tXLlBRl 5 wïthoud~ IWCÇKHUUD mmMm&m mm^mMm m Et c'est alors comme un grand cri jeté Du tumulte total vers la clarté ; Places, hôtels, maisons, marchés, Ronflent et s'enflamment si fort de violence Que les mourants cherchent en vain le moment de silence Qu'il faut aux yeux pour se fermer. Telle, le jour — pourtant, lorsque les soirs Sculptent le firmament de leurs marteaux d'ébène, La ville au loin s'étale et domine la plaine Comme un nocturne et colossal espoir ; Elle surgit : désir, splendeur, hantise; Sa clarté se projette en miroirs jusqu'aux cieux, Son ga% myriadaire en buissons d'or s'attise, Ses rails sont des chemins audacieux Vers le bonheur fallacieux Que la fortune et la force accompagnent ; Ses murs s'enflent pareils à une armée El ce qui vient d'elle encore de brume et de fumée Arrive en appels clairs vers les campagnes. C'est la ville tentaculaire, La pieuvre ardente et l'ossuaire Et la carcasse solennelle. Et les chemins d'ici s'en vont, à l'infini Vers elle. les Plaines Sous la tristesse et l'angoisse des deux Les lieues S'en vont autour des plaines; Sous les deux bas Dont les nuages traînent, Immensement les lieues Marchent, là-bas. Droites sur des chaumes, les tours; Et des gens las, par tas, Qui vont de bourgs en bourgs. Les gens vaguants Comme la route, ils ont cent ans; Ils vont de plaine en plaine Depuis toujours, à travers temps 13 Les précédent ou bien les suivent Les charrettes dont les files dérivent Vers les hameaux et les venelles, Les charrettes perpétuelles Criant le lamentable cri Le jour, la nuit, De leurs essieux vers l'infini. C'est la plaine, la plaine Immensement à perdre haleine. De pauvres clos ourlés de haies Ecartèlent leur sol en tabliers de plaies; De pauvres clos, de pauvres fermes, Les portes lâches El les chaumes comme des bâches Que le vent troue à coups de hache. Autour, ni trèfle vert, ni luzerne rougie, Ni lin, ni blé, ni frondaisons, ni germes, Depuis longtemps, l'arbre par la foudre cassé Monte, devant le seuil usé, Comme un malheur en effigie. C'est la plaine, la plaine blême, Interminablement toujours la même. Par au-dessus, souvent, Rage si fort le vent Que l'on dirait le ciel fendu Aux coups de boxe De l'équinoxe. Novembre hurle ainsi qu'un loup, Lamentable, par le soir fou. Les ramilles et les feuilles gelées Passent gifflées Sur les mares, dans les allées Et les grands bras des Christ funèbres Aux carrefours, par les ténébres, Semblent grandir et tout à coup partir En cris de peur vers le soleil perdu. C'est la plaine, la plaine Où ne vague que crainte et peine. Les rivières stagnent ou sont taries, Les flots n'arrivent plus jusqu'aux prairies, Les énormes digues de tourbe Inutiles, arquent leur courbe. Comme le sol, les eaux sont mortes ; Parmi les îles en escortes Vers la mer, où les anses encor se mirent, Les haches et les marteaux voraces Dépècent les carcasses Pourrissantes, de vieux navires. C'est la plaine, la plaine Immensement à perdre haleine, Où circulent, par les ornières, Par à travers l'identité Des toujours champs de pauvreté, Les désespoirs et les misères; C'est la plaine, la plaine Que naviguent des vols immenses D'oiseaux criant la mort En des houles de cieux au Nord. C'est la plaine, la plaine Mate et longue comme la haine, La plaine et le pays sans fin D'un blanc soleil comme la faim, Où, sur le fleuve solitaire, Tourne aux remous le cœur en loques de la terre f •t f chanson de Fou Le crapaud noir sur le sol blanc Me fixe indubitablement Avec des yeux plus grands que n'est grande sa tète: Ce sont les yeux qu'on m'a volés Quand mes regards s'en sont allés Un soir, que je tournai la tête. Mon frère il est quelqu'un qui ment, Avec de la farine entre ses dents ; C'est lui, jambes et bras en croix, Qui tourne au loin, là-bas, Qui tourne au vent Sur ce moulin de bois. El celui-ci, c'est mon cousin Qui fut curé et but si fort du vin Que le soleil en devient rouge, J'ai su qu'il habitait un bouge Avec des morts dans ses armoires. Car nous avons pour génitoires Deux cailloux Et pour monnaie un sac de poux, Nous, les trois fous, Qui épousons, au clair de lune, Trois folles dames sur la dune. le Donneur de mauvais conseils Par les taillis et par les pueils, Rôde en maraude Le donneur de mauvais conseils. La vieille carriole en bois vert-pomme Qui l'emmena, on ne sait d'où. Une folle la garde avec son homme Aux carrefours des chemins mous. Le cheval paît l'herbe d'automne, Près d'une mare monotone, Dont l'eau malade réverbère Le soir de pluie et de misère Qui tombe en loques sur la terre. Le donneur de mauvais conseils Est attendu dans le village A l'heure où tombe le soleil. Il est le visiteur oblique et louche Qui, de ferme en ferme, s'abouche Quand la détresse et la ruine Ronflent en tempêtes sur les cliaumines. Il est celui qui frappe à l'huis Tenacement et vient s'asseoir Lorsque le hâve désespoir, Fixe ses regards droits Sur le feu mort des âtrès froids. En habits vieux comme ses yeux, Avec, par au-dessus, la blouse lâche Où, dans les plis, se cachent Les fioles et les poisons, Mi-paysa n, m i-ch aria ta n Retors, étroit, ratatiné, Mains finaudes, ongles fanés, Il égrène ainsi qu'un texte Les faux moyens et les prétextes Et les foisons des mauvaises