hw made in belgium EDMOND PICARD LA JOYEUSE ENTREE Charles=le=Téméraire BRUGES-l 467-GAND Drame historique en sept tableaux BRUXELLES Paul LACOMBLEZ éditeur 3i, f{ue des Paroissiens Vve Ferd. LARCIER éditeur 26-28, T{ue des Minimes 1 905 ML A La Joyeuse Entrée de Charles-le-Téméraire Théâtre d'Edmond Picard en ordre systématique Discours sur le Renouveau au Théâtre. Désespérance de Faust, Prologue pour le théâtre en 1 acte, en vers. — Frontispice cTOdilon Redon, gravé par Louise Danse. La Joyeuse Entrée de Charles le Téméraire, Drame historique en 7 tableaux. — Frontispice par Louise Danse d'après un portrait du Téméraire. Jéricho, Comédie-drame en 3 actes. Fatigue de Vivre, Comédie-drame en 4 actes. Psukè, Dialogue pour le théâtre en 1 acte. — Frontispice par Louise Danse. Le Juré, Monodrame en 5 actes. — Préface sur le Monodrame, et sur le Fantastique réel. — Frontispice d'odilon Redon, gravé par Louise Danse. Ambidextre Journaliste,Comédie drame en cinq époques. — Frontispice par Louise Danse. EN PRÉPARATION : Prise de voile, prise de blouse, drame social en 5 actes. made in belgium EDMOND PICARD LA JOYEUSE ENTRÉE de Charles=le=Téméraire BRUGES-J 467-GAND Drame historique en sept tableaux BRUXELLES Paul LACOMBLEZ éditeur 3i, T(ue des Paroissiens Vve Ferd. LARCJER éditeur 26-28, T{ue des Minimes 1 905 * 7/ a été tiré de ce "Livre six exemplaires sur papier impérial du Japon. Aux Lecteurs de mon Théâtre Dans mes prévisions, l'œuvre qu'on pourra lire ci-après est l'avant-der-nière de celles par lesquelles j'aurai tenté, d'une part, d'indiquer quelques directions théâtrales nouvelles, d'autre part, d'activer, par mon exemple, la production dramatique en Belgique où elle fut longtemps inexistante et demeure encore timide ou nonchalante. J'avais déjà, dès avant 1897, à l'Art Moderne, puis dans un livre intitulé Le Renouveau au Théâtre, esquissé mes idées sur cette capitale expression des instincts artistiques d'un peuple. Voici les sujets que j'avais traités : La Situation actuelle du théâtre de langue française. — Le Théâtre symbolique. — Le Théâtre Transe en dan tal. — Le Mysticisme contemporain. — Le Théâtre synthétique. — Le Théâtre hiératique. — La Pantomime. — La Forme littéraire dans les œuvres dramatiques. — La Renaissance du Chœur antique. — L'entremêleraient des formes. — Le Monodrame. Je ne songeais pas alors à apporter moi-même une contribution à la littérature dramatique. Le Hasard, en son compliqué mécanisme, en disposa autrement, et voici que Le Téméraire est la septième pièce que j'ai écrite en ces quatre dernières années. Dans chacune d'elles, j'ai suivi l'une ou l'autre desvoies que j'avais exposées au cours du livre que je rappelais tantôt et qui devient ainsi une sorte de Préface générale à ce groupe de mes essais littéraires. J'y parlais, notamment, du Théâtre Synthétique, du Théâtre d'Idées, par opposition au théâtre anecdotique, au théâtre de faits-divers, clans lequel, à quelques exceptions près, longtemps se confinèrent, avec une lassante uniformité, la plupart des dramaturges, moins français que cosmopolites, qui, à Paris, alimentent la scène. Par théâtre d'idées (l'expression commence à devenir courante), j'entendais et j'entends celui qui, — au lieu de donner, sinon toute la place, au moins une considérable place, à une petite aventure individuelle, de pré- férence, en France, une histoire de coucherie, et de préférence, parmi les coucheries, celle de « VInévitable Adultère » ainsi que je le nommai il y a dix ans, — s'attache à décrire par l'action, le geste, la parole, un des phénomènes empreints de généralité, qui fonctionnent ouvertement ou sourdement dans les sociétés humaines. Cet ordre de sujets fut, de tout temps, préféré par de bons écrivains. Mais comme cela dérange les habitudes des fabricateurs de pièces courantes et l'amplitude de la céré-bralité de la critique; comme de plus, les agitations extérieures y sont remplacées par le mouvement interne et intense des pensées et des passions qui s'accommode fort bien d'immobilité corporelle, il est de coutume, en notre temps de bavardages étourdis, de dire qu'un tel théâtre manque d'action et que ceux qui le cultivent ne connaissent pas le métier. Que le Sort me garde de jamais perdre l'ignorance d'un tel métier et d'admettre pour l'action cette définition mesquine. * * * Ceci dit, voici, par ordre chronologique, la contribution que j'ai apportée, avec plus ou moins de réussite, au Théâtre Synthétique ou d'Idées. jéricho (1902) met en scène la lutte des races, se manifestant sous la forme de l'antisémitisme, qu'on peut aimer ou déplorer mais dont on ne peut nier ni l'existence, ni, semble-t-il, l'intensité croissante. Fatigue de Vivre (igo3) s'applique à un phénomène moins imposant en ce qu'il ne tourmente qu'une fraction des individualités humaines : celles qui, parvenue aux âges où l'on descend la pente de la vie, à la vieillesse commençante, éprouvent la désolante sensation de leurs forces diminuantes, et, en même temps que la satiété, le regret des jouissances irretrouvables. PSUKÈ (igo3) ose aborder le mystère de la Mort, de la Vie future, de l'Immortalité de l'Ame, ces préoccupations irrésistibles de nos cerveaux depuis les origines, sources et aliments principaux des religions, des philosophies, des plus grands événements de l'Histoire. Le Juré (1904) montre un humain en lutte avec cet ennemi toujours présent parmi nous, la Maladie, sous une de ses formes les plus tragiques, la folie incurable, et déroule, en des inci- dents cérébraux que je crois synthétiques, le pathétique et inutile combat que tant d'infortunés livrent, dans l'intimité de leur conscience, dès qu'ils ont le sentiment du péril morbide qui les menace. Ambidextre Journaliste (1904) a la prétention de dramatiser l'évolution contemporaine du Journalisme vers le mercantilisme et la subordination de tous les devoirs de la Presse à la question de profit, j'ai accumulé (la scène m'en faisait une nécessité), sur un seul personnage, passant ainsi à l'état de symbole, tout ce qui, en ces derniers temps, caractérise cette transformation inquiétante. DÉSESPÉRANCE DE FAUST (1904) décrit, après Gœthe, le découragement de l'homme d'études, ne découvrant, au terme de ses recherches, que notre impuissance à pénétrer l'Au-delà, à résoudre l'Inconnaissable, et qui déserte alors les rêveries métaphysiques pour revenir, assaini et rajeuni, à la Nature visible et attei-gnable, à la vie simple et confiante. Le téméraire, enfin (igo5), ébauche à grands traits, en une page de notre histoire nationale, un de ses types les plus attachants, celui que l'on a pu nommer « le Dernier grand Féodal », concentrant en lui par des déformations émouvantes les violences, les illusions, les rêves de domination et de force, l'orgueil et le faste, l'épuisement final pareil à celui des religions mourantes, de la caste formidable qui, pendant mille ans environ, fut l'armature des sociétés européennes. Aurai-je le loisir d'ajouter à cette série une œuvre de l'Art dit « social », Prise de voile, prise de blouse, dont le canevas se trouve dans un article que je publiai dans Le Peuple, le 7 juillet i8g5 ? Le désir s'en agite en ma mentalité. Comme on le voit, malgré la variété de ses sept réalisations et de ce projet complémentaire, le dessein s'est maintenu en son unité. Non pas que je veuille dire que, dans mon intention sinon dans mes œuvres, c'est là le seul vrai théâtre. Je n'entends dénigi'er ou diminuer en rien la délicieuse variété de la Force esthétique qui émane de la Nature! Mais, à l'exemple de plusieurs, j'ai voulu démontrer qu'à côté des balivernes accidentelles de la vie, il y avait une matière dramatique plus haute, plus belle, plus féconde ! Et aussi plus intéressante pour le public, dès qu'il sera guéri de la manie de simple amusement dont on lui a donné le goût pervers en lui servant de préférence des productions superficielles, graveleuses, sautillantes ... et de digestion facile. Les pièces én.umérées plus haut ont, entre elles, certains liens que je puis nommer systématiques, en ce sens, assez superficiel j'en conviens, que plusieurs personnages et quelques idées, reparaissent, à la mode Balzacienne, dans leur trame générale. Ceci leur donne peut-être un intérêt spécial, mais je 'ai fait instinctivement, sans parti pris théorique. * * * Ce qui précède concerne le Fond. J'ai à dire quelques mots de la Forme. J'en ai essayé diverses expressions, allant de l'incorrection pittoresque de la vie courante à la rigidité classique ; de l'œuvre destinée à être jouée avec l'ordinaire appareil de la scène à celle devant être simplement lue à haute voix ; du dialogue au monologue et à la résurrection du chœur des tragiques grecs. C'est ainsi que dans Désespérance de Faust j'ai employé l'alexandrin en me soumettant à la plus rigoureuse discipline prosodique. C'est ainsi que dans Jéricho, Fatigue de vivre, Psukè, Ambidextre, j'ai résolument utilisé la langue turbulente et parfois débraillée de l'existence sociale, avec ses imprévus, ses audaces, ses relâchements et ses tumultes. C'est ainsi que, dans Le Juré, je me suis efforcé de faire une prose grammaticalement et syntaxique-ment irréprochable, académique souvent, oserai-je dire. C'est ainsi que dans Le Téméraire, sans m'asservir absolument à l'archaïsme, si savoureux pourtant, de Georges Chastel-lain, de Philippe de Commines, et du duc Charles lui-même dans les curieux documents qui ont été conservés, je me suis efforcé de parler avec une allure évoquant la fin du xve siècle. Dans cette même pièce, j'ai mis en scène des ensembles, des groupes, « des choeurs », exprimant les réflexions communes aux foules, pensées flottantes qui sont comme la buée de leur âme totale. }e me propose d'agir de même dans Prise de voile, prise de blouse. J'ai aussi pratiqué « l'entremêlement des formes » en utilisant le vers blanc si souvent employé par Shakespeare et d'autres illustres. Il y a donc, en tous ces efforts, un désir tantôt d'être écrivain clas- sique, tantôt, et de préférence, d'adapter la parole à la réalité en une équation aussi approximative que possible. Ce fut pour moi à la fois un jeu d'un extrême intérêt et l'accomplissement d'un devoir littéraire vis-à-vis du Pays et de ceux qui, en petit ou en grand nombre, m'attribuent, à tort ou à raison, quelque influence exemplaire sur ce qui m'entoure. * * * Le monodrame Le Juré réclame une explication spéciale. Frappé de l'extraordinaire difficulté qu'éprouvent les auteurs belges d'obtenir la représentation de leurs pièces (défiance des directeurs de théâtre, mauvaise volonté du personnel composant les troupes qu'on nous amène de l'étranger, indifférence du public), j'ai songé à une forme pouvant parer à cette situation, transitoire je l'espère. C'est l'œuvre lue à haute voix, par une seule personne, l'auteur de préférence s'il a de l'aptitude pour l'art délaissé et difficile de la Lecture, écrite dans ce but, décrivant en traits rapides les décors absents, jouée, animée par le geste, l'accent, la variation du ton, et à laquelle, pour ces motifs, je donnai le nom de monodrame. Même je la rêvai accompagnée d'une musique en sourdine appropriée. Et, dans ces conditions complexes, j'en fis l'essai, non sans quelques bienveillants suffrages, à Bruxelles, tant au Conservatoire royal qu'au Théâtre du Parc et à l'Ecole de musique d'Ixelles. Il est curieux que la confirmation de cette conception fut l'occasion que j'eus au Maroc, à Fez et à Méquinez, d'entendre les conteurs arabes récitant, en les mimant avec une action extraordinairement vivante, les émerveillants contes des Mille et une Nuits. * * * Tel est, sommairement, le mécanisme de ma Littérature dramatique. Elle a, en général, été appréciée si bizarrement que j'ai cru pouvoir m'en expliquer moi-même sans trop m'ex-poser au reproche de plaider pro domo. Edmond Picard. Bruxelles, avril igo5. Préface. Mon projet Jut d'abord de mettre à la scène le règne entier du Téméraire, ses dix années étranges, fourmillant d'aventures étonnantes et terribles, se déroulant du i5 juin 1467, mort de Philippe-le-Bon, au jour des rois de 1477, à la désastreuse bataille de Nancy qui fut comme une pierre scellant à jamais la tombe des quatre fameux ducs de Bourgogne et de leur politique audacieuse et fastueuse. Dès que j'étudiai les sources, spécialement la Chronique de Georges Chastellain, il fallut en rabattre, et voici que ma pièce ne comporte que quelques jours, la première quinzaine de cette dictature émouvante, d'abord à Bruges, puis à Gand. Peut-être ce court et tragique épisode est-il suffisant pour donner occasion de caractériser le personnage et son rôle historique marquant si nettement la dernière grande figure de la Féodalité, ainsi que le rêve politique gigantesque et romanesque d'un Etat-tampon entre la France et l'Allemagne, dont le principal élément eût été notre Belgique, demeurée, elle, un produit résiduaire de cette conception avortée, tel un fragment de planète éclatée. Pour nourrir mon œuvre j'ai utilisé surtout les renseignements, prodigieusement pittoresques, de Chastellain sur les funérailles du Père à Bruges et sur la Joyeuse Entrée du Fils à Gand devenue si inopinément effrayante au milieu de l'indocile cité flamande perpétuellement en agitation et en révolte. J'y ai ajouté un document rectificatif précieux : la longue lettre du Téméraire de juillet 1467, par laquelle il pardonne aux Gantois la sédition dont ils se sont rendus coupables, à condition qu'ils lui envoient soixante-trois députés, qui, tête