DU MÊME AUTEUR Les tristesses. Paris, Lemerre, 1879. La mer élégante. Paris, Lemerre, 1881. Georges RODENBACH illustré de DEUX CROQUIS DE JAN VAN BEERS A BRUXELLES chez Henry KISTEMAECKERS, éditeur 65, rue des Palais, 65 tous droits réservés M L A O Sl&acSame £6mcn6 &icaiï)-€>fiiv L'HIVER MONDAIN Lo Réalisme n'a pas l'unique mission de décrire ce qui est bas, ce qui est répugnant; il est veDU au monde aussi, lui, pour définir dans de l'écriture artiste ce qui est joli, ce qui est élevé, ce qui est bon, et encore pour donner les aspects, et les profils des êtres raffinés et des choses riches. De Goncourt. Mièvreries A Jan Van Beers. é es grandes Muses abolies p Si j'avais suivi leur conseil Sl'auraient fait chanter le soleil, Guérisseur des mélancolies. T L Mais ma dolente muse, à moi, Elle est mignonne, elle est phthisique ; Elle fait un peu de musique En se mourant d'un long émoi. Elle esl sentimentale et mièvre, Son charme esl artificiel; Si ses yeux sont d'un bleu de ciel Elle met du rouge à sa lèvre. Sa chanson n'est qu'un cri d'oiseau ; Poudrerizée, elle est fluette ; Et c'est comme une statuette Qu'a taillée un faible ciseau. Sans cris virils, sans élans mâles, Elle joue £t son clavecin, Puis s'accoude sur un coussin Au fond du boudoir aux ors paies. Et rêve au milieu du velours. Dédaignant les bruits de la rue Dans la pénombre encore accrue Par des rideaux épais et lourds. 11 N'importe ! je t'ai préférée Toi si pâle — comme un blanc clair De lune — ayant un si bel air Dans ta toilette de soirée. Toi qui toujours revendiquas D'une voix lente et maladive, Pour un peu de gloire tardive f.e suffrage des délicats. Dans ton boudoir orné de Sèvres, Sur des coussins brodés et mous, Je veux languir à tes genoux Muse pâle des choses mièvres, Faisant de nos amours défunts, De nos rêves de toutes sortes Des vers — comme avec les fleurs mortes On distille d'exquis parfums. Ainsi renaîl l'âme des plantes Et nous nous survivrons aussi, Abondamment compensés si L'une de nos strophes dolentes Embaume toute une âme, un soir, Malgré la mort, malgré l'absence, Comme il sufiil d'un peu d'essence Pour imprégner tout un boudoir! Sincérité A Catu.i.k Mendès jI'ai voulu laire mes douleurs; J'ai voulu cacher ma tristesse Et mon ennui profond. Etait-ce La peine de montrer mes pleurs. Sur toutes mes rancœurs anciennes, Sur les oublis et les dédains, J'ai descendu mes goûts mondains Comme on abaisse des persiennes. En Soirée A Jean Aicaud. |:uand les plus mondains des poètes i: Pour charmer leurs ffoùts délicats g 51 " Vont marivauder dans les fêtes Au rythme lent des mazurkas, Sous les plafonds tendus de soies Ou peints d'Amours à la Watteau, Pleurent en eux de tristes joies Comme en un parc pleure un jet d'eau. Pour compléter d'anciennes strophes Ils vont s'inspirer aux trumeaux Ou choisir parmi les étoffes Des rimes d'or aux sons jumeaux. Cela les rend mélancoliques Et ni le luxe des salons, Ni les danses, ni les musiques Qu'alanguissent les violons, Ni les fins pastels, ni les toiles, Ni les lustres enjoliveurs Comme une couronne d'étoiles Que doublent les miroirs rêveurs, Ni les robes où se devinent Des corps de neige aux seins fleuris, Ni les sourires que raffinent Le fard et la poudre de riz, Rien n'y fait! nul charme n'opère; Ils restent fiers et sérieux, Et chacun d'entre eux s'exaspcre A subir son mal glorieux. Et leur âme en proie aux névroses Associe à leur sort celui Des bouquets dédaignés de roses Agonisant d'un long ennui, Qui, sous la flamme des bougies, Dans leurs vases ont à souffrir Les amoureuses nostalgies D'un sein de femme, où refleurir ! Eux de méuje, adossés aux portes, Ont l'espoir d'un amour nouveau Pour dorer leurs jeunesses mortes, Clair de lune sur un caveau ! Puis ils sentent, comme une pieuvre Buvant tout le spleen de leur cœur, Le tourment béni du Chef-d'œuvre Où s'inscrirait leur nom vainqueur!.. Ces rêves, leurs âmes fantasques En ont toujours l'éclair joyeux Comme dans le satin des masques Luisent toujours les trous des yeux. En Sourdine A Sur.i.Y plludhomme. ui saisira le charme triste Le charme subtil et dolent D'un vieux parfum d'vlang-ylang Dans un fin mouchoir de batiste. Qui transcrira le bruit charmeur Des musiques atténuées S'évaporant vers les nuées, Douces, dans un accord mineur. Oh ! combien les choses lointaines Troublent les sens extasiés! Eloignons-nous des blancs rosiers Et du jet montant des fontaines, Car leurs odeurs, car leurs bruits d'eau Auront cc charme, dans la brise, D'une confidence surprise Derrière les plis d'un rideau. Oh! combien les teintes pâlies, Les mauves, les bleus et les blonds Font palpiter dans les salons D'amoureuses mélancolies. C'est bien la grâce du pastel Ce réve du tableau, poussière Où quelque mondaine princière Sourit d'un sourire immortel. Les nuances molles, éteintes Ont l'exquisité des pâleurs; C'est la sourdine des couleurs Et la perspective des teintes. J On aime l'effacement doux Des mâts, sur la mer, et des voiles, Et si l'on s'attache aux étoiles C'est qu'elles sont si loin de nous ! Caprices mignards A François Coppiiu. J j ï-E n'aime pas les fleurs des champs, ara ut Les fleurs des champs, ces paysannes Qui promènent sur les penchants (y Des talus verts — leurs caravanes. h Les marguerites, on dirait Qu'elles ont des jaquettes blanches, Et le moindre insecte indiscret Les déshabille sous les branches. Les bleuets sont en sarraux bleus Et dans le blé vibrant qui bouge Les grands coquelicots frileux Ont sur la téte un foulard rouge. Le parfum, c'est l'esprit des fleurs, Mais les rustaudes n'en ont guéres, Et malgré toutes leurs couleurs C'est un peuple de fleurs vulgaires. Ce qui charme mes sens troublés, Ce sont les belles fleurs de serre ; Tels des papillons épingles Sous une vitrine de verre. C'est la floraison au malin Dans les serres ensoleillées Des camélias en salin Et des tulipes maquillées. C'est tout le groupe en falbalas Des jacinthes, ces vierges frôles, Courbant leurs tailles d'un air las Avec d'exquis parfums sur elles. Elles sont le monde élégant Et les fleurs aristocratiques : Ainsi dans un coupé fringant Des duchesses très lymphatiques Qui sur des fonds de satin verls Avec des allures altières Ne sont visibles qu'à travers La glace fine des portières ! Il Je n'aime pas les chiens fougueux, Les athlétiques chiens de ferme, Ce tas de manants et de gueux Nourris à peine, aboyant ferme. Ils sont sales, puants, crottés Tous ces bohèmes des grand'routes, Dont les museaux se sont frottés A tous les seuils, cherchant des croûtes. Ils n'ont ni fierté, ni repos, Se résignant leur vie entière A faire avancer des troupeaux Ou des charrettes de laitière. Mais ce que j'aime, c'est plulôt Les chiens de salon, les caniches, Les levrettes en paletot Ayant des canapés pour niches. C'est le bichon aux poils frisés Qui sur les tapis se pavane, Qu'on peigne, en collant des baisers Sur sa robe couleur havane. Les petits chiens auxquels on met Des colliers d'or, des faveurs bleues En arrangeant comme un plumet La touffe de poils de leurs queues. Les chiens gâtés faisant des bonds Pleins de gourmandise et de lucre Pour s'attabler dans les jupons Et manger des morceaux de sucre !... III Je n'aime guère le grenier De Déranger, et sa Lisette Gâtant son profil printanier Avec un bonnet de griselte. Dans sa mansarde, sous les toits, C'était une ignorante fille Qui pour bijoux n'avait aux doigts Qu'un dé de cuivre et son aiguille. Elle offrait simplement sa chair Comme une corbeille de roses ; Mais nous voulons, le cœur plus fier, D'autres amours pour nos névroses. A des blasés voluptueux Venus dans le déclin des races, Il faut des boudoirs somptueux S'ouvrant sur des parcs h terrasses. Comme ceux que le Titien Prolongeait devant les alcôves Où quelque amant musicien Déroulait de longs cheveux fauves ! C'est ainsi qu'il nous faut, à nous. Des