mrnmm^mm "WlTHOUD WeeKHouo1 Cl KHOUD CCKHOUD LES VILLAGES ILLUSOIRES PAR EMILE VERHAEREN VoLUiME ORNÉ DE QUATRE IMAGES PAR GEORGES MINNE. COLLECTION DU « RÉVEIL » à BRUXELLES Chez EDMOND DEMAN, Libraire 16, RUE D'ARENBERG MDCCCXCV mmmmm EMILE VERHAEREN LES VILLAGES ILLUSOIRES Ornés de quatre images par Georges Minne COLLECTION DU « RÉVEIL » .4 BRUXELLES CHEZ EDMOND DEMAN, LIBRAIRE 16, rue d'oArenberg MDCCCXCV r LE ToASSEUTl T)' Ed4U Le passeur d'eau les mains aux rames CA contre flot, depuis longtemps, l^amait, un roseau vert entre les dents. <£Mais celle liélas ! qui le hélait çAu delà des vagues, là-bas, Toujours plus loin, par au delà des vagues, 'Parmi les brumes reculait. Les fenêtres avec leurs yeux Et le cadran des tours sur le rivage Le regardaient peiner et s'acharner En un ploiement de torse en deux Et de muscles sauvages. Une rame soudain cassa Que le courant chassa, OA vagues lourdes, vers la mer. Celle là-bas qui le hélait Dans les brumes et dans le vent, semblait Tordre plus follement les bras Uers celui qui n'approchait pas. Le passeur d'eau avec la rame survivante Se prit à travailler si fort Que tout son corps craqua d'efforts Et que son cœur trembla de fièvre et d'épouvante D'un coup brusque le gouvernail cassa Et le courant chassa Ce haillon morne vers la mer. Les fenêtres sur le rivage Comme des yeux grands et fiévreux Et les cadrans des tours, ces veuves Droites de mille en mille au bord des fleuves Fixaient obstinément Cet homme fou en son entêtement CA prolonger son fol voyage. Celle là-bas qui le hélait Dans les brumes, hurlait, hurlait, La tête effrayamment tendue Ders l'inconnu de l'étendue. Le passeur d'eau comme quelqu'un d'airain, Planté dans la tempête blême, 10 QAvec l'unique rame entre ses mains 4"Battait les flots, mordait les flots quand même. Ses vieux regards hallucinés 'Voyaient les loins illuminés lïoii lui venait toujours la voix Lamentable sous les deux froids. La rame dernière cassa Que le courant chassa Comme une paille vers la mer. Le passeur d'eau les bras tombants S'affaissa morne sur son banc, Les reins rompus de vains efforts, Un choc heurta sa barque à la dérive, Il regarda, derrière lui, la rive ; Il n'avait pas quitté le bord. Les fenêtres et les cadrans Q/lvec des yeux béats et grands Constatèrent sa ruine d'ardeur, ■cMais le tenace et vieux passeur Garda tout de même pour Dieu sait quand Le roseau vert entre ses dents. LM TL VIE. Longue comme des fils sans fin, la longue pluie Interminablement, à travers le jour gris, rRâcle les carreaux verts avec ses ongles gris, Infiniment, la pluie, La longue pluie, La pluie. Elle s'effile ainsi depuis hier soir, Des haillons mous qui pendent qAu ciel maussade et noir. Elle s'effile patiente et lente, Sur les chemins, depuis hier soir, Sur les chemins et les venelles, Continuelle. qAu long des lieues, Qiù vont des champs vers les banlieues Tar les routes interminablement courbées, 'Tassent, peinant, suant, fumant, En un profil d'enterrement, Les charrettes, bâches bombées ; Dans les ornières régulières 'Parallèles si longuement Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament, L'eau dégoutte pendant des heures ; Et les arbres pleurent et les demeures, oMouillés qu'ils sont de longue pluie, Tenacement, indéfinie. Les rivières, à travers leurs digues pourries, Se dégonflent sur les prairies Où flotte au loin du foin noyé ; Le vent giffle aulnes et noyers ; Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps, De grands bœufs noirs beuglent vers les deux tors; Le soir approche avec ses ombres Dont les plaines et les taillis s'encombrent Et c'est toujours la pluie La longue pluie Fine et dense, comme la suie. La longue pluie, La pluie — et ses fils identiques Et ses ongles systématiques Tissent le vêtement, aMaille à maille, de dénûment 'Pour les maisons et les enclos Des villages gris et vieillots : Linges et chapelets de loques Qiii s'effiloquent •v • - . . LES VILLAGES ILLUSOIRES Q/lu long de bâtons droits, 'Bleus colombiers collés au toit, Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre, Un emplâtre de papier bistre, Logis dont les gouttières régulières Se crucifient sur des pignons de pierre, (•Moulins uniformes et mornes, Sur leur butte, comme des cornes, Clochers là-bas et chapelles voisines, La pluie, La longue pluie, Tendant l'hiver, les assassijie. La pluie, La longue pluie avec ses ongles gris, oAvec ses cheveux d'eau, avec ses rides, La longue pluie T)es vieux pays, Eternelle et torpide ! - LES TÊCHEU%S. Le site est floconneux de brume Qui s'épaissit en bourrelets oAutour des seuils et des volets Et sur les berges fume. Le fleuve stagne pestilentiel De charognes que le courant rapporte Et la lune semble une morte Que l'on étouffe au fond du ciel. Seules, en des barques, quelques lumières Illuminent et grandissent les dos Obstinément courbés sur l'eau Des vieux pêcheurs de la rivière Qui longuement depuis hier soir Tour on ne sait quelle pêche nocturne Ont descendu leur filet noir Dans l'eau mauvaise et taciturne. qAu fond de l'eau sans qu'ils les voient Couvent et mûrissent les mauvais sorts Qui les guettent comme des proies Et qu'ils pèchent, à longs efforts, Croyant au travail simple et méritoire La nuit, sous les brumes contradictoires. Les minuits durs sonnent là-bas, OA sourds marteaux, comme des glas, De tour en tour les minuits sonnent Les minuits durs des nuits d'automne Les minuits las. Les pêcheurs noirs n'ont sur leur peau cI{ien que des loques équivoques. Et dans leur cou leur vieux chapeau Emiette en eau, goutte après goutte, La brume toute. Les villages sont engourdis Les villages et leurs taudis Et les saules et les noyers Que les vents d'Ouest ont guerroyés. çAucun