raisons. On l'écoute, qui lentement marmonne, Toujours ardent et monotone. Prenant à part chacun de ceux Dont les arpents sont cancéreux, Dont les moissons sont vaines Et qui regardent devant eux Las, trébuchants et malchanceux, La mort venir du bout des plaines de leurs haines. A qui, devant sa lampe éteinte, Seul avec soi, quand minuit tinte, Regarde aux murs de sa chaumière Les trous grandir des vers de la misère, Sans qu'un secours ne lui vienne jamais, Il conseille d'aller, au fond de l'eau, Mordre des dents les exsangues reflets De sa face dans un marais. A tel qui branle et traîne un corps Comme un haillon à un bâton, Usé des yeux, tari d'efforts, A qui grimace sa vieillesse Devant l'orgueil du vieux soleil, Il reproche les avanies, 21 Que font ses fils qui le renient A l'infini de sa faiblesse. Il pousse au mal la fille ardente, Avec du crime au bout des doigts, Avec des yeux comme la poix Et des regards qui violentent. Il attise son cœur aux vices Qu'il souffle à mots cuisants et rouges, Pour qu'en elle, la femelle et la gouge Biffent la mère et la nourrice, Et que sa chair soit aux amants, Morte, comme ossements et pierres Du cimetière. Aux vieux couples qui font l'usure Depuis que les malheurs ravagent Les villages, à coups de rage, Il vend les moyens sûrs Et la ténacité qui réussit toujours A ruiner hameaux et bourgs, Quand, avec l'or, tapi au creux De l'armoire crasseuse et de l'alcove immonde, On s'imagine en un logis lépreux Etre le roi qui tient le monde. Enfin, il est le conseiller de ceux Qui profanent la nuit des saints dimanches Au tout à coup brasier de leurs granges de planches. Il indique Iheure précise Où le tocsin sommeille aux tours d'église Où seul, avec ses yeux insoucieux, Le silence regarde faire. Ses gestes secs et entêtés Numérotent ses volontés, Et l'ombre de ses doigts griffe d'entailles Le crépi blanc de la muraille. Et pour conclure il verse à tous Un peu du fiel de son vieux cœur Moisi de haine et de rancœur Et désigne le rendez-vous, — Quand ils voudront, — au loin des bordes. Où, près de l'arbre, ils trouveront Pour se brancher un bout de corde. Ainsi va-t-il de ferme enferme Plus volontiers, lorsque le terme Au tiroir vide inscrit sa date, Le corps craquant comme des lattes, Le cou maigre, le pas traînant, Mais inusable et permanen t, Avec sa pauvre carriole Avec son fou, avec sa folle, Qui l'attendent, jusqu'au matin, Au carrefour des grands chemin chanson de Fou Je les ai vus, je les ai vus Ils passaient par les sentes Avec leurs yeux comme des fentes Et leurs barbes comme du chanvre Deux bras de paille, Un dos de foin, Blessés, troués, disjoints, Ils s'en venaient des loins Comme d'une bataille. Un chapeau mou sur leur oreille, Un habit vert comme l'oseille Ils étaient deux, ils étaient trois, J'en ai vu dix, qui revenaient du bois L'un d'eux a pris mon âme Et mon âme comme une cloche Vibre en sa poche. L'autre a pris ma peau, Ne le dites à personne, Ma peau de vieux tambour Qui sonne. Quant à mes pieds, ils sont liés Par des cordes au terrain ferme Regardez-moi, regardez-moi, Je suis un terme. Un paysan est survenu Qui nous piqua dans le sol nu, Eux tous et moi, vieilles défroques, Dont les enfants se moquent. Et nous servons d'épouvantails qui bougent Aux corbeaux rouges. Je suis un terme. pélérinage Où vont les vieux paysans noirs Par les couchants en or des soirs Dans les campagnes rouges? A grands coups d'ailes affolées En leurs toujours folles volées Les moulins fous fauchent le vent ; Les cormorans du vieil automne Clament de l'ombre — et le ciel tonne Comme un tocsin parmi la nuit. C'est l'heure au loin de la terreur, Où vole en son charroi d'horreur, Le vieux Satan des labours rouges. >- --"-st 1 lli Tâches de noir, tâches de mort, Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux silencieux? Quelqu'un a dû frapper l'été De mauvaise fécondité Le blé, très dru, ne fut que paille; Les bonnes eaux n'ont point coulé Par les veines du champ brûlé; Quelqu'un a dû frapper les sources; Quelqu'un a dû sécher la vie, Comme une gorge inassouvie, D'un seul grand coup vide un plein verre. Tâches de noir, tâches de mort, Par la campagne en grand deuil d'or Où vont les vieux et leur misère? Le semeur d'or des mauvais germes, Aux jours d'Avril dorant les fermes, Les vieux l'ont tous senti passer; Ils l'ont perçu morne et railleur, Penché sur les moissons en fleur, Plein de foudre, comme l'orage ; Les vieux n'ont rien osé se dire Alors, craignant son rire Et que peut-être il ne revint. Et tous, sachant qu'il est moyen D'aller-fléchir Satan payen, Qui règne encor sur la moisson. Tâches de noir, tâches de mort, Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux et leur frisson? Les cormorans fatals et lourds, Infiniment girent leurs tours De vol immense au nord des plaines ; A grands coups d'ailes affolées, En leurs toujours mêmes volées, Les moulins fous fauchent le vent; Les mains rouges de la tempête Eparpillent de la dé faite En loques grandes vers la peur. Tâches de noir, tâches de mort, Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux et leur stupeur? I 1 i Le semeur d'or du mauvais blé Entend venir ce défilé D'hommes qui se taisent et marchent; Il sait que seuls ils ont