOSï'ER Du calme, capitaine Barbouf! BARROLF Du calme, capitaine Barbouf! Vous êtes joli avec votre calme! Avez-vous perdu deux mille ducats? Je voudrais vous y voir. FOSTER Vous savez que je ne joue jamais. BARBOIJF Non, par les culottes de Jupiter, — qui ne sont que de la Saint-Jean devant celle que je viens de prendre ! Non, non, mon fiston, vous ne jouez jamais. Vous n'êtes qu'une peiite fille suçant du sucre d'orge, un bébé bien sage ronflant dans son maillot. Vous ne jouez jamais. Ni dés, ni cartes. Que faites-vous de vos sacrés dix doigts quand vous ne manipulez pas votre épée? Brodez des pantoufles, Foster, vous ferez du moins quelque chose. Mais vous restez là comme un buffle au soleil, les bras croisés sur votre ventre de deux sous, qui est tout juste aussi gros que celui d'un moustique, ou bien vous tambourinez sur vos cuisses de squelette avec vos doigts qui valent à peu près des aiguilles à tricoter. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux gagner honnêtement au lansquenet de quoi vous payer quelques flacons de vin des Canaries, avec une jolie fille qui vous embrasserait à tire-larigot en tortillant vos grandes andouilles de moustaches? Vous finirez mal, Foster. L'officier qui thésaurise sa paie est un triste crocodile qui finira par se jeter à l'eau dans un accès de spleen-tremens. Allons. Vous devez bien avoir dans votre poche trois ou quatre ducats qui s'embêtent comme des lézards dans leur trou quand le temps est à la pluie? Envoyez-les faire un petit tour dans le monde. Je leur servirai de cicérone, mon bon Foster ; je les conduirai... je les conduirai... FOSTER Où les conduirez-vous? capitaine Barbouf. BARBOUF A la cantine, morbleu, où ils danseront un délicieux petit quadrille avec les bouteilles de Xérès de la mère Picheprune. Comme cela, voyez! Tra, la, la, la, la, la, saluez et passez de l'autre côté! Tra, la, la, la, la, la, par ici, les chères mignonnnes avec leur joli chapeau de cire verte ou rose ! Oui ou non, Foster, avez-vous envie de me prêter deux ducats? FOSTER Je n'en ai pas la moindre envie, capitaine Barbouf. Et pourtant les voilà, — afin que vous me laissiez tranquille. BARBOUF Vous êtes un incivil maroufle, lieutenant Foster. Je crève la soif comme un hippopotame égaré dans les sables du désert et vous n'êtes pas fichu de me passer vos deux ducats d'une manière affable. Fi, monsieur! Je devrais les rejeter avec mépris. Mais, je ne connais point la rancune. Je vous pardonne vos façons de pélican perché. Et, pour toute réparation, je me contenterai de vous inviter — gracieusement, Foster, remarquez-le bien, — tout à fait gracieusement, — à vider avec moi un ou deux gobelets de Xérès, dans l'espoir que vous apprécierez la délicatesse de mes sentiments militaires. Allons, Foster, venez-vous? FOSTER Merci. Je préfère demeurer ici. BARBOIJF Vous êtes un incorruptible mufle ! Un onagre bâté I Une boîte à musique pleine de marches funèbres! Je boirai donc seul ou avec quelqu'autre. (Entre Randolfe.) RANDOLFE Ah! Barbouf! Comment! vous n'êtes pas devant le comptoir de la mère Picheprune? Mes félicitations! A propos, quand vous p'.aira-t-il de régler notre petit compte? Dès demain, capitaine Randolfe; dès demain, s'il plaît à Dieu. Il est dur de payer deux mille ducats: perdre pareille somme, autant perdre une bataille. Ai-je eu la guigne, hein? Cochonnerie! Cochonnerie! Accordez-moi d'abord la revanche, Randolfe, et si, par le derrière de Belzébuth, je perds encore, BARBOUF foi de Barbouf, tout sera payé avant la fin de la semaine, dussé-je engager mes bottes et ma chemise. Le mois ne finira point, mille tonnerres, sans que tout soit payé jusqu'au dernier liard, quand je devrais chercher cette somme, sou par sou, dans le crottin de mon cheval. Allons, Randolfe, mon bon Randolfe, vous êtes un frère. Rentrez avec moi dans la boite, nous sifflerons ensemble un peu de Xérès. Ça va? RANDOLFE Merci. Je veux tenir compagnie à Foster. BARBOUF Comme vous voudrez. Salut à la compagnie! (Il chante.) (1) Il était un flacon qui cherchait un hanap, Il était un hanap qui cherchait un flacon, Glou, glou, glou, glou, glou, glou... wtt! Chez la mcre Picon! (Il sort.) RANDOLFE Quelle brute ! FOSTER II n'est pas bien méchant. On ne le déteste point dans la compagnie, qu'il égaie de son langage imagé. (1) Voir à l'appendice : musique n" 5. RANDOLFE Pas méchant! pas méchant! Ma foi, je le veux bien. Mais les officiers de son espèce donnent de trop fâcheux exemples. On dit le roi bien résolu à purger son armée de ces gens-là. Ce capitaine a déjà encouru son mécontentement. Il est incorrigible. Je ne doute point qu'il ne soit bientôt cassé. FOSTER Le roi sera loué. Pourtant, je plaindrai ce malheureux officier. RANDOLFE Et pourquoi, je vous prie? FOSTER Parce que l'homme est faible et que souvent ses vices ont des causes lointaines dont il n'est pas le maître. Savez-vous si cet homme n'a pas souffert des siens, n'a pas lutté contre eux? RANDOLFE Il n'a jamais lutté qu'à la table de jeu, avec le roi de pique ou la dame de coeur. FOSTER Vous êtes bien sévère. RANDOLFE Et vous, bien indulgent. FOSTER C'est ainsi que diffèrent les sentiments des hommes. Ce qui fâche les uns fait la pitié des autres. RANDOLFE Bien. Croyez-moi, Foster: ce que le roi fera sera, ma foi, bien fait. FOSTER Mais n'est-ce pas le roi que j'aperçois là-bas? RANDOLFE Où donc le voyez-vous? FOSTER Tout au bout de la place. Je ne me trompe point. Voyez donc, capitaine! Avec qui marche-t-il? C'est une mendiante, une femme en haillons.Va-t-il la faire entrer avec lui au palais? RANDOLFE Le roi, tous les matins, sort avec Mario et fait l'aumône aux pauvres. Il nous est défendu soit de le reconnaître, soit de le regarder. Eloignons-nous, Fosler. (Ils rentrent dans le corps de garde. Entrent Cophétua et Roiamie qui marchent l'un à côté de l'autre, suivis de Mario; au moment où ils arrivent à la grille, la sentinelle s'est écartée; elle ne reviendra qu'après qu'ils l'auront franchie.) COPHÉTUA Tu t'arrêtes, Rosamie? ROSAMIE Je n'irai pas plus loin, sire. Je n'ose pas. Laissez-moi m'en aller. COPHÉTUA Oui, je le vois, tu trembles. Pourquoi? Parle: pourquoi? ROSAMIE Je ne sais pas. J'ai peur. Tout me fait peur ici. Ce palais... ces soldats... Ma place est sur la route où je mendie mon pain avec les malheureux. COPHÉTUA Est-ce moi que tu crains? ROSAMIE Oui... Non! Non... Tout de même un peu, un peu, un peu. COPHÉTUA Non, non, ma Rosamie, tu n'as pas peur de moi, je le lis dans tes yeux. Et quant à mon palais... ROSAMIE Oh ! oh ! il est terrible. COP1IÉTUA Non, il n'est pas terrible. Il est très grand, il est peut-être un peu sévère aux yeux d'une fillette qui a vécu avec les oiseaux dans les bois. Mais tout y est très beau et très doux ; tu verras ! Viens donc ! Entre avec moi. ROSAMIE Hélas! c'est cette grille. COPHÉTUA Cette grille? ROSAMIE On dirait l'entrée d'une prison. COPHÉTUA Si quelqu'un t'entendait, tu le ferais sourire. ROSAMIE N'y a-t-il pas... du sang? COPIIÉTUA Dieu! que tu es peureuse! Depuis qu'on a construit cette grille personne n'y a jamais perdu une goutte de sang. Tu rêves, Rosamie. Voyons! que peux-tu craindre? Seul ici, je commande et chacun 'n'obéit. Quiconque te verra marcher à mes côtés craindra de t'offenser de peur de m'offenser moi-même. Allons! reprends ma main; nous entrerons ensemble. ROSAMIE Allons, puisqu'il le faut... COPIIÉTUA Ah!... tu n'auras plus peur? ROSAMIE Non. Je n'aurai plus peur. COPIIÉTUA Tu me suivras partout? ROSAMIE Jusqu'au milieu des flammes. (Ils montent l'escalier, Mario les suit. Rentrent Randolfe, Foster et Barbouf, qui tient un gobelet à la main.) BARBOUF Eh bien, l'avez-vous vu? FOSTER C'est à n'y rien comprendre. BARBOUF Il l'a prise par la main et lui a fait monter l'escalier avec lui. Une fille en haillons! Une petite gueuse ramassée Dieu sait où! Parlez-moi donc des rois d'une vertu austère! RANDOLFE Capitaine Barbouf! FOSTER J'ai cru voir le malheur entrer dans ce palais. ItARBOUF Ce n'est que le plaisir. Et quel plaisir! Fi! Fi! Oh, du plus bas étage! RANDOLFE Taisez-vous, capitaine. BARBOUF Ce sont les habitants des plus nobles palais qui se plaisent à barboter dans les ruisseaux les plus fan- geux. La chose prête à rire, mais elle est naturelle. Le bas cherche le haut, le haut cherche le bas. Ainsi 6'en va le monde depuis les jours lointains de l'arche de Noé, où l'on vit la girafe entrer avec ses puces. RANDOLFE Je vous dis de vous taire. BARBOUF Ce Xérès est exquis. Foster, à ta santé! (Il vide le gobelet et sort.) FOSTER Capitaine! le roi de Nordlande, et le roi de Tongrie, et le roi de Thuringe!... Dois-je avertir le poste? RANDOLFE Non; gardez-vous en bien. Ils sont en escapade. (Les trois rois arrivent à la grille.) GOLDMAR Une belle journée, n'est-ce pas, capitaine? RANDOLFE Oui, sire. GOLDMAR Nous nous sommes fait ouvrir la poterne tout au bout du jardin, afin de revenir par la grande esplanade. C'est une promenade agréable et fort saine.