amoureuses élégantes, Mais nous dérobons leurs genoux Sous des toilettes provoquantes. Car nos yeux sont lassés de voir La chair désillusionnante, D'une pâleur de ciel du soir, D'une tristesse d'eau stagnante. Qu'est-ce un beau torse que l'amour Sur un lit a couché sans voile? C'est la lampe sans abat-jour; C'est le mât dégarni de voile. Plus troublants sont les corps cachés Dans le mystère des étoffes; Tels les rêves, mieux ébauchés Sous le déroulement des strophes. Telle encor — caprice élégant — La main paraissant bien plus fine Quand elle est prise dans un gant Qui fait qu'à peine on la devine. Aussi notre étrange idéal Pour ces amantes raffinées C'est qu'un soir, au sortir du bal, Dans des chambres capitonnées, Elles s'abandonnent sur un Sopha de perse bigarrée Au milieu d'un vague parfum, — Avec leur robe de soirée !... Femme en Deuil A Georges Eekhoud. rès pale, maladive et ses deux yeux creusés Comme des trous de nuit où se meurt une étoile, En grand deuil, et cachant sa langueur sous un voile, Elle allait dans la neige avec des airs brisés. Et la voyant passer je me disais : mon Ame Est en grand deuil aussi dans le blanc de l'hiver, Mais afin d'oublier tous deux le mal souffert 11 suffirait d'avoir l'amour de cette femme. Car rien qu'à nous presser les mains quelques moments Nous ferions une joie avec nos deux tourments ! Et tandis que je songe elle est loin disparue. Dans le balancement mélancolique et las De sa robe, on croirait, tout au bout de la rue, Entendre agoniser sa marche comme un glas. Les Fêtes Galantes (xvme siècle) A Albert Delpit. ^ffflJêj'EST un c0(luct sa'on Louis-Quinze, aux panneaux "iiySS^ Tendus de soie à fleurs ou d'unis salins roses, Et des bandes d'Amours joufflus dans les trumeaux Dansent en se tenant par des chaînes de roses. I Un lustre de Bohême aux tulipes de feu Eclaire vaguement, comme avec mignardise, Les meubles chantournés de ce salon qu'un peu De poudre maréchale errante emparadise. Sur les murs un exquis portrait de Fragonard, Et, tout près d'un Watteau que le portrait regarde, Un pastel de Lalour, ce dévot du même art Où règne le Joli — comme un roi qui se farde. lin tas de gens de cour passent dans ces salons Essayant de nouveaux gestes devant les glaces, En habits de velours, promenant leurs talons Rouges, sur le parquet enrichi de rosaces. Ils tachent d'enjôler les Belles qui sont là Aux noms doux, doux sonnants : Clorinde et Kosaline, Tandis qu'un peu jalouse et folle, Viola Agace leurs jabots de pfde mousseline. On joue une ariette ancienne au clavecin Et toutes sont en cercle, acceptant les hommages — Leur éventail en main, les pieds sur un coussin Dans les paniers bouffants de leur robe h ramages !... 11 C'est l'heure du Petit Souper Sur les terrasses qu'on festonne ; Et tout là-bas, le ciel d'automne Dans le brouillard va se draper. Petit souper plein d'élégances Où le sucre, aux gateaux de prix, A mis de la poudre de riz, Et la confiture, des ganses. Petit souper emmiellé ! Un luxe blanc d'argenteries Forme sur les nappes fleuries Comme un paysage gelé. On échange du bout des lèvres Des bouts d'aveux, et les amants Madrigalisent leurs serments Avec un tas de façons mièvres. Bouclier, pour être bien en cour Et plaire aux convives illustres, Peint un éventail sous les lustres Pour la marquise Pompadour. 11 fait des angelots si roses Et d'un coloris si vermeil Qu'ils semblent vêtus de soleil Et qu'ils semblent nourris de roses. Gentil-Bernard, d'un air rêveur, Dorât fade comme Clitandre Disent chacun un sonnet tendre Rythmé d'un geste enjoliveur. Et les marquises peu sévères Agacent d'un sourire ceux Qui regardent les vins mousseux Mettre de la dentelle aux verres, Tandis qu'en ce joli festin La gaité blanche des guipures A mis comme des mousses pures Sur les .corsages de satin. Les soubrettes font la navette Fraîches dans leurs jupons collants Et cachent des billets galants Sous leur tablier Si bavette. Dans les glaces aux cadres d'or La table tout en Heur se mire Comme les flancs peints d'un navire Mirés au fil d'une eau qui dort. C'est l'heure où l'allée et venue Paresseuse des éventails Laisse admirer dans ses détails Plus d'un coin blanc de gorge nue. Les cœurs de femmes sont grisés, Et voici que déjà leurs mouches Montrent la route, au coin des bouches, Que doivent prendre les baisers. III Et là-bas des bosquets et des amphithéâtres Enguirlandés de fleurs, pavoisés de rubans, Où des noces, le soir, dans les vapeurs bleuâtres, Au bruit des violons, dansent autour des bancs. Berceaux embuissonnés de roses et de ronces D'où s'élève à toute heure un amoureux conseil ; Grands escaliers plongeant par delà les quinconces Et qui semblent mener là-bas, dans le soleil ! Jardins corrects où l'herbe en fleur paraît coiffée, Où sous le baldaquin du ciel, sur un rideau D'arbres mondains, parmi la Nature attiffée. Les fontaines des parcs ont des panaches d'eau ! Et là-bas les étangs et les bassins placides Où des cygnes de neige endorment leur fierté, Ce pendant qu'à travers les branches translucides Il pleut sur les chemins des gouttes de clarté. Voici que la nuit tombe et les voix s'étanl tues On peut voir très longtemps, blanche dans ce décor, La troupe des Amours de plâtre et des statues Jouer sa pantomime aux sons lointains d'un cor ! 1Y Alerte! les basses, les llûtes Les tambourins, les violons ! Et la danse dans les salons Enroule au hasard ses volutes Chaque couple, d'un air joli, Suivant les lois de la gavotte S'incline, s'élance ou pivotte Sur la musique de Lulli. Le vent des traînes élargies El le vent des éventails fout Danser aussi sur le plafond La flamme errante des bougies. Puis c'est un solennel menuet de Rameau, Un menuet à deux reprises : et les danses Mettent dans chaque coin comme un vivant trumeau Dont les miroirs profonds redisent les cadences. Les rythmes sont très doux, très graves et très lenls Et les petits abbés, durant la danse entière, Petits abbés poudrés, petits, abbés galants, Tapotent de leurs doigts leur riche tabatière. Et tandis qu'elles vont dans leur robe h paniers Dansant et saluant, les duchesses de France, On peut voir leurs deux pieds mignons et printanicrs Dépasser de leur jupe à chaque révérence. On s'imagine alors voir des cloches, tintant Des baptêmes de cœur et des messes de joie, Avec le va-et-vient des mules pour battant, Dans le vide embaumé de ces cloches de soie ! Jardin d'Hiver A Emile Van Arenbergii I & k soir, lorsque la lune épanil ses frissons bleus t Et que des peaux de tigre et des tapis moelleux ) Assourdissent les pas dans la chambre de verre, Un grand jet d'eau sanglotte au milieu de la serre, Comme s'il se plaignait élégiaquement De retomber toujours dans le bassin dormant V- Et de ne pas pouvoir, pour calmer sa rancune, Porter son baiser froid aux lèvres de la Lune ! s. Symphonie en blanc A Armand SilVestre. Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses Une /leur qui ressemble il mon rouge idéal. Baudelaire. adagio. e hais l'Idéal rouge! 11 blesse, il brûle, il mord £ Comme ces longs tissus aux pourpres flamboyantes Affolent, au milieu des arènes bruyantes. Le taureau qu'on provoque ;> reculer sa mort. La flore de mes vers n'a pas la couleur mâle Mais le morbide éclat qu'ont les fleurs des salons; lit mieux qu'un soleil jeune aux rayons chauds et blonds J'évoque un clair de lune alanguissamment pâle ! Ni les vices savants, ni les fortes vertus N'ébranlent la langueur de mes nerfs dél Et mon art de poète élégant s'effémine. Seul comme un ostensoir oublié dans le chœur D'une église effondrée où tout tombe en ruine, Seul mon Idéal Blanc ravonne dans mon cœur ! allegro. Et c'est pourquoi je t'aime, o ma très pâle amante, D'autant plus pâle encor qu'ils sont noirs tes cheveux Ta beauté lymphatique est conforme à mes vœux Et suivant ta pâleur ma tendresse s'augmente. Traînant dans ton peignoir de neige du matin Ta maigreur sculpturale et ta marche indolente, Tu résumes pour moi cette grâce dolente De la fleur qui se fane et du son qui s'éteint. \ Tout ton costume est blanc, et mon rêve d'artiste Salue en exultant ton mouchoir de batiste Comme un drapeau d'amour où se traîne un parfum. Grâce ù toi refleurit dans mon âme blasée Mon rêve de foyer, mon beau rêve défunt, Car ton peignoir ressemble aux robes d'épousée. 