L E kla 4 'si* SOCIALISME EN BELGIQUE PAU J. DESTRÉE & E. VANDERVELDE MEMBRES DE LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS DE BELGIQUE PBOFFSSEUBS A L'UNIVEBSIT.O NOUVELLE l)E BBUXEI.I.ES. PARIS V. GIARD & E. BRIÈRE LIBRAIRES-ÉDITEURS 16, HUE S 0 U F F I. 0 T , 16 ÇÉSi a la mémoire des compagnons en allés césar de paepe, jean volders, edmond van beveren et de tant de vaillants qui, s etant levés avant les autres, ont peiné dans l'incertitude confuse de l'aube et sont disparus sans avoir la réconfortante joie de voir se lever le soleil, a la mémoire de tous ceux, glorieux ou obscurs, qui, pour fonder le socialisme belge, ont été tués, condamnés, emprisonnés, persécutés, ou calomniés, ce livre est dédié. NOTE PRELIMINAIRE Les idées exprimées dans les pages qui vont suivre nous sont suffisamment communes, pour que nous ayons cru pouvoir signer ensemble ce volume. Nous pensons devoir signaler toutefois que nous avons utilisé dans leur forme primitive certaines notes ou études publiées séparément par chacun de nous et qu'on trouvera i diquées au cours de ce travail. Nous ajouterons que les chapitres : Institutions économiques, Collectivisme, Question agraire, sont plus particulièrement l'oeuvre de Emile Vandervelde, et ceux : Llistoire'poli-tique, Préoccupations esthétiques, Féminisme, celle de Jules Destrée. Les Auteurs. LE SOCIALISME EN BELGIQUE I INSTITUTIONS ÉCONOMIQUES CHAPITRE I Les origines. Le Parti Ouvrier a été fondé à Bruxelles le 9 avril 1885; mais il n'est pas sorti tout armé du cerveau de ses fondateurs et plusieurs des groupes qui le composent ont une origine plus lointaine. Aujourd'hui que le mouvement socialiste a pris dans notre pays une importance que les élections législatives de 1894 et de 1896 ont révélée aux yeux de tous, il nous parait intéressant, — avant de décrire l'organisation actuelle du parti, — de montrer combien ses débuts ont été humbles et difficiles. § ier. — La Fédération des ouvriers gantois Parmi les groupes du Parti Ouvrier, il en est fort peu qui datent de l'Internationale, et un seul, qui ait existé, sans interruption, depuis une époque antérieure à la fondation de celle-ci : je veux parler de la Société des tisserands, — Broederlijke Wevers Maatschappij, — créée à Gand en (857. D'autres associations ouvrières, celles des chapeliers ou des typographes de Bruxelles, par exemple, sont plus anciennes, mais elles n'ont pas de caractère politique et se sont toujours préoccupées exclusivement de leurs intérêts professionnels. Les tisserands gantois, au contraire, ne se sont jamais cantonnés sur le terrain corporatif. Ils formèrent le premier groupe de la section gantoise de l'Internationale, et plus tard, en 1880, ce fut encore leur vieille association qui engendra la célèbre coopérative Vooruit, en fournissant de l'argent et des hommes. Le Vooruit, à son tour, devint le pivot du parti socialiste flamand et celui-ci contribua, pour une large part, à la fondation du Parti Ouvrier. Aussi, quand on voit l'importance grandissante de ce mouvement si humblement commencé, on comprend que le Dr Jacoby ait pu dire, en parlant des premières grèves organisées par les ouvriers gantois : « Ce branle-bas de la guerre sociale en Belgique aura plus d'importance pour nos historiens futurs que n'en a la bataille de Sadowa. » Et, cependant, cet événement capital, cette genèse du mouvement socialiste belge, la fondation du Syndicat des tisserands et de sa sœur jumelle, la Société des fileurs, passa complètement inaperçu. Nous avons eu la curiosité de lire les journaux gantois de l'époque. A peine y parle-t-on des grèves, et l'on n'y trouve pas un mot de l'organisation ouvrière. L'histoire de ces origines aurait sombré dans l'oubli, si les premiers socialistes belges n'avaient pas eu leur tra- dîtion orale, qui trouva, quelques années après, son évangéliste. C'est en 1862, si je ne me trompe, que parut une petite brochure, dont un exemplaire jauni se trouve à la bibliothèque du Vooruit (l'ancienne bibliothèque des tisserands), qui raconte avec une pieuse minutie les temps héroïques du socialisme gantois. Pourchassés par les patrons, traqués par les autorités, — en vertu de la loi sur les coalitions, abrogée seulement quelques années plus tard, — les tisserands et les fileurs se réunissaient, comme en Angleterre du temps des Luddistes, dans les greniers ou dans les caves. Leurs présidents, Bilen et De Rid-der, congédiés dès le début du mouvement, furent obligés de se faire cabaretiers pour ne pas mourir de faim. L'un de ces cabarets, — In het Zwart Hondeken (Au petit chien noir), — devint la première » Maison du Peuple » qui ait existé en Belgique. C'est là que, sous un plancher, les deux sociétés de résistance cachèrent leur trésor de guerre. Une première grève ne tarda pas à éclater, qui s'étendit à toutes les fabriques de l'industrie cotonnière, et, pendant plus de deux ans, ce fut une véritable épidémie de coalitions. Autorités et patrons rivalisèrent de rigueur. Plus de cinq cents ouvriers furent condamnés à des peines plus ou moins sévères. Le doyen des tisserands fut jeté en prison pour deux ans,. Le fonds de grève fut découvert par suite d'une indiscrétion, et confisqué par le bourgmestre de Gand, qui se rendit lui-même In het Zwart Hondeken, fit fracturer la caisse et, sous les yeux des ouvriers frémissants de rage, s'empara des sept cents francs qu'elle contenait. Mais, dès le lendemain, les grévistes avaient réuni le double de cette somme, et, malgré toutes les forces coalisées contre eux, grâce à l'indomptable énergie qui les fit appeler « têtes de fer », ils obtinrent une sérieuse augmentation de salaire et l'abolition presque complète du truck system. Peu de temps après, encouragés par ces exemples, les métallurgistes s'organisèrent à leur tour et, en 1860, ces trois groupes formèrent la Fédération des ouvriers gantois. Cette fédération est le premier groupement, s'eten-dant à plus d'un métier, que les ouvriers aient constitué en Belgique pour la défense de leurs intérêts de classe. A ce point de vue donc, il convient d'en parler quand on recherche les origines du mouvement socialiste. Seulement, ce serait une erreur de croire que, dès cette époque, les ouvriers gantois fussent déjà rangés sous le drapeau rouge. Tisserands et fileurs avaient inscrit sur leur bannière corporative la vieille devise des mutualités professionnelles: God'en de Wet (Dieu et la Loi). Peut-être ignoraient-ils complètement, — 90 p. c. d'entre eux ne savaient pas lire, — ce que pouvait signifier le mot socialisme. Je gage, en tous cas, qu'ils ne se doutaient guère, ces pauvres précurseurs, qu'au moment même où ils fondaient leurs associations, en 1857, leur compatriote Colins exposait dans son livre, — Qu'est-ce que la science sociale? — cette doctrine collectiviste qui devait être un jour le credo de leurs enfants. Le socialisme théorique, né de la pitié, restait séparé du socialisme pratique, né de la souffrance, par toute l'épaisseur des couches sociales intermédiaires. Il fallut encore de longues années, semées de dures épreuves, pour que les penseurs et les prolétaires se rejoignissent et se donnassent la main. La Fédération des ouvriers gantois existait depuis un an à peine, quand de graves événements entraînèrent sa désagrégation. Tout d'abord, une grève malheureuse à la Gras-fabriek, le principal tissage de Gand. Puis, immédiatement après, la guerre de sécession des États-Unis, la famine du coton qui en fut la conséquence, quarante-trois établissements mis en faillite, les deux tiers de la population sur le pavé. Les syndicats des fileurs et des métallurgistes furent obligés de se dissoudre. Seule, la Société des tisserands, — réduite de 2,000 à 3oo membres, — survécut à cette terrible crise, qui se prolongea jusqu'en i863. § 2. — L'Internationale. La seconde phase du mouvement ouvrier en Belgique commence en 1867, avec l'Internationale; mais, cette fois, il prend un caractère nettement socialiste, et ne se localise plus dans les fabriques de Gand. Les Francs ouvriers de Verviers, dans l'industrie de la laine, la Solidarité de Fayt (Centre-Hainaut), dans l'industrie charbonnière, se joignent aux sociétés de résistance de l'agglomération bruxelloise et au syndicat des tisserands gantois, pour fonder des sections de l'Association internationale des travailleurs. A partir de 1869, le mouvement prit une extension incroyable : les caisses de résistance se multiplièrent comme des champignons pendant une nuit d'orage, et, même après la défaite de la Commune, les sections belges furent encore assez fortes pour mener à bien la plupart des grèves qui éclatèrent pendant la période de 1871-1873. On sait qu'elles avaient pour but la journée de dix heures, ou tout au moins une réduction du temps de travail. Ce furent les dernières victoires de l'Internationale en Belgique. Comme dans les autres pays, elle ne tarda pas à se diviser et finit par se dissoudre, tuée par les dissensions de ses fondateurs, plus encore que par les attaques de ses ennemis. Tout le monde connaît, — nous n'avons pas à y revenir, — l'histoire de ces luttes, qui ont laissé des traces protondes dans le mouvement socialiste contemporain. Entre les Trade-unionistes anglais et les révolutionnaires français d'abord, ces derniers reprochant à John Bull de ne pas voir plus loin que le bout de son nez, et l'autre répondant, au congrès de Lausanne : « Vous autres Français, vous êtes toujours prêts à lever la main pour voter des motions révolutionnaires, mais jamais à l'abaisser jusqu'à vos poches pour payer des cotisations. » Les tendances révolutionnaires finissent par l'emporter, mais de nouveaux conflits s'élèvent entre les mutualités de l'école de Proudhon et les collectivistes de l'école de Marx. Enfin, les Marxistes vainqueurs se retournent contre Bakounine et les anarchistes, et leur font une guerre sans merci, qui provoque, en 1872, la scission du congrès de La Haye. Dans ce dernier conflit, les socialistes belges se refusèrent à prendre parti entre les deux fractions • antagonistes. Leur chef, César de Paepe,, s'efforça même de concilier ces tendances, qui s'affirmaient irréductiblement contradictoires, dans- son remar- quable rapport au congrès de Bruxelles sur les Services publics dans la société future (i). En revanche, il y eut dans notre pays une lutte fort vive, bien que généralement courtoise, entre les élé" ments ouvriers, cantonnés sur le terrain de la lutte des classes, résolument acquis au collectivisme, et les rédacteurs de la Liberté, Victor Arnould, Hector Denis, G. Degreef, qui s'étaient prononcés contre les doctrines collectivistes et partageaient les théories de Proudhon sur la propriété. Fervents adeptes de la philosophie positive, ils affirmaient, en outre, que le socialisme n'est pas seulement une question d'estomac, qu'il est encore, et surtout, une question morale et qu'il doit disputer à l'Église, incarnation du conservatisme, le domaine des esprits et des cœurs. Bien qu'il représentât plus particulièrement les éléments ouvriers, César de Paepe, typographe et médecin, homme d'action à la fois et homme d'étude, servit toujours de trait d'union entre les deux groupes. Disciple de Colins, auquel il emprunta, en la développant et en la précisant, sa conception collectiviste, il combattit résolument les théories des Proudhonniens sur la propriété, mais, en revanche, il fut constamment d'accord avec eux sur le caractère intégral du socialisme. C'est incontestablement à De Paepe, qui fut, en même temps qu'un théoricien profond, le plus infati- (1) Ce rapport, en même temps que celui qu'il présenta au congrès de Bâle, De la propriété collective, a été réédité par feu Benoît Malon (librairie de la Revue socialiste, 1S91). Nous pouvions d'autant moins omettre d'en parler, que ces deux études constituent le commentaire, avant la lettre, du programme économique de notre parti. gable des vulgarisateurs, qu'il faut, en majeure partie, attribuer les tendances actuelles du socialisme en Belgique. Le programme du Parti ouvrier belge, rédigé par ses disciples, constitue une transaction, ou plutôt une synthèse des doctrines qui se livrèrent de si furieux combats dans les congrès de l'Internationale. La Belgique socialiste, au confluent des trois grandes civilisations européennes, participe aux caractères de chacune d'elles. Aux Anglais, elle a emprunté le self help, l'association libre, principalement sous la forme coopérative; aux Allemands, la tactique politique et les doctrines fondamentales, qui furent exposées, pour la première fois, dans le Manifeste du Parti communiste; aux Français, enfin, leurs tendances idéalistes, leur conception intégrale du socialisme, considéré comme le prolongement de la philosophie révolutionnaire, comme une religion nouvelle, continuant et accomplissant le Christianisme, le faisant descendre sur la terre tout irradié de la clarté des cieux. § 3. — Le Parti socialiste belge (i). Après la chute de l'Internationale, la plupart des groupes se désagrégèrent. Plusieurs rédacteurs de la Liberté se lancèrent dans la politique bourgeoise. D'autres rentrèrent dans leur cabinet de travail et il (i) Duverger, Le Parti socialiste belge. Lyon, H. Albert, 188O; et surtout L. bertrand, Le Parti ouvrier belge et son programme. Bruxelles, 1886. Nous avons emprunté, presque textuellement, à cet opuscule la plupart des renseignements contenus dans ce paragraphe. fallut tout l'effort obstiné . de quelques propagandistes pour maintenir quelques liens entre les associations qui avaient survécu. En 1874, alors que les quelques sections de l'Internationale étaient à l'agonie, quelques membres de la section bruxelloise, et parmi eux César de Paepe, Gustave Bazin, proscrit de la Commune, et notre ami Bertrand, ouvrier marbrier, aujourd'hui député de Soignies, essayèrent de réunir en fédération les chambres syndicales, associations de métiers et autres sociétés ouvrières de Bruxelles. La Chambre du travail, fédération des sociétés ouvrières bruxelloises, fut fondée le 4 janvier 1875, et parvint à rallier autour d'elle quelques sections de l'Internationale qui avaient échappé au naufrage commun. Peu de temps après, vers le milieu de l'année 1876, les Gantois, avec Yan Beveren, Anseele, qui venait d'entrer dans le mouvement, d'autres encore, reconstituèrent leur section, prirent l'initiative d'un pétition-nement en faveur de la réglementation du travail des enfants et, enfin, d'accord avec la Fédération d'Anvers et la Chambre du travail de Bruxelles, convoquèrent toutes les associations ouvrières de la Belgique, afin de jeter les bases d'une Union ouvrière belge. Le principe de l'Union fut admis par les 114 délégués des 62 associations représentées à Bruxelles et le Comité de Gand se chargea de rédiger le programme et les statuts, eu prenant pour type le programme du parti démocrate-socialiste d'Allemagne; mais cette tentative échoua parce que les délégués de plusieurs sociétés wallonnes étaient adversaires de l'action politique et que, d'autre part, les Gantois, 20 le socialisme en belgique fidèles à leurs tendances centralisatrices, se refusaient à admettre le principe de l'autonomie absolue des groupes. Aussi se bornèrent-ils à fonder le Parti ouvrier socialiste flamand, et, de leur côté, les ouvriers socialistes bruxellois se constituèrent en Parti socialiste brabançon. Enfin, grâce aux efforts du journal la Voix de l'ouvrier, œuvre d'initiative personnelle de Bertrand, et, plus tard, organe de la Chambre de travail de Bruxelles, le congrès qui se réunit dans cette ville, le 12 janvier 187g, vota à l'unanimité la constitution du parti socialiste belge. C'est à partir de ce moment que commence, d'une part, l'agitation en faveur du suffrage universel; d'autre part, le mouvement coopératif, que l'on peut dater de 1880 : fondation du Vooruit. Néanmoins il restait, à côté du Parti socialiste proprement dit, un certain nombre de sociétés ouvrières, aux tendances plus modérées, et n'osant pas se déclarer ouvertement socialistes. Il existait aussi un grand mouvement mutuelliste, mais qui se renfermait exclusivement dans son rôle d'assurance mutuelle en cas de maladie. Comment réunir toutes ces forces dispersées ? Cette question, tout le monde se l'était posée déjà, quand la Ligue ouvrière bruxelloise décida de convoquer un congrès à Bruxelles, auquel seraient invités les délégués de toutes les sociétés ouvrières sans exception : ce fut l'origine du parti ouvrier belge. § 4. — La Fondation du Parti Ouvrier. Le 5 avril i885, une centaine d'ouvriers, représentant 59 associations, se réunirent pour fonder un parti distinct des deux partis politiques anciens, dans l'estaminet du Cygne, sur la place de l'Hôtel de Ville, à Bruxelles. Il y avait là des groupes nettement socialistes : le Vooruit; la société coopérative le Werker, d'Anvers; la Fédération des ligues ouvrières et fédérations démocratiques qui venait de se former à Bruxelles. On y voyait, d'autre part, des groupes plus modérés, préoccupés surtout de la défense des intérêts corporatifs ou du développement des institutions mutuellistes : l'Union verrière de Charleroi, par exemple; l'Association générale ouvrière de Bruxelles; d'autres encore. Ces deux tendances se manifestèrent dès le début du congrès, à propos du nom que l'on donnerait au nouveau parti. Les Gantois proposèrent Parti socialiste, Volders et les Bruxellois demandaient à leurs camarades flamands de mettre un peu d'eau dans leur vin et d'accepter, dans un but de conciliation, la dénomination de Parti Ouvrier. Cette opinion finit par prévaloir, et les socialistes s'y rallièrent d'autant plus facilement que l'appellation choisie marquait nettement l'intention de créer un parti de classe. « Parti Ouvrier, écrivait plus tard DePaepe, quoi de plus large, de plus précis et de plus simple à la fois? Qu'ajouteraient les mots : socialiste, collectiviste, communiste, rationaliste, démocrate, républicain et autres épithètes limitatives? Qui dit « Parti Ouvrier », dit parti de classe. Et dès que la classe ouvrière se constitue en parti, que voulez-vous qu'elle soit autre chose, dans ses tendances et dans ses principes, que socialiste et républicaine ? » Cela est si vrai que personne ne reproche plus à la dénomination de Parti Ouvrier d'être, ce qu'elle était à l'origine, une concession opportuniste; au contraire, par un singulier retour des choses, il se trouve aujourd'hui nombre de bons bourgeois qui veulent bien se déclarer socialistes, mais qui nous reprochent d'être constitués en parti de classe. Rien ne les empêcherait cependant d'être des nôtres, car personne ne songe plus aujourd'hui à prétendre, que le Parti Ouvrier doive se composer exclusivement de travailleurs manuels. Le jour même de sa fondation, le 5 avril i885, une proposition qui tendait à écarter les travailleurs intellectuels fut repoussée à une forte majorité et n'a plus jamais été renouvelée depuis lors. Ainsi que l'a si bien dit Jules Guesde : « Amputez le parti ouvrier de ses éléments plus particulièrement cérébraux; réduisez-le aux seuls ouvriers de la main, et il ne sera plus capable que d'émeutes qui, même victorieuses, n'en seront pas moins stériles ». CHAPITRE II L'organisation du parti. § I. — Les Fédérations régionales. Le Parti ouvrier belge se compose actuellement de vingt six fédérations régionales, qui étaient représentées à son dernier Congrès, les 18 et 19 avril 1897, par 489 groupes avec 596 délégués (1). Les principales de ces fédérations ont leur centre à Bruxelles, Gand, Liège, Verviers, Louvain, Mons, Anvers, Charleroi et à Jolimont,un petit hameau situé dans le Centre, au cœur de l'immense agglomération industrielle qui s'étend sur la moitié de la province du Hainaut. D'autres fédérations plus récentes, comme celles de Dinant, de Namur ou de Huy, ont déjà quelques avant-postes dans la région agricole du pays. Partout, sauf quelques dissidences locales et insignifiantes, le Parti Ouvrier constitue la seule organisation socialiste. Partout aussi la structure des fédérations régionales présente des caractères à peu près (1) Parti ouvrier belge. Compte-rendu du XIIIe Congrès annuel, tenu à la salle des fêtes du Vooruit, à Gand, les 18 et 19 avril 1897. Bruxelles, Brimée, 1897. identiques : autour d'une société coopérative de consommation, se groupent des sociétés de secours mutuel, des chambres syndicales et des cercles politiques. L'ensemble de cette organisation fédérative est dirigé par un Conseil général, dont le bureau est élu par le congrès annuel du Parti. Ce bureau se compose de neuf membres, choisis parmi les membres du Parti habitant la ville où siège leConseil(Bruxelles). L'assemblée plénièredu Conseil comprend, en outre, deux autres catégories de membres : i° Un délégué par fédération régionale; 2° Un délégué par fédération corporative. Car, indépendamment des liens qui existent entre les fédérations régionales, il y a des liens secondaires entre les syndicats professionnels qui existent dans chaque fédération : peintres, cigariers, travailleurs du bois, métallurgistes, etc. Étant donné le caractère fédératifdu Parti et l'autonomie des Fédérations, le Conseil général ne dispose pas, et ne doit pas disposer de ressources considérables pour couvrir les frais de correspondance et de propagande; il reçoit annuellement, de chaque société affiliée, une cotisation de io centimes par membre, et une part de l'indemnité parlementaire des 29 députés socialistes. Inutile de dire que cette somme ne représente qu'une infime partie des dépenses de propagande. Chacune des grandes coopératives dépense, pour cet objet, plusieurs milliers de francs par an et la presse socialiste possède un budget spécial et une administration distincte. § 2. — Les Mutualités. Le dernier rapport sur la situation des sociétés de secours mutuels en Belgique, au 3i décembre 1890, constate l'existence de 36g mutualités, avec un effectif de 54.347 membres. Mais ces chiffres sont très inférieurs à la réalité, parce que le rapport ne compte que les sociétés légalement reconnues et se borne à mentionner 65 sociétés non reconnues, qui ont envoyé leurs comptes au gouvernement. A côté de ces dernières, il en est encore un très grand nombre qui s'abstiennent de toutes relations avec le ministère de l'intérieur. C'est le cas, par exemple, pour toutes les mutualités affiliées au Parti Ouvrier. Ces mutualités, au surplus, sont relativement peu nombreuses, et cela parce que le mouvement mutuel-liste a été, presque partout, antérieur à la constitution du Parti Ouvrier. Lors de la fondation de celui-ci, la plupart de ceux qui s'y affilièrent faisaient partie depuis longtemps de sociétés de secours mutuels sans caractère politique. Leur démission aurait entraîné la perte des droits qu'ils avaient acquis dans l'encaisse de ces sociétés. C'est pour cette raison qu'il y a beaucoup de socialistes dans les mutualités, mais assez peu de mutualités parmi les groupes socialistes. A cette règle générale, il y a cependant de très notables exceptions que l'on peut classer en trois catégories : 1. Dans certaines localités, où la pression patronale est très forte, la mutualité sert de manteau à la résistance. 2. Dans le Centre (Hainaut), et depuis quelque 2 temps, dans le bassin de Charleroi, ce sont les mutualités socialistes qui constituent l'épine dorsale de l'organisation ouvrière. 3. A Gand, un grand nombre des anciennes mutualités ont été absorbées par la Fédération socialiste, et à Bruxelles la coopérative « Maison du Peuple » a créé, depuis l'an dernier, une caisse d'assurance mutuelle parmi ses membres. A. Un exemple typique du premier cas, — il n'y a plus aujourd'hui d'inconvénient à le citer, — c'est la Société des Quatre Couronnés de Quenast, en Bra-bant. Composée exclusivement de carriers, cette mutualité a joué un rôle important dans les deux grèves qui se sont produites en 1888-1889. Bien que n'ayant pas de caractère politique apparent, elle est affiliée au Parti Ouvrier. Aussi décida-t-on de recourir à tous les moyens pour la détruire. Dans le courant de l'année 1893, la plupart de ses membres furent appelés, tour à tour, dans les bureaux de la société qui les emploie, et invités, sous menace de renvoi, à signer une demande en liquidation et en partage de l'avoir social. L'encaisse, — 7,000 à 8,000 francs, — devait, dans la pensée de ceux qui prenaient cette initiative, être versée à la Caisse de secours de la société de Quenast. La plupart des ouvriers se résignèrent et donnèrent mandat, à quatre de leurs camarades, d'introduire l'action en liquidation. Seulement, la majorité d'entre eux signa, dès le lendemain, une protestation contre l'abus d'autorité dont ils étaient victimes. Assigné devant le tribunal de Nivelles, le conseil d'administration des Quatre Couronnés, ne pouvant communiquer à ses adversaires l'acte de protestation, qui aurait entraîné le renvoi de ceux qui l'avaient signé, se borna à plaider qu'il fallait mettre en cause les huit cent membres de la Société. Le tribunal se prononça dans ce sens, et devant la quasi-impossibilité matérielle de lancer un tel nombre d'assignations, les choses en sont restées là. B. Dans d'autres parties du pays, et spécialement dans le Centre, les chefs d'industrie n'ont pas, et ne veulent pas avoir recours à des moyens d'intimidation. Seulement, pour faire pièce aux mutualités socialistes, ils ont créé des caisses de secours, que les ouvriers administrent eux-mêmes. Dans cette lutte pacifique entre les mutualités patronales et les mutualités affiliées à la Fédération du Centre, ces dernières prennent de plus en plus l'avantage. La Solidarité de Fayt, dernière survivante de l'Internationale dans le Hainaut, a été fondée en 1869. Depuis cette époque, le nombre de ses membres a régulièrement augmenté tous les ans, et atteignait, au 3i décembre 1896, le chiffre de 535. C'est la Solidarité de Fayt qui donna naissance, en 1871, à toute une série de groupes corporatifs. Ces groupes s'entendirent pour acheter, au hameau de Joli-mont, un terrain surlequelils établirent un magasin coopératif. Après des phases diverses, ce magasin périclita, mais on conserva le terrain et la maison, qui furent apportés plus tard à la coopérative le Progrès, de Jolimont. En 1886, quand le mouvement socialiste reprit son essor, la Solidarité de Fayt s'entendit avec la Mutualité de la Hestre (fondée en novembre 1886) pour créer des sections dans tous les villages d'alentour. Le tableau ci-après, nous renseigne sur les progrès accomplis par la mutualité socialiste dans le Centre : Nombre des Montant du membres capital Francs. 186 9...... 52i 1.026.73 187 0...... 602 1.I03.34 1875...... 2.O49 5.004.43 1880...... 2.565 3.331.48 i885...... 3.077 I3.II3.32 1889...... 3.416 10.940.S0 1893...... 4-47° 24.016.00 189 5...... 7.738 45.52S.76 189 6...... 9-761 57.836.04 189 7...... 9-974 77.546.03 Au 3i décembre 1896, la Fédération mutuelliste du Centre comptait 54 groupes; elle avait distribué dans l'année 100.835 francs, sous forme d'indemnités aux membres malades, blessés, invalides, ou enlevés à leurs familles par la loi de milice; et, si le tableau qui précède, n'indique pas une forte augmentation des effectifs numériques de 1896 à 1897, c'est parce que quatre de ses groupes avaient été incorporés dans la nouvelle Fédération mutuelliste du bassin de Charleroi. La Fédération des sociétés de secours mutuellistes du bassin de Charleroi a été fondée, le 7 juillet 1895, par sept sociétés mutuellistes ; au 3i décembre 1896, grâce aux infatigables efforts de notre ami Léonard, député de Charleroi, elle se composait de 33 sociétés fédérées, avec 5.666 membres payant leurs cotisations. Aujourd'hui, elle a des sections dans toutes les communes de l'arrondissement de Charleroi, sauf dans trois petits villages de la partie rurale. C. A Gand, c'est par une lente infiltration des idées socialistes dans les vieilles société de secours mutuels que l'on est parvenu à constituer une vaste organisation mutuelliste affiliée au Parti Ouvrier. _ En 1886, quand on estima que la poire était mûre, la caisse des malades, dite Fédération Moyson, — du nom de l'un des initiateurs du socialisme en Flandre, — fit appel aux sociétés de secours mutuels de Gand pour former une fédération. i Celle-ci devait avoir pour but la fourniture des médicaments et l'organisation d'un service médical. Vingt groupes donnèrent leur adhésion, et la fédération fut instituée le 24 janvier 1887. Elle comptait environ 4,600 membres. Peu à peu, des relations plus intimes s'établirent entre ceux-ci et, le 2 mars 1890, tous les groupes se fusionnèrent en une seule mutualité de 10,000 membres (hommes et femmes). Enfin, au mois de mai 1890, toutes les sociétés mu-tuellistes affiliées au Parti Ouvrier se sont constituées en fédération. Cette fédération comprend, outre les mutualités proprement dites, les services médicaux et pharmaceutiques qui sont annexés à toutes les grandes coopératives socialistes. A l'heure actuelle, elle compte plus de 16,000 membres (hommes, femmes et enfants). Moyennant une cotisation hebdomadaire de o fr. 32, on a droit aux secours médicaux et pharmaceutiques; à une indemnité de i5 francs par semaine pendant six mois, et de 7 fr. 5o, si la maladie se prolonge au-delà de six mois; en cas de mort, la famille du membre défunt reçoit un secours de 5o francs; en cas d'invalidité par suite de maladie, le membre frappé d'incapacité de travail a droit à une indemnité de 0 fr. 5o par jour. Les femmes et les enfants peuvent 11e payer qu'une 30 le socialisme en belgique cotisation de o fr. o5 par semaine, qui leur assure la gratuité des secours médicaux et pharmaceutiques (i). Au 3i juillet 1887, le capital du Bond Moyson s'élevait à 98,256 fr. 63, se décomposant comme suit : Fonds des malades......32.i52 fr. 14 Secours en cas de décès.....I4-742 fr- 33 Secours médicaux et pharmaceutiques......................8.864 fr- 97 Fonds d'invalidité.......42.767 fr. 19 Depuis lors, les socialistes gantois ont fondé une œuvre nouvelle qui, malgré ses affinités avec les institutions que nous venons de décrire, se rattache directement à la société coopérative Vooruit. A partir de cette année, une pension sera accordée, à titre gratuit, à tous les membres de la coopérative qui ont atteint l'âge de soixante ans, appartiennent depuis vingt ans à la société, se fournissent de pain à la boulangerie pendant ce laps de temps, et achètent par an, dans les magasins du Vooruit, pour 200 francs au moins, de souliers, d'étoffes, de vêtements ou de denrées alimentaires. La pension sera de i56 francs par an. Elle sera augmentée de 3 francs pour chaque (1) Pendant le semestre de février à juillet 1897, les recettes et les dépenses se sont réparties de la manière suivante : Recettes Dépenses Fonds des malades. . . Secours en cas de décés. . Secoursmédicaux, pharmaceutiques...... Fonds d'invalidité. . . . 56.473 fr. 21 52.414fr.49 9.271 fr. 47 5.985 fr. 86 26.042 fr. 84 28.965 fr. 30 3.800 fr. 05 1.436 k. «83 année d'affiliation au Vooruit, dépassant les vingt années réglementaires. De plus, le pensionné aura droit à une autre augmentation annuelle de i franc pour chaque centaine de francs d'achat, dépassant les 4,000 francs de marchandises, qu'il doit acquérir en vingt ans pour être admis à la pension. Cette union intime de la mutualité et de la coopération, enchevêtrant leurs branches pour les consolider, devient, d'ailleurs de plus en plus, l'une des caractéristiques de l'organisation ouvrière en Belgique. Ce n'est plus la corporation comme jadis, mais la Fédération,qui prend son homme tout entier et s'efforce de subvenir à tous ses besoins. Les mutualités du Centre et du bassin de Charleroi ont pris pour banques de dépôt les coopératives socialistes, et, de plus, elles engagent une partie de leurs fonds dans les coopératives naissantes. A Bruxelles, depuis le icr janvier 1897, la coopéra-rative « Maison du Peuple » assure à tous ses membres les soins médico-pharmaceutiques, moyennant une cotisation de o fr. o5 par tète et par semaine. De plus, tous les coopérateurs, membres delà société depuis un an, ont droit, eu cas de maladie, au pain gratuit. Enfin., c'est parmi les membres de la coopérative que s'est constituée, le 27 décembre 1896, l'assurance mutuelle de la Maison du Peuple. Cette mutualité compte, dès à présent, — bien que la plupart des socialistes bruxellois fassent partie, depuis de longues annés, de mutualités neutres, — i,i5o affiliés; l'encaisse au 3o juin s'élevait à 6,o3i francs. Les coopérateurs peuvent adhérer à l'assurance mutuelle aux conditions suivantes : en payant 1 franc par mois ils ont droit à une indemnité de 2 francs par jour (sauf le dimanche) pendant un an; en payant 1 fr. 5o, l'indemnité est de 2 fr. 75 ; pour 2 francs par mois, on reçoit 3 fr. 5o par jour. Nous avons déjà dit, qu'en une bonne quantité de coopératives, les membres de l'assurance ont droit aux secours médicaux et pharmaceutiques. Si les mutualités socialistes peuvent accorder des conditions aussi favorables à leurs membres, elles le doivent en grande partie à des institutions fort originales, — dont nous ne connaissons pas d'équivalents à l'étranger, — les pharmacies populaires, exploitées par des sociétés coopératives. Dans presque toutes les grandes villes, et spécialement à Gand, Anvers et Bruxelles, les mutualistes, soucieux de n'avoir plus à payer des « comptes d'apothicaire », ont fondé des pharmacies coopératives, exploitées, à leur compte, par un gérant pourvu du diplôme de pharmacien. Un grand nombre de ces pharmacies, qui sont extrêmement prospères, se rattachent au Parti Ouvrier : le Vooruit en compte quatre; le Progrès de Jolimont, deux. Il est inutile d'ajouter que ces institutions qui, tout en vendant des médicaments à prix très réduits, réalisent encore de gros bénéfices, sont vues de fort mauvais œil par les pharmaciens établis pour leur compte. Aussi mènent-ils, en ce moment, une vigoureuse campagne pour amener la suppression des pharmacies coopératives, ou tout au moins l'interdiction pour celles-ci de vendre à d'autres qu'à leurs membres. Néanmoins, il ne semble pas que leurs efforts aient quelque chance de succès : le Gouvernement vient en effet de déposer un projet de loi, complétant la loi de 1894 sur les sociétés de secours mutuels, qui leur reconnaît formellement le droit de prendre des parts dans les pharmacies coopératives. § 3. — Les Syndicats. On pourra trouver, dans notre Enquête sur les associations professionnelles d'artisans et d'ouvriers en Belgique, (i) un exposé complet du mouvement syndical dans notre pays, jusqu'en 1892. A cette époque, le nombre des syndiqués, dans l'industrie manufacturière, était de 17,000 environ. En y joignant les sociétés de résistance de l'industrie extrac-tive (mines, carrières, etc.), nous arrivions à un total de 60 à 70,000 hommes, soit un peu plus du dixième de la population ouvrière mâle. Cette situation, depuis tantôt deux ans, a subi des modifications assez profondes. Les Unions des mineurs qui ont toujours été fort instables et qui, pendant la période de grèves qui s'étend entre 1886 et 1894, étaient anormalement nombreuses, ont passé par une série de flux et de reflux et, finalement, se trouvent réduites à quelques milliers de membres. Les mineurs, en général, semblent se tour-nerplutôt vers lescoopératives, quileurfournissentdu pain et des secours en cas de grève, et vers les mutualités socialistesqui, dans la région charbonnière, constituent de véritables associations professionnelles. En revanche, dans les villes manufacturières, les syndicats ouvriers, et spécialement les syndicats socialistes ont fait des progrès considérables, depuis la la reprise des affaires et les grèves qui ont éclaté, en 1896 et 1897, dans la métallurgie, l'industrie du bois, et les établissements textiles de Verviers et de Gand. ; (1) Emile Vandervei.de, Enquête sur les associations professionnelles cL'artisans et d'ouvriers en Belgique. Bruxelles, Office de Publicité, 1892. Les dix-neuf syndicats, groupés au tour du Vooruit, ont un effectif de 9,895 membres (i). Ce sont : les liniers (1,969 m.); fileurs de coton (i,652 m.); tisserands (1,878 m.); blanchisseurs (360 m.); maçons (658 m.); marbriers (60 m.) ; peintres (120 m.); plombiers (5o 111.); travailleurs du bois (490 m.); charrons (3om.); métallurgistes (1,430 m.); cigariers (190 m.); boulangers (58 m.); couturières (76 m.); cordonniers (ioo m.); dokwerkers (480 m.); services des boues (5o ni.); cochers (90m.); divers (154) m.). A Bruxelles, il ne reste plus que quatre syndicats, ayant quelque importance, en dehors de l'organisation du Parti Ouvrier. Ce sont les typographes, les chapeliers à la main, les bijoutiers-orfèvres et les gantiers. Quant aux syndicats de la fédération bruxelloise, qui étaient, en 1892, au nombre de 33, avec un peu plus de 3,ooo membres, ils sont actuellement 67, avec 7,o5o membres environ; encore faut-il noter que ce dernier chiffre, qui nous a été fourni par le secrétaire permanent de la fédération, est au-dessous de la réalité : la plupart des syndicats affiliés ne renseignent, au point de vue de la cotisation fédérale, que leurs effectifs par centaines, ou cinquantaines de membres, en négligeant les unités : les doreurs, par exemple, qui sont 175, ne paient que pour i5o. Parmi les associations professionnelles récemment fondées à Bruxelles, il faut, tout particulièrement, citer des syndicats de femmes : cartouchières (177 membres); tapissières (29); fleuristes ^35) ; ouvrières en matières premières pour chapellerie (3oo). (1) Les syndicats anti-socialistes sont au nombre de 17, avec 2,877 m- et il y a en outre 5 syndicats « libéraux » avec 1646 m. et quatre syndicats indépendants avec 641 m. Quant aux autres syndicats socialistes de l'agglomération Bruxelloise, les plus importants sont : les mécaniciens (700 membres) ; les tourneurs-raboteurs (3oo); les mouleurs (280); les lithographes (i3o); les cigariers (110); les menuisiers-charpentiers (5oo); la "fédération du bronze (325); les doreurs (i5o); les boulangers (230), parmi lesquels, tout d'abord, les 110 ouvriers et porteurs de pain de la Maison du Peuple. Ajoutons que la non-affiliation des quatre syndicats « libres » n'implique nullement qu'il y ait antagonisme entre eux et le Parti Ouvrier. La plupart de leurs membres sont socialistes, mais, pour éviter que la minorité ne démissionne, la majorité ne réclame pas l'affiliation. Dans les villes de province, les syndicats professionnels sont généralement faibles, numériquement. Il faut citer, cependant, à titre d'exception, l'association des cigariers d'Anvers, et la nouvelle Union verrière qui, tout en étant socialiste, n'est pas encore affiliée au Parti Ouvrier. Celui-ci réunit en somme, autour de ses drapeaux, l'immense majorité des travailleurs organisés. Les « corporations chrétiennes », qu'on lui oppose, n'existent généralement que sur le papier, ou bien se composent d'ouvriers qui en font partie pour n'être pas congédiés parleurs patrons. Ce sont des associations de résistance contre le socialisme, et non contre le capitalisme. Elles n'ont, d'ailleurs, aucune influence, tandis que les syndicats du Parti Ouvrier, bien que leurs effectifs soient assez restreints, contiennent l'élite de la population ouvrière et dirigent en réalité la grande masse de travailleurs qui ne sont pas encore organisés. Mais, à quelques exceptions près, les syndicats doivent, en cas de conflit, compter beaucoup moins sur eux-mêmes, sur leur encaisse généralement insuffisante, que sur les secours qui leur viennent du dehors, et sur les subsides que leur apportent les coopératives, ces arsenaux et forteresses du Parti. § 4. — Les Coopératives. Le mouvement coopératif n'a commencé à prendre del'extension dans notre pays que depuis une quinzaine d'années, à partir du moment où les fondateurs des Pharmacies coopératives de Bruxelles et de la boulangerie socialiste Vooruit créèrent des formes-d'associations nouvelles, originales, merveilleusement adaptées aux besoins et aux tendances de la classe ouvrière belge. Au ier janvier 1878, il n'y avait en tout et pour tout que treize sociétés coopératives légalement reconnues, parmi lesquelles six banques populaires. Au cours des deux années suivantes, le Moniteur ne mentionne que huit sociétés nouvelles ; mais, à partir de 1880, — date de fondation du Vooruit, — la coopération socialiste a fait de rapides progrès. Aujourd'hui, dans tous les centres industriels où le Parti Ouvrier a pris quelque importance, c'est une boulangerie socialiste, constituée sur le modèle du Vooruit, qui sert de base à l'ensemble de l'organisation ouvrière. Nous résumons dans le tableau suivant quelques données succinctes sur les principales d'entre elles (1) : (1) Chiffres approximatifs, car le nombre des membres, clans les grandes coopératives, augmente de semaine en semaine; tousnos chiffres sont donc inférieurs à l'effectif réel. institutions économ. : l'organisation du parti 87 Date Effectif Effectif Effectif Nom Siège de en en en de la Société. social, fondation 1889. 1891. 1897. Vooruit..... Gand. 1880 3,000 5.500 6,000 Vrije bakkers. Anvers. 1800 1,55° 4,080 10,000 Maison du Peuple Bruxelles 1884 3.500 9,000 15,000 Progrès .... Jolimont. 18S6 3,300 7,000 11,000 Prolétaires. . . Louvain. 1886 350 1,200 2,500 La Populaire. . Liège. 1887 720 i,45o 3,000 Ruche ouvrière. . Verviers. 1888 45o 1,600 2,000 Totaux. . . » » 12,870 29,830 49,500 A côté de ces grandes sociétés, au centre des fédérations ouvrières les plus importantes, il en existe un grand nombre d'autres, qui viennent d'être fondées, sur le même modèle, par les fédérations d'origine plus récente. Il ne se passe guère de mois, ou l'on n'inaugure une Maison du Peuple, siège d'une nouvelle coopérative de boulangerie. Au dernier congrès du Parti, 82 de ces associations étaient représentées; beaucoup d'autres l'étaient, indirectement, par les groupes politiques qui s'y rattachent. Bref, sur vingt-six fédérations régionales, il y en a dix-huit, qui possèdent une, ou plusieurs coopératives socialistes, servant de centre aux autres groupements. Dans les bassins houillers de Charleroi et du Bori-nage nous trouvons une situation spéciale, qui demande quelques explications. i° Dans le bassin de Charleroi, où l'organisation socialiste est très ancienne, les boulangeries socialistes sont de fondation récente, et commencent seulement, depuis quelques mois, à prendre un rapide développement. Ce retard dans l'évolution coopérative tient à deux causes principales : l'habitude, encore très répan- 3 duc, de cuire le pain à domicile ; et le désir de ménager le petit commerce, qui dominait dans l'ordre des Chevaliers du Travail, rallié aujourd'hui au Parti Ouvrier. Il semble d'ailleurs que l'on soit à la veille de regagner le temps perdu : deux grandes fabriques de pain, appartenant à la même société, viennent d'être installées à Roux et à Charleroi-Nord. La production augmente, de semaine en semaine, et l'on peut prévoir que, d'ici quelque temps, la coopérative de Charleroi, — située dans la région la plus populeuse et la plus socialiste du pays, — deviendra aussi importante que 'les grandes boulangeries de Bruxelles, de Gand ou de Jolimont. 2° Dans le Borinage, les coopératives socialistes sont fort nombreuses, mais l'action de chacune d'elle ne s'étend guère au-delà des limites de la commune où se trouve le siège social. L'esprit de clocher qui domine dans cette région, constitue jusqu'à présent un obstacle insurmontable à une centralisation, ou tout au moins à une fédération, nécessaire. De plus, à de rares exceptions près, et sauf quand il y a des grèves locales, les coopératives boraines ont bien plutôt le souci de distribuer des bénéfices à leurs membres, que de consacrer beaucoup d'argent à la propagande socialiste. C'est ce qui les différencie nettement des autres coopératives affiliées au Parti Ouvrier. Celles-ci présentent un certain nombre de caractères communs, dont les principaux sont : a) Les livrets-règlements rappellent aux coopéra-teurs « que la Société est avant tout un groupe politique socialiste et que, par leur inscription sur les livres de la coopérative, ils font adhésion au programme du Parti Ouvrier » ; b) Pour être admis dans une Coopérative socialiste, il suffit de remplir les trois conditions suivantes : i° Adhérer au programme du Parti Ouvrier; 2° Payer un droit d'entrée (5o centimes à Jolimont, 35 centimes à Anvers, 25 centimes partout ailleurs) ; 3° Souscrire une action. Les actions sont de io francs, sauf à Jolimont (2 francs), et à Louvain (75 centimes). La libération de ces actions s'opère au moyen de prélèvements sur les bénéfices. De telle sorte que, sans bourse délier, le plus pauvre peut devenir coopérateur. c) Les bénéfices se divisent en trois branches : i° amortissement et réserve; i° propagande socialiste; 3° participation aux bénéfices du personnel et des membres. Cette participation des membres aux bénéfices est très variable selon les régions. A Bruxelles et dans le pays wallon, on s'attache surtout à attirer la clientèle en réduisant le prix de vente. Dans le pays flamand, au contraire, 011 se préoccupe plutôt de faire de gros bénéfices, en maintenant les prix à un taux rémunérateur. Au Vooruit, on fait de la propagande intensive : le chiffre d'affaires et le nombre des branches d'exploitation augmentent plus rapidement que l'effectif numérique. A la Maison du Peuple, on fait plutôt de la propagande extensive ; le nombre des membres, attirés par le bas prix du pain, s'accroît bien plus vite qu'au Vooruit. En revanche, les autres branches ne font pas des progrès aussi rapides. Le tableau ci-après nous fournit, pour le premier semestre 1892, des chiffres qui permettent de comparer l'importance des divers services dans les principales sociétés coopératives. Importance comparée des divers services dans les coopératives socialistes (1" semestre 1892). i. — recettes brutes. MAISON DU l'EUI'LB. fr. fr. fr. fr. Eoulangerie 575,583 34 283,468 55 587,279 40 571,619 93 Pharmacie. 31,212 31 17,287 82 » 17,824 84 Estaminet.. 21,35452 6,25569 24,64603 10,55480 Charbon. .. 84,944 91 7,866 60 46,190 23 » Epicerie... . 70,919 13 46,382 51 25.459 44 » Aunage et confection 88,752 40 » 62,541 41 » Cordonnerie 50,363 63 2,719 88 » » Meubles. . . » 747 72 » » Boucherie. . » » 64,473 89 27,744 14 Com. de vin » » » 3,543 5° Totaux.. 923,130 29 364,728 77 810,854 55 631,287 21 62.35 P- c. 7;-72 P- c. 72.45 P- c. 90.54 P- c. ii. — bénéfices. Boulangerie 141,041 86 68,826 95 61,741 36 39,688 15 Pharmacie. 9,73461 6,00611 » 1,08902 Estaminet.. 88494 85158 491 14 1,74-7 63 Charbon.. . 2,565 91 255 63 621 51 » Epicerie..'. 7,86515 2,09308 22793 » Aunage. . . 11,211 01 » 1,122 62 » Cordonnerie 6,558 76 295 37 » » Meubles. » 53 37 » 25 10 j Boucherie. . » » » 130 22 ■ Com. de vin » » » » Bônéficos.ToTAi.. 178,655 19 79,967 78 64,228 91 42,480 5! Proportion dos bénéficos provc- "angodê.1" b"u: 78.51 P- c. 85.08 p. c. 96.12 p. c. 93-55 p. c. Depuis 1892, les coopératives socialistes ont adopté des modes de comptabilité différents et, par conséquent, leurs bilans ont cessé d'être comparables. Nous nous bornerons donc à quelques indications sommaires sur les principales d'entre elles : -10 La Populaire (Liège), dont les premières années d'existence avaient été difficiles, se trouve actuellement dans une situation fort prospère. Elle possède Une fabrique de pain qui alimente trois mille familles, un magasin d'épiceries, une cordonnerie, et sept locaux-succursales qui servent, en même temps, de Maison du Peuple. Ses bénéfices nets, pour le icr semestre >897, se sont élevés à 21,392 fr. 08, tandis qu'ils n'avaient été que de 5,097 fr- pour le icr semestre 1895, et de i2,58i fr. 36 pour le ier semestre 1896. 20 Le Werker (Anvers) compte environ dix mille membres, mais, — à l'encontre de ce qui se passe dans les autres villes, — son influence politique est loin d'être proportionnelle à son importance commerciale. Les bénéfices réalisés, pendant le ior semestre 1897, par la boulangerie, les magasins d'ouvrages, le magasin de charbon, les ateliers de cordonnerie et de couture, le café et la pharmacie du Werker, se sont élevés, globalement, à 157,347 fr. 3o. 3" Le Progrès (Jolimont), comptait, au 3i décembre 1896, 9,959 membres, (six mois après, leur nombre s'élevait à 11,000); la production du pain, pendant l'année, avait été de 2,281,348 pains de deux kilos, et les bénéfices s'élevaient à 114,629 fr. 04. Ses pharmacies et ses boucheries sont prospères. Cinq grandes Maisons du Peuple, à Jolimont, Morlanwelz, Houdeng, Ecaussines et La Louvière fournissent des locaux aux groupes socialistes de toute la contrée. Amortissement..............5,ooo fr. » Propagande, subsides.....12,705 44 Actions prises dans d'autres coopératives....................4, i5o » 2 1/2 0/0 au personnel..........3,012 75 Béné(icesdistribués(2cent.parpain) 95,642 14 Total. . . i2o,5io fr. 33 42 le socialisme en belgique Les camions rouges de la boulangerie s'en vont porter le paih socialiste à plusieurs lieues à la ronde, et, depuis quelques mois, on a inauguré une brasserie coopérative qui ne suffit pas aux besoins d'une clientèle qui va tous les jours grandissant. 4° La Mai-,on du Peuple de Bruxelles est actuellement, et malgré la concurrence acharnée que lui font deux sociétés capitalistes, la plus importante boulangerie du pays. Pendant le icr semestre 1897, on a produit, dans les deux fabriques qui lui appartiennent, 5,224,215 kilos de pains, soit plus de dix millions de kilos par ans; les bénéfices de la coopérative, bien que fortement réduits par la hausse des farines, se sont élevés, du icr janvier au 3o juin 1897, à 120,510 fr. 33. Ils ont été répartis de la manière suivante : On voit que, pour un seul semestre, — pendant lequel il n'y a pas eu d'élection, ou de grèves importantes, — les dépenses de propagande, socialiste 011 coopérative, s'clèvent à près de dix sept mille francs. C'estdonc une somme de trente ou quarante mille francs au minimum, que la seule coopérative de Bruxelles met, tous les ans, à la disposition du parti. Ab uno disce omnes. Chose remarquable, et qui montre bien la cohésion de ce groupement coopératif, la Maison du Peuple, à deux reprises différentes, a pu, sans voir fléchir sa production, porter le prix du pain de o fr. 22 à o fr. 25, puis de o fr. 25 à o fr. 27 (sauf la déduction de 0 fr. 02 à la fin du semestre). Les deux sociétés capitalistes concurrentes, cependant, maintenaient leurs anciens prix, et vendaient à perte, espérant entamer la coopérative socialiste. Les désertions insignifiantes furent plus que compensées par l'afflux incessant de nouveaux membres : toutes les semaines, eu effet, on enregistre un cinquantaine d'adhésions. Le tableau suivant donne, d'ailleurs, une idée saisissante de la progression du nombre des membres depuis 1889 : Années Familles Pain consommé 1889 2,500 1,260,000 k. 1890 3,5oo i,56i,5oo 1891 4,750 2,965,000 1892 7,000 4,790,000 1893 8,000 4,950,000 1894 10,000 5,25O,OOO l895 12,000 6,450,000 1896 15,ooo .7,500,000 Au 3o juin 1897, le nombre des coopérateurs, possession d'une action, était exactement de i5,m, et, en novembre 1897, par exemple, la production hebdomadaire des deux boulangeries oscillait entre 205,000 et 225,000 kilos, soit plus de dix millions de kilos par an ! Sans avoir la même importance, les autres rayons de la coopérative, — épicerie, aunage, boucherie, commerce de charbons, cabaret, — se trouvent également dans une situation excellente; aussi les anciens locaux, devenus trop étroits, seront abandonnés l'année prochaine, pour la nouvelle Maison du Peuple, véritable palais, dont on évalue le coût à un million de francs. Pour se procurer cette somme, il a fallu emprunter, en donnant hypothèque sur les deux fabriques de pain, sept cent mille francs, et le prêteur est la Caisse d'épargne et de retraite, sous la garantie de l'Etat. Une institution officielle faisant crédit au socialisme révolutionnaire, c'est là un phénomène qu'il serait fort intéressant d'expliquer plus au long; mais cela nous entraînerait bien au delà de cet exposé sommaire et nous préférons en laisser tout le mérite au gouvernement belge, qui, par l'intermédiaire de la Caisse d'épargne, donne du crédit à toutes les associations coopératives offrant de solides garanties. Dans l'espèce cependant, à la fois pour augmenter ces garanties et pour sauver les apparences, le prêt n'a pas été fait directement à la Maison du Peuple, mais à un consortium de douze personnes qui ont donné en outre leur garantie personnelle. Le même procédé a servi aux coopératives de Dinant et de Nivelles pour obtenir les capitaux dont elles avaient besoin, et il est probable que, bientôt, d'autres sociétés y auront également recours. 5° Le Vooruit de Gand compte moins de membres que le Progrès ou la Maison du Peuple, mais ses institutions, plus anciennes, sont plus complexes et plus intéressantes. Le chiffre d'affaires annuel dépasse deux millions (i,i3o,i3i fr. 73, pour le 1" semestre de 1897). Les bénéfices nets, du 3i décembre 1896 au 3i mai 1897, se sont élevés à 49,608 fr. 82 + 166,759 fr. 28, représentant la part des membres, et qui leur ont été distribués, au prorata de leur consommation, sous forme de bons de pain ou de marchandises. La ristourne par pain, qui est de o fr. 02 seulement à Bruxelles, s'élève à Gand à o fr. 09, de telle sorte que le kilo de pain de irc qualité, qui se vend o fr. 3o revient aux membres de la Société à o fr. 21. Ces bénéfices et ces avantages eussent été plus considérables encore sans la hausse des farines et l'incendie des magasins de confection, qui a fortement entravé le développement de cette branche. Pendant le 2e semestre de 1896, les recettes brutes s'étaient élevées à 1,236,171 fr. 12; les bénéfices réalisés à 349,992 fr. 3o, dont 222,628 fr. 90 distribués aux membres sous forme de bons de pain ou de marchandises. La production de pain, proportionnelle naturellement au nombre des membres, est inférieure à celle de Bruxelles : elle oscille entre 90,000 et 100,000 kilos par semaine (4,549,108 kilos en 1896). En revanche, les autres services sont beaucoup plus importants, et l'on peut dire qu'il n'y a pas un quartier de Gand où l'on ne voie flotter, les jours de fête, le drapeau rouge du Vooruit. Quatre pharmacies, six magasins d'épicerie, une vaste fabrique de pain, des ateliers pour la cordonnerie, la métallurgie, la fabrication des cigares, et, sur la célèbre place du Vendredi, les magasins et ateliers de confection, que l'on va reconstruire en les embellissant, tel est le patrimoine collectif que possèdent six mille ouvriers de fabrique, dont les salaires maxima ne dépassent pas 2 fr. 5o par jour. Leur Feestlokaal, le grand local des fêtes de la rue S- 46 le socialisme en belgique des Baguettes, se trouve dans le quartier le plus aristocratique de Gand. C'était, jadis, la propriété de la principale société bourgeoise de la ville; quand les membres de celle-ci trouvèrent qu'elle leur coûtait trop cher, les ouvriers gantois, représentés par un homme de paille, l'achetèrent par surprise, et, du coup, les loyers dans la rue des Baguettes tombèrent de cinquante pour cent. Dans les jardins où jadis paradaient les dames de la haute bourgeoisie, on voit danser, tous les dimanches, des centaines de filles de fabrique. La Marseillaise, dans les concerts, a remplacé la Brabançonne; le drapeau rouge s'est substitué au drapeau tricolore et, lors des grandes journées socialistes; les bourgeois paisibles, réfugiés derrière leurs rideaux, regardent passer les noires colonnes ouvrières, s'avançant dans la rue tranquille, comme les éclaireurs de la révolution. 6° Les autres coopératives, Anvers, Dinant, Tournay; Nisnies et Bous'su-lez-Walcourl, perdues dans les forêts de l'Entre-Sambre et Meuse; Verviers et Nivelles, avec leurs belles Maisons du Peuple; Bruges, véritable îlot socialiste en plein Moyen-Age; toutes, en un mot, présentent des particularités intéressantes, mais qui trouveront mieux leur place dans une étude séparée. Nous en avons dit assez pour mettre en lumière le rôle essentiel, prépondérant, des coopératives dans l'organisation du Parti Ouvrier. La coopération socialiste en Belgique a eu d'abord pour effet de révolutionner l'industrie du pain, en y introduisant la production sur une grande échelle, et d'en faire baisser le prix de près de moitié, non seulement pour les coopérateurs, mais aussi pour les clients des autres boulangeries. Elle a produit, en outre, des résultats considérables au point de vue politique, moral et intellectuel. Au point de vue politique, tout d'abord, il faut remarquer que, dans le Parti Ouvrier, les groupes politiques proprement dits sont relativement rares. L'assemblée générale des fédérations, de même que le congrès annuel, se compose à peu près exclusivement des délégués des groupements économiques. A l'approche des élections, il est vrai, on crée fréquemment des sections de propagande, mais celles-ci n'ont guère d'existence propre et n'ont aucune autonomie financière. Ainsi que nous l'avons déjà dit, ce sont les coopératives qui fournissent au Parti Ouvrier la majeure partie de ses ressources, sous forme de cotisations, de subsides en cas de grève, de souscriptions en faveur de la presse socialiste et des autres œuvres de propagande. C'est grâce à elles, disait un jour An-seele, que nous pouvons bombarder la société capitaliste à coups de pommes de terre et de pains de quatre livres. De plus, les militants du Parti, lorsqu'ils sont privés de travail et jetés sur le pavé, à cause de leurs opinions, trouvent un refuge assuré dans lepersonnel des coopératives. Ailleurs, les propagandistes sont obligés de se faire cabaretiers; chez nous, ils entrent au Vooruit ou à la Maison du Peuple, et, de môme qu'il y a des curés, dans chaque village, pour la diffusion des idées catholiques, de même il y a des employés des coopératives, dans chaque centre industriel, pour la propagation des principes socialistes. Ajoutons encore, au point de vue du développe- 48 le socialisme en belgique ment moral et intellectuel, que toutes les coopératives socialistes ont pour but immédiat, non seulement la création de boulangeries, mais celle de débits de bière, avec salle de fêtes, de conférences et de réunions. Tous les groupes affiliés au Parti Ouvrier y trouvent donc un local gratuit, un lieu de réunion où se concentre la vie socialiste. Dans les sociétés les plus importantes, d'autres institutions, les Sections d'art et d'enseignement, ne tardent pas à se développer, si bien que la coopérative devient non seulement un organe économique et un puissant instrument de propagande, mais encore un centre intellectuel. On a beaucoup discuté la question de savoir si le mouvement coopératif a eu pour résultat d'augmenter l'esprit de solidarité, ou bien, au contraire, de développer les sentiments égoïstes et les appétits matériels. Nous croyons qu'à cet égard, l'un des administrateurs de la Maison du Peuple était dans le vrai lorsqu'il disait : « La coopérative a du bon et du mauvais : — Du mauvais, car elle éveille des convoitises dans le petit groupe des gens qui aspirent à faire partie du personnel et à conquérir ainsi une situation quelque peu privilégiée; — Du bon, en ce qui concerne la grande masse des coopérateurs, car elle fait leur éducation économique, leur donne des habitudes de solidarité et fait pénétrer l'idée socialiste dans les milieux jusque-là réfractaires. E11 mangeant notre pain, assaisonné de brochures et de circulaires, ils avalent en même temps quelque peu de nos principes. Quant aux fidèles de nos assemblées, — 3oo ou 400, sur 9,000, il est vrai, — malgré leur très vif désir de toucher les bénéfices, ils sont toujours prêts, en temps de crise, à les sacrifier entièrement à la propagande. » On l'a bien vu dans les grandes grèves de cette année, et, l'an dernier encore, à l'approche des élections. Toutes les coopératives ont allègrement voté des milliers de francs pour en couvrir les frais. Par leurs soins, on a distribué gratuitement 2 millions de brochures (8 pages), s'adressant aux différentes catégories de travailleurs. Chacune des grandes corporations, — ouvriers du vêtement, houilleurs, carriers, ouvriers du bâtiment, industrie textile, employés, instituteurs, etc. — chacune de ces corporations a eu sa brochure spéciale, dont le tirage avait été calculé d'après le recensement professionnel de 1890. Dans certaines villes, et notamment à Bruxelles, la distribution de ces brochures a été si bien organisée, que tous les travailleurs ont eu eu main la brochure se rapportant plus spécialement à leur profession. Deux groupes de ces brochures s'adressaient aux ouvriers catholiques et aux paysans. Pour répandre ces dernières dans tous les villages, on eutrecours à un moyen assez original. Tousles dimanches, à 6 heures du matin, un peloton de vingt à vingt-cinq bicyclistes quittait Bruxelles ou d'autres villes, pour arriver dans les communes rurales à l'heure de la première messe. On distribuait aux paysans des brochures socialistes et des convocations au meeting qui devait avoir lieu à l'issue de la grande messe. A l'heure dite, le prêcheur socialiste s'installait en face de l'église, et, juché sur une chaise, exposait aux paysans le programme du Parti Ouvrier. Les résultats de cette propagande, — interrompue parfois à coups de bâton, — ont néanmoins été très satisfaisants. Tel village où, l'an dernier, on rossait les propagandistes, compte maintenant un groupe affilié au Parti Ouvrier. Dans toutes les communes des environs de Bruxelles, on a constaté, aux élections dernières, l'existence d'un noyau socialiste, et, dans les campagnes qui avoisinent la région industrielle, beaucoup de villages, travaillés par les infiltrations ouvrières, nous ont donné la majorité. Aussi peut-on songer dès à présent à créer des institutions économiques à la campagne. Des relations se nouent entre les coopératives et les cultivateurs, en quête de débouchés pour leurs pommes de terre, leurs œufs, leur beurre et autres denrées. La Maison du Peuple de Bruxelles vient d'acquérir un vaste terrain, dans le petit village d'Herfelingen, pour y installer une laiterie modèle. Un grand nombre de fermiers ont pris l'engagement d'y apporter leur lait, pour être vendu aux coopérateurs de Bruxelles, ou être transformé en beurre. Plusieurs d'entre eux font partie du Conseil d'administration de la coopérative, que l'on a baptisée : « Le bon beurre », et qui fonctionne depuis le icr janvier 1898. Cette coopérative d'Herfelingen constitue, jusqu'à présent, le seul groupement de cultivateurs qui soit nettement socialiste; mais, si cette première expérience réussit, chaque Fédération aura bientôt ses « vaches rouges », et nous aurons ainsi, dans les campagnes, un certain nombre d'« hommes libres », installés à demeure, et qui seront des intermédiaires précieux entre les ouvriers et les paysans. En résumé donc, ce sont les multiples applications du principe coopératif qui donnent au Parti Ouvrier belge sa physionomie propre, ses caractères originaux. Les mutualités, les syndicats, les groupes politiques, qui se rattachent à nos grandes coopératives de consommation, n'en sont pour ainsi dire que des accessoires, des dépendances, — les chaloupes d'un transatlantique, les torpilleurs qui accompagnent un cuirassé. Aussi est-ce contre le Vooruit, la Maison du peuple et les autres coopératives socialistes, que nos adversaires dirigent leurs plus énergiques efforts. On a d'abord ameuté contre elles les gens du petit commerce; on leur oppose aujourd'hui des coopératives rivales ou de grandes sociétés capitalistes, constituées tout exprès pour les écraser; depuis tantôt deux ans, on dirige contre Anseele et ses imitateurs une abominable campagne de calomnies; d'aucuns proposent maintenant, pour paralyser leur action politique, de modifier la loi sur les sociétés commerciales, de leur interdire les dépenses de propagande, la vente à d'autres que les associés. Mais il est trop tard. La révolution coopérative est trop avancée, pour qu'il soit possible d'enrayer, par des obstacles artificiels, le prodigieux développement de l'organisation ouvrière. On n'a pas su écraser les chétives sociétés de 1857; comment vien-drait-on à bout de cet État dans l'État, de ce Parti ouvrier belge, qui dispose aujourd'hui de cinq cent mille suffrages, qui a couvert le pays de ses Maisons du Peuple, et qui dispose d'un trésor de guerre beaucoup plus considérable que les autres partis? C'est pourquoi le gouvernement hésite, tergiverse, temporise ; retire d'une main ce qu'il donne de l'autre ; accorde du crédit à la Maison du Peuple et suscite des procès au Vooruit ; promet aux petits commerçants des satisfactions illusoires ; fournit aux sociétés coopératives des avantages effectifs; et, pendant que les classes dirigeantes reconnaissent, de plus en plus, leur impuissance à diriger la transformation so- ciale qui s'opère sous leurs yeux, le Parti Ouvrier poursuit sa marche en avant, développe incessamment son infrastructure, et, sur le rocher de son organisation économique, s'apprête à fonder la puissance politique du prolétariat. L'EFFORT POLITIQUE Observations générales. Voici quelques notes sur l'histoire politique du parti socialiste beige. Elles nous ont paru indispensables dans un travail comme celui-ci; mais au moment d'en dérouler la série tumultueuse, nous tenons à les faire précéder de quelques considérations générales. Pour la majorité de ceux qui suivent les luttes politiques, celles-ci apparaissent comme l'objectif essentiel d'un parti. Il leur semble que tout doive leur être subordonné et que rien n'est comparable à un triomphe électoral. Les mille combinaisons qui décident des scrutins, les programmes, les alliances, les ménagements, les ruses, les compromissions, tout cela leur parait du plus vif intérêt. Les esprits à courte-vue finissent même par croire très sincèrement que l'évolution des idées, des institutions et des mœurs d'une nation est sans importance propre et qu'elle se détermine, à certains jours, par les opé- rations d'arithmétique fatidique qui constatent les majorités et aboutissent à la conquête, par quelques hommes, des pouvoirs publics. Cette conception n'est point la nôtre, nous nous hâtons de le dire. Et nous tenons d'autant plus à le dire que dans certains milieux socialistes d'Europe, elle est encore solidement accréditée et appelle d'acerbes critiques. Les libertaires ont raison lorsqu'ils la battent en brèche et en montrent les dangers. Mais ils s'attachent généralement à ses aspects superficiels et aux plus minimes de ses conséquences, et négligent complètement sa principale déduction logique : c'est-à-dire que la conquête du Pouvoir ne sera qu'un épisode de la Révolution sociale. C'est surtout pour cette raison qu'il convient, selon nous, de n'attacher à la lutte politique qu'une importance relative : à elle seule, même couronnée des plus éclatantes victoires, elle ne nous donne pas la solution du problème social. Trop de cerveaux simplistes sont encore imbus de l'idée qu'avec de bonnes lois et un certain nombre de gendarmes, on peut réformer le monde. De là, pour les tempéraments pacifiques, à considérer l'action parlementaire comme décisive, ou pour les natures exaltées, à chercher à conquérir le gouvernement par un coup de force, il n'y a qu'un pas. Ce sont les deux faces d'une même manière de voir dont quelques réflexions démontrent vite l'erreur. La puissance législative est singulièrement limitée. Dans les pays modernes, surtout dans ceux où une presse libre forme quotidiennement une mouvante opinion publique, il n'est plus vrai de dire que l'on peut tout faire avec des bayonnettes, sauf s'asseoir dessus. Non seulement il est malaisé de les prendre pour siège, mais il est dangereux de s'en servir pour mener la foule dans des directions qui lui sont antipathiques. Avec une majorité docile, des fonctionnaires, des juges et des soldats, on peut encore essayer beaucoup de choses contre l'intérêt public ; mais il est néanmoins des bornes au-delà desquelles les plus téméraires des autoritaires n'osent pas se risquer. Il y a toujours une zone de tentatives dangereuses où, quelque invraisemblable que cela puisse paraître, la docilité de la majorité, des fonctionnaires, des juges ou des soldats n'est plus assurée. A défaut de résitance ouverte, le pouvoir se bute à l'inertie, au blâme silencieux, déguisé sous les formules polies, les échappatoires, les mille excuses que l'on a pour différer, paralyser, anéantir ce qu'on ne veut pas faire. En réalité, un Parlement ne fait qu'enregistrer, sauf dans les questions de détail, les notions qui s'ajoutent successivement à la pensée collective d'un peuple. Il suit, lentement souvent, l'opinion dominante du pays, non pas telle qu'elle est exprimée en des scrutins qui parfois la travestissent, mais telle qu'elle existe réellement dans les âmes contemporaines. Il est presque sans exemple qu'une réforme législative ait devancé et déterminé l'opinion qui la justifiait. De plus, la nature même des questions à résoudre aujourd'hui circonscrit encore la puissance politique. Elle peut agir sans doute sur les phénomènes économiques, mais son action ne peut être efficace que si elle est prolongée et scientifiquement mesurée à la complexité des faits de cet ordre. Il en résulte donc que, sauf certains cas spéciaux, une manifestation violente, une émeute, un coup d'état sont impuissants à réaliser soudainement la Révolution. On peut, avec quelques barricades et des coups de fusil, faire passer un pays de l'état de royauté à celui de république, et cela au milieu de l'indifférence quasi unanime des gouvernés; mais il en est autrement quand il s'agit de la production et de la répartition des richesses. Alors, pour que la refonte sociale puisse s'effectuer et persister, il faut que la révolution soit préalablement opérée dans les cerveaux et que la transformation politique ne soit que la constatation, la consécration de celle-ci. C'est donc sur les intelligences qu'il faut agir, en vue des rénovations futures. Celles-ci modifiées, la modification des institutions suivra; celle des mœurs terminera, parachevant l'œuvre. Or, les agitations politiques, avec leurs fièvres, leur bruit, les courants généraux qu'elles déterminent, leurs répercussions lointaines sont une occasion excellente pour cette propagande. Et l'erreur des socialistes antiparlementaires est de ne pas vouloir admettre cette incontestable vérité. Il n'y a point d'heures plus propices, pour parler aux foules, que celles qui, aux époques des scrutins, les font se tasser attentives dans les auditoires; il n'est point de plus retentissante tribune, dont l'écho se multiplie infiniment et jusque chez les adversaires, que la tribune nationale. C'est l'opinion qui dicte les lois, nous l'avons reconnu; mais aussi les législateurs peuvent lancer à l'opinion les idées qu'elle adoptera demain. Il se forme ainsi un jeu d'actions et de réactions réciproques. De telle sorte que l'influence d'une minorité résolue et bruyante, l'action d'un gouvernement décidé et sachant bien ce qu'il veut, peut être considérable. Sans avoir jamais la faculté de résoudre brusquement les problèmes du temps présent, des hommes énergiques peuvent ainsi faciliter singulièrement les réalisations prochaines. Cette compréhension est, pensons-nous, une caractéristique du parti socialiste belge. Il s'est organisé en parti politique parce qu'il a apprécié qu'il pourrait ainsi agir d'une façon constante et profonde sur la pensée nationale; mais à la différence des autres partis, il s'est bien gardé de se laisser envahir par le souci des résultats, de se laisser dominer par la recherche des mandats ou des majorités, de s'embourber dans les mille tripolages compliqués où évoluent les politiciens. Il a souvent lutté sans espoir; et plusieurs de ses plus beaux succès sont des défaites électorales. Patiemment, infatigablement il a continué sa propagande, développé l'effort quotidien de ses institutions économiques, et si son ascension politique a été si brillante et si rapide, c'est peut-être surtout parce qu'il a dédaigné d'en faire le but exclusif de son activité. CHAPITRE I L'année 1886 (i). Il y avait huit jours, — huit longs jours dépassionnées discussions, — qu'avait eu lieu à Liège une émeute en miniature. Quelques vitres cassées avaient impressionné jusqu'à l'épouvante notre bourgeoisie, dédaigneuse des questions ouvrières et confiante dans la placidité de notre tempérament national. Depuis longtemps, on lui avait prédit que son égoïsme et son indifférence pourraient lui valoir un terrible châtiment; mais les prophètes de malheur sont voix clamant dans la solitude et l'on avait préféré nier le mal que chercher les moyens de l'atténuer. Et tout à coup le succès prodigieux, énorme, incompréhensible presque, d'un pamphlet révolutionnaire (2), l'importance croissante et imprévue d'un parti ouvrier, hier inexistant, l'émotion causée par les désordres de Liège, tout cela avait passé en quelques semaines sur notre pays toujours si calme, comme 1111 tourbillon, comme un de ces coups de vent furieux qui annoncent l'orage. (1) I.. Bertrand, La Belgique en 1SS6. 2 vol. à o fr. 25 édites au journal le Peuple, en 1887. (2) Alfred De Fuisseaux, Le Catéchisme du peuple. Bruxelles, Maheu, 1886. Épuisé. A Charleroi, en deux jours, la question changea de face entièrement et apparut bien autrement grave. Huit jours donc s'étaient passés depuis les événements de Liège et le calme renaissait peu à peu quand le jeudi 25 mars, on apprit que les ouvriers d'un charbonnage de Fleurus venaient de se mettre en grève, réclamant une augmentation de salaire. C'était jour de paye et jour de printemps. Ce fut en touchant les quelques francs qui lui revenaient de son misérable salaire, que le mineur eut un mouvement de révolte et refusa de travailler ainsi. Ce fut en voyant le clair soleil luire sur la terre réveillée de l'engourdissement de l'hiver, sur les arbres aux bourgeons verts et aux sèves montantes, dans l'air pur, si bon à respirer, que le mineur rêva vaguement de liberté et pensa aux labeurs des champs et des jardins. — Profonde observation que ce titre : Germinal. La grève s'accrut avec une effrayante rapidité; d'heure en heure, des télégrammes arrivaient à Charleroi annonçant tous le même refus de travailler, la même demande têtue, irraisonnée d'une augmentation de salaire. Le soir, un nombre considérable de charbonnages chômaient. Les ouvriers étaient calmes et paisibles; mais, en pensant à leur masse énorme, une terreur venait aux moins timorés, tandis que le souvenir de leur misère faisait grandir autour d'eux une sympathie générale. Ces deux dominantes de l'opinion publique : la peur chez quelques-uns, la compassion chez la plupart, purent s'observer jusque vers le milieu de la journée de vendredi. La grève formidable qui venait de se déclarer avec une rapidité stupéfiante occupait tous les esprits, faisait l'inévitable objet de toutes les causeries. Chacun rapportait ce qu'il savait de l'existence des houilleurs et les cœurs les plus durcis de préjugés devaient s'attendrir à ces narrations. On discutait la vague réclamation d'une amélioration de leur sort, et tous devaient convenir que fort peu avait été fait et que beaucoup était à tenter dans ce but. Et cette bienveillance générale était d'ailleurs justifiée. Il n'y a rien à dire de la vie du mineur, en général, après l'admirable épopée de Zola ; il faut y ajouter les circonstances spéciales qui aggravaient encore, pour ces malheureux, dans notre contrée, les difficultés de vivre. On révéla les chiffres des salaires. Payés par quinzaine, les ouvriers gagnaient en moyenne, pendant ce temps, 3o à 35 francs pour le labeur qu'on sait. Les chômages donnés, ce chiffre se réduit souvent. Nous avons vu des carnets de houilleur renseignant des quinzaines de 25 à 28 francs. L'ouvrier doit, avec cette somme, pourvoir à sa nourriture, à son entretien et de même nourrir, loger, vêtir une femme et des enfants — famille toujours nombreuse, — car la création de cette progéniture étant l'un de ses rares plaisirs, il en use... Encore, s'il touchait cette somme en réalité, s'il pouvait disposer en toute liberté des quelques francs ainsi gagnés? Mais il a le malheur de voir sa misère exploitée férocement. Le Maigrat de Germinal, et le Malchair de Happe-Chair sont des types rigoureusement exacts et que les romanciers ont plutôt adoucis. Tous les houilleurs sont environnés de parasites semblables. Qui racontera l'exploitation par les po-rions, par exemple? La cantine tenue par la femme, la sœur, une parente quelconque du porion, et où il faut aller forcément, à peine de renvoi et privation d'ouvrage, — dépenser quelques francs en bières et en alcools? Les boutiques où il faut acheter, souvent plus cher, des fournitures de qualité douteuse? Le crédit trompeur pour l'ouvrier qui ne peut compter et pour sa ménagère ignorante et sans ordre (1). Pour d'autres, ceux qui sont loin de leur famille et sont forcés de loger près des fosses, qui dira les logements hideux où ils s'entassent à des prix invraisemblables? Et souvent, consciemment ou non, l'industriel se fait le complice de ces exploiteurs (2). C'est au bureau même de l'usine que se décompte la dette dûe au can-tinier, au fournisseur, au logeur. Parfois les créanciers se font remettre le livret où se renseignent les salaires et vont toucher eux-mêmes, sauf à restituer l'excédent, —en fournitures nouvelles. Toutes sortes de saisies irrégulières ont lieu ainsi, et le maigre salaire du mineur s'en trouve toujours diminué, — lorsqu'il lui parvient. Lorsqu'il ne lui parvient pas, il faut s'adresser à la justice. L'ouvrier hésite. Il a des droits, certes, mais il est si difficile de les faire valoir. Comment faire face aux frais d'un procès ? Il y a le « Pro Deo », mais il faut plusieurs semaines pour l'obtenir. D'ici là, comment vivre? Nous avons cité, au hasard, quelques observations ; (1) Voir le type très exact de Clarinette dans Happe-Chair de Camille Lemonnier. (2) Néanmoins certaines sociétés avaient vu ces misères et tenté de les empêcher, en partie, mais sans grand succès. Depuis août 1887, une loi a essayé de mettre fin aux plus criants abus du truck-systéme. il y en aurait bien d'autres à faire. Tout cela était connu, indéniable; la triste condition des charbonniers ne pouvait même être discutée, et, si peu croyaient à la possibilité de l'améliorer, tous se sentaient émus d'une large pitié pour ces malheureux, disposés à les secourir, pleins de bonne volonté pour les réformes à tenter. Dans l'après-midi du vendredi, en quelques heures, revirement. L'épouvante succède à la bienveillance, la férocité à la sympathie. Une grande flamme rouge naissait à l'horizon. Voici ce qui s'était passé : Les grévistes, au lieu de rester chez eux, s'étaient réunis et, par bandes, parcouraient les villages et les champs. Il en avait toujours été ainsi précédemment; il devait en être ainsi : une grève étant par essence le refus de travail de plusieurs individus n'a d'importance que par le nombre de ceux-ci. Aussi, toujours les ouvriers en grève ont-il eu pour principal désir de voir leur nombre s'accroître et leurs compagnons cesser le travail également. De ce désir à la réalisation, même par la violence, il n'y a qu'un pas, vite franchi. Les « chopes », les chansons, les menaces, les excitations mutuelles, l'effacement de la responsabilité personnelle dans la foule amènent vite, insensiblement et fatalement, à imposer la grève. C'est ce qu'ils firent. Des bandes, des gamins parfois, entraient dans les cours des charbonnages, menaçant de couper les traits, d'arrêter le ventilateur si les ouvriers, travaillant au fond, n'étaient sur le champ remontés. De tous les coins de la contrée, des appels désespérés de protection venaient; chaque houillère implorait des soldats, — le gouvernement avait laissé le pays presque sans troupes, — et la grève était si imposante, si instantanée, qu'il fallait toujours céder et chômer. Partout où sous le ciel clair se profilait la silhouette caractéristique du charbonnage, — la cheminée entourée à la base de vapeurs blanches, le grand échafaudage noir, l'écrasant terril — partout des bandes arrivaient, menaçaient et s'en allaient, augmentées de tous les ouvriers tirés de force de leur labeur souterrain et contraints à la grève. Ceux-ci d'ailleurs ne demandaient pas mieux le plus souvent et étaient heureux de voir la violence de leurs camarades leur épargner une initiative toujours pénible. Ainsi, comme la boule de neige peu à peu accrue et devenue avalanche, sous la terrible pression de la misère, la grève avait grandi, grandi en quelques heures avec une rapidité incroyable, et tournant à l'émeute, n'ayant plus de charbonnages à arrêter, elle s'attaqua aux verreries. Ici, nous rencontrons les points obscurs qui ont donné lieu à tant d'absurdes racontars. Comment les bouilleurs se sont-ils attaqués aux verreries et spécialement à l'établissement de M. Baudoux? Pourquoi les verriers se sont-ils mis en grève? Pour bien se rendre compte des événements et en comprendre la succession, il importe d'insister sur quelques données du problème. Il faut d'abord se rappeler que Charleroi, Lodelinsart, Jumet, Gilly, Montigny, Châtelineau, Dampremy, Marchiennes, etc., forment une agglomération compacte, comme une immense ville industrielle dont les différents quartiers sont à peine indiqués par les pointes des clochers. Les trois grandes industries du pays : les mines, la verrerie, la métallurgie, ne sont pas localisées en cer- tains villages, nettement séparés, mais au contraire, les usines s'entassent les unes à côté des autres, les laminoirs grondent à côté des charbonnages noirs et des verreries aux fours traversés d'éclairs rouges. Tous les établissements se touchent presque, divers, de toutes sortes, enserrant des maisons dans leur formidable labeur de fer et de feu. La disposition même des lieux obligeait absolument les houilleurs allant de charbonnage en charbonnage, à passer devant les verreries. Premier point. Ensuite, et dans ce même ordre d'idées, il est à remarquer que les populations de la mine et de la verrerie ne vivent en aucune façon séparées. Certes, leurs intérêts sont distincts, certes aussi, le verrier a, à un exceptionnel degré, l'orgueil de sa profession et tient volontiers à garder sa suprématie sur les autres catégories d'ouvriers. Mais, malgré tout, ils vivent tous côte à côte; entre tous existent des liens de connaissance, d'amitié, de famille souvent. De Jelle sorte, que lorsqu'un sentiment fort, puissant, anime l'une des deux classes, il a grandes chances de voir l'autre le partager aussi. Chances d'autant plus grandes si les premiers sont des verriers, car alors vient s'ajouter encore l'influence des salaires plus élevés et d'une intelligence plus cultivée. Fatalement, par suite des conversations, du contact journalier, de la communauté de vie, les houilleurs doivent connaître et en partie épouser les rancunes des verriers. Enfin, souvenons-nous des caractères particuliers de cette grève et de son développement. Elle était le contre-coup, — bien lent, — des événements de Liège ; elle n'avait aucun but défini. Les mineurs demandaient sans motifs, bien vaguement, une augmentation de salaires, un adoucissement de leur sort. Beaucoup même ne demandaient rien. Cette grève ne paraissait pas avoir de raisons particulières; elle était dirigée sans précision contre les exploitants, le gouvernement, la société, on ne savait; c'était avant tout une grande manifestation de malheureux fatigués de mourir lentement, en détail, et qui se croisaient les bras, simplement, attendant un lendemain inconnu qui ne pouvait être pire que la veille. D'où viendrait l'amélioration, si elle venait? Nul d'entre eux n'eût pu le dire, mais le désir de tous était de voir la grève colossale, générale dans toutes les provinces et dans toutes les industries, comme si l'arrêt du travail national tout entier eût dû forcer la nation à secourir les misérables. Après avoir donc fait chômer les charbonnages, ils devaient logiquement s'en prendre à d'autres établissements, d'autant plus qu'ils étaient devant eux. Cela parait fatal. N'oublions pas qu'ils n'avaient rencontré aucune résistance, soit à cause de la lâcheté des uns, soit à cause des scrupules de certains autres, d'une vague crainte de soulever la réprobation publique par des actes irréparables, — pas même la résistance morale résultant de la présence de troupes, la gendarmerie, la police. Comme on s'était partout soumis, ils purent se croire les maîtres, et rencontrant des verreries, ils firent chômer les verriers. Jamais cela n'était arrivé, jamais non plus on n'avait laissé la grève s'accroître ainsi sans répression, jamais on n'avait permis aux bandes de telles audaces. En outre, jamais la grève n'avait eu, comme ces jours-là, un solennel caractère de protestation sociale. — Nous soulignons ce mot à dessein; là.est pour nous le point fondamental que la plupart des journaux n'ont 4- pas vu ou n'ont pas osé avouer. Il est absurde de vouloir mêler des événements politiques à ces événements; le mouvement était autrement profond, autrement grave. Ceux qui y prenaient part se souciaient peu du clérical et du libéral, du progressiste et du doctrinaire; ça et là, en proportion intime, on rencontrait des lecteurs du Catéchisme du peuple, mais ceux-là même n'avaient cure du suffrage universel. On a cité, comme tout à fait exceptionnelle, une inscription arborée sur une casquette : Léopold II, 5.000.000. Mais d'autres ont noté ce cri, révélateur de l'ignorance profonde de ce peuple soulevé « Vive la République, à bas Napoléon !» — Et cette réponse d'un gréviste criant à bas Peereboum ! et à qui on demandait qui était Peereboum : « Sais pas, probablement un qu'a des liards! » Ceci me semble typique. La guerre était bien là, entre ceux qui avaient et ceux qui n'avaient pas. D'idée nouvelle, néant. Rien qu'un désir brutal, féroce, inconscient de jouissance et de richesse. De particulier à particulier, cela s'appelle du vol. — Mais de classe à classe, de nation à nation, cela change de caractère. 