fiwR GEORGES RODEN BACH LE MIROIR DU CIEL NATAL POEME — PARIS BlBLIOTHÈQUE-CHARPENTIElt EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR 11, RUE DE GK EN ELLE, 11 1898 GEORGES RODENBACH LE MIROIR DU CIEL NATAL POÈME PARIS 331BLIOTPIÈQ CJE-GHAR PEN TIER EUGÈNE FASQUELLE, Éditeur \ , nilR I)E GRENELLE, 1 1 1898 Tous droits réservés. LES LAMPES La lampe enfin est allumée Sous l'abat-jour de tulle; C'est une renoncule ^ Qui est née; C'est quelque étrange fleur Aux changeantes couleurs Dans la chambre qui en est tout enluminée. 0 ce sourire de lumière, Ce mystère du feu, Cette nativité dans du verre ! 11 Lorsque la lampe éclôt, parmi la chambre obscure, C'est comme un clair de lune où tout se transfigure : Les rideaux de guipure aux fenêtres Sont des voiles de Premières Communiantes ; Un lys dans un vase a l'air d'un ciboire Qui attend un prêtre ; Est-ce qu'une relique est au fond du miroir? Toute la chambre est priante... La lampe atteste alors le Sacré-Cœur qu'elle est, Plaie authentique et rédemptrice, Elle que toute l'ombre appelait Et qui, dans l'ombre enfin, rouvre sa cicatrice. O lampe, plaie en fleur d'une rose-trémière ! Et, dans la chambré en deuil, C'est un Sacré-CœuMe lumière Qui saigne moins,pour nos péchés,qu'il ne s'effeuille. III Douceur du soir et de la lampe qui s'allume ! C'est la fin d'un veuvage et la fin d'un exil ; Douceur Iquand le soir vient, le jour au cœurnait-il ? Ah ! créer à son gré chez soi ce clair de lune i Douceur du soir et de la lampe calme et bonne; On se sent tout à coup la face d'un élu ; L'àme s'éclaire ; elle renonce et ne s'adonne Qu'à démêler les écheveaux des angélus. Qu'est-ce encor que ces bru its, au loin, qui continuen t? Le silence aux conseils de l'ombre cède enfin ; C'est l'heure tiède où l'on devient un peu dirin... Des nénuphars sont'nés parmi les glaces nues. Un ecclésiastique amour de la douceur Revêt comme de lin pascal et d'innocence ; On se semble approcher de la fin d'une absence, Ou veiller le sommeil d'une petite sœur. La lampe perce un peu les mystères; on voit Des signes éclater dans la demeure obscure. Est-ce qu'un oiseau blanc s'est posé sur le toit? On dirait tout à coup qu'on habite une cure. Douceur ! Lalampe met dans l'âme un temps de mai Et des clartés d'argent fluide où l'âme trempe; Le clair de lune fait les grands lys se pâmer ; L'âme, ce lys aussi, se pâme au clair de lampe. les la.mphs 1 mt |lî I Kl II / i ir La lampe est une calme amie Qui nous console et nous conseille Chaque soir de la vie ; La lampe est une sœur Qui nous montre son cœur Comme un soleil. La lampe est confidentielle; Sa clarté tremble comme des lèvres Qui parlent en rêve; Hlfl jlfiU II ■in ! k iï il il il tlS On se croit déjà comme au ciel.. La flamme balbutie et bouge ; Vraiment la lampe est une sœur Qui nous met sur le cœur Sa chaude bouche. Ah ! l'homme amer qu'on a été Et que la lampe va guérir! Elle est toute douceur; Oui t elle est une sœur, Même une sœur infirmière Qui met dans nos yeux sa lumière Comme un collyre... Et nous voyons l'Eternité. VI Heureux ceux qui n'ont aimé que les lampes ! Les bûches flambent,.. Et les lampes ont rassuré le so ir frileux; 0 les demeures enfin sûres Et si calmes — comme des cures ! — Que la fumée, au ciel, relie en chemins bleus. C'est alors la vie en joie et nuance A s'écouter, comme s'écoute Une vieille horloge où le Temps les lampes S'écoule goutte à goutte Dans le silence. Heureux reclus ! Quelle vie est meilleure? Ils écoutent aussi les lointains angélus Et des gouttes du son et des gouttes de l'heure Ils se sont fait des chapelets intermittents. Heureux ceux qui n'ont aimé que les lampes 1 Ils ont vu clair en eux; Ils sont tout lumineux; Leur conscience est un écrin Plein de joyaux qu'enfin la 6olilude enflamme ; Ah! comme ils dorment, leurs vieux chagrins! Et cet orgueil de n'être plus qu'humain à peine ! Trésor intérieur! Richesse de son cœur ! Parure de s'oi-même! 14 Heureux ceux-là dans leur demeure ! Vie heureuse qu'ils ont choisie ! Destinée extatique ! Allez-y Les voir gravir en paix l'escalier blanc des Heures. Et ils s'appuient aux lampes Comme à une rampe... 0 les lampes toujours fidèles! 0 les lampes, quand le soir tombe ! Guérison de l'ombre; Joie des veilles et des vigiles; Espoir en elles Lorsque dans la maison qui dort Elles égrènent la bonne huile en larmes d'or Pour les cœurs qui sont doux comme les Evangiles. VII Des colombes, au bord de la gouttière, boivent Et leur cou, qui se gonfle, est gris et violet, De la couleur qu'ont, lorsqu'il pleut, les toits d'ardoise; Et puis c'est comme si le jour s'étiolait. Dans le salon, dont la fenêtre reste ouverte, La lampe brûle et le jardin en va bleuir, Malgré les pigeons blancs et la pelouse verte; Joie humble qu'on tuerait à trop l'approfondir... VIII J'aime la vie, oh ! cette vie unie et calme Qui est ma vie — un peu aussi celle des autres ; Mais la mienne surtout, douce comme une pakme, Cette vie où mon âme est celle d'un apôtre. J'aime ma vie et j'aime aussi toute la vie, Toute la vie éparse et douce malgré tout, Comme on aime l'année avec ses raisins d'août, Avec sa neige de janvier, avec sa pluie... Bonheur subtil de se sentir une âme bonne (Car la vie est meilleure en étant bon soi-même) ; Qu'est-ce que cela fait, la lampe qui charbonne Et la rouille sur le bouquet de chrysanthèmes ? Car il fait clair, il fait fleuri, toujours, en nous. Ah! cette vie en paix! Et les musiques fraîches S'éveillant dans le lustre où la poussière joue ; Et la fraîcheur tombant du givre des bobèches! Douceur! Parla fenêtre un clair de lune abonde Qui sur les vitres tend ses claires mousselines; L'horloge au cœur ancien compte l'heure et la ry thm e Et son cœur est d'accord avec le cœur du monde. Silence! Ah! cette vie humaine et qui s'accorde Avec toute la vie en joie ou en douleur — Sachant toutes les œuvres de miséricorde — Et qui, de loin, relie à tous les cœurs mon cœur! 2. IX La lampe dans la chambre est une rose blanche Qui s'ouvre tout à coup au jardin gris du soir ; Son reflet au plafond dilate un halo noir Et c'est assez pour croire un peu que c'est dimanche. La lampe dans la chambre est une lune blanche Qui fait fleurir dans les miroirs des nénuphars; On ne sait plus quel jour il est, ni s'il est tard, Sauf qu'on est douxeomme à la fi n d'un beau dimanche. Sourire de la lampe en sa dentelle blanche Qu'on dirait une coiffe où dorment des cheveux; Lampe amicale aux lents regards d'un calme feu Qui donne à l'air de chaque soir l'air du dimanche. Quand les lampes ont rassuré le soir frileux, Les clés vont assurer les serrures; Le jour est feu ; Oh ! les demeures enfin sûres I Les clés en carillon léger Tintent, tintent... Et, dans les chambres indistinctes, Où le soir avec la solitude s'accorde, Les miroirs n'ont plus peur d'un visage étranger. Tout est douceur, silence et ordre; Les portes l'une après l'autre sont closes; les lampes 1 || t XI Ah! cette tristesse de la maison A la chute du crépuscule ! On dirait que des roses brûlent; Il flotte une odeur de poison. Dans son cadre en feuillage d'or La glace ancienne apparait blémie Et d'étranges chimies Dans l'obscurité s'élaborent. Qui est-ce qui va mourir? Quel deuil s'apprête? Quel complot? Le jour se hâte de finir; Les lampes naissent dans un halo. L'ombre est changeante comme un ciel. Combat de l'ombre avec les lampes : On croit voir couler du sang et du fiel ; L'ombre est en fuite et rampe. L'ombre n'est plus noire; elle est verte, Empoisonnée, il semble, peu à peu, Comme si une porte s'était ouverte Sur un jardin vénéneux. Ah! tout ce que le soir nous inocule De dégoût de vivre et d'à quoi bon, Et de poison mental auquel nous succombons... Ah ! ce crime quotidien du crépuscule ! XII Dans le vieux salon qui s'aigrit A cause du soir taciturne, Les lampes ont inauguré leurs clairs de lune Parmi des crêpes gris. Phares! Archipel d'or! Petites îles de lumière Dans le salon qui se dédore; Fraîches roses-trémières! XIII Tant de lampes! Oh! ces lampes qu'on voit, le soir, Cependant qu'il pleuvine, Fleurir les tristes vitres noires; Et c'est des roses dans une cendre argentine. Lampe des chambres de bonheur ; On devine une alcôve : Lampe baissée, en des scrupules de pudeur... La lumière qui diminue Devient vague et mauve; Et parfois la fenêtre encadre une ombre nue... Lampe du pauvre ou du génie Qui bat auprès d'eux Comme un pouls fiévreux; La nuit les enveloppe en la même insomnie. Lampe aux rougeurs de fard, Lampe aux rougeurs de fièvre ; Ah ! toutes les sortes de rêves Qui s'obstinent si tard t Lampes en roulis des steamers Pour tant d'émigrants blêmes, Cœurs chimériques Qui croient trouver des Amériques Et ne se trouvent pas eux-mêmes... Ah! comment éclairer la mer? Lampes des wagons et des gares, Tant de fanaux fiévreux, transis, Dont la nuit se bigarre; C'est comme si C'étaient des cœurs en sang, Qœurs des bannis, cœurs des absents, Dont le souvenir persévère Et qui, depuis l'adieu, saignent là dans du verre. Lampes des autels, côte à côte, Langues du Saint-Esprit, Flammes de Pentecôte. Lampes des moines en cellule Qui sont les enlumineurs De leur âme humble et nulle. Lampes nocturnes des mineurs Qui patiemment fouillent Les paysages de la houille; C'est comme un projet de forêt Où les lampes éclaireraient Des fougères de deuil. Lampes des pontons et des phares Doux avertisseurs de l'écueil; Clarté qui, de soi-même avare, Scintille, intermittente, afin d'être éternelle. Tant de lampes! Toutes les lampes qui succombent, Lampes des chambres, de la mer et des tunnels, Et dont coula le sang pour le rachat de l'Ombre! LES FEMMES EN MANTE I Quelque chose de moi dans les villes du Nord, Quelque chose survit de plus fort que la mort. En leurs quartiers