encore Sa croyance dans chaque pore De leur frayeur de l'inconnu; Qu'obstinément, ils dérobent en eux Son culte, sombre et lumineux, Comme un minuit blanc de mercure; Et qu'ils redoutent ses révoltes, Et qu'ils supplient pour leurs récolles Plus devant lui que devant Dieu. Tâches de noir, tâches de mort, Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux porter leur vœu ? Le Satan d'or des champs brûlés Et des fermiers ensorcelés Qui font des croix de la main gauche, Ce soir, dans le bois d'ombre et de feu rouge Sur un bloc noir qui soudain bouge, Depuis une heure est accoudé ; Les vieux ont pu l'apercevoir Avec des yeux dardés vers eux, D'entre ses cils de chardons morts. Et tous ils ont senti qu'il écoutait Les silences de leur souhait Et leur prière uniquement pensée. Alors, subitement, Avec des gestes joints Tendus vers lui de loin, Pour seule offrande et seuls indices En un grand feu de branches lisses, Ils ont jeté un cliat vivant. La bête, les pattes pliées, Est morte, en des rages liées. Après : vers son chaume tanné De vents d'automne et de grand froid. Chacun, par un chemin à soi, Sans rien savoir, est retourné. chanson de Fou Brises-leur pattes et vertèbres, Chasse^ les rats, les rats. Et puis versez du froment noir, Le soir, Dans les ténèbres. Jadis, lorsque mon cœur cassa, Une femme le ramassa Pour le donner aux rats. — Brisez-leur pattes et vertèbres. Souvent je les ai vus dans l'âtre, Tâches d'encre parmi le plâtre, Qui grignottaient ma mort. L'un deux, je l'ai senti Grimper sur moi, la nuit, Et mordre encor le fond du trou Que fit, dans ma poitrine, L'arrachement de mon cœur fou. Brises-leur pattes et vertèbres. Ma tète à moi les vents y passent, Les vents qui passent sous la porte, Et les rats de haut en bas Peuplent ma tête morte. — Brises-leur pattes et vertèbres. Car personne ne sait plus rien, Et qu'importent le mal, le bien, Les rats, les rats sont là, par tas Dites, versere^-vous ce soir Le froment noir, A pleines mains, dans les ténèbres? De village en village, un vent moisi Appose aux champs sa flétrissure ; L'air est moite, le sol ainsi Que pourriture et bouffissure. les Fièvres La plaine, au loin, est uniforme et morne Et l'étendue est veule et grise Et Novembre qui se précise Bat l'infini d'une aile grise. Sous leurs torchis qui se lézardent, Les chaumières là-bas regardent Comme des bêtes qui ont peur, Et seuls les grands oiseaux d'espace Jettent sur leurs chaumes et leur frayeur Le cri des angoisses qui passent. EH L'heure est venue aux soirs ouateux et mous Des automnes apostumés, Quand les marais visqueux et blancs, Dans leurs remous, A longs bras lents Brassent les fièvres empoisonnées. Sur les étangs en plate-bandes, Les fleurs comme des glandes Et les mousses comme des viandes S'étendent. Bosses et chocs et trous d'ulcères, Quelques saules bordent les anses Où des flottilles de viscères A la surface, se balancent. 35 Parfois, comme un hoquet, Un flot pâteux mine la rive Et la glaise, comme un paquet, Tombe dans l'eau de bile et de salive. L'étang s'apaise, qui remuait ses rides, Les crapauds noirs, à fleur de boue, Gonflent leur peau et leur gadoue. Et la lune monstrueuse préside : Telle l'hostie De l'inertie. De la vase profonde et jàane D'où s'érigent, longues d'une aune Les herbes d'eau et les roseaux, Des brouillards lents comme des traînes, Déplient leur flottement parmi les draines; On les peut suivre, à travers champs, Vers les chaumes et les murs blancs; Leurs fils subtils de pestilence Tissent la robe de silence, Ga%e verte, tulle blême, Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène. La fièvre, Elle est celle qui marche, Sournoisement, voûtée en arche, Et personne n'entend son pas. Si la poterne des fermes ne s'ouvre pas, Si la fenêtre est close, Elle pénètre quand même et se repose Sur la chaise des vieux que les ans ploient, Dans les berceaux où les petits larmoient Et quelquefois elle se couche Aux lits profonds où l'on fait souche. Avec ses vieilles mains dans l'âtre encor rougeâtre, Elle attise les maladies Non éteintes quoiqu'engourdies ; Elle s'insinue au pain qu'on mange A l'eau morne changée en fange ; Elle monte jusqu'aux greniers Dort dans les sacs et les paniers Et comme une impalpable cendre, Sans rien voir, on sent d'elle la mort descendre. Inutiles, vœux et pèlérinages Et seins où l'on abrite les petits Et bras en croix vers les images Des bons Anges et des vieux Christ, 37 Le mal hâve s'est installé dans la demeur Il vient, chaque vesprée, à tel moment, Déchiqueter la plainte et le tourment, Au régulier tic tac de l'heure; Les mendiants n'arrivent plus souvent A la porte ni à l'auvent Prier qu'on les gare du froid, Les moineaux francs quittent le toit Et l'horloge surgit déjà Celle, debout, qui sonnera Après la voix éteinte et la raison finie, L'agonie. En attendant, la fièvre c'est : languir ; Les malades rapetissés, Leurs habits lourds, leurs bras cassés, Avec, en main, leurs chapelets, Quittant leur lit, s'y recouchant, Fuyant la mort et la cherchant, Bégaient et vacillent leurs plaintes, Pauvres lumières, presqu'éteintes. Ils se traînent de chaumière en chaumièr Et d'âtre en âtre, Se voir et doucement s'apitoyer Sur la dîme d'hommes qu'il faut payer Atrocement à leur pays marâtre ; Des silences profonds coupent les litanies De leurs misères infinies ; Et, longuement, parfois, ils se regardent Au jour douteux de la fenêtre, Et longuement, avec des pleurs, Comme s'ils voulaient se reconnaître Lorsque leurs yeux seront ailleurs. Ils se sentent de trop autour des tables Où l'on mange rapidement Un repas pauvre et lamentable ; Leur cœur se serre en dénûment ; On les isole et les bêtes les flairent Et les jurons et les colères Volent autour de leur tourment. Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas, Ils s'agitent entre leurs draps, Songeant qu'aux alentours, de village en village, Les brouillards blancs sont en voyage. Voudraient-ils ouvrir la porte Pour que d'un coup la fièvre les emporte Vers les étangs en planle-bandes Où les plantes comme des glandes Et les mousses comme des viandes S'étendent, Où s'écoute, comme un hoquet, Un flot pâteux miner la rive Où leur corps mort, comme un paquet, Choierait dans l'eau de bile et de salive. Mais la lune, là-bas, préside, Telle l'hostie De l'inertie. chanson de Fou Celui qui n'a rien dit Est mort, le cœur muet, Lorsque la nuit Sonnait Ses dou^e coups Au cœur des minuits fous. — Noue^-le vite en un linceuil de paille, Les poings coupés, et qu'il s'en aille. Celui qui n'a rien dit M'a pris mon âme et mon esprit, Il a sculpté mon crâne En navet creux, dont mes prunelles Sont les chandelles. — Noue^-le donc, nouez le mort Rageusement, en son linceuil de paille. Celui qui n'a rien dit Dormait sous le rameau bénit, Avec sa femme, en un grand lit, ■ Quand j'ai tapé comme une bête Avec une pierre contre sa tête. Derrière le mur de son front Battait mon cerveau noir, Matin et soir, je l'entendais Et le voyais qui m'invoquait D'un rythme lourd comme un hoquet; Il se plaignait de tant souffrir Et d'être là, hors de moi-même, et d'y pour Comme les loques, d'une viande Pendue au clou, au fond d'un trou. Celui qui n'a rien dit, même des yeux, Qu'on lui coupe le cœur en deux, Et qu'il s'en aille En son linceuil de paille. Que sa femme qui le réclame Et hurle après son âme, Ainsi qu'une chienne, la nuit, Se taise ou bien s'en aille aussi Et le suive en vassale: Moi je veux être Le maître D'une cervelle colossale. — Noues le mort en de la paille Comme un paquet de ronces Et qu'on piétine cl qu'on travaille La terre où il s'enfonce. Je suis le fou des vieilles plaines, Infiniment que bat le vent, A grands coups d'ailes, Comme les peines éternelles; Le fou qui veut rester debout, Avec sa tète jusqu'au bout Des temps futurs où Jésus-Christ Viendra juger l'âme et l'esprit, Comme il est dit Ainsi soit-il, le Péché Sur sa butte que le vent giffle, Il tourne et fauche et ronfle et siflle Le vieux moulin des péchés vieux Et des forfaits astucieux. Il geint des pieds jusqu'à la tête, Sur fond d'orage et de tempête, Lorsque l'automne et les nuages L'échevèlent de leurs voyages. L'hiver, quand la campagne est éborgnée, Il apparaît : une araignée Colossale, tissant ses toiles Jusqu'aux étoiles. C'est le moulin des vieux péchés. Qui l'écoute parmi les routes Entend battre le cœur du diable Dans sa carcasse insatiable. Un travail d'ombre et de ténèbres S'y fait pendant les nuits funèbres, Quand la lune fendue Git-là, sur le carreau de l'eau, Comme une hostie atrocement mordue. C'est le moulin de la ruine Qui moud le mal et le répand aux champs, Infini, comme une bruine. Ceux qui sournoisement écornent Le champ voisin en déplaçant les bornes; Ceux qui, valets d autrui, sèment l'ivraie Au lieu de l'orge vraie; Ceux qui jettent les poisons clairs dans l'eau Où l'on amène le troupeau; Ceux qui, par les nuits seules, En brasiers d'or font s'écrouler les meules Ont passé tous par le moulin. Encor Les conjtireurs de sort et les sorcières Que vont trouver les filles-mères; Ceux qui cachent dans les fourrés Leurs ruts et leurs spasmes vociférés; Ceux qui n'aiment la chair que si le sang Gicle aux yeux, frais et luisant; Ceux qui s entr égorgent à couteaux rouges, Volets fermés, au fond des bouges; Ceux qui flairent l'espace Avec, entre leurs poings, la mort pour tel qui passe Tous passèrent par le moulin. Aussi : Les gamines et les vagabonds hâves Qui s'accouplent au fond des caves; Les bougres roux qui habitent des fosses Avec leurs rosses qu'ils engrossent; Les fous qui choisissent des bètes Pour s'assouvir de leurs tempêtes; Les mendiants qui déterrent les mortes Rageusement et les emportent; Les couples noirs, pervers et vieux, Qui instruisent l'enfant à coucher entre eux deux ; Tous passèrent par le moulin. Enfin Ceux qui font de leur cœur l'usine Où fermente l'envie et cuve la lésine; Ceux qui dorment, sans autre vœu, Avec leurs sous, comme avec Dieu; Ceux qui projettent leurs prières Croix à rebours et paroles contraires ; Ceux qui cherchent un tel blasphème Que descendrait vers eux Satan lui-même: Tous passèrent par le moulin. Ils sont venus sournoisement, Choisissant l'heure et le moment, Les uns lents et chenus Et les autres mâles et fermes, Avec le sac au dos. Ils sont venus des loins perdus Gagnant les bois, tournant les fermes, Les vieux, carcasses d'os, Mais les jeunes, drapeaux de force. Par des chemins comme une écorce Ils sont montés — et