— Dites-moi : n'est-ce pas le roi Cophétua qui est rentré ici, il n'y a qu'un moment, avec... comment dirais-je? LE ROI DE TONGRIE Une femme en guenilles. GOLDMAR Oui, une mendiante. RANDOLFE Sire, c'était le roi. GOLDMAR Voilà qui est étrange. (Ils montent l'escalier.) Scène II. — Une salle du palais. Salle de marbre. Fenêtres et portes-fenêtres voilées de mousseline, qui laisseront voir plus tard un jardin merveilleux. Au fond, au milieu, une niche élevée, comme dans le célèbre tableau de Burne-Jones. Une porte à droite, donnant sur un couloir. — Au milieu de la salle, une table et deux sièges. En scène : pages et domestiques. — Entrent Cophétua, Rosamie et Mario. COPHÉTUA Nous sommes arrivés. Tu vas manger ici. HOSAMIE O mon Dieu! que c'est beau! Quelle salle splen-dide ! Ces murs de pierre sont pareils à des miroirs où la lumière flotte comme elle fait sur l'eau des étangs au soleil. Et ces arbres en fleurs... ces vases,... ces statues,... ces vastes draperies où l'or et la soie chantent des hymnes lumineux!... Lorsque j'étais petite, chez ma bonne grand'mère, j'ai possédé des livres pleins de belles images, qui me faisaient rêver. Mais jamais dans mes rêves, je n'ai imaginé ces splendeurs merveilleuses. C'est un palais de fée, si ce n'est pas un songe plus beau que tous les autres. COPHÉTUA Oui, tout est beau ici. Tu as raison. Mais les habitants du palais ne voient point ces merveilles. Les regards émoussés par leur vue journalière n'en aperçoivent rien. Parmi tant de splendeurs, ils demeu- rent aveugles et la beauté qui frappe tes regards ingénus leur est toujours voilée. Et moi, j'étais comme eux. Au contact de ton âme si fraîche et si vibrante, voici que mes yeux s'ouvrent comme tes yeux d'enfant et j'admire avec toi tout ce que tu admires. IlOSAMIK Mais que fais-je au milieu de toutes ces richesses, moi, pauvre mendiante, qui porte mes pieds nus sur ces tapis royaux? Oh! je leur fais injure! COPIIÉTUA Tu fais ce que tu dois, puisque tu fais ce que je veux. Hé, Mario ! MAKIO Sire ! COPHÉTUA Vite! l'aiguière, le bassin, la serviette. (Trois pages apportent ces objets.) Veux-tu laver tes mains de la poussière de la route et faire resplendir leur divine blancheur? (Elle se lave les mains.) — Allons! sur cette table, que l'on mette un oouvert. Va, Mario, demande quels sont les mets que l'on peut nous servir sur l'heure. (Mario va parler à un domestique.) ItOS AMIE Comme cette eau sent bon! Je crois plonger mes mains dans un monceau de violettes. COPI1ËTLA L'eau d'une source fraîche qui chante au fond des bois n'est pas moins merveilleuse. Mais les hommes qui vivent dans ces forêts de pierre, que sont les grandes villes et les palais des grands, suppléent par l'artifice à la nature absente. ROSAMIE Admirable prodige! COPHÉTUA Certains hommes ne s'en peuvent accommoder! Pour eux, l'enfant des bois surpasse les princesses. Oh ! ils sont un peu fous. Ils veulent aussitôt du bel enfant des bois faire... Eh bien, Mario? MARIO Il y a du saumon, du pâté de gibier, une poularde froide à la gelée d'orange et de la crème d'amandes. COPHÉTUA Bien! Que l'on serve ici le poisson, la poularde et la crème. Je veux de l'eau fraîche et du vin de Chy- pre. Allons 1 Dépêchons-nous. (On dresse rapidement la table.) Si prompts qu'ils puissent être, nos valets sont trop lents. Le désir est un aigle et l'effort est un bœuf. Les plus patients des rois veulent être servis quand l'ordre formulé flotte encore sur leurs lèvres. Dieu, fort heureusement, n'est pas aussi pressé. — Ah! enfin, le repas est servi! — Mario, qu'on dépose les plats sur le bout de la table! — Que tout le monde sorte! Tu fermeras la porte et, dans le corridor, tu posteras des gardes pour que personne n'entre. Tu m'as entendu? Va. (Tout le monde sort.) MARIO Mais, Sire, si la reine... COPOÉTUA Non! La reine pas plus que nulle autre personne! C'est mon ordre formel. MARIO Bien, Sire; j'obéis. (Il sort.) ROSAMIE Quel est votre dessein? Que prétendez-vous faire? COPIIÉTUA Oh ! pas te dévorer, — mais te faire manger et te servir moi-même. ROSAMIE Vous allez me servir', moi? COPHÉTUA C'est ma fantaisie. — Viens, prends place à la table. Comme écuyer tranchant, ce seront mes débuts. Je suis un apprenti travaillant sous les yeux de sa petite amie. Tiens ! voici le saumon ; voici le vin de Chypre. ROSAMIE Que c'est joli ! C'est un repas de rose et d'or. COPHÉTUA Mais, est-ce bon, du moins? ROSAMIE Oh ! c'est délicieux. COPHÉTUA Cela te change un peu de tous les fruits sauvages qu'on mange dans les bois? ROSAMIE Ils étaient bons aussi. COPHÉTUA Dans la félicité, tu ne dédaignes pas les amis des jours sombres. Ton petit cœur est noble, ma douce Rosamie. — Si je te proposais de dîner tous les jours ici, dans ce palais, dis, accepterais-tu? ROSAMIE je serais bien heureuse ! Dans ce palais féerique tout est si beau, si bon!... Et pourtant... Et pourtant... sans vous, Sire, je crois que je regretterais bientôt mes bois sauvages. COPHÉTUA Si c'était avec moi? ROSAMUO Avec vous? Avec vous, ce serait le bonheur! COPHÉTUA Ce serait le bonheur!... Je ne puis pourtant pas te servir tous les jours, petite Rosamie. Tu sais, je suis le roi. Il nous faudra chercher d'autres combinaisons... ROSAMIE Sire, vous vous moquez de votre humble servante... Hélas! je sortirai tantôt de ce palais pour reprendre la route où les pauvres mendient. Mais, je n'oublierai pas, jusqu'au seuil delà mort, que vous êtes venu, comme un ange du ciel qui m'aurait, pour une heure, ouvert le paradis. COPHÉTUA Pourquoi partirais-tu? Tu peux rester ici si tu veux, Rosamie. Eh bien, y consens-tu? Tu ne me réponds pas? Quoi! tu baisses la tête et je crois que tu pleures. Il ne faut pas pleurer, petite Rosamie, car tes pleurs me font mal. T'ai-je donc fait souffrir? ROSAMIE Oh ! vous êtes si bon ! COPHÉTUA C'est cela qui t'afflige? ROSAMIE Pourquoi m'avez-vous fait entrevoir le ciel même? Je me sens si heureuse que je voudrais mourir. COPHÉTUA On ne doit point mourir lorsque la vie est belle. Il faut vivre et goûter le bonheur que Dieu donne, d'un cœur joyeux et confiant. Je veux te faire entendre une douce musique pour rendre encore plus doux tes rêves les plus doux. (Il va frapper un timbre. Mario paraît à la porte.) Emporte cette table! Qu'on ouvre les fenêtres! Que les musiciens chantent une romance, là, dans lk galerie. MARIO Quelle romance, Sire? COPHÉTUA Celle que j'écrivis l'autre soir dans ma chambre pour saluer l'amour que mon cœur attendait sans le connaître encore. (Mario sort. Les serviteurs sortent. — Par les fenêtres ouvertes, on aperçoit un jardin magnifique.) rosamie O doux anges de Dieu, le ciel n'est pas plus beau! COPIIÉTUA Oui, ces jardins sont beaux. Ces pelouses moelleuses, ces corbeilles de fleurs aux couleurs éclatantes, ces bassins, ces jets d'eau qui fusent vers le ciel, ces terrasses