... ■ :. ' am&sàk ■. -, les Chimères DU MÊME AUTEUR : Lettres a je4nne. Bruxelles, Monnom, 1886 Imagerie japonaise. Bruxelles, Monnom, 1888 PROCHAINEMENT: Notes et silhouettes : Odilon Redon — J.-K. Huysmans — Jan Luyken — Villiers dt l'Isle-Adam — Félicien Rops — J. Barbey d'Aurevilly — Les Japonais — Edgar Allan Poe. bon-dieu-des-gaulx. — Roman. Jules Destrée les Chimères i O Fantaisie, emporte-moi sur tes ailes pour désennuyer ma tristesse... Flaubert. La Tentation. « I Inter foliafructus BRUXELLES IMPRIMERIE VEUVE MONNOM rue de l'industrie, 26 1889 ifL a ! h ! il Tiré à cent exemplaires numérotés. Exemplaire 3' Ballade des trains qui passent dans la nuit * :;nom usl ab stfèâ àsb j.u. iéffi j ■j ar.ÎJ0D08 ,îfi9llS sli «abbiqsf te g^guéL'i} merife eoî ènmiliid- sn^ î vau no idèliiàîoè scionnvr aeîale, je les vois parfois, les trains qui passent... Ainsi que des bêtes de feu monstrueuses et rapides, ils filent, secouant en une ligne brillante les carreaux confondus des wagons éclairés; et une longue traînée de vapeur blanche, légèrement empourprée à la base par la fournaise de la locomotive, se ire-courbe en crinière au dessus < du train qui fuit. Au loin des lanternes, vertes et rouges, le regardent venir'..-.. Et dans l'étendue sombre, dans ce rioir piqueté de clartés . immobiles , iceia fait un ruissellement de fugitives Lmurs, une courte et merveilleuse flambaison d'incendie qui pasSey .'passée et s'enfonce dans la riuit... -i^n kz/jh w.a . r -niol Tiisu gsb ee> upntoslàtasnrri ; De mà- fenôtiie, dans ie grind pay- sage du soir, très calme, très silencieux et si doux : l'énorme ciel désert d'où pas un chant ne tombe, la terre obscure et mystérieuse qui s'endort et se repose aux bruits familiers et rythmiques de l'incessante industrie, dans cette paix solennelle où, par instants, pleure l'aboi lamentable d'un chien dans une cour de ferme, en ce silence vaste et plein de vie, je les entends parfois les trains qui passent... C'est, lorsqu'ils s'approchent, rapides et fantastiques bêtes de fer, comme un frissonnement croissant de brise dans de hautes feuillées, puis plus fort, ainsi que les eaux jaillissant en ronflantes cataractes, et ils passent enfin avec un cahotant cliquetis, monotonément saccadé et si particulier! passent en sapai- sant, en redevenant des eaux qui se précipitent, des ramures qui tremblent, puis ronronnent imperceptiblement et s'éteignent en la nuit. Ils s'en vont avec de longs sifflets déchirants comme des appels désespérés, ils s'en vont éperdus, fascinés, irréparablement entraînés vers les lanternes vertes et rouges, qui semblent à l'horizon des yeux fixes de monstres accroupis dans l'ombre... Et dans l'étendue, où plane, épars, le grand recueillement nocturne, cela fait une Rumeur et un cri qui passent, passent et s'étouffent en la nuit... De ma fenêtre qui s'ouvre sur le grand paysage du soir comme sur un gouffre d'attirante et douce obscurité, regards flottants et perdus dans l'immensité silencieuse et sombre, dans le charme noir et or et la majesté sereine de l'espace insondable, où l'imagination reconstitue les réalités familières, évoque des songes multiformes et fantasques : les Chimères peuplant le mystère de la nuit, souvent je les admire, les trains qui passent.... Et je reste à rêver longtemps; longtemps après qu'ils ont disparu, je suis des yeux leur éclair et j'écoute leur bruit. Pendant des heures, des heures insensibles etlentes, eux seuls viennent, harmonieusement, traverser l'obscure tranquillité du paysage; et dans le sommeil des êtres et des choses, rappeler le temps, la vie qui fuit..... oh ! combien avec eux ils emportent de Rêves, les trains qui passent ainsi dans la nuit. Mélancolies de la corne qui clame, des sifflets stridents, prolongés et très lointains, navrants comme des agonies sans espoir ! Et l'on pense à ceux ainsi emportés, précipités vers l'Inconnu, et l'interminable défilé des mobiles et des causes s'allonge, s'allonge en suppositions vaines, changeantes, infinies, les histoires étranges et les histoires banales : affaires, amours, deuils, ambitions ou plaisirs... oh ! combien avec eux ils emportent de Rêves, les trains qui passent, passent et s'enfoncent en la nuit... Envoi Ami, — l'on songe aussi, — t'en souvient-il? à ceux qui sont partis, à tous les absents chers qui sont loin, que l'on regrette et que l'on aime, à tous ceux qui vous ont quittés, amis anciens, maîtresses perdues, que vous ont pris la mort, la distance ou l'oubli, tandis que comme la Vie même, sans cesse les trains passent, passent et s'enfoncent en la nuit... no' ij Miny.iïi ;.i;r ; • ;,ov in-;» xifîiD ; ' ÎMMÎiih ,:i : r; . r , j'Cf hl )r ... .. ^-î :X :J *iIJ2\ « :j{ f/c - -jsf n«i ini-Xiolru'-'d rfis j j£< »■?• Les Gargouilles des Cathédrales vieilles Pour Mademoiselle Marie Danse. T Depuis des ans, depuis des siècles, elles sont là, les Gargouilles, tordant leur ronde monstrueuse autour de la cathédrale gothique. Au sommet des deux tours inachevées et formidables, au bord des hautes galeries d'où l'on domine le pays, comme une couronne étrange autour des tourelles frêles, le long des ogives des fenêtres aux verrières multicolores, près du portail où s'entasse la légion des saints, elles silhouettent sur le ciel clair la diversité de leurs inquiétantes figures : menaces et blasphèmes! — extraordinaires becs recourbés de griffons aux serres puissantes, gueules aboyantes de molosses sur des corps d'oiseau, baveuses têtes plates de reptiles à l'œil rond, boucs ignobles couverts d'écaillés, hippogriffes et chimères, toutes les bêtes honteuses des sabbats, tous les animaux fabuleux des légendes; des faces humaines, atrocement douloureuses, une femme au front coupé comme par un diadème arraché, la bouche élargie dans une convulsion d'épouvante; et leurs cheveux épars flottent désespérés; des seins flasques retombent; d'effroyables maigreurs font saillir des côtes de squelette, des pattes cruellement griffues se crispent dans des gestes de colère ou s'avancent avec une obscénité cauteleuse. Des gueules voraces s'ouvrent pour des cris sauvages et de chaotiques ailes de chauves souris se déploient pour d'impossibles vols. Et le temps les a marqués des lèpres du lichen, les a mutilés, les a rendus plus difformes et plus imprévus encore, les dragons implacables, les béliers ignorants et stupides, les crapauds odieusement perfides, les singes luxurieux, les corbeaux lugubres, les femmes folles de désespoir ! Autour de la vieille cathédrale, depuis des ans, depuis des siècles, elles sont là, les monstrueuses gargouilles de Vice et de Douleur!... Depuis des ans, depuis des siècles, elles sont là, les gargouilles, à regarder passer le flot des hommes. Il y a longtemps que sont oubliés ceux qui les sculptèrent, et toujours, toujours coule sous leurs regards railleurs l'intarissable fleuve des vivants, renouvelant sans fin la monotone procession du Mal. Sans les voir, vite et craintifs, depuis des ans, depuis des siècles, incessamment, se hâtent vers le saint lieu les vices mesquins de chaque jour: les vilenies coutumières, les petites infamies, les lâchetés et les défaillances, tout le Péché inévitable et banal et parfois aussi quelque tragique forfait qui ne les étonne pas! — Un peu de repentir, un peu de pardon, un peu de justice, les âmes noircies vont les demander aux voûtes sombres, à la paix profonde de la nef obscure et lénifiante, ou ineffablement silencieuse dans la tombée du soir, alors que s'allument de sang et d'or, les vitraux, aux rayons suprêmes du soleil, ou emplie des murmures berçants, du chuchotement des oraisons, de rumeurs d'orgues et de chants de prêtres, dans l'encens bleu. De grandes douleurs sortent consolées, des afflictions et des remords s'apaisent, l'assaut des tentations s'est calmé et plus supportable et meilleure apparaît la vie, avec lointainement un peu de précieux espoir. — Mais quand, plus blanches, repassent les pauvres âmes, elles sont là, toujours, les Gargouilles tordant leur ronde monstrueuse autour de la cathédrale vieille, et elles ricanent sinistrement, les Démones bannies de l'enceinte sacrée, car elles savent bien qu'elles seront les victorieuses, quand même! que l'extase est courte et que la prière s'envole, et quelles seules sont la Vie, les gargouilles de Deuil et de Péché! cvfJ&b 9p cinsriO.f.M > 70 HOU^JQ l; Sur la plus haute tour, contemplant du regard calme de ses yeux qui ne se ferment pas, la ville avec ses monuments et sa mer de toits rouges et bleus, au loin la campagne verte et les bois, et le large horizon — et la vaine agitation en cette immensité, des hommes éphémères et fragiles — depuis des ans, depuis des siècles, immobile en la pierre, dominant l'espace, et déchirant aux jours de tempête, la furie des nuées, Il est là, ses ailes noires repliées, les coudes s'appuyant sur la corniche et la tête en les mains, avec, malgré son abject sourire, une absolue tranquillité qui indiciblement méprise et défie. r Eternel et pensif, Il attend. Anonymes et superbes artistes aux tombeaux inconnus qui sculptèrent ainsi autour de la cathédrale de Dieu, la colère ironique et le triomphe de l'Esprit du Mal, vous, travailleurs simples et pieux, qui vécûtes avec un cœur naïf et tendre pour les hommages au Seigneur, sans l'âpre souci de l'œuvre accomplie, mais en rêvant avec un amour mêlé d'effroi à la redoutable Fantaisie enchaînée par vos mains, chers et grands artistes; protégez-moi et donnez-moi la force et la sérénité de sculpter