Double Suite des Hors-Texte en SanguinemmI : , Nouvel Amour Collections Edouard Ouillaum "Lotus Bleu" J.-H. ROSNY Nouvel Amour Illustrations de L. Marold E . GUILLAUME, DIRECTEUR 21, Quai Malaqnais, 21Quelques exemptai exemplaires t umérolés, ur papier du Japon ; 50 e xemplairei numérotés sur papier de Chine. A G. GEFFROYNouvel AmourTV Je ne dirai point que je me suis mariée trop jeune. L'in- fortune atteint qui lui plaît, et l'attente leurre comme la2 NOU Y i: L AMOUR précipitation. Encore n'étais-je pas responsable. A dix-huit ans, la prudence doit venir de nos proches : les miens me poussèrent à suivre mon pen- chant. Il n'était pas aise de se prémunir contre celui que j'aimais, alors qu'il se pré- sentait comme fiancé. J'y aurais pourtant réussi, s'il l'avait fallu., car je suis na- turellement encline à réagir contre moi-même et à vouloir bien faire. Cela sans aucun mérite : c'est un pur instinct. L'homme qui m'a humiliée, jusqu'à défigurer l'univers en- tier et me faire désirer laNOUVEL AMOUR 3 mort, est de la race pure des séducteurs. Dans une taille avantageuse, il réunit tous les dons de la grâce et de la sou- plesse : chacun de ses mouve- ments est agréable, et si l'on ne peut dire que son visage soit strictement beau, il n'en est guère de plus charmant. Dans ses yeux brille une douceur audacieuse; sa voix est aisée parmi le plus grand trouble, incomparable quand il parle bas. En un instant, il sait troubler les femmes, et sans leur ôter la parole, sans que la conversation languisse dans ces timidités affreuses qui séparent les êtres. Je l'aimai bien vite; je crois encore aujourd'hui qu'ilHOU V ] I. A MOUfl ni'aîma plus qu'il n'a jamais aimé aucune autre femme; et mon mariage débuta par un joli bonheur, d'autant que Georges mania merveilleuse- ment ma destinée. Non point qu'il eût aucune qualité très profonde, pas plus qu'aucune intelligence très haute. Les grands charmeurs sont exté- rieurs. Ils ont, comme les grands politiques, une admi- rable entente superficielle des êtres. Cela suffit presque tou- jours. On ne conduit guère une créature par ce qu'elle a de plus rare, de plus subtil ou de plus exquis. La séduc- tion des femmes comme la séduction des foules repose sur une certaine rapidité vul-NOL'V E L A M Ul'R J gàire et sur l'observance de grosses régies. Georgesj en me comblant de caresses, d'attentions i a ci les, satisfit à certains traits tout extérieurs de mon caractère, et se fit adorer. Une facilité infinie à changer d'impres- sions empêchait qu'on ne se lassât de sa présence. Aucun de ,ces tîcs ne déplaisait. Sa vie débordait sur l'entourage, gracieuse, fugitive, brillante, nonchalante. Et cependant, je n'étais pas sympathique à mon mariage. Il y avait dans les actes deNO U VI! L Georges, — dans chacun de ses actes, ■—■ quelque chose qui m'inquiétait. C'était, au fond, la manière dont il en- visageait la vie. Il semblait toujours vouloir que tout fût défendu et goûter ensuite une joie nerveuse à enfreindre la défense. Il tâchait de donner un caractère coupable aux plus légitimes tendresses, et il manifestait alors une ardeur, une vivacité qui me trou- blaient. Si bien que, même en ces premiers mois d'ivresse et de douceur, j'avais l'impression d'une étrange équivoque. Or, il est dans ma nature d'exécrer l'équivoque. Pour si peu qu'un plaisir me paraisseNOUVEL AMOUR mauvais, je ne puis plus que souffrir. Je suis tendre, en- thousiaste, capable de révolte et même de violence, nulle- ment esclave des préjugés, mais mon enthousiasme, ma révolte ou ma violence sont toujours en faveur de la clarté. Je puis être injuste, mais par erreur. Je puis être cou- pable, mais par faiblesse, et en détestant ma faiblesse. Malgré la disparité de nos caractères et cette demi-in- quiétude intermittente, j'étais, je le répète, parfaitement heu- reuse. Pendant la période de voyage, dans le gai désordre d'un continuel changement, la vie de Georges rayonnait8 NOUVEL A M O L1 R exquisemcnt sur la mienne. D'instinct, je m'efforçais de ne pas analyser, de prendre l'amour et les beaux r avec ingénuité. Mon âge y portait tout naturellement, et la passion de mon mari était si forte alors, si fervente, qu'elle emportait tout, comme les grands fleuves emportent les plantes et les arbres tombés des rives. Mon malheur fut brusque N 0UVEL AMOUR et décisif. — une chute dans l'abîme. C'était une nuit. Je m'étais éveillée inquiète. Tandis que je regardais autour de la chambre, j'entendais pleurer mon enfant. Il se tut d'ail- leurs tout de suite, mais je n'en demeurai pas moins ner- veuse. Je regrettai une fois de plus d'avoir cédé à Georges, qui avait voulu que le petit dormît dans un autre appar- tement. Après un moment d'incer- titude, je me levai, je montaiN O U VIL AMOUR à la nursery- Il se trouva que tout allait bien. L'enfant se rendormait. Comme je m'en revenais par le couloir, un objet blanc frappa mes regards. C'était une lettre, sur le parquet. L'enveloppe était ouverte des deux côtés, la lettre plus d'à moitié sortie. Je me baissai, et, au moment où j'allais ramasser le tout, je lus. invo- lontairement, une demi-ligne : « ... Baisers sur tes chers yeux... » Puis, retournant l'enveloppe, je fus prise de terreur, à la vue du nom