GEORGES T\pVE^CBa4CH Du Silence POÉSIES PRIX : i FR. yo PARIS ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR 27-31 passage choiseul 27"ji m d ccc lxxxv1ii 'DU SiCËSICE oiUTEUH.: Les Tristesses. — Paris. Lemerrç, 1879. La. Mer Élégante. — Paris. Lemerre, 1881. L'Hiver Mondain. — Bruxelles, 1884. La Jeunesse Blanche. — Paris. Lemerre, 1 GEORGES TipVEPCBcACH Du Silence POESIES PARIS ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR 37-31 passage choiseul 27-3! m d ccc l x x x v iii Silence: c'est la voix qui se traîne, un peu lasse, De la dame de mon Silence, à très doux pas Effeuillant les lys blancs de son teint dans la glace ; Convalescente à peine, et qui voit tout là-bas Les arbres, les passants, des ponts, une rivière Où cheminent de grands nuages de lumière, Mais qui, trop faible encore, est prise tout à coup D'un ennui de la vie et comme d'un dégoût Et — plus subtile, étant malade — mi-brisée, Demande doucement qu'on ferme la croisée. II Do ucEURdu soir I Douceur de la chambre sans lampe ! Le crépuscule est doux comme une bonne mort Et l'ombre lentement qui s'insinue et rampe Se déroule en fumée au plafond. Tout s'endort. Comme une bonne mort sourit le crépuscule Et dans le miroir terne, en un geste d'adieu, Il semble doucement que soi-même on recule, Qu'on s'en aille plus pâle et qu'on y meure un peu. Sur les tableaux pendus aux murs, dans la mémoire Où sont les souvenirs en leurs cadres déteints, Paysages de l'àme et paysages peints, On croit sentir tomber comme une neige noire. Douceur du soir! Douceur qui fait qu'on s'habitue A la sourdine, aux sons de viole assoupis; L'amant entend songer l'amante qui s'est tue Et leurs yeux sont ensemble aux dessins du tapis. Et langoureusement la clarté se retire; Douceur! Ne plusse voir distincts! N'être plus qu'un ! Silence! Deux senteurs en un même parfum: Penser la même chose et ne pas se le dire. -tas»- III Silence de la chambre assoupie et gagnée Par de l'ombre qui tend ses toiles d'araignée Dans les angles, obscurs les premiers, où l'essor Des rêves va finir son vol de mouches d'or! Silence où toute l'àme assombrie est encline A se sentir de plus en plus comme orpheline, Toute seule parmi le soir endolori A revoir son passé comme un tombeau fleuri. Et le songeur muet resonge à son enfance Qui s'écoule et qui fond dans cet obscur silence Dont le vague se mêle à son plus vague ennui. Il entre dans du noir et du noir entre en lui Et la sensation lui vient, douce et suprême, De changer peu à peu tout en restant lui-même. Douceur de ce silence et de ne plus savoir S'analyser et d'être à ce point qu'on croit voir Des fils d'ombre dans la chambre de sa mémoire Descendre et se confondre en une tache noire Comme la toile d'une araignée où l'essor Des songes va finir son vol de mouches d'or. Et tout s'éteint 1 Plus de rêve qui se dévide! Douceur I penser du vague et regarder du vide ! 1 V S e u l s les rideaux, tandis que la chambre est obscure, Tout brodés, restent blancs, d'un blanc mat qui figure Un printemps blanc parmi l'hiver de la maison. Sur les vitres, ce sont des fleurs de guérison Pareilles dans le soir à ces palmes de givre due sur les carreaux froids les nuits d'hiver font vivre. Et dans ces floraisons de guipure on croit voir Tous les souvenirs blancs parmi le présent noir : Ce sont les rideaux clairs du berceau ; c'est la douce Aïeule aux cheveux blancs avec sa voix qui tousse ; Ce sont les grands jardins d'enfance où les pommiers Étaient poudrés ; ce sont les cierges coutumiers Ht les nappes d'autel pour les communiantes; C'est l'hostie aux lys purs de leurs lèvres priantes; Puis c'est le clair de lune épars comme du lait Dans la forêt magique où l'Art nous appelait Parmi sa gloire et ses