le Démon sans lui donner mon âme. Pour Monsieur Henry de Groux. L'aube se levait dans un éblouisse-ment rose et des miroitements doux tremblaient au bout des branches, au bout des branches lassées du sommeil de la nuit et qui, dénouant leurs étreintes, se redressaient lentement, comme suppliant la lumière naissante. Une adoration faisait palpiter les feuillages et des frémissements d'ailes joyeuses agitaient les ramures, les ramures où la rose clarté du matin vibrait en glissements suaves. Le ciel d'un bleu sombre, très pur, ainsi qu'un immense saphir, était vers l'Orient tout éclaboussé de sang et d'or. On eût dit qu'un grand vaincu rayonnant expirait à l'horizon, dans une gloire, pour quelque régénération mystérieuse. Et tout à coup l'Astre creva les nuées oranges resplendissant comme une espérance, puis soudain pâlit, s'effaça, disparut. L'avait-on même vu le météore superbe, que la' terre semblait, mystiquement rêveuse, prier, et qui ne venait pas, qui ne venait plus? L'aurore prit des tons cuivrés de crépuscule, de longues fusées rougeâtres traversèrent le ciel, les fleurs implorantes retombèrent sur leur tige en un désespoir mou et un long silence commença. Les roses laissaient choir leurs pétales souffrants et les gouttes scintillantes qui miroitaient au bout des branches étaient à présent pareilles à des larmes, de vraies larmes, des larmes de feu qui pleuraient la mort universelle. Car elles avaient deviné, les fleurs, que si II mourait, tout allait mourir. Et les lumineuses blessures de l'Astre entrevu saignaient étrange-rûentf anjse Jnsmsldjitoirlèm lisaïnsfn Puis les rouges insensiblement disparurent de la voûte d'infini qui étrei-gnait la terre muette et terrifiée comme sous un couvercle écrasant. Il semblait que le grand corps là-bas couché saignât toujours, mais ce sang avait maintenant des reflets bleuâtres et sinistres de lames depée et aussi, il paraissait plus pauvre et plus lent, il ne jaillissait plus en lances transperçantes, mais coulait toujours, irréparablement, noyant tout, les épouvantes avec les ultimes joies des choses finies. On sentait que plus : rien ne devait l'arrêter. Il s'épandait incessamment comme conscient de son horreur et silencieux lui-même d'effroi. C'était un ruissellement ininterrompu qui submergeait inéluctablement, sans bruit, sans remous, et chose plus terrifiante encore, incompréhensible, sans mouvement eût-on dit. Quand cet engloutissement sombre eut tout étouffé, on vit alors des événements bizarres. Çà et là dans la masse flottante qui devenait lentement liquide, il y.eut des luttes suprêmes. Les tressaillements derniers agitèrent sans doute le grand corps qui sombrait sous les eaux. De rouges gouttes de son sang merveilleux jaillirent en révolte, et dans la tourbe roulante, elles paraissaient des lumières ou des yeux$ pensives et tristes, telles des étoiles qui oseraient tombées dans la mer. Un dernier effort des flots haineux, des flots uniformisants les engloutit et tout redevint rtoir.rJ à. inivs-i ^tvdb&O brurrg aJ Plus d'horizon. Un océan sans phares, sans astres, sans ciel. Le vertige de la nuit. Un sourd clapotis d'ondes .visqueuses,; impitoyables à tout ce qui brille, qui console, qui espère. Des eaux gluantes qui asphyxiaient. Toute une sordide vase d'égout, grouillante de bêtes immondes,- à peine-entrevues, mais der vinées dans cette mer écœurante, et cherchant à dominer malgré tout cette égalité d'abaissement. Le balancement baveux de ces vagues obscures faisait vaciller avec ses répugnants hôtes, ce monde déséquilibré. Même, éperdûment, il se sentait devenir oblique sans pouvoir se ressouvenir de la ligne droite. Le grand cadavre revint à la surface et flotta, encore vaguement lumineux. Et glaçante horreur, il éclairait maintenant ce néant. On voyait qu'on ne voyait pas, qu'on ne voyait plus. Tout était mort, les bêtes grouillantes soupçonnées tantôt avaient disparu. Il n'y avait plus d'horizon et plus de ciel; le regard une fois lancé ne s'arrêtait plus et ne pouvait revenir. Lente, sur ces aveugles, sur cette étendue sans fin, oblique et qui semblait tomber en cette noire mer d'ennui, sur cette mort de tout, luisait cette ultime lueur que tous savaient devoir mourir bientôt aussi. Elle avait un éclat bleuâtre de phosphorescence et le ventre énorme, ballonné, la soutenait comme une flottante veilleuse. Un incurable navre-ment avait ployé les jambes et les bras dans les ondes et la tête aux longs cheveux d'or était depuis longtemps invisible. Sous les vagues s emiet-tait toute cette pourriture dernière, exaspérée et obscure, des lambeaux verdâtres et décomposés tombaient. Une pestilence emplissait l'air, une odeur fade de charnier et d'hôpital. Le grand cadavre flottait, imperceptiblement lumineux. Brusquement s'éteignit l'étincelle suprême. Et ce fut la fin de tout, alors, de tout ! Les Lys de Morteraine Pour Monsieur de Villiers de l'Isle Adam. Au fond, rêver c'est mourir ; mais c'est mourir, au moins, en silence et avec un peu de ciel dans les yeux. Villiers de l'Isle Adam. (Révolte.) I \ Denise, la fille du forgeron de Morteraine, est malade. Elle souffre, la pauvrette, d'un mal étrange que les vieux du village et les savants de la ville n'ont pu comprendre ni guérir. Elle ne se plaint jamais, mais toute sa gaieté d'enfant rieuse et folle s'en est allée et aussi ses fraîches couleurs de fleur de pêcher, et ses gentils bavar- dages d'oiseau. Elle reste pendant des jours entiers silencieuse, sans mouvement, oisive, le regard perdu, indifférente à tous ses jeux d'autrefois. Quand ses amies viennent la chercher pour aller glaner les muguets dans les bois et pour les accompagner aux kermesses où l'on danse avec les garçons, elle répond à peine, dédaigneuse avec bonté. Et même, ses parents chers, elle les regarde parfois, en étrangère, avec un sourire navré. Denise, la fille du forgeron de Morteraine, est malade... « Denise a vu les lys j>, disent le soir, au coin du feu, respectueusement et avec un signe de croix furtif, les vieilles femmes de Morteraine. Son mal étrange n'est pas de ceux que comprennent et guérissent les savants de la ville. Ils ont pu venir, les timidés et les célèbres, tous ceux que Norbert le forgeron a, dans son désespoir, appelés, mais leur science prétentieuse n'a rien su. Suppliée par ses parents, elle a, Denise, avec une résignation d'ange, écouté leurs conseils et bu les drogues affreuses.. Mais rien n'a pu empêcher son teint de pâlir, ses joues de se creuser, son regard d'errer dans le vague et chaque jour la trouve plus frêle, plus blanche, plus dédaigneuse de vivre. Même elle a craint de se voir guérie et quand, lassés d'infructueux efforts, définitivement l'ont abandonnée tous les importuns, elle a encore eu un sourire triste de délivrance, enfin Sur la colline où se dresse une couronne de ruines noires, était jadis, en des siècles lointains, un château fier, empli du tumulte joyeux des tournois et des fêtes des barons de Morteraine. Un jour, à l'appel éperdu des moines, s'en fut la brillante cavalcade, et les robustes chevaliers, pour les pays inconnus où triomphaient les Infidèles. Les trois filles du baron, seules restées au manoir, sous la main certaine de ne pas se voir ravir les visions merveilleuses qu'elle ne dit à personne. « Denise a vu les lys >, disent respectueusement les vieilles de Morteraine. II de Dieu, parfois descendaient dans le village et apparaissaient toutes trois jeunes, belles, et toujours de blanc vêtues, comme des fées, au chevet des souffrants et dans les chaumières des misérables... Vint une guerre farouche. Le castel assiégé. En vairi tout le pays de Morte-raine se leva pour la défense de ses maîtres ; après de longs combats, par un tragique soir d'automne, dans le soleil couchant ensanglanté, montèrent avec des cris de mort et d'obscènes menaces, des lueurs d'incendie. Et l'on vit sur la grande tour, au milieu des fumées et des flammes, les trois vierges enlacées. Leurs voix pures chantaient dans les clameurs et les blasphèmes. L'éclair blanc de leur chute, comme un vol de colombes, traversa la nuit, et le silence désolé se fit pour toujours sur la colline couronnée de ruines noires... *itné>îffH/6Lo eal gnsb te ^în/nriuos ^sh La rivière emporta dans ses flots les trois Dames de Morteraine, mais elle n'a pu depuis des sièclès laver la tache rouge qui saigne sur ses bords, aux durs rochers où leurs corps s'écrasèrent. Depuis, aussi, tous les vingt ans, sur le rivage, à cette place, on voit fleurir et grandir trois lys. C'est quand tous les bruits se sont éteints, qu'on n'entend plus que le murmure frais de l'eau sur les pierres. Dans la vallée emplie d'ombre et de paix solennelle, des vapeurs s'élèvent au dessus de la rivière et des formes vagues en longues robes blanches semblent glisser dans le mystère des bois. Alors, sous la clarté bleue de la lune attristée, jaillissent les lys expiatoires. Leurs calices blancs tremblent dans la lumière pâle et balancent des senteurs vertigineuses. Droits et purs, fleurs de rêve, ils se faneront à l'aube et seules les droites et pures vierges auront pu contempler la miraculeuse floraison nocturne et en respirer les parfums lourds. Et elles auront compris, par la simplicité. Plus candides encore, elles reviennent au logis, pensives, confusément troublées, avec le mépris des choses d'Ici et l'Idéal d'une impossible pureté, tandis que la rivière emporte dans ses flots, avec le sang du rocher et l'ombre des lys, le souvenir des Dames