de marbre aux blanches balustrades, ces statues rayonnantes, pures comme des lys qui seraient devenus des dieux et des déesses, ces tonnelles légères gorgées de roses blanches, doux abris parfumés pour les cœurs amoureux, ces beaux arbres, enfin, aux feuillages mouvants, les uns droits, élevant vers le ciel leur fierté et le frémissement divin de tout leur être, les autres tendrement inclinés vers la terre, et plus loin, dans le fond, le parc ombreux et frais, où sous les voûtes bruissantes s'enfoncent les larges allées qui vont vers l'invisible à travers le mystère, oui, ces jardins sont beaux. L'aspect qu'on en découvre de toutes ces fenêtres est un miracle unique au monde. Tu vois, dans cette salle, au haut de ces degrés, cet étroit banc de marbre? C'est de là qu'on jouit le mieux de ces splendeurs. Il est doux d'y rêver, surtout lorsqu'un doux chant enchante les oreilles. Monte là, Rosamie. N'aie pas peur. Assieds-toi. Les tendres lèvres des chanteurs vont te chanter de tendres choses. Moi, assis à tes pieds, je te regarderai longuement en silence. Première strophe Premier chanteur La vie est si belle, et si fraîche, et si tendre, Par ce matin de printemps embaumé, Qu'on croit au jardin voir les roses t'attendre Comme un baiser parfumé. (1) Voir à l'appendice : musique n" 4. Deuxième chanteur Les blancs papillons, vivants flocons de neige, Dans l'air léger tourbillonnent joyeux; Ce sont tes pensers ou tes désirs, que sais-je? Dansant autour de tes cheveux. Deuxième strophe Premier chanteur L'azur lumineux n'est qu'un chaste sourire Qui dans tes yeux trouve un chaste miroir. Deuxième chanteur Dans ton âme en fleur, mon âme en fleur respire Ivre de joie et d'espoir. Premier chanteur Les cieux éblouis et la terre ravie Ont, en s'aimant, créé ce doux séjour. Ensemble Si belle et si fraîche et si tendre est la vie Qu'y vivra sans fin notre amour! COPHÉTUA Eh bien, es-tu heureuse? ROSAMIE Oh ! c'est le paradis. COPHÉTUA Oui, c'est le paradis. Mais il est dans nos cœurs bien plus encore qu'autour de nous. Ce palais peut crouler, ces jardins disparaître, toute la beauté de l'univers, je la porte en mon cœur avec ta douce image. Viens ici, Rosamie; reviens auprès de moi et penche ton visage aimé vers mon visage, plonge tes chers regards jusqu'au fond de mes yeux: regarde ! tu verras le divin paradis qui rayonne en mon âme. ROSAMIE Le même paradis resplendit dans mon cœur. COPHÉTUA je le vois, Rosamie, au fond de tes prunelles. Ne ferme pas les yeux! J'ai soif de ton regard. C'est lui qui crée le ciel dans mon âme éblouie. Bénie, bénie soit l'heure où je t'ai rencontrée! Avant de te connaître, j'étais un pauvre roi lassé de sa couronne. Mon cœur et l'univers étaient tristes et secs, pareils à des jardins dévastés par l'hiver. Je t'ai vue, Rosamie, et maintenant ma vie est une fête céleste. Tout est joie, et lumière, et musique, et printemps ! Je suis fier d'être roi pour t'offrir mon royaume. Je suis heureux de vivre pour te donner ma vie. Heureuses sont mes mains qui ont pressé les tiennes ! Heureux sont mes regards qui ont bu tes regards! Bienheureux est mon cœur qui bat contre ton cœur! Bienheureuses sont mes lèvres qui vont baiser tes lèvres ! (Il l'embrasse.) ROSAMIE O mon maître, o mon roi!... J'étais une pauvresse mendiant sur la route... COPHÉTUA Sous mon manteau de roi, mon sceptre et ma couronne, j'étais, o Rosamie, aussi pauvre que toi. ROSAMIE Et je suis, à présent, plus heureuse qu'une reine... COPHÉTUA Pour la première fois, je suis vraiment un roi. ROSAMIE Dans vos bras... COPIIÉTUA Dans tes bras. ROSAMIE C'est le bonheur suprême. COPIIETUA (s'asscyant et l'attirant sur ses genoux) Sur mon cœur... ROSAMIE Sur ton cœur... COPIIETUA C'est la vie et l'amour. (Il l'embrasse.) ROSAMIE L'amour jusqu'à la mort! (Elle l'embrasse.) L'amour, malgré la mort! l'amour grâce à la mort! (Elle l'embrasse éperdument.) COPIIÉTUA Que parles-tu de mort? ROSAMIE Je suis votre servante. Pour cette heure d'amour, roi, j'ai donné ma vie. COPIIÉTUA Tu as donné ta vie? ROSAMIE Demain, je serai morte. — Mais pourquoi en parler? Aimons-nous! Aimons-nous! COPIIETUA Oh! oh! je te comprends. Mais toi, ma Rosamie, tu ne m'as pas compris. Cher lys de pureté, comment as-tu pu croire que mon amour pourrait faire de toi son jouet? Non, mon amour n'est pas un vil amour d'une heure! C'est l'amour éternel, à la vie, à la mort, qui prend Dieu à témoin de sa fidélité et qui fait, dans le ciel, chanter les chœurs des anges. Avance un peu la main. Tiens, reçois cet anneau. Devant Dieu qui m'entend, je te prends pour épouse... ROSAMIE Hélas! c'est de cela qu'il me faudra mourir. COPIIÉTUA A jamais, devant Dieu, me prends-tu pour époux? ROSAMIE Cela ne peut pas être! Le voile se déchire... COPIIÉTUA Me prends-tu pour époux?... ROSAMIE (faiblement) C'est donc vrai? C'est donc vrai, mon amour?... COPHÉTUA Eh bien? ROSAMIE Oui..., à la vie, à la mort!... (Elle faiblit) COPHÉTUA Sur mon cœur à jamais! ma femme bien aimée! mon épouse! ma reine!... (On frappe violemment à la porte. Entre Ermen-garde suivie de Mario. — Cophétua dépose Rosar mie sur un siège et s'avance.) COPHÉTUA Qui ose entrer ici, quand j'avais défendu... ERMENGARDE C'est moi. J'ai donné l'ordre à Mario d'entrer, moi, mon fils, votre mère. COPnÉTUA Hé bien, que voulez-vous? ERMENGARDE Mario va le dire. MARIO Sire, pardonnez-moi. Mais l'heure est arrivée; les rois et les princesses et les seigneurs s'assemblent dans la salle d'honneur. On n'attend plus que votre majesté. COPIIETUA (passant la main sur le Iront) Ah!... j'avais oublié... ERMENGARDE Que l'heure allait sonner où vous avez juré de choisir votre épouse?... ROSAMIE Oh!... (Elle s'évanouit.) COPIIÉTUA Oh! qu'avez-vous fait? Rosamie! Rosamie I Ecoute ! Ecoute-moi ! Reviens à toi ! Regarde : je suis à tes genoux... et je baise tes mains. ROSAMIE (faiblement) Est-ce la fin du rêve? COPHÉTUA Il n'y a point de rêve, mais une réalité magnifique et divine. ERMENGARDE Qui donc est cette femme ? COPnÉTUA Cette femme, c'est la reine. ERMENGARDE Ai-je bien entendu ? COPHÉTUA C'est la reine, vous dis-je; la reine d'Astremonde et l'épouse de votre fils. ERMENGARDE Eh quoi! vous m'aviez dit, ce matin... COPHÉTUA Ce matin, mon cœur était muet et je vous ai promis, pour le bien de l'Etat, d'épouser la princesse Dolciane de Nordlande. Mais le Destin en a décidé autrement. Il m'a fait rencontrer la douce et tendre enfant qui m'était réservée entre toutes les vierges pour être ma compagne.,. ERMENGARDE Sous cet accoutrement? Est-ce une comédie, Sire, que vous jouez? L'heure est inopportune. D'autres soins vous appellent. Votre devoir est là-bas où vous êtes attendu. COPIIÉTUA Mon devoir est ici. Mais vous avez raison: ces haillons misérables ne peuvent plus longtemps déguiser une reine. Appelez donc vos femmes pour qu'elles la revêtent de vêtements royaux. ERMENGARDE Est-ce le roi qui parle? COPIIÉTUA C'est le roi qui ordonne. ERMENGARDE Un instant! Un instant! Sire, un instant encore, écoutez votre mère. Vous savez, n'est-ce pas, qui vous attend là-bas? Ce sont des princesses aimables dont le cœur noble et fier attend une couronne avec la main d'un roi; ce sont des rois altiers dont l'âme est irascible et la puissance redoutable; offensés, insultés, ils tireront l'épée; une effroyable guerre ravagera votre royaume. Mais vous êtes le roi et vous déciderez. COPIIÉTUA Je ne puis vous entendre, ma mère; il est trop tard. Une force invincible a fixé mon destin. Il aurait mieux valu, peut-être, pour ce royaume, que je n'eusse jamais rencontré Rosamie, ou qu'un autre, à ma place, fût roi de ce pays. A présent, voyez-vous, mon trône, et ma puissance, et ma vie, et ma mort, et l'univers entier, qu'est-ce que tout cela au prix de mon amour? Je n'ai plus dans la tête qu'une seule pensée. Je n'ai plus dans le cœur qu'un unique désir. Tout le reste n'est rien que poussière et fumée. Je