nue, sans ceinture et à genoux, solliciteront la grâce. Elle est reproduite au tome deux des Analectes de Gachard. Enfin j'ai glané de ci de là, notamment dans Philippe de Commines, Olivier de La Marche et notre contemporain Henri Pirenne, sur la personnalité des deux ducs et leurs vies extraordinaires, quelques-lins de ces accents, vrais ou légendaires, qui donnent aux hommes et aux événements leur complète intensité et les impriment plus profondément dans la mémoire et dans l'imagination. Je crois avoir serré de très près la vérité historique. Je me suis fait une loi d'éviter autant que possible la fantaisie, si ce n'est pour mieux typer le réel, quoiqu'elle soit permise au dramaturge. Elle m'a, en général, semblé inutile alors que,par elles-mêmes, les circonstances atteignaient un si haut étiage d'intérêt, et qu'il s'agissait surtout, pour moi, de donner un exemple des ressources dont abonde notre remuante histoire pour la littérature dramatique. J'ai aussi essayé, dans cette résurrection du passé et dans mon désir de le faire apparaître en sa vraie vie, de donner le sentiment de l'atmosphère saturée de catholicisme qui régnait encore à cette époque héroïque, imprégnant toute l'existence humaine, ainsi que le révèlent puissamment les écrits du temps, alors pourtant qu'avant la fin du siècle Luther allait naître. Enfin qu'on ne s'étonne pas des apparitions qui surgissent dans l'esprit halluciné du Téméraire. C'est le siècle de Jeanne d'Arc. L'histoire de la chevrière de Domremy était récente et avait fait une impression profonde sur les contemporains. Les phénomènes fantomatiques étaient fréquents. Le moyen-âge finissait à peine. Les imaginations par lesquelles il avait essayé de pénétrer l'invisible se prolongeaient. Les illusions, les apparences vaines, les spectres, le domaine indéfini et mystérieux des ombres et des phantasmes tourmentaient les âméS inquiètes et ignorantes de l'élite comme des classes populaires. La religion se doublait de légendes bigarres, de sorcelleries, d'envoûtements. Fasse le Sort que de mes efforts soient sorties une œuvre nationale intéressante et une excitation, non à m'imiter, mais à me dépasser ! Là est, apparemment, le clair devoir des Jeunes. Iconographie du Téméraire. Malgré des figurations, nombreuses on va le voir, rien n'est plus difficile que de s'imaginer le Téméraire en chair et en os tel qu'il fut. Elles ne concordent guère et les écrivains aussi ne sont pas toujours du même avis. En général on le représente glabre suivant la mode de l'époque, tel qu'un acteur moderne, ne correspondant pas au type que nous nous faisons d'un humain impétueux, forcené, impitoyable. J'ai surtout suivi les indications de Georges Chastellain, un de mes personnages. J'ai consulté aussi quelques-uns des portraits dont M. I. Van den Ghein a donné la savante énumération dans une brochure publiée en 1904: Contribution à l'Iconographie de Charles le Téméraire et de Marguerite d'York. Ils se résument, à la page 28, par ces nombres : seize portraits, vingt-trois miniatures, sept dessins, six sculptures, une tapisserie, un sceau, trois vitraux : soit cinquante-sept. L'un de ces documents a été choisi par Mademoiselle Louise Danse pour l'illustration qui orne le présent volume. Ces documents sont, en outre, précieux pour les costumes et l'ameublement de l'époque. Quant aux décors, on voit nettement en élévation le Princen Hof de Bruges, bâti par Philippe-le-Bon en 1429 et où il mourutle i5 juin 1467, sur le plan célèbre de Marc Gérard. Dans l'ouvrage de Sanderus que je citais plus haut, on voit, également en élévation, le château de Gand dit Le Wal et le marché du Vendredi avec ses maisons, notamment het Toog Huis qui servait de loge aux princes pour tout ce qui se passait sur la place. • ' La Joyeuse Entrée de CharJes-le-Téméraire A Camille Lemonnier A l'A mi d'abord ! Ensuite au grand "Écrivain qui depuis quarante années m'apparut LA CENTRALITÉ DES LETTRES BELGES ! .... M-----— MB PERSONNAGES (Ils sont tous historiques.) Charles-le-Téméraire, comte de Charolais, duc de Bourgogne, en sa 34e année. Philippe-le-Bon, son père, mort à 71 ans. Louis de Gruthuse, noble de la cour du Téméraire, Georges Chastellain, conseiller et indiciaire de la Maison de Bourgogne, en sa 62e année. Philippe de Commines, écuyer du Téméraire, en sa 22e année. L'Evêque de Tournay Guillaume Filastre. L'Abbé de Saint-Piiîrre. Jacot de Brésil, garde des joyaux de Bourgogne. Un Héraut. Jacques Bollot, grand Doyen des métiers de Gand. Nicolas Brugghemans, de l'ordre des frères prêcheurs. Jehan de Stoppelaire, premier échevin de Gand. Un Inconnu. Un Tisserand. — Un Foulon. — Un Brasseur. — Un Cordouanier. — Un Charpentier. — Un Orfèvre. — Un Navieur. — Un Corroyeur. — Un apprenti. Le Sommelier de chambre du Téméraire. Marie de Bourgogne, fille du Téméraire, en sa io<= année. La dame de Crèvecœur, sa gouvernante. Une femme du peuple. — Une autre femme du peuple. Le Génie de la Maison de Bourgogne, apparition. Saint-Georges, fantôme. ENSEMBLES OU CHCEURS. Le Peuple, la Foule. Les Bourgeois. Les Seigneurs. Les Serviteurs. Les Artisans. Les Paysans, [.es Gantois. Les Bouchers et Poisson- niers. Les Voix de l'Histoire. La Scène est à Bruges, puis à Gand, dans la seconde quinzaine de juin 1467. PREMIER TABLEAU A Bruges. — La nuit. — La cour intérieure du Princen-Hof.— Bourgeois et artisans assemblés.— Au fond, l'entrée de l'hôtel de Philippe-le-Bon. — Clair de lune. — Un Héraut apparaît, éclairé par deux torches, au bas de l'escalier intérieur de l'Hôtel ducal, sous les arcades; derrière lui des archers. LE HÉRAUT, à voix très haute, solennel. En cet an de l'incarnation du fils de Dieu mil quatre cent soixante et sept, en ce lundi quinzième jour de juin, en la neuvième heure de cette nuit, en cette illustre ville de Bruges, la lune étant pleine, il a plu à notre Créateur, souverain disposeur de toutes choses, reprendre à Lui notre très cher seigneur, le très haut, très puissant et victorieux Philippe, par la grâce de Dieu duc de Bourgogne, de Lothier, de Bra-bant, de Limbourg et de Luxembourg, comte de Flandre, d'Artois, de Hainaut, de Hollande, de Zélande et de Namur, Palatin, marquis du Saint-Empire, seigneur de Frise, de Salins, et de Malines, chef de la noblesse chrétienne, grand-maître de la Toison d'Or! Lequel en rendant le dû de nature, en ce Princen-Hof bâti par lui-même, trépassa de ce mortel monde, en l'âge de soixante et onze ans! Que le Tout-Puissant l'ait en sa miséricorde, l'absolve, et bénisse son fils et légitime successeur Charles, comte de Charolais, présentement en sa trente-quatrième année et depuis deux ans lieutenant général des états de son seigneur et père ! LA FOULE, se lamentant. Hélas ! c'était donc vrai le bruit de cette mort qui nous fit ici accourir. Hé! bon Dieu! Hé! bon duc notre père, notre meilleur et plus doux, le plus familier et le plus bienséant, qui fut notre paix et notre joie! Très généreux, grandement doué de force, constance et magnanimité, qui prospéra longtemps en grandes entreprises, batailles et victoires! Nous avons perdu en vous ce que jamais nous ne recouvrerons, ni que le monde pourra produire ! — Dis-nous, héraut, comment arriva cet insigne malheur? LE HÉRAUT. Ce fut subit et sans avertissement de personne. Le vénéré seigneur était encore hier soir plein de bon sens et de pacification en son corps vieillissant et caduc mais de majestueux semblant. Il s'est éteint seul, sans bruit, sans cri, couché en ses draps de Flandre, mal gardé et non secouru, quoique les médecins fussent, comme toutes les nuits, au plus près de sa chambre. Mais ils n'entendirent rien. Telle fut son aventure et telle a souffert Dieu qu'elle vint! Pourquoi? Il en faut laisser le jugement au souverain des âmes et des jours. LA FOULE. Mort sans confession et sans les saints Sacrements ! Ceci, pour ceux qui l'ont aimé, doit-il être d'espoir ou de peur ? UN BOURGEOIS. On peut être surpris et faire une bonne mort ! UN ARTISAN. On peut être averti et faire une mauvaise mort ! LA FOULE. Ah ! bon duc notre père, qui sera celui en qui il y aura tes bontés, tes courtoisies, ton humanité, tes vertus, tes singulières grâces? Quel prince, en un si long espace que fut ton règne de quarante-huit ans et en tant de diverses conjonctures de temps, de lieu et de fortune, pourra se comporter si sainement, si tranquillement, si salutairement que tu fis sans désemparer? LES BOURGEOIS. Nous sommes privés de celui qui à l'état paisible a ramené les guerres à l'environ de nous et en nous-mêmes! De celui qui, par habile prudence, a abattu maints horribles tourbillons. Qui a nourri l'union parmi ses peuples et donné un trône à la justice. D'orient et d'occident tout soufflait en ses voiles, tout aspirait et tournait à ses désirs. Ses terres pouvaient être dites « promises » mieux que toutes autres terres de seigneurie dans la Chrétienté. LES ARTISANS. Oh ! bienfaiteur, quoique la volonté des princes ne soit pas toujours en accord avec le bien public, notre chance pourtant était telle, vous vivant, que toutes choses se transformaient en félicité et en heureux succès si naturellement que vous ne sembliez pas y porter votre volonté. LE HÉRAUT, solennel. C'est pourquoi les hommes l'aimaient et le sanctifiaient, contraints de se mirer en lui dont la vue seule déjà les réjouissait. Prions Dieu pour son âme! LA FOULE. Duc magnanime, qui paraissiez moins duc qu'empereur, êtes-vous vraiment mort, et ne devons-nous pas trembler nous qui nous sentons orphelins en des mains moins visiblement sûres, dont la domination sera, peut-être, pour nous un danger après une si longue soumission bénigne et excellente? Toute notre joie constamment obtenue ne va-t-elle pas se flétrir et être ensevelie avec vous dans la fosse douloureuse du tombeau? LE HÉRAUT. Calmez vos lamentations. Le comte de Cha-rolais, votre nouveau maître, mon seigneur Charles de Bourgogne, à cette heure n'est point ici mais à Gand, occupé en plusieurs graves affaires du pays de Flandre et d'ailleurs, car on le sait laborieux. LES SEIGNEURS. Trop laborieux pour un prince. Soir et matin au conseil. Mangeant à peine. Préparant de nuit les réponses aux embassadeurs. Dormant peu et toujours agité. Voulant tout voir, tout connaître, tout diriger. Dur pour les autres, plus dur pour lui-même. LE HÉRAUT. On l'a fait mander hâtivement, mais trop tard pour recevoir les dernières paroles de son père. Allez faire vos apprêts pour l'enterrement de ce noble duc défunt, en harmonie avec son glorieux renom. LA FOULE. Ses funérailles seront grandes ! Grandes en concours de peuple, grandes en dépenses et cérémonies, grandes en dévotions, oraisons et prières, grandes en soupirs, larmes et gémissements ! (Rideau.) DEUXIÈME TABLEAU La grand'salle du Princen-Hof à Bruges. — Philippe-le-Bon mort, au milieu, vers le fond, est étendu sur un lit de parade incliné, en grand costume rouge de chevalier de la Toison d'Or, le collier de l'Ordre sur la poitrine. — Des nobles l'entourent en demi-cercle.— A gauche, sur le devant, groupe de serviteurs. — A droite grande porte. L'ÉVÊQUE DE TOURNAY GUILLAUME FILASTRE, debout, près du lit, à gauche. On peut espérer salutaire trépas de celui dont salutaire fut la vie. J'ose donc me fier en la clémence divine, ou au moins y fonder mon espoir, pour le salut de notre Sire défunt, si constamment fidèle à notre sainte, vraie et unique religion catholique et romaine contre laquelle rien jamais ne prévaudra sur la terre comme au ciel. LES SEIGNEURS. Il n'y a qu'un seul souci qui nous donne peur et combatte cette espérance : c'est l'extrême et abondante félicité qu'il eut en ce monde, en favori de la Fortune et selon tous les souhaits de son cœur. Nous nous demandons si Dieu ne lui aurait pas donné tout son paradis sur la terre. L'ÉVÊQUE. Ici ou ailleurs, l'Éternel très grand et très juste, paie l'homme selon qu'il le connaît et selon ce qu'en sa sainte providence il avait prévu de ses actions et de sa tin. Laissons-lui le mystère de ce salaire de notre respecté seigneur, quoiqu'il soit vrai qu'aucun humain ne fut plus glorieux en ce terrien voyage, ni plus heureux en toutes conditions et circonstances de son long et brillant règne. C'est qu'il avait des vertus et des grâces venant de là-haut pour lesquelles on le réputait digne de la céleste protection et de bénédictions surabondantes. LES SEIGNEURS. Il connaissait bien son devoir et honorait son créateur. Il était loyal comme l'or. Il avait l'ai- lure magnifique d'un noble homme et telle qu'il sied à un haut prince. Il était sage en ses conseils, froidement réfléchi en ses résolutions, dur à rompre en ses projets, ferme à tenir ses promesses. LES SERVITEURS. Il était humain, compatissant, véridique et débonnaire pour les petits et les humbles. Mais s'il eut des défauts d'un plus grand poids que ses vertus, moi, infime, je l'ignore et n'ose me risquer à le juger. L'EVEQUE, pieusement. Le dehors de l'homme jusqu'à sa fin a donné à tout le monde fiance en la céleste commisération plutôt que la crainte du contraire, ce dont je me rapporte à l'auteur de toutes choses pour ce qui lui en plaira en son infinie sagesse. Amen ! Entre précipitamment le Téméraire par la porte à droite, suivi de quelques nobles. Tunique ajustée, ceinture, manteau, chausses, chaperon sans manche, le tout en velours noir. Il s'arrête et se découvre, puis brusquement va se jeter sur le corps, pleurant et geignant bruyamment. LES SERVITEURS. Crie et gémis, fils de bonne nature! Ton déconfort est durement grand, comme