de Morteraine. ( t r r /. • ' ■ fil 8JJ0B ,islOi/V .eio-j 'iôf.) 3TOJ<5'(*ÎI III Denise regarde : elle voit défiler, dans de fastueux palais aux portes d'or, bâtis en pierres étincelantes comme des soleils et resplendissant de lumières, de lentes théories de prêtres vêtus de soies augustes aux pesantes broderies et, vers un trône éblouissant, balançant la ferveur de leurs adorations comme, à la messe, quand la clochette d'argent tinte claire en l'église recueillie, l'enfant attise l'encensoir! — En sa forge, Norbert martèle le fer rouge sur l'enclume sonore et l'apprenti se suspend au soufflet du brasier d'où s'échappent des éclairs. Et Denise voit ces brèves lueurs monter jusqu'au ciel et, par ces escaliers de clarté, aller et venir les bons anges, aux longues robes flottantes, les beaux conducteurs des âmes vers les Paradis extasiés... Tout en haut, dans une gloire, en sa robe d'azur, la Vierge, mains tendues, avec tant d'accueillante miséricorde en son maternel regard que Denise en défaille, ferme les yeux et croit sentir la caresse tiède d'un baiser sur son front. Et ce sont des visions toujours plus simples et calmes, des saintes aux poupins visages et aux yeux étonnés, au milieu desquelles elle se croit redevenue une toute petite enfant innocente, d'indécises formes vaporeuses, appelantes, parfois la troublante mémoire des lys rigides, si étrangement blancs sous la — Denise regarde... Denise écoute : et dans le babil des sources, l'humide chanson de la rivière sur les cailloux dans les frissons brise sous les feuillées, dans le silence immense des champs, elle en-des voix de cristal et d'or, des voix charmeresses dont la suavité l'enchante. Ce sont des paroles vagues 'elle discerne à peine : des appels et des murmures, de douces séductions chimériques, plus douces que ne peuvent l'être les plus doux propos d'amour, et c'est l'amour qu'elles con-, les voix, l'amour infini, l'immortelle Pitié. — Norbert peut forger son fer; son marteau brutal peut son- ner sur l'enclume la chanson vaillante du travail : Denise écoute une plus absorbante chanson ! Des hymnes mystérieuses, une harmonie souveraine, un mystique concert de voix virginales, comme si se continuait encore, sublimé, l'héroïque défi des dames de Morteraine, chantant dans le tumulte, le massacre et l'incendie. — Denise écoute... Et voici que Denise se meurt. En son rêve ingénu, toujours de plus en plus enfoncée, l'âme éperdue de tendresse et de charité^ tant qu'elle en eut la force, on l'a vue, de blanc vêtue, apparaître comme une fée, au chevet des souffrants et dans les chaumières des misérables. Ses parents comprè- nant enfin par une intuition confuse la loi d'en haut, superstitieusement ont cessé de combattre l'étrange maladie. A genoux près du lit de leur fille et respectueux devant l'Inconnu, ils tremblent et prient. Denise jamais ne s'est plainte ; mais elle est à présent si faible, si faible que sa légèreté frêle étonne comme une chose surnaturelle, le rude forgeron quand il la soulève dans ses bras. Sa tête pâle, d'une mate blancheur d'ivoire, s'encadre sur l'oreiller, du ruissellement blond de ses cheveux; tous ses traits se sont amincis, son front semble plus large et ses yeux bleus, déjà remplis d'au-delà, plus grands; et sa main fluette, aux doigts longs, presque diaphane tant elle est maigre, est sur les draps blancs, tendue, comme pour bénir, vers son père qui pleure... Finis, les beaux rêves; et sans regrets! Denise ne pense plus, ne songe plus, elle s'engourdit sans force, sans conscience, dans une ineffable quiétude, dans la Paix décisive... Par une de ces sollicitudes exquises qu'ont souvent les cœurs humbles, la chambre est pleine de fleurs. C'est le soir. Les parfums lourds tourbillonnent dans l'obscurité croissante. Tout s'entoure de recueillement, de mystère et de nuit. De la fenêtre, vers de grands lys droits, hautains et purs, qui tressaillent, et vers Denise, dont les yeux se sont élargis, glisse, à travers la chambre silencieuse, un pâle rayon de lune. Voici qu'elle se meurt. Et tandis que les vieux, courbés dans l'ombre solennelle, murmurent des prières et étouffent des sanglots, l'âme de Denise monte éparse dans la lumière bleue, avec l'âme des lys ! l' Ufibz 0- xuâ'y riùl jnod-.,3?in3vjl ,o?.uo'i jm\i?, É)-idri T,fb s:l eiowr«1 k'^ëatfg '-J -: 'J i uo.b:o7 .*mi i âb rio /in oif>C[ ritr fié-' ! I OD , XHS'tV -:':)r OtJ ) - ;)f; ;, j ; l'iLi:. m n-i Le Livre Chimérique Pour Monsieur André Fontainas. :• , J J :Ji i) H fj O . :'.>!. I'J-: _ Liber scriptus proferetur In quo totum continetur... (Office des morts.) Dans l'oppression douce du crépuscule, le soleil disparu laisse traîner encore une anormale lueur rose dont tous mes bibelots chers, en ma chambre, s'éclairent : c'est une vie d'un instant, des apparences inattendues données aux choses coutumières, aux tableaux, aux gravures, aux portraits. Un verre de Bohême resplendit fauve-ment, des plâtres blancs ont des tons de chair; et dans un dragon bleu du Japon, se meurent d'énormes roses rouges, décloses, et laissant choir leurs pétales, comme des gouttes de sang. Sur la table, au milieu des volumes aimés, des feuillets froissés, déchirés, noircis de balafres et de taches, toute une journée de labeur vain et désespéré. — Puis c'est l'ombre brusque et la nuit... Haut et lourd comme une dalle, un livre est là, que j'ouvre sans étonne-ment. Et je lis prosterné les plus rares poèmes, éclatants et charmeurs, ceux des maîtres préférés et les miens aussi, ceux que je rêve : car sont là tous les chants qui ont été et qui seront : tous les vers et toutes les proses, les idylles et les drames, les rondels d'amour et les sonnets glorieux, les primitives épopées et les romans désenchantés ; les philosophies profondes et les histoires subtiles, tous les livres en Celui-là ! Invraisemblable quintessence, il est l'Œuvre qui concentre toutes les œuvres, la Page résumant toutes les pages, le Verbe inouï de vérité et de lumière signifiant tous les mots, le générateur Symbole des beautés et des perfections, aux sens infinis comme le firmament semé d'étoiles ! — Et je lis avidement, sans cesse, pendant des jours, des mois et des années, jusqu'aux rides, aux cheveux blancs, à la mort, je lis avidement le superbe Poème... Puis, au réveil, c'est l'ombre brusque et c'est la nuit : l'ombre plus triste et la nuit -plus épaisse, avec le regret tor- turant de ces merveilles à jamais disparues; sur la table, une journée de labeur vain et désespéré; et dans le dragon bleu, les roses rouges agonisent... Pour Monsieur Maurice Desombiaux Il n'y a, dans la petite ville de province, que la chanson pimpante du carillon qui soit vivante et joyeuse — et avec quelle tristesse! Dans les rues l'herbe pousse; et sur la place trop large pour les habitants d'aujourd'hui, se promènent avec régularité quelques personnes qui se connaissent et se saluent, comme hier et comme demain. Il y a une grande auberge avec une énorme cour pour l'arrêt des diligences, où l'on ne voit jamais descendre un voyageur; et çà et là quelques boutiques aux étalages placides et démodés où, semble-t-il, jamais un acheteur ne pénètre. Les arbres de la promenade sont de vieux tilleuls qui, dans leur solitude, se souviennent de printemps défunts ; et les eaux du canal dorment d'un sommeil verdâtre. C'est la tranquillité des existences sans fièvre, le calme, la paix, presque la mort. Seul, dans le beffroi dressé au milieu de la ville en des temps jà lointains d'énergique splendeur, le carillon ancien n'a pas vieilli et babille comme autrefois. Tous les stades de l'heure, il les marque avec une infatigable allégresse; aux demies, aux quarts et demi- quarts, c'est une volée de petits sons légers, rieurs, sautillants, dégringolant comme un.e cascade d'ariettes du passé, qui s'en vont dans le vent, et à chaque heure expirée, son bourdon sonore et grave compte avec une solennelle lenteur, l'interminable ennui de la petite ville. Dans les maisons massives, jadis seigneuriales, où certains soirs reviennent les ombres des nobilions gourmés et des bourgeois considérables de négoce et de robe, des visages ridés de douairières et d'ancêtres se devinent aux fenêtres; dans leurs regards éteints rêvent des souvenirs de choses qui ne sont plus; et les enfants même, sous leurs cheveux blonds, sont sérieux et pâles comme de petits vieillards. Elles ces grand'mères, de laine et d'or, la nappe d'autel de la Vierge et examinent avec une 'paresseuse curio-dbns les miroirs compliqués qui espionnent? la rue, l'herbe qui verdit entre-les pavés, les promeneurs inva-, parfois un chien qui passe, le museau en l'air. Lorsqu'elles sont réunies, les aïeules, ce sont, de leurs petites vôix chevrotantes et cassées, des commentaires sans fin; comme des chuchotements de fantômes, l'abominable tissti de médisances et de futilités,- le long radôtage insipide et mesquin que distille, avec.du venin et du spleen, la Province, Dépuis longtemps, des ans, des Siècles se répètent et se continuent mornes causeries et nul événement ne vient jamais troubler la petite ville silencieuse. : Lpin. .des inquiétudes et des fièvres, du jnouvement et du briiit, 1 > T ' e!e$t la tranquillité, la paix, presque la mort. 