me donne moi-même, avec tout ce que j'ai, tout ce que je possède, tout ce que je puis faire, à cette pauvre enfant qui pleurait, tout à l'heure, en mendiant son pain. Il n'est pas dans mon corps une fibre de chair, une goutte de sang qui ne lui appartienne.Tout ce qui fait ma vie, ne vit qu'en sa présence. Il me semble qu'avant de l'avoir rencontrée, je végétais, inerte, au fond d'un hôpital comme un triste malade qui n'a plus d'espérance, et qu'aujourd'hui je vis en plein air, au soleil, ivre de ma puissance et gorgé de santé. Mon cœur est tout gonflé de désirs généreux; mon esprit s'illumine de vérités splendides. Je ne suis plus un homme cheminant pas à pas sur la croûte terrestre comme un chétif insecte ; je suis un fils du ciel, qui porte en soi un monde magnifique et sublime où siège Dieu lui-même, âme unique de l'univers. La lumière divine circule dans mes veines. Je suis ivre de joie, et de vie, et d'amour. Voilà ce qu'elle a fait de moi, ma Rosamie, par sa seule présence. N'espérez pas que rien nous sépare jamais. Si vous croyez, ma mère, qu'il vaut mieux pour mon peuple que je renonce à ma couronne, la voici, prenez-la, placez-la sur la tête de qui vous en paraîtra digne. Je sortirai de ce palais à jamais dépouillé de toute ma puissance et de toutes mes richesses et j'irai sur les routes mendier avec elle, — pourvu que ce soit avec elle, — car, j'emporterai avec moi mon suprême trésor. Mais, si vous acceptez ma Rosamie pour votre fille et pour la reine d'Astremonde, je jure sur mon épée qu'il n'y a, sur la terre, ni roi ni empereur qui ne lui rende hommage avec le respect et la crainte de la reine qu'elle est et du roi que je 6uis. ERMENGARDE Ah!... Ah!... C'est donc cela! Il n'y a rien à faire. — Embrassez-moi, mon fils! — Embrassez-moi, ma fille! ROSAMIE O madame... madame... je tombe à vos genoux. ERMENGARDE Relevez-vous, ma fille. Jamais, devant personne, vous ne plierez plus les genoux, car vous êtes la reine. Mario! Mario! Appelez donc mes femmes!... Que l'on vide mes coffres et qu'on vête la reine de vêtements royaux. — On nous attend là-bas. Allons nous préparer. ACTE IV Scène I. — La grande salle du palais. Seigneurs, dames, chambellans, pages et gardes remplissent la salle. Tumulte. Les rois de Nordlande, de Thuringe et de Tongrie s'agitent, furieux, avec leurs filles. Cophétua, Rosamie et Ermengarde forment un autre groupe, très calme. Derrière eux, se tient Mario. goldmar Un scandale! le roi de tongrie Une honte! le roi de thuringe Dites: un guet-apens! goldmar C'est pour nous insulter qu'ils nous ont réunis. le roi de thuringe Et pour faire un affront monstrueux à nos filles. FRAGOLETTE Pourquoi suis-je venue en cet affreux pays? MARMORANDE Que leur avons-nous fait pour être ainsi traitées? LE ROI DE TIIURINGE Ne pleurez pas ! Madame rirait de vos larmes. LE ROI DE TONGRIE Pouah ! une vagabonde î GOLDMAR Une vraie va-nu-pieds, ramassée sur la route ! DOLCIANE Mon père ! GOLDMAR Un gibier pour les valets de ferme I COPHÉTUA Sont-ce des rois qui parlent? N'avez-vous point de honte ! Si l'hospitalité ne retenait mon bras, vos têtes me paieraient vos ignobles injures. — Ne les écoute pas, ma douce Rosamie ! Ils ont perdu le sens. LE ROI DE TIIURINGE La menace et l'insulte ! GOLDMAR Un félonI Un bâtard, sûrement! Car jamais un vrai fils de roi n'aurait commis une telle bassesse. COPIIETUA Lâches I ERMENGARDE (l'arrêtant) N'oubliez pas, mon fils, qu'ils sont vos hôtes. GOLDMAR Vos hôtes? Jour de Dieu ! Elle est vraiment royale, votre hospitalité! Elle est faite d'offense, d'outrage et d'infamie. Rien ne vous fut sacré, ni ces jeunes princesses, nos filles bien aimées, nobles et tendres fleurs de notre sang royal, ni nos cheveux blanchis sous les saintes couronnes, ni notre antique honneur, respecté de tout l'univers! Maudit! Trois fois maudit soit ce hideux palais, habité par l'insulte! Que le malheur y entre comme nous en sortons ! Qu'il croule sur vos têtes! Qu'il soit votre tombeau! Et que puissent bientôt y pourrir vos charognes! A moi, mes chevaliers ! mes pages ! mes soldats ! Autour de votre roi serrez vos rangs fidèles ! LE ROI DE THURINGE A moi, Thuringe! LE KOI DE TONGRIE A moi, Tongrie! GOLDMAR Allons! Partons! Nous reviendrons avec de puissantes armées, et le fer et le feu feront de ce royaume un monceau de ruines sanglantes et fumantes, — monument de l'offense et de son châtiment. LE ROI DE TIIURINGE C'est la guerre ! LE ROI DE TONGRIE La guerre ! GOLDMAR Pour une mendiante assise sur le trône d'un misérable roi imbécile ou dément ! Ton peuple la bénisse, o roi Cophétua, car il devra verser pour elle tout son sang! Allons! sortons d'ici- LE ROI DE TIIURINGE Sortons! Sortons! LE ROI DE TONGRIE Sortons ! (Les groupes commencent à sortir avec agitation.) COPIIÉTUA Que les trompettes sonnent! Qu'on rende les honneurs à nos hôtes royaux avec tout le respect qu'on doit à leurs couronnes! (Les trompettes sonnent. Les soldats présentent les armes et inclinent les étendards.) Adieu, nobles princesses! Je demande pardon avec humilité à vos cœurs virginaux que mon amour offense. Vous me pardonnerez lorsque vous aimerez. DOLCIANE J'ai déjà pardonné. Adieu! Soyez heureux! (Tous les étrangers sont sortis.) COPHÉTUA Quoi! l'amour le plus pur peut-il troubler le monde, provoquer le courroux redoutable des rois et livrer un royaume aux horreurs de la guerre? Vous avez vu leurs yeux éclater de fureur. Vous avez entendu leurs bouches solennelles vomir des mots grossiers et des serments hideux. La colère remue la vase au fond des âmes. Gardons les nôtres claires comme le pur cristal qu'habite la lumière, et, détournant nos cœurs des querelles honteuses, ouvrons-les tout entiers aux anges rayonnants qui portent dans les plis de leurs robes fleuries ces trois joyaux: l'amour, la joie et le bonheur. ROSAMIE Ah! laissez-moi partir si vous ne voulez pas que je meure de honte. Laissez-moi déposer à vos pieds ma couronne en bénissant la main qui la mit sur mon front, dans une heure céleste! Seigneur, notre union appelle le malheur. Tout, hélas! nous l'annonce. Le Ciel ne permet pas que les princes épousent des femmes de ma sorte. Déjà de toute part les menaces se lèvent, s'assemblent et tournoient sur votre front royal comme un vol de corbeaux. Peut-être mon départ peut vous sauver encore. Je dois partir. Adieu! Mon cœur se brise. Adieu! COPIIÉTUA Eh quoi! j'ai tout bravé pour t'asseoir sur mon trôn*, ma Rosamie, et toi, tu vas m'abandonner ! (// se détourne en pleurant). ROSAMIE Ah ! vous aviez raison, madame, ce matin ! Vous connaissez la vie. Pardonnez-moi: j'aurais dû fuir. Ah! dites-lui qu'il faut bien que je parte! Vous essuierez ses larmes. Adieu, Madame! Adieu. ERMENGARDE C'est ce matin, ma fille, qu'il fallait songer à ces choses. A présent vous êtes la reine. Allons ! Il faut penser, il faut agir en reine. Restez! Votre devoir vous retient aux côtés du roi. Soyez digne de lui et de votre couronne. Et soyez tous les deux dignes de vatre amour. Donnez-lui le bonheur et Dieu fera le reste. (Elle pousse doucement Rosamie dans les bras du roi.) Eh bien, qu'attendez-vous, mon fils, pour ordonner les fêtes nuptiales. Un orage se lève. Il y faudra demain faire face, peut-être, d'un cœur bardé de fer. De ce jour qui vous reste pour l'amour et la joie, ne perdez pas une heure ; que chacune de ses précieuses minutes, enfants, vous soit sacrée comme un trésor divin. Allons, mariez-vous — avant qu'il soit trop tard. COPHÉTUA Mario, prends mes ordres. Qu'on ouvre la chapelle! Que de nobles musiques y fassent retentir des marches éclatantes! Que dans des flots d'encens mes prêtres, revêtus de leurs robes de fête, s'assemblent dans le chœur afin de recevoir notre double serment ! Et vous, puissants seigneurs, fidèle et magnifique noblesse du royaume, venez devant l'autel saluer votre reine. (Fanfares, musique, les groupes se forment pour une marche.) Scène II. — Le jardin du palais Rosamie et Cophétua, assis sur un banc rosamie Seuls enfin dans ce parc merveilleux! Quel bonheur ! La tête me tournait quelque peu, tout à l'heure, dans ce flot chatoyant de seigneurs et de dames, qui se pressaient autour de mon humble personne. COPIIÉTUA Humble? Vous êtes reine. L'avez-vous oublié déjà, ma Rosamie? rosamie Que non pas, mon seigneur! Sur ma petite tête je porte une couronne. Elle est là; je-la sens; et seul vous pourriez l'en ôter comme vous seul, vous avez pu l'y mettre. Là-haut, dans la chapelle, sitôt qu'on la posa sur mon front, je sentis que je devenais reine, une reine authentique, et que tous vos sujets devenaient mes sujets,et que, dès ce moment, ma bouche, jusque-là timide et suppliante, saurait donner ^ ordre aux ducs comme aux valets, et que mes yeux, hier encore remplis de larmes, s'étonneraient r!