111 amiante. C'en est fait de l'amour idéal, ce soleil Qui laisse pour toujours au fond de la mémoire Le triste souvenir, comme une tache noire, A qui fixe un instant son fantôme vermeil. Mieux que toi, fiancée insensible et railleuse, Ironique soleil éteint qui m'aveuglas, Ma pâle amante éclaire aujourd'hui mes yeux las Et son âme a pour moi des douceurs de veilleuse. C'est bien ce qu'il fallait pour un convalescent. Car son amour ressemble à la lampe, glissant A travers ses pâleurs d'albâtre un rayon sombre. C'est ainsi que pour moi, quand je rêve à l'écart. De son visage blanc se dégage dans l'ombre Sous l'abat-jour des cils, le feu de son regard ! IV menuet Voilà la symphonie en blanc qui s'accentue : Les pâleurs du peignoir chantent sur ton beau corps L'hermine du tapis, plaquant de gais accords, Enroule sa musique ïi tes pieds de statue. Le menuet s'avive, el des muguets tout blancs Dont les bouquels mignons parent tes étagères, Font tintinnabuler leurs clochettes légères Dont le parfum s'envole en des rythmes troublants. Soudain cette blancheur du boudoir se reflète Comme un joli motif qu'on brode et qu'on répète — Dans la limpidité de ton profond miroir. .le pique alors dans tes cheveux que lu frisottes Des fleurs — dans tes cheveux sombres comme le soir ! Toutes blanches, ces fleurs semblent des papillottes. V KONDO. Enfin mon amour triste a vaincu son émoi : Ses baisers, qui tantôt tombaient froids sur ma bouche Pareils à des flocons que chasse un vent farouche, Ne sont plus glacials en descendant sur moi. Ces baisers abondants, parfumés, que j'adore, Je les sens tournoyer dans la chambre cl neiger, Et mon caprice évoque un idéal verger Où je serais couché dans des gloires d'aurore. L'HIVER MONDAIN Quand je les sens ainsi tourbillonner longtemps. Je crois Être dans l'herbe au soleil du printemps, Et je crois, dans l'élan de nos tendresses mièvres, Que tous ces baisers chauds, fiévreux, ensorceleurs. S'abattant sur mon front, sur mes yeux, sur mes lèvres Ce sont.les bouquets blancs d'un cerisier en fleurs ! VI FINAL. Quand je t'aurai longtemps aimée, ô ma maîtresse, Quand j'aurpi poursuivi mon œuvre et mon amour, Je verrai dans la mort s'évanouir un jour Mon double rêve ardent de gloire et de tendresse. Mais j'irai volontiers m'endormir à jamais, Si c'est par un matin d'hiver, plein de mystère, Où la neige nocturne aura couvert la terre Pour encor m'entourer des blancheurs que j'aimais. Soir familial a ma chère soeur marie. soirs d'hiver, la sœur faitur. peu de musique Et l'on se ressouvient des adorables jours jîpfa De l'enfance, où la chère avait des jupons courts 1 Elle qui joue et chante un Lied mélancolique. "ivj Le père écoute, un livre en main, dans un fauteuil ; La mère, en entendant dehors tousser la bise, S'approche du foyer où la braise agonise Et le chat les regarde en ouvrant son grand œil. 0 soir familial ! on songe avec reproche Qu'on les aime trop peu, que quand ils seront morts Les bons parents vieillis — on aura des remords. On se dit que l'hiver de deuil peut-être est proche Où, triste, on n'aura plus que sa sœur seulement Qui chantera toujours le même air allemand ! Strophes blondes A Paui. Bouhcet. ma très blonde, tes cheveux Sont si blonds que tu réalises La douceur, conforme h mes vœux, Qu'ont les madones des églises. Ils sont d'un fin, d'un moelleux tel Qu'on croirait, quand on les desserre, Voir la chevelure au pastel D'un ancien portrait mis sous verre. 0 ma très blonde, je suis fou De ta blondeur insaisissable Où se détache un clair bijou Comme une ancre d'or sur du sable. Elle a son histoire d'amour Ta riche toison merveilleuse, Mais il faudrait un troubadour Pour la chanter sous ta veilleuse. Musicien aux doigts nerveux Pinçant, par caprice bizarre, Le rêve blond de tes cheveux Comme des cordes de guitare ! 11 0 ma très blonde, à dix-sept ans Captive d'un couvent morose Quand tes grands yeux inquiétants Etaient cernés par la chlorose, Ta blondeur de miel éclairait Ta robe noire d'uniforme Où ta poitrine se cambrait Dans un commencement de forme. Tu prenais gaîment tes ébats Sous les arbres des cours cloîtrées Où l'horloge, comme un compas, Ouvrait ses aiguilles dorées. Dans le silence du dortoir Et des alcôves endormies Tu lisais lentement, le soir, Les billets doux de tes amies ; De ces ardentes qui t'aimaient Avec de chauds baisers précoces Et qui déjà ne s'endormaient Qu'en songeant au jour de leurs noces. Mais aucuns doigts n'avaient encor Aucuns doigts experts en caresses Dénoué tes longs cheveux d'or Et fait un voile de tes tresses. Tu les partageais en bandeaux Avec l'exquise enjolivure De nattes longues sur le dos ; C'était ta première coiffure, Simple et chaste autour de ton front, Nimbant les pâleurs lymphatiques, Une coiffure comme en ont Les vierges des missels gothiques !... III Quand tu fréquentas les salons Les bals, les fêtes, les soirées Où les femmes ont des gants longs Et de longues traînes moirées, Métamorphosée à l'instant Tu quittas, hardie et fêtée, La robe à corsage montant Pour la robe décolletée. Et dans l'air du bal accablant Qu'une odeur de musc féminise, Tu passais comme un réve blanc Dewint les glaces de Venise. Et les valses des violons Faisant leur musique cûline,' Te berçaient dans leurs tourbillons Comme un berceau de mousseline ! Tandis qu'un vieux coureur de bal, Un vieux donneur de sérénade, Te parlait de son idéal Et de son pauvre cœur nomade, T'offrant l'hommage instantané, Séduit par ta fauve crinière, D'un amour plus vite fané Que la fleur de sa boutonnière ! Alors te voyant chaque soir Avec des toilettes fleuries, Près des galants en habit noir, 11 te vint des coquetteries ; Et tu coupas un beau matin, Un matin triste de l'automne, Ta chevelure de satin, Tes bandeaux lisses de madone. En peignoir, devant la psyché De la chambre où tu te pomponnes, Tu les coupas, le corps penché, En un tas de mèches friponnes. Et ces frisures sur ton front Evoquaient les grûces jumelles De barbes d'épis tout en rond Avec les bleuets des prunelles ! IV Puis tu m'aimas ! ce fut l'instant Du premier trouble triste et vague, Des doigts pressés en prétextant D'admirer un chaton de bague. Alors je te fis un sonnet, Toi, tu me fis des confidences, Et chaque soir, sur ton carnet, Tu m'inscrivais pour plusieurs danses. L'été dernier, dans un grand parc, Devant le ciel couchant rougeâtre, Sous les bosquets courbés en arc Où s'aimaient des Amours de plâtre, Tu m'as donné — j'en rêve encor Et je vois que toi, lu tressailles ! — Une boucle de cheveux d'or Comme un anneau de fiançailles. V 0 ma très blonde, si tu veux Qu'à tout jamais je t'appartienne, 11 suffît d'un de les cheveux Pour nouer ma vie à la tienne. Si tu veux, madrigalisons ! Pour fêter ta blondeur que j'aime Je n'ai pris des comparaisons Qu'aux choses blondes du ciel même : Quand je te vois en peignoir bleu Comme une miss, frêle et rosée, Tes mèches ressemblent un peu A de la lumière frisée. Quand je les prends dès ton réveil J'ai celte croyance factice Que c'est un rayon de soleil Qu'au rouet de mes doigts je lisse. 