'lus, Et quand, par instants, tombe vers les toits, la pluie perlée des notes folles qu'égrène le carillon, c'est pour se disperser dans l'air sans être écoutée, car personne ne comprend plus la gaieté de sa chanson vaillante, personne n'entend plus les cloches qui tintèrent en des temps de gloire et de fières pensées, et, tandis que de jour en jour le vieux beffroi devient plus mélancolique et plus sombre, on perçoit dans la chanson du carillon la plainte vague du passé, la voix dolente des cloches qui se fêlent et comme le sautillement con-vulsif d'un oiseau blessé... tristesse, dans la petite province, être seul et plein , d'amour et de'-chansons, et .Jriom odf.'îi'i t?.1r. 3ï.".ni L J.:'p ÎJ 1 [Jo'f n <ùo\- eè-koq oiula rJ . lo) i.o dr» tijoc .noilm :> oi emé-n/A p 1 » c_> j O'IÎÔ 8HJ32 'li/'/i -SfUÏ; • :>HTjq loiB't. j. chilq bns'iqaioo on îMrncfâioq IIDTI:D-flprio?;j3q jOgmailkv noënéfio J^. •>•> no tri'/c^nh iup .sorlocb <>.ë\ b/O; orr gO'If'fl oh te 0";iof"9 èb ';(.; .. '-.':'.> : i-iol «- o [ ob oj;p *ibnr.j .10 ">. j : >i : uofi-Tîlôfa aufq înoivob ktfthe' >X".»i / 'IJSffo g rush iioTioq no ,0'idffipc. rX'lq io jjÎj ou^r;v ï'jnivBfq si •noîlnr.o .ub ne,: iup zod'joh £0.b o-jjiolob ziov r>! ,t6;, :;n rroo inomolliluj:? orrrrrioo te j iols'i op. ...è;-.sold u£0?.io nuî) 1 rAirs Pour Monsieur Odilon Redon. >'i, ; {•prjf.'r ; j]<•;•(£( f f : ; •". ( . j r j '-t f ' R ! i i ' ; ! ,01 tJUOd ■"•.R: ' '.) : 1 ' J lif40-') !T il-; rf- ; ' ' ■ ) î Jo veni in luogo d'ogni luce muto. Dante. (In/erno) il- ()• • )! "■) IL :K 11T!<' n:; • \ JlJ> ;8J rîB' 31 i nf-Vi,r.•G:> " îO De l'espace, en dehérs de tout, ciel, terre, horizon, au milieu de l'immensité indéfiniment lointaine que, sous ses paupières, emprisonne tout rêveur, voici surgir une tête étrange. Une tête, sans cou, sans corps* dëïiimcctaù venue. Étonnements et conjectures inutiles tant est bouleversante l'indicible expression de douleur et de majesté de ce profil navré. Lléeil est dilaté et pensif, et regrette, au 'loin - perdu, des choses qui ont été, qui auraient pu être et qui ne seront jamais plus! Les traits sont ridés et vieillis; le menton éformé et comme oublié; la bouche, hautaine encore, tordue en un rictus de souffrance. De longs cheveux raides tombent en désordre des deux côtés, encadrent le fantastique visage, en enveloppent le bas comme d'un écla-boussement de fusées de sang noir. Une angoisse désespérée et irrémédiable crispe cette figure dont les multiples apparences évoquent d'insondables tristesses de vieilles reines inconsolées, des remords haineux de sorcières vaincuès et chargées de malédictions, ou encore les amères afflictions d'un chef peau-rouge aux;Ambi-regrettant son pouvoir Sur l'eau fétide et noire — et ce fut fatal, Amour recélant fange et ténèbres — glissèrent leurs chefs merveilleux. Par le flot sombre étaient nettement coupés leurs graciles cols blancs, et leurs longs cheveux bouclés, d'où rayonnait une clarté vague, illuminaient faiblement le remous sinistre du fleuve dans la nuit. Têtes étranges, de mystère et de crime, purs visages de princiers amants, si beaux tous deux, et tous deux ayant la résolution de jeunes dieux et la grâce souveraine des vierges. Superbes et délicats, fleurs de sang noble, se ressemblant un peu, tels le frère et la sœur. Leurs lèvres rouges, d'un rouge radieux qui semblait saigner et briller sur l'onde, scellées en un baiser vertigineux. En ses yeux noirs, ardents et fiers, à lui, en ses yeux bleu de pervenche, agrandis et soulignés de bistre, à elle, c'était la Passion en sa folie, l'ivresse absolue des amours impossibles, la pâmoison suprême si aiguë qu'elle paraissait douloureuse et triste affreusement, et je ne sus, à voir ainsi glisser sur l'eau ces épaves terribles, si c'était la volupté ou la mort qui leur faisait ce regard effrayant, à ces incestueux enfants de roi... ...En la cave lugubre où se cache son laboratoire, le savant est descendu. La voûte est basse comme celle d'un cachot et aux murs s'aperçoivent va- guement des complications d'instruments bizarres. Le fourneau, de la danse de ses flammes rouges, déchire d'éclairs furtifs l'obscurité et par instants, accroche un peu de lumière aux panses des alambics et des cornues, à la reliure de gros livres, au poli de cuivres et d'aciers singulièrement recourbés. En une armoire scintillent comme des pierres précieuses de séduisantes liqueurs, élixirs redoutables de santé et de mort. Tout, en désordre et vêtu d'ombre, les formes vagues sombrant dans le noir, supposées derrière le vieillard. En ce laboratoire familier où il a passé de si longues heures de patientes recherches et de méditations compliquées, le savant est aujourd'hui venu soucieux et'le cœur serré. Il en est arrivé à de si terribles études, à présent, qu'il s'épouvante de l'Ignoré formidable grandissant toujours à mesure qu'il sait. Toute la science téméraire des temps modernes, il l'a scrutée, et aussi la science ambiguë des vieux âges dont il a retrouvé les secrets sous les symboles obscurs. Et quand il songe avec effroi à cette Curiosité vaine à laquelle il a voué sa vie, il lui semble qu'il descend et remonte, pris de vertige, un escalier en spirale infini, dans les ténèbres, pour arriver, tête baissée buter stupidement contre une brusque paroi de roc, et recommencer... Et l'existence lui apparaît une agitation ridicule : dans un petit réduit obscur, de puériles contorsions et de grands gestes avortés. Douter, tourment sans nom pour cet éperdu de vérité! S'il pouvait teniç un fait, un seul, dont il connaîtrait l'essence absolue, sans hésitation possible ! — C'est ce soir un dernier essai, suprême... Tout à coup ses cheveux blanchissent, et longs, et tristes, tombent sur ses épaules ^gn désespoir affreux déprime son visage, car, .de la coupe où sa main défaillante agité encore le mélange, de la coupe où devait se réaliser l'œuvre,.une vapeur s ©lève et se dissipe.:. Fumée ! Et cette expérience qui répète toutes les .autres, passées et futures, dure pour IuLen sa décisive minute, l'éternité. Le Chercheur \'était à la recherche infinie. na «rrsjjpilqxsVi l'jurn eo oup asosn ...Une cloche extrafelrtiaire, balancée à= toute:ivolée âf:'tfâverè l'air, qu'elle raie vaguement de frissons lumineux. Il semble que son lourd battant fauche en son large vol les vies et les espoirs. Elle va, lancée pour toujours, accrochée à une énorme poutre suspendue on ne sait où et ce sont d'effroyables et décharnées mains de squelette qui tirent la corde fatale, qui donnent au bronze ce branle formidable. Les épaules, et les vertèbres seulement apparaissent, blanches dans l'ombre, surmontées d'un masque hir deux et terrible, où la bouche manque et, où dans l'immobilité cartonneuse de la face, des yeux vivent, des yeux humains et regardants. Sourdes menaces que ce muet n'expliquera en aucunes paroles inutiles, mépris de ces yeux inexorables, sans. cervelle pour comprendre la prière et sans cœur pour l'exaucer ! Est-ce le glas du vieux monde que sonne ce mystérieux officiant; est-ce l'heure, enfin! de l'expiatoire écroulement? L'imminence des cataclysmes fait frémir : Un masque sonne le glas funèbre. zm i Î9 3'ténq rÀ . tbmftcfmos xusiv lé a^Ig al ;»:.>jcH IncàDÈtesjs'E ir -fric co s»ano, j/p j.bn :> ■ C ^ZÛ'I ob Inrfo- 'tSfïi»^ t^àass mtâflhmé&b j c : - N A Monsieur Albert Giraud. )no-|-Q ■!■■■ ) 2Ô"Q v «IS'jj mrrmvfi < -va?, -■ c.-rr w^H là A f. -■ . -u • .4.« , - • ,•» r.ir,ft j'cjf ■■ » r» K -t< •v .^--f l> .....t - -c j - .;p2U[ iiii uoc , ihfluoc; .y to'iulioi JO jp'vi ob ' icjolq &v-x" sb sJnirJq El b Ami -— qui fis le Scribe, plein de ces amertumes, que j envie la placidité satisfaite de l'énorme bêtise au front de taureau, ou la sérénité superbe des arbres inconscients porteurs de beaux fruits d'or, combien je les envie, les radieux imbéciles ou les artistes heureux qui ne la connaissent point l'affreuse, l'angoissante et pourtant chère SOUFFRANCE DECRIRE. ...linsv Irise no'up 39ri£< -xn 3f.fjjD.~nj n <97nDÔ r> oDfiBTftuoa ItIO ^opnobflnooao'r^mfîisiasjjpik'jç ' v 29Ô1DB2 te 338U3i".fèt&vm aggorta gr; > -s^oriolnr 8iLroj_0.q)ï taflVU 3r irro.-. ir.r 3b sti'O^rri 3mljS3 al -tri/ïb Jimd 3fi non Dans le calme de ce soir, voici que d'étranges fleurs d'hiver viennent de grandir soudain aux vitres de la fenêtre, et la lune bleue les illumine silencieusement, les étranges fleurs de gel qui miroitent, pareilles à des fougères de diamant. En dessins merveilleux se sont déployés des feuillages de féerie, et l'élégance fantasque des ramilles délicates et des palmes claires fait, en la pure blancheur du givre qui voile la fenêtre, des joailleries contournées en élancements subtils, d'arborescentes dentelles de cristal radieux qui étincelle, des végétations chimériques qui scintillent pensivement sous la lune, comme une forêt de neige où trembleraient les étoiles... Et rien ne bouge, rien ne bruit dans le calme insolite de ce j soie [glacée- oo ob sml&o ol anrXl De nuit, de froid^ ma chambre se remplit, comme un sépulcre, et vers ma tristesse glisse la caresse morhe de la lune, sa lumière inquiétante et bizarre, qui semble faite pour éclairer seulement de fuyants fantômes parmi des choses mortes, Mélancolique et splendide, elle me charme d'émotion singulière : la lente procession rêveuse des rayons bleus à travers le blanc mystère de ces capricieuses et brillantes fleurs de gel... Ce serait délicieux, — par un soir comme celui-ci, de spleen, de mélancolie trouble et d'ennui, alors qu'au dehors la pluie tourbillonne dans l'ombre épaisse, que la course furieuse des nuées passe sur la lune étrangement livide et que le vent secoue les réverbères miroitant sur la boue, alors qu'en ma chambre close, la lumière douce de la lanterne japonaise éclaire A une