11 est bon de ne pas perdre de vue que l'origine première de toute propriété n'a d'autre légitimation que la Force. Ici, ce vol gigantesque se projetait dans une idée confuse de justice. Trop peu intelligents pour comprendre les raisons compliquées qui pouvaient justifier les richesses de certains, le sentiment de la masse était froissé de l'inégalité des conditions et la plupart rêvaient, — obscurément toujours, — une plus équitable répartition sociale. De semblables mouvements d'esprit ont été notés dans toutes les révolutions; spécialement Taine les a admirablement dé- montrés dans son Histoire de la Révolution Française. Il faut se rendre compte du caractère tout particulier de cette grève pour comprendre que les verriers y aient participé. Eux n'étaient point misérables comme les mineurs et n'avaient aucune raison sérieuse pour refuser de travailler. — On a répandu à leur propos les notions les plus inexactes; on a exagéré ridiculement leurs salaires, en ne considérant que les seuls souffleurs; il y a, en effet, dans cette industrie, des ouvriers de plusieurs catégories, et leurs salaires moyens sont loin des chiffres fabuleux dont on a parlé. Mais, néanmoins, leur condition est, en général, fort satisfaisante; la plupart ont une maison, des épargnes et jouissent d'un certain confort; ils sont une espèce d'aristocratie dans la classe ouvrière. Ils auraient donc dû, semble-t-il, rester étrangers à la grève. Ils n'y prirent d'ailleurs qu'une part assez restreinte; beaucoup retournèrent chez eux; d'autres furent emmenés par les bandes; un très grand nombre suivirent en curieux. A remarquer qu'il en fut à peu près de même le lendemain pour les ouvriers du fer; il ne s'agissait ni de suffrage universel ni d'augmentation de salaire pour tous ceux-là; on ne peut admettre non plus l'intimidation; les souffleurs, avec leur cannes trempées de verre en fusion; les puddleurs, avec leurs lourds ringards eussent pu, s'ils l'eussent voulu, facilement résister; mais toujours ils cédèrent. Impossible d'expliquer cet universel assentiment autrement que par cette obscure aspiration de la population à une rénovation sociale. Les bandes ainsi grossies allèrent de verreries en verreries, ordonnant la suspension du travail. Des circonstances diverses déterminèrent les premières destructions : les velléités de résistance, le plaisir enfantin de briser le verre fragile, des caprices de foule despote ne permettant pas qu'on pût lui désobéir, des racontars on ne sait d'où venus, comme celui qui accusait un maître de verreries d'avoir menacé l'ouvrier de le réduire au foin pour toute nourriture (i). Mais, avec quelques verriers mêlés à la bande, la grève prenait un nouveau caractère dont il faut dire deux mots encore. De tous temps l'ouvrier a détesté le perfectionnement matériel de l'industrie. Les traités d'économie politique relatent toutes les oppositions faites jadis aux machines, qui augmentent et facilitent la production en diminuant la main-d'œuvre. Par le fait de l'organisation capitaliste, l'ouvrier ne voit et ne peut voir, le plus souvent, que la nuisance immédiate et à lui spéciale, sans songer au bénéfice général et lointain. Il en fut ainsi pour un perfectionnement apporté récemment dans l'industrie du verre : le four à bassin. Les verreries qui avaient adopté la nouvelle installation furent principalement visées par les grévistes. Spécialement, l'une d'elles, qui était comme le résumé des perfectionnements actuels : celle de M. Baudoux. L'industriel novateur avait été peu compris; sa rapide prospérité l'avait entouré d'envies et de haines; les verriers, — patrons et ouvriers, — ne (i) Il est assez curieux de retrouver cette même accusation dans presque tous les mouvements populaires. l'aimaient point et certains obtus pensaient qu'il tuait la verrerie; des reproches divers, justifiés ou non, lui étaient adressés; les travailleurs l'accusaient de n'employer que des charbons allemands; d'autres mêmes plus bornés, s'imaginaient que le nouveau four excluait l'emploi du charbon. En ce jour de déchaînement des passions populaires, toute la malveillance dont M. Baudoux était entouré put se donner libre cours; dès les premiers désordres, des cris partis de la foule le désignaient; la colère populaire grondait unanimement contre lui. Aussi, quand la bande, grisée de pillage et de destruction, arriva en face de l'établissement, le choc fut terrible. — Des vengeances personnelles l'aggra-vèrent-elles encore, c'est peu probable; l'instruction judiciaire ouverte sur ces faits n'en a, en tous cas, rien révélé. — L'usine fut anéantie, l'habitation de M. Baudoux mise à sac, — en plein jour, au milieu d'un immense concours de curieux, d'où ne vint aucune protestation, aucun secours, et bientôt les bâtiments flambèrent, empourprant l'horizon d'un extraordinaire incendie, comme une aurore étince-lante, l'aurore rouge de la Révolution sociale! Un nuage blanc, entouré par les énormes lueurs, planait dans le ciel ainsi qu'un menaçant symbole de sang et de flammes ! Cette menace énorme, suspendue sur la contrée, l'écrasa de stupeur et d'épouvante. Mais, quelle que soit son importance, l'incendie des verreries Baudoux ne fut qu'un épisode de ces troubles. Il serait absurde de rapetisser à un attentat contre un seul industriel, un mouvement pareil. Les émeutigrs, du reste, ne s'arrêtèrent pas là. Mais leurs dévastations ailleurs furent moindres, car ils ne retrouvèrent plus cette unanimité qui les avait soulevés contre M. Baudoux. Pendant la journée du samedi, le mal fut peut être aussi grand, mais il fut moins sensible. Les pillards s'étaient transformés en mendiants qui rançonnaient le pays sans pitié. Et, à la suite des ouvriers sans travail, surgirent de leurs trous obscurs toutes les bêtes immondes, vagabonds, malfaiteurs, repris de justice qu'on retrouve eu toute perturbation sociale. La population entière fut mise à contribution avec une àpreté insatiable; d'abord terrifiée, elle obéit; puis secouée presqu'en même temps d'un sentiment d'indignation et de révolte, elle s'insurgea; chacun fermement décidé à se défendre et à se protéger soi-même, revenant à l'état de nature, en quelque sorte, toutes les garanties sociales étant abolies, tous les liens sociaux dissous. En même temps arrivèrent des troupes; quelques collisions eurent lieu entre les émeutiers et l'armée; l'autorité régulière, après avoir chancelé deux jours, retrouva sa force et son pouvoir; le calme fut rétabli. — Provisoirement. Provisoirement. Ce fut là l'impression générale. On resta dans l'inquiétude de prochains bouleversements analogues, bien que la soudaineté effrayante de l'émeute, son développement considérable fussent incompréhensibles pour beaucoup. L'imagination des journalistes intéressés à taire les causes profondes du mal, celles des bourgeois ignorant ces causes et ne voulant pas les connaître, eut bientôt fait de supposer un complot mystérieusement et savamment combiné. Les commentaires les plus fantaisistes prirent leur essor. Des gens qui ne savent percevoir la simplicité de la vie hasardèrent mille conjectures extravagantes. On soupçonna des machinations internationales. On habilla la réalité des vêtements du drame et du roman. Les plus subtils furent même convaincus qu'ils avaient pénétré le plan de l'émeute, son organisation, la direction concertée de ses bandes. Nous retrouvons cette conception puérile dans les réquisitoires devant les Cours d'assises et la trace en est restée dans maintes décisions de justice. En réalité, il n'y eut pas un seul effort dirigé contre l'autorité; pendant deux jours au moins, les grévistes furent maîtres, en effet, du pays; en aucun endroit, ils ne firent la moindre tentative pour consacrer et faire durer ce pouvoir. Si cette révolte avait eu un but déterminé, elle aurait au moins essayé de s'en approcher; il eut été si simple d'empêcher ou de retarder l'arrivée des troupes, en coupant les lignes de communication, en détruisant les lignes télégraphiques, en faisant sauter un ou deux ponts de chemin de fer. On n'y songea même pas. Il n'y eut pas dans ce soulèvement la moindre velléité d'organisation ou de résistance. Il suffit donc à la bourgeoisie de reprendre confiance pour reprendre en même temps sa force. Le premier effroi passé, la répression fut terrible. Après les procédés sommaires du général Van der Smissen, qui traita la contrée en pays conquis, après les fusillades de ses soldats, vinrent les rigueurs judiciaires. Pendant de longues audiences, des mois et des années de prison tombèrent en cataractes sur les grévistes et les mendiants. La conviction où étaient les magistrats de la nécessité de faire des exemples et de frapper l'esprit public, les rendit sans indulgence. A Liège, à Charleroi, à Mons, il y eut d'innombrables condamnations. Mais le châtiment draconien de tous les auteurs obscurs de ces journées tragiques ne parut pas suffisant au gouvernement. La presse qui lui était hostile, l'accusait assez acerbement d'être, en définitive, l'auteur responsable de tout ce qui s'était passé; il voulut se disculper en dénonçant à l'opinion publique d'autres coupables. Bien que, — nous avons noté ce point, — l'agitation politique fut absolument étrangère aux troubles de Charleroi, le ministère conservateur eut pour tactique d'essayer de les rattacher aux efforts que faisait la classe ouvrière pour conquérir l'instrument de son émancipation politique : le suffrage universel (i). Successivement eurent lieu trois procès mémorables : Alfred De Fuisseaux fut poursuivi devant la cour d'assises de Bruxelles ; Edouard Anseele devant celle de Gand, et Oscar Falleur, l'organisateur de XUnion verrière, impliqué dans l'instruction de l'affaire Baudoux. Alfred De Fuisseaux avait publié quelques mois auparavant unebrochure intitulée Catéchisme du Peuple. Ce pamphlet, très alertement et simplement rédigé sous forme de questions et de réponses, avait eu un succès colossal. Il avait pour but de provoquer des réformes ouvrières et l'octroi du suffrage universel. Sa vente et sa distribution à des milliers d'exemplaires, n'avaient point été entravée parle Parquet; la brochure ne faisant d'ailleurs 'que répéter, sous une forme plus heureuse et plus saissante, les vérités ba- (i) Voyez au chapitre suivant l'état de cette question et son importance. nales de la propagande révisionniste. Mais après les événements de mars, 1 z Catéchisme du Peuple fut jugé digne de la cour d'assises. Alfred De Fuisseaux fut poursuivi sous la double prévention d'avoir méchamment attaqué la force dés lois et d'avoir outragé le Roi. Il fut condamné à deux peines de six mois de prison, auxquelles il put se soustraire, bien que son arrestation immédiate eût été ordonnée, en dépistant les policiers et en passant à l'étranger. Le même jour, 4 juin 1886, Edouard Anseele, l'organisateur de la grande coopérative gantoise, comparaissait devant le jury de la Flandre Orientale sous des inculpations identiques. Il avait, lui, publié dans le Vooruit, lors des troubles de mars, un appel émouvant aux mères de famille, les suppliant d'écrire à ceux de leurs fils se trouvant à l'armée de ne pas tirer sur leurs frères ouvriers. Après des débats mouvementés où les défenseurs, MM. Paul Janson et Ar-nouls, furent admirables d'éloquence et d'intrépidité, Anseele fut acquitté du chef d'outrage au Roi, mais condamné pour son article du Vooruit à six mois de prison. Ces verdicts rompaient avec les traditions d'indulgente tolérance, de large liberté qu'on avait concédées à la presse. Ils indiquaient que la bourgeoisie censitaire, d.ms laquelle se recrute le jury et dont celui-ci est généralement l'expression fidèle, était décidée à comprimer par la force le mouvement démocratique. Aux élections législatives du 9 juin, la même tendance se révéla : la majorité cléricale fut confirmée et renforcée et les démocrates n'essayèrent même pas, nulle part, une lutte sans aucun espoir. En mai 1886, lors d'une élection partielle à Bruxelles, M. Paul Janson avait obtenu environ 4,000 voix, tandis que ses com- pétiteurs en réunissaient i3,ooo (catholique 6.929, doctrinaire, 6.399). La terreur bourgeoise était si accentuée que toutes les libertés en étaient restreintes : on vit ainsi le bourgmestre de Bruxelles, M. Buis, interdire la manifestation que le Parti Ouvrier avait projetée pour le i3 juin. Le gouvernement prit, en vue de faire respecter cette interdiction et d'assurer la tranquillité de la journée, des mesures d'ordre qui indiquaient un véritable affolement. La cour d'assises de Mons, saisie des poursuites contre les auteurs des destructions et des pillages qui avaient eu lieu aux environs de Charleroi, en mars précédent, prononça des condamnations terribles : les travaux forcés à perpétuité, i5 ans, 12 ans, 10 ans de travaux forcés. Et il y en eut, parmi ces accusés si durement frappés, dont l'innocence absolue fut reconnue plus tard par des enquêtes complémentaires. Ces verdicts rigoureux émurent profondément l'opinion ouvrière, mais le procès Falleur, Schmidt et consorts surtout la passionna. Falleur était le fondateur, l'organisateur de XUnion verrière, vaste syndicat professionnel qui comprenait la plupart des travailleurs du pays et qui avait même établi des relations suivies avec les verriers d'Angleterre, d'Amérique, d'Italie, etc. Cette association poursuivait, au début de l'année 1886, l'unification de la mesure employée pour le calcul du salaire des souffleurs. Elle avait eu, à cette occasion, certains pourparlers avec M. Baudoux, l'industriel incendié. Il n'en fallut pas davantage au Parquet pour accuser VUnion verrière d'avoir été le foyer de la conspiration contre Baudoux; les livres du syndicat furent saisis, ses membres inquiétés; Oscar Falleur arrêté. Un propos, d'ailleurs énergique- ment contesté, tenu devant quelques ouvriers, le jour de l'émeute, à Lodelinsart, fut le prétexte des poursuites. Falleur leur aurait dit : « Allez chez Baudoux, faites lui mes compliments et dites lui que j'arrive ». Sur cette seule charge, il fut condamné, comme instigateur de l'incendie, à vingt ans de travaux forcés. L'énormité de l'injustice était telle, qu'elle remua profondément la masse prolétaire. Les manifestations qui se succédèrent à la Louvière (25 juillet), à la Hestre, à Bruxelles (i5 août), à Charleroi (3i octobre), réclamaient toutes l'amnistie et le suffrage universel. Leur fréquence, l'affluence considérable qu'elles attiraient, l'attitude calme et résolue des manifestants, indiquaient combien le peuple était intimement remué, et ces solennels défilés contribuèrent largement à la propagande des idées socialistes, tandis qu'ils forçaient l'attention des classes dirigeantes et les obligeaient à réfléchir aux remèdes de la situation. Les catholiques réunirent à Liège un congrès d'oeuvres sociales, et le gouvernement instituait une enquête sur les conditions d'existence de la classe ouvrière j la commission du travail révéla ainsi à l'opinion toute une série de misères ignorées ou que l'on feignait d'ignorer: ses séances, ses travaux furent l'occasion constante de discussions se rattachant à la question sociale. Ainsi, tandis que la réaction semblait triomphante, se formaient lentement dans les cerveaux des compréhensions nouvelles, qui devaient quelques années plus tard attester que toutes ces souffrances de la classe ouvrière n'avaient point été inutiles; et le sang des fusillés, les larmes des condamnés fécondaient secrètement le sol où devait bientôt grandir, comme une compensation réconfortante, toute une floraison épanouie d'ceuvres d'émancipation économique et politique. CHAPITRE II Les premières années du Parti Ouvrier. L'année 1886 se présente comme la période de crise d'où sont sorties toutes les modifications politiques ultérieures. C'est pourquoi nous avons relaté avec quelques détails les événements qui la marquèrent et nous en avons placé le récit en tète de cette partie de notre travail. Néanmoins, le socialisme belge a une histoire antérieure à 1886; dans la première partie de ce livre, en parlant des institutions économiques, nous avons signalé ce qu'il était essentiel d'en connaître. Etudier davantage les groupes isolés, les individualités qui furent nos précurseurs, serait à coup sûr très intéressant, mais nous entraînerait à des développements excessifs. Politiquement, ce n'est guère qu'après les élections de 1884, que le parti socialiste commence à s'affirmer comme tel. Et encore, il est bien souvent, confondu avec le parti libéral. Il renferme des éléments divers et séparés, ouvriers et bourgeois, qui sous des étiquettes variées: progressistes, radicaux, démocrates, socialistes, plus ou moins mêlés aux libéraux, se distinguent par cet objectif commun : l'obtention du suffrage universel. La réforme électorale était en effet la condition même de l'existence d'un parti nouveau. La constitution élaborée à la suite de la séparation d'avec la Hollande, après la Révolution de i83o, avait instauré un système électoral basé sur le cens. Ce cens était fixé par la loi et d'une manière différente pour les villes et les campagnes. En 1848, brusquement, sous l'effet de la convulsion démocratique qui agita l'Europe, les Chambres avaient abaissé le cens uniformément pour tout le pays au minimum prévu par la constitution. Depuis, la difficulté d'une révision de cette loi fondamentale, révision exigeant une majorité des deux tiers des voix, avait mis un obstacle absolu à toute extension du droit de suffrage. . Celui-ci restait donc l'apanage d'une classe. Seule, la bourgeoisie payantl'impôt (42 fr. 32 au moins) était investie du soin de choisir les législateurs. Il était donc radicalement impossible au parti socialiste de se constituer d'une façon effective et durable sous un tel régime. Les premiers groupements démocratiques et ouvriers eurent donc fatalement comme préoccupation dominante la révision constitutionnelle. Dès le 18 janvier 1866, le Manifeste des ouvriers, posait la question d'une façon si saisissante et si exacte que nous reproduisons intégralement ce curieux document : « Une grande question, la réforme électorale, occupe actuellement le pays. Dans les discussions qu'elle a provoquées, la bourgeoisie seule a, jusqu'à présent, f.iit connaître son opinion. Les ouvriers demandent un moment de silence pour donner leur avis à leur tour. Ils comptent être écoutés. Ils y comptent, parce qu'ils ont le droit de l'être, parce que, étant hommes, ils ont des besoins à exprimer et à satisfaire; parce qu'ils constituent la plus grande partie de la nation dans un pays où tous les pouvoirs émânent de celle- ci, parce qu'ils s'adressent à leurs concitoyens et ont foi dans leur équité, parce que, enfin, ils veulent parler avec cette modération qui sied à la force, et qui est un des plus puissants auxiliaires des causes justes. L'ouvrier aujourd'hui, comparant son sort à ce qu'il était il y a trente années, y découvre sans doute quelques améliorations. Mais quelle pensée amère c'est pour lui de se dire qu'il faut tant de douloureuse patience pour amener un si petit résultat ! Et c'est quand il examine le chemin que la bourgeoisie a parcouru dans la même période, les richesses qu'elle a accumulées, les réformes qu'elles a réalisées à son profit dans la législation, les droits politiques qu'elle a su conquérir, que le contraste lui fait surtout comprendre combien son bénéfice a été insignifiant dans cette association, pour la prospérité commune, de deux classes également faites pour le bonheur, la liberté et la vie politique, également désireuses d'en jouir. Tandis que la bourgeoisie obtenait une à une les réformes qu'elle désirait, qu'a-t-on fait pour nous? Peu de chose. Que sommes-rfous encore? Presque rien. C'est à cet état de choses que nous demandons un remède. C'est au pays tout entier que nous nous adressons pour l'obtenir pacifiquement. Pacifiquement, disons-nous, et nous insistons sur ce mot. Le peuple représente la force, et il sait ce qu'elle peut; mais il ne la tirera pas du sommeil où elle repose chez nous depuis trente cinq années. Il croit que le libre jeu de nos institutions peut tout donner à ceux qui savent mettre au service d'une conviction profonde la volonté de lutter sans relâche, et de ne . s'arrêter qu'après la victoire. Quelle réforme l'ouvrier demande-t-il en premier lieu? Celle qui est à l'ordre du jour de tous les esprits : la réforme électorale. C'est, en effet, au système électoral en vigueur que sont dues toutes les anomalies. Le cens, qui qui en est l'âme, n'amène au vote que le capital : le travail en est exclu. Certes, nous aimons tous nos compatriotes et repoussons bien loin de nos cœurs les théories qui prêchent la haine entre les citoyens. Mais nous ne croyons pas que les électeurs censitaires puissent nous représenter. L'événement ne l'a-t il pas démontré? La bourgeoisie seule ne peut pas comprendre ce qu'il faut à l'ouvrier. Nous voulons avoir le droit de nommer nos représentants, nous ne voulons plus être en tutelle ! Les électeurs bourgeois pensent surtout aux intérêts de la bourgeoisie; c'est une loi de la nature humaine qu'on ne peut changer. Nous voulons des électeurs ouvriers pour que l'on pense à nous. Cette égalité dans le droit de suffrage amènera seule un juste partage des fruits que peut donner la pratique sincère et démocratique de nos institutions. Ce que nous voulons avant tout, c'est l'abolition du cens. Nous le voulons avec toute l'énergie dont sont capables des hommes qui, privés jusqu'à présent de toute participation au gouvernement du pays, comprennent que de cette participation dépend l'avenir presque entier de leur classe. Nous la voulons parce qu'aussi longtemps qu'on maintiendra le cens, nous serons fatalement écartés du scrutin. Sur un budget de 155 millions de francs, les impôts directs, les seuls qui font l'électeur, ne comptent que pour 34 millions. A peine 20 sont payés parles électeurs actuels. Ce sont ces 20 millions qui donnent le pouvoir de dicter la loi. C'est nous, ouvriers, qui payons la majeure partie des 23 millions que produisent les impôts sur le sel, l'eau-de-vie et la bière ; c'est nous qui payons la plus grosse part des autres impôts indirects; c'est sur nous seuls enfin que pèse l'énorme impôt direct de la conscription qui enlève à 25,000 familles ouvrières les salairesqu'eussentpu gagner leurs fils retenus sous les drapeaux. Nous sommes les plus forts contribuables, et nous ne votons pas, sous un régime où le vote devrait se mesurer à la quantité des taxes que l'on paie. En acceptant la restriction de la lecture et de l'écriture, nous voulons donner un gage de modération à ceux qui ne veulent voir en nous que des esprits sans mesure : nous avons espéré qu'au spectacle de l'ouvrier, s'offrant de lui-même au joug de l'enseignement et refusant spontanément d'user d'un droit politique aussi longtemps qu'il n'aura pas BMiMMaiMlHWffî 80 le socialisme en belgique les premiers éléments de l'instruction, plus d'un de ceux qui redoutent l'émancipation des travailleurs chassera désormais ces craintes chimériques. Nous attendrons avec patience l'accueil qui sera fait à l'exposé de nos griefs. Nous saurons, si on nous dispute la réforme que nous demandons, lutter pour la conquérir. Voués au travail, les grands labeurs ne nous arrêteront pas. La bourgeoisie a combattu pour obtenir pièce à pièce tout ce dont elle jouit; nous sommes capables de combattre comme elle, et résolus à le faire. Elle nous a donné l'exemple de que ce peuvent l'activité, l'opiniâtreté, l'énergie; cet exemple, nous allons le suivre. Ce manifeste posait en termes d'une modération exagérée le problème dont la solution était préalable à l'examen même de toutes autres questions politiques. Cependant l'agitation dont il était l'éloquent interprète était peu profonde. Les atermoiements parlementaires l'endormirent pendant quelques années; et, en 1870, le ministère libéral lit place à un cabinet conservateur. Les années qui vinrent ensuite virent, avec l'extermination féroce de la Commune de Paris, la dispersion de l'Internationale, la proscription par toute l'Europe de toute tentative généreuse ou réformatrice. Quand le parti libéral revint au pouvoir, en 1878, il se trouva bientôt en présence de cette question décisive. Elle fut l'occasion de discussions ardentes et de controverses sans fin. Vers 1882, elle apparut aux premiers plans des préoccupations publiques etrévéla des désaccords essentiels entre doctrinaires et progressistes. Le parti libéral réunissait alors les éléments les plus divers, depuis les grands industriels anti-religieux jusqu'aux bourgeois démocrates et aux ouvriers socialistes. Leur différenciation était néces- I I1 .....M III I | - -imiiil illinuMMtlIlT saire ; mais elle ne se fit pas sans difficultés douloureuses et sans mille vicissitudes variées et lentes. C'est ainsi que nous voyons, au cours de cette période révisionniste, se réclamer encore du drapeau libéral la plupart des individualités qui devaient être, quelques années plus tard, les plus dévoués propagandistes de l'idée socialiste. En ces années 1883-84, Célestin Demblon, alors instituteur à Liège, est révoqué pour un discours trop énergique et congratulé par tout le parti progressiste. Jean Volders est secrétaire d'une association progressiste; Edmond Picard publie ses Grelots progressistes ; le docteur De Paepe est présenté au poil de l'Association libérale de Bruxelles; Gri-mard, Hallet, Furnémont, font partie de Jeunes Gardes libérales; nous mêmes étions membres d'un cercle d'étudiants progressistes. Tous menaient une campagne passionnée en faveur de la révision constitutionnelle immédiate et du suffrage universel. Certains, à la clairvoyance de qui il faut rendre hommage, sentaient vivement toute l'incohérence des conceptions opposées qui étaient alors confondues sous l'étiquette libérale et rêvaient la constitution d'un parti nouveau. Volders et De Paepe parlèrentdans ce sens, le 6 février 1884, à un meeting convoqué dans la salle du Navalorama, à Bruxelles, et qui marque, en quelque sorte, la naissance du Parti Ouvrier dont nous avons narré la gestation aux premières pages de ce livre. Les scrutins étaient toutefois décourageants. Aux élections provinciales dus5 mai 1884, trois candidats ouvriers (De Paepe, Delfosse et Vandendorpe) n'obtenaient pas, à Bruxelles, en luttant dans les conditions les plus favorables et devant un corps électoral relativement étendu, le tiers des suffrages exprimés. Quant aux corps électoral censitaire, il donuait, lors des élections législatives de juin 1884, à une liste radicale composée de De Paepe, Ed. Picard et Van Caubergh, environ 400 voix sur plus de 18.000 votants! Dans le reste du pays, les ouvriers n'avaient pas même songé à hasarder la lutte et le corps électoral n'avait eu à choisir, une fois encore, qu'entre les deux anciens partis bourgeois : doctrinaire ou clérical. L'avenir semblait donc bouché. Beaucoup de bons esprits étaient persuadés qu'un dénouement pacifique et légal ne pouvait être espéré. L'insipide jeu de balançoire, ramenant alternativement les partis historiques et inéluctables (1); l'inertie égoïste de la classe bourgeoise; les souffrances croissantes du prolétariat paraissaient devoir s'éterniser jusqu'à quelque conflagration générale. Il fallut le coup de tonnerre des événements de 1886 pour secouer la torpeur des dirigeants, exciter l'intérêt, la crainte, la pitié, dévoiler des misères obsédantes, favoriser une recrudescence d'agitation et amener enfin, après quelles lenteurs, quelles tergiversations, quelles résistances, un ministère clérical à faire la révision constitutionnelle. Le Parti Ouvrier — qui devait, dans la suite, coordonner l'effort de tous les groupes socialistes du pays, prit, au milieu des vicissitudes de cette année 1886, consistance. Les attaques haineuses ou les plai- (1) Voyez spécialement le chapitre intitulé": Le bilan du suffrage censitaire, dans le volume très documenté et très complet publié en 1883, chez I.arcier, à Bruxelles, par Edmond Picar D : Histoire du suffrage censitaire en Bel' gique depuis 1830. santeries sarcastiques de la presse conservatrice, les procès, les persécutions le mirent en lumière, au lieu de lui nuire; tandis qu'il recevait une impulsion décisive de la classe ouvrière, tirée par ces commotions sociales et ces agitations renaissantes, du sommeil où l'avait plongée le régime censitaire. En 1886, l'attitude du Parti Ouvrier fut nette. Il profita des diverses occasions qui lui furent offertes pour indiquer les différences capitales de principes et de tactique qui le distinguaient des anarchistes révo-tionnaires. Il insista constamment sur la nécessité de l'organisation ouvrière. Il déplora les excès commis par les émeutiers, mais dénonça en même temps la responsabilité qui incombait à l'organisation sociale et les abus de la répression. Dans ses manifestes, ses meetings, ses publications et ses congrès, il réclama énergiquement des réformes ouvrières, le suffrage universel et l'amnistie. Et, comme ces revendications étaient celles d'une grande partie de la population laborieuse, celle-ci lui fut reconnaissante d'être son interprète fidèle. Des messages de la Social-democra-lic Fédération de Londres et du Parti ouvrier français (1) montrèrent, en outre, l'accord du Parti ouvrier belge avec les autres partis socialistes d'Europe. Une participation aux élections provinciales à Gand et à Bruxelles, un congrès en juin, une manifestation nationale en août, une campagne aux élections législatives en octobre, un congrès en décembre, l'inauguration de la Maison du Peuple à Bruxelles, telles furent les principales étapes de cette année mouvementée. (1) Ils sont rapportés dans l'ouvrage de Bertrand déjà cité : La Belgique en 18S6, vol. I, p, 118 et s. Ce fut à Bruxelles, en octobre 1886, que, pour la première fois, le Parti Ouvrier affronta la bataille électorale sur le terrain législatif. Il s'agissait de remplacer un représentant démissionnaire. Les conservateurs s'abstinrent. L'association libérale patronnaitM. Guil-lery. Les socialistes songèrent à Anseele qui venait d'entrer en prison; sa candidature fut régulièrement présentée et le tribun gantois fut autorisé, pour la défendre, à sortir pendant quelques jours de la maison d'arrêt. Il prononça une série de discours longuement applaudis par la foule enthousiaste qui se pressait dans les réunions publiques; mais au jour du scrutin il ne réunit que 1.014 voix censitaires sur 21.555 et encore, parmi ces mille adhérents, y en eut-il beaucoup qui manifestèrent simplement, sur le nom d'An-seele, le désir, très vivement marqué par l'opinion publique toute entière, de voir le gouvernement lui accorder sa grâce et ne pas le réincarcérer. Ce résultat dérisoire fut cependant considéré, par la presse démocratique, comme un succès relatif, tant on était loin encore d'escompter des triomphes électoraux! Contre l'attente générale, le gouvernement fit rentrer Anseele en prison et exigea qu'il subit sa peine entière. Les poursuites continuèrent et les journaux socialistes : le Peuple, le Conscrit furent plusieurs fois inquiétés. Mais le Parti Ouvrier bénéficait de ces rigueurs mêmes. Anseele à Gand, Volders à Bruxelles, Dem-blon à Liège, et d'autres encore, s'efforçaient de faire comprendre à la classe ouvrière la nécessité de l'association. Ils étaient fortement soutenus par les aspirations populaires qui ne faisaient que s'accentuer en faveur de l'amnistie et du suffrage universel et qui entraînaient même une notable partie de la bourgeoisie. Des vœux en faveur de l'amnistie furent discutés dans diverses réunions publiques et dans des conseils communaux; des pétitions se couvrirent de milliers de signatures; et quelques grâces, que le gouvernement accorda avec une certaine ostentation de générosité, apportèrent au mouvement une justification, au lieu de l'apaiser. Dans le courant d'avril 1889 furent inaugurées deux nouvelles citadelles économiques du Parti Ouvrier, la Populaire à Liège, et la boulangerie : le Progrès à Jolimont, dans le Centre. Mais, tandis que se développaient ces institutions, la même faveur n'accueillait pas les efforts du Parti Ouvrier pour grouper toutes les forces socialistes. Le 3° congrès annuel se tint à Dampremy. Il passa pres-qu'inaperçu dans cette région acquise déjà cependant aux idées socialistes, mais qui, ayant sur les modes d'action à recommander à la classe ouvrière d'autres conceptions, ne comprenait guère la nécessité d'un parti uni et discipliné. Les Wallons n'avaient pas, au même degré que les Flamands, l'esprit d'organisation. Le lent et patient travail en vue d'un résultat lointain irritait leurs impatiences ; ils dédaignaient les coopératives dont les bienfaits immenses n'étaient pas encore tangibles et qui exaspéraient les petits commerçants ; ils préféraient s'associer par groupes professionnels, créer des caisses de résistance, essayer d'obtenir par la grève les réformes politiques réclamées. Dans le pays de Charleroi, la plupart de ces unions étaient affiliées, non pas au Parti Ouvrier, mais aux Chevaliers du Travail d'Amérique. Ces antagonismes de race, de tempérament, ces compréhensions opposées de tactique apparurent vivement au congrès de Dampremy, à l'occasion d'un dif- férend survenu entre Alf. De Fuisseaux et le Conseil général. Les temps n'étaient pas encore venus! Ces mêmes divergences de sentiment et de vues s'attestèrent encore dans la classe ouvrière. Prenant prétexte d'un vote d'une loi sur l'entrée du bétail, appuyée par le ministère catholique, et dont l'effet devait être d'augmenter le prix de la viande, les travailleurs du Centre se mirent en grève, réclamant l'amnistie, le suffrage universel et le retrait de la loi Dumont. L'agitation se propagea; il y eut d'assez graves désordres* Vainement les chefs du Parti Ouvrier, et notamment Anseele, qui estimaient le moment peu propice, essayèrent de faire ajourner la cessation du travail. En quelques semaines, la grève se généralisa presque complètement chez les mineurs, gagnant le Borinage, le pays de Charleroi, la province de Liège. Des manifestations tumultueuses eurent lieu à Bruxelles, à Gand, à Anvers, dans presque tous les centres industriels; meetings, placards, explosions de dynamite, troubles, ce fut encore une fois une convulsion sociale, une protestation confuse de malheureux fatigués de leur sort et résolus à en poursuivre l'amélioration. Chose nouvelle : la grève se produisait, dans bien des cas, avec l'assentiment des patrons; elle n'était pas dirigée contre eux, ne leur réclamait aucune augmentation de salaire ni autre concession, mais elle avait le caractère d'une manifestation politique, destinée à contraindre les pouvoirs publics à accorder satisfaction aux revendications prolétariennes. Cette agitation ne pouvait pas aboutir dans les conditions chaotiques où elle avait pris naissance, mais elle eut pour effet d'indiquer la croissance de l'effervescence populaire et de faire entrevoir une certaine possibilité pour une grève générale. Que sortira-t-il de tout cela, disait César de Paepe ! Où cela nous mènera-t-il? Ces grèves et ces agitations sont-elles près de finir? ou vont-elles durer encore ou cesser pour recommencer de plus belle sous peu? qui le sait? Il y a un an à peine que le pays sortait d'une grève presque générale dans nos bassins houillers et calcaires accompagnée de pillages, d'incendies et de coups de fusil, et voilà que nous y sommes de nouveau. Quelle est la portée, la signification de tout ce mouvement? Nous n'oserions en ce moment répondre à ces questions. Avant de prononcer un jugement sur le mouvement actuel, attendons la suite des événements, ou leur terminaison, qui peut être ne tardera plus. Pourtant, un fait dont tout le monde convient, c'est que la grève actuelle ne ressemble pas à celles qui ont éclaté si souvent dans le pays pour des questions de salaire ou de réglementation du travail. C'est une grève sui gemris, et comme on n'en vit pas encore nulle part ; c'est une grève politique, je veux dire se faisant avant tout au nom de la revendication d'un droit politique : le droit de suffrage. Les ouvriers veulent être comptés pour quelque chose dans la nation. Ils se disent que tant qu'ils n'auront pas le droit de vote, pour envoyer des prolétaires au Parlement, à la législature, les lois seront faites contre eux. Un autre fait, c'est qu'une chose qui paraissait jadis une utopie, — la grève générale ou quasi générale, »— grève embrassant la grande industrie dans un pays, — sera possible en Belgique, dans un but politique et économique, dès que les travailleurs belges seront suffisamment organisés. Que faut-il pour cela? D'abord, que les syndicats ouvriers, les unions professionnelles, —auxquels la bourgeoisie elle-même pousse, qu'un prince, le comte de Paris, a préconisés sur le continent à l'instar des trade-unions anglaises, que les économistes les plus bourgeois sont forcés d'accepter et auxquels des législateurs bourgeois sont prêts à conférer la personnification civile, — que ces unions, disons-nous, s'étendent à toutes les professions, y compris les travaux et services publics; qu'elles se fédèrent entre elles, et alors choisissent le moment le plus propice, c'est-à-dire celui où l'industrie et les services publics ont le plus besoin de bras ou de matières premières, celui enfin où les magasins coopératifs seront fournis pour permettre aux grévistes de vivre quelque temps sans travailler. Donc, un peu plus d'organisa-ion et de discipline (caria lutte économique, comme toute guerre, exige une certaine discipline; c'est ce que les partisans de la grève actuelle ont méconnu), et les travailleurs belges pourront mettre au service de la conquêtes des droits politiques cette arme de la grève, légale et générale, que les ouvriers américains, organisés et disciplinés ceux-là, ont employée plusieurs fois déjà dans un but économique, pour modifier le taux du salaire ou la durée du travail. Au surplus, que le but des grèves et de toute cette agitation soit purement politique, ou bien, comme c'est notre conviction , qu'il soit à la fois politique et économique, toujours est-il que de pareils mouvements indiquent un malaise immense, un mécontentement profond chez la classe ouvrière et une volonté décidée d'en finir tôt ou tard. Il y a deux nations dans la nation : celle qui possède richesses, droits et pouvoir, et celle qui n'a rien ; entre elles deux l'abîme se creuse de plus en plus, l'antagonisme s'accroît chaque jour, jusqu'à ce qu'il éclate ouvertement, et terrible, comme éclate la chaudière trop comprimée. En sommes-nous là? Je ne sais. Ce serait.la guerre sociale. En tous cas, des agitations comme celles auxquelles la Belgique est en proie en ce moment sont peut être des escarmouches d'avant-garde de cette grande guerre sociale prédite pour la fin du siècle, — à moins que ceux qui sont à la téte des nations, ceux qui possèdent richesses, savoir et pouvoir, aient la sagesse de prendre eux-mêmes l'initiative de meilleurs arrangements sociaux, où la misère et l'inégalité, sources premières du malaise actuel et de tous les mouvements fébriles, fassent place au bien-être pour tous et à l'égalité. Le calme était à peine rétabli dans les régions industrielles que l'attention fut vivement sollicitée sur le lamentable destin d'une autre catégorie de travailleurs : les pêcheurs d'Ostende. Religieux et très en dehors des influences socialistes, ils se mirent en grève aussi, criant leur misère et protestant contre l'introduction libre du poisson étranger. Une collision entre eux et la garde civique et les gendarmes laissa cinq morts sur la plage (24 août 1887). Cette fusillade sembla l'écho douloureux de celles qu'avait entendues le pays wallon et ne fit qu'accroître encore l'irritation de la classe ouvrière. Les souffrances de celle-ci n'étaient plus contestées par personne d'ailleurs, depuis que les investigations officielles les avaient signalées. La Commission du travail, nommée en mai 1886, termina ses travaux en juin 1887. Elle concluait à la nécessité de réformes relatives aux objets suivants : les conseils d'arbitrage et de conciliation, la réglementation du travail industriel, la constitution des unions professionnelles, la répression de l'ivrognerie, le paiement des salaires, la saisie des salaires, les conseils de prud'hommes, les sociétés coopératives, les sociétés de secours mutuels, l'expropriation par zones, les caisses d'épargne et de retraite, les logements ouvriers, les écoles ménagères, les écoles professionnelles, le service militaire personnel, les caisses de secours et de prévoyance, la réparation des accidents du travail. Il y avait là un vaste champ de réformes urgentes. Le gouvernement clérical se trouvait obligé de sanctionner son enquête par une série de propositions législatives. Il se déroba à ce devoir, et se contenta de faire voter par sa docile majorité une loi sur l'ivresse publique, une loi sur l'insaisissabilité du salaire au delà d'un cinquième et une loi de repression des provocations non suivies d'effet (3i août 1887). Les journaux et les orateurs du Parti Ouvrier n'eurent point de peine à démontrer le piteux aboutissement des promesses réformatrices des cléricaux et la superficialité de leur sollicitude pour la classe ouvrière. Ils furent secondés par le parti libéral, dont les éléments avancés cherchaient, dans la convocation d'un congrès progressiste, un moyen de reconquérir le pouvoir ; les aspirations politiques étaient d'ailleurs tellement rapprochées que les deux partis étaient confondus en maintes occasions, et que l'on vit ainsi le Dr De Paepe et d'autres socialistes avérés aller défendre au congrès progressiste le suffrage universel. Ce fut le même désir d'unir toutes les forces démocratiques qui poussa les progressistes à s'allier aux ouvriers, lors des élections communales, en octobre 1887, ouvrant ainsi cette question des alliances qui a fait depuis l'objet de tant de controverses. Ils furent néanmoins battus, à Bruxelles, par les doctrinaires. En revanche, les socialistes luttèrent seuls à Anvers, à Gand, à Liège, à Seraing, à Dison, à la Louvière, parvinrent à faire entrer leurs élus dans les conseils communaux de diverses localités des environs de Charleroi et s'emparèrent de Familleureux, un petit village du Centre, qui fut la première municipalité socialiste. L'année 1888 marque une période de répit. Aux élections provinciales de mai, les socialistes luttent dans dix cantons, à Molenbeek, Ixelles, Saint-Josse, faubourgs de la capitale ; à Anvers, Gand, Louvain, Liège, Verviers, Seneffe et au Roeulx. Ils recueillent environ 7,000 voix en tout. Aux élections législatives ils essayent, à Bruxelles seulement, un simulacre de lutte et obtiennent (12 juin 1888) 900 voix sur plus de 22,000 ! Comme résultats électoraux, cela restait infime et il fallait vraiment perdre tout espoir de réussir janiais devant les électeurs censitaires. En juin, le ministre de la justice, M. Le Jeune donne une certaine satisfaction au mouvement en faveur de l'amnistie, en grâciant ou en libérant condition-nellement les condamnés de 1886. Oscar Falleur est ainsi relâché, mais sa présence à une réunion internationale d'ouvriers verriers est l'occasion de vipérines dénonciations et le gouvernement l'oblige à s'expatrier. Le malheureux partit pour l'Amérique, où l'attendaient maints déboires et d'où il ne devait plus revenir. Les incidents de la politique quotidienne ne faisaient qu'accentuer la divergence de vues entre les deux fractions du parti socialiste qui n'avaient pu s'accorder à Dampremy, lors du congrès de 1887. Les groupes wallons, qu'inspirait De Fuisseaux, s'étaient séparés du Parti Ouvrier et avaient fondé le parti républicain socialiste. Ils publiaient au Bori-nage un journal hebdomadaire : la République belge, qui prodiguait au Peuple d'amères critiques. Pendant que le Parti Ouvrier poursuivait patiemment, avec ténacité, son œuvre d'organisation de la classe ouvrière, le Parti républicain socialiste préconisait la grève générale, immédiate, la grève noire. Les Bruxellois et les Gantois reprochaient aux partisans de De Fuis-seaux d'essayer d'entraîner dans des aventures douloureuses des ouvriers non suffisamment préparés à h lutte, de négliger le côté pratique des œuvres d'émancipation économique pour de chimériques tentatives de révolution politique, tandis que les Borains affectaient de traiter en tièdes les gens du Peuple et du Parti Ouvrier, leur faisaient grief de leurs prétendues temporisations, de leurs alliances avec les partis bourgeois, les accusaient de sacrifier l'ardeur révolutionnaire aux préoccupations mercantiles des coopératives. Au fond, la dispute était surtout dans les mots. De vagues hostilités de race (Flamands et Wallons), les antipathies personnelles de certains chefs, des méfiances et des malentendus contribuaient à l'entretenir. Vers la fin de 1888, le Parti socialiste républicain crut le moment venu de tenter un effort suprême. La grève commença dans la région du Centre et s'étendit peu à peu dans le pays de Charleroi et dans le Bori-nage, presque exclusivement chez les houilleurs. Des réclamations, à la fois économiques, telles qu'une augmentation de salaire, et politiques, telles que le suffrage universel et la République, la motivaient. Un congrès, tenu à Châtelet le 22 décembre, décida sa généralisation. On y fut dur pour le Parti Ouvrier, et un membre borain, Fauviau, qui avait conservé des relations avec le Peuple, dut promettre, sous menace d'exclusion, de les rompre sans délai. Le même jour, dans une localité voisine, à Lodelinsart, Volders et Anseele défendaient la cause de l'organisation ouvrière et se prononçaient contre une grève entreprise sans ressources, sans discipline, même sans but précis. D'autre part, dans un important meeting tenu à Jolimont, Cavrot, Léonard, Defnet et Delporte essayaient un rapprochement et après avoir montré les dangers de la grève projetée, déclaraient que si les houilleurs voulaient quand même la risquer, le concours du Parti Ouvrier ne leur ferait pas défaut. La grève s'étendit; Elle fut l'occasion de nom- breuses explosions de dynamite qui parurent, généralement, singulières. Ces procédés de terrorisation n'étaient pas dans les mœurs des mineurs, et l'on remarqua que, de la part de gens habitués à manier ces explosifs, il était assez étrange qu'aucune ne produisît un effet sérieux. L'étonnement fut beaucoup plus grand encore lorsqu'on apprit l'arrestation successive de la plupart des membres du Parti socialiste républicain, présents au congrès de Chàtelet, Georges De Fuisseaux, Ma-roille, Malengret, Ledoux, Laloi, etc., sous l'inculpation d'avoir formé un complot pour changer la forme du gouvernement. Et, pendant que la curiosité publique suivait avidement cette instruction judiciaire, la grève, peu à peu, s'éteignit. Le Parti Ouvrier s'empressa d'adresser aux houilleurs le manifeste suivant, que nous reproduisons comme caractéristique de la ligne de conduite suivie sans hésitation ni défaillance dans cette circonstance : « Compagnons ! Cent mille hommes dévoués, pleins d'abnégation et d'énergie, seront forcément toujours vaincus par un groupe moins nombreux, mais discipliné et solidairement uni. De nouveau, vous venez d'en acquérir l'expérience. Vous êtes cent mille dans le pays. Vous avez pour vous le bon droit. Vos réclamations sont légitimes, modérées et raisonnables. Vous êtes prêts à tous les sacrifices. Cependant vous venez d'essuyer une défaite et vos blessures saignent. Rappelez-vous ce que le Parti Ouvrier vous a toujours dit. Souvenez-vous de l'insistance qu'il mettait à vous prêcher l'organisation, sans laquelle vous ne pouvez rien et avec laquelle vous pourriez tant. Vous êtes une masse énorme, mais sans cohérence, sans discipline; vous êtes sans force et vos tentatives échouent douloureusement. Pour triompher dans une lutte pour le relèvement des salaires et la revendication de ses droits, il faut agir avec ensemble, avec unité. Cet ensemble et cette unité, l'organisation peut seule vous les donner. Voyez la grève dont les derniers échos résonnent encore. Vous aviez raison de demander une augmentation de salaire : l'industrie charbonnière est dans une situation prospère, les commandes sont nombreuses, les prix rémunérateurs, les actions de charbonnages ont augmenté de valeur. Malgré tout cela, vous n'avez pas réussi, parce que vous n'étiez pas organisés, parce qu'à la redoutable force que donne à la classe capitaliste la possession du pouvoir et la richesse, vous n'opposiez pas avec union et tactique la force que vous donne le nombre. Il ne sert à rien, compagnons de la mine, de se ronger les poings et de maudire la société mauvaise, qui vous écrase et ne vous attribue pour un labeur pénible et meurtrier qu'un salaire insuffisant, il faut se préparer à agir solidairement pour changer les conditions sociales dont les travailleurs sont les victimes. Aux capitalistes, aux gouvernants, à ceux qui exploitent les mines, richesses nationales, comme ils exploitent les mineurs qui vivent aux abords des fosses, il faut opposer une masse ouvrière compacte et unie, inébranlable dars ses revendications, forte par son groupement. C'est pour cette raison que, rappelant le conseil d'un des fondateurs de l'Internationale, nous vous disons: Travailleurs, unissez-vous. Lorsque vous aurez des associations puissantes, vous vous rirez des menaces des gendarmes, des menées des misérables agents provocateurs, dont la tactique est de vous représenter comme des criminels, des vains racontars de la presse capitaliste, et vous vous dresserez devant ceux qui exigent de vous que vous les enrichissiez par votre travail, alors qu'ils vous refusent dédaigneusement vos droits de citoyens et votre part de richesses crées par vous. l'effort politique : premières années 95 Mineurs! La Belgique ouvrière est avec vous. Elle sait combien vous souffrez, combien cruelles sont vos peines et légitimes vos griefs. Elle a fait, dès le premier jour de la lutte, des vœux ardents pour votre triomphe et c'est avec indignation qu'elle a vu des misérables stipendiés s'efforcer de jeter le trouble dans vos rangs et de vous discréditer par des violences inutiles et blâmables. Elle proteste avec vous contre les arrestations et les condamnations en masse dont sont victimes ceux qui ont épousé avec désintéressement votre cause. Pour envisager l'avenir avec confiance, pour obtenir les réformes que vous désirez si ardemment et dont vous avez si grand besoin, il faut vous organiser. Avec des organisations solides vous pouvez tout ; sans organisation vous ne pouvez rien. Ecoutez donc la voix du Parti Ouvrier qui vous crie : Vive l'union et l'organisation des travailleurs! Vive le suffrage universel ! Vive le socialisme ! Le Conseil Général du Parti Ouvrier Fidèle à ce programme, le Parti Ouvrier intervint énergiquement, en février 1889, pour soutenir, à Que-nast, une grève considérable d'ouvriers carriers, motivée par les tentatives faites par le patron pour dominer ou détruire un commencement d'organisation ouvrière indépendante. Cette grève, décidée par plus de 2,000 ouvriers, ensanglantée dès le début, comme presque toujours, par le meurtre d'un gréviste par un gendarme, et maintenue pendant de longues semaines, passionna assez vivement l'opinion publique. Le Parti Ouvrier envoya aux grévistes des orateurs pour leurs meetings, des subsides et plus de 60,000 kilogrammes de pain. Ce fut un beau témoignage de vitalité. 11 en donna d'autres, en entamant une série de meetings en plein air, en poursuivant une campagne antimilitariste, et spécialement, en inaugurant, en avril 1889, les installations considérablement agrandies du Wooruit à Gand. Le 5e congrès annuel du Parti se tint à Jolimont, les 21 et 22 avril, au local de la coopérative le Progrès (1). On y discuta assez longuement une proposition tendant à modifier le titre du Parti, à l'appeler désor-mair Parti des travailleurs, et à le scinder en quatre grands groupes : syndicats professionnels, mutualités, coopératives, et ligues politiques, ayant chacun son autonomie. Cette motion qui tendait à augmenter le nombre des membres du Parti, mais aurait eu pour résultat certain d'en affaiblir la cohésion, l'influence de l'esprit socialiste, fut rejetée à une très grande majorité. Une autre discussion, assez intéressante, se produisit au sujet de la question de savoir si le Parti ouvrier belge se ferait représenter officiellement au congrès de Paris, que-les possibilistes prétendaient (1) Voyez le Compte-rendu du 50 congrès annuel du Parti ouvrier belge. Bruxelles, 1889. Librairie du Peuple, 35, rue des Sables. Nous indiquons, une fois pour toutes, que l'on peut se procurer à cette librairie le compte-rendu de tous les congrès annuels, sauf les quatre premiers qui sont épuisés. organiser seuls, sans les marxistes et les blanquistes. Le congrès était désireux de ne pas accentuer les dissensions entre les socialistes français en marquant une préférence, mais il finit par décider d'assister officiellement au congrès de Paris, tout en déclarant qu'il assisterait aussi au second congrès que pourraient éventuellement convoquer les dissidents. Enfin, avant de clôturer ses travaux, le congrès adopta, à l'unanimité des membres présents, une protestation contre l'emprisonnement des républicains socialistes du congrès de Châtelet, traduits en cour d'assises sous prétexte de complot inventé par des agents provocateurs. Alfred De Fuisseaux, Georges De Fuisseaux, Ma-roille, Conreur et les autres avaient été, en effet, renvoyés devant la cour d'assises du Hainaut et y comparurent en mai 1889. Les débats de cette affaire, célèbre sous le nom ironique de Grand Complot, eurent un retentissement inconcevable. C'est que l'examen du dossier avait suffi pour révéler aux défenseurs l'existence d'agents provocateurs. On apprit ainsi, non sans stupeur, que le misérable Laloi, qui présidait le congrès de Châtelet et accusait de modération les gens du Parti Ouvrier, était un indicateur de la sûreté publique, rétribué aux pièces, selon l'importance et la nature des renseignements qu'il fournissait. La publicité de l'audience mit en lumière une autre figure de mouchard, l'abject Pourbaix, qui télégraphiait familièrement au ministère : Prévenez Beernaert, arriverai minuit. On sut encore que le chef du Cabinet n'avait pas ignoré, l'année précédente, que Conreur n'était pas l'auteur du manifeste signé Stanislas Tondeur, et l'avait néanmoins fait poursuivre de ce chef devant la cour d'as- 6 sises. Il fut révélé que Pourbaix avait chez lui des provisions de dynamite, qu'il en fournissait aux plus violents et leur conseillait des méfaits. Le scandale fut énorme. Après d'admirables plaidoiries de Paul Janson ei d'Edmond Picard, tous les accusés furent acquittés. Quelques semaines après, Paul Janson était élu député de Bruxelles et, dès son entrée au Parlement, prononçait contre le ministère un accablant réquisitoire. Pendant deux séances, les plus agitées peut-être qu'ait connues la Chambre censitaire, le Cabinet conservateur fut violemment pris à partie. On vit même le chef de la gauche modérée, Frère-Orban, sortir de son silence orgueilleux pour flétrir à son tour les procédés employés par le gouvernement. Toute la presse libérale, progressiste, socialiste, commenta avec indignation ces révélations et ces débats. Nous regrettons de ne pouvoir nous étendre un peu sur cet étrange procès du Grand Complot, à l'occasion duquel il y aurait tant de détails piquants à narrer, tant de réflexions intéressantes à faire; mais nous ne pouvons le mentionner dans cette étude qu'au point de vue de ses conséquences. Celles-ci furent considérables et salutaires. Les socialistes républicains s'aperçurent qu'ils avaient fait fausse route. Les impatients et les exaltés apprirent à se méfier de ceux qui leur conseillaient de chimériques coups de force. L'apparition des mouchards officiels en fit soupçonner d'autres et rendit prudent. Il devint notoire que deux partis socialistes n'étaient pas viables et que l'union, avec la confiance réciproque, était indispensable pour lutter contre les partis bourgeois. Au surplus, le Parti Ouvrier eut le triomphe modeste. Il ne fit point trop sentir combien les événements lui avaient donné raison. Et ce fut, sans un mot d'amertume pour la polémique passée, qu'il prit avec ardeur, avec vaillance, la défense des accusés du Grand Complot, avec joie qu'il salua leur acquittement. Aussi le rapprochement ne tarda pas à se faire entre des groupes faits pour s'entendre. Une assemblée convoquée le 8 octobre 1889 à Bruxelles constata l'adhésion au Parti Ouvrier des membres de l'ancien Parti socialiste républicain. Il fut convenu que l'obligation pour les coopératives de consacrer une partie de leurs bénéfices à la propagande socialiste serait mise à l'ordre du jour du prochain congrès et préconisée par le Conseil général. Le 6e congrès annuel tenu à Louvain, les 6 et 7 avril 1890, scella l'union. Un grand nombre de délégués des bassins houillers du Hainaut y assistaient. Georges De Fuisseaux constata la disparition de toute résistance, et émit le vœu de voir modifier le titre du parti en celui de : « Parti socialiste républicain ». Une lettre du Drde Paepe, tenu éloigné du congrès par la maladie, justifia le maintien de la dénomination primitive, par ces conseils toujours d'actualité : « Permettez à un vieux socialiste, sur la brèche depuis plus de trente-trois ans, et qui a vu déjà tant de hauts et de bas, tant de périodes de progrès et de périodes de recul dans les partis avancés belges, de vous donner un conseil : celui de viser, avant tout, dans toutes vos délibérations et résolutions, à maintenir parmi les différentes fractions du Parti et les diverses tendances plus ou moins accentuées ou modérées, l'union la plus étroite possible, et éviter même tout ce qui pourrait constituer un soupçon de division pour l'avenir. Naturellement, ceci implique qu'il faut commencer par oublier les divisions qui ont existé dans le passé. Vous diviser pour mieux vous opprimer, telle est la tactique de vos ennemis; rappelez-vous l'aveu de M. Gauthier de Rasse, l'ex-chef de la sûreté. Fuir les divisions, les éviter, les étouffer dans l'oeuf, telle doit être votre tactique à vous; et pour cela, que votre programme reste le plus large possible; que le titre du Parti reste assez général pour abriter tout ce qui, dans le prolétariat belge, veut travailler à l'émancipation intellectuelle et matérielle, politique et économique de la masse des déshérités. « Parti Ouvrier » quoi de plus large, de plus précis et de plus simple à la fois? Qu'ajouteraient les mots : socialiste, collectiviste, communiste, rationaliste, démocrate, républicains et autres épithètes limitatives? Qui dit « Parti Ouvrier » dit « parti de classe ». Et dès que la classe ouvrière se constitue en parti, que voulez-vous qu'elle soit autre chose, daus ses tendances et dans ses principes, que socialiste, républicaine, etc? Tel groupe, parmi nous, aura peut-être plus de propension pour telle ou telle de ces épithètes, soit; qu'il la prenne, qu'il s'intitule communiste, républicain, anarchiste même s'il lui plait, ou qu'il s'intitule démocrate, mutuelliste, coopérateur, ou de tout autre titre aussi peu effrayant; c'est son affaire. Mais que tous viennent se ranger sous cette appellation qui, depuis sa fondation, est celle de notre parti : Le Parti Ouvrier ». CHAPITRE III L'agitation révisionniste. Voilà donc, en 1890, le Parti Ouvrier définitivement constitué, devenu adulte; il n'est pas encore tout le parti socialiste; certains syndicats professionnels n'y sont pas affiliés ; d'importants groupes dans le Hainaut relèvent des Chevaliers du Travail; enfin, dans la bourgeoisie, maintes individualités mènent le combat en faveur du suffrage universel dans des associations libérales ou progressistes. Mais si le Parti Ouvrier n'est pas, dès 1890, tout le parti socialiste, il devient incontestablement, à partir de cette époque, l'organisation principale et prépondérante. Nous allons, dans ce chapitre, qui nous conduira jusqu'au jour de la révision constitutionnelle, retrouver son influence sans cesse agissante. Quand on l'examine ainsi, à quelques années de distance, avec le recul indispensable pour apprécier équitablement et d'ensemble la suite de ses efforts, on reste véritablement émerveillé. Emerveillé de la prudence avec laquelle il sut marcher dans une voie quasi-révolutionnaire, et, plus encore, de l'ingéniosité avec laquelle furent gradués, renouvelés, variés, les modes d'intéresser l'opinion. Il fallut, à la vérité, que les quelques hommes qui 6. dirigeaient alors le Parti fussent bien exactement les interprètes de la pensée de la masse, pour qu'ils aient pu réussir en une entreprise aussi extraordinaire. Arriver à obtenir de la bourgeoisie qu'elle concédât elle-même les instruments de sa propre déchéance, semblait un résultat qu'il ne fallait point espérer. Ceux qui jugeaient les événements avec la logique et le bon sens étaient en droit d'être rebelles à toute illusion. L'hostilité de la presse, l'inertie conservatrice d'une majorité cléricale, l'incompréhension des gouvernants paraissaient d'invincibles obstacles. Et cependant on en triompha en quelques années. Us se désagrégèrent d'eux-mêmes, sans crise, sans conflit, insensiblement, de manière que le jour où la révision constitutionnelle fut acquise, elle parut être la solution naturelle et prévue. Il suffit de se reporter à quelques années en arrière pour se rendre compte que, au contraire, cette évolution fut, en réalité, déconcertante et dominée par la volonté tenace et réfléchie du Parti Ouvrier. Si l'on examine la situation des différentes individualités ou associations qui pouvaient agir sur les destinées nationales vers ce 1890, où la politique belge s'oriente décidément vers la révision de la Constitution, on constate que parmi ces foules en marche vers l'inconnu, le Parti Ouvrier seul sait nettement où il veut aller et comment il entend y arriver. Son but immédiat, c'est l'attribution du droit de vote à tous les citoyens ; son moyen, la manifestation et, cette ressource suprême, la grève générale. Pendant plusieurs années, il déploie une habileté exceptionnelle à tirer tout le parti possible de ces modes de propagande assez limités. Car la grève générale étant l'arme décisive, il se conçoit qu'on ne devait la tirer du fourreau qu'à la dernière extrémité et quant aux manifestations, leur répétition même risquait d'être lassante et de manquer le but. Ces propagandes passives étaient tout ce qui était permis aux hommes du Parti Ouvrier; sans argent, sans représentation dans les assemblées délibérantes, sans personnalités considérables, presque sans journaux, sans action électorale notable, ils ne pouvaient se faire écouter, exciter l'attention que par ces paisibles défilés interminables. Et les autorités, les parquets et le gouvernement guettaient avidement toute infraction à la loi pour donner aux tribunaux licence de châtier inexorablement. Ce fut miracle d'éviter de donner au pouvoir l'occasion d'une répression militaire ou judiciaire qui eût été terrible et eût tout compromis pour longtemps. Cette sagesse, on la dut, pensons-nous, aux révélations du Grand Complot; ainsi, par un singulier renversement des choses, les machinations louches de la sûreté servirent aux revendications populaires. Nous ne pouvons détailler par le menu les combinaisons sans cesse imaginées pour piquer la curiosité publique. Le barnum le plus retors ne sait point utiliser la souplesse infinie de la réclame, comme le fit, pour le suffrage universel, le Conseil général du Parti Ouvrier. Les inventions les plus hétéroclites furent ainsi risquées : telle, cette lettre à l'Épiscopat, par laquelle le Conseil général demanda aux Evêques les raisons de leur hostilité supposée à la réforme électorale, missive restée sans réponse, cela va sans dire; mais la semaine suivante, c'était un autre coup de pistolet. Et ainsi de suite, avec une intarissable verve. On invita, à la Maison du Peuple, les notabilités des divers partis à venir développer leurs idées sur la question du jour ; on organisa des referendum sur le suffrage universel, des scrutins fictifs, que sais-je? Le 10 août 1890, il y eut, à l'occasion d'une manifestation au parc de Saint-Gilles, un grand serment solennel, où le peuple jura de lutter sans repos ni trêve jusqu'au jour où, par l'obtention du suffrage universel, il aurait conquis une patrie. Il y eut des manifestations nationales, provinciales, cantonales ; des manifestations simultanées,ou consécutives; des manifestations bourgeoises et des manifestations ouvrières; on reste confondu qu'on en ait pu faire autant, toujours avec le même sujet : le S. U. (1). L'année 1890 débute par une grande grève dans le pays de Charleroi. Elle avait un caractère exclusivement économique : augmentation de salaire et diminution des heures de travail. Elle mérite d'être signalée, au milieu des autres grèves de même nature, à cause de son importance exceptionnelle comme durée et nombre d'adhérents, mais aussi parce qu'elle mit en évidence la force des Unions de mineurs affiliées aux Chevaliers du Travail. Leur grand maître, Jean Caeluwaert était un ancien mineur de Jumet, qui s'était déjà distingué par son énergie et son esprit d'organisation syndicale dans des grèves antérieures. Il réussit à obtenir la médiation des autorités et, après maints pourparlers, un compromis fut signé entre lui et MM. Sabatier, député, et Smeysters, ingénieur des mines, délégués des industriels, par lequel la journée des houilleurs était réduite d'une heure. Ce n'était pas encore la journée de neuf heures qui avait été (1) Ls. Suffrage Universel. Ces mots revenaient si souvent dans la polémique et les conversations de cette époque, que cette abréviation devint courante pour désigner le suffrage universel pur et simple à 21 ans. réclamée, mais c'était déjà un pas considérable. Ce fut alors, afin de porter au Parlement môme les plaintes des travailleurs du charbon, que Paul Janson déposa, le 17 janvier 1890, une proposition de loi fixant à dix heures la journée normale de travail, etc., demandant l'institution d'une direction générale du travail, chargée de réunir les documents statistiques et de préparer la législation ouvrière. L'institution préconisée était, en germe, le Ministère du Travail qui fut établi quelques années après. A quelque temps de là, les mineurs des quatre régions houillères (Liège, Charleroi, Centre et Bori-nage) se réunirent en congrès à Jumet-Gohissart et résolurent de créer une Fédération des divers bassins afin d'éviter, autant que possible, les efforts isolés et d'aboutir à une action coordonnée. On entendit Cae-luwaert, Cavrot, Maroille et autres protagonistes de l'organisation prolétarienne. Les intérêts politiques paraissaient tellement liés aux intérêts corporatifs que la Fédération inscrivit en tête de son programme le suffrage universel. C'était vers cette époque (1890) que l'empereurd'Alle-magne convoquait la conférence de Berlin, pour délibérer une réglementation internationale du travail. Le gouvernement belge se fit représenter à cette réunion solennelle; et ses délégués étonnèrent parleur absolue intransigeance, leur irréductible hostilité à toute mesure d'intervention de l'État dans les rapports du patron et de l'ouvrier. En matière économique, les dirigeants censitaires en étaient encore au plus pur manchestérianisme, et c'était avec toutes sortes de lenteurs, de tergiversations et de réserves qu'ils abordaient l'étude des problèmes que leur avait posés la commission d'enquête, nommée par eux au lende- main dœ émeutes de mars 1886. Il est curieux de rappeler combien cette conférence de Berlin est relativement récente; quand on compare les discours des envoyés du parti conservateur aux déclarations actuelles de ce même parti, ce rapprochement édifie pleinement sur l'influence que peut avoir, sur les conceptions économiques, un système électoral. Il justifie la manière de voir du Parti Ouvrier qui condamnait d'avance toute législation ouvrière faite sans le concours de ceux pour qui on prétendait la faire, et qui réclamait obstinément le suffrage universel préalablement à toutes autres réformes. Ce fut le suffrage universel qui fut le principal objet du congrès de Louvain, tenu les 6 et 7 avril i8qo, dont nous avons déjà dit quelques mots dans le chapitre précédent. Ce fut pour sa conquête que l'union fut consacrée. Ce fut le S. U. encore, qui, en même temps que la journée de huit heures, fut réclamé par les cartels, les bannières et les pancartes des nombreux manifestants, qui, dans les différentes villes, conformément au vœu du congrès international de Paris, célébrèrent cette année là, pour la première fois, le ier mai. Les élections législatives de juin mirent une fois de plus en évidence l'absolue impossibilité pour le parti socialiste de réussir devant le corps électoral censitaire. On se souvient des résultats infimes auxquels il avait abouti à Bruxelles; cette fois, la lutte fut engagée dans le Hainaut et sa conclusion fut plus désastreuse encore : àMons, Léon De Fuisseaux, ancien membre de la Chambre, ayant recueilli dans un scrutin populaire plus de i5.ooo voix, en obtenait 404 sur 5.ooo censitaires; à Charleroi, sur un corps électoral plus considérable encore, Caeluwaert en avait 217. Entre les deux partis historiques, ayant leur organisation, leur publicité, leurs fidèles, l'écrasement était inévitable. Il ne fallait plus songer à entamer ces bataillons ennemis; ce ne pouvait être qu'en se mêlant à l'un d'eux que l'on entrerait dans les places fortes. La conscience de cette nécessité poussa les démocrates à réclamer, dans les associations libérales, une représentation ouvrière. Nous voyons, dès cette époque, se poser un peu partout la question des candidatures ouvrières. Les progressistes les accueillent de tout cœur; les doctrinaires cherchent à les éviter; les cléricaux ne tardent pas à les parodier; le Parti Ouvrier, dans toutes ces combinaisons, a pour principal soin de maintenir inflexiblement l'intégrité de son programme. Il a bien soin de déclarer, chaque fois qu'il s'allie avec les libéraux, que cette alliance est momentanée et ne peut en rien diminuer le droit, pour les candidats ouvriers, de défendre les revendications du Parti. Dans un ordre du jour, en date du 3 mai, il affirme à nouveau que les périodes électorales sont surtout un temps propice pour la propagande, que cette propagande serait paralysée si les candidats atténuaient en quoi que ce fût leur programme, et qu'il est plus important de défendre sans défaillance les principes que de réussir. C'est ainsi qu'aux élections communales d'octobre 1890, il parvint à faire élire Vandendorpe, à Bruxelles, Defnet à Saint-Gilles, d'autres compagnons dans les faubourgs et qu'il lutta avec certains succès, à Ver-viers, à Louvain, Châtelet, Gilly, Ransart, Souvret, etc., etc. La préoccupation de la réforme électorale restait au premier plan : c'est ainsi qu'aux élections communales, bien qu'il fût notoire que les conseils eom- munaux n'auraient point à résoudre la question, la lutte était presque partout entre adversaires et partisans de la révision. Le Parti Ouvrier organisa, pour le 10 août 1890, une manifestation nationale à Bruxelles. L'élan de la population montra les progrès considérables qu'avait faits la cause du suffrage universel. D'interminables théories défilèrent, superbes de calme, d'ordre, de discipline. On évalua à 75.000 le nombre des manifestants. L'enthousiasme fut tel que l'on décida, le soir même, la convocation d'un congrès extraordinaire pour le 14 septembre suivant, aux fins d'aviser à sanctionner efficacement l'effet de cette journée. Le congrès fut nombreux et animé ; les débats, ardents. Tous étaient impatients d'aboutir, mais les membres du Conseil général étaient désireux de continuer les démonstrations de la rue, tandis qu'un fort courant entraînait l'assemblée à décréter la grève générale. Celle-ci fut résolue, en principe, et l'on chargea le Conseil général d'en préparer les moyens. Il se mit aussitôt a l'œuvre, adressa aux associations ouvrières des circulaires, les suppliant d'éviter toute grève partielle et de réunir les ressources pour le jour prochain du grand conflit. En même temps, il organisa, lors de la rentrée des Chambres, le 9 novembre, des manifestations à Liège, à Namur, à Anvers, à Louvain, dans le Centre et à Bruxelles. Cette dernière eut quelque éclat. Les délégués en furent reçus à l'hôtel de ville par MM. Buis, bourgmestre et député, P. Janson, député, et de Brouckère, sénateur, auxquels ils demandèrent de faire parvenir au Parlement une adresse réclamant la révision et le suffrage universel. Paul Janson leur répondit par la promesse de saisir incessamment la Chambre d'une nouvelle proposition de révision. Elle fut déposée le 27 novembre. En 1870, en i883, en 1887, des propositions analogues avaient été écartées, sommairement, par le refus de les prendre en considération. La prise en considération est, dans la procédure parlementaire, une formalité sans conséquence ; elle signifie simplement que l'on consent à examiner. Il est rare qu'elle soit refusée. Néanmoins, les propositions très importantes, touchant aux lignes essentielles du droit public, ne franchissent point le seuil des discussions lorsqu'elles n'ont pas une certaine probabilité de réussir. Ce fut donc, avec un éton-nement joyeux, que l'on vit le gouvernement déclarer qu'il ne s'opposait point à la prise en considération et la Chambre voter à l'unanimité, avec la solennité d'un appel nominal, le renvoi aux sections. Certes, le ministère s'était montré assez hésitant; certes, M. Woeste, parlant au nom de la majorité des cléricaux, avait réitéré les affirmations de son inflexible résistance et avait annoncé sou intention de combattre la motion; certes encore, parmi ceux qui avaient émis ce vote, beaucoup s'imaginaient lasser l'agitation populaire en lui concédant une satisfaction sans portée et se réservaient de retarder, par une stratégie à la Fabius Cunctator, toute issue décisive. Mais ce vote unanime avait une signification qui dépassait singulièrement les prévisions de ces myopes. Virtuellement, en dépit des réserves, des hostilités, des inerties, la révision était faite et le gouvernement forcé, par la logique des faits, à aller jusqu'au bout. Ceux qui s'étaient figuré que les masses ouvrières allaient s'apaiser et s'endormir après cette première victoire, se trompaient complètement. Un espoir immense gonfla l'âme de la foule quand fut connue la décision de la Chambre; et des énergies nouvelles furent ainsi suscitées. Parmi celles-ci, il faut signaler celles de la jeunesse universitaire. Un Cercle des étudiants et anciens étudiants socialistes s'était fondé à Bruxelles, après la grève de Quenast. Son but était d'allier le socialisme théorique, issu de la pitié, au socialisme pratique, issu de la misère. Il s'était affilié au Parti Ouvrier et lui apportait un concours intellectuel précieux. 11 tint, en décembre, un congrès national, où il essaya, assez audacieusement, un rapprochement avec les étudiants et anciens étudiants cléricaux de l'Université de Lou-vain, en indiquant un triple terrain d'activitécommune : extension du droit de suffrage, réglementation du travail, organisation syndicale. Parmi les orateurs qui discutèrent ces questions, citons Vandervelde, De Brouckère, MM. Bodeux et Van Overbergh. Le 25 décembre, Bruxelles attesta l'intensité croissante du mouvement. Pendant que les délégués du parti progressiste, réunis en congrès, abandonnaient la formule du « savoir lire et écrire » pour se rallier au suffrage universel, la populalion ouvrière, toute entière soulevée, faisait à César de Paepe d'émouvantes funérailles, telles que les plus grands hommes d'État n'en avaient point eues. La proposition Janson fut soumise aux sections. Cette fois, l'esprit réactionnaire se déclara ouvertement; toutes les sections, sauf une, repoussèrent le projet. La section centrale, qui fut désignée ensuite de ces délibérations, était en majorité défavorable à la révision. La déception fut profonde et l'irritation si vive que le Parti Ouvrier jugea prudent de convoquer un congrès extraordinaire, pour aviser aux mesures que comportait la situation. Il se tint, à Bruxelles, dans la salle de l'Union, rue des Fabriques, le 5 avril 1891, sous la présidence de Léon De Fuisseaux. On y vit, fait significatif de l'unanimité du sentiment de la masse ouvrière, Jean Caelu-waert et d'autres délégués des Chevaliers du Travail, à qui le Vooruit, l'organe d'Anseele, avait tout récemment reproché d'une manière acerbe leur prétention persistante à l'autonomie. On profita de leur présence pour émettre le vœu de leur adhésion prochaine au Parti Ouvrier; mais ce souhait ne devait se réaliser que longtemps plus tard. Tous les ouvriers étaient d'accord pour recourir à la grève générale. Sa nécessité ne fut même pas mise en question. Les discussions ne portèrent que sur la date à laquelle il convenait de la faire éclater. Demblon (Liège), Roger (Borinage), Caeluwaert (Charleroi), au nom de leurs mandants, se prononçaient pour la grève immédiate, à commencer le Ier mai au plus tard. Bertrand, Volders, Anseele et Vandervelde firent, au contraire, les plus énergiques efforts, malgré la défaveur évidente de l'auditoire, pour qu'aucune date 11e fût irrévocablement fixée. Le premier exposa les résultats d'une entrevue que le Conseil général avait eue avec des membres révisionnistes de la section centrale et les espérances optimistes de ceux-ci; le second insista sur les retards et les complications des procédures parlementaires ; les derniers firent valoir que la grande bataille se livrerait, non pas sur la révison qui paraissait assurée, mais contre le suffrage universel, quand il s'agirait d'édifier le nouveau régime électoral. Ils eussent voulu réserver la grève générale pour cette échéance critique. On finit par s'accorder sur une motion transactionnelle, qui portait que la grève éclaterait, sans autre délibération, le jour où le gouvernement ou la section centrale se prononcerait contre la révision. Cette résolution, qui avait l'adresse de déplacer les responsabilités, équivalait en fait à un ajournement. Pour les esprits bien informés, il n'était plus douteux que la cause de la révision était gagnée. Le gouvernement avait déclaré s'y rallier, sous condition de trouver une formule pour la disposition constitionnelle nouvelle et cette formule paraissait devoir se rencontrer dans une combinaison du sens, du « capaeitariat » et de 1' i occupation », pour nous servir des barbarismes sous lesquels ces systèmes avaient été désignés. Le parti clérical acceptait la révision avec résignation, et aussi avec l'espoir secret de la faire à sonpro-fit. Un acte d'hostilité formelle vis-à-vis de la révision n'était donc pas à craindre. Cependant les lenteurs de la section centrale exaspéraient l'impatience de la classe ouvrière. Il fallut toute l'autorité du vote du congrès pour l'empêcher de partir en grève. Le ior mai, les houilleurs n'y tinrent plus. Leur fédération avait décidé condition-nellement la grève, pour le cas où une grève des mineurs de la Westphalie prendrait de l'extension. Us n'attendirent même pas l'échéance de cette condition. Malgré une délibération formelle, appuyée d'un manifeste du Conseil général, insistant pour que la décision du 5 avril fut respectée, il y eut de nombreux refus de travail au lendemain des importantes manifestations qui, dans les principaux centres, avaient eu lieu en l'honneur du ier mai. En quelques jours, le chômage se généralisa dans les charbonnages. Plus de cent mille houilleurs res- tèrent les bras croisés, faisant ainsi spontanément la plus formidable manifestation qui se pouvait imaginer. Le Parti Ouvrier se décida à soutenir un mouvement aussi irrésistible. Il engagea ses membres à envoyer des secours aux grévistes; il convoqua des meetings en faveur de la révision. Le 20 mai, après trois semaines mémorables, pendant lesquelles toute cette population charbonnière ne se départit pas de son calme, acceptant héroïquement la privation de salaire rien que pour attester la volonté d'obtenir des droits politiques, la section centrale adopta, à l'unanimité, le principe de la révision constitutionnelle et le Parti Ouvrier s'empara de ce vote pour conseiller la reprise du travail. Ses avis furent écoutés, sauf dans la région de Charleroi, où la grève persista longtemps encore pour des revendications économiques. Le 7e congrès annuel se tint à Verviers, les 28 et 29 juin 1892. Il permit des explications franches, et qui étaient salutaires, pour l'union à venir. Les mineurs wallons étaient mécontents de ne pas avoir été suivis, et reprochaient aux coopérateurs flamands et bruxellois un excès de prudence conservatrice. Ces récriminations ne provenaient que de malentendus, et une entente parfaite fut la conséquence du congrès. Dans son rapport sur l'année écoulée, Bertrand constatait l'importance décisive qu'avait prise le Parti Ouvrier. Il signalait que les conservateurs commençaient à se préoccuper des ouvriers et des paysans, jusque-là délaissés par eux; qu'ils opposaient aux Maisons du Peuple, des Maisons des Ouvriers; aux coopératives socialistes, des coopératives cléricales; aux journaux et aux brochures, des pamphlets experts à dénaturer les intentions des socialistes, à calomnier perfidement les hommes et les idées. Le congrès décidait l'agrandissement du format du Peuple, et la création d'un journal quotidien (l'Echo du Peuple) à o fr. 02. Il appuyait le mouvement des Jeunes Gardes pour la propagande socialiste dans l'armée et poursuivait l'agitation révisionniste. Mais une accalmie relative devait, comme en 1887, succéder à l'effort de la classe ouvrière. Pendant plusieurs mois, le mouvement ne présente plus d'incident notable. La presse discute les intentions supposées du gouvernement, enregistre les conversions qui successivement rallient à la cause du suffrage universel des personalités ou des groupes, critique le long , rapport de M. de Smet de Nayer, résumant les travaux de la section centrale. Le Congrès international ouvrier socialiste du mois d'août agite des questions d'ordre plus général. 11 réunit les individualités les plus marquantes du socialisme des divers pays et, dès la première séance, refuse d'admettre les délégués des anarchistes, exclusion que confirmeront encore dans la suite les congrès de Zurich et de Londres. Remarquons, en passsant, que les anarchistes repoussés étaient tous étrangers; le socialisme belge ne comptait point alors, pas plus qu'il ne compte aujourd'hui, de groupe anarchiste sérieux; en ce sens du moins que ceux que peuvent entraîner les conceptions anarchistes ne s'opposent point à l'organisation ouvrière et à l'action politique. Le commentaire de cette journée appartient à l'histoire du socialisme international et sort de notre cadre; notons seulement l'effet heureux que ces discussions publiques eurent pour la propagande des idées socialistes, et constatons au point de vue natio- nal, l'adhésion des Chevaliers du Travail représentés par Caeluwaert et J. Lambillotte. A la Chambre, le gouvernement temporisait. Le désir non avoué, mais certain, de la plupart des députés était de retarder la révision autant que posssible, tout au moins jusqu'en juin 1892, date du renouvellement partiel du Parlement. Sous de futiles prétextes, le débat tant attendu fut ainsi postposé. On avait fixé le mois de février comme dernier délai. A cette date, la droite décida de ne discuter qu'en avril. Ces atermoiements continuels motivèrent un congrès extraordinaire du Parti Ouvrier. Il se tint le 21 février, sous la présidence de Defnet. On y parla de renouveler la manifestation nationale dont l'impression avait été si grande, le 10 août 1890. Mais beaucoup de délégués exprimèrent la lassitude qui commençait à accueillir ce genre de démonstration dans la capitale, et l'on se borna à décider, d'abord, de donner à la prochaine journée du icr mai, le caractère d'une double revendication : suffrage universel et huit heures ; en second lieu, de faire, le dimanche précédant les élections à la Constituante, des manifestations dans les principaux centres industriels, dans le but d'appuyer les candidats partisans du S. U. Le congrès ajouta que la grève générale, dernière et suprême ressource de la classe ouvrière, éclaterait si le Parlement actuel repoussait la révision ou dès que la Constituante aurait prouvé, par le rejet du suffrage universel, sa volonté de ne pas donner justice au peuple. Le 26 avril, la Chambre aborda enfin la dicussion des propositions de révision constitutionnelle. Le président du conseil des ministres, M. Beernaert, essaya de justifier ses retards, en disant qu'il convenait que ces graves questions fussent examinées avec ma- turité, qu'on ne pouvait démolir avant d'être fixé sur le plan de reconstruction. On entendit M. Woeste, le chef du parti clérical, déplorer que l'on eût permis à la question de s'ouvrir; M. Frère-Orban, le chef des doctrinaires, requérir contre le suffrage universel; et M. Paul Janson, le leader progressiste, le défendre chaleureusement. Malgré l'autorité de ces hommes d'État et leur talent indiscuté, il est permis de trouver, lorsqu'on relit ces discussions, qu'elles ne furent pas à la hauteur de l'instant. La Chambre ne retrouva, semble-t-il, quelque sentiment de l'importance de ce qu'elle faisait, qu'au moment du vote : la déclaration qu'il y avait lieu à révision de l'article 47 fut adoptée à l'unanimité, le 10 mai 1892. Le Sénat suivit, avec une docilité assez rapide. Ces décisions, qui étaient l'aboutissement de tant d'efforts, ne causèrent point la sensation qu'on croirait. Le vote sur la prise en considération et celui de la section centrale avaient autrement passionné. L'intérêt d'ailleurs s'était déplacé; il n'était plus dans la question de savoir si la révision se ferait, cela ne présentait, étant donné l'évolution de l'opinion publique, plus aucun doute, mais dans celle de savoir comment elle se ferait. C'était, vers cette époque, la mêlée des systèmes; en dehors des partisans résolus du S. U. pur et simple, chacun en proposait un spécial, et la mode était surtout des suffrages universels sans universalité réelle, d'où l'on excluait telle ou telle catégorie de citoyens. D'aucuns y ajoutaient des modalités, telles que le référendum, la représentation proportionnelle, la représentation des intérêts. Le Parti Ouvrier lui-même fut ainsi amené à se prononcer sur ces questions. Dans le 8° Congrès annuel, tenu à Namur, les 29-80 mai 1892, il se rallia à la représentation propor- tionnelle; à l'établissement d'organisations spéciales à consulter sur l'élaboration des lois et composées des représentants des grandes fonctions sociales ; au referendum populaire, en cas de demande de 5o,ooo citoyens. Ces dernières questions ne paraissent plus présenter qu'un intérêt rétrospectif: aussi nous croyons pouvoir être bref. Ce qui est plus digne d'attention et ce qui marquait bien les progrès du Parti Ouvrier, c'est la motion que fit Bertrand, à ce congrès de Namur, quant à la nécessité d'examiner la question agricole et de rédiger un programme de réformes agraires. En même temps que s'entrecroisaient les arguments, on se préparait aux élections pour la Constituante. Les partis reformaient leurs cadres, plus soucieux de s'assurer le pouvoir que de consulter l'avis du corps électoral. On assista cependant à des incidents bizarres et assez neufs dans un pays si longtemps divisé par la guerre clérico-libérale. On vit M. No-thomb, député conservateur de Turnhout, donner sa démission de président de l'association catholique de Bruxelles, pour ne pas avoir à combattre M. Paul Janson dont il partageait les vues à propos du suffrage universel. On vit les orateurs catholiques suivre son exemple et venir défendre le S. U. dans les meetings convoqués par le Parti Ouvrier. A Bruxelles, l'union libérale se fit, ensuite de promesses assez vagues de la part des doctrinaires, et les socialistes n'entamèrent nulle part la lutte, se bornant à appuyer les partisans du suffrage universel. Les élections de juin se firent sans grande fièvre; les censitaires étaient assurément beaucoup moins anxieux du résultat que ceux qui ne votaient point. La majorité cléricale fut maintenue, mais elle ne réus- CHAPITRE IV. La Révision. La Chambre nouvelle, à qui était échue la grave mission de réviser la Constitution de i83i, était, sauf des modifications légères, la même que celle qui avait décidé la révision. Comme la plupart de ses membres avaient négligé de consulter le corps électoral censitaire sur la solution à donner au problème posé, comme ils avaient été simplement élus, les uns comme cléricaux, les autres comme libérau*, en vertu des vieilles tactiques coutumières, ils arrivaient à la Constituante irrésolus, sans mandat précis, disposés à suivre docilement, en unités fongibles, ce que décideraient les grands chefs. Ceux-ci restaient, du côté conservateur, M. AVoeste, qui représentait l'élément clérical pur, réactionnaire, opposé à toute marche en avant; M. Beernaert, président du Conseil des ministres, qui rêvait à la constitution d'un centre, puissant rempart des intérêts bourgeois coalisés, et qui comprenait la nécessité d'accorder quelque chose aux revendications populaires, sans bien savoir au juste quoi; du côté libéral, M. Frère-Orban, le chef superbe du parti doctrinaire, qui avait jadis déclaré qu'on n'aurait le suffrage universel, ni en un acte, ni en trois, et qui, hostile autant que M. Woeste cà la reconnais- sance des droits de la classe ouvrière, penchait, par la tradition historique des nobles efforts que ,1e parti libéral avait faits pour l'instruction, vers la concession d'un privilège électoral aux capacitaires; enfin, M. Paul Janson, l'éloquent leader de la minorité progressiste, décidé à défendre, unguibus et rostro, le suffrage universel. Aucun de ces groupes n'avait dans la Chambre la majorité. Celui que dirigeait le gouvernement, le plus nombreux évidemment, en vertu de cette loi qui, dans les assemblées parlementaires, pousse les députés incapables de se faire une opinion personnelle, à accepter celle, profitable du moins, du pouvoir, avait à peine la majorité absolue, et en tous cas, n'atteignait point la fameuse majorité des deux tiers, indispensable, à l!insertion d'une disposition nouvelle dans la Constitution révisée. A côté de ce groupe, allant de l'un à l'autre, des flottants imaginaient des combinaisons compliquées, élaboraient des transactions qui ne satisfaisaient personne. La Constituante se réunit le 12 juillet 1892. Après les formalités d'usage, elle désigna une commission de 21 membres, qui était comme sa réduction, les diverses tendances y étant représentées. Puis elle s'ajourna, laissant cette commission commencer d'insipides travaux de Pénélope, à la recherche d'une solution acceptable. La propagande pour le suffrage universel ne chômait point. Le jour de la rentrée des Chambres, le Parti Ouvrier organisa un grand meeting où Jean Vol-dérs affirma à nouveau la volonté du peuple. Le 25 juillet, une réunion plus extraordinaire avait lieu ; les socialistes de la Maison du Peuple allaient congratuler les anti-socialistes à la Maison des Ouvriers, qui venaient d'acclamer le suffrage universel; et MM. Renkin, Ninauve, Carton de Wiart célébraient cette manifestation, en même temps que Volders. D'autre part, àArlon, lors d'une élection législative nécessitée par la vacance d'un siège, était élu M. Nothomb, catholique, partisan avéré du S. U. Ces faits indiquaient les progrès que faisait l'idée dans les rangs cléricaux. Tandis que dans le parti socialiste on se préparait à la grève générale, (le congrès des mineurs, tenu en août 1892, à Frameries, avait voté une résolution explicite à cet égard); l'on sentit dans le parti catholique la nécessité de fixer une ligne de conduite uniforme aux unions ouvrières bien pensantes, chez qui la solution radicale recrutait chaque jour de nouveaux adeptes. Un congrès des ouvriers catholiques fut convoqué en septembre et se tint, sous la présidence de M. Helleputte, député de Maeseyck. La démocratie de M. Helleputte ne faisait illusion à personne. Ainsi commençait, dès ce moment, une tactique prudente des conservateurs, consistant à attirer dans les patronages, dans les cercles pieux, les ouvriers des usines et des champs; à les détourner du socialisme, en leur concédant, le plus lentement possible et avec toutes les précautions imaginables, la promesse de réformes qu'on ne pouvait leur refuser. U fallait des gens d'une habileté extrême pour procéder à ce dosage délicat de conservatisme et de démocratie. Aussi la démocratie chrétienne, alors naissante, par suite des nécessités électorales prochaines, réservait-elle diverses surprises et quelque amertume à ses promoteurs. Le Parti Ouvrier saisit avec empressement cette occasion de s'adresser aux ouvriers catholiques et d'essayer de faire naître chez eux la féconde conscience de l'esprit de classe. Un manifeste, signe Serwy, secrétaire du Conseil général, les conjura en ces termes : Aux ouvriers catholiques! Dans quelques jours vous vous réunissez à Bruxelles en Congrès national; le Parti Ouvrier exprime, en cette circonstance, le vœu que vous y affirmiez solonnellement la nécessité d'un régime électoral nouveau, dans lequel le peuple tout entier aura sa place. C'est la question qui, à l'heure présente, doit grouper dans une mcme pensée tous les travailleurs, quelles que soient leurs croyances philosophiques. L'émancipation ouvrière est liée à la solution du problème électoral. La bourgeoisie doit sa toute-puissance au droit de vote qui lui assure la possession du gouvernement. A la classe laborieuse, il faut le bulletin de vote, pour lui permettre de défendre ses intérêts et pour assurer son indépendance. Sans le droit de suffrage concédé à tous les citoyens, le peuple belge est impuissant à changer pacifiquement ses conditions d'existence. Cela est vrai pour l'entièreté du peuple travailleur, catholiques, protestants, juifs ou libres penseurs. Tous souffrent des mêmes maux, des mêmes iniquités. Le régime capitaliste est brutal, inhumain pour tous les pauvres, pour tous ceux qui peinent. 