* v-oir désormais un seul front qui ne fût point couioé, oui-da, à mon passage. COPHÉTUA Ma mère me disait tout à l'heure à l'oreille: « Regarde Rosamie ; quelle reine elle fait ! Dans toute jeune fille une reine sommeille. » ROSAMIE Vous l'avez éveillée. Et le beau papillon est sorti, sous vos doigts, de l'humble chrysalide. Avais-je vraiment l'air, dites, d'une vraie reine? COPHÉTUA Oh! tu paraissais née d'une lignée de rois. Dans ton jeune sourire, la douceur rayonnait avec la majesté. Tu as su recevoir l'hommage de mes nobles comme un ange du ciel écoute nos prières. Et jamais, je le jure, sur nos tapis de pourpre, la traîne d'une robe d'or, de soie et de perles n'a plus superbement glissé en ondulant. ROSAMIE Vous étiez satisfait de votre jeune épouse? COPHÉTUA Comme l'azur du ciel est fier de sa lumière. ROSAMIE Donnez-moi un baiser afin que je vous croie.. COPIIÉTUA Un baiser, ma chérie? Et dix, et cent, et milleI ROSAMIE Quel conquérant vous faites! Et comme vous mettez votre pauvre conquête au plus affreux pillage! COPIIÉTUA Ma douce Rosamie ! ROSAMIE O mon roi bien aimé ! COPIIÉTUA Sais-tu que tu ne m'as pas encore appelé simplement par mon nom? ROSAMIE Je n'ose pas encore. Et votre nom... COPIIETUA Achève ! ROSAMIE ...est un peu singulier. COPIIÉTUA Il me vient de l'Egypte. ROSAMIE Avez-vous combattu là-bas les infidèles, pris d'assaut une ville ou tué un sultan? COPIIÉTUA Oh ! c'est moins flamboyant ! — Mon père, en sa jeunesse, a visité le beau pays des Pharaons. A la cour d'un émir illustre et magnifique il se prit d'amitié pour un jeune et beau prince nommé Cophétua, qui l'aima tendrement. Or, un jour, à la chasse, une flèche perfide ie frappa sous ses yeux. Il le prit dans ses bras, l'appelant par son nom et le baignant de larmes. Et le blessé lui dit : « Mon doux ami lointain, quand tu retourneras dans ta belle patrie, si Dieu te donne un fils, nomme-le de mon nom pour que ce nom résonne doucement sur tes lèvres à travers les années, quand je ne serai plus. » Et le sang lui sortant par la bouche, il mourut. Voilà, ma Rosamie, d'où vient mon nom étrange. Il est doux et farouche ainsi qu'un souvenir de tendresse et de sang. rosamie Mon doux Cophétua! Que votre nom m'est cher! Aucun autre pour moi n'est plus beau ni plus noble. COPIIÉTUA Il te plaît donc un peu? ROSAMIE Oh! plus que rien au monde. Je voudrais composer une aimable chanson, que les petits enfants, le soir, à la veillée, chanteraient devant l'âtre. Elle célébrerait le roi Cophétua, qui, dédaignant la main des princesses royales, épousa devant Dieu une humble mendiante rencontrée sur la route. C'est pourquoi votre nom, à jamais, brillera dans les belles légendes. Car c'est un haut fait, sire, et qui vaut maint exploit accompli par le glaive. COPIIÊTUA Est-ce ton jugement, petite Rosamie? ROSAMIE Oui, c'est mon jugement, mon jugement à moi, reine de fraîche date; et ce sera demain celui de tout le monde. COPIIÊTUA O femme trois fois femme! Jusque dans les baisers vous vous moquez de nous ! ROSAMIE O homme trois fois homme ! Jusque dans les baisers vous restez incrédules ! COPHÉTUA Hélas! rien n'est moins vrai. ROSAMIE Qu'est-ce donc qui est vrai? Seuls sont vrais les baisers et seul est vrai l'amour qui brille dans les yeux et qui brûle le cœur. COPIIÉTUA Regarde dans mes yeux; vois-tu la flamme ardente? ROSAMIE Mets la main sur mon cœur; sens-tu le feu brûlant? COPIIÉTUA Et voici mon baiser. ROSAMIE Mon baiser, le voilà ! (Ils s'embrassent. Entre Mario.) COPIIÉTUA Que viens-tu faire ici, Mario? MARIO Un capitaine, que frappe, prétend-il, un châtiment trop dur, implore la faveur de supplier la reine. Il se lamente, crie et jure qu'il mourra s'il n'est pas écouté. COPIIÉTUA Ecarte l'importun! ROSAMIE Eh quoi ! dans ce beau jour où vous avez daigné, Sire, entendre ma plainte et changer mes haillons en un manteau royal, je n'éoouterais pas un homme qui m'implore? Ah! je craindrais vraiment d'attirer sur mon front la colère du Ciel. COPIIÉTUA Cher cœur compatissant ! ROSAMIE Mon désir obtient-il votre consentement? COPIIETUA (à Mario) Faites venir cet homme. (Mario sort.) ROSAMIE Mon doux Cophétua, sois béni pour cette parole. La reine d'Astremonde se réjouit d'inaugurer sa royauté par un bienfait. (Entre Barbouf, conduit par Mario.) BARBOUF (se précipitant à genoux) Madame, laissez-moi me jeter à vos pieds, embrasser vos genoux, lever vers vous mes mains innocentes et suppliantes. Un épouvantable malheur s'est abattu sur moi et me voilà pareil au naufragé dans la tempête. Je n'ai d'espoir qu'en vous. Je vais périr, Madame, si vous ne m'accordez votre protection. ROSAMIE Parlez, monsieur; j'écoute. BARBOUF Ah! vous êtes le phare sauveur dans les ténèbres!... Je suis un officier de la garde royale. COPIIÊTUA Un officier joueur, insolent, débauché, trop souvent révolté contre la discipline. BARBOUF Ah ! j'ai des ennemis qui m'ont calomnié. Ecoutez-moi, pourtant. J'ai des défauts, Madame; je ne sais les cacher. J'ai, comme beaucoup d'hommes, des instincts déplorables. Oh ! je le reconnais! Et je lutte, je lutte, mais parfois, à ma honte, ils sont plus forts que moi, qui ne suis qu'un pauvre homme fait de chair et de sang. Oui, j'aime trop jouer! Les cartes et les dés sont mon péché mignon. Et j'en suis bien puni, par le Père Eternel! Je perds! Je perds ma solde! J'ai perdu ma fortune, car toujours j'ai payé mes dettes tout entières aux joueurs plus heureux. C'est là mon crime, en somme! Et voici qu'au moment où j'ai le plus perdu, accablé par le sort qui m'est toujours contraire, on m'a signifié que si je ne payais ce soir, — oui, ce soir même, — les deux mille ducats que je dois à Randolfe, je serais, jour de Dieu, expulsé de l'armée comme un vil criminel. Ah! tonnerre du ciel! C'est la foudre, la foudre sur ma tête blanchie au service du roi ! Bien ! S'il en est ainsi, si je suis chassé comme un pauvre chien galeux, eh bien, je me tuerai demain matin devant la grille du palais ; je ne pourrais survivre à ma honte, Madame. O Madame, un délai! Qu'on m'accorde un délai et tout sera payé, et je ne jouerai plus, je le jure par mon honneur de capitaine et le saint nom de Dieu. Il ne faut qu'un délai pour me tirer d'affaire. Un délai! Un délai! Ma vie pour un délai! ROSAMIE Monsieur, quel est le nom de votre créancier? BARBOUF Randolfe, capitaine de la garde royale. ROSAMIE C'est lui qui vous poursuit? BARBOUF Randolfe? Bon garçon, loyal copain, non, non, comment pourrait-on croire?... Et pourtant... Et pourtant, si l'on y réfléchit... un austère dadais, à cheval sur la discipline... COPIIÊTUA Il suffit. ROSAMIE Si le roi le permet, capitaine, Randolfe, dès ce soir, recevra votre enjeu... de la part de la reine. COPIIÊTUA Rosamie 1 ROSAMIE Ce sera, si vous le voulez bien, mon cadeau de joyeuse entrée dans le palais royal. COPIIETUA (à Barbouf) Remerciez la reine. BARBOUF (se relevant) O Madame, le Ciel bénisse vos vertus! Vous êtes généreuse plus que ne peut dire aucune langue hu- maine. Quand l'œil voit un prodige