qui est au loin. Ich weiss iiicht warum so traurig bin. H. Heine. mes bibelots chéris, conteurs de passé, mais qui ne me disent rien ce soir, rien que tristesse,., quand, en la quiétude de mon bonheur trop certain, de brusques envies de sanglots m'étouffent, sans motif! — délicieux éperdû-ment, de LA voir entrer soudain dans ma chambre trop silencieuse, après un bref coup de sonnette qui aurait étonné ma lassitude chagrine. Des portes qu'on ouvrirait, des pas furtifs dans l'escalier... Et elle arriverait toute transie et mouillée, la voilette humide, un peu essoufflée, les joues rouges et fermes à cause de la tempête. Invraisemblable, mais de suite reconnue, Celle qui est au loin, et quelles ivresses et quels chuchotants murmures de souvenir d'amours anciennes ! Et, avec ses bons regards joyeux, elle ôterait lentement son manteau, et assise près du feu, se pencherait sur moi, couché à ses genoux, réchauffant avec des mains et des caresses folles, ses petits pieds glacés, ses petits pieds d'autrefois. Et pourraient recommencer les ferventes processions de baisers, dévotes à de chers repoSoirs! Mieux encore la regarder, la regarder sans rien dire, dans la chambre silencieuse, pour ne pas trop vite dissiper le charme mystérieux de cette chimérique arrivée... Oui, ce serait délicieux, délicieux plus qu'un rêve... Mais on n'entend rien que les gémissements sinistres des rafales, la lamentation du feu et la pluie qui pleure • dans le noir, les choses sont muettes et tristes, et c'est insensé de l'espérer : elle ne vient pas, elle ne viendra pas, car rien d'inattendu, hélas! n'arrive.... L'Aquarium Pour Monsieur J.-K. Huijsmans. Mon livre est un vivier profond de marbre noir Où parfois, te penchant plein d'horreur, tu peux voir Or et flamme, onduler dans la fange et l'eau noire... Iwan Gilkin. ...Il vint tout d'abord dans une cave, une cave lugubre et glacée où le jour ne pénétrait jamais. Des souffles humides traversaient l'obscurité, et des bruits de cascatelles ruisselant dans l'ombre, des glougloutements vers les trous et des claquements étouffés de gouttes chues de la voûte. Les murs que touchait sa main étaient gluants... Enfin, après quelques minutes de trébuchante marche, il arriva dans un corridor dallé, très sombre encore, mais latéralement éclairé de lumière glauque. De larges vitres laissaient voir une eau verdâtre où d'innombrables formes remuaient. Et il se sou->rs d'une phrase lue aux jours de l'enfance « Peuple mystérieux des ondes profondes, chers monstres verts, à la grâce souveraine et lente, glissant dans le silence et dans comme des pensées que l'on n'ose s'avouer ». r Evoluant au milieu des roseaux et des joncs, sous les myriophilles frêles et les hydrocharis délicats, sous les larges feuilles des nénuphars, successivement, il vit les habitants des ruisseaux rieurs sous les arbres et des fleuves puissants qui traversent la terre : Des Truites et des Saumons longs et minces, d'une élégance de torpilleur rapide, qui se tenaient immobiles pour se lancer d'un jet droit de flèche, vers quelque proie aperçue, avides et bornés dans leur opulence grise tachetée de vermillon et de bistre; des Perches, vêtues de gris vert traversé d'anneaux noirs et parées de nageoires rouges, folâtres et charmantes; des Mélanotes d'un rose tendre aux reflets d'or; des Goujons et des Ablettes irisées filant vite dans Keau griffée de leur éclair blanc ; des Carpes aux écailles larges, avec des barbillons pendant à leur bouche ronde et bête, massives et pourtant promptes à se recourber souplement; de grisâtres Sterlets hérissés de pointes en scies triples; le Brochet féroce ouvrant une double rangée de dents aiguës; les Anguilles, serpents dévorateurs incroyablement prestes; et l'effrayant Silure, difforme, aux tons blanchâtres de moisissure... Il les avait déjà aperçus, presque tous, sur les marbres des comptoirs et dans les marchés, et pourtant en cette saumâtre clarté, il hésitait à les reconnaître et s'étonnait de les voir si resplendissants, et comme environnés de lumière adoucie et mouillée qui donnait à leurs robes grises et vertes, la somptuosité d'étoffes princières, le moelleux des velours et l'éclat de chatoyantes moires ; il s'émerveillait de les voir si agiles et d'une si rythmique grâce en leur mobilité, dont de rares images japonaises avaient seules rappelé la fuyante fantaisie; et surtout, il leur découvrait une apparence insoupçonnée d'êtres malfaisants et gloutons oh ! les évolutions perfides et les agitations dans le vide de mâchoires insatia-blement cruelles ! Le poisson devenait monstre. — Et avec une croissante surprise, peu à peu pris d'épouvante devant ces voracités formidables, croyant se sentir frôlé par de visqueuses et froides caresses, comme en un cauchemar, il vit, passant au milieu des ulves et des rubans démesurés de laminaires où s'accrochent des balanes et des moules, au milieu de fourrés d'algues rouges et vertes, l'animalité monstrueuse que berce le roulis des vagues, dans l'immensité des océans : Sur le sol, étoilé çà et là d'astéries, se traînaient des crabes Cauteleux, des langoustes roussâtres, cuirassées et armées d'antennes et de pattes démesurées, avançant péniblement comme des chevaliers ridiculement empêtrés dans leur armure; des homards bleuâtres, puissants princes entourés d'une * nuée de furtifs ' épinoches scintillant comme des insectes d'argent ; parfois, dans le sable jaune' de petits galets ronds et noirs qui brillent sont des yeux à l'affût : tout à coup, le sol bouge et quelque traître poisson plat, raie, sole ou limande, apparaît, tue et dévore, et redescend, avec les ondulations d'une étoffe qui tombe, se dissimuler pour de nouveaux massacres. En un buisson de fucus, où un macro-cyste géant échevèle aux courants son feuillage, s'abrite une tribu d'hippocampes, leur tête fine toujours droite, fière et mélancolique, nageant avec une adorable majesté, ressemblant à des chimères exilées de quelque rêve... Viennent les bandes misérables des thons et des morues vulgaires; et passent des êtres fantastiques : le trigle lanterne et la scorpène horrible qui volent au dessus de la mer, en éten- Plus loin éblouissait une extrava- dant leurs rugueuses ailes aux éclatantes couleurs; la baudroie dont les nageoires font penser à des mains humaines; le monocentre du Japon pareil à un coffret de métal industrieusement martelé; et là-bas sinistrement, l'eau est fouettée par des lanières couvertes de ventouses, par des tentacules garnis de suçoirs et rattachés à un sac gluant et flasque : c'est le poulpe immonde et redoutable qui fait frissonner les nageurs, qui évoque les sombres légendes scandinaves des krakens et des calmars où des esquifs entiers chavirent sous l'étreinte de la bête, où les matelots éperdus s'épuisent dans des luttes sans espoir! gante végétation d'une incomparable splendeur. Des rochers étaient fleuris d'extraordinaires fleurs et sur le sable blanc se dressaient les pennatules rouges, les explanaires touffus épanouis comme des coupes, les rétipores pareils à de fines découpures d'ivoire, les larges éventails jaunes et lilas des gorgones semblables à des feuilles d'énormes fougères balancées par les flots, les nullipores roses, oranges, aux tons éclatants et exquis d'abricot ou de fleur de pommier, des massifs d^s-trées, des parterres diaprés d'actinies et d'anémones de mer. Et c'était, en cette vitrine, l'étalage fastueux de l'œuvre de quelque génial dément, le triomphe du rêve, l'apothéose de l'invraisemblable et de l'artificiel : Car, devant cette animalité déconcertante, on eût songé plutôt à de mignonnes corbeilles pour fruits confits, à de petits sacs pour dragées, à de diaphanes champignons de sucre, à de tremblotantes gelées, rougeâtres et violettes préparées par un cuisinier en délire; — à des pierres précieuses voilées de gaze, joyaux fabuleux de l'Orient, profusion de rubis et d emeraudes, de saphyrs et d'améthystes, de turquoises et d'opales aux feux adoucis, presque éteints; — à d'inconcevables décorations de porcelaine et de dentelle, corolles en papier et en tulle, formes irréelles et décevantes pour des usages inexpliqués; — mais on eût pensé surtout â d'atroces floraisons de Maladie et de Douleur aux révélations hon- teuses : doigts putrescents, lambeaux de nez ou d'oreille, bouts de seins flétris, poumons crachés en des râles, amas défigurés de chairs rongées de maux infâmes, et confirmant cet aspect, vibraient les nuances changeantes, indéfinissables et précieuses : des blancs sales et vitreux, des blancs de pus et de gangrène qui, par d'insensibles frissons devenaient verdâtres comme en un cadavre de noyé, ou jaunis comme la peau des morts; des roses fanés, épuisés, s'exaltant jusqu'au pourpre et au sang, au beau rouge sonore des blessures, puis pâlis, mêlés d'ocre, tournant à l'orange de plaies mal soignées; des bleus empoisonnés et putrides, devenus mauves, lilas, saumâtres comme en des charognes décomposées; des Jmmb tons louches et faux, morbides et pervers, et lumineusement doux, des tons de Lune triste et dépravée qui fascinaient, et faisaient chérir d'un amour singulier la gloire insolente de cette Pourriture en fleur ! Peuple mystérieux des ondes profondes, chers monstres verts à la grâce souveraine et lente, chimériques fleurs de pourriture et d'artifice, vous avez rempli d'effroi le voyageur, car c'est son âme, sa pauvre âme lasse et faible que vous lui avez tout à coup montrée, son âme où grandissent de chimériques fleurs