aboi ne vient des bois C^Qi aucun cri par à travers le minuit vide Qui s'imbibe de cendre humide. Sans qu'ils s'aident ni qu'ils se hèlent En leurs besognes fraternelles i(5 ZSÇj accomplissant que ce qu'il doit Chaque pêcheur pûclie pour soi : Et le premier recueille en les mailles qu'il serre Tout le fretin de sa misère ; Et celui-ci ramène à l'étourdie Le fond vaseux des maladies ; Et tel ouvre ses nasses qAux deuils passants qui le menacent ; Et celui-là ramasse au bord Les épaves de son remord. La rivière tournant aux coins Et s'enlaçant aux caps des digues S'en va — depuis quels jours ? — au loin Vers l'horizon de la fatigue ; Sur les berges les peaux des noirs limons CN^octurnement suent le poison Et les brouillards sont leurs toisons Qui moutonnent jusqu'aux maisons. Dans leurs barques où rien ne bouge T'as même une flamme de falot rouge ^Qimbant de grands halos de sang Le feutre épais du brouillard blanc, La mort plombe de son silence Les vieux pêcheurs de la démence. Ils sont les isolés au fond des brumes, Côte à côte, mais ne se voyant pas : Et leurs deux bras sont las Et leur travail, c'est leur ruine. Ils s'acharnent chacun pour soi rêvant rien, ne sachant quoi, Depuis des ans, depuis des temps, oAvec la peur de chaque instant; £A£' ayant jamais quitté les bords De leur rivière où leurs efforts Tar les brouillards du clair de lune S'en vont pêcher leur infortune. Dites si.dans leur nuit ils s'appelaient Et si leurs voix se consolaient ! SMais ils restent mornes et gourds, Le dos voûté et le front lourd, OAvec, à côté d'eux, leur petite lumière Quifloconne sur la rivière. Comme des blocs d'ombre ils sont là Sans que leurs yeux par au delà Des bruines âpres et spongieuses ZhÇe se doutent qu'il est au firmament oAttirantes comme un aimant Des étoiles prodigieuses. 18 Les pêcheurs noirs du noir tourment Sont les perdus immensément "Parmi les loins, parmi les glas Et les là-bas qu'on }ie voit pas ; Et l'humide minuit d'automne 'Pleut dans leur âme monotone. Depuis ce jour le moulin non-Fait une croix au fond du soir. Tourtant quand tel matin de oMai GAdoucissait le terreau aigre, Le blanc meunier chantait, Chantait allègre. Sa compagne morne et opiniâtre Etait restée Sournoise et entêtée, QAu village, près de son âtre. Z)ers neuf heures, quelqu'un vint du hameau Qui lui remit Ui[i doigt dont on avait volé l'anneau. Vers on$e heures, quelqu'un s'en vint Longeant les bois et le ravin Qui lui jeta dans sa criblure, OAvec rage, une chevelure. LE zMEUy\Ç_IE% m il 1 !|1 y II Quand Vangélus par les plaines tinta, Quelqu'un lui brouetta Un sac où l'on avait caché deux seins Qui haletaient comme un tocsin. Vers trois heures, ce fut un autre Qui s'amena par un sentier coupant l'épeautrc, Très lentement, avec, en ses deux mains terribles, Desyeux fixes comme des cibles. Vers cinq heures, quelqu'un dans un panier Doublé de drap, cerclé d'osier, ■OAvec une tache de sang, au centre, Lui mit devant les yeux Un bloc de chair rouge et hideux Etflasque comme un ventre. Vers sept heures, tous ceux qui s'en étaient venus, ^Mais cette fois, sans peur, par les chemins connus, Un aveugle, deux loqueteux, Un sourd et un boiteux Lui apportèrent l'âme Infâme de sa femme. Jusques alors silencieux Le meunier blanc jeta les yeux Sur la trame dont l'âme Etait tissée et dit : Tins n'y retrouve un seul baiser de ceux Que nous nous donnâmes tous deux Le jour des épousailles blanches ; '.Tlus n'y trouve celui Qii'elle reçut de Jésus Christ oAux saintes tables du dimanche. Et retournant L'âme de boue et de levain Il dit enfin : J'y cherche même et vainement Le baiser blanc de notre enfant. L'aveugle et le boiteux Le sourd et les deux loqueteux S'en allèrent, chacun vers sa misère ; Et le meunier demeuré seul Se mit à coudre son linceul OAu tic-tac dur du moulin noir Qui fait sa croix, sur fond de soir. Ldi T^EIGE La neige tombe indiscontinîiment Comme une lente et longue et pauvre laine 'Parmi la morne et longue et pauvre plaine, Froide d'amour, chaude de haine. La neige tombe infiniment Comme un moment — dMonotone — dans un moment ; La neige choit, la neige tombe, c"Monotone, sur les maisons Et les granges et leurs cloisons ; La neige tombe et tombe aMyriadaire, au cimetière, au creux des tombes. Le tablier des mauvaises saisons 'Violemment là-haut est dénoué ; Le tablier des maux est secoué qA coups de vent, sur les hameaux des horizons. Le gel descend au fond des os Et la misère au fond des clos La neige et la misère au fond des âmes ; La neige lourde et diaphane 24 QAu fond des âtres froids et des âmes sans flamme Qui se fanent dans les cabanes. OAux carrefours des chemins tors Les villages sont blancs comme la mort ; Les grands arbres, cristallisés de gel, QAu long de leur cortège par la neige, Entrecroisent leurs branchages de sel. Les vieux moulins où la mousse claire s'agrège GApparaissent comme des pièges Tout à coup droits sur une butte; - En bas, les toits et les auvents Dans la bourrasque, à contre vent, Depuis U^ovembre luttent ; Tandis qu'infiniment la neige lourde et pleine Choit par la morne et longue et pauvre plaine. cAinsi s'en va la neige au loin En chaque sente, en chaque coin, Toujours la neige et son suaire La neige pâle et mortuaire La neige pâle et inféconde En folles loques vagabondes "Par à travers l'hiver illimité du monde. LE <£WEC^UISIE% Le menuisier du vieux savoir Fait des cercles et des carrés Tenacement, pour démontrer Comment l'âme doit concevoir Les lois indubitables et fécondes Qui sont la règle et la clarté du monde. OA son enseigne au coin du bourg, là-bas, Les branches d'or d'un grand compas — Comme un blason sur sa maison — Semblent deux rais pris au soleil. Le menuisier