EDMOND PICARD Désespérance de Faust prologue pour le theatre en iv scènes Frontispice par Odilon Redon, gravé par Louise Danse bruxelles <) Paul LACOMBLEZ, Editeur 31, rue des paroissiens, 31 I904 Désespérance de Faust DU MÊME AUTEUR œuvres de theatre Discours sur le Renouveau au Théâtre. Désespérance de Faust, Prologue pour le théâtre en 4 scènes. Jéricho, Comédie-drame en 3 actes. Fatigue de Vivre, Comédie-drame en 4 actes. Psuké, Dialoguepour le théâtre en un acte et neuf scènes. Frontispice dessiné et gravé par Louise Danse. Le Juré, Monodrame en 5 actes. — Frontispice par Odilon Redon, gravé par Louise Danse. POUR PARAITRE Ambidextre journaliste, Comédie-drame en 5 actes. Le Téméraire, Drame historique en 8 tableaux. EDMOND PICARD Désespérance de Faust PROLOGUE POUR LE THEATRE EN IV SCÈNES Frontispice par Odilon Redon, gravé par Louise Danse bruxelles Paul LACOMBLEZ, Editeur 31, rue des paroissiens, 31 1904 Tous droits réservés 'anâe Que ce « Kakémono », où le Génie a pleuré la misère de la cervelle humaine à la recherche infi7iie de /'Au - delà solliciteur et impénétrable, soit le résumé des heures tristes de ma Vie et des pages sombres de mes Œuvres. Kosino Kusi : Le Japon triste. PERSONNAGES Le docteur Faust, septuagénaire. Wagner, son élève familier, 20 ans. L'Esprit de la Terre, fantôme. Chœur des Saintes Femmes. Chœur des Disciples. Chœur des Anges. La scèjie est chez Faust, vers la fin du Moyen-Age, dans une vieille ville de l'occident de l'Europe. DESESPERANCE DE FAUST premier tableau de la tragédie de goethe La nuit. — Une chambre gothique. — Faust assis à son pupitre dans un fauteuil à haut dossier; devant lui le Livre de Nostradamus. SCÈNE PREMIÈRE. Faust, seul. Hélas ! j'ai tout creusé dans ma fiévreuse ardeur ! La science déjà n'a plus de profondeur Où l'étude n'ait fait descendre ma pensée. Et quel but ai-je atteint dans cette œuvre insensée? Me voici, pauvre fou, sage comme au départ. Des vains noms de l'orgueil, il est vrai, j'ai ma part : On me nomme Docteur, Maître ; un troupeau crédule D'écoliers ignorants marche sous ma férule ; Depuis dix ans on vient pour m'entendre et me voir ; Depuis dix ans je sais qu'on ne peut rien savoir ! Voilà ce dont mon âme est presque consumée ! Oui, je suis plus savant que la stupide armée Des moines et des clercs, des maîtres, des docteurs ; Ce qu'ils ont entassé dans leurs livres menteurs Je le sais, — mais je n'ai recueilli que le doute. Rien pour montrer à l'Homme où le mène sa route, Rien pour le consoler et le rendre meilleur. Etait-ce un pareil lot que le Destin railleur Réservait à mes durs travaux, à mes souffrances, Au sacrifice entier des douces espérances Qui chantaient dans mon cœur au printemps de mes jours ? La gloire, les plaisirs, les honneurs, les amours, Tout ce qui peut donner le bonheur sur la terre, O Travail ! pour vieillir dans ton commerce austère, Je l'ai quitté. La vie, un chien vil, moyennant Ce prix, n'en voudrait pas. — C'est pourquoi maintenant Mon esprit inquiet demande à la magie, Ce que n'ont pu m'apprendre et la théologie, Et la jurisprudence, et l'art du médecin. Si par elle jamais pénétrant dans ton sein, O Nature ! et fouillant tes entrailles profondes, Je découvrais les lois sur lesquelles tu fondes L'organisme éternel de tes secrets trésors, Et n'étais plus contraint, sous de trompeurs dehors, De suer sang et eau, dans mes leçons arides, Pour faire, en rougissant, un trafic de mots vides !