lépreux qu'affligentdes casernes, Quelque chose de moi pleure dans les tambours. Et par les soirs de pluie, en leurs mornes faubourgs, Quelque chose de moi brûle dans les lanternes. Et, tandis que le vent s'exténue en reproches, Quelque chose de moi meurt déjà clans les cloches. les femmes en mante J'ai peur de l'ombre encor de la tour sur ma vie Où le cadran est un soleil qu'on crucifie. » Une surtout, la plus triste des villes grises, Murmure dans l'absence : « Ah ! mon âme se brise I » Murmure avec sa voix d'agonie : « Aimez-moi ! » Et je réponds : « J'ai peur de l'ombre du beffroi, La voix reprend avec tendresse, avec émoi : « Revenez-moi ! Aimez mes cloches ! Aimez-moi ! » Et je réplique : « Non! les cloches que j'écoute Sont les gouttes d'un goupillon pour une absoute! » La voixs'obstine,encor plus tendre: «Aime mes eauxl Remets ta bouche à la flûte de mes roseaux! » Maisj e réponds : « Non ! les roseaux dont l'eau s'encombre Sont des flûtes de mort où ne chanteque l'ombre ! » III Les mantes, dans le soir, s'en sont allées... Ah ! ces mantes Où les femmes du peuple errent, ensevelies! Leur navrante mélancolie Et leur balancement en de lentes volées, Cloches de drap Comme un glas ! Ah ! ces mantes I Est-ce d'amantes, de démentes ? Femmes âgées! De quoi sont-elles chargées? Que vont-elles portant comme vers une tombe? Elles sentent l'adieu! Leurs mantes bombent... Elles y cachent des fardeaux, mystérieux ; Que vont-elles jeter au fond du crépuscule? 11 semble qu'elles tiennent Des cercueils de petits enfants. Ah! ces mantes quotidiennes! Ah! les ombres dans ce drap sombre s'étoffant! Peut-être qu'elles ont volé La Châsse en or de Sainte-Ursule Dont l'or est peint et ciselé? Ou déménagent-elles Une cloche énorme et fruste Sur laquelle Chaque mante à présent s'arrondit et s'ajuste? 4 Peut-être aussi que c'est le cadran du beffroi Qu'elles ont décroché — mais par quel sortilège '? — Et vont aller enterrer dans la neige Ou noyer dans un canal froid. Ah ! le bon tour! Chacune tient le cadran mort à tour de rôle... Ah ! le bon tour d'avoir dépossédé la tour, Afin qu'on ne sache plus l'heure, Et que l'heure soit folle, Et que l'heure meure, Etquel'Eternité commenceetquecroulentles astres! Les mantes! Les mantes! De leur obscurité, l'obscurité s'augmente! Elles ont toujours l'air d'apporter un désastre. IV C'est là qu'il faut aller quand on se sont dépris De la vie et de tout et môme de soi-même ; Ville morte où chacun est seul, où tout est gris, Triste comme une tombe avec des chrysanthèmes. C'est là qu'il faut aller se guérir de la vie Et faire enfin le doux, geste dont on renonce; Il en émane on ne sait quoi qui pacifie ; Quel beau cygne est entré dans l'âme qui se fonce? les femmes en mante Tout a l'air si inanimé ! Les maisons sont fermées; On croirait tout le monde absent, Sans un peu de fumée Qui s'élève des toits avec des bleus d'encens. Tout a l'air si âgé : Les bancs du mail Où s'effeuillent d'humbles tilleuls; Les murs de Saint-Sauveur que la mousse a rongés, 4. Où l'on voit l'envers du vitrail; Rien n'a change'... Est-ce une ville où ne vivent que des aïeules ? Tout s'adoucit et tout s'ouate; Est-ce qu'il y a des malades Pour que si doucement tintent les cloches Au-dessus de la ville? Vieilles cloches qui s'effilochent, Son à son, comme fil a fil... Tout incline à un silence tel, Comme d'une ville irréelle Et qui se serait faite elle-même en dentelle 1 Universelle solitude! Même les cygnes, sur l'eau noire, Ont l'ennui du reflet d'eux-mêmes, et l'éludent; Les nénuphars sur l'eau sont comme des fermoirs. Le ciel opaque et haut N'est guère vivant davantage, "Ciel mat d'immobiles nuages, Et qui a toujours l'air d'êlre un ciel de tableau. Le silence avec la solitude s'accorde. Ah ! comme tout est loin ! Comme tout se passe sans témoin ! Comme tout est de moins en moins ! On dirait que la ville est depuis longtemps mortel VI 0 ville d'exemplaire et stricte piété! Les sombres maisons — Même dans leurs vitres rien ne s'azure — Ont l'air d'une communauté En oraison, A genoux dans l'eau qui se moire ; Et les reflets des murs sont des cassures De robes noires... Les canaux vont se prolongeant comme des nel's. Les maisons restent prosternées, Ville entrée en religion; * Pour quels chagrins ou quels griefs? Pour avoir vu mourir quels rayons Ou se rompre quel hyménée? Pour avoir subi quel déclin, Quelle chute du haut de la gloire, Pour être veuve avec quels orphelins, Pour s'être vue en deuil dans quels miroirs? Ah ! comme le destin est rapide à changer, Iluine immédiate et déjà quotidienne Qui lui fit tout de suite, en ce temps-là, songer : « Est-il une douleur comparable à la mienne? » 0 mélancoliques maisons, Maintenant sans mémoire, Qui ont cessé de regarder les horizons ! Naguère elles étaient des reines, Avec un luxe en fleur de pierres ciselées; Voici qu'elles ont Des robes noires, Chœur de béguines en neuvaines Pour on ne sait quel Jubilé... La ville entière a pris le voile, Priant dans les nefs des canaux ; Et, pour l'oubli de ses misères (En les touchant des doigts dans l'eau), Elle égrène une à une les étoiles 1 Comme les grains intermittents d'un grand rosaire. T. les femmes en mante La lune aux feux d'ivoire Qui se décalque Dans les sombres canaux, le soir. La neige aux clairs papillons par essaims Et les corbeaux noirs des tocsins. Car c'est la ville que la neige aime d'amour, Elle y répand sa manne... Et c'est la ville aux mille cloches dans les tours. Or, de ce blanc et noir, uu gris si triste émane Un gris fait de blanc et de noir, Fait du noir des soutanes Et du blanc des cornettes, Un gris, formé de vos robes, ô vous, les prêtres, Un gris, formé de vos linges, religieuses ; Couleurs contagieuses Des uniques passants y traversant les soirs! VIII Le Beffroi, durant la journée, Porte avec orgueil son cadran clair; C'est sa médaille de roi du tir, C'est son scapulaire brodé, C'est sa croix pectorale D'évèque qui domine un vaste diocèse. Quand le jour va finir, Debout dans l'air, Le Beffroi se souvient du passé et s'exalte ! A d'autres la mémoire est lourde et les ans pèsentt Il est toujours lui-môme; Et, dans son armure de briques, 11 se rêve héroïque. Le crépuscule devient blême; L'ombre peu à peu s'accroît Et s'attaque au Beffroi; Mais lui se défend, songe A ses fastes célèbres. Il lutte contre l'assaut des ténèbres Et l'or vaste de son cadran, Parmi les pierres trop dociles s'encadrant, Est un bouclier grâce auquel il se prolonge ! Mais l'ombre triomphe ! La nuit règne; et le Beffroi sent Sur ses pierres, qui sont nocturnes Gomme le firmament, Son cadran luire pâlement Gomme un globe mort, comme une autre lune. 52 les femmes en mante Miracle de la neige ouatant la Ville Grise : La neige tombe sxir la ville lentement, Comme un retour d'enfance, un rajeunissement, Une layette clans le jardin d'un hospice. Ah ! tout ce blanc épars! Illusion d'avril ! Innocence ! Et le long cles quais ces ganses blanches Qui soudain ont fait croire aux cygnes en exil Que c'était la Noël ou que c'était dimanche. Trop courtejoie, hélas tqu'interrompentlesmantes! La rue était déjà blanche comme un parloir; Mais revoici venir les mantes inclémentes Qui tachent ces blancheurs de leur noir nonchaloir. La rue était aussi blanche comme un dortoir, Tel qu'il en est d'angéliques au béguinage; Mais revoici passer les mantes en voyage; 0 le parloir, ô le dortoir, tachés de noir. La neige n'est plus gaie et s'afflige en voyant Les mantes affluer en lents itinéraires Servantes de la Mort, Pleureuses la souillant, Qui semblent apprêter des pompes funéraires. C'estundeuilblancd'enfantqu'elle-mômesuggère... Est-elle faite encor de flocons? Ah ! voyez ! C'est plutôt le duvet et les plumes légères Des cygnes qui, mourant, s'y seraient effeuillés! 5. . X Des mantes ont passé dans le vide des rues Oscillant comme des cloches parmi le soir; On aurait dit, au loin, des cloches de drap noir Tintant aussi des glas, et peu à peu décrues... Des cloches ont tinté, graves d'être pareilles Aux mantes, et d'aller selon un rythme égal; On aui'ait presque dit d'autres petites vieilles Qui cheminaient dans l'air en robes de métal. XI La ville de plus'en plus se délabre Dans le soir morne où c'est delà cendre qu'il pleut; Seuls les cygnes sont lumineux Et brillent comme des candélabres. Ils sont des lampadaires Dont la flamme est bougeante Sur les canaux qui s'en argentenl; Et tout prend un air légendaire. Les vieilles maisons sans âge Sont à genoux sur l'eau, Gomme sur un tombeau. Est-ce un pèlerinage? L'eau coule un peu sous les arches Des vieux ponts; On dirait une foule qui se met en marche Vers l'horizon. Les vieilles maisons ambiantes Ont un aspect humain ; Ne sont-ce pas des mendiantes Au bord du chemin? Et le silencieux cortège s'achemine Vers quelle Grotte ou quelle Vierge? On voit briller les cygnes Comme des reposoirs de cierges. Obtiendra-t-on le miracle enfin Et que la ville soit guérie? Il flotte on ne sait quoi d'un peu divin ; Tout s'apparie... Les vieilles maisons oublient leur misère Les cygnes sont plus lumineux; On dirait qu'une lampe est en eux; Les étoiles se groupent en rosaire. 0 procession unanime Pour sauver la ville qui meurt; Les maisons, les cloches, les cygnes, Tout s'achemine vers la Lune en Sacré-Cœur. Pèlerinage qui supplie Pour éviter le grand désastre; Kt qui s'en va, au loin, communier des astres, Ciboire de la Nuit aux millions d'hosties! Le brouillard indolent de l'automne est épars... 