construit ses appareils — Tas d'algèbres en des ténèbres — QAvec des mains prestes et nettes Et des regards, sous ses lunettes, QAigus et droits sur son travail Tout en détails. Ses fenêtres à gros barreaux voient le ciel que par petits carreaux ; Et sa boutique autant que lui Est vieille et vit d'ennui. Il est l'homme de l'habitude Qu'en son cerveau tissa l'étude qAu long des temps de ses cent ans d"Monotones et végétants. Grâce à de pauvres mécaniques Et des signes talismaniques Et des cônes de bois et des segments de cuivre Et le texte d'un pieux livre Traçant la croix par au travers, Le menuisier dit l'univers. <£Matin et soir, il a peiné Les yeux vieillots, l'esprit cerné, Imaginant des coins et des annexes Et des ressorts malicieux CA son travail chinoisement complexe Où sur le faite il dressa Dieu. Il rabote ses arguments Et taille en deux toutes répliquas Et ses raisons hyperboliques Trouent la nuit d'or des firmaments. Il explique par des sentences Le problème des existences Et raffine sur la substance. 28 I-]£S USAGES illusoires Il s'éblouit du grand mystère Lui donne un nom complémentaire Et croit avoir instruit la terre. Il est le maître en controverses. L'esprit humain qu'il bouleverse Il l'a coupé en facultés adverses. Et fourre l'homme qu'il étriqué, Q-I coups de preuves excentriques, En son système symétrique. Le menuisier a pour voisins Le curé et le médecin Qui ramassent en ses travaux irréductibles Chacun pour soi, des vérités incompatibles. Ses scrupules n'ont rien laissé D'impossible qu'il n'ait casé D'après un morne rigorisme En ses tiroirs de syllogismes. Ses plus graves et assidus clients ? Les gens branlants, les gens bêlants Qui achètent leur viatique Tour quelques sous dans sa boutique. II vit de son enseigiie au coin du bourg — ^Biseaux dorés et compas lourd — Et n'écoute que l'aigre serinette Q/l sa porte, de la sonnette. Il a taillé, limé, sculpté Une science d'entêté, Une science de paroisse Sans lumière ni sans angoisse. Si bien qu'au jour qu'il s'en ira Son appareil se cassera ; Et ses enfants feront leur jouet De cette éternité qu'il avait faite QA coups d'équerre et de réglette. LE SO^SKEU% Comme un troupeau de bœufs aveugles oAvec effarement, là-bas, au fond des soirs, L'ouragan beugle. Et tout à coup par au dessus des pignons noirs Que dresse autour de lui l'église, au crépuscule, cRayé d'éclairs le clocher brille. Le vieux sonneur, la tête folle, La bouche ouverte et sans parole QAccourt ; Et le tocsin qu'il frappe à battants lourds Tangue en tempête Le désespoir qui bat sa tête. La tour çAvec, à son faîte, la croix brandie, Epand vers l'horizon halluciné Les crins rouges de l'incendie. Le bourg nocturne en est illuminé. Le visage des foules apparues 'Peuple de peur et de clameurs les rues Et sur les murs soudain éblouissants Les carreaux noirs boivent du sang. Le vieux sonneur vers la campagne immense Jette à pleins glas, sa crainte et sa démence. La tour, Elle grandit sur l'horizon qui bouge ; Elle est volante en lueurs rouges Tar au dessus des lacs et des marais ; Ses ardoises comme des ailes De paillettes et d'étincelles Fuient dans la nuit vers les forêts ; qAu passage des feux les chaumières s'exhument De l'ombre et tout à coup s'allument, Et dans l'effondrement du faîte entier, la croix Choit au brasier qui tord et broie Ses bras chrétiens comme une proie. Le vieux sonneur sonne si fort qu'il peut Comme si les flammes brûlaient son Dieu. La tour, Le feu s'y creuse en entonnoir Tar au dedans des murs de pierre, Gagnant l'étage et le voussoir Où saute au clair la cloche et sa colère. Les corneilles et les hiboux Tassent avec de longs cris fous, Cognant leur tête aux fenêtres fermées, 'Brûlant leur vol dans les fumées, Hattus d'effroi, cassés d'essors, Et tout à coup, parmi les houles de la foule, S'abattant morts. Le vieux sonneur voit s'avancer vers ses cloches Les mains en or qui bout, de l'incendie. \ brandies La tour O11 la dirait tout en rouges buissons Dont les branches de flamme Se darderaient par à travers les abat-sons ; Le feu sauvage et convulsif entame QAvec des courbes végétales Les madriers et les poulies Et les poutres monumentales D'où les cloches sonnent et clament en folie. Le vieux sonneur à bout de crainte et d'agonie Sonne sa mort dans ses cloches finies. La tour, Un décisif fracas, Gris de poussière et de plâtras La casse en deux de haut en bas. Comme un grand cri tué cesse la rage, Soudainement, du glas. Le vieux clocher Tout à coup noir semble pencher ; Et Von entend étage par étage CAvec des heurts dans leur descente Les cloches bondissantes Jusqu'à terre, plonger. Le vieux sonneur n'a pas bougé. Et la cloche qui défonça le terrain mou Fut son cercueil et fut son trou. 04U COIVSC 1)V "BOIS. OAu coin du bois est un cercueil, OAvec un mort qui tient son œil, OAvec un mort qui tient son cœur, Comme une pierre en sa main droite. Le corps qui donc l'a mis si pâle oAprès les chocs du dernier râle, Qui donc l'a mis pour à toujours Si longuement pâle en sa boite OAvec la pierre en sa main droite? Est-ce son œil, est-ce son cœur, Cette pierre qu'il tient en sa main droite Où l'éclat d'or de soir miroite ? Depuis que livide et tordu Un bûcheron l'a dépendu, La main serre plus fortement La pierre en sang du long tourment. Qu'on emporte le cercueil blanc, 'Vers les lointains du soir dolent, Qii'on emporte le mort, qu'on l'emporte de sorte 35 OA le bercer, au long des grand' routes des saisons Très longuement, à le bercer au désespoir [mortes. Des lourds roseaux brassés aux vents dit soir, Sous les gestes d'orage et de tempête En croix d'éclairs sur sa défaite. Le pauvre ! — hélas, trop faible était sa tête Tour la volante au loin et sautante tempête Et le détraquement de son rêve effaré. 