0 ma très blonde, écoute encor Celte bizarre et tendre idée : C'est qu'une étoile, cocon d'or, Pour ton chignon s'est dévidée. Puis il suffit que ta toison Sur tes épaules, tu la mettes, Pour m'évoquer ïi l'horizon Les rayons peignés des comètes. Dans ton alcôve éclievelons Tes cheveux d'or pâle et tluide, Car plus ils sont soyeux et longs Plus s'accroît mon amour morbide. Et quand sur leur fond d'un blond roux Qui s'élargit en auréole Et s'enroule en brillants froufrous, Sourit ta tôle pâle et folle, 0 ma très blonde, alors je crois Par une nuit mélancolique Voir un halo dans les cieux froids Autour d'une Lune phthisique ! — Après le bal A Geokges Khnopff uand je rentre tout seul, après les soirs mondains, Poursuivi du frisson des satins et des moires, i Les astres — trous des yeux dans des cagoules noires M'évoquent un convoi de pénitents lointains. La nuit se fait aussi dans mon cœur ; la lumière Des lanternes prolonge en moi le bal défunt, Et j'aspire en rêvant le posthume parfum Du gardénia blanc, mort ît ma boutonnière. Et tandis que le vent pleure aux angles des toits, Je revois des profils, pleins de grâce éphémère, En songeant que c'était comme une joie amère De n'avoir de leurs corps que le bout de leurs doigts. Moi qui voulais verser, comme une eau pure et neuve, Ma parole abondante au vase blanc d'un cœur, Je sens s'aigrir en moi la divine liqueur Et mon âme filtrer sans qu'aucun s'en émeuve. Je souffre que jamais l'aveu que je révais N'ait volé d'une lèvre h la mienne, et qu'aucune N'ait surgi tout h coup comme un beau clair de lune Entre les arbres noirs de la route où je vais ! Paysage de ville A Emile Verhaeren e soir, quand je m'en vais vers le faubourg voisin, Je longe un quai très vieux aux gothiques façades, Qui, par les jours d'automne embrumés et maussades, 51'apparaît, pittoresque et noir comme un fusain. Les maisons qui sont là sont toutes très anciennes Et même sembleraient closes depuis longtemps Si l'on n'y voyait pas défaillir par instants, La lueur d'une lampe à travers les persiennes. Et dans le grand silence une rumeur de voix Monte : c'est au lointain un retour d'écoliôres, Et le long des pignons aux marches régulières, On monte au pays d'or des choses d'autrefois. La pierre se contourne en des fioritures Où tout un ancien art défunt triomphe encor El, comme pour un peu rajeunir ce décor, S'unit l'herbe vivante aux bouquets des sculptures. Aux murs vertdegrisés, cartouches, écussons Déjà presque effacés, redeviennent ébauches ; Les satyres de pierre y cessent leurs débauches Et la pluie a rongé leurs rires polissons. On croirait voir sur les balcons la broderie D'une mantille noire, et les toits sont couverts D'ardoises où la mousse allume des tons verts Et quelque girouette inconsolable y crie ! Au centre, un grand canal, et des bateaux au bord ; Les bateliers, le soir, y rapiècent leurs voiles ; Et comme des poissons argentés, les étoiles Ont des frissons sur l'eau calme du petit port. i.c courant fait le bruit du satiu que l'on froisse En venant se frotter aux arches du vieux pont, El les cloches, dans l'ombre où nul ne leur répond, Ont tû leur chant d'airain aux clochers de paroisse. Peu de passants et rien que la vague rumeur D'un chariot lointain, là-bas, dans une rue ; Kien qu'une triste plainte incessamment décrue Comme le souffle lent d'une ville qui meurt ! Lit de dentelle n lil c'est line barque à la proue embellie Par un tas d'ornements contournés et sculptés Où pendent des rideaux de dentelle écartés Avec de longs frissons de voiles qu'on déplie. Et de même qu'après avoir défait l'anneau De la chaîne qui tient la barque — elle dérive, C'est la Réalité qui fuit comme une rive Et l'on glisse au sommeil, tranquille comme une eau. Bientôt le paysage autour de soi varie Et le Rêve apparaît comme une île fleurie Qu'un clair de lune semble encore enjoliver. Sommeil, mort passagère ! Oh ! lorsque viendra 1' De mourir, ce sera si bon de dériver Presque insensiblement — vers une île meilleure Un pen de musique A Ivan Gii.kin Du Chopin. &HÈRE, tu m'as joué l'autre soir du Chopin Et cela m'évequait les senteurs émanées D'une chambre ancienne aux étoffes fanées Dont la poussière aurait noirci le plafond peint. l'ne chambre où jadis de royales phthisiques Ont vécu, s'accoudant h de moelleux coussins Ou plaquant leur main pale aux pûles clavecins Pour mourir en jouant de très tristes musiques. Les Nocturnes en deuil me racontaient tout bas Que ces vierges ont fait leurs dernières sorties En avril, dans un châle épais, à petits pas, Quand leur visage avait la blancheur des hosties; Et quelquefois le thème initial, très doux, Revenait m'obséder comme un accès de toux ! Il Valses allemandes. A ton balcon, le soir, les brises étouffées Propageant les échos d'un orchestre lointain Font froufrouter dans l'air les rythmes de satin D'une valse allemande arrivant par bouffées. Valse de Strauss qui chante un languissant adieu D'amantes qu'on aurait anciennement chéries, Partant au clair de lune en des barques fleuries Avec des rames d'or sur le Danube bleu ! Valse de Strauss pareille à l'allée et venue D'un lascif éventail sur une gorge nue Dont le souffle s'accorde avec ses battements. Valse d'amour qui semble un lac où se reflète Le bercement rythmé d'un couple heureux d'amants Bercés au vent du soir sur une escarpolette ! Du Mozart. Hier, dans ton peignoir de soie et de malines, Sur la terrasse en fleur du parc seigneurial Il le vint ce charmant caprice vespéral D'agacer ma guitare avec tes mains câlines. Les yeux vers le couchant, tu chantais au hasard Des vers presque oubliés, d'indistinctes paroles Où des papillons fous mouraient sur des corolles Et le rythme était doux comme un air de Mozart ! Tout au loin, les corbeaux, en de longs vols funèbres, Sur leurs aîles semblaient apporter des ténèbres Mais un blanc clair de lune alanguissait le soir. Tu laissas l'instrument, par un désir bizarre, Et tu m'improvisas très longtemps, dans le noir, En prenant les rayons de lune pour guitare ! Les Traîneaux es traîneaux ! ils s'en vont le long des avenues Où, sous un ciel mat et changeant, y Les arbres dont la neige ourle les branches nues Semblent des chandeliers d'argent ! C'est le Longchamps d'hiver ! On se range & la file; Le ciel devient un peu rosé ; Et les traîneaux en foule arrivent de la ville Remplir le Bois poudrerizé. Ils sonl beaux les traîneaux tout reluisant de cuivre, Pareils aux châsses de couvent, Avec leur luxe noir de peaux qui semblent vivre Et s'échevèlent dans le vpnt. Les chevaux harnachés ont un plumet qui bouge ; Ils sont superbes, les traîneaux ! On songe, en les voyant bariolés de rouge, Aux poupes peintes des canots. Leur fouet, tel qu'un éclair Et dans le Bois se Ils vont faire jaillir au fond Des éclaboussures qui serait noir, zigzague rassemblant, du brouillard vague de blanc ! Le ciel prend des aspects de mer houleuse et grise; Des coins bleus y font des îlots, Et dans le grand silence où passe un chant de bise On entend sonner les grelots. Et leur vibration métallique et dolente Comme un cliquetis d'encensoir Evoque un tintement de procession lente Qui va s'éloignant dans le soir !... Vers pour les Femmes lu 1 EL ; emmes, il vous suffit d'un rien, d'un ciel d'automne Un peu pâle, un peu rose, à la fin d'un beau jour, Il vous suffit d'un ciel vespéral qui moutonne, Pour vous faire rêver d'idéal et d'amour Femmes! il vous suffit d'un rien, d'un ciel d'automne ! Sous le croissant courbé comme le bois d'un arc, Il vous suffit d'un bruit mourant d'orgues lointaines Qui vous vient dans le soir, comme du fond d'un parc Viendrait un chant sonore et mouillé de fontaines, Sous le croissant courbé comme le bois d'un arc. I : II Il vous suffit d'un rien à de certaines heures, D'un air de votre enfance apporté par le vent, Pour vous rendre soudain plus simples et meilleures, Ainsi que vous l'étiez au sortir du couvent 11 vous suffit d'un rien à de certaines heures. 