11 ne s'inquiète guère de leurs opinions religieuses. Pour lui, il n'y a que des bras et des cerveaux destinés à produire beaucoup pour le moins de salaire. Aucune différence entre la condition des ouvriers qui vont à la messe et celle des ouvriers qui ne s'y rendent pas. En effet : les diminutions de salaires ne les atteignent-elles pas tous? Les longues journées de travail ne sont-elles pas le lot de tous? Les jours de la vieillesse ne viennent-ils pas aussi vite et ne se traînent-ils pas aussi lamentalement, en proie à l'incertitude et à la misère, pour les uns comme pour les autres? Le patron fait-il une différence entre les uns et les autres quand il ferme ses ateliers? La vie de chacun de vous n'est-elle pas exposée chaque jour aux mêmes dangers que créent l'insécurité des installations industrielles et l'absence d'une inspection ouvrière? L'ouvrier catholique se fournit-il à meilleur compte que l'ouvrier athée les denrées alimentaires de première nécessité sur lesquelles pèsent les plus lourdes impositions? Est-ce que vos mères, vos femmes, vos enfants, que vous aimez, ne souffrent pas avec vous de la misère, conséquence fatale de vos faibles salaires? Est-ce que vos femmes ne sont pas enlevées du logis et vos enfants de l'école pour suppléer par leur travail dans les ateliers et les fabriques insalubres à l'insuffisance de vos salaires? La misère s'inquiète-t-elle de vos opinions philosophiques pour s'installer à votre foyer? L'impôt du sang ne frappe-t-il pas les plus pauvres, et non les catholiques ou les libres penseurs? Et la justice, est-elle plus humaine pour l'ouvrier de tel culte plutôt que pour celui qui n'en professe aucun? Pour tous les pauvres, croyants ou non, des charges égales. Pour tous les pauvres, croyants ou non, absence de droits. En somme, le régime capitaliste ne fait aucune différence entre les croyances des travailleurs, pas plus que le grisou ne tue de préférence tels ouvriers à tels autres. Pour çe régime, il n'y a ni religion, ni race, ni pratiques. 124 le socialisme en belgique La tyrannie capitaliste s'est montrée impitoyable vis-à-vis des ouvriers catholiques de Quenast, vous vous en souvenez. Elle affame, à l'heure actuelle, les allumettiers catholiques de Grammont. Elle pèse lourdement depuis des siècles sur la population catholique des Flandres. Vos maux, qui sont les nôtres, ne sont-ils pas assez cruels? Votre martyre, qui est le nôtre, n'a-t-il pas assez duré? Relevez-vous! Prenez conscience de vous-mêmes! Vous êtres le nombre ! Vous êtes donc la force qui vainc ! Ne comptez que sur vous, car le salut est en vous-mêmes ! Exigez vos droits ! Réclamez justice ! Ouvriers catholiques! Vos frères du Parti Ouvrier vous tendent la main pour la lutte prochaine contre notre ennemi commun, le régime censitaire. Marchons d'accord, nous souvenant que le Christ, votre maître, proclamait, il y a dix-neuf siècles, la fraternité humaine. Marchons unis pour réclamer le plus sacré de nos droits, le droit de vote. Que votre Congrès proclame votre volonté d'être citoyens de votre pays! Vous aurez alors démontré que vous avez conscience de votre dignité et de l'avenir du pays. Vive le suffrage universel ! Vive l'émancipation des travailleurs! La Fédération Bruxelloise du Parti Ouvrier La logique des faits amena le congrès des ouvriers catholiques à se rallier au programme socialiste sur la plupart des questions portées à son ordre du jour; comme le Parti Ouvrier, il réclama l'intervention de l'État pour la réglementation du travail, un système d'assurances, la personnification civile des syndicats professionnels. Quant à la réforme électorale, MM. Ninauve et Carton de Wiart voulurent défendre le suffrage universel, mais cela ne leur fut point permis. Avec une docilité remarquable, cette assemblée ouvrière, où figuraient d'ailleurs pas mal d'abbés, d'avocats et d'industriels, se rallia à un système basé sur l'occupation, la capacité et l'exercice continu d'une profession. La rentrée des Chambres était fixée au 8 novembre. Le 3, la Commission des XXI procéda aux votes qui devaient être la conclusion de ses travaux. La proposition Janson (suffrage universel à 21 ans) fut rejetée par 17 voix contre 4; la proposition Nothomb (suffrage universel à 25 ans et 3 ans de résidence), également; celle de M. De Smet de Nayer (occupation) fut adoptée par i5 voix contre 6. La seule nouvelle de ce vote détermina une effervescence considérable. Le 8 novembre, le roi inaugura par un discours du trùne, —le dernier, — les travaux de la Constituante. Il se borna à rappeler ce qui avait été fait et ce qui restait à faire dans le domaine de la législation ouvrière, comme suite à l'enquête de 1886. Vous tiendrez à honneur, dit-il, de ne pas interrompre l'étude des moyens propres à améliorer le sort des classes laborieuses. A l'ouverture de la session de 1886, en signalant cet objet à votre sollicitude, je vous annonçais une série de mesures importantes, concernant notamment les conseils d'arbitage, la réglementation du travail des femmes et des enfants, la répression de l'ivrognerie, l'amélioration des habitations ouvrières et des conditions de leur acquisition, la suppression des abus relatifs au paiement des salaires, le développement des institutions de prévoyance et de secours, d'assurances et de pensions. D'autres lois, non moins importantes, ont été votées. Le conseil supérieur du travail s'occupe d'apporter aux intérêts de l'ouvrier l'organisation qu'avaient déjà l'agriculture et l'industrie, et l'on peut affirmer que notre législation ouvrière n'est inférieure à aucune autre. C'est en cette matière surtout que les améliorations de la veille doivent servir de stimulant pour les améliorations du lendemain. Je recommande à votre bienveillante attention les lois dont vous serez saisis sur le contrat de travail, la formation des groupes professionnels, la protection de l'enfance, et les caisses d'épargne et de secours mutuels. Dans le cours de ces dernières années, des intérêts de même ordre ont inspiré d'importantes innovations en matière judiciaire et pénitentiaire. Je ne citerai que la nouvelle organisation de l'assistance publique, l'institution de la libération et de la condamnation conditionnelles, le patronnage des condamnés libérés, la répression de la mendicité et du vagabondage. Je ne doute pas que toute la sympathie de la législature continue à être acquise aux nouveaux efforts qui seront faits dans cette même voie pour améliorer notre législation. Quant à la question qui préoccupait tous les esprits, qui faisait le sujet de toutes les convervations, quant au point capital de savoir comment seraient consultés ceux pour qui on prétendait légiférer, pas un mot. Bruxelles se chargea de répondre. Dès l'aube, la rue présentait une animation extraordinaire. Les mesures de police, le déploiement de la force publique, la convocation de la garde civiqua, n'arrêtèrent point l'élan populaire. Sur tout le parcours du cor- tège royal, ce fut une clameur ininterrompue, assourdissante : Vive le suffrage universel ! Sur le pavé, devant le cheval de Léopold II, des fenêtres, tomba une pluie de petits papiers multicolores, dont chacun répétait, imprimé, le cri du jour. Des gardes civiques, quand passa Léopold II, mirent le shako au bout de leur bayonnette et clamèrent : Vive le suffrage universel! Au Parlement même, où l'on semblait affecter de ne point parler de ce à quoi tous songeaient, lorsque les députés courtisans s'écrièrent Vive le roi ! M. Janson et ses amis poussèrent le cri qui grondait au-dessus de la capitale. L'effet de cette journée fut considérable. L'agita-tation, un instant calmée par le vote de la révision, reprit de plus belle en faveur du suffrage universel. Parmi toutes les autres formules proposées, aucune ne fut défendue avec le millième de l'activité et de l'entrain que mirent les démocrates à défendre celle qu'ils avaient adoptée. Les meetings se succédèrent à Bruxelles, à Gand, à Namur. Le i3 novem-vembre, une grande manifestation, au Borinage, annonça que si l'on ne donnait pas le suffrage universel, on le prendrait; des conférences virulentes eurent lieu à Louvain, le 14; à la Louvière, le 20: à Liège, le 27; à Anvers, le 5 décembre; à Tournai, le n ; et ainsi de suite. Dans le pays de Charleroi, les Cheva-du travail organisèrent, avec Jean Caeluwaert et Jules Destrée, une série de réunions que terminait, comme le bouquet d'un feu d'artifices, un meeting monstre, le i5 décembre, où l'on entendait, unis dans la revendication du suffrage universel, un député (M. Cop-pée), un sénateur (M. Vandendoren), libéraux de l'arrondissement, Caeluwaert, Destrée pour les Chevaliers du Travail, Furnémont et Janson pour les progressistes, Vandervelde, pour le Parti Ouvrier. Carton de Wiart, pour les démocrates chrétiens. Des manifestations analogues avaient lieu un peu partout. L'on décidait, en novembre, la création d'un Denier delà lutte pour le suffrage universel; M. Nothomb acceptait la présidence d'une Ligue pour le suffrage universel ; au Parlement, trente députés, réservant toutes questions d'âge, de domicile et d'organisation, formaient un groupe du suffrage universel. On en parlait dans les milieux les plus opposés; une association quelconque, et elles sont nombreuses chez nous, ne pouvait se réunir sans délibérer sur le système électoral : on vit ainsi les employés, les ex-sous-officiers, etc., se prononcer successivement pour le S. U. Au Parlement, M. Beernaert, suivant ses affinités naturelles, déclarait à la commission spéciale qu'il était prêt à s'entendre avec la gauche modérée et à admettre le capacitariat dans ses combinaisons. Mais ses ouvertures furent accueillies avec hauteur. Un incident douloureux vint d'ailleurs, dès le début de décembre, révéler la coalition nécessaire des doctrinaires et des conservateurs. Une grève avait éclaté au charbonnage du Horloz, à Tilleur. Il y eut, dans ce village, déjà ensanglanté autrefois par la répression, une collision entre les gendarmes et les ouvriers, à la suite de laquelle ceux-ci laissèrent, dans la boue noire des chemins, quatre morts et trois blessés. 11 parut, des renseignements qui furent donnés sur ce lamentable événement, que les gendarmes n'étaient point exempts de reproches. Un député de la gauche progressiste, M. Hanssens, demanda des explications au gouvernement. Paul Janson l'appuya avec énergie. La séance devint alors bien curieuse et édifiante pour ceux qui nient la dominatrice fatalité de la lutte des classes. On vit, dans une rage significative, tous les détenteurs d'actions de charbonnages, tous les capitalistes et leurs féaux, oubliant leurs divisions superficielles, s'accorder pour conspuer avec fureur le leader progressiste et adopter un extraodinaire ordre du jour de M. Woeste félicitant les gendarmes! Les quelques pages des Annales parlementaires, qui relatent cette discussion, restent la honte de la Constituante. En d'autres jours, elle étala son insuffisance, ses mesquineries, sa faiblesse; ce jour-là elle dévoila la hideur et la férocité de son esprit de classe. Ceux qui pouvaient espérer encore de tels hommes des résolutions démocratiques, durent perdre, dès ce moment, toute illusion. L'agitation continuait et prenait des aspects révolutionnaires. Le 23 décembre, encore un de ces meetings déconcertants pour les clérico-libéraux : MM. No-thomb, Braun, Ninauve, de Baecker, y prennent la parole avec Volders. Le 25 décembre, un congrès du Parti Ouvrier déclare confirmer ses décisions antérieures relatives au suffrage universel et à la grève générale; répète que le S. U. est le seul système qui puisse être établi et qu'il faut s'opposer, par tous les moyens, à l'établissement de tout autre régime. Il décide qu'il faut organiser dans tout le pays un incessant et énergique mouvement de propagande pour la grève générale immédiate, en cas de rejet du S. U. ou du renvoi à une autre session. Anseele présidait. Il dut faire effort pour maintenir à la résolution un caractère pacifique ; la grève violente avait dans l'assemblée des partisans nombreux. Le même jour, un congrès des Jeunes Gardes et Cercles libéraux, tenu à Gand, sous la présidence de Furnémont, réclamait de son côté le suffrage universel pur et simple. Les francs-maçons faisaient de même et placardaient dans toutes les communes un manifeste assez net; bien plus, ils décidaient qu'en cas de grève générale, ils soutiendraient pécuniairement les femmes et les enfants des grévistes. Le i janvier, le gouvernement fit connaître sa manière de voir. Il abandonnait le referendum, la représentation proportionnelle, la représentation des intérêts, et proposait pour le nouvel article 47 une mixture du cens et du capacitariat. L'ardeur zélatrice des démocrates leur inspira une manifestation ingénieuse : interroger le suffrage universel lui-même. Avec le concours des administrations communales de Bruxelles et des faubourgs, la liste des électeurs éventuels fut dressée, et on les convoqua pour indiquer leurs préférences. Le scrutin se fit le 26 février 189.3 comme pour une élection ordinaire. La loyauté des opérations ne fut pas contestée. Sur n5,ooo inscrits, plus de 60,000 vinrent voter. Sur ces 60,000, la proposition Janson (S. U. à 21 ans) recueillit 48,660 suffrages ; celle de M. Nothomb (S. U. à 25 ans) 7,864; et celle du gouvernement, 1,022 seulement. Ce referendum significatif fut répété dans diverses localités du pays, et partout il répondit par des majorités énormes en faveur de la proposition Janson. Le ior mars, la Chambre aborda, enfin, l'examen des propositions révisionnistes. Le désarroi des parlementaires était de plus en plus accusé. D'accord pour repousser le suffrage universel, ils devenaient très perplexes lorsqu'il s'agissait de se prononcer ; les plus bruyants lançaient, chaque jour, une nouvelle combinaison qu'ils abandonnaient le lendemain, devant les objections multiples. Ce fut au milieu de ces conceptions mort-nées, que surgit, un jour, le vote plural. M. Nyssens, son parrain, en parla pour la première fois, croyons-nous, le 29 mars, se réservant d'indiquer plus tard une formule. Ce vote plural était une nouveauté dans le droit public européen. Il correspondait à une appréhension assez générale de ce que le suffrage universel pouvait avoir d'aveugle et d'instable. Il s'inspirait du désir d'accorder une certaine prédominance, par l'attribution d'un vote supplémentaire, à la fortune, à la capacité, à la famille. Cette dernière considération surtout assura son succès en lui ralliant, lorsque le S. U. fut rejeté, les progressistes. Il n'y avait, en effet, rien de choquant dans la concession d'un second vote au père de famille; c'était, en quelque sorte, l'embryon du vote féminin qui apparaissait là. D'autre part, si ce système semblait présenter des garanties d'ordre, il n'avait point le caractère du cens et de la capacité et ne consacrait point, par l'octroi d'un privilège, la domination d'une classe. Les ouvriers mariés, comme les bourgeois mariés, jouissaient de la seconde voix du paterfamilias. Ce qu'était l'état d'âme des membres du Parti Ouvrier, lorsque après six mois de cette vie politique surexcitée, le 9° congrès annuel se réunit à Gand, les 2 et 3 avril, on le conçoit sans peine. Il y en avait, — et beaucoup, — qui trouvaient que le temps des paroles était passé et qu'il fallait en venir aux actes. Beaucoup de partisans de la grève générale ne considéraient pas celle-ci comme une grande manifestation passive, mais comme le prélude de l'émeute. Les an- tiens. Anseele, Volders, etc., qui ne voulaient point se départir de la ligne de conduite réfléchie et prudente qu'ils s'étaient tracée, eurent quelque peine à ne point être débordés. L'entente se maintint toutefois le premier jour, lorsqu'on examina la situation politique. L'on fut unanime à repousser toute transaction, toute concession, à revendiquer le suffrage universel pur et simple, à 21 ans et après six mois de résidence. L'on blâma un article du Peuple, qui avait laissé entrevoir timidement la possibité d'un ralliement à un projet transactionnel qu'élaborait l'extrême gauche. Mais, le lendemain, les diverses orientations qui sollicitaient l'assemblée se dégagèrent d'une intéressante discussion au sujet du prochain congrès de Zurich. L'ordre du jour suivant fut développé au nom de la Jeune Garde socialiste de Bruxelles : « Le congrès donne mandat à son délégué de voter pour l'admission à ce congrès des groupes socialistes qui, considérant que la victoire définitive du socialisme ne peut s'obtenir que par les moyens révolutionnaires, préconisent le socialisme intégral et la conquête de l'Etat par la révolution. » C'était rouvrir aux anarchistes la porte que leur avait fermée le congrès de Bruxelles. La discussion mit en évidence l'étrange abus que la Jeune Garde socialiste faisait du mot : intégral. Ce fut d'abord Anseele qui demanda : Si vous défendez le socialisme intégral, qu'est-ce que nous défendons, alors, nous autres? Le socialisme microscopique? Puis Vandervelde, qui expliqua que cet adjectif, mis à la mode par Benoît Malon, indiquait que la réforme devait être non seulement économique, mais aussi morale. Il dénonça ensuite la tactique de ceux qui, tout en proclamant l'inutilité du droit de suffrage, avaient poussé, la veille, aux mesures extrêmes, en cas de refus du suffrage universel. Il leur conseilla de quitter franchement le Parti Ouvrier, avec qui ils pouvaient avoir des aspirations communes, mais dont ils contrecarraient constamment les moyens d'action. Et, à un interrupteur qui louait les socialistes révolutionnaires, Anseele répondit : « Parler toujours de révolution, c'est de la blague. A Gand, nous n'avons jamais prononcé le mot de révolution. Nous n'avons jamais parlé que de coopératives. Et pourtant Gand est la seule ville de Belgique où les agents de police se promènent le revolver sur le ventre! » L'ordre du jour de la Jeune Garde fut rejeté à l'unanimité, moins six voix, et l'explication fut salutaire et suffisante. Elle était l'écho de controverses assez vives qui s'étaient produites, sans grand retentissement d'ailleurs, dans les meetings et dans la presse. Quelques anarchistes avaient essayé de résister, tout comme de simples libéraux doctrinaires, au mouvement en faveur du S. U. Ils proclamèrent que le suffrage universel n'avait jamais rien produit; que la révision effectuée, les néfastes gouvernants présents seraient remplacés par d'autres, qui se laisseraient à leur tour corrompre par l'exercice de l'autorité; que les institutions politiques n'avaient jamais eu d'influence sur les institutions économiques. A quoi il avait été répondu que les socialistes du Parti Ouvrier ne s'exagéraient point la puissance de l'État, qu'ils attendaient de plus grands effets de l'association libre, de l'organisation spontanée de la classe ouvrière; qu'ils n'étaient point férus du parlementarisme et de l'autorité; mais que, tandis que les anarchistes veulent détruire les institutions autoritaires par un coup de lorce d'où naîtra l'harmonie, ce qui est croire aux 8 miracles, les socialistes ne voulaient les détruire que successivement, à mesure que les progrès de la moralité rendront leur suppression possible. Ce débat, démontrant que les anarchistes étaient surtout désireux d'aggraver la situation et se souciaient assez peu du suffrage universel, contribua, comme le procès du Grand Complot, à écarter les ouvriers des violences inutiles et dangereuses. On allait, d'ailleurs, entrer dans la période aiguë de la crise. Le 4 avril, les doctrinaires demandèrent que la Constitution laissât à la loi le soin de régler, à la majorité des deux tiers, les conditions de l'électo-rat; que l'on 'admit, en attendant, pour les élections législatives, ceux qui réunissaient les conditions de cens et de capacité requises pour les élections communales. Cette combinaison était inacceptable, même pour la droite; M. De Smedt de Nayer, la jugea en disant que ce provisoire serait un définitif honteux. Ainsi repoussé par les doctrinaires, le gouvernement négocia avec l'extrême gauche. M. Féron, n'avait pas caché sa bienveillance pour le système plural. L'idée émise par M. Nyssens devint ainsi la base d'une entente possible. On chercha; on parlotta; on s'agita dans les couloirs. Le 11 avril, la Chambre passa au vote. Par 115 voix-contre 26, elle repoussa la proposition Janson, relative au suffrage universel. Aussitôt, la masse ouvrière, dans la capitale, entra en ébullition; il y eut meeting à la Maison du Peuple, et, conformément aux engagements pris par le congrès, le Conseil général décréta la Grève générale. Le 12, la Chambre consacra sa séance à un abatage sans ménagement des diverses propositions qui lui étaient soumises; et M. Nyssens fut invité à préciser sa formule. M. Féron, qui y voyait une consécration du suffrage universel, écrivit au Conseil général pour le prier de surseoir de quelques jours encore à la proclamation de la grève. Le Conseil ne crut pas devoir accepter cette proposition, et la décision première fut maintenue Ce fut merveille de voir avec quelle rapidité la grève s'étendit. En quarante-huit heures, les associations furent convoquées, délibérèrent et organisèrent le chômage. Non seulement les régions charbonnières, qui avaient déjà si admirablement manifesté leur volonté, en 1887 et en 1890, mais Bruxelles, Gand, Anvers, Louvain, Malines, Grammont, suivirent, avec entrain, dans un enthousiasme extraordinaire. Les patrons doctrinaires menacèrent de répressions draconiennes; d'autres industriels engagèrent leurs ouvriers à rejoindre leurs compagnons. « Allez, mes amis, disait un patron à Louvain, et ne rentrez pas avant d'avoir conquis vos droits; quant à moi, je vous aiderai dans la mesure de mes moyens ». En quelques jours, la grève, sans être générale, avait pris du moins une extension telle, que jamais auparavant, elle n'avait eu cette signification. Le mouvement était si fort sur tous les points du pays, que les mesures d'ordre prises par le gouvernement devenaient bien précaires. Partout on annonçait des incidents violents : bagarres avec la police, arrestations, charges de gendarmerie... Le 14 avril, à Jolimont, une fusillade amenait la mort d'une femme. Quelques jours après, des troubles éclataient à Anvers, et la répression faisait six cadavres. A Bruxelles, MM. Woeste et Buis, qui étaient plus particulièrement visés par l'irritation populaire, l'un comme chef des réactionnaires, l'autre comme bourgmestre doctrinaire de la capitale, étaient l'objet d'agressions violentes. Une interprétation fantaisiste d'un discours à Saint-Gilles motivait l'arrestation d'Edmond Picard, que le parquet prétendait rendre responsable de l'attentat contre M. Buis (i). Il y avait dans les rues des manifestations inquiétantes. Yolders, Vandervelde et Maes furent un soir arrêtés, et bientôt relâchés d'ailleurs. Les journaux, favorables, en majorité, au S. U., précipitaient les événements en les grossissant; chaque soir, Bruxelles apprenait fiévreusement les nombreux incidents qui témoignaient de l'agitation de la province; chaque matin, la province lisait avec anxiété les détails des convulsions de la capitale. On arriva ainsi à créer un véritable état d'angoisse révolutionnaire. Elle fut à son comble, quand on apprit le 18, que, la veille, les mineurs borains avaient voulu entrer dans la ville de Mons et que la garde civique avait tiré dessus : six morts, douze blessés étaient un juste prétexte à une effroyable exaspération. A Gand, il y avait eu aussi des bagarres et des charges de cavalerie. Partout la situation était tendue et critique. La séance que la Chambre tint en cette journée historique du 18 avril, réflète l'imminence des définitives révoltes. On avait tout rejeté et il ne restait plus que la proposition Nyssens qui, à la commission des XXI, n'avait recueilli que g voix contre 8 et 3 abstentions. M. Coremans avait été désigné comme rapporteur. Il offrit de faire son rapport séance tenante. Certains membres protestèrent, disant qu'il était impossible de voter ainsi sans étude préalable une (i) edmond Picard, Quarante-huit heures de Pistole. Bruxelles, 1893, à la librairie du Peuple, 35, rue des Sables. proposition de cette importance. D'autres conjurèrent l'assemblée de faire vite.. M. Eeman, dans une interruption, constata que c'était l'énergie de la peur. On décida de suspendre la séance pendant le temps nécessaire à la confection du rapport. A 4 heures 25, après de passionnés conciliabules de couloirs, l'on reprit séance. La discussion fut sommaire. M. Frère-Orban regretta que le vote eut lieu dans de telles circonstances : « Il est acquis, dit-il, que c'est un vote arraché à la Chambre ». M. Beernaert protesta, affirmant que la Chambre délibérait en pleine indépendance et sécurité. On passa au vote : par 119 voix contre 14, le suffrage plural fut adopté. En dépit des justes critiques auxquelles ce système électoral a donné lieu, sa proclamation était en réalité une victoire démocratique considérable. Le sentiment public fut si marqué à cet égard que, l'interprétant avec beaucoup de clairvoyance, le Conseil général du Parti Ouvrier prit, le soir même, acte de l'inscription du suffrage universel dans la Constitution et conseilla la reprise du travail. Elle s'opéra partout avec empressement et sans difficulté et, quelques jours après, le pays était redevenu aussi calme qu'il avait été agité et près de l'émeute. La Chambre termina l'œuvre révisionniste dans l'inattention générale. Elle écarta la représentation proportionnelle et le referendum. Elle admit deux modalités bienfaisantes du droit de suffrage : le vote obligatoire et le vote à la commune. La première était excellente pour éviter l'indifférence politique, secouer l'inertie nationale et rendre indépendants ceux que la misère ou l'oppression eût pu tenir écartés des urnes par des abstentions imposées. La seconde 8. supprimait les beuveries et les diners électoraux, dont se gavaient les électeurs censitaires et qui étaient une des hontes du système. Il est permis de croire que les conservateurs qui votèrent ces dispositions ne comprirent point combien elles devaient être favorables aux socialistes. Enfin, quant au Sénat, il fut maintenu tel quel, l'éligibilité basée sur un cens formidable et partant très restrictive des choix, sauf que, pour répondre aux exigences démocratiques, on institua des sénateurs provinciaux, au nombre de 27, lesquels devaient être désignés, sans condition de cens, par les conseils provinciaux. Le Sénat ratifia, sans résistance. Cette tâche terminée, la dissolution paraissait s'imposer. Sous divers prétextes, la Constituante prolongea son agonie. Et ce ne fut qu'en octobre 1894, que le corps électoral nouveau, issu du vote célèbre du 18 avril 1893, fut consulté. Nous examinerons cette période dans le chapitre suivant. CHAPITRE V La première consultation du suffrage universel. L'article 47 nouveau, réglant dans la Constitution révisée, les conditions de l'électorat pour la Chambre des représentants, était conçu comme suit : Art. 47. — Les députés à la Chambre des représentants sont élus directement dans les conditions ci-après : Un vote est attribué aux citoyens âgés de 25 ans accomplis, domiciliés depuis un an au moins dans la même commune, et qui ne se trouvent pas dans un des cas d'exception prévus par la loi. Un vote supplémentaire est attribué en raison de chacune des conditions suivantes : Être âgé de 25 ans accomplis, être marié ou veuf, ayant descendance légitime, et payer à l'État au moins s francs d'impôts du chef de contribution personnelle sur les habitations ou bâtiments occupés, à moins qu'on n'en soit exempté à raison de sa profession. 2" Être âgé de 25 ans accomplis et être propriétaire soit d'immeubles, d'une valeur d'au moins 2000 francs, à établir sur la base du revenu industriel ou d'un revenu cadastral en rapport avec cette valeur, soit d'une inscription au grand livre de la dette publique 011 d'un carnet de rente belge à la caisse d'épargne d'au moins 100 francs de rente. i4o le socialisme en belgique Les inscriptions au carnet doivent appartenir au titulaire depuis deux ans au moins. La propriété delà femme est comptée au mari ; celle des enfants mineurs au père. Deux votes supplémentaires sont attribués aux citoyens âgés de 25 ans accomplis et se trouvant dans l'un des cas suivants : A. Être porteur d'un diplôme d'enseignement supérieur ou d'un certificat homologué de fréquentation d'un cours complet d'enseignement moyen du degré supérieur, sans distinction entre les établissements publics et privés. B. Remplir ou avoir rempli une fonction publique, occupé ou avoir occupé une position, exercer ou avoir exercé une profession privée, qui impliquent la présomption que le titulaire possède au moins les connaissances de l'enseignement moyen du degré supérieur. La loi détermine les fonctions, positions et professions ainsi que, le cas échéant, le temps pendant lequel elles auront dû être occupées ou exercées. Nul ne peut cumuler plus de trois votes . Cet article portait, on le voit, le reflet des préoccupations diverses qui avaient entouré sa genèse. La prédominance assurée aux électeurs bourgeois parut une garantie suffisante aux modérés ; les derniers partisans du cens reçurent uue satisfaction par la concession de votes supplémentaires aux gens riches; la faveur accordée aux capacitaires était pour plaire aux libéraux; enfin l'aspiration populaire obtenait cette réforme capitale : la reconnaissance du droit de suffrage à tous. Nous ajouterons que si les doubles et triples votes concédés aux propriétaires et aux diplômés conservaient le caractère odieux d'un privilège de classe, il n'en était pas de même du vote plural du chef de famille, innovation que beaucoup de démocrates acceptèrent sans répugnance. Tel quel, c'était un résultat énorme, inespéré. La suite en montra bien l'importance. La grande majorité de la classe ouvrière le pressentit et se résigna, faute du pur et simple, à se réjouir du plural. Mais d'autres se montrèrent moins accommodants. Dans le Parti Ouvrier, comme dans le parti radical, il y eut des mécontents qui crurent que l'immense effort révisionniste avait misérablement avorté. Dans une interview prise en septembre i8g3, L. Furnémont déclarait ne pas espérer, sans alliance, l'année suivante, l'élection d'un seul député socialiste. Le désappointement de ceux-là accusa assez aigrement les députés de l'extrême-gauche d'avoir trop aisément accepté la transaction plurale et de ne pas avoir risqué la lutte suprême pour le suffrage universel. Ces reproches exagéraient assurément le prétendu préjudice subi par la cause démocratique, mais M. Féron et ses amis avaient en tous cas commis -l'imprudence, pour obtenir des hésitants de la la droite leur adhésion à la solution transactionelle, de promettre de considérer celle-ci comme définitive et de s'engager à ne plus jamais recommencer une agitation révisionniste. Telle fut la cause principale, jointe à d'autres divergences secondaires, des dissensions qui se manifestèrent, dès le lendemain de la révision, dans le parti progressiste et de la création d'un groupe qu'on désigna de l'épithète de néo-progressiste ou jeune gauche, et qui eut un organe hebdomadaire, la Justice. C'était notamment, Léon Furnémont, Georges Grimard, Max Hallet, La Fontaine, Brunet et d'autres, brillante pléiade d'avocats, de professeurs, de littérateurs qui se fit offkiel-ment représenter, en août 1893, au Congrès de Zurich et adhérait donc, dès sa formation, au socialisme international. La fusion complète des néo-progressistes avec le Parti Ouvrier se fit en quelques mois, et le Parti Ouvrier trouva en ces vaillantes et nouvelles recrues des concours précieux de science et de talent, des écrivains et des orateurs qui possédaient, dans les ressources d'une vaste culture intellectuelle, les munitions indispensables pour les luttes dans les assemblées politiques. Un mouvement analogue aboutissait, dans i'arron-dissement de Charleroi, à la fondation delà Fédéra-tioji démocratique (1) qui s'employa avec activité à fondre, en vue d'une action socialiste unique, les plus avancés des radicaux, les associations ouvrières et les Chevaliers du Travail. Denis, Volders, des Essarts, Destrée, prirent la parole pour exprimer ce vœu lors de l'inauguration sensationnelle, le 20 octobre, à Charleroi, du Temple de la science, vaste établissement qui devait être un lieu de réunion pour les syndicats, une sorte de Bourse du Travail, une Université populaire,'etc. Louables buts qui ne furent qu'à demi réalisés, ce fut surtout une Maison du Peuple. Pendant la fin de l'année 1893, la Chambre et le Sénat discutent sans éclat les diverses modifications complémentaires de la Constitution, les budgets, les lois restant à leur ordre du jour. En novembre, la Chambre aborde, avec une lenteur incroyable, l'examen de la loi électorale destinée à organiser l'article 47 nouveau. En même temps, un courant en faveur de l'amnistie pour les délits de la période troublée d'avril se révèle au Borinage, à Charleroi, à Bruxelles. (i) La Fédération démocratique de Charleroi. Charleroi, 1896. Une brochure à cinq centimes, aux bureaux du Journal de Charleroi. l'effort politique : suffrage universel 14.3 Les 25 et 26 décembre, le Parti Ouvrier convoque un congrès extraordinaire à Bruxelles. Anseele préside. Il s'agit d'élaborer, en vue des luttes politiques futures, un programme clair et précis. Ce programme de réalisations immédiates sera précédé d'une déclaration de principes, catégorique, qui rattache d'une façon bien nette le Parti ouvrier belge aux partis socialistes internationaux. Enfin, le programme général sera complété par un programme communal et un programme agricole. L'œuvre, on le voit, n'est pas mince. Aussi elle n'est qu'ébauchée. En deux jours de discussions sommaires, mais très nourries et intéressantes, on prépare ce travail décisif que termine le 10e congrès annuel tenu à Quaregnon, quelques mois plus tard. On trouvera ces documents : exposé de motifs, programme, statuts, en leur rédaction définitive aux annexes du présent volume. Ce congrès de Quaregnon eut, en même même temps, à discuter la question des alliances. Elle avait déjà fait couler des flots d'encre et d'éloquence. Deux tendances, presqu'égalcs en puissance, se partageaient le Parti. Les uns, sentant vivement les souffrances multiples de la classe ouvrière et la possibilité d'y apporter de suite une série d'améliorations anodines peut être, mais appréciables, estimaient qu'il était du devoir des socialistes de ne rien négliger pour atteindre ces résultats. Ils faisaient valoir qu'après avoir si longtemps lutté pour le droit de suffrage, il importait d'utiliser celui-ci avec les nécessités que pouvaient commander les circonstances. Il leur paraissait absurde de refuser de s'entendre au premier tour avec les progressistes pour devoir ensuite voter au bal-lotage pour ceux-ci, comme pis-aller. Ils estimaient essentiel d'avoir des porte-parole dans les assemblées électives, ne fut-ce que pour la propagande des idées. Ils redoutaient que l'intransigeance ne conduisit à l'absence de toute représentation. Ils concluaient en demandant au congrès de laisser aux Fédérations locales toute autonomie à cet égard. Les autres répliquaient que, quelle que fut l'importance de la partie réformiste du programme, c'était surtout la partie idéaliste qui valait et qui faisait, du Parti Ouvrier, quelque chose de vraiment grand et de séduisant pour les masses; que ses espoirs de rénovation seraient cruellement atteints par des alliances électorales avec d'autres partis; qu'enfin, le Parti Ouvrier étant un parti de classe ne pouvait qu'affaiblir sa raison d'être par des compromissions avec des partis bourgeois. A quoi Delporte encore répondait : Il y a lutte d'intérêts entre bourgeois et ouvriers, c'est certain. Seulement, les classes ne sont pas nettement délimitées. Les partis ne sont pas tranchés non plus. Il y a des ouvriers réactionnaires et des bourgeois socialistes. Toute la classe ouvrière n'est pas d'un côté, et la bourgeoisie de l'autre... Mais tous les orateurs déclarèrent qu'en toute hypothèse, s'il pouvait y avoir lieu à alliance, il n'y aurait jamais lieu à fusion; que si les candidats du Parti Ouvrier devaient combattre à côté des progressistes, ce serait, toutefois, avec le programme entier, sans restrictions. Bertrand, Anseele, Demblon, défendirent l'autonomie des Fédérations, et leur ordre du jour l'emporta, à la majorité de quelques voix, sur la solution radicale que préconisait Vandervelde. Il était ainsi conçu : « le Parti Ouvrier est un parti de classe. Les associations affiliées ne contractent d'alliances électorales, avec d'autres associations, qu'à la condition de maintenir l'intégrité du programme du Parti Ouvrier. Le même jour, se réunissait en congrès, le Parti progressiste. Quelques semaines après, ce fut le tour d'un congrès doctrinaire. De part et d'autre, on fit un effort vers la reconstitution de l'unité du Parti libéral; chacune des deux fractions, néanmoins, souhaitait vivement que cette unité se reconstituât à son profit. De part et d'autre aussi, on adopta un programme plus ou moins démocratique, dont la plupart des desiderata se rapprochaient fort des réformes inscrites au programme de réalisation immédiate du Parti Ouvrier. De son côté, le Parti clérical, selon les régions, modifiait son immobilisme suranné et s'apercevait tout à coup que les enseignements de l'Église étaient remplis de préceptes démocratiques. Ça et là, les catholiques organisèrent, pour piper les suffrages ouvriers, des démonstrations de sollicitude ouvrière, et firent grand état de quelques lois d'apparence sociale qu'ils avaient votées depuis 1886. L'imminence de l'entrée en la scène électorale de la classe ouvrière eut aussi pour effet de modifier les étiquettes dont se paraient les hommes politiques ; quantité de doctrinaires s'appelèrent progressistes; ceux-ci, pour s'en distinguer, se qualifièrent radicaux; tous, à doses diverses, utilisèrent le mot démocratique (1). Il y eut un tel abus de déclamations (1) Nous avons, par la suite, désigné par l'étiquette sous laquelle ils furent connus plus spécialement, les différents groupes; nous devons, toutefois, faire remarquer au lecteur français que ces mots « radical, progressiste » etc., ne désignent point en Belgique la politique qui porte ces noms en France. à cet égard, que le secrétaire du Parti Ouvrier, Serwy, put écrire, dans la préface du compte-rendu du congrès de Quaregnon : « La plate-forme électorale et les programmes, en général, n'ont de valeur que par le passé des partis qui les ont adoptés. L'amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière n'est-elle pas inscrite dans la charte du libéralisme depuis 1846? Le cléricalisme, lui, ne s'est préoccupé des questions ouvrières que depuis les incendies et les troubles de 1886. Tous les partis bourgeois, qui parlent aujourd'hui bien haut de leurs vives sympathies pour le monde des travailleurs, ne tiennent, en vérité, ce langage que sous la poussée des événements, que sous la pression du socialisme grandissant, et parce que les élections sont proches. Les plate-formes et les programmes ne comptent aux yeux du peuple que par la sincérité de ceux qui les prônent et aussi par le dévouement et l'ardeur que mettent à les réaliser ceux qui s'en déclarent les partisans. » Ainsi, pendant ce premier semestre de 1894, s'organisent pour la lutte prochaine les divers partis. Les jours coulent paisibles et calmes, sans agitation marquée. 11 n'y a guère à citer pendant cette période que le procès Volders et la retraite de M. Beernaert. Jean Volders avait été assigné devant la cour d'assises pour répondre d'un article assez insignifiant, qu'il avait écrit dans le Peuple. Il comparut le 7 janvier, assisté de Mes Ed. Picard et Lelong, qui, ce dernier, appartenait à la démocratie chrétienne et devait périr si tristement, quelques années plus tard, victime du climat sans merci du Congo. La défense fit, très habilement, citer à décharge une série de notabilités du monde des arts, du barreau, de la politique et de la presse qui, connaissant personnellement Volders, purent affirmer que le rédacteur du Peuple n'avait poursuivi la réalisation de ses idées que par l'agitation légale et avait du plusieurs fois se défendre du reproche de modération vis-à-vis de révolutionnaires exaltés ou d'anarchistes. Volders fut acquitté. La retraite de M. Beernaert, un des rares hommes d'État qu'ait compté le parti catholique (nous entendons par là, que si son passage aux affaires fut marqué d'incidents honteux, comme l'affaire Pourbaix et de répressions sanglantes, il eut du moins des conceptions d'ensemble sur l'organisation de l'État, au rebours de la plupart des ministres cléricaux, simples commis pour l'expédition des affaires courantes) ; cette retraite fut motivée par le rejet, en sections, de la représentation proportionnelle. Il fut remplacé par M. de Burlet. La Chambre somnolait. On put craindre un instant que toutes ces tergiversations rendraient impossible la convocation du corps électoral pour le mois d'octobre, les listes ne pouvant être dressées en temps. Certains sénateurs iirent même la proposition de proroger la Constituante jusqu'en avril i8g5, mais la motion était si absolument contraire aux textes formels de notre droit public, elle provoqua une si universelle réprobation que ces pères conscrits n'insistèrent pas. Les élections furent enfin fixées au 14 octobre 1894, et la Constituante disparut, laissant le souve-nir peu glorieux d'une assemblée égoïste et indécise, ayant péniblement vécu, au gré des circonstances, d'expédients sans grandeur. Le parti progressiste convoqua ses fidèles le tcr juillet 1894, en un congrès. La réunion fut assez chaude. Paul Janson y défendit la triple alliance : doctrinaires, radicaux, ouvriers. Les néoprogressistes firent vainement remarquer que cette combinaison était non seulement misérable, mais irréalisable, puisque le Parti Ouvrier avait formellement déclaré ne pas en en vouloir; on ne les écouta point. Il s'en suivit que les progressistes, dans l'impossibitité de se concilier les alliés qu'ils souhaitaient, finirent après quelques oscillations par tomber du côté où le succès paraissait le plus probable et formèrent avec les doctrinaires une liste de concentration libérale. Le Parti Ouvrier tint ses assises extraordinaires quinze jours plus tard. Il renouvela des déclarations catégoriques quant aux alliances et son refus absolu de tout pacte avec les doctrinaires; décida que les futurs élus abandonneraient pour la propagande le quart de leur indemnité; confia au Conseil général le soin de désigner les meilleurs du Parti pour engager la lutte dans presque tous les arrondissements et conjura ceux qui seraient priés de poser leur candi-didature de ne pas se dérober aux fatigues et aux ennuis d'une bataille qui s'annonçait comme ardente et dont l'issue était fort problématique. Le Conseil général désigna ainsi un certain nombre de candidats « nationaux », que les fédérations régionales acceptèrent avec empressement. Ce fut grâce à cette heureuse combinaison qu'Anseele, le Flamand, posa sa candidature au cœur même de la Wallonie, à Liège. Les alliances, qu'on avait tant discutées, furent rares. Dans deux arrondissements seulement, à Liège et à Namur, les pourparlers aboutirent à une liste radicale-socialiste (i). Partout ailleurs, c'est-à-dire dans dix-huit arrondissements : dix en Wallonie : Tournay, Mons, Soignies, Thuin, Charleroi,Nivelles, Ath, Huv, Waremme, Verviers, et huit en Flandres : Malines, Louvain, Anvers, Courtrai, Bruges, Gand, St-Nicolas, et dans la capitale, les socialistes se présentèrent seuls. Ils engagèrent donc la lutte dans vingt circonscriptions, comprenant la majeure partie du pays. (On sait que les élections belges se font au scrutin de liste, à raison d'un député par 40,000 habitants, et selon des arrondissements administratifs d'importance très inégale; Bruxelles nomme à lui seul 18 députés, c'est-à-dire plus du neuvième de la représentation nationale, tandis que beaucoup d'autres arrondissements n'ont à élire qu'un seul représentant. La bataille électorale bruxelloise a donc une prépondérance peu justifiée et une dizaine de mille électeurs peut y décider de la majorité des Chambres et de la fortune du gouvernement). Au Borinage, la désignation des candidats se fit par un poil public, constituant une curieuse applica-cation du suffrage universel, pur et simple, à 21 ans. La sympathie des électeurs alla chercher dans sa prison, un houilleur, Brenez, qui avait été condamné d'une manière qui avait paru injuste à beaucoup, lors des désordres d'avril 1898. En même temps, elle désignait Alfred De Fuisseaux rentrant d'exil et que le parquet incarcérait pour le relâcher bientôt après, à raison de sa condamnation par contumace dans l'affaire du grand complot. Léon De Fuisseaux posait sa candidature à Mons et à Liège. Demblon, était aussi plusieurs fois candidat, de même qu'Anseele. A Char- (1) V. l'observation sous la page 145. leroi, les trois organisations socialistes : Fédération démocratique, Parti ouvrier, Chevaliers du travail, s'étaient entendues pour ne faire qu'une liste. Le nom de Jean Volders, qui avait été si longtemps inséparable de toutes les mêlées démocratiques, ne figure pas dans celle-ci, car dès le mois d'août, le Peuple annonçait la triste nouvelle de sa maladie sans espoir. Dès la fin du mois d'août, tandis que la bourgeoisie qui avait eu jusque là le monopole des préoccupations politiques, semblait se soucier assez peu des élections prochaines, le peuple commença à se passionner pour les scrutins, auxquels la Constitution révisée l'appelait pour la première fois. Des manifestes furent distribués, des affiches placardées en grand nombre; citons la suivante parmi les plus cactéristiques : « PASSANT, qui bientôt exerceras ton droit électoral, n'oublie pas que tu devras voter, car le vote est obligatoire; et que tu pourras le faire selon ta seule volonté, car le vote est secret. Réfléchis, car la chose est grave. Pense à ceux qui te sont chers, à tes enfants dont tu dois préparer l'avenir! Pense aussi au passé ; sans doute tu as souffert de l'injustice de nos lois ; ouvrier, tu as peiné pour un salaire de famine, tu as vu massacrer tes frères dans la meurtrière bataille industrielle, tu as vu leurs veuves dans la misère et des vieillards sans ressources après une vie de labeur; commerçant, tu as ressenti le contre-coup des grèves provoquées par une concurrence effrénée, et celui des spéculations financières autorisées par une législation indulgente aux gros voleurs; qui que tu sois, que l'argent a opprimé de son monstrueux pouvoir et qui rêves de plus de justice et d'un avenir meilleur, viens avec nous ! Nous voulons savoir tes plaintes et tes douleurs et aller les dire là où se font les lois ! Nous irons dans chaque village exposer nos idées et nous instruire des désirs des populations. Viens à nos réunions. méfie-toi des vieux partis! Ils ont eu le pouvoir et ne s'en servirent que pour les intérêts égoïstes et cruels du capital. Même les cléricaux veulent à présent te faire payer plus cher ton café et ton pain! Méfie-toi; ils vont te leurrer de belles promesses et calomnier nos intentions. Nous qui ne sommes riches que de dévouement et de bonne volonté, nous ne pourrons faire de dépenses électorales, nous ne pourrons peut être répondre, comme il le faudrait, à leurs circulaires et à leurs journaux, mais nous comptons sur ton bon sens pour y voir clair. Si tu ignores le socialisme, apprends-le ; n'écoute pas les bouches intéressées à te tromper, mais renseigne toi avec impartialité; si tu connais notre programme, tu sais qu'il ne s'inspire que de l'amour des misérables. Le socialisme est une doctrine de paix, de charité, de de justice, qui n'est redoutable que pour les privilégiés et les exploiteurs; dans le monde entier, les petits et les esprits généreux y ont mis leur espoir; viens nous donc aider à le faire triompher. Et la campagne électorale s'ouvrit. Elle fut extraordinaire de vaillance, de labeur, d'intrépidité; elle fut effrénée, folle, héroïque. Ce fut l'enthousiasme d'un parti jeune, mené par des hommes presque tous jeunes encore, pleins d'illusions, de confiance, d'énergie. On fit des prodiges de parole et de plume. Il y eut des meetings dans les villes et dans les moindres villages; à la sortie des messes et aux portes des usines; partout où le verbe humain pouvait atteindre des cerveaux, il fut multiplié. Certains propagandistes parlèrent deux, trois, quatre, jusque sept fois par jour (i). Il sort évidemment du cadre de ces notes de retracer en détail les péripéties de ces quelques semaines de vie surchauffée ; nous l'avons essayé d'une façon pittoresque et demi-fantaisiste pour l'un des arrondissements où la lutte fut engagée (2). Nous en détachons ces croquis de meetings, d'ailleurs synthétiques : — Propagande rurale : D'un pas leste, il s'éloigna et fut bientôt en pleine campagne. Il suivait la grande route de Bruxelles, à peu près déserte à cette heure et alignant sans fin la procession monotone de sa double rangée d'arbres. Le soleil, un peu hésitant et pâle, dorait les champs d'une douce lumière matinale. Des brumes flottaient aux lointains. La vue s'étendait sur de grasses terres, fertiles et cultivées ; ça et là, d'un repli de terrain émergeaient le clocher d'une église, quelques toits d'un village; et la brise égrenait dans l'air calme les voix cristallines des cloches appelant auxmesses dominicales. Des hommes aux chemises blanches, des femmes aux corsages et aux cottes de couleur, récoltaient des pommes de terre, et sur cette glèbe, sous cette immensité du ciel, leur silhouettes avaient ces lignes sommaires et grandioses dont Millet exprima l'héroïsme. Destabel goûtait profondément la paix délicieuse de ce vaste paysage. Mais il lui parut que cette paix et ce (1) Le rapport du secrétaire du Conseil général, de 1894, parle de quatre raille conférences et d'une distribution de deux millions de brochures, en un peu plus d'un trimestre. (2) Jules Destree. Une campagne électorale au Pays Noir, Bruxelles, 1895 ; à la librairie du Peuple, 35, rue des Sables, 0,50 cent. charme mêmes parlaient pour lui annoncer l'inanité de sa propagande politique. Les phrases qu'il avait coutume de prononcer dans les salles fumeuses des meetings où l'on étouffe, devant des ouvriers issus des mines et des fournaises; les arguments alors péremptoires, les exhortations décisives semblaient absurdes dans cet espace où la vie s'écoulait plus libre, plus rudimentaire, plus toujours identique à elle-même. Alors que dans la région industrielle les aspects extérieurs des choses étaient sans cesse renouvelés et modifiés par l'activité humaine, ces campagnes apparaissaient comme moins susceptibles de transformation; depuis des siècles les mêmes charrues les labouraient, pour d'analogues récoltes, et celles-ci paraissaient échapper presque à la volonté de l'homme, soumises surtout aux grands phénomènes atmosphériques. Les paysans y vivaient en esclaves de la nature et résignés à ses .fatalités, ayant la défiance des innovations et presque de la pitié pour l'effarement et les soucis des réformateurs. A quoi bon? disait le large paysage, sans hostilité, mais plutôt avec indifférence; à quoi bon tant de tracas et d'agitations? Pourraient passer sur les villes les années et les révolutions; aux champs, les cultivateurs continueront à répéter la série monotone de leurs tâches immémoriales, comme à chaque hiver viendra la neige et le gel, à chaque printemps des bourgeons de bronze pointeront les jeunes verdures!... Un homme déboucha d'un sentier et marcha à ses côtés. 11 était liant et bavard, de ceux-là qui ont une sorte de besoin de raconter à tout venant les incidents de leur existence. Destabelle questionna et put constater que la verbosité naïve de ce passant confirmait ce que lui avait dit le paysage. 11 désespéra un moment devant ces horizons immuables, ces intelligences obscures et rebelles, d'arriver jamais à communiquer les idées dont il était féru. A Fresnes, il rencontra Deschamps, Dupont, et quelques autres, qui revenaient de Villers, où n'ayant point trouvé de local pour leur meeting, ils avaient dû parler du haut d'une charrette, sur la place, près de l'église. Une trentaine de paysans s'étaient approchés, avec une circonspection lente, malgré l'inquisition sarcastique exercée par le vicaire qui avait, en outre, fait sonner les cloches à toute volée. On avait fait une distribution de brochures rouges, acceptées avec l'empressement que le rural met à prendre toute chose gratuite et l'on était reparti sans un applaudissement, ni une parole encourageante ou sympathique. A Fresnes, on avait pu disposer d'une salle où un cercle local tenait d'intermittentes séances. Une centaine d'auditeurs s'y amenèrent : des vieux, dont les sarraus bleus fraîchement repassés avaient des plis luisants et raides, des jeunes aux fronts courts et aux figures hâlées par le grand air, avec des regards de méfiance et un espionnage sournois de l'allure de chacun. Comme Deschamps était fatigué par sa lutte contre les cloches de Villers, Destabel parla le premier. Il esquissa la situation des trois partis, résuma les plaintes universelles, notamment quant à la ré-partion des impôts. L'assistance restait rébarbative. Pas un pli ne remuait sur les visages. On eût dit que les paroles tombées dans les oreilles ne pénétraient point jusqu'aux cerveaux. Destabel, habitué aux ovations, s'efforçait de trouver le chemin de ces âmes closes : un peu d'attention s'éveilla lorsqu'il exposa la question des fermages, leur réglementation possible autrement que par la concurrence désordonné^ et profitable aux gros propriétaires seulement. Deschamps, reprit ce sujet avec des détails et des exemples. Il y ajouta la critique du droit de chasse et quelques déclarations tolérantes vis-à-vis des croyants sincères. Cette fois des applaudissements épars retentirent et certains, plus audacieux, vinrent s'entretenir avec les propagandistes qui distribuaient les brochures rouges. Puis, dans la gaieté radieuse de midi, à travers les champs dorés par le soleil d'automne, on repartit vers Ronelies, dans une carriole attelée d'un vaillant cheval blanc... — Une réunion urbaine : ... Il exposa l'évolution économique moderne, caractérisée par les développements du machinisme, par la concentration capitaliste. Le petit patron disparaissait devant la grande industrie ; le boutiquier devant le grand commerce ; tous deux étaient rejetés dans la classe des prolétaires, laissés libres, mais nus, par la grande Révolution française, et l'effort des travailleurs s'estimait de plus en plus comme une simple valeur, constamment réduite et dégagée de toute idée morale, de compassion et de solidarité. L'organisation des entreprises par des sociétés anonymes éloignait à ce point l'employeur des employés que tout lien d'humanité était rompu et que le directeur-gérant, désireux d'améliorer le sort de ses ouvriers, s'exposerait à nuire aux intérêts des actionnaires... 11 vit alors, et raconta plus tard ce détail à Deschamps, accourir du fond de sa pensée, une image qui lui parut énorme et violente ; devant elle, le discours se cabra comme un coursier devant un obstacle, puis résolument,il s'enhardit et sauta... de telle sorte, conclut-il, que, par la force supérieure des choses, par la loi de l'organisation capitaliste actuelle, notre société devient, tous sentiments de fraternité morts, un gigantesque pressoir où s'écrase la chair humaine pour en faire juter l'or des dividendes... La phrase tomba dans le silence ému de deux mille personnes attentives et ce furent aussitôt des tonnerres et des rafales d'applaudissements. Puis une rumeur curieuse s'éleva; des gens se penchèrent pour mieux voir: les candidats libéraux venaient de prendre place sur l'estrade. La parole fut donnée à Deschamps. Il s'avança en homme décidé à défendre aussi ses idées avec toute l'énergie et le talent dont il pouvait disposer. Posément, presque à mi-voix, il continua la démonstration ébauchée par Destabel et que celui-ci avait terminée sur un ton d'indignation véhémente. Il prouva avec une clarté et une patience de mathématicien l'injustice essentielle d'un monde de plus en plus divisé en deux classes: l'une, ayant la richesse sans travailler; l'autre, travaillant toujours sans obtenir la richesse. Si la concentration capitaliste doit s'accomplir, qu'elle s'accomplisse, non au profit d'une minorité égoïste de plus en plus restreinte, mais au profit de la collectivité par qui, enfin, le capital se pourra réunir au travail ! Il rencontrait les objections qu'il pressentait, les banalités sur la mort de la liberté, le peuple de fonctionnaires, l'absence d'initiative individuelle, etc., comme celles aussi qu'avec une subtilité aiguë, il devinait chez certains auditeurs, eux-mêmes étonnés d'entendre répondre à des questions qu'ils n'avaient point formulées. Et tout cela s'étayait de faits, de chiffres, d'autorités ; le savant doublait l'orateur pour donner à son argumentation la précision indispensable. Puis, lorsqu'il eut indiqué dans ses grandes lignes la constitution de la société collectiviste, il s'adressa aux ouvriers, en paraphrasant la proclamation de Bonaparte aux armées d'Italie; anx bourgeois en leur montrant le rôle de l'Art et de la Science marchant vers la Justice ! Et il avait quitté subitement son ton démonstratif de professeur; sa voix clamait en tempête, comme un prophète inspiré, ou se faisait douce, chantante, comme attentive à une chimère char-meresse ; des images de poète scintillaient comme des clartés dans des phrases artistement ciselées ; et il avait des accents qui étreignaient le cœur d'une émotion dont les plus hostiles se sentaient gênés; il était devenu un peu plus pâle, les lèvres crispées sur les dents en une expression de ténacité-indomptable. Il se promenait de long en large, accentuant la marche en piétinant la scène avec des allures de fauve; il fut terrible et tragique, pathétique et doux; un hypnotisme étrange se dégageait de son éloquence originale et passionnée. Pendant quelques minutes, les deux mille hommes qui étaient là, se sentirent emportés sur des ailes de feu, en plein dans le rêve éperdu d'une régénération prochaine, loin, bien loin des misères et des vilenies quotidiennes. Ce fut un triomphe palpitant... — Dans le pays industriel : ... Les deux premiers meetings de l'après-midi avaient lieu d'ailleurs dans des centres sûrs où la propagande était presque superflue. Destabel s'y borna à fouetter les courages par quelques phrases énergiques et s'empressa vers Silly. La réunion était considérable, elle avait lieu en plein air, dans le préau d'une école. Depuis cinq heures, divers discours y avaient été faits, devant une aftluenee toujours croissante de peuple. Isières, notamment, qui, de son côté, avait fait des prodiges d'ubiquité, y apparut, prononça une harangue enflammée, puis s'en fut, toujours courant, vers d'autres assemblées. Le soir tombait, peu à peu les détails s'atténuaient dans l'ombre ; dans la cour vaste, survenaient Sans cesse de nouveaux arrivants silencieux, recueillis ; c'était une mer noire où l'on ne distinguait plus rien que l'ondulation des taches plus claires des visages, comme des vagues. Cette foule extraordinaire qu'on ne voyait pas, qu'on devinait dans la nuit, avait quelque chose de mystérieux et de formidable. De même, l'on apercevait à peine l'orateur debout sur l'échafaud dressé en guise de tribune, et l'impersonnalité de tout cela était d'une indéniable grandeur; c'étaient des Voix parlant à la Foule! Au loin, les lignes estompées des bâtiments industriels, des cheminées d'où montaient droites de petites fumées dans le ciel couleur de cendre, le grand silence pacifique d'un soir religieux. Deschamps, impressionné par ce décor exceptionnel, prit pour thème de son discours le mot splendide : Misereor super turbas ! Et vraiment, il se lamenta, en mystique, au-dessus des foules souffrantes; il célébra le royaume des pauvres et des humbles proclamé par le Christ, les Apôtres et Saint François, qui allèrent eux aussi parler, au milieu des huées et des persécutions, aux errants des carrefours et des grands chemins; et ce fut avec des accents inspirés qu'il annonça la venue nécessaire du monde fraternel qu'édifierait le socialisme triomphant. La foule crépusculaire écouta, stupéfaite et ravie, cet ardent acte de foi qui dépassait singulièrement la lutte électorale et en suivit le cours avec frémissement. La nuit étant venue tout à fait, le Président crut inutile de mettre aux voix l'ordre du jour habituel ; mais Destabel et Deschamps insistèrent, demandant aux auditeurs de faire flamber des allumettes. Au signal convenu, des milliers de petites flammes bleuâtres scintillèrent comme des lucioles, grandirent, devinrent jaunes, firent une grande clarté. Ce fut prodigieux : l'impersonnel sortit de l'ombre ; la cohue se décela multiforme et innombrable. La révélation brusque de l'immensité de la foule, le sentiment qu'ils étaient là trois mille à avoir vibré de la même émotion fut si intense, que, spontanément, toutes les mains se levèrent, une clameur sortit des poitrines, rugissant la Marseillaise, solennellement... Le grand jour arriva, et fut une récompense bien digne de ce grand effort. Les résultats furent une prodigieuse surprise : enchanteresse pour les démocrates, ahurissante pour les anciens partis. A Mons, la liste entière passait au premier tour. A Liège et à Charleroi, des députés socialistes étaient élus au premier tour, et les autres venaient en ballottage avec les cléricaux, avec des majorités inattendues. A Soignies et à Verviers, ballottages des socialistes avec les cléricaux. A Namur, triomphait la coalition radico-so-cialiste. A Bruxelles et en Flandre, on était battu avec des minorités si respectables, si imprévues, que ces défaites étaient aussi impressionnantes que des victoires. Dans la capitale, la liste socialiste, dont on appréciait le destin selon les chiffres dérisoires que de Paepe et Picard avaient réunis sous le régime censitaire, obtenait 40,000 suffrages. Le sort du ministère clérical paraissait compromis. Les libéraux surtout étaient amoindris et en déroute. Leur chef incontesté, M. Frère-Orban, abandonna la lutte avec dignité, ne voulant point solliciter les suffrages cléricaux. Ces résultats, qui plongèrent la bourgeoisie dans la stupeur et l'épouvante, — on crut à l'imminence d'un gouvernement radical-socialiste, — étaient la récolte accumulée de toutes les années antérieures. Que de souffrances, que d'impatiences, que de désirs impétueux s'amassèrent, pendant la longue période de propagande pour le suffrage universel, et comme il fut naturel que, le jour où l'on enleva au peuple le bâillon censitaire, et où on lui permit la parole, il utilisât sa liberté par un formidable cri ! Pendant la semaine qui précéda le ballottage, les idées démocratiques subirent, en raison même de l'affolement qu'avait produit leur soudain épanouissement, un manifeste recul. Les électeurs libéraux suivant les uns, la loi de la lutte des classes, les autres, leurs affinités anticléricales, se divisèrent; et un grand nombre votèrent pour les cléricaux, tandis, au contraire, que le ralliement socialiste se faisait en faveur des libéraux, ballottés avec les cléricaux, avec une ponctuelle unanimité. Si la liste libérale succomba à Bruxelles, défaite qui assurait le maintien du ministère, il n'y a pas de doute que la faute doit en être attribuée aux doctrinaires apeurés. Les ballottages de Liège, Charleroi, Verviers et Soignies, ayant été favorables aux socialistes, ils se trouvèrent ainsi d'emblée vingt-huit. Quant au total des suffrages donnés au parti socialiste, lors de cette première consultation nationale, on le chiffre à 345,159. Mais, à notre avis, étant données les alliances de Namur et de Liège, ce chiffre doit être ramené à trois cent mille. Disons, pour compléter la comparaison, que les cléricaux obtenaient environ un million, et les libéraux six cent mille suffrages, mais notons aussi que, dans cette computation, les votes de privilège, doubles et triples, étaient infiniment plus nombreux parmi les cléricaux et les libéraux que parmi les socialistes. Les socialistes français adressèrent aux députés socialistes belges les félicitations suivantes : Camarades, Le groupe socialiste de la Chambre des Députés français envoie aux élus de la Belgique socialiste ses fraternelles salutations. Votre victoire est une des plus belles qui aient réjoui depuis vingt ans le prolétariat international. Après avoir conquis par leur énergie admirable un commencement de suffrage universel, les travailleurs belges ont appliqué d'emblée leur puissance politique à l'affirmation de leur droit social. Inauguré en pleine maturité socialiste, le suffrage universel n'a connu chez vous ni les tâtonnements, ni les duperies. Avec l'instrument à peine forgé vous avez su faire œuvre définitive ; et en confondant, dans une première épreuve, suffrage universel et socialisme, vous avez montré à tous le nécessaire rappoit de ces deux termes : égalité politique, égalité sociale. Avant peu le monde aura à choisir entre l'absolutisme clérical ou autre et la liberté socialiste, et son choix n'est pas douteux. Cette victoire est bien vôtre, camarades, car elle est faite du dévouement infatigable des militants belges, de l'esprit d'organisation et d'union qui a associé dans la même propagande et le même combat, ouvriers, paysans, instituteurs, professeurs : tous ceux qui veulent que le travailleur soit libre, maître de lui-même et des choses. Mais en même temps cette victoire est celle de tous les travailleurs, de tous les socialistes. Ils sont solidaires d'un bout à 1 autre de l'humanité, et l'idée socialiste ne peut monter en un point sans s'élever partout. Et comme le régime capitaliste est menacé à la fois dans tous les pays; comme partout, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Amérique, en Dane- marck, en Belgique, en France, le prolétariat est en mouvement et en progrès, toutes ces victoires socialistes croissant, et multipliant leurs effets, préparent la chute prochaine d'un ordre social aussi suranné qu'injuste. Aucune réaction, fut-elle universellement concertée, ne saurait prévaloir contre ce mouvement universel. Et ce qui fait la force du socialisme, c'est qu'il n'est pour aucun peuple, quoique en disent en tout pays nos adversaires, un emprunt ou un article d'importation. 11 résulte, pour chaque chaque nation, de son développement historique propre et des conditions économiques générales, qui rendent impossible désormais la liberté du producteur sans une transformation de la propriété. Il n'y a donc ni imitation servile d'un peuple à un autre, ni hégémonie socialiste possible d'un peuple sur un autre. C'est par une action interne que le socialisme se développe en chaque pays; cette harmonie naturelle, qui rapproche en une même espérance et un même combat tous les fragments épars du proltéariat, n'ôte donc rien à 3'indépendance des peuples : elle la confirme au contraire et la garantit pour la première fois. Le socialisme prépare la paix entre les peuples, et il assure l'autonomie nécessaire, la liberté sacrée des groupe-pements historiques, la vivante diversité des nations libres et amies. Par l'unité de la doctrine et la spontanéité profonde des adhésions, par l'unité de la lumière et la multiplicité des foyers, le socialisme est pour tous les peuples, à la fois, national et universel ; il est le lien vivant qui relie l'esprit de la patrie à l'esprit de l'humanité. De ce libre accord de toutes les forces prolétariennes et de toute les volontés humaines surgira une société nouvelle qui abolira d'homme à homme ce règne de la force brutale qui s'appelle le capitalisme ; de peuple à peuple, ce règne de la force brutale qui s'appelle le militarisme. Vos efforts, camarades, ont avancé la réalisation de cette haute espérance, et c'est avec joie que nous vous envoyons notre fraternel salut. Pour le groupe socialiste : Le Président de séance : CARNAUD. Le Secrétaire : VlVIANI. Le Syndic : COUTURIER. Et il leur fut ainsi répondu : Le groupe socialiste de la Chambre des Représentants de Belgique envoie aux députés socialistes français, avec ses remerciements, un salut fraternel. Vous nous disiez, chers Camarades, que les premières victoires du socialisme belge sont bien nôtres, car elles sont dues à l'infatigable dévouement de nos coreligionnaires. Nul plus que nous n'y rend hommage; mais ce dévouement, cette foi profonde en l'idéal commun, cette abnégation des militants obscurs, qui fait les victoires rayonnantes, se retrouvent, à un égal degré, partout où combat la démocratie socialiste. Et si, plus soudainement qu'ailleurs, les socialistes belges ont fait brèche, dès le premier assaut, cela tient aux conditions économiques de notre pays et à ce que la classe onvrière était organisée avant d'avoir conquis le suffrage universel. Deux cents habitants au kilomètre, un seul village industriel qui va des plaines de Mons aux plateaux de l'Hertogen-wald; quatre cent mille prolétaires, habitant côte à côte et travaillant coude à coude, — dont les communes souffrances ont engendré la commune protestation, — voilà ce qui a produit la poussée socialiste d'hier. Et ce qui, demain, doublera l'armée prolétarienne, c'est la dissociation de la propriété et du travail dans les grands domaines de la Hésbaye et dans ces plaines flamandes, où plus des trois quarts des terres n'appartiennent pas à ceux qui les cultivent. C'est pourquoi, nous devons prévoir, dans notre petit pays, un développement du socialisme plus rapide que partout ailleurs, une marche plus accélérée vers la terre promise, où la suppression des classes établit la paix sociale sur des basses indestructibles. Mais, si la paix est notre but, la lutte, — lutte des travailleurs contre les capitalistes, — tel est le moyen de l'atteindre. Et dans cette lutte, notre avant garde ne peut rien sans l'appui des grands corps d'armée du socialisme international. Contre la Belgique ouvrière, placée aux avant-postes d'un champ de bataille qui couvre les deux mondes, les capitalistes susciteront l'Internationale des gouvernements. A nous de lui opposer l'Internationale des peuples, l'ac" tion commune et solidaire de tous ceux qui représentent le prolétariat. Nous n'ignorons certes pas les difficultés de réalisation que ce projet rencontre, les préjugés qu'il irrite, les sentiments respectables qui, bien à tort, s'en inquiètent. On essaie d'établir un antagonisme artificiel entre l'Humanité et la Patrie, comme si l'amour de l'une devait nécessairement anéantir l'attachement qu'on a pour l'autre. Certes, les travailleurs belges aiment leur coin de terre, où le sang des martyrs du passé aide à germer les moissons de l'avenir. Mais leur sympathie déborde et refuse de s'arrêter à des frontières qui ont changé tous les demi-siècles, au gré des victoires de nos maîtres. Nous avons des milliers de frères dans la Flandre française. Notre Campine se continue dans les plaines de la Hollande et les Fagnes de la Haute-Ardenne descendent jusqu'aux bords du Rhin. Placée au carrefour des nations, la Belgique est internationale par sa situation même. Les grands courants d'idées qui traversent l'Europe se rencontrent chez nous avec ceux qui viennent d'Outremer, comme les fleuves qui descendent de France et d'Allemagne se confondent avec les flots des mers anglaises, dans les estuaires de nos Pays-Bas. L'Angleterre nous a enseigné l'organisation, et la pensée géniale d'Ovven s'incarne dans nos coopératives. L'Allemagne nous a donné ses méthodes rigoureuses, et le Manifeste des communistes se retrouve dans nos programmes. La France, enfin, berceau du Socialisme, a également exercé sur nous une profonde et bienfaisante influence. Si le Socialisme belge est aussi énergiquement idéaliste que foncièrement pratique, n'est-ce pas à vous qu'il le doit; à cette France socialiste et républicaine, qui toujours donne le signal des insurrections de la liberté contre l'absolutisme, de l'égalité contre le privilège. C'est vers elle que regardait Emmanuel Kant, à Kœnigs-berg, au temps de la Révolution, quand il se détournait de son immuable promenade, pour aller au devant du courrier, sur la route de France. C'est de votre côté qu'écoutait Karl Marx, impatient d'attendre annoncer l'aube rouge par les chants du coq gaulois. Et depuis, n'est-ce pas encore de France que sont partis les deux plus grands mouvements qui aient ébranlé l'Europe moderne? C'est à Paris que nous avons entendu le dies irœ de la Commune ; c'est à Paris encore, que, vingt ans plus tard, la démocratie socialiste a décidé, pour la première fois, de fêter les Pâques fleuries du Premier Mai. L'Union de tous les socialistes, frères en Humanité, que celte fête symbolise, vous avez su la réaliser et la maintenir, inébranlable et féconde entre tous ceux qui représentent le prolétariat français. Nous saurons nous inspirer de vos exemples, et nous vous remercions de tout cœur, chers Camarades, de vos témoignages d'affection et de fraternelle solidarité. Anseele, Bastien, Bertrand, Brenez, Caeluwaert, Cavrot, Dauvister, Defnet, A. De Fuisseaux, L. De Fuisseaux, Demblon, Denis, Destrée, Fagnart, Furnémont, Gierkens, Lambii.lotte, Léonard, Malemprè, Mansart, Maroille, Niezette, Paquav, Roger, Schin-ler, Vandervelde, Wettinck. Les élections provinciales, qui succédèrent aux élections législatives, à quelques jours de distance, furent relativement moins heureuses. Elles avaient été moins bien préparées. Les candidats improvisés manquaient de la notoriété nécessaire. Le corps électoral était plus restreint et amputé de ses éléments les plus ardents. (La loi électorale, — bizarrerie réactionnaire, — avait, en effet, exigé l'âge de trente ans pour élire les conseillers provinciaux). Enfin, la bourgeoisie libérale était encore dans l'émoi que lui avait causé, le 14 octobre, le renversement de ses grands chefs, tant doctrinaires que progressistes. Néanmoins, les socialistes réussirent à faire élire certains de leurs candidats dans trois provinces (Brabant, Liège et Hainaut), et nos amis, Serwy (Brabant), Bury (Liège), et Pastur (Hainaut), pour ne citer que quelques noms, parmi beaucoup de méritants, y purent dignement représenter le Parti. Dans la province de Liège, une coalition radicale et socialiste s'assura la majorité au Conseil provincial. Ces élections provinciales avaient une importance inaccoutumée à cause de l'innovation des sénateurs provinciaux. Le parti socialiste n'avait pu, en raison des conditions d'éligibilité, trouver des candidats sénatoriaux, et ne pouvait espérer être représenté dans la seconde assemblée que par des non-censitaires. Par suite d'une entente avec les libéraux, ils réussirent à faire élire, par le Conseil provincial du Hainaut, Edmond Picard et Jules des Essarts, tandis que les radicaux de Liège y envoyaient Paul Janson. La première consultation du suffrage universel, même plural, avait donc été un éclatant triomphe pour le parti socialiste, et lui avait assuré des mandataires dans toutes les assemblées électives. CHAPITRE VI. Les Socialistes au Parlement. Une curiosité très vive suivit les députés socialistes à la Chambre. Même pour les adversaires, même pour les indifférents, il était intéressant de se rendre compte des conceptions et des attitudes du parti nouveau. Les débats parlementaires qui, sous le régime censitaire, se traînaient péniblement, au milieu de l'inattention générale, dans de vagues banalités que venait rompre rarement quelque incident bruyant, furent avidement écoutés, commentés, discutés par tout le pays. Le Compte-rendu analytique vit augmenter son tirage dans des proportions énormes. L'intérêt qui s'attachait aux discours des socialistes était d'autant plus vif que, par suite de l'effondrement du parti libéral, la gauche socialiste représentait la véritable opposition, vis-à-vis du pouvoir clérical. Quelque forte que fût la majorité de celui-ci, elle manquait de cohésion et d'homogénéité. Elle comprenait des militaristes et des anti-militaristes, des proportionnantes et des anti-proportionnalistes, des protectionnistes et des libre-échangistes, des man-chestériens et des interventionnistes, des conserva- teurs et des démocrates. Parmi ceux qui avaient pris ce titre, figuraient un certain nombre de personnalités peu inquiétantes, ouvriers ou pseudo-ouvriers sans indépendance et destinés uniquement à donner le change; mais il en était un qui n'avait pas seulement l'étiquette démocratique, et qui avait osé s'attaquer au chef même des conservateurs, à M. Woeste, dans l'arrondissement d'Alost. C'était un prêtre, l'abbé Daens. Une erreur, dans les premiers calculs des votes, avait abouti à la proclamation de la victoire de M. Woeste et d'un de ses amis, mais les chiffres durent être rectifiés, et M. Woeste connut l'humiliation d'un ballottage, et ne rentra à la Chambre, le 7 décembre, qu'escorté de son rival. Il importait donc, tout d'abord, aux nouveaux élus socialistes, d'opposer à l'incohérence de la majorité, une rigoureuse unité d'attitude. Ils se constituèrent, dans ce but, en groupe distinct, et de cordiales réunions hebdomadaires ne tardèrent pas à établir, entre eux, une remarquable et précieuse concordance de votes et de tactique. De temps en temps, afin de rester en communion d'idées avec le Parti, on délibérait avec le Conseil général. On put ainsi dissiper bien des malentendus, concerter une action d'ensemble, mettre en communication constante les diverses associations du pays, donner enfin aux efforts du Parti Ouvrier une harmonie, et, par conséquent, une puissance qui n'avait point été réalisée jusque-là. Ce fut un premier résultat de la constitution du groupe parlementaire. Mais une autre conséquence, non moins féconde, fut le retentissement prolongé de leurs premiers votes, généralement précédés d'une déclaration ou d'un commentaire fait au nom de tous. Dès les premières séances, la largeur de l'abîme qui séparait les conceptions de droite et de gauche, sur les sujets les plus essentiels, apparut avec évidence. Des incidents violents se produisirent. L'un d'eux est resté particulièrement fameux : la manifestation républicaine, qui eut lieu lors de la discussion du budget des dotations. Après la liste civile du Roi, fixée par une loi au début de chaque règne, un poste de 200,000 francs, à titre de dotation, au Comte de Flandre, frère du roi, était inscrit au budget. Les socialistes en demandèrent la disparition. Ils opposèrent cette dépense, faite sans raison appréciable, en faveur d'un prince millionnaire, à la pénurie de ressources pour les dépenses ouvrières les plus urgentes. Le ministre, assez embarrassé pour justifier ce gaspillage, crut se tirer d'affaire en provoquant une petite démonstration loyaliste; il agita son mouchoir en criant : Vive le Roi! Les députés socialistes, debout, ripostèrent aussitôt par des : Vive le Peuple! Ce fut, en vérité, un spectacle pittoresque, et dont la propagande socialiste sut tirer un parti merveilleux. Dans les régions industrielles, comme dans les chaumières des paysans, l'on s'indigna contre la courti-sannerie du pouvoir. Deux élections partielles eurent lieu, toutes deux favorables aux socialistes. Il fallut d'abord remplacer, à Liège, Léon De Fuisseaux, élu à la fois à Liège et à Mons, et qui avait opté pour Mons; le mandat fut disputé par les libéraux et les cléricaux. Smeets obtint 57,734 suffrages, le catholique, 35,703, le libé-ral, 27,787. Au scrutin de ballottage, Smeets fut élu par 63,782 voix contre 55,524 à son compétiteur clérical. Les quatre-cinquièmes des libéraux avaient donc reporté leurs suffrages sur le catholique ; un cinquième 10 170 le socialisme en belgique seulement avait voté pour le socialiste. C'est là un phénomène que nous verrons constamment, plus ou moins accentué, dans les élections ultérieures, et qui s'explique aisément, si l'on réfléchit combien les intérêts économiques dominent, chez la plupart des gens, leur convictions philosophiques ou leurs aspirations politiques. L'autre élection eut lieu, le i3 janvier 1895, à Thuin. Un des trois libéraux, élus au ballottage d'octobre, grâce aux voix socialistes, étant mort, le parti libéral reconnut qu'il était équitable d'accorder aux socialistes de cet arrondissement une représentation. Berloz fut élu par 22,864 vo'x contre 20,986 données à son compétiteur clérical ; chiffres qui, comparés à ceux du mois d'octobre, révélaient que, comme à Liège, mais dans une proportion beaucoup moindre, des libéraux avaient préféré voter pour le candidat clérical. Cette élection porta à vingt-neuf le nombre des députés socialistes. Il nous semble malaisé de retracer et d'apprécier leur activité; nous y avons pris une part trop ouverte pour avoir l'impartialité nécessaire et ces temps sont trop récents pour qu'il soit utile d'en commémorer les détails ou possible de les juger équitablement. Nous nous bornerons donc à quelques indications sommaires, renvoyant nos lecteurs aux Annales parlementaires et aux journaux quotidiens. On trouvera, en outre, dans la Bibliothèque de propagande du Parti Ouvrier (Bruxelles, 35, rue des Sables), une brochure de G. Grimard : L'action socialiste au Parlement, durant les années 1895 et 1896, et d'autres brochures, résumant ou reproduisant certains discours, prononcés à la Chambre par les députés socialistes : Emile Vandervelde, La Question agraire; Les Lois sociales en Belgique ; Bertrand, Le budget de la Justice dans ses rapports avec la question sociale; H. Denis, La Morale rationaliste; J. Destrée, Art et Socialisme ; Anseele, Cartouche et Ci0. Ce dernier titre rappelle un violent réquisitoire du tribun gantois contre les industriels de sa ville natale. Ce lut dans la séance du 25 janvier i8g5, qu'il développa, avec des exemples saisissants à l'appui, cette thèse que les patrons avaient une conception de l'honneur selon la classe avec laquelle ils étaient en rapports; il montra que des hommes considérables et considérés, d'une probité irréprochable et scrupuleuse vis-à-vis de leurs pairs, ne se faisaient aucun scrupule de filouter les ouvriers dans les calculs des salaires; qu'ils se refusaient à mesurer con-tradictoirement l'ouvrage fourni, pour payer moins que le salaire et que la besogne réellement effectuée; il conclut, aux applaudissements des socialistes, et malgré les clameurs indignées du centre et de la droite : 0 Honorables peut-être entre eux, les patrons ne sont, vis-à-vis des ouvriers, qu'une bande : Cartouche et Ci0. » Ce débat fit quelque tapage. Il plut profondément à la masse ouvrière, qui. fut enchantée qu'on eut déclaré, bien haut, sans ménagement, à la tribune parlementaire, ce que tant d'entre les travailleurs osaient à peine dire tout bas. On lit des enquêtes; la pratique doleuse, dénoncée par Anseele, fut constatée, et le Ministre de la Justice dut saisir la Chambre d'un projet de loi réprimant les fraudes de cette nature. Ce fut à l'occasion de ce discours fameux, que l'honorable M. de Lantsheere, ancien Ministre de la Justice, donna sa démission de Président de la Chambre, la majorité cléricale n'ayant pas voulu ratifier une me- sure disciplinaire qu'il avait prise à l'égard d'un droitier qui, dans son exaspération, avait traité Anseele d'énergumène. 