éblouissant, la bouche tremble et ne peut parler. Telle est présentement la bouche de Barbouf. C'est le silence ému de l'extase, Madame. Un mot! Rien qu'un seul mot, mais il est aussi grand que ma reconnaissance: merci! C'est un merci gros comme l'univers. Un merci gigantesque! Un merci éternel! Tout le long de ma vie dès que je vous verrai, je vous crierai: merci ! ROSAMIE Monsieur, vous m'effrayez. BARBOUF Je ne suis désormais qu'un merci sur deux jambes. COPIIÉTUA Dites-leur de porter merci vers d'autres lieux. BARBOUF Merci va parcourir le palais et la ville. Il va... MARIO (frappant sur son épaule) C'est par ici. (Barbouf sort, entraîné par Mario.) COPIIETUA (riant) Rosamie, ce bouffon, s'il vous coûte un peu cher, vous a-t-il amusée? KOSAMIE Non, mon Cophétua; il m'attriste plutôt. Ne pensons plus à lui. COPHÉTUA Regarde, Rosamie. Le soleil qui se couche dans la pourpre et dans l'or, a rempli tout le ciel de ses adieux majestueux. L'or, qu'il a prodigué, a ruisselé sur le feuillage des grands arbres. On dirait d'un vieux roi qui, avant de mourir, distribue ses richesses à tous ses courtisans. Ht maintenant la nuit printa-nière s'avance, parée de son collier d'étoiles. La lune va bientôt verser dans l'atmosphère sa lumière d'argent. Alors, nous entendrons chanter un rossignol. C'est là-bas, sur cet arbre isolé qu'il se pose. L'air fraîchit. Serre-toi contre moi, mon amie; nous écouterons mieux la divine chanson. L'exquise mélodie va jaillir dans l'azur comme un jet de perles sonores dans la clarté céleste. Musique merveilleuse! Les vieux arbres du parc frissonneront en l'écoutant; les fleurs la salueront de leurs parfums les plus troublants; et nos deux âmes vont se fondre l'une en l'autre. Ecoute: elle commence. (On entend chanter un rossignol. — Rideau. ) ACTE V Scène première. — La grande salle du château Cophétua, Rosamie, Ermengarde, Mario, Randolfe, plusieurs seigneurs COPIIETUA (froissant un papier) C'en est fait, c'est la guerre. Les trois rois qui furent mes hôtes, osent nous envoyer des cartels insultants. Les troupes de Tongrie ont franchi la frontière, incendiant les bourgs, pillant villes et champs avec une fureur sauvage. L'armée de la Thu-ringe est déjà rassemblée. Quant au roi de Nordlande, malade de colère, il a juré de nous détruire. Ses messagers appellent aux armes tous les vassaux de son vaste royaume afin de nous livrer des combats sans quartier. ROSAMIE Oh ! à cause de moi 1 COPIIETUA Nous saurons réprimer leur jalousie infâme en leur prouvant bientôt la force de nos bras et quels cœurs courageux battent dans nos poitrines. ERMENGARDE Le jour de leur départ, sans attendre vos ordres, j'ai fait, par Mario, écrire à vos vassaux qu'il leur était enjoint de rassembler en hâte tous les soldats de leurs domaines. COPIIÉTUA Nous ont-ils répondu? MARIO Le prince d'Apremont, votre grand maréchal, écrit qu'il est malade et qu'on ne peut compter sur lui. COPIIÉTUA Que le diable l'emporte! Qui le remplacera? MARIO Il enverra son fils avec quatre mille hommes. COPIIETUA Quatre mille hommes? C'est vingt mille qu'il me doit! Ecris-lui, Mario, que s'il ne se décide à venir en personne -avec toutes ses troupes me joindre dès demain, je Tirai, à la tête de ma garde fidèle, chercher dans son repaire et que je le pendrai à la plus haute tour de son hideux château. Allons ! que font les autres? mario Le duc de Beaumirail, chef de quatre comtés, déclare que ses hommes refusent de marcher. copiiêtua Qu'est-ce à dire? Qu'est-ce à dire? Est-ce ainsi qu'un vassal parle à son suzerain? Que notre coné-table parte sur l'heure avec les troupes de ma garde, qu'il s'empare du traître et me l'amène ici, pieds et poings bien liés, afin qu'il soit jugé par la cour de justice. — Mario, tu m'entends! mario Sire, le connétable est parti ce matin. copiiêtua Il est parti? Pourquoi? mario Je l'ignore, seigneur. (Entre Albéric.) 112 LE ROI COPHETUA j i, 1 ALRÉRIC Une lettre du connétable. COPIIÉTUA Ouvre-la, Mario. Fais-nous-en la lecture. MARIO Honte! honte! infamie! COPIIÉTUA Lis-nous donc cette lettre ! ifi j! I: ;jfl i MARIO Sire, pardonnez-moi! Je n'oserais jamais. COPHÉTUA Lis donc ! Je te l'ordonne. MARIO Non, non, c'est impossible... Ah! le félonI le traître ! COPIIÉTUA Lis cette lettre, dis je ! \ T MAIIIO Il le faut?... Ecoutez ce message hideux: «O roi Cophétua, indigne d'être roi, tu livres ton royaume au meurtre, à l'incendie, aux' dévastations, et ton peuple innocent aux horreurs des massacres parce que, sans respect de tes nobles vassaux ni des rois, tes voisins, lâchement insultés par toi dans ton palais, ton cœur ignoble et vil, tes basses passions ont fait d'une pouilleuse, coureuse de grand'routes, ta compagne de lit, la reine d'Astremonde. Ne compte point sur moi pour défendre un ruffian vautré dans son ordure. Je m'en vais sur mes terres, j'y lèverai mes troupes, mais je vais avec elles m'unir à ceux qui te combattent, et je t'arracherai du trône que tu déshonores. Adieu, pourceau royal! Défends-toi, si tu peux ! » ERMENGARDE Ignominie sans nom ! ALBÉRIC L'infâme scélérat! EN SEIGNEUR Qu'il tombe ! UN AUTRE SEIGNEUR Qu'il périsse I ? wrrm 114 LE ROI COPHETUA RANDOLFE A mort, le monstre! A mort! TOUS LES SEIGNEURS A mort! A mort! A mort! RANDOLFE Qu'on me laisse partir à cheval sur-le-champ! Je frapperai le traître avant qu'il ait rejoint les armées ennemies. Je vous rapporterai sa tête ou il m'arrachera la mienne. COPIIÉTUA Les outrages grossiers vomis par cette bouche ne souilleront jamais ni le roi ni la reine. Qu'ils retombent sur lui! La fange étouffera celui qui la remue. Certes, une trahison si perfide et si lâche mérite un châtiment; il viendra à son heure. Mais le danger nous presse. Il faut y faire face d'un cœur ferme et hardi. LES SEIGNEURS Sire, comptez sur nous, à la vie,- à la mort '! (On entend une rumeur au dehors.) COPIIÉTUA Partez et revenez dès demain à la tête de vos meilleures troupes. Nous ncus retrouverons dans les champs d'AIberive et nous irons ensemble attaquer l'ennemi. (Rumeurs plus fortes.) ERMENGARDE Entendez-vous ce bruit? (Entre précipitamment un officier.) L'OFFICIER Le peuple assiège le palais. On a fermé les grilles. (Bruit violent. Cris et huées.) LE PEUPLE (au dehors) A bas ! A bas ! A bas ! UNE VOIX (au dehors) A bas le roi ruffian! UNE VOIX (ni dcTirrs) Faut-il que nous mourions pour une vagabonde.? (Huées.) UNE VOIX (au (ici.ers) Qu'on leur jette des pierres! PLUSIEURS VOIX (au dehors) Oui ! des pierres ! des pierres ! (On jette des pierres dans les fenêtres. Huées.) ERMENGARDE Peut-on compter sur la garde? L'OFFICIER Madame, elle a juré de mourir pour le roi. (Explosion de huées.) UNE VOIX (au dehors) Qu'on apporte des poutres pour enfoncer les portes ! (Acclamations.) LA FOULE (au dehors) Mort à la mendiante, — la fille de sorcière, — putain ! salope ! ordure ! — hou ! hou ! hou ! COPIIETUA (attirant Rosamie dans ses bras) Rosamie! Rosamie! ROSAMIE O mon roi bien aimé, c'est à cause de moi que vous souffrez ces hontes. Pardonnez, mon seigneur, à votre humble servante. COPIIETUA O ma femme adorée ! ERMENGARDE Nous saurons mourir tous pour le roi et la reine ! TOUS LES HOMMES (tirant leurs épies) Pour le roi et la reine ! (Nouvelles huées.) ROSAMIE Merci, nobles seigneurs. La reine d'Astremonde vous est reconnaissante jusqu'au fond de la tombe. Mais ayez confiance, car bientôt vous serez délivrés du péril. RANDOLFE Pardieu! vive la reine! (Huées effroyables.) COPIIÉTUA Randolfe, écou'ez-moi! (Il va lui parler.) ROSAMIE (tirant Mario à part) Mario, tout à l'heure, si le roi vous demande... peut-être est-ce inutile... dites-lui que je vais prier Dieu pour mon roi... Non, ne lui dites rien... Rien, rien, — je vous l'ordonne. — (Elle s'éloigne en murmurant :) Ma vie pour lui ! Ma vie avant toutes les autres I (Elle sort.) COPIIÊTUA (il Randolfe) Vous m'avez entendu. Agissez sur-le-champ. Sortez par les