de mon mari. Un détail me fit concevoir une faible espé- rance : l'adresse n'était pas la nôtre. Un regard sur le tim-NOUVEL AMOUR I brage ramena la terreur 17 mai 18__ J'affirme n'avoir eu primi- tivement aucune idée de violer le secret de la lettre. Même l'équivoque adresse ne m'aurait pas fait consentir à l'indiscrétion. Mais les paroles lues me donnaient toute auto- rité, toute licence, ou sinon la distinction du légitime et de l'illégitime cesse d'avoir aucune signification. Je dépliai donc, en trem- blant, l'affreux papier. Et ce fut au delà de tout ce que j'avais imaginé. Cynisme, brutales tendresses où les mots deVenaient semblables à tes, cela n'était rien ;12 NOUVEL A MO JR mais des moqueries, des risées contre l'épouse, d'inutiles et lâches injures dont plusieurs répondaient évidemment à des propos ironiques de mon mari. Je goûtai en une mi- nute tout ce que la tromperie emprunte de hideux aux pires sentiments, tout ce qu'un sale libertinage ajoute au men- songe et à l'hypocrisie. Au-dessous, un prénom que je reconnaissais bien, comme d'ailleurs j'avais reconnu l'écri- ture, — le prénom d'une femme qui, sans être de mes intimes, avait été reçue avec cordialité et douceur. Je demeurai bien une demiNOUVEL AMOUR 13 heure dans ce couloir. Une sorte d'inertie tenait ma peine captive, tout mon désespoir n'arrivait pas à se faire jour. C'était une demi-mort, un enseignement épouvantable, une crue et brûlante lueur sur l'humble mystère de mon ma- riage. Je voyais distinctement mon époux disparaître; un ennemi sans pitié se tenait au bord de ma destinée; et si je pouvais encore espérer du repos, je ne pouvais plus espérer de joie. Encore, le repos, ne devais-je y pré- tendre que dans un entier détachement. Il fallait qu't/ ne me fût plus de rien, — que je pusse lui retirer en- tièrement mon corps et maI i NOUVEL AMOt'R tendresse, — soit en habitant une autre demeure, soit en me résignant, pour mon fils, à une apparente vie com- mune. Tonte autre solution ne pouvait être que souillure, honte, retour plus amer de l'ignominie. Car je n'eus pas un seul instant de doute sur la vraie nature de Georges. Ce qui sommeillait en moi durant les temps de mon bonheur, ce peu de sympathie que j'avais pour mon mariage, cette dé- fiance à voir mon époux trans- former chaque acte en fruit défendu m'éclairèrent jus- qu'aux profondeurs. Je vis distinctement la corruption infaillible, la force infinie deN O U V I. L AMOUR I) la perversité et que pour toute la vie ce serait non seulement la trahison, — je l'eusse pu pardonner, — mais la raillerie et la volupté du mensonge, la caresse infâme, goûtée par comparaison avec des caresses étrangères, la joie de nie tromper avec d'au- tres femmes et encore de tromper d'autres femmes avec moi. Comment ces idées me vin- rent, je l'ignore en vérité. Il faut croire que les grandes émotions nous font aller au delà de notre être et nous révèlent l'existence des senti-ments qui nous sont le plus étrangers. Il n'y eut même rien de vague dans mon esprit : je raisonnais et conce- vais avec une précision par- faite. Cette précision tomba lors- que je sortis de mon inertie. La peine éclata à me briser la poitrine. De longs sanglots, d'autant plus pénibles que je les refoulais, l'immense hor- reur du jeune amour assas- siné d'un seul coup, la peur sinistre de l'avenir... Glacée de larmes, je sortis enfin de cet affreux couloir. Je méditai longtemps dans ma chambre. Ma jeunesse repassa entière, mon innocence de la veille,NOUVEL AMOUR H mon enveloppement au foyer, ma liberté mystérieuse comme le trésor de l'avare, chaque matin enchanté de promesses neuves. Ah ! que mon choix ne se fût point porté sur celui-ci, qu'un des autres qui voulaient m'aimer, fût par- venu jusqu'à mon cœur, et m'eût tenue à son ombre! Il m'eût peut-être aussi trahie, mais beaucoup plus tard, ut sans railleuse cruauté, sans joie de mensonge, — avec crainte, avec scrupule ! Tandis que celui-ci... L'aube vint, et avec elle 318 NOUVEL AMOUR un peu de repos, le som- meil pénible des misérables. 111 Je dormis peu, — le batte- ment de mon cœur m'éveilla tandis que Georges reposait encore. Il sembla que mon malheur durait depuis des années. Je méditai dans un calme funèbre, et mes senti- ments se trouvèrent sembla- bles à ce qu'ils étaient dans la nuit. ]e sentis que je n'aimais vraiment plus mon mari, auNOUVEL AMOUR 19 point de ne presque pas le haïr. Je relus la lettre, pour me bien confirmer de son im- portance; j'en vis plus nette- ment encore l'ignoble raillerie répondant à des railleries antérieures. Georges se pré- senta vers neuf heures. — Nous avions gardé, des pre- miers mois de notre mariage, l'habitude de prendre ensemble une tasse de café. Rien en lui ne décela la plus légère in- quiétude, soit qu'il ignorât avoir égaré sa lettre, soit qu'il crût l'avoir laissée au dehors. Il avança avec sa familiarité souple, — dont le charme est indéniable, — voulut m'em- brasser. Je lui dis à voixN 0 U V E I- A MOUR basse, un peu tremblante : — Non, tu m'as donné hier le dernier baiser. Malgré le ton et l'attitude, il crut à une sorte de badi- nage, se mit à rire : — Ma chère Lucienne... Je le repoussai avec un calme triste et ferme. — Reprends cette