le nôtre. Car il était chéri et honoré à merveille. LES SEIGNEURS. Nous louons sa vie passée, nous déplorons sa brusque mort. LE TÉMÉRAIRE, s'exclamant. O mon père vénéré ! Quel cruel coup de dent de la Mort sur moi, pauvre vivant! Tu n'es plus sous la splendeur du soleil et parmi la beauté des saisons changeantes! Ta mort me submerge de tristesse et me fait sentir l'horreur d'être orphelin! Il m'est amer de ne plus voir vivre ton visage, dût-il m'être irrité, et de ne plus voir remuer tes lèvres, dût ta bouche s'ouvrir pour me réprimander. Si celui qui a beaucoup souffert est parfois charmé plus tard par le souvenir de ses douleurs, ô vénéré et longtemps redouté seigneur, des jours viendront où je te devrai sérénité et consolation Il pousse des gémissements. LES SERVITEURS, entre eux, à demi voix. Nous n'aurions pas cru à cette démesurée affliction. Pour des causes passées nous le supposions plus dur. L'impitoyable sac de Dinant, de Hardi qu'on l'apppelait d'abord, l'avait fait surnommer le Terrible; quelques-uns disaient le Sanguinaire. Maintenant le Téméraire! La nature l'a vaincu et le contraint de montrer, comme un enfant, l'amertume qui le gonfle. DEMI-GROUPE DE SEIGNEURS, entre eux. Est-ce le signe d'un grand cœur et d'un grand avenir? Fasse le céleste inspirateur qu'il en soit ainsi ! Prisons-le pour ce noble amour et cette grande douleur. Peut-être est-ce aussi regret ? Se souvient-il qu'il a parfois querellé et désolé son père par déboires publics et privés et qu'il fut en sa maie grâce? L'AUTRE DEMI-GROUPE DE SEIGNEURS. Il n'était pas dans son tort, quand, pour la vente au roi Louis de nos villes de la Somme, il avait juré haine mortelle à ces traitres conseillers paternels, Antoine « le grand Croy » qui était comme l'oreiller sur lequel reposait le Duc Philippe, et Jehan de Croy son frère, seigneur de Chimay. LE TEMERAIRE, s'exclamant de nouveau. Fallait-il, oh! mon père vénérable, que le sort te contraignît de me quitter ainsi sans conseils et sans paroles ! Oh ! je présume que tu m'eus crié : Prie le Seigneur que tu te conduises toujours en vaillant; que tu saches toute ta vie défendre ton honneur de prince et la religion du Christ; que plutôt que de faillir à ton devoir tu périsses et disparaisses de la terre sans y laisser de trace! — Mais l'entendre proférer par toi en article de la mort l'eut solen-nisé, quoique sans m'apaiser ! LES SEIGNEURS. Depuis deux ans, hélas ! son corps était débilité. Tous ses cheveux étaient tombés comme feuilles de hêtre en novembre quand, par une nuit froide, l'hiver mange l'automne. Il était dans l'ombre du trépas et guetté par la mort. LE TÉMÉRAIRE, se redressant, le visage en larmes, mais bientôt impérieux. Ecoutez ce que ma piété filiale ordonne pour les funérailles. Rien qui ne soit de raison et bienséant à l'état du mort regretté. Qu'on oublie que les couleurs de Bourgogne sont mi-partie noir et mi-partie violet. Que tout devienne noir comme mon cœur et mes pensées. Seize cents torches dont tous les porteurs vêtus de noir; quatre cents par moi l'héritier; quatre cents par la ville de Bruges ; quatre cents par le membre du Franc; quatre cents par les métiers de Bruges. Entre elles marcheront les notables, tant nobles qu'officiers et bourgeois ; après eux, les prélats, les abbés. Le corps sera porté par le comte de Joigny, le sieur de Créquy, Philippe de Bourgogne, le marquis de Ferrare, le seigneur de Boussut. le seigneur de Bours, le seigneur Philippe de Commines, le seigneur de Breda, Philippe fils de monseigneur le bâtard de Bourgogne, le bâtard de Brabant, le seigneur de Grimberghe. Qu'à douze, ils se sentent orgueilleux et dignifiés sous cet héroïque fardeau. Au-dessus du corps sera un poêle de splendide drap d'or dont les coins seront tenus par le comte de Nassau, le seigneur de Châlons, le comte de Boquan et messire Bauduin bâtard de Lille. Entre le mort vénérable et l'évêque de Cambray, l'évêque de Tournay, l'évêque d'Amiens et les autres évêques qui, de terre LE TÉMÉRAIRE étrangère, viendront pour l'auguste cérémonie, quatre rois d'armes chaperonnés de deuil et revêtus de leurs cuirasses noircies : le roi de Brabant, le roi de Flandre, le roi d'Artois, le roi de Hainaut. Le corps sera déposé dans le chœur de l'église de monsieur Saint Donat en la place du Bourg. Son cœur chevaleureux qui, vivant, fut tout plein de hardiment et de prouesse, sera porté à Dijon, enfermé dans un coffret d'or. Que l'on taille et découpe quinze cents pièces de drap fin pour habiller de deuil les serviteurs, tant de celui qui gît en bière que de celui qui vient en règne. Et qu'il n'y ait ni écuyer, ni chevalier, ni noble homme de nom et d'état qui n'ait longue robe et chaperon du plus coûteux tissu, depuis le chancelier jusqu'au dernier secrétaire! Que, dans Bruges, tout ce qui se voit à l'œil se montre portant des vêtements funèbres ! Que les inertes et insensibles maisons elles-mêmes, par des draperies sombres, semblent avoir un cœur endolori comme celui des hommes ! Que le deuil soit tel que chacun se sente plus douloureusement affecté du total spectacle que de sa désolation personnelle, quelque poignante qu'elle soit! TOUS. Rien ne sera épargné ni regretté! Rien ne sera fait au mince, mais au double et au triple, plus que jamais on ne vit ailleurs ! Tous nous y serons en paroles et actions, les uns pour accompagner le corps et le lamenter, les autres pour porter les torches. La multitude sera sans nombre. LE TÉMÉRAIRE, s'adressant à un des nobles. Et vous, Messire Georges Chastellain des illustres familles de Gavre et de Mamine, qui portez le prénom du cavalier Saint Georges patron d'Angleterre par lequel j'aime à asser-menter mes dires; vous, conseiller, indiciaire, chevalier, honoré de toutes les distinctions de cour par votre souverain et ami le duc Philippe mon père, oracle et modèle des écrivains de ce temps, je vous requiers faire de ces événements, pour la postérité, la chronique fidèle. — Et maintenant, amés et féaux, retirez-vous : la douleur qui n'est pas solitaire a un apaisement fraternel que je ne tiens pour digne ni de moi, ni de mon cruel malheur. Nul, sauf moi, n'est, en mon duché, assez suffisant pour lamenter un LE TÉMÉRAIRE si haut prince. C'est pourquoi je veux le pleurer seul. Tous sortent sauf le Téméraire qui retourne à la couche où il s'agenouille et pleure. L'obscurité se fait lentement. Apparait le Génie de la Maison de Bourgogne, figure de guerrière héraldique, fière et majestueuse, casque noir, pour cimier le lion d'or de Brabant, robe violet et noir, couleurs de Bourgogne, visage impérieux et sévère, chevelure noire. Elle tient, de la main droite une lance dite bourdonnasse, peinte en spirale aux mêmes couleurs, avec bannière qua-drangulaire blasonnée aux armes de Bourgogne ; à la main gauche une torche. L'APPARITION, gravement. Charles, nouvellement duc de Bourgogne, prince de grande allure et de haute attente, fils d'un père qui n'eut point de pareil, d'un duc dont le nom a terni les couronnes, te voilà morne et affaissé, encombré de soucis? LE TEMERAIRE, le visage entre les mains. Quelle est cette voix sépulcrale et triste? L'APPARITION. Je suis le Génie de ta Maison, l'âme de ta race, celle qui dirigea ton bisaïeul Philippe-le-Hardi, ton aïeul Jean-sans-Peur, ton père Philippe-le-Bon, pendant le siècle qu'ils mirent à former, comme patiemment on accumule une épargne, les terres par deçà et les terres par delà, le double riche écrin de ce duché de Bourgogne aujourd'hui aussi grand qu'un royaume, désormais entre tes mains pour le maintenir, l'agrandir, ou le perdre. J'arrive comme une servante et une inspiratrice. Prince pensif et visionnaire, au carrefour de tes routes, veux-tu m'écouter? LE TÉMÉRAIRE, relevant la tête et regardant le fantôme. Vision singulière, image inquiétante, es-tu un être réel surgissant de l'inconnu ou une création vaporeuse de mes songes sujets aux hantises? Qu'importe! Qu'est-ce qui nous émeut sinon des apparences? Parle, puisque tel est ton désir... et le mien. En ce moment, la mort fait le vide en mon âme; je me sens orphelin de force et de pensée. L'habituel tumulte a cessé sa rumeur. Le deuil de mon malheur fait le silence en moi. L'APPARITION. Le trône de France fut occupé par de glorieux rois dont les exemples sont pleins de saveur et valent de te servir à imitation. Je viens pour te le dire. Considère Charles le septième qui par la fraîcheur de son règne à peine fini nous pend encore en la mémoire. L'APPARITION. En la perplexité où je te vois, je te viens à réconfort. Me vois-tu? M'entends-tu? LE TÉMÉRAIRE. Les yeux accoutumés à la réalité sont peu faits pour ces prestiges. Mais je te connais, image aux regards sévères qui semble réunir en ta ligure héraldique et armée Minerve et Bel-lone. Tu es apparue à mon père, après le lâche et horrible meurtre de Jean-sans-Peur sur le pont de Montereau. Il m'a souvent raconté avec effroi ta survenance, mais aussi avec confiance comme une preuve des puissances mystérieuses qui veillent sur notre maison. LE TÉMÉRAIRE, se dressant avec arrogance. Un roi de France ! Imiter un roi de France ! Quoique Valois, je ne veux plus être de France. Les lys sont de trop sur mon blason! Je préfère me réclamer de ma mère, Isabelle-la-Portugaise, de cette Flandre fameuse et turbulente dont je sais la langue thioise et de mon duché qui se mue en royaume. Je le rêve d'une seule coulée, de la sablonneuse mer du Nord à la Méditerranée azurée, comme il fut pour le preux Lothaire dans l'héritage de Char-lemagne. LES VOIX DE L'HISTOIRE, dans les frises, mélopée grégorienne ; le Téméraire surpris, dresse la téte, " aux écoutes. Charles sept, en son règne à la double effigie, Tantôt calamiteux, tantôt calme et prospère, Angoissé de soucis, et par nécessité Magnanime toujours, excita chez ton père. L'accablant de tracas aussi durs que les siens. Une émulation de force et de sagesse. Il se glorifia lui-même en supportant Sans faiblir les assauts de sa maie fortune, Et sut glorifier ton père en lui donnant Maintes occasions de surmonter la sienne. Puissant contre puissant se grandissent l'un l'autre ! LE TÉMÉRAIRE. Ces murmures lointains, ces murmures étranges, sont-ils voix des démons ou sont-ils voix des anges? LES VOIX. Nous sommes des échos, nous sommes des oracles ! Nous expliquons la vie obscure et ses miracles ! Par nos lèvres l'Histoire émane ses secrets, Résume le passé, prononce ses arrêts, Et perçant l'avenir aux épaisses ténèbres, Annonce les destins souriants ou funèbres ! LE TÉMÉRAIRE. Parlez, subtils esprits vibrant dans l'invisible. LES VOIX. LE TÉMÉRAIRE L'Histoire et la Nature avec nous collaborent. Le riche Duc ton père et Charles roi de France Croissaient en gloire égale avec mêmes vertus. Chacun d'eux avait l'œil sur son puissant rival, Visait à faire mieux comme à plus haut atteindre. Tous deux étaient vaillants ettous deuxfurentgrands ! C'étaient lune et soleil dans un seul firmament. Les orgueils s'abaissaient au seul bruit de leur nom. Adresse, habileté, bon sens, prévision, Parfois âpre rigueur, parfois pitié bénigne, Tantôt audacieux, et tantôt circonspects, Sachant garder sang-froid, ils ressentaient toujours L'amour pour les chrétiens et la crainte pour Dieu. LE TÉMÉRAIRE, attentif et réfléchi. Mais ce fut cependant l'ennemi de mon père ! L'APPARITION. Imite cet ennemi ! Que lit ce roi Charles de son royaume jadis tant désolé, tanné, déchiré, désemparé et démoli, miné en ses fondements et en ses beautés, mis à ruine, sans travail, sans richesses, sans règle, plein de larrons et de brigands, de pauvreté, de malaise, de violences, d'exactions, de tyrannie et d'inhumanité? De son trône royal gisant par terre, renversé sens dessus dessous, escabeau pour les pieds de l'étranger, pour la foulure des Anglais, torche-pied des routiers et des reitres, il se fit un point d'appui pour tout remettre en justice et en paix. Ce qu'il y avait de mal, il l'extirpa; ce qui était de profit, de gloire et de salut, il le fit renaître. Et ayant ramené ses domaines à cette glorieuse perfection, unis et rejoints en leurs membres, il les laissa tels à son fils, comme ton géniteur t'a laissé les siens. LE TÉMÉRAIRE, avec colère. Son fils! Louis le onzième! Sa personne porte malaventure et il ne vient en lieu où LE TÉMÉRAIRE C'est un grand Roi! Vraiment le premier roi de France, Unissant en un bloc ses terres démembrées. Ennemi plus habile et plus opiniâtre Pour la formation d'un royaume puissant Que tes aïeux et toi pour celui de Bourgogne. Des deux fils, maintenant tous deux venus en règne, De ces princes égaux en fortune, en vaillance, Sais-tu quel est celui qui bientôt faillira ? LE TÉMÉRAIRE, avec exaltation. Lui, lui, le roi rusé, le roi vil, le roi fourbe ! Il en sort une sueur d'hypocrisie et de fraude. Il m'est répulsif tellement que même s'il me rendait service je l'aurais en horreur ! La malice et la cautèle ne sauraient triompher du courage, l'astuce de la loyauté, le renard du lion, le serpent de l'aigle; le faux moine qui se vêt d'un chapelet et d'une robe grise contre le prince vraiment prince, couvert d'or, de velours ou de fer, estimant qu'armure est le plus splendide costume qu'homme puisse revêtir, tandis qu'il lui faut des habits crasseux, à ce grand roi, comme si ce n'était assez des crasses de son débat et question ne se meuvent en malheur. C'est l'universelle araignée! Plus ennemi de moi que son père ne fut ennemi de mon père ! LES VOIX DE L'HISTOIRE àme ! Lui, l'homme d'affaires, contre le paladin ! Lui, qui ennoblit les manants et désennoblit les nobles, le familier de Tristan l'Ermite et d'Olivier le Daim, contre celui qui vit dans la plus belle et plus riche cour de l'univers ! En un tour de main, par mutation d'héritage, tout, en son royaume, n'est-il pas métamorphosé? Ainsi qu'au réveil d'un songe, on se trouve de chaude eau en eau froide. S'il avait pu, il aurait ravalé les triomphaux vieux jours de mon père. Il a rendu haine pour affection, pour service menace, pour parenté mortelle injure. Qu'il me contredise, si je mens, Celui dont voici le froid et rigide cadavre ! L'APPARITION, avec calme. Crains-le donc ! Que ta raison te gouverne. Sois prudent et redoute les emportements de la colère. Aie empire sur ta volonté pour la mener au bien. Tourne tes regards vers le haut pat-honneur, et par devers terre pour le salut de ton peuple. Tu es de la plus noble race des chrétiens, du plus noble sang de la terre. Les humaines affaires porte-les et dispense-les avec poids et mesure, en la grâce et l'élévation que Dieu t'a données. Tu vois royales lignées vacil- 4 1er et tomber. Tu vois les villes et les cités périr par vicieux gouvernement. Tu sais qui tu es et d'où tu sors. Vois, le cimier de mon casque est chargé du Lion d'or pur du Brabant, symbole de la vaillance, de la force et de la beauté de ta maison. Il est aussi sur le tien. Tant qu'il y tiendra ferme et dur ce sera signe de vie et d'espoir. Connais-toi toi-même! Crains que tes désirs ne soient des plantes vénéneuses. LE TÉMÉRAIRE, grave et mélancolique. Me connaître, oui. Je suis un combattant et je suis un rêveur. Mais me diriger et me contraindre? Où apprend-on ce secret? Sur quel cheval fougueux m'échapper de moi-même? Qui enseigne à dominer l'ardeur du sang, les élans désordonnés du cœur, les folies d'une pensée belliqueuse et facile aux hallucinations?