11 flotte entre les tours comme l'encens qui rêve Et s'attarde après la grand'messe dans les nefs ; Et il dort comme du linge sur les remparts. II se déplie et se replie. Et c'est une aile Aux mouvements imperceptibles et sans fin ; Tout s'estompe; tout prend un air un peu divin; Et, sous ces frôlements pâles, tout se nivèle. Tout est gris, tout revêt la couleur de la brume : Le ciel, les vieux pignons, les eaux, les peupliers, Que la brume aisément a réconciliés Comme tout ce qui est déjà presque posthume. Brouillard vainqueur qui, sur le fond pâle de l'air, À même délayé les tours accoutumées Dont l'élancement gris s'efface et n'a plus l'air Qu'un songe de géométrie et de fumées. les femmes en mante Plus qu'ailleurs on y songe au vide de la vie, A l'inutilité de l'effort qui nous leurre ; Rien par quoi la tristesse un peu se lénifie Et rien pour désaffliger l'heure ! Toujours les quais connus, les mêmes paysages, Les vieux canaux pensifs qu'un cygne en deuil effleure; Sans jamais d'imprévu ni de nouveaux visages Donnant une autre voix à l'heure ! les femmes en mante Douceur du passé qu'on se remémore A travers les brumes du temps Et les brumes de la mémoire. Douceur de se revoir soi-même enfant, Dans la vieille maison aux pierres trop noircies, Dont le pignon est en forme de mitre; Douceur de retrouver sa figure amincie D'enfant pensif, le front aux vitres... On se revoit l'enfant qu'on fut Et qui écoutait Les lointains angélus, Et qui regardait L'eau que les reflets ont nacrée Et les bateaux que nulle aventure ne grée. A-t-on été cet enfant que voilà? Silencieuse et triste enfance Qui jamais ne rit; Erifant(trop pâle et qui s'étiola Derrière les vitres, comme à l'infirmerie ! Enfant trop pâle et trop de connivence Avec les cloches Dont le chant morne en lui continuait; Avec les cygnes Tristes et blanc?, comme une fin de noce ; Avec les nuées Qui l'emmenaient dans un départ de mousseline... ' 64 les femmes en mante Enfant trop nostalgique et qui se sentait triste A voir passer les doux séminaristes; Enfant trop frôle et qui se sentait orphelin A voir gesticuler comme en détresse les moulins; Enfant qui ne jouait jamais, enfant trop sage Guettant dans les miroirs on ne sait quel passage. Enfant dont l'âme était trop atteinte du Nord, Qui déjà pensait à la mort. Ah! ce noble, ce pur enfant qu'on a été Et qu'on se remémore Toute sa vie et jusque dans l'Éternité ! Soirs de ma ville morte! Oh! mes beaux soirs anciens Où la lune, prenant à son tour l'air chrétien, Semblait une béguine en prière sur l'eau, Qui s'avançait ensuite en un grand nonchaloir De canal en canal, comme dans des parloirs, Pâle sous la cornette ample de son halo ! 66 les femmes e-n mante XVI Ah ! ces voix du pays ! ces rappels du passé ! Tant de reflets enfuis dans un miroir eassé ! Toujours l'obsession d'un ciel gris de province Où quelque girouette inconsolable grince! L'absence ! Et ces gouttes de son du carillon Qui nous asperge Fàme avec son goupillon. Fumée en route, et dont la soie un peu pâlie En rubans bleus, à notre enfance nous relie ; Parfum ancien, venu dans l'air, un peu moisi. Tout cela qui chuchote un doux « revenez-y ! » XVII Toute la belle histoire est une souvenanee I Les cygnes pleurent sur l'eau où se mirent les toits Rien ne se recommence Et tout n'arrive qu'une fois. Tout est déjà comme si rien n'avait été; La ville abdique Et les cygnes ont un air héraldique Et les tours sont dans l'air comme un grand cri sculpté. Les reflets parmi l'eau s'évaporent, Ainsi le fard sur un visage ; Tout ce vieux décor est sans âge ; L'eau devient incolore. Toute la belle histoire est finie, L'ancien faste et la mer baignant le pied des tours; La mer est partie Comme un amour... Déjà le souvenir en est vague; La ville est une veuve ; Comment recommencer les vagues Et se remettre aux doigts des bagues neuves? La ville rêve au beau passé qui finit mal. Elle appelle... Et rien ne répond. ~ Silence de l'air ! Les vieux pontjs Sont comme un catafalque en deuil sur le canal. La ville se résigne, Appareillée avec les quais, Et prend exemple sur les cygnes Qui sont un vaste vol cargué. Les cygnes mi-barque, mi-aile, Presque redevenus des' oiseaux de blason, Dans cet air de veuvage et d'arrière-saison Où seul le clair de lune un peu les emmielle ! XVIII La neige est d'innocence et de miséricorde; Est-ce l'aile d'un invisible séraphin Qui dissémine un blanc duvet presque divin? .Miracle ! La blancheur de la neige concorde Avec ce deuil de crêpes noirs qui règne ici. La neige se dépêche à travers l'air transi Pour venir au secours de la ville assoupie Dont les maux sans espoir par elle sont pansés Comme si ses flocons étaient de la charpie. 0 la neige, tombez, la neige, assoupissez, Vous l'endormeuse, avec vos musiques mineures, La ville et la douleur de ses vieilles demeures; Bonne neige, tombez sur la ville, tombez; les femmes en mante Ainsi qu'une pitié, tombez des cieux plombés; Bonne neige, tombez en chutes amorties Sur la ville qui meurt dans les brouillards du nord; Patronne du Silence et de la Bonne Mort, Apportez-lui vos rafraîchissantes hosties ! les femmes en mante Les manies sont d'accord avec les soirs funèbres, Les tristes soirs brumeux qu'elles ont ennoblis. Soirs de Toussaint où la ville s'immobilise Et se tisse à soi-même un silence d'église, 0 mantes comme un orgue auxlongs tuyaux de plis! —Etles mantes aux plis d'ombre chantent Ténèbres. LES RÉVERBÈRES II ■ l lit ïftI I Les réverbères un à un vont s'allumant, Comme les étoiles Ou des cires autour d'un poêle. Et la ville s'endort pensivement... Plus une cloche ne tinte; Toutes les lampes sont éteintes; Elles, elles étaient les sœurs des réverbères, Sœurs heureuses, que du tulle ornemente ! Eux sont leurs tristes frèr^r > Pour qui la Destinée a été inclémente. Ils ne se montrent qu'à la nuit; Ils sont toujours grelottants; Ils doivent subir tous les temps, Le vent, la pluie; Ils sont toujours sans gîte, Regardant les maisons où les lampes habitent ; Eux sont des pauvres... Ils sont toujours transis; Qu'est-ce qu'ils attendent ainsi? Et c'est vers où que dans l'aube ils se sauvent? II Les réverbères des banlieues S'en vont durant des lieues. S'en vont comme un cortège, au loin, de pénitents, Le dimanche, en semaine, et par tous les temps; L'un est debout; un autre, il semble, s'agenouille; Et chacun se sent seul comme dans une foule. Par les chemins que la pluie détrempe Ils allongent des rampes. Des rampes de clarté par où monte le Ilève ! Et on voit remuer leurs feux comme des lèvres. Les réverbères des banlieues Effeuillent leurs lumières bleues. i C'est le vent qui effeuille à terre leur lumière, Lumière éclose en une serre. Petite serre, à quatre vitres, des lanternes Où le bouton avec la fleitr ouverte alterne, Selon le caprice du vent, Ecrasant la flamme ou la relevant. Les réverbères des banlieues Sont des cages où des oiseaux déplient leurs queues Pauvres oiseaux réfugiés Qui ont souflert d'être mouillés. Oiseaux trop frêles qui préfèrent Vivre captifs "dans du verre. Ils ont eu peur des horizons Et regardent la vie à travers des cloisons. Un triste réverbère Dans le soir s'exaspère A regarder son ombre. Se peut-il qu'il corresponde A ce dessin transi Qui dort à terre comme dans un miroir, Et qu'il soit lui aussi Cette figure linéaire et tout en noir? Le papillon jaune qu'il est N'est plus sur le sol Que le deuil d'un vol. II regarde tout son reflet Qui se délimite en contours de ténèbres; Ah ! cet afflux de présages funèbres ! Soudain le réverbère Voit l'ombre de sa boîte en verre Former, avec ses quatre pans, Comme un petit cercueil à terre, Qui attend ; Et le réverbère a peur qu'on emporte, Dedans, sa flamme morte ! à» ! f IV UM lllfl 11 Dans le soir, au bord de l'eau, S'allument les lanternes; Leur mirage dans l'eau se cerne D'un tremblotant halo. L'eau, dirait-on, se zèbre De ces clartés qui alternent Avec les ténèbres. Ri 18 1 i PI lif I,' i <■ if Les réverbères îi la file Se prolongent, intermittents; On dirait des pénitents Avec leur gourde de lumière. La nuit de l'eau serait plénière Sans les réverbères du bord Qui la faufilent De leurs points d'or! La Nuit est seule, comme un pauvre. Les réverbères offrent Leur flamme jaune Comme une aumône. La Nuit se tait comme une église close. Les réverbères mélancoliques Ouvrent leur flamme rose Comme des bouquets de lumière, Des bouquets sous un verre et qui sont des reliques, Par qui la Nuit s'emplit d'Indulgences plénières. La Nuit souffre! Les réverbères en chœur Dardent leur flamme rouge et soufre Comme des ex-votos, Comme des Sacré-Cœur, Que le vent fait saigner avec ses froids couteaux. La Nuit s'exalte. Les réverbères à la file Déploient leur flamme bleue, Dans les banlieues, Comme des âmes qui font halte, Les âmes en chemin des morts de la journée Qui rêvent de rentrer dans leur maison fermée Et s'attardent longtemps aux portes de la ville. les réverëërès 89 VI La Nuit s'acharne au réverbère qui la nie, Tout s'endort; seul son feu, Obstiné comme l'insomnie, S'attarde, avec son pouls fiévreux, Ce battement de flamme chaude Et comme artériel Qui continuera jusqu'à l'aube. Le réverbère est setil sous le grand ciel. Et il voit que, là-bas, D'autres feux tremblent, Étoiles qui jamais ne se rassemblent, Seules comme lui Dans un éternel célibat. 0 étoiles, ses sœurs, qu'il nomme dans la nuitl Un même mal les agite ; Elles sont si tristes ; Elles ont le même sort, Le même tremblement de fanaux dans un port A des vaisseaux qui jamais ne partent ; Elles ont la même palpitation, Les mêmes pulsations, Comme si un seul cœur,elles et lui,les faisait battre. Le réverbère songe : « Elles sont comme lui ; Il est comme elles; Solitude ! Et n'avoir à vivre que la nuit! » Ah! s'éteindre, s'éteindre en une Aube éternelle! VII Les réverbères en enfilade Ont allumé leurs pensives veilleuses Quotidiennes, Formant un jeu d'ombres silencieuses Qui vont et viennent... La Ville est-elle plus malade Ce soir? On dirait qu'il fait plus noir; Le vent a l'air de plaindre Quelqu'un qui ne guérira plus; Une petite cloche tinte Le dernier angélus; L'air est sonore à cause du silence ; Les peupliers, dont la cime s'élance, Ont peur de faire trop de bruit; Et les passants embrument leur marche Comme dans une chambre, autour d'un lit... L'eau chuchote plus bas sous l'unique arche Des vieux ponts ; On dirait qu'elle prie avec des soupirs ; Mais à quoi bon"? Sans doute que la Ville empire Ce soir? Les veilleuses des réverbères A peine encore un peu espèrent; Elles sont comme des yeux, Comme des feux dévotieux, Yeux et feux illusoires. 