'Pauvre mort, cœur trop vrai, Trop clair d'Elle, trop noir de lui, Qui s'en alla sans un blasphème En fureur seulement contre lui-même! Ce cœur, caillou du tant souffrir, Cet œil, caillou du tant mourir, S'il l'eût jeté vers elle En son visage en fleur eût fait un trou. Elle venait ? de n'importe où. cMais le sourire de ses lèvres Et ses grands yeux, étangs de fièvres, Son rire et ses deux yeux — et puis tel clou Fixe d'orgueil, en leurs cerveaux de fous ! Qu'on emporte le mort en son grand cercueil blanc Vers les lointains du soir dolent, Qu'on emporte le mort, qu'on l'emporte de sorte 04 le bercer, au long des grand' routes des saisons Très longuement, au long de son ennui \mortes Des autres et de lui. Le pauvre, il avait cru Que c'était beau comme le jour L'amour, Obstinément il avait cru Qiie c'était frais comme le vent vivant Et clair comme une île tranquille Sur un lac d'eaux et de soirs immobiles. Le pauvre, il avait cru Qu'entre deux mains données On enferme les destinées, Que la douleur est dans les fables Et que la confiance intacte et ineffable Vaut sur terre, les deux. Qu'on emporte le mort en son grand cercueil blanc. Et vous, vierges des bois Et des chaumières des bruyères Vous, des chapelles et des croix Sur les routes, au coin du bois, Envoyé^ lui vos anges vibrants d'or Qui sur les pauvres défunts pleurent, Tour mettre au ciel comme une étoile Le caillou d'œil ou bien de cœur, Qu'il tient serré dans sa main droite. LE SILENCE. Depuis l'été que se brisa sur elle Le dernier coup d'éclair et de tonnerre, Le silence n'a point bougé Dans la bruyère. QAutour de lui, là-bas, les clochers droits Secouent leur cloche entre leurs doigts, QAutour de lui rôdent les attelages OAvec leur charge à triple étage, QAutour de lui, aux lisières des sapinières Grince la roue en son ornière, dMais aucun bruit n'est asse\ fort Tour déchirer l'espace intense et mort. Depuis l'été de tonnerres chargé Le silence n'a pas bougé Et la bruyère où les soirs plongent Tar au delà des montagnes de sable Et des taillis infinissables, oAu fond lointain des loins, l'allonge. Les vents mêmes ne remuent point les branches Des longs mélèzes qui se penchent Là-bas, où se mirent, en des marais, LES VILLAGES ILLUSOIRES Obstinément, ses yeux abstraits ; Seule, le frôle en leurs voyages L'ombre muette des nuages Ou quelquefois celle, là-haut, D'un vol planant de grands oiseaux. Depuis le dernier coup d'éclair rayant la terre, Tiien n'a mordu sur le silence autoritaire. Ceux qui croisent sa vastitude, Qu'il fasse aurore ou crépuscule, Subissent tous l'inquiétude De l'inconnu qu'il inocule. Comme une force ample et suprême Il reste indiscontinûment le même : Des murs obscurs de sapins noirs 'Barrent la vue au clair vers les sentiers d'espoir ; De grands genévriers songeurs Effraient de loin les voyageurs ; Des sentes étroites et rectilignes Se bifurquent en courbes et lignes malignes, Et le soleil déplace à tout moment Les mirages vers où s'en va l'égarement. Depuis l'éclair par l'orage forgé Le polaire silence aux quatre coins de la bruyère C^'a point bougé. *■ Les vieux bergers que leurs cent.ans disloquent F.t leurs vieux chiens, usés et comme en loques Le regardent parfois dans les plaines sans bruit, Sur les dunes en or que les ombres chamarrent, S'asseoir immensément du côté de la nuit. CAlors les eaux ont peur au pli des mares, La bruyère se voile et blêmit toute, Chaque feuillée À chaque arbuste écoute Et le couchant incendiaire Tait devant lui les cris brandis de sa lumière. Et les hameaux qui l'avoisinent, Sous les chaumes de leurs cassines, Ont la terreur de le sentir là-bas Dominateur, quoique ne bougeant pas ; Cassés d'ennui et d'impuissance, Ils se tiennent sous sa présence, Comme aux aguets — et redoutant de voir, OA travers les brumes qui se desserrent, Soudainement s'ouvrir, dans la lune, le soir, Les yeux d'argent de ses mystères. 4i ., Kft I ! il LE EOSSOYEU% ii i;r P i' Là-bas, Dans le jardin des ifs et des trépas, Depuis toujours un homme bêche La terre sèche. QAutour de lui quelques saules se survivant 'Pleurent — et quelques fleurs navrées D'être éternellement par la pluie et le vent Et la tempête chavirées. Le sol, il n'est que trous et bosses ; C.'lux quatre coins, bâillent des fosses : L'hiver, le froid y fend des pierres L'été, pendant les juins, on y entend 'Par le silence haletant, Vivre la mort qui germe au fond des bières. Depuis des temps qu'il ne sait pas, Le fossoyeur amène et couche en terre Sa durable misère humaine. Et tous les jours, par les chemins circonvalants 1 Ils arrivent les cercueils blancs ; 43 Infiniment, ils arrivent vers lui des loins, D u fond des bourgs, du fond des coins, 'Perdus dans la campagne immense ; Ils arrivent, suivis de gens en noir, OA toute heure, jusques au soir, Et dès l'aube, leurs longs cortèges recommencent Le fossoyeur entend des glas Tout au lointain, sous les deux las, Depuis des temps qu'il ne sait pas. Les cercueils blancs sont pleins de ses douleurs : 'Voici ses désirs fous vers les soirs mortuaires Voici ses deuils d'il ne sait quoi, voici ses pleurs Immobiles pour à jamais, en des suaires. Voici ses souvenirs et leurs regards usés OA venir de si loin par à travers les heures Lui rappeler la peur dont leurs âmes se meurent 'Voici le torse en deux de son orgueil cassé. Voici son héroisme à qui rien ne répond ; Son courage ployant sous sa lourde armature Et sa pauvre vaillance avec des trous au front, Silencieux, et s'en allant en pourriture. _ 'LES VILLAGES ILLUSOIRES Le fossoyeur regarde au loin les chemins lents iMarcher vers lui, avec leurs poids de cercueils [blancs. Ce sont encor ses plus