quand ils sont redescendus, Avec leurs chiens et leurs brouettes Et leurs ânes et leurs charrettes, Charger le blé, charger les grains, Par groupes noirs de pèlerins, Les grand'routes chariaient toutes, Infiniment comme des peines, Le sang du mal parmi les plaines. Et le moulin tournait au fond des soirs, La croix grande de ses bras noirs, Avec des feux, comme des yeux, Dans l'orbite de ses lucarnes Dont les rayons gagnaient les loins. Parfois, s'illuminaient des coins, Là-bas, dans la campagne morne; Et l'on voyait les porteurs gourds, Ployant au faix des péchés lourds, Hagards et las, buter de borne en borne. Et le moulin ardent, Sur sa butte, comme une dent, Alors, mêlait et accordait Son giroiement de voiles Au rythme même des étoiles Qui gravitaient, par les nuits seules, Fatalement, comme ses meules. les Mendiants Les jours d'hiver que le froid serre Les bourgs, le clos, le bois, lafagne, Poteaux de haine et de misère, Par l'infini de la campagne, Les mendiants ont l'air de fous. Dans le matin, lourds de leur nuit, Ils s'enfoncent au loin des routes, Avec leur pain trempé de pluie Et leur chapeau comme la suie Et leurs grands dos comme des voûtes Et leurs pas lents rythmant l'ennui ; Midi les arrête dans les fossés Matelassés de feuilles, pour leur sieste ; Ils sont les éternellement lassés s - îrss^iîiSâ De leur cœur supplicié De leur prière et de leur geste, .4 travers temps, vers la pitié, Si bien, qu'au seuil des presbytères, Ils apparaissent, tel un filou, Le soir, dans la brusque lumière D'une porte ouverte tout à coup. Les mendiants ont l'air de fous. Ils s'avancent pa>• l'àpreté Et la stérilité du paysage Qu'ils reflètent au fond des yeux Lointains de leur visage ; Avec leurs hardes et leurs loques Et leur marche qui les disloque, L'été, parmi les champs nouveaux, Ils épouvantent les oiseaux ; Et maintenant que décembre sur les bruyères S'acharne et mord Et gèle au fond des bières Du cimetière Les morts, Un à un, ils s'immobilisent Sur des chemins d'église, S Mornes, têtus et droits, Les mendiants, comme des croix Les mendiants ont l'air de fous Avec leur dos comme un fardeau Et leur chapeau comme la suie, Ils habitent les carrefours Du vent et de la pluie. Ils sont le monotone pas — Celui qui vient et qui s'en va Toujours le même et jamais las De l'horizon vers l'horizon. Ils sont les béquillants, Les chavirés et les bancroclies Et leurs bâtons sont les battants Des cloches de misère Qui sonnent à mort sur la terre Ils sont les dédaignés Des pleurs et des miséricordes, Les épuisés et les usés D'âme et de corps Jusqu'à la corde. Aussi, lorsqu'ils tombent enfin, Crevés de soif troués de faim, Et se terrent comme des loups, Le soir, Au fond d'un trou, Le désespoir Plus vieux que n'est la mer Se fixe en leurs grands yeux ouverts Qu'aucune main jamais, Avec de pâles doigts funèbres. N'ose, pour les calmer, Fermer Dans les ténèbres. la Kermesse Avec colère, avec détresse, Avec ses refrains de quadrilles, Qui sautèlent sur leurs béquilles, L'orgue canaille et lourd, Au fond du bourg, Moud la kermesse. Quelques ivrognes vieux, au coin des bornes, Et quelques vieilles gens, Au seuil des portes mornes. Et quelques couples seuls qui se hasardent. Les gars braillards et les filles hagardes, Alors qu'ail cimetière, deux corbeaux, Sur des tombeaux, Regardent. Avec colère, avec détresse, avec blasphème, Mais vers la fête, Quand même, L'orgue s'entête. Sa musique de tintamarres Se casse en des bagarres De cuivre vert et de fer blanc Et crie et grince dans le vide, Obstinément, Sa note acide. Sur la place, l'église, Sous le cercueil de ses grands toits Et les linceuls de ses murs droits, Tait les reproches Solennels de ses cloches ; Un charlatan, sur un tréteau, Pantalon rouge et vert manteau, En ses flacons, vend de la vie; Et l'on achète avec les derniers sous Son remède pour loups garons Et l'histoire de point en point suivie Sur sa pancarte D'un bossu noir qu'il délivra de fièvre quarte. Et l'orgue rage Son quadrille sauvage. Et personne, des hameaux proches N'est accouru ; Vides les étables, vides les poches — Et rien que de la faim Dont on puisse beurrer son pain ; Dans la misère qui les soude On sent que les hameaux se boudent, Qu'entre Jilles et gars d'amour La pauvreté découd les alliances Et que les jours suivant les jours Chacun des bourgs Fait son silence avec ses défiances. Et c'est toujours L'orgue qui rage Des cuivres lourds De son tapage. 55 Se répondant au loin des bonds D'abois d'effroi Sautent, de plaine en plaine, Les villages muets et blancs Les écoutent se répondant, Et le soleil avec ses dents Mord les villages, veine à veine; Et les grand'routes distendues — Lignes de haies Et ornières de craies — Les grand'routes des quatre loins des étendues, Comme allantes au bout de l'univers, Tracent des croix par à travers. L'orgue grinçant et faux Dans son armoire D'architecture ostentatoire Criaille un bruit de faulx Et de cisaille. Dans la salle de plâtre cru Où ses cris tors et discors, dru, Contre des murs de lattes Eclatent, Des colonnes de verre et de jouants bâtons — Cliquant et or — tournent sur son fronton Et les concassants bruits des cors et des trompettes Et les fifres, tels un foret, Cinglent et