(S'agenouil-lant contre la couche.) O le plus haut duc de ton temps, le plus illustre et le plus fier, est-ce toi qui seras le soutien et le guide de mon âme inquiète, turbulente, vagabonde, errant parmi les visions, qui cherche incessamment et ne trouve jamais? (Il se cache la tête entre les mains et pleure. Le Fantôme s'évanouit.) Rideau. TROISIÈME TABLEAU La salle du Conseil au Princen Hof à Bruges. — Le Téméraire assis à gauche dans un fauteuil gothique à haut dossier, sous un dais. — Vêtements sombres, mais pas noirs, chaperon à longue manche, robe à revers de fourrure, ceinture de chevalier, épée de parement, collier de la Toison d'Or. — A ses côtés, deux officiers. — Devant lui Jacot de Brésil, garde des joyaux. LE TÉMÉRAIRE. Messire Jacot de Brésil, vous êtes un vaillant prudhomme qui, après avoir longuement servi le père, se comporte loyalement et admirablement envers le fils. Grande à merveille et sans nombre est l'hoirie que j'ai trouvée en cette ville de Bruges, gardée, conservée et augmentée par vous, sans compter ce qui repose au trésor du château de Lille. Septante-deux mille marcs d'argent comptant, quatre cent mille écus d'or, deux millions d'or en meubles et vaisselle seulement, sans compter les riches bagues, les tapisseries, les pierreries, la librairie moult bien étoffée d'admirables manuscrits à miniatures. Ah! c'était bien le riche duc, selon son cri de guerre! Il vous eût été facile de céler quantité de menues choses, que même celui qui gît mort et presque encore chaud en sa bière, n'avait apparemment jamais vues. Je vous loue économe au milieu des largesses. MESSIRE JACOT. Monseigneur, il est naturel qu'on aime mieux son honneur et son âme que son profit. Jehan Martin, sommelier de chambre de feu monseigneur Philippe, qui avait en mains tout ce qui appartenait à son corps, or, argent, joyaux, montant à un grand prix, n'en a-t-il pas, lui aussi, fait loyale et libérale délivrance? LE TÉMÉRAIRE. Je vous en loue grandement tous deux et vous tiens pour de bons serviteurs. Jehan Martin est en fin de charge, mais vous resterez en la vôtre, Messire Jacot, quoiqu'il y en ait d'autres qui la désirent. Vous en êtes digne sur tout autre vivant. Vous eussiez voulu la quitter que je ne l'eusse pas souffert. Que Dieu vous protège et continue à vous garder des embûches du malin. Vous pouvez vous retirer. (Jacot sort.) LE TÉMÉRAIRE, à l'un des officiers. Qu'on introduise les gens venus de Gand. Entrent les Gantois et des seigneurs ; ceux-ci entourent la chaire du Duc. JACQUES BOLLOT, grand Doyen des métiers de Gand, respectueusement. Mon souverain et très redouté seigneur, maintenant que l'enterrement du noble duc Philippe est terminé, nous voici, au nom de la ville de Gand, en toute humilité et obéissance, pour vous condouloir en votre tristesse et vous faire la révérence, suppliant qu'il vous plaise visiter notre ville et vos humbles sujets qui vous tiennent et veulent vous maintenir pour leur vrai naturel prince et seigneur, sans en reconnaître un autre, et qui vous feront une dévote et cordiale réception. LE TÉMÉRAIRE, avec hauteur. Notre dite ville de Gand a de tout temps été une ville de grand danger dont le peuple est fort à craindre. En quel état est-elle ? Peut-on y aller en sécurité? Les Gantois n'ont-ils pas l'intention de me faire des demandes de Joyeuse et première Entrée qui, soit que je les refuse, soit que je les accorde, pourraient amener des inconvénients de mon côté ou du leur? Je les connais pour les avoir fréquentés du temps de mes différends avec mon père et c'est parmi eux que fut mon principal et bon refuge. Ils mettent, sans doute, pour ce motif, des espérances en moi. Ne voudraient-ils pas m'en-gager dans de grandes besognes, comme de ravoir leurs châtellenies, Courtrai, Audenarde, le pays d'Alost, le pays de Waes, de Termonde, des Quatre-Métiers, que mon père leur a enlevées après la bataille de Gavre où fut réprimée leur méchante mutinerie, leur péché, maléfice, commotion de peuple et autres mépri-sures? Ne songent-ils pas à voir réouvertes les portes de rempart dont il ordonna la fermeture parce que c'était par là qu'ils étaient sortis pour le combattre? N'exigeront-ils pas la suppression des impôts, cueillottes et gabelles qu'il leur infligea après leur défaite en juste châtiment de leurs grands délits, crimes et offenses? NICOLAS BRUGGHEMANS, de l'Ordre des Frères prêcheurs. Certes, Monseigneur, le commun du peuple pourra vous demander plusieurs choses, mais il n'est pas besoin d'accorder ce qui lui donnerait orgueil, qui serait plus grand que jamais si vous lui restituiez ses châtellenies ou lui abattiez les cueillottes qui furent assises pour paiement de ses forfaits. Mais par commune criée on accuse les gouverneurs d'en garder pour eux une bonne part et d'en appliquer à leur singulier profit tant de deniers que votre cour en serait aisément nourrie et soutenue. LE TÉMÉRAIRE. Murmure de peuple n'a pas toujours clair fondement. De tout ancien temps et par le monde entier la foule aiguise ses dents pour mordre ceux qui la gouvernent. JEHAN DE STOPPELAIRE, premier Échevin. Néanmoins l'intention générale en notre ville est de vous recevoir en tout honneur et amour, de vous faire mirifique Joyeuse Entrée, de publiquement en plein marché vous recevoir à seigneur et faire solennel serment de vous être bons, vrais et loyaux sujets et de garder et défendre votre personne et vos droits, hauteur et seigneurie, envers et contre tous. LE TÉMÉRAIRE, résolument. Eh bien, par saint Georges, j'irai quoi qu'il advienne! Affronter les périls n'est pas pour me déplaire. Je crois, pourtant, que faire du bien à certains est plus dangereux que leur faire du mal. Partez porter la nouvelle de ma bonnevolonté envers mon peuple de Gand. Nous verrons s'il saura se souvenir de ses devoirs et de ma seigneurie. Je ne me sens rien moindre en vaillance et hardiesse que mon père, lequel fut proclamé le meilleur chevalier du monde. Je m'arrêterai à Deynze où vous m'avertirez quand tout sera prêt. Allez en paix et, avec l'aide de Dieu, demeurez en fidélité. (Rideau.) QUATRIÈME TABLEAU Devant l'église romane du village de Hautem-Saint-Liévin, sous des tilleuls séculaires, à quatre lieues de Gand. — 11 fait une belle nuit de juin. — La riche châsse contenant le corps de saint Liévin martyr est déposée sur des tréteaux au milieu de la place. LES GANTOIS. Salut, bonnes grâces et protection divine à vous, pacants de Hauteni ! Selon le vieil usage, nous vous apportons de Gand le miraculeux corps de saint Liévin, patron de votre église, au lieu même et au jour anniversaire où jadis il fut vilainement supplicié pour la Foi ; où le bourreau lui arracha la langue avec des tenailles et la donna en régal à un chien qui creva de ce mets sacrilège. Demain, à l'aube, après nous être copieusement réjouis avec vous durant cette nuit sacrée, nous le ramènerons chez nous, en la glorieuse cathédrale de Saint-Bavon, avec grande et haute solennité, là où d'ordinaire il repose. Car il est à nous, ce saint, et nous arrivons vous le montrer seulement et le reprendre. LES PAYSANS. Bons artisans de Gand, jeunes compagnons des métiers, vous êtes les bienvenus! Vous arrivez dévotement et en belle multitude ainsi qu'il fut toujours fait depuis le ■ commencement de ce merveilleux mystère, avec le saint martyre que nous saluons humblement, en ce lieu de son désir. Vous êtes gens simples et rustiques autant que nous. Comme le temps va toujours coulant et que les bons usages et bonnes mœurs cessent ou changent, la dévotion qui est due aux saints et aux saintes ne se maintient que parmi nous et vous, menue classe, basse et pauvre. Les grands et les nobles tirent leur pied hors de la peine. Vous êtes sans bâtons et sans armes, ainsi que l'a prescrit le duc Philippe après la bataille de Gavre, il y a quatorze années. Tant mieux : c'est signe que vous vous comporterez doucement, sans coups ou homicides, querelles et huées. LES GANTOIS. La bataille de Gavre, maudite souvenance! Le duc Philippe est mort et voici régner le duc Charles. Aujourd'hui dimanche, vingt-huitième jour de juin, il a fait, en pompeuse cérémonie, sa Joyeuse Entrée à Gand. Son père nous a défendu de porter des auberjons en mailles de fer, nous traitant en dangereux vaincus, bons à être désarmés. Voyez, par-dessus nos habits nous avons des auberjons en mailles de plomb, par dérision de son édit et enseigne de l'heureux temps d'autrefois. (Ils rient bruyamment.) UN TISSERAND, farouche. En enseigne aussi que cet heureux temps doit revenir. Maintenant il est moment pour confondre ceux qui nous oppriment à l'encontre de Dieu et de toute bonne raison. Faisons demain, en rentrant à Gand, une levée étrange. Il faut que ce nouveau Duc supprime les cueil-lottes sur le blé, notre nourriture. Il faut qu'il y consente de bon gré ou par force. Il y viendra quand il nous verra en émeute et commotion. UN FOULON. Le duc Philippe nous avait aussi enlevé nos bannières après la calamité de Gavre, sous peine de mort et de paix enfreinte, les baillant toutes au roi d'armes de la Toison d'Or qui les LE TÉMÉRAIRE fit ignominieusement mettre en un sac. Mais nous en avons fabriqué de nouvelles, pour nos septante et deux métiers, tenues cachées jusqu'à ce jour. Demain, nous les déploierons pour nous rallier et retraire sous elles. Il ordonna qu'on fermerait la porte de Petercelle et la porte de Courtrai tous les jeudis parce que c'était un jeudi que nous les avions franchies pour marcher contre lui, et celle de l'Hôpital il la fit murer à perpétuité. Il faut qu'on les libère et rouvre! Allons, rudes jeunes gens de tête légère et de grand cœur, varlets et compagnons des divers métiers, maçons, orfèvres, charpentiers, cordouaniers, savetiers, tisserands, corroyeurs, foulons, brasseurs, ferblantiers, couvreurs, par le sang et par les plaies du Sauveur, vous nous suivrez, n'est-ce pas? Jurez-le sur la châsse ici présente du saint vénéré et protecteur. LES ARTISANS, les bras tendus vers la châsse. Nous le jurons! Hurrah! Il n'a rien fait qui ne fait plus fort. Notre Gand est dans la gueule des loups, il faut l'en retirer. Il est en la main des mauvais larrons pillards qui nous dévorent poumons et foie et, sous le nom du prince, s'engraissent de notre dû et le boutent dans leur besace. Nous sommes bus, mangés, étrippés et volés. Et qui pis est, le Prince n'en sait rien. Mais avant que demain il soit nuit, il en aura des nouvelles si Dieu nous donne vie jusque-là! UN BRASSEUR. A demain donc cette rude besogne! Mais ce soir, que toute notre garçonnaille fasse ripaille. Crions, hurlons, chantons, balladons, buvons, mangeons, sifflons, jurons, faisons cent mille jeux, momeries et dérisions en vrais ribauds de Flandre ! Faisons feux, luminaires et carolles de joie pour la fête amplement parfournir. Aux tonneaux, bons amis, aux beuveries, aux saloires, aux futailles, aux truandailles, aux filles. (Gouailleur.) Pour punir les gens d'ici du forfait de leurs ancêtres qui ont martyrisé notre saint bienheureux et fait de sa langue une charcuterie, ravageons leurs celliers, saccageons leurs huches et leurs cuisines. Rentrons à Gand, nos larges panses et solides boyaux flamands gonflés et chargés autant que les bombardes, mortiers, serpentins et coulevrines du duc Charles qui a, dit-on, la plus belle artillerie parmi les princes chrétiens. Hop là! En avant la kermesse! TOUS, hommes et femmes se prenant les mains et se balançant en battant le sol avec les pieds, chantent, surun vieil air flamand, avec accompagnement de ménétriers. Planter-là jeune et prière, Rigoler la nuit entière, S'empiffrer jusqu'au matin. De tripaille et de boudin ! Se saoûler de bonne bière, Qui vaut