lettre, murmuraî-je. Il devint pâle, il prît la lettre, y jeta un regard, cher- cha quelque prétexte pour nier, puis son visage prit l'aspect de la plus vive agita- tion : — Mais c'est une plaisan- terie, balbutia-t il... Comment as-tu pu t'y laisser prendre? ]e demeurai immobile, mesNOUVEL AMOUR yeux fixés sur les siens. — Mon trouble? s'exclama- t-il... Mais il est tout naturel... tout autre à ma place... Je te jure, ma chérie... Ce n'est qu'une amusette... Si tu avais lu de sang-froid... Je continuais à garder le silence. Il passa de côté, de manière à me dérober son visage, et tenta de me saisir entre ses bras. Je ne le laissai pas approcher : — Te trahir et pour une pareille guenon! s'ècria-t-il... Mais regarde-toi donc dans la glace... Est-ce que j'ai pu offenser ces traits... ces yeux charmants... — îs'e t'avilis pas inutile- ment! fis-je enfin... Il n'y, 22 NOUVEL AMOUR aura plus rien d'intime entre toi et moi... Tu gaspillerais tes mensonges ! Il se mit à parler lon- guement, d'une voix entre- coupée, sans que je répondisse un seul mot, et tentant encore de me saisir. Il y eut un mo- ment de véritable lutte ; il m'attirait vers lui, criant : — Mais je t'aime!... je n'ai jamais aimé véritablement que toi... je t'aime à mourir... La passion tremblait dans sa voix, et d'autant plus me faisait-il horreur, car je recon- naissais l'ardeur du fruit dé- fendu, le violent désir de me posséder dans ma douleur, de sentir, contre les siennes, mes lèvres désespérées.NOUVEL AMOUR — Finissons-en, lui dis-je... Je ne suis pour rien dans ce qui arrive. Je n'aurais rien aimé davantage que du t'ho- norer, de te chérir jusqu'à ma dernière heure. Maïs aussi sû- rement que je t'aurais été une une épouse bonne et fidèle, capable même de pardonner un moment d'égarement, aussi sûrement te serai-je une étran- gère, pour laquelle ta vie ne comptera jamais plus... — Ah ! fit-il avec une es- pèce de fureur... C'est donc pour te conduire mal que...' — En ce point encore, dé- trompe-toi... je ne serai à au- cun autre homme... même à un homme aimé... sauf, ce- pendant...24 KOUVEL AMOUR ~ Sauf? J'hésitai. L'idée qui me venait était singulière, je n'en apercevais pas l'origine. Je crus ne la point ex- primer, niais elle jaillit malgré moi : ■— Eh bien ! fïs-je avec un peu de bravade... Crains seu- lement de blesser dans son honneur celui que j'aime- rai, — si par hasard il était marié. Il essaya de prendre un ton menaçant : — Cela désigne-t-il quel- qu'un ? — Non ! Il nie regarda attentivement, de son œil aigu d'observateur, puis, d'une voix suppliante :NOUVEL A M O U K — Pardonne - moi, Lu- cienne... plus jamais, sur l'honneur, je ne t'oftenserai... Cette heure me sera, pour la vie, un obstacle... A tout autre moment j'eusse pu m'y laisser prendre, — mais j'étais alors dans une sorte d'excitation lucide qui me faisait discerner l'hypo- crisie à travers la prière : — Je t'ai tout dit pour le présent,répondis-jc avec calme. Tu sauras demain les résolu- tions que j'aurai prises quant à ma vie matérielle. Et je me retirai.I X O U V E I. AMOUR IV Je ne quittai pas le domi- cile conjugal. A force de sup- plications, mon père, être ti- moré, qui craignait par-dessus tout le scandale, réussit à me faire accepter la vie com- mune. Je me fis une existence spéciale , ne rencontrant mon mari qu'aux heures des repas, — encore pris-je l'habitude de déjeuner daus ma chambre, _ fréquentant peu le monde,NOUVEL A MO U R 2'/ toute à mon enfant et à quel- ques rares amies. Je n'étais point heureuse, — mon âge protestait contre le néant d'amour, — mais assez rési- gnée ne demandant à la vie que ce qu'elle me pouvait encore donner, le calme. Je croyais pouvoir passer ainsi ma jeunesse; je me considé- rais mélancoliquement comme une espèce de cénobite. Coup sur coup, deux événements me vinrent détromper. Le premier fut la mort tra- gique de mon père. Il périt durant une excursion de mon- tagne , — surpris par unNOUYEI. A MO L 1! ™ éboulement, dans tin endroit où de mémoire d'homme il n'était survenu d'accident. Son agonie fut affreuse. Elle dura trois jours; il voulut presque constamment m'avoir à ses côtes. Le souvenir de ses souffrances, ses cris, ses, lar- mes, ses prières, son épou- vante, dureront éternellement en moi. Durant les temps qui suivirent, mon imagination ne cessa d'être pleine d'hor- reur. Je n'avais de consolation que dans mon petit Lucien et dans une amie d'enfance, Emmanuèle de G..., qui me devenait plus chère à mesure que ma vie se faisait plus sombre. Elle semblait m'être profondément dévouée. AssezN OU VI- L A MOU R 29 laide, même disgracieuse, elle était parfaite d'humeur, pleine d'attentions qui touchaient. Tout en elle attirait la confi- dence : son intuition fine, son ingérence jamais hors de pro- pos, sa discrétion parfaite, relevée du plus joli tact, et l'art, charmant entre tous, des paroles efficaces. Aussi lui avais-jc confié toute ma vie douloureuse, jusqu'en ses plus légères nuances. Ces confessions avaient été mon principal réconfort. Je rece- vais en retour, non seulement la tendresse et la consolation, mais les meilleurs conseils. Emmanuèle était de moitié dans l'ordonnance de mes journées, dans l'éducation de30 NOU V1-: I. AMOUR mon