de pourriture et d'artifice, où, dans le silence et dans l'ombre, glissent des pensées monstrueuses qu'il n'ose s'avouer. Dormir. Il est tard déjà. Voilà de longues heures que je suis là, étendu dans mon lit, ne pouvant m'endormir. J'ai lu, d'abord, longtemps, mais je ne sais plus bien ce que j'ai lu. J'ai songé, aussi, à ce que j'ai déjà fait, tristement, et à ce que je ferai peut-être encore, plus tristement; ma pensée inquiète voudrait tant se reposer! La vie est si triste; si l'on pouvait dormir!... J'ai posé mon livre sur la table et j'ai descendu la mèche de ma lampe. ... le lourd sommeil sans songes. S. Mallarmé. Pour Monsieur Henry De Groux. La lumière va s'éteindre, et les petites convulsions de la flamme mourante font des ombres fantastiques dans la chambre. Je suis seul dans ma chambre, bien seul. Ma porte est fermée à double tour de clef. La maison repose silencieuse. Du dehors, aucun bruit ne vient; parfois le vent hurle doucement, comme un chien perdu dans la campagne, très loin. Il fait noir. La fenêtre large apparaît vaguement blanche dans la chambre assombrie. Et très lentement, il me semble qu'une neige noire descend sur moi en flocons doux et assoupissants. Tout devient fluide, indécis; je me dissous dans le sommeil venant. Dormir... Si l'on pouvait dormir!... Brusquement, en tempête, un grand coup de vent qui ronfle, tourbillonne, secoue les meubles qui gémissent, balance mon lit comme une épave sur \ une mer furieuse. Et avec lui, des petits êtres bizarres, fantasques, imprécis, ont envahi ma chambre. Je les entends rire sous mon lit. De quoi peuvent-ils rire ainsi, ô mon Dieu ! Il y en a d'accrochés dans les rideaux au dessus de moi, et je viens de sentir à mes côtés leurs corps visqueux et froids. Des ombres énormes et grimaçantes dansent sur la tache blanchâtre de la fenêtre. Les murailles s'en sont allées en poussière, à travers l'espace sombre, mon lit est suspendu dans l'immensité sans limite : l'ouragan noir l'entoure, gronde et hurle, bruits affreux de sanglots, cris étouffés de malheureux qu'on égorge. Chaque rafale amène de nouvelles troupes de ces petits monstres étranges qui passent au dessus de moi, avec un bruissement rauque et fantastique, ainsi que des nuées de sauterelles immondes. Dans des rayons d'indécise clarté, j'aperçois des faces ignobles et narquoises, raillant mon inertie, toutes vertes et glauques : cadavres pourrissant dans des marécages, et l'instant d'après, toutes rouges, sanguinolentes dans une fanfare épouvantée d'incendie et de crime! Des pieds griffus me frôlent et me déchirent; ce devient sur mon corps une galopade folle, effrénée, terrifiante de fatalité muette. Ils m'écrasent... Ils metouffent. Je sens ma conscience tourbillonner, comme un homme lancé dans le vide... Dormir? sans cauchemars, si l'on pouvait dormir !... A Monsieur Paul Franeau. jL z,jmorn • f'ir r n. \ .. ùjp 3j£iiq. .j»i 9b ::i.rroioîrv>':n no?.h.cn?> ■».•[ AhUm âê fttiàta oj^noî w - i .. . : q ^àj4 ,r "r j rl $$ >,noI p Pour un cœur qui s'ennuie O le chant de la pluie... Paul Verlaine. Du logis devenu sombre et doucement parfumé de l'agonie de quelques fleurs, je regarde la tempête qui ravage k\ campagne, la campagne pâlement ve::te et grise au loin, les arbres suppliants sous l'averse, les feuilles jaunies qui tourbillonnent, les chemins luisants comme des rivières, et les passants rapides et piteux sous cette grande colère du ciel. A l'horizon quelques cheminées,, noyées de brume, au dessus des toits rouges. Et je m'attarde à écouter les grondements sauvages et les longues plaintes mornes du vent, la chanson monotone de la pluie qui fouette les vitres, pleure et ruisselle au long des murs, la désolée, pleine de si tristes voix, de murmures obscurs qui se lamentent, doucement berceuse et évocatrice de souvenirs... wrnhffn ' p r • '-irnn iflâfTï — Le soir tombe, et voici que commencent, par la capitale en fête, les illuminations joyeuses. De tous côtés, vers le bruit et la lumière, accourt le peuple, avec son enfantine gaieté curieuse. C'est, dans les rues, un bavardant grouillis de populace turbulente. En l'obscurité croissante, s'allument les lampions multicolores; de's cordons de gaz courent le long des façades ; les % étalages des magasins resplendissent ; aux réverbères triomphants enguirlandés de feu, s'accrochent des grappes de lumières •; jusqu'aux lointaines extrémités de l'avenue, étincelle et flamboie une longue traînée de flammes. Et il pleut, une pluie impitoyable et fine, il pleut sur l'embrasement du boulevard, sur les rires de la multitude... Tout en haut, au dessus des passants, se balancent des lanternes japonaises vertes et rouges, comme de petits ballons bizarres, qui rendent très haut et très profond le ciel noir d'où l'ondée dégouline... D'un balcon, j'apercevais un très curieux fleuve de parapluies, tous pareils, régulièrement emboîtés, un fleuve partagé en deux courants opposés et sur les vagues étranges duquel se jouait singulièrement la lumière mouillée. Dessous se devinait une humanité heureuse et piétinante, des conversations et des rires, dont le murmure confus se mêlait au crépitement de la pluie... Mais les lampions, un à un submergés/ agonisèrent; le vent âpre réduisit à une pâle ligne bleue les files de gaz; et les réverbères, dépouillés de leur splendeur, Scintillèrent désespérément. Sous les parapluies, les rires aussi s'éteignirent, et lentement la plèbe désappointée se dispersa; dans l'ombre accrue le boulevard redevint silencieux et: désert. Seules, dans le ciel noir, quelques pâles lanternes japonaises chancelaient... En mon âme où les bruits de fêté ont pour toujours cessé, dans la nuit, » Il ' ' sous la pluie, survivent quelques illusions bizarres, flottant haut et éclairant à peine, chancelantes et toujours près de s'éteindre, sous la pluie... — A Londres, vers midi, sur un petit bateau à vapeur filant sur la Tamise. Les tours frêles de Westminster s'effacent derrière nous. Un pont, deux ponts, d'autres, tous superbes et couverts de monde : passants pressés, cabs, omnibus, tout l'affairement de la grande cité commerciale entrevu sur ces ponts gigantesques, dans le brouillard... Puis, plus rien : les quais paraissent morts. Sur le bateau, personne; seuls, près de la machine pour avoir moins froid, la pluie nous pénètre et nous glace. Mais c'est un charme imprévu et doux que de regarder, en cette clarté jaune du crépuscule, la Tamise, avec son allure inquiétante de fleuve mauvais, ses eaux noires, tourbillonnant sans bruit, entraînant des bouts d'épaves vagues, comme un égout formidable. Des deux côtés, des magasins immenses : bâtisses à multiples étages aux fenêtres sombres sans croisées, comme des yeux crevés, avec une complication bizarre de chèvres, de poulies et de câbles. Et l'on suppose en ces entrepôts une plèbe innombrable et fourmillante peinant sans relâche pour les exigences de la Ville monstrueuse. — Par instants un autre » bateau nous croise, siffle, passe vite et s'efface dans la buée grise... Pas d'autre bruit que le clapotis ronflant de notre marche et parfois, la voix grêle d'un gamin qui crie en mélopée : stop! — On va, on va toujours sur l'égout démesuré et les paysages s'élargissent. Les rives s'éloignent et entre les maisons plus rares, derrière les cheminées des manufactures et les murs noirs des docks, on aperçoit des végétations inouïes de mâts, de vergues et de corn dages, des milliers de gréements dont les lignes élégantes et sveltes se silhouettent capricieusement sur le ciel gris : une forêt fantôme aux aspects cruels et charmants. — Un grand bateau plat, noir et lourd, passe, silencieusement mené par deux hommes. Et cela a l'air d'être du songe terrible, comme si les deux funèbres nauton-niers conduisaient sous ces toiles de deuil, de secrets forfaits et des cadavres... Le fleuve devient plus large encore. Comme la mer. De très lointains navires semblent des oiseaux perdus dans le brouillard humide. D'impossibles marines s'entrevoient et se dissipent; des apparences fantasques se rêvent dans le gris du ciel et de l'eau, infiniment doux, mystérieux et mélancolique. Et à mesure que la course s'achève, on se sent plus faible, plus imperceptible et plus triste en cètte immensité grise. hnryo :nj -— ijunwio ;•., HIJJUÏ:. Tristement, glisse en un rêve gris, le vaisseau de ma vie, vers une fin incertaine, sous la pluie.;. A Monsieur Henry de Nimal. ... Et l'on croirait entendre, tout près, le chuchotement fastidieux d'un vieillard : — Que ces roses étaient fraîches et belles!... Iwan Tourgueneff. (Poèmes en prose.) C'est l'hiver et je suis seul. Au dehors le vent et la pluie, les rafales colères dans l'ombre, l'horreur de l'obscurité humide et convulsée. Dans latre, les flammes sautillent allègrement, danse jaune aux reflets de sang, danse rouge aux reflets d'or, qui se calme, et s'irrite, et s'apaise encore, toujours imprévue et changeante. Le vent dans la cheminée se lamente : triste chanson de gémissements étouf- fés, de pleurs et de plaintes de pauvre être faible abandonné, longues supplications craintives monotonement chu-chotées comme pour adoucir des fureurs, étranges cris doux de désespoir, balbutiantes et sifflantes mélancolies, paroles incohérentes et vagues, de. si loin venues, et si vite, et si confuses!... On perçoit seulement leur mystérieux accent d'angoisse incertaine; et vous induit en une trouble terreur, la musique plaintive et énigmatiquement menaçante de ces rumeurs souffreteuses; sous