— (La lune sort des nuages; ses rayons illuminent les vitraux). Que ne puis-je te voir pour la dernière fois, Lune aux rayons d'argent ! Entre ces murs étroits, Que de fois tu m'as vu veiller à ce pupitre, Dans le calme des nuits. Illuminant la vitre, Ta clarté pâlissante, alors, se répandait Sur les livres poudreux où mon œil se perdait. Hélas ! si je pouvais, là-bas, sur la montagne, Errer dans ta rosée, solitaire compagne ! Me mêler aux Esprits dans les antres profonds, Sur les prés odorants les suivre dans leurs bonds, Voir, sous ton jour douteux, tourbillonner leur danse. Et libre, enfin, de toute angoisse de science, Me baigner sain et sauf dans ton brouillard léger ! — — Dois-je, dans ce cachot, sans trêve me ronger ! Maudit trou de muraille, où le jour ne pénètre Qu'en laissant aux vitraux noircis de la fenêtre Ses rayons les plus chauds, dont ma froide prison Jamais ne connaîtra les feux. Mon horizon, Le voilà : d'un coup d'œil sans peine on le mesure ! Ce sont les murs blanchis de ma triste masure, Ces livres oubliés, dévorés par les vers, Ces parchemins jaunis que la poudre a couverts. Partout autour de moi des papiers et des boîtes, Des drogues remplissant les fioles étroites, Des instruments usés légués par mes aïeux. Voilà mon univers, hélas, voilà mes dieux ! — Ah! ne demande plus pourquoi ton cœur se serre! Pourquoi le Désespoir l'écrase dans sa serre ! Pourquoi ton sang se fige en des douleurs sans nom, Toi, qui, fermant sur toi ce sombre cabanon, Croupis dans la fumée et dans la moisissure ! Non, ne demande plus d'où te vient ta blessure, Toi, qui partout ne sens, en étendant les mains, Qu'ossements d'animaux et squelettes humains ! Toi, qui ne connais plus les sources de la Vie Qui jaillissent du sein de la Nature amie, Et dans ce noir réduit où l'angoisse te mord Entasse autour de toi des emblèmes de mort ! (Saisissant le Livre de Nostradamns). — Adieu ! je vais franchir les plaines de l'espace. Déjà dans le lointain ma misère s'efface. A moi, Nostradamus ! Guide mystérieux, Ton livre m'ouvrira tous les secrets des cieux. Par toi je connaîtrai la marche des étoiles. Si, pour moi, la Nature ose lever ses voiles, Par toi je concevrai, dans mon cerveau surpris, Quelle langue un Esprit parle aux autres Esprits. Sur les signes sacrés en vain mon front se ride, Si pour toucher au but je n'ai qu'un sens aride. IJ faut d'autres moyens ! Esprits, secourez-moi ! Paraissez! Ce n'est plus qu'en vous seuls que j'ai foi. (Il ouvre le Livre et aperçoit le signe du Microcosme). Ah ! comme à cette vue a tressailli mon être ! La vie à flots pressés tout-à-coup me pénètre. En moi frémit sa jeune et sainte volupté. Dans sa chair et son sang mon corps est agité. Est-ce un Dieu qui traça cc signe dont la vue Apaise les douleurs de mon âme éperdue, Dans mon cœur désolé ramène le repos, Et par son seul effort démêle le chaos Où gisaient ignorés les principes du monde ? — Suis-jeun dieu ? — Tout devient si clair.—Mon espritsonde, Sans effort, les recoins cachés de l'Univers. Ses abîmes secrets pour moi se sont ouverts. Des champs de l'inconnu mon œil voit les merveilles. Ah ! je puis oublier mes tourments et mes veilles, Et m'écrier enfin, en tombant à genoux: « Le monde des Esprits n'est pas fermé pour nous! » — Tu doutais de ton cœur, tu doutais de ta force ! La Science pour toi n'était rien qu'une amorce ! Vois, l'aurore se lève et le jour resplendit. A l'orient pourpré la Vérité grandit. Debout ! secoue, enfant, la torpeur qui t'accable, Baigne-toi, baigne-toi, penseur infatigable, Dans l'océan nouveau qui s'ouvre devant toi! — Comme se soumettant à la commune loi, Tout se meut sans repos pour l'œuvre universelle ! Comme du feu divin la splendeur étincelle ! Comme s'organisant dans un ordre profond, Tout s'agite et se mêle et rien ne se confond ! Comme le chœur puissant des forces éternelles Plane au bleu firmament soutenu par leurs ailes ! L'œil suit avec amour leur groupe harmonieux Descendant vers la terre ou montant vers les cieux.. Comme, s'échelonnant sur leur route infinie, Elles versent partout la lumière et la vie ! Je vois entre leur mains circuler les sceaux d'or, Et leurs pas se régler aux sons lointains du cor. Quel spectacle sublime ! — Hélas ! rien qu'un spectacle.. O Nature, où pouvoir te saisir ? Quel oracle Me dira dans quels lieux je puis vous découvrir, Vous qui rendez