nettes pensées Une à une, sous sa tiédeur, décomposées ; Ce sont ses blancs amours des jours nciifs, Souillés en des miroirs tentateurs et lascifs ; Ce sont ses fers serments muets, faits à soi-même, Qu'il a rayés comme on entaille un diadème ; Et le geste de son vouloir en coup d'éclair Qui git inerte et qu'il ne peut redresser clair. Le fossoyeur au son des glas Hêche le coin des ifs et des trépas Depuis des temps qu'il ne sait pas. Voici son rêve éclos en joie et oubliance Qit'il a lâché dans les prés noirs de la science, Qu'il a vêtu de braise et de flamme cueillies — oAiles rouges — aux vols passants de la folie, Qu'il a lancé parmi les loins inaccessibles Là-bas, vers la conquête en or de l'impossible, 44 Et qui retombe en lui des grands cieuxréfractait-es, Sans même avoir touché l'immobile mystère. Le fossoyeur remue à coups de bêche OAvec ses bras maigres et las — Depuis quels temps ? — la terre sèche. Et les voici pour son angoisse et son remords Les pardons refusés à ceux qui avaient tort. Et les voici les pleurs muets et les prières Qu'il n'a point écoutés dans les yeux de ses frères. Et les voici l'insulte aux humbles et aux doux Et le rire quand ils ployaient les deux genoux. Et le sarcasme aride ou le reniement sombre Devant le dévouement offrant ses mains dans l'ombre. Le fossoyeur ardent et las Cachant son mal au son des glas Fatigue à coups de bêche La terre sèche. Et puis aussi les peurs au bord des suicides Quand l'heure qui remet vainc l'heure qui décide. 45 Et puis le crime et sa terreur qu'il a tâte's OAvec ses maigres doigts furtifs et exaltés. Et puis, sa manie âpre et sa rage fervente D'être celui qui vit de sa propre épouvante. Et puis, le doute immense et l'effroi violent Et la folie avec ses yeux de marbre blanc. Le fossoyeur avec terreur La tête en proie au son des glas Jette sans cesse à coups de bêche Sur son passé la terre sèche. Il regarde les jours tués — et les présents SMâtant chaque sursaut d'avenir frémissant, Tordant entre leurs poings dont les doigts bougent Goutte à goutte, le sang futur de son cœur rouge, cMâchant avec leurs dents qui broyent et cassent La chair de l'avenir pour n'en laisser que la carcasse, Et lui montrant en des cercueils emprisonnés Ses vœux déjà défunts bien qu'ils ne soient point nés. Le fossoyeur entend là-bas Toujoursplus lourd le son des glas 46 LES VILLAGES ILLUSOIRES Tanguer, aux horizons en deuil. Dites ! si les cloches hallucinantes Interrompaient un jour leurs angoisses sonnantes, Si le cortège illimité des morts encombrait plus les grand'routes de ses re- [.mords ! dMais les bières — avec des pleurs et des prières — Immensément suivent les bières Faisant halte près des calvaires, 'Pour aussitôt reprendre à dos d'hommes sur des Leur marche uniforme et morne [civières qAu long des champs, au long des clos, au long des qAu long de l'inconnu d'où l'effroi corne. [bornes Et le vieil homme usé et sans appui Les regardant venir de l'infini vers lui d'autre lot que de cacher, sous terre Sa mort multiple et fragmentaire Et de planter avec des doigts irrésolus — Depuis quels temps ? — il ne sait plus — OA la hâte, des croix dessus. LE VEU^T. Sur la bruyère longue infiniment Voici le vent cornant V^Çovembre, Sur la bruyère infiniment Voici le vent Qui se déchire et se démembre, En souffles lourds battant les bourgs, Voici le vent, Le vent sauvage de CT^ovembre. OAux puits des fermes Les seaux de fer et les poulies Grincent. OAux citernes des fermes Les seaux et les poulies Grincent et crient Toute la mort dans leurs mélancolies. Le vent rafle le long de l'eau Les feuilles mortes des bouleaux, Le vent sauvage de U\Qovembre ; Le vent mord dans les branches Des nids d'oiseaux ; _ Le vent râpe du fer Et peigne au loin les avalanches, ^Rageusement, du vieil hiver, ^Rageusement, le vent, Le vent sauvage de V^Qovembre. Dans les étables lamentables Les lucarnes rapiécées Hallotent leurs loques falotes De vitre et de papier. — Le vent sauvage de Novembre ! — Sur sa butte de ga\on bistre De bas en haut, à travers airs, De haut en bas, à coups d'éclairs, Le moulin noir fauche, sinistre, Le moulin noir fauche le vent, Le vent, Le vent sauvage de CWovembre. Les vieux chaumes à cropetons oAutour de leurs clochers d'église Sont soulevés sur leurs bâtons ; Les vieux chaumes et leurs auvents Claquent au vent, qAu vent sauvage de l"Novembre. Les croix du cimetière étroit, Les bras des morts que sont ces croix, 5° Tombent comme un grand vol T^aba ttu noir contre le sol. Le vent sauvage de UsQovembre, Le vent, L'ave^-vous rencontré le vent CAu carrefour des trois cents routes, Criant de froid, soufflant d'ahan, L'ave^-vous rencontré le vent, Celui des peurs et des déroutes ; L'ave^-vous vu cette nuit-là Quand il jeta la lune à bas, Et que n'en pouvant plus Tous les villages vermoulus Criaient comme des bêtes Sous la tempête ? Sur la bruyère, infiniment, 'Voici le vent hurlant, Voici le vent cornant U^ovembre. LC4 FEcRsME OAT^EU^JTE. Quand le valet chassé, Le regard fou, le cœur cassé, De la ferme sortit, Subitement La fermière rendit l'esprit. qA la morte qui tant aima Le valet blond et son tourment, On vacarma des funérailles Le soir, QAvec, autour du catafalque noir, De grands cierges et des ferrailles. Tuis on couvrit de terre Son adultère. Et le fermier rentra chef lui Et dans son lit il s'endormit. Le valet fou courut le monde Du port d'QAnvers à Trébi\onde, Jusqu'aux pays où l'or nouveau SMonte des mains vers le cerveau Et halluciné autant qu'un vin. Vendant des ans et puis des ans, Il but cet or comme un levain, Tour que chauffât la haine rRégulière, parmi ses veines. Et puis un jour de mâle destinée Z)ers son clocher et vers sa plaine Tout