blancheurs éternisées I Puis la guirlande en fleur au front des épousées Dont l'espoir doux se fane irréparablement Parmi cette blancheur vaporeuse qui ment. Car le leurre est rapide en cette ombre équivoque, Et tous les autres blancs du passé qu'on évoque Vont se faner avec les souvenirs d'amour Quand descendra dans les rideaux la mort du jour. V Les miroirs, par les jours abrégés des décembres, Songent — telles des eaux captives —• dans les chambres, Et leur mélancolie a pour causes lointaines Tant de visages doux fanés dans ces fontaines Qui s'y voyaient naguère, embellis du sourire ! Et voilà maintenant, quand soi-même on s'y mire, Qu'on croit y retrouver l'une après l'autre et seules Ces figures de soeurs défuntes et d'aïeules Et qu'on croit, se penchant sur la claire surface, Y baiser leurs fronts morts, demeurés dans la glace ! VI Il flotte une musique éteinte en de certaines Chambres, une musique aux tristesses lointaines Qui s'apparie à la couleur des meubles vieux... Musique d'ariette en dentelle et fumée, Ariette d'antan qu'on aurait exhumée, Informulée encore, et qu'on cherche des yeux : Rhytmes se renouant, musique qui tâtonne, Le vieil air se dégage un peu, se nuançant Grâce au pianotement de la pluie, en automne, Sur les vitres; et l'air, changé comme un absent, Réapparaît soudain en des grâces fluettes; Puis peu à peu précis, on retrouve ses traits Et tout l'air passe encor dans les chambres muettes.. Oh! musique rapprise aux lèvres des portraits! VII La chambre avait un air mortuaire et fermé Dans cette hôtellerie, en une ville morte Où nous avons vécu, ce divin soir de mai! Silencieusement se referma la porte Comme en peine de voir entrer notre bonheur. Et nous allions à pas étouffés, pris de peur, Comme on entre dans la chambre d'une malade... Il flottait quelque chose encor d'une odeur fade D'anciens bouquets mêlés jadis à des baisers Et maintenant défunts en d'invisibles verres. Et les sombres rideaux aux plis éternisés Et les meubles d'un luxe âgé, froids et sévères, Gardaient sur eux de la poussière en flocons noirs Qui parmi l'autrefois des étoffes fanées Mélancoliquement, depuis tant de longs soirs, Avaient neigé de toi, sablier des années ! Chambre étrange : on eût dit qu'elle avait un secret D'une chose très triste et dont elle était lasse D'avoir vu le mystère en fuite dans la glace I... Car notre amour faisait du mal à son regret. Et même lorsque avec des mains presque dévotes Tu vins frôler le vieux clavecin endormi Ce fut un chant si pâle et si dolent parmi La solitude offerte au réveil des gavottes Que tu tremblas comme au contact d'un clavier mort. Et muets, nous sentions, dans cette chambre étrange Avec qui notre joie était en désaccord, L'hostilité d'un grand silence qu'on dérange! VIII D ans le silence et dans le soir de la maison A retenti le carillon de la pendule. On ne sait si très triste ou très joyeux — ondule Tantôt le chapelet de l'heure en oraison ; Puis ce semble un oiseau si peu viable et frêle Qui se baigne et qui joue avec des perles d'eau ; Puis du verre qui pleut mêlé de fer qui grêle; Étincelles de bruit sous un vague marteau, Musique d'une noce au retour, clopinante Qui monte un escalier tournant, et disparait; Bruit de verres choqués, cristal qui se lamente, Grelots de la Folie — oh I valses, vin clairet, Carnaval fatigué de danses enragées Qui s'en revient vidé d'argent et de raison Et qui laisse dégringoler dans la maison Ses derniers confetti, des sous et des dragées. ^as*-' IX Les dimanches : tant de tristesse et tant de cloches! Volets fermés, outils au repos, piano Grélement tapoté par des doigts sans anneau, Des doigts de vierges dont les cœurs sont sans reproches. Solitude où quelques passants ; Vêpres