la force aux cœurs las de souffrir.. O sources de la vie, auxquelles se suspendent Et la terre et le ciel ? Vos mamelles répandent Leur lait pur par torrents, et les êtres flétris Vont s'y désaltérer et reviennent guéris. De votre suc puissant vous abreuvez le Monde. Et moi je ne bois pas cette liqueur féconde, Et me consume en vain!... (Il tourne le feuillet et aperçoit le signe de l'Esprit de la Terre). Par quel effort nouveau Ce signe, tout-à-coup, transforme mon cerveau. Tu n'es pas loin de moi, sombre Esprit de la Terre.. Mes muscles sont plus forts; sous ma tempe, l'artère Palpite avec l'ardeur que donne le vin vieux. Oui, je me sens le cœur de déserter ces lieux Pour courir les pays et chercher aventure, Pour affronter les maux de l'humaine nature, Et son bonheur. Pour oser lutter avec le flot Quand gronde la tempête, et, hardi matelot, Demeurer impassible au milieu d'un naufrage. (La lampe pâlit; on entend le tonnerre). Quoi! Le ciel s'obscurcit. —J'entends gronder l'orage. — La lune disparaît. — Ma tempe est en sueur. — Sur ma tête voltige une rouge lueur. — Un frisson pénétrant a glissé dans mes veines. — Esprit que j'évoquais, on a rompu tes chaînes; Près de moi je te sens. Apparais! Montre-toi! Je suis tout pénétré d'un invincible effroi! Plein d'un trouble inconnu mon cœur tremble et palpite. Mon être tout entier vers toi se précipite. Apparais ! je le veux, quand tu serais la Mort ! (Il saisit le Livre et fait tragiquement le signe de l'Esprit. Une flamme s'élève en tremblottant, l'Esprit apparaît). SCÈNE II. Faust, l'Esprit. l'Esprit. Qui m'appelle ? Faust, se levant. O terreur! l'Esprit. Par un vaillant effort, Tantôt tu m'as contraint de quitter mon royaume. Et maintenant... Faust. Malheur! ta présence, ô Fantôme, M'accable. l'Esprit. A m'appeler, tu t'épuises... Tu veux, Sur la sphère où j'habite, entendre mes aveux. A l'évocation puissante de ton âme Je cède ; me voici ! Quelle terreur de femme Te prend, toi surhumain ? Où donc sont ces ardeurs ?' Où donc est cette soif des célestes splendeurs ? Est-ce toi dont la voix sonnait à mes oreilles ? Qui vers moi t'élançais avide de merveilles ? Est-tu bien Faust ? Réponds, ô tremblant vermisseau, Que mon souffle a courbé comme un faible arbrisseau. Quoi! je te vois pâlir et mourir d'épouvante! Est-ce bien là celui qui d'être Faust se vante? Faust. Assez ! Je ne crains plus ton aspect infernal. Approche ; je t'attends. Je suis Faust, — ton égal. A ton tour réponds-moi. Qui donc est-tu ?... l'Esprit. J'affronte Les orageux conflits de l'action. Je monte Et descends dans les flots de la Vie. Et, partout, Je flotte sans relâche, animant le grand Tout. Je donne la naissance, et je scelle la tombe. Par moi la vaste mer se soulève ou retombe. Sur les tissus changeants j'attache les couleurs. Dans les prés embaumés mes doigts ouvrent les fleurs. Sous mon souffle brûlant, le Monde entier tressaille. Sur le métier bruyant du Temps, ma main travaille Pour le manteau vivant de la Divinité. Faust. Infatigable Esprit, qui voyage emporté Dans l'espace infini, combien je te ressemble ! l'Esprit. A moi ? Non. — Dis plutôt aux chimères qu'assemble Ton cerveau. Faust. Pas à toi ! Mais à qui donc alors ? Hélas ! Pas même à toi ! Moi qui croyais mon corps Et mon âme formés sur un divin modèle ! (Wagner, disciple de Faust, frappe à la porte; l'Esprit disparait). Eh! c'est mon famulus. Que maudit soit son zèle! L'importun ! Voilà tout mon bonheur à néant. Pourquoi faut-il qu'il vienne à cette heure, où, béant, S'entrouvrait tout-à-coup un monde de mystères. SCÈNE 111. Faust, assis, Wagner. Wagner. Pardon, si j'ai troublé vos études austères. Vous parliez haut tout seul. Pour tromper votre ennui Sans doute vous passiez les heures de la nuit A déclamer des vers de Sophocle ou d'Eschyle ? La déclamation est un art fort utile Aujourd'hui. Je voudrais m'y pousser quelque peu. On dit que, pour un bon