sanguin d'or il s'en revint. La ferme était abandonnée, Depuis la mort que les années GAvaient sur le fermier vannée. Le valet blond refit la métairie; Il regraffa jusques aux toits QAu long des murs fanés et des cloisons pourries La robe en fleur des autrefois : Hadigeon blanc et portes vertes Et coqs entrant par la fenêtre ouverte. La vigne, aux pignons clairs, s'adorna d'or Et dans la chambre où s'accomplit L'amour et puis la mort Il fit dresser comme un trône le lit. LES VILLAGES ILLUSOIRES Les jours encore après les jours passèrent, Lorsqu'en automne enfin les cloches ^Renversèrent hors de leurs poches L'anniversaire. Le. valet blond s'en vint au cimetière Chercher dans son tombeau Celle dont le regard était si beau Et dont le cœur était tout en lumière. Il la dressa devant lui seul Droite et grande dans son linceul, Et l'emporta comme effaré De son crime presque sacré. Il étala le cher squelette QAvec douceur sur les draps blancs. Les vers touffus et ruisselants Lui paraissaient une toilette D'anneaux et de boucles aux hanches. Les crins rouges funèbrement froissés, Qui remuaient leurs avalanches, Il les chauffa de ses baisers. Il prit la morte en ses deux bras fidèles Comme jadis au temps des joies Et le présent s'imprégna d'elle. La chambre était restée amie Et son âme comme nne soie Flottait autour de l'endormie. La lampe et sa flamme d'argent tissée Se souvenait des soirs de l'amoureuse année, Et brûlait là, ainsi qu'une pensée QÂrdente encor de sa chaleur fanée. Les grands meubles en leurs vieux coins, Dont la présence fut témoin De la longue et funèbre absence, Dressaient en l'air leurs panneaux de silence Et surgissaient avec, au fond de leurs serrures, Le bien gardé secret des superbes luxures. Le valet blond comprit dès cet instant, toute sa vie Et que cette heure ne serait D'aucune autre heure désormais Tour lui-même suivie. oAvee ses mains qui ne la sentaient pas, QAvec ses yeux qui ne la voyaient pas, OAvee son cœur aveugle et fou, qA mots fervents, à deux genoux, Il adorait la pourriture De celle hélas qui lui serait l'extrême amour Et qui vivait! puisque son corps voyait le jour, Puisqu'il avait vaincu la sépulture, Et qu'il était comme autrefois à ses côtés. Il se penchait sur l'oreiller fêté, C/lu guet d'une ancienne parole Et répondait comme s'il Ventendait. Le front lui paraissait orné d'une auréole, Les pieds minces dont les grands ongles droits Sortaient des draps sinistrement, Il recouvrait leurs os par peur du froid ; Il s'en allait tel un aimant Vers la gorge déserte et l'épaule flexible, Il sanglotait comme un perdu vers l'impossible, L'esprit anéanti dans la lumière QAveuglante de sa chimère Et sur les dents et sur les lèvres purulentes Il apaisa longtemps sa bouche violente. Les fleurs, les merveilleuses fleurs aimées, Qu'au verger vert leurs mains jadis avaient semées, Suspendaient l'or et les parfums En grappes fortes sur la morte. C'était le souvenir des âmes végétales, Si doucement, que les roses sentimentales Se détachaient vers elle, et laissaient leurs pétales Dormir en baisers clairs parmi ses doigts défunts. 56 Dehors, dans la nuit moite et taciturne, Une lune d'été prolongeait droit, Comme pour défendre et protéger le toit, L'ombre en marche des peupliers nocturnes. Trop haut, pour que l'on vit leurs tragiques voyages Une bande d'oiseaux traversaient les nuages Et s'éloignaient sans bruit, Tandis que dans la ferme, au bord des routes, Les fenêtres rougeoieaient toutes cMorceaux de chair taillés dans le cœur de la nuit. Quand l'aube ouvrit ses yeux de lait, Tar le matin lucide et frais, Le valet fou comprit que désormais La morte était bien morte et l'attendait, OAvee son âme, ailleurs ; Il laissa choir les pauvres fleurs Toutes ensemble autour du lit, Et s'y coucha lui même et puis selon tel vœu Sauvagement y mit le feu. La flamme arda sourde d'abord Comme un regret et un délit Tour croître en éclats d'or Et s'épandre complète et triomphale Comme le vent dans la rafale. Une dernière fois Le valet blond ouit sa pourpre voix Dire les mots qui sont toute la vie ; Puis résigné il étendit son corps Sous le linceul et dans la mort. Et le feu large et ses flammes brandies T'ai• à travers la ferme et ses grands toits Et les fenêtres de ses murs droits Saignaient déjà tout l'incendie, Qiie ceux qui s'en venaient vers les messes d'aurore îy\j? savaient point encore Quel viol noir de ses mystères, Tendant la nuit, avait subi la terre. LES COTtCDIEïtS Dans son village au pied des digues Qiii l'entourent de leurs fatigues De lignes et de courbes vers la mer, Le blanc cordier visionnaire OA reculons, sur le chemin, Combine avec prudence entre ses mains Le jeu tournant de fils lointains Venant vers lui de l'infini. Là-bas En ces heures de soir ardent et las Un ronflement de roue encor s'écoute. Quelqu'un la meut qu'on ne voit pas ; cMais parallèlement sur des râteaux Qui jalonnent à points égaux De l'un à l'autre bout la route, Les chanvres clairs tressent leurs chaînes Continuement, durant des jours et des semaines. OAvee ses pauvres doigts qui sont prestes encor, çAyant crainte parfois de casser le peu d'or Que mêle à son travail la glissante lumière, C4u long des clos et des maisons Le blanc cordier visionnaire D il fond du soir tourbillonnaire QAttire à lui les horizons. Les horizons, ils sont là bas : Tiegrets, fureurs, haines, combats, Tleurs de silence ou pleurs de voix, Les horizons des autrefois, Sereins ou convulsés : Tels les gestes dans le passé. Jadis — c'était la vie errante et somnambule, qA travers les matins et les soirs fabuleux, Quand la droite de Dieu vers les Clianaans bleus Traçait la route en or au fond des crépuscules. Jadis — c'était la vie