les rêveries noires, se penche le front tandis que le feu chante, que s eplore en la cheminée sa chanson où bourdonnent des voix, de chères voix qu'on n'entend plus, jamais plus... Songer, en écoutant l'indistinct murmure du feu qui se lamente et laisser venir les mornes souvenirs qui tourbillonnent dans la nuit!... Plus d'une fois déjà il fallut, dans la prostration d'un effrayant malheur et sanglotant dans les habits de deuil, suivre le convoi d'aimés qui s'en furent vers le repos auguste de la mort et chaque fois ce fut un déchirement atroce, comme l'arrachement de quelque chose de vous-même qu'on jetait à la terre impassible... Combien chaque jour qui passe, aussi cruel, nous entame et nous dévore!... Penser, tandis que le feu se lamente, penser à toutes les illusions qui ont saigné le long de la route parcourue, aux belles fleurs d'enfance insoucieuse qui riaient au soleil, dans la fraîcheur des impressions premières, aux escapades d'écoliers espiègles, aux gaies vacances, aux compagnons d'alors si joyeux et si confiants!... Où sont-ils maintenant!... Perdus dans la vie, comme dans l'Océan immense, et si loin, que c'est folie espérer les revoir, irréparablement perdus... Penser aux jeunes enthousiasmes, aux jeunes colères, aux jeunes convictions, aux sauvages ardeurs de chevalier et d'apôtre,faux ambitions naïves et démesurées des vingt ans : où sont-elles maintenant?... Belles toujours, séduisantes et charmeresses, mais pour d'autres à présent, car la Foi ne revient plus, hélas! aux âmes qu'elle a quittées !... Penser encore, penser aux amitiés précieuses, à ceux dont la main loyale, et dévouée vous soutint aux jours amers, à ceux que pendant des ans vous avez vus tous les jours, qui ont su tous les secrets de votre cœur et les projets audacieux de votre esprit, tous ceux dont la vie fut une partie de .la vôtre, où sont-ils maintenant?... Perdus dans la vie comme dans l'Océan immense, mais tous si loin, si loin qu'ils ne vous entendent plus quand vous les appelez!... Et à quoi bon d'ailleurs les appeler! Ce serait folie que d'espérer les retrouver une> hçujrGj tels que jadis!... Penser à celles qui vous aimèrent, à celles que vous avez aimées, depuis les tremblantes tendresses d'adolescent jusqu'aux* dépravations où vous fit choir un désir d'inattendu! Oh! ces serments et ces bonheurs, et ces amours qui devaient durer toujours! Elles s'en sont allées, aux courants de la vie... Où sont-elles maintenant, celles qui furent miennes?... Que je les sais irréparablement perdues, plus irréparablement dans la vie que dans la mort, car les rencontrer encore, et vouloir recommencér le passé, ne serait-ce point flétrir à jamais le souvenir indécis et charmant' et le regret vague que j'en conserve précieusement... où sont-dîê&>'rté#!âimées ? i; Tandis que le feu se lamente et que sa musique plaintive évoque les mornes souvenirs tourbillonnant dans la nuit, on s'étonne d'avoir pu mourir ainsi tant de fois un peu, d'avoir supporté une si continuelle agonie... Va-t-elle se prolonger encore? Oh! qu'il serait bon, puisqu'il nous est interdit d'arrêter la Chimère, qu'il serait bon et bienvenu le définitif oubli, loin de tous ces regrets qui pleurent... Conseillère de néant, la monotone chanson du feu seplore en la cheminée... - q- Viù) ,rjyq àts 1 r -iiV e-lburïitnoo ta - Ii r ; j > xiC -ÎOZ111 ''.r,. V'A-' 'Al-J- - 13 'iud lifi-'o-: i-i iij . jn-'' 'J rÀ . ■■ini ' gwoJ sLmof jldirolitfîiifeb^i^fiESV^ :•?■•)>moD ...ânastfâiq ïifp 'gloffgsrt ri h : • . le orrojcfiofcr rJ . B&fî . obnimodo si'ris îhcI« i;< O mon pays, contrée farouche des épuisants labeurs et des usines fumantes, où s'endeuillit la tendresse des verdures, elles sont tes sourires et ton rêve, les Fumées, les fantasques, les merveilleuses Fumées! Dans le vaste horizon mélancolique, sous les échafaudages sinistres des houillères, autour des architectures massives et compliquées de hauts-fourneaux, dans les grands hangars — J'aime les nuages, les nuages qui passent, là-bas, les merveilleux nuages! Ca. Baudelaire. Pour Monsieur Constantin Meunier. sombres des laminoirs où courent de rouges frissons de feu, partout, avec des bruits de canons qui tonnent, des crépitements martelés de fusillades, et de rauques grondements sourds, c'est la bataille incessante de l'homme contre le charbon et le fer, le tragique combat de l'Industrie, seule splendeur de ce temps, et c'est sa grandeur, sa cruauté et sa gloire qu'elles célèbrent à l'envi, les Fumées, les ondoyantes et multiples Fumées... •Vers le ciel, de toutes parts, elles s'en vont, à l'infini diverses et capricieuses ... Il en est de toutes blanches, virginales, légères et souples comme des enfants folles qui s'enfuient en se jouant, elles courent et tourbillonnent plus légères et plus vagues toujours, vers les jauages, dans l'azur, loin des charbonnages lugubres. Il en est de tendrement irisées, aux chatoiements d'opale et de nacre quand les traverse un rayon de soleil, qui s'échappent des fournaises avec des sveltesses prodigieuses, et se dissipent mollement, grâcieuses et pâles comme des princesses, dans l'air. D'autres noires, épandues ainsi qu'un flot d'encre, chargées de poussière et de suie, déroulent paresseusement leur vrille épaisse de la haute cheminée et longtemps on les voit, peu à peu évanouies, résister aux assauts de la brise qui les entraîne. Et nombreuses, pressées, confondues dans une mêlée furieuse qu'un coup de vent déchire, ou seules, en aigrettes, en crinières ondoyantes, partout dans lapre étendue, elles éche-vèlent le caprice fou de leur fantaisie, les merveilleuses Fumées... ' mfi'fî: gsf f)0 ' ■ irô&B 5 ') • ^Lédo'b Aux jours pluvieux, quand la bourrasque secoue sur les champs les moires blanches de l'averse, combien doux le poème qu'elles chantent aux yeux et combien semblent lointains leurs voyages quand elles disparaissent dans le brouillard... Dans le vaste horizon mélancolique, sous le ciel bas aux gris moelleux, les arbres semblent plus verts et les toits plus rouges, s'adoucissent dans la pluie les arêtes aiguës des terris menaçants et les cheminées, dans les buées, ont des aspects mystérieux. Écrasées sous l'ondée, vaincues par les rafales, les fumées blanches, les fumées grises luttent, vagabondent et s'échappent, au dessus des bâtiments noirs, mettant dans la régularité et l'horrible tristesse des constructions industrielles, leur imprévu, la couleur jolie, la turbulence et la souplesse de leurs changeants contours. Elles sont le sourire et la vie de la contrée farouche, ses sourires dans la tempête, et sans elles, ce serait un terrifiant paysage de ruines et de tombeaux ! Et vers le soir, lorsque lentement l'ombre descend sur cet affairement de fourmilière, dans le noir, les fumées merveilleuses deviennent flammes splendides au sommet des tours tra- pues des hauts fourneaux, elles jaillissent, plus agiles et plus belles encore, du « gueulard » flambant comme un énorme bol, en une profusion bondissante de langues de feu pâle, voraces, bleuâtres, au milieu d'impétueuses vapeurs. Tels, dans l'histoire profonde, les feux sacrés des croyants de l'Inde, les signaux sur les hauteurs, les cassol-lettes gigantesques allumées par les peuples jadis, aux portes des villes, en Thonneur de Dieux implacables, les cacrifices carthaginois au Moloch, de bronze où s'embrasent les victimes! — Et l'on croit voir le symbole d'un culte nouveau plus exigeant et plus terrible encore : ces flammes bleues et ces fumées légères qui montent en se tordant vers le ciel, s'envolent comme des âmes éperdues, des âmes misérables et suppliantes convulsées en d'implacables souffrances, milliers d'âmes de la plèbe écrasée, se dispersant dans les inconnus de l'espace, en un encens dont se délecte la Divinité moderne, plus féroce et plus cruelle... O mon pays, contrée farouche des labeurs où l'homme s'épuise en épuisant la Terre, dans l'ardente bataille et le deuil des verdures, elles sont ta poésie et ton charme, les innombrables fumées qui s'en vont, là-bas, les merveilleuses Fumées. Pour Monsieur Arnold Goffin. >j( r Oui se cxaltat. humiliabitur. Ev.angii.es. J'ai cherché les « parfums nouveaux et les plaisirs inéprouvés » ; j'ai voulu mon esprit plus fort, mes sens plus aigus et subtils. Je vous ai demandé, Seigneur, dans un aveuglement fol, de sublimer mon âme et d'élargir ma vie. Vœu téméraire, vœu d'enfant, que vous punîtes en m'exauçant !... il j I fiÇ il 'va mi Oh! maudit! — oui, soyez maudit! Vous qui m'avez donné, Seigneur, des yeux savants et curieux, et qui m'avez fait voir, pour un peu de beauté, l'horreur sans nom, l'horreur sans fin, du millier des spectacles sales, les infâmes pensées des hommes : mes yeux toujours inquisiteurs m'ont fait regretter mes yeux purs ! Vous qui m'avez donné, Seigneur, un odorat plus fin et sûr, saviez-vous les senteurs atroces? Et l'écœurante puanteur qu'on discerne alors en toute fleur? Et l'angoisse du souvenir, en certains vieux parfums fanés? Oh! pourquoi m'avoir écouté ! Vous qui m'avez donné, Seigneur, l'amour des frêles harmonies, sous les bois pleurent les fontaines, la mer r_ roule sa plainte énorme, et que de discordants concerts ! Avez vous fait les voix des femmes, les voix douces traîtres à leur douceur, les voix chères, menteuses aussi ? Vous qui m'avez donné, Seigneur, deux rouges lèvres délicates, des lèvres gourmandes et, las! vous m'avez révélé ce jour, une amertume insoupçonnée aux meilleurs vins qui font l'ivresse, — perdus, mes beaux