0 réverbères ! Ils s'alarment Et sentent la mort en chemin ; Ils ont quelque chose d'humain, Ils tremblent et semblent pâlir Comme si dans leur flamme il y avait des larmes Qu'est-ce qui va mourir? Un cygne averti chante sur l'eau noire... 11 se peut que la Ville meure Ce soir... « Les réverbères pleurent ! Dans les villes de nord et de mysticité Il y a des jets d'eau doucement invisibles Au bruit calme, de temps en temps ressuscité, Et frais comme le nom des ruisseaux dans la Bible. Vieilles villes qui sont un moment rafraîchies Par ces colonnes de cristal éblouissant Avec des chapiteaux de givre, s'él;inçant ; Et les villes sans joie ont tu leurs élégies. 9 Dansles cours des maisons, dans les jardins des cloitn Les jetsd'eauraontent et retombenten leurs vasques Et sans cesse se reforment comme une vague ; Et, dans le soir, on les entend croître ou décroître. 0 jets d'eau, toute cette innocence qui joue Avec soi-même, comme un paon blanc sous la lune ! Le jet d'eau a frémi, s'assemble, fait la roue; —Tant dejetsd'eau, qui se répondent dans la brume! Douxjets d'eau! Innocence et froideur! Ils sont vierges Et semblent se vêtir de blancheur unanime; Chaque élan est comme un nénuphar qui émerge; Et c'est, au loin, des reposoirs de mousselines. Vieilles villes qui en sont moins mélancoliques, Comme si les jets d'eau pâles filaient du verre Pour abriter sous une vitre des reliques, Ou filaient de la toile en linceul de Calvaire. A quoi s'occupent-ils, les doux jets d'eau cachés, Où les villes en deuil lotionnent leur peine ; Ils semblentchuchoter,d'une voixpresque humaine, Comme s'ils remettaient à quelqu'un ses péchés. A quelle œuvre invisible est-ce qu'ils collaborent, Jets d'eau qui sont intermittents pour qu'on écoute — Dans le silence gris que leur rumeur déflore — Le Temps s'enfuir pour ainsi dire goutte à goutte. If Le jet d'eau dans le jardin d'avril Est une Première Communiante Impatiente, Un peu puérile et fébrile, Ayant peur d'arriver trop tard A la messe de la paroisse, Et se plaignant du vent et du brouillard Qui défraîchit sa robe blanche ou qui la froisse. Le jet d'eau semble à genoux, les jets d'eau 101 0 robe blanche en avalanche, Tulle qui tremble et traîne qui déferle... Et cet égrènement d'un chapelet de perles, Avec un murmure si doux! Le jet d'eau tout le jour attend; Les fleurs ouvrent leurs cassolettes Où dort un impalpable encens; C'est le printemps; Et le jardin s'orne pour la fête. On entend le jet d'eau qui prie, L'air à genoux dans le gazon, Faisant monter toujours plus haut son oraison; Et le jardin, comme une église, s'assombrit. Alors voilà la Lune offrant sa grande hostie. Le jet d'eau qui s'impatiente, Dans sa robe de Communiante, Croit déjà qu'il en communie... La Lune aussi cache un visage — Comme l'Eucharistie — Qui lentement se dégage Avec des lèvres et des yeux. Le jet d'eau songe que c'est l'heure... Il s'élance, il avance, il ondule, Dans ses falbalas de tulle, Et croit sentir vers lui venir un dieu. Maintenant le soir tombe et il pleut de la cendre. Mais la Lune est là qui demeure Dans un recul où nulle bouche Ne la touche, Hostie inviolée et qui s'isole, au loin, Visage calme d'un témoin. Elle n'a pas voulu descendre Et lui, pauvre jet d'eau, n'a pas assez monté ! C'est comme si rien n'avait été ; A peine une étoile allume une veilleuse; Le jet d'eau qui a renoncé Va replier sa robe cérémonieuse, Toute pâle dans l'air foncé. III Dans les jardins enclos, plus d'un jet d'eau dépasse, Tel qu'une palme, le haut mur; Il s'essore, désir haletant, dans l'espace ; Gomme on baise une bouche, il va baiser l'azur ! Puis quand tombe le soir, les jets d'eau des jardins Dans les gazons qu'ils trempent S'apaisent, vont s'éteindre en élans indistincts; Lesjets d'eau ont baissé, comme baissentleslampes. _ Le jet d'eau s'est levé sur la vasque d'eau morte ; Il a l'air dans le soir de quelqu'un qui exhorte Et porte au ciel, dans un bouquet, une supplique. Le parc s'empreint d'une douceur évangélique Et les feuilles vont se cherchant comme des lèvres. Seul le jet d'eau s'afflige; il insiste, il s'enfièvre 106 les .tets d'eau Dans cette solitude où son élan se brise. Aht que n'a-t-il plutôt humblement accepté Le sort calme d'avoir pour sœurs les roses-thé, Et de ne se crisper qu'à peine sous la brise, Et d'être un étang plane au niveau du jardin? Orgueil ! Il a voulu toucher le ciel lointain, S'élever au-dessus des roses, ô jet d'eau Qui se termine en floraison de chapiteau, Comme pour résumer à soi seul tout un temple. Ah! l'effort douloureux, toujours inachevé! Il est debout, encor qu'il chancelle et qu'il tremble ; Il est celui qui tombe après s'être élevé; Il rêve en son orgueil l'impossible escalade De l'azur, où planter son frêle lys malade ; Il est le nostalgique, il est l'incontenté; Il est l'âme trop fière et que le ciel aimante. — Ah ! que n'a-t-il vécu du sort des roses-thé Parmi l'herbe où leur vie est heureuse et dormante! — 11 est le doux martyr d'un idéal trop beau ; Il espérait monter jusqu'au ciel, le jet d'eau! Mais son vœu s'éparpille! Et sa robe retombe En plis agenouillés comme sur une tombe. V Le jet d'eau monte dans l'air bleu Et retombe sur lui-même; On dirait un adolescent qui s'aime Et se caresse avec ses cheveux. Le jet d'eau se contemple et s'adore Dans la vasque en miroir. C'est Narcisse... Sa crinière d'eau s'échevèle Et le soleil la clore. Le jet d'eau rit et se secoue Comme s'il avait des ailes... C'est de l'eau qui, avec de l'eau, joue ! Le jet d'eau s'émerveille De s'élever si haut et qu'il se continue... Puis, par moments, il s'élargit comme une treille Qui se tiendrait d'elle-même en suspens. Le jet d'eau rit, tel Narcisse; Car — toute son eau retombant Comme un linge qui s'éparpille — Il semble que c'est de soi qu'il se déshabille Et qu'il est enfin nu! VI ■ Le jet d'eau dans le soir monte, lancéolé, Frôle lance d'eau pâle en un parc désolé, Où l'ombre, aux marbres blancs, s'est tressée en épines. Un coq lointain pousse son cri de trahison; Et les pieds de Judas font pleurer le gazon ; Tout s'abandonne à des douleurs comme divines; Le passant qui se signe est en forme de croix; L'eau de l'étang qui rêve a l'air soudain salie D'un vase d'amertume avec toute sa lie; Or la lune a surgi dans l'ombre qui s'accroît; C'est comme une blessure au milieu du silence Par où coule le sang de la nuit en ruisseau ; La lune saigne, il semble, à cause du jet d'eau ; Et c'est la plaie, au flanc, ouverte parla Lance. 10 Les jets d'eau sont des rouets D'une soie impalpable et blanche; Au-dessus, la lune se penche ; C'est la fileuse aux soins muets... Les jets d'eau envident leur soie Qui s'allonge, tourne, se ploie En liquides écheveaux. 0 ces fils d'eau s'amincissant El qui s'effilochent! C'est comme si on voulait Filer de l'encens Ou des sons de cloche A un silencieux rouet. La lune file les jets d'eau. Les jets d'eau sont omnicolores; Ils prennent toutes les nuances Selon l'heure et le ciel, Prisme toujours en fuite et qui se recommence L Il semble que chacun d'eux élabore Une part de l'arc-en-ciel. Sous le ciel maladif et que l'orage soufre, Mon àme se sentait devenue un jardin, Mon âme se sentait un grand jardin qui souffre. Un jardin qu'on croyait jusqu'alors anodin, Mais où la belladone éclôt et la ciguë. Dans ce jardin de mon ûme monte un jet d'eau Et la foudre qui vole est comme un rouge oiseau Que le jet d'eau poursuit de ses flèches aiguës; Mais la foudre est trop haut; le j et d'eau monte en vain ; — Ah! s'élancer d'en bas vers un but trop divin t... — Et le jet d'eau s'endort sur ses flèches vaincues. 10. LES PREMIÈRES COMMUNIANTES I Aux jours pascals, quand le ciel est d'azur, — 0 cet azur d'avril qui n'est pas encor sûr! — Apparaissent les Premières Communiantes, Cloches de mousseline, Robes bouffantes Qui cheminent... Elles vont, cioches d'innocence, En de si blancs, si vaporeux atours ! Elles ont l'air de rentrer d'une absence, De sortir d'une tour, Parmi la brise anémiante Dont la langueur s'apparie à la leur, Premières Communiantes, Cloches s'agglomérant en robes de pâleur. 11 Les Premières Communiantes toutes blanches Se rappellent, parmi leur tulle virginal, Les confessionnaux qui font pleurer les auges Et quel soir il régnait dans ces antres du Mal. Elles ont chuchoté, bas, leurs légers péchés, Les lèvres en feu comme quand on se fiance, Ayant bien fait leur examen de conscience Afin de senlir bon comme un bois d'orangers L'heureux miracle et le délice d'être absoutes ! Et ce blanchissement de l'étole dans l'ombre, Geste en suspens du prêtre, un geste comme en route, Qui, déplus enplus proche, ouvre un vol de colombe. Colombe sur tous ces médiocres péchés Qui s'égouttent en pluie unie, et monolone; La colombe du bon pardon s'est rapprochée; L'âme neuve, pleine de fleurs, rit et s'étonne... Comme elles ont eu peur, et qu'elles étaient tristes En entrant dans le noir des confessionnaux, Antres en qui l'odeur des vieux péchés persiste Et où leur frôle voix trembla comme un jet d'eau ! Derrière le grillage ouvert, ah ! quelle honte! Le prêtre était le berger derrière une haie Dont le visage, blanc de clair de lune, effraie; Chacune se sentait l'agneau durant la tonte... 