trouent le cabaret De leurs tempêtes Et pont, là-bas, Con tre un pignon, avec fracas, Broyer l'écho de la grand'rue. Et l'orgue avec sa rage S'ameute une dernière fois et rue Des quatre fers de son tapage Jusqu'aux lointains des champs, Jusqu'aux routes, jusqu'aux étangs, Jusqu'aux jachères de méteil, Jusqu'au soleil ; Et seuls dansent aux carrefours, Jupons gon flés et sabots lourds, Deux pauvres fous avec deux folles. chanson de Fou Je suis celui qui vaticine Comme les tours tocsinnent. J'ai vu passer à travers champs Trois linceuls blancs Qui s'avançaient comme des gens. Ils portaient des torches ignées Des poisons verts et des cognées. Peu importe l'homme qu'on soit; Moi seul je vois Les maux qui dans les deux flamboient. Le sol et les germes sont condamnés, — Vœux et larmes sont superflus; — Bientôt Les corbeaux noirs n'en voudront plus Ni la taupe ni le mulot. Je suis celui qui vaticine Comme les tours tocsinnent. Les fruits des espaliers se tuméfient Dans les feuillages noirs, Les pousses jeunes s'atrophient, L'herbe se brûle et les germoirs Subitement fermentent ; Le soleil ment, les saisons mentent. Le soir, sur les plaines envenimées, C'est un vol d'ailes allumées De souffre roux et de fumées. J'ai vu des linceuls blancs Entrer, comme des gens Qu'un même vouloir coalise, L'un après l'autre, dans l'église. Ceux qui priaient, au chœur, Manquant de force et de ferveur, 59 l, l Les mains lâches, s'en sont allés. Et, depuis lors, moi seul, j'entends Bal 1er La nuit, le jour, toujours, La fête Des tocsins fous, contre ma tête. Je suis celui qui vaticine Ce que les tours tocsinnent. Au long des soirs et des années, Les fronts et les bras obstinés Se buteront en vain aux destinées: Irrémissiblement, Le sol et les germes seront damnés. Dire le temps que durera leur mort ? Et si l'heure résurgira Où le vrai pain vaudra, Sous les cieux purs de la vieille nature, L'antique effort ? Mais il ne faut jamais conclure. le Fléau La Mort a bu du sang Au cabaret des Trois Cercueils. La Mort a mis sur le comptoir Un écu noir; Et puis s'en est allée. « C'est pour les cierges et pour les deuils » Et puis s'en est allée. La Mort s'en est allée Tout lentement Chercher le sacrement. On a vu cheminer le prêtre Et les enfants de chœur — Trop tard — Vers la maison Dont étaient closes les fenêtres La Mort a bu du sang Elle en est soûle. « Notre Mère la Mort, pitié ! pitié ! Ne bois ton verre qu'à moitié, Notre Mère la Mort, c'est nous les mères C'est nous les vieilles à manteaux, Avec leurs cœurs en ex-votos, Qui marmonnons du désespoi)- En chapelets interminables ; Notre Mère de la Mort et du soir, C'est nous les béquillantes et minables Vieilles, tannées Par la douleur et les années : Les défroques pour tes tombeaux Et les cibles pour tes couteaux. » - La Mort, dites, les bonnes gens, La Mort est soûle : Sa tête oscille et roule Comme une boule. La Mort a bu du sang Comme un vin frais et bienfaisant ; Il coule doux aux joints de la cuirasse De sa carcasse. La Mort a mis sur le comptoir Un écu noir; Elle en voudra pour ses argents Au cabaret des pauvres gens. « Notre-Dame la Mort, c'est nous les vieux desguerr Tumultuaires, Tronçons mornes et terribles entailles De la forêt des victoires et des batailles, Notre-Dame des drapeaux noirs Et des débâcles dans les soirs, Notre-Dame des glaives et des balles Et des crosses contre les dalles, Toi, notre vierge et notre orgueil, Toujours si fière et droite, au seuil De l'horizon tonnant de nos grands rêves, Notre-Dame la Mort, toi, qui te lèves Au battant de nos tambours Obéissante et qui, toujours, Nous fus belle d'audace et de courage, Notre-Dame la Mort, cesse ta rage, Et daigne enfin nous voir et nous entendre Puisqu'ils n'ont point appris, nos fils, à se défendre — La Mort, dites, les vieux verbeux, La Mort est soûle, Comme un flacon qui roule Sur la pente des chemins creux. La Mort n'a pas besoin De votre mort au bout du monde, C'est au pays qu'elle fonce la bonde Du tonneau rouge. La Mort est bien assise au feu Du Cabaret des Trois Cercueils de Dieu, Elle exècre s'en aller loin, Sous les hasards des étendards. « Dame la Mort, c'est moi, la Sainte Vierge Qui viens en robe d'or ches vous, Vous supplier à deux genoux D'avoir pitié des gens de mon village. Dame la Mort, c'est moi la Sainte Vierge, De l'ex-voto, là-bas, près de la berge, C'est moi qui fus de mes pleins inondée, Au Golgotha, dans la Judée, Sous Hérode, voici mille ans. Dame la Mort, c'est moi, la Sainte Vierge Qui fis promesse aux gens d'ici D'aller toujours crier merci Dans leurs détresses et leurs peines ; Dame la Mort, c'est moi la Sainte Vierge. » — La Mort, dites, la bonne Dame, Se sent au cœur comme une flamme Qui, de là, monte à son cerveau. La Mort a soif de sang nouveau, — La Mort est soûle — Ce seul désir comme une houle, Remplit sa brumeuse pensée. La Mort n'est point celle qu'on éconduit Avec un peu de prière et de bruit, La Mort s'est lentement lassée Des bras tendus en désespoirs ; Bonne Vierge des reposoirs La Mort est soûle Et sa fureur, hors des ornières, Par les chemins des cimetières Bondit et roule Comme une boule. « La Mort, c'est moi, Jésus, le Roi, Qui te fis grande ainsi que moi Pour que s'accomplisse la loi