qui geint ; Couleur de demi-deuil planant sur les dimanches, Avec de la fumée en lentes vapeurs blanches Et du triste dans l'air comme un jour de Toussaint. Silence des quartiers monotones. L'espace Est indistinct, d'un vague où tout semble éloigné; Et l'on entend, tandis que le soir a saigné, Les lointains cris d'enfants en oubli de la classe. Soi-même, dans la rue, on regrette les bons Naguères parmi la maison familiale Et son enfance et l'âme en ce temps liliale Et la tiède chaleur de lampe et de charbons. Les dimanches : tant de tristesses! tant de cloche Vers le faubourg où la lenteur des pas conduit... Une lanterne en ce commencement de nuit S'éclaire doucement comme un œil qui reproche. L'horizon noir ressemble à des linceuls cousus... Puis voici qu'un second réverbère s'allume Triste, si triste au loin, clignotant dans la brume, Tous deux — comme les yeux d'enfants qu'on n'a pas X WIusiques de la rue : accordéons Qu'une chanson amoureuse commente, Rhytme indistinct auquel nous suppléons Qui du meilleur de nous rit et s'augmente; Clairons de cuivre au devant des soldats, Processions, chants des catéchumènes, Marche guerrière ou psaumes presque bas Psalmodiés par des lèvres amènes ; Toute la joie éparse dans le bruit : Accords lointains qui traversent les vitres De notre âme, violons dans la nuit, Tambours mêlés aux boniments des pitres, Fête des sonsl Ivresse des crincrins!... Pourtant rien n'est plus triste, rien ne glace Quand on fléchit pour sa part de chagrins Que d'entendre la musique qui passe. XI Ah ! vous êtes mes sœurs, les ames qui vivez Dans ce doux nonchaloir des rêves mi-rêvés Parmi l'isolement léthargique des villes Qui somnolent au long des rivières débiles; Ames dont le silence est une piété, Ames à qui le bruit fait mal ; dont l'amour n'aime Que ce qui pouvait être et n'aura pas été; Mystiques réfectés d'hostie et de saint-chrême ; Solitaires de qui la jeunesse rêva Un départ fabuleux vers quelque ville immense, Dont le songe à présent sur l'eau pale s'en va, L'eau pâle qui s'allonge en chemins de silence... Et vous êtes mes sœurs, âmes des bons reclus Et novices du ciel chez les Visitandines, Ames comme des fleurs et comme des sourdines Autour de qui vont s'enroulant les angélus Comme autour des rouets la douceur de la laine I Et vous aussi, mes sœurs, vous qui n'êtes en peine due d'un long chapelet bénit à dépêcher En un doux béguinage à l'ombre d'un clocher, Oh 1 vous, mes Sœurs — car c'est ce cher nom que l'Église M'enseigne à vous donner, ô mes sœurs en douceur, Dans ce halo de linge où le front s'angélise, Ohl vous qui m'êtes plus qu'aux autres une sœur Chastes dans une robe à plis qui se balance, O vous mes sœurs en Notre Mère, le Silence ! XII L'ii ostie est comme un clair de lune dans l'église. Or les songeurs errants et les extasiés Oui vont par les jardins où dans une ombre exquise Des papillons fripés meurent sur les rosiers, Ceux que la nuit pieuse a pour catéchumènes Regardant l'astre à la chevelure d'argent Peu à peu croient y voir un sourire indulgent, Un visage d'aïeule et des lèvres humaines! Or l'hostie est un clair de lune au fond du choeur 1 Et tandis que l'encens azuré le silence Et que l'orgue au jubé déroule sa langueur, Qu'à peine un encensoir mollement se balance Tous les benoîts chrétiens dans l'hostie ont cru voir — Comme un visage dans la lune qui se lève — La face aux cheveux d'or d'un doux Jésus qui rêve Et qui se rend visible à ses amis du soir! du silen ce 25 XIII Dan s l'étang d'un grand cœur quand la douleur s'épanche Comme du soir, et met un tain d'ombre et de nuit Sous la surface en fleur de cette eau longtemps blanche Qui, durant le soleil et le bonheur enfui, N'avait rien réflété que le songe des