enfant; nous voyagions ensemble, lisions tes mûmes auteurs, avions tes mêmes croyances. Je méditais, un après-midi, sur cette amitié si parfaite, attendrie au point que je finissais par convenir qu'avec une telle amie, mon sort avait encore du charme. Dans ce moment, on vînt m'apporter des lettres. L'une d'elles attira tout de suite mon attention : elle venait d'Emmanuèle. Je la pris avec inquiétude, — car mon amie ne m'écrivait guère, et d'ailleurs j'attendais sa visite en ce moment même :N 0 L VE I- A MO L' R ;i îl devait y avoir quelque em- pêchement. Maïs au premier coup d'œil, mon cœur gela. Une fois de plus les ténèbres et la terreur! Une fois de plus l'implacable vision du néant. Je Usais : « Voici deux mois que je te trompe, dans un mortel repentir, sachant que je ne suis pas même aimée, mais sans force devant le moindre de ses gestes. Pourquoi m'a- t-il voulue, hélas ! Je ne crois pas qu'il ait eu d'autre motif que de séduire ta plus intime amie. Aujourd'hui, je trouve enfin le courage de fuir —5 2 NOOV 1 L AMOUR peut-être parce que je sais qu'il va ne plus me vouloir — et je te jette ce cri de re- mords et d'agonie, ce cri d'éternel adieu. » Emmanuèlk. " Je demeurai longtemps à pleurer comme un petit en- fant. Comment dire la sinistre révolte, la haine de l'huma- nité, presque le besoin de commettre à mon tour quel- que trahison salissante, de se- couer ma déchéance d'honnête femme par de la déloyauté,NOL'V E L AMOUR 3 } de la perfidie et du men- songe? S'il n'y avait pas une fata- lité de franchise et de loyauté comme il y en a une de cor- ruption et d'hypocrisie, le monde humain, sans doute, n'aurait pu vivre. Le mythe est profondément vrai qui fait porter par des innocents le mal des coupables. La plus légère observation démontre que, partout, le meilleur souffre pour le pire, que le plus doux expie pour le plus c ru el. Tout ce qu'on peut dire, c'est que cette expiation3 1 N-0 U V H L A MO U R et cette souffrance non nié- te séduc- tion que n'a point le châ- timent. Certes, dans le chaos des êtres, il est une majorité de neutres qui, alternative- ment, jouent le rôle de vic- time et de bourreau, mais il est beaucoup d'âmes excel- lentes qui ne connaissent guère ni l'instinct de faire souf- frir, ni l'appétit de la ven- geance. Je suis de ces dernières trop sûrement pour que j'hésite à le dire. Mes rêves de ven- geance et de perfidie n'eurent aucune durée. Je continuai de vivre pour mon fils, plus so- litaire, et je dormais d'un grand sommeil d'âme, uneNOUVEL A MO U K 35 sorte d'anesthésie sentimen- tale, lorsque parut devant moi celui qui devait faire refleurir les joies et les souffrances de l'amour. 11 ne m'était pas complè- tement inconnu. ]e l'avais vu jadis, durant quelques jours, ■ amies de mon père, à la campagne. Il m'avait plu autant qu'il se peut dans un temps si bref. Il frappait dès)« N O U V E L A M O U R l'abord par un visage sensitif, ensemble grave, timide, sin- cère. Il intimidait jusqu'au découragement par une habi- tude de silence et de réserve. Lorsqu'il parlait, c'était quel- que réponse courte ou quelque renseignement trop précis. S'il lui arrivait de développer une pensée, un sentiment, il le faisait avec un goût sûr qui s'élevait à l'éloquent être, dans ces moments, te- nait-il la parole plus long- temps qu'il ne convenait. On ne pouvait se défendre de l'estimer, — il vous laissait, après quelques joues, un charme secret, presque une obsession, la surprise de voir ses moindres actes gravés dansiL^Hfij ÉN 0 U V 1 I A MO U II 39 le souvenir. Cette impression fut commune à la plupart de ceux qui rapprochèrent ; mon père avouait n'avoir de sa vie été aussi curieux d'un homme que de celui-là. Quand' je le cinq ans après qu'il avait quitté Paris, il s'était marié avec une Anglaise, une de ces charmantes et dangereuses créatures qui sont, comme dit Maubourg, « de la troisième race anglo- saxonne ». Au plus observateur, il est impossible de les connaître avant une fréquentation de plusieurs années, et à ceux qui les aiment, elles jettent mieux que quiconque le ban- deau d'aveuglement. Elles ne 40 NO U V EL A MO U R sont pas toujours mauvaises à l'origine, mais elles sont infi- niment sujettes à le cUvenir, et savent alors déployer une force de mensonge et une bravoure de dissimulation qui passe tout ce que le continent produit en ce genre de plus achevé. Il semble que celle-ci ait beaucoup aimé Roland Cliavane à l'origine et qu'elle ait conçu une sorte de haine contre lui à la longue, parce qu'il avait trop bien appris à démêler les détours de sa na- ture. Il l'aimait cependant, non point comme aux pre- miers temps, mais avec le .souvenir d'une tendresse qui fut violente et dont il demeu-N OUVEL A M O U R l1 rait un goût très vif pour la beauté de cette femme. Je rencontrai l'un et l'autre un soir de réception, dans une des rares maisons où Georges m'accompagnait en- core. Roland Chavane me re- connut; il fut présenté à mon mari. Il témoigna qu'il se souvenait de notre rencontre de jadis, parla de mon père en termes qui m'allèrent au cœur. Sa femme marqua du goût pour ma compagnie et désira pousser plus loin la connaissance. Il s'établit une manière d'intimité qui ne tarda pas à me déplaire, car