bien mieux que le vin. En Flandre c'est la manière D'honorer saint Liévin ! Vive, vive saint Liévin, ) bis. Dont on jeta la langue au chien ! ) Une kermesse bruyante et débraillée s'inaugure. Rideau. LE TÉMÉRAIRE CINQUIÈME TABLEAU Une grande salle dans le château dit Le Wal ou ser San-ders Wal à Gand. — Table luxueusement et plantu-reusement servie où déjeunent le Duc et sa suite. LE TÉMÉRAIRE, même costume qu'au 3">e tableau, à l'Abbé de Saint-Pierre assis à sa droite. Révérend abbé de la noble abbaye de Saint-Pierre, je vous remercie pour votre somptueuse hospitalité. Je bénis mon ange gardien qui, hier, m'a fait descendre d'abord chez vous pour prêter mon premier serment et accomplir ma révérence à Dieu dans votre église, à la très sainte et bien heureuse louange de notre sauveur Jésus et de sa très glorieuse mère, qui sont cause et mouvement de toute bonne opération et sans lesquels nuls biens ne peuvent être sagement encommencés et achevés. L'ABBÉ. Monseigneur, il n'y a ni prélat, ni noble homme, ni peuple qui, à Gand, ne soit heureux de vous servir et ne soit avec vous en bonne intention salutaire. LE TÉMÉRAIRE. Et moi de même avec tous ici présents et, tous autres bons chétiens dans la ville, princes, barons, chevaliers, écuyers, gens de tous états en grand et notable nombre et noble compagnie. Amen ! — Par Saint Georges, je veux faire aux Gantois une grasse et large courtoisie et les réjouir par de nombreuses grâces. L'ABBÉ. Déjà hier, Monseigneur, au moment de votre pompeuse entrée dans cette Ville, vous avez été compatissant pour cette multitude de bannis qui vous attendaient en un pré dans les faubourgs, afin de revenir avec vous, suivant la coutume qu'ont les nouveaux princes de les affranchir. Vous avez écouté leurs titres à jouir de votre grâce. Car, à l'exemple de Dieu et dans les limites de l'humaine fragilité, vous voulez tout faire avec justesse et justice, donner où il est honnête et refuser où il est indigne. LE TÉMÉRAIRE. Comme Notre benoit sauveur Jésus-Christ, il faut préférer grâce et miséricorde à rigueur de justice. Ainsi l'on vient à bonne et victorieuse conclusion de ses emprises, on acquiert renommée et enfin paradis. (On entend des rumeurs au dehors; un officier entre précipitamment.) Qu'est-ce cela? L'OFFICIER. Monseigneur, les pèlerins de Saint-Liévin revenant de Hautem où ils furent cette nuit suivant l'immémorial usage, et rentrant en ville, arrivés au marché au blé avec la châsse, ont dit que le Saint voulait passer justement tout au travers de la loge où les cueil-lottes se reçoivent par les commis : « Saint Liévin, criaient-ils, ne se dérange pas! » De fait et de force, sans congé, licence ni autorité de vous et de votre justice, la baraque fut abattue et rompue ; en leur rabique et bestiale fureur, ils l'ont mise en pièces et voici qu'ils courent parmi la ville portant les morceaux comme des trophées. Tout est en alarme ! Dans les carrefours, le peuple s'émeut. Tout ce qui est mutin, tout ce qui se cachait de peur des magistrats, a couru aux armes, moyennant grand cri et grandes huées. Et comme si des bannières nouvelles fussent sorties par magie on ne sait d'où, ils viennent tous au grand marché en les déployant, criant : Tuez, tuez, tous ces larrons dérobeurs de Dieu et du monde ! LE TÉMÉRAIRE. J'en suis frappé comme d'un maillet au front! Voilà un dur et étrange lendemain de réception et entrée en seigneurie. Est-ce que je n'entends pas sonner à pleine volée la cloche de leur beffroi, leur Roeland? Ah ! tôt ou tard il faudra jeter bas cette voix de bronze par laquelle ils importunent le ciel des rumeurs de la terre ! L'OFFICIER. C'est une des cloches de Saint-Jacques. Ils ont trouvé le beffroi clos et n'y purent entrer. Roeland dort. LE TÉMÉRAIRE. Rassurez-vous, mes hôtes, et réconfortez-vous de tout péril. Votre prince est de grand cœur, et se sent environné de vaillants hommes, de bons chevaliers et d'archers fidèles. (Se levant, et tous avec lui.) Qu'on amène mon cheval et que prestement tout le monde saute en selle. J'irai voir cette mêlée. (Avec emportement.) Ma devise n'est-elle pas : Je Vay etnpris, bien en adviêgnel C'est la force et la chance qui gouvernent le monde. La peur est un défaut que je n'aurai jamais. Te jure par saint Georges que je leur parlerai de près ! LE SEIGNEUR LOUIS DE GRUTHUSE. Monseigneur, pour Dieu ! contenez-vous. Votre vie et la nôtre dépendent de vous savoir bien conduire. Ces gens de Gand sont lions et bêtes fauves. Au tour d'une main, vous et nous pouvons être morts ou sauvés. Si vous usez de bon conseil et de sang-froid, vous ferez de ce peuple ce que vous voudrez par belles paroles. Vous-même, autrefois, les avez vus en cet état, du temps du Duc votre père qui savait les apaiser par douceur. Il a beaucoup toléré et souffert d'eux, plus qu'aucun prince. Envoyez vers eux et faites-les doucement interroger de par vous. Faites-leur dire que vous écouterez volontiers leurs plaintes et que vous leur ferez équitable raison. LE TÉMÉRAIRE, apaisé. Seigneur de Gruthuse, vous parlez en craintif, j'agis en téméraire. Chevalier très cher et féal, qui de longtemps connaissez la nature des Flamands, et qui connaissez aussi la chaleur du sang de votre maître, bien que la colère, pas plus que l'amour, ne doive compte de ses résolutions à la prudence, allez vous enquérir de leurs projets et me préparer la voie. Vous êtes sage et vous savez bien parler. Vous êtes aussi aimé d'eux et agréable à ces farouches. Mon écuyer Philippe de Commines, ici présent, vous accompagnera. Je le connais brave et bien avisé, quoique étant à peine en sa vingt-deuxième année. Je l'ai pu juger au siège de Dinant. En la bataille de Mont-le-Héry ; c'est lui à qui je donnai alors mission, pour prouver que le champ me restait, de faire sonner et crier aux carrefours du camp, selon la coutume chevaleresque des preux victorieux : « Que s'il était quelqu'un qui me requit en bataille, j'étais prêt à le recevoir! » — Allez, départez-vous tous deux. Que Dieu vous conduise et revenez nous faire rapport. l.e Seigneur de Gruthuse et Commines sortent. Rideau. SIXIÈME TABLEAU Le grand marché du Vendredi à Gand. — Multitude armée assemblée et rumorante. — Au fond la maison seigneuriale dite liet Toog huis, avec large balcon. BOURGEOIS, effrayés. Qui ne tremblerait en pareil trouble populaire? Jamais je ne sentis si horrible frayeur. Je voudrais être à cent lieues d'ici. Les voici tout cousus de fer et hautes bannières levées. De tous côtés, vers ce grand flot, affluent gens armés. Ils s'assemblent par troupeaux. Quels coups de tonnerre vont sortir de ce noir et menaçant nuage? LA FOULE, sarcastique. Messeigneurs, n'ayez nulle peine. Nous ne ressentons qu'amour pour vous et sommes à votre service. Allez où il vous plaît. LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE, accompagné par Philippe de Commines, arrivant à pied. Mes enfants, apaisez-vous. Par la sainte passion de Dieu, contenez-vous. Vous avez un nouveau Prince qui fera pour vous ce que vous voudrez, car il est débonnaire et véritablement ami de la justice pour les petits comme pour les grands. Ce n'est pas à votre honneur de vous émouvoir ainsi à sa nouvelle entrée. Comment ! hier les Gantois l'ont reçu en procession solennelle, et voici que ce matin ils viennent le saluer à bâtons ferrés ! Dispersez-vous et que chacun rentre dans son logis. LA FOULE. Seigneur de Gruthuse, nous sommes tous prêts à vivre et à mourir pour notre Prince, et n'avons nul mauvais dessein contre lui ni contre les siens qui sont tous aussi saufs parmi nous que s'ils étaient encore au ventre de leur mère. LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE. Mais alors pourquoi cette démesurée rumeur, et ce concours immense de peuple, et ces piques, et ces bannières de toutes couleurs? Pourquoi vous être embastonnés ? LA FOULE. Nous en voulons à ces mauvais larrons qui volent Monseigneur, nous gâtent sa bonne ville et nous sucent le sang des veines. Nous sommes mis à nuisance et à douleur amère. Nous vous attestons que ce sera la plus grande iniquité qui oncques se sera vue, si Monseigneur ne nous en fait raison et ne les corrige. Car, par leur fait, nous, pauvres brebis, sommes contraints de devenir chiens enragés. Monseigneur notre Prince ne peut vouloir souffrir que nous soyons ainsi menés, car, ainsi qu'eux, nous sommes son peuple! LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE. Et c'est là tout? L'INCONNU, intervenant avec insolence; haute taille, au corps un aubergeon, sur la tête une bourguignote, noircis ; barbe rousse abondante, allures de paysan. C'est, du moins, le principal, en attendant le reste, qui ne finit pas plus que le vent de souffler. LA FOULE. Nous sommes heureux de pouvoir faire la piteuse complainte dont nous sommes désireux, Voilà un débonnaire seigneur. Mais notre Prince? UN TISSERAND. Puisqu'il est nouveau, peut-être sera-t-il débonnaire aussi ; c'est la coutume. Nouveau balai balaie bien. Durera ce que durera, cette devant vous et d'aller devant Monseigneur le Duc, pour être ouis et avoir allégeance, dont en amour de Dieu premièrement. LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE. Mes enfants, j'ai compris. Je m'en vais devers le Duc lui faire bon rapport de vous et lui dire comment vous avez noblement parlé de lui et des siens et comment vous n'en voulez qu'à quelques-uns de la ville dont vous faites ces plaintes. Je vous certifie, mes enfants, que Monseigneur d'eux et de toutes autres choses vous fera justice. Mais, pour l'honneur de Dieu, maintenez-vous paisibles et ne faites rien de nouveau avant que je revienne. Le Seigneur de Gruthuse s'en va suivi par Commines. UN CHARPENTIER. bonhomie. Je vous dis, toutefois, qu'il porte en lui une extrême volonté de ne se laisser fouler en aucune façon, mais de porter l'épée si aiguë et si raide que le monde tremblera devant lui s'il reste vivre. Ne l'a-t-il pas montré déjà ici même? Ne nous a-t-il pas, avec son père, domptés et confondus jadis? N'a-t-il pas inspiré crainte et terreur de son nom et de son menaçant surnom? Il est de long souvenir; la rancune est son hôte. UN CORDONNIER. Comme son père, mais plus souvent, il est sujet à de terribles accès de fureur. Comme sa mère, la Portugaise, si prude femme et si béguine, dont il a le teint basané et la tignasse crépue, il est défiant et soupçonneux. Il insulte et rudoie ses serviteurs et ses gens de guerre. Par son arrogance, il suscite à plaisir des traîtres parmi eux. Il est sans amis et sans confidents. Il fait trop peur pour être aimé. Il est tenace en son vouloir et coupant en ses mots. Il a été violent, audacieux, véhément, indomptable dès son enfance. Elle est trompeuse sa bouche grossette et vermeille. En marchant il regarde vers terre et a l'œil UNE AUTRE FEMME DU PEUPLE. Que n'est-il paillard comme son père si durement lubrique, qui a semé partout de vigoureux bâtards et de belles bâtardes, et a mis vingt-quatre chevaliers, frères et compagnons, en sa Toison d'Or parce qu'il avait alors vingt-quatre galantes dont la plus chérie était blonde comme le mouton pendu au collier de son ordre ! Par malheur son fillot Charloteau n'est guère chanceux en ses besognes, lui qui, de deux mariages, n'a su tirer qu'une fillette, Made- fixe et hagard ; c'est mauvais signe. Il n'a pas la belle taille droite et haute du duc Philippe, il est moyen. UNE FEMME DU PEUPLE. Pas moins vrai qu'il est bien croisé et bien formé, qu'il est fort de bras et d'échine, qu'il porte bonnes jambes et grosses cuisses, longue main et gentil pied, beau front et noire chevelure houssue, embroussaillée autant que celle d'un Maure d'Espagne, comme s'il avait du sang d'Afrique dans les veines. En lui rien de trop chair ; il a le corps ferme, raide et bien disposé à toute force de travail. moiselle Marie de Bourgogne, il y a dix ans. A si beau mâle ce qu'il veut pour amour lui viendrait tout droit et ce qu'il en désire s'offrirait. UN CORROYEUR. Bel homme? Avec son visage sans plus de poil qu'une patène? Avec pas de dents à la mâchoire de dessus! Tu le verrais, Sœtine Hornicke, s'il te baisait. Il se les est cassé étant jeune, en courant, sautelant et tombant comme un fol qu'il est. LA FEMME DU PEUPLE. N'empêche, Jacob van Mushol, qu'il mord comme un bon dogue. Nul n'est parfait, fors Dieu. UN BRASSEUR. Il n'ose pas boire le vin de sa Bourgogne et des clos de son bel hôpital du Saint Esprit à Beaune, fondé par Nicolas Raulin le chancelier de son père et par sa pieuse dame Guigone ; que Dieu ait en son giron leurs âmes bienfaisantes! On ne lui sert que de la tisane et de l'eau rougie. Pour un verre de trop de la Côte d'Or, il entre en démesurée colère. UN NAVIEUR. C'est un sauvage. En courroux il est périlleux. On le voit sur son visage aux grands yeux bleus, clairs, ronds et perçants comme des clous. Il aime les tempêtes et les mers houleuses. Il s'éjouissait à les' regarder sur nos digues dans son comté de Zélande et sur l'Escaut où nous, bateliers, l'avons vu. UN ORFÈVRE. Le capital péché d'orgueil lui est familier. Il veut maintenir son bien et son rang et les tient aux ongles. Il ne craint ni l'effort des hommes, ni le fer des rois. Il se délecte en armes et en champs fleuris de harnois guerriers. Heureux de son armure, qui l'enveloppe de splendeur, comme si, pareil à la tortue, il était né avec elle. UN GROUPE. Grands princes sont enclins à leur volonté sans regarder autre raison, et, qui pis est, sont le plus souvent environnés de gens qui n'ont l'œil à autre chose qu'à complaire