14 fut remplacé par M. Beernaert, qui était un personnage dûment décoratif, mais que son intervention directe dans la politique active, ainsi que les souvenirs fâcheux du Grand Complot rendaient d'avance suspect à la minorité. M. de Lantsheere avait le prestige de sa courtoisie et de son impartialité; M. Bernaert n'avait guère que celui des services rendus, contre les socialistes, à la majorité. C'est, en grande partie, à la maladresse de la droite, en cette circonstance, qu'il faut faire remonter la responsabilité de certaines scènes tumultueuses, que réprouvèrent les fidèles du cant et du décorum parlementaires, et qui motivèrent une révision du règlement. Nous nous hâtons, d'ailleurs, d'ajouter que les orages les plus violents restèrent très inférieurs aux tempêtes dont la plupart des Parlements étrangers nous ont, à certains jours, donné l'exemple. Les discussions de la loi sur l'électorat communal furent parmi les plus mouvementées. Elles eurent lieu dans les premiers mois de i8g5, et motivèrent de nouveaux préparatifs de grève générale. Il nous paraît préférable, pour la clarté de ces notes, d'exposer au chapitre suivant, qui traite de la conquête du pouvoir communal, les incidents qui surgirent à cette occasion. En mars i8g5, J. des Essarts donnait sa démission de sénateur provincial, ses occupations ne lui laissant pas le temps de remplir son mandat comme il l'eut désiré. Il fut remplacé, le 20 avril, par H. La Fontaine. Le ior mai fut célébré avec animation. Les députés socialistes avaient provoqué à la Chambre, sur ce su- jet, une discussion où ils défendirent la journée normale de huit heures de travail, et où ils insistèrent sur le caractère de fête, non de combat, qu'avaient les manifestations ouvrières du icr mai. Quelques jours après, une nouvelle campagne électorale s'ouvrait dans l'arrondissement de Thuin, par suite de la démission de M. Anspach, l'un des élus libéraux d'octobre. Le parti socialiste s'y consacra avec son ardeur coutumière et les résultats furent splendides : les libéraux réunissent 9,454 voix, les cléricaux, 16,087 et Lekeu, rédacteur au Peuple, qui avait eu le 14 octobre précédent 10,127 suffrages en obtint 18,127! Les progrès étaient donc formidables et constituaient pour la députation socialiste la plus significative approbation. Au ballotage, Lekeu échoua à 24 voix de minorité (22,185 contre 22,209), la plupart des libéraux ayant préféré voter pour le candidat clérical. Le 26 mai, un remaniement ministériel faisait apparaître dans les Conseils de la couronne, M. Nyssens. Il était appelé à la tète d'un département nouveau : le Ministère de l'Industrie et du Travail. La création de ce Ministère du Travail était encore une victoire morale pour les socialistes; c'était un des desiderata de leur programme ; c'était l'amplification de la proposition faite autrefois par M. Janson; c'était enfin, la consécration définitive du triomphe des principes interventionnistes sur les théories manchestériennes, qui avaient été pendant 65 ans l'Evangile des partis bourgeois. Pendant cette session 1894-95, le gouvernement avait présenté aux Chambres, outre le projet dejoi sur l'électorat communal, trois projets de lois très importants. L'un modifiait le régime douanier et aggravait, 10. pour complaire aux agrariens, les tarifs protecteurs; l'autre consentait un prêt de 12 millions à l'Etat du Congo; le troisième avait pour but de rendre l'enseignement de la religion obligatoire dans les écoles primaires. Les socialistes combattirent ces projets avec une extrême énergie. Ils le firent avec d'autant plus d'autorité que la loi économique et la loi scolaire leur permirent de batailler pour les conceptions qui leur étaient communes avec les libéraux. La presse libérale les appuya el applaudit à leurs efforts. Rien ne fut plus propice à démontrer, à ceux qui en doutaient, que la question des salaires n'était pas la seule à passionner le Parti Ouvrier. Celui-ci put ainsi affirmer, en même temps que des sentiments de tolérance et son désir de se concilier même l'ouvrier chrétien, sa ferme volonté de défendre et de faire respecter la liberté de conscience. Le 28 juillet, une manifestation à laquelle prirent part environ cent mille hommes fut organisée pour protester contre les projets du gouvernement. Elle avait été préparée par l'adresse suivante : Au Peuple belge, Le gouvernement clérical poursuit sa lutte contre le socialisme. Aveuglé sur sa véritable force par une majorité de hasard, il pousse toujours plus loin son audace. Déjà il avait quadruplé la puissance électorale des riches, mutilé et rendu presque illusoire le droit de suffrage que les travailleurs n'avaient conquis que par de longues années de luttes, de sacrifices et de souffrances. Pour enrichir une poignée d'industriels et de grands propriétaires, il a inauguré une politique économique qui aura pour résultat certain d'élever le prix de la subsistance de l'ouvrier. Par courtisannerie pour le roi, poussé par les spéculateurs et les tripoteurs d'affaires, il vient de jeter dans le gouffre du Congo plus de 12 millions pris dans la poche des travailleurs belges. Ce n'était pas assez. Après avoir frappé le suffrage universel, après avoir atteint l'alimentation populaire, voilà qu'il ose s'en prendre à la conscience môme du peuple, à ce que le pauvre a de plus cher, l'avenir de ses enfants. La nouvelle loi scolaire, qu'on veut brutalement imposer au pays, proclame audacieusement qu'il n'y a pas de morale en dehors de la religion catholique. Tous les actes de probité, de dévouement, de sacrifice n'ont de valeur morale, s'ils ne reçoivent la sanction religieuse, s'il n'ont pour mobile la crainte de Dieu et de l'enfer. L'enseignement de la religion sera rendu obligatoire pour toutes les écoles, qui devront, pour vivre, passer par les subsides de l'État. Sur 5,778 écoles primaires officielles que compte le pays, il n'y en a que 153 sans caractère confessionel. C'était encore trop et M. Schollaert a annoncé son intention de supprimer la disposition de la loi de 1S84 autorisant vingt pères de famile à réclamer une école conforme à leurs convictions. Consommer la ruine de l'enseignement public, cléricaliser toutes les écoles, tel est le but hautement avoué de ce scandaleux projet. L'autre but, celui qu'on avoue pas, c'est d'énerver les efforts de la classe ouvrière vers son émancipation, c'est de perpétuer la domination capitaliste à l'aide de la terreur religieuse que l'on s'apprête à faire régner sur ce pauvre pays. Contre cet abominable coup de parti, debout tous les défenseurs de la liberté de conscience! A la morale religieuse, nous opposons la morale humaine, plus haute et plus belle, qui consiste à faire le bien pour lui-même, sans espoir de récompense comme sans crainte de châtiment. Nous entendons qu'on respecte nos croyances comme nous respectons celles des autres et que le domaine de la conscience reste sacré pour tous. Nous irons dire partout que nous voulons l'instruction obligatoire avec son corollaire indispensable : la nourriture et le vêtement pour les enfants de toutes les écoles, qu'elles soient ou non officielles. Nous entendons faire des instituteurs, des hommes matériellement et moralemeni libres et nous les soustrairons à la domination du clergé et de l'Etat. Nous réclamons un programme scolaire conforme aux idées modernes et comprenant notamment l'obligation de l'enseignement des sciences naturelles, la plus précieuse conquête de la science pédagogique. Debout donc, ouvriers et bourgeois! Il ne sera pas dit que les enfants de ce pays, qui a déjà tant souffert de l'oppression cléricale, courbera cette fois encore la tête. Debout, tous debout ! Le Parti Ouvrier vous appelle. Venez à lui ! Il va montrer qu'il sait lutter non seulement pour le pain, mais aussi pour la conscience du pauvre, qu'il est et deviendra de plus en plus le défenseur le plus énergique de la liberté humaine. Le gouvernement ne tint pas compte des objurgations de l'opposition et réalisa l'œuvre projetée. Mais, en même temps, cette politique ralliait au parti socialiste beaucoup de libéraux férus d'anticléricalisme. D'autre part, en juillet i8g5, les Chevaliers du Travail adhéraient, pour l'action politique tout au moins, au Parti Ouvrier. Ainsi, celui-ci groupait toutes les énergies socialistes et voyait sans cesse s'accroître son influence. Pendant toute cette période, les congrès de métiers, les installations de coopératives, les inaugurations de Maisons du Peuple ou de drapeaux d'associations de secours mutuels se succèdent sans inter- ruption; c'est une activité constante, une prospérité sans ralentissement. Chaque élection est disputée aux réactionnaires, même dans les bourgs les plus réfractaires des Flandres; ainsi, on lutte à Ostende, le 28 juillet 1895, et Hardyns y obtient 1,265 voix. Dans l'espoir d'atténuer les effets delà propagande par le Parlement, le gouvernement tripla le prix d'abonnement au Compte-rendu analytique. Vaines mesures ! La presse socialiste regagne la plupart des lecteurs que perd le Compte-rendu. Le 11 octobre, Alfred Defuisseaux est acquitté par le jury du Hainaut, de l'accusation de participation au grand complot. Le renouvellement des conseils communaux occupe presque exclusivement les derniers mois de l'année 1895; nous en parlerons dans le chapitre suivant. Les discussions provoquées à la Chambre et dans la presse par le souvenir de la Commune de Paris, ont comme conséquence, le 18 mars 1896 : la commémoration, en divers endroits, des événements de 1871. Le 23 mars 1896, L. deBrouckère et J. Lekeu comparaissaient devant la cour d'assises du Brabant. Ils avaient écrit dans le journal le Conscrit, publié par la jeune garde socialiste, des articles intitulés, celui de Brouckère : Tu ne tueras pas ! celui de Lekeu : Assassins et Prostitués ! dans lesquels la discipline militaire et le système du remplacement étaient acer-bement critiqués. Le gouvernement crut devoir sévir avec rigueur. Depuis plusieurs années, la propagande active que menait le Parti Ouvrier dans cette direction devenait inquiétante. L'armée belge, recrutée exclusivement dans la partie pauvre de la population n'était, pour le pouvoir, un appui assuré que pour autant que l'action dissolvante du libre examen socialiste n'y vînt point affaiblir l'esprit d'obéissance aveugle. Dès son origine, le parti socialiste avait compris la nécessité de se concilier des sympathies dans l'armée. Comme il était sinon impossible, du moins très difficile de pénétrer dans les casernes où la lecture de journaux socialistes était sévèrement prohibée, on imagina d'essayer de s'attacher le soldat avant son incorporation et la propagande s'adressa surtout aux conscrits, aux jeunes gens appelés à participer au tirage au sort. Ce fut l'œuvre des jeunes gardes socialistes. Ils s'y employèrent avec une fougue admirable. Leur zèle, parfois intempestif et peu adroit, mais toujours ardent et généreux, leur valut des poursuites et des condamnations dracon-niennes. On eût dit que le danger surexcitait les dévouements. L'autorité des anciens, des congrès, du Conseil général dût être invoquée, à diverses reprises, pour empêcher d'inutiles bravades. Cette propagande parmi les miliciens est exposée en détail dans les rapports présentés aux congrès annuels, à Louvain (1890), Verviers (1891), Gand (1893), Anvers (1895). Autant le Parti Ouvrier comprenait l'importance de la développer, autant le pouvoir était persuadé de la nécessité de la réprimer inflexiblement. De part et d'autre, le procès du Conscrit fut l'occasion d'un effort décisif. De Brouckère et Lekeu présentèrent une défense d'un sentiment élevé, et leurs avocats Edmond Picard et Emile Vandervelde prononcèrent des plaidoieries qui, mettant en lumière l'injustice des poursuites et dénonçant l'accusation dirigée contre le socialisme même, firent en même temps un exposé intransigeant, selon les vœux des accusés, des doctrines et des espoirs du Parti Ouvrier. Le jury bourgeois condamna de Brouckère et Lekeu, chacun à six mois de prison. L'iniquité de cette décision, qui ressemblait plus à la vengeance d'une classe apeurée, qu'à un arrêt de justice, ne contribua pas médiocrement à répercuter en échos prolongés les idées que ces propagandistes avaient voulu servir (i). Le 5 et le 6 avril 1896, le 12e congrès annuel du Parti Ouvrier se tint à la Maison du Peuple à Charle-roi-Nord, sous la présidence de de Brouckère; l'assemblée ayant tenu à manifester ainsi que le Parti Ouvrier était solidaire des paroles châtiées par le jury de Bruxelles. Il fût exceptionnellement nombreux, les organisations ouvrières des Chevaliers du Travail y ayant toutes adhéré. Il entendit les rapports de Servy, au nom du Conseil général, et de Bertrand, au nom du groupe parlementaire. Il délibéra sur le mode de perception et de répartition du prélèvement d'un quart de l'indemnité parlementaire sur l'organisation syndicale, la participation au congrès de Londres, etc.; décida de donner aux prochaines manifestations du ier mai, un caractère anti-militariste et d'organiser pour l'annee 1897, une grande manifestation nationale contre la guerre, les armées permanentes etl'encaser-nement. Le mois qui suivit, on apprit la mort de Jean Volders. Les funérailles qui eurent lieu le 14 mai 1896, décélèrent la profonde sympathie de la population bruxelloise et de la classe ouvrière du pays entier pour l'infatigable organisateur des durs combats des premiers temps. D'innombrables amis lui lirent un émouvant cortège attristé. (1) Voir dans la Bibliothèque de propagande socialiste, au Peuple, 35, rue des Sables, le compte-rendu du procès. Quant à la Chambre, sa session de 1895-96, plus courte, fut moins agitée que la précédente. Après l'interminable discussion des budgets, elle ne put guère s'occuper que d'une loi sur la falsification des alcools, d'une autre loi sur l'accise du tabac, et d'une loi ouvrière intéressante, mais anodine, sur les règlement d'ateliers. Les socialistes prirent part à toutes ces discussions. Il y aurait à citer encore leur intervention par voie d'interpellation où ils s'efforcèrent d'être les dénonciateurs vigilants des abus du pouvoir. Nous terminons ce chapitre par la liste des prin-paux projets de loi déposés par le groupe socialiste pendant ces deux sessions. Projet d'accorder l'amnistie pleine et entière aux crimes et délits politiques, commis depuis le ier janvier 1884 (Furnemont). Propositions relatives aux vices rédhibitoires en matière de vente ou d'échange d'animaux domestiques (Fagnart). Projet tendant à modifier le tarif et la perception des droits de succession et de mutation (Denis). Projet de loi dans le but d'améliorer la situation des fonctionnaires publics du royaume (Bertrand). Projet de loi ayant pour but d'accorder une juste indemnité aux victimes d'erreurs judiciaires (Des-trée). Proposition d'étabiir un impôt général et direct sur le revenu. (Denis). Proposition de modifier la loi sur la chasse (Def-net). Proposition de créer au profit des vieux houil-leurs une pension de 600 francs par an (A. et L. De-fuisseaux). Projet de loi en vue de supprimer le droit de préférence, le droit de suite et tous les privilèges existants en faveur des sommes dues par les fermiers aux propriétaires de biens ruraux (Defnet). Proposition de consacrer les 6 millions et demi de bénéfice annuel, résultant de la conversion de la dette de 3 1/2 en 3 p. c., à la constitution d'une Caisse de retraite en faveur de tous les vieux travailleurs (Furnemont). Projet de loi en vue d'organiser le marché du travail industriel et agricole (Denis). Projet de loi organisant une représentation professionnelle de l'agriculture (Niezette). Projet de loi établissant l'inspection ouvrière dans les mines (A. Defuisseaux). Projet de loi réglant la durée du travail, — le travail de nuit, — le repos hebdomadaire. (Bertrand). Projet de loi destiné de maintenir à ( fr. 5o le prix du compte-rendu analytique (Destrée.) Proposition d'établir le suffrage universel pur et simple à 21 ans pour la province et la commune et d'abolir la représentation proportionnelle. (L. et A. Defuisseaux). Proposition tendant à modifier le ressort du Conseil de Prud'hommes de Charleroi. (J. Caeluwaert). Projet de loi punissant d'une amende de 5o à 5oo fr. et d'un emprisonnement de 8 jours à 1 mois tous patrons, entrepreneurs d'ouvrages et contre-maîtres, qui renverraient leurs ouvriers à raison de l'exercice de leur droit électoral (Vandervelde). Proposition tendant à établir un Conseil de Prud'hommes à Wasmes (G. Defnet). ' Proposition de modifier les articles du code civil ayant trait à la location des biens ruraux, de façon à assurer aux fermiers sortants une indemnité de plus-value (Defnet). Projet de loi soumettant le produit du travail et de l'épargne de la femme aux dispositions des art. i536 et i539 du code civil, de façon de laisser à celle-ci la complète administration du produit de son travail et de son épargne. (Vandervelde). Proposition d'enquête parlementaire sur la situation matérielle et morale du personnel, employés et ouvriers, des administrations des chemins de fer, postes et télégraphes. (Bertrand). Projet d'étendre la juridiction des Conseils de Prud'hommes à tous lesouvriers manuelsetaux employés. (G. Defnet), Projet d'abolir les articles 64 et suivants de la loi de milice relatifs au remplacement militaire. (Bertrand). CHAPITRE VII. A la Conquête du Pouvoir Communal. A la révision constitutionnelle, modifiant les conditions requises pour être électeur aux Chambres, devait nécessairement succéder une révision de la loi réglant l'électorat communal. Ce fut, nous l'avons dit, une des premières besognes auxquelles se consacra le Parlement issu du suffrage plural. On attendait avec anxiété les propositions du gou vernement. Il semblait dans la logique des choses, clans la tradition historique nationale, que l'on admit le suffrage universel, non dénaturé. Toujours, en ef-let, le corps électoral communal avait été plus étendu que le corps électoral législatif. Mais les triomphes des socialistes avaient été trop éclatants, leurs progrès trop rapides, pour que le ministère clérical se ralliât à cette solution de justice. Laborieusement, il s'efforça de sophistiquer, de tripatouiller le système plural, de façon à lui faire produire des résultats moins démocratiques. Il supprima d'abord tous les éléments jeunes, en reculant jusqu'à trente ans la majorité électorale nécessaire au choix d'un conseiller communal; il exigea trois ans de do- micile continu dans une commune pour y être reçu à voter, ce qui écartait principalement dans les centres industriels une grande quantité d'ouvriers que les hasards de leur travail forcent à changer souvent de résidence; il adopta un cens différentiel; enfin, alors que pour les Chambres il était interdit de cumuler plus de trois voix, il assura aux privilégiés de la fortune, aux propriétaires fonciers, une quatrième voix. Quelques bourgeois pouvaient ainsi tenir en échec des travailleurs quatre fois plus nombreux. Quand le projet gouvernemental fut connu, il y eut dans les rangs démocratiques un toile général. Anseele baptisa cette loi d'un mot heureux; après avoir montré que les modifications apportées au système plural avaient pour but de diminuer l'influence des prolétaires, il se résuma en disant que cette loi devrait s'appeler : la loi des quatre infamies. Le nom resta. Il servit à caractériser pittoresquement l'œuvre de réaction que, malgré l'opposition désespérée des gauches, le gouvernement fit voter à sa majorité docile. Il se conçoit, au surplus, qu'il ait refusé toute concession. Le pouvoir communal est d'une importance presque égale au pouvoir législatif, et si les réactionnaires avaient été dupes, pour celui-ci, d'un moment d'effroi, ils ne voulurent plus l'être une seconde fois, les circonstances ne paraissant plus aussi impérieuses qu'au 18 avril 1893. De leur côté, les socialistes sentaient vivement la spoliation dont ils étaient victimes : les communes, avec leur autonomie, leur sphère d'action limitée, mais indépendante, pouvaient être des champs d'expériences admirables où l'on pouvait espérer ébaucher les réalisations socialistes futures. Il n'était pas téméraire de croire que l'on eût conquis, avec le suffrage universel pur et simple, de nombreux hôtels de ville et c'eut été, dès cet instant, une notable partie de la puissance publique utilisable pour les idées nouvelles. L'enjeu était donc de première valeur. Et tout naturellement, une agitation analogue à celle qui avait abouti à la révision de l'article 47 recommença. On songa de nouveau à la grève générale. De nouveau, les congrès du Parti l'acclamèrent en principe en chargeant le Conseil général de l'organiser pour le jour où la Chambre en donnerait le signal par le rejet du suffrage universel pur et simple (14 février 1895). Mais les circonstances étaient bien différentes de celles d'avril 1898. La protestation ouvrière, plus profonde peut-être, était bien moins étendue. Elle était circonscrite aux milieux actifs et militants, où l'on avait la conscience nette de l'énormité du complot réactionnaire. Le gouvernement, d'autre part, n'était plus flottant et impressionnable comme en 18g3; il était, au contraire, bien décidé à la résistance jusqu'au bout, à la répression inflexible, qui lui paraissait d'ailleurs un excellent moyen de se débarrasser des socialistes trop gênants. Enfin la masse, non organisée, n'était pas sûre et pouvait se laisser entraîner aux pires excès. La grève générale paraissait donc, sinon impossible à réaliser pacifiquement, tout au moins de nature à compromettre gravement le mouvement d'émancipation ouvrière. Le suffrage universel fut repoussé. La transaction consistant à consacrer pour la commune, le plural législatif fut repoussée aussi. En vertu des décisions du congres, la grève générale devait donc être déclarée. La situation était grave. Le Conseil général en dé- Gfiylfi libéra longuement, d'accord avec les députés et les sénateurs socialistes. Il prit alors à l'unanimité la décision suivante : Le Parti Ouvrier, réuni en congrès extraordinaire, a con-fié-aux membres de son Conseil général, la mission de donner le signai de la grève, si la loi communale contenait des dispositions inacceptables. Cette grève, — protestation légitime contre la loi des quatre infamies, — nous la voulions pacifique et légale. Les troubles de Liège, les fusillades de Renaix, la surexcitation qui règne parmi les ouvriers non encore organisés, nous donnent la conviction qu'elle n'aurait pas ce caractère et ne pourrait aboutir qu'à une implacable répression. Dans ces conditions, nous nous refusons à sacrifier des vies humaines pour empêcher le vote d'une loi qui n'aura qu'une courte durée, car elle est, dès à présent, condamnée par le suffrage universel, dont on a surpris la confiance et méconnu la volonté. C'est pourquoi, Le Conseil général, d'accord avec tous les membres socialistes de la Législature, et statuant à l'unanimité, Déclare, Qu'il n'y a pas lieu de donner le signal de la grève ; invite tous les groupes du Parti Ouvrier à entamer une incessante propagande pour l'abrogation de loi communale et l'établissement du suffrage universel. Cette décision fut taxée de faiblesse et de pusillanimité par certains. Il y en eut qui déclarèrent que le parti socialiste entrait dans la phase parlementaire, que la grève générale était répudiée. On s'en expliqua, très cordialement, au congrès d'Anvers, le i5 avril 1895. Il fut constaté que nul ne songeait à abandonner la grève générale comme moyen d'action éventuel, mais on reconnut aussi qu'il ne fallait pas la décider à la légère, sans un examen réfléchi de sa possibilité. Pas une voix discordante ne s'éleva pour blâmer la résolution du Conseil général et la discussion fut close par cet ordre du jour voté à l'unanimité moins quatre abstentions : Après avoir entendu les explications du Conseil général et de plusieurs délégués, le congrès du Parti Ouvrier, réuni à Anvers ie 13 avril 1895, approuve pleinement la décision prise par le Conseil général du Parti ; exprime son entière confiance aux élus socialistes ; déclare dès maintenant entamer une campagne énergique pour l'abolition de la loi dite des quatre infamies, et passe à l'ordre du jour. Dans les débats qui eurent lieu à la Chambre, à propos du projet de loi réglant l'électorat communal, un député de Louvain, M. Schollaert, devenu depuis, Ministre de l'Intérieur et de l'Instruction publique, jugea de bonne tactique d'évoquer la Commune de Paris. C'était un hors-d'œuvre manifeste, mais il plaçait les socialistes dans une situation délicate. L'alternative était celle-ci ; ou bien, fuir le débat, répudier toute solidarité avec les hommes de 1871, ou bien se compromettre gravement en acceptant partie de la réprobation dont les calomnies de la presse réactionnaire avaient entouré leur mémoire. La première solution était peut être une habileté, mais c'était certainement une lâcheté : nous devons dire que personne n'y songea un instant. La gauche socialiste accepta, avec bravoure, le défi qui lui était lancé, et, par ses efforts énergiques, elle sut faire sur les événements de 1871, un peu de juste-lumière, rétablir la réalité des faits, stigmatiser la hideur de la répression versaillaise et la perfidie des narrateurs bourgeois qui avaient travesti l'histoire (i). La loi nouvelle inaugurait une autre bizarrerie; elle supprimait le ballotage, par suite d'une application atténuée de la représentation proportionnelle. Le parti qui recueillait la moitié des suffrages plus un, s'assurait tous les sièges, mais si aucun n'obtenait la majorité absolue, il y avait lieu à représentation proportionnelle. Cette combinaison, diversement appréciée, eut pour résultat de constituer dans les grandes villes, à Bruxelles, à Gand, à Liège, à Charleroi, notamment, des conseils hétérogènes dont la direction parait présenter de sérieuses difficultés. La répugnance de la classe ouvrière à accepter la loi des quatre infamies, fut si unanime, même parmi les ouvriers catholiques, que les quelques représentants de la démocratie chrétienne durent combattre le projet du gouvernement. L'abbé Daens ne se gêna point pour manifester une hostilité aussi irréductible que celle des socialistes. On contenta les autres, en leur accordant dans les communes de plus de 20,000 habitants, un certain nombre de conseillers supplémentaires ouvriers, élus par scrutin séparé. Il est vrai que la loi portait en même temps que les patrons auraient à désigner, de leur côté, pareil nombre de conseillers supplémentaires. Cette chinoiserie ne donna pas les résultats qu'avaient espéré ses auteurs; toutes ces élections ouvrières tournè- (1) Voyez notamment les séances aux Annales parlementaires et, dans la Bibliothèque de propagande du Parti Ouvrier, la brochure Vive la Commune, d'Emile Vandervelde. rent à l'avantage des candidats qu'y présenta le Parti Ouvrier. Celui-ci avait élaboré au congrès de Quaregnon (1894) un programme communal assez détaillé, avec lequel il partit résolument en guerre. Il réitéra ses précédentes déclarations quant aux alliances et, dans chaque commune, les listes de candidature s'élaborèrent. Non sans peine, on le comprendra. Le Parti Ouvrier, né d'hier, manquait d'hommes ayant l'expérience des affaires administratives. La bonne volonté ne suffisait pas; il fallait encore des connaissances complexes, des aptitudes particulières. Les grandes sociétés coopératives avaient déjà formé quelques hommes; d'autre part, sous le régime du cens à dix francs, ça et là, des socialistes étaient entrés dans les conseils communaux (1). Une seule commune sur plus de 2,000 avait eu une administration socialiste (2). 11 y avait certes là des ressources précieuses, mais combien insuffisantes, pour entamer la lutte contre les partis anciens, ayant depuis de longues années divisé le pays en deux camps organisés. (1) Voyez les chapitres précédents. En 1887 et en 1890, les socialistes avaient lutté dans 51 ou 52 communes (Bruxelles et faubourgs, Gand, régions de Liège, de Charleroi, du Centre et du Borinage), soit seuls, soit alliés aux libéraux. Ils avaient eu certains succès. Seulement ces luttes n'eurent guère un caractère socialiste bien accentué et ne visaient guère qu'à obtenir une certaine représentation ouvrière. Toute action d'ensemble faisait défaut. (2) Familleureux. Six années d'administration socialiste. Bruxelles, imprimerie Brismée, 1895. iço le socialisme en belgique On engagea néanmoins la bataille dans 507 communes, près du quart du pays. Malgré les conditions défectueuses dans lesquelles cet assaut aux municipalités fut donné, l'issue en fut satisfaisante. Il est évidemment impossible d'en essayer (étant donnés la complication des situations, le fractionnement des partis, les alliances) une statistique complète; bornons-nous à indiquer la composition du conseil des localités les plus importantes : Anvers, 20 libéraux et 19 cléricaux; Bruxelles, i5 libéraux, 12 cléricaux et 12 socialistes; Gand, i3 libéraux, 12 cléricaux et 14 radicaux socialistes; Liège, i3 libéraux, 14 cléricaux et 12 socialistes; Alost, 21 cléricaux et 2 libéraux; Anderlecht, 11 libéraux, 11 cléricaux et 2 socialistes ; Borgerhout, 6 libéraux et 17 cléricaux; Bruges, 29 cléricaux ; Charleroi, 10 libéraux, 9 radicaux et socialistes et 2 cléricaux; Courtrai, 23 cléricaux; Gilly, 11 cléricaux, libéraux, et 10 socialistes; • Ixelles, i5 libéraux, 12 cléricaux et 2 socialistes; Jumet, 21 radicaux et socialistes; Laeken, u libéraux, 11 cléricaux et 1 socialiste. Lierre, 19 cléricaux et 2 libéraux; Louvain, 20 libéraux, 8 cléricaux et 1 socialiste; Malines, 29 libéraux et 2 cléricaux; Molenbeek-Saint-Jean, 12 libéraux, 7 cléricaux et 10 socialistes; Mons, 22 libéraux et 1 clérical; Namur, 8 libéraux, 16 cléricaux et 1 socialiste; Ostende, 21 libéraux et 2 cléricaux; Roulers, 19 cléricaux et 2 libéraux; Saint Gilles, 7 libéraux, 6 cléricaux et 14 socialistes et radicaux ; Saint Josse-ten-noode, 20 libéraux, 1 clérical et 2 socialistes; Saint Nicolas, 21 cléricaux et 2 libéraux; Schaerbeek, 12 libéraux-radicaux, i5 cléricaux et 4 socialistes; Seraing, 11 libéraux, 1 clérical et i3 socialistes ; Tournai, i3 libéraux et 12 cléricaux; Verviers, 9 libéraux, 9 cléricaux et n socialistes. La mission des nouveaux élus était extrêmement difficile à accomplir intégralement. Dans les conseils où ils étaient minorité, ils ne pouvaient agir qu'à fin d'exercer un vigilant contrôle sur les affaires communales, sur lesquelles il était généralement très malaisé de se renseigner exactement et complètement; ils devaient se résigner, en outre, à voir leurs propositions systématiquement écartées par les majorités conservatrices. Dans les conseils où le parti socialiste était le maître, la tâche était bien plus compliquée encore. Malgré les déclamations pompeuses, par lesquelles on a coutume de célébrer l'autonomie communale, cette autonomie est, en réalité, fort limitée. Le conseil communal nomme ses administrateurs ou échevins, mais le bourgmestre ou maire, à qui sont confiées les attributions de police, est désigné par le pouvoir central. Tous les actes de quelque importance sont soumis à l'approbation de la députation permanente du conseil provincial, ou à celle du Ministère de l'Intérieur. La sphère d'action propre de la commune est ainsi restreinte par toute une législation centralisatrice. D'autre part, les agents d'exécution, secrétaire ou receveur communal, employés, etc., appartenant aux anciens partis, entravaient les projets socialistes et paralysaient les plus louables initiatives. En bas comme en haut, les nouveaux élus rencontrèrent l'inertie et le mauvais vouloir. L'indice le plus caractéristique de cette situation, est le refus systématique du gouvernement de nommer des bourgmestres socialistes. Jusqu'en ces temps derniers, le pouvoir central s'était, en général, borné à ratifier les choix des conseils communaux et à donner une sorte d'investiture à ceux qu'ils lui indiquaient. Depuis l'entrée en scène du parti socialiste, cette volonté des conseils communaux a été absolument tenue pour nulle, partout où elle s'est fixée sur un socialiste. Le Ministre de l'Intérieur s'est obstinément opposé à reconnaître le vœu des électeurs, frappant ainsi d'ostracisme tout un parti (parti auquel les élections législatives de 1894 et 1896 avaient attribué plus du cinquième des suffrages; ce qui, étant donné le vote plural, représente au moins le quart de la population). Cette hostilité n'a d'ailleurs pas osé aller jusqu'au bout; et sans désigner des bourgmestres en dehors des conseils, le ministère conservateur a laissé les échevins socialistes exercer, en fait, mais sans en avoir le titre, les fonctions de bourgmestre. Quant aux députations permanentes des conseils provinciaux, elles marquèrent la même défiance vis-à-vis des administrations socialistes. Qu'elles fussent cléricales comme le gouvernement, ou doctrinaires, comme l'ancien parti libéral, elles ne songèrent toutes qu'à décourager le zèle des nouveaux élus socialistes, à lasser leur patience par des lenteurs, des dérivatifs, des oppositions sournoises et tracassières. Enfin, dans la plupart des petites communes, c'est le secrétaire communal (dans les grandes, ce sont les bureaux) qui est le pivot, l'homme essentiel de toute l'administration. Il connaît les dossiers et les archives, est renseigné sur les précédents, sur les répercussions, les intrigues, facilite la tâche des magistrats communaux, s'il est bien disposé pour eux, et la rend très pénible s'il y apporte de la mauvaise volonté. Il faut se rendre compte de ces difficultés administratives pour comprendre que, même dans les municipalités où nous sommes en force, nos amis n'aient encore pu tenter aucune réalisation de quelque intérêt. Ils ont déjà fort à faire pour remettre de l'ordre dans les comptes et les affaires et pour se retrouver dans les situations souvent inextricables que leur ont léguées l'ignorance ou l'incurie de leurs prédécesseurs. On concevra, en même temps, que la nécessité d'un groupement se soit fait sentir dès la première heure. L'idée fut d'abord émise et réalisée dans le pays de Charleroi. On tenta de réunir les nouveaux élus socialistes, de leur donner les renseignements juridiques, économiques et autres qui leur étaient nécessaires, de leur demander de se soumettre mutuellement les problèmes à résoudre. L'exemple fut suivi au Borinage et à Bruxelles. Le projet fut repris et généralisé, étendu au pays entier par le Parti Ouvrier, qui décida, en principe, lors du congrès de Charleroi (avril 1896), la création d'une Fédération des conseillers communaux socialistes. En octobre, le Conseil général convoqua pour le jour de Noël suivant, un congrès de conseillers communaux socialistes. Il y avait alors quatre-vingt communes à majorité socialiste et 180 avec une mi- 194 le socialisme en belgique norité socialiste. De nombreux élus répondirent à l'appel du Parti Ouvrier. Tenu sous la présidence d'Anseele, le congrès résolut non seulement des réunions plénières périodiques, mais, ce qui était plus pratique et plus immédiatement nécessaire, la création d'un secrétariat permanent. Le compagnon Vinck fut appelé à ces fonctions et les remplit avec un zèle et une activité qu'on ne saurait trop louer (i). La Fédération tint un second congrès le 6 juin 1897; i32 communes y furent représentées et on put considérer dès lors l'œuvre comme définitivement établie. Le secrétaire Vinck fit connaître dans son rapport le mode de fonctionnement du secrétariat et signala les services que cette institution avait déjà rendus et était appelée à rendre de plus en plus. Le congrès entendit la lecture de rapports érudits sur trois questions d'actualité, qui apparaissent au premier plan dans les préoccupations présentes et qui ont fait l'objet de propositions et de débats dans différents conseils communaux : i° l'inscription de la clause du minimum de salaire, dans les cahiers des charges des travaux à effectuer pour les administrations communales (2); 20 l'impôt sur le reve- (1) Ceux de nos lecteurs qui désireraient, sur l'ojganisa-tion et le développement de la Fédération, des notions complémentaires pourront s'adresser directement à lui, rue Keyenvel, 106, à Bruxelles. (2) Le rapport de Conrardy, conseiller communal à Bruxelles, a été publié dans l'Avenir social du mois d'août 1897 (35i rue des Sables). Voyez encore Bulletin communal de Bruxelles, 1896, p. 393 et suiv. et le rapport du collège avec de nombreux renseignements, p. 88 à 288; la discussion dans les séances d'octobre 1896, Bulletin communal, p. 837 à 885, 902-971, 975-992. nu (i);3° l'assurance communale contre l'incendie (2). Il entendit enfin et adopta une proposition du secrétaire tendant à faire trancher par voix d'arbitrage les difficultés qui s'élevaient entre conseillers communaux socialistes, difficultés inévitables provenant de l'inexpérience administrative, de froissements personnels, etc. et autour desquelles la presse réactionnaire faisait naturellement un bruit intense. Après les trois questions que nous venons de signaler, celles qui se rattachent aux services publics (gaz ou électricité, eaux, tramways) ou à l'enseignement (3) paraissent devoir attirer principalement les conseils socialistes. Mais les premières ne peuvent être résolues qu'à l'expiration des contrats qui lient vis-à-vis d'entreprises privées et pour des termes assez longs les administrations communales; et les secondes le seront aussitôt que les voies et moyens seront trouvés et assurés. (1) Le rapport de Grimard, c.c. à Bruxelles, a été de même publié dans cette Revue, dans les nos de septembre et novembre 1897. (2) Le rapport de Bertrand, député de Soignies et conseiller communal à Schaerbeek, a paru en 1897, sous le titre : Projet de taxe spéciale pour couvrir les frais du service des incendies ; caisses d'assurances communales, à Bruxelles, imprimerie Becquert Arien, rue van Artevelde 3- Une proposition analogue a été développée en novembre 1897, au conseil communal de Bruxelles, par le Dr Del-bastée. (3) Dans la Bibliothèque de propagande du Parti Ouvrier, 35i rue des Sables, à Bruxelles, la brochure de ZËO : les Cantines scolaires et les Institutions similaires. V. encore le discours de De Brouckère. Bulletin communal de Bruxelles, 1896, p. 1310 à 1360. 196 le socialisme en belgique Disons toutefois que l'initiative privée a déjà su arriver, en matière d'œuvres scolaires, à d'assez beaux résultats, qui peuvent être étudiés comme types et servir de base à des calculs pratiques. L'Assiette de soupe, l'Œuvre du vêtement, les Colonies scolaires existent à Bruxelles et dans quelques autres communes, et une partie de leurs dépenses sont couvertes par des subsides communaux. Des propositions relatives à ces divers points sont soumises au conseil communal de Gand et développées au nom des radicaux et des socialistes par Bruggeman et Rosseel. On y trouve, en outre, un effort pour secourir les vieillards. D'autres propositions analogues ont vu le jour en divers endroits. L'espace nous manque pour les dénombrer. Ce que nous avons dit suffira pour indiquer toute l'importance des réformes qui sont en gestation socialiste dans le domaine communal, l'intensité du mouvement, en même temps que la nécessité d'attendre quelques années pour en apprécier les conséquences. CHAPITRE VIII. Les élections de 1896 et la situation actuelle. Lors de la révision de 1898, il n'avait rien été modifié à la durée du mandat législatif, fixée à quatre ans, non plus qu'au mode de renouvellement par moitié tous les deux ans. 1896 ramena donc une période d'élections dans les provinces de Brabant, d'Anvers, de Namur, de Luxembourg et de la Flandre Occidentale. L'élection de Bruxelles présentait une importance considérable, en raison du nombre exceptionnel de députés qu'avait à désigner cet arrondissement; elle donna lieu, naturellement, à de laborieux préparatifs. La question des alliances surgit à nouveau, ayant ses partisans et ses adversaires également fervents. L'attitude du Parti Ouvrier ne varia point. 11 se refusa absolument à examiner même la possibilité d'une union avec les doctrinaires. Le parti progressiste, instruit par les scrutins de 1894, sur les forces socialistes, se décida cette fois à rompre avec les libéraux et à rechercher l'alliance ouvrière. Un 198 le socialisme en belgique grand nombre de militants dans le Parti Ouvrier y étaient hostiles et conseillaient de lutter isolément; mais au poil, la masse décela son espoir de succès, son désir de réalisations immédiates et décida l'alliance avec les radicaux. Chaque parti maintint l'intégrité de son programme, mais une plate-forme électorale fut élaborée, comprenant les réformes sur lesquelles l'accord était complet. ■ Cette plate-forme, d'allure très radicale, n'atténua en rien l'ardeur des propagandistes socialistes et la campagne fut menée avec toute la fougue, toute l'intransigeance qu'aurait pu y apporter une liste socialiste homogène. L'alliance contractée à Namur en 1898 fut maintenue. Il n'y eut point d'alliance dans les autres arrondissements, sauf à Dinant. Le Parti Ouvrier lutta dans seize circonscriptions; partout en Brabant, c'est-à-dire à Bruxelles, à Louvain et à Nivelles; partout dans la province de Namur, c'est-à-dire à Namur, à Dinant et à Phi-lippeville; dans un seul arrondissement du Luxembourg, (ce qui s'explique par la faible densité de la population, les difficultés des communications, le régime spécial, mi-agricole, nii-sylvestre, de cette partie du pays); dans un arrondissement d'Anvers; et partout enfin dans les sept arrondissements de la Flandre Occidentale : Bruges, Courtrai, Ypres, Dimude, Ostende, Roulers et Furnes. Dans toute cette partie flamande, on engageait la bataille uniquement pour déployer le drapeau; aucun succès n'était à espérer; il s'agissait seulement de faire de la propagande et de se compter. Les résultats furent magnifiques; qu'on en juge par ce tableau ; donnant le nombre des suffrages exprimés en 1894 et en 1896. Anvers. . . . en 1894 4871 en 1896 933S Malines.. . — 1984 — 10510 Bruxelles. . — 40218 — 74452 (1) Louvain . . — 5120 — 21539 Nivelles. . — 6719 — 20585 Bruges. . . — 521 — 8i33 Courtrai. . — 3721 — 6922 Dixmude. . — pas de lutte. — 2847 Furnes. . . — — — 254 Ostende . — — — 1902 Roulers . . — — — 3446 Ypres. . . — — — 4285 Neufchâteau. — — — 658 Philippeville . —• — — 6695 Dinant. . . — — — 14553 (2) Namur. . . — 32987 — 35356 (3) Au premier jour d'élection, le seul socialiste sortant, Defnet (Namur), était donc réélu. Quatre autres socialistes venaient en ballotage avec les cléricaux à Nivelles; un à Philippeville et la liste radico-socia-liste toute entière à Bruxelles. Enfin, les libéraux venaient en ballotage avec les cléricaux à Anvers. Ces scrutins de ballotage furent instructifs. Ils démontrèrent à nouveau, d'une façon incontestable, que le ralliement anti-clérical était une chimère. A Nivelles, le total des voix anti-cléricales était supérieur au chiffre de voix accordées à la liste conservatrice; ce fut néanmoins celle-ci qui triompha, grâce à un certain nombre de voix libérales. Cela s'était déjà remarqué à Bruxelles, à Liège, à Charleroi, lors des précédents ballotages : les libéraux écartés au premier tour de scrutin ne se résignaient pas à voter ('i 2, 3) Alliance radico-socialiste. blanc; et toujours leurs forces se divisaient, les uns entraînés par l'esprit de classe, donnaient leurs suffrages aux catholiques ; les autres, guidés par leurs préférences philosophiques, votaient pour les socialistes. Et l'on peut conjecturer, àvec beaucoup de vraisemblance, que ces derniers étaient des électeurs à une voix, tandis que les autres étaient des votants à trois voix, les privilégiés de la bourgeoisie. Cette dernière observation explique aussi pourquoi les progrès socialistes parmi les électeurs catholiques, pourtant évidents, furent peu attestés parles chiffres; en effet, la propagande, aux premiers temps, occasionnait une sorte de chassé-croisé; elle attirait vers le parti socialiste des paysans chrétiens, mais en même temps repoussait dans les rangs conservateurs des bourgeois autrefois libéraux. Et il fallait trois de ceux-là pour équilibrer un seul de ceux-ci. On constata, d'autre part, que le ralliement des socialistes à la liste libérale, restée en ballotage, se faisait avec ensemble et que l'unanimité des troupes ouvrières comprenait la nécessité et le devoir d'appuyer, faute de mieux, toutes les candidatures d'opposition. La débandade des libéraux, aux votes contradictoires, assura donc le triomphe du gouvernement. Le parti libéral sortit de cette période électorale affaibli à la Chambre, où ses députés, de 18 qu'ils étaient, ne rentrèrent plus qu'à 12, et profondément discrédités dans le pays. La plupart des adversaires du pouvoir clérical perdirent confiance dans l'avenir du parti libéral et se tournèrent vers les socialistes, comme les seuls paraissant avoir l'énergie et la vitalité nécessaires pour triompher des conservateurs. Le parti progressiste n'était pas en meilleure pos- ture. La plupart, sinon tous, des 12 députés échappés au naufrage, se réclamaient de son programme; mais il était assez difficile à un parti, qui s'était allié en 1894 avec les doctrinaires contre les socialistes, en 1896 avec les socialistes contre les doctrinaires, sans réussir jamais, de conserver encore un grand prestige. Quant aux socialistes, ils n'avaient, il est vrai, conquis aucun siège nouveau. Mais ils avaient gagné dans la partie du pays qui leur paraissait le moins' favorable, cent mille (1) voix en deux ans. C'était une marche en avant telle que les plus optimistes n'avaient osé la rêver. Le ministère catholique voyait sa majorité renforcée, mais cependant les signes précurseurs d'un crépuscule prochain étaient nombreux, et maint journal conservateur, tout en se déclarant satisfait de la situation actuelle, se mit à se lamenter prophétiquement à l'imitation de Cassandre. Le Parti Ouvrier put seul se réjouir de la seconde consultation du suffrage universel. Les élections provinciales partielles qui eurent lieu quelques semaines après, — en même temps que s'ouvrait à Londres le grand congrès international, — apportèrent d'insignifiantes modifications à la composition des Conseils provinciaux et les divers partis y maintinrent leurs positions. Mais au retour du congrès de Londres, les délégués belges eurent la satisfaction de voir une nouvelle preuve des dissensions qui travaillaient le parti clérical. M. de Mérode, l'ancien Ministre des affaires (1) Exactement 119,240. Mais il convient de tenir compte des alliances et de réduire le chiffre à 100,000. 202 le socialisme en belgique étrangères, était candidat officiel dans une bourgade perdue de la province d'Anvers, Turnhout, dont on avait cru pouvoir disposer comme au temps du régime censitaire. Il y fut combattu par un démocrate chrétien, qui fut battu par une majorité relativement faible : 20445 contre 13129. Le 8 novembre 1896, eut lieu à Bruxelles une touchante manifestation des vieux houilleurs, cassés, courbés, couturés de cicatrices et traînant leurs rhumatismes. Les caisses de prévoyance ne pouvaient leur octroyer que d'infimes secours. Leur défilé émut la capitale, tandis que le Ministre du Travail refusait de leur donner audience, sous prétexte de la présence du drapeau rouge dans leur cortège. Ce fut vers cette époque que la presse cléricale entama, contre le Vooruit et contre Anseele, une campagne de calomnies et de perfidies, qui devait durer des mois, sans réussir à diminuer ni le député de Liège ni son œuvre. De prétendues révélations alimentèrent les gazettes pieuses pendant un semestre. On exploita des rancunes personnelles, on exaspéra des divergences, on provoqua des dénonciations ; il y eut même des poursuites devant les tribunaux. Cet immense effort échoua misérablement; ces tristes procédés de polémique, qui cherchent à salir l'homme pour diminuer les idées qu'il défend, ces basses et lâches accusations, transformant en forfaits les incidents les plus normaux, n'aboutirent qu'à accentuer la prospérité des institutions coopératives de Gand. Quant à la session législative, elle attesta à nouveau l'insuffisance gouvernementale en matière de législation ouvrière. Dix ans après les événements de 1886 et les conclusions de l'enquête qui avait été faite sur la condition de la classe laborieuse, le programme fixé par la Commission du travail ctait à peine entamé. Petit à petit, bribe à bribe, le ministère conservateur avait fait voter quelques réformes anodines, — le dernier discours du Trône, en novembre 1892, les énumérait avec complaisance —; mais cette question ouvrière est pour les cléricaux comme le rocher de Sysiphe, leurs efforts semblent vains et toujours à renouveler. C'est que ces efforts visent non pas à résoudre efficacement les questions pendantes, mais surtout à les différer, à les écarter comme inopportunes, et lorsqu'il devient impossible de les retarder encore, à les trancher de la manière la moins démocratique et la moins onéreuse pour le bourgeois. La moins onéreuse, c'est là le souci principal de leur apparente démocratie. Ils ont ainsi consenti à édicter une série de mesures qui ne leur ont rien coûté : la loi sur l'ivresse, la loi sur le paiement des salaires, celle sur les règlements d'atelier, etc., en reléguant sans cesse, vers des lointains indéfinis, les grosses améliorations qui nécessiteront des sacrifices pécuniaires : les accidents du travail, les pensions pour les vieux, etc. Cette démocratie à bon marché rencontre néanmoins des adversaires opiniâtres dans les rangs conservateurs; et il déplaît profondément aux patrons bourgeois qu'on touche à leur autorité, en attendant qu'on touche à leur bourse. Aussi, lorsque les nécessités électorales forcent le ministère clérical à faire quelques concessions aux revendications ouvrières, on peut constater, chaque fois, avec quelle lenteur, quelle parcimonie, quelle défiance vis-à-vis des travailleurs, il s'y résout à contre-cœur. Il ne semble avoir qu'un but : reprendre d une façon indirecte et détournée ce que la rigueur des temps l'oblige à accorder. Sa législation ouvrière est ainsi le plus étonnant mélange d'influences contra- dictoires, et l'on peut dire qu'au lieu de trancher les difficultés sociales, elle ne fait que les irriter. Les débats sur l'inspection ouvrière des mines, au commencement de 1897, ceux sur syndicats professionnels, vers la fin de cette année, en sont des exemples caractéristiques. La tactique du ministère fut d'abord d'en retarder autant que possible la discussion. Puis, lorsqu'il fallut légiférer, dans les deux cas, le gouvernement méconnut les vœux des intéressés : les mineurs, les syndicats. Les premiers réclamaient le droit de choisir ceux qui auraient à veiller sur leur dure et périlleuse industrie; le gouvernement leur refusa ce droit pour se le réserver. C'était paralyser l'essence même de la réforme, puisque les inspecteurs ouvriers étaient réclamés à cause de la confiance plus grande que devaient avoir en eux leurs camarades : la nomination parle gouvernement faisait, du coup, tarir dans sa source cette confiance. La loi surles syndicats professionnels fut, de la part de toutes les associations ouvrières organisées, l'objet des plus violentes critiques; elles déclarèrent à l'envi qu'elles préféraient se passer de la personnification civile que de se soumettre aux conditions proposées. Le gouvernement n'écouta pas plus les Boerenbonden chrétiens que les Fédérations des mineurs. Il contiuua impertubablement sa prétendue législation ouvrière, contre le gré et l'assentiment des ouvriers. Il mécontenta à la fois, par sa mauvaise grâce et l'insuffisance de ses conceptions, les travailleurs socialistes et les travailleurs catholiques. Ces derniers furent forcés de constater que leurs désirs étaient exprimés et défendus par les socialistes seuls. Ces constatations, nous pensons qu'on pourra les renouveler à propos de chaque débat analogue. Les l'effort politique : les élections de 1896 205 conservateurs n'osent pas avoir le cynisme de leur volonté de maintenir les privilèges bourgeois. Ils se croient obligés à afficher une certaine sollicitude pour les classes inférieures. Vis-à-vis des plaintes de celles-ci, ils tergiversent le plus longtemps possible. Quand il y sont forcés, ils légifèrent sans tenir compte des observations des intéressés. Quoiqu'ils fassent dans ce domaine, ils sèment les futures moissons du socialisme. Il faudrait encore citer, dans cette session législative de 1896-97, une séance très chaude, où l'on remit en question la fameuse dotation du comte de Flandre; une loi portant réduction sur les droits d'enregistrement et de transcription pour les acquisitions de petites propriétés rurales, qui donna lieu à de très intéressants débats; et une loi sur la réorganisation delà garde civique, par laquelle le ministère clérical a cherché à s'assurer la haute main sur ces milices bourgeoises; et enfin la loi portant rachat de la concession de chemin de fer à la compagnie dite du Grand Central, où l'on vit ce spectacle assez paradoxal d'un ministre appartenant à un cabinet réactionnaire démontrer les multiples et incontestables avantages de l'exploitation des voies ferrées par l'État. Il faut ajouter que ce rachat, excellent en soi, était fait dans des conditions si favorables aux capitalistes dépossédés que la gauche socialiste fut amenée à le combattre avec énergie. Le 130 congrès annuel se tint à Gand, dans les installations du Vooruit, les 18 et 19 avril 1897. Le nombre des groupes représentés s'éleva à plus de 5oo, chiffre bien supérieur à celui des années précédentes. Il appela Anseele à la présidence, en acclamant un ordre du jour qui le vengeait, lui et le Vooruit, de la fielleuse campagne des journaux cléricaux. 11 entendit des rapports nombreux et documentés : de G. Serwy, sur l'année écoulée; de Berloz, sur l'activité du groupe parlementaire ; de F. Hardyns, sur l'organisation syndicale ; du jeune garde Yolkaert, sur la propagande anti-militariste ; d'Hector Denis, sur les syndicats agricoles (i). Ce dernier mérite une mention spéciale et montre combien la question agraire commence à préoccuper le parti socialiste belge. Celui-ci n'était au début composé que d'ouvriers industriels; c'est la propagande politique qui l'a amené à s'inquiéter du sort des paysans. Sans le droit de suffrage, il est probable que les cultivateurs, les petits fermiers, les prolétaires des champs eussent attendu longtemps encore la parole socialiste. Ainsi tout s'enchaîne et s'enchevêtre dans le mouvement social ; l'action syndicale, l'action politique, l'action économique ont, les unes sur les autres, des contre-coups imprévus. A la suite des élections de 1894, la plus grande partie de la Wal-lonnie industrielle avec ses charbonnages, ses verreries, ses laminoirs, ses fabriques et ses carrières, paraissait orientée décidément vers le socialisme; et, sous peine de piétiner sur place, il fallait conquérir les régions champêtres du Brabant et des Flandres, amener à soi le rural; les élections de 1896 en montrèrent l'absolue nécessité et en inspirèrent les moyens. Au congrès de Gand, Léo présente un rapport des plus curieuxjsur l'organisation de la propagande socialiste parmi les campagnards. Il conclut à une enquête sur la situation agraire du pays, à la rédaction d'un (1) Ils sont tous pu bliés dans le compte-rendu quiforme une volumineuse brochure, en vente au Peuple, rue des Sables, 35, à Bruxelles, au prix de o fr. 15 c. vade mecum du propagandiste et de brochures agricoles, à l'extension du journal le Laboureur, à la création de coopératives agricoles. Vers le même temps, à la prière de Vandervelde, le Peuple publiaitune série de monographies sur les communes rurales, études conçues selon un plan d'ensemble et donnant les renseignements substantiels qu'il fallait avant tout connaître. Cette question agricole apparut, lors de la discussion, d'une telle importance qu'on décida de lui consacrer un congrès spécial qui se tint à Nivelles en juillet suivant (1). Le congrès de Gand eut encore à discuter l'éternelle question des alliances. Il confirma ses décisions antérieures, et laissa aux Fédérations leur autonomie, sauf qu'il leur fut défendu d'abandonner un seul des sièges conquis en 1894. Enfin la date delà grande manifestation anti-militariste fut fixée au i5 août. Elle eut lieu au jour dit, favorisée par un temps superbe, au milieu des fêtes de l'exposition. Les étrangers, nombreux en ce moment à Bruxelles, virent avec émotion cette colossale manifestation en faveur de la Paix, de la suppression des armées permanentes et de l'encasernement; démonstration aussi remarquable par la multitude de ses adhérents que par leur calme, leur discipline, leur consciente volonté de transformation sociale. Le Parti était à peine remis de cette grande secousse, qu'une occasion s'offrit d'expérimenter directement les projets de propagande agricole. Un des deux députés conservateurs de Waremme étant mort, les trois Partis se disputèrent sa succession. Cet arrondissement (1) Voyez au surplus, plus loin, la partie de cet ouvrage à ce spécialement relative. Cléricaux: le 14 octobre 1894, 10,819; le 12 septembre 1897: 9,583 ; Libéraux: le 14 octobre 1894, 9,899; le 12 septembre 1897: 6,120 ; Socialistes: le 14 octobre 1894, 1,582; le 12 septembre 1897 : 6,684. Ces chiffres sont suffisamment éloquents par eux-mêmes pour que nous nous abstenions de tout commentaire. Au ballotage, suivant la loi que nous avons constatée, les libéraux se divisèrent et le clérical fut élu, à une infime majorité (1). Ce même jour où les conservateurs remportaient à Waremme, cette victoire à la Pyrrhus, ils obtenaient à Bruxelles un triomphe du même genre. La Ligue démocratique chrétienne, dont nous avons relaté les débuts et les tendances, expulsait de ses rangs l'abbé Daens et ses partisans : le Christene Volksparty, rendant ainsi patente l'opposition irréductible qui existait entre les cléricaux et les démocrates sincères et religieux. Rien ne fut plus symptomatique des divisions profondes du parti catholique, que la discussion qui précéda cette extraordinaire délibération. Rien ne prouva plus nettement l'équivoque de cette épithète de démocratie chrétienne dont prétendaient se parer 208 le socialisme en belgique est presqu'exclusivement agricole ; en 1894, les socialistes y avaient essayé une lutte dont le résultat semblait les exclure pour longtemps. En 1897, après une campagne menée avec un brio superbe, ils arrivaient à modifier comme suit les situations : (1) Parmi les événements marquants de cette année 1897, il convient encore de signaler, le 3 décembre, la mort du socialiste gantois : E. Van Beveren. des politiciens aux idées contradictoires. La propagande des amis de l'abbé Daens n'en fut point ralentie, au contraire. Dans un meeting tenu à Gand, en novembre 1897, un de ses lieutenants fit une profession de foi aux tendances socialistes bien marquées, mais il déclara en même temps que l'accord avec les socialistes était impossible, à cause de la question religieuse. Le même, M. L. Du Catillon, n'hésita pas à combattre énergiquement un démocrate chrétien gouvernemental, M. Tibbaut qui était candidat à Ter-monde, lors d'une élection partielle, le 2 janvier 1898 : il obtint environ dix mille voix; le socialiste Beerblock trois mille, tandis que le candidat officiel était élu par vingt-deux mille suffrages, Dans toute la partie flamande où nous avons encore peu d'influence, les démocrates chrétiens vont jouer ainsi le rôle d'éveilleurs; ils disent aux paysans flamands, qui les écoutent, les vérités qu'ils n'écouteraient pas sortant de nos bouches et ces premières clartés jetées, la réflexion et l'intérêt économique feront vite le reste. Les agitations électorales de 1898 seront, à cet égard, salutaires et fécondes. ATTheure actuelle, le grand parti catholique subit la crise que le parti libéral a connue il y a environ quinze ans. Les éléments démocratiques se séparent des éléments conservateurs. De trop gros intérêts sont en présence et en conflit, et la conciliation n'est plus possible. Qui déclare vouloir assurer au travailleur le produit intégral de son labeur, déclare en même temps la guerre à tous ceux qui vivent sans travailler, détenant les moyens de production utilisés par d'autres. Nous observons ici, comme dans la plupart des phénomènes sociaux, la loi de la lutte des classes. 12. Les partis politiques sont destinés à se grouper selon son influence; mais comme, quelqu'impor-tante qu'elle soit, elle n'est qu'un des nombreux facteurs de leur situation complexe, il est certain que ce groupement ne se fera pas sans de multiples épisodes. Il est vraisemblable que nous verrons, pendant quelques années encore, des âmes généreuses, des coeurs férus de sincère démocratie égarés dans les rangs des anciens partis ; que nous verrons pendant quelques années encore les paysans menés docilement au vote par leur curé ou leur seigneur; que nous verrons pendant quelques années encore les antagonismes persistants des libéraux et des cléricaux; mais nous tenons aussi pour assuré que ce sont là des phénomènes transitoires; que de plus en plus la puissante coterie des privilégiés, des bourgeois, se groupera pour une résistance désespérée; que de plus en plus la multiforme multitude des petits, des souffrants, des paysans et des ouvriers s'organisera pour la conquête d'une vie meilleure. Et si l'on compare, dans les divers pays d'Europe, le degré de maturité de cette évolution nécessaire, on peut affirmer que c'est en Belgique qu'elle est la plus avancée et conjecturer que c'est notre petit pays qui présentera le premier au monde la très intéressante expérience d'une majorité parlementaire socialiste aux prises avec les difficultés résultaut des résidus du passé (Roi,Sénat, etc.) ou de l'iutervention des puissances européennes. 1IE ::.m riiiiâêl^ail^-f^^SB^lia^^^îFi^^iBÈS III PRÉOCCUPATIONS INTELLECTUELLES ESTHÉTIQUES & MORALES ''fi'hi La déclaration de principes du Parti Ouvrier de Belgique énonce très justement que la Révolution sociale ne pourra être consommée que pour autant qu'une transformation fondamentale s'opère dans tous les domaines de l'activité des hommes; qu'elle exige donc une série de révolutions particulières, non seulement politiques, mais économiques, intellectuelles, esthétiques et morales. Ces derniers côtés de l'évolution ne sont pas les moins curieux à examiner. Selon les pays, c'est tantôt l'aspect politique, tantôt l'aspect économique du problème qui passionne les esprits; ils apparaissent aux premiers plans, mais, quelque essentiels qu'ils soient, ils ne doivent pas faire négliger les autres modes d'action sur la pensée et l'énergie humaine. Aussi le socialisme belge, qui a depuis longtemps compris la nécessité de ces évolutions parallèles, s'en F'I . Il sii (1) Voyez la première partie de cet ouvrage « les Institutions économiques ». (2) On trouvera, en outre, des renseignements dans les Comptes rendus des Congrès annuels du Parti Ouvrier qui sont publiés chaque année, 35, rue des Sables, à Bruxelles. (3) Voyez la seconde partie de cet ouvrage. 212 le socialisme en belgique est préoccupé assez vivement. La puissance de nos admirables institutions coopératives (le Vooruit à Gand, la Maison du Peuple à Bruxelles, le Progrès à Jolimont, pour ne citer que celles-là) (1); le réseau fécond des mutualités socialistes, le nombre et la variété des syndicats professionnels (2) sont généralement connus; de même que l'intensité de notre propagande politique (3), qui nous a assuré des représentants dans tous les corps électifs. Mats il peut être intéressant de compléter ces notions par l'indication rapide de ce que le parti socialiste belge a réalisé, tenté ou préconisé dans les domaines intellectuel, esthétique et moral. Tel sera l'objet de cette partie de notre étude. CHAPITRE I. Préoccupations intellectuelles. § ier. — La presse socialiste. Avant de se réaliser en fait, toute réforme doit d'abord s'être décidée dans un cervean. La plus puissante influence sur les intelligences contemporaines s'exerce par la presse. Celle-ci était donc l'instrument indispensable de toute action politique ou économique le parti socialiste, dès ses débuts, fut obligé de s'assurer de ce mode de communication avec l'opinion publique. La mission principale.de cette presse, on le comprendra, fut d'intervenir dans la discussion quotidienne des événements politiques et économiques ; de défendre le programme du Parti ; de batailler dans les luttes électorales et d'apprécier les débats et les votes des assemblées délibérantes. A ce titre, elle pourrait paraître étrangère à l'objet de cette étude. Mais elle eut aussi pour but d'affranchir, d'une manière plus haute et plus générale, le travailleur de toute ignorance. C'est le manque d'instruction, le défaut de notions claires et précises, l'absence de lumières scientifiques, qui tient encore tant d'hommes dans l'esclavage. A ceux là nos journaux s'efforcèrent, dans la mesure du possible, d'apporter, d'indiquer tout au moins des modes d'émancipation de leur esprit asservi. L'organe officiel du Parti Ouvrier, le Peuple, s'édite à Bruxelles, rue des Sables, 35. Il eut les plus modestes commencements. Il succéda au National belge, journal indépendant, dirigé par un étranger, G. Mar-chi, que le gouvernement fit expulser, et auquel collaboraient Jean Volders, Jules Wilmart, etd'autres. Le National ayant disparu en i885, le parti démocratique socialiste se trouva sans organe quotidien. Volders fonda la République hebdomadaire, qui n'eut que quelques numéros. Bertrand rédigeait un autre journal hebdomadaire : la Voix de l'ouvrier. Ils résolurent de fondre ces deux publications et de créer un petit journal quotidien à deux centimes, qui serait le Moniteur du Parti Ouvrier. Le premier numéro du Peuple parut ainsi le samedi 12 novembre, imprimé par Maheu, qui faisait crédit. Les bureaux furent installés dans une salle du premier étage d'un cabaret de la rue des Sables. Pour meubles, on emprunta les tables et les chaises de l'estaminet. Il faisait froid : il fallut se procurer un pocle, puis des lampes pour s'éclairer. Cela fut acheté chez le quincailler d'en face. Pour le charbon, on se cotisa. A six heures et quelques minutes, l'employé du quincailler se présenta avec sa facture acquittée. Mi-lot, maintenant encore éditeur du Peuple, avait été nommé caissier et administrateur; il mit gravement ses lunettes et dit à l'employé : — Mon ami, il est six heures dix, la caisse est fermée, il faudra repasser. ba, caisse, c'était une boîte à cigares vide. Quelques instants plus tard le Peuple paraissait et se vendit... A l'heure actuelle, il ne le cède à aucun des grands journaux quotidiens de la capitale, quant au nombre et au mérite de ses rédacteurs et collaborateurs, au soin de sa publication ou à l'abondance de ses informations. Son diminutif, l'Echo du Peuple, quotidien à deux centimes, est extrêmement répandu et résiste vaillamment aux prodiges de presse à bon marché que peuvent se payer les réactionnaires. D'autres journauxquotidiens paraissent en province: le Journal de Charleroi dans la partie wallonne et, dans la partie flamande, le Vooruit à Gand et le Werker à Anvers. A côté d'eux, une série de journaux hebdomadaires mènent le bon combat. Citons le Volkswil (Molenbeek) ; ,7oekomst (Malines); l'Avant-Garde, spécialement anti-militariste (Bruxelles) ; le Suffrage universel (Borinage) ; Y Etoile Socialiste (Charleroi); V Egalité (Tournai)-, Y Eclaireur Socialiste (Thuin); Y Organe Socialiste (Dinant); le Socialiste (Liège); ls Courrier de la Sambre (Marchiennes); le Devoir et le Parti Ouvrier (Verviers) ; Volkswil (Louvain); Y Appel au Peuple (Seraing); le Travailleur (Huy), et accordons une mention spéciale au journal socialiste destiné aux paysans, le Laboureur. Enfin, complétant ce robuste faisceau d'influences, une revue d'un caractère plus dogmatique : Y Avenir Social, encore à ses débuts, a déjà publié d'importantes études. Cette seule et rapide énumérationatteste la force et la vitalité de ce Parti Ouvrier; elle démontre une abondance d'activité, une maturité de développement social que lui pourrait envier maint parti socialiste de plus grandes nations. § 2. — Bibliothèques. A côté de l'œuvre des journaux, il faut mentionner celle des brochures de propagande. Elles nous ont rendu d'incontestables services. Elles préparent ou complètent merveilleusement la propagande orale. Depuis plusieurs années déjà, c'est par millions que le parti socialiste a distribué aux paysans et aux ouvriers de Belgique ces légères brochures exposant notre programme ou en précisant tel ou tel point particulier. Elles ont en général seize pages et coûtent trois francs le cent. Plusieurs d'entre elles ont labouré profondément l'intelligence populaire. Nos adversaires cléricaux, émus de cette diffusion énorme des principes socialistes, ont, depuis quelques temps, tenté de nous imiter et d'opposer à nos brochures d'analogues brochures de propagande réactionnaire. Mais malgré leurs sacrifices financiers considérables, malgré l'habileté perfide des rédacteurs à leur solde, leurs publications sont mal distribuées, peu lues et restent sans effet. Le type de celles-ci est le Bilan Rouge, lancé lors des élections législatives de 1896, qui se compose uniquement de citations socialistes, tronquées, dénaturées, présentées de façon à en fausser le sens, le tout avec une indéniable maestria dans le mensonge et la calomnie. Parmi nos brochures, qu'il nous soit permis de citer quelques titres pour donner au lecteur une idée de la diversité des matières traitées : les Trois-Huit (Bertrand), Collectivisme (Vandervelde), le Premier Mai, l'Action socialiste au Parlement (Grimard), la Morale Rationaliste (Denis), Syndicats Professionnels (Hardyns), la Bienfaisance Publique (Alice Bron), Cantines Scolaires (Léo), Art et Socialisme (J. Des-trée), Vive la Commune (E. Vandervelde), Aux Paysans (Bertrand), le Socialisme et les Femmes (J. Des-trée), etc., plus une série de tracts d'intérêt électoral. On a aussi distribué sous cette forme le Manifeste du Parti communiste et des discours de Jaurès à la Chambre française. La moyenne des tirages est de dix mille; mais un grand nombre ont considérablement dépassé ce chiffre. D'autre part, la plupart des grandes coopératives ont installé à la disposition de leurs membres et de la classe ouvrière d'importantes bibliothèques. C'est ainsi qu'au Vooruit, à Gand, se trouvent rassemblés plus de 7,000 volumes traitant de sciences sociales ou d'économie politique, collection superbe dont le noyau fut l'ancienne bibliothèque du syndicat des tisserands. Jolimont possède à la Louvière la remarquable bibliothèque de César de Paepe, contenant diverses publications devenues très rares. Enfin le Temple de la Science à Charleroi renferme également' un certain nombre de livres. Il en existe beaucoup d'autres, mais l'organisation généralement libérale des bibliothèques populaires suffisant aux besoins de la classe ouvrière, les institutions socialistes sont restées, sauf les exemples ci-dessus, sommaires et limitées à des corporations. § 3. — Extension universitaire. Venons en à présent aux préoccupations de science pure, dégagées de tout souci politique ou écono- 13 mique, au moins comme conséquence immédiate ; l'effort le plus intéressant à cet égard est assurément XExtension universitaire (i). Uniquement scientifique, évidemment, mais pouvant figurer dans cette récapitulation des œuvres socialistes, parce que, d'une part, la plupart des professeurs appartenant à cette institution sont des socialistes avérés ; d'autre part, parce que les groupes démocrates ont partout accordé leur appui aux cours ainsi organisés et ont engagé leurs membres à y assister. Dès 1892, le Cercle des Etudiants et anciens Etudiants socialistes avait fondé à la Maison du Peuple de Bruxelles une section d'art et d'enseignement. En octobre 1892, on lit appel aux membres du Parti Ouvrier, les invitant à désigner eux-mêmes les cours qui leur paraîtraient les plus utiles, Ce référendum aboutit au programme suivant : Droit civil (Max Hallet), Économie sociale (Émile Yandervelde), Mathématiques (Louis de Brouckère), Histoire de Belgique (Pinard), Sténographie (Mévisse). Ces cours n'obtinrent pas un très grand succès; ce qui s'explique par la multiplicité des organismes analogues dans une grande ville et à la Maison du Peuple même, où avaient lieu des conférences, des séances nombreuses de groupes divers; et ils disparurent tout naturellement lorsque, l'année suivante, les professeurs de l'Université de Bruxelles, notamment MM. Émile Vandervelde et Léon Leclère, décidèrent de créer, à l'instar de ce qui s'était fait en Angleterre, (1) Pour plus de détails sur l'organisation, les règlements et instructions aux professeurs ou aux comités locaux, les programmes des cours, etc., s'adresser au secrétariat, 13, rue des Minimes, à Bruxelles. l'Extension universitaire. Le section d'art et d'enseignement devint alors une Section d'art et nous aurons l'occasion d'en reparler dans la suite de cette brochure. L'Extension universitaire organisa dès l'année de sa fondation un ensemble de vingt-cinq cours, soit cent quatre-vingt-trois leçons dans différentes parties du pays. Quatre mille auditeurs environ les suivirent. Parmi ceux-ci, on remarqua des fonctionnaires, des instituteurs, des employés, d'anciens universitaires et un fort contingent d'ouvriers dans les régions industrielles. Les cours les plus demandés se rattachaient à l'histoire et à la sociologie. Le corps professoral était composé exclusivement de professeurs de VUniversité libre de Bruxelles. Il ne resta point étranger aux déchirements qui passionnèrent le monde de l'enseignement supérieur en 1894. On se rappelle qu'à la suite du refus, opposé par le doctrinaire conseil d'administration, de laisser donner un cours demandé à Elisée Reclus, l'éminent géographe, divers incidents retentissants eurent lieu qui aboutirent à la constitution d'une école libre d'enseignement supérieur, doublé d'un Institut des Hautes Etudes, qu'on ne tarda pas à appeler couramment l'Université nouvelle. Certains membres de l'Extension, notamment nos amis G. de Greef et Reclus, avaient pris parti pour 1 Université nouvelle. On essaya de les exclure de l'Extension; mais la tentative ayant échoué, les promoteurs de ce mouvement démissionnèrent et créèrent 1 Extension de l'Université libre de Bruxelles. Depuis cette crise (juin 1894), les deux Extensions fonctionnent parallèlement, avec des principes d'organisation analogues et différenciés seulement par la tendance philosophique ou sociale qu'indique la personnalité des professeurs. Le règlement de l'Extention universitaire proclame qu'elle a pour but la diffusion de la culture scientifique, basée sur le principe du libre examen; elle institue à cet effet des cours populaires d'enseignement supérieur (art. ier). Elle donne à ces cours un caractère exclusivement scientifique (art. 7). Il peut être institué dans toutes localités un ou plusieurs comités qui arrêtent leurs statuts et sont soumis à l'agrément du comité central. Les comités locaux veillent aux détails de l'organisation matérielle des cours. Ceux-ci se donnent, autant que possible, dans des locaux scolaires. Ils ont lieu, soit en semaine, le soir; soit le dimanche. Ils se composent, en général, de six leçons. Un syllabus, résumé de l'enseignement du professeur, est distribué à tous les élèves. La leçon dure une heure; elle peut être suivie d'une classe ou répétition. Une rétribution modique est réclamée des auditeurs ou fournie par les comités locaux pour parer aux frais; ceux-ci sont peu élevés, étant donné le désintéressement des professeurs, auxquels est allouée seulement une indemnité de dix francs par leçon. Les matières enseignées sont très diverses (on pourra d'ailleurs s'en procurer le programme au secrétariat, i3, rue des Minimes, à Bruxelles); parmi les professeurs nous relevons les noms de La Fontaine et Ed. Picard, sénateurs socialistes; Houzeau, sénateur radical ; de C. Demblon, Jules Destrée, Emile Vandervelde, députés socialistes : de L. de Brouckère et Delbastée, conseillers communaux socialistes de Bruxelles, d'Elisée et d'Elie Reclus, de G. de Greef, etc. En 1896-97, on a donné des cours à Anvers (Littérature belge contemporaine et Droit maritime); à Bruxelles (Évolution de la musique moderne) ; à Charleroi (Conséquences de l'évolution industrielle); à Quevaucamps (Géologie) ; à la Louvière (Economie politique); à Leuze (les Philosophes français du dix-huitième siècle); à Huy (Physiologie professionnelle); à Ougrée (Droit ouvrier); d'autres sont en voie d'organisation à Andenne, Dinant, Quaregnon, Tournai et Boussu-lez-Walcourt Ils sont suivis en moyenne par cent cinquante auditeurs (i). Citons encore l'Université populaire, instituée au Temple delà Science à Charleroi, qui n'a point jusqu'ici réalisé complètement l'espoir de son titre, mais a organisé une série de conférences intéressantes. § 4. — Université nouvelle (2). Nous venons de dire dans quelles conditions ce magnifique établissement a été créé. Notre ami Ed. Picard, dans un article de la Société nouvelle (3), (1) Il est à remarquer que les comités mixtes, qui se sont fondés dans la plupart des villes, s'adressent aux professeurs de l'Université libre pour les cours de science pure et aux professeurs de l'Université nouvelle pour ceux de sciences sociales ou économiques. (2) Pour tous renseignements, détails d'organisation, programmes des cours, s'adresser à l'Université, rue des Minimes, 13, Bruxelles, ou 28, rue de Ruysbrock, pour l'Institut des fermentations. (3) L'Université nouvelle (94-95), dans la Société Nouvelle, lS94, n° 113. Bruxelles. Larder éditeur. Voyez encore expliquait ainsi les intentions de ses promoteurs : De notre temps, mieux que jamais, l'avenir prochain peut être jugé par ce que vaut la jeunessse qui sera appelée à y jouer un rôle. Elle est, en effet, dépositaire des forces qui y seront mises en action. C'est d'elle que sortiront, au profit des réformes, les soldats pour combattre, les artisans pour édifier. Toujours les hommes mûrs ont compris la fatalité de ce grand phénomène et se sont efforcés de diriger l'enseignement, surtout l'enseignement supérieur où se forme l'élite, vers les idées qu'ils croyaient les plus en accord avec leurs espérances, ou leurs préjugés ou leurs intérêts. Selon qu'ils aimaient ou redoutaient la marche en avant, ils ont déplacé le pôle universitaire et accomodé les méthodes vers la réaction, la stagnation ou le progrès. Résumant ce mouvement pour le dix-neuvième siècle, qui a vu la naissance et l'organisation formidable de la bourgeoisie capitaliste, il est permis de dire que, sauf à de très rares intervalles et pour quelques honorables exceptions, les. universités, dans les pays que peuple la race aryenne, ont peu à peu pris une allure plutôt conservative et parfois rétrograde. Assurément, à l'origine, plusieurs d'entre elles affirmaient un but mieux en accord avec l'invincible évolution des masses vers le progrès et l'émancipation. Mais leurs administrateurs et leurs professeurs, trop rapprochés de la classe dirigeante, recrutés dans ses rangs, soumis à ses servitudes, assujettis à ses besoins, rêvant son idéal de bien-être et d'égoïsme, n'ont pas su maintenir les proclamations du départ et ont glissé insensiblement vers les conceptions neutres. En présence de l'admirable effervescence de pensées et de sentiments ayant pour aspiration la justice, qui tourmente actuellement les nations européennes « essentiellement progressives et indéfiniment éducables », les universités bourgeoises, un article d'Edmond Picard dans l'Humanité Nouvelle d'octobre et novembre 1897. qu'elles soient gouvernementales ou libres, se sont souvent, sans s'en douter elles-mêmes, lentement transformées en organes de résistance contre l'universelle poussée démocratique, et apparaissent comme de solides citadelles où les vieilles idées ont trouvé un refuge. C'est !à qu'on espère façonner et discipliner les recrues à se lancer dans la vie pour tenter d'arrêter ou de détourner l'inévitable évolution. De tels projets sont la logique des choses. Aucune oeuvre ne se développe que par le drame des forces qui entraînent et des forces qui résistent. Il y a toujours au char de l'Humanité d'ardents chevaux et des freins tenaces. L'impassible Nature est un équilibre d'actions et de réactions. Elle semble redouter d'aller trop vite et, pour des causes indéchiffrables, ne suit jamais que de loin les prévisions et les espoirs. Elle n'a jamais eu une avance sur l'esprit, son éclaireur. Elle favorise, en apparence, les retardataires et décourage souvent les précurseurs. Elle va pourtant toujours en sa progression mystérieuse, irrésistible comme le glissement des graciers... Les promoteurs de l'œuvre pensent que les quatre facultés légales des Universités sont loin d'embrasser l'ensemble des matières que doit comprendre un enseignement vraiment universitaire. Ces facultés, « organisées en vue de préparer à certaines carières libérales déterminées », ne peuvent, sans perdre entièrement leur délinéature actuelle, faire une place suffisante aux sciences qui, comme la sociologie, la biologie abstraite, les mathématiques supérieures et bien d'autres, ne présentent aucune utilité professionnelle immédiate. Celles-ci doivent cependant occuper une place éminente dans une école supérieure répondant aux exigences de la société moderne. Aujourd'hui le savoir positif tend à exercer une action de plus en plus considérable sur toutes les branches de l'activité humaine, depuis la production industrielle jusqu'à l'élaboration des lois et à l'organisation politique des sociétés, et les liens qui unissent toutes les sciences particulières apparaissent de plus en plus nettement. Une vue d'ensemble synthétique, à la foi spéculative et pratique, du 224 le socialisme en belgique domaine intellectuel, est donc indispensable à ceux qui veulent exercer une action sociale réfléchie, comme à ceux qui veulent aborder d'une façon pleinement rationnelle l'étude d'une branche particulière des connaissances humaines. Et plus loin : Comme on le voit, la partie intellectuelle de l'Œuvre avait été comprise et organisée dans des proportions grandioses. Elle dépassait vaillamment les limites étriquées de l'enseignement usuel, toujours préoccupée de maintenir l'esprit des étudiants dans les liens d'une discipline bourgeoise, destinée à former des esprits circonspects, attentifs à ne rien changer à l'état de choses capitaliste et conservateur qui assure aux beati possidentes la jouissance d'un si beau pays de cocagne, et n'ayant d'autre idéal que de prendre leur parc dans cette riante et alléchante combinaison de l'égoïsme et du bien-être. La partie matérielle fut organisée avccpromptitudeetsim-plicité. Le hasard, cet éternel railleur, voulut que les promoteurs pussent s'assurer la disposition d'un vaste immeuble dans lequel Théodore Verhaegen, le fondateur de l'ancienne université dévoyée, avait vécu et était mort. Le rapprochement fit sourir et parut de bon augure. Les superstitieux pouvaient y voir une mystérieuse attraction et une ven-gence posthume de celui qui avait rêvé de faire de son universté « libre » le symbole, en Belgique, d'un enseignement d'avant-garde. La vieille demeure fut aménagée avec un désir de ne pas la rendre identique aux sanctuaires moroses, dans lesquels les prêtres du professorat initient d'ordinaire les étudiants au culte des sciences asséchées de tout suc révolutionnaire. Il y avait des artistes parmi les fervents de l'Université nouvelle. Ils mirent quelque coquetterie à démontrer que l'auditoire d'un cours ne doit pas avoir nécessairement l'aspect d'une cave ou d'un greffe de prison. Ils esthétisèrent ces locaux avec une grâce simple. Ils mirent de l'originalité où il semblait qu'elle fût impossible. Ils fournirent à la pédanterie rageuse des cuistres cette occasion de rire et de se moquer de ce qu'ils nommèrent « l'élégance scolaire », « le dandysme académique », donnant ainsi, sans qu'ils s'en doutassent, une nouvelle preuve de leur irrémédiable racornissement. En dépit des hostilités sourdes ou avouées, des plaisanteries faciles, des prévisions pessimistes, l'Ecole libre-d'enseignement supérieur s'installa et fonctionna. On peut aujourd'hui la considérer comme définitivement constituée et sauvée des incertitudes des débuts (i). Dans la liste de ses professeurs, nous retrouverions les mêmes noms que nous venons de rencontrer à l'Extension universitaire; et en outre, MM. Jean Cha- (i) Autant les autres Universités végètent, ne songeant guère à sortir du cadre officiel de l'enseignement et se bornant à fabriquer méthodiquement un certain nombre de candidats aux professions libérales : avocats, médecins, ingénieurs, etc., autant l'Université nouvelle brille comme un foyer éclatant, éclairant toujours des domaines plus vastes, ardente de bon vouloir scientifique et d'audaces innovatrices. C'est ainsi qu'autour du noyau central sont venus successivement s'organiser et se grouper une série d'Instituts extrêmement intéressants. A l'Institut des hautes études, dont nous avons déjà parlé, est venu s'ajouter l'Institut des fermentations qui a obtenu le plus éclatant succès. Dirigé par un savant de grande valeur : Jean Effront, il compte dans son corps professoral des spécialistes des différentes Universités et Instituts d'Europe, qui peuvent lui prêter leur concours grâce à l'époque à laquelle les cours se donnent, du 16 août au 16 octobre. On compte parmi eux MM. Buisine, de Lille; Bûehler, de Weihenstafen; Calmette, directeur de l'Institut Pasteur de Lille; Curie, de Montpellier; Fernbach, de l'Institut Pasteur de Paris; Karl Kruis, de Prague; Levy, de Douai; Matignon, de Lille; Sorel, de Paris, etc. Plus de deux cents personnes suivirent les cours 13- 2:6 le socialisme en belgique Ion, Félix Thomé, Charles Dejongh, Delbastée, Des Cressonnières, G. Eekhoud, Feron, Furnemont, Ghysbrecht, Hennebicq, Janson, Ivufferath, Bernard Lazare, Camille Lemonnier, DrMoreau, Eug. Robert, G. Schoenfeld, Vandevelde, Vinck, Verhaeren, qui se de cet Institut, dont l'enseignement est non seulement théorique mais surtout pratique. Un autre Institut, appelé au plus grand développement, s'est constitué il y a quelques mois : XInstitut d'Histoire naturelle générale des sciences, des arts et des métiers qui se propose de rechercher les conditions de la production intellectuelle dans l'humanité, sous l'une quelconque de ses trois principales faces, soit dans l'activité purement scientifique, soit dans l'activité esthétique, soit dans l'activité industrielle qui se trouve souvent si étroitement liée aux deux autres. Il cherchera à déterminer dans quelle mesure chacun des innombrables facteurs cosmiques, biologiques ou sociologiques, peut agir pour déterminer tels ou tels caractères spéciaux à la production intellectuelle, suivant les races et les milieux, soit dans l'espace, soit dans le temps, lin un mot, il se propose d'aborder l'élaboration d'une synthèse philosophique, que l'accumulation des matériaux rend nécessaire et dont les conséquences secondaires, au point de vue des diverses sciences, peuvent être incalculables. Pour atteindre ce but l'Institut donnera des cours permanents et surtout constituera des archives où les divers documents, biographies, notes, mémoires viendront se classer. 11 fera et fait appel à tous les savants pour qu'ils contribuent, en transmettant les remarques qu'ils auraient l'occasion de faire au cours de leurs travaux, à constituer ainsi en un endroit donne des archives scientifiques d'une incroyable richesse et utilité, qui pourront devenir pour tout le monde savant une mine de documents et de renseignements précis. L'Institut réalise ainsi une oeuvre dont M. Théodore Wechniakoff avait déjà, en 1865, conçu le projet dans un mémoire adressé à l'Académie royale de Belgique, et auquej sont tous distingués déjà au barreau, dans la science, la littérature ou la politique, et qui appartiennent tous au parti socialiste ou au parti radical. En outre, l'Université nouvelle lit appel à des personnalités marquantes de l'étranger qui vinrent faire à Y Institut des Hautes Etudes des cours temporaires et spéciaux très suivis (i). il s'intéresse encore aujourd'hui en acceptant la Présidence de l'Institut en question. Grâce à la générosité de l'un de ses professeurs, le docteur Bonmariage, l'Université a reçu le don d'un Institut d'hygiène admirablement aménagé. En outre, réalisant ainsi les vœux exprimés, depuis de longues années, en Belgique, par tous les hommes compétents, vœux qui comme tous les autres n'avaient reçu qu'un accueil dédaigneux à l'ancienne Université, la Nouvelle vient de réorganiser, sur des bases originales et essentiellement pratiques, son Ecole polytechnique. Elle accueille les jeunes gens à 15 ans au lieu de dix huit et, tout en continuant à veiller à leur instruction intégrale, elle s'attache à susciter et à perfectionner en eux les aptitudes aux divers métiers. Pendant la première année, les élèves développent leur habileté manuelle et dès la seconde ils seror.t mis à même d'exercer cette habileté, non pas dans des conventionnelles opérations de laboratoire, mais dans les travaux exécutés pour une réelle utilisation extérieure. Les élèves peu 'fortunés trouveront dans la rénumération de ces labeurs un secours précieux ; tous y trouveront les notions exactes delà réalité, et acquerront l'expérience pratique. Après '4 années d'études, ils auront ainsi les solides connaissances d'un contre-maître, et pourront ensuite pendant trois nouvelles années continuer leurs études pour acquérir les connaissances de l'ingénieur, tout en utilisant leur habileté pour subvenir à leurs besoins. (1) V. l'article d'Edmond Picard dans {'Humanité nouvelle, livraisons d'octobre et novembre 1897. $5. — Cours d'adultes. Après ces méritoires efforts pour la diffusion parmi les humbles du trésor des connaissances supérieures, il convient de citer ceux que tirent diverses communes démocrates pour organiser ou réorganiser les cours d'adultes. On appelle ainsi des cours d'instruction, primaire ou moyenne, donnés le soir aux ouvriers des régions industrielles. Ceux que la nécessité d'accroître les ressources familiales enleva trop tôt à l'école pourront ainsi rafraîchir, compléter les souvenirs de l'enseignement primaire et apprendre les notions les plus utiles à leur vie sociale et à l'exercice de leur métier. Le compagnon P. Pastur, leader de la minorité socialiste au conseil provincial du Hainaut, a publié (i), en 1896, une intéressante notice sur ce qu'il a fait, et beaucoup d'autres communes à sa suite, dans cet ordre d'idées, comme l'échevin de l'instruction publique à Marcinelle. (1) Réorganisation des cours d'adultes à Marcinelle, par P. Pastu r, échevin de l'instruction publique, Charleroi, imprimerie Reytter, 1896. Certaines municipalités, sur l'initiative des socialistes, comprirent la portée de la tentative et votèrent des subsides à l'œuvre ainsi organisée : Saint-Gilles, Ixelles, Molenbeek, Saint-Jean, qui comptent parmi les importants faubourgs de la capitale, et dans le Hainaut : Paturages, Frameries, Familleureux et d'autres petites communes socialistes. Mais dans cette province, ces subsides n'ont pas été ratifiés par la dépu-tation permanente du conseil provincial. le socialisme en belgique CHAPITRE II. Préoccupations esthétiques. A. — Principes. § 1. — Art et Socialisme. Il règne dans certains milieux les idées les plus saugrenues au sujet d'une prétendue incompatibilité entre l'art et le socialisme. Dans les milieux artistes, on considère en général le parti socialiste comme fermé, voire même hostile à toute préoccupation esthétique, tandis que dans les milieux socialistes on se montre trop souvent indifférent ou dédaigneux des choses de l'Art. 11 convient de réagir vigoureusement contre ces fâcheux malentendus. Ce fut dans ce but que l'un de nous publia, l'an passé, dans cette excellente collection de propagande du parti socialiste, une brochure intitulée : Art et Socialisme. La préface en précisait ainsi les intentions : Aux socialistes, je voudrais faire comprendre combien il est indispensable qu'ils s'intéressent aux choses d'art. La vie supérieure de l'humanité ne peut leur être indifférente. Poursuivre des améliorations matérielles, c'est bien, mais c'est insuffisant. Notre marche en avant vers la société future exige des transformations morales et intellectuelles autant que des transformations économiques. Toutes ces évolutions doivent marcher de pair et nous devons les provoquer toutes et les soutenir avec une égale sollicitude, si nous voulons réaliser un jour la Révolution sociale. La déclaration du Parti ouvrier belge le dit avec infiniment de raison et en termes formels. C'est une déplorable erreur que de considérer l'Art comme le délassement frivole des gens riches, de penser que les artistes ne sont que des oisifs inutiles ou même nuisibles. Trop de circonstances, malheureusement, peuvent parfois, à l'époque actuelle, justifier ces préventions ; il faut que nos amis s'en dégagent ; qu'ils se persuadent de la puissance et de l'utilité suprême de l'Art : une des plus nobles forces sociales, l'un des plus éclatants modes de la libre expansion de la personnalité humaine. Loin de le mépriser ou le haïr, il faut l'honorer et l'aimer, le conserver précieusement pour les hautes jouissances qu'il réserve à ses élus. Je voudrais, de même, montrer aux artistes combien sont injustes les préjugés que la presse bourgeoise a fait naître chez eux à notre égard. Elle aime à nous représenter comme soucieux uniquement d'intérêts matériels, décapités de toute préoccupation élevée, et quand elle parle de l'avènement socialiste, c'est avec des accents éplorés, comme s'il s'agissait de l'invasion de nouveaux barbares. A l'en croire, notre triomphe serait le signal de vandalismes effroyables. Rien n'est plus absurde. Il ne sera point difficile, je pense, d'établir que la situation de l'Art et des arslites serait bien meilleure dans une société socialiste, mais je crois même pouvoir affirmer que la renaissance des arts décoratifs, tant cherchée aujourd'hui, n'est possible qu'ensuite d'une modification des conditions économiques des travailleurs, n'est réalisable que par le socialisme. préoccupations esthétiques 231 §2. — Raison d'être et limite des devoirs de l'Etat vis-a-vis de l'Art. L'État doit d'abord, par probité, conserver pieusement les monuments, tableaux ou objets d'art légués par les siècles antérieurs et dont nous ne sommes que les usufruitiers. Nous devons, sous peine de malversation, rendre intacts à nos descendants les trésors que nous ont confiés les ancêtres. En aucun autre domaine, peut-être, la notion de la propriété collective n'est plus saisissante. Mais outre ces devoirs élémentaires, on a pu se demander si l'Etat avait, vis-à-vis des artistes, des devoirs spéciaux de protection et d'encouragement. Nous pensons que oui. Et nous en justifions ainsi le fondement : C'est parce que l'œuvre d'art n'est, en général, pas immédiatement lucrative, parce que, sauf de très rares exceptions, elle ne rémunère pas immédiatement le travail qui l'a créée, que nous avons pu conclure à un certain devoir d'intervention de l'État. Ce devoir se justifie encore par une autre considération : c'est le caractère illimité de la valeur produite par l'artiste. L'Etat doit protéger les artistes, et ne doit pas protéger de la même manière les cordonniers et les pharmaciens, par exemple, parce que les valeurs créées par les premiers sont absolument différentes, comme caractère et comme nature, de celles fournies par les seconds. Lorsque le pharmacien fait une boîte de pilules, lorsque le cordonnier a confectionné une paire de chaussures, le produit de leur travail à tous deux aura une destination déterminée et strictement limitée ; il se consommera et s'épuisera par l'usage qui en sera fait. Au contraire, l'œuvre d'art n'a pas ce caractère de relativité et de contingence; elle a une inépuisabilité en quelque sorte absolue, et nul ne saurait dénombrer et préciser les sensations agréables, les émotions grandes et généreuses qu'elle peut susciter. I.es chaussures s'useront, les pilules produiront ou ne produiront pas leur effet ; l'œuvre d'art, après avoir été contemplée par des milliers d'hommes, pourra l'être encore par d'autres milliers et donner ainsi, d'une façon infinie, de nouvelles jouissances à l'humanité. En faut-il des exemples ? Qui comptera les nobles et les sereines pensées qu'ont engendrées les marbres de la Grèce ? Qui fera le calcul des consolations tombées des voûtes des cathédrales gothiques? Combien a-t-elle enflammé de courages, la chanson sacrée que clament les foules en marche vers l'avenir : la Marseillaise? Et statues, édifices, chansons et poèmes, après avoir réjoui tant de cœurs et élevé tant d'esprits, sont toujours immortellement jeunes, aussi vivants, aussi inépuisables que jadis, toujours prêts à donner, à ceux qui savent les comprendre, les mêmes sensations sublimes. Ce sont des fontaines aux ondes toujours fraîches, jamais taries, auxquelles viennent boire successivement les générations assoiffées de beauté. Mais ces devoirs n'impliquent aucun droit. Leur accomplissement ne peut jamais devenir le prétexte d'une oppression ou d'une contrainte. L'Art exige une absolue liberté. L'Art officiel a, dans tous les temps, été l'apanage des intrigants et des médiocres. § 3. — L'Art dans une société collectiviste. Il conviendrait d'abord de noter le point de départ, de constater à quel destin misérable sont réduits les véritables et grands artistes dans la société capitaliste. On pourrait rappeler Schubert vendant 2 fr. 5o la mélodie du Roi des Aulnes ; Wagner végétant misérablement à Paris; Millet cédant quatre de ses plus beaux dessins pour une paire de souliers, et tant d'autres lamentables exemples qui justifient l'ironie amère de H. Heine : « Peut être les artistes sont-ils comme les nèfles, qui ne mûrissent que sur la paille. » Mais si nous essayons maintenant de voir plus loin dans l'avenir, de jeter quelques clartés sur ce que deviendrait l'Art dans une société collectiviste, nous pouvons présager sûrement un accroissement considérable de l'art public et décoratif. Le domaine national, d'abord, sera augmenté dans des proportions dont nous ne pouvons avoir aucune idée; à mesure que des lois protectrices des humbles auront assuré aux foules plus de loisirs et de bien-être, les besoins intellectuels s'accroîtront sans cesse ; il sera permis à tous de s'intéresser aux sciences et aux arts. Il faudra gonfler de trésors nos collections nationales, nos musées, nos bibliothèques. Il faudra les multiplier jusque dans les centres secondaires. Partout naîtront des besoins nouveaux d'instruction et d'émotion esthétique. De plus, un autre changement se fera dans les esprits. La solidarité, s'étant développée jusqu'à des degrés que notre égoïsme actuel ne peut s'imaginer, chacun s'habituera à jouir des propriétés publiques comme on jouit aujourd'hui des propriétés privées : chacun goûtera le charme de marcher dans des promenades publiques ornées de statues, la joie de voir dans les musées nationaux les œuvres qu'il aime, la satisfaction de consulter dans les bibliothèques de 1 Etat les livres et les documents nécessaires à ses études; et la promenade dans un beau parc, l'admiration du tableau, la lecture du livre, n'est-ce pas tout ce que la propriété peut donner de meilleur? Qu'importe que le parc, le tableau et le livre ne m'appartiennent pas matériellement, si j'ai été admis à toute les jouissances qui s'en peuvent déduire ; si je puis recommencer demain ou chaque fois que la fantaisie ou le besoin m'en prendra? Et n'est-ce pas un bonheur de plus de penser que d'autres âmes fraternelles le peuvent à leur tour, de penser que dans mon contentement il n'y a point de privation ni de peine pour autrui ? Cela ne vaudra-t-il pas mieux que la propriété individuelle d'aujourd'hui, dont le plaisir est fait de l'humiliation du prochain? A présent, on a des tableaux par ostentation et vanité; on les montre avec une joie ravivée par le dépit de celui qui les regarde; sentiments égoïstes et sots, car l'œuvre d'art est bien plus possédée par celui qui la comprend que par celui qui la paie ! Quand une solidarité plus intime et mieux comprise sera établie et pratiquée entre les hommes, que tous pourront profiter fraternellement de ce qui est à tous, qu'importera alors l'appropriation égoïste? N'aurons-nous pas assuré aux individus ce qu'il y a de seuldigne d'envie, ce qu'il y a de meilleur dans la propriété? La splendeur des monument publics, la richesse des collections nationales, la beauté des promenades, tout cela sera tel qu'on ne pourrait le concevoir actuellement. Et qu'on ne me taxe point de rêveur fantaisiste, les faits du passé sont éloquents. Lorsqu'un peuple a conscience de sa vie commune, lorsqu'il est pénétré de cette solidarité, que nous espérons voir se développer superbement, lorsque tous les cœurs d'un peuple battent d'un seul battement, les chefs-d'œuvre sortent d'une telle civilisation, fatalement et naturellement, comme des fleurs. Cela s'est vu en Grèce, au Moyen-Age, parce qu'alors le même idéal hantait les cerveaux. Et dans l'avenir que nous espérons, comme dans ces époques du passé, l'Art sera partout. Non seulement il formulera d'une façon magnifique l'élan général vers l'idéalité, mais il descendra aux objets usuels de la vie quotidienne, il accompagnera toutes les actions humaines. 