Georges v participait et même se montrait assidu. Je rêvais 642 NOUVEL AMOUR au moyen de la rompre, lors- qu'un après-midi, Roland s'abandonna à m'entretenir assez longuement. Nous étions seuls. Mme Chavane avait donné rendez-vous chez moi à son mari et n'était point ve- nue. Roland, à l'encontre de toutes ses habitudes (il me déclara plus tard combien il en avait été surpris lui-même) nie fit une sorte de confidence sur l'horrible aventure que c'est de n'aimer que la fran- chise et d'être uni à un être de duplicité. Quoiqu'il parlât à mots couverts, il y avait une telle identité entre les senti- ments qu'il exprimait et les miens propres, que j'en de-NOUVEL AMOUR 45 meurai saisie. Je le regardais avec une sympathie si évi- dente, qu'il céda à L'amère douceur de se confier, — et sans doute aussi pressentait il la similitude de nos posi- tions. Il s'arrêta enfin, d'une ma- nière un peu brusque, de- meura gêné. Sa gêne me gagna ; nous n'osâmes plus nous regarder. Quand il se leva pour partir, nous eûmes enfin le courage de lever les yeux et alors entra chez moi quelque chose de doux, de triste, d'éternel : la certitude que si cet homme avait pu être mon époux, ma vie ter- restre eût été parfaitement heureuse.Il se passa tout un hiver sans que nous eussions une causerie aussi intime. Roland et sa femme demeuraient as- sidus ; mon mari continuait à me gâter cette liaison. Mais je ne songeais plus à la rom- pre. Encore qu'une réserve timide régnât entre Chavane et moi, sauf la seule exception — et combien discrète ! — de sa confidence, je n'éprouvais de bonheur que lorsqu'il était présent.M O L- VE !. A HO U R •1S Je ne pensais qu'à mon fils et à lui; son charme germait comme la frêle et tenace fleur des silènes sur les rochers déserts. Dans mon veuvage, dans la claustration de mon cœur, c'était la Lé- gende, la lente et sérieuse lé- gende où chaque jour ajoutait quelque forme indécise. Trem- blante encore d'effroi, meur- trie de méfiance, j'élevais vers lui la muette prière du faible au puissant. Je croyais en sa droiture; je me réfugiais vers sa loyauté — et je n'avais soif que de droiture et de loyauté. Je cherchais, hors du monde ignoble où m'avait entraînée le m en te u r, u n ma ît re qui ne faillit pas à sa parole, devant4 6 N O U VE I. v MO U 1! qui je pusse trembler pour mes faiblesses et m'agenouiller pour mes travers. Ame sevrée d'a- mour, ardente à être fidèle, oh ! que j'aurais sacrifié la plus grande part de ma vie pour quelques années de cette do- mination. Mais cela n'était point pos- sible, ou du moins désespéré- ment improbable. Il aurait fallu que la lâcheté et l'hypo- crisie fussent absentes de notre aventure, et comment cela se pourrait-il faire? J'y méditais un jour. C'était vers le milieu d'avril, par un temps de pluie. Douce pluie où se riaient les passereaux du jardin, où les plantes cap- tives ourdissaient plus gaie-47 ment leur trame. 11 me sem- blait y voir le parc où je rêvais à Jésus-Christ, l'âme confiante et fraîche comme le bouvreuil qui nous venait voir l'hiver et qui m'attendait au prin- temps, dans les allées, plein de tendre courage. Le bon- heur était suspendu à la haie verdissante, reflété dans l'étang, galopant avec les jambes agiles et sèches du che- vreuil au fond de la lîêtraie. Je l'entendais chanter avec les pluies, avec le tremble et la grive d'orage, épiant celui qui devait venir parmi les passe- roses, tandis que les romans bruissaient tous ensemble dans ma tète... Tandis que je rêvais ainsi,4S HOU V1 L A MOUR la porte s'ouvrit ; j'entendis la voix du domestique annoncer Roland Chavane. Il s'avança; je fus frappé de son visage assombri. Il de- meura à m'observer en silence : c'était un mélange de douceur, de supplication, d'interroga- tion ; l'émotion était belle à voir sur son visage et dans ses yeux. Je ne pus m'empêcher de lui dire : — Que vous est-il arrivé? — Rien de précis, — mais pire ! Il me regarda encore, et mille questions muettes dans ce regard. — Écoutez, fit-il presque à voix basse... Vous êtes mal-KOOVEl A M 0U K \9 heureuse; j'en sais toute la cause. C'est un point sur le- quel je suis sûr que vous ne feindrez pas. Je connais votre caractère, — je l'ai appris du- rant toute cette saison, — et sans mérite, car chacun de ceux qui vous approchent con- çoivent sur vous une opinion identique. Si vous ave/, pour moi quelque peu de l'estime que j'ai pour vous, le moment est venu où je puis sans scru- pule vous offrir mon amitié. Je suis, — ou je vais être, — aussi malheureux que vous- même. Je lui tendis la main en si- lence, il la prit, la pressa d'un mouvement vif et clair : — Quand bien même, re-ÏO NOUVEL A MOU F I I prit-il, un autre sentiment que l'amitié serait en moi, vous êtes persuadée que je puis être un pur ami, et toujours agir comme tel, tant que vous le vous le voudrez? — Je sais, répondis-je. que ni vous ni moi ne pourrions rien faire dont nous ne fus- sions prêts à prendre l'en- tière responsabilité. Il garda le silence, comme attentif à la pluie qui frappait sur les vitres, puis il demanda : — Êtes-vous assez indiffé- rente aux actes de votre mari pour qu'on puisse tout vous dire? —- Tout! — Je n'ai point cette indif- férence à regard de ma femme, I\- O