111 Ah! ces grâces du blanc qui ne durent qu'un jour ! Les Premières Communiantes s'angélisent; Leurs essaims ont neigé au seuil noir des églises Qui atténuent l'ombre sur elles de la tour; Car tout leur tulle est si sensitif, et leur voile, Que c'est assez de l'ombre grise d'un clocher Pour abolir leur joie et les effaroucher; (Une brume suflit pour que pleure une étoile.) Ah! ces grâces du blanc qui ne durent qu'à peine! C'est la grâce des fleurs d'avril dans les vergers; On dirait un concile, au milieu de la plaine, De vierges frissonnant sous des tulles légers ; Le ventjoue et chantonne; il croit que c'est dimanche, A voir dans les vergers, comme assises en rond, Toutes ces floraisons d'arbres en robes blanches. Ah! ces grâces du blanc qui tôt se faneront! C'est la grâce de la brume sur un étang Que le matin avait vétu de mousseline, Comme pour une approche.aussi un peu divine; Éphémère parure, atours inconsistants... Bientôt la brume cesse; et l'eau qu'elle a quittée S'apparaît solitaire et comme dénudée; lîlanc vêtement qu'était pour elle le brouillard, 11 les premieres communiantes Le voici qui déjà s'envole, s'effiloche Et va finir où finissent les sons de cloche. Ah! ces grâces du blanc, brèves comme un départ ! C'est la brièveté, sur les vitres, du givre Ne durant que le temps d'une nuit de Noël, Frêle bouquet captif, impatient du ciel, Que vite le matin, plein de soleil, délivre. Un voile aux cheveux, comme un nimbe ; Et toute bLancheur : la robe et les mules, Et les gants et aussi les guimpes Croisant des plis sur les poitrines nulles. Seule la bouche était rouge, Du rouge d'une fleur de géranium Derrière un rideau de couvent, qui bouge. . Ah ! surtout réentendre encor l'harmonium ! Gela se répandait comme une eau, Une eau tiède où on était des cygnes Et des îles de mousseline Et de pâles fanaux ; Cela s'étalait sans fin, Cette eau du clavier élargie. Inoubliable instant divin, Et le baiser, sur la bouche, de l'hostie 1 Ce fut comme un grand baiser blanc, Comme un baiser reçu en rêve, Comme un céleste attouchement, Comme les lèvres de la lune sur les lèvres. Extase d'un dimanche d'avril à Malines Avec des Communiantes dans des berlines ! Profils de camélia blanc Sur les vitres des portières armoriées, On les prendrait pour de petites mariées Qui vont f .ire semblant D'aimer et d'épouser Jésus En disant des prières un peu décousues... Exlase d'un dimanche d'avril à Malines. Matin de fête! Joie et feuilles nouveau-nées! Comme l'hiver est loin et tous ses maux! L'eau des sombres canaux Est tout enluminée ; Et les cloches battent de l'aile autour des tours A voir tant de petites vierges En blancs atours, Blanches comme leur cierge. Blanc unanime ! Blancs neigés ! Les cloches ont l'air de ciboires Où chantent des hosties; Les jardins sont blancs comme des vergers. Extase d'un dimanche d'avril à Malines. L'azur se déploie; un oiseau pépie; Les canaux étaient las, hélas! Tous les reflets mouraient dans leur eau noire; Us avaient porté tant de siècles Et réfléchi tant de couvents, Leurs pignons lourds, leurs lourdes règles; Ils étaient las, si las ! Les voici maintenant comme pleins d'enfants... Ce sont les nuages de ce dimanche Qui s'y promènent en falbalas De robes blanches. Extase d'un dimanche d'avril à Malines, Où passeraient dans l'air ému des mousselines. Tout l'essaim virginal neigea Aux églises dont la vieillesse rajeunit; Colombes du Saint-Esprit dans ces vieux nids; Orlagrand'messe a commencé déjà : Nappes d'autel, calme printemps de givre, Dentelle, qu'on dirait faite en fils de la Vierge, Dont les bouquets jamais ne se délivrent... Et vous les si frêles cires pascales Que tantôt les Communiantes vont tenir, Comme si c'était leur vie inégale Qui, dans leurs mains, flamme falotte, Hésite, se redresse, vivote A tous les vents de l'Avenir! Extase d'un dimanche d'avril à Malines Quand, à YAgnus Dei, la clochette bruine; Blancs propagés I Blancs unanimes ! Les tulles sont d'accord avec les hymnes ! C'est donc enfin le moment du Graal ; C'est le moment enfantinement nuptial : Marches rythmiques ! Pantomime ! Processionnellement, et presque sans oser; Elles ont un air de victimes A marcher vers le Banc, les doigts juxtaposés, Et se pâment au pain azyme, Écarquillant leur bouche comme îi un baiser... Extase d'un dimanche d'avril à Malines. Journée unique, silence attiédi, Où les cloches,dans l'air, comme blanches, cheminent; Et la si calme fin de cet après-midi Et le si calme soir Où les cygnes des canaux noirs, Les nuages en draperies, Les floraisons, les sonneries, Les Premières Communiantes — Pâles encor, le soir, d'être sorties à jeun — Se confondent dans les ombres unifiantes Et ne font qu'un. Extase d'un dimanche d'avril à Malines Où on s'endormirait dans ces blancs unanimes ! Les Communiantes s'en sont allées Comme de blanches azalées. Frileuses, elles n'ont resplendi qu'un matin, (Tulles frêles que les plus doux vents désajustent) Delà blancheur qu'ont en avril d'humbles arbustes; On eût dit tout à coup voir marcher un jardin. Les Communiantes s'en sont allées; On les suit comme des allées. Sur les vitres de la maison où il faut vivre Et dont depuis longtemps s'est fané tout l'azur, Elles sont ces grands lys et ces palmes de givre Damassant un moment les carreaux trop obscurs, Frêle bouquet d'hiver, qui si peu persévère Et fond vite et s'achève en larmes sur le verre... Les communiantes s'en sont allées, Comme des vitres dégelées. Elles étaient les purs reposoirs de l'Hostie, Blanches, malgré l'ombre sur elles de la tour, En s'attardant sur le parvis, à la sortie; Les cloches chantaientdoux, si douxencebeaujour ! Les Communiantes s'en sont allées. t Or, leurs robes étant comme en forme de cloches, On eût dit qu'au lieu des cloches noires, c'étaient Leurs robes qui versaient ces sons blancs et tintaient, Cloches de tulle brimbalées. Et l'air, ému comme une eau morte à leurs approches, Tremblait, habitué qu'on lui fit violence; Celles-ci déplaçaient à peine le silence... Tels les cygnes, qui sont un si léger fardeau, En nageant, ne déplacent qu'à peine un peu d'eau... Les Communiantes s'en sont allées, Ailes blanches intercalées. m 0 mai ! moment blanc de l'année ! Mois des blancs unanimes, Des blancs — comme neigés ! Blanc des jardins et des vergers, Blanc des cygnes, Blancs unanimes t C'est le mois où les cygnes ont l'air en fleur, Tout extasiés, Comme des cerisiers; 12. les cygnes On dirait des Premières Communiantes, Chœur virginal Qui se pose moins qu'il n'effleure ; Et l'eau du canal Leur est un calme reposoir Paré des linges de la lune et de vertes plantes. Même la nuit reste blanche comme un parloir Grâce à la complicité des cygnes Qu'on dirait des Communiantes du matin Dans un nonchaloir De mousseline ; Et l'air a l'air divin ! La lune repose sur l'eau ; — 0 secrètes analogies 1 — L'hostie aussi a un halo ; La lune aussi cache un visage Comme l'hostie ; Et les cygnes en communient Pour que la lune ajoute à leurs blancheurs insignes. Première Communion des cygnes Durant les nuits de mai ; 0 mai, moment blanc de l'année! Tout est parallèle ; Tout s'endimanche; Les cerisiers font des groupes de robes blanches... Est-ce la Première Communion des arbres? Les cygnes ont ouvert leur aile En forme de harpes, Harpes de Lohengrin aux musiques d'argent. 0 mai ! Moment blanc de l'année! Symphonie en blanc.' Toutes blancheurs — l'une après l'une ! Même la nuit reste éclairée Grâce à la lune qui chemine En falbalas de mousseline... Est-ce la Première Communion de la lune? 0 mai ! Moment blanc de l'année ! 0 mai ! Mois des blancs propagés : Blanc des âmes et des vergers, Blanc des cygnes, Blancs unanimes. II Ah! cet exemple édifiant des cygnes Sur les canaux qui sont vacants De tous reflets de joie humaine! (Toi, sois meilleur, en abdiquant) Les cygnes se résignent... Les cygnes n'ont lutté qu'à peine Contre la brume qui se tisse, Brouillard opaque, et sans nul interstice. Beaux cygnes qu'un instant leur pur éclat atteste, Les cygnes ont eu honte alors, dans tout ce blanc; De leur bec rose encor, dernière fleur Qui lentement se fane ; Ils ont voulu déchirer le brouillard Avec leurs souples cou?, Instinctifs comme des gestes ; Mais le brouillard les vainc et les fait doux Comme les nénuphars. 