11 enveloppera toute l'existence dans ses manifestations les plus diverses. Il ne sera pas seulement le privilège de quelques riches, mais tous en seront imprégnés et heureux. Déjà, en Angleterre, certains phénomènes annoncent ces évolutions. C'est le pays où le travailleur a su réduire le plus ses heures de travail et s'assurer quelque loisir; c'est aussi le pays où les bibliothèques et les musées sont les plus nombreux et les mieux organisés; c'est aussi le pays où les arts mineurs sont le plus en faveur. La liaison des faits économiques et esthétiques est manifeste. Nous ne pouvons qu'indiquer ces points sans les développements qu'ils mériteraient ; on trouvera quelques-uns de ceux-ci dans deux conférences données par J. Destrée, l'une à Anvers, le 28 janvier 1897, et publiée dans le Peuple de février 1897, l'autre à Saint-Josse-ten-Noode, peu de temps après. B. — Œuvres. § icr. — Section d'art. Nous avons dit, précédemment, comment s'était formée, à la Maison du Peuple de Bruxelles, la section d'art. Elle fit appel, dans un but d'enseignement esthétique populaire, aux artistes, littérateurs, peintres, musiciens très nombreux que compte notre pays. Pour leur assurer leur complète et entière indépendance, il fut décidé que leur adhésion n'entraînerait pas affiliation au Parti Ouvrier. Dès les premières années, les résultats furent encourageants et dépassèrent les espérances des promoteurs. L'un d'eux, Emile Vandervelde, put écrire ce qui suit, en sa préface à un Annuaire de la section d'art, qui parut en 1894, avec la collaboration des principaux écrivains de Belgique : « Beaucoup de personnes, au début, se montrèrent aussi défiantes que les maîtres chanteurs, quand Hans Sachs leur proposa d'en appeler au peuple. Il ne s'agissait pas, en effet, de suivre les sentiers battus, et d'adopter, en les améliorant un peu, les programmes habituels des réunions populaires. A ces auditeurs frustes, mais sans préjugés, nous apportions, grâce au dévouement de nos meilleurs artistes, des sonates de Beethoven, des quatuors de Brahms ou des transcriptions de Wagner. « — Vous ne serez pas compris, disait-on. — L'expérience a démontré le contraire. A toutes les soirées la salle était comble; à plusieurs reprises il fallut refuser du monde. « A la dernière séance, on dut se transporter dans un autre local. On peut évaluer à huit cents le nombre de ceux qui ont assisté régulièrement aux auditions. Et tous les artistes qui sont venus à la Maison du Peuple déclarent, à l'envi, qu'ils n'ont jamais rencontré d'auditeurs plus attentifs, plus respectueux des œuvres, et en mcme temps, plus enthousiastes (1). » Les programmes des soirées de la section d'art, en 1892-93, ont été composés comme suit : i° La littérature russe, conférsnce par Jules Destrée. Partie musicale organisée par Oct. Maus, avec le concours de MUo Van Hoof et de MM. L. Angenot, Gillet, G. Kefer, Lafontaine et Litta (oeuvres des musiciens russes Glasounow, Tschaïkowsky, Rimsky-Korsakoff). 2° La vie de Jésus et les contes d'Yperdamme, conférence par Ed. Picard. Partie musicale organisée par O. Maus (oevres de Berlioz, J. S. Bach, César Franck et R. Wagner). Brahms, soirée musicale avec le concours de M. Gustave Xefer, Laoureux, Lefèvre et Bouserez. 4° H. Ibsen, conférence par G. Eckhoud. Partie musicale consacrée à l'audition d'oeuvres d'Edward Grieg, avec le concours de M"0 Rachel Neyt et de MM. Avesen, Mivy, Sevenants et Baise. 50 CharlesDecoster et Camille Lemonnier, Conférence par Louis Delmer. 6° Piano-récital par Litta, consacré à l'audition des oeuvres de Haydn, Beethoven, Chapuis, Vincent d'Indy, Liszt. 70 L'éducation dans la commune socialiste, par Sluys. Partie musicale consacrée à l'audition d'oeuvres de Georges Fié, Désiré Pâques et Ruhlmann. (1) Annuaire de la section d'art et d'enseignement de la Maison du Peuple de Bruxelles en 18Ç3 (imprimerie Blon-deau). Articles de : Jules Destrée, Eugène Demolder, Max Elskamp, G. Eekoud, Paul Janssens, Hubert Krains, F. Knopff, C. Lemonnier, B. La Fontaine, M. Maïterlinck, Oct. Maus, F. Nautet, S. Pierson, Ed. Picard, P S te Brigitte, H. Stiernet, Ëmile Verhaeren et Vandervelde. Il est regrettable que ces Annuaires n'aient pas été continués. Indépendamment de ces soirées, les membres de la Section d'art ont visité les musées de peinture, le musée des échanges et les expositions du Worwaerts, du Sillon, des XX et des aquarellistes. Pendant l'année 1898-94, notons quatre conférences littéraires : la Chanson de Jean Renaud, par M. Wil-motte; une lecture de fragments inédits de Y Arche, par Camille Lemounier; une étude sur Léon Cladel, par Edm. Picard; sur Emile Zola, par Jules Destrée ; le conférence de M. Wilmotte était illustrée d'auditions musicales par des artistes distingués, de même que celle que fit M. Kufferath sur la Romance, la Chanson et le Lied. Enfin M. Georges Khnopff fit une causerie, accompagnée de projections lumineuses, sur les peintres gothiques. En 1894-95, conférence par Henri La Fontaine : les Instruments à cordes pincées et frappées, et par Emile Vandervelde : le mois de Marie, toutes deux suivies d'une partie musicale; lecture par Jules Destrée d'un ouvrage inédit : Une campagne électorale au pays noir. En 1895-96, auditions d'œuvres de Brahms, de Schumann, de Wagner, organisées par Georges Kefer ; d'œuvres de Mozart et de J. S. Bach, organisées par Érasme Raway ; conférence par le poète Émile Verhaeren sur la Chanson Populaire; par le romancier, G. Eekhoud, sur la Période Shakespearienne, et, à cette occasion, représentation d'une tragédie de Beaumont et Fletcher, Philaster ou VAmour qui saigne. En 1896-97, nous avons eu une conférence de Fr. Mahutte sur Un prêtre d'aujourd'hui : Victor Charbonnel ; un autre de R. de Morès : Multatuli; une autre d'Edm. Picard sur le Renouveau au théâtre; une quatrième de L. Bazalgette : /'Internationale des Poètes, et trois séances de musique :1a première consacrée à Vincent d'Indy, avec le concours de M. Maître et une causerie d'Octave Maus sur Xoeuvre de Vincent d'Indy; la seconde à Wagner, Borodieu et Glazounow, la dernière à Haydn, Brahms et César Franck. L'excellent quatuor interprétant ces oeuvres était composé de : MM. A. Dubois, Bosquet, Gietzen et Do-chaerd. Enfin, en 1897-98, deux conférences d'Edmond Picard sur Nansen et son Expédition vers le Pôle Nord, une autre d'Enrico Ferri, le savant criminologiste italien, sur Vacher le tueur de bergers ; une causerie de Vandervelde sur William Morris, avec projections lumineuses; une conférence d'Octave Maus sur les Maîtres Chanteurs de R. Wagner, avec audition de fragments de cette œuvre ; et deux séances de quatuor. Il est question, à l'heure actuelle, d'une audition, parl'orchestre impeccable du Conservatoire, de la Passion selon Saint-Mathieu, par J. S. Bach. Commme on peut en juger par ces quelques indications, l'œuvre n'est point banale. Elle a osé présenter hardiment, sans déformation ni trituration, les maîtres les plus considérables dans tous les domaines de l'Art. Actuellement, quelque ralentissement semble paralyser ce bel élan, mais la cause en est surtout dans l'insuffisance du local; notre vieille Maison du Peuple est délabrée, vétusté et peu propre à ces festivités ; mais on peut prédire, que, quand les nouveaux bâtiments seront achevés, la Section d'art, installée dans une salle de fête digne d'elle, recommencera des prodiges. -Les promoteurs ne pensent à rien moins pour l'inauguration qu'à exécuter la neuvième Symphonie de Beethoven. 240 le socialisme en belgique | I Nous avons parlé un peu longuement de la Section d'art de la Maison du Peuple de Bruxelles, parcequ'elle est le type des entreprises de ce genre. Les dévoués camarades qui s'y sont consacrés, P. Deutscher et Max Hallet, donneront, j'en suis sûr, avec le plus grand plaisir, de plus amples renseignements à ceux que la chose intéresserait. Mentionnons encore les visites périodiques aux expositions des cercles d'art. Les membres du Parti Ouvrier y sont admis à certains jours gratuitement, et un compagnon de la Section d'art leur donne les explications essentielles. Les imitations que l'on a tentées en province de la Section d'art de laMaisondu Peuple de Bruxelles ont misérablement échoué, faute d'éléments artistes autant que faute de public. Il faut toutefois excepter les concerts de musique classique du Vooruit de Gand et signaler un curieux effort de réaction contre les orgies stupides du Carnaval par l'organisation, en 1897, d'une représentation du Tannhauser, de Wagner, au Théâtre communal à Gand, le jour du mardi-gras. Le spectacle, très fréquenté et très apprécié, était précédé d'une conférence par E. Anseele, député. Rien ne démontrera mieux, pensons nous, la place considérable que tiennent les préoccupations esthétiques dans les efforts des membres du parti socialiste, que la liste des cours organisés dans les institutions d'enseignement dont nous avons parlé précédemment. §2. — Enseignement. Université nouvelle. — Demblon, Eekhoud, Le-monnier, Zanardelli : Histoire des littératures grecque, française, moderne, etc. Institut des Hautes Études. —Nordau : Psychologie et sociologie de l'Art; Picard et Verhaeren : Histoire de l'Art; Kufferath : Histoire de la musique; Destrée : Les primitifs italiens; Vandevelde : Les arts industriels et d'ornementation; Docteur Joseph : l'Art primitif de la Grèce, etc. Extension universitaire. — C. Demblon : Littérature française; J. Destrée : Les écrivains belges contemporains; l'Art et l'État en Belgique; Ed. Picard : Évolution de l'Art; H. Vandevelde : Les arts d'industrie et d'ornementation, le Livre et son ornementation, les Dentelles, les Papiers peints ; A.-J. Wauters : la Dominante dans les oeuvres d'art; Zanardelli : Littérature italienne. Mentionnons aussi d'une manière spéciale une série d'articles pleins de verve d'Ed. Picard, parus dans le Peuple, et sa conférence à la Libre esthétique, dont est resté un élégant syllabus sur la Socialisation de l'Art. | 3. — Action parleaientaire. Au Parlement, le groupe socialiste s'est efforcé, chaquefois que l'occasion s'enestprésentée, d'affirmer ses sympathies pour la science et l'Art. Émile Vander-velde a obtenu une majoration de crédit pour la Bibliothèque royale et réclamé la restauration de l'église de la Chapelle à Bruxelles et de l'abbaye d'Aulne à Landelies. H Il a fallu l'arrivée des socialistes pour qu'un hommage décent fût rendu, au Parlement, à la jeune littérature belge dont certains noms : Lemonnier, Maeterlinck, Verhaeren, Eekhoud se sontimposés al'attention européenne. Célestin Demblon a récité, un jour, au milieu de la stupeur de la droite et du centre, un admirable sonnet d'Albert Giraud, écrit à la gloire de C. Lemonnier. Jules Destrée, à diverses reprises, a développé la thèse suivante : En attendant l'éclosion des formes nouvelles que ne manqueront point de provoquer les transformations économiques prochaines, les pouvoirs publics devraient s'efforcer tout -au moins de ne pas accentuer encore les côtés déplaisants de la civilisation contemporaine. Ils croient avoir largement acquitté leurs obligations en créant dans les ministères une section administrative chargée du soin des beaux arts. En dehors de ce petit coin réservé et spécial, il est presque paradoxal et ridicule de parler d'une tentative artistique quelconque. Le laid règne en souverain indiscuté. L'idée ne vient môme pas aux multiples fonctionnaires préposés aux rouages de la machine nationale que leur influence pourrait être plus salutairement dirigée et s'inspirer d'ambitions esthétiques. Exprimez-leur cette opinion et vous les verrez éclater de rire ou vous traiter de personnage subversif. Il convient de répéter sans cesse que l'art peut et doit être partout, non seulement dans les musées et dans les ateliers, mais dans la rue, dans le paysage, dans les moindres objets de la vie ordinaire. Il peut tout illuminer, tout transfigurer, tout marquer de son empreinte ennoblissante et réconfortante. Répétons que les époques les plus heureuses dans la vie des peuples sont précisément celles où les plus insignifiants détails du décor quotidien avaient une allure esthétique. Si, au siècle actuel, l'art semble avoir divorcé d'avec la vie courante, la faute en est surtout au régime capitaliste qui, par les labeurs trop prolongés, la division extrême des tâches, la fabrication à bon marché, a étouffé chez les petits le sens du décor et a entouré la vie du pauvre de choses disgracieuses et laides. Or, ce qu'un gouvernement préoccupé des petits pourrait faire, ce serait de diminuer le plus possible le nombre de ces choses disgracieuses et laides; de tout tenter, au contraire, pour procurer des jouissances d'art à ceux qui ne peuvent posséder dans leurs modestes demeures les œuvres des maîtres. En exécution de ce programme, il a pu demander : au ministre des finances : des monnaies d'un caractère esthétique plus élevé, moins banales et veules, et un effort pour égaler les admirables médailles antiques (i); au ministre des chemins de fer : des gares de style moderne, décorées par nos artistes, des wagons où le confortable s'égaierait d'un souci de beauté, des timbres moins plats (2) ; au ministre de l'agriculture : le respect, le long des routes nationales, des vénérables arbres dont les frondaisons ont pour les passants pauvres les charmes que cultivent les riches dans leurs parcs et leurs domaines (3) ; au ministre de l'industrie et du travail : une réorganisation de l'enseignement professionnel des industries d'art, par les (1) Annales Parlementaires, scancc du 21 juin 1895. (2) Ibid., séance du mai 1896. (3) Ibid., séance du 17 avril 1896. 244 le socialisme en belgique musées, les écoles et les ateliers (i) ; au ministre de l'instruction publique : une plus vive et plus éclairée sollicitude pour les lettres belges (2). $ 4. — Manifestations. C'est à Bruxelles surtout, et notamment lors des manifestations du icr Mai, que se sont révélés d'incontestables désirs de rehausser d'un mérite d'art l'impression produite par l'étendue des cortèges. En 1896, la manifestation eut lieu le soir, aux lumières. Certains groupes portaient des cartels, harmonieusement disposés, où l'on avait essayé de synthétiser, par quelques mots typiques, soit l'histoire, soit les aspirations du Parti. Des transparents tentaient, d'autre part, d'inspirer, par des effets de contrastes, de tenaces souvenirs dans les âmes populaires. Mais ce qui laissa surtout à tous ceux qui en furent témoins une extraordinaire impression, ce fut, dans ce prestigieux décor de la Grande-Place, le défilé patient, en longues files se repliant sur elles-mêmes et serpentant comme dans les tableaux des vieux maîtres, de milliers et de milliers d'hommes, portant chacun une lanterne vénitienne en papier rouge ; toutes ces petites lumières pourpres, innombrables, se mouvant et étincelant sur la confuse niasse noire de la foule, constituaient un émouvant spectacle. A Gand, le Vooruit organisa des groupes et des chars, des cartels et des chœurs. (1) Annales Parlementaires, séance du 11 mars 1897. (2) Ibid., séances du 3 et 4 juillet 1895. L'an passé, l'impression fut plus grande encore et les journaux bourgeois eux-mêmes reconnurent que la manifestation du icr Mai avait eu une allure esthétique incontestable. On ne saurait trop encourager ces tentatives. Il est indispensable de donner une satisfaction aux aspirations esthétiques des plèbes. Elles vivent de pain d'abord et de spectacles ensuite : Pane?n et circenses! Les deux besoins sont aussi impérieux. Ne viser qu'à assouvir le premier est inférieur et insuffisant. Même si l'on pouvait concevoir une société parfaitement organisée au point de vue de la satisfaction des intérêts matériels et eu même temps décapitée de tout souci élevé, de toute jouissance d'art, il n'est pas téméraire d'avancer qu'une telle société de gavés ne tarderait pas à mourir d'ennui. La fascination qu'exercent sur le public les pompes ecclésiastiques, les cortèges militaires, les parades de toute sorte, n'a pas d'autre secret. L'homme, la femme, l'enfant qui s'y précipitent pour se griser de bruit, de couleur, de mouvement, courent à la satisfaction d'un besoin inconscient peut-être, mais pressant, puissant comme le manger et le boire. Et quand leur Imagination est ainsi mise en joie, croyez-vous qu'elle n'étourdit point la Raison qui leur ferait découvrir sous les fêtes de l'Eglise des dessous répugnants de cupidité et d'hypocrisie; au milieu des fanfares et des drapeaux de l'armée, les hontes de l'encasernement et l'imminence des épouvantes de la guerre. Si l'on veut remplacer les uns et les autres de ces spectacles, il faut penser à trouver pour l'àme populaire d'autres aliments de beauté, d'autres fantaisies de sensations décoratives. Ajoutons, pour finir, que le Parti Ouvrier sait faire appel, le cas échéant, aux artistes novateurs et originaux; c'est ainsi que les plans de la nouvelle Maison du Peuple de Bruxelles ont été confiés à l'architecte Horta, et le monument à ériger en souvenir de Jean Volders au sculpteur Georges Minne. CHAPITRE III. Préoccupations morales. Le socialisme belge, enlin, a fait aussi les plus louables efforts pour moraliser la classe ouvrière. La vertunesedécidepointpardécret; elleestla résultante de l'éducation, des exemples, d'influences morales. Si l'on considère la lenteur de toute évolution humaine de ce genre, l'inévitable des défaillances individuelles, on doit reconnaître que le Parti Ouvrier a beaucoup tenté à ce point de vue et que partout où sa discipline est puissante, il a suscité de beaux témoignages de son action moralisatrice, qu'on peut considérer spécialement selon les catégories ci-après. § 1. — Solidarité. C'est la vertu mère du socialisme. Son nom résume plus expressivement encore que l'éloquente trilogie républicaine, nos aspirations et nos tendances. Il indique mieux que le mot charité, la loi d'amour qui s'impose aux hommes; la solidariié semble une charité plus complète, une charité entre égaux, un partage des joies autant que des douleurs. Cette expansiondusentimentaltruiste inspire la plupart des réformes du programme politique socialiste, donne vie et puissance aux institutions économiques du Parti, se manifeste en toute circonstance. En préciser des réalisations serait faire l'histoire même du socialisme belge et nous entraînerait trop loin. Disons seulement que lors du retentissant débat sur la loi scolaire, notre ami Hector Denis, professeur à l'Université de Bruxelles et député de Liège, en a montré toute l'ampleur dans un discours élevé, publié en brochure : la Morale rationaliste. Et citons les beaux élans de la Belgique ouvrière lorsqu'en 1895 on réunit par des souscriptions dans le Peuple plus de 57,000 francs au profit d'une grève de métallurgistes à Gand, et en 1893, plus de 73,000 francs pour soutenir les menuisiers de Bruxelles. § 2. — Dignité, tempérance : Campagne contre l'alcool, le jeu, le carnaval. La dignité personnelle est une des conséquences de la liberté conquise. Le jour où l'homme peut diriger à son gré son activité consciente, il se pénètre en même temps des sentiments de ses devoirs envers lui-même autant qu'envers autrui. L'ouvrier affranchi par le socialisme de l'oppression patronale, le paysan émancipé des tutelles cléricales, vont devant eux, avec une dignité plus grande. Cette vertu de premier ordre, il importe de 11e pas la laisser compromettre en cédant aux déplorables entraînements de passions inférieures. Ceux qui s'adonnent à la boisson, au jeu, sont des esclaves comme préoccupations morales 249 ceux que dominent le maître de fabrique ou le curé. Le Parti Ouvrier fait son devoir en luttant contre tous ces asservissements. Sa campagne anti-alcoolique a été menée avec vigueur et non sans courage. Les propagandistes, à la suite d'une décision délibérée en Conseil général du Parti Ouvrier, sur la proposition d'E. Vandervelde, se sont élevés énergiquement, devant des auditoires d'ouvriers, contre l'abus du genièvre empoisonneur ; et, au risque parfois de méconter des adeptes, ils ont usé de toute leur influence pour combattre l'ivrognerie. Les journaux réactionnaires eux-mêmes ont dû rendre hommage à ces vaillantes tentatives. Dans les débits de boissons des Maisons du Peuple, malgré l'énorme intérêt financier qu'il y aurait à vendre des boissons alcooliques, cette vente est rigoureusement prohibée. On a pu remarquer aussi dans les moeurs électorales une heureuse transformation partout où le parti socialiste était en lice. Jadis, sous le régime censitaire, les partis politiques offraient à leurs fidèles des banquets et des beuveries qui finissaient généralement de la manière la plus crapuleuse, et on ramassait dans les ruisseaux les électeurs souverains. Depuis, les opérations électorales se passent avec infiniment plus de calme et de dignité. Le jeu est une autre passion aux conséquences funestes. Il semblerait, à première vue, que c'est surtout là une tare de classe et que la bourgeoisie seule doive en être atteinte, par les pièges financiers de la Bourse ou les tripots du monde élégant. Malheureusement, le travailleur lui-même n'y échappe point. Selon les temps, selon les lieux, la frénésie du gain acquis sans travail, la fringale d'aventure ou d'imprévu se révèlent dans des tirs à l'arc, des concours de pin- sons ou des combats de coqs. Le parti socialiste peut s'enorgueillir aussi d'avoir condamné ces divertissements malsains, souvent sanguinaires et cruels, où les prolétaires cherchent une sorte d'ivresse, moins fâcheuse peut-être que celle de l'alcool, mais aussi pernicieuse et génératrice de tristesses pour les familles. Nous avons déjà parlé de l'essai de réaction contre le Carnaval, inauguré à Gand; il faut en rapprocher ces déclarations que put faire l'un de nous, en mars 1897, lors d'une importante réunion : Et c'est pourquoi, bien que je perçoive parfaitement à quelles coutumes indéracinables, en apparence, je nie heurte, c'est pourquoi je ne me suis pas gêné pour dire ce que je pense du Carnaval. 11 est vieux de bien des siècles, le Carnaval, m'a-t-on répliqué. Et il aura la vie plus dure que vous. Oui, il est vieux, bien vieux ; il remonte aux temps où l'homme était esclave. Alors, une lois par an, le maître permettait à son esclave d'être, pour un jour, pour quelques heures, maître à son tour. Il faisait comme son maître, imitait ses vices, buvait comme s'il n'eût pas été esclave, et le lendemain retournait, abruti, au travail imposé. Et l'esclavage a disparu, mais la tradition est restée, correspondante à d'analogues nécessités sociales. — Lœtare! Réjouis-toi, a-t-on dit au serf, au prolétaire : Habille-toi ce jour-là en soldat, en général ; donne-toi l'illusion d'une souveraineté ou d'une liberté quelconque; mets-toi sur la figure des masques de carton, des plumes dans les cheveux, ou des anneaux dans le nez, comme un sauvage; bois, chante et cours les routes. Va, pendant ce temps-là, tu n'iras pas aux réunions socialistes, tu laisseras ton esprit en friche, tu ne permettras point à ton àme de se laisser envahir par le salutaire esprit de révolte; va, mon ami, oublie ta dignité d'homme, et demain, pour ton loisir, tu te seras conduit en abruti, je pourrai te traiter en abruti. Ainsi raisonnent les capitalistes. Les mêmes raisons expliquent la tolérance des autorités vis-à-vis des combats de coqs. Ces jeux cruels et odieux sont défendus ; mais les gendarmes et les policiers qui m'écoutent là-bas savent avec quelle indulgence on les tolère. Sévérité sans nom pour : « djambe de bos » (i), indulgence sans borne pour les combats de coqs. Divertissements féroces qui viennent pomper l'argent dans les poches ouvrières; les conservateurs les voient d'un œil favorable quand ils espèrent qu'ainsi l'ouvrier échappera à 4a propagande socialiste. Quant à moi, je ne puis voir de différence morale entre un gommeux qui tire des pigeons et un ouvrier qui fait battre des coqs, entre un joueur de la haute qui perd en une nuit une fortune et un parieur de la classe ouvrière qui perd sur un coq, un pigeon ou une quille, le pain de sa femme et de ses enfants. Si vous voulez avoir le droit de flétrir les vices de la bourgeoisie, tâchez d'abord de vous en préserver vous-mêmes. § 3. — Bonté, Respect des faibles, Culte des souvenirs Ces qualités découlent presque nécessairement de la pratique de la solidarité et de la dignité. Mais il peut ne pas être inutile de faire remarquer que le parti socialiste non seulement s'est rallié à toutes les mesures législatives destinées à assurer 1 égalité des sexes, à organiser la protection de l'enfance, à éviter les actes de cruauté envers les animaux, (i) Djambe de bos — jambe de bois, est une injure (?) assez pittoresque envoyée par les ouvriers grévistes à ceux qui ne suivent pas. Cette épithète, plus gouailleuse que malveillante, a suffi pour motiver des condamnations à des mois de prison ! mais qu'il a également fait porter l'effort de sa propagande vers la réalisation immédiate de ces mesures de bonté envers les faibles. Emile Vandervelde le disait naguère encore à un public attentif : « Combien de vous, mes amis, s'indigneraient justement s'ils étaient grossièrement apostrophés, rudoyés, brutalisés par un contre-maître, et combien de ceux-là font supporter à leurs femmes et à leurs enfants le rude traitement qu'ils ne toléreraient pas de la part de leur maître? » Et il rappelait les paroles évangéliques, ces pures sources de bonté qui résument la règle des races en marche vers des sociétés meilleures : « Aimez-vous les uns les autres! Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit! » Une autre affirmation de ce sentiment est la reconnaissance des services rendus, le respect aux morts, le culte du souvenir : le Parti Ouvrier sait dignement honorer ses morts; Bruxelles se rappelle encore avec étonnement les émouvantes et grandioses funérailles que la démocratie socialiste fit à César de Paepe et à Jean Volders. Il en fut de même à Gand, en 1897, lors de l'enterrement de Van Beveren. Chaque année, pieusement, un pèlerinage touchant ramène les membres du Parti Ouvrier autour des tombes des compagnons en allés. De même, les socialistes belges ont su prendre énergiquement la défense des hommes de la Commune, en des occasions parfois où il y avait quelque péril à contrecarrer les légendes bourgeoises. § 4. — Tolérance, Haine des institutions non des hommes Il est indéniable que le parti socialiste, en déclarant son respect pour toute conviction philosophique sincère, en proclamant que la religion était affaire privée, à traiter dans l'intimité de chacun en dehors de toute intervention de la puissance publique, a beaucoup contribué à faire éclore chez nous une tolérance plus grande des opinions d'autrui; si l'on songe aux discussions étroites, sectaires, pénibles qu'avait provoquées l'ancien libéralisme doctrinaire, il y a assurément progrès. L'objet du débat entre les citoyens s'e6t singulièrement déplacé; il s'agit aujourd'hui de s'affranchir non seulement de la tyrannie cléricale là ou elle est encore présente, mais surtout de la tyrannie capitaliste, partout présente, celle-là. Même dans ce conflit, autrement redoutable, le Parti Ouvrier s'est efforcé de se libérer du mesquin point de vue des personnalités. On nous reproche souvent d'être des artisans de haine ; en effet, la haine est nécessaire : elle est l'une des faces de l'amour. On ne peut être fervent de justice sans détester en même temps l'injustice. La haine est bonne, elle est salutaire, elle inspire le fécond esprit de révolte sans lequel il n'y a point de progrès. Mais cette haine, nous l'avons contre les institutions et non contre les personnes ; nous savons faire, ou, tout au moins, nous désirons toujours faire la part d'irresponsabilité individuelle de l'homme qui, à un moment donné, profite d'un privilège ou d'une iniquité. iS Et de même qu'il se garde de la haine, le Parti Ouvrier se méfie aussi des personnalités dans l'amour. On aime à exalter les idées, non les hommes, et, quels que soient le talent, la science, l'ingéniosité de ceux qui paraissent diriger le mouvement, ils ne le dirigent pas plus que ne mènent le navire ces ligures sculptées à la proue des vaisseaux, que l'on voit émerger au gré des vagues, en avant. Peut-être contestera-t-on la fidélité de tel ou tel détail en ce tableau, peut-être nous accusera-t-on d'avoir insisté complaisamment sur des côtés trop flatteurs; peut-être triomphera-t-on aisément en nous citant quelque défaillance accidentelle. Faut-il déclarer que nous n'avons jamais songé à prétendre que les socialistes belges fussent tous des savants, des artistes, des modèles des plus hautes qualités morales? Nous avons voulu seulement apprécier dans leur ensemble les tendances du Parti, et compterait-il, comme tout autre groupement humain, une inévitable proportion d'ignorants et de barbares, d'ivrognes ou de gens faibles ou méchants, que ce serait encore, et quand même, un noble et réconfortant spectacle que l'élan de notre masse ouvrière vers l'Art, la Science et la Bonté. LE COLLECTIVISME CHAPITRE I. Propriété collective et Propriété capitaliste. Quelque temps avant que les grèves d'avril 1898 ne viennent activer leurs travaux et interrompre leurs discours, certains membres de la Constituante belge, pénétrés de cette pensée que la lumière vient d'en haut et qu'il faut éclairer les masses, résolurent un jour de révéler aux classes inférieures les mystères du collectivisme. Qu'il nous soit permis de contribuer modestement à cette propagande salutaire, en reproduisant la quintessence de ces remarquables débats. § 1. — Qu'est-ce que le Collectivisme. M. Graux. — C'est la suppression de la propriété privée, de la propriété individuelle. M. Bara. — Vous devez dépenser pour vous-même et pour votre famille; vous ne pouvez pas constituer de propriété privée en dehors de cette consommation. M. Féron. — Le collectivisme ouvrier ne poursuit que la mise en commun des instruments de travail. M. Graux. — Y compris la propriété ! M. De Mot. — Et le capital ! M. Feron. — En tant qu'instrument de travail, évidemment. M. Eeman. — Tout est instrument de travail ! {Annales Parlementaires, 28 mars, 189.3.) Nous ne pousserons pas l'indiscrétion jusqu'à demander à M. De Mot ce qui peut bien être capital sans être propriété, ni instrument de travail. Admirons plutôt cette étonnante déclaration de M. Eeman : Tout est instrument de travail ! Ainsi donc. Monsieur le député, l'armoire dans laquelle vous enfermez vos enfants quand ils ne sont pas sages (voir aux Annales parleiyientaires) est un instrument de travail, au même titre que le pétrin d'un boulanger ou les métiers de la filature dont vous êtes actionnaire ? Je ne veux certes pas dire que cette armoire, qui fut la cause première de votre célébrité, soit un moyen de jouissance — du moins pour vos enfants — mais je crois pouvoir affirmer que les socialistes vainqueurs ne la feront pas entrer dans le domaine collectif. Au surplus, si vous désirez des renseignements précis sur le collectivisme, peut-être ne ferez-vous pas mal d'aller un soir à l'école des orateurs de la Maison du Peuple : Le premier ouvrier venu vous expliquera très clairement la distinction qu'il fait entre les moyens de production et les objets de jouissance ou de consommation. Je demande pardon à ceux qui me lisent d'insister sur des notions aussi élémentaires, mais — étant données les énormitésque l'on débite sur le socialisme — puisqu'il se trouve des gens pour les dire, peut-être s'en trouve-t-il aussi pour les croire. Et, c'est à ceux-là que je signale la définition que M. Schaeffle, dans une publication récente, a donnée du collectivisme : Lappropriation collective de tous les moyens de production et de circulation. Ainsi donc, si le régime collectiviste devait s'étendre un jour à toutes les industries, la terre, les mines, les fabriques, les institutions de crédit, les moyens de transport, feraient partie du domaine collectif et seraient exploités par des administrations publiques autonomes, sous la surveillance du pouvoir central. Seulement, cela ne veut pas dire que, dès à présent, tous les instruments de travail doivent être appropriés collectivement, qu'il faut exproprier le tailleur de son 'aiguille, le menuisier de sa varlope, le campagnard du lopin de terre qu'il gratte péniblement. | 2. — Les Limites du Collectivisme. La définition de M. Schaeffle est exacte, mais incomplète; elle ne tient pas compte de cette thèse L'appropriation collective ne s'impose, au point de vue de Vintérêt social, que dans les branches d'industrie oit la concentration des capitaux a fait disparaître la petite propriété, fondée sur le travail. (3e ne sont donc pas les socialistes qui veulent enlever au paysan sa terre, au commerçant sa bouti- que, au petit patron son établi. Ceux-là sont expropriés, ruinés, dècapitalisés par les gros-capitalistes : la fabrique tue la manufacture, le grand magasin ruine le petit commerce, les propriétaires terriens des Etats-Unis font une mortelle concurrence à nos paysans. Et pendant que les vaincus crèvent de faim ou sont mis en faillite, les capitaux se concentrent dans les mains des vainqueurs. Cette concentration capitaliste aboutit aux conséquences suivantes : i° La concurrence dégénère en monopole : quelques individus arrivent à dominer des branches entières d'industrie et forment des syndicats, des « trusts », des « cartels », pour faire hausser les prix au détriment des consommateurs; 2° Les entreprises doivent être administrées bu-reaucratiquement. Dans la grande industrie, les capitalistes cessent de diriger eux-mêmes l'entreprise et se font remplacer par des employés et des directeurs salariés; 3° Enfin, la société tend à se diviser en deux classes héréditaires, dont l'une peut jouir de la propriété sans travail, tandis que l'autre doit travailler sans jouir de la propriété. C'est ainsi, par exemple, que, d'après l'enquête de 1892 sur les salaires et les budgets ouvriers, 1,080/0 seulement des recettes provient d'autres revenus que du salaire ou des secours accordés par la bienfaisance. Et, d'autre part, à côté de ces prolétaires sans propriété, combien n'y a-t-il pas d'individus dans la classe bourgeoise qui ont acquis leur propriété sans travail, et qui bornent leur activité à recueillir des timbres- poste, à tirer des pigeons ou à se faire plumer dans quelque tripot? C'est à cette catégorie d'individus — et non pas à la petite bourgeoisie — que les collectivistes s'attaquent. C'est exclusivement dans les branches d'industrie où la concentration capitaliste s'est déjà opérée, que leurs formules deviennent applicables. Le collectivisme ne sera donc intégral que si la petite industrie et le petit commerce viennent un jour à disparaître complètement. En attendant, il y a place pour la propriété privée, à côté de la propriété collective, non seulement pour les moyens de consommation, les objets mobiliers, le patrimoine de la famille, mais encore pour tous les petits moyens de production. La petite industrie et le petit commerce constituent le domaine de l'association libre. La grande industrie, au contraire, doit être le domaine du collectivisme et c'est pourquoi le Parti Ouvrier demande, et se borne à demander, l'expropriation pour cause d'utilité publique des mines, des carrières, du sous-sol en général, ainsi que des grands moyens de production et de transport. § 3. — L'État et le Collectivisme. La transformation du régime capitaliste en régime collectiviste doit nécessairement être accompagnée de transformations corrélatives dans l'ordre politique, par la transformation de l'Etat en administration des choses. (Déclaration de principes du Parti Ouvrier). i5- Ce serait, en effet, une grave erreur de croire que le collectivisme implique seulement la socialisation des moyens de production, la reprise par l'Etat des grandes industries. S'il en était ainsi, la tyrannie du gouvernement ne vaudrait pas beaucoup mieux que celle des capitalistes. Les ouvriers de M. Van den Peereboom, notre Ministre des chemins de fer, ont, il est vrai, une situation plus stable, des salaires plus élevés que ceux de l'industrie privée, mais leur liberté est peut-être moins grande. Nul doute que cette situation ne s'améliore sous la poussée du suffrage universel. Néanmoins, ce n'est pas à l'Etat, dans sa forme actuelle que les collectivistes proposent de confier la direction des entreprises. Il doit y avoir entre l'Etat, gouvernement des hommes, et l'Etat, administrateur des choses, la même séparation qu'entre l'estomac et le cerveau. En régime collectiviste, les services publics seraient autonomes. « Conformément à des lois générales, et sous la surveillance de l'Etat, chaque branche de l'économie sociale appartiendrait à un système particulier, ayant des subdivisions territoriales et des centres administratifs pour diriger la production et la répartition des biens » (Schaeffle). Dès à présent, ce système est en action, pour une industrie tout au moins, dans les colonies australiennes, et spécialement dans la Nouvelle Galles du Sud. Toutes les lignes de chemins de fer, dans cette colonie, appartiennent à l'Etat. Jusque dans ces dernières années, le gouvernement dirigeait lui-même leur exploitation. Mais, en présence des abus qui se produisaient, le Parlement décida de confier cette çjç- ploitation à une Commision administrative, autonome, indépendante des partis politiques (i). Cette Commision, composée de trois membres, choisis parmi les hommes les plus compétents au point de vue technique, ne peut être révoquée que par un vote des deux Chambres. Le président, sous sa responsabilité, jouit des pouvoirs les plus étendus. Même en cas d'opposition de ses deux collègues, il a le droit de passer outre. On réunit ainsi tous les avantages de l'exploitation privée et de la propriété collective. Depuis que cette Commision fonctionne, les tarifs ont été abaissés, le personnel est mieux rémunéré et, néanmoins, il y a eu augmentation des recettes. Dans la province de Victoria, à raison de circonstances locales, l'expérience n'a pas été aussi heureuse. Cependant, M. Eddy, qui a étudié de fort près le fonctionnement du système nouveau, déclare que « l'acte des chemins de fer, dans la Nouvelle Galles du Sud, sera considéré comme un des plus grands qui aient été votés ». Nous constatons donc une double tendance dans l'évolution industrielle moderne : les industries tendent à se transformer en services publics; mais d'autre part, les services publics acquièrent une autonomie, une liberté d'action de plus en plus grandes. g 4. — L'expropriation du capitalisme. Comment pourra s'opérer l'expropriation des industries qui sont mûres pour le collectivisme? (1) W.-M. ACWORTH. Government Raihvays in a démocratie state. ( The Economie journal. Dccenibcr iS92). Sans indemnité, si le Quatrième Etat, vainqueur, s'inspire des exemples de la bourgeoisie de 1792, confisquant sans scrupule les biens des prêtres et des émigrés. Cela se fera-t-il? — Peut-être. — Faut-il le regretter? A coup sûr, car on frapperait, et ce serait une injustice, la propriété due au travail personnel aussi bien que la propriété acquise par le travail des autres. Pour opérer l'expropriation de la classe maîtresse, conformément à la justice et en suivant la ligne de moindre résistance, il faut s'attaquer, au moyen de l'impôt, à ceux qui ne travaillent pas, ou à ceux qui ne travaillent plus : aux propriétaires en frappant la rente et les valeurs consolidées; aux morts, parla restriction progressive du droit de succession. C'est dans ce but que le Parti Ouvrier demande, en même temps que l'abolition des impôts de consommation, i° l'établissement de l'impôt progressif sur le revenu, sur les legs et les donations entre vifs, 20 la suppression de l'hérédité ab intestat, sauf en ligne directe, dans des limites à déterminer. Dans ces conditions donc, l'indemnité viagère que l'on paierait aux capitalistes vivants serait prélevée, en majeure partie, sur la succession des capitalistes morts. Et, de cette manière, on frapperait la société moderne dans son vice fondamental : l'inégalité du o point de départ. L'un de nos grands industriels, M.Ernest Solvay, le reconnaissait, en termes non équivoques, lorsqu'il écrivait, dès 1879 : Nous approchons peu à peu, mais inévitablement, de l'époque où un grand et dernier pas doit être imprimé à la civilisation ; l'abolition de l'esclavage et du servage n'a pas étc complète, elle n'a pas porté sur la naissance; l'homme civilisé naît encore noble ou roturier, maître ou valet, dans l'opulence ou le dénuement, après cela seulement il est libre; et cette froissante et colossale inégalité du commencement d'une vie commune à parcourir, près de laquelle l'égalité qui suit n'est que dérisoire, est le dernier et le plus important débris du passé de l'humanité que nous ayons à faire disparaître pour qu'une association d'êtres intelligents devienne ce qu'elle doit être : également avantageuse et équitable pour tous, et ne fasse regretter à aucun de ses membres la lutte primitive et libre pour l'existence. | 5. — Esclaves et Prolétaires. N'est-ce pas une chose triste à penser que pareils regrets soient possibles? Et cependant, ces regrets ne seraient pas sans raison d'être, s'il faut en croire un des explorateurs du Congo, M. Jérôme Becker. M. Becker eut un jour une très curieuse entrevue avec le Bonaparte de la province d'Equatoria, Mi-rammbô, c'est-à-dire le faiseur de cadavres, un vrai type de roitelet nègre, marchand d'hommes, voleur d'ivoire, brûleur de villages et tant soit peu cannibale. Au récit des splendeurs de notre civilisation industrielle, le sauvage fut transporté d'enthousiasme, et s'écria que, dans ces beaux pays, les razzias devaient être inconnues et que, sans aucun doute, on se partageait fraternellement les richesses? Embarrassante question, à laquelle M. Becker déclare qu'il n'osa pas répondre, qu'il n'osa pas avouer que beaucoup de nos travailleurs « libres » s'estimeraient heureux de n'être pas plus mal traités que les esclaves de Tippou-Tib ou les sujets du roi Msiri. En Afrique du moins — dit-il en substance — le droit général à la culture du sol rend impossible l'effroyable prolétariat qui ronge les sociétés modernes. M. Becker a mis le doigt sur la plaie : partout où il y a des terres fertiles à la libre disposition du premier occupant, le capitalisme et son corollaire le salariat ne peuvent naître : Chacun préfère travailler pour son compte et, à moins d'employer la contrainte ou la violence, personne ne parvient à vivre, sans rien faire, aux dépens d'autrui. Tout le monde connaît l'histoire de ce grand capitaliste anglais qui partit pour l'Australie avec une cargaison de travailleurs et une voiture; il avait l'intention de se faire bâtir une maison par ses ouvriers, et de garder sa voiture, exactement comme en Angleterre. Mais, à ce que dit l'histoire, il lui fallut se résigner à demeurer dans sa voiture, car ses ouvriers le quittèrent pour aller travailler, à leur compte, sur les terrains libres d'alentour. Dans nos pays, au contraire, les capitaux fructifient, automatiquement pour ainsi dire, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la contrainte. Toutes les terres un peu fertiles sont occupées. Il existe des milliers et des milliers de travailleurs qui sont absolument dépourvus de tout capital et qui, par conséquent, ne peuvent vivre qu'en se mettant au service, moyennant salaire, de ceux qui détiennent les moyens de production. Seulement, il va sans dire que les capitalistes ne donnent pas gratuitement la jouissance de ces moyens de production et qu'ils se font payer, sous forme de rente ou d'intérêt, l'usage de leur terre ou de leurs capitaux. Les économistes bourgeois ne manquent pas de dire que cela est parfaitement légitime. N'est-il pas juste, naturel, inévitable, que le propriétaire d'un terrain, d'une fabrique, d'un capital quelconque, ne les mette à la disposition d'autrui que moyennant une rémunération? Pourquoi s'en dessaisirait-il pour les beaux yeux de son prochain.? Supprimez l'intérêt, vous tarissez les sources de l'épargne. Interdisez le bail à ferme, et les propriétaires laisseront leurs champs en friche. A tout cela, je n'aurai garde de contredire. Dès l'instant où l'on admet le capitalat, il faut en accepter les corollaires. Vouloir supprimer l'intérêt et la rente en maintenant la propriété privée, c'est vouloir empêcher un pommier de donner des pommes, un troupeau de moutons de produire des agneaux. Seulement, les socialistes soutiennent qu'à partir du moment où la propriété privée, fondée sur le travail personnel, a fait place à la propriété capitaliste, fondée sur le travail des autres, il y a un remède efficace aux abus que cette transformation entraîne, et ce remède, c'est Vextension du domaine collectif. Dans toute branche d'industrie où les capitaux appartiennent à la Nation — les chemins de fer, par exemple — la rente et l'intérêt, en un mot les profits, sont absorbés par la communauté, au lieu de passer dans le coffre-fort des individus. Si ce mode d'appropriation venait à se généraliser, si tous les moyens de production entraient dans le domaine public, nul n'aurait d'autres moyens d'existence que le travail — je laisse de côté, bien entendu, les institutions d'assurance et d'assistance. Ainsi se trouverait enfin réalisée cette parole de l'un des pères de l'Eglise : Ceux qui ne travaillent pas ne mangeront pas. Aujourd'hui, hélas! c'est trop souvent le contraire : Ceux qui ne travaillent pas, mangent trop, ceux qui travaillent ne mangent pas assez. 6. — Les Gras et les Maigres. Schweninger, le médecin de Bismarck, fait fortune en créant un sanatorium, où les riches vont se débarrasser de l'excès de leur graisse, et pendant ce temps-là, les administrateurs du Vooruit et du Volksbelang constatent qu'à la fin de chaque quinzaine, on voit invariablement décroître la consommation de pain, parce que les ouvriers gantois n'ont plus assez d'argent pour en manger à leur suffisance. Voulez-vous retrouver ce douloureux contraste dans des proportions plus vastes, plus émouvantes, encore? Et ce, dans le plus riche pays d'Europe, la France, dans la plus riche ville de France, Paris? M. Manouvrier a dressé, d'après les statistiques de Bertillou, une carte démographique indiquant la taille moyenne des conscrits, l'intensité des maladies contagieuses, le nombre des illettrés, dans chacun des vingt arrondissements. Les indications favorables sont teintées en rouge; les indications défavorables, en bleu. Eh bien! dès le premier coup d'œil, on constate une opposition véritablement effrayante entre le rouge, cœur de la ville, et la sinistre périphérie des faubourgs populaires : d'un côté, la taille des conscrits est au-dessous de la moyenne de la race; de l'autre, elle est au-dessus. Au centre, c'est le beau Paris, le Paris des larges boulevards, le Paris qui élit des conservateurs : Les maladies sont rares, les ignorants clairsemés, la taille haute ; elle atteint son maximum (im66) dans les quartiers de la Madeleine et des Champs-Elysées. Dans les faubourgs, au contraire, c'est le régime exclusif du bleu; la séparation des classes ne se marque pas seulement dans l'antagonisme de leurs intérêts ou de la diversité de leurs tendances; elle s'inscrit dans l'ossature des hommes qui les composent : la taille moyenne décroit à mesure que l'on s'enfonce dans les quartiers populaires; et, symbolisme profond que n'expliquent pas seulement les hasards de la guerre, elle atteint son minimum dans le quartier du Père Lachaise, où la Commune, agonisante, concentra son effort suprême, et vit périr la sainte canaille de ses derniers défenseurs. Devant de pareils faits, qui, dans l'enceinte d'une seule ville, constatent la dégradation collective de plus d'un million d'hommes, il est inévitable que les prolétaires en viennent à se poser certaines questions, grosses de foudroyantes tempêtes. Celle-ci, par exemple : combien coûte, à la communauté, l'entretien d'un millionnaire qui ne fournit aucun travail, — il en est, à coup sûr, — et qui prélève tous les ans quelque vingt-cinq mille francs sur le revenu national? Le calcul est simple : 25,ooo francs = le prix de 10,000 journées de travail de 2 fr. 5o, ce qui est à peu près la moyenne des salaires en Belgique. En d'autres termes, grâce à cette poule aux œufs d'or qui s'ap- pelle le capital, quiconque s'est donné la peine de naître millionnaire, obtient gratuitement, et chaque année, le prix de 10,000 journées de travail. Si cet heureux mortel devait être entretenu par un seul homme, il faudrait que ce pauvre diable peine pendant trente ans, et plus, pour produire une valeur égale au revenu de son maître. Si, dans notre complexe organisation sociale, le phénomène n'apparait pas avec cette clarté révolutionnaire, c'est parce que la dîme capitaliste pèse sur un grand nombre de tètes : au lieu d'un homme travaillant trente ans, il y en aura par exemple cent qui devront donner tous les ans 3o 0/0 de leur produit, ou bien trois cents qui seront obligés d'en abandonner 10 0/0. Mais qui soutiendra que la diffusion d'une injustice a pour résultat de la faire disparaître? Il n'est guère douteux que si la question se posait dans ces termes extrêmes, •— propriété sans travail et travail sans propriétéj — si les classes en présence se composaient exclusivement, l'une de fainéants exploiteurs, l'autre de travailleurs exploités, la solution ne se ferait pas longtemps attendre. Malheureusement, ou heureusement, cela dépend des points de vue, la lutte des classes ne se produit pas dans de telles conditions de simplicité. A côté des parasites, dans toute la force du terme, il y a, dans la classe bourgeoise, un grand nombre d'hommes, le plus grand nombre même, qui ne vivent pas exclusivement de la substance d'autrui. Ce sont à la fois des travailleurs et des capitalistes : leur revenu dérive pour partie de leur travail, pour partie du travail des autres, et c'est leur exemple qu'on invoque pour soutenir que les profits du capital sont légitimes. Nous allons examiner brièvement l'argumentation de ceux qui parlent ainsi, et démontrer que les profits de la classe capitaliste ne sont nullement en rapport avec les services qu'elle rend à la communauté. Stef Ï'H ; 1 ;I!g v-i CHAPITRE II. Les profits des capitalistes. □Il i Il; 1 IHin i Si nous prenons un industriel quelconque, à la l'ois capitaliste et chef d'entreprise, ses profits peuvent être décomposés en trois éléments : i° Rémunération des capitaux mobiliers et immobiliers engagés dans Ventreprise (rente et intérêt); . 2° Rémunération du travail de direction ; 30 Prime d'assurance contre les risques. Je pense que nous pouvons écarter immédiatement de la discussion ce dernier élément : les ouvriers qui crèvent de faim en temps de crise, et qui sont jetés sur le pavé quand on ferme l'usine, courent des risques au moins aussi grands que le patron qui est menacé de faire faillite. Au surplus, si le risque existe pour les individus, il n'existe pas pour la classe capitaliste. Les individus perdent, gagnent, spéculent, agiotent; la classe, quoiqu'il arrive, s'enrichit aux dépens des travailleurs. C'est ainsi, par exemple, que certains charbonnages sont en perte, et que leurs actionnaires se ruinent, mais, sauf quelques années exceptionnelles, l'industrie charbonnière, dans son ensemble, réalise constamment des bénéfices. Toutes autres conditions restant égales, la collectivité, devenant propriétaire des mines, ne courrait, par conséquent, aucun risque de faire des pertes. De ce côté donc, aucun argument à tirer en faveur du système capitaliste. En revanche, on insiste sur les autres éléments du profit, et l'on soutient que le maintien de l'hérédité capitaliste est indispensable, parce que la classe bourgeoise remplit, et qu'elle seule peut remplir, deux fonctions essentielles : i° C'est elle qui capitalise, qui accumule le capital social; 2° qui dirige la production industrielle et les opérations commerciales. En réalité, donc, les capitalistes seraient de véritables fonctionnaires, avec plus de responsabilité et plus d'initiative, et, en échange de leurs services, ils reçoivent le salaire du travail de direction qu'ils fournissent, et le salaire des privations qu'ils s'imposent en épargnant, au lieu de manger leur blé en herbe. Qu'il y ait une âme de vérité dans cette argumentation, nous ne songeons nullement à le contester. Si les capitalistes venaient à disparaître, du jour au lendemain, on s'apercevrait, à coup sûr, qu'ils ne sont pas complètement parasites; mais, en revanche, il n'est pas difficile de démontrer : i° Que, déplus en plus, leur classe exerce les fonctions qui lui incombent de manière défectueuse et onéreuse; 2° Que d'autres organes pourraient remplir ces fonctions, et commencent, dès à présent, à le faire, dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes. C'est ce que nous allons examiner successivement pour la direction des entreprises et les nécessités de la capitalisation. | i. — Direction des Entreprises. A entendre la plupart des économistes, c'est la rémunération du travail de direction qui constitue la majeure partie des profits : les prolétaires ne gagneraient donc rien ou presque rien à l'appropriation collective, puisqu'il faudrait payer, sous forme de traitements, ce que les capitalistes reçoivent maintenant, sous forme de profits. Bien plus, ils y perdraient sans doute, parce que le fonctionnaire prendrait sa tâche bien moins à cœur que l'entrepreneur libre. L'argument ne manque pas d'une certaine portée dans la petite, et même dans la moyenne industrie, lorsqu'il s'agit d'un paysan qui peine avec deux ou trois valets de ferme, ou d'un filateur de Roulers ou d'Eecloo, qui entre dans sa fabrique avant l'aube, vêtu comme le dernier de ses ouvriers, travaille d'ar-rache-pied pendant treize et quatorze heures, et souvent, après que la cloche a sonné pour les autres le repos du soir, s'use encore les yeux à faire de la comptabilité. En revanche, il existe des industries, de plus en plus nombreuses, à mesure, que les capitaux se concentrent, où la part du travail de direction ne représente plus qu'une faible partie des profits, et où la personne de l'entrepreneur cesse de se confondre avec celle des capitalistes ; c'est le domaine des sociétés anonymes, dirigées bureaucratiquement par un personnel de salariés. L'exemple le plus frappant que nous puissions choisir, c'est l'industrie charbonnière. Transportons- nous au pays noir : nous y trouverons tout un peuple de travailleurs, avec ou sans calus, des ouvriers, des ingénieurs, des directeurs de charbonnages. Les uns gagnent 1,000 francs, d'autres 100,000; tous, néanmoins, sont des salariés. Mais ce qu'on ne voit pas, ce qui ne semble pas exister, ce sont les propriétaires. Où sont-ils? où se cachent-ils? à qui appartiennent ces charbonnages? Demandez-le à ce vieux houilleur, qui erre là-bas, près des terris, et il vous répondra, comme le père Bonnemort, dans Germitial : « Je ne sais pas... à des gens! » Des gens que l'on ne connaît pas, qui ne viennent jamais dans le pays, qui mangent leurs rentes à la ville et qui ne savent peut-être pas où est la fosse dont leur famille est actionnaire de père en fils. Eh bien ! je vous pose cette question : Supposez que la collectivité exproprie ces actionnaires, fasse rentrer les charbonnages dans le domaine public, procède de même à l'égard de toutes les industries où la propriété et le travail sont complètement séparés, qu'y aura-t-il de changé? Y aura-t-il une tonne de charbon en moins sur le marché du monde? Les métiers s'arrèteront-ils dans les linières, les self-actors dans les fabriques de coton ? Les ouvriers cesseront-ils de puddler, de laminer, de souffler des manchons dans les verreries; les cornues gigantesques cesse-ront-elles de digérer les matières premières dans les usines de produits chimiques? Non! Ce qu'il y aura de changé, c'est qu'un certain nombre de parasites, — personnellement indemnisés, — ne pourront transmettre à leur intéressante progéniture les moyens d'exploitation dont ils disposent; c'est qu'à partir de ce moment, les flots de richesses que le travail humain fait jaillir, iront dans les caisses de l'Etat ou des. compagnies de travailleurs, au lieu d'aller se déverser dans les coffres-forts des capitalistes. C'est pourquoi, dans toutes les industries où la production se fait sur une grande échelle, où les capitaux sont concentrés en quelques mains, où l'entreprise est dirigée bureaucratiquement, les collectivistes réclament l'appropriation collective des moyens de production. Dans la petite industrie, au contraire, où l'expropriation présenterait actuellement des difficultés insurmontables, et peut-être des inconvénients au point de vue de la production, sans grands avantages au point de vue de la répartition : c'est le domaine de l'entreprise privée, capitaliste aujourd'hui, coopérative demain. § 2. — Capitalisation. L'autre fonction essentielle que l'on assigne à la classe capitaliste, c'est l'accumulation, par l'épargne, des capitaux nécessaires à la production. De cette initiative laissée aux particuliers résultent deux conséquences, contradictoires, mais également nuisibles à la communauté : chez ceux qui épargnent, l'avarice de la fourmi; chez ceux qui n'épargent pas, la prodigalité de la cigale. La capitalisation livrée à elle-même, c'est l'égoïsme, l'instinct propriétaire, la sécheresse de cœur chez les uns, le gaspillage, l'insouciance, les folles et inutiles dépenses chez les autres. Mais, dira-t-on sans doute, comment ferez-vous pour remplacer l'épargne individuelle ? Ce que l'on fait déjà dans les sociétés coopératives ou dans les services publics : la société ou l'Etat prélève sur les bénéfices de l'exploitation ce qui est nécessaire au développement de l'outillage et à la marche de l'entreprise. Au lieu de l'épargne individuelle, nous aurons l'épargne collective. L'élite de la classe ouvrière, dès à présent, au lieu de porter son argent à la caisse d'épargne, constitue le patrimoine collectif des syndicats, des coopératives, des secours mutuels. Au lieu d'être propriétaire d'un livret de cent francs, le socialiste affilié à la Maison du Peuple devient co-propriétaire d'une grande boulangerie, d'un magasin de charbon, d'une épicerie, d'un capital de plusieurs centaines de mille francs. Le côté égoïste de l'épargne disparait; ses avantages se multiplient à l'infini. Et, ce qui marque mieux encore la possibilité et l'extension croissante de la capitalisation collective, c'est l'agrandissement continu du patrimoine collectif, du domaine public, depuis un demi-siècle. Il existe, dès à présent, dans tous les pays, un certain nombre d'industries, où l'accumulation des capitaux n'est pas l'œuvre des particuliers, mais bien celle de l'Etat ou des communes. C'est le cas, par exemple, pour l'industrie des chemins de fer, les postes, les télégraphes, les téléphones, la fabrication de la monnaie, le service des eaux et du gaz dans certaines villes. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les charbonnages, comme en Prusse; l'industrie du tabac, comme en France; la fabrication de l'alcool, comme en Suisse. Ce n'est pas là du collectivisme, dira-t-on. Sans doute, car ces industries sont des dépendances de l'Etat, et ne jouissent d'aucune autonomie. Il n'enect 16 pas moins vrai que leur appropriation par la communauté constitue un premier pas vers le collectivisme. $3. — Collectivistes sans le savoir. La plupart des adversaires du collectivisme ne se rendent pas assez compte que cette doctrine ne fait que prolonger les tendances sociales actuelles. Beaucoup de bourgeois se figurent naïvement que le régime collectiviste s'établira tout d'un bloc, ou bien ne s'établira pas du tout. Et ceux-là diraient volontiers, comme Louis XV : « Après nous le déluge »; llodbertus nous promet un répit de cinq siècles; La-salle n'est pas loin de nous en accorder deux. Ce sera donc pour nos arrière-petits-neveux. Ergo, dormons sur les deux oreilles, et si les socialistes veulent devancer l'échéance fatale, nos fusils de garde civique sont prêts à faire cause commune avec les baïonnettes des paysans. Or ça! regardez donc autour de vous, bonnes gens. Voyez les grèves qui se multiplient, les émeutes qui éclatent de toutes parts, les insurrections qui se succèdent avec la régularité de phénomènes naturels : vous comprendrez que nous sommes déjà dans la fumée de la révolution sociale. Et, si vous voulez vous rendre compte des transformations de la propriété depuis un siècle, voyez la progression des budgets dans les grands pays démocratiques, et spécialement en France ou en Angleterre. Il en est des Etats comme des hommes : d'après le montant de leurs dépenses, on peut généralement se faire une idée de l'importance de leur domaine. » Saluez ce budget d'un milliard, disait M. Thiers, en i83o, à la Chambre française, vous ne le verrez plus. On est arrivé aujourd'hui à 4 milliards 235 millions de francs. En Angleterre, le budget de fEtat dépasse actuellement 4 milliards, rien que pour les services civils, soit le centuple de ce qu'il était en 1817. Et le phénomène se marque, avec une évidence plus grande encore, dans les municipalités : leurs dépenses ont doublé depuis vingt ans et s'élèvent aujourd'hui à plus d'un milliard et demi. Le socialisme communal a conquis droit de cité dans la plupart des grandes villes d'Ecosse et d'Angleterre, Glasgow, par exemple, nous donne une idée assez nette de ce qui existera dans quelques années, à Bruxelles, à Gand ou à Liège : La cité a organisé l'enseignement obligatoire et gratuit; elle offre un repas aux enfants nécessiteux fréquentant les écoles publiques, elle fournit aux habitants le gaz, les appareils d'éclairage et de chauffage et elle éclaire les escaliers communs des maisons à plusieurs logements; propriétaire des tramways, elle met à la disposition des ouvriers des trains presque gratuits, le matin et le soir; des salles de natation, des lavoirs publics; elle a fait plus encore : après avoir exproprié des quartiers encombrés, elle a construit des maisons qu'elle loue aux familles les moins aisées. Pour subvenir à ces dépenses croissantes, la municipalité de Glasgow, de même que les autres municipalités anglaises, recourt, — outre les emprunts, — à deux sources de revenus : l'impôt et les bénéfices réalisés par les industries socialisées. Cette dernière source de revenus devient de plus en plus importante ; d'après M. Sidney Webb, le domaine collectif des communes anglaises comprend notamment le quart des lignes de tramways et la moitié des usines à gaz du Royaume-Uni. D'autre part, en même temps que le domaine collectif s'étend, la propriété privée prend un caractère de plus en plus relatif. Avec le progrès des lois de fabrique, les capitalistes en arriveront à devoir se gérer à peu près de même que les directeurs d'une entreprise collectiviste : une industrie où la journée de travail serait fixée par la loi, où les ouvriers participeraient aux bénéfices, discuteraient les règlements, feraient avec les patrons des contrats collectifs, délibéreraient avec eux dans les chambres d'explication, de conciliation et d'arbitrage, ressemblerait au moins autant à un service public qu'à une entreprise privée. Joignez à cela les progrès du régime coopératif, que l'on pourrait appeler le collectivisme spontané, et vous en arriverez à conclure que toutes les tendances de l'industrie et du monde moderne, concourent à la désagrégation du régime capitaliste : la coopération dans la petite industrie, le collectivisme proprement dit dans la grande, les progrès de l'association ouvrière et de la législation industrielle dans toutes les branches de la production. Dans la répartition des richesses sociales, la part de l'Etat et celle des travailleurs augmente; donc, par voie de conséquence nécessaire, la part du capital diminue ; l'influence grandissante du domaine collectif exerce sur le taux des profits une influence aussi fatale, aussi irrésistible que l'attraction de la lune sur le niveau des marées. Il y aura plus ou moins de secousses, de crises, d'oscillations secondaires, mais il est inévitable que le collectivisme constitue un jour la forme dominante. Dans une pareille société, où les capitaux trouveront un placement d'autant plus difficile que le domaine privé aura des proportions plus réduites, il est incontestable que les rentiers, les oisifs, les inutiles auront la vie dure. En revanche, la communauté disposera d'un magnifique patrimoine qui lui permettra d'agir puissamment, par des institutions de toute espèce, sur le développement intellectuel, moral et matériel de tous et de chacun de ses membres. CHAPITRE III. Les objections. On fait généralement à la théorie collectiviste les objections suivantes : Du côté des anarchistes : le collectivisme n'abolit pas le salariat. Du côté des conservateurs : i° Productivité décroissante du travail à mesure que la propriété collective prendra de l'extension; 2° Lésion permanente de la liberté individuelle, affaiblie ou détruite par l'omnipotence de l'État; 3° Impossibilité des dépenses de luxe, qui sont le charme de la vie, la fleur des civilisations modernes. Nous examinerons brièvement ces diverses objections. § i. — Maintien du Salariat. le socialisme en belgique Il est parfaitement exact que la socialisation des moyens de production n'implique pas nécessairement l'abolition du salariat. Les ouvriers des arsenaux de l'État sont des salariés, au même titre que les femmes de la Linière gantoise ou les boulangers du Vooruit. Ce n'est certes pas notre idéal. Nous aspirons ardemment aux transformations morales qui rendront possibles la coopération de tous les producteurs d'abord, et peut-être aussi, — car il n'est idéal si pur que l'avenir ne puisse réaliser, — la communauté anarchiste, débordante de fraternité et de richesse où chacun faisant ce qu'il voudrait, comme dans l'abbaye de Thélème, donnerait selon ses forces et prendrait selon ses besoins. Mais il faudrait, pour en arriver là, que les écorccs de nos cerveaux, si frustes et si grossières encore, soient immensément développées et raffinées. Et c'est à des réformes immédiatement réalisables qu'il faut demander les premiers éléments de cette transformation : l'instruction répandue à flots, la journée de travail réduite, la consommation de l'alcool restreinte ou supprimée, — autant de moyens d'améliorer la race et de préparer l'avènement des formes sociales de l'avenir. Il faut tenir compte de ces transformations morales pour apprécier à leur juste valeur les autres objections des adversaires du collectivisme. $ 2. — Diminution de la Productivité. En ce qui concerne le travail d'exécution : les ouvriers, recevant le produit intégral de leur travail, sous déduction du prélèvement nécessaire aux besoins de la collectivité, — seraient beaucoup plus stimulés au travail que sous le régime actuel. En ce qui concerne le travail de direction. — Nous avons vu que dans les industries où la formule collectiviste devient applicable, la direction des affaires appartient, dès à présent, à des administrateurs salariés. En quoi le directeur d'un charbonnage deviendrait-il moins diligent parce que son traitement lui serait payé par l'État, au lieu de lui être assuré par quelques douzaines d'actionnaires? A ne considérer que l'intérêt pécuniaire, la force motrice des deux systèmes serait sensiblement équivalente. Mais il faut tenir compte, en faveur de la solution collectiviste, d'un facteur moral dont l'influence ira toujours grandissant : au lieu d'être les subordonnés d'une société anonyme, ceux qui dirigent actuellement l'armée industrielle, deviendraient des hommes publics, investis par les travailleurs eux-mêmes d'un mandat de confiance, aiguillonnés, non seulement par leur ambition personnelle, mais par des sentiments altruistes dont il est impossible de méconnaître les incessants progrès. Les officiers de nos armées n'hésitent devant aucun sacrifice, y compris celui de leur vie, pour maintenir l'honneur du drapeau. Faut-il en attendre moins des capitaines de l'industrie, quand ils cesseront d'être des garde-chiourmes ou des chefs de mercenaires? Nous ne saurions nous résigner à admettre que cette abnégation, cette énergie, cette solidarité que l'on obtient des hommes, quand il s'agit d'envoyer du plomb à leurs semblables, on ne puisse l'obtenir quand il s'agira de leur donner du pain. § 3. — Omnipotence de l'État. A ceux qui prétendent que le collectivisme étoufferait, dans toutes ses manifestations, la liberté humaine, on pourrait se borner à répondre que rien ne serait changé : autant vaudrait être tyrannisé par les employés de l'État que par les employés des patrons. Mais nous pouvons laisser de côté cet argument négatif, et nous ne contesterons certes pas que notre État moderne, l'État gendarme, l'État veilleur de nuit, remplirait fort mal les multiples fonctions qui lui incomberaient en régime collectiviste. Autant vaudrait charger les brigadiers de la gendarmerie, les commissaires de police, les vieilles culottes de peau qui peuplent nos régiments, de diriger les usines, d'administrer les universités, de conserver les musées ou de former les bibliothèques. L'État capitaliste, nous l'avons dit, a pour but le gouvernement des hommes : il lui faut des pouvoirs centralisés, des ministres à poigne, des soldats obéissant aveuglément à la consigne ; élargissez son domaine et vous créez une vaste caserne, vous instaurez une république de ronds de cuir! L'État collectiviste, au contraire, aura pour but l'administration des choses. Il lui faudra une organisation décentralisée, des hommes de science et de pratique, des forces industrielles auxquelles on demandera'surtout de la spontanéité et de l'initiative. Aujourd'hui, suivant l'expression de Saint-Simon, l'Etat est l'organe de ceux qui ont contre ceux qui font. Demain, il sera l'organe de ceux qui font contre ceux qui ont. g 4. — Impossibilité des dépenses de luxe. L'un de nos plus savants magistrats me disait un jour : « Qui donc, dans votre société collectiviste, pourra faire des consommations de luxe, manger les perdreaux et le foie gras, boire le Champagne et le bourgogne, orner sa maison d'œuvres d'art? » Je me suis efforcé de calmer ces légitimes inquiétudes, en lui faisant observer que l'idéal ne consiste pas précisément à payer tout monde quatre francs par jour et à établir, pour tous les citoyens, le cirage de bottes obligatoire. Néanmoins, il ne faut pas se dissimuler que l'abaissement graduel des profits du capital aura pour résultat de diminuer les dépenses de luxe, avec beaucoup plus d'efficacité que les lois somptuaires proposées jadis par le vieux Caton. Seulement, ici encore, il est fort probable que les idées se modifieront en même temps que les circonstances, et que le luxe public, fécond en jouissance, pour tous, se substituera, dans une large mesure, au luxe privé, qui coûte tant de misères et de souffrances ; car on peut ériger en règle que les choses les plus superflues sont produites par les gens à qui manquent les choses les plus nécessaires. Avez-vous déjà songé, en voyant une mondaine aux premières loges d'un théâtre, que, sur chacun des accessoires de sa toilette, il y a peut-être du sang et des larmes. La matière première de son éventail à monture d'ivoire, c'est une défense d'éléphaut, volée dans quelque village nègre, et Stanley vous dira qu'aucune d'elles n'arrive sur les marchés d'Europe sans avoir coûté la vie à un ou deux êtres humains. Son écharpe de dentelles a été faite, pour un salaire de famine, par une de ces malheureuses que la nature de leur travail voue fatalement à la tuberculose. Peut-être la batiste de son mouchoir a-t-elle été tissée par un de ces ouvriers de Cambray, qui, — de l'aveu d'un ministre, — en sont réduits à aller dans les cours des distilleries manger la pulpe des betteraves, dont les cochons ne veulent pas. Et si vous me parlez de ses diamants, je vous signale la description des mines du Cap par le capitaine Becker : les ouvriers nègres sont gardés, nuit et jour, par des geôliers armés de revolvers et chargés, — pour éviter que les noirs avalent et emportent des pierres précieuses, — d'analyser leurs excréments, après les avoir purgés d'office. Nous ne pensons pas assez à ces choses. Les femmes ne savent pas ce que chacun de leurs bijoux représente de forces perdues et d'existences sacrifiées. Les enfants des riches sont élevés à l'écart du pauvre ; ils en ignorent presque l'existence, comme ce prince des légendes hindoues, que son père tenait enfermé dans ses beaux palais et ses jardins en fleurs, pour cacher à ses yeux les chagrins et les misères de ce monde. Mais, de plus en plus, ces ignorances deviennent impossibles, car les pauvres pénètrent dans les jardins, s'assemblent autour des palais. Les uns demandent du pain, parce qu'ils sont affamés; mais il en est d'autres, qui réclament quelque chose de plus : ce qu'ils veulent, ce qu'ils exigent, ce qu'ils sauront prendre au besoin, c'est une place au soleil, au soleil de l'art et de la science. Ils ne revendiquent pas seulement le collectivisme des biens matériels, mais encore et surtout, le collectivisme des trésors intellectuels. Au surplus, l'un ne va pas sans l'autre : le capitalisme engendre le luxe privé, la science fragmentaire et l'art pour l'art « formule dé- sespérée des natures artistes qui n'entendent plus l'écho leur répondre » ; le socialisme développera le luxe collectif, la science coordonnée et consciente de son but final, l'art compris par la masse et fécondé par elle. Lorsque l'humanité, au lieu d'être asservie par les machines sera servie par ses esclaves de fer, on verra renaître ces merveilleuses floraisons que la Grèce fit éclore, grâce aux loisirs que lui faisaient ses esclaves de chair. Comme au siècle de Périclès, les maisons seront simples, mais, dans la splendeur des monuments, tous pourront contempler la radieuse beauté des chefs-d'œuvre. Et alors s'effaceront les dissentiments et les haines qui nous séparent et nous déchirent, pour faire place à cette loi profonde, que nos ancêtres ont connue pendant les deux grandes époques de leur histoire : l'antiquité polythéiste, au temps où les dieux du Parthénon profilaient leur blancheur sur le ciel pur de la Grèce ; le moyen-âge chrétien, lorsque les plus humbles des artisans et les plus hautains des philosophes courbaient également la tête sous les arceaux des cathédrales gothiques. LE COLLECTIVISME Lettre au « Courrier de Bruxelles » W (1895). Vous m'avez demandé un exposé du Collectivisme, abstraction faite de toute critique du régime capitaliste. C'est formuler une conclusion, sans parler des motifs qui la justifient. J'accepte cependant, parce que les faits — malheureusement — parlent d'eux-mêmes, et que, d'ailleurs, l'Encyclique Rerurn novarum condamne le régime actuel avec autant de sévérité que le Manifeste des Communistes. Nous sommes donc d'accord sur ce que je ne ferai pas. Reste à savoir ce que je ferai. Vous prétendez m'imposer « la description détaillée et complète de tous les rouages de la Société col- (i) Journal conservateur catholique. lectivistc ». C'est à peu près comme si l'on exigeait d'un chrétien l'exposé minutieux des conditionsd'exis-tence dans la vie future ! Si je consentais à me placer sur ce terrain, vous me reprocheriez avec raison de sortir du domaine scientifique pour m'envoler vers les châteaux de l'hypothèse. Nous ne sommes pas de ces architectes sociaux qui veulent, du jour au lendemain, reconstruire la société sur des plans nouveaux. Ce qui distingue précisément le socialisme positiviste du socialisme utopiq'ue, c'est qu'il considère la Société, non pas comme un mécanisme, mais comme un tout organique, soumis aux lois de l'évolution. Et de même qu'il serait absurde de vouloir prédire la destinée d'un enfant quand il commence à se former dans les entrailles de sa mère, de même il serait prétentieux, ou naïf, de vouloir décrire « dans leurs plus minutieux détails » les sociétés collectivistes de l'avenir. Tout ce que nous croyons pouvoir affirmer — en nous appuyant sur les antécédents historiques et les tendances actuelles — c'-est que le régime qui tend à se substituer au régime capitaliste sera caractérisé par les traits suivants : i° Au point de vue de la propriété : appropriation collective des moyens de production etde circulation (terre, mines, fabriques, instruments de crédit, moyens de transport) — les moyens de consommation restant propriété personnelle. 2° Au point de vue de la production : direction des affaires, livrées aujourd'hui à des capitalistes concurrents, par des administrations publiques autonomes, sous la surveillance de l'Etat. 3° Au point de vue de la répartition ; rémunération des travailleurs, proportionnée soit à leurs besoins, -oit à la valeur de leur travail. Sur ce dernier point, nous aurons à nous expliquer dans la troisième par-lie de notre exposé. En résumé donc, le Collectivisme intégral implique trois conditions, relatives à la propriété, à la production et à la répartition. Des réalisations, fragmentaires et incomplètes, de cet état de choses se rencontrent déjà dans la société actuelle. L'appropriation collective existe dès à présent pour le domaine de l'État et des communes. La production est socialisée, comme elle le serait en régime collectiviste, dans un certain nombre dé vastes entreprises, — nationales et internationales,— telles que la société Solvay, pour la fabrication delà soude, le Syndicat des fabricants de pinceaux de Nuremberg ou les trusts des raffineurs de sucre ou de pétrole aux Etats-Unis. Enfin, les sociétés coopératives de production, ou, tout au moins, certaines d'entre elles, réalisent approximativement notre idéal au point de vue de la répartition des produits. Mais, nulle part, les trois conditions que nous venons d'énumérer ne se trouvent réunies dans une même institution : les domaines de l'Etat sont exploités, en mode capitaliste; les industries socialisées au point de vue technique appartiennent à des part iculiers ; les sociétés de production n'ont généralement qu'un minuscule patrimoine. Seulement, on voit fort bien que tout pas en avant, dans le sens de l'appropriation collective de la production socialisée ou de la répartition égalitaire, constitue un acheminement vers le Collectivisme intégral. Or il est impossible de dénierque les tendances sociales actuelles, — aussi bien que les principes de justice qui les influencent, — poussent irrésistiblement les sociétés modernes dans cette direction. C'est ce que nous allons brièvement examiner au triple point de vue de l'appropriation, de la production et de la répartition. | i. — L'Appropriation. Le principe, ou plutôt la constatation de fait, qui sert de base aux théories collectivistes, se trouve formulée -de la manière suivante dans la déclaration de principes du Parti Ouvrier belge : Les richesses, en général, et spécialement les moyens de production, sont ou des agents naturels ou le fruit du travail, — manuel et cérébral, — des générations antérieures aussi bien que delà génération actuelle; elles doivent, par conséquent, être considérées comme le patrimoine commun de l'humanité. Le droit à la jouissance de ce patrimoine, par des individus ou par des groupes, ne peut avoir d'autre fondement que l'utilité sociale, et d'autre but que d'assurer à tout être humain la plus grande somme possible de liberté et de bien-être. Dans notre pensée donc, le droit de propriété n'a rien d'absolu. Il se fonde exclusivement sur l'utilité générale. « La richesse, sociale dans sa source, doit être sociale dans son emploi » (A. Comte). La propriété — ou mieux, la possession — peut être privée, personnelle, si l'intérêt géoératle permet ou l'exige, mais, pour que nous admettions cette justification, il faut que cet intérêt soit démontré. En d'autres termes, tandis que la présomption est aujourd'hui en faveur de l'individualisme, dès l'instant où on admet notre point de départ — qui se justifie par la critique du Capitalisme — la présomption est en faveur du Collectivisme. Est-ce à dire que nous réclamions immédiatement, d'un seul bloc, l'appropriation collective de tous les moyens de production et de circulation ? Le soutenir, c'est méconnaître cette thèse fondamentale du socialisme collectiviste : L'appropriation collective n'est socialement utile que dans les branches d'industrie où la concentration des capitaux a fait disparaître la petite propriété, fondée sur le travail. Ce ne sont pas les socialistes qui veulent enlever au commerçant sa boutique, au petit patron son établi, au paysan le lopin de terre qu'il gratte péniblement. Ceux-là sont expropriés, ruinés, décapitalisés par les gros capitalistes : la fabrique tue la manufacture, le grand magasin écrase le petit commerce, les farmers des Etats-Unis font une mortelle concurrence à nos campagnards. Et pendant que les vaincus crèvent de faim et courent à la faillite, les capitaux se concentrent dans les mains des vainqueurs. Cette concentration capitaliste aboutit fatalement aux conséquences suivantes : i° La concurrence dégénéré en monopole : Quelques individus arrivent à dominer des branches entières d'industrie et forment des syndicats, des « trusts », des «cartels», qui ont trop souvent pour résultat de faire hausser les prix au détriment des consommateurs. 2° Les entrefrises doivent être administrées bu-reancratiquement : Dans la grande industrie, les capitalistes, — sauf de rares exceptions, — cessent de diriger eux-mêmes l'entreprise et se font remplacer par des employés et des directeurs salariés, qui se trouvent dans une situation tout à fait analogue à celle des employés et fonctionnaires de l'État. 3° Enfin, la Société tend à se diviser en deux classes héréditaires, dont l'une peut jouir de la propriété sans travail, tandis que l'autre doit travailler sans jouir de la propriété. C'est ainsi, par exemple, que, d'après l'enquête belge de 1892 sur les salaires et budgets ouvriers, 1.08 0/0 seulement des recettes provient d'autres revenus que du salaire et des secours accordés par la bienfaisance. Et, d'autre part, à côté de ces prolétaires sans propriété, combien n'y a-t-il pas d'individus dans la classe bourgeoise qui ont acquis leur propriété sans travail et qui bornent leur activité à tirer des pigeons, à se faire plumer dans les tripots, à entretenir des lilles, voire même, comme Lebaudy, — le petit veau d'or, — à organiser des combats de taureaux. C'est à cette catégorie d'individus, — et non pas à la petite bourgeoisie travailleuse, — que les collectivistes s'attaquent. C'est exclusivement dans les branches d'industrie où la concentration capitaliste s'est déjà opérée, que leurs formules deviennent applicables. La petite industrie et le petit commerce constituent le domaine, le champ d'expériences de l'association libre. La grande industrie, au contraire, doit être le domaine du collectivisme et c'est pourquoi le Parti Ouvrier réclame, et se borne à réclamer: L'expropriation pour cause d'utilité publique des mines, lies carrières, du sous-sol en général, ainsi que des grands moyens de production et de transport. Remarquons au surplus que l'exécution progressive de ce programme ne fera que prolonger les tendances qui existent déjà dans la société actuelle. Depuis quelques années en effet, l'extension progressive du domaine colletif, — chemins de fer, canaux, téléphones, monopoles de l'alcool, du tabac, des allumettes, etc. — constitue l'un des phénomènes les plus caractéristiques de l'évolution sociale. On peut dire que, dès à présent, tous les gouvernements font du collectivisme sans le savoir. Bien que nous ayons l'intention d'exposer, plutôt que de discuter, il est impossible, de passer sous silence l'objection suivante, que M. Beernaert reproduisait il y a quelques mois dans un discours prononcé au début de la période électorale de 1894 : 1 Qu'est-ce que les grands moyens de production? A partir de quel moment un moyen de production devient-il suffisamment grand pour devenir expro-priable? Cette distinction entre la grande et la petite propriété est nécessairement arbitraire ». L'objection serait péremptoire, nous le reconnaissons bien volontiers, si l'expropriation devait s'effectuer sans indemnité. Nous sommes les premiers à dire que la limite serait impossible à définir et que la confiscation brutale, révolutionnaire, sans indemnité accordée aux individus, léserait une infinité d'intérêts respectables et, — contrairement à la justice, — infligerait le môme sort aux travailleurs qui auraient épargné et aux épargneurs qui auraient fait travailler les autres. 