jardins. RANDOLFE Vous serez obéi. (Il sort) ERMENGARDE Où est allée la reine? (Huées au dehors.) COPIIÊTUA N'est-elle plus ici? ERMENGARDE Répondez, Mario. MARIO Madame, je l'ignore. ERMENGARDE Elle vous a parlé. MARIO Elle m'a commandé de me taire, Madame. ERMENGARDE Il faut la suivre ! Il faut la suivre ! Courez donc ! Courez, Cophétua ! Elle se sacrifie ! Elle meurt pour nous tous ! (Cophétua s'élance; tous le suivent.) Scène II. — L'entrée du palais. — Même décor qu'à la scène Irc de l'acte III. Derrière la grille fermée, le peuple en fureur. Devant la grille, des soldats en armes, Barbouf, Foster. — Rosamie descend rapidement l'escalier. Rosamie, Barbouf, Foster, Cophétua, Mario, Ermengarde, seigneurs, dames et pages, Dolciane. LE PEUPLE La voilà! La voilà! la charogne! la garce! Il lui faut notre sang. A mort ! A mort ! A mort ! ROSAMIE Qu'on ouvre cette grille ! BARBOUF Mais ce serait folie 1 UNE VOIX DANS LE PEUPLE Que dit-elle? D'AUTRES VOIX Silence. ROSAMIE Qu'on ouvre cette grille! Je veux sortir. POSTER Madame, ce serait votre mort. ROSAMIE Pour la troisième fois, qu'on ouvre cette grille! (A Barbouf.) Ouvrez donc, capitaine! BARBOUF Ma foi, puisque la reine ordonne... FOSTER Misérable ! BARBOUF (l'écartant) J'obéis. (Il ouvre la grille. La reine sort et s'avance dans la foule, qui s'écarte puis se referme sur elle... Rumeur croissante dans le fond. Tout à coup on entend Rosamie jeter un grand cri. Aussitôt tout se tait. Dans le même moment le roi apparaît; il descend rapidement l'escalier, suivi de Mario, d'Oswald, des seigneurs de la scène précédente et d'Ermengarde.) COPHÉTUA Monstres! Ils l'ont tuée! A moi, soldatë, à moi! (Il tire son épèe et s'élance dans la foule, qui s'écarte vivement. Oswald et les seigneurs s'élancent aussi, l'épée à la main. Les soldats refoulent le peuple qui s'écarte. Cophétua revient, portant dans ses bras Rosamie.) COPIIETUA Tuée ! tuée ! tuée ! Les monstres l'ont tuée ! Hélas, ma Rosamie, ma pauvre Rosamie, plus douce que le miel butiné sur les fleurs ! MARIO Voyez comme l'excès de la douleur l'accable. ERMENGARDE (s'agenouillanl) O mon fils, déposez votre pieux fardeau sur les genoux de votre mère. COPIIETUA HHç était le trésor le plus pur de la terre, la clarté de mes yeux et la beauté du monde. Tuée ! tuée ! fuée! La voilà mainterant pâle, inerte, sans vie, comme un petit oiseau tué par l'épervier, comme une pauvre chose qui n'a plus aucun nom. Où sont-ils tes beaux yeux qui rayonnaient d'amour comme des étoiles vivantes? Eteints, ils sont éteints à jamais dans la nuit. Il est éteint aussi, mon cœur, qu'ils éclairaient de leur tendre lumière. O ténèbres, lugubres ténèbres, jamais vous n'avez englouti un rayon plus divin ! (Il sanglote.) ERMENGARDE Mon fils, il faut prier. (Quelques soldats s'agenouillent. De l'autre côté de la grille, la foule s'agenouille aussi, peu à peu.) COPIIETUA Tout à l'heure! A présent, je ne saurais prier. Mon Dieu, nous ne pouvons que pleurer sur ce corps qu! fut si plein de grâce. Son âme est loin d'ici. Où s'est-elle envolée? Peut-elle nous entendre? Peut-elle voir nos pleurs? Pleurez, vous tous, pleurez;et poussez avec moi de longs gémissements. Est-il ici quelqu'un qui puisse contempler sans répandre des larmes, ce jmine et beau visage déserté par la vie? Oh! oh! tant de fraîcheur, de charme et de tendresse! Et ce divin sourire qui remplissait mon âme! Et tout va se dissoudre dans l'horreur du tombeau! (On entend des sanglots dans la foule.) UNE VOIX Comme il pleure, le roi ! UNE VOIX Oh ! cela fait pitié ! UNE VOIX C'est vrai qu'elle était belle. UNE VOIX Elle avait du courage tout comme une vraie reine. UNE VOIX C'était une vraie reine. UNE VOIX Et nous l'avons tuée. QUELQUES VOIX Oui, nous l'avons tuée ! VOIX NOMBREUSES Pardon ! pardon ! pardon ! COPIIÉTUA (relevant la tôle, indiflné) Oh! LE ROI COPHETUA ERMENGARDE Elle n'est pas morte! Vite, vite, apportez de l'eau, des aromates! Qu'on appelle mes femmes! (Oswald et deux ou trois officiers sortent vivement.) Priez, Cophétua, le Ciel va vous la rendre. ERMENGARDE Voyez, Cophétua, elle ouvre les yeux. COPIIÉTUA Rosamie, Rosamie, délice de ma vie, me vois-tu. COPIIÉTUA O Seigneur tout puissant! O bonté infinie! Vous ferez ce prodige? Vous me rendrez la vie en lui rendant la sienne ! Vous chasserez la mort. Mon Dieu, soyez béni! Que votre terre est belle! Ah! c'est le paradis d'où vous m'aviez chassé, ce divin paradis que vous allez me rendre. Oh! je suis fou de joie. Je chancelle comme un homme ivre. Vous ne me trompez point, ma mère, n'est-ce pas, si vous ne voulez pas que je meure auprès d'elle? (Pendant qu'il parlait, des femmes, des pages sont entrés, portant une aiguière, un bassin, des flacons et des linges. Ermengarde et les femmes ont prodigué leurs soins à Rosamie.) ROSAMIE Mon doux Cophétua! COPIIÊTUA Ah! le bonheur revient comme un printemps joyeux! Nous entendrons encore dans le blanc clair de lune chanter le rossignol. Te la rappelles-tu, la douce mélodie? ROSAMIE Viens ! Donne-moi ton bras et m'aide à me lever. COPIIÊTUA Sur mon cœur, Rosamie, sur mon cœur! A jamais! DES VOIX DANS LA FOULE Qu'y a-t-il? Qu'y a-t-il? UNE VOIX La reine n'est pas morte. UNE VOIX Elle est ressuscitée. UNE VOIX Jésus! c'est un miracle! UNE VOIX Pardieu! c'est une sainte. LA FOLLE Vive la reine! Vive la reine d'Astremonde! Fête! fête! hurrah! COPIIETUA Voilà que ces bandits t'acclament à présent! ROSAMIE Pardonnez à ces pauvres gens. (Elle s'avance vers la grille.) Merci, mes bons amis. Oh! je suis bien heureuse ! LA FOULE Longue vie et bonheur au roi et à la reine ! Longue vie et bonheur! (Sonnerie de trompeiies.) (Arrive à cheval, avec un cortège, Dolciane. Un. long voile noir flotte sur ses épaules.) DES VOIX Qu'est-ce encore? La princesse Dolciane de Nordlande ! DOLCIANE O roi Cophétua, vous me voyez frappée, hélas! d'un deuil cruel. Mon père vénéré est mort soudainement alors qu'il conduisait contre vous ses armées. De mes nains désolées je l'ai enseveli et j'ai ceint la couronne auguste de Nordlande. La guerre était injuste. O roi Cophétua, je t'apporte la paix, car j'impose la paix aux rois mes all'ës et déjà nos soldats rentrent dans leurs demeures. Voyez, charmante reine ! comme vous, à mon tour, je porte une couronne. Elle serre mcn cœur plus encore que mon front. J'avais fait un beau rêve; il s'est évanoui. Qu'importe!... Embrassons-nous. Vous serez mon amie et je vous veux heureuse. C'est le bonheur des rois de faire le bonheur des autres. ROSAMIE Vous êtes notre sœur adorable et chérie. COPHÉTUA Les nobles amitiés embellissent l'amour. La foule acclame. Trompettes. Cloches. RIDEAU f r r- r- IV^HHMMHHMn s&JJtje^tlAo" Y\r(aJ^- m hl •r fjt^t/rJr- r-, iv / cesrit. ■ J Pi O fi r'Jjnr?J)f?| Ml T o * t*» | Les Cahiers Indépendants Editions littéraires belges --- Ce volume est le premier de la série d'ouvrages que publieront le3 Cahiers Indépendants. Il leur est cher d'inaugurer cette première année d'activité par un ouvrage de M. Iwan Gilkin, qui fut l'un des fondateurs et l'un des directeurs de la «Jeune Belgique », et dont la sympathie demeure acquise aux mouvements d'art jeune. La jeunesse, la fraîcheur d'inspiration du « Roi Cophétua », charmera les admirateurs nombreux da ces poèmes depuis longtemps célèbres: «La Nuit», « Prométliée », « Le Cerisier fleuri ». Les Caliiers Indépendants publieront tous les mois une œuvre complète et inédite (poèmes, contes, roman, drame, études littéraires ou philosophiques). Il» annoncent dès à présent, pour l'année 1919, les volumes suivants : En mai: x Nocturnal ». contes, de Franz Hellens : En juin : « L'Idole portative », poèmes, de R.