Des choses en ce monde. La Mort, je suis la manne d'or Qui s'éparpille du Tliabor Divinement, par à travers les lois du monde; Je suis celui qui fus pasteur, Che^ les humbles, pour le Seigneur: Mes mains de gloire et de splendeur Ont rayonné sur la douleur, I^a Mort, je suis la paix du monde. » — La Mort, dites, le Seigneur Dieu Est assise près d'un bon feu, Dans une auberge où le vin coule ; Et n'entend rien, tant elle est soûle. Elle a sa faux et Dieu a son tonnerre En attendant, elle aime à boire, et le fait voir A quiconque voudrait s'asseoir, 6> Côte à côte, devant un verre. Jésus, les temps sont vieux, Et chacun boit comme il le peut — Et qu'importent les vêtements sordides Lorsque le sang nous fait les dents splendidcs. Et la Mort s'est mise à boire, les pieds au feu ; Elle a même laissé s'en aller Dieu Sans se lever sur son passage : Si bien que ceux qui la voyaient assise Ont cru leur âme compromise. Durant des jours et puis des jours encor, la Mort, A fait des dettes et des deuils, Au cabaret des Trois Cercueils; Puis un matin, elle a ferré son cheval d'os, Mis son bissac au creux du dos Pour s'en partir à travers la campagne. De chaque bourg et de chaque village, On est venu vers elle avec du vin, Pour qu'elle n'eût ni soif, ni faim, Et ne fit halte au coin des routes ; Les vieux portaient de la viande et du pain, Les femmes des paniers et des corbeilles Et les fruits clairs de leur verger, Et les enfants portaient des miels d'abeilles. La Mort a cheminé longtemps, Par le pays des pauvres gens, Sans trop vouloir, sans trop songer, La tête soûle, Comme une boule. Elle portait une loque de manteau roux, Avec de grands boutons de veste militaire, Un bicorne piqué d'un plumet réfractaire Et des bottes jusqu'aux genoux ; Sa carcasse de cheval blanc Cassait un vieux petit trot lent De bête ayant la goutte, Contre les chocs de la grand' route; Et les foules suivaient, par à travers les n'importe où, Le grand squelette aimable et soûl Qui trimballait, sur son cheval bonhomme, L'épouvante de sa personne Vers des lointains de peur et de panique, Sans éprouver l'horreur de son odeur Ni voir danser, sous un repli de sa tunique, Le trousseau de vers blancs qui lui tétaient le cœur. chanson de Fou Les rats du cimetière proche, Midi sonnant, Bourdonnent dans la cloche. Ils ont mordu le cœur des morts Et s'engraissent de ses remords. Ils dévorent le ver qui mange tout Et leur faim dure jusqu'au bout. Ce sont des rats Mangeant le monde De haut en bas. L'église, elle était large et solennelle Avec la foi des pauvres gens en elle, Et la voici anéantie, Depuis qu'ils ont, les rats, Mangé l'hostie. Les blocs de granit se déchaussent, Les niches d'or comme des fosses S'entr'ouvrent vides; Toute la gloire évocatoire Tombe des hauts pilliers et des absides A bas. Les rats, Ils ont rongé les auréoles bénévoles Et les tranquilles mains De la croyance aux lendemains, Ils ont rongé les tendresses mystiques Au fond des yeux des extatiques Et les lèvres de la prière En baisers d'or sur les bouches de la misère. Les rats, les rats, Ils ont rongé le champ, ils ont rongé le bourg entier De haut en bas, Comme un grenier. 71 Aussi Que maintenant s'en aillent Les tocsins fous ou les sonnailles Pleurant pitié, criant merci, Hurlant, par au delà des toits Jusqu'aux échos qui meuglent, Nul plus n'entend et personne ne voit Puisqu'elle est l'âme des champs, Pour bien longtemps, Aveugle. Et les seuls rats du cimetière proche A l'Angélus hoquetant et tintant Causent avec la cloche. le Départ Avec leur chat, avec leur chien, Avec, pour vivre, quel moyen ? S'en vont, le soir, par la grand'route, Les gens d'ici, buveurs de pluie, Lécheurs de vent, fumeurs de brume. Les gens d'ici n'ont rien de rien, Rien devers eux Que l'infini, ce soir, de la grand'route. Chacun porte au bout d'une gaule, En un mouchoir à carreaux bleus, Chacun porte dans un mouchoir, Changeant de main, changeant d'épaule, Chacun porte Le linge usé de son espoir. Les gens s'en vont, les gens d'ici Par la grand'route à l'infini. L'auberge est là, près du bois nu, L'auberge est là de l'inconnu ; Sur ses dalles les rats trimballent Et les souris. L'auberge, au coin des bois moisis, Grelotte avec son toit mangé Et la teigne de son enseigne Qui tend dehors un os rongé. Les gens d'ici sont gens de peur, Ils font des croix sur leur malheur Et tremblent; Les gens d'ici ont dans leur âme Deux tisons noirs, mais point de flamme, Deux tisons noirs en croix. Par l'infini du soir, sur la grand'route, Voici venir les ricochets des cloches Là-bas, au carrefour des bois. C'est les madones des chapelles Qui, pareilles à des oiseaux au loin perdus, Rappellent. Les gens d'ici sont gens de peur, Car leurs vierges n'ont plus de cierges Et leurs rosiers n'ont plus d'odeur Et là, dans leurs niches désertes, Seules, quelques pâles cires inertes Et des anges en papier peint. Les gens d'ici ont peur de l'ombre sur leurs champs, De la lune sur leurs étangs, D'un oiseau mort contre une porte ; Les gens d'ici ont peur des gens. Les gens d'ici sont malhabiles, La tête lente et les vouloirs débiles Quoique tannés d'entêtement, Ils sont ladres, ils sont minimes Et s'ils comptent c'est par centimes, Péniblement, leur