0 cygnes d'accord avec le décor, Sauf leur bec un peu rose encor Comme un œillet Qui commence à s'effeuiller; Car le brouillard l'emporte ! Et tout se décolore ; Les cygnes sont vaincus; C'est comme un archipel de ouates qui se fondent; Avec la brume ils se confondent; Ils sont déjà comme s'ils n'étaient plus, Et presque à l'unisson de la toute-pâleur. Us se sont jugés trop profanes En ces blancheurs de cloître et de renoncement. La nuit montait comme une église Avec ses murs de brume blanche; Les nénuphars étaient de petites Sœurs grises Dont la cornette s'endimanclie... Lors les cygnes dont le bec rose survivait Un peu anormal, si pas sacrilège, L'ont enfoui dans leur duvet, 0 rose de Noël disparue en la neige... Ainsi font les cygnes par délicatesse Pour les nénuphars ; ' Cependant que triomphe le brouillard Et que la lune, au ciel, comme une lampe, baisse. III 0 cygne blanc! C'est une àmc peut-être habillée en oiseau ; Une Première Communiante aboutie A être cet oiseau sur l'eau, Parce qu'elle mourut avec sa robe blanche Le soir môme de l'hostie. Et la voilà pour toute une autre vie A se continuer en blanc, A être cet oiseau qui toujours s'endimanche. Car il y a des Premières Communiantes A qui le bleu de l'encens A donné le désir immédiat du ciel, Vierges impatientes D'un Dieu plus réel, Et qui meurent de voir finir ce jour de noce. Elles ne pourraient plus vivre Avec des toilettes profanes; — Le lys^est mort, dès qu'il se fane I Ah ! se continuer dans ces blancheurs de givre ! Jésus les exauce... Et leur àme en ailée habite un cygne blanc, Oiseau trop discret pour qu'il s'en souvienne, Oiseaifsi ressemblant A la robe d'un jour, désormais quotidienne. Les beaux cygnes immaculés Rêvent de voir la coupe du roi de Thulé. Dans le vieux canal qui les porte Nostalgiques, ils vont; La coupe de l'Amour fidèle Peut-être gît-elle En cette eau morte? Oh ! pour la trouver, .plonger jusqu'au fond ! Les beaux cygnes immaculés Rêvent de voir la coupe du roi de Thulé. Ce n'est pas dans la mer en vacarme Que le vieux roi jeta la coupe, Ciboire de ses larmes... Les beaux cygnes s'attroupent. Ah! si c'était ici! Le sel des pleurs est amer, Amer aussi ; Ils vont se croire sur la mer! Les beaux cygnes immaculés Cherchent dans le canal la coupe de Thulé. V Les cygnes blancs vont et viennent sur les canaux Comme des moines dans un préau. Ils ont vraiment un plumage qui s'unifie Et les vêt de frocs blancs et doux De la couleur du badigeon des sacristies. L'eau morte a le calme d'un cloître; Les cygnes allant et venant, Indifférents à tout, N'ont souci que de voir Dans l'eau, comme dans un miroir, Leur blancheur croître. Le canal dort, s'enluminant D'images multiples Comme une vieille Bible. Les cygnes, un à un, s'isolent, se dispersent, Sans souci des reflets qui, dans l'eau, sont inverses... Chacun n'est attentif Qu'à se considérer soi-même : C'est comme un autre soi dans l'eau; L'eau s'est plissée en un halo Dont il est le captif; 13. Comme il s'apparaît blême I Et dans quel recul ! 11 est bien celui qui renonce ; L'eau se fonce... Et peu à peu clans ce miroir il devient nul. 0 beaux cygnes qui s'ingénient A être doux, comme des moines, loin du bruit, Et qui, pour le salut du monde, chaque nuit, Sous les espèces des étoiles communient. VI Les cygnes clans le soir ont soudain déplié Leurs ailes, parmi l'eau qu'un clair de lune moire; On y sent se lever un frisson qui va croître, Comme le long du feuillage cles peupliers. Frisson pareil à ceux d'un grand vent dans les arbres; C'est comme une musique, en pleurs d'être charnelle ; Musique d'une harpe qui serait une aile, Car les ailes de cygne ont la forme cles harpes. Ces harpes tout à coup ont déchiré la brume; Les nénuphars lèvent leurs voiles de béguines; Tout se recueille; tout écoute les beaux cygnes Qui dressent sur l'eau morte un arpège de plumes. Concert nocturne où, seul, je m'arrête de vivre I Ah ! ces harpes de la musique du silence Dont on ne sait si elle est morte ou recommence ; Et mon cœur s'est gelé dans ces harpes de givre. Il La flotte des heureux cygnes appareillait. Un grand cri en chemin A déchiré la trame du silence, Un grand cri presque humain ; Un nouveau cri s'élance. On dirait qu'un des beaux cygnes va s'effeuiller. C'était le plus beau, le plus calme; Tout à coup le voici Fiévreux, transi; 154 l;-:s cygnes Il s'enfle comme une flamme ! Il s'effare; il a des bonds De moribond Qui veut sortir de son lit. L'eau du canal s'éraille ; Le cygne se lève, défaille, Et même, semble-t-il, son duvet en pâlit. Le cri maintenant se module; C'est moins un cri qu'un hymne extasié; Le son s'éteint dans le gosier, Comme si c'était Son aile à présent qui chantait, Telle une grande harpe en tulle. Le cygne chante. Ah! cette voix qu'on attendait, Faible comme une absente Qui revient mourir au pays. Qui va mourir? Quelle âme est en peine? Les cygnes, tout autour, Songent au soir de l'agonie Où ce sera leur tour De se chanter avec cette voix presque humaine. Le cygne chante. Encore un peu, à voix diminuante... C'est déjà comme un râle; Son duvet blanc se roidit Et, quoique blanc, semble plus pâle. Et tout se refroidit, Et c'est le froid du venfdu Nord, Et on entend passer la mort ! les cygnes L'eau morte, certains soirs, vibre de cantilônes. Ah ! les llùtes, aux trous d'ombre, des longs roseaux! Les Cygnes et le Soir y modulent leurs peines, Musique en blanc et noir, éparse au fil des eaux, Mais où le blanc domine à telle heure opportune Où l'on voit tout à coup intervenir la Lune, _ Par peur que la blancheur ne soit humiliée. Les Cygnes vont faiblir... Elle est leur alliée ! Et, combattant le trop d'influence du soir, Elle descend dans l'eau, dont elle est coutumière, Et, sur les flûtes des roseaux, on peut la voir Appliquer en rêvant ses lèvres de lumière. LES CLOCHES Les cloches ont de vastes hymnes, Si légères dans l'aube, Qu'on les croirait en robes De mousseline; Robes des cloches balancées, Cloches en joie et qui épanchent Une musique blanche; Ne sont-ce pas des mariées Ou des Premières Communiantes Qui chantent? Chaque cloche s'ébranle à son tour; 100 les cloches Elle sort de sa tour, Robe de mousseline, Son en marche qui n'est pas sûr, Mais doucement chemine; Puis s'enhardit et s'accélère Dans la nouveauté de l'azur Dont la soie indécise est faite pour lui plaire. Toutes les cloches s'agglomèrent Comme des Communiantes, Lentes et rayonnantes, Dans leurs blancheurs qui font une clarté lunaire. Tant de cloches ! II y en a Qui doucement prient; Leurs chants ont l'air d'Avé Maria Psalmodiés à des orgues fleuries. D'autres passent, se survivant; On dirait le sillage, Dans le vent, De quelques cygnes en voyage. Car les cloches en voyageant A travers l'aube n'épanchent Qu'une musique blanche; 0 les douces cloches neigeant! Sont-ce les fleurs d'un verger Où l'avril irradie ? Peut-être aussi qu'il a neigé Des hosties? C'est toute une blancheur qui tombe, En ouatant son bruit ; Et n'est-ce pas la colombe du Saint-Esprit — Planement de colombe ! — Qui, pour récompenser les âmes de leurs zèles, Laisse choir dans chacune un écho de ses ailes? 14. II D'autres cloches sont des béguines Qui sortent, l'une après l'autre, de leur clocher, Tel que d'un couvent, à matines, Et se bâtent en un cheminement frileux Tomme s'il allait neiger, Cloches cherchant les coins de ciel qui restent bleus. Il en est, en robes de bronze, Qui tintent, tintent; Il en est qui vivotent seules, Comme des aïeules, Dans la tristesse et le brouillard Et qui ont toujours l'air, Dans l'air, De suivre un corbillard. D'autres encor sont des cloches épiscopales Qui, dans les brumes pâles, Ont le mépris des carillons légers, Trop frivoles vraiment, vraiment trop passagers; Et, pour les absorber, elles font violence — En un grand tintement final — A l'air qui tremble d'avoir mal Et frappent, comme à coups de crosse, le Silence. III Au-dessus des rumeurs, la cloche chante... Écoute! Parmi l'isolement on la voit comme à nu. Son de l'Eternité tout à coup reconnu... Mon âme a mérité la cloche et l'entend toute, Puisqu'en elle a cessé la Vie et son bruit vain ; Récompense pour l'âme en paix qui la recueille — Automne de musique en allé feuille à feuille... — Car, tandisqu'on l'écoute, on redevient divin. IV Luxe légué des vieilles villes, Des cloches, l'air dolent, Ouvrent des ccrins dans le firmament : Sons comme des gemmes encastrées, Parures de Joyeuse-Entrée, Et carillons dont les perles se désenfilent. Allègres tintements Qui sont de l'or torrentiel, Ou de vivaces diamants Allumant leurs facettes Sur le velours, d'un bleu fané, du ciel. Les cloches vident des cassettes Dont tinte en scintillante averse le trésor; Doux angélus, tocsin ou sonneries, Ce sont, dans l'air du soir, De ruisselantes pierreries S'évadant d'on ne sait quels diadèmes d'or, Couronnes de musique au front des clochers noirs! V La cloche ne sonne Pour personne. Vieille cloche dans son beffroi, La cloche a peur, la cloche a froid ; Et ses sons semblent les halos Du cadran qui, sur la tour, hante Comme un clair de lune qui chante. La cloche ne sonne Pour personne. La cloche fut jeune jadis ; Ses chants tombaient comme des lys Sur les eaux souriantes; Dans l'air de la ville elle était Une Première Communiante Qui passait tout en blanc et chantait. La cloche ne sonne Pour personne. Elle allait visiter les tours Dans ce temps-là, l'une après l'une; Et se baigner au Lac d'Amour Où le.s doux nénuphars émergent; Et dormir le soir dans la lune Qui est un blanc dortoir de vierges. les cloches La cloche ne sonne Pour personne. La voici valétudinaire, Même aux tièdes matins d'août; Elle n'a plus l'âge d'être poitrinaire; Mais, dans l'air qui la vit vieillir, Ses sons sont les accès de toux D'une souffrante aïeule Qui va bientôt mourir Et s'afflige d'être si seule... La cloche ne sonne Pour personne. VI Ah ! ces cloches et cette pluie Qui se sont obstinées, Toute la journée, Et sur mon âme, ensemble, appuient I Je rêve de très tristes choses, D'une orpheline avec sa camériste... Comme la vie est triste Vue ainsi à travers de la pluie et des cloches ! 