-E. Mélot; En juillet: « Le Cadran, solaire », roman, de Paul Colin ; En août : « Les Eaux-Mortes », drame, de Mme Marguerite Duterme ; En septembre : « Etudes sur Dostoïewsky », de Henry Dommartin ; Puis des volumes de Paul Fierens, de Georges Gué-rin, de Jean de B'osschère, des études d'écrivains étrangers sur l'art en Belgique, d'écrivains belges sur les orientations artistiques de l'étranger. Les Cahiers Indépendants s'appliqueront à faire connaître à l'étranger les écrivains belges, et contribueront ainsi au rayonnement intellectuel de notre pays. — Ils comptent dès maintenant des abonnés en France, en Angleterre, en Italie, en Espagne, en Suisse, en Hollande, en Norvège, aux Etats-Unis et dans l'Amérique latine. Les Cahiers Indépendants s'appliquent avant tout à faire connaître les écrivains de Belgique aux lecteurs belges... C'est une tâche. C'est une ambition. C'est une tâche que facilite sans doute une fierté nationale aujourd'hui assurée. C'est une ambition, néanmoins... Et c'est même une ambition légitime. La «littérature belge», les «écrivains belges»... Ces mots,nous les avons prononcés maintes fois ; mais, avouons-le, nous n'avons témoigné jusqu'ici, à notre littérature et à nos écrivains, qu'un amour excessivement platonique. C'est ainsi que beaucoup d'auteurs belges ont dû s'expatrier ou, tout au moins, se faire éditer au dehors. Cet état de choses ne peut plus durer. Il y va de notre dignité. Il faut qu'un contact plus intime s'établisse entre le public de chez nous et les écrivains de chez nous ; qu'il y ait dans notre pays, ainsi que partout ailleurs, de véritables entreprises d'éditions littéraires, permettant au poète, au conteur, au romancier de travailler dans une atmosphère propice aux belles œuvres. Les Cahiers Indépendants s'efforcent d'établir ce contact, de créer cette atmosphère. A l'heure où la Belgique travaille à sa renaissance et s'exalte d'apporter à cette grande tâche une ardeur pacifique, les Cahiers Indépendants ambitionnent de contribuer largement, ainsi, à la reprise de l'activité littéraire nationale. Dans tous les domaines de la vie matérielle et de la vie morale, un souffle de vie nouvelle abonde, qui invite à l'essor. Il convient que notre littérature aille, elle aussi, de l'avant. « Aller de l'avant » : Telle est, dans un plan strictement artistique et intellectuel, notre seule ligne de conduite, notre seule directrice. A certaines époques, « ne point rétrograder » suffit (peut-être). — La nôtre exige davantage. Or, aller de l'avant, dans le domaine qui nous intéresse, et chez nous, qu'est-ce faire? C'est aller à plus d'affinement intellectuel et artistique, c'est aller à une compréhension plus immédiate de nos propres richesses, c'est ne plus vouloir laisser à un voisin l'honneur de découvrir ces richesses nôtres, de les mettre en valeur, et de nous les révéler ainsi à nous-mêmes, ironiquement. Aller de l'avant, pour l'écrivain belge, comme pour tout artiste, c'est développer sa personnalité, c'est affranchir sa forme, c'est élargir son horizon. Aller de l'avant, pour le lecteur belge, c'est apprécier les écrivains de son propre pays... Il n'est pas nécessaire d'être « compétent ». Ce mot est absurde, comme est absurde l'artiste qui, systématiquement, de parti pris, s'isole du public. — Il suffit de savoir lire. Il suffit que le lecteur, à son tour, n'exige pas systématiquement que l'écrivain soit un tout complaisant rédacteur. Le lcctjur collabore. D'une harmonie joyeuse et profonde entre le don créateur de l'artiste et la sensibilité compréhensive du public, naît la grandeur artistique de certains temps. *** Les Cahiers Indépendants s'efforceront de réaliser, pour le mieux, cette harmonie. . * . Paraîtront annuellement, en plus des douze œuvres complètes, six cahiers de documents se rapportant à la vie artistique et littéraire belge contemporaine, et destinés à rapprochsr le lecteur de l'artiste. Le lecteur — l'abonné — sera tenu au courant du mouvement des idées. Des renseignements de détail (qui lui demeurent habituellement étrangers) lui seront donnés, concernant les principales manifestations d'art. Il connaîtra les jugements portés par la critique locale et étrangère sur nos publications. En tout, donc, dix-huit volumes annuellement. Nous nous inspirons de la formule qu'avait inventée à Paris, pour ses « Cahiers de la Quinzaine », le grand et regretté Charles Péguy, tué tn septembre 1914. Les Cahiers Indépendants ne sont donc pas une revue; au contraire, ils réagissent contre la formule qui consiste à réunir périodiquement, sous le lien factice d'une même couverture, des éléments hétérogènes; cependant ils ne sont pas non plus une simple entreprise d'édition : ils ne se départiront pas, dans le choix des ouvrages qu'ils publieront, d'une certaine idée, d'un certain idéal. Ainsi, dans un plan moins essentiellement artistique, agissaient les « Cahiers de la Quinzaine ». Ainsi, dans un plan non moins moderniste, agissent également les « Editions de la Nouvelle Revue Française ». Nous voulons dire que l'acheteur, s'il veut se tenir au courant des tendances neuves, peut faire confiance à l'éditeur de publications telles. Nous désirons cela, qui en Belgique est nouveau. L'indication, chez nous, jusqu'à présent, manquait. Les Cahiers Indépendants se vendent par abonnement. Dès avant leur élaboration effective, ils ont rencontré les sympathies les plus puissantes : de nombreuses personnalités leur ont, en effet, accordé un appui par- ticulier, à titre d' « abonnés perpétuels ». Nous les en remercions ici. Parmi eux : MmeB Wiskemann-Delzaert et Fr. Wittouck ; MM. Ernest Solvay ; Ch. Bulens; Raym. Buurmans; Canon-Legrand ; Guill. Charlier; H. Colin; J. Degrève ; J. Delhaize ; Baron P. Descamps; Despret; Ch. Dietrich; Baron van Eetvelde, M. Gouverneur; Pierre Graux; G. Grimard ; L. Guinotte ; P.-E. Janson ; Baron A. Janssen ; Eug. Keym ; S. Lamm ; Hector Leclercq ; Omer Lepreux ; Ernest Mélot ; Xavier Neujean; L. Ilossum ; H. Samuel ; Edmond Stallaerts ; William Thys ; E. Vanderborght ; Raym. Vaxelaire ; G. Vaxelaire ; etc., etc. L'abonnement ordinaire est de : 25 francs par an (18 volumes). Ceux des volumes qui seront mis en librairie y seront vendus au prix de 4 francs en moyenne : l'avantage de l'abonnement est donc considérable. Pour l'étranger, l'abonnement annuel est de 30 francs. On souscrit chez Dechenne, 14, galerie du Roi, aux exemplaires de luxe, sur Hollande, numérotés (180 fr. l'an). Ces exemplaires, tirés à petit nombre, ne tarderont pas à être très recherchés des bibliophiles. *** Nous prions instamment nos abonnés actuels de faire, dans leur entourage, en faveur des Cahiers Indépendants, une active propagande. Nous joignons à chaque volume une carte d'abonnement, à remplir. Nous prions instamment nos abonnés actuels de collaborer à une tentative nécessaire, en amenant aux Cahiers Indépendants de nouveaux et nombreux souscripteurs. Ainsi cette tentative littéraire n'échouera pas — ce qui sera, en Belgique, un fait digne de mémoire. Que les demandes d'abonnement soient adressées aux directeurs des Cahiers Indépendants (R.-E. Mélot et Paul Colin), 8, rue de la Tribune, Bruxelles. LES CAHIERS INDÉPENDANTS sont une collection littéraire destinée à faire connaître les écrivains belges, tant à l'étranger que dans leur propre pays. Ils publient annuellement douze oeuvres complètes (poèmes, romans, drames, études littéraires et philosophiques) et six cahiers de " documents " se rapportant à la vie artistique contemporaine. Les Cahiers Indépendants se vendent, par abonnement, au prix de 25 francs l'an (/8 volumes). Etranger : 30 francs PARAITRONT : Sn mai 1919 : Nocturnal, contes, de Franz Hellens ; » juin : L'Idole Portative, poèmes de R.-E. Mélot; » juillet : La Cadran solaire, roman de Paul Colin; » août : Les Eaux-Mortes, drame, de Marguerite Duterme ; » septembre ■ Etudes sur Dcstoïewsky, de Henry Dom-martin; etc., etc. On trouvera à la fin du présent volume une notice détaillée sur les Cahiers Indépendants. Adresser les demandes d'abonnement aux directeurs des Cahiers Indépendants,8, rue de la Tribune, Bruxelles. PRIX DE CE CAHIER : 4 FRANCS