à leur maître et à louer toutes leurs œuvres, soit bonnes ou mauvaises. UN AUTRE GROUPE. Hélas ! celui qui croit n'avoir plus besoin du prochain devient intraitable. Mais parfois aussi le bon sens et le bon cœur ont dominé en lui. Faites, ô Dieu qui régnez au ciel et qui pouvez tout, qu'allant avant en son règne, il se modifie en actions qui seront toujours séantes. Qu'il ne donne peine à autrui que lui-même ne prenne pareille ! Qu'il mène ses peuples en vrai duc ! Qu'il use courtoisement de la victoire, et se serve plus de merci que de cruauté après avoir vaincu ! Qu'il amène la joie florissante et la bonne paix ! Par père et mère il est de sang belliqueux et triomphal; que de leurs deux hautes natures la sienne ne se tire pas moindre ! Et qu'ainsi, Dieu puissant, il vous honore et vous serve, ainsi que nous ! UN APPRENTI, accourant. Alerte ! Alerte ! Voici le très redouté seigneur ! LA FOULE. En quelle intention arrive-t-il? Est-ce pour bien, est-ce pour mal? Cachez vos bâtons, abaissez les bannières. Voyez-vous ses archers de corps avec leurs brigandines d'acier, salade en tête et les arcs bandés, en grand nombre, en grande monstre, aux couleurs de leur maître. Leur manière de venir à nous semble une menace. Voici qu'il descend de cheval à l'entrée du marché. Il est en robe de velours noir, la Toison d'Or au cou... un petit bâton à la main... LE TÉMÉRAIRE entre avec son cortège et traverse lentement la foule. Que vous faut-il et qui vous émeut, mauvaises gens? Pourquoi dans vos mains ces épées, ces bâtons, ces piques, ces braquemarts, sur vos têtes ces chapelines et sur vos habits ces auberjons de fer défendus par le duc mon père, pourpoints de maille que des rebelles n'ont pas à porter? LE PEUPLE. Ils sont non de fer, monseigneur, mais de plomb. LE TÉMÉRAIRE. Qu'est cette moquerie, cette artificieuse mau-vaiseté? Oh! grosses têtes de Flamands à crâne dur comme le fer, à cervelle pesante comme le plomb! Pourquoi ces allures outrageuses et ces attitudes de mutins débridés et déchaînés? Vilains et insolents, qui avez conspiré pour faire cette levée étrange à l'encontre de votre nouveau duc! Pour qui travaille-t-il ce duc? Est-ce pour lui ou pour vous, pour votre défense ? Vous dormez, il veille, ce duc. Vous vous tenez chaud, il a froid. Vous restez chez vous pendant qu'il est au vent, à la pluie, ce duc. Il jeûne, et vous, dans vos maisons, vous mangez, buvez, et vous tenez aises ! Toujours vous aimez bien le fils de votre prince régnant, mais le prince régnant jamais! (Avisant un artisan.) Tu me semblés, ribaud, plus impudent que les autres. Tu me regardes en ricanant avec des yeux de basilic. Tiens, voici pour te faire baisser les paupières ! (Il le frappe de son bâton.) L'ARTISAN, en fureur. Par l'agneau pascal, par le corps du Sauveur et la panse de Dieu, voici qui expose ta vie! (Il croise sa pique et veut se ruer sur le Duc; on le retient; il se débat.) Par la virginité sacrée de Notre-Dame Marie immaculée, c'est Dieu seul qui empêcha que je ne l'aie tué! LE PEUPLE, en clameur. Nous avons religion de ne point toucher au corps de notre seigneur et à sa très noble personne, mais nous l'entendons à la condition qu'il ne touche pas sans raison aux nôtres ! LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE, effrayé. Monseigneur, voulez-vous nous faire tous massacrer et mourir ici honteusement par votre violence? Où pensez-vous être? Ne voyez-vous pas que votre vie et la nôtre pendent à un fil de soie. Venir rabrouer un tel monde par menaces, dures paroles et coups! Ils sont en frénésie, ils sont sans raison et sans lumière. Ils ont venin au cœur confit en longue obstination. Par la mort qu'a souffert le Christ, si vous êtes content de mourir, je ne le suis pas ! Comble d'habileté est de gouverner sans la force. Vous pouvez les calmer par douceur sans blesser votre honneur. Votre courage n'est point de lieu ici. Employez-le pour remettre ce pauvre désolé peuple en paix par un mot. Au nom de Dieu, allez en cette haute maison (il montre leToog Huis), là où les princes entrent de tout temps en pareille assemblée de monde. Montez, montrez-vous et faites-vous priser par votre bon sens et votre faconde de tous connue et admirée, car on vous sait beau parleur et volontiers récitant choses et matières d'hommes et de haute affaire. Tout alors prendra fin heureuse et joyeuse. LE TÉMÉRAIRE, apaisé. Je suis la flamme, sire de Gruthuse, et vous l'éteignoir. Je suis l'épée et vous le fourreau. Ma volonté sinon ma fougue vous approuve. C'est folie que de se croire seul être sage. Je ne vous écouterais pas si j'avais moins de chevalerie. Il va vers le Toog Huis; arrive un groupe de bouchers et de poissonniers en armes. LES BOUCHERS ET LES POISSONNIERS. Monseigneur, rassurez-vous et n'ayez aucune peur. Nul ne sera assez hardi pour vous méfaire. S'il y a de mauvais garçons ici, sans révérence et sans crainte, pour Dieu ! patientez, un peu, et vous en serez vengé plus tard. Il n'est point heure maintenant de faire « le téméraire », de crainte d'un plus grand mal. Le Duc entre dans la maison ; bientôt les fenêtres s'ouvrent; il se montre au balcon; à ses côtés le seigneur de Gruthuse, le chancelier et des nobles. 6 LE TÉMÉRAIRE au peuple. Mes enfants, Dieu vous garde et vous sauve! Salut et dilection ! Voici votre prince et légitime seigneur qui vient vous visiter et vous réjouir de sa présence pour vous remettre en paix. Je vous demande qu'en faveur de moi vous vouliez vous comporter doucement et vous contenir. Tout ce que je pourrai faire pour vous, sauf manquer à mon honneur, je le ferai et vous accorderai ce qui sera possible, de bon cœur et en loyale justice. (Impérieux.) Si vous faites votre devoir, comme bons sujets y sont tenus, si vous me donnez courage pour oublier et pardonner à pleine et entière délivrance, vous y gagnerez davantage. Dieu m'a donné la puissance et non vous. C'est dit en la sainte Bible! Au livre des Rois ! LE PEUPLE. Hurra ! Bienvenue, Monseigneur, bienvenue! Welkom! Welkoml Nous sommes tous vos enfants et vous remercions de votre bonté envers nous. LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE, s'avançant au balcon. Messeigneurs, c'est votre prince d'ancien- héritage, qui ne l'est ni par achat, ni par tyrannie, mais de génération continuée pendant six cents années et qui jamais ne s'interrompit. C'est pourquoi il a vraie espérance que vous le reconnaîtrez pour votre droit et héréditaire seigneur, comme vous avez fait de ses devanciers. Si quelque chose vous déplaît, il vous prie de le dire en des termes qui conviennent à des enfants parlant à leur père. Il veut être bienveillant et aimable envers vous. LE PEUPLE. Monseigneur, grand merci! Vous êtes notre prince, nous n'en savons pas d'autre! Mais nous vous supplions de nous faire raison des pillards qui déshonorent notre ville et nous réduisent à mendier pour notre pain. Ils sont de méchant lieu et de pauvre venue. Nous les avons vus arriver en galopins chétifs, et maintenant ce sont des seigneurs grâce à ce qu'ils nous volent; ils ont des terres; ils tiennent grand état avec vos deniers pris sur nous, pauvres diables, misérables et indigentes personnes. Ils font accroire que vous les protégez. Accordez-nous audience pour vous le remontrer, afin que vous puissiez faire ce qui vous compète ainsi qu'à nous. Pendant ces paroles, l'Inconnu s'est glissé dans la maison et apparaît à l'improviste au balcon à côté du Duc. LA FOULE, étonnée. Oh! quel est ce grand, fort rude, épais vilain, outrageux paysan, avec sa bourguignote noircie sur la tête? Voici que sans porter révérence au Duc, il hausse sa main armée d'un gantelet de fer noir vernissé. L'Inconnu frappe de son gantelet à grands coups sur l'appui du balcon pour se faire écouter. L'INCONNU, d'une voix tonnante. Vous, mes frères, là en bas, broeders, makers en ge^ellen, qui demandez à faire vos plaintes à notre Prince ici présent, au sujet de quelques grandes causes qui nous intéressent et premièrement de ceux qui ont le gouvernement de cette ville, qui dérobent ce Prince et nous dépouillent, vous voulez les avoir punis ? LE PEUPLE, en une grande clameur. Oui! Oui ! L'INCONNU. Vous voulez aussi qu'on abolisse les cueil-lottes? LE PEUPLE. Oui ! Oui ! Oui ! L'INCONNU. Vous voulez encore que vos portes condamnées soient librement rouvertes et que vos bannières soient autorisées, comme de tout ancien temps? LE PEUPLE. Oui! Oui! Oui! Oui! L'INCONNU. Vous voulez enfin ravoir vos chatellenies, vos blancs chaperons, vos anciennes manières de faire ? LE PEUPLE. Oui! Oui! Oui! Oui! L'INCONNU, se tournant vers le Téméraire. Monseigneur, voilà brièvement pourquoi ces gens sont ici assemblés. Voilà leur requête ! A vous d'y pourvoir. Moi, je vous l'ai déclaré net- tement au nom de tous, de leur aveu, vous l'avez entendu. J'ai fait du mieux et du pis que j'ai pu. LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE. Mon ami, il n'était pas besoin pour cela de monter ici qui est le lieu du Prince. On vous eût bien ouï d'en bas. Monseigneur vous eût de même répondu d'en haut. Sans vous avoir pour avocat, il contentera son peuple. Vous êtes un étrange maître. Descendez, descendez, et allez-vous-en avec vos compagnons. L'INCONNU. Au revoir, mes seigneurs! Je suis de ceux qui partent, mais reparaissent, comme les hirondelles et les grues voyageuses ! Au revoir ! Tôt weder \iens en wind van achterl L'Inconnu disparait. UN GROUPE DU PEUPLE. Qui fut celui-là? D'où vint-il? Que fait-il? Je l'ignore. Il est sans nom pour être reconnu et horrifique comme Satan. 0 glorieuse majesté de Dieu! que voici une intolérable vilainie, salutaire pourtant mais non de ce temps, commise en face d'un prince par un tout vil et bas homme inconnu. Venir se mettre au flanc de son seigneur et proférer des paroles contraires à sa dignité, telles que le plus pauvre noble en aurait eu le cœur crevé de colère et de dépit ! UN AUTRE GROUPE. Serait-ce pas ce paysan de Knesselaere, Tiel Uilenspiegel, fertile en dérisions pour les manants des villes et pour les princes et se plaisant à s'en gaudir au profit des pacants ses frères? Il vit encore, vous savez. Il en est qui disent qu'il vivra toujours. Il faisait déjà ses tours et malices au temps de Jacques Van Artevelde. Il a plus de cent ans mais ne vieillit pas. C'est, sans doute, parce qu'il a été baptisé six fois le même jour, d'eau de pluie, d'eau de puits, d'eau bénite, d'eau de brasserie, d'eau de ruisseau, d'eau de pompe. Il a dit lui-même qu'il ne mourra que lorsqu'il n'y aura plus princes ou bourgeois à moquer. On le voit passer ainsi certains jours et disparaître, tantôt avec barbe noire, tantôt avec barbe rousse ou blonde, faisant ses farces et diableries, châtiment des puissants, vengeance des petits. LE TÉMÉRAIRE. De tout cela faisons amusette et risée (entre les dents), sinon j'en devrais mourir de honte. (Haut.) Mon orgueil s'élargit à condescendre ainsi. Voisinage de Prince ennoblit les vilains. Fus-je jamais plus grand qu'en accueillant cet humble? (Entre les dents.) Son odeur m'a semblé celle des bêtes fauves. Remontons à cheval et laissant ces tumultes, retournons, mes féaux, en notre hôtel du Wal. (Rideau.) LE TÉMÉRAIRE SEPTIÈME TABLEAU La chambre privée du Téméraire dans le château Le Wal, à Gand. — Le lit seigneurial à gauche. — A droite une chapelle portative, aux volets fermés. — Le Téméraire, même costume, tête nue, assis et méditant. — Debout, au fond, Chastellain, Gruthuse,Commines, des officiers. LE TÉMÉRAIRE, à un officier. Qu'on fasse tout armer et veiller cette nuit en ce logis, de peur de surprise. Je n'aurai plus une heure de joie jusqu'au temps où je me trouverai hors de cette ville insolente. (L'officier sort.) Ah! Gand! mauvais Gand! Cité ingrate et méconnaissante des dons de Dieu. Ville ténébreuse et noire, en un constant naturel péché de sédition qui te tourmente à travers les siècles comme une fièvre inguérissable et que tu portes comme un mantel ! Sans cette maladie répugnante, tu serais resplendissante comme une reine parmi toutes les villes chrétiennes car tu floris en abondance de biens, de richesse et de peuple. — Messire George Chastellain? CHASTELLAIN. Monseigneur? LE TÉMÉRAIRE. A vous, officiel chroniqueur, d'écrire et de décrire ces lamentables faits pour l'édification des princes futurs. Faites votre livre! On voit en vingt pages d'un bon livre plus que n'en saurait voir l'œil en vingt ans. Faites votre livre! Oui, plus que n'en sauraient enseigner par expérience vingt hommes de haut rang vivant l'un après l'autre. Faites votre livre ! Ma lance fournira besogne à votre plume. Vous allez contempler, sans doute, un règne étrange. CHASTELLAIN. Je le ferai, Monseigneur, et ce sera un douloureux récit. Je jetterai hors de moi toute faveur et me distrairai de haine et de partialité, pour à chacun distribuer ce qui est sien, à qui est net le beau rôle, à qui fut malfaiteur son titre. Toutefois, pour donner à chacun la portion de son droit et mettre quelque excuse en ce peuple turbulent, il me faudra tourner un peu vers lui par pitié. Car, s'il eût agi froidement et par bon sens il était quasi impossible que son Prince n'eût mis remède à ses doléances. LE TÉMÉRAIRE, avec irritation. Oh! Gand! colérique et formidable, comment effacer jamais le souvenir de ta vile attitude! Comment réparer la blessure de ta rudesse à mon orgueil. Avoir appelé à toi ton Prince, avoir supplié pour le recevoir, pour le célébrer, et le lendemain, le faire ploier sous les outrages ! Ton baiser s'accompagne, hélas! de