U V F-1. A M O U R Si et, décidé à me eèparer d'elle au cas où elle me tromperait, je sens que je souffrirai amè- rement le jour où l'inévitable arrivera. Je ne connaissais pas assez Mme Chavane pour ne pas être étonnée. Sans doute, j'avais la sensation confuse de sa duplicité, mais sans que j'eusse pénétré bien avant : __Pourquoi ['inévitable ? de- mandai-je... Ne pouvez-vous pas... __je ne puis rien ; c'est un vieux procès jugé depuis long- temps. J'attends depuis dix- huit mois, sans pouvoir me résigner, que l'heure sonne du dénouement fatal. Nul être au monde, si ce n'est par une ré-52 NOU VI- I. A MO U R pugnante et d'ailleurs impos- sible violence, ne saurait con- traindre ma femme à la fidé- lité. Elle est faire pour trahir comme elle est faite pour char- nier. Il n'y a point de remède pour ces âmes, et celle ci je l'ai bien étudiée, j'ai voulu la connaître. J'y ai réussi, pour avoir suivi la seule méthode, qui est de ne pas séparer le caractère conjugal de sa femme d'avec le caractère qu'elle montre dans ses relations avec les autres êtres. Les plus ha- biles faussent la balance dès qu'il s'agit de peser les faits du tête-à-tète. lin me rappe- lant cela en toute circonstance, j'ai pu arriver à me faire de Ruth une idée nette, à avoirNO 0VEL AMOUR 53 sur sa vie une fenêtre assez bien ouverte pour y pouvoir regarder à tous moments... « Et cela, ajouta-t il, avec un sourire mélancolique, sans être un observateur bien perspicace ! — Mais ne vous trompez- vous pas en sens inverse de ceux qui agissent comme si leur femme avait une double personnalité? — Non. Ma certitude est complète... ellt-est le résultat de très calmes observations. J'ai toujours surveillé ma femme en variant les mé- tbodes. Il n'est sorte de piège que je ne lui aie tendu, dans les limites de la courtoisie, en paroles ou en actes. Ce51 X O U V lr T. A M O L" R 1 ! que j'ai fait de pire, c'est Remployer, par périodes, un ancien agent de la sûreté, homme infiniment habile et qui se ferait hacher plutôt que de manger à deux râte- liers. Mais c'est ma femme elle-même qui m'a le plus servi. « Il ne s'ensuit pas "que l'arrière-fond de ses senti- ments m'ait été révélé. Mais cela n'est pas nécessaire. C'est par des notions brèves qu'on a prise sur les foules comme sur les individus : peu im- porte de savoir le nombre des tentations aléatoires ou des mauvais désirs lointains. Le point est de mesurer par à peu prés les résistances, je INOUVEL A M C) U R l'ai fait, et, à n'en pas douter, je ne puis plus compter sur sa fidélité. » 11 s'arrêta, parut prendre une résolution soudaine. — J'ai dit que je pouvais sans scrupule vous offrir mon amitié. La raison en est que votre mari fait la cour à ma femme, avec des intentions suffisamment évidentes pour que je le doive considérer à la fois comme votre ennemi et le mien. Il est l'un des deux hommes entre lesquels hésite la fantaisie de Ruth. Je le confesse, le sentiment qui s'empara de moi n'eut rien de triste : un espoir confus, bouillonnant, déli- cieux... le me souvins deS6 NOUVEL AMOUR Tunique menace faite naguère à Georges, et j'entrevis la pos- sibilité de sa réalisation. 1— Mon mari ne peut pas devenir mon ennemi plus qu'il ne l'est, murmurai-je... et pour que je vous devinsse la plus dévouée des amies, il suffisait de me le demander. Confiez donc à votre amie ce que vous désirez lui confier, et ne craignez pas d'abuser de sa bonne volonté ni de son désir de vous être utile. Son grave visage prit une expression de tendresse in- finie : — Je ne voulais aujourd'hui que vous proposer mon amitié et vous confier mes craintes. Mais de ce moment, il n'estN O U V K t. A M O U R 57 rien de ma vie que j'hésite à vous confier. Nous demeurâmes en si- lence. La pluie s'arrêtait sur les vitres, — il passa un vague rai de soleil, et l'espoir parut inscrit sur les nuées, — la grâce inconnue, la douceur de vivre qui m'arrivait ainsi qu'une linnée aux confins d'une funèbre moraine! Y IL De ce jour, il revint me 8NOU VF I- A MOU I! voir plusieurs fois par se- maine. Il me contait par le menu les phases de son aiien'.e. Malgré qu'il n'aimât plus sa femme, son chagrin était vif et sa colère violente. Mme Chavane ne se décidait pas à choisir, et Roland pré- tendait que son incertitude seule entre deux prétendants retardait la chute. Peu à peu j'en arrivai à partager entièrement sa con- viction, je sentais comme lui qu'aucune force morale ne pouvait empêcher sa femme d'être adultère, comme aucune force n'avait pu arrêter Georges de me martyriser. J'y songeais durant ces longs crépuscules de mai ; jeNO U VI I. A MO U R 59 nie figurais de plus en plus clairement le drame qui se passait au foyer de mon ami. Et tout d'abord, je partageais sa pi_*ine et les tortures de son incertitude. Puis, le souhait grandit de jour en jour que. puisque le dénouement était inévitable, Georges triomphât de Mme Chavane, et non l'autre. Je repoussai quelque temps ce désir, auquel je trouvais une tournure déloyale, — non point en ce qui concer- nait mon mari assurément, mais en ce que je ne devais vouloir ma joie à aucune douleur de Roland. A me- sure, je tâchais de me per- suader que son propre bon-6o NOUVEL A MO D l> heur y était intéressé. Mais je sentais