2,96 le socialisme en belgique En revanche, l'objection tombe des l'instant où on admet le principe de l'indemnité aux individus. Peu leur importe alors qu'on les exproprie, puisqu'ils reçoivent la contre valeur de ce qu'ils abandonnent. Mais, dira-t-on, où donc la collectivité trouvera-t-elle les ressources nécessaires pour exproprier? En faisant payer par la classe capitaliste dans son ensemble les indemnités accordées aux individus, en indemnisant les vivants au moyen du capital des morts. C'est pourquoi le Parti Ouvrier inscrit à son programme : i° Suppression de l'hérédité ab intestat, sauf en ligne directe et dans des limites à déterminer; 20 Impôt progressif sur les legs et donations entre vifs (sauf en cas de libéralités faites à des œuvres d'utilité publique). Grâce à cet impôt progressif, qui deviendrait de plus en plus sévère et absorberait une part de plus en plus grande des successions et donations entre vifs, l'État disposerait de ressources suffisantes pour augmenter progressivement le domaine collectif. Remarquons en outre, qu'à mesure que s'étendra ce domaine, les revenus collectifs iront en augmentant et faciliteront, par conséquent, la reprise d'industries nouvelles. § 2. — La production. Nous avons indiqué le but poursuivi parles collectivistes, — socialisation des moyens de production, — les moyens que l'on propose pour y arriver sans convulsions révolutionnaires, — limitation de plus en plus stricte de l'hérédité. Mais, jusqu'à présent, nous n'avons pas touché aux problèmes de' la production et de la répartition. On pourrait, il est vrai, ne rien changer au système actuel et concéder le domaine collectif à des individus ou à des groupes, moyennant intérêt, loyer ou fermage. Il y aurait toujours cela de gagné que ces profits iraient à tous, au lieu d'aller à quelques-uns. Néanmoins, la plupart des collectivistes vont plus loin et demandent la socialisation, non-seulement des moyens de production, mais de la production même. On objecte que cette socialisation du travail porterait atteinte à la liberté individuelle, parce que l'État centraliserait l'autorité exercée et partagée aujourd'hui par des centaines de chefs d'industrie. Nous ne voulons pas examiner si les prolétaires perdraient au change et si l'autorité impersonnelle de l'État qui, dans un régime démocratique, émanerait de leur volonté même, ne vaudrait pas infiniment mieux que l'autorité personnelle d'un patron, ne connaissant d'autre règle que son bon plaisir. Inutile de disputer sur ce point, car ce que les collectivistes demandent, ce n'est pas XEtatisation, mais la Socialisation de la production. En d'autres termes, ce n'est pas à l'État politique, chargé du gouvernement des hommes, qu'ils proposent de confier l'exploitation du domaine collectif. Comme le dit fort bien M. Schaeffle, le savant et impartial critique des théories socialistes, en régime collectiviste les services publics seraient autonomes : « L'exploitation productive pourrait et devrait être aux mains d'établissements et de corporations 'distinctes qui, sous la simple surveillance du gouvernement et sous l'empire des lois, exerceraient leur industrie d'une manière indépendante ». C'est ce qui existe déjà, pour l'exploitation des chemins de fer, dans plusieurs colonies anglaises, et notamment dans la Nouvelle Galles du Sud. Le comité d'exploitation, nommé par le Parlement, reste absolument distinct des ministères proprement dits et ne subit pas le contre-coup des fluctuations ministérielles. Au surplus, il n'est pas nécessaire d'aller si loin : l'administration des chemins de fer de l'État, en France, présente une organisation analogue et, sous nos yeux mêmes, dans les Fédérations du Parti Ouvrier, nous trouvons une miniature de ce que sera la séparation des pouvoirs politiques et des fonctions économiques en régime collectiviste. Les affiliés de la Maison du Peuple font partie à la fois de la Coopérative, — organe économique, — et de la Fédération Bruxelloise, — organe politique. Ces deux assemblées se composent, à peu de chose près, des mêmes membres. Elles exercent une assez grande influence l'une sur l'autre : la coopérative alimente, au moins en partie, les groupes politiques; ces derniers réagissent à leur tour sur le mouvement coopératif. Les deux organisations ne sont donc pas séparées l'une de l'autre, pas plus que l'estomac et le cerveau; mais elles conservent leur autonomie et sont administrées par des hommes différents : d'un côté ceux qui ont des aptitudes politiques; de l'autre, ceu* qui ont des aptitudes commerciales. Il en sera de même dans les sociétés collectivistes. Mais, dira-t-on, ce ne sont là que des grandes lignes, des indications trop vagues. Quelle sera donc l'organisation interne des services publics collectivistes ? Et l'on nous demande d'entrer dans les détails, de décrire minutieusement et ne varietur les rouages de la société nouvelle. A cela notre réponse est bien simple. S'agit-il de l'avenir, de l'organisation des services publics au 21e ou au 220 siècle? C'est affaire à nos arrière-neveux. S'agit-il, au contraire, du présent, des industries déjà socialisées, ou qui ne tarderont pas à l'être? Alors on est en droit de nous demander des explications et nous sommes prêts à les fournir. Il ne s'agit plus de savoir ce que les services publics peuvent être un jour, mais de rechercher ce qu'ils sont aujourd'hui et d'indiquer ce qu'ils doivent être. Ce qu'ils sont? L'exposé des motifs du projet de loi présenté à la Chambre belge par MM. Bergé et consorts, sur la situation des fonctionnaires, est instructif à cet égard. Traitements insuffisants, initiatives paralysées, libertés politiques réduites à néant (1). Ce qu'ils doivent être ? Le projet Bergé contient à cet égard des dispositions excellentes; il donne satisfaction aux griefs les plus criants, en garantissant au personnel une rémunération convenable, des conditions d'avancement dégagées de tout arbitraire et le droit de participer, comme tous les autres citoyens, à la discussion des affaires publiques. Mais ce ne sont là que des palliatifs et la situation (i) Telle quelle cependant, la situation des ouvriers et des employés de l'État vaut encore mieux que celle qui leur serait faite dans l'industrie privée, puisque c'est la crainte d'être rejetés dans celle-ci et de perdre les avantages qui résultent de la stabilité de l'emploi et des droits à'la retraite qui les empêche de se mettre en grève ou d'employer d'autres moyens de protestation.. exige, d'après nous, des transformations beaucoup plus radicales, l'introduction du principe socialiste dans l'organisation des services publics. C'est pourquoi le Parti Ouvrier propose : La création de comités élus par les ouvriers et les employés des services publics pour débattre avec l'administration centrale les conditions de rémunération et d'organisation du travail. Grâce à cette intervention directe et constante des intéressés, l'organisation interne des services publics ne serait pas réglée par des dispositions inflexibles, applicables partout et toujours; elle s'adapterait à la diversité et aux variations du milieu et pourrait par conséquent subir des transformations progressives, à mesure que se transformera la société même. $3. — La Répartition. Au point de vue de la rémunération des travailleurs, de la répartition des produits, nos adversaires triomphent parfois de l'apparente contradiction des formules socialistes. Les communistes disent : à chacun selon ses besoins; les collectivistes : à chacun selon son travail. Cette contradiction disparait, dès l'instant où on admet que ces deux formules correspondent à des stades différents de l'évolution, sociale. Notre idéal, nous avons déjà eu l'occasion de le dire, c'est le communisme : de chacun selon ses forces; à chacun selon ses besoins ; mais cet idéal implique un développement moral, un esprit de solidarité qui ne se rencontre guère, actuellement, que dans les com- munautés restreintes, les couvents, par exemple, ou les groupes communistes des États-Unis. Peut-être le temps viendra-t-il où des sociétés entières s'élèveront à ce degré de moralité. Mais, en attendant qu'un jour si bleu arrive, nous sommes collectivistes, et disons : à chacun selon son travail. On objecte, immédiatement, que nous n'avons pas de commune mesure du travail, qu'il est impossible de déterminer exactement ce qui doit revenir à chacun, lorsque plusieurs travaillent ensemble à un même ouvrage. C'est parfaitement vrai. Notre formule de répartition est donc nécessairement empirique, et l'aveu nous coûte d'autant moins qu'à ce point de vue le capitalat n'a rien à reprocher au collectivisme. Comment, en effet, se détermine la rémunération du travail, sous le régime actuel? La concurrence des capitaux privés sert de régulateur; les travailleurs sont attirés par les industries et les localités où ils trouvent un salaire, et le meilleur salaire. C'est la loi de l'offre et de la demande. Le surplus du produit revient au capitaliste, qui l'affecte soit à sa consommation personnelle, soit à la reconstitution et au développement de son capital. Que se passera-t:il, maintenant, en régime collectiviste? La collectivité, disons l'État, — pour être plus clair, tout en étant moins exact, — l'Etat, disons-nous, se substitue au capitaliste et pourvoit aux besoins généraux de la société, à la reconstitution et au développement du capital social. Le surplus est affecté à la rémunération du travail, mais comment va s'effectuer la répartition? Nous retrouvons ici, — en tant que son applica- tion est actuellement possible, — la formule communiste : à chacun selon ses besoins. Tous les travailleurs, en tant qu'hommes, ont un droit égal à ce qui est nécessaire à la satisfaction de leurs besoins essentiels. Il y a donc un minimum au-dessous duquel leur rémunération ne peut descendre, et ce minimum, — le salaire normal de Engels, — peut être déterminé, avec une approximation suffisante, dans chaque groupe social et dans chaque localité. Ainsi donc, la collectivité prélève sa part, et les travailleurs ont droit au salaire minimum. Reste l'excédent des produits, ou plutôt des valeurs produites. Comment s'effectuera la répartition de cet excédent? On peut concevoir que ce partage se fasse sur pied d'égalité, mais, dans l'état actuel des choses, ce mode de répartition ne pourrait être qu'exceptionnel. Dans la plupart des cas, à notre avis, il est indispensable que la rémunération soit, autant que possible, en rapport avec la valeur du travail fourni par chacun. La hiérarchie des traitements, qui existe aujourd'hui dans les services publics, ne disparaîtrait pas en régime socialiste. Seulement, au lieu d'être fixée par voie d'autorité, elle serait établie par les intéressés eux-mêmes. C'est ce qui existe en fait, dès .à présent, dans les sociétés coopératives. Le collectivisme n'implique donc pas égalité de "rémunération. Et ceci nous permet de répondre à cette objection banale que, dans une société collectiviste, tous voudraient exercer les métiers les plus agréables et les plus faciles. Il faudra donc, dit-on, employer la contrainte pour obtenir une juste répartition des forces de travail. Le service de la vidange sera obligatoire comme l'est actuellement le service de la garde civique. Ne voit-on pas qu'à ce point de vue le régime collectiviste dispose des mêmes moyens d'action que le régime capitaliste? Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui, quand il y a trop d'ouvriers dans une branche d'industrie? les salaires baissent; au contraire, quand il y en a trop peu, les salaires montent. La même sanction existerait dans une société collectiviste : la part de l'État prélevée et le salaire minimum payé, la part de chacun dans l'excédent à répartir serait d'autant plus petite que les partageants seraient plus nombreux. Par conséquent, les métiers encombrés seraient peu rémunérateurs; les métiers désertés, les tâches ingrates ou périlleuses recevraient une rémunération plus considérable. Est-ce à dire que, dans notre pensée, les choses doivent se passer, nécessairement, comme nous venons de le décrire? Evidemment non. Nous ne prétendons pas dire ce qui sera, mais ce qui pourrait être, ou ce qui devrait être. Dans l'idéal collectiviste, il y a incontestablement une part d'hypothèse; mais c'est une hypothèse véritable, qui sert à diriger nos efforts et à montrer le but lointain des réformes immédiates que nous poursuivons. En résumé donc, notre plan, non pas de reconstruction sociale, mais de transformation sociale, peut se formuler, dans ses grandes lignes, d'une manière très simple. Au point de vue du but : appropriation collective des moyens de production et de circulation. Au point de vue des moyens : limitation graduelle de l'hérédité ab intestat et du droit de tester. — Extension progressive du domaine collectif. Au point de vue de l'organisation du travail : autonomie des services publics ; séparation du gouvernement des hommes et de l'administration des choses. Au point de vue de la répartition : minimum de salaire, et, au moins transitoirement, rémunération supérieure du travail qualifié. On peut repousser ce programme d'application immédiate, le considérer comme éminemment subversif, mais nous croyons échapper au reproche d'être resté dans le vague, et de nous être borné à des généralités déclamatoires. LA QUESTION AGRAIRE (i) Au printemps dernier, un des membres du gouvernement belge, M. A. Nyssens, se trouvant de passage à Paris, assistait à un banquet d'économistes. Au dessert, naturellement, on parla des progrès du socialisme, — c'est le Mane, Thecel, Phares des banquets bourgeois, — et d'aucuns manifestèrent des craintes à l'endroit de la Belgique. Notre ministre s'efforça de les dissiper, et démontra fort doctement que le socialisme, incapable de faire des recrues en dehors de la classe industrielle, était arrivé à son apogée dans notre pays; désormais, il ne pourrait que décroître, et jamais, au grand jamais, il ne pénétrerait dans les campagnes. Les élections législatives, qui eurent lieu trois mois (i) Conférence faite, par E. Vandervelde, à l'Hôtel des Sociétés savantes le 14 décembre 1896, sous la présidence de M. Jean Jaurès, organisée par le Groupe des étudiants collectivistes. après, ont montré ce que valaient ces prédictions. Quelques milliers de voix déplacées, et, malgré le vote plural, c'en était fait de la majorité conservatrice (i) : le nombre de nos députés doublait, comme a doublé le nombre de nos suffrages. Il a fallu que toutes les forces de la bourgeoisie se coalisent, pour nous barrer le chemin. La marée socialiste, débordant les bassins houillers, s'est répandue dans les campagnes de la Wallonie, et, suivant la ligne de moindre résistance, elle s'est avancée, le long des voies ferrées et des voies navigables, jusque dans les Flandres et les Ardennes. Bref, les arrondissements considérés comme agricoles, tels que Nivelles, Dinant, Philippeville, Thuin, d'autres encore, ont apporté des milliers de suffrages aux candidats du Parti Ouvrier. Néanmoins, il ne faudrait pas conclure de ces résultats que, dès à présent, le socialisme agraire soit très puissant en Belgique : beaucoup d'électeurs qui habitent la campagne ne sont pas des paysans, et beaucoup de paysans, qui votent pour nous, comme (i) Il eut suffi pour cela que, dans les scrutins de ballotage, les socialistes l'emportent dans les arrondissements de Nivelles, où ils ont été battus à 200 voix de majoriLé sur 60,000 suffrages, et à Philippeville, où il ne leur a manqué qu'une centaine de voix sur 24,000. Les socialistes alliés aux radicaux à Bruxelles, où ils ont obtenu une moyenne de 95,000 voix contre 105,000 et les libéraux-radicaux à Anvers où il n'ont été battus qu'à 9,000 voix sur 110,000 suffrages. La Chambre nouvelle eut été composée, dans cette hypothèse, de 44 socialistes, 27 radicaux, 6 libéraux, et 75 catholiques. Au lieu de cela, elle se compose actuellement de 29 socialistes, 11 radicaux, I libéral, et 111 catholiques. parti d'opposition, ne peuvent être considérés comme de véritables socialistes. § i. — Les Infiltrations industrielles. Beaucoup d'habitants de la campagne ne sont pas des paysans. En effet, de tous les pays du continent, la Belgique est, de loin, le plus industrialisé (i). Tandis qu'en France près de la moitié de la population se compose d'agriculteurs, chez nous, au contraire, la population agricole est inférieure à un tiers. Les cheminées de fabrique sont aussi nombreuses dans nos campagnes, que les moulins à vent dans les polders de la Hollande. Autour du pays noir, aux pays des (i) Schaeffle, Deutsche Kern und Zeitfragen. Berlin, 1895, p- 192. Sur 100 personnes occupées il y a : 67.2 agriculteurs en Hongrie. 62.6 — Italie. 59.8 — Autriche. 47.3 — États-Unis. 46.7 — Allemagne. 46.3 — France. 45.9 — Suisse. 29.4 — Belgique. D'après Denis, La Dépression économique et L'histoire des prix. Bruxelles, 1895 : 41.1 agriculteurs en Irlande. 14.2 — Écosse. 11.5 — Angleterre et pays de Galles. pavés et des pierres de taille, les cultivateurs se mêlent aux carriers, aux marbriers, aux ouvriers des fours à chaux et des fabriques de phosphates. Ailleurs, dans les campagnes flamandes ou les vallées agrestes du Brabant Wallon, des industriels, en quête de main-d'œuvre à bon marché, désireux d'échapper à l'influence des syndicats ouvriers, ont établi des centaines d'usines, et se rattrapent sur les salaires de l'augmentation du prix des transports. De plus, il y a quantité de villages qui ne possèdent pas un seul établissement industriel, mais où habitent, néanmoins, un très grand nombre d'ouvriers de fabrique. Dans le but de venir en aide aux chefs d'industrie en lutte contre les sociétés de résistance, tout en ayant l'air d'adopter une mesure démocratique, l'administration des chemins de fer a organisé des trains ouvriers, avec des tarifs d'abonnements réduits, qui transportent tous les jours, dans les villes et les centres industriels, des centaines d'ouvriers habitant la campagne. On espérait ainsi réduire les syndicats à l'impuissance, inonder le marché de forces de travail à vil prix, abaisser le standard oflife de la population industrielle par la concurrence des ouvriers ruraux. Seulement, il est arrivé, et il devait nécessairement arriver que les armes qu'on dirigeait contre nous, se retournent, — comme les flèches de Saint-Sébastien, — contre nos adversaires. Les charbonniers flamands, qui font, tous les jours, jusqu'à deux heures de train pour aller travailler dans les mines du Borinage et du Centre, les maçons, les menuisiers, les plafonneurs, qui débarquent tous les matins à Bruxelles, n'ont pas tardé à se développer, au contact de leurs camarades. Ils ont acquis les mêmes be- soins, manifestent les mêmes exigences et professent les mêmes opinions. Tous les soirs, dans les trains qui les emportent, on entend des chansons socialistes, et c'est à eux, en grande partie, qu'il faut attribuer nos progrès électoraux dans les arrondissements qu'ils habitent. Il est évident que, dans ces conditions, socialisme à la campagne et socialisme agraire ne sont pas une seule et même chose. En effet, nous pourrions fort bien avoir la majorité dans certains villages, qui ne possèdent pas d'établissements industriels, sans avoir fait un seul adepte parmi les paysans, et ce, grâce aux ouvriers qui ont conservé leur domicile d'origine. Néanmoins il est tout naturel que ces ouvriers, — propriétaires, souvent, d'un lopin de terre et se trouvant en contact permanent avec les cultivateurs proprement dits, ■— exercent une influence considérable sur les opinions des paysans qui les entourent. Et ce d'autant plus, que les régions où ces infiltrations industrielles se sont produites, sont en même temps celles où la culture intensive et les industries agricoles, — distilleries, brasseries, fabriques de chicorée, raffineries, etc., — rendent la population rurale plus accessible à la propagande socialiste. Rien de plus caractéristique à ce point de vue que l'influence de l'industrie sucrière et de la culture des betteraves, — le légume révolutionnaire par excellence. L'aire de dispersion de cette culture (d'après les cartes du dernier recensement agricole) correspond exactement aux arrondissements ruraux où le socialisme a pris le plus grand développement. Cela s'explique parfaitement, étant données les transformations profondes que la dite culture produit dans la mentalité et la situation matérielle de ceux qui s'y livrent (i). D'abord « la betterave exige une main-d'œuvre plus considérable que les céréales ou la culture herbagère; les ouvriers ruraux constituent également, à eux seuls, le personnel des fabriques de sucre : celui-ci, composé d'un petit noyau d'ouvriers à l'année, est décuplé à l'époque de la fabrication et offre ainsi du travail aux ouvriers des champs dont les travaux sont finis ». 11 va sans dire que ce prolétariat mixte, mi-industriel, mi-agricole, épouse facilement les idées des ouvriers de fabrique proprement dits. En outre, le contact continuel et obligé des exploitants agricoles avec les employés, ingénieurs, administrateurs des fabriques de sucre et avec les commerçants d'engrais ou de matières premières alimentaires pour le bétail, le développement des moyens de communication, dont la culture de la betterave a causé la création par des transports si considérables vers les fabriques de sucre (charbon, coke, sucre, mélasse, betteraves, pulpes, etc.), favorisent le développement intellectuel de la population agricole, et, en même temps, accentuent le caractère capitaliste de la culture. Les ouvriers des grandes fermes sont traités, et se comportent, comme des ouvriers industriels. Quant aux petits cultivateurs, — propriétaires ou fermiers, — ils sont entièrement sous la coupe des fabricants de sucre, qui leur imposent des contrats léonins, se réservent, fréquemment, le droit de fixer, sans contrôle, le poids et la tare des livraisons faites, en un mot, leur (i) V. sur ce point Jadoul, La culture de la betterave à sucre et son rôle dans l'économie générale de l'agriculture, — 3° Congrès international d'agriculture, I, p. 205. la question1 agraire 3l! . pprenuent à connaître, par expérience personnelle, toutes les rigueurs de l'exploitation capitaliste. Ces diverses circonstances, jointes aux causes générales qui tendent à la prolétarisation des paysans, créent, naturellement, un milieu favorable au développement du socialisme, parmi les ouvriers agricoles et les petits cultivateurs. Est-ce à dire, cependant, que tous ces gens soient désormais à nous; qu'il ait suffi, pour cela, d'un ou deux ans de propagande, nécessairement superficielle? Ceux qui prendraient, à cet égard, leurs désirs pour des réalités, s'exposeraient, pour l'avenir, aux déceptions les plus amères. En réalité, s'il y a dans la Wallonie beaucoup de paysans qui votent pour les socialistes, parce qu'ils sont mécontents et que nous sommes le principal parti d'opposition, cela ne veut pas dire qu'ils adhèrent à tout notre programme et qu'ils soient, dès à présent, acquis au socialisme collectiviste. Nous en sommes aux premiers défrichements. La culture intensive sera l'œuvre de de main. § 2. — La répartition nu sol. S'il convient de ne pas se faire d'illusion sur le développement actuel du socialisme agraire en Belgique, il ne parait pas douteux, d'autre part, que ses progrès seront plus rapides que dans les autres pays du continent, parce que la transformation capitaliste de l'agriculture y est plus avancée, les charges hypothécaires plus lourdes, le divorce de la propriété et du travail plus complet. Tandis qu'en Allemagne, la partie du territoire ex- ploitée en location représente seulement 14.68 0/0, et en France, à peu près 20 0/0 de l'ensemble du domaine cultivé (1), en Belgique, sur 100 hectares de terre, — abstraction faite des forêts et des terres incultes, — il y en a 36 qui sont exploités en faire valoir direct et 64, presque les deux tiers, qui sont exploités par des fermiers (2). Nous ne savons pas, tant les statistiques officielles sont imparfaites, à combien de propriétaires appartiennent les 1,200,000 hectares cultivés en location. Le recensement agricole nous renseigne sur le nombre des exploitants ; il ne nous apprend rien sur le nombre des exploiteurs. Or, petite culture ne veut nullement dire petite propriété. L'Irlande, par exemple, où 741 personnes (1.68 0/0 de l'ensemble des propriétaires) possèdent 46 0/0 du sol, est un pays de petite culture : les landlords trouvent intérêt à diviser leur domaine en un grand nombre de petites exploitations. Même phénomène dans nos Flandres : tel propriétaire, — et nous en connaissons, — possède la plus grande partie, voire même la totalité des terres d'un village; mais il les divise en plusieurs fermes, parce qu'il tire plus de rente de douze petits fermiers que d'un seul gros, qui saurait lui tenir la dragée haute. Le nombre des fermiers est donc connu, mais les propriétaires sont enveloppés d'un impénétrable nuage; le Dieu-capital reste invisible, accroupi dans son tabernacle. Une enquête qui mettrait ces choses au clair, serait du plus puissant intérêt, mais on peut être assuré que (1) Albert Schaeffle, Deutsche Kern-und Zeitfragen. Berlin, 1895, p. 193. (2) Recensement agricole, 1880,! I, p. XCIII. le gouvernement ne la fera pas : il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire. Tout au plus, pouvons-nous évaluer, avec une grossière approximation, la charge que l'état actuel des choses fait peser, directement sur les fermiers, indirectement sur tous les travailleurs agricoles. A raison de 107 francs l'hetare, — moyenne fixée parle dernier recensement (1880), — et en multipliant par le nombre d'hectares donnés en location, on arrive, chiffres ronds, à i35 millions de francs annuellement. Seulement, on est en droit d'objecter que les fermages ont diminué depuis lors. C'est incontestable; mais en prenant une moyenne de 100 francs à l'hectare, il reste une charge qui dépasse notablement cent millions, sans compter les intérêts des créances hypothécaires, qui peuvent être évalués à plus de 35 millions. Que ce prélèvement capitaliste, grossi de tous les frais d'entretien de l'État, soit la cause principale de la misère qui règne dans nos campagnes, c'est ce qui apparaît, clair comme le jour, quand on compare deux régions, — l'Ardenne et la Flandre, — dont la première conserve, à peu près intactes, les formes archaïques de la propriété, tandis que l'autre est presque complètement envahie par la propriété capitaliste. Le tableau suivant montre, en effet, que le faire valoir direct recule et que le nombre des fermiers-locataires augmente, à mesure que l'on va du sud-est au nord-ouest de la Belgique : Pour cent hectares : En propriété Luxembourg..... 65 Limbourg...... 58 Anvers....... 41 En location. 35 42 59 LE SOCIALISME EN BELGIQUE Pour cent hectares. : En propriété. En location Cette réduction du faire valoir direct et ces progrès de l'appropriation capitaliste coïncident d'ailleurs avec le perfectionnement et l'intensification des cultures. Nulle part, peut-être, — ainsi que l'a montré Emile de Laveleye — on ne saisit mieux qu'en Belgique les rapports de cause à effet qui existent entre la nature des terrains, les modes de culture et les formes de la propriété foncière. Si l'on fait abstraction du Bas-Luxembourg et delà région des polders, qui occupent une portion fort restreinte du territoire, on retrouve dans les autres régions agricoles — Ardenne, Condroz, Hesbaye, Flandre et Campine — toute l'histoire de l'appropriation du sol dans notre pays. i° Sur les hauts plateaux de l'Ardenne, terrains soulevés de l'époque primaire, couverts en grande partie de bois et de pâtis, la pratique de l'essartage est encore en vigueur : comme des mouchoirs perdus sur la montagne, on y voit, au printemps, les sarts emblavés d'avoine, se détacher en vert pâle, sur les côtes couvertes de genêts et de bruyères. Une grande partie du sol appartient encore aux communes; le gros de la population se compose de petits propriétaires Hainaut..... Brabant..... Flandre orientale. Flandre occidentale. Le Royaume. . . . Liège. Namur indépendants, produisant surtout des valeurs d'usage, et protégés contre la concurrence du dehors par l'insuffisance des moyens de communication. En un mot, le régime Ardennais a conservé le caractère que présentait, cà un moment donné, le pays tout entier; mais, à mesure que nous descendons des hautes fagnes vers les bords de la mer, cette situation se modifie : les procédés de culture s'améliorent, les communaux disparaissent et l'on voit augmenter le nombre des propriétaires sans travail et des travailleurs sans propriété. 2° Dans la région Condrusienne — terrains de formation secondaire, entre l'Ardenne et les bassins houillers — l'essartage fait place aux jachères et à l'assolement triennal; l'épeautre est la céréale dominante ; les communaux sont fortement réduits. Chaque village a son château ; la majeure partie des terres — divisées le plus souvent en grandes fermes — appartiennent à des hobereaux, qui perpétuent dans cette contrée les traditions féodales. 3° La Hesbaye, plus moderne et plus capitaliste, couvre de son argile grasse presque tout le territoire des provinces de Hainaut, du Brabant et de Liège. C'est la Beauce de la Belgique, le pays du froment et des fabriques de sucre. On y trouve beaucoup de grandes et de moyennes fermes. Néanmoins, le morcellement de la culture y a fait des progrès dans ces dernières années. 4" Enfin, dans les sables des Flandres — terrains de formation moderne — merveilleusement fertilisés par l'incessant travail de vingt générations, les procédés de culture atteignent leur maximum de variété et de perfection. Du haut des clochers de la plaine flamande, la cam- pagne tout entière s'étale, comme un tapis merveilleux, où se marient harmonieusement les corolles jaunes du colza, l'incarnat des trèfles, le bleu si doux des fleurs de lin et les opulentes pétales violettes des pavots. C'est le jardin de la Belgique; suivant un vieux proverbe local, la bêche du paysan y a découvert des mines d'or. Seulement, nous avons.vu que, dans la Flandre occidentale, quatre-vingt-quatre hectares sur cent n'appartiennent pas au fermier qui les cultive. La terre donne des fruits magnifiques, mais ceux qui les produisent n'en ont que la plus maigre part. Sic vos, non vobis, mellificatis, apes. En Ardenne, au contraire, où les procédés de culture sont encore si primitifs, la plus grande partie des terres — 85 o/o — sont exploitées en faire valoir direct et chaque paysan peut prendre son bois, envoyer son porc à la glandée, sa vache à la paisson, dans la forêt communale. Il n'y a guère de riches, mais il n'y a pas de misérables. Nulle part, en Belgique, le budget de la bienfaisance n'est moins chargé, la proportion des secourus plus insignifiante. Les habitations, dans leur ceinture de fumier, sont sales et de triste apparence, mais il n'est pas de chaumière ardennaise, si pauvre qu'elle paraisse, où vous ne trouviez aux solives du plafond un jambon magnifique, nourriture quotidienne du paysan; tandis que, dans la maison des fermiers flamands, proprette et fleurie, il n'y a généralement que du pain sec dans les bahuts, et du petit lait dans les écuelles. Nous nous retrouvons en présence de cette antinomie redoutable qu'un économiste du commencement de ce siècle caractérisait en disant que les pays riches sont ceux où la masse de la population est pauvre, les pays pauvres, ceux où la masse de la population se trouve dans une aisance relative. Le développement du paupérisme est en raison directe du développement de la propriété capitaliste, et, d'autre part, le développement de celle-ci — ou d'une autre forme, équivalente ou supérieure, au point de vue de la productivité — est la condition nécessaire des progrès de la culture. La propriété ardennaise, cultivée personnellement et isolément par le paysan-propriétaire, assure à ce dernier le produit intégral de son travail. Seulement, elle exige, pour se maintenir, un ensemble de conditions que le développement des moyens de communication fera nécessairement disparaître : quand toute cette région sera sillonnée par des chemins de fer vicinaux, la population deviendra plus dense, les communaux seront défrichés, partagés ou vendus, la production de valeurs d'usage fera place à la production de valeurs d'échange, la concurrence étrangère se fera sentir, et la propriété fondée sur le travail personnel devra être remplacée par d'autres formes d'appropriation. Par contre, la propriété capitaliste, telle qu'elle existe dans la Hesbaye ou dans les Flandres, est incontestablement supérieure, au point de vue du rendement et de la perfection des procédés de culture, mais elle a pour conséquences fatales la paupérisation des travailleurs agricoles et la formation d'une classe de propriétaires parasites, dont la plupart ne mettent jamais les pieds dans leur domaine. Ainsi donc, la propriété privée, fondée sur le travail personnel, est supérieure au point de vue de la justice, inférieure au point de vue de la production; iS. la propriété capitaliste, fondée sur le travail d'autrui, est supérieure au point de vue de la production, inférieure au point de vue de la justice. Pour résoudre cette antinomie, il faut — ainsi que César de Paepel'a admirablement montré dans un rapport célèbre sur la propriété collective — procéder par synthèse, réaliser une forme d'appropriation qui soit aussi favorable, plus favorable môme à la justice que la propriété paysanne, et aussi favorable, plus favorable môme à la production agricole que la propriété capitaliste. L'évolution capitaliste aboutit donc à la socialisation du sol, aussi bien que des autres moyens de production. ^3. — Les difficultés de la propagande socialiste dans les campagnes. Théoriquement, rien de plus facile à justifier que ces conclusions collectivistes, surtout dans un pays où, comme nous venons de le voir, les deux tiers du sol sont cultivés par des fermiers locataires, tandis que le tiers restant est hypothéqué pour une notable partie de sa valeur; mais, pratiquement, il ne faut pas se dissimuler que la pénétration de ces idées dans nos campagnes se heurte à de multiples obstacles. D'abord, et surtout, l'agriculture n'est pas encore suffisamment industrialisée; la pratique de l'association — capitaliste ou coopérative — commence seulement à se répandre. — Le morcellement des exploitations — 910,000, d'après le recensement de 1880, l'isolement des producteurs, l'absence de relations fréquentes entre les travailleurs ruraux, produisent les mêmes effets, le même individualisme que le tra- vuil en chambre dans les villes : les ouvriers ne se sentent pas les coudes ; les fermiers, au lieu de former des ligues pour l'abaissement des fermages, se disputent les terres, surtout les petites parcelles, avec acharnement; les petits propriétaires, alors même qu'ils sont ruinés, endettés, décapitalisés, transformés en mainmortables de leurs créanciers — comme le Courtecuisse des Paysans de Balzac — restent attachés obstinément à leur propriété-fan-iùme, ou plutôt à leur propriété-vampire. Ajoutez à cela des obstacles plus immédiats, mais qui dérivent, en dernière analyse, de la même cause profonde : le misonéïsme des paysans, leur méfiance invétérée à l'égard de tout ce qui leur vient de la ville, le dualisme des langues — aux portes de Bruxelles commencent les terrai incognitae de la campagne flamande — et, surtout dans les Flandres et dans la Campine, la question religieuse, les préjugés contre le socialisme, soigneusement entretenus parle clergé local. A quelque temps des élections dernières, du haut de toutes les chaires de vérité du royaume, on tonnait contre les socialistes, destructeurs de la religion, de la propriété et de la famille. Tel curé de campagne s'en allait chez un de ses paroissiens, armé de son parapluie et traçait des lignes dans les champs pour montrer ce qu'on leur prendrait et ce qu'on leur laisserait, en cas de victoire socialiste. Quantité de bonnes gens étaient persuadés que ceux qui avaient deux vaches seraient contraints d'en donner une. Néanmoins l'exagération de ces attaques nous est plutôt un avantage : les paysans, en effet, ne tardent guère à s'apercevoir que les socialistes n'ont pas le pied fourchu, qu'ils ne couchent pas avec douze le socialisme en belgique femmes à la fois, comme Jean de Leyde, et que leurs expéditions de propagande n'ont pas pour but d'opè-rer des razzias de bestiaux. A partir de ce moment, ils cessent de frapper nos propagandistes, et se risquent à les écouter, ou, tout ou moins à lire, en cachette, les brochures que des pelotons de cyclistes s'en vont distribuer, chaque dimanche, au sortir de la messe, dans les environs des grandes villes. Mais, si nos paysans commencent à écouter ou à lire, cela ne veut nullement dire qu'ils soient convaincus, ou près de l'être. Les idées germent lentement dans les cervelles rurales, aussi lentement que les semences de la terre. La moindre innovation les effraie; le plus mince perfectionnement technique met des années à s'introduire. Les cultivateurs des environs de Braine-le-Comte, par exemple, se servaient jadis de fourches à trois dents, lourdes, incommodes, pénibles à manier. Un beau jour, l'un d'eux se décide à employer une fourche à quatre dents, de fabrication anglaise, incomparablement plus légère et plus maniable : les anciens du village s'assemblent, délibèrent, et, finalement, sont unanimes à conclure en ces termes : « Peuh! elle a quatre dents; on a déjà assez de peine avec celles qui en ont trois ! » Il fallut plusieurs années pour les faire changer d'avis. Que l'on juge, d'après cette résistance à accepter une machine nouvelle, ce qui doit en être lorsqu'il s'agit d'une conception sociale nouvelle, surtout si les avantages de cette conception leur sont vantés par des propagandistes inconnus, par des orateurs venus de la ville. Jusqu'à présent, en effet, nous avons beaucoup de propagandistes à la campagne, mais à peine une poi- gnée de propagandistes de la campagne. Or, tant que les idées socialistes y seront prèchées par des citadins, connaissant imparfaitement les besoins des habitants, la manière de vivre des paysans, leur action sera nécessairement superficielle. Souvent même, ils feront plus de mal que de bien, faute de connaître le premier mot des questions dont ils parlent. Un fermier de nos amis me racontait dernièrement avoir entendu, dans un meeting, un orateur Bruxellois reprocher au gouvernement les droits d'entrée sur la margarine « cette matière première indispensable pour faire du beurre. » Le Parti Ouvrier belge compte cependant quelques hommes, trop peu nombreux malheureusement, qui vivent, ou ont vécu, de la vie des campagnes, et joignent à leurs connaissances pratiques une information exacte des théories socialistes. Leur influence est encore limitée, mais nous avons la conviction qu'elle ne tardera pas à s'étendre, car il se produit, en ce moment, dans les masses rurales, une véritable révolution intellectuelle, lente, parce qu'elle est profonde, irrésistible, parce qu'elle trouve sa cause dans le développement même du régime capitaliste. s 4- — Les transformations de la propriété et de la culture. Les statistiques agricoles, déjà anciennes d'ailleurs, puisque le dernier recensement date de seize ans, ne nous apprennent pas grand chose sur ces transformations. Chose étrange au premier abord, depuis un demi-siècle, depuis l'invasion des blés de l'Inde, d'Amérique et de Russie, plus terribles pour les paysans que les Cosaques, le choléra du Gange ou les cyclones de l'Atlantique, les commentateurs des documents officiels constatent, avec une satisfaction dithyrambique, i° que le nombre des petits propriétaires s'accroît et 2° que l'étendue des terres exploitées en location a plutôt diminué qiiaugmenté. En effet, pour autant qu'il soit possible de se fier à des statistiques qui, de l'aveu du gouvernement luimème, fourmillent de contradictions et d'erreurs, le nombre des propriétaires, pour la totalité ou pour plus de la moitié, s'est élevé d; 201,226, en 1846, à 293,524', en 1880; mais, en même temps, et dans des proportions plus fortes, le nombre des locataires, pour la totalité ou pour plus de la moitié, a passé de 37.1,320, en 1846, à 616,872, en 1880. Cette augmentation considérable porte principalement sur les toutes petites propriétés, de moins d'un hectare. Les grands domaines féodaux, dirigés par leur propriétaire ou son chargé d'affaires, tendent à disparaître; la culture se morcelle; le nombre des « mouchoirs de poche » cultivés, en propriété ou en location, par des ouvriers industriels ou agricoles, augmente; mais, néanmoins, d'après les mêmes statistiques, la proportion entre le faire valoir direct et la location reste à peu près invariable. Si l'on porte la comparaison, exclusivement, sur les terres cultivées, abstraction faite des bois et des terres incultes, on constate qu'en 1846, il y avait 6i3,575 hectares cultivés par les propriétaires; 1,179,583 hectares par les locataires. — En 1880, il y a 713,0.39 hectares en faire valoir direct; 1,270,512 hectares en location. Ainsi donc les exploitations par locataires qui représentaient 65 o/o de l'ensemble en 1846, en représentent 64 0/0, en 1880 11 semble, par conséquent, à première vue, que la : ituation n'ait guère changé et que la loi de concentration capitaliste ne s'applique pas à l'agriculture belge. Or, malgré ces apparences, plutôt favorables à la petite propriété, il n'est pas un instant douteux que, de plus en plus, la terre échappe à celui qui la cultive. L'expropriation des paysans continue; ce sont les modes d'expropriation qui ont changé : l'hypothèque, forme d'expropriation perfectionnée, remplace les procédé? plus brutaux, qui avaient cours antérieurement. Sous l'ancien régime, tout d'abord, les expulsions de tenanciers, les mainmises sur communaux, — clearings of commons, bills of enclostire, -— et, plus tard, quand ces contestations entre les anciens manants et seigneurs reviennent devant les tribunaux modernes, la consécration des droits du plus fort, par la confusion entre la propriété politique des seigneurs tréfonciers et la propriété civile de notre droit moderne. Pendant la période révolutionnaire, on achète, au lieu de prendre; mais on achète à vil prix, et quantité de fortunes bourgeoises, surtout dans nos villes flamandes, ont pour origine l'acquisition de biens noirs, ayant appartenu à des communautés religieuses. Aujourd'hui, — et surtout depuis la crise, on ne tient nullement à acheter des terres, qui ne rapportent pas grand chose; mais, lorsqu'un paysan se trouve embarrassé, les sociétés de crédit foncier, les notaires, les marchands d'engrais et les usuriers proprement dits, lui prêtent de l'argent, moyennant des garanties- réelles, et, au lieu de toucher 2 ou 3 0/0 de fermages, encaissent 4, 5 ou 6 0/0 d'intérêts. C'est pareil état de choses qui faisait dire à J.-B. Say, dès i832; dans son Cours d'Economie politique pratique : Un propriétaire dans ce cas gagne moins que s'il vendait sa terre et se faisait fermier ; car, s'il était fermier, il ne paierait en fermage que la valeur du service que la terre est capable de rendre. C'est, à différents degrés, la situation où se trouvent tous les propriétaires obérés. Il est vrai que de cette manière ils sont assurés d'avoir un bien à cultiver et de jouir des améliorations, s'ils réussissent à en opérer; et, lorsqu'ils sont intelligents et actifs, ils peuvent regagner par leur industrie ce qu'ils perdent en intérêts. S'ils ne savent pas améliorer, le meilleur parti qu'ils aient à prendre est de vendre leurs terres, ou des portions de leurs terres, et d'acquitter leurs dettes. Mais, bien souvent, la sotte vanité de paraître propriétaire foncier lorsque, dans la réalité, on ne l'est pas; ou bien le désir de conserver un crédit qu'on ne mérite guère, et de continuer à faire une dépense qui ne peut être soutenue qu'en contractant de nouvelles dettes ; d'autres motifs, encore, empêchent beaucoup de propriétaires fonciers de libérer leur héritage. 11 y a peu d'années, qu'en France, le fondateur d'une caisse hypothécaire, destinée à faire des avances aux propriétaires fonciers, fit des recherches dans les justices de paix et aux bureaux des hypothèques, pour connaître les noms de ceux qui se trouvaient grevés de dettes. Il assure qu'ils étaient dans la proportion de 60 0/0. Que le même phénomène se soit produit en Belgique, avec une intensité plus grande encore, c'est ce que personne ne conteste. L'un des députés conservateurs de l'arrondissement de Nivelles, me disait dernièrement que, dans sa région, 70 0/0 des terres étaient grevées d'hypothèques. D'après M. Hector Denis, cette situation s'aggrave, d'année en année : La dette rurale, dit-il, était évaluée à 400 millions : n i85o, à 56o en 1878; je la porte à 786 en i885, et a 861 en 1892. Le rapport des charges à la valeur du sol, qui était de 6,6 0/0 en i85o, de 5 0/0 en 1878, atteint, d'après cela, 8,3 0/0 en i885. A 4 0/0 d'intérêts, la charge du sol s'est élevée de 22,400,000 francs en 1878, à .84,440,000 francs en 1892. Une partie du revenu foncier s'est convertie en intérêt du capital, et la terre a été, dans une plus large mesure, soumise à la classe des capitalistes » (1). Cette transformation, d'ailleurs, n'a pas un caractère accidentel, spécial à notre pays. Partout les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il suffit de lire le chapitre que Schaeffle consacre à cette question, dans son dernier ouvrage, pour s'en convaincre (2); mais, nulle part, peut-être, ce phénomène ne se produit avec autant d'intensité qu'eu Belgique. Aussi ne faut-il pas s'étonner que, récemment, dans le Bulletin officiel de l'Agriculture (3), on ait pu lire ces graves paroles : « Il nous paraît intéressant de reproduire les idées que professait déjà, en 1879, notre inspecteur général, M. Proost : « Bon gré, mal gré, il faut que l'agriculture, suivant la même voie que l'industrie, recoure à l'instruction (1) H. Denis, La Dépression économique et sociale, et l'Histoire des prix. Bruxelles, 1S95, p. 352. (2) Schaeffle, loc. cit., p. 195. (3) Bulletin de l'Agriculture, 1896, t. XII, p. 88. l9 professionnelle, à l'association, à la centralisation, au crédit, à la division du travail. • Association pour l'enseignement. « Association pour le travail et le crédit. « Ainsi sera résolu pacifiquement le problème delà lutte entre la grande et la petite culture. Ou l'agriculture deviendra une industrie comme une autre, soumise aux mêmes conditions organiques, scientifiques, financières ou commerciales ; ou elle cessera d'exister en Europe. » Ainsi donc, de l'aveu même du gouvernement et de ses principaux fonctionnaires, l'agriculture en Europe, et spécialement en Belgique, doit, sous peine de mort, devenir une industrie comme une autre, substituer le machinisme au travail manuel, la production collective à la production isolée; en un mot, subir des transformations radicales et profondes. Or, depuis quelques années, et surtout dans ces derniers temps, ces transformations ont commencé à se produire dans nos campagnes, sous la pression des circonstances et, dans une certaine mesure aussi, grâce aux efforts des pouvoirs publics. Les paysans s'arrachent à leur torpeur, sortent de leur isolement, se prennent à solidariser leurs efforts. Des associations de cultivateurs (Boerenbonden) se constituent dans tous les villages, et les coopératives agricoles poussent comme des champignons. Ce mouvemeut, il est vrai, a été créé, non par les socialistes, mais contre les socialistes. Pendant quelque temps sans doute, il entravera notre propagande au lieu de la favoriser. Néanmoins, ce qui est un obstacle pour le présent, nous deviendra un moyen dans l'avenir et le socialisme, en dernière analyse, ne peut que se féliciter des progrès de l'esprit d'association dans les milieux agricoles. La Ligue des paysans (.Boerenbond), dont le siège social est à Louvain, a été fondée en 188g, et comptait en i8g5, 207 sociétés affiliées, avec un effectif de dix mille membres environ, dont neuf mille dans la partie flamande du pays. Depuis leur nombre a considérablement augmenté : rien que dans la FlandreOrien-tale, on compte actuellement 190 Gildes. Ces Gildes, calquées sur les Bauernvereine allemands, offrent beaucoup d'analogies avec les syndicats agricoles français. Elles ont pour but d'étudier les mesures favorables à l'agriculture, de développer l'organisation coopérative de la classe rurale, d'acheter en commun des semences, des engrais, des aliments pour le bétail, d'organiser l'assurance mutuelle contre la mortalité du bétail, de créer des institutions de crédit, etc. Il n'est pas douteux que ces Boerenbonden aient puissamment contribué à répandre les principes coopératifs parmi les paysans. Au lieu des procédés techniques défectueux que l'on employait, jusque dans ces dernières années, pour la fabrication du beurre, on recourt aujourd'hui à des modes de production qui vont toujours en se perfectionnant. C'est ce que constatait M. Colard Bovy, dans un rapport présenté au Congrès international d'agriculture, de i8g5 : Les petites coopératives, insuffisamment outillées et mal dirigées reculent, de plus en plus, devant les grandes qui peuvent travailler au plus bas prix, et dans les meilleurs conditions, de grandes quantités de lait, et livrer des produits d'une uniformité constante. Les avantages atteignent leur maximum, quand c'est un bon ingénieur agricole qui dirige l'exploitation. Une vingtaine de grandes usines coopératives, montées au capital de 25,000 à 55.000 francs, et travaillant de 3,000 à 10,000 kilogrammes de lait par jour, ex'stent dans le pays, notamment dans les Flandres, le Hainaut, la province d'Anvers, le Brabant et la province de Liège, où la première laiterie de ce genre fut installée, en 1889, par M. Lohest. A côté de ces grandes laiteries coopératives, nous trouvons, dans les Flandres, la province d'Anvers et de Namur, une trentaine de laiteries industrielles, dues, pour la plupart, à l'initiative de grands propriétaires. Ici le lait n'est plus traité en commun, aux frais de tous les associés, mais travaillé au profit du propriétaire de la laiterie, qui achète le lait. Cette forme industrielle n'a guère réussi dans les pays du Nord; presque partout les laiteries de ce genre ont disparu pour faire place aux sociétés coopératives. La principale cause d'insuccès des laiteries industrielles réside dans la composition très variable de la matière première : le lait. Le fournisseur ne résiste pas toujours à la tentation de l'additionner d'eau. Souvent même, voulant se réserver tout le bénéfice que le fabricant ferait sur les produits, il refuse de livrer la matière première indispensable à la bonne marche de l'établissement. Tandis que, dans les associations coopératives, cha' cun étant directement intéressé à la prospérité de l'entreprise, aura à cœur de n'apporter à la laiterie qu'un lai' pur, entier, soigneusement recueilli. Les circonstances qui favorisent le développement de la coopération dans l'industrie laitière, existent ai: même degré, dans d'autres industries — l'industrie sucrière par exemple — qui plongent directement leurs racines dans la production agricole; mais, ici, les dif- fîcultés sont plus grandes, les capitaux exigés plus considérables, les risques de l'entreprise plus étendus. Néanmoins, il est intéressant de signaler — comme un type d'association qui se multipliera peut-être dans un prochain avenir — la sucrerie coopérative fondée, l'année dernière, par q5o cultivateurs d'Anvaing, gros village agricole du Tournaisis. Ils avaient, auparavant constitué un syndicat pour effectuer la vente des betteraves dans des conditions moins onéreuses, moins draconiennes que celles dont nous avons parlé précédemment; immédiatement, tous les fabricants de sucre s'entendirent pour les boycotter impitoyablement et refusèrent d'acheter des betteraves à tous les membres du syndicat. C'est alors que ces derniers se décidèrent à fonder une fabrique coopérative, qui a pris, dès le début, une grande extension (i). En somme donc, si le socialisme n'a pas encore très profondément pénétré la population rurale proprement dite, les centres agricoles, de plus en plus rares d'ailleurs, où les paysans ne se mêlent que peu, ou point, avec les ouvriers industriels, il n'est pas douteux, d'autre part, que des signes de réveil se manifestent dans nos campagnes, et que l'irrésistible action du développement technique et capitaliste de l'agriculture y déterminera, dans un avenir prochain, des transformations intellectuelles et morales, éminemment favorables au développement de l'idée socialiste. Le capitalisme tentaculaire pénètre toujours plus avant, confondant, dans une même étreinte, cultiva- (i) Depuis lors, des dissensions se sont produites; les petits actionnaires ont été éliminés par les gros, et la société d'Anvaing n'a plus guère de coopératif que le nom. teurs et artisans, ouvriers industriels et agricoles. Les deux prolétariats, trop longtemps divisés, par des antagonismes savamment entretenus parla classe dominante, commencent à mieux se connaître, à saisir la communauté des intérêts fondamentaux qui les unissent, et, le jour où le développement des moyens de transport, des voies de communication, de la propagande par la presse et par la parole, auront levé les derniers obstacles, dissipé les derniers préjugés qui les séparent, ils opéreront leur jonction, qui doit assurer la victoire définitive du socialisme. Le socialisme fera, dans tous les pays, sa concentration contre la concentration du capitalisme, jusqu'à ce que la Justice, suivant l'expression du Tragique grec, « étende son règne aussi loin que la voûte des cieux ». LA QUESTION FÉMINISTE CHAPITRE I. Dans le Parti Ouvrier. Dès que le Parti Ouvrier prend de la consistance et de l'ampleur, les revendications des femmes attirent l'attention de ses propagandistes. Défenseur naturel de tous les opprimés, le Parti Ouvier devait à son programme de se consacrer à l'amélioration de la condition féminime; la femme, et spécialement, l'ouvrière, étant doublement esclave, esclave comme son mari, comme son père, des conditions économiques, mais de par les lois et les mœurs, esclave encore de ce mari ou de ce père. Au 8e congrès annuel, tenu à Namur, en 1892, la citoyenne Emilie Claeys, de Gand, parle au nom des femmes socialistes de Gand pour réclamer que dans la lutte pour le suffrage universel, on n'oublie point le suffrage des femmes. Au 9° congrès, à Gand, l'année suivante, elle revient énergiquement à la charge. Elle signale notamment l'importance qu'il y a pour les ouvrières à pouvoir prendre part aux élections pour les Conseil de l'Industrie et du Travail et à l'agitation provoquée à Gand à l'occasion d'une élection de cette nature au commencement de 189.3. Elle réclame le concours du Parti Ouvrier pour étendre cette agitation à tout le pays et elle engage les délégués à donner l'exemple aux pouvoirs publics en admettant les femmes dans l'administration de leurs associations. Ce rapport est sympathiquement accueilli et un ordre du jour, proposé par Volders et Serwy est adopté à l'unanimité : Le congrès, conformément au programme du Parti Ouvrier et aux résolutions du congrès international ouvrier socialiste : Déclare que le Parti Ouvrier poursuivra, par tous les moyens en son pouvoir, la suppression de toutes les dispositions légales qui consacrent l'infériorité civile, politique et économique de la femme; Qu'il réclamera le droit de vote pour la femme comme pour l'homme ; Qu'il admettra la femme dans toutes ses organisations politiques, comme membre et administrateur ; Qu'il exige sa participation comme électeur et éligible à tous les comités économiques et aux organisations de bienfaisance : conseils communaux, conseils de prud'hommes, conseils de l'industrie, bureaux de bienfaisance; Qu'il la soutiendra dans toutes les revendications de réalisation immédiate. En 1895, au 11e congrès annuel, à Anvers, on s'occupe encore de la question féministe. Le compagnon Octors estime que sa solution doit être, avant tout, cherchée dans l'ordre économique, sur le terrain du travail. Les ouvrières doivent s'organiser en syndicats professionnels spéciaux ou entrer dans les syndicats de travailleurs. Un ordre du jour en ce sens est voté à l'unanimité. Le congrès décide de se faire représenter au prochain congrès féministe et adjoint Octors au Conseil général avec mission de poursuivre l'organisation des ouvrières. Au congrès suivant, Smolders donne lecture des résultats d'une enquête organisée par le syndicat des employés sur la situation des femmes employées dans l'agglomération bruxelloise (demoiselles de magasin, employées de bureau, etc.). Il signale les tristes conditions dans lesquelles elles remplissent un labeur souvent pénible et préconise le groupe^ ment syndical. Octors, de son côté, arrivait, non sans peine, à décider à s'associer, à Bruxelles et dans les faubourgs, les métiers suivants : i° les chapelières et ouvrières en matières premières pour chapellerie ; 20 les cartouchières ; 3° les gantières : 40 les lacetières ; 5° les fleuristes: 6° les margeuses et pointeuses (imprimerie); 70 les monteuses de chaussures, etc. Le syndicat type est celui des chapelières. Sachant combien leur situation était malheureuse, Octors, aidé de Wauters, d'Elbers et de quelques autres, avait songé à elles tout d'abord. Pendant deux ans, ils tirent des meetings et essayèrent des conversions, sans le moindre succès. Très peu de femmes répondaient à l'appel des orateurs et celles qui venaient accouraient pour s'en moquer ou les insulter. Ce ne fut qu'en 1895, à la suite d'une grève, couronnée de succès, des ouvrières éjarreuses (vulgairement appelées arracheuses de poils) de la fabrique Vimenet, que ces infatigables propagandistes eurent la satisfaction de fonder le syndicat. Les collectes pour cette grève s'élevèrent à 2,000 francs et la Maison du Peuple accorda des secours en pains. Cette solidarité toute spontanée toucha les ouvrières qui se firent inscrire au nombre de cent. La cotisation fut fixée à 0,15 centimes par semaine et perçue par un sectionnaire nommé par les syndiquées au suffrage universel. Les ouvrières des autres parties de ce métier vinrent successivement se joindre aux éjarreuses grâce à la propagande individuelle de celles-ci. Au icr janvier 1896, le syndicat comptait 600 membres. Elles participèrent aux manifestations du icr mai, aux funérailles de Jean Volders, ainsi qu'aux démonstrations du Parti Ouvrier. Dans le courant de 1896, le syndicat a voté son affiliation au Parti Ouvrier et acheté un superbe drapeau. 11 a triomphé dans deux grèves assez importantes et qui ont coûté plus de 2,000 francs à la caisse syndicale, les ouvrières en grève ayant droit à un franc par jour. En 1897, une section d'assistance mutuelle a été constituée au sein du syndicat, avec l'aide de Mme Hector Denis et d'autres dames. Cette section a pour mission de venir en aide aux femmes en couches. Elle leur donne dix francs et une layette. 11 est intéressant de mentionner ici certains articles de leurs statuts. Le programme du syndicat comprend : diminution des heures de travail; à trai-vail égal, salaire égal; suppression des amendes; suppression du travail aux pièces; fourniture gratuite de vêtements de travail aux ouvrières; boisson gra,-y :aite pour les éjarreuses et chapelières; un conseil de iabrique composé de patrons, d'ouvriers et d'ouvrières ; représentation des femmes dans les conseils de prud'hommes et dans les conseils de l'industrie et du travail. Comme la réalisation de ce programme n'est possible qu'avec le concours de tous les ouvriers, le syndicat adhère au Parti Ouvrier (art. 3 et 4). Si une difficulté survient au cours du travail, elles vont en informer les délégués du Parti Ouvrier. La grève ne peut être déclarée que du consentement de ceux-ci et du comité du syndicat. Celles qui se mettent en grève sans autorisation ne peuvent prétendre à aucun aide. En revanche, celles qui sont renvoyées en raison d'une question de travail ou de salaire, peuvent recevoir des secours après une enquête faite par le comité. Les syndiquées s'engagent formellement à ne pas prendre la place d'ouvières renvoyées ou en grève. Elles promettent de s'aider et de se chérir comme sœurs parce qu'elles sont toutes malheureuses et luttent pour les mêmes droits. Elles s'engagent à ne pas médire du syndicat dans les endroits publics, sous peine d'exclusion temporaire et de déchéance des droits pendant un, deux ou trois mois. Les syndiquées qui prennent le pain à la coopérative la Maison du Peuple de Bruxelles sont admises à participer à la caisse des malades. Les fonds de la caisse syndicale sont confiés à la coopérative qui sert un intérêt de 3o/oi'an. Telles sont les dispositions principales de cet important syndicat. Les autres sont édifiés sur des bases analogues. 11 n'y a guère à citer encore que le syndicat des fleuristes, feuillagistes et plumassières qui a installé, sous forme coopérative, un atelier de production qui marche d'une façon satisfaisante. D'autres groupements professionnels existent encore : les fileuses, à Gand; les couturières, à Liège; les bonnetières, à Quevaucamps, etc. Quant aux tentatives faites pour constituer des cercles de politique ou de mutualité exclusivement composés de femmes, elles ont généralement échoué. Ces quelques notes suffiront, espérons-nous, pour signaler les louables efforts du Parti Ouvrier, et spécialement, du compagnon Octors, mais aussi pour montrer quel immense domaine est encore là, à défricher et à ensemencer. L'action socialiste s'est jusqu'ici préoccupée presque exclusivement des hommes; il est temps de songer aussi à l'autre moitié de l'humanité et de créer des femmes socialistes, autant pour améliorer leur condition que parce qu'elles seront les mères et les éducatrices des générations futures. CHAPITRE 11. Le socialisme et les femmes. Aujourd'hui icrMai(i) se célèbre la fête du Travail. Partout où il y a des socialistes, ■— et il y eu a à présent partout : en Belgique, en France, en Angleterre, en Autriche, en Italie, aux Etats-Unis, même aux antipodes, en Australie, — partout des cortèges de travailleurs, des manifestations, des banquets ou des conférences exaltent la même Idée Nouvelle, sous le même symbole, le Drapeau Rouge! Le caractère universel, international, de cette journée indique d'une façon frappante de quelle véritable ampleur est la doctrine socialiste. Elle se hausse ainsi au-dessus des mesquines contingences qui peuvent inspirer les partis politiques; le Socialisme est autre chose, il est plus et mieux qu'une course à mandats, qu'une combinaison de manœuvres électorales; il se présente au monde contemporain comme une Religion nouvelle et c'est ainsi seulement qu'on peut expliquer les ferveurs, les enthousiasmes et les dévouements qu'il suscite. Pour rappeler chaque année, dans une communion (1) Conférence donnée à la Maison du Peuple de Char-leroi-Nord (Roton), par Jules Destrée, le l»r mai 1S97. générale de tous les fidèles, les espoirs de cette religion nouvelle, le icr Mai a été très heureusement choisi. Cette date marque l'époque où dans la nature tout se transforme et semble renaître pour de nouvelles vies. Brins d'herbe qui verdoient, bourgeons qui crèvent sous la poussée de la sève, arbres en fleurs parés comme des mariées, tout, sous le soleil plus chaud dans le ciel plus bleu, parle de renouveau, de printemps, d'espérance. Tandis que les choses se préparent à de nouvelles formes d'existence, évoluant sous la loi de perfectibilité, nous aussi, nous voulons préparer les hommes à de nouvelles formes sociales, mieux en rapport avec le progrès, plus préoccupées du bonheur de tous. Cette rénovation sociale, déjà au siècle passé, la grande Révolution Française en avait donné la formule dans la triple devise : Liberté, — Egalité, — Fraternité. Proclamation de principes non encore réalisés à l'heure actuelle. D'autres les ont résumés en un seul mot : « Justice »! et en ont indiqué le moyen essentiel : Solidarité. Tout ce merveilleux programme, on n'y songe le plus souvent que pour une moitié du genre humain. 11 semble, pour maintes gens, que les revendications économiques, politiques et sociales ne concernent que les hommes seulement. Quant à nous, nous avons à cœur de déclarer que nous entendons la devise républicaine dans le sens le plus large, et que si nous voulons faire grandir une Humanité nouvelle, nous entendons que la liberté, l'égalité, la fraternité — la justice en un mot — y soient proclamées et réalisées pour la femme comme pour l'homme. ior. — Socialisme et Féminisme. On a appelé « féminisme » le mouvement qui, dans la société contemporaine, tend à réclamer pour la femme les mêmes droits que ceux qui existent pour le sexe fort. Ce que je viens de dire vous conduit déjà à penser que tout bon socialiste est nécessairement féministe ; mais la question vaut la peine qu'on s'y arrête. Cette idée de l'équivalence des sexes est toute moderne. Dans le passé, la femme est l'esclave. Les législations de l'antiquité et de l'Orient ne lui recon-naisent aucun droit sérieux. Je pourrais en citer maints exemples. Le christianisme ne fit rien pour relever l;i condition de la femme. Au contraire! Pout tout clérical imbu des légendes de la Genèse, la femme est toujours un agent de perdition, une des filles de cette Eve dont la curiosité et la... gourmandise firent chasser du Paradis l'Humanité. C'est à titre de châtiment qu'elle enfante dans la douleur. C'est elle qui fait trébucher les saints dans le péché. Avec les premiers Pères de l'Eglise, on découvre à l'adresse de la femme une cataracte d'imprécations et d'anathèmes véritablement curieux. Les fameuses discussions du concile de Màcon sont restées légendaires. Je vous distrairais, à coup sur, beaucoup, par quelques citations; mais qu'il me suffise de vous avoir indiqué que, depuis des siècles, l'infériorité de la femme a été ainsi consacrée par les institutions, les lois, la religion. Est-il alors étonnant que le cerveau soumis à toutes ces lointaines influences, nous ?iyons quelque peine à accepter l'idée contraire? L'infériorité de la femme semble à la plupart des gens une chose si normale, si naturelle, si nécessaire que l'on me demandera peut être tout d'abord si elle existe et de quoi je me plains, de quoi se plaignent les zélateurs du mouvement féministe? Je n'aurai pas de peine, malheureusement, à vous montrer quelles différences de traitement, parfois ridicules, parfois odieuses, toujours injustifiables, nos lois réservent au sexe faible. J'ai commencé par vous signaler les préjugés aux racinçs profondes dans le passé, qu'il faut vaincre pour examiner cette question. Nous sommes tous soumis, même ceux qui s'en croient le plus dégagés, à l'ambiance catholique ; nous avons tous à cet égard de sottes préventions qui nous empêchent de voir juste. Voulez-vous une autre preuve de cette action néfaste, pour les femmes, de la croyance catholique? Comparez la législation des différents pays au point de vue féministe, vous la trouverez très avancée dans tous les pays protestants, très arriérée dans les pays catholiques. Dans ces derniers, l'évolution féministe ne se fait que très lentement, très difficilement, à travers de sourdes résistances. Quelle est, chez nous, la situation? En théorie, sans doute, on a proclamé l'égalité, mais vous allez voir, par le rapide exposé qui va suivre, combien cette théorie est restée platonique et combien les lois, pleines de survivances barbares, combien les institutions, hostiles à cette nouveauté, y sont encore réfrac-taires. Quant aux partis politiques, ils n'ont point pris position, sauf le parti socialiste. Il y a des féministes, fort tièdes à la vérité, dans le parti clérical comme dans le parti libéral, mais dans le parti socialiste seul le féminisme est inscrit au programme. Le congrès international réuni à Bruxelles, en 1891, a voté à l'unanimité moins trois voix la résolution suivante : « Le congrès invite les partis socialistes de tous les pays à affirmer énergiquetnent dans leurs programmes l'égalité complète des deux sexes, à demander qu'il soit concédé à la femme les mêmes droits politiques et civils qu'à l'homme et qu'on abroge toutes les lois qui mettent la femme en dehors du droit commun. » Et vous savez que le Parti Ouvrier belge a déféré au désir du congrès. § 2. — La Femme et les Droits politiques. Ici, l'inégalité est évidente. L'inventaire des droits politiques de la femme est assez vite fait : ils se résument à zéro. Pour beaucoup d'hommes d'ailleurs, et même pour ceux-là qui ont réclamé avec le plus d'énergie le suffrage universel, il est tout à fait inutile que des droits soient reconnus à la femme. La femme électeur, la femme éligible, leur parait une idée saugrenue comme la femme avocat, bien qu'ils aient accepté la femme médecin, la femme négociant et la femme ouvrière. C'est toujours cette idée préconçue de l'infériorité nécessaire de la femme, idée dont Voltaire a fait justice avec esprit en disant : « Les femmes? Elles savent faire tout ce que nous faisons, seulement elles sont plus aimables «. ELECTOHAT. 1. Professionnel. — S'il est un domaine où l'intervention directe de la femme n'a guère besoin d'être justifiée longuement, c'est dans le domaine professionnel. Pour tout ce qui touche à ses conditions de travail, salaire, heures et conditions d'ouvrage, l'ouvrière doit être consultée directement. Son père, son mari, son frère, compétents en d'autres métiers, ne peuvent voter pour elle. Ce principe a déjà pénétré dans notre droit public belge, mais ses applications en sont encore très restreintes. On se rappelle que la Chambre catholique belge a refusé de le consacrer pour les ouvrières des mines, ainsi que je l'avais proposé lors de la récente discussion sur l'inspection des travaux houillers. 2. Adtninistratif. — L'administration d'une commune, par exemple, comprend des services divers : enseignement, hygiène, bienfaisance, etc., où l'intervention des femmes pourrait être des plus utiles. En Angleterre, les mères de famille sont consultées sur l'éducation à donner à leurs enfants. Elles ont rendu les plus grands services à cet égard et loin de songer à restreindre leur activité, on ne pense qu'à l'augmenter. De même, les femmes, plus expertes dans l'art d'utiliser les ressources d'un budget, plus charitables et clairvoyantes, peuvent être très précieuses dans tout ce qui se rapporte à la bienfaisance. Dans l'ancien droit belge, en certaines localités, elles n'étaient point exclues des fonctions administratives (Loi de Beaumont). Lors de la discussion de la loi communale, ce furent les députés socialistes Hector Denis, Emile Vander-velde, C. Demblon qui défendirent le droit des femmes. On trouvera dans leurs discours (4 avril 1895) d'importants renseignements sur la question. La majorité cléricale, malgré l'intérêt politique qu'elle avait, tout au moins immédiatement, à voir les femmes admises au vote, vota, naturellement', contre la proposition socialiste, avec un ensemble qui témoigne de la vitalité des préjugés dont je parlais au début. 3. Politique. — La question semble, chez nous, très loin d'être mûre. Il n'y a cependant aucune bonne raison pour refuser aux femmes le droit de participer à la confection des lois qu'on leur applique. Les principes modernes de souveraineté nationale entraînent, dans la logique de leurs conséquences, le suffrage féminin comme le suffrage mâle. Il est particulièrement absurde, par exemple, de parler de représentation proportionnelle alors que la moitié des gouvernés n'a rien à dire. Signalons seulement que ce qui nous semble si extravagant est appliqué, sans perturbation, dans divers Etats d'Amérique et d'Australie, où les femmes sont non seulement électeurs, mais membres des Chambres législatives. Dans la politique, la femme, avec son sens des nécessités pratiques, apporterait un élément de conservation et de stabilité, mais souvent aussi sa générosité et son cœur contribueraient à donner aux résolutions du pouvoir un caractère plus altruiste et plus compatissant aux faibles. ADMISSIBILITÉ AUX EMPLOIS. i. Publics. — Inutile encore d'entrer ici dans les détails. Sous prétexte que la femme, que nous voyons parfois administrer des entreprises si complexes et si difficiles, est incapable de s'occuper d'affaires, elle est tenue à l'écart de tous les emplois publics. C'est M. Jules Lejeune qui, lors de son passage au ministère de la justice, a osé rompre avec ces routines ridicules. On se souvient que c'est lui qui appela aux délicates fonctions de Présidente du Bureau de Bienfaisance de Monceau sur-Sambre, Mad. Alice Bron qui montra combien les femmes pouvaient être à leur place dans ces dignités secourables. Depuis, d'autres ont été nommées; petit à petit, mais bien lentement, les résistances cèdent sous la poussée de compréhensions plus fécondes. 2. Privés. — L'industrie capitaliste n'a pas été aussi difficile. Cette terrible mangeuse d'hommes a voulu dévorer en même temps les femmes et les enfants. Elle les a appelés dans les usines malsaines pour des salaires intimes, exténuant des générations entières, opposant aux réclamations de l'ouvrier la concurrence de la femme et de l'enfant pour les réduire plus facilement tous à merci. Vous savez qu'il a fallu une loi pour mettre quelque frein à l'appétit de cette ogresse, et vous savez aussi que c'est aux idées socialistes qu'est due cette loi toute récente (1889) sur le travail des femmes et des enfants. En ce domaine, le mouvement féministe formule d'une façon bien simple le programme de ses revendications. « A travail égal, salaire égal ». Rien n'est plus évidemment équitable; rien n'est moins souvent pratiqué cependant. Pour réussir, les ouvrières doivent se persuader que le moyen le plus eflicace est l'association dans le syndicat professionnel. 3. Enseignement, éducation. — Aux points que je viens de traiter se rattache nécessairement une série de questions relatives à l'enseignement et à l'éducation. Il semble que l'on commence à comprendre que la femme ne doit pas être élevée uniquement en vue de l'homme, mais qu'elle doit être élevée pour développer, comme l'homme, son individualité propre. C'est sous l'empire de ces idées que nous avons vu nos Universités ouvrir leurs portes, non sans des hésitations et des discussions, au sexe faible. Mais tandis que les doctoresses diplômées exerçaient l'art de guérir, celles qui avaient leur certificat de capacité juridique se voyaient refuser par la Cour d'appel le droit de plaider. 4.Prostitution. — Le seul emploi auquel la société capitaliste admette sans répugnance la femme, c'est celui de chair à plaisir. On ne conçoit guère, sans doute, d'organisation sociale où la prostitution soit plus imposée, comme un métier obligé, à celles qui s'y livrent. Les conditions sociales d'aujourd'hui, si dures aux femmes, forcent celles-ci à choir dans cette boue de la prostitution. Sur dix prostituées, il y en a neuf au moins qui ne sauraient être autrement. Une honnête femme est à peu près dans l'impossibilité de gagner sa vie. La question est trop importante pour pouvoir l'étudier de près ici; je me borne à l'indiquer et à dénoncer la prostitution comme un résultat presque fatal des conditions économiques et sociales capitalistes. § 3. — La Femme et les Droits civils. Il faut distinguer deux groupes de questions : les droits de la femme en général, et spécialement de ceux de la femme mariée. On consultera, sur ces points, avec grand profit, un excellent volume de M. Bridel, les Droits de la Femme, publié en 1898 chez l'éditeur Alcan, à Paris. Nous allons, dans un rapide examen, constater combien toute notre législation est encore empreinte de l'idée d'infériorité et de subordination de la femme. EN GÉNÉRAL. 1. Incapacités. — La femme, qui peut être témoin en correctionnelle ou en cour d'assises et décider de la vie ou de la liberté d'un homme, ne peut être témoin dans un acte de l'état civil ou à un acte notarié. La « solennité » de ses actes ne serait plus complète si un être aussi inférieur qu'une femme y comparaissait. La femme ne peut être tutrice, sauf de ses propres enfants. On dit qu'elle n'a pas suffisamment le sens des affaires! Que d'hommes sont femmes, sous ce rapport ! 1. Séduction. — Que dire d'une loi qui permet au séducteur d'abandonner cyniquement celle à laquelle il a fait un enfant? On a été deux à le faire, on devrait être d'eux à le nourrir. La femme seule supporte tout le fardeau ! L'opinion publique commence à s'émouvoir de cette situation inique et un projet de loi sur la recherche de la paternité a été déposé à la Chambre Belge, le (6 novembre 1894, par M. le Ministre Le Jeune. Inutile de dire que la majorité cléricale laisse dormir dans les cartons cette œuvre de justice urgente. SPÉCIALEMENT DE LA FEMME MARIÉE. i. Régime quant aux personnes. — Quand elle se marie, le Code fait jurer à la femme obéissance. Pourquoi? Est-ce une compagne ou une esclave? On fait jurer aussi aux deux époux fidélité. C'est parfait. Mais qu'arrive-t-il s'ils trahissent leur serinent ? L'inégalité de traitement, l'injustice de la loi apparaissent ici d'une manière criante. Dans une union formée librement entre deux êtres qui se seraient juré fidélité, sans la contrainte d'aucune influence étrangère, d'aucune nécessité économique, l'adultère serait une traîtrise odieuse. Dans le mariage d'aujourd'hui, où l'argent plus que l'amour a rapproché les époux, l'adultère est d'uue fréquence incroyable et l'on a pour lui des indulgences infinies. Le nombre des femmes qui trompent leur mari est considérable; mais celui des maris infidèles est bien plus grand encore ! Or, que dit la loi ? La loi traite l'homme et la femme avec la plus monstrueuse inégalité. Le Code pénal français permettait au mari trompé de tuer sa femme surprise en flagrant délit. Notre Code, un peu plus humain à cet égard, punit l'adultère de la femme dans tous les cas, mais ne punit celui du mari que dans le cas d'entretien de la concubine au domicile conjugal. Ces dispositions pénales sur l'adultère m'ont toujours paru monstrueuses. Elles sont une odieuse manifestation de la guerre au faible, car dans la pratique, on ne les applique qu'aux femmes, et aux femmes de la classe ouvrière. Certes la loi existe pour les bourgeoises et pour les grandes dames, mais jamais on ne les voit, de ce chef, en police correctionnelle. Non pas qu'elles ne trompent jamais leurs maris ; l'adultère est au moins aussi fréquent danslehigli-life que dans les classes pauvres, et des scandales récents ont prouvé que les princesses même y prennent parfois goût. Mais le tribunal répressif n'est pas pour ces coupables. Je n'ai jamais vu les femmes du monde en correctionnelle, mais j'y ai vu souvent de pauvres femmes délaissées, abandonnées avec plusieurs enfants par un mari ivrogne ou paresseux, et qui après un an, cinq ans, dix ans de lutte, avaient trouvé un ami pour les défendre et les protéger, et qui, sur la plainte du mari indigne, se voyaient infliger des mois de prison! Il est de ces cas où l'application de la loi apparaît comme une injustice criante. Il est absurde aussi de consacrer par des sanctions pénales l'inobservation d'un contrat civil. L'adultère 11e devrait être qu'un motif de divorce ; il ne devrait avoir que des suites civiles, sans plus. Tel est l'esprit de diverses législations étrangères : Angleterre, État de New-York (Code pénal 1881), canton de Genève (L. P. 1874), celui de la Codification pénale de la Révolution française (1791) et d'une proposition de loi déposée à la Chambre française par le député Viviani. 2. Régime quant aux biens. —La femme est une incapable; elle ne peut rien faire sans autorisation maritale. Le Code Napoléon a, parmi les divers régimes existant avant la Révolution, adopté la communauté. C'est fort bien, en théorie, la bourse est commune; tout ce qui est à toi est à moi; tout ce qui est à moi est à toi. Mais c'est une communauté dont le mari seul est le chef. La bourse est commune, mais lui seul en a les cordons ! M. Bridel, dans l'étude que je vous signalais tantôt, indique le régime de la séparation des biens comme le plus conforme à la justice. C'est dans ce sens que paraît devoir se fixer le progrès juridique. La place % - ' m., manque, nécessairement, pour vous en exposer le ; motifs. Mais une injustice particulièrement irritante est celle qui interdit à la femme mariée le droit de disposer du fruit de son labeur et de son épargne. Mlle Pope-lin disait naguère, au Temple de la Science de Charleroi, ce qu'il y avait de révoltant dans la mise au pillage, par un mari ivrogne et débauché, des économies péniblement amassées par une femme à l'aide d'un surtravail personnel. Dans la séance du 2.3 avril 1896, j'ai eu l'honneur, avec mes amis Hector Denis, Emile Vandervelde, Bertrand, Anseele et Berloz, de présenter à la Chambre une proposition ayant pour but de remédier à ces abominables abus. Inutile encore d'ajouter, que le gouvernement clérical la laisse dormir du sommeil des justes ! Rendons lui cette justice toutefois que, sous l'impulsion du Ministre J. Le Jeune, il à fait voter (1896) une loi accordant certains droits au conjoint survivant qui ne venait, comme héritier, d'après le Code, qu'après les parents au 12e degré! 8. Régime quant aux enfants. — L'autorité familiale est exercée par le père seul; elle s'appelle puis sance paternelle. Quand l'enfant veut se marier, il doit demander l'avis de ses père et mère, mais en cas de désaccord le consentement du père suffit. La mère, parce que femme, est tenue pour rien. Telles sont très rapidement, trop rapidement esquissées, les anomalies de nos lois et les réformes quele parti socialiste préconise dans cet ordre d'idées. § 4. — Conclusions. ÉVOLUTION DU MARIAGE. Nous allons maintenant vers une conclusion qui paraît subversive à beaucoup d'esprits et qui n'est cependant que la résultante logique des réformes généralement admises que je viens de vous exposer. Si la jeune fille doit être instruite et éduquée pour développer sa personnalité et non pour l'homme; si devenue majeure, elle doit être relevée de ces puériles déchéances qui l'éloignent de la tutelle ou du témoignage dans les actes publics ; si tout ce qui touche à sa condition économique, salaire, travail, etc., doit être pareil, en valeur et en dignité, à ce qui est concédé au sexe fort; si, dans le mariage ou en dehors de celui-ci, il est proclamé que le séducteur de la femme, le père des enfants, doit aide et secours à cette femme et à ces enfants; si les enfants naturels voient enfin reconnaître leurs droits; si le régime des biens est la séparation; si l'autorité sur les enfants est la même pour le père et pour la mère ; si l'association conjugale doit être dissoute par le divorce chaque fois que le bonheur des époux le réclame; si, à la dissolution de l'association, certains droits doivent être reconnus au survivant ; si, dans le mariage, les droits et les devoirs de chacun sont les mêmes et si l'adultère n'est plus qu'une infraction civile à un contrat civil; qui ne voit qu'en somme toutes ces améliorations si justes, qui tendent à relever la femme, à en faire l'égale, la libre compagne de l'homme, portent, en réalité, une atteinte essentielle à la conception du mariage et de la famille, teile que nous l'ont léguée la doctrine catholique et le Code Napoléon ! 