172 les cloches Alléluia ! Cloches de Pâques ! C'est fini la semaine en larmes, Le tombeau du Vendredi-Saint, Et le crucifix ceint De violettes de Parme, Et le plain-chant avec ses chants élégiaques ! Alléluia ! Cloches de Pâques ! Les cloches moururent un peu. Etait-ce aussi d'un coup de lance, Comme leur dieu? Elles avaient dormi trois jours Au tombeau du silence.. Chacune s'éveille H son tour, Combien faible, combien pâlie D'avoir été ensevelie; Et, comme d'un sépulcre, elle sort de sa tour ! Toutes chantent, ressuscitées, Et l'aube en est plus argentée A la place, dans l'air, où leur vol s'appuya... Cloches de Pâques ! Alléluia I Elles semblent en robes blanches, Cloches qui s'endimanchent; Même celles des vieux clochers Ont l'air d'avoir mis des tulles légers Sur leurs jupes de bronze opaques. Alléluia ! Cloches de Pâques ! Une procession s'organise dans l'air, Déjà compacte et priante; Procession des cloches Qui s'accélère : Cloches qui sont des Communiantes, Cloches comme des Croisés qui chevauchent, Cloche grave comme l'Évêque sous le dais, Cloches chantant .comme des basses ; • Puis c'est un arrêt presque humain De toutes les chantantes cloches en chemin, Comme si les attendait, A un carrefour de l'espace, Un reposoir orné de tulle et de thuyas. Cloches de Pâques. Alléluia 1 les cloches Ces cloches dans l'air balancées Sont nos robes, d'enfant, recommencées, Toutes les candeurs que nous avons eues Mortes — et ressuscitées, Comme Jésus. Ah ! notre vie, ainsi ébruitée ! C'est le passé déjà si vague Qui s'en revient, qui se rapproche ; Et, dans notre âme aussi, ressuscitent des cloches... Alléluia! Cloches de Pâques! LES HOSTIES C'est la douceur, c'est la candeur du Temps lasca Et, pour les âmes repenties, 11 neige des hosties... Les vergers du ciel sont en fleurs, Neige tiède de Floréal, Comme celle tombant des branches En fleurs blanches ; Ah ! cette chute dans les cœurs De la neige en fleur des hosties Qui, calmement, portent en elles Tout le printemps et la vie éternelle ! C'est comme l'instant d'une manne, Pain de l'âme, substantiel, Qui tomberait du ciel ; Quel doux parfum il en émane ! Ah! manger à son tour cette blancheur nacrée, Ce pain de clair de lune ; L'hostie est consacrée Et tout Dieu est présent à la fois dans chacune. G Dieu — lui que nous invoquons ! — Qu'est-ce pour lui que ces métamorphoses ? Tout l'hiver règne en chacun des flocons; Tout le printemps existe en chacune des roses. II Comment aller jusqu'à l'hostie? On dit: « Pas aujourd'hui; demain.. » Et on reste dans l'apathie ; L'encens offre de trop faibles chemins. Restes d'encens, effacés tout de suite, Petits chemins bleus, Chemins sinueux Dans cotte église où ils sont comme en fuite. Ah! ces chemins qui s'évaporent! Ils nous reconduiraient pourtant Au temps d'enfance et de foi, au bon temps! Et nous pourrions prier encore... De plus près, on verrait la Présence Réelle. Mais l'encens meurt et cessent les chemins, Chemins trop frêles-, Et compliqués comme les lignes de la main. L'hostie est toujours là, calme et plénière; Les chemins d'encens ne sont plus... Et on est les enfants perdus ! Ah ! comment arriver à la seule Lumière? III La vieille église rôve en un vaste silence; La ville morte, avec sa tristesse, est autour; On en sent, comme d'un malade, la présence, Et tout est assombri par l'ombre de la tour. Il règne dans les nefs un jour de demi-deuil; On entend, au dehors, pleurer les hirondelles; Seuls les vitraux d'azur gardent un peu d'orgueil; Et la Vierge pâlit dans ses vieilles dentelles. les hosties Tout est âgé, tout s'appauvrit; les hauts piliers Semblent les troncs, veufs de rameaux, d'une futaie ; On sent une lointaine et vague odeur de plaie ; Est-ce qu'un crucifix se mettrait à saigner ? Ah! cette maladive odeur de vieille église, Fade, mais sensuelle, et qui fait qu'on défaille : Lys, crèches de Noël dont se fane la paille, Encens irrésolu qui meurt dans l'ombre grise ; Vin d'or évaporé des burettes, bougies Dont la souffrance aura racheté nos péchés ; Et tant d'odeurs encor : les nappes défraîchies Et les voiles de noce aux bouquets d'orangers. Et vous aussi, votre immortelle odeur humaine, Foule venue ici dont Dieu seul sait le compte : Larmes du repentir et sueur de la honte, Odeur des siècles — lourde, et qui toujours se traîne... Odeur de mort aussi, car tout ici se meurt ! Cette église est trop vieille et la ville est trop morte; Ce ne sont que tombeaux dans les nefs et le chœur, Et combien de cercueils en ont franchi les portes! Oui! tout est mort! Oui! tout se meurt sans cesse ici : L'encens dans le néant, aujourd'hui dans naguères ; Les visages des vieux tableaux meurent aussi; Et chacun pense aux ossements des reliquaires... IV Oui I c'est la mort, mais c'est aussi l'Eternité; Entrez, mon âme irrésolue ! Le portail vous effraie et ses démons sculptés; Mais l'église est toute bonté, Et, par les vitraux noirs, un clair de lune afflue. 0 mon âme, rien de la vie Ne vous aura suivie Dans cette ombre propice et que vous souhaitiez. Les cierges ont, au loin, des remuements de lèvres Comme s'ils vous parlaient en rêve... Oh! les doigts rafraîchis à l'eau des bénitiers! C'est le refuge ; C'est l'asile de l'Arche au milieu du déluge; Et voici devers vous que vole la colombe, La colombe du Saint-Esprit. Certes la vieille église a le froid d'une tombe lin qui le vieuxpècheur qu'on était meurt sans bruit ; On meurt au monde et on meurt à soi-même ; On est un Lazare blême; Mais Jésus pleure et nous ressuscite soudain ! On renaît à la vie avec une âme neuve; On se lève, on est comme au milieu d'un jardin. Qu'importe le monde! Qu'importe Au loin, la ville morte ! Et que sur les vitraux il pleuve, Et que la nuit descende en ses crêpes de veuve 1 Y L'hostie au fond du chœur est une p:\le lune ; L'encens la voile d'une brume ; Et la foule regarde, au loin, ce clair de lune. 0 le beau clair de lune qu'est l'hostie ! Le prêtre h l'autel l'a brandie, Et sa tonsure pâle est comme une autre hostie. VI La vieille église a des vitraux tout nus Qu'aucune peinture n'image ; Rien que du verre en des meneaux de plomb, C'est comme une eau sans fond Où rien ne surnage, Une eau captive Qui, d'un long passé, n'a rien retenu. Aucun reflet, aucune image vive! les hosties C'est comme la béante ouverture d'un puits En qui tout roule et s'accumule : Les prières, l'encens fané, Les corbeilles du mois de mai, L'orgue, le buis, Tout ce qui fut et devient nul. Ah 1 ces vitraux, blancs comme des suaires, Ah! ces vitraux, tendus comme des linges, Grands linges mortuaires Que la pluie, atf dehors, Lessive et rince, Linge de Véronique ou linge du Calvaire Où tout visage est mort... Vitraux nus t On dirait des tombeaux de verre Où, à peine, le soir, une cendre remue. rTlillllUJi I JHIIi Mil. Ili 11 I 193 Ali! toutes ces blêmes verrières! On songe à des clairières, Çà et là, dans une forêt. Verre opaque où rien n'apparaît, ' Vitres verdies, Où la lune, il semble, a figé Son pâle incendie, Comme dans une mare. Par les vitraux à croisillons on voit le ciel Comme entre les feuilles d'un arbre : Azur délimité, firmament partiel... u Mais que le ciel, à travers eux, paraît âgé ! 'ïÀ&jj Les vitraux sans nul or Et sans nuls personnages Qui les imagent Ont des rêves dont à leur guise ils se décorent. (Les vitraux de couleur Jamais ne se délivrent De l'or, des vierges et des (leurs.) Mais, eux, c'est d'une vie, enfin propre, qu'ils vivent ! Ils sont de flamme, ils sont de givre; Tantôt tout le soleil y meurt rouge en sa gloire, Tantôt l'hiver miséricordieux Brode de bouquets blancs leur verre sans histoire, Comme si c'était la fête de Dieu. Us sont d'azur, ils sont d'argent; Les nuages vont voyageant Dans leur verre qui s'influence comme l'eau. A Ténèbres, ils sont foncés Et clairs à Laudes ; Parfois la lune y règne avec tout son halo, Ou le couchant y fait durer ses cendres chaudes, Vitraux récompensés d'avoir bien renoncé! les hosties 0 soprani, Épanchant leur chant d'aube Comme d'un nid ; On dirait qu'ils pépient, Et leur chant sur celui des oiseaux se copie. Adolescents aux tètes rases Qui psalmodient en répons brefs; Le silence semble en extase Quand leur pâle solfège Vacille dans les nefs Comme une neige. Ce sont des voix presque irréelles; Ainsi doivent chanter les lys. On dirait un troupeau qui bêle Après l'hostie. Voix des enfants de chœur, Par qui les églises Un moment s'angélisent. C'est tout calme, toute blancheur Aussi toutes sourdines, Aussi tout nonchaloir, Et toute la foi d'un parloir Chez les Visitandines. En faveur de ces pures voix Combien de pécheurs, combien d'incrédules Le ciel amnistia ! 0 salutaris hostia! Voix par qui le concert de l'orgue s'acidule ; Voix se pressant comme les tuiles sur un toit. Voix des soprani : C'est un frais jet d'eau qui monte et retombe Et l'église en est rafraîchie ; C'est un lustre aux tremblotantes bougies Dont la clarté croît et décroît; C'est un concile de colombes ; C'est un chant qui déferle ; On voit le ciel à travers leur voix, Comme à travers une perle... L'orgue étend par-dessous un velours noir uni. Voix des soprani Aussi cassables que du verre, Transparentes aussi, Et dont la transparence enserre — Tout en le laissant voir — Le beau vin d'or des Prières latines. L'orgue dans le silence accroît ses velours noirs; Et les voix se combinent Comme des fils frêles Qui doivent aboutir à être une dentelle : Chaque voix collabore. Ajoute sa fleur incolore, — Ah ! quelle harmonie il y a ! — Et sur l'orgue, dont le velours s'étale, S'ajoure le cantique en dentelle totale. 0 salutaris hostial IX Douceur de rêver Le soir, dans une ancienne église! On retrouve en soi quelque avé Comme un sachet parmi le linge d'une armoire L'encens bleu se volatilise; Chaque vitrail semble un fusain inachevé. LES HOSTIES Le silence s'unit au soir Il flotte des senteurs fanées, Comme si on ouvrait un cercueil de momies, Où le vieux tombeau des Années. A peine quelques bruits dans l'air quiet : Craquements, heurts, rumeurs, tout ce qui est La respiration des choses endormies... On rêve, on prie un peu ; L'ombre s'accroît, grave et verdàtre ; Oh ! si on pouvait voir Dieu, Ne plus douter, savoir enfin ! Déjà toute l'église est sombre ; La nuit est en chemin ; Il n'y a plus qu'un seul vitrail opiniâtre Où le jour lutte contre l'ombre... Soi-même on sombre Dans on ne sait quel rêve vague à la dérive ; On a senti passer un geste de pardon, Avant qu'on ne chavire, ensuite; On est hors du temps, dirait-on, Comme éparpillé, comme en fuite, Au fond d'une eau de plus en plus froide et sans rives 1 Combien de temps s'est écoulé? L'ombre maintenant dans l'église Est glauque et grise ; Et on croirait songer dans un vaisseau coulé. X L'orgue dans le silence a soudain préludé : Et c'est comme l'éveil d'une eau dans la campagne Qu'un dépliement de brumeetde tnlleaccompagne, Une eau dont le courant est à peine ridé. Eau pâle du clavier que d'invisibles mains Font chanter, comme les battoirs des lavandières; L'orgue coule, il frissonne, il s'attarde en chemin, Puis se décide et s'enfle ainsi qu'une rivière. Une rivière grave el dont la largeur s'use A rafraîchir les nefs, à jaillir dans la tour; Léchant, par instants, tombe avec un bruit d'écluse, Les roseaux des tuyaux sont alignés autour. Une rivière en qui les voix des soprani Viennent perdre, un îi un, leurs affluents débiles; Un silence, parfois, l'interrompt comme une île ; Puis l'orgue recommence à couler, tout uni. Splendeur de l'orgue : ombre et soleil, force etdouceur; Mais la douceur d'une force de la Nature, Un chant se profilant comme une architecture, Comme un rocher, qui se couronne avec des fleurs. L'orgue! voix d'infini, voix de ciel, voix lunaires; Qui donc suppose encore un réel instrument? L'orgue est un puits sculpté où chante le tonnerre; L'orgue est le bruit apprivoisé d'un élément. 