dénûment. Leur récolte, depuis des chapelets d'années, S'égrena vide en leurs granges minées; Leurs socs taillèrent les cailloux, Férocement, des terrains roux: Leurs dents s'acharnèrent contre la terre A la mordre jusqu'au cœur même. Avec leur chat' avec leur chien, Avec l'oiseau dans une cage, Avec pour vivre un seul moyen: Boire son mal, taire sa rage, Les pieds usés, le cœur moisi, Les gens d'ici S'en vont ce soir à l'infini. Les mères traînent à leurs jupes Leur trousseau long d'enfants bêlants, Trinqueballés, trinqueballants ; Les yeux clignant des vieux s'occupent A refixer, une dernière fois, Leur terre sèche, morte et grise, Où mord la lèpre comme la bise, Où mord la rogne comme les froids. Suivent les gars des bordes, Les bras usés comme des cordes, Sans plus d'orgueil, sans même plus D'amour dans leurs cœurs vermoulus Comme de vieux morceaux de bois, Sans plus la force en leurs dix doigts De se serrer en poings contre le sort Et la colère de la mort. Les gens des champs, les gens d'ici Ont du malheur à l'infini. Leurs brouettes et leurs charrettes Trinqueballent aussi, Cassant, depuis le jour levé, Les os pointus du vieux pavé : Quelques-unes plus grêles que squelettes Entrechoquent des amulettes A leurs brancards, D'autres grincent leurs ais criards, Comme les seaux dans les citernes, D'autres sont de vieilles lanternes, D'autres apparaissent des proues De vieux bateaux cassés, mais dont les roues Où l'on sculpta jadis le %odiaque Semblent traîner le monde entier dans leur bar Leurs chevaux las ballent au pas Les vieux lattis de leur carcasse, Le conducteur s'agite et se tracasse Comme un moulin qui serait fou, Lançant parfois vers n'importe où, Dans les espaces, Une pierre lasse Aux corbeaux noirs du sort qui passe. Les gens d'ici Ont du malheur — et sont soumis. Et leurs troupeaux rêches et maigres Par les chemins râpés et par les sablons aigres Egalement sont les chassés Aux coups de fouet inépuisés Des famines qui exterminent : Moutons dont la fatigue à tout caillou ricoche, Bœufs qui meuglent vers la mort proche, Vaches hydropiques et lourdes Aux pis vides comme des gourdes Et les ânes avec la mort crucifiée Sur leurs côtes scarifiées. Ainsi s'en vont bêtes et gens d'ici. Par le chemin de ronde Qui fait dans la détresse et dans la nuit Immensément le tour du monde, Venant, dites, de quels lointains, Par à travers les vieux destins, Passant les bourgs et les bruyères Avec, pour seuls repos, l'herbe des cimetières, Allant, roulant, faisant des nœuds De chemins noirs et tortueux, Hiver, automne, été, printemps, Toujours lassés, toujours partants, De l'infini pour l'infini. la Bêche A l'orient du pré, dans le sol rêche, Est là, pour à toujours, qui grelotte, la bêche Lamentable et nue ; Sous le ciel sec, la terre sèche ; Et rien, sinon la maigre bêche, Latte de bois seul, latte de bois nu. — Fais une croix sur le sol jaune Avec ta longue main, Toi qui t'en vas par le chemin — La chaumière d'humidité verdâtre Et ses deux tilleuls foudroyés Et des cendres dans l'âtre Et sur le mur encor le piédestal de plâtre, Mais la Vierge tombée à terre. — Fais une croix vers la chaumière Avec ta longue main D'ombre triste sur le chemin — Des crapauds morts dans les ornières infinies Et des poissons dans les roseaux Et puis un cri toujours plus pauvre et lent d'oiseau Infiniment là-bas, un cri à l'agonie. — Fais une croix avec ta main Pitoyable, sur le chemin — Aux verrous rouillés des étables, L'orde araignée, elle a tissé l'étoile de poussière; Et la ferme sur la rivière, Par à travers ses chaumes lamentables, Comme des bras coupés, Croise ses poutres d'outre en outre. — Fais une croix sur le demain, Définitive, avec ta main — Un double rang d'arbres et de troncs nus sont abattus, Au long des loins des routes en déroutes, Les villages — plus même de cloches pour en sonner Le hoquetant dies irœ Désespéré, Vers l'éclw vide et ses bouches cassées. — Fais une croix aux quatre fronts des horizons Car c'est la fin des champs et c'est la fin des soirs ; Le deuil, au fond des cieux, tourne comme des meules Les soleils noirs ; Et des larves éclosent seules Aux flancs pourris des fem mes qui sont mortes. A l'orient du pré, dans le sol rêche, Sur le cadavre épars des vieux labours, Domine là, pour à toujours, Plaque de fer clair, latte de bois froid, La bêche. la Ville Tandis qu'ait loin, là-bas, A l'occident, sous des deux gras, Avec sa tour comme un Thabor, Avec so?i souffle et son haleine Epars et aspirant les quatre loins des plaines, C'est la ville que le jour plombe et que seule la nuit é< La ville en plâtre, en stuc, en bois, en marbre, en fer, — Tentaculaire. TABLE La Ville..................................7 Les Plaines................i3 Chanson de Fou...............iy Le Donneur de Mauvais Conseils..........jg Chanson de Fou...............q5 Pèlerinage.................2 y Chanson de Fou...............32 Les Fièvres................34 Chanson de Fou...............ji Le Péché................. Les Mendiants...............jç La Kermesse................53 Chanson de Fou...............58 Le Fléau.................62 Chanson de Fou...............yo Le Départ.................y3 La Bêche . ... ,............80 La Ville.................85 _i