n'en être pas très sûre, et je souffris de voir une attitude spécieuse à mon esprit. J e me disais, pour m'excuser, que je ne souhaitais vraiment là séduction de Mme Chavanc par Georges qu'à la condition que Roland m'aimât au point de souffrir surtout de ne me point avoir... Au surplus, mon ami ne souffrirait pas moins si sa femme le trahis- sait avec Vattire. Dans le fond, tout cela était vrai, — aussi bien finis-jc par convenir que je ne me dispu- tais avec moi-même que sur la forme de mes sensations et non sur mes motifs. Ceux-ciKOUV F I. A M O U R 63 étaient bons, mais il pouvait se mêler à ceux-là quelque perversion qui me faisait hor- reur, par Tidée que je devais tout oser dire à Roland lorsque le moment serait venu, et que je n'étais pas suffisamment sûre de lui dire ceci avec franchise. Durant ces doutes, il reve- nait me voir, m'ouvrait de plus en plus son cœur, et me montrait n'avoir soif que de confiance et de fidélité. J'hésitais toujours. Les évé- nements furent plus vîtes que mes résolutions. Je me trouvai prise au dépourvu le jour où Roland arriva, pâle et dé- composé, m'annoncer le dé- nouement proche : Jg,6,+ N a U V V. L A M 0 u a — C'est votre mari! mur- murât-il sans préparation... « Tantôt... à cinq heures... elle doit le rejoindre... j'ai l'adresse... » Il fit quelques pas d'un air sombre. Une pitié infinie s'éleva dans mon âme; d'abord je ne sentis vraiment que sa douleur, je fus l'écho de son moi, de la jalousie, de l'or- gueil, de la misère qui con- tractaient ses lèvres et creu- saient ses tempes. Puis le désir de le voir guèrir me domina, avec la vision du doux et long bon- heur, de la divine consonance de vie. — due puis je faire? vaut- ra o rai - j e d'une voix basse... INOUVE 1. AMOUR 6î En quoi puis je vous aide r... en quoi puis-je soulag er votre peine? Il s'arrêta, i me jeta un regard incertair , où tant de sensations se reflétaient qu'il ne fallait pas essayer d'y lire. — Je ne sais pas ! fit-il avec accablement. Le silence. Il s'était assis. Il appuyait son front sur sa main. Et je fus pleine de doute, pleine de tremblante incertitude. Il ne me semblait plus être aimée, — du moins assez fort pour qu'il sacrifiât instantanément colère et ja- lousie. Je crus qu'il se pourrait que notre communauté de si- tuation, notre rôle de victimes,66 N O U "V E L A M O U R éloignât sa tendresse amou- reuse et ne laissât que l'ami- tié. Je me rappelai avoir trop souvent entendu dire que la similitude de misère n'est pas très propice à rapprocher les êtres, — et que celui qu'on trompe éprouve de l'éloigne- ment pour qui est trompé. Quoique j'éprouvasse tout le contraire, j'eus soudain la plus vive appréhension qu'il n'en fût ainsi pour Roland. Pleine d'épouvante, je de- meurai indécise, sentant que l'heure de mes destinées son- nait et n'osant faire un mou- vement. Puis, une sorte de désespoir, la vision qu'il fal- lait tout risquer, que c'est maintenant ou jamais que jeNOUVEL AMOUR 67 saurais si la vie vaut la peine d'être vécue : —■ Quels sont vos projets? demandai-je en. m'assayant en face de lui. Il leva la tête. Il me regarda attentivement; il remua deux ou trois fois les lèvres sans parler. — Que pourraient être mes projets... sinon... fit-il enfin. — L'aimez-vous encore? —- L'aimer ! Assurément non, — mais le seul souvenir de mon amour pour elle suffit à me rendre ce moment épou- vantable... et aussi le sentiment du vide, — le noir vertige de l'avenir. — J'ai souffert tout cela... en silence... sans nul être pour68 « (1 U V E L A M O U R avoir pitié de moi .. Du moins j'ai pitié de vous. — En vérité , avez - vous pitié de moi? — Oui, moins cependant que tout à l'heure. Il fit un geste où se peignait une ardente curiosité : — Pourquoi moins que tout à l'heure? — Parce que j'en sens trop l'inutilité... ma pitié ne peut vous être d'aucune consolation, de même la vôtre n'aurait en rien pu jadis diminuer ma peine. On ne porte ensemble que les sentiments qui se con- fondent. — Il y a au moins un sen- timent en nous qui se con- fond.NOUVF.I. AMOUR 69 — Lequel ? -— Notre haine contre votre mari. — Je ne le hais plus... Il a cessé d'exister dans le profond de mon être... Je n'éprouve pour lui que répulsion, mé- pris, dégoût. Il demeura sans répondre. Sa face était immobile comme ces mers qui semblent se roî- dir contre la tempête prochaine. Il dit enfin : — Il y a dans vos paroles je ne sais quoi de dur .. non dans les termes, mais dans l'accent ! Je sentis qu'il disait vrai. Je devais avoir quelque chose d'âpre : il me déplaisait qu'il souffrît pour cetteN (1 U V E I. AMOUR femme. J'évitai son regard : — Croyez-vous ? Son ton devint hésitant : —. Vous ai - je déplu... quelque chose de mon atti- tude vous a-t-il froissée? — Rien dans votre attitude ne m'a froi Il chercha encore mon re- gard, comme le voyageur une lueur d'auberge. — Vous me fuyez, dit-il... je vous ai déplu... peut-être sans cause... et c'est pire! Il me parut que sa tristesse venait de changer de nuance, — qu'il oubliait son malheur dans la seule crainte de mon déplaisir. Je l'épiai de côté, une ar- dente tendresse gonfla monN 0 H V E I- A M O L' R cœur, j'adorai son visage sup- pliant, ses beaux yeux qui ne quittaient plus les miens. Il