comédien, c'est un jeu De prêcher un sermon mieux que ne saurait faire Un bon prédicateur. Faust. Quand celui-ci n'est guère Qu'un comédien. Ce qui certes peut arriver Quelquefois. Wagner. Oh ! lorsqu'on est toujours à rêver Au fond d'un cabinet, et qu'on ne voit la rue Et les gens que d'en haut, par une longue vue. Loin de tout, hors de tout, c'est une illusion, De vouloir inspirer la persuasion ? Faust. Nul ne doit espérer pouvoir jamais l'atteindre, S'il demande sa force à l'art honteux de feindre ; Si ce que dit sa voix de l'âme ne descend, Et si son cœur ému ne lui dicte l'accent Qui seul touche les cœurs de la foule attentive. Isolez la pensée et tenez-la captive. Amalgamez des mots, faites vous un ragoût Malsain, digne en tous points de donner le dégoût; A force de souffler sur votre tas de cendre Parvenez, s'il se peut, à le forcer de rendre Une pâle lueur ; les enfants et les sots, Si cela vous suffit, priseront vos vains mots. Mais, à moins que du cœur la parole ne coule, Vous n'aurez pas d'écho dans les cœurs de la foule. Wagner. C'est pourtant le débit qui mène l'orateur A la fortune. Hélas ! de pareille hauteur, Que je suis encor loin! Faust. Evitez l'imposture De ces bavards menteurs qui fardent la Nature. Qui disent: toutestgrand, lorsque grands sont les mots. Ne soyez pas un fou secouant ses grelots. Le bons sens, la raison n'ont pas, pour se produire, Besoin de tant d'apprêts, et quand on veut traduire Une grave pensée, il est hors de propos D'arroser son sujet de phrases, à grands flots. Oui, les discours brillants où la sottise entasse, Sous les dehors menteurs d'une riche surface, D'absurdes lieux communs, sont stériles et froids Comme les vents brumeux qui soufflent dans les bois, Quand l'automne a séché la tremblante verdure. Wagner. L'Art est long, et pourtant la vie hélas ! ne dure. Souvent quand, plein d'ardeur, je suis à travailler, Dans ma tête et mon cœur je vois tout s'embrouiller. Que de difficultés pour aborder la source ! Avant d'avoir fourni la moitié de la course, Un pauvre diable peut fort bien trouver la mort. Faust. Les parchemins sont-ils la source où l'homme fort Doit apaiser la soif qui ronge sa pensée ? Ton âme par l'espoir ne sera caressée •Que lorsque dans ton cœur la source aura jailli. Wagner. D'un doute, cependant, je me sens assailli. N'est-ce pas un plaisir que de voir comme un sage Avant nous a pensé. Puis comme, dans notre âge, Nous l'avons vaillamment dépassé de si loin ? Faust. Vous croyez cela, vous, dans votre petit coin ? Des temps évanouis peu de chose se livre ! Les siècles pour nos yeux, mal ouverts, sont un livre Fermé par sept cachets. Tout ce que l'on écrit Sur l'esprit du passé, n'est souvent que l'esprit De nos docteurs pédants, où ce passé s'invente. Et que sont, en effet, ces œuvres que l'on vante ? Des misères, hélas ! et le premier coup d'œil Arrête le lecteur prêt à franchir le seuil ; Des oripeaux usés, d'absurdes jongleries, Quelquefois, tout au plus, de plates vieilleries, Marchant à grand spectacle et tramant un fatras De mots vides de sens tombant avec fracas ; De prétendus héros déclamant des sornettes, De risibles pantins et des marionnettes. Wagner. Chacun voudrait pourtant connaître les chemins Du Monde, ou de l'esprit et du cœur des humains. Faust. Oui les connaître. Hélas ! Ce qu'on nomme connaître ! Où donc peut-on montrer un penseur qui pénètre Dans le céleste empire où luit la Vérité ? Oh ! celui qui revint de ce ciel regretté, Et qui fut assez fou pour épancher son àme, On l'a, dans tous les temps, tenu pour un infâme, Méritant la potence ou les feux du bûcher! (On entend sonner minuit au dehors). — Restons-en là, Wagner. Retournez vous coucher. C'est, je pense, minuit qui frappe mon oreille ? Wagner. J'aurais bien volontiers prolongé cette veille Pour ouïr plus longtemps vos discours vénérés. Mais demain, premier jour de Pâques, vous voudrez Sur trois ou