rives, Alors l'étang du cœur se colore soudain D'un mirage agrandi dans le noir des eaux vives : Arbres longs et mouillés d'un nocturne jardin, Maisons se décalquant, étoiles délayées. Tout se précise et se nuance maintenant Dans ces routes de l'eau que le soir a frayées. Et la douleur qui fait de l'àme un lac stagnant La remplit de lueurs et de nobles pensées Qui sont comme dans l'eau les branches balancées Et la remplit aussi de grands rêves qui sont Comme dans l'eau, les tours se mirant jusqu'au fond. Or parmi cette eau morte et pourtant animée Surnage ton visage, ô toi, l'unique Aimée 1 Et ton visage blanc dans la lune sourit, La lune de profil, la lune émaciée — O la visionnaire et la suppliciée! — Qui douloureusement dans l'eau froide périt; Car la douleur accrue éteint tous les mirages Et des cygnes, nageant vers la face au halo, Les cygnes noirs du désespoir, durs et sauvages, Inexorablement la déchirent dans l'eau ! XIV Chagrin d'être un sans gloire qui chemine Dans le grand parc d'octobre délabré, Chagrin encor de s'être remembré Le printemps vert que le vent dissémine, Le vent qui pleure, au loin, comme un tambour Battant l'appel des anciennes années... Et l'on se sent, dans l'exil du faubourg, Les yeux aussi pleins de choses fanées. 28 du silence Et, bien qu'en la jeunesse encore — on croit Que son printemps a presque un air d'automne, Avec l'ennui d'un jet d'eau monotone Dont la chanson, comme un amour, décroit. Et, triste à voir le vent froid qui balance Des fils de la Vierge fins et frileux, On s'imagine en ce parc de silence Que ces fils blancs entrent dans les cheveux. XV O neige, toi la douce endormeuse des bruits Si douce, toi la sœur pensive du silence, O toi l'immaculée en manteau d'indolence Qui gardes ta pâleur même à travers les nuits. Douce! Tu les éteins et tu les atténues Les tumultes épars, les contours, les rumeurs; O neige vacillante, 011 dirait que tu meurs Loin, tout au loin, dans le vague des avenues! du silence Ht tu meurs d'une mort comme nous l'invoquons, Une mort blanche et lente et pieuse et sereine, Une mort pardonnée et dont le calme égrène Un chapelet d'ouate, un rosaire en flocons. Et c'est la fin : le ciel sous de funèbres toiles Est trépassé ; voici qu'il croule en flocons lents, Le ciel croule; mon cœur se remplit d'astres blancs Et mon cœur est un grand cimetière d'étoiles ! XVI La lune dans le ciel nocturne s'étalait Comme un sein chaste et nu, sein de bonne nourrice Tendu pour les songeurs de qui c'est le caprice De boire sa clarté blanche comme du lait. Et c'est assez pour me nourrir. De quoi me plains-je? Surtout que je m'endors sur ce grand sein les soirs De tristesses et de recommencements noirs... Et le ciel tout autour a des fraîcheurs de linge. XVII A l'heure délicate où comme de l'encens Le jour se décompose en molles vapeurs bleues, Va dans l'abandon noir des quartiers finissants, Va donc, ô toi dont l'âme est la soeur des banlieues, Toi dont l'àme est morose et souffre au moindre bruit A travers le faubourg, comme au hasard construit, Le faubourg où la ville agonise et s'achève Dans du brouillard, dans de l'eau morte et dans du rêve... Ht voisl tout au lointain parmi des fonds aigris S'allumer droitement la ligne des lanternes Mettant leur ganse jaune au long des chemins gris Oh ! lanternes debout sur les horizons ternes ! Survivance de la lumière dans le soir, Survivance de la jeunesse dans la vie ! Ces lueurs devant toi, sur la route suivie — Calices d'or s'ouvrant en dépit du vent noir — Vois ! c'est tout ce qui reste, en ce doux crépuscule, Du soleil mort, de ta jeunesse qui recule : Quelques vagues espoirs de gloires et d'amours, Quelques vagues clartés dans la pâleur des verres Que l'avenir, pareil à