demeura hésitant, misé- rable; puis : — Donnez-moi un conseil... Faut-il partir maintenant? Faut-il prévenir le rendez- vous ou faut-il les surprendre ? — Faites à votre volonté... Comment voulez-vous que je le sache r... — je voudrais que votre volonté fût mêlée â la mienne. — Je n'ai aucune opinion. — Ayez-en une au hasard : ce sera la mienne. lise rapprocha ; sa voix était humble, son geste tremblant. J'étais violemment émue, mon être se jetait vers lui commeNOUVEL AMOUR la brise de nuit vers les côtes; mais je me raidissais, tou- jours préoccupée de sa souf- france, de sa jalousie pour Y attire. — Jbtes-vous vraiment sur de m'obèir ? — Aussi sûr que de mon existence. Je n'osai reparler tout de suite, je voulus d'abord que mon cœur cessât un peu de gronder : je vis que dans un moment j'aurais joué mon sort, qu'une parole allait être le dé de mon bonheur ou de ma mi- sère. — Vous ne répondez plus! s'écria-t-il. Je baissai les yeux, je dis à mi-voix :N O V V F. I. A M O U R 73 — Si je vous disais de n'al- ler ni prévenir, ni interrompre le rendez-vous? — Je vous obéirais. — Sans regret?... — Je ne puis dire cela qu'à condition... — Quelle condition? — Ne vous fâcherez-vous pas?... J'ai peur ! — Je ne me fâcherai pas. — Eh bien! chuchota-t-it d'une voix qu'interrompaient ses palpitations, je ne re- gretterais rien... on plutôt tout mon ennui deviendrait bon- heur, si vous me disiez, — comme quelqu'un qui veut en avoir le droit : Restez! Je frémis de le tenir ainsi, tans réserve, et fermant les iN O U V 1: L AMOUR veux, je demeurai à savourer ma victoire. Un orgueil doux et passionné réchauffait mon âme flétrie; mon pauvre cœur de vaincue, et parce qu'il m'a- vait ainsi donné le triomphe, je vis que j'étais maintenant, en toute vérité, prête à donner ma vie pour lui épargner une peine. Je voulus qu'il dît en- core une parole avant de scel- ler nos destinées, et, tout bas : — Est-ce vrai ! — Ma seule vérité ! Alors, je levai les veux, — nous nous regardâmes, — je dis avec tremblement : — Restez! En nue seconde, il fut à mes pieds, il me baisait les mains,— il pleurait comme un en- fant.L'exil était fini ; ce monde, où je vivais captive, venait de s'ouvrir; une tiède lueur d'a- vrillée brillait sur les terres bé- nies, et le timide étonnement du bonheur me tenait immo- bile : — Vous êtes donc venu, dis-je à l'homme courbé de- vant moi... vous êtes donc venu ! 11 répondit : — Je ne puis croire que vous m'aimiez ! ■— Je suis heureuse d'avoir souffert, — Et moi d'être trahi ! Nous demeurâmes à nous parler, la main dans la main, avec une telle certitude de7« N O V V Y. î. A H 0 V R l'avenir que nous ne voulûmes même pas, ce jour, nous accorder un baiser. Vers cinq heures, ii dit : — Si j'allais les surprendre maintenant, ce serait notre conquête... — Allez! répondis je... je n'ai point de crainte... Il demeura pensif, il parut vouloir partir, puis il se rassit : — Mon !... je ne veux au- jourd'hui faire de mal à per- sonne... que cette heure soit bénie même à. nos ennemis... j'Irai plus tard conquérir notre liberté. Il parlait d'une voix d'en- chanteur : je tremblais, envi- ronnée de prodiges. Une im- mobilité d'attente semblaitabattue sur la chambre. Je li- sais en moi l'immense histoire de toute l'humanité qui, chaque jour, reprend aussi éclatante et douce que l'aurore, et dont l'humble ba- nalité, à cette même heure, emplissait des millions' d'â- mes de crainte et de tumulte. Et déjà j'a- vais oublié le fcfi rêve affreux de mon ma- riage. TableTable Dès Gravures Dans l'a va nt-titre : Double suite des Hors-texte tirés en sanguine. FRONTISPICE : « Je méditais longtemps...» (p. 16). . i HORS-TEXTE : « ... NOUS étions seuls.., » (p. 42). 37 HORS-TEXTE : «... Il fut à mes pieds... » (p. 74). . 61CatalogueExtrait du Catalogue Des Collections Edouard Guillaume Collection "Lotus bleu' Format 7 X 14 Prix : 1 franc le volume Par la poste : 1 fr. 25 a. Daudet. . . Contes d'Hiver . . . 1 v emile zoi.a . . Pour uneNuii d'Amour 1 v a. daudet . . . Trois Souvenirs. . . 1 v DE concourt . Première Amoureuse 1 v A. daudet. . . L'Eu 1er rem eu! d'une Etoile.......iv j.-H. rosmy . . Elem d'Asie . . . . 1 v CH. NODIER. . . Thérèse Auberl . . . 1 v j. lorrain. . . Une Femmeparjour 1 v chateaubriand Le Dernier Abence- rage.......1 A. hermant . . Deux Sphinx . . 1 Emile zola . . Madame Neîgeon . . 1 j. claretie . . La Divette.....I r. DE flers. . La Courtisane Ta'ia et son Singe vert. 1 j-n. ROSNY. . . Nouvel Amour. . ." Collection.Chardon Bleu " Format 7,5 X 1 ) Prix : 2 fr. 50 le volume G. Keller. . Roméo et Juliette au Village..... 1 vol. E. Rambert . La Batelière de Pot- lune* ...... 1 vol. CllERBCLIEZ. . Le Roi Aplpi . . ■ 1 Vol. A. Theuriet. Josette....... 1 vol. Ch. Nodier . La Neuvaine de la Chandeleur. . . I vol. C. Bruko. . Madame Florent. . 1 vol. "Collection Papyrus" Format 8,25 X 16,S Prix : 3 francs le volume J.-H. Rosxï. Les Origines. ... I vol. Textes Originaux. Égyptiens et Sémites 1 vol. Homère . . . VIliade...... 2 vol. Homère. . . . L'Odyssée..... I vol. Collection " Nymphée " Format 9,5 X sur 19 Prix : 3 fr. 50 le volume Pierre Louys. Aphrodite .... 1 vol. des NouvelUë ColUelit Borel. — 110, «venue d'OrléaiMUSÉE DE LA LITTÉRATURE