11 suffit de reprendre un roman préféré, Où des bouts de ruban, dont la soie est déteinte, Marquent le beau passage où vous aviez pleuré, Lisant tard dans la nuit malgré l'heure qui tinte, 11 suffit de reprendre un roman préféré. Pour que votre âme s'ouvre et soit illuminée, 11 suffit d'un bouquet d'œillels ou de lilas Qui dans un vase meurt sur votre cheminée Et dont vous respirez l'arôme d'un air las Pour que votre âme s'ouvre et soit illuminée! Oh! les couleurs! oh! la musique! oh! les parfums! Dans les âmes les plus tristes, les plus fermées, Ressuscitent par eux les beaux rêves défunts Et l'espoir glorieux d'aimer et d'être aimées! Oh ! les couleurs ! oh ! la musique ! oh ! les parfums ! Heureux qui peut alors passer sous leur fenêtre! Car dans cette langueur du soir attendrissant, Elles lui souriront, sans même le connaître. Comme au fiancé cher depuis longtemps absent.. Heureux qui peut alors passer sous leur fenêtre ! Ballet A Théodore de Banvili.e. |:uand le rideau rouge se lève On est ravi par le décor : s Sur la toile du fond s'enlève Un palais blanc sur un ciel d'or. Dans un parc fleuri, sous les branches Des palmiers aux vertes pâleurs, Bruissent des cascades blanches Comme des cerisiers en fleurs. Et dans les lointains, des collines — Que le brouillard complice est prompt A juponner de mousselines — Semblent déjà danser en rond. Il Soudain les frêles ballerines S'abattent dans un vol frileux Et, comme un cadre à leurs poitrines, S'échancrent les satins moelleux. Elles ont d'étroits maillots roses Qui sont plus troublants que la chair ; Et la pâleur de leurs chloroses Sous le maquillage a bon air. L'œil est grandi, la bouche saigne, Et leurs cheveux blonds, noirs ou roux Bien qu'ils soient groupés par un peigne, Laissent des mèches clans leurs cous ; Ou bien noués en longues tresses Que terminent des nœuds pimpants Les enveloppent de caresses Comme de mobiles serpents. Dans un rythme aux vives cadences Que soulignent les violons, Voici qu'onl commencé leurs danses Sur leurs souliers fins sans talons. Elles s'agitent, triomphantes, Avec des souplesses d'oiseau; On voit sous les jupes bouffantes Sortir leurs jambes en fuseau. Dans la hardiesse des cambrures Elles font, en se rengorgeant,' Tout un cliquetis de parures, Toute une musique d'argent. Se déhanchant à gauche, à droite Leur corsage décolleté Semble une coupe très étroite, Un vase arlislement sculpté Où la Chair blanche qui ballotte A tous les mouvements du corps Est comme une eau pure qui flotte Et remplit la coupe à pleins bords! 111 Parait la première danseuse : Elle entame une mazurka, Et la musique paresseuse A des douceurs d'harmonica. Elle obéit à la mesure En pliant ses jarrets nerveux, Et sous sa mignonne chaussure Tombe la fleur de ses cheveux. Elle a des poses indolentes, Puis elle danse à pas menus Arrondissant en courbes lentes Comme pour jongler, ses bras nus. Ranimant sa course assoupie Elle se cambre en pivotant, Puis tournant comme une toupie S'immobilise en un instant. Alors sa jupe en tarlatane Figure un parasol ouvert Dont son svelte corps est la canne — Sous un feu de Bengale vert ! IV Le corps de ballet recommence Sa farandole aux souples nœuds; Les violons comme en démence Grattent des airs vertigineux. La bande court, bondit ou rampe, Sinueuse comme un sentier; Puis on lorgne devant la rampe Le corps de ballet tout entier. Elles y font des pirouettes Tournant par ici, puis par là, Comme de fines girouettes Sur des toitures de villa. Elles sont là toutes, groupées, Dansant et sautant avec art Et sur leurs faces de poupées La sueur emperle le fard. Dans leur zigzaguement fantasque, Levant les bras, leurs doigts ont l'air De frapper des tambours de basque Qui sont invisibles dans l'air. Leurs jupes blanches, roses, bleues Quand on les voit danser en rond Se relèvent comme les queues D'énormes paons sur un perron. Soudain au centre de la scène Elles agencent leurs essaims Dans une apothéose obscène Où s'entrevoit le creux des seins, Et les danseuses étalées Evoquent langoureusement Un massif de grands azalées Au clair de lune s'endormant ! j Soir d'idéal A Léon Cladel. •afHiy " ! je voudrais pouvoir vivre comme les forts, ^j^wJr De la foi dans mon Art me faisant une armure, IpTS* Loin du monde, attendant que mon œuvre fût mûre, I Et lui soufflant mon âme en d'incessants efforts. Dans ma chambre, le bruit de la verdure morte Par la fenêtre ouverte arriverait vers moi, Si doux qu'il semblerait pour mon cœur en émoi Le froufrou d'une robe au seuil noir de ma porte. h Car maintenant je songe, après les maux soufferts : Le meilleur c'est encor de trouver un beau vers Comme un diamant noir dans les flancs de son àme. •le me dis que l'Orgueil console de la femme Ce pendant que ma lampe, en ce calme profond, A formé comme un grand clair de lune au plafond ! •Wm Les Jardins publics us jardins publics sonl trisles, l'hiver ; Au ras des bassins le vent met des moires, Et sur le gazon qui reste un peu vert Les parcs dégarnis font des taches noires. Les arbres perdus dans l'air brouillardeux Semblent se dissoudre en vagues fumées ; 11 a fui le temps où vont deux h deux Les pâles amants et leurs bien-aimées. 11 a fui le temps ! Le feuillage mort Semble encor revivre au long des allées Comme pour courir dans le vent du Nord Chercher tout au loin les fleurs en allées. Des gaines de paille enveloppent d'or Les Amours, les Sphinx, les Vénus, les Faunes \ On dirait au fond du parc où tout dort Des tombeaux couverts d'immortelles jaunes. Parfois le dimanche, au soleil tombant, Une femme en deuil, après les complies, S'y promène un peu, s'assied sur un banc Alin d'alanguir ses mélancolies. Au bout des jardins s'élance un jet d'eau Parmi les brouillards, parmi les bruines, Comme une colonne à blanc chapiteau Seul fragment debout d'un temple en ruines ! Idylle de Soplia A Max Waller ^iMÎ-V- y a ce S0lr' et un §cste élégant arron(^'t son bras pour boutonner son gant ijigrePI^ s llPPr<^te ^ pai'tir, d'un air las et morose. 11 ' " Pourtant elle est charmante avec sa robe rose ! Biais c'est en vain qu'elle a brillé dans les salons Et rouvert comme une aîle au chant des violons Son espoir douloureux d'aimer et d'être aimée. Hélas ! jusqu'à présent pas un ne l'a nommée Avec le tremblement des aveux dans la voix. Où donc s'en sont allés ses rêves d'autrefois Quand sa jeunesse était comme un port plein de voiles ! i *• Il fait morne; le ciel d'hiver est sans étoiles; Le fiacre dans la boue avance lourdement Et chaque réverbère allume par moment Sur les carreaux levés un feu de clarté crue ; Tandis qu'elle compare il ce noir de la rue La morne obscurité de son cœur où ne luit Qu'un caprice de temps en temps — comme la nuit Ces tristes becs de gaz piquent seuls les ténèbres Tels que des fleurs de feu dans dès crêpes funèbres ! 11 Et tout en s'en allant, elle songe en son coin : Le jour du premier bal, comme il est déjà loin ! Elle avait une robe en tarlatane blanche, Et dans ses fins cheveux ondulés une branche De lilas blancs venus de Nice, et se troublait Devant l'armoire à glace où sa blancheur tremblait — De Le voir les bras nus et les épaules nues. 0 les premiers émois ! les pudeurs ingénues, Les baisers au départ ;i ses plus jeunes sœurs, La crainte que l'on a de manquer de danseurs Ou de faire un faux pas en marchant sur sa traîne ! Et lorsque tout ii coup la valse vous entraîne, Quand, plus alanguissant qu'un souffle de l'été, Son beau rythme h travers les salons a chanté, Vous berce et vous énerve aux frissons de la danse. Quelle joie h sentir dans la molle cadence Comme un roulis mondain sur un flot musical ! Alors elle marquait sur son carnet de bal Les noms de ses danseurs pour chaque soir de féte, Mais aujourd'hui tout est fini, l'ombre s'est faite, Et son printemps ressemble h ces vergers fleuris Qu'en leurs gloires d'avril la gelée a surpris ! III Pourtant elle est exquise en allant dans le monde : Son teint paraît fardé d'aurore ; elle est si blonde Que ses cheveux ont l'air d'une ruche au soleil. Et c'est pour tous, au bal, un charme sans pareil — Que