11 est intéressant de constater que toutes les questions féministes convergent dans leur évolution dernière vers une transformation du mariage; on a désigné sous le mot : Union libre, la forme nouvelle que l'on peut ainsi pressentir dans un avenir assez rapproché. Parmi les théories socialistes, il n'en est point, peut-être, qui ait donné lieu à d'aussi faciles et d'aussi sots commentaires. De la part des cléricaux, nous devions nous attendre à des résistances véhémentes ; en effet, ces conceptions nouvelles heurtent chez eux des préjugés religieux auxquelsils obéissentmémeinconsciemment. De la part des libéraux, les attaques sont moins compréhensibles, car nous ne faisons qu'élargir, somme toute, les arguments qu'ils ont fait prévaloir dans notre législation en y établissant le divorce. Mais en vérité, le fond de toutes ces oppositions est plutôt l'ignorance que la mauvaise foi. Pour beaucoup, les socialistes, en cette matière, sont les apôtres de je ne sais qu'elle bestiale satisfaction des sens et rêvent une promiscuité digne des sauvages et des animaux. C'est ainsi que des scribes imbéciles et perfides exploitent contre nous, en période électorale, des citations tronquées, falsifiées ou des divagations sans autorité. Inutile d'insister sur la bassesse et la facilité de ce genre de polémique, dont le Bilan Rouge est resté le type. Mais ce qui est plus utile à expliquer, c'est le pourquoi des répugnances irraisonnées, des indignations conventionnelles que manifestent certaines gens devant certaines idées. Une grande quantité de nos contemporains croient, sans y avoir jamais réfléchi, que le mariage et la famille sont d'ordre naturel et ont toujours existé comme ils se présentent à nous aujourd'hui. O.r rien n'est plus faux! L'évolution est une loi sociologique autant que biologique. Elle régit les formes de la vie humaine. Tout change incessamment, tout se modifie, s'adapte selon les nécessités diverses. L'institution du mariage et de la famille n'y a point échappé. Elle a subi, de même que le mode successoral qui en est le corrolaire, les changements les plus extraordinaires et les plus variés au cours des siècles. Les recherches modernes ont établi cette vérité de la manière la plus certaine (i). Des faits nombreux ont été colligés et rassemblés par les sociologues : on a découvert et reconstitué toute une série très variée d'institutions matrimoniales et familiales, depuis la promiscuité originelle, le mariage- par groupes, le matriarcat et la polyandrie, etc., auxquels les auteurs ont donné des noms divers Je ne veux pas fatiguer votre attention par des détails : qu'il me suffise de vous signaler qu'en ce siècle même, alors qué tout le monde occidental professe la monogamie, les Turcs d'un côté, les Mormons de l'autre, pratiquent la polygamie. Toute une série de rites, de coutumes locales ne s'expliquent bien que comme survivances d'institutions disparues (2). Si ces formes sociales ont pu changer dans le passé, (1) Fr. ENGELS, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, Paris, Carré, 1893. LETOURNEAU, L'Evolution du mariage et de la famille, Paris, 1888. (2) Massart, Df.moor et Vandf.rvelde, L'Évolution régressive, Paris 1897. pourquoi ne changeraient-elles pas encore dans l'a-enir ? N'est-ce pas une illusionnante fatuité de croire ue nous avons atteint en cette matière le dernier terme t'e la perfection et que le progrès s'arrête avec nous? Il n'y a rien de déraisonnable à croire que ce que nous voyons autour de nous, même le mariage, même la famille, se modifiera au cours des temps futurs. ..lais ce qui est la vérité scientifique semble absurde aux gens à courte vue. Déjà, Montaigne jadis avait dit de jolie façon : « Les communes imaginations que nous trouvons en crédit autour de nous et infusées en notre àme par la semence de nos pères, il semble que ce soient les générales et naturelles, par où il advient que ce qui est hors des gonds de la coutume, on le croit hors des gonds dé la raison ». L'union libre peut paraître hors des gonds de la coutume, elle n'est pas hors des gonds de la raison. Les juristes la trouvent au bout des réformes dont je vous parlais tantôt; les sociologues l'aperçoivent comme terme prochain de l'évolution du mariage. H. Spencer a noblement dit : « Dans les phases primitives pendant lesquelles la monogamie permanente se développait, l'union de par la loi (originairement l'acte d'achat) était censée la partie essentielle du mariage, et l'union de par l'affection était non essentielle; à présent, l'union par la loi est censée la plus importante et l'union par l'affection la moins importante; un temps viendra où l'union par affection sera censée la plus importante et l'union par la loi la moins importante : ce qui donnera lieu à la réprobation les unions conjugales où l'union par affection sera dissoute. » (H. Spencer, Sociologie, t. II, p. 410-411). . Et si nous voulons nous mettre au-dessus des effarouchements de commande venant, soit de la part de gens sans famille comme les curés et les moines, soit de la part de gens mariés pour qui les aventures galantes sont d'aimables fredaines, on reconnaîtra que l'union librement contractée par l'amour d'êtres égaux, indépendants et libres, librement maintenue par l'affection et l'estime réciproque est singulièrement plus morale que le mariage bourgeois de nos jours, où les parents marient une jeune fille, sans la consulter, à un jeune homme qui n'en aime que la dot ou les espérances, opérations qui ont juste autant de dignité ou de moralité que l'achat d'une jument sur un marché de bestiaux! Il va sans dire d'après nous, mais nous le disons cependant expressément pour éviter tout malentendu, que nous ne prévoyons la généralisation de l'union libre que comme l'aboutissement dernier de toute une longue évolution, d'une série complexe de réformes juridiques, économiques et morales, et chacun sait que celles-ci ne sont pas l'œuvre d'un jour! Il va sans dire aussi qu'à mesure que s'établirait cette forme de mariage, la loi devrait prévoir la situation des conjoints pendant leur association et après la rupture de celle-ci, et intervenir pour la protection et la sauvegarde des enfants. DEVOIRS DES FEMMES SOCIALISTES. Après avoir examiné ainsi rapidement l'état de notre législation et de nos institutions, avoir dit tout ce que le socialisme réclamait pour la femme de droits et de liberté, il me reste à vous dire tout ce que le socialisme à son tour réclame des femmes. Tout droit est corrélatif d'un devoir. Si les femmes reulent être traitées avec respect et dignité, comme les compagnes de l'homme, il importe aussi qu'elles comprennent les obligations qu'entraîne cette conception nouvelle. Et dès maintenant, dans la société présente, la femme peut avoir une action économique et morale considérable, dont les effets retentiront sur sa condition, sur celle de son époux et de ses enfants. Il faut tout d'abord qu'elle s'affranchisse des vieux servages dont son mari et ses enfants se sont délivrés. Si elle veut être considérée comme un être libre, il faut qu'elle ne soit point le jouet de superstitions grossières, l'esclave d'une dévotion aveugle, un instrument docile d'espionnage entre les mains de quelques vicaires (i). Entrez dans une église un dimanche; elle est remplie de femmes. Voyez autour du confessionnal : ce sont des mères, des épouses, des filles qui y apportent les secrets de la famille, y demandent des consolations et des conseils. En pays wallon surtout, cette différence du développement philosophique entre les sexes est particulièrement frappante. Elle a ceci de fâcheux : que l'Église catholique, ayant pris parti dans la lutte quotidienne entre l'esprit de progrès et l'esprit de conservation, chaque ménage se trouve par ce fait tiraillé en deux sens contraires : le mari disposé à aller en avant, la femme le retenant et l'empêchant de suivre cette impulsion. Voulez-vous un exemple : Prenons une grève. Le mari, objet direct des injustices qui ont motivé le (i) Voyez le livre de Michelet, Le prêtre, la femme et la fantille. refus de travail, s'impatiente, se révolte, se décide à la résistance. La femme, qui sait toutes les difficulté que la suppression des salaires va entraîner, lui reproche d'écouter les camarades, l'engage à la soumission, et dans des moments où le réconfort serait si nécessaire, le décourage ou l'invective. Est-il surprenant, après cela, que le mari délaisse le toit familial et préfère causer avec ses compagnons de travail au cabaret où il les retrouve? Je voudrais que la femme comprît mieux les intérêts de son mari. Je voudrais qu'associée à ses souffrances, à ses désirs, elle n'intervînt qu'avec prudence pour faire entendre la voix de la raison — et ses conseils seraient bien mieux écoutés — et cela avant la lutte, avant les résolutions extrêmes qu'il ne faut jamais prendre sans mûre réflexion ; mais celles-ci une fois décidées, je voudrais trouver la femme à Côté de son homme, pour lui insuffler des héroïsmes et non pour affaiblir son courage! Je voudrais surtout que, dans la classe ouvrière, les femmes aient la perception bien nette des services énormes que rendent à la famille entière les mutualités, les syndicats, les coopératives. Partout où des femmes sont employées dans l'industrie, elles devraient s'associer, s'organiser en syndicats professionnels pour assurer le respect de leur travail, pour se garantir des salaires convenables, des heures et des conditions de labeur honorables. Ça et là, nous constatons avec plaisir en Belgique, sous l'impulsion du Parti Ouvrier, la création de syndicats d'ouvrières; mais tous ceux qui se sont occupés de ce mouvement reconnaîtront avec moi quelles difficultés ils rencontrent et combien les femmes sont moins persuadées que les ouvriers de la nécessité des unions profes- sionnelles. Il convient donc, à chaque occasion, de leur en expliquer le mécanisme et l'utilité. On peut dire la même chose des mutualités. Il est certain que la femme tout autant que l'homme est sujette aux maladies, aux cas imprévus qui viennent enlever la capacité de travail. Elles auraient tout autant d'intérêt que leurs mairis ou leurs frères à entrer dans les mutualités. De ce côté-là encore il y a beaucoup à faire et le jour où les femmes le comprendront, ce sera un grand pas fait pour l'émancipation de la classe ouvrière. Enfin, si elles devaient pratiquer pour elles-mêmes, chaque fois que les circonstances le permettent, l'union professionnelle et la mutualité, elles devraient surtout engager leurs maris, leurs pères, leurs frères et leurs fils à ne pas négliger ces moyens essentiels d'amélioration de leur sort. Ménagères, dites-vous bien que l'argent donné à la mutualité n'est pas perdu : le jour où le travailleur sera blessé ou malade — et qui peut se vanter d'échapper à la blessure et à la maladie —• vous verrez rentrer au logis, bienfaisantes et doublées, ces économies fécondes! Dites-vous bien que l'argent donné aux syndicats n'est pas perdu : c'est la cotisation qui garantit le salaire sans cesse ^menacé par la concurrence, qui protège contre les exigences excessives du capital! Dites-vous bien encore, ménagères, que la dépense quotidienne pour le journal, que les dépenses de solidarité ne sont point non plus nuisibles, au contraire ! Enfin, comprenez et soutenez les coopératives dont les bienfaits sont tels qu'il n'est pas besoin, n'est-ce pas, de vous les détailler? Et lorsque vous vous serez ainsi attaché vos maris, vos frères, vos fils, en leur montrant que vous par- tagez leur confiance et leur espoir dans ces mutualités, ces syndicats, ces coopératives, nous vous demanderons votre concours pour terminer votre œuvre salutaire et combattre avec nous l'alcoolisme. Les dépenses que je vous ai citées tantôt sont utiles et vous devez les encourager; celles pour le cabaret sont funestes, et tout ce que vous ferez pour les empêcher sera bien fait ! Je ne dois pas insister : vous, les mères de famille, vous êtes les premières à souffrir quand le cabaret vous prend vos hommes et vos fils 1 Venez avec nous lutter contre ce fléau terrible; venez au socialisme rédempteur, pour le mieux connaître, pour mieux comprendre son grand Rêve de fraternité et d'amour de tous, pour le rappeler à vos maris, pour l'enseigner à vos enfants! Venez pour que, quand vous vous en irez dormir à jamais, vous ayez du moins la consolation suprême d'avoir dans la limite de vos forces essayé un effort conscient vers l'idéal et laissé aux tètes blondes et brunes des petits la certitude d'un monde meilleur. LA PETITE PROPRIÉTÉ RURALE (i) CHAPITRE I. La petite et la grande propriété. De toutes les formes de la propriété privée, il n'en est pas qui ait été condamnée par un plus grand nombre de théoriciens, que celle du sol et des agents naturels. A côté des land nationalisators et des socialistes proprement dits, beaucoup d'économistes libéraux, reflétant l'antagonisme des industriels à l'égard des land lords, se prononcent plus ou moins explicitement contre le monopole des propriétaires fonciers. (i) Rapport présenté au Congrès agricole de Waremme, le 19 décembre 1897, par Emile Vandervelde, au nom du Groupe agricole central. Les conclusions de ce rapport ont été adoptées à Funamité, moins une abstention. 36ô LE SOCIALISME EN BELGIQUE Ricardo constate que leur classe est la seule dont les intérêts soient toujours opposés à ceux des autres classes sociales. Senior prétend qu'ils n'ont d'autre rôle « que de tendre la main pour recevoir des offrandes du reste de la communauté ». J.B. Say, lui-même, dans son « Cours d'economie politique », reconnaît que la propriété foncière est « le genre de propriété dont la légitimité est la plus douteuse; ou, plutôt qu'il n'y a pas un héritage qui ne remonte à une spoliation violente ou frauduleuse, récente ou ancienne» (i). StuartMill dit à son tour: «Lorsqu'on parle du caractère sacré de la propriété, on devrait toujours se rappeler que ce caractère sacré n'appartient pas au même degré à la propriété de la terre. Aucun homme n'a fait la terre. Elle est l'héritage primitif de l'espèce humaine tout entière. Son appropriation est entièrement une question d'utilité générale. Si la propriété privée de la terre n'est pas utile, elle est injuste » (2). Il n'est pas jusqu'à H. Spencer, qui, dans ses « Principes de sociologie », n'ait soutenu que, probablement « la terre habitée, que le travail 11e saurait produire, finira par se distinguer des autres choses, comme un objet qui ne saurait être possédé à titre privé » (3). Et cependant, partout où la propriété paysanne a conservé des racines profondes, nous voyons les partis socialistes — si catégoriques lorsqu'il s'agit de la propriété industrielle — transiger, au contraire, avec la propriété rurale et considérer la socialisation (1) J.-B. Say, Cours d'Economie politique, t. II, p. 257. (2) MlLL, Principes d'Économie politique. Trad. Cour-celle Seneuil, I, p. 267. (3) Spencer, Principes de Sociologie, III, p. 741. de la terre comme le dernier terme d'une longue évolution. « Nous entendons — disait Jules Guesde, en 1884, au congrès de Saint-Etienne, — suivre, et non intervertir, comme Colins, l'ordre de la concentration économique, en commençant par la propriété industrielle et financière, et en terminant par la propriété agricole » (1). La même pensée se retrouve dans le programme agricole adopté par le Parti ouvrier français, au congrès de Nantes, le 14 septembre 1894, sur le rapport de Paul Lafargue (2). Les considérants de ce programme affirment, il est vrai, que l'état de choses, caractérisé par la propriété paysanne, est fatalement appelé à disparaître, mais ils déclarent, immédiatement après, que le devoir impérieux du socialisme est de maintenir en possession de leurs lopins de terre, contre le fisc, l'usure et les envahissements de nouveaux seigneurs du sol, les propriétaires cultivant eux-mêmes (3). (1) Cf. Gabriel Deville, Discours prononcé à la Chambre des députés de France. Journal Officiel du 7 novembre 1S97, p. 2316. (2) Paul Lafargue, La propriété et l'évolution économique. Rapport présenté au Congrès de Nantes, au nom du Conseil national du Parti ouvrier français ; dans l'Ère nouvelle. Revue du socialisme scientifique. Novembre 1894. (3) « Considérant qu'aux termes mêmes du programme général du Parti, « les producteurs ne sauraient être libres « qu'autant qu'ils seront en possession des moyens de pro-« duction » ; « Considérant que si, dans le domaine industriel, ces moyens de production ont déjà atteint un tel degré de centralisation capitaliste, qu'ils ne peuvent être restitués aux 21 11 nous parait impossible de méconnaître le caractère contradictoire de ces deux affirmations. Si la petite propriété est condamnée à disparaître, par la force des choses, par la fatalité même de l'évolution économique, les socialistes ne doivent pas assumer la tâche impossible de maintenir en possession les petits propriétaires. Certes, ils peuvent ne rien faire pour accélérer cette évolution ; ils peuvent se préoccuper d'adoucir cette agonie d'une classe, de soulager les misères qui en résultent pour les individus qui la composent; mais dès l'instant où on admet que fatalement, la petite propriété doit être absorbée parla propriété capitaliste, et que c'est préproducteurs que sous la forme collective ou sociale, il n'en est pas de même actuellement, en France du moins, dans le domaine agricole ou terrien, le moyen de production, qui est le sol, se trouvant encore, sur bien des points, possédé, à titre individuel, par les producteurs eux-mêmes; « Considérant que, si cet état de choses, caractérisé par la propriété paysanne, est fatalement appelé à disparaître, le socialisme n'a pas à précipiter cette disparition, son rôle n'étant pas de séparer la propriété et le travail, mais, au contraire, de réunir, dans les mêmes mains, ces deux facteurs de toute production, dont la division entraîne la servitude et la misère des travailleurs tombés à l'état de prolétaires ; « Considérant que si, au moyen des grands domaines repris à leurs détenteurs oisifs, au même titre que les chemins de fer, mines, usines, etc., le devoir du socialisme est de remettre en possession, sous la forme collective ou sociale, les prolétaires agricoles ; son devoir, non moins impérieux, est de maintenir en possession de leurs lopins de terre, contre le fisc, l'usure et les envahissements des nouveaux seigneurs du sol, les propriétaires cultivant eux-mêmes ». cisément la concentration de celle-ci,' qui seule rendra possible l'instauration de la propriété collective, on ne saurait, en bonne logique, admettre en même temps que les collectivistes aient pour devoir impérieux, de s'opposer à ces inéluctables transformations. C'est ce que Frédéric Engels (i), et, après lui Charles Gide, dans une spirituelle étude sur le Néocollectivisme (2), ont à notre avis irréfutablement démontré. Seulement, il reste à voir si la « loi de concentration capitaliste », la loi des trois états de la sociologie, — propriété individuelle, propriété capitaliste et propriété sociale, — a l'inflexible rigueur que la plupart du temps, on lui prête, pour les facilités de la propagande, ou pour celles de la réfutation; s'il est vrai que l'évolution de chaque industrie doit récapituler toutes les phases de l'évolution capitaliste ; s'il est incontestable que la transformation de la propriété individuelle en propriété sociale, ne peut être directe, et suppose nécessairement l'expropriation préalable des petits propriétaires par les grands capitalistes? Autant de questions, sur lesquelles nous aurons à revenir, dont nous ne songeons nullement à méconnaître l'importance théorique et pratique, qui ont déjà soulevé, et soulèveront encore, des controverses ardentes, mais qui n'empêchent pas l'accord de tous les socialistes sur le but à atteindre, sinon sur les moyens à employer. Il suffit de rappeler qu'au congrès (1) Neue Zeit, 1894-95, n° 10. Die Bauernfrage in Frank-reich und Deutschland. (2) Revue d'Économie politique, 1S94, p. 423. international de Londres (1896), c'est à l'unanimité que l'on adopta la résolution suivante : Les maux toujours croissants, que l'exploitation capitaliste de l'agriculture entraîne pour le cultivateur du sol, et pour la société toute entière, ne disparaîtront complètement que dans une société où le sol, aussi bien que les autres moyens de productions, appartiendront à la collectivité, qui les fera exploiter dans l'intérêt commun, en employant les procédés de culture les plus perfectionnés. La condition économique et la division en catégories de la population agricole, dans les différents pays, .présentent une diversité trop grande pour qu'il soit possible d'adopter une formule générale, qui imposerait à tous les Partis Ouvriers les mêmes moyens de réalisation de leur idéal commun, et qui seraient applicables à toutes les classes qui ont intérêt à cette réalisation. Ce qui est vrai des différents pays — l'influence que peut exercer sur la politique agraire des partis socialistes le degré d'avancement de l'agriculture et de la concentration de la propriété — l'est également des différentes régions d'un même pays. Il est évident, en effet, que l'appropriation individuelle du sol devient surtout injustifiable, à partir du moment où la densité de la population, les progrès de l'industrie et de la culture, le développement des grandes agglomérations urbaines, assurent aux détenteurs des agents naturels une part de plus en plus considérable du revenu social. Peu importe — si, bien entendu, l'un ne songe pas à l'avenir — que, dans des régions comme l'Ardenne, où il n'y a pas cinquante habitants par kilomètre carré (i), les terres communales soient alloties tous les trente ans, ou bien abandonnées, une fois pour toutes, aux particuliers en pleine propriété. Dans l'un et l'autre cas, chaque ménage a son lopin, et, comme il y en a pour tout le monde, personne ne peut s'en servir pour exploiter autrui. A ce degré de développement, on peut prétendre que l'homme et la terre sont unis, en légitime, si pas en indissoluble mariage. La propriété individuelle, combinée, d'ailleurs, avec la propriété collective des pâtures et des bois, garantit à chacun une existence médiocre, mais indépendante. Il en est tout autrement, par contre, dans les régions plus étendues, où les circonstances historiques ont fait disparaître les communaux, supprimé les anciennes tenures, arraché la terre à ceux qui la cultivaient et divisé le domaine arable, soit en grandes et moyennes fermes, comme dans le Condroz, la Hes-baye ou les Polders, soit en minuscules exploitations, chèrement affermées à des locataires, comme dans le pays de Waes ou la banlieue morcelée des grandes villes. Ici, la propriété foncière, semi-féodale encore, ou bien décidément capitaliste, n'apparaît plus comme un gage d'indépendance pour le producteur; elle devient, au contraire, un moyen de domination et d'exploi- (i) Au 31 décembre 1894, il y avait, pour la province de Luxembourg : Arrondissement d'Arlon . . . 66 hab. par k. carré. — de Marche . . 46 — — de Neufchâteau. 38 — Soit, pour la province .... 48 — 366 LE SOCIALISME EN BELGIQUE tation d'autant plus puissant et plus fructueux que la population se condense et qu'une demande plus active fait hausser le prix des terres et le taux des loyers. Enfin, quand, au sortir des jardins de la Flandre et des plaines de la Hesbaye, on pénètre dans les fourmilières industrielles et, plus encore, dans les centres de consommation et d'accumulation, dans ces « villes tentaculaires », qui étendent sur les campagnes leur triple domination, capitaliste, politique et fiscale, les inconvénients de l'appropriation individuelle du sol — fonds et tréfonds, —les criantes inégalités qu'elle engendre, les formes raffinées d'exploitation qu'elle fait naître, se dégagent dans tout leur éclat. Qu'est-ce, en effet, que cent ou deux cents hectares dans les bruyères de la Campine ou les fagnes du Luxembourg auprès de ces terrains à bâtir des grandes villes qui atteignent fréquemment — sans que leur propriétaire ait dû rien faire pour cela — 200 à 3oo francs le mètre, assez souvent 700 à 800 et, parfois, jusque 2,000 Ou 3,000 francs. Un notaire de Bruxelles nous citait dernièrement un terrain, situé dans les quartiers du Centre, qui s'était vendu 8,000 francs le mètre — ce qui ferait quatre-vingt millions à l'hectare ! Est-il possible d'assimiler et de confondre dans le même jugement le produit du travail d'un paysan propriétaire et Xunearned incrément du propriétaire des villes, incessamment grossi par le seul jeu du progrès général et de l'accroissement de la population ? N'est-ce pas une dérision que de réunir sous le même vocable — capitalistes — l'ouvrier qui n'a d'autre bien que sa maisonnette, le paysan qui possède quel- ques verges de terre, acquises et fécondées par son travail, et les grands bénéficiaires de l'ordre social actuel, les coffre-forts du pays noir, les princes de la laine et du coton, les araignées de la finance, couvrant toute la contrée de leur toile, et ces marquis de Carabas, à qui tout appartient aussi loin que s'étend la plaine — ceux pour qui le cultivateur travaille toujours et qu'il ne voit jamais, sauf, pout-ètre, quand ils viennent, à l'époque de la chasse, fouler aux pieds ses betteraves. Entre la petite et la grande propriété, la propriété parcellaire et la propriété capitaliste, il n'y a pas seulement une différence de quantité mais une différence de qualité. L'une est un moyen de travailler ; l'autre, de faire travailler. Celle-ci décourage la production ; celle-là tend à la surexciter. La première — quand le capitalisme ne l'a pas encore dépouillée de ses conditions d'existence normale — est une forme de la liberté ; la seconde, une forme de l'esclavage, donnant à ceux qui en profitent le droit de prendre leur part, plus ou moins large, dans la plus-value produite par la classe salariée : et cependant, malgré ces différences essentielles, ces caractères diamétralement opposés, nous voyons constammènt les classes maîtresses s'efforcer de créer une confusion entre la propriété privée des travailleurs et la propriété privée des non-travailleurs, de légitimer celle-ci, en invoquant les mérites de celle-là, et de rallier autour d'elles, en les terrorisant, la grande masse des petits propriétaires, soucieux de conserver le fruit de leurs épargnes. Il importe que les socialistes ne perdent jamais une occasion de déjouer cette tactique et de montrer que tous les théoriciens du collectivisme — quelle que 368 LE SOCIALISME EN DELGIQUE soit, d'ailleurs, leur opinion sur l'avenir de la petite propriété — sont entièrement d'accord pour établir une distinction très nette entre la propriété du travailleur sur les moyens de son activité productrice et celle du capitaliste sur les moyens d'exploitation du travail d'autrui. Rien de plus caractéristique à cet égard que l'article, déjà cité, qu'écrivit Engels, quelques mois avant sa mort, pour critiquer les considérants du programme élaboré par le Parti Ouvrier français. Quelle position prendrons-nous, dit-il, vis-à-vis des petits paysans, et comment devrons-nous procéder avec eux. si nous avons en mains le pouvoir de l'Etat? D'abord, cette proposition du programme français est absolument juste : nous devons prévoir l'irrémédiable ruine des petits paysans, mais nous ne sommes en rien appelés à l'accélérer par des mesures venant de nous. Et de même, en second lieu, il est évident que, si les pouvoirs publics tombaient entre nos mains, nous ne songerions pas à exproprier les petits paysans par la contrainte (que ce soit avec ou sans indemnité), comme nous serions ebligés de le faire vis-à-vis des grands propriétaires. Notre «.vis, en ce qui concerne le petit paysan, c'est qu'il faut l'amener à transférer son entreprise et sa propriété privée à des associations coopératives, non par la force, mais par l'influence de l'exemple et avec l'aide des pouvoirs publics (1). Ainsi donc Frédéric Engels, l'ami et le continuateur de Marx, dépositaire de leur pensée commune, se déclare d'accord avec Guesde, Deville, Lafargue ou (i) Fr. Engels, Die Bauernfrage in Frankreich und Deutschland. (Die Neue Zeit, 1894-95, n° 10). la petite propriété rurale 869 Jaurès, pour ne poursuivre que l'expropriation de la grande propriété, à l'exclusion de la petite. On n'a pas manqué d'objecter qu'il est impossible de dire à quel moment précis la petite propriété finit, et la grande commence. Natura non facit saltus. Entre les latifundia de l'Ecosse ou du Mecklembourg et les Gehii/te des paysans saxons ou bavarois on trouve toute la série des intermédiaires ; mais il en est ainsi de toutes les formes, de toutes les espèces, organiques ou sociales, et cela n'empêche nullement les statisticiens, les auteurs des recensements agricoles, les gouvernements qui légifèrent en faveur des paysans, de tracer une ligne de démarcation entre la petite et la grande propriété, d'après le revenu cadastral, le nombre d'hectares cultivés, ou le mode d'exploitation du domaine. Certes, nous reconnaissons volontiers, que, dans l'hypothèse d'une expropriation sans indemnité, respectant l'une et confisquant l'autre, pareille distinction prêterait à l'arbitraire; mais, d'autre part, il est évident que l'objection perd toute raison d'être, dès l'instant où il s'agit, — comme notre programme le propose, — de l'extension progressive du domaine collectif suivant la ligne de moindre résistance, en commençant, par exemple, par la reprise des mines et carrières, la socialisation des forêts, la reconstitution et le développement du domaine communal, la confiscation par l'impôt des accroissements de la rente foncière, de Xunearned incrément of land, spécialement dans les agglomérations urbaines. Cette expropriation, graduelle et pacifique, est-elle dans les probabilités de l'avenir? Les projets que l'on fait à cet égard, n'auraient-ils pas le sort des propositions que l'on faisait, à la veille de la Révolution française, en vue d'inâemniser les maîtres des corporations, les membres des congrégations religieuses, les titulaires de droits féodaux? Questions, dont la solution dépendra beaucoup moins de nos préférences individuelles ou collectives, que des circonstances qui donneront le pouvoir au prolétariat socialiste, et de l'attitude que prendront les classes dirigeantes actuelles; mais, en tous cas, nous souscrivons entièrement à l'avis que rapporte Engels dans son article déjà cité. « Nous ne considérons pas du tout l'indemnisation des propriétaires comme une impossibilité, quelles que soient les circonstances. Combien de fois Karl Marx ne m'a-t-il pas exprimé l'opinion, que si nous pouvions racheter toute la bande, ce serait encore le moyen de s'en débarrasser au meilleur marché » (1). D'ailleurs, au point de vue théorique, — le seul dont nous ayons à nous préoccuper en ce moment, — cette question de liquidation, amiable ou forcée, ne présente qu'un intérêt secondaire. Les deux propositions que nous avions à rappeler, ou à démontrer dans ce chapitre, c'est : i° Que l'utilité sociale peut seule donner à la propriété foncière une légitimité, toute historique et relative. 20 Que la distinction, admise par les socialistes, entre les deux formes, — capitaliste et non capitaliste — de la propriété privée 11e repose pas sur des considérations d'opportunité et de tactique, mais sur des différences intrinsèques, tellement profondes, que la propriété privée capitaliste, bien loin de (1) Frédéric Engels, ibid., p. 305. se confondre avec la propriété privée du travailleur, en est le contrepied et la négation. Après avoir ainsi constaté et justifié notre accord pour ne rien faire contre la propriété paysanne, « parce que le rôle du socialisme n'est pas de séparer la propriété et le travail, mais, au contraire, de réunir dans les mêmes mains ces deux facteurs de toute production, » nous nous proposons de rechercher, — spécialement en ce qui concerne la Belgique, — s'il y a quelque chose à faire pour elle, et l'attitude que nous avons à prendre à l'égard des mesures législatives qui ont pour but de la consolider, de la développer, ou de la reconstituer; mais, avant d'exposer ces mesures, et de les discuter, il importe de donner une idée, aussi exacte que possible, de l'état de la petite propriété rurale dans notre pays. CHAPITRE II. La répartition du sol en Belgique. | I. — Le Nombre des Proprié iaires. Nous ne possédons aucune statistique récente et précise sur le nombre des propriétaires fonciers et celui des propriétés rurales, grandes, moyennes et petites. Le tableau suivant, qui nous a été fourni par l'administration des linances, fait connaître seulement le nombre des parcelles cadastrales et des cotisations foncières (i). (i) Une cote, ou cotisation foncière, est la part de l'impôt foncier que chaque propriété doit acquitter dans la commune, à raison de son revenu. la répartition du sol en belgique 3?3 situation au 31 décembre 1S96. Provinces. Anvers .... Brabant. . . . Handre occidentale Flandre orientale Hainaut. . . . Liège .... Limbourg . . . Luxembourg . . Namur .... Le Royaume . . . 6,559,189 222 1,187,855 18 Il y a donc, en moyenne, une demie douzaine de parcelles cadastrales pour une cote foncière, et, d'autre part, un propriétaire réunit autant de cotes foncières qu'il possède de propriétés dans des communes différentes. Aussi, dans certaines régions, et spécialement dans les Flandres, où de grands domaines d'un seul tenant sont rares, il arrive parfois que le même individu soit représenté par trente, quarante, voire même cinquante cotisations foncières, pour des parcelles éparpillées dans autant de communes (i). (1) Dj Landbouvisr (Le laboureur), journal agricole des socialistes gantois, a publié, le 7 mars 1897, l,ne '*ste nominative de quelques grands propriétaires de la ville de Gand, avec le relevé des cotisations foncières qu'ils réunissaient dans les différentes communes du pays. M. de P... possède, dans 44 communes belges et en Hollande, 1,195 hectares 67 ares 50 centiares. Sur ces 44 cotes foncières, vingt se rapportent à des parcelles de moins de 5 hectares ; cinq seulement dépassent cinquante hectares. M. de G... réunit 5S cotes foncières, formant un ensemble de 1,130 hectares 99 ares 55 centiares. Parcelles Articles des rôles cadastrales fonciers Nombres Nombres Nombros par Norabros par absolus 100 hoctaros absolus 100 habit. 527,362 186 88,986 II 768,306 234 206,269 17 724,004 224 97,920 13 893,505 298 164,938 16 928,401 249 220,151 • 20 677,719 234 126,191 16 511,967 212 81,026 35 901,096 204 99,237 46 606,829 166 103,138 30 Cet écart entre le nombre des cotisations et celui des propriétaires augmente, selon toutes probabilités, avec le morcellement du sol, qui a toujours été croissant depuis un demi siècle. Malheureusement, nous n'avons aucun moyen de vérifier cette présomption. Le seul relevé que l'on ait fait, jusqu'à présent, du nombre des propriétaires fonciers en Belgique date de 1848. A cette époque, il y avait 758,5i2 propriétaires, urbains ou ruraux, pour 940,666 cotisations; soit donc, approximativement le rapport de 7 à 9. Faute de moyens d'investigation plus certains et plus directs, M. Hector Denis, dans ses Leçons sur l'impôt, a essayé d'évaluer le nombre actuel des propriétaires, urbains et ruraux, en partant de cette supposition, que le rapport de 7 à 9, qui existait en 1848, ne s'est pas modifié depuis lors. En complétant nos chiffres, d'après VAnnuaire officiel et les renseignements qui nous ont été fournis par le Ministère desFinances, on obtientle tableau suivant: années. parcelles. cotisations foncières propriétaires. I846 5,720,976 914,937 711,"617 I87O 6,346,885 I,118,113 859,62S l880 6,472,845 I,l8l,177 918,700 1890 6,490,254 1,174,165 913,240 I894 6,516,424 1,180,445 918,120 1896 6,639,189 1,187,855 923,342 Pour déterminer, ensuite, le nombre et les variations du nombre des propriétaires ruraux, M. Denis considère chaque maison comme une parcelle distante: rapport 010 années parcelles maisons parcelles maisons sol 1846 5,720,976 799,84S 4,921,476 14 % S6 % 1880 6,472,845 1,061,469 5,411,376 16,4 83,6 1890 6,790,254 1,198,058 5,292,196 18,4 81,6 Et, à l'aide de ces rapports pour cent, il évalue très approximativement, cela va sans dire, le nombre des propriétaires du sol rural à : 612,614 en 1846 768, 033 en 1880 735,203 en 1890 (1). Il semble donc, à première vue, que, de 1880 à 1890, le nombre des propriétaires, et spécialement des propriétaires ruraux, ait subi une réduction sensible; mais, s'il est vrai que la propriété bâtie gagne constamment du terrain sur la propriété rurale, la différence en moins, pour le nombre absolu des cotes foncières, porte uniquement sur les chiffres du Bra-bant et de la province de Liège; et elle provient de ce que les renseignements fournis par ces provinces à l'administration centrale avaient été établis, précédemment, d'après une base défectueuse (2). En réalité, le nombre des cotes foncières n'a jamais cessé de s'accroitre, d'année en année. Toutefois, ce mouvement, qui tend d'ailleurs à se ralentir, depuis 1880, a été moins rapide que le mouvement ascensionnel de la population. C'est ce que démontre le tableau suivant : nombre de cotes par ioo habitants (3). 1845 1850 1860 1870 1880 1890 1896 21 22 22 22 21 19 18 (1) Denis, Leçons sur l'impôt. Bruxelles, Monnom, 1889, p. 154. — Denis, La dépression économique et rurale, et l'histoire des prix. Bruxelles, Huysmans, 1895, p. 352. (2) Annuaire officiel, 1895, p. 48. (3) D'après l'Annuaire et les renseignements fournis par l'administration des finances. Ainsi donc, malgré le morcellement provoqué par l'action continue des lois successorales, le nombre des prolétaires obligés de payer un loyer aux propriétaires du sol augmente plus rapidement que le nombre de ces derniers; et, cependant, on classe parmi les propriétaires fonciers des milliers de contribuables qui n'ont qu'un haillon de propriété, dont le revenu cadastral se réduit à quelques francs (1). D'autre part, si nous adoptons, sous toutes réserves, le chiffre approximatif de 745,000 propriétaires du sol rural, ce serait une grave erreur de croire que la majorité d'entre eux soient des paysans-cultivateurs, exploitant en faire-valoir direct un lopin de terre leur appartenant. Les recensements agricoles nous apprennent, au contraire, qu'environ les trois quarts de la surface cultivée sont exploités par des fermiers-locataires, et qu'en 1880, sur 910,000 exploitations agricoles, il y en avait seulement 298,524, — petites, grandes ou moyennes, — exploitées en faire-valoir direct. Encore faut-il ajouter qué, si le faire-valoir direct détient un tiers du domaine, au point de vue quantitatif, la proportion lui est beaucoup plus défavorable quand on se place au point de vue qualitatif, au point de vue de la valeur des terres arables. En effet, la décroissance du faire-valoir direct coïncide partout avec le progrès de la culture. L'agriculture capitaliste, caractérisée par la séparation de la (1) Sur cent cotisations foncières, en 1864, 88 correspondaient à un revenu cadastral de 1 à 265 francs (moins de 50 ares à 5 hectares) ; 11 à un revenu de 265 à 2,640 francs (de 5 à 50 hectares); 1 seulement à un revenu de 2,640 a 52,800 francs et plus (plus de 50 hectares). propriété et du travail, accapare presque tous les bons morceaux. La terre aux paysans n'existe plus, comme forme dominante, que dans les régions les plus pauvres du pays : le Luxembourg, les cantons forestiers de la province de Namur, la Fagne et la Thierache du pays de Chimay, et certaines parties de la Campine Limbourgeoise (i). Si nous nous demandons, maintenant, comment se répartit la fraction du domaine appartenant encore à ceux qui la cultivent, le recensement de 1880 nous apprend qu'elle était occupée, à cette époque, par 293,524 propriétaires exploitant en faire valoir direct pour la totalité ou pour plus de la moitié. Parmi eux, il en est i,oi5, dont l'exploitation atteint, ou dépasse, 5o hectares et que l'on peut considérer, — si l'on adopte la classification proposée pour la France, (1) V. Recensement général de 1880. Nombre des exploitations par canton et district agricole. Deuxième partie > IV. PP- 938 et s. La proportion du faire valoir direct et de la location, pour cent hectares de la surface cultivée, était, en 18S0 : En faire-valoir En direct. location. Luxembourg . . . . ■ • 65 35 Limbourg . , . . . • • 58 42 Anvers...... • • 41 59 Liège....... • • 39 61 Namur...... . . 38 62 Hainaut...... • ■ 35 65 Brabant...... . . 29 7i Flandre orientale. . . . . 26 74 Flandre occidentale. . . . 16 84 Royaume ..... • • 36 64 378 LE SOCIALISME EN' BELGIQUE par M. de Foville, — comme de grands propriétaires, employant un nombre plus ou moins considérable de salariés. Par contre, il est impossible de considérer comme des propriétés paysannes les 218,144 exploitations de o à 2 hectares (1). A part quelques exceptions dans les régions de culture maraîchère, — exceptions compensées, et au-delà, par des exceptions en sens contraire, — ces propriétés naines sont absolument insuffisantes pour l'entretien d'une famile : ce sont des jardins, des potagers, de petites parcelles de terre que des ouvriers, industriels ou agricoles, cultivent à leurs moments perdus pour obtenir un supplément de salaire. Restent donc, en tout et pour tout, 60,598 exploitants de 2 à 10 hectares, qui représentent en Belgique la petite et la moyenne propriété paysanne ! Or, pour autant que l'on puisse se fier aux statistiques officielles, le nombre des producteurs agricoles, en 1880, s'élevait à environ douze cent mille. Abstraction faite, par conséquent, des 1 mouchoirs de poche », qui n'enlèvent pas à ceux qui les possèdent leur caractère de salariés, on peut dire qu'il n'y a pas un agriculteur sur dix qui soit propriétaire de son exploitation. (1) D'après M. Hector Denis, l'étendue d'une exploitation familiale moyenne, variable selon les régions, serait de : 3 hectares 9 ares du territoire productif pour la Flandre orientale ; 4 hectares pour Anvers; 4 hect. 11 pour le Brabant; 4 hect. 54 pour la Flandre occidentale; 4 hect. 83 pour le Limbourg; 6 hect. 5 pour le Luxembourg; 6 hect. 52 pour le Hainaut; 9 hect. 67 pour Namur. (Annales parlementaires. Séance du 7 mai 18971 p. 1302). La proportion serait beaucoup plus défavorable encore à la petite propriété paysanne si nous connaissions l'étendue du territoire qu'elle occupe. Les documents officiels ne nous fournissent aucun renseignement à cet égard, mais il suffit de consulter le cadastre d'une commune quelconque pour se rendre compte que, même dans des villages où les petits propriétaires sont relativement nombreux, ils ne possèdent qu'une bien faible partie du domaine cultivé. Nous avons pu le constater, récemment encore, pendant un séjour que nous avons fait en Hesbaye. De toutes les communes qui s'étendent entre Perwez et Eghezée, Aische-en-Refail est certainement celle qui contient la plus forte proportion de petits propriétaires indépendants. On y compte, sur une population de douze cents habitants (t), plus de cent familles, dont le chef, ou l'un des membres, exerce le métier de maçon et va travailler au dehors, tandis que les enfants, les femmes, les vieillards cultivent la terre familiale. Or, sur 1,001 hectares, représentant la superficie de la commune, plus de huit cents appartiennent à des étrangers au villagcr; une cinquantaine d'autres, sont des biens communaux. La petite propriété ne détient qu'un peu plus de cent hectares. Même situation à Thorembais-les-Béguines, où, sur 700 hectares, 60, à peine, appartiennent aux gens du village. Il faut, pour trouver une situation plus favorable à la propriété paysanne, aller dans les régions qui n'ont guère été influencées, jusqu'à présent, par le développement capitaliste et où les formes archaïques (1) 1,176, d'après le recensement de 1S90. d'amodiation du sol doivent leur survivance à la difficulté et à la rareté des communications. Aussi pouvons-nous, dès à présent, conclure que la petite et la moyenne propriété, en tant que support économique de la classe des paysans, ne constituent pas dans notre pays, comme dans certaines régions de la France, de la Saxe ou de la Bavière, un des facteurs essentiels de la production agricole. Certes, le nombre des propriétaires fonciers en Belgique est relativement considérable, mais la majorité d'entre eux, — petits ou grands, —ne cultivent pas eux-mêmes et la population agricole se compose surtout de non-propriétaires, exploitant des terres en location, ou travaillant chez des fermiers comme ouvriers salariés. § 2. — La Décadence de la Propriété paysanne. L'insuffisance, l'ancienneté et la notoire inexactitude de nos recensements agricoles ne permettent pas d'accueillir, sans des réserves expresses, les renseignements qu'ils contiennent sur les transformations de la propriété foncière en Belgique, depuis un demi siècle. Le rapport entre le nombre d'hectares cultivés en location et en faire-valoir direct ne semble pas avoir subi de variations importantes. En 1846, il y avait — l'on tient compte seulement des cultures ordinaires — 6i3,5y5 hectares cultivés par leurs propriétaires et 1,17g,583 hectares par des locataires (1). (1) En ajoutant aux cultures ordinaires : i° Les bois; En 1880 il y a 713,0.39 hectares en faire-valoir direct et 1,270,612 hectares en location. Le domaine agricole s'est donc étendu aux dépens des terres incultes, mais la proportion entre la location et le faire-valoir direct ne s'est guère modifiée : 65 : 35 en 1846; 64 : 36 en 1880. En revanche, le nombre des exploitations agricoles, dans chacune de ces deux parties du domaine, a subi des modifications profondes. Nous en avons dressé le tableau suivant, pour les différentes catégories d'exploitation, d'après les données des recensements de 1846, 1866 et 1880 : Répartition du nombre des exploitations d'après leur étendue. Année 1846 : En fniro En Désignation des groupes valoir diroct location Totaux Très petite propriété de o à 2 hectares...... Petite propriété de 2 a 10 hectares........ Moyenne propriété de 10 à 50 hectares...... Grande propriété de 50 hectares et au-dessus. . . . Totaux...... 127,112 273,392 400,514 57,169 69,961 126,120 16,587 24,997 41,683 1,359 2,874 3,333 201,226 371,324 572,550 2° Les terrains incultes appartenant à l'État, aux communes et aux établissements publics, l'étendue exploitée en faire-valoir direct s'élève à 1,434,445 hectares en 1886 ; 1,423,452 en 1846. Année 1866 : En falro En Désignation des groupes valoir diroel location Totaux Très petite propriété de 0 à 2 hectares...... 229,929 297,986 526,915 Petite propriété de 2 à 10 hec- tares........ 68,598 94,713 163,503 Moyenne propriété de 10 à 50 hectares....... I9,329 27,733 47,062 Grande propriété de 50 hec- tares et au-dessus. . . 2,823 2,705 5,627 Totaux...... 320,971 423,036 744,007 Année 1880 : En fairo En Désignation des ghocpes valoir diroet location Totaux Très petite propriété de 0 à 2 hectares...... 218,144 499,419 710,563 Petite propriété de 2 à 10 hec- tares........ 60,598 97,663 158,261 Moyenne propriété de 10 à 50 hectares...... I3,7<37 24,402 38,169 Grande propriété dê 50 hec- tares et au-dessus. . . . 1,015 2,388 3,403 Totaux...... 293,524 516,872 910,399 En somme donc, le morcellement de la culture a considérablement augmenté, depuis 1846, pour les exploitations de toutes les catégories. D'autre part, le nombre des petites et des moyennes propriétés, cultivées en faire-valoir direct, après avoir augmenté, d'une manière absolue, de 1846 à 1866, a subi, depuis lors, une réduction considérable. Lors du recensement de 1880, on en était à peu près revenu aux chiffres de 1846. En ce qui concerne spécialement les propriétés de : à 10 hectares, exploitées par des paysans-propriétaires, il y en avait 56,169 en 1846, 68,890 en 1866 et 60,598 seulement en 1880. Cette réduction du faire-valoir direct depuis la crise et le morcellement continu |de la culture correspondent à une situation foncière que M. Schaetzen, député conservateur des Tongres, caractérisait en ces termes, le 5 juin i885 : I.e partage continu de la propriété foncière a fini par accumuler sur elle des charges énormes par l'effet des droits de succession, des soultes et des droits de vente forcée pour sortir d'indivision. Le capital a été ainsi nécessairement entamé ; la dette hypothécaire a pris des proportions souvent effrayantes, et, dans des conditions si onéreuses, qu'elle a formé un premier et sérieux obstacle à tout progrès. La pulvérisation du sol a fatalement empêché des améliorations que, du reste, les ressources amoindries du propriétaire ont, trop souvent, rendu impossibles, et il a fallu donner au fisc ce qui eût pu servir à des transformations fécondes (1). On voit que s'il ne reste pas grand chose de la propriété paysanne en Belgique, ce qui en reste est bien loin de se trouver dans une situation riante. Nous ne connaissons pas les charges réelles, moins encore les charges personnelles des proprié- (1) Chambre des Représentants. Séance du 5 juin 1885. Document n° 164, p. 63. taires ruraux, mais-il n'est pas douteux que leur fardeau ne soit considérablement alourdi pendant ces vingt-cinq dernières années. En i85o, M. Frère-Orban, d'ans l'exposé des motifs de son projet de loi sur le crédit foncier, évaluait la dette hypothécaire totale à environ 800,000,000 de francs (798,103,870), dont un peu plus de la moitié, 56 0/0 sur la terre, la propriété non bâtie, 440,i5i,og8 francs, et 44 0/0, 357,952,771 francs, sur la propriété bâtie. En 1878, dans le rapport qu'il présenta à l'Exposition de Paris, au nom des sociétés agricoles de Belgique, E. de Laveleye évaluait cette même dette totale à un milliard (1); en admettant la même répartition de la dette qu'en i85o, la terre supportait un fardeau de 56'o millions environ, le vingtième de sa valeur. Depuis, M. H. Denis a évalué approximativement la dette hypothécaire totale en 1897, à 1,588 millions, dont 870 millions sur la terre (2). On a prétendu, il est vrai, dans un débat récent, — sans apporter d'ailleurs une ombre de preuves à l'appui de cette assertion — que ces charges, grèvent surtout la grande et la moyenne propriété (3), mais un député catholique de Nivelles, M. Stouffs, a répondu en ces termes topiques, à celui de ses collègues qui avait émis pareille affirmation. (1) L'Agriculture belge, p. CXII. Bruxelles, Merzbach, 1878. (2) Proposition de loi relative à l'organisation du crédit foncier rural mutuel. Chambre des Représentants, 1896-97, n° 100, p. 6. (3) V. en sens contraire, De LAVELEYE, Rapport sur l'agriculture belge, présenté à l'Exposition de Paris. Annexes. Comice agricole de Bruges (région sablonneuse) : « La Si vous représentez, disait-il, un pays de petite culture ordinaire, où il n'y a pas d'exploitation industrielle, et où 1 y a, comme culture industrielle, tout simplement la betterave, alors une seule opinion s'impose : la petite culture est obérée. Elle l'est d'autant plus, que nous devons nous associer avec de puissants fabricants pour réaliser notre récolte betteravière et que, quand noua liquidons notre opération d'association, on nous prend la crème et on nous laisse le petit lait... C'est ce qui fait que chez nous, la petite culture est obérée et ruinée, et il en est de même pour presque toute la Belgique (i). Un certain nombre de notaires, questionnés par nous sur le point de savoir si les charges hypothécaires grèvent surtout la petite, la moyenne, ou la grande propriété, nous ont transmis des réponses contradictoires, qui prouvent, une fois de plus, combien les situations diffèrent de région à région (2). petite propriété est beaucoup plus hypothéquée que la grande » (p. 72). Société agricole du Limbourg : « La petite propriété est plus fortement grevée d'hypothèques que la grande » (P- 197)- Haute Ardenne (pays de la Salm) : « La petite propriété est assez hypothéquée; la grande, moins ». Ce sont les trois seules notices, envoyées au rapporteur, qui traitent de cette question. (1) Chambre des Représentants. Annales parlementaires, séance du 6 mai 1897, p. 1299. (2) Canton de Fosses (arr. de Namur) : « Il y a certainement des charges hypothécaires assez considérables, mais il serait difficile d'en fixer le quantum, eût-on même à sa disposition les registres du conservateur des hypothèques, car, souvent, les campagnards qui remboursent, écono- 22 Seulement il ne faut pas oublier que, dans un grand nombre de cas, les charges personnelles, plus encore que les charges réelles, contribuent à obérer la petite propriété rurale, voire même à la réduire à l'état de pure et simple apparence. Un fermier de Thorembais nous disait dernièrement que, dans sa commune, la plupart des petits propriétaires se trouvent sous la coupe de quelques notaires des environs, qui leur ont prêté — sans hypothèque et à 5 o/o d'intérêts — une partie de l'argent nécessaire à l'acquisition de la terre qu'ils occupent. ' Des faits de ce genre, et ils sont nombreux, mon- misent les frais de main-levée. La dette hypothécaire grève plus particulièrement la petite propriété, mais j'estime, qu'en général, la dette hypothécaire, dans notre canton, tend plutôt à diminuer, parce que le paysan n'achète plus que des terres par raison de convenance, et non comme placement, ainsi qu'il le faisait autrefois. Un individu qui avait 2,000 francs disponibles, achetait pour 3 ou 4,000 fr. et empruntait ce qui lui manquait. Maintenant, le cultivateur n'achète plus que s'il a de l'argent pour payer, et il emploie l'argent qu'il économise à acheter des obligations de ville, ou bien il le place à la Caisse d'épargne. Comme je viens de le dire, la propriété foncière est en grande défaveur et il est très rare de rencontrer des personnes qui achètent des terres, comme placement. Si parfois il arrive qu'un propriétaire disparaît, par suite de déconfiture, il en surgit un autre ; je ne crois donc pas que, dans notre canton, le nombre des propriétaires aille diminuant ». Canton de Cenappe (arr. de Nivelles) : « Les charges hypothécaires de la propriété rurale sont fort considérables, mais je crois qu'elles s'amoindrissent ; elles grèvent surtout la moyenne propriété; le nombre des propriétaires de maisons augmente, mais non celui des propriétaires ruraux. trent qu'il est impossible de se rendre un compte exact de la situation des paysans propriétaires — situation que les statistiques ne peuvent révéler et que les cultivateurs s'efforcent soigneusement de dissimuler. Néanmoins, il est impossible de constater qu'eu Belgique, comme dans toute l'Europe, la propriété parcellaire se trouve dans une position extrêmement précaire un écrivain conservateur, M. Cheysson, qu'a parfaitement décrite, dans un article récent de la Réforme Sociale : a La petite propriété, dit-il, est bordée par deux abîmes où elle est menacée de s'engloutir : d'un côté Depuis quelques années, la grande propriété s'est accrue, par suite du manque de ressources chez les cultivateurs, qui n'achètent plus ». Canton de Lierre (arr. de Malines) : « Les charges hypothécaires grevant la propriété rurale, dans nos environs, sont peu considérables; les notaires ne passent que très rarement des actes de constitution d'hypothèque. Le morcellement de la grande propriété est manifeste : il n'existe plus de grandes exploitations rurales autres que celles appartenant à des administrations charitables et patriciennes. A chaque vente, quelle qu'en soit l'importance, les biens sont présentés en lots; très exceptionnellement, l'accumulation porte sur la masse entière ». Canton de Malines (arr. de Malines) : « Dans les campagnes des environs de Malines, les immeubles sont beaucoup moins grevés qu'en ville. « Cependant, dans ces dernières années, il y a une tendance assez accentuée, chez les propriétaires moyens et chez les petits, à recourir à l'hypothèque, chaque fois qu'un besoin d'argent se fait sentir. La propriété rurale, dans notre arrondissement, s'est légèrement morcelée : le nombre des titulaires a augmenté depuis 30 ans ». 388 LE SOCIALISME EN BELGIQUE la grande et la moyenne propriété, qui peuvent l'absorber; de l'autre, la propriété indigente qui, par suite du morcellement excessif, ne suffit plus à nourrir et à occuper la famille rurale, et dès lors, a perdu la vertu économique et sociale de la petite propriété proprement dite. Il est vrai que, par suite du morcellement qu'amène la loi successorale, cet empiétement de la grande propriété se trouve en partie masqué. C'est une toile de Pénélope, dont la statistique est impuissante à nous retracer le travail. Elie constate bien, à la fin de l'année, que la toile est restée à peu près stationnaire, mais elle ne nous dit pas, et ne peut pas nous dire comment le tissu se fait le jour et se défait la nuit. » Ces dangers que court la petite propriété se sont aggravées dans ces derniers temps, à raison delà crise agricole. Michelet a soutenu que c'est aux époques de crisè que la terre tombe des mains du riche dans celles de l'indigent : — Nul acheteur ne se présentant, dit-il,-le paysan arrive avec sa pièce d'or et il acquiert.— C'est une erreur de fait, qui a été réfutée par M. de Foville : « quandlesgrands et les moyens propriétaires sont aux abois, les petits eux-mêmes ont vidé leurs bas de laine, et, pour ceux-ci, comme pour ceux là, c'est moins l'heure d'acheter que de vendre. La ville, alors, où il y a toujours de grosses fortunes en formation, jette ses filets sur les campagnes, et la petite propriété se trouve absorbée par la grande ». CHAPITRE III. Les mesures législatives en faveur de la petite propriété rurale. Afin de conserver, — dans la mesure où l'intérêt des classes dirigeantes l'exige, — ce qui reste de la propriété paysanne, et de maintenir les formes archaïques de la production agricole que l'action révolutionnaire du capitalisme tend à faire disparaître, 011 s'efforce, depuis quelque temps, de rajeunir ou de ressusciter les coutumes qui régissaient, jadis, la propriété et les successions. Nous voyons reparaître, sous des formes plus ou moins réduites, atténuées, facultatives, le droit d'aînesse ou de juveigneur, la transmission intégrale des biens à l'héritier désigné (Anerbenreclit), les tenures perpétuelles (Rentengiïter), l'indivisibilité et l'incessibilité des terres roturières. En Allemagne, en France, en Autriche, on s'attache à constituer, — par des moyens différents, mais dans un but identique, —des biens de famille (.Homesteads, Heimstaette), limités en valeur, exonérés de certaines charges fiscales, inaliénables, insaisissables, indivisibles, transmissibles du père à l'un des enfants, suivant certains projets, ou réunissant seulement, suivant d'autres, une partie de ces conditions. C'est dans cet esprit, notamment, que la Société d'Economie sociale, inspirée par les théories de Le-play, formula, il y a quelques années, un avant-projet de loi, dont M. Levasseur résume, comme suit, les principales dispositions : Tout propriétaire peut constituer un bien de famille — traduction libre de l'expression Homestead — en faisant une déclaration dans ce sens. Cette déclaration rend le bien insaisissable. Ce bien ne peut excéder, en valeur, 10,000 francs. S'il est constitué par contrat de mariage, il ne peut être aliéné qu'à condition de remploi. Si le propriétaire, en mourant, laisse des enfants, le bien ne peut être vendu, tant que ceux-ci sont mineurs. D'autre part, les successions au-dessus de 19,000 francs, ne sont plus soumises aux articles 826 et S32 du Code civil, afin de prévenir le morcellement ; le père peut, dans tous les cas, disposer par testament de la moitié de sa fortune; enfin, tout héritier peut retenir le « bien de famille », même si la valeur excède 10,000 francs, en payant aux autres héritiers une soulte dont l'intérêt serait fixé à 3 % (1). Cette proposition-type a été partiellement reproduite, depuis lors, dans les projets de lois présentés au Parlement français par MM. De Mun, Léveillé et consorts ; au Parlement belge, par M. Van der Brug-gen et ses amis. Mais il ne suffit pas, — aux yeux des partisans du homestead, — de consolider la petite propriété là où elle existe encore; on s'efforce également de la développer dans les régions où elle n'existe plus. (1) Revue il'Économie politique, 1894, p. 70e. En Angleterre, la loi du 27 juin 1892 autorise les Comtés à acquérir des terrains, pour les revendre, avec des grandes facilités de paiement, aux personnes qui désirent les acheter et les cultiver elles-mêmes (i). Seulement, le droit de propriété de ces personnes reste soumis à de multiples restrictions, servitudes et clauses résolutoires, procédant du désir de créer une classe de paysans-propriétaires (2). En Prusse, les lois du 27 juin 1890, du 7 juillet 1891 et du 8 juin 1896, autorisent le gouvernement, ou des particuliers à diviser leurs domaines en petites exploitations paysannes, soumises à VAnerben-recht et grevées de rentes perpétuelles non rache-tables (Rentengiïter) (3). De même, en Autriche, le Parlement a été saisi, l'année dernière, d'un projet de loi sur la création de Rentengiïter, élaboré par l'ancien Ministre de l'agriculture, M. de Falkenheyn (4). Bref, il n'est pas un Parlement en Europe, où la question de la petite propriété 11e soit à l'ordre du jour. Partout on manifeste pour les paysans une sollicitude à laquelle les progrès du socialisme ne sont évidemment pas étrangers. (1) « ...tlie council may ...acquire any snitable land for tlie purpose of providing small holdings for persons who de-sire to buy and will themselves cultivate the holdings ». (2) Small Holdings Act. 1892 (55 et 56, Vict. c. 31). Voy. Maurice Vauthier, Le Gouvernement local de VAngleterre, Paris, Rousseau, 1895. (3) brentano, Agrarian Reform in Prussia. (The Economie journal. May., June, 1897). (4) Blon del, Etudes snv les populations rurales de l'Allemagne, Paris, Larose, 1S97. HMHHHËNMNMMHMMMRiMMHNi IJ-" ■ ...... ' ..... 3g2 le socialisme en belgique En Belgique même, où, pendant si longtemps, on n'a rien fait pour les petites gens des campagnes, le gouvernement, depuis quelques années, a présenté ou pris sous son patronage une série de lois et de projets de loi ayant pour but de maintenir, développer, ou reconstituer la petite propriété rurale. Nous allons exposer brièvement ces diverses mesures, que l'on peut classer sous trois rubriques : mesures fiscales ; organisation- du crédit foncier; modifications au régime successoral des petits héritages. § i. — Les Mesures fiscales. Notre étude, — consacrée exclusivement aux mesures spéciales en faveur de la petite propriété, — ne comporte pas l'examen des réformes, d'ordre plus général, tendant à établir l'équilibre des charges de l'agriculture et des autres branches de la production, à réduire les droits exorbitants qui entravent les mutations immobilières, à faire disparaître les inégalités de répartition de l'impôt foncier, et à séparer les deux branches de celui-ci, confondues aujourd'hui sous la même rubrique : l'impôt sur le sol, qui tend à frapper le propriétaire, et l'impôt sur les maisons, qui tend à atteindre le locataire. Bornons-nous à rappeler que le gouvernement s'est engagé, vis-à-vis des agrariens, à réduire, dans une certaine mesure, l'impôt foncier, sitôt après l'achèvement delà péréquation cadastrale. En attendant, la Chambre a été saisie, par l'initiative parlementaire, d'une proposition de loi qui réduit la contribution foncière grevant les terres arables, à l'exclusion des forêts, bruyères, prairies et pâtures (i). Le rapport de la section centrale, favorable à cette proposition, estime qu'il n'y a pas lieu d'attendre le parachèvement de la péréquation cadastrale, et qu'il importe de prendre des mesures immédiates et provisoires : Une réduction uniforme dut-elle, dans certains cas et pour certaines propriétés, apporter des allégements de charges, dont la nécessité semblerait moins démontrée, il est certain qu'elle s'impose pour l'ensemble des terres arables. Si l'on tient compte de ce que la propriété rurale est, pour la très grande partie, entre les mains de la petite culture, il faut dire que ce sera la masse de la population agricole qui sera appelée à en tirer profit et qu'aucune mesure ne peut être plus directement utile à l'agriculture. On met donc en avant l'intérêt des petits propriétaires, mais on applique la mesure à tous les propriétaires indistinctement ; on accorde un avantage apparent, ou tout au moins temporaire, au fermier, et l'on augmente, en réalité, la part de la rente foncière; on dégrève, à la fois et dans les mêmes proportions, les terres surtaxées, et celles qui échappent, en attendant la péréquation cadastrale, aux charges qui devraient leur incomber. Il ne s'agit donc pas, en réalité, d'une mesure en faveur de la petite propriété, mais d'un véritable (i) Proposition de loi réduisant la contribution foncière des terres arables, présentée par M. Hoyois, le 14 février, n° 99. — Rapp. de M. Vanderlinden, le 11 juillet 1895, •n° 270. 094 LE SOCIALISME EN BELGIQUE cadeau à offrir aux propriétaires fonciers, en général. Aussi ne croyons-nous pas devoir insister sur une proposition qui ne rentre qu'en apparence dans le cadre de ce travail, et que, d'ailleurs, le gouvernement ne manquerait pas de faire rejeter comme incomplète et prématurée, si, par hasard, elle arrivait en ordre utile. C'est dans une autre voie qu'il convient, à notre avis, de poursuivre la réduction des charges de l'agriculture. La Belgique, en effet, jouit du privilège, fort peu enviable, d'être l'un des pays d'Europe où les droits qui frappent la transmission des immeubles sont les plus élevés. Actuellement, on paie, en France, sur les mutations immobilières, 6,87 0/0; en Belgique, 6,76 0/0; en Hollande, avant la loi du 22 septembre 1892, 6,55 0/0 , aujourd'hui 2,15 0/0 seulement; dans le Grand-Duché de Luxembourg, 5,85 0/0, avant la loi du 22 mai, qui réduisit les droits à 3,25 0/0; en Italie, 4,80 0/0. Si nous passons maintenant en Angleterre et en Allemagne, nous constatons que, dans ces deux pays, les droits de mutation correspondent simplement à une redevance que l'on paie à l'Etat pour les service qu'il rend aux contractants en les garantissant contre toute éviction et en donnant date certaine aux actes de vente. En Prusse, la loi du 7 mars 1822 fixe à 1 0/0 le Stempelpjlicht, et, en Angleterre, Y Ad de 1870 établit seulement un droit de 1/2 0/0 sur les transmissions immobilières. En définitive, donc, nous sommes tout en haut de l'échelle, à peine un échelon plus bas que la France; en comptant les frais de timbre et les honoraires des ■v, ■ . . , y ' LES .MESURES LÉGISLATIVES 095 notaires, les droits à payer par les contractants atteignent 8 à 10 o/O au moins du prix de vente. Ces droits exorbitants, « superfiscaux » — comme dit A. Wagner, — ont été condamnés par des économistes de toutes les écoles. Ils constituent un obstacle permanent à la circulation des immeubles, au passage des terres entre les mains de ceux qui sont le mieux à même de les cultiver; ils frappent la petite propriété plus que la grande, parce que les immeubles de peu d'importance subissent des mutations plus fréquentes que les grands domaines ; qu'en outre les honoraires et les droits fixes pèsent, d'autant plus lourdement, que le prix de vente est plus faible. Aussi, dès leur entrée au Parlement, les membres delà fraction socialiste prirent l'initiative d'un projet d'impôt général sur le revenu, qui devait être substitué à divers impôts et, notamment, aux droits de mutation et aux droits de transcription et d'hypothèque, réduits de cinquante pour cent (i). Trois jours après, le 18 janvier 1895, le Gouvernement déposait, à son tour, un projet réduisant aussi de moitié ces droits de mutation et de transcription, mais seulement pour les petites propriétés rurales, " pour les ventes d'immeubles ruraux dont le revenu cadastral n'excède pas 200 francs (ce qui correspond, approximativement, à une valeur vénale de 7,000 francs) (2). Encore faut-il, pour que la réduction soit accordée que l'acquéreur ne possède pas d'autres immeubles, dont le revenu cadastral forme, avec celui de l'immeuble acquis, un total supérieur à 200 francs; en outre, (1) Session 1894-95, n° 57. (2) Session 1894-95, n° 60. pour que cette réduction soit maintenue, il faut que, dans le délai de 18 mois, à compter de l'acte de vente, les acquéreurs exploitent en faire-valoir direct, l'immeuble objet du contrat. Nous nous trouvons donc cette fois en présence d'un privilège accordé à la petite propriété rurale. L'exposé des motifs définit, en ces termes, l'idée fondamentale du projet de loi : « faciliter la constitution entre les mains du cultivateur et de l'ouvrier agricole d'un petit patrimoine, modeste, mais suffisant pour former le fonds d'une petite exploitation ». D'après des supputations approximatives, le sacrifice de recettes, auquel le gouvernement se résoud dans ce but, pourra s'élever à 5oo,ooo francs par an. Ce projet a été voté unanimement, en mai 1897; mais, tout en lui accordant leur vote, les membres de la fraction socialiste se sont attachés à démontrer que ce pourboire d'un demi million apporterait sans cloute un léger soulagement aux petits cultivateurs, accablés de charges de toutes espèces, mais qu'il serait sans action réelle sur les causes dissolvantes de la propriété paysanne. A plus forte raison en serait-il de même d'une déduction de l'impôt foncier. En effet, « d'après le seul document qui nous donne une idée nette de la répartition de l'impôt et du revenu foncier en Belgique, les contribuables qui payaient en 1864 moins de 3o fr. d'impôt et dont le revenu cadastral était au-dessous de 205 fr. représentaient 953,000 cotisations sur 1,083,179, c'est-à-dire 88 0/0, près des 9/10 du nombre total des contribuables. 11 y avait 189,987 contribuables payant moins de 1 fr. et jouissant d'un revenu de moins de 9 fr. En admettant donc, que l'impôt foncier soit réduit d'un tiers, la grande masse des cultivateurs n'y gagnerait pas 10 fr. par an et près de 200,000 d'entre eux seraient dégrevés de quelques centimes seulement. Ce ne sont évidemment pas des remèdes aussi ho-mœopathiques qui peuvent exercer une influence quelconque sur les conditions d'existence de la petite propriété rurale. § 2. — Le Crédit foncier. Rien n'a été fait, jusqu'à présent, en Belgique, pour faciliter, par une organisation sociale du crédit, l'accession des cultivateurs à la propriété, ou le dégrèvement des charges hypothécaires qui pèsent sur les biens ruraux. Une loi du i5 avril 1884 autorise, il est vrai, la Caisse d'épargne à employer une partie de ses fonds disponibles en prêts aux agriculteurs par l'intermédiaire d'une institution capitaliste : les comptoirs agricoles; une autre loi, du 21 juin 1894, a élargi le cadre des opérations en donnant à la Caisse d'épargne la faculté de faire, directement, des avances de capitaux aux sociétés coopératives de crédit agricole, qui, depuis lors, ont pris une assez grande extension (1); mais ces avances ne sont accordées que si les fonds (1) V. Compte-rendu des opérations de la Caisse d'épargne et de retraite. Année 1896, p. 8. Solde des prêts, par l'intermédiaire des Comptoirs agricoles, au 31 décembre 1896 : fr. 2,907,341. — D-'autre part, à la même date, le nombre des sociétés coopératives de crédit agricole s'élevait à 77. Depuis, leur nombre a considérablement augmenté. empruntés sont destinés au développement ou à l'amélioration de l'exploitation agricole : ils doivent être appliqués, soit à l'achat de bestiaux, de machines, d'engrais ou de semences, soit à des travaux de drainage ou de défrichement. Quant au Crédit foncier proprement dit, destiné à faciliter l'acquisition ou le dégrèvement des propriétés rurales, toutes les tentatives d'organisation, qui ont été faites depuis un demi-siècle, ont complètement avorté. Vers i85o, sous l'influence de Ciezkowski et de Wolowski, directement inspirés parles institutions de ce genre qui existaient en Prusse et en Pologne depuis la fin du xvuic siècle, un grand nombre de projets virent le jour en France et en Belgique. Le 8 mai i85o, Frère-Orban, au nom du Gouvernement belge, déposa un projet d'organisation du Crédit foncier, combinant l'administration par l'État avec une véritable association entre les propriétaires emprunteurs. Les prêts devaient être faits au taux de 4 0/0, plus 1 0/0 pour l'amortissement, avec une garantie hypothécaire vérifiée par l'administration. •Le gouvernement voulait prouver que le système qui, en Prusse et en Pologne, originairement n'avait été appliqué qu'à la grande propriété, aux biens nobles, — équestres comme dit Roscher, — était extensible à la petite propriété, au moins dans certaines limites. Le projet s'arrêtait à la limite d'une valeur foncière de 1,000 francs, considérée comme permettant d'assurer encore le recouvrement des annuités; mais les petits propriétaires pouvaient s'associer pour donner hypothèque (1). (1) Développement de la proposition de loi déposée par Ce projet provoqua une très vive opposition dans les rangs du parti catholique. On prétendit qu'il portait l'empreinte du socialisme, qu'il consacrait un envahissement du pouvoir central. Adopté, néanmoins, par la Chambre en 1851, il finit parsuccomber, devant le Sénat et, le 20 décembre 1854, un arrêté royal en décréta le retrait pur et simple. Après cet échec, et jusqu'en 1896, la question du Crédit foncier continue à préoccuper les théoriciens, donne lieu à des travaux forts intéressants [projets de MM. Haeck (1857), t'Serclaes de Wommersom (1888), Van Overloop (1894)], mais elle ne pénètre plus dans le cercle de l'activité parlementaire. C'est seulement l'année dernière que, reprenant sous une forme d'ailleurs très imparfaite, l'initiative que ses anns politiques avaient fait échouer, en 1854, M. de Smet de Nayer, ministre des finances, déposa, le 19 novembre 1896, un projet de loi relatif, au Crédit foncier agricole. Le Gouvernement estime, dit l'exposé des motifs, que la Caisse d'épargne ferait chose éminemment utile si elle réalisait, grâce à l'intervention de ses comptoirs agricoles, des opérations de crédit foncier proprement dit, en les réglant de manière à faciliter le développement progressif de la propriété rurale. Les prêts hypothécaires consentis par les particuliers sont généralement remboursables en une fois ; le prêteur ne désire pas recevoir le remboursement par annuités, ce système entraînant pour lui, à chaque échéance, le souci du remploi d'une fraction de son capital. M. H. Denis, le 25 février 1897, relative à l'organisation du Crédit foncier rural mutuel. Session 1896-97 n° 100, p. 2. — Le même document contient un exposé historique fort intéressant de la question en Belgique. L'emprunteur, de son côté, n'étant pas préoccupé d'une prochaine échéance, néglige de reconstituer, par des placements successifs, le capital emprunté, ou affecte à d'autres usages les sommes économisées par lui en vue du remboursement de sa dette. Il en résulte, qu'à l'expiration du terme, le débiteur n'est pas en mesure de rembourser le prêt et que celui-ci, successivement renouvelé, finit par se transformer en une dette perpétuelle. C'est là un mal qui place pour toujours le cultivateur dans une situation précaire ; si, pour acquérir de nouveaux biens destinés à étendre son exploitation, pour sortir d'un état de gêne momentanée, ou pour reprendre l'exploitation familiale, il a dû contracter un emprunt hypothécaire, il se trouve, en fait, dessaisi à jamais du plus puissant élément de crédit dont il dispose. C'est à ce mal que le Gouvernement, avec le concours de la Caisse d'épargne, voudrait porter remède. A cet effet, il serait hautement désirable, continue l'exposé des motifs, de voir la Caisse d'épargne organiser résolument le-service du crédit foncier agricole, mais exclusivement sous la forme de prêts remboursables par annuités : telle est la raison d'être de l'article Ier du projet de loi, qui stipule que « les prêts hypothécaires consentis par la Caisse générale d'épargne et de retraite, à l'intervention des comptoirs agricoles, devront être remboursables par annuités dans un délai maximum de trente ans ». Le second, et dernier article du projet, a pour objet, d'écarter l'obstacle que notre législation fiscale apporterait en fait à la réalisation du second but poursuivi par le Gouvernement : la substitution, avec le concours de la Caisse d'épargne, de dettes remboursables par annuités aux dettes remboursables en une fois, qui grèvent actuellement la propriété foncière rurale. Le contrat tout indiqué à cette fin est, en effet, le paiement avec subrogation, prévu par les articles 1249 et suivants du code civil : la Caisse d'épargne paie le créancier hypothécaire, et est subrogée à ses droits contre le débiteur ; mais, dans l'état de la législation sur la matière, pareil contrat donnerait ouverture, soit au. droit de 1.48 0/0, établi pour les cessions de créances, soit, parfois, au droit de même impôt pour les obligations de sommes, et, de plus, à un droit de quittance de 0.65 0/0. Il n'est pas un seul instant douteux que nos agriculteurs hésiteraient souvent à faire une opération qui se manifesterait, à son début, avec un caractère aussi onéreux ; de là, la disposition du projet de loi qui.exonère de tout droit proportionnel les contrats dont il s'agit. Il n'échappera pas, dit en terminant l'exposé des motifs, que les développements de l'institution des comptoirs agricoles, et de leur action dans le sens exposé plus haut, est appelé à ^ider puissamment à la diffusion de la petite propriété rurale. Le présent projet de loi rentre ainsi dans les vues dont s'est inspiré celui que le Gouvernement a déposé le 18 janvier 1895 (Réduction des droits d'enregistrement et de transcription pour les acquisitions de petites propriétés rurales). Renvoyé devant les sections de la Chambre le projet de M. de Smet n'y a reçu qu'un accueil très réservé. On a fait remarquer, tout d'abord, que la réduction des droits d'hypothèque, au profit d'une seule classe de prêts, est une mesure boiteuse, une réforme imparfaite, qui heurte la justice distributive et le principe constitutionnel de l'égalité devant l'impôt. De plus, si le mécanisme légal que l'on propose d'introduire, devait effectuer un grand nombre d'opérations, les administrateurs de la Caisse d'épargne manifestent la crainte de voir immobiliser, dans une trop large mesure, des capitaux qu'ils ont l'obligation de rembourser à la première demande. D'autres ont rappelé ce que disait, au congrès de 402 LE SOCIALISME EN BELGIQUE l'agriculture (1), le regretté Mahillon, directeur général de la Caisse d'épargne : « A l'époque actuelle, je me demande si, en général, on rend service aux cultivateurs, en les poussant par l'avance de capitaux, même à bon marché, à acheter des terres. » Trop souvent, en effet, les campagnards ont « les yeux plus grands que le ventre» ; poussés par le démon de la propriété personnelle, ils se disputent avec acharnement les lopins de terre qu'ils convoitent, contractent, pour les payer, des engagements qu'il leur est à peu près impossible de tenir et finissent par se trouver, vis-à-vis de leurs créanciers, dans une situation plus onéreuse que les fermiers vis-à-vis de leurs propriétaires. Il est vrai que la crise les a rendus prudents et que, d'autre part, le projet de Smet de Nayer paraît surtout avoir en vue de faciliter le paiement de dettes anciennes, en subrogeant la Caisse d'épargne aux créanciers hypothécaires, mais à quelles conditions? Les prêts ne pourront être faits que par l'intermédiaire des Comptoirs agricoles, moyennant une commission à toucher par ceux-ci, et ils devront être remboursés, par annuités, dans le laps de trente ans. Or, par arrêté du conseil général de la Caisse d'épargne, — 20 juin 1895, — « le taux de l'intérêt des prêts agricoles, conclus à l'intervention des Comptoirs agricoles, est fixé, y compris le tantième alloué aux comptoirs, à 3 fr. 75 0/0, pour les prêts supérieurs à 10,000 francs, et à 3 fr. 5o 0/0 pour les prêts ne dépassant pas ce montant. » En y ajoutant l'amortissement, l'annuité à payer (1) Session 1893-1894, p. 1GS. par l'emprunteur, que nous avons calculée d'après les tables de Pereire, s'élevera à 5 fr. 61 o/o, au taux d'intérêt de 3 fr. 75 ; à 5 fr. 440/0, au taux de 3 fr. 5o. Les cultivateurs obérés auront donc le choix entre ces deux alternatives : payer indéfiniment à leurs créanciers un intérêt hypothécaire, que M. Beernaert, en 1890, fixait, en moyenne, de 4 1/4 à 4 1/2 0/0, ou bien, payer pendant trente ans à la Caisse d'épargne une annuité de 5 fr. 44 0/0. Il faut bien mal connaître leur psychologie, et vouloir ignorer la pénible situation dans laquelle ils se débattent, pour exprimer l'espoir que les paysans, en grand nombre, se décideront à augmenter leurs charges, pendant trente ans, en échange de la perspective d'être libérés dans la suite. Pour que le Crédit foncier produise des résultats, dont il convient d'ailleurs de ne pas exagérer l'importance, il faudrait que les annuités à payer soient inférieures au montant des intérêts touchés actuellement par les créanciers hypothécaires. C'est dans l'espoir d'arriver à ce résultat, de « chercher la solution qui impose aux individus, unis par la solidarité, le minimum de risques et les charges éventuelles les moins onéreuses, » que, le 25 février 1897, Denis a opposé, au projet de Smet, sa proposition de loi relative à l'organisation du Crédit foncier rural mutuel. Au lieu de faire directement des prêts aux cultivateurs par l'entremise des Comptoirs agricoles, la Caisse d'épargne se bornerait à consacrer une partie de ses fonds à l'acquisition de lettres de gage, émises en représentation de prêts fonciers ruraux. L'organisation, proprement dite, du Crédit foncier rural comprendrait deux ordres d'organes distincts : à) Les mutualités foncières locales. b) Les caisses provinciales de Crédit foncier. Les mutualités locales traiteraient les opérations de prêts avec leurs membres, de cession avec subrogation des créances dues par leurs membres, et de négociation des lettres de gage. Les caisses provinciales feraient l'émission des lettres de gage; elles les délivreraient aux mutualités locales et en assureraient périodiquement le remboursement aux porteurs par voie de tirage. Nous renvoyons, pour le détail de cette ingénieuse conception, au texte même et aux développements de la proposition Denis. Etant donné le point de vue qui nous occupe en ce moment, il suffira de constater que cette proposition n'accorde aucun privilège à la petite propriété, qu'elle n"a d'autre but que d'assurer à tous les cultivateurs du crédit aux conditions les moins onéreuses possibles et que son auteur lui-même est d'avis « que la meilleure organisation du Crédit foncier ne pourra aujourd'hui, que dans des limites étroites, sans doute, permettre de faire passer la terre aux mains de ceux qui y appliqueraient la plus grande énergie productive ». § 3. — Les Lois successorales.' Après l'examen des mesures que l'on propose, pour faciliter l'accession des cultivateurs à la propriété, l'ordre logique nous amène à parler de celles ayant pour but de consolider ces acquisitions, de stabiliser les biens de famille, et. notamment, de soustraire les petits héritages à la vente forcée en cas de décès. La seule proposition qui ait été faite, dans cet ordre d'idées, émane de l'initiative parlementaire : c'est le projet de loi déposé par M. Van der Brug-gen, député de Thielt, le 18 mars 1891, « apportant des modifications au régime successoral des petits héritages » (1). On sait qu'aux termes des articles 8i5 et suivants du Code civil, nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision ; chacun peut demander sa part, en nature, des meubles el immeubles de la succession; s'il y a des mineurs, ou si les immeubles ne peuvent pas se partager commodément, il doit être procédé à la vente par licitation devant le tribunal. D'autre part, aux termes de l'article gi3 du Code civil, les libéralités, soit entre vifs, soit par testament, ne peuvent excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant légitime; le tiers, s'il laisse deux enfants; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre. Enfin, l'article 1094 du Code civil restreint dans des limites assez strictes le droit pour l'époux de disposer de ses biens par contrat de mariage, ou pendant le mariage, en faveur de l'autre époux. On est assez généralement d'accord aujourd'hui pour admettre que ce régime successoral présente des inconvénients graves quand il s'agit de petites successions dont l'avoir se réduit à une maison, (1) N° 120 (Session de 1898-91). — Rapport de la section centrale, n° 128. — Reprise du projet, le 31 janvier 1S93; n° 75. (Sess. de 1S92-93). ouvrière ou paysanne, entourée de son jardin, ou de quelques parcelles de terre arable. En cas de décès du chef de famille, s'il y a des mineurs, si les héritiers ne parviennent pas à s'entendre, si, pour un motif quelconque, l'un d'eux réclame le partage, la propriété se dissout, l'exploitation rurale se morcelle, le bien de famille passe en des mains étrangères. Il n'est pas contestable, — dit M. de Corzwarem, dans le rapport de la Section centrale sur la proposition Van der Bruggen, — que la disparition graduelle de la petite propriété urbaine et rurale doit être attribuée, pour une grande partie, disons plus, pour la plus grande partie, à l'action de notre régime successoral. C'est là un fait d'observation quotidienne : une maison appartenait jadis à un ouvrier; elle est aujourd'hui passée en d'autres mains; cherchez la cause du changement, et, dans la plupart des cas, vous trouverez une licitation entre héritiers. Ce qui est non moins grave que la disparition rapide de la classe des ouvriers propriétaires, ce sont les pertes énormes que la vente des petits immeubles, — actuellement à peu près inévitable lorsqu'il y a plusieurs héritiers, — cause annuellement à la classe ouvrière. Ces pertes prennent la proportion d'un véritable désastre, lorsqu'il y a plusieurs mineurs parmi les héritiers. M. de Corzwarem, dans le même rapport, donne quelques exemples caractéristiques de cette absorption des petites propriétés par les frais de justice : i° Vente à Dinant, en mai i8go, d'une petite maison, avec deux parcelles de terre, d'une contenance totale d'environ 10 ares : prix de vente, 1,100francs; frais 363 fr. 53, soit plus ds 3o o/o. 2° Vente à Hoogstraeten du t6 décembre 1890 : prix de vente, 3oo francs, frais taxés par le tribunal, 104 fr. 82, soit 45 0/0 du prix. 3° Vente d'une petite maison à Loenhout : prix de vente, 200 francs, frais 120 francs, soit exactement 60 0/0 du prix. 40 Enfin, en 1890, un jugement du tribunal de Dinant ordonne la licitation entre majeurs et mineurs, d'une petite maison à Thynes. La maison est adjugée à 100 francs: les frais montent à 112 francs. Les détails de ces états de frais démontrent, à toute évidence, qu'une simple réforme fiscale serait impuissante cà mettre un terme à cette déplorable situation. Même en réduisant au minimum les droits et frais à payer, les petites successions resteraient encore grevées de charges hors de proportion avec l'importance de l'actif. Aussi la proposition Van der Brug-gen cherche à remédier à la situation que nous venons de décrire en rendant les liquidations forcées, non pas moins onéreuses, mais moins fréquentes. Lorsque le revenu industriel des immeubles d'une succession ne dépasse pas 200 francs, et que cette succession comprend une maison occupée par le de cujus, son conjoint, ou l'un de ses enfants, cette proposition de loi — dans son texte primitif — comporte une triple dérogation aux règles générales du Code : i° La quotité disponible au profit d'un ou de plusieurs des enfants légitimes ne sera pas inférieure à la moitié de l'actif immobilier. 2" Chacun des héritiers en ligne directe, de même que le conjoint survivant, s'il a un droit de co-pro-priété, a la faculté de reprendre sur estimation la maison, avec les terres qui en dépendent. 3° Par dérogation à l'article 1094 du Code civil, l'époux pourra, soit par contrat de mariage, soit pendant le mariage, disposer en faveur de l'autre époux, de l'usufruit de tout l'actif immobilier. En somme donc, on propose de donner au père, à l'époux ou aux héritiers — quand il s'agit de petits héritages — le droit d'empêcher le partage et la vente du bien de famille, soit en le léguant à l'un des enfants, soit en le donnant en usufruit au conjoint survivant, soit en reprenant sur estimation l'actif immobilier. Le projet Van der Bruggen, favorablement accueilli par la section centrale delà Chambre, a passé, depuis lors, par de multiples vicissitudes. Il était inscrit en tête de l'ordre du jour, quand il vint à tomber par suite de la dissolution des Chambres, nécessitée par la révision constitutionnelle. Son auteurle reprit, en janvier 1898, mais en supprimant les dispositions relatives à la quotité disponible et en stipulant que « sauf disposition contraire, le conjoint survivant aurait l'usufruit de la part de communauté revenant à la succession du prémourant dans la maison, le mobilier qui la garnit et les terres qui en dépendent, y compris le matériel agricole et les animaux attachés à la culture ». De plus, un article nouveau, suggéré par M. H. Denis, autorisait le juge de paix, dans les successions où il y a des mineurs, à maintenir l'indivision des biens l'rappés d'usufruit jusqu'à la majorité de ceux-ci. Cette nouvelle proposition eut le sort de la précédente. Elle disparut en même temps que le Parlement censitaire de 1894, mais, à plusieurs reprises, depuis lors, le Ministre des Finances a manifesté l'intention de la reproduire au nom du gouvernement. Quoiqu'il en advienne, du reste, les auteurs de la proposition Van der Bruggen ne doivent pas se faire beaucoup d'illusions sur l'influence qu'elle pourrait avoir, lors même que l'on rétablirait les dispositions relatives à la quotité disponible. Certains abus du partage forcé disparaîtraient, sans doute, mais l'extension de la liberté testamentaire, dans l'immense majorité des cas, n'empêcherait pas le partage égal des petites successions. Comme le dit fort bien Rossi : « l'égalité est dans nos mœurs; bien peu de parents oseraient avantager un de leurs enfants au détriment des autres. Que l'on pense ce qu'on voudra de cette disposition des esprits, il n'en est pas moins vrai qu'elle existe ». g 4. — Les Socialistes et la Propriété familiale. Pour apprécier, dans leur ensemble, les projets et les lois que nous venons d'analyser, il importe, tout d'abord, de se rendre un compte exact de la pensée qui les inspire. Chose étrange, les modifications que l'on propose au régime successoral et propriétaire du Code civil, poursuivent le même but que les dispositions contenues dans celui-ci. Quand la Révolution française ordonnait le partage des communaux, procédait à la vente des-biens du clergé et d'une grande partie de ceux de la noblesse, organisait cette vaste « noce économique », dont les reliefs ont enrichi tant de familles bourgeoises, c'était, — comme le dit la loi du 14 avril 1892, — « dans la vue de multiplier le nombre des petits propriétaires ». Quand le Code Napoléon, donnant sa forme définitive à la pensée du Tiers-Etat révolutionnaire, pro- clamait la liberté absolue des transmissions entre vifs et le partage, égal et forcé, des transmissions à cause de mort, on déclarait aussi que ce découpage automatique eP cette mobilisation de la terre devraient nécessairement aboutir à la généralisation de la petite propriété. Et, maintenant qu'il apparait à toute évidence que la grande masse des biens noirs et des terres communales a passé dans les mains de la grosse bourgeoisie, que le nombre des paysans propriétaires diminue ad lieu d'augmenter, que l'égale division des biens aboutit, en dernière analyse, à la pulvérisation de la propriété rurale, nous voyons les gouvernements faire machine en arrière, et, — toujours dans l'intérêt de la petite propriété — opposer à la liberté d'endettement, l'insai-sissabilité des petits domaines, au partage égal et forcé, la transmission intégrale des petits héritages. Seulement, il ne faut p^s se méprendre sur la portée de ces propositions : ce que leurs promoteurs ont en vue, ce n'est pas la création d'une démocratie égalitaire, d'un peuple de petits propriétaires, cultivant chacun pour soi quelques parcelles du territoire. En réalité, les mesures en faveur de la petite propriété ont, avant tout, pour objet de protéger la grande. On agit à l'égard des paysans comme ces Romains de la décadence qui assignaient des terres aux Barbares à charge de protéger le surplus contre de nouveaux assaillants; on essaie d'opposer un certain nombre de cultivateurs propriétaires à la grande masse des prolétaires sans feu ni lieu ; et, en même temps, on se flatte d'enrayer l'émigration vers les villes, d'attacher les campagnards à la glèbe, en leur procurant la propriété d'une maison et de quelques verges de terre, de constituer des « biens de famille », intégralement transmis à l'un des enfants, et fournissant aux grands propriétaires, en la personne des autres, de la main d'œuvre à bon marché. Bref, l'idéal que l'on poursuit, c'est le maintien, ou la reconstitution, à l'ombre des châteaux ou des grandes fermes, de la vieille communauté rurale, avec ses tenanciers soumis et fidèles, vivant paisiblement, sous la dépendance et la protection d'une « autorité sociale », soucieuse de ses devoirs autant que jalouse de ses droits. En admettant que pareil retour en arrière soit possible, — malgré les chemins de fer, les transatlantiques, la concurrence des .pays neufs, l'envahissement des campagnes par le capitalisme, le divorce croissant de la propriété et du travail, — encore serions-nous résolument hôstiles à cette conception, plus ou moins rajeunie, du bon seigneur et du loyal sujet. Stuart Mill en a fait justice dans ces admirables pages sur l'avenir des classes laborieuses, où il montre que cet idéal, fondé sur la conduite de quelques individus isolés, n'a jamais été réalisé dans l'histoire ; que toujours les classes privilégiées et puissantes se sont servi de leur pouvoir au profit de leur égoïsme et non dans l'intérêt de ceux qu'elles avaient à charge de protéger. Aussi repoussons nous formellement, comme des utopies réactionnaires, les plans de réforme sociale qui visent à reconstituer, ou à maintenir, par des moyens artificiels, le régime patriarcal, hiérarchique et autoritaire, dans la famille et dans la société. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu'il faille rejeter en bloc, et sans les examiner en elles-mêmes, toutes les propositions qui se réclament de l'idéal que nous combattons. En partant du principe diamétralement opposé, il arrive fréquemment que l'on tombe d'accord sur certaines mesures d'intérêt immédiat. Au dernier congrès de Zurich, par exemple, en août 1897, socialistes et catholiques, en désaccord absolu sur le rôle social de la femme,—ceux-ci voulant, ceux-là ne voulant pas, lui interdire tout travail industriel, — étaient unanimes cependant à réclamer la suppression du travail féminin dans les mines et les industries insalubres. De même, si l'on fait abstraction des considérants qui les accompagnent, pour s'en tenir à leur dispositif, la plupart des lois et des projets de loi présentés par le gouvernement belge et ses amis « en faveur de de la petite propriété » sont parfaitement acceptables pour tous, quelle que soitJ'opinion que l'on ait sur les avantages ou les inconvénients des biens de famille. La loi de 1897 sur les droits de mutation, notamment, se réduit à un dégrèvement, dont l'insuffisance et l'application restreinte n'empêchent pas la légitimité. Les projets de loi relatifs au Crédit foncier sont applicables à tout le monde et n'établissent des privilèges en faveur de personne. Quant aux propositions Van der Bruggen, — plus directement inspirées par des théories contraires aux nôtres, — leur texte, cependant, ne renferme absolument rien qui soit en opposition avec les doctrines socialistes. Quel que soit, en effet, le point de vue d'où l'on parte, tout le monde estimera qu'il est équitable de laisser au conjoint survivant la jouissance du foyer conjugal ou d'accorder, soit au père de famille, soit à ses héritiers, la faculté de se soustraire aux conséquences préjudiciables du partage forcé. Autant nous serions adversaires de toute législation qui imposerait les anciennes coutumes successorales à des populations qui n'en veulent plus, autant nous trouvons légitime que, — dans la mesure où se maintient la transmission héréditaire des biens, — on permette à chacun d'user de sa liberté testamentaire conformément à ses traditions et à ses préférences. Seulement, il va sans dire que pareilles propositions n'ont rien à voir avec le socialisme; que l'on ne pourrait, sans créer des malentendus et des équivoques, les inscrire dans nos programmes et en faire l'objet de notre propagande. Le rôle qui nous incombe, au contraire, c'est de montrer l'inanité de pareilles mesures, la vanité des illusions que leurs promoteurs entretiennent dans l'esprit des petits propriétaires. Ce n'est évidement pas en accordant quelque dégrèvement aux cultivateurs, en leur offrant des prêts à 5.44 0/0, en les autorisant à user d'une liberté testamentaire dont, la plupart du temps, ils ne profiteront pas, que l'on protégera les biens de famille contre les mœurs qui les dissolvent et les transformations économiques qui les menacent, ou qui les ruinent. On propose, il est vrai, de les déclarer intangibles, de tracer autour d'eux un cercle que les créanciers et les recors ne pourraient franchir, en un mot, d'ajouter Xinsaisissabilité du domaine à son indivisibilité. Des travaux récents ont montré ce que vaudrait 414 LE SOCIALISME EN BELGIQUE cette mesure, qui tuerait le crédit réel du paysan, substituerait à l'hypothèque les engagements personnels plus onéreux, et immobiliserait les terres aux mains de ceux qui se seraient montrés incapables d'en tirer un parti fructueux (1). Mais allons plus loin, et supposons, avec M. du Maroussem, la transformation accomplie, intégrale, complète, telle que la rêvent les partisans de YAner-benrecht et du homestead. « Le majorat paysan passe, d'ainé en aîné, en une immuabilité parfaite. Le but étant de créer des ruraux : les fils cadets ont pris, pour la plupart, le chemin des centres industriels et, grossissant une armée déjà trop nombreuse, sont venus rendre plus aiguë la crise du prolétariat. L'insaisissabilité a étendu sur la réserve sociale des a domaines indivisibles » une protection qui arrête les calculs de l'usure. Mais, une série de mauvaises récoltes' ou de malheurs publics est survenue; les épargnes s'épuisent; il faut emprunter, ou la culture recule. Les stratagèmes se multipliant, la vente volontaire, encore permise, leur sert de base. C'est l'écroulement du système et le retour des dangers » (2). Bref, on peut mettre la petite propriété hors de la (1) LEVASSEUR, Le Homestead. en Amérique. Rapport sur le concours Rossi de 1894, présenté à l'Académie des sciences morales et politiques. (Revue d'Economie politique, 1894, p. 701 et suiv.) (2) Du MAROUSSEM, Divisibilité ou indivisibilité de la propriété foncière en France. (Revue d'Economie politique. 1884, pp. 880 et suiv.) loi civile; on ne saurait la mettre hors du monde capitaliste. En dépit des préoccupations sentimentales, des velléités philantropiques, ou des calculs intéressés de ceux qui veulent conserver des ilôts de patriarcat dans l'océan du monde moderne, et intéresser une fraction du prolétariat au maintien de l'ordre établi, l'évolution industrielle poursuit sa marche inflexible, substitue la production rationnelle, le travail collectif, la culture intensive, aux formes surannées de l'ancienne agriculture, — et, comme nous allons le montrer, en un dernierchapitre, — entraîne irrésistiblement vers des voies nouvelles ceux-là même qui tentent de de s'y opposer. Fata volentem ducunt, nolentem trahunt. B BœUHHI CHAPITRE IV. La révolution agricole. Les phénomènes que présente l'évolution de la propriété rurale en Belgique, semblent donner également tort à ceux qui affirment sa division, de plus en plus grande, au profit des cultivateurs du sol, et à ceux, parmi les socialistes, qui se figurent un peu naïvement que, dans toutes les branches de la production capitaliste, les petites exploitations disparaissent, ou sont à la veille de disparaître, pour faire place à un nombre toujours décroissant de grandes exploitations. A première vue, tout au moins, — et pour qui ne connaît pas ou ne veut pas connaître les dessous de la propriété paysanne, rongée par les dettes comme un vieux saule, — la répartition du domaine cultivé, entre les diverses catégories de propriétaires, paraît se modifier très lentement et plutôt dans le sens d'une diffusion croissante de la propriété. Il est bien vrai que, dans certaines régions, — du côté de Nivelles, par exemple, — la propriété foncière se concentre; que, depuis le recensement de 1866, le faire valoir direct a perdu du terrain; qu'auparavant déjà, le nombre des cotes foncières allait en diminuant, relativement au chiffre de la population ; mais, d'autre part, — à l'encontre de ce qui se produit dans la plupart des branches de l'industrie proprement dite, — le nombre des exploitations agricoles augmente, les anciens domaines féodaux, à culture extensive, se morcellent, et, dans la banlieue des grandes agglomérations urbaines, la subdivision incessante des parcelles transforme le domaine arable en un vaste jardin potager. Bref,pour le moment, nous ne voyons rien en agriculture qui ressemble à l'expropriation des petits commerçants par les grands magasins, ou des gens de métier par les grandes fabriques. La Belgique, au contraire, tend à devenir, de plus en plus, un pays de petite culture. Et cependant il n'est pas douteux qu'en général, et sauf à faire très large part aux exceptions, les grandes exploitations l'emportent sur les petites pour l'abondance de leurs capitaux, la supériorité de leur outillage, l'organisation plus rationnelle du travail, l'initiative et l'esprit de recherche du chef d'entreprise : c'est pourquoi Quesnay réclamait catégoriquement dans 6a xve maxime, que les terres employées à la culture des grains fussent réunies, autant que possible, en grandes fermes exploitées par de riches laboureurs. Comment se fait-il, dès lors, que jusqu'à présent, malgré ces avantages techniques incontestables, le nombre des grandes fermes ait diminué, tandis que celui des petites cultures a toujours été en augmentant ? Cette apparente anomalie s'explique par les motifs suivants : I. — D'abord, les intérêts immédiats des proprié- taires sont fréquemment en opposition avec les intérêts de la culture : dans les contrées à population dense, — et surtout dans les Flandres, où la nature du terrain, sablonneux et léger, n'exige pas de forts attelages, — ils ont le plus grand avantage pécuniaire, soit à vendre leurs terres en détail, soit à les diviser en toutes petites fermes, ou en minuscules parcelles, données en location à des ouvriers agricoles. Je connais des villages, — disait l'abbé Daens, à la Chambre des représentants, le 25 mai 1897, — ou deux ou trois propriétaires capitalistes accaparent toutes les terres mises en vente ; ils les afferment à des ouvriers agricoles au prix incroyable de 1 franc .la verge, c'est-à-dire 320 francs l'hectare ! Ces prix sont assurément exceptionnels, mais la pratique est constante : il est dé règle que le prix de location à l'hectare, pour les petites parcelles, est sensiblement plus élevé que pour les grandes exploitations. D'autre part, il n'est pas douteux que ce morcellement excessif présente des inconvénients graves, au point de vue de la culture, et surtout au point de vue du cultivateur. « Vous voyez, écrivait Ducpé-tiaux, dans les Budgets économiques des classes ouvrières, l'ouvrier porter le fumier, brouette par brouette, sur un champ qui est souvent à un quart de lieue de son habitation, et reporter, de la même manière, les récoltes à la maison. Vous le voyez, courbé sur la terre, la remuer à grand'peine avec la houe. Vous voyez mari, femme et enfants, tous attelés à la herse, la traîner péniblement, à coups de collier. » (1) (i) ducpétiaux, Budgets économiques des classes ouvrières en Belgique, p. 279. ...... O Fortunatos nimium, Sua si bona norint, agricolas ! Ce travail surhumain, ou plutôt inhumain, parvient à suppléer, dans une certaine mesure, au défaut de capitaux et aux autres causes d'infériorité de la petite culture; la terre, malgré tout, porte des fruits assez abondants, — au moins dans les terres maigres et légères de la Campine et des Flandres. Aussi le propriétaire trouve-t-il avantage à maintenir et à développer un système d'exploitation qui lui permet d'absorber, sous le nom de fermage, non seulement la plus-value produite par son locataire, mais souvent même une partie du salaire normal que celui-ci toucherait, pour la même quantité de travail, dans d'autres conditions (i). De plus, indépendamment de l'intérêt direct de ceux qui encaissent ces redevances exorbitantes, ces « ferinages compétitifs », il ne faut pas oublier que, — même dans les régions, comme la Hesbaye, où la petite culture est décidément inférieure, — les capitalistes agricoles ont intérêt, comme classe, à ce que les ouvriers soient attachés à la glèbe par la propriété ou l'exploitation d'un lopin de terre : c'est le moyen, ou plutôt c'était le moyen, avant les trains ouvriers à prix réduits, de les rendre moins exigeants quant au salaire en espèces, parce qu'ils trouvent un supplément de ressources dans leurs petites exploitations. Ces ouvriers, d'ailleurs, sont en meilleure situation que les cultivateurs isolés pour gagner un (l) Voir Marx, Das Kapital, Buch III, Zweiter Theil, p. 165, Hamburg, 1894. 420 LË SOCIALISME EN BELGIQUE peu de grain, des pommes de terre, quelques légumes, à un prix de revient favorable, parce que, généralement, les premiers mettent à leur disposition le matériel, les attelages, voire même le peu d'engrais, dont ils ont besoin. Leurs exploitations naines constituent donc, en somme, des accessoires, de véritables départements extérieurs, des exploitations capitalistes. De même que, jadis, les terres des manants et celles du seigneur, les unes et les autres font partie d'un même ensemble; bien loin de se faire concurrence, elles concourrent au même but et se prêtent un mutuel appui (i). II. — Toute autre est la situation des producteurs autonomes, des cultivateurs indépendants, vis-à-vis de la grande culture. Leur nombre diminue; leur situation devient de jour en jour plus précaire. Le développement du ca- (i) Cf. LafARGUE, La propriété paysanne et l'évolution économique. Rapp. présenté au Congrès de Nantes : « Avant la Révolution, pour se procurer des travailleurs aux époques des moissons, et dans le courant de l'année, les propriétaires étaient obligés, dans un grand nombre de provinces de les établir sur leurs domaines, dans des maisonnettes auxquelles étaient annexés des champs de un à deux hectares ; on nommait manouvreries ces petites fermes concédées aux laboureurs, en échange d'un certain nombre de journées de travail. » Leroy-Beaulieu, Journal des Débats, 30 novembre 1893, cité par Deville, dans son discours â la Chambre française, du 6 novembre 1897 : « Le petit propriétaire, qui fait des journées dans le grand et le moyen domaine du voisinage, a toujours quelques jours libres, qu'il eut passés inoccupés; il les emploie sur sa terre; c'est là le vrai rôle de la petite propriété. » la révolution agricole 42 i pitalisme, en détruisant les communaux et les industries accessoires, qui se greffaient jadis sur les petites exploitations rurales, compromet leur existence même. Malgré le travail acharné, l'auto-exploi-tation à laquelle ils se livrent, les producteurs isolés ne sont plus guère en mesure de lutter contre l'agriculture capitaliste. En effet, si les exploitations rurales ont diminué en étendue, elles ont incontestablement augmenté en importance. Sous la pression de la concurrence étrangère, la culture est devenue plus intensive, l'emploi des machines plus fréquent, l'usage des engrais artificiels plus général. En un mot, les capitaux nécessaires à l'exploitation des fermes sont devenus beaucoup plus considérables. Or, la plupart du temps, — et aussi longtemps que l'association entre cultivateurs n'intervient pas, — les exploitations parcellaires en faire-valoir direct sont inférieures, à ce point de vue, aux exploitations capitalistes. Les héritages ruraux exploités par le propriétaire, dit M. d'Aulnis de Bourouil, malgré les soins plus actifs, et continuels, ne profitent pas de l'association heureuse des capitaux de deux parties intéressées ; chez le propriétaire exploitant, le capital d'exploitation fait souvent défaut (1). Dans l'enquête agricole de 1886, le gouverneur de la Flandre occidentale, — le pays de la petite cul- (1) Les rapports entre le propriétaire et l'exploitant du sol. Revue d'Economie politique, 1892, p. 723. V. aussi Marx, Bas Kapital. Dritter Band, Zweiter Theil, p. 342 et suiv. ture, par excellence, — répond, en ces termes, à la questions de savoir si « les exploitants ont des ressources suffisantes » : Avant la crise, oui. Ce n'est pas l'insuffisance des capitaux qui a empêché l'industrie agricole d'augmenter sa force productrice; c'est, en général, la courte durée des baux. Mais, depuis 1870, des krachs financiers, sur divers points de la province, ont englouti la plus large part des épargnes réalisées dans les campagnes; il faut y ajouter plusieurs mauvaises récoltes, et surtout l'avilissement du prix des blés, des chevaux, du bétail, du lin, de la chicorée, du colza, etc. L'on peut dire que généralement, le cultivateur n'a plus les ressources suffisantes pour les besoins de son exploitation... Aussi, n'est-il pas rare d'entendre dire, dans les campagnes, que telle ou telle exploitation est épuisée, ce qu'on appelle très expressivement en flamand : uitgezaaid. Si nous passons maintenant dans une autre région, dans les terres grasses de la Hesbaye, les inconvénients de la petite culture, au point de vue de la technique agricole, vont nous apparaître plus éclatants encore : charrues et attelages insuffisants pour labourer à une profondeur normale; bétail mal nourri, fournissant un fumier de qualité inférieure ; routine et absence de notions scientifiques sur l'agriculture; exploitation des petits paysans par les marchands de grains et les fabricants de sucre; insuffisance manifeste des ressources nécessaires à l'exploitation. « La petite culture », disait feu Cartuyvels, le leader des agrairiens à la Chambre belge, dans la même Enquête agricole de 1886, » n'a pas le quart du capital nécessaire; elle se ruine, en ruinant le sol ». Rien de plus aisé, d'ailleurs, que de se convaincre de la vérité de ces paroles, et de constater, de visu, que, — toutes autres conditions étant égales, — la petite culture se trouve dans un état de plus grande infériorité vis-à-vis delà grande. Dans son Traité d'économie rurale, M. Piret dit : Nous avons en Belgique des pays avancés en agriculture, ou de grandes exploitations agricoles, plus ou moins agglomérées, se rencontrant à côté de petites exploitations, formées d'un grand nombre de parcelles éparses sur tous les points du territoire ; et, sous le point de vue de la productivité des terres, l'avantage n'est certainement pas du côté de ces dernières, bien qu'elles payent ordinairement un prix de location plus élevé à l'hectare. Les terres du grand cultivateur à parcelles agglomérées sont généralement bien et profondément ameublies, non infestées par les mauvaises herbes; elles sont abondamment fumées avec des engrais de ferme et de commerce; conséquence de tout cela : belles et abondantes récoltes. Au contraire, les petites parcelles éparses des petites exploitations sont cultivées superficiellement et imparfaitement par des attelages impuissants, elles sont envahies par les mauvaises herbes, ne reçoivent que des engrais insuffisants et ne portent que de misérables récoltes. Ce tableau n'est nullement chargé, et, pour s'en convaincre, il suffit de parcourir la plus grande partie de la province de Liège (Hesbaye), le nord de la province de Namur, le sud du Brabant et le Hainaut presque tout entier, et l'on rencontrera à chaque pas des exemples qui le démontreront (i). Malgré tous ces désavantages, cependant, la petite (i) PlRET, Traité d'Economie rurale, I, 403. culture ne se laisse pas supplanter par la grande et continue à vivoter, tant bien que mal, et plutôt mal que bien, aux côtés de celle-ci. < Cette force de résistance tient à des causes complexes, inhérentes au régime capitaliste, et que nous allons essayer de dégager. i° Tandis que, dans l'industrie, les producteurs les mieux outillés se débarassent de leurs concurrents en abaissant les prix et en produisant à leur place, dans l'agriculture, au contraire, où les prix sont déterminés par le coût de production sur les terres les moins favorisées, la supériorité d'une exploitation sur une autre se traduit par une rente au profit de la première, et non par une réduction des prix, qui mettrait la seconde hors de combat. Par conséquent, avant la crise, les petites productions parvenaient à vivre tout juste, tandis que les grands propriétaires touchaient des fermages plantureux. 2° D'autre part, la grande culture, produisant, à peu près exclusivement, des valeurs d'échange destinées à la vente, a plus souffert de la dépression des prix que les exploitations paysannes, produisant, pour une large part, des valeurs d'usage, consommées par les producteurs. 3° Enfin, l'exploitation agricole capitaliste présente, au point de vue même de la productivité, des inconvénients multiples, qui neutralisent en partie ses avantages. D'abord, les valets de ferme et les journaliers agricoles, n'ayant aucun intérêt à travailler dur, et ne pouvant être soumis, à cause de la nature des travaux, à la surveillance qui existe dans les établissements industriels, fournissent beaucoup moins de besogne LA RÉVOLUTION AGRICOLE 425 que les cultivateurs travaillant pour leur compte (i). Dans le travail à la journée, dit M. Piret, l'activité de l'ouvrier n'est stimulée que par la crainte d'être renvoyé et cette crainte est en proportion du nombre d'ouvriers disponibles dans la contrée. Or, l'émigration des ouvriers agricoles vers les villes et les centres industriels a rendu la main d'oeuvre très rare et très chère. Le coût de production pour les cultivateurs employant des salariés s'en est accru d'autant, et bien loin de rendre plus de services, les journaliers en profitent, généralement, pour réduire leur activité au minimum. Quant aux valets de ferme, c'est pis encore : (i) « Une preuve convaincante de l'activité au travail des petits cultivateurs, propriétaires ou fermiers, c'est que les journaliers, pour travailler avec eux, exigent un salaire plus élevé que pour travailler pour des cultivateurs ne prenant pas part, si ce n'est exceptionnellement, aux travaux manuels. Selon de Gasparin « le prix que les ouvriers exigent pour les journées faites à côté du travailleur propriétaire (nous croyons pouvoir ajouter: ou fermier) en suivant son impulsion et en accomplissant le même travail, est à celui des journaliers ordinaires comme 14:10, et ils ne s'engageraient pas à les continuer longtemps, ce qui prouve qu'elles dépassent généralement les forces qu'ils peuvent déployer sans s'épuiser. » Dans d'autres circonstances, nous avons vu souvent les petits cultivateurs nourrir leurs ouvriers et leur payer le même salaire que celui gagné par des ouvriers non nourris, mais travaillant pour des cultivateurs ne prenant pas part, si ce n'est exceptionnellent, aux travaux manuels.... Beaucoup de journaliers ne veulent pas travailler pour les petits cultivateurs, parce que ceux-ci les surmènent. » 24- N'ayant pas à craindre d'être renvoyés du jour au lendemain, si ce n'est pour des faits d'une gravité exceptionnelle; payés d'après leur temps de service, ils ne sont pas matériellement intéressés à faire, dans un temps donné, la plus grande somme de travail possible : pour eux, s'occuper avec une lenteur, calculée seulement pour éviter des reproches trop violents, c'ejt bien souvent la seule ligne de conduite (1). Il en est autrement, cela va saus dire, des tâcherons payés aux pièces, mais pareil mode de rémunération n'est possible que pour un nombre relativement peu considérable de travaux, tels que le battage en grange, ou l'arrachage des betteraves. Si donc, la plupart du temps, le salariat déprime l'activité des travailleurs manuels, d'autre part, la législation qui régit les relations entre propriétaires et fermiers semble avoir été calculée, tout exprès, pour compenser les avantages de la grande culture par les inconvénients de la propriété capitaliste. A) Le privilège accordé au propriétaire, pour trois ans de fermages, sur le matériel de culture lui permet de louer sa ferme au plus offrant, sans avoir intérêt à choisir l'homme le plus capable, et de s'enquérir s'il dispose de ressources nécessaires pour exploiter convenablement. B) Le fermier, n'ayant droit à aucune indemnité pour la plus-value qu'il donne à la terre, se garde bien de faire des améliorations qui ne lui rapporteraient, en dernière analyse, qu'une augmentation de son fermage à la lin du bail. |Kn effet, plus la terre serait en bon état à l'expiration de celui-ci, plus nombreux seraient ses concurrents. Le meilleur (1) PlRET, Économie rurale, t. II, p. 189. moyen donc, pour un fermier, de garder sa terre, ce sera de la mettre dans le plus mauvais état possible. D'où la situation, désastreuse pour la culture, qu'un agronome de l'Etat, nullement hostile à l'appropriation capitaliste du sol, a décrite en ces termes : Les praticiens savent parfaitement que, dans le mode d'exploitation des terres par fermage, tel qu'il est pratiqué dans la plupart des pays, il faut distinguer deux périodes bien caractérisées : une période d'amélioration et une période d'épuisement ou de détérioration. Pendant la première, qui se présente au commencement du bail, le cultivateur ameublit, nettoie et fertilise les terres, négligées sous tous les rapports, que lui a abandonnées son prédécesseur. Cette période dure au moins trois ans, dans le cas de l'assolement triennal, parce que c'est seulement après trois années écoulées que toutes les parcelles de la ferme auront passé par la sole, jachère morte ou cultivée, et qu'elles auront pu être ameublies, nettoyées, fertilisées, remises, en un mot, en bon état de production. Pendant cette période, les produits ne remboursent généralement pas les avances des cultivateurs avec un excédant convenable pour bénéfice. Ce n'est que pendant la dernière période de son bail, quand le cultivateur prend le plus possible à la terre et lui rend le moins possible, qu'il rentre dans les avances extraordinaires qu'il a dû faire au commencement de son bail. Entre ces deux périodes de culture complètement opposées, il y a ordinairement une période intermédiaire, de culture stationnaire, pendant laquelle le cultivateur se borne à jouir des avances faites, tout en maintenant le bon état du sol (1). Eu résumé donc, toutes les formes actuelles d'entreprises agricoles, présentent, au point de vue de la production, des inconvénients multiples. (1) Piret, loc. cit., II, 20. 42b LE SOCIALISME EN BELGIQUE Les jardins potagers et autres petites parcelles, qui fournissent aux ouvriers, ruraux ou urbains, les « condiments de leur salaire », peuvent avoir leur raison d'être dans l'état actuel des choses; peut-être se maintiendraient-ils, sous un autre régime, pour l'agrément de leurs possesseurs; mais, si on les considère comme des. exploitations agricoles, leur existence constitue un obstacle permanent à toute culture rationnelle. Quant aux petites fermes, aux a biens de famille », mutilés par la disparition ou la décadence de leurs industries accessoires et l'aliénation ou l'usurpation des communaux, ils ne représentent plus aujourd'hui, — tout au moins dans les régions envahies par le capitalisme, — que le sweating system appliqué à l'agriculture, l'exploitation forcenée du travail delà femme, des enfants, du cultivateur lui-même, pour suppléera l'insuffisance des capitaux et à l'infériorité des moyens de production. La grande culture capitaliste enfin, grevée du lourd fardeau de la rente foncière, obligée de payer relativement cher des ouvriers qui ne sont nullement intéressés à fournir beaucoup de travail, contrariée dans son développement par une législation qui sacrifie l'intérêt général à l'intérêt mal entendu des propriétaires, — la grande culture, disons-nous, ne possède pas, pour le moment, une supériorité décisive sur les autres formes d'entreprise agricole. Dans les exploitations en faire valoir direct, le mariage de la propriété et du travail ne compense pas les inconvénients du travail isolé; dans les exploitations capitalistes, leur divorce neutralise, partiellement, les avantages du travail associé. Aussi devons-nous considérer la propriété parcel- laire, aussi bien que la propriété capitaliste, comme des formes de production destinées, dans un avenir plus ou moins proche, à disparaître, ou plutôt, à se transformer en propriété sociale, —• forme supérieure et synthétique, qui unirait leurs avantages en éliminant leurs inconvénients. Ce qui manque à la grande culture capitaliste, c'est le caractère collectif de la propriété : elle n'y arrivera que par l'expropriation; ce qui manque, au contraire, à la propriété parcellaire, c'est le caractère collectif du travail : elle peut y arriver par l'association. Nous ne croyons pas, en effet, que pour s'élever à la propriété collective, les paysans propriétaires soient fatalement, inéluctablement, condamnés à descendre la pente qui conduit au prolétariat et à gravir ensuite le calvaire douloureux de l'exploitation capitaliste. Il leur appartient, au contraire, d'y arriver par d'autres chemins et d'éviter la phase de prolétarisation qui les menace, en associant leurs efforts, en opposant la coopération libre à la coopération forcée des grandes entreprises; mais, en tous cas, il n'est pas douteux que la transformation, et sans exagération l'on peut dire, la révolution qui s'opère, depuis quelques années dans nos campagnes, entraînera forcément la disparition des formes individualistes de la culture au prolit de la culture associée. Dans les exploitations capitalistes, d'une part, les progrès de la technique éliminent partiellement les draivbacks que nous avons signalés : pour suppléer à l'insuffisance de la main-d'œuvre, on ajoute aux machines usitées depuis longtemps tout un matériel nouveau, dont les rapports trimestriels des agronomes de l'État nous fournissent l'inventaire : faucheuses mécaniques, rateaiix à cheval, faneuses, ma- chines pour arracher, décolleter et nettoyer les bet-traves, etc. ; avec l'industrialisation des cultures, le travail anx pièces prend une extenston de plus en plus grande, et les tacherons flamands viennent aux moments de presse combler les vides causés par l'attraction des centres industriels. Tôt ou tard, la réglementation du contrat de fermage, la suppression du privilège du propriétaire, le droit aux indemnités de plus-value, viendront augmenter également les forces productives des grandes exploitations. Enfin, la simplification croissante des procédés, dans l'agriculture intensive, favorisera la création d'entreprises plus vastes et le développement, — réagissant à son tour sur leur étendue, — de la culture à vapeur ou du transport dynamique de l'électricité. Déjà, dans quelques parties de la Hesbaye, on trouve des fermiers capitalistes qui ont deux ou trois propriétaires différents et qui dirigent des exploitations de plusieurs centaines d'hectares, comprenant, comme les entreprises de charbonnage^, divers sièges ou ateliers de travail, constitués par les fermes de l'ancienne agriculture. A ce degré de développement, les sociétés par actions ne tarderont pas à devenir indispensables pour constituer le capital requis, et, devant ces associations de capitaux, le petit cultivateur se trouvera dans les mêmes conditions d'infériorité, s'il reste livré à ses propres forces, que les petits commerçants ou les artisans de l'ancienne industrie vis-à-vis de l'industrie et du commerce moderne. Seulement, tandis que ces derniers sont généralement réfractaires à l'association dans la lutte pour l'existence et n'opposent qu'une résistance passive à l'expropriation capitaliste, nos populations rurales semblent avoir plus de ressort, plus de confiance dans l'effort collectif, plus d'aptitudes à la coopération. J1 suffit pour s'en convaincre de parcourir les Bulletins de l'agriculture (1). Nous assistons, depuis quatre ou cinq ans, à une véritable floraison d'associations de toutes espèces : caisses rurales de crédit, sociétés d'assurance contre la mortalité du bétail, associations pour l'achat d'engrais, de semences, et de matières alimentaires pour les animaux, distilleries coopératives, syndicats betteraviers, sociétés d'élevage, ligues d'agriculteurs et d'aviculteurs; enfin, et surtout, sociétés coopératives de laiterie. A l'heure actuelle, il y a en Belgique plus de deux cents coopératives laitières, dont plusieurs contiennent au-delà de mille associés. Leur organisation varie d'après les régions et s'adaptent aux conditions économiques locales. Dans le Limbourg, ces institutions sont nombreuses, mais de peu d'importance; chaque village y possédera bientôt une coopérative, fonctionnant à bras, avec un outillage modeste. Dans le Luxembourg méridional etl'Ardenne, intervient le système des crémeries coopératives, envoyant leur crème à une beurrerie centrale. Dans le Hainaut, s'établissent, au contraire, de grandes coopératives vraiment industrielles, très bien outillées et régies par un conseil d'administration émanant des associés. Dans les Flandres, enfin, les associations laitières (1 ) Bulletin delAgriculture, publié en exécution de l'arrêté royal du 16 juillet 1885. Bruxelles. Havermans. ont été fondées soit par quelques propriétaires, s'in-téressant eux-mêmes à la direction des affaires, soit par les petits cultivateurs, à l'intervention d'un comice agricole (i). Le type le plus remarquable et le plus démocratique de ces coopératives laitières du pays flamand est incontestablement la laiterie de Borsbeke-les-Alost, dépendant du comice d'Herzele. Dans la circonscription de ce comice, le nombre d'hectares de terre arable s'élève à 9,043 ; sur ces 9,043 hect., il y a 6,328 exploitations agricoles, de sorte qu'en moyenne une ferme ne comprend que (,4 hectare. Nous sommes donc dans un pays de toute petite culture : « les cultivateurs n'ont guère de capitaux, la grande masse est peu instruite et assez routinière. On se trouve déjà hors des cultures industrielles qui rapportent, telles que le tabac, la betterave à sucre, la chicorée ou le houblon; le lin n'y est cultivé que sur une petite échelle. Les cultivateurs font peu d'engraissement; ils doivent tirer leur profit de tous les autres produits, c'est-à-dire de ceux dont la valeur a tant baissé sur le marché ». Bref l'agriculture dans cette région se trouve dans des conditions tout à fait désavantageuses, et cependant, grâce à l'influence des agronomes de l'Etat, et à l'initiative des principaux membres du comice, l'association y fait merveille : les achats d'engrais et de matières alimentaires pour le bétail se font en commun ; les membres peuvent se faire assurer contre les accidents, ou contre la mortalité du bétail ; on s'occupe de la fon- (1) Rapp. sur la situation de l'industrie laitière en Belgique, par MM. MARCHAL et Misson. Bull, de iAgriculture, 1896, p. 31. LA REVOLUTION AGRICOLE 4,50 dation de sociétés d'épargne et de crédit, du développement de l'enseignement agricole, et surtout de l'industrie laitière, qui est la grande affaire, nécessairement, dans un district qui compte 2,990 vaches, contre 762 chevaux. La laiterie coopérative de Borsbeke, affiliée au comice, date de décembre 1891. Les petits cultivateurs qui l'ont fondée, s'étaient adressés d'abord aux divers propriétaires ayant des biens fonds dans la commune. On leur demandait seulement d'avancer les sommes nécessaires pour permettre aux fermiers de mieux payer leurs loyers, par suite des avantages qu'ils comptaient trouver dans l'exploitation de la laiterie. Sur une vingtaine de propriétaires, — tous étrangers à la commune, — trois seulement répondirent affirmativement. Les autres ne donnèrent aucune réponse ; l'un d'eux renvoya la requête, non affranchie, forçant ainsi l'association naissante à payer une taxe supplémentaire. En présence de cette attitude des propriétaires, ce fut le bourgmestre de la commune qui fit les avances pour le matériel et mit gratuitement les bâtiments nécessaires, à la disposition des cultivateurs (1). Aujourd'hui, la laiterie de Borsbeke compte 70 membres, possédant ensemble i5o vaches, et touchant un bénéfice net, en 1896, de 70 fr. par vache. On cherche maintenant à étendre les avantages de cette organisation coopérative à tout le ressort du Comice, mais en admettant seulement un bénéfice de 5ofrancs par vache; le surplus serait consacré à des œuvres d'intérêt général. Les actionnaires de la laite- (1) Monographie de la laiterie coopérative de Borsbeke lez Alost. Louvain, Uytspruyt, 1897. 484 LE SOCIALISME EN BELGIQUE rie viennent de créer également un syndicat d'élevage et une distillerie coopérative. En outre, — et ceci mérite une mention toute spéciale, — ils utilisent le moteur de leur usine, pour l'éclairage électrique de tout le village. L'administration communale pour la voie publique, la fabrique d'église pour l'église, l'administration des chemins de fer pour sa halte, le bureau de bienfaisance pour deux demi-lampes gratuites aux pauvres dont les chaumières sont trouvées les plus propres, les cultivateurs, les aubergistes, les dentellières ont souscrit à autant d'actions qu'ils désiraient avoir de lampes de 16 bougies. Ce sont donc les actionnaires qui sont consommateurs... Plus tard le même réseau servant à l'éclairage sera utilisé pour transmettre la force dans les fermes. Il suffirait d'acquérir un dynamo récepteur et de le mettre, moyennant certaines conditions, à la disposition des premiers, par exemple pour le battage des céréales. La société pour l'amélioration des semences, dont le siège est également à Borsbeke, se propose d'acquérir une batteuse pour être installée dans un hangar voisin de la laiterie et mue par la machine à vapeur. Plus tard, cette machine pourrait être louée aux premiers et mise en mouvement, à domicile, par l'électricité (i). Nous avons insisté, un peu longuement, sur l'exemple donné par le Comice d'Herzele, parce qu'il met admirablement en lumière, les transformations qui s'opèrent, à la fois dans les procédés de la petite culture, et dans la psychologie des petits cultivateurs. Certes, on est beaucoup moins avancé dans la plu- (i) Le comice d'Herzele et ses affiliations, à l'exposition de Bruxelles, en Bruxelles, Mayolez, 1897. part des autres régions du pays. Si les associations laitières sont nombreuses, leurs procédés de fabrication sont bien souvent encore rudimentaires, et, loin d'être en mesure de supplanter les beurres des autres pays sur les marchés étrangers, elles souffrent beaucoup de la concurrence que le beurre étranger vient leur faire sur le marché intérieur. Aussi faudra-t-il bientôt, si l'on veut éviter une surproduction désastreuse, se tourner vers d'autres branches de l'industrie laitière, — fromagerie, vente du lait en nature, etc., — et, d'autre part, organiser la production et la vente du beurre. Pour arriver à ce résultat, le congrès de laiterie qui s'est tenu à Bruxelles, le 16 octobre 1897, a voté les résolutions suivantes : i° Il y a lieu de créer, parallèlement aux beurreries et fromageries, des sociétés coopératives pour la vente, la stérilisation, la concentration et autres utilisations du lait; 2° Pour donner à l'industrie laitière tout le développement dont elle est susceptible, et l'unité dont elle a besoin, il y a lieu : a) De fédérer toutes les laiteries d'une même région. b) D'unir en une société générale les fédérations des différentes régions du pays. 3° Il y a lieu, pour la vente ci l'intérieur du pays, d'établir un comptoir général de vente et d'organiser en outre le commerce d'exportation. Nous aurons donc bientôt le trust de la laiterie, fondé par les petits cultivateurs, comme nous avons déjà le trust de la sucrerie, fondé par les grands fabricants. Bon gré mal gré, l'agriculture devient une industrie comme une autre; elle commence à présenter, d'une part, les phénomènes de concentration capitaliste, d'autre part, ceux d'association coopérative qui se sont produits, depuis longtemps dans d'autres branches de la production. Ces deux mouvements, parallèles ou contradictoires, ont néanmoins ceci de commun, que l'une et l'autre, s'éloignant également des formes individualistes de la culture et de la propriété, nous rapprochent d'un état social qui saura unir l'association dans le travail, à l'association dans la propriété. CHAPITRE V. Résumé et conclusions. La résolution agraire, adoptée par nos camarades Allemands, au Congrès de Breslau (6-11 octobre 1895), se termine par un vœu, dont la réalisation aura cet inappréciable avantage, de soumettre à l'épreuve des faits, — plus respectables que les plus respectables autorités, — les divergences qui se sont produites entre socialistes, au sujet de la petite propriété rurale : Le Congrès reconnaît que l'agriculture doit être régie par des lois spéciales, différant de celles qui régissent l'industrie. Il est nécessaire d'étudier et d'approfondir ces lois, si le socialisme veut entreprendre une propagande efficace dans les campagnes. Il charge donc le comité-directeur, en utilisant les travaux de la commission agraire, de désigner un certain nombre de camarades, qui étudieront à fond les questions agraires et publieront le résultat de leurs études dans une série de brochures. L'exposé que nous venons de faire, peut être considéré comme une contribution modeste à cette œuvre collective. 433 LE SOCIALISME EN BELGIQUE Sans vouloir généraliser hâtivement des observations qui se restreignent à la Belgique, elles semblent apporter un témoignage de plus à cette thèse que, tout au moins dans un pays ou le régime capitaliste est aussi développé que le nôtre, la propriété parcellaire, cultivée par des producteurs isolés, abandonnés à leurs seules forces, est incapable de résister, longtemps encore, aux causes de destruction qui la menacent. En revanche, et à l'encontre de ceux qui affirment, comme un fait indiscutable, que la propriété foncière devra nécessairement passer par une phase de concentration capitaliste, avant d'être socialisée, il ne nous parait nullement démontré que la prolétarisation des paysans, soit;— inévitablement — la condition préalable de leur émancipation totale. Rien n'empêche, tout d'abord que, dans certaines régions, la propriété non encore capitaliste, soit directement incorporée au domaine collectif, par le rachat et la mise en valeur de landes, de bruyères et autres terres plus ou moins incultes, appartenant à des particuliers. On peut concevoir également, et il serait à souhaiter, que les paysans, reconnaissant qu'il leur est impossible de lutter seuls contre les entreprises capitalistes, transforment leurs propriétés parcellaires en propriétés associées. C'est à ce point de vue, qu'indépendamment des avantages directs qu'elles procurent à leurs membres, les associations entre cultivateurs pour l'achat des matières premières, la vente et l'industrialisation des produits agricoles, doivent être considérées à la fois comme une première étape vers la propriété associée et le moyen le plus efficace d'en faire comprendre les avantages. Par conséquent, si nous devons écarter de notre programme agraire tout ce qui est de nature à créer des équivoques et à obscurcir notre conception socialiste intégrale, rien ne nous empêche d'accorder notre adhésion à toutes les mesures que l'on propose, soit-disant en faveur de la petite propriété, dès l'instant où elles ont pour effet de faciliter et d'accélérer sa transformation dans le sens coopératif. Telles sont, par exemple, les dispositions relatives au crédit agricole, à la réduction des charges de l'agriculture, à l'enseignement agricole et à l'intervention des pouvoirs publics, en faveur des associations de cultivateurs. Ainsi que le disait notre ami Lafargue dans son rapport au congrès de Nantes, « le Parti socialiste, avant même d'arriver au pouvoir, peut acculerle gouvernement capitaliste à des réformes... qui apporteront quelques soulagements aux misères des cultivateurs de tous ordres : journaliers, paysans, propriétaires, métayers et fermiers » ; mais, à la condition, bien entendu, que ces réformes n'aient pas pour effet, de ralentir l'évolution agricole, de conserver artificiellement des formes surannées de la production, d'entraver, par conséquent, le développement technique de l'agriculture. En un mot, il faut protéger le paysan, non pas comme propriétaire, mais comme travailleur, en adoptant, et en poussant à l'adoption, de toutes les mesures qui peuvent atténuer ses souffrances et développer en lui l'esprit d'association. Quelles que soient en effet, les tendances politiques et religieuses de leurs membres, le caractère confes- sionnel et anti-socialiste qu'on leur cionne, les mobiles réactionnaires de ceux qui les ont fondées, il n'est pas douteux que les associations de cultivateurs marchent, inconsciemment, au même but que les groupements socialistes eux-mêmes. L'Echo du commerce, organe officiel de l'Association des commerçants de Bruxelles, écrit, dans son numéro d'octobre 1897 : Les Boerenbonden (ligues de paysans), sont des concurrents redoutables, parce qu'ils sont conduits par les curés et par les vicaires, qui, dans les villages, ont une influence prépondérante. Espèces de machines pneumatiques infernales, ces cercles font le vide, autour des commerçants isolés, en attirant tous leurs clients ; ils les ruinent, et ils les plongent dans la misère. Les plus fervents catholiques sont impitoyablement jetés sur la paille par les Boerenbonden qui tous aspirent, dans leurs milieux, à une domination souveraine. De sorte, que l'influence du Seigneur, et celle du notaire disparaissent peu à peu, ce qui explique les protestations de députés catholiques contre l'existence même des Boerenbonden. Ces protestations et ces appréhensions se sont manifestées, notamment, dans le débat qui vient d'avoir lieu à la Chambre Belge, sur la personnification civile des Unions professionnelles. Les associations de cultivateurs, et spécialement la Ligue des paysans, réclamaient le droit de faire le commerce et de créer des établissements pour l'in-dustralisation et la vente des produits agricoles, (laiteries, sucreries, distilleries, brasseries etc.). Deux amendements avaient été déposés, dans ce sens, l'un par M. Helleputte, au nom des démocrates RESUME ET CONCLUSIONS 441 chrétiens, l'autre par M. Vandervelde, au nom du groupe socialiste. Ils furent repoussés par la majorité conservatrice, après que le chef du cabinet, M. de Smet de Nayer eut déclaré que le gouvernement retirerait son projet, plutôt que d'accorder les droits des sociétés commerciales à des corporations perpétuelles, dont le patrimoine ne pourrait, en aucun cas, être partagé entre les syndiqués. On parle d'industrialiser les produits agricoles, — disait M. de Smet, le 28 octobre 1897—, de les transformer, par conséquent ; mais l'agriculture tout entière n'est-elle pas, par essence, une industrie? Et conçoit-on une industrie, en dehors de la transformation des produits? Le moyen de faire une distinction logique entre l'opération qui consiste, par exemple, à extraire le sucre de la betterave ou le beurre au lait, et celle qui consiste à convertir le produit végétal en produit animal? Si la corporation peut posséder une sucrerie, une distillerie, il faut aller plus loin : il faut, pour être logique, aller jusqu'à demander qu'elle soit propriétaire de l'étable, qu'elle possède et exploite le champ lui-même, cette usine primaire du cultivateur ! A cet égard, l'honorable M. Vandervelde ne me contredira pas. L'amendement de M. Helleputte tend donc en fin de compte, à une véritable socialisation du sol et des instruments de travail. Voilà ou vous aboutirez, le jour où vous serez amenés à subir toutes les conséquences du principe que vous voulez poser aujourd'hui. Ces paroles renferment, à coup sûr, une large part de vérité, et ce n'est pas sans raison qu'un autre député conservateur, M. de Lantsheere, a pu dire que l'idéal des Boerenbonden, c'était une sorte de collectivisme décentralisé ». Nous savons bien que, dans la pensée de leurs promoteurs, les corporations chrétiennes s'arrêtent à mi-chemin ; qu'elles repoussent tous ceux qui ne font pas adhésion formelle au principe de la propriété privée ; qu'elles essaient d'adapter au milieu moderne les formes médiœvales de la production; qu'elles n'ont, au fond, d'autre but, que de faire la part du feu, de vacciner les paysans contre le socialisme, en leur inoculant un peu du virus socialiste. Mais, l'avenir des associations rurales ne dépend pas des conceptions théoriques, des préférences individuelles de ceux qui les ont fondées : les paysans, que l'on a groupés d'abord contre les petits commerçants, — les boucs émissaires du capitalisme, — manifestent déjà l'intention d'industrialiser eux-mêmes leurs produits, et, par conséquent, de se débarrasser des capitalistes qui exploitent les industries agricoles. Si, comme c'est infiniment probable, ces derniers résistent victorieusement à leur effort, écrasant comme des mouches les coopératives de production qui essaient de leur faire concurrence, les cultivateurs se tourneront nécessairement du côté de ceux qui réclament la socialisation des fabriques de sucre, des distilleries, des manufactures de tabac, en un mot, de toutes le grandes industries agricoles. Et, à mesure que s'effaceront ainsi leurs préjugés actuels contre la socialisation des moyens de production, qu'une propagande socialiste intégrale leur montrera les misères qui résultent de l'appropriation capitaliste du sol, ils comprendront plus facilement que leur propriété parcellaire, humble larve dont l'existence arrive à son terme, doit se chrysalider sous forme coopérative, en attendant qu'elle prenne. — en régime socialiste, — sa forme définitive et parfaite. Sinon, arrêtée dans son développement, rongée par les parasites, privée de ses moyens de défense contre un milieu de plus en plus défavorable, elle sera fatalement absorbée par la propriété capitaliste, mieux armée pour la lutte et mieux adaptée au milieu moderne. Expropriation ou coopération, tel est le dilemne qui se pose, pour les paysans que l'évolution capitaliste n'a pas déjà séparés de leur moyen de production. La propagande socialiste doit donc leur montrer, en même temps, l'expropriation inévitable pour le producteur isolé, et le salut possible pour les producteurs associés. Il faut aller à eux sans rien cacher de notre idéal et sans rien proposer qui soit en contradiction avec celui-ci. Réduction des charges fiscales, diffusion de l'enseignement agricole, intervention des pouvoirs publics au profit des associations rurales, soit pour perfectionner leurs formes légales, soit pour leur avancer des capitaux et leur octroyer des subsides, expropriation des grandes industries agricoles, organisation sociale de la vente des produits, etc., telles sont, à titre exemplatif, les réformes immédiates qui peuvent, et doivent, à notre avis, être réclamées par les socialistes, pouraméliorerla situation des paysans. Mais si nous respectons leur propriété individuelle, si nous encourageons leur propriété coopérative, nous devons, avant tout et surtout, ne jamais négliger une occasion de leur faire sentir, par des exemples clairs et tangibles, que, dans la société qui grandit autour d'eux, leur amour farouche de la terre aboutit fatale-mènt à l'appauvrir, à l'épuiser, ou à l'endetter, ne laissant au paysan que l'écorce, donnant l'amande à ses créanciers. En agir autrement, nous répandre en déclarations d'amour à la petite propriété, ce serait peut être le moyen de faire pénétrer plus facilement les socialistes dans les campagnes, mais en laissant le socialisme à la maison. Et à quoi servirait-il de conquérir le monde, si nous devions perdre notre âme? Notre devoir est donc de déclarer hautement, — à ceux là même dont les préjugés s'en inquiètent, — que la nouvelle terre promise n'est plus et ne peut plus être celle que le Dieu de la Bible distribua jadis aux enfants d'Israël : « Chaque chef de famille reçut son champ en partage, et la loi avait rendu inaliénable le champ, ainsi que la maison qui y était élevée... Elle voulait que chacun fut heureux à l'ombre de sa vigne et de son figuier, et, quenul ne put l'y troubler. » Ce liomestead biblique n'existe plus, et n'existera plus jamais que dans l'imagination pieuse des membres de la Ligue du coin de terre et du foyer insaisissables. Le petit cultivateur d'aujourd'hui, n'a plus le temps de se reposer sous son arbre; toutes les lois du monde n'empêcheraient pas l'invisible puissance du capital de venir l'y troubler et il serait aussi facile de remplacer le Code Napoléon par les tables de Moïse que de donner à chacun, dans le système capitaliste moderne, un petit champ où il vivrait à l'aise, entouré, comme un patriarche, des membres de sa famille. Notre terre promise, à nous, ne sera pas découpée en une multitude de parcelles, péniblement écorchées, avec des instruments de sauvages. Chacun y aura sa maison, s'il le désire; sa place dans une maison commune, s'il le préfère ; mais il n'y aura plus de clôtures autour des châteaux, de pièges à loups dans les parcs et de bornes dans les champs, limités seulement par les besoins de la culture. Les terres seront inaliénables, mais au profit de la collectivité; il y poussera des vignes, mais dans nos froids pays, on devra les mettre sous verre, et, si l'on cultive encore des céréales, — en un temps où peut être on fabriquera les aliments par d'autres moyens, — c'est à l'abri des crises, de l'angoisse des ventes difficiles, des fermages lourds et des dettes onéreuses qu'à l'heure du repos le travailleur du sol contemplera, sur la terre féconde, « le sourire paisible et rassurant des blés. » ANNEXE A. PROGRAMME DU PARTI OUVRIER BELGE Déclaration de Principes. 1. — Les richesses, en général, et spécialement les moyens de production, sont ou des agents naturels ou le fruit du travail, — manuel et cérébral, — dés générations antérieures, aussi bien que de la génération actuelle; elles doivent, par conséquent, être considérées comme le patrimoine commun de l'humanité. 2. — Le droit à la jouissance de ce patrimoine, par des individus ou par des groupes, ne peut avoir d'autre fondement que l'utilité sociale, et d'autre but que d'assurer à tout être humain, la plus grande somme possible de liberté et de bien-être. 3. — La réalisation de cet idéal est incompatible avec le maintien du régime capitaliste, qui divise la société en deux classes nécessairement antagonistes : l'une, qui peutjouir de la propriété, sans travail ; l'autre, obligée d'abandonner une part de son produit à la classe possédante. 4. — Les travailleurs ne peuvent attendre leur complet affranchissement que de la suppression des classes ét d'une transformation radicale de la société actuelle. Cette transformation ne sera pas seulement favorable au prolétariat, mais à l'humanité toute entière; néanmoins, comme elle est contraire aux intérêts immédiats de la classe possédante, l'émancipation des travailleurs sera essentieilement l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. 5. — Ils devront avoir pour but, dans l'ordre économique, de s'assurer l'usage libre et gratuit de tous les moyens de production. Ce résultat ne pourra être atteint, dans une société où le travail collectif se substitue de plus en plus au travail individuel, que par l'appropriation collective des agents naturels et des instruments de travail. 6. — La transformation du régime capitaliste en régime collectiviste doit nécessairement être accompagnée de transformations corrélatives : a) Dans l'ordre moral, par le développement des sentiments altruistes et la pratique de la solidarité ; b) Dans l'ordre politique, par la transformation de l'Etat en administration des choses. 7. — Le socialisme doit donc poursuivre simultanément l'émancipation économique, morale et politique du prolétariat. Néanmoins, le point de vue économique doit être dominant, car la concentration des capitaux entre les mains d'une seule classe, constitue la base de toutes les autres formes de sa domination. Pour la réalisation de ces principes : Le Parti Ouvrier déclare, i° Qu'il se considère comme le représentant, non seulement de la classe ouvrière, mais de tous les opprimés, sans distinction de nationalité, de culte, de race ou de sexe ; 2° Que les socialistes de tous les pays doivent ètré solidaires, l'émancipation des travailleurs n'étant pas une œuvre nationale, mais internationale; 3° Que, dans leur lutte contre la classe capitaliste, les travailleurs doivent combattre par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, et, notamment, par l'action politique, le développement des associatons libres et l'incessante propagation des principes socialistes. § i. — Programme politique. 1. Réforme électorale. a) Suffrage universel, sans distinction de sexe, à tous les degrés (21 ans et 6 mois de résidence); b) Représentation proportionnelle; c) Frais d'élection à charge des pouvoirs publics ; d) Rémunération des fonctions électives; e) Mandat impératif régi par la loi; /) Droit de révocation d'un mandataire par le corps électoral. 2. Décentralisation du pouvoir législatif. a) Suppression du Sénat ; b) Création de Conseils législatifs, représentant les diverses fonctions sociales (industrie, commerce, agriculture, enseignement, etc.). — Autonomie des Conseils législatifs, dans les limites de leur compétence et sauf veto du Parlement. — Fédération des Conseils législatifs, pour l'étude et la défense de leurs intérêts communs. 3. Autonomie commnnale. a) Nomination du bourgmestre par le corps électoral ; b) Fusion ou fédération des petites communes; c) Création de Comités électifs correspondant aux diverses branches de l'administration communale. 4. Législation directe. Droit d'initiative et Referendum populaire en matières législative, provinciale et communale. 5. Réforme de l'enseignement. a) Instruction primaire intégrale, gratuite, laïque et obligatoire, aux frais de l'État. Entretien, par les pouvoirs publics, des enfants fréquentant les écoles. Instruction moyenne et supérieure gratuite et laïque aux frais de l'État; b) Administration des écoles par les pouvoirs publics, sous le contrôle des comités scolaires élus par le Suffrage universel des deux sexes, avec représentation du corps enseignant et de l'État; c) Assimilation des instituteurs communaux aux fonctionnaires de l'enseignement de l'Etat; d) Création d'un Conseil supérieur de l'enseignement, élu par les comités scolaires chargés d'organiser l'inspection et le contrôle des écoles libres et des écoles officielles. é) Organisation de l'enseignement professionnel et obligation pour tous les enfants d'apprendre le travail manuel ; f) Autonomie des Universités de l'État et reconnaissance légale des Universités libres. — Extension universitaire organisée aux frais des pouvoirs publics. 6. Séparation des Églises et de l'Etat. a) Suppression du budget des cultes; b) Personnification civile des associations philosophiques ou religieuses. 7. Révision des titres du Code civil, sur le mariage et la puissance paternelle. a) Égalité civile des sexes et des enfants naturels ou légitimes; b) Révision de la loi sur le divorce, avec maintien des obligations alimentaires vis-à-vis de la femme ou des enfants ; ' / c) Recherche de la paternité ; d) Mesures de protection en faveur des enfants matériellement ou moralement abandonnés. 8. Extension des libertés. Suppression des mesures restrictives de toutes les libertés. g. Réforme judiciaire. a) Application du principe électif à toutes les juridictions. — Réduction du nombre des magistrats; b) Justice gratuite; rémunération par l'Etat des avocats et officiers ministériels chargés de ce service; c) Publicité de l'instruction en matière pénale. — Examen médical des prévenus. — Indemnité aux victimes des erreurs judiciaires. 10. Suppression des armées. A titre transitoire : Organisation de la nation armée. 11. Suppression des fonctions héréditaires et établissement de la République. $ 2. — Programme économique. /!). — Mesures générales- i. Organisation de la statistique. a) Création d'un ministère du Travail ; b) Intervention pécuniaire des pouvoirs publics dans l'Organisation de Secrétariats du travail, ouvriers et patronaux. 2. Reconnaissance légale des associations. Et spécialement : a) Reconnaissance légale des Syndicats professionnels ; b) Réforme de la loi sur les Sociétés de secours mutuels et des Sociétés coopératives et subvention des pouvoirs publics; c) Répression des atteintes portées au droit d'association. 3. Réglementation légale du contrat de travail. . Extension des lois protectrices du travail à toutes les industries et, spécialement, à l'agriculture, la marine et la pèche. — Fixation d'un minimum de salaire et d'un maximum d'heures de travail pour les ouvriers, industriels ou agricoles, employés par l'État, les Communes, les Provinces ou les entrepreneurs de travaux publics. Intervention des ouvriers et spécialement des syndicats ouvriers dans la confections des règlements. — Suppression des amendes. — Suppression des caisses d'épargne et de secours mutuels dans les ateliers. — Fixation d'un maximum de 6,000 francs pour les employés et administrateurs publics. 4. Transformation de la bienfaisance publique en assurance générale de tous les citoyens. a) En cas de chômage; b) D'incapacité de travail (maladies, accidents, vieillesse) ; c) De décès (veuves et orphelins). 5. Réorganisation des finances publiques. a) Abolition des impôts indirects et spécialement des impôts de consommation et des tarifs de douanes ; b) Monopole de l'alcool et des tabacs ; c) Impôt progressif sur le revenu. — Sur les legs et donations entre vifs (sauf en cas de libéralités faites à des œuvres d'utilité publique); d) Suppression de l'hérédité ab intestat, sauf en ligne directe et dans les limites à déterminer. 6. Extension progressive du domaine public. Reprise par l'Etat de la Banque nationale et organisation sociale du crédit, accordé aux prix de revient, aux particuliers et aux associations de travailleurs. i° Domaine industriel : Expropriation, pour cause d'utilité publique, des mines, des carrières, du sous-sol en général, ainsi que des grands moyens de production et de transport. 2° Domaine agricole : d) Nationalisation des forêts; b) Reconstitution ou développement des biens communaux ; c) Reprise progressive du sol par l'État ou les communes. 7. Autonomie des services publics. a) Administration des services publics par des commissions spéciales autonomes, sous le contrôle de l'État; b) Création de Comités élus par les ouvriers et employés des services publics, pour débattre, avec l'administration centrale, les conditions de rémunération et d'organisation du travail. B) — Mesures spéciales au* travailleurs industriels. 1. Abolition de toutes lois restrictives du droit de coalition. 2. Réglementation du travail industriel. a) Interdiction du travail des enfants de moins de 14 ans; b) Système du demi-temps pour les adolescents de 14 à 18 ans; c) Interdiction du travail des femmes dans toutes les industries où ce travail est incompatible avec la morale ou l'hygiène; d) Réduction de la journée de travail à 8 heures, au maximum, pour les adultes des deux sexes et minimum de salaire; e) Interdiction du travail de nuit, pour toutes les catégories d'ouvriers et dans toutes les industries où ce mode de travail n'est pas absolument nécessaire ; f) Repos d'un jour par semaine, autant que possible le dimanche ; g) Responsabilité des patrons en cas d'accidents et nomination de médecins chargés de donner les soins aux blessés; h) Suppression des livrets et certificats d'ouvriers et interdiction de les employer. 3. Inspection du travail. a) Rétribution des autorités médicales, au point de vue de l'hygiène du travail; b) Nomination des inspecteurs par les Conseils de l'industrie et du travail. 4. Réorganisation des Conseils de prud'hommes et des Conseils de l'Industrie et du travail. a) Droit de vote et éligibilité des ouvrières ; ^Obligation de se soumettre aux Conseils. 5. Réglementation du travail dans les prisons et les couvents. C) — Mesures spéciales aux travailleurs agricoles. 1. Réorganisation des Comices agricole?. 4.54 LE SOCIALISME EN BELGIQUE a) Nomination des délégués, en nombre égal, par les propriétaires, les fermiers et les ouvriers; b) Intervention des Chambres dans les contestations individuelles ou collectives entre les propriétaires, les fermiers et les ouvriers agricoles; c) Fixation d'un minimum de salaire par les pouvoirs publics sur la proposition des Comices agricoles.. 2. Réglementation des contrats de fermages. d) Fixation du taux des fermages par des Comités d'arbitrage ou par les Comices agricoles réformés; b) Indemnité au fermier sortant, pour la plus-value donnée à la propriété; c) Participation des propriétaires dans une mesure plus étendue que celle fixée par le Code civil, aux pertes subies parles fermiers; d) Suppression du privilège du propriétaire. 3. Assurance par les provinces et réassurance par l'Etat contre les épizooties, les maladies des plantes, la grêle, les inondations et autres risques agricoles. 4. Organisation par les pouvoirs publics d'un enseignement agricole gratuit. Création ou développement des champs d'expérience, des fermes modèles, des laboratoires agricoles. - 5. Achat par les communes d'instruments agricoles mis à la disposition des habitants. Attribution des biens communaux à des collectivités de travailleurs s'engageant à ne pas employer de salariés. 6. Organisation d'un servie; médical gratuit à la campagne. 7. Réforme de la loi sur la chasse. a) Suppression du port d'armes; b) Suppression des chasses gardées ; c) Droit pour les cultivateurs de détruire en toute saison les animaux nuisibles aux récoltes. 8. Intervention des pouvoirs publics dans la création de coopératives agricoles : d) Pour l'achat de semences et d'engrais; b) La fabrication du beurre ; c) L'achat et l'exploitation en commun de machines agricoles ; d) La vente des produits; e) L'exploitation collective des terres. 9. Organisation du crédit agricole. §3. — Programme communal. 1. Réformes de l'enseignement. a) Instruction scientifique et gratuite des enfants jusqu'à 14 ans. Cours spéciaux pour les adolescents et les adultes; b) Organisation de l'enseignement professionnel et industriel avec le concours de groupes ouvriers; c) Entretien des enfants, sauf intervention des pouvoirs publics; d) Institution de cantines scolaires. — Distributions périodiques de chaussures et de vêtements; e) Orphelinat. — Etablissement pour les enfants abandonnés et enfants martyrs. 2. Réformes judiciaires. Bureau de consultation gratuite pour les contestations devant les tribunaux, conseils de prud'hommes, etc., etc., 3. Réglementation du travail. a) Minimum de salaire et fixation de la journée maxima de travail à inscrire dans les cahiers des charges des adjudications publiques pour les travaux de la commune ; b) Intervention des associations de métiers pour la fixation du taux des salaires, la réglementation générale de l'industrie. L'échevin des travaux publics est chargé de surveiller l'exécution de ces clauses des cahiers de charges; c) Nomination, par les associations ouvrières, d'inspecteurs pour la surveillance des clauses du cahier des charges: d) Application rigoureuse du principe de l'adjudication pour tous les services qui, transitoirement, ne sont pas établis en régie; (?) Admission des syndicats aux adjudications et suppression du cautionnement; f) Création de Bourses du travail, ou, tout au moins, de bureaux d'offre et demande d'emplois, dont l'administration sera confiée aux syndicats professionnels ou à des groupements ouvriers, g) Fixation d'un minimum de salaire pour les ouvriers et employés communaux. 4 Bienfaisance publique. a) Admission des ouvriers à l'administration des Conseils des hospices et de la Bienfaisance publique ; b) Transformation de la Bienfaisance publique et des hospices en assurance contre la vieillesse. Organisation d'un service médical et pharmaceutique. Création de bains et lavoirs publics et gratuits; c) Création d'asiles pour les vieillards et les invalides du travail. Asile de nuit et de distribution de vivres aux ouvriers de passage qui cherchent du travail. 5. Neutralité complète, au point de vue philosophique, de tous les services communaux. 6. Finances. a) Réalisation d'économies sur les frais actuels d'administration. Maximum de 6,000 francs, pour traitement des bourgmestres et autres fonctionnaires. Frais de représentation pour les bourgmestres astreints à certaines dépenses particulières; b) Impôt sur le revenu; c) Imposition spéciale sur les terrains non bâtis et sur les maisons non louées. 7. Services publics. d) Exploitation, par la commune ou par une fédération de communes d'une môme agglomération, des moyens de transport : tramways, omnibus, voitures, chemins de fer vicinaux, etc. b) Exploitation directe, parla commune ou par une fédération de communes, des services d'intérêt général actuellement concédés à des compagnies : éclairage, eau, halles et marchés, voirie, chauffage, sécurité, hygiène; c) Assurance obligatoire des habitants contre l'incendie, sauf intervention de l'Etat; d) Construction par la Commune, les Hospices et les Bureaux de bienfaisance, d'habitations à bon marché. ANNEXE B. STATUTS But et organisation. Article premier. — Le Parti Ouvrier belge est fondé dans le but de réunir toutes les forces ouvrières et socialistes du pays, afin d'améliorer, par une entente mutuelle, le sort de la classe ouvrière. Art. 2. — Pour remplir cette tâche et pour réaliser ensuite son but le plus élevé : l'émancipation complète des travailleurs, il s'organisera sur le terrain économique et politique. Art. 3. — Peuvent adhérer au Parti Ouvrier : les syndicats professionnels, sociétés de secours mutuels, sociétés coopératives, cercles d'études et de propagande, et généralement tous les groupes ouvriers, ainsi que les personnes des deux sexes qui habitent une localité où il n'existe pas d'association ouvrière ou socialiste affiliée. Pour être admise par le Conseil général, une société devra d'abord être affiliée à la Fédération régionale, si celle-ci existe. Art. 4. — Les syndicats de métiers, pour être admis dans le Parti, devront s'affilier, au préalable, à leur Fédération nationale de leur profession, s'il en existe une, et ils devront y adhérer si celle-ci vient à se constituer. Art. 5. — Le Parti Ouvrier poursuit principalement la. constitution d'associations ouvrières et de leur Fédération. Il secondera la création de fédérations de sociétés ayant le même but, et leur facilitera l'entrée en relations avec les organisations similaires de l'étranger. Il ne peut exister deux sociétés similaires dans une même localité, par exemple, deux syndicats du même métier ou deux ligues ouvrières, etc. Art. 6. — Le Parti Ouvrier est dirigé par un Conseil général, dont le bureau est nommé chaque année en Congrès. Ce bureau se compose de neuf membres, choisis parmi les membres du Parti habitant la ville où siège le Conseil. Chaque Fédération régionale et Fédération nationale, régulièrement constituée, sera représentée par un délégué aux séances plénières du Conseil. Seuls les membres du bureau et les délégués des Fédérations régionales et corporatives ont droit de vote. Art. 7. — Chaque société affiliée paie au Conseil général une cotisation de 10 centimes par an et par membre pour les frais de correspondance et de propagande. Les cotisations seront remises par l'intermédiaire des Trésoriers des Fédérations régionales entre les mains du Trésorier du Conseil général. Ces cotisations sont payables par anticipation au commencement de chaque année sociale. Les sociétés affiliées reçoivent autant de cartes de membre du Parti qu'elles versent de fois 10 centimes. Pour les membres affiliés individuellement, la cotisation annuelle est au minimum de 1 franc. Art. 8. — Chaque année, au Congrès, le Conseil général est tenu de présenter un rapport sur la situation morale du Parti. Le Trésorier dresse le bilan des recettes et des dépenses et fait rapport sur la situation financière. Les comptes du Conseil sont vérifiés par une Commission formée d'un délégué par Fédération régionale. Les vérificateurs devront commencer leur besogne la veille de l'ouverture du Congrès. I.c Conseil général. Art. 9. — Le Conseil général se compose du Bureau, comprenant les neuf membres nommés au Congrès annuel, d'un délégué, par Fédération nationale de métier et d'un délégué par Fédération régionale. Art. 10. — Le bureau du Conseil est chargé de l'administration générale du Parti. Il correspond avec toutes les Sociétés affiliées, organise la propagande par meetings, conférences, brochures, etc. Le bureau du Conseil général se réunit en séance ordinaire sur la convocation du Secrétaire ou, à son défaut, d'un de ses membres. Des séances plénièrcs avec les délégués des Fédérations ont lieu chaque fois que la situation l'exige. C'est le Conseil qui décide de la tactique à suivre par le Parti, qui fait respecter le programme, les Sta- tuts et les décisions des Congrès et statue sur les affaires d'intérêt général. Le Congrès. Art. 11. — Le Congrès du Parti, convoqué régulièrement, est souverain. Art. 12. — Un Congrès a lieu chaque année à la date et au lieu fixés par le Congrès précédent. Tous les groupes affiliés sont tenus, à moins de circonstances exceptionnelles, de s'y faire représenter par un ou plusieurs délégués. Le Congrès annuel entend la lecture du rapport du Conseil général, discute les questions de l'ordre du jour, fixe la date et la ville où siégera le prochain Congrès et procède à l'élection des neuf membres du bureau du Conseil général. Art. i3. — C'est le Conseil général qui fixe l'ordre du jour du Congrès, mais celui-ci règle l'ordre dans lequel les questions proposées seront discutées. Une nouvelle question pourra être mise en discussion si les deux tiers des délégués y consentent. Art. 14. — Chaque délégué doit être porteur d'un mandat en règle du groupe qu'il représente. Le même délégué ne peut représenter plus de trois groupes de sa localité et à condition qu'il y ait été autorisé par la Fédération régionale. Art. i5. — Des Congrès extraordinaires peuvent être convoqués par le Conseil général, en cas d'urgence ou à la demande de deux Fédérations ou de vingt Sociétés affiliées. Art. 16. — Deux mois au moins avant l'époque du Congrès, le Conseil général enverra une invitation 24. aux groupes affiliés, les invitant à se faire représenter aux prochaines assises du Parti et les engageant à lui envoyer le texte des questions qu'ils désirent voir discuter. L'ordre du jour définitif sera envoyé aux Sociétés affiliées au moins un mois avant la date fixée pour la tenue du Congrès. Art. 17. — Les votes se font par la main levée. L'appel nominal est de droit, s'il est réclamé par cinq membres. Chaque société représentée n'a droit qu'à une voix. Art. 18. — Toutes les décisions prises par les Congrès ont force de loi. Les Associations et les personnes fédérées sont tenues de s'y soumettre. Art, 18. — L'organisation des travaux du Congrès est réglée par le Conseil général. Celui-ci forme le bureau de la première séance et c'est le Congrès qui désigne le bureau définitif, après la vérification des mandats des délégués. Exclusions. Art. 20. — Un membre peut être exclu d'un groupe pour inobservation des présents statuts, pour avoir combattu le Programme et la tactique du Parti, ou s'il a commis des actes entachant son honneur. Une Société peut être exclue du Parti Ouvrier, si elle ne se conforme pas au programme, aux statuts et à la tactique du Parti. L'exclusion est prononcée par le Conseil général, sur l'avis conforme de la Fédération à laquelle appartient la Société en question, s'il en existe une. statuts 468 Propagande. Art. 21. — Pour propager ses idées et travailler à l'organisation des forces ouvrières, le Parti organise des meetings, conférences, manifestations publiques dans toutes les localités où il le jugera nécessaire. Le Conseil général pourra publier des brochures, revuçs, livres, journaux, etc. Art. 22. — Les propagandistes du Parti qui se rendent en province n'ont droit, comme indemnité, qu'à leurs frais de coupon de chemin de fer et une somme de 2 fr. 5o pour leurs dépenses de nourriture. Il est fait une exception pour les membres du Parti qui sont obligés de perdre leur journée de travail. Dans ce cas, ces propagandistes ont droit, en plus de la rémunération fixée ci-dessous, au paiement de leur salaire journalier. Les frais de délégation sont à la charge des groupes qui font la demande de délégué. lia Presse (lu Parti. Art. 2.3. — Le Parti Ouvrier possède des journaux quotidiens : le Peuple l'Echo du Peuple, le Vooruit, De Werker qui sont considérés comme organes officiels du Parti. Il a ausi un journal hebdomadaire, Le Laboureur, organe français et flamand. Aucun autre organe quotidien ne peut être créé sauf décision du Parti réuni* en Congrès ou, à son fr-rt-i : ■ •■ .H.....;t: t;r 464 le socialisme en belgique défaut, par une décision du Conseil général réuni en séance plénière avec les délégués des Fédérations régionales et ce, à la majorité des deux tiers des voix. Art. 24. — Chaque Fédération est tenue d'organiser dans son sein un Comité de la Presse. Ce Comité doit veiller à la vente et à la propagation des journaux quotidiens du Parti, à la création de nouveaux vendeurs, à engager les groupes affiliés à rendre obligatoire pour leur membres la lecture d'un des journaux indiqués ci-dessus; à instituer un Denier de propagande, etc. Les Élections. Art. 25. — Le Parti Ouvrier est un parti de classe. Les associations affiliées ne contractent d'alliance électorale avec d'autres associations qu'à la condition de maintenir l'intégrité du programme du Parti Ouvrier. Art. 26. — Pour les élections communales, les candidats du Parti Ouvrier doivent faire connaître publiquement le programme communal adopté au congrès de Bruxelles en 189.3 et doivent s'engager à en poursuivre la réalisation immédiate. Pour les élections provinciales et les élections législatives, les candidats prennent le même engagement en ce qui concerne le programmé général et ils ont pour devoir de poursuivre, au cours de leur mandat, la réalisation du programme des réformes immédiates arrêtées par le congrès. Révision des Statuts. Art. 27. — Les présents statuts ne peuvent être revisés que dans un Congrès et si la question ligure régulièrement à l'ordre du jour. Toute modification devra réunir les deux tiers des voix. ANNEXE C. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES (i) Socialisme en général. Anseele (Edouard). — Redevoering uitgesproken ter gelegenheid zyner invryheidstelling den 6 februari 1897, in Vooruit. Gent. Drukk. J. F"oucaert 1887, br. 64 p. Anseele (Éd.), Waxweïi.er et Vanderstegen. — De eischen der Werklieden. Gent. Drukk. F. Hardyns, 1892, br. 52 p. Anseele (Edouard) et Lambillotte. — Cartouche et Cie (Discours prononcés dans la discussion du budget de la Justice. (Bruxelles. Librairie du Peuple, 1895, br. 45 p. o fr. 10). Association internationale des travailleurs. — Section Liégeoise : Appel aux ouvriers. (Liège. Imprimerie de l'Internationale, 1869, br. 44 p.). Association Internationale des travailleurs. — Règlement. (Règlement spécial de la section Liégeoise). Liège. Imp. Severeyns, br. 8 p.). Almanach de l'Internationale pour 1870. (Liège. Alliance typographique, 1870, br. 94 p.). Almanachs du Peuple, 1889, 1890, 1891, 1892, 1893, I§94, 18O5, 1896, 1897, 1898- (Bruxelles. Librairie du Peuple). (1) Travail fait à l'Institut des Sciences sociales de Bru* xelles, par M. Paul Deutscher. Berger (Oct.). — Le Socialisme rationel. (Bruxelles, chez l'auteur, 1895). Bertrand (Louis). — Le Parti Ouvrier et son programme. Bibliothèque du Parti Ouvrier. (Bruxelles, 1886). Bertrand (Louis). — Qu'est-ce que le Socialisme? (Bruxelles, Librairie du Peuple, 1893. i10, 2e et 3° édit., br. 16 p. o fr. 05). Bertrand (Louis). — Le Socialisme en Belgique. Revue Socialiste, 1885, t. II, p. 914-22). Bertrand (Louis). — Ce que veulent les socialistes. (Bruxelles. Librairie du Peuple, 1896, br. 16 p. o fr. 05.) Bertrand (Louis). — Cinquante années de bonheur et de prospérité! (Bruxelles, 1880. 1 vol., 1 fr. 50). Bertrand (Louis). — La Belgique en 1886. (Bruxelles. R. du Persil, 11, 1886, 2 vol., 141 et 191 p. o fr. 50). Bertrand (Louis). — Socialisme communal. (Bruxelles. Messageries de la presse, 1890, br. 32 p. o fr. 10). Bertrand (Louis). — Le congrès international des mineurs. Jolimont du 20 au 24 mai 1890). (Revue Socialiste, 1897, t. I, p. 633-46). Bertrand (Louis). — L'évolution économique en Belgique et M. Eudore Pirmez. (Revue Socialiste, 1885, t. I, P- 40-54)- Bertrand (Louis). — Quelles sont les lois qu'il y aura lieu de faire et celles qu'il y aura lieu d'abroger immédiatement, tant sur le terrain politique que sur le terrain économique, pour faire triompher le socialisme, si par un moyen quelconque les socialistes arrivent au pouvoir. (Rapport belge au congrès socialiste international de Zurich de 1881). (Gand, Imprimerie F. Haye, 1881, br. 40 p. 0 fr. 25). Le Même. Traduction flamande. Domela Nieuwenhius, 20 c. Bertrand (Louis). — Pauvre Belgique !... (Bruxelles. Messageries de la Presse 1887, br. 15 p. o fr. 10). Bertrand (Louis). — Propriété cléricale et propriété bourgeoise : Réponse à M. Paul Janson. (Bruxelles, imp. Brogniez et Van de Weghe 1883 br. 32 p. o fr. 25). Brouez (Jules). — La lutte des classes. {Société Nouvelle, 1893, t. I, p. 741-56). Bro uez (Jules). — Etudes de science sociale. (Bruxelles. Monnon 1897). Brouez (Jules). — Du problème social. Les manifestations ouvrières. (Société nouvelle, 1887, t. 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La Caserne, organe annuel anti-militariste de la Fédération nationale des jeunes Gardes socialistes. Le Conscrit, organe annuel anti-militariste, 1885-1898. I^e Devoir. Verviers. L'Écho du Peuple, organe quotidien, 2 centimes le numéro. (Bruxelles, rue des Sables, 35). L'Égalité. Tournai, 1887. L'Émancipation, organe des travailleurs, paraissantà I.iége. L'Etudiant socialiste, organe bi-mensuel des étudiants socialistes. (Bruxelles, 1890-1896). En avant pour le Suffrage Universel. (L. Defuisseaux). Paraissant tous les samedis à partir du 10 avril 1886. Les coopèrateurs belges, mensuel. Bruxelles, 1890-1898. La Fédération Typographique Belge (édition française). (Bruxelles, au Cygne, Grand-Place, g, mensuelle, paraît depuis 1889). Frondeur, Liège. Lé Gantier. (Mensuel, 1893-1898, Bruxelles). Le Gutenberg, organe de l'association des compositeurs typographes de Bruxelles. (Bruxelles, 1872). De Houtbeiverker, maandelyks orgaan der houtbewerkers. (Brussel, 1892). La Jeune Garde. Tribune libre des jeunes gardes socialistes belges. (Bruxelles, 1892, 7 numéros parus). De Jongeling, orgaan der socialistische jonge VVacht van Antwerpen. (Anvers, 1894, paraissant irrégulièrement). Journal de Charleroi, organe quotidien. L'Etoile socialiste, revue hebdomadaire. Charleroi. La Justice, organe hebdomadaire. (Bruxelles, fondé en mai 1893, paru jusqu'en 1895). REVUES ET JOURNAUX 5o7 La Justice, organe électoral de l'alliance démocratique de l'arrondissement de Bruxelles, 1896. De Kazerne, organe annuel anti-militariste. DeKleermaker, organe de la Fédération des tailleurs( Gand, 1891). Le Laboureur, organe hebdomadaire de la démocratie rurale. (Bruxelles, « au Peuple », 1894-1896). La Liberté. (Bruxelles, 1867 à 1873, articles de De Paepe, Denis, De Greef, Jason, etc., etc.). De Looteling, organe annuel anti-militariste. Le Mirabeau, organe du Syndicat des tisserands de Ver-viers, 1868-1873. L'organe socialiste, journal hebdomadaire à 0,02 centimes pour l'arrondissement de Dinant et de Philippeville. (Bruxelles, impr. du Peuple, 18..., 1898). Le Peuple, organè quotidien du Parti Ouvrier belge, 0,05 centimes le numéro, 1885-1898 (Bruxelles, rue des Sables, 35, 12 fr. par an). La Philosophie de l'avenir. Revue du socialisme rationnel, paraissant tous les deux mois, 1874-1898. De Ploeg, organe électoral pour l'arrondissement de Bruxelles, 1866. La Presse ouvrière, organe de l'association des compositeurs typographes de Bruxelles. (Bruxelles, 1869). Le Progrès, organe hebdomadaire des ouvriers du centre. (Jolimont, 1888-1889). La République Belge, organe hebdomadaire du Parti socialiste-républicain, fondé en 1S86. Le Réveil. Seraing. La revendication des droits féminins. Revue mensuelle, à Bruxelles (quelques numéros parus). De Socialist, orgaan der Leuvensche Verkliedenparty. (Louvain, 1892). Le Suffrage Universel. Directeur : A. Defuisseaux. Le Tocsin. Bruxelles. De Toekomst, orgaan der belgische arbeidersparty. (Gand. Hebdomadaire, 1S80-1890). MM*» Le travailleur du bois, organe national des chambres syndicales des menuisiers, charpentiers, etc., de Belgique. (Bruxelles, 1892). Le Typographe. (Bruxelles, 1877-1889). Le Typographe. (Liège, 1885). La voix de l'ouvrier. (Bruxelles, 1878-1885). Het Volksrecht. Socialistisch weekblad voor West Vlaan-deren, 1891-1898, paraissant hebdomadairement à Gand. De Volkswacht, organe socialiste hebdomadaire. (Gand, 1891). De Volksivil, organe hebdomadaire de la Fédération Lou-vaniste. Vooruit. Journal quotidien flamand à 0,02 centimes le numéro. (Gand. Marché au fil). Voorwacht. Journal. Anvers. De Wacht, orgaan der socialistische Arbeidersparty Ant-werpen. (Anvers, 1892). De Werker, organe hebdomadaire de 1870 à 1894 ; quotidien actuellement. (Anvers, 1898). La Tribune du Peuple, hebdomadaire. (Bruxelles, 1860-1870). L'Internationale, hebdomadaire. (Bruxelles, 1870-1874). L'Ami du Peuple, hebdomadaire. (Liège, 1874-1877). Le Clairon, hebdomadaire. (La Louvière, 1896). L'Eclaireur Socialiste, hebdomadaire. (Thuin, 1897). Les Abeilles, hebdomadaire. (Charleroi, après 1859). L Atelier socialiste. (Bruxelles, vers 1850). L Avant-Garde, hebdomadaire. (Bruxelles, 1886). Le Brœdermin socialiste. (Gand, vers 1850). Cahiers du travail hebdomadaire. (Liège, vers 1868-70). La Cigale, organe socialiste satirique illustré. (Bruxelles, 1868). La Civilisation, journal socialiste, publié par H. Samuel, 1852-1854. Le Combat, hebdomadaire, directeur L. Defuisseaux. (Bruxelles, 1888). Le Débat social, journal démocrate socialiste, publié par A.. Bartels à Bruxelles, en 1836 ou 1837. Le Démocrate, hebdomadaire. (Charleroi, ver? i85o). Le Devoir, hebdomadaire. (Liège, vers 1868-70). Le Drapeau Rouge, hebdomadaire. (Bruxelles, 1882). Le Droit, hebdomadaire. (Charleroi, vers 1868-70). L'Espiègle, hebdomadaire. (Bruxelles, vers 1868-1870). L'Espoir, hebdomadaire. (Renaix, vers 1850). L'Harmonie, hebdomadaire. (Liège, vers 1330). L'Insurgé, hebdomadaire. (Bruxelles, 1883). Le Journal du Peuple, hebdomadaire, Liège, après 1850). La Justice sociale, hebdomadaire. (Bruxelles, 1882, 8 n03 parus). Le Kolohol (La Cloche), hebdomadaire. Publié à Bruxelles, par A. Herzen, 1862-1866. L'Organisation sociale, hebdomadaire. (Bruxelles, vers 1850). VOuvrier, hebdomadaire. (Liège, vers 183g). Le Patriote belge, journal démocrate socialiste, publié par Bartels à Bruxelles, 1835. Peper en Zout, hebdomadaire, vers 1870). La Persévèrence, organe mensuel de la chambre syndicale des ouvriers marbriers 1872-1877. Le Peuple, hebdomadaire. (Liège, après 1850). Le Peuple belge, organe quotidien. (Bruxelles, 1867 à 1870). Le Prolétaire, hebdomadaire. (Verviers, vers 1868-1870). Le Prolétaire socialiste, publié à Bruxelles vers 1840. La Réforme, hebdomadaire. (Verviers, 1850). La Rive gauche, hebdomadaire. Paru à Bruxelles après son interdiction en France en 1865-1866. Science populaire, hebdomadaire. (Verviers, vers 1868-1S70). I.a Sentinelle, hebdomadaire. (Verviers, 1882-1S84). Le Travail, organe mensuel, directeur L. Verrycken et Brousse. Bruxelles et Londres, 187g). Le Travailleur, hebdomadaire. (Liège, après 1850). La Trique, organe socialiste satirique illustré. (Bruxelles, 1879 à 1880). L'Union des Travailleurs, hebdomadaire. (Bruxelles, 1875). Het- Volksblad, hebdomadaire. (Gand, 1868-1870). TABLE DES MATIÈRES NOTE PRÉLIMINAIRE .... 7 PREMIÈRE PARTIE. — LES FAITS. I Institut ions économiques. Chapitre I. — Les origines. § 1. — La Fédération des ouvriers gantois . 11 § 2. — L'Internationale........15 | 3. — Le Parti socialiste belge.....18 g 4. — La fondation du Parti Ouvrier ... 20 Chapitre II. — L'organisation du Parti. § 1. — Les Fédérations régionales .... 23 g 2. — Les Mutualités.........25 g 3. ■— Les Syndicats.........33 | 4. — Les Coopératives'........36 11 L'effort politique. Observations générales........53 Chapitre I. — L'année 1886.........58 Chapitre II. — Les premières années du Parti Ouvrier .....,...• 76 Chapitre III. — L'agitation révisionniste . ... \oi Chapitre IV. — La révision.........119 Chapitre V. —La première consultation du suffrage universel. ........139 Chapitre VI. — Les socialistes au Parlement . . . 167 Chapitre VII. — A la conquête du pouvoir communal 183 Chapitre VIII. — Les élections de 1896 et la situation actuelle.........197 III Préoccupations intellectuelles, esthétiques et morales. Chapitre I. — Préoccupations intellectuelles. § 1. — La presse socialiste .......213 § 2. — Bibliothèques.........216 | 3. — Extension universitaire......217 § 4. — Université nouvelle.......221 § 5. — Cours d'adultes.........22S Chapitre II. — Préoccupations esthétiques. A. Principes. § 1. — Art et socialisme........229 § 2. — Raison d'être et limite des devoirs de l'État vis-à-vis de l'art......231 § 3. — L'art dans une société collectiviste. . 232 B. — Œuvres. § 1. —Section d'art.........235 | 2. Enseignement..........240 § 3. — Action parlementaire ...... 241 § 4. — Manifestations.........244 Chapitre III. — Préoccupations morales. | 1. — Solidarité..........247 § 2. — Dignité, tempérance : campagne entre l'alcool, le jeu, le carnaval. . . . 248 § 3. — Bonté, respect des faibles, culte des souvenirs..........251 § 4, — Tolérance, haine des institutions, non des hommes.........253 SECONDE PARTIE. — LES IDÉES. I E.e Collectivisme. Chapitre I. — Propriété collective et Propriété capitaliste. § 1. — Qu'est-ce que le Collectivisme . . . 257 §2. — Les limites du Collectivisme .... 259 § 3. — L'Etat et le Collectivisme.....261 § 4. — L'expropriation du capitalisme . . . 263 § 5. — Esclaves et Prolétaires......265 § 6. — Les gras et les maigres......268 Chapitre II. — Les profits des capitalistes. § I. — Direction des entreprises.....274 § 2. — Capitalisation.........276 §3. —Collectivistes sans le savoir .... 278 Chapitre III. — Les objections. § 1. — Maintien du salariat.......282 § 2. — Diminution de la productivité . . . 283 § 3. — Omnipotence de l'Etat......285 | 4. — Impossibilité des dépenses de luxe . . 286 II Le Collectivisme : Lettre au « Courrier de Bruxelles » 1895. § i. — L'appropriation........ § 2. — La production......... § 3. — La répartition......... III La question agraire. Les infiltrations industrielles . . . . La répartition du sol....... Les difficultés de la propagande socialiste dans les campagnes..... Les transformations de la propriété et de la culture........ IV La question féministe. Dans le Parti Ouvrier...... Le socialisme et les femmes . . . . Socialisme et féminisme..... La femme et les droits politiques . . La femme et les droits civils . . Conclusions.......... V La petite propriété rurale. Chapitre I. — La petite et la grande propriété . . . - § 3- - § 4- Chapitre I. — Chapitre II. — % >•- §2' _ TAtsLË Î)ES MATIÈRES 5l5 Chapitre II. — La répartition du sol en Belgique. § i. — Le nombre des propriétaires. . . . 372 § 2. — La décadence de la propriété paysanne ...........380 Chapitre III. — Les mesures législatives en faveur de la petite propriété rurale. § I. — Les mesures fiscales.......392 § 2. — Le Crédit foncier........397 | 3. — Les lois successorales......404 § 4. — Les socialistes et la propriété familiale 409 Chapitre IV. — La révolution agricole......416 Chapitre V. — Résumé et conclusions......437 Annexe A. — Programme du Parti ouvrier belge. Déclaration de principes........446 § 1. — Programme politique......448 § 2. — Programme économique.....450 | 3. — Programme communal......455 Annexe B. — Statuts...........458 Annexe C. — Notes bibliographiques : Socialisme en général.....467 Collectivisme........476 Politique..........477 Questions ouvrières......482 Associations professionnelles . . . 485 Coopération.........489 Questions agricoles......497 Anti-militarisme.......498 Mutualité.........498 Féminisme.........499 Art............5°° Extension universitaire et Université 500 Ouvrages divers.......501 Revues et journaux.......505