quatre points m'ouvrir la certitude. Sans trêve avec ardeur je m'adonne à l'étude. Certes, je sais déjà beaucoup de choses, mais Je voudrais tout savoir! (Il sort). SCÈNE IV. Faust, seul. Et dire que jamais L'illusion ne fuit le cerveau qui s'attache A des riens. Dans le sol où l'inconnu se cache Il pioche, espérant trouver l'or au boisseau ; Et pousse un cri de joie au moindre vermisseau. — O le plus médiocre enfant de notre race, Faut-il que dans ces lieux, à cette même place Où tantôt des Esprits j'étais environné, Ta misérable voix, hélas ! ait résonné ! N'importe, cette fois, je bénis la Fortune De m'avoir envoyé ta visite importune. Déjà je chancelais au bord du désespoir ! Dans son gouffre sans fond ma raison allait choir. Ah ! l'apparition se dressait gigantesque Et je me suis senti, près d'elle, un nain grotesque — Je me croyais semblable à la Divinité. J'allais, ivre d'amour, toucher la Vérité. Dans son miroir divin mon ardente prunelle Regardait resplendir la lumière éternelle. Plein d'une volupté sublime, sur son sein Mon esprit frémissant dépouillait l'être humain. Déjà je me croyais plus grand que les archanges. Mon âme, libre enfin, avait rompu ses langes, Et prenait son essor vers un autre horizon. — Mais hélas ! quel délire égarait ma raison ! Ainsi qu'un coup de foudre, une seule parole M'a brisé. — Je le sens, mystérieux Symbole, Mon être avec le tien ne peut se mesurer. Par un charme puissant si j'ai pu t'attirer, L'art de te retenir pour moi reste un problème. Ah! je me suis senti dans cet instant suprême, Si petit et si grand! Mais tu m'as rejeté Dans le trouble où se perd la triste humanité. Maintenant que je t'ai perdu, qui va m'instruire ? Que dois-je conserver et que dois-je détruire ? Pour l'homme, en cette vie, où trouver du secours ? Qu'il marche ou qu'il s'arrête, il la trouble en son cours. — A tout ce que l'esprit conçoit de grandiose La Matière brutale incessamment s'oppose. Quand nous avons atteint cette pâle lueur Que, dans notre bas monde, on nomme le Bonheur,. Nous traitons sottement de mensonge et de rêve Tout élan qui, plus haut que ce bonheur, s'élève, Et les feux dont nos cœurs devraient être échauffés Sous de vils intérêts s'éteignent étouffés. — L'imagination d'un vol puissant aspire D'abord à l'Infini. Mais un coin va suffire, Bientôt, à renfermer les informes débris De ses rêves brillants dispersés et meurtris. C'est l'heure où le soupçon dans notre cœur se glisse; Nous souffrons sourdement son incessant supplice ; Il s'agite, et corrompt bonheur, plaisir, repos ; Partout nous découvrons des ruses, des complots ; Nous craignons le poison, le poignard, l'eau, la flamme. Nos voisins, nos amis, nos enfants, notre femme. Ce qu'il ne faut pas craindre, hélas ! nous fait frémir! Ce que nous n'avons pas perdu nous fait gémir ! — A la Divinité dans un rêve éphémère J'osais me comparer. Non, je sens ma misère ! Je vois jusqu'où l'orgueil humain doit reculer. C'est au ver seulement que je puis m'égaler. Il fouille la poussière, ou nage dans la fange, Il aime à se nourrir de leur impur mélange, C'est là qu'il naît, qu'il meurt, qu'il souffre et qu'il jouit, C'est là que le passant l'écrase et l'enfouit. — Tout ce qu'on voit ici n'est-il donc pas poussière ? Et que renferme donc cette chambre grossière? De quoi sont encombrés ces rayons de sapin ? Que sont donc ces miliers d'oripeaux dont est plein Le taudis vermoulu qui me tient lieu de monde ? Ce qui me manque est-il dans leur fatras immonde ? Irai-je parcourir ces livres entassés Pour y voir que, partout, les hommes sont lassés De chercher le Bonheur, et qu'un heureux à peine Remonte le courant de la misère humaine ? (Ses regards s'arrêtent sur une tête de mort). Et toi, crâne hideux, par ton ricanement Me dis-tu que l'esprit qui, misérablement, T'habitait, s'est perdu comme moi dans sa route ? Tu cherchais, n'est-ce pas, dévoré par le doute, La lumière