double le plaisir raffiné du flirtage — D'affriander leurs yeux par le décolletage De sa robe qui semble une corbeille, offrant Ses beaux seins recouverts d'un tulle transparent Comme des fruits nouveaux dans du papier de soie ! Et partout on l'invite, on la fête, on la choie ! Mais pas un seul ne songe à l'épouser, pas un, Et sans cueillir la fleur, on se borne au parfum ; Car puisqu'elle est sans dot aucun n'a la pensée De lui glisser au doigt l'anneau de fiancée ! Ainsi d'un elzévir qui va de main en main Et dont la reliure est toute en parchemin, Avec de délicats fleurons, des culs de lampe ; Chacun lit un passage ou regarde une estampe Admirant le format et le texte d'amour, Mais personne, en ayant ce cher livre à son tour, Ne songe à l'acquérir comme un rare exemplaire ! Pourtant vous qui menez, quand la journée est claire, Au Bois vos coupés bleus et vos chevaux pur-sang, Vous que tourmente encor un Idéal absent, Vous seriez bien heureux de la prendre pour femme, Car c'est d'un pareil corps et c'est d'une telle âme Qu'il convient de tirer les âmes de vos fds. Et vous en seriez fiers quand sa pâleur de lis S'effilant sur la rouge obscurité des loges Au théâtre, soudain une rumeur d'éloges Traversant la musique adviendrait jusqu'à vous Comme un frisson de flots très dolent et très doux ' Monterait de la mer vers un beau clair de lune ! IV Elle est triste ce soir ; la danse l'importune. Elle s'en va s'asseoir dans un petit salon Avec son cavalier tout jeune, pâle et blond. On entend, comme au loin, le tumulte des danses Et c'est vraiment propice aux tendres confidences Tous ces boudoirs mignons pomponnés avec art. Ils sont seuls maintenant ; ils causent, il l'écart ; Et sur un guéridon meurent des tas de roses, El les lampes, rêvant sous leurs abat-jour roses. Semblent fermer leur œil de feu pour ne pas voir. La cheminée a des splendeurs de reposoir Avec les bibelots dorés dont elle est pleine, Et le tapis, piqué de rouges fleurs de laine, Est tiède et doux aux pieds comme une herbe d'été. Le jeune homme est très pâle ; il a tant souhaité Qu'un tel moment d'amour vînt enflammer sa vie ; Car depuis très longtemps il l'aime, il l'a suivie, Et rien qu'à respirer l'odeur de ses cheveux 11 entend à présent tout un essaim d'aveux Bourdonner dans son cœur comme clans une ruche. La causeuse leur fait un cadre de peluche Et tandis qu'il lui parle, en ce royal décor, Elle, dans le miroir, le voit plus pâle encor ! Il est jeune, encor presque un enfant; c'est folie Bien qu'elle ait de l'esprit et qu'elle soit jolie, De croire qu'il pourra l'épouser, qu'il ira Dans des sentiers plus verts qu'un jardin d'opéra Lui chuchotant l'amour quand le soleil se couche. C'est folie ! et pourtant son pur amour la louche ; Elle écoute ; il lui parle avec tant de douceur ; 11 l'aime, elle est pour lui comme une grande sœur ; Si mollement vers eux arrive la musique, Et pour exaspérer leur extase physique Si machinalement leurs doigts se sont heurtés Sur l'éventail aux plis de satin tuyautés Où des bergers Watteau sont conseilleurs d'étreintes Avec l'exemple exquis de leurs caresses peintes, Si troublants sont les bruits, les parfums, les couleurs. Les rayons balayés par les jupes îi fleurs Qu'en plein bal, s'arrachanl à sa tristesse ancienne, Elle laisse appuyer sa bouche sur la sienne Et tandis qu'il l'embrasse, en ce royal décor, Elle, dans le miroir, le voit plus pâle encor ! Chapeau rose Ifî h ! le joli chapeau tout rose — de bergère, ^ Guirlande- de printemps nouant votre chignon ! C'est un chapeau Watteau pittoresque et mignon Comme on en voit parfois aux Sèvres d'étagère. Avec ses bords très grands que la mode exagère Il aurait fait fureur jadis h Trianon, Quoique simple, sans fleurs, sans ornements, sinon Quelques nœuds de salin sur la paille légère. Et quand tombent sur lui mes yeux extasiés, Je songe qu'au milieu de l'été les rosiers Cessent d'être charmants quand on cueille leurs roses, Tandis que vous, rosier d'amour, vous, vous restez Aussi jolie, aussi fraîche, quand vous ôtez Ce chapeau pavoisé d'un tas de rubans roses! Souliers mordorés p. 'adore vos souliers, vos petits souliers bas Que n'a jamais tachés le contact de la boue ; Selon la mode, ils sont pointus comme une proue De barque, et de talons ils n'en ont presque pas. On voit sur ces souliers, à chacun de vos pas, Frémir, comme une fleur, le ruban qui les noue; El quand dans vos jupons le vent s'engouffre et joue, On peut même savoir la couleur de vos bas. Paire de gants ous portez des gants longs, très longs, à dix boutons, f Jj ' aunes, couleur de lune, et gris, couleur de houle, "Ç^f'iV Que vous gardez, malgré les modes de la foule, De la même longueur et dans les mêmes tons. f On voit saillir ainsi vos bagues à chatons; Et le long de vos bras que la peau des gants moule Un tas de bracelets et de serpents s'enroule Comme des bouts de vers autour des mirlitons. C'est que vous en aviez de tels, lorsqu'en soirée Pour la première fois je vous ai rencontrée ; Et ceux que vous portiez alors — dès le matin Vous les avez cachés dans un coffret d'ébène Comme on met deux jumeaux qui n'ont vécu qu'à peine Dans un petit cercueil d'ouate et de satin ! Transposition e papillon inconsistant Saupoudré d'or et d'étincelles Qu'on croit voir fondre à chaque instant N'est que le rêve de deux ailes. L'amour qui sait subtiliser Les plus chastes, les plus farouches, Dans l'enivrement du baiser N'est que le rêve de deux bouches ! Les rendez-vous A Octave Maus. effet de neige. ir h *§]j|. e jour du premier rendez-vous 11 tombait la première neige : Comme le sable d'un manège Tourbillonnaient les flocons lous. Où j'avais promis de me rendre C'était un calme et grand jardin Un jardin public très loiniain Où nul ne viendrait nous surprendre. Le froid me piquait à la peau, Mais j'étais là bien avant l'heure, Et je songeais qu'en sa demeure Elle allait mettre son chapeau. La neige de l'hiver précoce Sur les chemins noirs blanchissait, Et le parc désert paraissait En blanc — comme pour une noce. Le ciel avait des airs souffrants; Mais sous les maigres branches d'arbre Souriaient des bustes de marbre Comme un cortège de parents. Sur les gazons, les feuilles mortes Semblaient des gants blancs oubliés ; Mais guettant le bruit de ses pieds Je ne regardais que les portes. Et gai, malgré le vent frileux, Je me disais, dans l'avenue, Que je mettrais dès sa venue Ma main dans son manchon moelleux. Et sur les blancheurs nupliales Du parc neigeux où je rôdais, Du bout de mon pied, je brodais Ses deux chères initiales !... Il le missel. C'est bien méchant ! c'est bien cruel. Elle m'avait fait la promesse De voler le temps d'une messe... Nous lirions h deux son missel. Elle viendrait, la demoiselle, Le temps de s'embrasser un peu En demandant pardon à Dieu, Et l'on n'en saurait rien chez elle. J'étais d'abord alerte et gai Croyant toujours la voir paraître, Et j'avais l'air gêné d'un traître En l'attendant au coin du quai. i Au loin les équipages riches Passaient avec leur cheval blanc, Tandis que je faisais semblant De parcourir un tas d'affiches. T ! 1; C'est bien méchant! c'est bien cruel, Car, infidèle ù sa promesse, Elle s'est rendue h Ja messe Pour lire seule son missel !... f III raffinements. 