ces mornes faubourgs, Te garde en ses mélancoliques réverbères ! XVI11 De s cloches, j'en ai su qui cheminaient sans bruit Des cloches pauvres, qui vivaient dans des tourelles Sordides, et semblaient se lamenter entre elles De n'avoir de repos ni le jour ni la nuit. Des cloches de faubourg toussotantes, brisées; Des vieilles, eût-on dit, qui dans la fin du jour Allaient se visiter de l'une à l'autre tour Chancelantes, dans leurs robes de bronze usées. XIX Les cygnes blancs, dans les canaux des villes mortes, Parmi l'eau pâle où les vieux murs sont décalqués Avec des noirs usés d'estampes et d'eaux-fortes, Les cygnes vont comme du songe entre les quais. Et le soir, sur les eaux doucement remuées Ces cygnes imprévus, venant on ne sait d'où, Dans un chemin lacté d'astres et de nuées Mangent des fleurs de lune en allongeant le cou. Or ces cygnes, ce sont des âmes de naguères Qui n'ont vécu qu'à peine et renaîtront plus tard Poètes s'apprenant aux silences de l'Art, Qui s'épurent encore en ces blancs sanctuaires, Poètes décédés enfants, sans avoir pu Fleurir avec des pleurs une gloire et des nimbes, Ames qui reprendront leur Œuvre interrompu Et demeurent dans ces canaux comme en des Limbes ! Mais les cygnes royaux sentant la mort venir Se mettront à chanter parmi ces eaux plaintives Et leur voix presque humaine ira meurtrir les rives D'un air de commencer plutôt que de finir... Car dans votre agonie, ô grands oiseaux insignes, Ce qui chante déjà c'est l'âme s'évadant D'enfants-poètes qui vont revivre en gardant Quelque chose de vous, les ancêtres, les cygnes! XX Dans l'horizon du soir où le soleil recule La fumée éphémère et pacifique ondule Comme une gaze où des prunelles sont cachées; Et l'on sent, rien qu'à voir ces brumes détachées, Un douloureux regret de ciel et de voyage Car la blanche fumée est la sœur du nuage Et va vers les lointains où se mêlent en rêve L'odeur fanée et la musique qui s'achève. Et la fumée entraine en ses molles spirales L'àme s'exténuant des cloches vespérales Qui s'éteint avec elle en très lente agonie ; Et tout le triste doux d'une chose finie Et tout le triste doux d'une chose en allée Subsiste après ce bleu de vapeur exhalée Comme si la fumée, on savait qu'elle porte Un linceul impalpable à quelque étoile morte ! XXI A r ù s défuntes sont les maisons patriciennes Et très dorénavant closes dans du silence Parmi des quartiers froids, en des villes anciennes, Où les pignons, pris d'une inerte somnolence, Ne voient plus rien de grand, dans le soir diaphane, Qui descende sur eux du soleil qui se fane; t Et pour fleurir le deuil de ces vieilles demeures Qui sont les tombeaux noirs des choses disparues Seul le carillon lent sème tous les quarts d'heures Ses lourdes fleurs de fer dans le vide des rues! \ XXII Les canaux somnolents entre les quais de pierre Songent, entre les quais rugueux, comme en exil, Sans paysage clair qui se renverse au fil De l'eau qui rêve — ainsi s'isole une âme fière — L'âme de l'eau captive entré les quais dormants Où le ciel se transpose en pensive nuance Dont la douceur à du silence se fiance. Quelques nuages seuls cheminent par moments Dans les canaux muets aux eaux inanimées Qui semblent des miroirs réflétant des fumées. Puis le ciel s'unifie, incolore et profond, Et les pales canaux entre leurs quais de pierre Sorft sans mirage — ainsi dédaigne une âme fière — Et tout passage d'aile en leur cristal se fond; Plus rien n'entre parmi leurs eaux coagulées Dont la blancheur ressemble à. des vitres gelées Derrière qui l'on voit, dans le triste du soir, L'âme de l'eau, captive au fond, qui'persévère A ne rien regretter du monde en son lit noir Et qui semble dormir dans des chambres de verre ! XXIII Mon réve s'en retourne