trahison. Tu es de la race de Judas le mauvais juif! CHASTELLAIN. Il était notoire, Monseigneur, que de piteuses excessives exactions s'exerçaient sur le peuple par ces cueillottes sur le blé qui incessamment couraient et ne jamais diminuaient. LE TÉMÉRAIRE. Vous avez beaucoup de ferveur pour eux, messire Georges Chastellain. On voit que vous, qui naquîtes à Alost, êtes des leurs. Vous êtes Flamand, et bon Flamand, comme, il y a cent 76 LE TÉMÉRAIRE ans, votre prédécesseur en chronique Jehan Froissart. Trop Flamand, peut-être. Qu'en pensez-vous, Commines ? COMMINES. Je le suis aussi, Monseigneur. Mais, avant tout, à votre service. LE TÉMÉRAIRE. Nous verrons. La vie est longue. (Avec violence.) Avec moi, ce n'est ni Flamand, ni Français, mais de Bourgogne qu'il faut être ! Peuple nouveau, mais peuple de par la volonté de Dieu, de mes aïeux, ... et de par la mienne! Entre Allemagne et France, il faut plus que le Rhin. Il faut terre achevant le rempart de ses ondes. Du nord jusqu'au midi il faut « marche » rhénane. A mes aïeux et moi le devoir en incombe. CHASTELLAIN. Songez, mon respecté seigneur, que ces cueillottes étaient devenues trois fois plus hautes que la charge pour quoi elles furent mises. LE TÉMÉRAIRE. O Gand! Gand bestial et féroce, détestable machine, ton méfait aujourd'hui dépasse tous autres. Traîtresse, pécheresse, tigresse! En perpétuité, tu ne vaincras ni répareras ta présente offense. Essayer devant mon front l'épouvantement pour me faire renoncer à ma libre seigneurie et tenter d'en faire la tienne ! Je crains que ce crime ne te coûte cher et que Dieu, ou moi, ne le venge... ce qui toutefois serait dommage pour ta beauté dont tu abuses! Ton apparent profit va muer en ruine. Têtes dures de Flamands, vous avez toujours haï ou méprisé vos princes ; s'ils étaient faibles, vous les méprisiez; s'ils étaient forts, vous les haïssiez. J'aime mieux être haï de vous que méprisé. J'ai de bons bouchers dans mon armée. Ah ! ils se plaignent de manquer de pain, de leur pain noir! Je leur en ferai manger du rouge, leurs portes insolentes couchées par terre afin que je les foule et marche dessus. Oui, je préfère qu'ils me haïssent afin d'être plus à l'aise dans les représailles à tirer d'eux, à la manière barbare s'il le faut, avec torche et épée. Ils me font une Joyeuse Entrée lugubre. Gare que je ne leur fasse une rentrée terrible! (Prêtant l'oreille.) Est-ce que je n'entends pas rugir b vent dehors ? 78 LE TÉMÉRAIRE CHASTELLAIN. La tempête est venue avec la nuit tombée. Elle a déraciné deux arbres dans la cour. LE TÉMÉRAIRE. Tempête souffle trop dans ce pays de Flandre. Ils l'aiment! Ils l'ont fondue dans le bronze de leur Roeland. Als ik klep is er brand! Als ik luid is er storm In Vlaenderen land ! CHASTELLAIN. — Le mal est, Monseigneur, qu'en les cours des princes on choie ceux qui flattent et baisent et qu'on punisse ceux qui hardiment et justement se plaignent. LE TÉMÉRAIRE. Je les veux tous ensemble, à têtes nues, sans ceintures et à deux genoux fléchis devant moi, suppliant et requerrant que j'aie en pitié et compassion leur ville ! CHASTELLAIN. C'est de l'avidité que vient le mal. Tout le monde est embourbé dans cette maudite envie de s'enrichir et de là proviennent les rapines exercées sur ces pauvres gens. LE TÉMÉRAIRE, Eh ! qui n'eut cette envie depuis le commencement du monde! Ne m'accuse-t-on pas, moi aussi, d'avarice, d'aimer l'argent, d'avoir la main close et de me délecter plus en monnaie sonnante qu'en pierreries. Tais toi, vieillard, tu donnes inutilement des leçons de vertu! (A un officier.) Qu'on mande mon trésorier Jacot de Brésil. (L'officier sort.) Je vois encore leurs faces-d'enragés sous leurs bassinets rouillés, leurs barbes de vilains et leurs dents mordant les lèvres. Têtes dures de Flamands! tètes dures de Flamands ! (A Jacot de Brésil qui entre.) Je VOUS ai enjoint d'apporter ici tout ce qui a été trouvé à Bruges au trépas de mon père, qui monte à un merveilleux grand avoir. Je désire que cela soit tiré hors de cette ville de Gand et mis en sauveté plus sûrement qu'ici. Car si la chose tournait mal et que les méchants vinssent à user de force sur les gens de bien, tout ce trésor serait dissipé et perdu. C'est pourquoi, subtilement et par nuit, vous ferez mettre les coffres en voie vers Termonde où ils resteront jusqu'à ma venue qui sera prochaine. Allez. (Jacot sort.) LE SEIGNEUR DE GRUTHUSE. LE TÉMÉRAIRE Et sur les demandes du peuple, que décide Monseigneur le Duc? Ils insistent. Il y a en bas aucuns de leurs députés élus pour ce faire, lesquels disent que si vous n'accordez pas leurs pétitions, ils ne voient pas manière de faire départir le dit peuple du marché sans très grand méchef et inconvénient. Vous savez que c'est leur coutume de rester là jusqu'à ce qu'on leur ai fait raison. Ils y furent quinze jours et quinze nuits, sans départir, au temps de votre vénéré Père. LE TÉMÉRAIRE, avec emportement. Qu'on les paie en paroles ! Qu'on leur dise que je ferai justice des exacteurs ! Qu'on supprime les cueillottes, je suis assez riche par ailleurs! (Dédaigneusement.) Qu'on rouvre les portes condamnées par mon père, et déshonorées, qui avaient livré passage à ces criminels partant en guerre impie! Qu'on leur donne cédules en ce sens ! Je signerai sauf à les leur faire rendre par la force, le pied sur la gorge, comme choses extorquées. Et quant à leurs chatellenies, qu'on réponde que cela vaut la peine que j'y pense et que j'en délibère, ce que je ferai quand je serai débarrassé des autres affaires qui me pèsent sur la cuirasse. (Il va et vient agité ) Qu'on m'amène Mademoiselle de Bourgogne, ma fille. (Gruthuse sort.) Ces malfaiteurs seraient capables de me la retenir en gage. — Messire Philippe de Com-mines ! COMMINES. Que plaît-il de moi à Monseigneur? LE TÉMÉRAIRE. On m'impute de manquer d'amis. D'être dur et rudoyant à mes serviteurs. En ces périls j'aime à croire le contraire. Si l'on n'est pas aimé quelle raison de vivre? Etes-vous, vraiment, des miens, messire mon écuyer, et à ne me délaisser jamais ? COMMINES. Mon bon maître et seigneur, ce matin encore vous avez daigné le dire et le croire. LE TÉMÉRAIRE. Certes, vous avez le langage doux et agréable. En vos paroles reluit la bonne foi exempte de vanité; vos discours et exhortements s'accompagnent de bon zèle et de vérité, même déjà d'autorité et de gravité représentant son homme de bon lieu et appelé aux grandes affaires. Mais vous êtes jeune et qui sait si vous me demeurerez fidèle ! Les Croy m'ont trahi pour Louis le onzième. Ne vous distrairez-vous jamais hors de notre obéissance, ne vous rendrez-vous jamais fugitif au parti à nous contraire? COMMINES. Monseigneur, pourquoi pareils soupçon et crainte? Mon cœur n'entrevoit pas cette félonie. LE TÉMÉRAIRE. En des jours de tumulte comme ceux-ci des pensées montent en nous, comme en des eaux remuées débris de bâtons et de feuilles reposant aux profondeurs viennent en surface. Des pensées? Des prévisions, peut-être. Mon âme, Commines, n'est pas telle que les autres âmes. Elle rend des sons qu'on n'entend pas ailleurs. Elle est bruyante et désordonnée. Prophétique, peut-être, en certaines visions, par inspirations divines ou démoniaques. On dit que les bienfaits attachent. Je n'en suis pas sûr. N'importe! au premier fait honorable, je vous armerai chevalier. Mais défiez-vous de Louis le onzième, Commines, défiez-vous. Il a bandeau de roi sur le front d'un vilain. septième tableau 83 COMMINES. Grâces soient rendues à mon bienfaiteur et puissé-je ne jamais le trahir ! LE TÉMÉRAIRE, de nouveau allant et venant agité; on entend mugir le vent. Ah! Gand, Gand, qu'on ne devrait plus nommer, qui te musellera! Ah! dures têtes de Flamands, qui vous les brisera! Et maintenant, par le mauvais exemple, Bruxelles aussi peut-être entrera en rumeur et Louvain, et Malines, et Liège, avec Dinant si je ne l'avais brûlé jusqu'aux fondements en telle façon qu'il semblait qu'il y eut cent ans qu'il fut en ruines ? Moi-même j'ai failli gémir en regardant le mal que j'avais accompli. Toutes les villes de ces Pays-Bas où semble habiter un indestructible démon de révolte! Bruxelles! On s'y souvient sans doute que, Comte de Charolais, un jour qu'ils avaient dérisoirement parlé de « mon vieux monart de père et de son petit Charloteau », je leur ai crié : Si jamais je deviens duc, je vous ferai sentir quel enfant terrible je suis ! — Va-t-on y accueillir, Jean de Nevers, mon maudit rival et cousin, ce Jean de Nevers qui m'envoûte, je le sais, perçant d'aiguilles une image de cire faite à ma ressem. blance et peuplant mes nuits d'apparitions tristes, de menaçants fantômes et d'hallucinations étranges. Ah! depuis que cettemaléficieuse sorcière du pays de Lorraine, cette pastoure Jehane, faite prisonnière par mon père à Com-piègne, se disant pucelle, justement brûlée à Rouen, dont on m'épouvantait en mon enfance, eut avec Satan ses sacrilèges acquointances, on dirait qu'un peuple de diables se mêle aux hommes pour les séduire ou les tourmenter! Magicienne damnée qui eut voulu, criait-elle, voir couper la tête du seul Bourguignon qui était à Domremy son village. Qu'elle et ses enchantements arsent en enfer comme elle fut arse en ce monde ! Entre la jeune Marie de Bourgogne, âgée de dix ans,avec sa Gouvernante, la dame de Crévecœur. Elles sont coiffées de bonnins à barbes. Commines, Chastellain et les officiers sortent. MARIE. Mon très redouté seigneur et père, tant et très humblement que je puis je me recommande à votre bonne grâce. Il ;f LE TÉMÉRAIRE, tendrement. Viens, ma consolation, ma joie, mon espérance, ma douce lumière ! Que je me délecte à regarder ton visage pur et virginal ! Que je baise tes beaux yeux d'agnelette, où semble accumulée toute la douceur et la paix qui manqua à tes aïeux. Leurs prunelles de faon emprisonnent mon âme. Ta bouche aux blanches dents s'entr'ouvre en un sourire. (11 la baise et la tient contre lui.) Unique rejeton, frêle et gracieux, d'une race tumultueuse ! Fleur délicate s'épanouissant, par miracle, sur la tige tragique, noueuse, tourmentée de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-Peur, de Philippe-le-Tètu qu'on nomma à tort le Bon, de Charles-le-Har-di, le Téméraire, le Terrible! D'où te vient cette fragilité? Est-ce l'épuisement de ce sang belliqueux? Fut-il trop dépensé pour qu'il en reste encore? (Tout à coup violent.) Comment continueras-tu cette série d'êtres durs, sauvages, farouches, véhéments, indomptables? Je n'ai point de descendant mâle. Je n'en aurai pas sans doute. A toi donc mes terres, mes richesses, la renommée sombre et violente de tes ancêtres, héritage trop lourd même pour des épaules viriles. A qui appartiendras-tu? A quel ambi- tieux apporteras-tu, nouvelle épouse, ton corps charmant et cet opulent et dangereux patrimoine? Quel flot d'histoire et de malheur sortira de tes flancs mignons encore et vierges ? MARIE, lui pressant les mains, caressante. Monseigneur et père, comme vous voilà troublé! Quels méchants vous tourmentent? Oh ! que je voudrais que ma chère mère morte il y a deux ans à Anvers fût encore vivante pour vous apaiser! LE TEMÉRAIRE. Et pour te caresser, toi l'orpheline. Ta mère, Madame Isabelle de Bourbon, veille sur toi, quoique morte. Elle est assise au ciel à la droite de la Mère de Dieu avec les Saintes et les Bienheureuses. Mais tu as besoin de soins sur cette terre. Bientôt tu auras une mère nouvelle digne d'occuper la place de celle que tu as perdue. MARIE, ingénument. Je sais. (A sa gouvernante.) Vous me l'avez dit, Madame de Crèvecœur. Elle est Anglaise? LE TÉMÉRAIRE. C'est la noble Marguerite d'York, aux beaux-cheveux d'or, la sœur du roi Edouard le qua- trième, désormais mon allié contre la France. Ame dont la vaillance est égale à la mienne, déesse dont le cœur balance en poids le mien, belle et prudente, surnommée la Junon dAngleterre, elle sera la troisième épouse de ton père, veuf de ta mère et de Catherine de France. Elle arrivera de son île sur la flotte de son frère illustre, par l'Écluse et par Damme, et je lui ferai à Bruges des noces fantastiquement riches, belles et triomphales. L'aimeras-tu? MARIE. Oui, puisque vous me l'avez choisie et que vous l'aimez. Oui, je l'aimerai, s'il est possible d'aimer deux fois comme j'aimais madame ma mère. LE TÉMÉRAIRE. Tes paroles tremblantes sont en accord avec ta beauté enfantine ! Je te veux peinte par maître Hans Memling, pareille à une de ses madones candides. — Et ton parrain, l'aimes-tu? MARIE. Le roi Louis de France? Madame de Crève-cœur dit qu'il ne vous aime pas. Est-ce vrai? LE TÉMÉRAIRE, sarcastique. Il m'aime comme l'arbre aime l'ouragan qui le secoue. MARIE. Alors, j'ai prié ma sainte patronne, la Mère des anges, de faire que je ne l'aime plus. Bien qu'elle soit au très haut du ciel, on dit qu'elle peut entendre nos prières. LE TÉMÉRAIRE. L'alouette ne saurait aimer le chat cruel et sournois qui la guette. Si prématurément je mourais, combien, quand les vers rongeraient mon cœur inanimé, tu aurais à te défendre contre les ruses de ce protecteur! Je te parle, hélas ! comme s'il était sûr que tu doives vieillir. La Fortune oubliera-t-elle pour toi sa cruelle nature qui est telle qu'elle ne peut souffrir les fleurs ni les fruits venir, sur la terre, à meuraison et profit, sans leur envoyer vents, gelées, surprises et temps impétueux, tendant toujours à ses fins très maudites qui sont de tout arruiner et détruire?Le malheur est un fait, le bonheur est un rêve! Tu as la beauté, mais elle attire la