0 ma très pâle, ma chérie, Toi qui remplis mon horizon -Suivant ton luxe et la saison Mon sentiment pour toi varie. Et d'abord je t'aime bien plus Dans le printemps qui nous fascine; Mon amour y reprend racine Comme au bon temps où tu me plus. Puis mon caprice se révèle Plus fort, plus nouveau, chaque fois Qu'à nos rendez-vous je te vois Avec une robe nouvelle. Ainsi se trouve contenté Par ton élégance magique Mon double désir nostalgique D'habitude et de nouveauté. Puisque lu m'apparais, ô mienne, Avec ce charme captivant D'être une autre femme arrivant Qui ressemblerait à l'ancienne!... IV un thé. T'en souvient-il, quand tu venais Chez moi, les soirs froids de décembre. Mon grand abat-jour japonais Originalisait ma chambre. Et bigarré comme un crépon, Malgré le vent d'hiver tragique, Mon bel abat-jour du Japon . Montrait sa lanterne magique. Comme c'était doux! on s'aimait Dans une lente causerie, Elle thé, couleur d'or, fumait Dans la porcelaine fleurie. A l'ombre, sur un guéridon, Défaillaient des roses phthisiques Et toi, charmante d'abandon, Tu jouais de douces musiques. En t'écoulant, moi j'allais vers Une encoignure choisir l'une Ou l'autre plaquette de vers, Sur papier fin, couleur de lune. Ce n'étaient que de légers ciels Comme on les peint ïi l'aquarelle, Et qu'oiseaux artificiels Filant des sons de chanterelle. Nous ne songions plus à l'hiver Avril naissait.., c'était l'idylle... Et laissant le livre entr'ouvert L'illusion était subtile... Si bien que mes carreaux gelés Pendant ces heures favorites, Nous semblaient des parcs étoiles De printanières marguerites !... V trahison. Encor l'envolement d'un rêve Qui va dans le néant où vont Les belles bulles de savon Qu'un cou]) de vent éteint et crève ! En moi s'était insinué Ce paradoxe que l'absence Donnait une recrudescence Au vieil amour diminué. Mais quelques jours passés loin d'elle Ont aboli ses serments d'hier Et maintenant ma vie a l'air D'un ciel d'avril sans hirondelle. Oh ! le bon temps des premiers soirs Des rendez-vous en pleine rue Quand ma tendresse était accrue Par un baiser sur ses gants noirs. Le temps où nous faisions sans cesse Des marivaudages d'enfants ! Dans sa robe à paniers bouffants On aurait dit une princesse. Hélas ! voici qu'elle a déjà Donné son cœur, sans m'en rien dire, A quelque autre que son sourire Mélancolique encouragea. Toutes ses lettres réunies Où dort un parfum pénétrant, Je viens de les lire en pleurant Mais ces choses sont bien finies... Au lieu du festin amoureux Que j'aurais servi pour lui plaire, Elle a préféré de l'eau claire Et rester le cœur vide et creux. C'est encor une piste fausse, Encor beaucoup de temps perdu, Encor un tableau dépendu, Encor un espoir dans la fosse. Encor d'inutiles amours Car le sourd destin qui me leurre M'a répondu : Jamais ! à l'heure Où mes lèvres disaient : Toujours ! Salut de Noël j^.OMME c'était Noël aujourd'hui, j'ai voulu 'f Dans la tristesse vespérale, tf/^^ Aller entendre un peu la musique au Salut De la très vieille cathédrale. I { Un salut solennel : aux lianes des piliers lourds Flambaient des torchères de cuivre Et les saints, qu'on eût dit habillés de velours, Dans les verrières semblaient vivre. Ces vitraux enflammés de couleurs, par moments, Rappelaient les enluminures Des gothiques missels, des missels allemands Pleins d'anges bleus sous des ramures. Sur la cire flambante on voyait par milliers Pour éblouir les yeux et l'Ame Des lueurs ressemblant, au bout des chandeliers, A des camélias de flamme ! Les orgues soutenaient d'un chant plein de langueur Avec d'ineffables sourdines, La voix des soprani psalmodiant en chœur Les saintes prières latines. La harpe accompagnait avec les violons De vieux noëls du moyen-âge, Et les enfants de chœur, coiffés de cheveux blonds, Suivaient le prêtre comme un mage. Pâle, il officiait dans l'or de son manteau Aussi brodé qu'une bannière, Et les grands encensoirs, pareils à des jets d'eau, Montaient tout blancs dans la lumière ! Un Watteau A Albert Giral'd felil "inal v. ci e ciel ilu soir semble fardé £ Tant il est rose ! et se déploie Comme un velarium de soie Sur le jardin enguirlandé. Et tout là-bas, sous les tonnelles, De belles dames, d'un air las, Tenant leur jupe à falbalas Ont du soleil dans les prunelles. ÏJ J Et de petits Amours coquets Epars à l'horizon bleuâtre, Avec d'exquis gestes de plâtre Les appellent dans les bosquets. A l'avant-plan, Pierrot lunaire En costume de carnaval Provoque Arlequin, son rival, Pour une injure imaginaire. Comme un serpent colorié Arlequin bouge, glisse, ondule ; Pierrot, dans sa fraise de tulle, Prend son fleuret apparié. Et sous les clairs nuages roses A lieu le duel non hasardeux Car ils ont moucheté tous deux Leurs fleurets d'or avec des roses ! Crépuscule des rues 1'est une heure très délicate j?1 Que quatre heures du soir, l'hiver ^^^ Le ciel a des couleurs d'agate Allant du ton rose au ton vert. Un deuil descend le long des rues Avec du jaune sur du noir, Et parmi les ombres accrues S'avance le convoi du soir. Convoi lugubre ! Les ténèbres Aux réverbères s'allumant Ont noué des crêpes funèbres Pour ce royal enterrement. 11 semble qu'on porte un cadavre Dans les horizons esseulés, Et le bruit des chariots navre Comme un son de tambours voilés. Et des paroisses les plus proches Arrive, h travers l'air glacé, Le De Profundis de leurs cloches Pour le grand soleil trépassé ! — 1 t Marchés aux Fleurs uand les roses gaités d'avril sonl reparues La ville s'endimanche et les Marchés aux fleur Mettant sur les pavés leur gloire de couleurs, Sont comme la toilette odorante des rues. Les premiers papillons animent ce réveil : Dans leur costume d'or couvert de broderies, Ils portent un message aux puissances fleuries, Ambassadeurs venus de la part du Soleil ! C'est charmant et joyeux ces vitrines roulantes Dont le feuillage vert flambe clans le matin ; Et le long des trottoirs s'improvise un jardin Où chuchote en tremblant tout un peuple de plantes: Des touffes de lilas au parfum violent. Puis du muguet h peine ouvert dont les brancheltes Imitent un hochet en argent à clochettes, Et des rosiers dans leur faux-col en papier blanc. Les jacinthes, avec des attitudes mièvres, Quand leurs épis de fleurs ont été arrosés, Ont des tons délicats, indécis et rosés Comme les bibelots de vieux Saxe ou de Sèvres. Quelques myosotis ouvrent là-bas leurs yeux Et les camélias dont la Heur se maquille Montrent leur beauté rouge auprès de la jonquille Jaune comme un gant paille en un coffret soyeux. Et pour que tous en aient, tant que la saison dure, Tant que les chauds rayons ne se sont pas dissous, C'est le petit bouquet populaire à deux sous Serti comme un bijou dans un brin de verdure ; Violettes d'avril qui disent : «Prenez moi ! Fleurissez-vous ! ornez de fleurs vos boutonnières » Et l'on cède îi l'appel de ces voix matinières Et chacun porte un peu de ce printemps sur soi ! Les mondaines, afin d'en embellir leur chambre Et d'en sentir l'intime odeur dans leur boudoir, Sont là toutes, cherchant devant chaque comptoir Un de ces fins pastels vivants, d'azur ou d'ambre. Car c'est si bon, les fleurs ! Partout, dans les salons, Sur chaque cheminée, au coin des étagères, Dans des vases de cuivre ou des coupes légères Loin du jardin natal d'où nous les exilons, Elles vont devenir pour un jour nos amies Et vivre près de nous leurs suprêmes moments, Et nous, nous serons doux, affectueux, aimants, Soulageant d'un peu d'eau leurs lentes agonies ! Pèlerinage (l'amour A Camille Lemonniek â (T >» L e soir dans les lointains dolents Quand le soleil rouge surnage, Je m'en vais faire à pas très lents Un amoureux pèlerinage. Je vais devant chaque maison Où m'épiaient des bien-aimées Dans ma prime et tendre saison, Mais leurs persiennes sont fermées. C'est un souci poignant que j'ai De rêver seul devant leur porte. Hélas ! comme tout a changé : L'une est partie et l'autre est morte. Ce ne sont plus ces rideaux blancs Tenus par des embrasses roses Que soulevaient leurs doigts tremblants... J'y vois se faner d'autres roses. Jadis — est-ce que j'ai révé? — J'y pouvais toujours reconnaître Mon petit bouquet conservé Dans une coupe, à leur fenêtre. Elles venaient m'ouvrir parfois Dans un blanc peignoir en dentelles. Les mêmes seuils, je les revois; Mais les amantes, où sont-elles ? Et ma pensée, obstinément. Va cogner ses rêves aux vitres Dans un morbide envolement Comme un insecte ses élytres. Je voudrais y rentrer, revoir L'ancien papier bleu pâle ou mauve, Et pénétrant dans le boudoir Baiser la place où fût l'alcôve. C'est dans cette maison-là, c'est Sur ce balcon en pierres blanches Que nous avons lu du Musset I. clé dernier, tous les dimanches. Je retrouve encor dans un coin Le piano de palissandre... Oh ! combien ces choses sont loin Et quel souterrain h descendre! Quel lugubre Chemin de Croix Aux stations désespérées Devant mes amours d'autrefois Je fais par les tristes soirées. Je vais devant tous ces logis Où ma tendresse persévère, Et mes souvenirs sont rougis Comme les pentes d'un Calvaire. Quand donc me rafraîchiras-tu Comme une sainte Véronique Au voile blanc de ta vertu, 0 toi, ma vierge! mon unique! Nostalgie ^.e vis seul, toujours seul, et désespérément ! Et tout ce carnaval de femmes évoquées Qui dans ma strophe noire ont ri, se sônt Ijpi' Je n'ai jamais été qu'à peine leur amant. Car mes yeux ont garde leur nostalgie ancienne, Je reste ton fervent, amour familial! Et meurs de ne pas voir un voile liiial M'apporter des blancheurs de vierge dans la sienne ! 