en souvenirs tranquilles Vers votre humilité, vieilles petites villes, Villes de mon passé, villes élégiaques Si dolentes les soirs de Noël et de Pâques, Villes aux noms si doux : Audenarde, Malines, Pieuses qui priez comme des Ursulines En rhytmant des avé sur les carillons tristes ! Oh ! villes de couvents, villes de catéchistes Avec la sainte odeur des encens et des cires, Villes s'assoupissant, si doucement martyres De n'avoir pas été suffisamment aimées, Qui dégageant le gris mourant de leurs fumées Comme une plainte d'àme exténuée et lente Agonisent parmi la clarté somnolente Des lanternes en pleurs tout au long des façades. Et mon ame retourne en ces quartiers maussades Où quelque girouette est grinçante aux approches Du vent qui porte au loin la souffrance des cloches! Car tout s'est endeuilli parmi la ville éteinte Et là-bas, sur la place, une clochette tinte D'un prêtre lent qui va porter les saintes huiles Tandis que le soleil agonise en les tuiles. Le jour triste décline, et voici que tu erres O mon rêve, devant les maisons mortuaires Reconnaissables dans le soir et dans la brume Aux nœuds de crêpe noir qu'un reste de coutume Jusqu'à l'obit, veut qu'on attache au seuil des portes ! On dirait des oiseaux cloués, des ailes mortes... Et'sur les volets clos une grande lanterne Pend, de qui la lueur si grelottante et terne Brûle, en forme de cœur, dans la prison du verre. C'est comme de la vie encor qui persévère Et l'on croirait que l'àme ancienne est là qui pleure Et guette pour rentrer un peu dans sa demeure ! fil ! i !f du silence XXIV En province, dans la langueur matutinale Tinte le carillon, tinte dans la douceur De l'aube qui regarde avec des yeux de sœur, Tinte le carillon — et sa musique pâle S'effeuille fleur à fleur sur les toits d'alentour, Et sur les escaliers des pignons noirs s'effeuille Comme un bouquet de sons mouillés que le vent cueille; Musique du matin qui tombe de la tour, W* <•• ■ ' ......,. 1 ..'„-.,.T Qui tombe de très loin en guirlandes fanées, Qui tombe de Naguère en invisibles lys, En pétales si lents, si froids et si palis Qu'ils semblent s'effeuiller du front mort des Années XXV La ville est morte, morte, irréparablement! D'une lente anémie et d'un secret tourment, Est morte jour à jour de l'ennui d'être seule... Petite ville éteinte et de l'autre temps qui Conserve 011 ne sait quoi de vierge et d'alangui Et semble encor dormir tandis qu'on l'enlinceule; Car voici qu'à présent, pour embaumer sa mort, Les canaux, pareils à des étoffes tramées Dont les points d'or du gaz ont faufilé le bord, Et le frêle tissu des flottantes fumées S'enroulent en formant des bandelettes d'eau Et de brouillard, autour de la paie endormie — Tel le cadavre emmaillotté d'une momie — Et la lune à son front ajoute un clair bandeau ! XXVI C'est l'automne, la pluie et la mort de l'année! La mort de la jeunesse et du seul noble effort Auquel nous songerons à l'heure de la mort : L'effort de se survivre en l'Œuvre terminée. Mais c'est la fin de cet espoir, du grand espoir, Et c'est la fin d'un rêve aussi vain que les autres : Le nom du dieu s'efface aux lèvres des apôtres Et le plus vigilant trahit avant le soir. du silence SI Guirlandes de la gloire, ah ! vaines, toujours vaines I Mais c'est triste pourtant quand on avait rêvé De ne pas trop périr et d'être un peu sauvé Et.de laisser de soi dans les barques humaines. Las! le rose de moi je le sens défleurir, Je le sens qui se fane et je sens qu'on le cueille! Mon sang ne coule pas; on dirait qu'il s'effeuille... Et puisque la nuit vient — j'ai sommeil de mourir! Achevé d'imprimer Le deux mars mil huit cent quatre-vingt-huit par ALPHONSE LEMERRE (Bancel, conducteur) 25, rue des grands-augustins, 25 Jl