éternelle, et dans l'obscurité Tu succombas, avec ta soif de vérité ? — O science menteuse, oui, de moi tu te joues, Avec tes instruments, leurs leviers et leurs roues. Hélas ! au beau pays dont je suis exilé, Ils devaient me conduire et me servir de clé. Même à l'éclat du jour mystérieuse encore, La Nature se plaît à savoir qu'on l'ignore ; Ce qu'elle veut cacher nous le cherchons en vain. Nos efforts ne pourront l'arracher de son sein. Hélas! vieil attirail dont je n'ai su que faire, C'est parce que jadis tu servis à mon père Que je te trouve ici sous mon œil vagabond. Et toi, vieille poulie accrochée au plafond, Te voilà toute noire et couverte de suie. Pendant combien de nuits ma lampe t'a noircie ! — Mieux eut valu, cent fois, dissiper à plaisir Le peu dont j'héritai, plutôt que de moisir Sous le fardeau mesquin de « ce peu » misérable. Le bien de nos aïeux n'est un bien honorable Que si notre travail l'a marqué de son sceau. Ce dont on n'a que faire est un pesant fardeau. Rien ne vaut s'il ne sert dans le moment qui passe. (Ilfixe les yeux sur une fiole) » —Mais d'où vient que mon œil s'attache à cette place? Cette fiole est-elle un aimant pour mes yeux? D'où vient que tout-à-coup sur mon front soucieux Une douce lueur se répand et m'inonde ? On dirait que perdu dans la forêt profonde, Et suivant, seul, dans l'ombre un sentier écarté, La lune étend sur moi sa tremblante clarté. (Il se lève, saisit la fiole et la contemple). O fiole, salut! En toi j'ai confiance! J'honore en toi l'esprit de l'homme et sa science. Salut ! Je te saisis avec recueillement, Bienfaisante liqueur, qui verse doucement Le sommeil. Tu contiens les puissances subtiles De la Mort ! Livre-moi les sucs que tu distilles. Je te vois, et déjà se calme ma douleur ! Je te prends, et déjà je sens moins mon malheur ! Et le trouble sans nom de mon cœur diminue. (Avec exaltation). Mon esprit soulagé s'élève vers la nue ! Je plane sur les monts ! à l'horizon lointain Une aurore nouvelle annonce le matin. De la mer sous mes pieds brillent les flots limpides. Un char de feu, vers moi, sur des ailes rapides Accourt. J'y vais monter. Je saurai parcourir Les champs resplendissants des sphères, et m'ouvrir Des chemins ignorés vers l'activité pure. Quel espoir enivrant déjà te transfigure ! Ces voluptés du ciel, ce splendide avenir Tu n'es qu'un ver de terre, et crois les obtenir?... Tu le peux ! il suffit de fermer ta paupière Aux rayons sans chaleur du soleil de la terre. L'heure est venue. Allons. Courage ! Ose enfoncer Ces portes devant qui l'on frémit de passer. Il est temps de briser résolument ta chaîne. Il est temps de montrer que la grandeur humaine N'est en rien au dessous de la grandeur des dieux. Arrivons sans frémir à l'heure des adieux. Ne tremblons plus au seuil des sphères inconnues Dont l'Enfer, nous dit-on, défend les avenues. Il est temps de franchir avec sérénité Ce pas mystérieux, dussé-je être jeté, Dans l'éternelle nuit qui règne sur le vide ! (Il va prendre une cotipe et y verse le poison). De ton antique étui sors, ô Coupe limpide Si longtemps oubliée ! Aux fêtes des aïeux Jadis resplendissait ton cristal radieux, Et lorsque tu passais dans les mains des convives Souriaient les vieillards aux figures pensives. Dans les festins heureux des anciens jours, c'était Le devoir du buveur de te vider d'un trait, Et, par des vers joyeux, de chanter ta richesse. Tu fais revivre en moi les soirs de ma jeunesse. Pauvre amie, aujourd'hui je ne t'offrirai pas Aux voisins assemblés autour d'un gai repas. N'espère pas non plus que, maintenant, je vante L'artiste à qui tu dois ta parure savante. Un liquide puissant repose entre tes bords ; Mes mains ont préparé ses funèbres trésors ; Je veux qu'il soit pour moi le suprême breuvage. Mon pied de l'inconnu va toucher le rivage. J'entrevois du divin le glorieux séjour. Le jour paraît : je bois à la splendeur du jour ! (Il porte la coupe à ses lèvres. Des cloches annoncent le jotir de Pâques; on entend résonner des chants). Musique et chœur des anges, da?is les frises. Hosannah ! le divin Sauveur De la mort a brisé l'étreinte. Pauvres pécheurs, soyez sans crainte ! C'était pour vous, qu'avec son front rêveur, Il a, pendant trente ans, sans pousser une plainte, Suivi, pauvre et souffrant, les sentiers du labeur. Pauvres pécheurs, soyez sans crainte ! En vain, dans ses replis, le serpent du péché Vous enlace et voudrait fuir sa volonté sainte ! Du Christ pour vous le sang divin s'est épanché. Pauvres pécheurs, soyez sans crainte ! Faust. Quel bourdon solennel ! Quels chants sereins et purs ! Quel céleste concert, pénétrant dans ces murs, Ecarte du poison mes lèvres frémissantes ! Annoncez-vous déjà, cloches retentissantes, Que de Pâques l'aurore a brillé dans les cieux ? O chœurs, répétez-vous les chants harmonieux Qui sortirent jadis de la bouche des anges, Lorsque du Christ sauveur ils disaient les louanges, Et qu'annonçant partout sa résurrection, Ils répandaient la joie aux plaines de Sion ? Musique et chceur des femmes, au dehors. Nous avions parfumé sa dépouille divine Avec les herbes de nos champs. Sous un humble linceul en lin de Palestine Il reposait, loin des méchants. Les étoiles au ciel surgissaient rayonnantes Quand, à la lueur d'un flambeau, Nous avons soulevé, de nos mains frissonnantes, La froide pierre du tombeau. Mais, aujourd'hui, la tombe est vide de son hôte. Ses restes sacrés n'y sont plus. Ses gardiens nonchalants seraient-ils donc en faute ! Qu'a-t-on fait du corps de Jésus ! Musique et chœur des anges, dans les frises. Hosannah ! le divin Sauveur De la mort a brisé l'entrave. Heureux le pauvre, heureux l'esclave! Heureux celui qui souffre et vit humble de cœur ! Le Seigneur courbera le puissant qui le brave. C'est aux infortunés qu'il donne sa faveur. Heureux le pauvre, heureux l'esclave ! Heureux celui qu'on frappe et qui ne le rend pas. Les anges ont pour lui leur sourire suave, Et, descendant des cieux, voltigent sur ses pas. Heureux le pauvre, heureux l'esclave ! Faust. O cantiques du ciel, si puissants et si doux, Dans ma misère, hélas! pourquoi me cherchez-vous ? Allez en d'autres lieux porter votre harmonie. Je ne tressaille plus à votre voix bénie. Votre divin message arrive jusqu'à moi, Mais comment y croirai-je : il me manque la Foi ! Et la foi seule, hélas ! du miracle est la mère. Mon esprit ne sait plus s'élever vers la sphère D'où la bonne nouvelle au fond du cœur descend. Mon enfance crédule a connu son accent, Et ce doux souvenir me rattache à la vie. Le dimanche, autrefois, dans mon âme ravie, Un chaud rayon d'amour descendait du ciel bleu. C'était comme un baiser de la lèvre de Dieu. Les cloches remplissaient mon être d'allégresse. Quand je priais, mon cœur débordait de tendresse, Et je croyais goûter le bonheur des élus. Dans les champs verdoyants, sous les bois chevelus, Me poussait une ardeur sereine, inexprimable. Perdu dans les taillis ou couché sur le sable, Je sentais dans mes yeux les larmes affluer, Et dans mon âme ardente un monde remuer. Cette cloche annonçait aussi l'heure attendue Où les jeux remplaçaient l'étude suspendue, Et l'heure où revenaient les fêtes du Printemps. — Oui, ces plaisirs si purs dissipés par le temps, Ces souvenirs lointains des jours de mon enfance, Raniment dans mon cœur la joie et l'espérance, Et chassent loin de moi le désir de la mort. O chants, dont la douceur me caresse et m'endort, Vibrez, de vos accords, inondez l'atmosphère ! Mes pleurs coulent : je suis reconquis par la Terre ! (Il se laisse tomber dans son fauteuil, le front entre les mains.) Musique et chœur des disciples, au dehors. Déchirant son sanglant suaire, Le Christ a fui son ossuaire ! Au milieu d'un nuage d'or Vers le ciel radieux il a pris son essor. Il voyage à travers l'espace Vers son royaume redouté. On