18 LES HOSTIES C'est le vent : tour à tour la brise dont s'émeuvent Les roses, et le vaste ouragan frénétique ; C'est l'eau : rivière qui grossit, qui devient fleuve ; Et l'orgue croule en cataractes de musique. Oui ! c'est un élément, dont l'humeur toujours change; Il a toutes les voix, câlines ou funèbres ; A Matines il chante et il pleure à Ténèbres; Est-ce un chant delà Terre ou sont-ce des chœurs d'Anges'? 0 mélodie, à peine humaine ! Elle vous frôle Avec la douceur qu'a la lune qui se lève ; C'est un baume, c'est une étreinte, c'est un rêve ! On se sent comme au bord de l'eau dormante un saille. L'orgue est tour à tour rauque et confidentiel ; Tumultueux, puis doux comme le catéchisme ; Et, après son orage où se brisait le prisme, Il s'apaise, et dans l'air déroule un arc-en-ciel! L'orgue tantôt exulte et tantôt se lamente; Tantôt noir — et c'est un catafalque de sons Tantôt blanc — et c'est la layette d'une infante... On l'écoute comme on regarde l'horizon ! LES HOSTIES Ils-se'sont donné l'accolade Avec des gestes confidentiels, Comme s'ils se parlaient du cicl... Les enfants de chœur évoluent Devant l'autel où la cire fond; Ils s'assemblent comme des nues, Aux groupements de ouate, Qui se défont et se refont. Leurs rochets onl les plis d'une eau que le vent ride. Ils s'avancent un peu timides, Comme s'ils marchaient devant un miroir; Ils vont portant des encensoirs, Des clochettes, des lanternes, Des burettes où l'eau avec le vin alterne ; Et tous — devant le prêtre, en fête d'avoir bu Et qui est alors Dieu lui-même, — Faisant des gestes qui caressent ou qui sèment Ils ornementent l'air avec leurs attributs. Lents groupements! Poses! Cadences! Génuflexions unanimes ! Ballet sacré.! Sens primitif des danses! Religieuse pantomime! Car même l'encens, qui s'échappe Des encensoirs d'argent, Unit et désunit les beaux groupes changeants, Comme avec des écharpes. XII Parmi les grandes cathédrales aux murs frais C'est toute la Nature éternelle qu'on goûte; On y entre comme on entre dans la forêt Dont les rameaux cintrés s'arrondissent en voûte. Oui ! toute la Nature y règne, transposée : Soleil de l'ostensoir! Et l'encens peu à peu Evaporant parmi les nefs un brouillard bleu; L'eau bénite répand des gouttes de rosée. Les jardins des vitraux ont des roses-trémières Toujours en fleurs; el les rosaces sont des paons Immobiles, qui font la roue, au soir tombant; Les cierges sont du blé aux épis de lumière. 0 Nature que les cathédrales copient ! Les orgues font le bruit du vent; les soprani Ont une voix qui s'aile et sort comme d'un nid ; Dans la forêt de pierre, à leur tour ils pépient... xni Les cierges lentement brûlent parmi les nefs; Ils ont l'air de souffrir. Peut-être sou firent-ils? Ils saignent, dirait-on; ils ont des frissons brefs; Quel effroi fait trembler leur flamme versatile? Ils palpitent comme le pouls, durant la fièvre; Ils ont l'air de mourir en spasmes de lumière, De la mort s'effeuillant d'une rose-trémiôre ; Leur feu qui bouge a des adieux comme les lèvres. Oh! les cierges, brûlure et pâleur ! oh ! les cires Qui sur les chandeliers des églises expient Et compensent le mal avec leurs flammes pies; Cires de qui l'orgueil est d'être des martyres! Le crépuscule a su vos sanglantes délices, 0 cierges, ayant l'air, dans l'air qui s'est ému, Ue roseaux écorchés dont la moelle est à nu; Ah ! cette volupté d'augmenter son supplice ! Tous les cierges, au loin, rouvrent leurs cicatrices, Cierges stigmatisés, au sang toujours docile Pour laver les péchés mieux que jeûne et vigile; Dieu ! Queplusriennesaigneetquel'ombreguérisse! C'est chaque fois comme une plaie aux pieds, aux mains ! Comme une Passion du Christ qui recommence; Or le cierge pascal sera pire demain Et l'Ombre va saigner, ouverte par sa Lance. LES HOSTIES Le Banc de communion s'offre... 0 blancheur et douceur de la nappe ! Mystiques agapes Où le pain est toujours préparé pour les pauvres. Pour les pauvres de tout bonheur, Pour les «Imes sans joie; Car c'est surtout sur la misère du cœur Que Jésus s'apitoie. . _ _H | I_- LES HOSTIES 215 Et il vient donc, condescendant A tout vœu qui vers lui s'élance; L'hostie approche; il est dedans... Et les encensoirs se balancent. Douceur du'Festin délectable Parmi des parfums et des chants; Qu'elle est belle, la Sainte Table! C'est une haie en fleur un matin de printemps. La nappe est de la toile la plus fine, Les dentelles sont assorties; Tout est d'une douceur divine, 0 layette de la naissance de l'Hostie! Ah ! venez donc, tous les cœurs indigents, Ceux qu'aucun amour n'a faits riches, Ceux dont l'ennui s'afflige, Un secours vous éclôt du ciboire d'argent. Vous les pauvres, Jésus se donne! Voyez, comme un écu, l'hostie Avec son authentique effigie; Et c'est vraiment, dansles bouches, commeuneaumône! ÉPILOGUE ÉPILOGUE 219 Seigneur! en un jour grave, il m'en souvient, Seigneur! Seigneur, j'ai fait le vœu d'une œuvre en votre honneur. C'est donc pour vous qu'ici brûlent d'abord des lampes Qui disent votre gloire et sont mes dithyrambes. Toutes ces chastes Premières Communiantes Vêtent mes rêves blancs de leurs robes qui chantent. 220 épilogue C'est pour prix de vos biens et pour m'en rendre digne Que j'ai fait jusqu'à vous péleriner mes cygnes. J'ai varié dans l'air le concert noir des cloches Pour m'exprimer moi-même en leurs chants qui ricochent. Et les jets d'eau montés en essors de colombe C'est ma Foi, tour à tour, qui s'élance et retombe. J'ai cherché votre Face en aimant les hosties, Viatique d'amour dont ma vie est nantie. Seigneur! en ma faveur, souvenez-vous, Seigneur, Seigneur, de l'humble effort d'une œuvre en votre honneur TABLE 223 TABLE Les Lampes................................................................................1 Les Femmes en niante....................................................................31 Les Réverbères....................................................................................75 Les Jets d'eau................................................................................95 Les Premières Communiantes................................115 Les Cygnes...............................................135 Les Cloches..................................................157 Les Hosties..................................................177 Epilogue......................................................................................£17 Sceaux. — Imprimerie 15. Charaire. Extrait du Catalogue de la BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER à 3 fr. 50 le volume EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR, 11, RUE DE GRENELLE POÈTES CONTEMPORAINS THÉODORE DE BANVILLE Poésies complètes. ... 3 vol. Nous tons.......1 vol. Sonnailles et Clochettes. 1 vol. Dans la Fournaise. ... 1 vol. HENRI BARBUSSE Pleureuses......1 vol. EMILE BLÉMONT Les Pommiers en fleurs . 1 vol. MAURICE BOUCHOR Les Chansons joyeuses. . I vol. Les Poèmes de l'Amour et de la Mer.......1 vol. Le Faust moderne. ... 1 vol. L'Aurore........1 vol. Les Symboles......1 vol. Saint-Georges de BOUHÉLIER Eglé ou les Plaisirs champêtres ........1 vol. CLAUDE COUTURIER Chansons pour toi. ... 1 vol. ALPHONSE DAUDET Les Amoureuses.....1 vol. ÉMILE GOUDEAU Chansons de Paris et d'ailleurs.......1 vol. EDMOND HARAUCOURT L'Ame nue.......\ vol. Seul..........1 vol. ARSÈNE ROUSSAYE Poésies complètes. ... 4 vol. CLOVIS HUGUES Les Évocations . . 1 vol. FÉLIX JEANTET Les Plastiques.....1 vol. JEAN LORRAIN L'Ombre ardente...... 1 vol. MAURICE MAGRE La Chanson des Hommes. \ vol. CATULLE MENDÈS Poésies complètes. ... 3 vol. La Grive des Vignes. . . 1 vol. Cle Robert de MONTESQUIOU Le Parcours du Rêve au Souvenir.......1 vol. Les Hortensias bleus . . 1 vol. MISTRAL Mirèio.......... 1 vol. LUCIEN PATE Poésies......... 1 vol. JEAN RICHEPIN La Chanson des Gueux. . 1 vol. Les Caresses......1 vol. Les Blasphèmes..... 1 vol. La Mer......... 1 vol. Mes Paradis......1 vol. GEORGES RODENBACII Le Règne du Silence. . . 1 vol. Les Vies encloses. . . 1 vol. ROGEH MILES Cent Pièces à dire. ... 1 vol. MAURICE ROLL1NAT Les Névroses......1 vol. Dans les Brandes. ... 1 vol. L'Abîme......... 1 vol. La Nature....... 1 vol. Les Apparitions..... I vol. ARMAND S1LVESTRE Premières Poésies. ... 1 vol. La Chanson des Heures. 1 vol. Les Ailes d'or. ..... 1 vol. Le Chemin des Étoiles. . ! vol. Roses d'Octobre..... ! vol. L'Or des couchants. . . 1 vol. Les Aurores lointaines. . 1 vol. Les Tendresses.....1 vol. PAUL VERLAINE Choix de Poésies..... \ vol. GABRIEL VICAIRE Émaux Bressans .... 1 vol. ÎOÏDS. — L.-Imprimeries réunies, rue Saint-Benoît, 7, Paris. - • - • : ' m ■