foudre ! Tu as la richesse, mais elle attire les larrons ! Tu as le haut rang, mais il attire l'adversité et les orages ! Moi-même ne ferai-je pas de toi un enjeu de mes projets? Les filles de prince sont des outils à l'usage de l'ambition. LA DAME DE CRÈVECŒUR. Monseigneur, faut-il pas tout attendre du temps ? LE TÉMÉRAIRE, exalté. Attendons ! Attendons ! mais il faut tout en craindre ! LA DAME DE CRÈVECŒUR, doucement. Je vous voudrais calmé, vous voulant plus heureux. LE TÉMÉRAIRE, avec emportement. Maladie ou santé, mon outrance m'est chère ! Je plonge dans la fougue, elle est mon élément. Elle enflamme mon sang et me tient aux entrailles. De mon âme de flamme ouragans et souffrances ne seront devinés jamais que par mes pairs ! Vous ne connaissez pas l'attrait des violences. Je les ai, je les veux, elles vont à mon âme, comme aux moulins bruyants les eaux tourbillonnantes. LA DAME DE CRÈVECŒUR. Ah ! conservez au moins la douceur de l'espoir ! LE TÉMÉRAIRE. L'espoir! semblable aux fleurs qu'on met sur les victimes. Je subis ma nature, elle est inexorable! (A Marie, apaisé soudain.) Douce enfant, combien en ta fragilité charmante, tu sembles peu faite pour les périlleux hasards qui assaillent les princes. Voici que pour toi je tremble. Ah ! fasse le Dieu tout-puissant et miséricordieux que ta vie soit unie et souriante, pareille à un chant paisible achevant, comme un beau soir, les concerts orageux que furent les existences de tes devanciers. Vas dormir! C'est la meilleure part de la vie. C'est la plus douce vie, parce qu'elle est inconsciente comme celle des plantes, et la veille est peut-être le songe, tant souvent elle ressemble au cauchemar. La mort elle-même ne serait-elle pas la vraie vie, et, veillant ou dormant, ne sommes-nous pas, sur la terre, rien qu'en songe. Oui, vas dormir! Je me sens rasséréné comme si j'avais entendu la musique des luths, des tabourins et des harpes, ce doux remède que j'aime, ce baume sur mes misères. C'est ta suave influence. La force sacrée qui est en moi semble revivre. Vas dormir! Dis tes prières! Invoque Dieu, la Vierge, divine aumonière, et les anges, pour que ton père justifie moins son surnom inquiétant et redoutable, son surnom de mauvais augure, qui l'effraie parfois lui-même. (Marie et sa gouvernante sortent. Le Téméraire les suit du regard.) Amère pensée : oui, cette angélique créature n'est qu'un jouet dans les cruelles combinaisons des vanités princières. Héritière de Bourgogne, « la Grande héritière! » (Réfléchissant.) D'un duc? Non, ... d'un roi bientôt peut-être! (Appelant.) Holà ! (Un officier parait.) Mon sommelier de chambre. (Le sommelier entre.) Ouvrez la chapelle. (Le sommelier écarte les volets de la chapelle portative ; un riche tryptique apparait, saint Georges au centre. Le Téméraire s'agenouille sur un carreau de velours, les mains jointes et tendues vers l'Image.) Monseigneur saint Georges, vous que j'invoque en mes attestations, mes serments et mes cris de bataille. Vous que pieusement je fais partout porter avec moi comme une image sacrée et adjuvante. Vainqueur du dragon fauteur du mal et du désordre, cousin et compagnon de l'illustre archange Michel qui terrassa le démon. Assistez-moi! Faites que je dompte les méchants. Faites que je surmonte les révoltes. Priez pour moi! Faites, ô grand saint casqué, armuré et brandissant l'épée flamboyante, que je triomphe des ressentiments enfants impétueux de mes colères. Secourez-moi ! Du haut des cieux où vous êtes capitaine dans les milices divines, daignez descendre pour me conseiller. Protégez-moi ! (Pieusement.) Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, avec l'aide de la Vierge Marie, révérence, honneur, oblation et gloire à la sainte Trinité. Amen! (Il se signe et se lève.) LE SOMMELIER. Dois-je dévêtir monseigneur ? LE TÉMÉRAIRE. Peu importe pour mon sommeil agité que je sois vêtu ou non? Je vais dormir en soldat. Ainsi faisait Alexandre-le-Grand, fils, comme moi, d'un Philippe, dont j'aime lire la vie. Voici ma ceinture et mon épée. Retirez-vous. (Le sommelier sort. Le Téméraire s'étend sur sa couche ; la clarté diminue; il s'assoupit.) SAINT GEORGES lentement apparaît, armé d'or de pied en cap, en sa figuration classique, glaive au poing. Charles, mon frère, prince bouillant même en tes rêves, tu m'as appelé ! A ta dévote prière, je descends des régions du ciel où je suis chevalier du Seigneur. Me voici! LE TÉMÉRAIRE, assoupi. Quels sont ces portes et ce gardien armé qui lentement les ouvre? Là-bas, là-bas, est-ce mon avenir? SAINT GEORGES. Prince pathétique, que tourmentent le Démon et ses embûches, avec ta bonne et ta malchance, avec ton âme convulsionnaire, tu n'es qu'un instrument pour les desseins de Dieu, ton seigneur et le mien. C'est lui qui mène ta destinée et je ne suis que son serviteur. Il est facile au Tout-Puissant de glorifier un pécheur mortel ou de rendre misérable un élu. Rien n'est définitif. Toute fin qui clôture est un commencement. LE TÉMÉRAIRE, en rêve. Louis le onzième ! Péronne et sa tour! Liège et son perron ! SAINT GEORGES. Tu l'entrevois ce Roi, ton suzerain, captif, humilié, tremblant, sous ta colère et ta force. En l'alliant à toi tu fais un ennemi. Tu l'emmènes, cel oint du Seigneur, pour assister au massacre de ceux qu'il a rebellés contre toi, à la dévastation de la grande cité de la Meuse. Ils sont prochains ces événements attestant ta passagère puissance. LE TÉMÉRAIRE, en rêve. Bourgogne jusqu'au Rhin ! De Rotterdam à Bâle ! A Marseille! Et plus encore ! plus encore! SAINT GEORGES, Main-mise sur la Gueldre! Neuss assiégé! L'entrevue de Trêves avec Frédéric de Habsbourg, en ses pompes et festoiements. La Lorraine gouvernée pour toi par Hagenbach. L'espoir d'obtenir la Savoie! Le Dauphiné! La Provence! Tes terres par deçà de Flandre, tes terres par delà de Bourgogne ne faisant plus qu'un bloc merveilleusement agrandi. Etre Roi! Et peut-être, par surcroît, roi d'Angleterre ! Tu es déjà Lancastre et tu vas devenir York! (Il abaisse son glaive.) Touché par mon glaive d'or, rêve, rêve ce beau rêve, ô prince visionnaire ! LES VOIX DE L'HISTOIRE, dans les frises, rêveuses, mélopée grégorienne. De cette nuit d'été fugitive les heures, Fragments mystérieux du temps, peuvent suffire A ces illusions fières et rayonnantes. Chevauche la Chimère, éperonne ses flancs! Elle sait les chemins qui mènent aux abîmes. LE TÉMÉRAIRE, s'agitant.On entend mugir la tempête. Oh! quel est ce pays menaçant et funèbre? De vastes monts neigeux ourlés de forêts sombres, où retentit le vent, d'où sortent des éclairs... Est-elle de glaçons ou d'hommes furieux cette lourde avalanche écroulant sa terreur?... Mon armée écrasée et l'horrible déroute ! La fuite éclaboussant mon orgueil de ses hontes ! Les dernières fureurs, les dernières ruées!... Et barrant le chemin, froide et blême, la Mort! LES VOIX DE L'HISTOIRE, puissantes. De ces fatalités, rien ne te sauvera ! Les Suisses à Granson! à Morat! Les Lorrains Sous les sombres remparts de Nancy révoltée! L'imagination sans cesse en incendie, Tu voulais surmonter le Réel. Tu voulais Violer le Possible, ô lutteur téméraire! Te voici brusquement aux prises avec eux. Le retour douloureux s'inaugure! On entend Les sourds effondrements, les craquements sinistres. Ils viennent, les revers, désolants et lugubres Après les triomphants combats, après ies fêtes Magnifiques donnant les espoirs infinis! Il tranche, le Destin, la tige de ta gloire En la pleine énergie où montait sa croissance ! Il tombe, le Lion d'or pur de ton cimier! C'est le signe annonçant ta chute inexorable, 0 toi qui si longtemps as ébranlé la France Et son sordide Roi, portant en sa misère Les glorieux secrets germant pour l'Avenir. Tandis que tu n'es, toi, Dernier Grand Féodal, Qu'un symbole épuisé d'un passé qui se meurt! Sur tes ambitions vaines et surhumaines Le Sort a déchaîné ses dévastations. Le TÉMÉRAIRE, en rêve, agité. Je me sens le jouet de puissances obscures. Les désastres sur moi descendent en torrent! DEMI-CHŒUR DES VOIX lointaines. Dans ce marais torpide, en un jour gris d'hiver, Le jour, le jour des Rois, comme pour bafouer Ton fastueux espoir de royauté prochaine, Vois un cadavre nu, renversé sur le ventre, Pourrissant, à demi dévoré par les loups, Qu'une humble lavandière et des valets pleurant Retirent en tremblant de l'eau glacée et morne. Alors que si longtemps tu te crus invincible, Duc triomphant, c'est toi, percé de trois blessures, Toi, le fils aboli des trois ducs dont les mains Avaient patiemment élevé l'édifice Orgueilleux et pompeux, mais, hélas! chimérique, Qui, soudain s'écroulant, t'écrase impitoyable! LE TÉMÉRAIRE, en rêve. Dieu, pour ce sort abject et cette fin sans gloire, me fit-il, nouveau-né, choir du sein de ma mère, et, dans ma nudité, jaillir à la lumière ? L'AUTRE DEMI-CHŒUR DES VOIX solennel et grave. En dix ans, court espace, le joueur Téméraire, A tout vu s'engloutir, sa puissance et sa vie! Il s'est dans son orgueil perdu, pareil au fleuve Qui se perd dans les flots insensibles des mers. Louis onze aux aguets va saisir ta Bourgogne, L'arracher à ta fille impuissante et tremblante Que Gand veut en otage et retient prisonnière. Commines te trahit! Ton désastre, il le conte A la gloire et l'honneur du rival exécré! Elle a bougé la roue emblème du Destin, Abaissant le puissant et relevant le faible ; Les peuples, s'y pendant, l'ont contrainte à tourner, Et les noirs événements Vont ainsi se déroulant, Mystérieux toujours pour la pensée humaine! ■ • cr SAINT GEORGES, mélancoliquement solennel. Dors ! dors ! prince rêveur, prince téméraire, prince halluciné : le dernier de ta maison, au renom éclatant et terrible, — prince désormais inutile, — mais qui demeurera étrange, grandiose dans la mémoire des hommes, effrayant et séducteur comme les grands fléaux et les miraculeux prodiges, comme l'Ange guerrier que je suis et comme le Dragon mystique que j'ai tué ! Rideau. FIN. TABLE Bruges. Aux lecteurs de mon Théâtre . . . La Joyeuse Entrée de Charles-le-Témé- raire ....... Dédicace à Camille Lemonnier Préface........ Iconographie du Téméraire Personnages...... 1er Tableau : La cour du Princen hof à 2e Tableau : La salle mortuaire de Philippe-le-Bon dans le Princen hof . . . 3e Tableau : La salle de réception du Princen hof.......... 4e Tableau : La place de l'Eglise à Hautem- Saint-Liévin....... 5e Tableau : La salle de banquet du ser Sanders Wal, à Gand....... 6e Tableau : Le jMarché du Vendredi à Gand. 7e Tableau : La chambre à coucher du Téméraire au ser Sanders Wal. . . Pages. V 35 41 47 53 73 PAUL LACOMBLEZ, Éditeur, Bruxelles. Arschot (Comte cl'). Sourires perdu?.........IV. 3 » Courouble (L ). Mes Pandectes...........3 30 — Notre langue........... . 1 » Profils blancs et Frimousses noires, ill. 3 50 La famille Kaekebroeck........3 SU — Pauline Platbrood.........3 SU Les Noces d'or......... . . . 3 SO Images d'OuIremer, illustré..... . 3 30 De Coster (Charles). La légende d'Ulenspiegel..........S • Légendes flamandes ... .... 3 30 De HaullevilJe (Baron). En vacances..............3 30 Portraits et Silhouettes, 2 vol. à. . . 3 30 J. M. J. Bodson.........-2 » Delattre (Louis). Contes de mon village .... . . . 3 30 — tes miroirs de jeunesse..... . . 3 30 Demolder (Eugène). Contes d'Yperdamme........3 » Destrée (Jules). Journal des Desirée...... . I « Eekhoud (G.). Les fusillés de. Malines..........3 30 — Au siècle de Shakespeare ...... . . . 3 » — La nouvelle Carlhsge (édit. définitive! . ...in Nouvelles Kermesses.........3 SU Emerson. Sept Essais, avec préface de Maeterlinck......3 30 Garnir (George). Les Charneux........ . . 3 30 Contes à Marjolaine..........3 30 Greyson (Emile). A travers passions et caprices............80 Krains (H ) Histoires lunatiques............3 « Lichtervelde (C"' G. de). Légendes de l'inconnu géographique. '2 Maeterlinck (M ). Théâtre, 3 vol. à ..........3 30 — Les sept princesses........."2 • Serres chaudes. — Quinze rhansons 3 j L'Ornement des Noces spirituelles .... 3 » — Les disciples à Sais et Fragments de NovalK 4 » Maubel (Henry). Etude de jeune fille..........2 » Quelqu'un d'aujourd'hui..... . 3 30 Philippe (Marie) l.es Enfants sur la scène........"1 80 Picard (Edmond). Scènes de la vie judiciaire. — Paradoxe sur l'Avocat. - La Forge Boussel. — L'Amiral. — La Veillée de l'Huissier. — Mon Oncle le Jurisconsulte...........4 » — El Moghreh al Aksa (Mission au Maroc) ... 4 i En Congolie.......... . 3 80 Monseigneur le Mont-Blanc......2 > Vie simple......................'2 » Le Sermon sur la montagne et le Socialisme . i » Comment on devient Socialiste .... I » l/Aryano-Sémilisme.........3 > DésespérancedeFaust.prologuepourlethéàlre 1 30 Jéricho, Comédie drame en 3 actes .... 3 » Fatigue de vivre, Comédie-drame en 4 actes . i 30 Psukè, Dialogue pour le théâtre.....3 » Le Juré, Monodrame en 3 actes.....1 » Ambidextre-Journaliste, Comédie-drame en cinq époques et XL1V Scènes.....'2 » Pierron (Sander). Pages de Charité..........3 30 Les délices du Brabant ... .... 3 80 Ruyters (A.) Les mains gantées et les pieds mis . . 3 80 Sigogne (Emile). Contes merveilleux..................3 » L'art de parler...........3 30 Tordeus (Jeanne). Manuel de prononciation.......2 » Van Doorslaer (Hector). Sur l'Escaut .... .... 3 30 Van Lerberghe (Charles). Les Flaireurs........i » Van Zype : NOS PE1NTBES I : Baertsoen, Courtens, Laermans, Levêque, Lynen, lionner, Stobbaerls, Vanaise. Un grand volume avec 8 phototypies......3 30 Waller (Max). Daisy, roman........................3 «