énorme, exaspérée, Sauvagement pendue aux crins des étalons, Soudaine, avec de grands éclairs à ses talons Et vers l'espace immense immensément cabrée. Jadis — c'était la vie ardente, évocatoire ; La Croix blanche de ciel, la Croix rouge d'enfer dMarchaient, à la clarté des armures de fer, Chacune à travers sang, vers son ciel de victoire. LES .niXAGES». JLtrSOl'RKS. ; Jadis — c'était la vie écumante et livide, Déçue et morte, à coups de crime et de tocsins, ^Bataille entre eux, de proscripteurs et d'assassins, oAvee, au dessus d'eux, la mort folle et splendide. Entre des champs de lins et d'osiers rouges, Sur le chemin où rien ne bouge, oAu long des clos et des maisons, Le blanc cordier visionnaire, Du fond du soir divitiaire çAttire à lui les horizons. Les horizons, ils sont là-bas Travail, science, ardeurs, combats ; Les horizons, ils sont passants OAvee, en leurs miroirs de soirs, L'image en deuil des temps présents. Voici — c'est un amas de feux qui se démènent Où des sages, ligués en un effort géant, '."Précipitent les Dieux pour changer le néant Vers où tendra l'élan de la science humaine. Voici— c'est une chambre où la pensée avère Qu'on la mesure et qu'on la pèse exactement, Que seul l'inane éther bombe le firmament Et que la mort s'éduque en des cornets de verre. 62 Voici — c'est une usine ; et la matière intense Et rouge y roule et vibre en des caveaux Où se forgent d'alian les miracles nouveaux Qui absorbent la nuit, le temps et la distance. Voici — c'est un palais de lasse architecture Ployé sous les cent ans dont il lève le poids, Et d'où sortent avec terreur de larges voix Invoquant le tonnerre en vol vers l'aventure. Sur la route muette et régulière, Lesyeuxfixés vers la lumière Qui frôle en se couchant les clos et les maisons, Le blanc cordier visionnaire, Du fond du soir auréolaire, GAttire a lui les horizons. Les horizons, ils sont là-bas : Lueurs, éveils, espoirs, combats, Les horizons qu'il voit se définir En espérances d'avenir Par au delà des plages Qiie dessinent les soirs dans les nuages. Là-haut — parmi les loins sereins et harmoniques, Un double escalier d'or suspend ses degrés bleus, Le rêve et le savoir le gravissent tous deux Séparément partis vers un palier unique. Là-liaut — l'éclair s'éteint des chocs et des contraires. Le poing morne du doute entr'ouvre au clair ses doigts. L'œilregarde s'unir dans l'essence les lois Qiiifragmentaient leurs feux en doctrines horaires. Là-haut — l'esprit plus fin darde sa violence Tlus loin que l'apparence et que la mort. Le cœur Se tranquillise et l'on dirait que la douceur Tient en sa main les clefs du colossal silence. Là-haut — le Dieu qu'est toute âme humaine se crée S'épanouit, se livre et se retrouve en tous ; Et s'élève selon qu'il choit plus à genoux Devant l'humble tendresse et la douleur sacrée. Et c'est la paix ardente et vive, avec ses urnes De régulier bonheur sur ces pays de soir, Oit s'allument ainsi que des charbons d'espoir Dans la cendre de l'air les grands astres nocturnes. Dans son village au pied des digues Qui l'entourent de leurs fatigues Sinueuses vers les lointains tourbillonnaires, Le blatte cordier visionnaire, OAu long des clos et des maisons QAbsorbe en lui les horizons. LE FO%GE%OWi cMais ceux d'ailleurs dont les paroles vaines Sont des abois, devant les buissons creux, cAu fond des plaines; Les agités et les fiévreux 65 Dans le village et le soir lourd, Le forgeron énorme et gourd, Depuis les temps déjà si vieux, que fument Les émeutes du fer et des aciers sur son enclume, àMartèle étrangement près des flammes intenses, OA grands coups pleins, les pâles lames Immenses de la patience. Tous ceux du bourg qui habitent soii coin, QAvec la haine en leurs deux poings, <£M nette, Savent pourquoi le forgeron qA son labeur de tâcheron Sans que jamais Ses dents mâchent des cris mauvais, S'entête. Fixent avec pitié ou méfiance Ses lents yeux doux remplis du seul silence. Le forgeron travaille et peine OAu long des jours et des semaines. T)ans son brasier, il a jeté Les cris d'opiniâtreté, La rage sourde et séculaire ; Dans son brasier d'or exalté, éMaître de soi, il a jeté c.Révoltes, deuils, violences, colères, Tour leur donner la trempe et la clarté Du fer et de l'éclair. Son front Lisse de crainte et pur d'affronts, Sur les flammes se penche, et tout à coup rayonne. Devant ses yeux, le feu brûle en couronne. Ses mains grandes, obstinément, cM anient, ainsi que de futurs tourments, Les marteaux clairs, libres et transformants Et ses muscles s'élargissent pour la conquête Dont le rêve dort en sa tête. Il a compté les maux immesurables : Les conseils nuls donnés aux misérables; 66 Les aveugles du soi, qui conduisent les autres; La langue en fiel durci des faux apôtres; La justice par ses textes barricadée; L'effroi plantant sa corne au front de chaque idée; Les bras géants d'ardeur, également serviles, Dans la santé des champs ou le fièvre des villes; Le village, coupé par l'ombre immense et noire Qui tombe en faulx du vieux clocher comminatoire; Les pauvres gens sur qui pèsent les pauvres chaumes Jusqu'à ployer leurs deux genoux devant l'aumône; La misère dont plus aucun remords ne bouge Serrant en main l'arme qui sera rouge; Le droit de vivre et de grandir suivant sa force Serré dans les treillis noueux des lois retorses; La lumière de joie et de tendresse mâle, Eteinte, entre les doits pincés de la morale; L'empoisonnement vert de la pure fontaine De diamant où boit la conscience humaine Et par delà les vœux et les promesses Vers ceux que l'on redoute ou vers ceux qu'on oppresse Le recommencement toujours de la même détresse. Le forgeron sachant combien On épilogue autour des pactes, Depuis longtemps, ne