voit rayonner sur sa face L'éclat resplendissant de sa divinité. Au ciel la conduira sa route solitaire ! Mais nous, hélas ! nous demeurons Tristement fixés à la terre. Spectateurs du divin mystère, Quand donc viendra, Seigneur, l'heure où nous te suivrons? Tu vas retrouver ta patrie. O Jésus ! quand reverrons-nous, L'éclat de ton œil fier et doux Qui répandait la joie et nous donnait la vie ? Musique et chœur des anges, dans les frises, comme en rêve. Hosannah ! le divin Sauveur Sort, resplendissant, de la tombe ! Esclave, que ta chaîne tombe ! Jésus t'a délivré de ton pesant labeur. A nos yeux éblouis le Sauveur va paraître. Venez tous saluer votre glorieux Maître, Cœurs dévorés d'amour pour son verbe divin ! Cœurs où la pitié pénètre! Que les douleurs d'autrui n'invoquent pas en vain, Et qui partagez votre pain Avec les malheureux que vous nommez vos frères ! Cœurs remplis par la Foi, qui, partout, proclamez Les saintes vérités et les sacrés mystères, Et faites retentir vos églises austères De chants dont au ciel pur les anges sont charmés! (Faust s'est endormi. La musique continue, diminue et s'éteint.) FIN mm PAUL LACOMBLEZ, Editeur, Bruxelles. Ecrivains Belges Arschot (Comte d') Sourires perdus..... Courouble (!_.)• Mes Pandectes, préface par Edmond Picard Notre langue . , . . . • Profils blancs et Frimousses noires, illustré Images d'Outremer, illustré .... La famille Kaekebroeck. . Pauline Platbrood...... Les Noces d'Or...... De Coster (Charles). La légende d'Ulenspiegel . . .. — Légendes flamandes .... De Haulleville (Baron). En vacances...... Portraits et Silhouettes, 2 vol. à. J. M. J. Bodson..... Delattre (Louis). Contes de mon village..... Les miroirs de jeunesse ..... Demolder (Eugène). Contes d'Yperdamme . Destrée (Jules). Journal des Destrée ... Eekhoud (G.)* Les fusillés de Malines..... La nouvelle Cartilage (édit. définitive) . Nouvelles Kermesses..... Au siècle de Shakespeare. .... Emerson. Sept Essais, avec préface de Maeterlinck Garnir (George). Les Charneux, roman...... — Contes à Marjolaine ...... Greyson (Emile). A travers passions et caprices ... Krains (H.). Histoires lunatiques . . ...... Lichtervelde (Cle G. de). Légendes de l'inconnu géographique. Maeterlinck (M.) Théâtre, 3 volumes à. Les sept princesses, drame..... Serres chaudes. — Quinze chansons. — ~ L'Ornement des Noces spirituelles . Les disciples à Saïs et Fragments de Novalis M au bel (Henry). Etude de jeune fille..... — Quelqu'un d'aujourd'hui ..... Philippe (Marie). Les Enfants sur la Scène..... Picard (.Edmond). Scènes de la vie judiciaire : Paradoxe sur l'Avocat, — Là Forge Roussel. — L'Amiral. — La Veillée de l'Huissier.— Mon Oncle le Jurisconsulte — El Moghreb al Ali sa (Mission belge au Maroc) . En Congolie........ Monseigneur le Mont-Blanc .... Vie simple........ Le Sermon sur la montagne et le Socialisme Comment on devient Socialiste .... L'Aryano-Sémitisme ...... Désespérance de Faust, prologue pour le théâtre, il Jéricho, Comédie-drame en 3 actes Fatigue de vivre, Comédie-drame en 4 actes Psuké, Dialogue ponr le théâtre, en 1 acte, illustré Le Juré, Monodrame en 5 actes, illustré Pierron (Sander). Pages de Charité...... — Les délices du Brabant . . . . Ruyters (A.). Les mains gantées et les pieds nus . . . Sigogne (Emile). Contes merveilleux ...... L'art de parler . . . . Tordeus (Jeanne •. Manuel de prononciation..... Van Dobrslaer (Hector). Sur l'Escaut, préface par Edmond Picard Van Lerberghe (Charles). Les Flaireurs..... Van Zype. — NOS PEINTRES. I : Baertsoen, Courtens, Laerman Levêque, Lynen, Ronner, Stobbaeris, Yanaise. U grand volume avec 8 phototypies .... II : Fabry, Bernier, Frédéric, Gilsoul, Gouweloos, R. Janssens, Mathieu, J.,Smits. Un grand volume avec 8 phototypies ...... Waller (Max). Daisy, roman .... . 3 » 3 50 1 » 3 50 3 50 3 50 3 50 3 5° 3 50 3 50 3 5° 2 ço 3 » 2 » 3 » 2 50 3 » 3 » 3 50 3 50 3 50 3 » 3 50 3 50 3 »