0 ma chair solitaire et dolente! 0 mon sang Qui voudrait s'épancher dans un fantôme absent Pour nous éterniser tous deux dans un autre êlre. 0 vivre sans foyer! quels frissons! quel émoi, Car ma postérité captive au fond de moi Me tourmente sans cesse et me demande à naîlre ! Voyage de noce A Emile Van Mons lf> n wagon dans un coin moelleux de velours rouge. Côte à côte ils sont là, les nouveaux épousés, Et, le regard perdu dans l'horizon qui bouge, Savourent la douceur de leurs premiers baisers, Elle a, pour le voyage, une toilette grise, Et la portière, à droite, étant ouverte un peu, Elle sent par moments des caresses de brise Et comme dans le ciel, dans leurs cœurs tout est bleu. Elle ôte un de ses gants trop étroits qui la gêne Maintenant qu'elle porte une alliance d'or; Et lui, pour retarder la fin du jour prochaine, Regarde dans ses yeux le soleil qui s'endort. 11 prend sa main qui tremble, il l'embrasse, il l'attire, 11 lui parle du jour de leurs premiers aveux Et, tout émus, leurs fronts rapprochés, sans rien dire, Ils laissent tendrement se mêler leurs cheveux. I,e train roule à travers la campagne fleurie, Tout est doux, tout est calme, immobile et charmant Et le train dans le soir berce leur rêverie De son voluptueux et vague bercement. Elle croit être encor en blanc, avec un voile Dont machinalement elle cherche les plis, En regardant au ciel une première étoile Qui vient de naître et qui se penche comme un lis. Et lui voit repasser, comme un très ancien songe, Les amours inquiets de sa jeunesse ; il sent Que tout cela n'était qu'erreur et que mensonge Et sourit au soleil comme un convalescent. Le reposant aspect de ce grand paysage Descend en lui; son cœur s'élargit tout îi coup ; Et ses baisers se font plus doux sur son visage Et ses baisers se font plus tendres, dans son cou. Et toujours le train tord sa fumée en écharpes Et les souffles du soir font frissonner dans l'air Les tils du télégraphe ainsi qu'un chœur de harpes Et c'est vague et tremblé comme un chant de Weber ! Tout là-bas, le couchant mélancolique arrose De ses rayons, les champs, les grands bois, les clochers, Et l'on croit voir tomber une eau qui serait rose Sur les hameaux lointains, vaguement ébauchés. \ fout est doux, tout est calme, immobile et placide ! La campagne s'endort aux bras noirs de la Nuit, Et la virginité du printemps coïncide Avec leur amour neuf et tendre comme lui. Et plus languissamment la femme s'abandonne Dans ce bercement doux du wagon endormeur Et, pâle, elle regarde au loin d'un œil atone S'agrandir dans le ciel le geste d'un semeur. Puis soudain, elle sent, dans une étreinte molle Les lèvres de celui qu'elle aime se poser Sur sa bouche, et soudain se tait, car la parole Est une aile qui fuit l'aile en feu du baiser. Et tous deux ont alors cette impossible envie D'éterniser cette heure et cet enivrement Pour voyager ainsi jusqu'au bout de leur vie Tandis que tout est calme, immobile et charmant Teintes Fanées a i,a fiancée inconnue P/flW'^ tr^s 'e so'r! tandis que tu tressailles MJf luP? En me parlant en rêve avec ta douce voix, rvjç Mon âme aussi t'évoque et je songe parfois Qu'il est fini pour nous le temps des fiançailles Je songe que plus lard si je te possédais, C'est dans une villa tout en fleur, sur la digue, Que je te conduirais par une nuit prodigue D'astres — qui broderaient tout le ciel comme un dais. Cachant sous l'oranger ta chevelure brune, Tout serait blanc sur toi : la robe, tes souliers, Ton voile retombant en longs plis réguliers, Si bien que tu luirais comme un beau clair de lune! Pour chambre nuptiale, un très petit boudoir Un boudoir dans le goût des marquises anciennes Dont j'aurais pris bien soin de fermer les persiennes Pour qu'il fût plein d'un jour sombre comme le soir. Au bord d'un guéridon d'ébène, une veilleuse Qui soudain dans l'albâtre ouvrirait son œil d'or. Assez pour doucement éclairer le décor Qui devrait encadrer cette nuit merveilleuse. Le boudoir, il serait selon mes goûts; des tas De pouffs et de sophas dans des teintes fanées : Feuille-morte, bleu pâle, étoffes surannées Où dans l'ombre mourraient des fleurs de taffetas. llien de rouge, rien de criard, rien d'excentrique! Et tous les tons pâlis de ce boudoir discret Ton long costume blanc les harmoniserait Comme fait un foyer de lumière électrique. Sui' un fond de papier mauve, lamé d'argent, Quelques bouquets noués par des faveurs déteintes, Pour ne pas éblouir nos prunelles éteintes Quand nous les compterions d'un regard négligent. Des rideaux très épais, très plissés, couleur d'ambre. Répandraient des tiédeurs d'alcôve autour de nous, Et des tas de coussins voluptueux et mous Mettraient comme des coins de mousse dans la chambre. Pour dissiper la fade odeur de renfermé Ni sachet capiteux ni senteur violente, Mais un parfum très doux montant d'une aile lente Vers le plafond gris-perle ainsi qu'un ciel de mai. Sur un bahut — tout en biscuit, — une pendule Comme un ostensoir blanc sur un petit autel, Et vis-à-vis, un frôle et vaporeux pastel : Des Nymphes tournoyant au fond d'un crépuscule ! Voyant ainsi mes goûts mignards et raffinés Transfigurer cette heure où ton corps s'abandonne, J'ouvrirais tout à coup la fenêtre qui donne Sur la digue, pour voir les flots illuminés. Toi, pour exaspérer cette ivresse physique Dont la nuit et l'amour rempliraient nos deux cœurs. Tu me jouerais alors, avec tes doigts vainqueurs, Une très maladive et très triste musique : Quelque Nocturne en pleurs de Chopin, du Weber Vague comme un soupir dans l'ennui des absences, Mais ton jeu langoureux aurait des réticences Pour que le piano laissât chanter la mer. Et dans l'enivrement de ces rythmes funèbres Ce serait mon bonheur le plus grand, le plus fou De te brûler alors d'un baiser dans le cou Et soudain de mourir tous deux dans les ténèbres ! TABLE Mièvreries. . . Sincérité . . . En soirée . . . En sourdine . Caprices mignards Femme en deuil . Les Fêtes galantes Jardin d'hiver. . Symphonie en Blanc Soir familial . . Strophes blondes. Après le bal . . Paysage de ville . Lit de dentellt Papes. 9 13 15 19 23 31 33 41 43 31 53 63 03 09 I5 Pages. Un peu de musique . . ... ... 71 Les traîneaux. ... . 7S Yers pour les Femmes ...... 77 ISallPl . . .......81 Soir d'Idéal ... ........89 Les jardins publics..... . ... 91 Idylle de sopha . ..... . .93 Chapeau rose . . . ... . . 99 Souliers mordorés . . . ... -101 Paire de gants..... ... .103 Transposition......... . . 105 Les rendez-vous........ . . 107 Salut de Noël.......... 117 Un Walteau...............119 Crépuscule des rues. . . . . 121 Marchés aux fleurs . . ............1-23 Pèlerinage d'amour...........127 Nostalgie ... ..... ... 131 Voyage de noce..... . ... 133 Teintes fanées . . . ..... .137 QACHE VÉ cTyi£M