dit plus rien : L'accord étant fatal au jour des actes; 67 Il est l'incassable entêté Qui vainc ou qu'on assomme; Qiii n'a jamais lâché sa fierté d'homme C"D'entre ses dents de volonté ; Qui veut tout ce qu'il veut si fortement, Que son vouloir broyer ait du diamant Et s'en irait, au fond des nuits profondes, Tloyer les lois qui fond rouler les mondes. OAutour de lui, quand il écoute Tomber les pleurs, goutte après goutte, T)e tant de cœurs moins que le sien Tranquilles et stoïciens, Il se prédit que cette rage immense Ces millions de désespoirs n'ayant qu'un seul amour peuvent point faire en sorte, qu'un jour, Tour une autre équité, les temps ne recommencent que le levier d'or qui fait mouvoir les choses les tourne vers les claires métamorphoses. Seule, parmi les nuits qui s'enténèbreront L'heure est à prendre où ces instants naîtront. Tour l'entendre sonner là-bas Haletante, comme des pas, Que les clameurs et les gestes se taisent 68 QAutour des drapeaux fous claquant au vent des [thèses; Et qu'on dispute moins, et qu'on écoute mieux. L'instant sera saisi par les silencieux Sans qu'un prodige en croix flamboie aux deux ZN^i qu'un homme divin accapare l'espace. La foule et sa fureur qui toujours la dépasse — Étant la force immensément hallucinée Que darde au loin le front géant des destinées — Fera surgir, avec ses bras impitoyables L'univers neuf de l'utopie insatiable, Les minutes s'envoleront d'ombre et de sang Et l'ordre éclora dôux, généreux et puissant '.Puisqu'il sera la pure essence de la vie. Le forgeron dont l'espoir ne dévie Vers les doutes ni les affres, jamais, Voit devant lui comme s'ils étaient, Ces temps où fixement les plus simples éthiques Diront l'humanité paisible et harmonique : L'homme ne sera plus, pour l'homme, un loup rôdant Qui n'affirme son droit qu'à coups de dents; L'amour dont la puissance encore est inconnue Dans sa profondeur douce et sa charité nue Ira porter la joie égale aux résignés ; Les sacs ventrus de l'or seront saignés Un soir d'ardente et large équité rouge ; Disparaîtront palais, banques, comptoirs et bouges ; Tout sera simple et clair quand l'orgueil sera mort, Quand l'homme au lieu de croire à l'égoiste effort Qui s'éterniserait en une âme immortelle, Dispensera vers tous sa vie accidentelle ; Des paroles qu'aucun livre ne fait prévoir Débrouilleront ce qui parait complexe et noir ; Le faible aura sa part dans l'existence altière Devenue ample, et digne et bonne — et la matière Confessera peut-être un jour ce qui fut Dieu. OAvee l'éclat de cette lucide croyance Dont il fixe la flamboyance Depuis des ans, devant ses yeux, Dans le village et le soir lourd, Le forgeron énorme et gourd, Comme s'il travaillait l'acier des âmes, cMartèle à grands coups pleins, les lames Immenses de la patience et du silence. LES {MEULES QUI 'B^ULEC^T. La plaine au loin des soirs s'est allumée Et les tocsins cassent leurs bonds de sons OAux quatre murs de l'horizon. — Une meule qui brûle ! — 'Par les sillages des chemins, la foule, 'Par les sillages des villages, la foule houle Et par les cours, les chiens de garde ullulent. — Une meule qui brûle ! — La flamme ronfle et casse et broie, S'arrache des haillons qu'elle déploie, Ou sinueuse et virgulante S'enroule en chevelure ardente et lente 'Puis s'apaise soudain et se détache Et ruse et se dérobe — ou rebondit encor : Et voici, clairs, de la boue et de l'or Dans le ciel noir qui s'empanache. 7i — Qiiand brusquement une autre meule au loin [s'allume! — Elle est immense et comme un trousseau rouge Qu'on agite de sulfureux serpents Les feux — ils sont passants sur les arpents Et les fermes et les hameaux, où bouge De yitre à vitre, un caillot rouge. — Une meule qui brûle l — Les champs? ils s'il limitent en frayeurs; T) es tout à coup de bois se lèvent en lueurs Sur les marais et les labours; Des étalons cabrés vers la terreur hennissent ; D'énormes vols d'oiseaux s'appesantissent Et choient dans les brasiers — et des cris sourds Sortent du sol et c'est la mort Toute la mort brandie Et ressurgie aux poings en l'air de l'incendie. Et le silence après la peur — mais quoi là bas, Quoi donc là-bas, dans le soir las, Tache d'un nouveau feu les noirs du crépuscule ? — Une meule qui brûle ! — oAux carrefours, 72 des gens hagards Font des gestes hallucinés, Les enfants crient et les vieillards Lèvent leurs bras déracinés Vers les flammes en étendards, Tandis que les obstinément silencieux, QAvec de la stupeur aux yeux — regardent. — Une meule qui brûle ! — L'air est rouge, le firmament On le dirait perdu sinistrement Sous les yeux clos de ses étoiles. Le vent chasse des cailloux d'or Dans un déchirement de voiles. Le feu devient clameur hurlée en flamme Vers les échos, vers les là-bas, Sur l'autre bord, où brusquement les au-delà Du fleuve s'éclairent comme un songe : Toute la plaine, elle est de braise, de mensonge, De sang et d'or — et la tourmente Grandit et perpétue en rebellions Si largement son vol au U\Çord de tourbillons, Qiie vers les loins de l'épouvante Le ciel lui-même semble partir. ToA'BLE PAGE Le "Passeur d'Eau...........ç La "Pluie..............12 Les "Pêcheurs . . '.........i5 Le oMeunier.............21 La C/^eige.............24 Le cMenuisier ............27 Le Sonneur.............3i Le Coin du "Bois...........35 Le Silence..............3ç> Le Fossoyeur.............42 Le Vent..............49 La Ferme ardente...........52 Les Cordiers.............60 Le Forgeron...............65 Les aMeules qui brûlent.........71 Achevé d'imprimer le 10 Janvier 1895 à l'imprimerie centrale, G. De Keukelaere, à Gaïul, pour le « Réveil. » I Vil' Ht' M & | 1 If l ■ ■ 1 igjtji lllil fit' ciu 'i r • bu.1 s I! 1 MUSÉE DE LA LITTÉRATURE