enchanteurs d'oubli! — et j'ai trouvé, le cœur pleurant, fades, des baisers d'amoureuse ! Vous qui m'avez donné, Seigneur, des sens ardents, irrassasiés... Charme vain du banal plaisir, mon Dieu! Lacre monotonie, puis l'accoutumance toujours; au fond du calice, la lie... Bêtises des fraîches amours !... Perversité? La chair si courte!... Vous qui m'avez donné, Seigneur, un esprit large et souverain, aigle planant sur les sommets près des soleils, pourvoir, petite, l'Intelligence humaine en sa fragilité : Erreurs sans nombre, témérités, feux follets glissant dans le noir, plus d'espérances ni de dieux... Prière Maître ! Pitié ! — Je viens à vous suppliant et meurtri. Vous avez promis d'abaisser qui s'élève : Humiliez-moi ! Domptez mon orgueil destructeur, brisez ces sens fins dont je souffre, et faites-moi, mon Dieu ! pareil au paysan qui garde sans souci ses bêtes dans un champ, pareil à ces brebis qui bêlent en broutant l'herbe, pareil à ce gazon croissant parmi les pierres, pareils à ces cailloux indifférents et nuls ! pi /r,(j UJÏ M'J,1>k " W ifrjlt>ci i.ip gi&td & f> lisTcq îlaTjsq t'j ^a^Mbni xu.otli.BO-* Ballade des Grandes Affiches A Monsieur Georges Destrée. De tous côtés elles vous appellent, elles vous poursuivent, elles vous supplient, les affiches, les grandes Affiches. Bleues, vertes, rouges, aux murs de l'énorme ville, elles font d'énormes placards violents; elles grimpent le long des maisons jusqu'aux fenêtres qui étouffent; elles se perchent au sommet des toits en colossales lettres d'or qui tard flamboient au dessus de la cité quand se couche le soleil rouge : elles submergent toute palissade, débordent sur le pavé, honteusement se glissent dans les urinoirs! Partout l'œil lassé les retrouve : couchées sur l'asphalte des boulevards, voyageant en tous sens, par les rues, infatigablement, aux flancs des omnibus multiples; du moindre journal entrevu, elles surgissent ; dans la fantastique pénombre des gares souterraines, elles s'entrevoient sous la brève lueur d'un bec de gaz, et parfois en certaines nuits, on s'étonne de ne point les voir — dernier respect du ciel ! — se balancer dans l'Infini, accrochées d'étoile en étoile! O l'appel irritant, l'appel obsédant des grandes affiches!... Elles escaladent la pensée ; elles s'introduisent de force en la mémoire, redisant incessament le même mot harcelant, le même vocable inconnu et stupide qui, malgré vous, s'enfonce en votre souvenir, irréparablement. Lettres noires, lettres vertes, lettres rouges, lettres de toute couleur tapageuse et criarde, lettres démesurées de toutes formes et de toute bizarrerie, sans relâche sonnent au passant étourdi, la retentissante fanfare des grandes Affiches ! Pour retenir ou pour violer l'attention distraite et qui se défend, ce sont subterfuges inôuïs, duplicités profondes, ténébreuses et compliquées machinations de négociants retors ! — Comment ne point la voir et ne la regarder avec joie, cette blonde enfant au maillot bleu, assise sur la plage près des flots qui calment, ses cheveux épars frisant dans le vent, ses yeux purs étonnés contemplant la vaste mer des naufrages, sous le ciel bas rayé d'un vol de mouettes ? — Sur les trottoirs, les petits enfants se sont attroupés : leurs yeux grand ouverts, de leur magnétique et naïve admiration arrêtent le passant à son tour vaincu, violé par la grande affiche ! — Mais où court cet homme éperdu? Que veut ce nègre qui grimace et ce clown à l'air fat penché sur les passants? Et comment)rse soustraire à ce gigantesque et doux profil de femme, dont les cheveux splendides roulent sur l'épaule provocante et nue, roulent et tombent en prodigieuse cascade du haut d'une maison jusqu'au sol?... Plus loin, un drame grossièrement indiqué, du sang rouge et des chairs livides; partout surprises nouvelles, artificieuses énigmes : et parfois, c'est l'horreur, le frisson pénible, qui grave, indestructiblement en la mémoire l'annonce audacieuse : reste à jamais l'écœurant souvenir d'un buste d'hommes vu de dos, bout d'irréprochable redingote, col droit serrant le cou dans une dignité prétentieuse, effarant contraste avec l'abominable calvitie, avec un crâne rosâtre, mol, purulent, comme un hideux moignon flasque, couvert de quelques rares cheveux, malades, teigneux, et sur la chair, une atroce végétation de boutons et de pustules, comme une lé- preuse moisissure, cachetée çà et là, soigneusement, de petits emplâtres carrés de taffetas noir... O que vous connaissez lame de l'homme, négociants astucieux et subtils, pour faire ainsi victorieusement sonner par la ville immense, l'immense et dominatrice fanfare des grandes Affiches... Les jours de pluie, les jours de brouillard et de brume, la despotique fanfare s'adoucit dans l'atmosphère grise et les irritantes affiches deviennent alors en leur caractéristique modernité chères à l'artiste et révélatrices à qui songe! Les jours de pluie, leur insolence est châtiée, le passant insoucieux se hâtant sous la bise et les fouets de l'averse ne leur accorde plus le regard qu'elles implorent; leurs violences méprisées s'étouffent inutiles; et salies, déchirées, elles pendent par lambeaux misérables; toute une fantaisie imprévue et cruelle s'acharne sur les grandes affiches aux jours de brouillard et de brume ! Mais comme, en l'atmosphère grise, leur suggestive modernité attire, et charme et fait rêver! Elles disent tristement, d'elles-mêmes honteuses, la plaie suprême du siècle; elles disent tristement la nécessité de la Réclame formidable et cynique, les millions jetés pour éblouir et aveugler l'acheteur, la lutte fratricide toujours plus inexorable et plus âpre, la fatalité lamentable du mensonge. Elles disent encore et plus tristement le cabotinage éhonté et croissant, l'affichage général des talents et des gloires, l'universelle folie de publicité abolitive de toute fierté. Réflecteurs étranges de la foule qui se hâte sous elles, les grandes affiches content l'avilissement des esprits, et la gangrène des cœurs, l'adoration lâche du succès !... Et dans l'atmosphère grise, leurs couleurs fondues bariolent d'une captivante harmonie les murs noyés de brume; leurs figures colossales, aux tons éteints, ont des contours vagues de rêve, de rêve triste aussi, qui s'af-.flige et s'épouvante de voir si tôt fanées la gloire et la splendeur des affiches symboliques du négoce présent! O mélancolique, mélancolique, pleure doucement par ces temps de brume et de brouillard, à travers la grande ville, l'appel des grandes Affiches. Envoi Ami — pour toi encore j'ai fait cette Ballade, toi qui les détestes et les chéris, comme moi, les grandes affiches... Et si quelque raison nous pouvait convertir à la méprisable erreur de l'art utile, ce serait de pressentir parfois, dans les âges lointains de l'avenir, une invraisemblable cité de songe fou où les poètes souverains rythmeraient, où les artistes délicats dessineraient, toutes les affiches, les grandes Affiches ! Réflexions Confuses A Monsieur Amand Charles. Tout autour de moi gronde et trépide le laminoir. Les machines avec leurs allures fantastiques de monstres concients, remplissent de leurs noires ossatures, le grand hangar où selabore le fer. Et dans des éclaboussements de lumière sanglante, des hommes au torse nu se démènent, splendides, au milieu de la symphonie formidable des ferrailles et des vapeurs. Ils guettent au passage et empoignent dans leurs pinces intrépides, les barres de fer V»;, N______ rouge qui jaillissent des laminoirs, qui s'allongent, se recourbent et s'élancent comme des serpents... Comme des serpents... Et je les sentis venir vers moi, vers mon torse nu aussi, mais je n'avais pas les terribles pinces ni les muscles héroïques de ces dompteurs de bêtes et je les vis s'avancer, leur pointe incandescente relevée comme pour mordre, en face, à droite, à gauche, partout; végétation terrifiante de lianes de feu qui m'enlaçaient, recourbées autour de mes pieds, de mes jambes, venaient me frôler la poitrine, lentement, mais sans arrêt possible, et je me devinais vaincu, cloué, condamné, mes chairs fumaient, grésillaient avec une écœurante odeur et les • r : implacables serpents montaient toujours, resserrant leur étreinte et, avec la conscience d'une résistance vaine, je levai les bras, résigné, comme un crucifié... )f • f ( 0 ' • yiXlO 5)'luî>'Ci ,'j'} (îi;-*rî O'd ■ C) ' ?*I.j Comme un crucifié... Et un admi-i rable dessin d'Odilon Redon, évoqué par ce mot, m'apparut. A travers la fenêtre d'une chambre noire, cellule ou prison, s'aperçoit vaguement ainsi qu'en un rêve, une inoubliable tête de Christ, couronné d'épines et auréolé, un doigt aux lèvres : l'éternel mystère! une extraordinaire expression de bonté et; de ipitién douloureuse illumine les traits indécis et rayonnants, comme une matérielle apparition de la Charité infinie et mystérieusement consolante. Puis je songeai à la personne à qui apparaissait ainsi la sublime figure, à celle qui devait se trouver prosternée dans la chambre noire. Une femme, certes, elles seules ont tels élans de foi, triste et souffrante, belle et pure comme une vierge, comme cette fille chimérique de Barbey — un des rêves les plus pénétrants de ce temps : Calixte ! Calixte, moyen-âge, époques troubles de mysticisme et de prière^ d'art si patient et si pur, vers un tableau me conduisit, un merveilleux tableau d'un primitif flamand inconnu ■— un moine blanc priant avec ferveur un Christ dont les plaies, du haut des nuées, saignent vers lui ! ■jjj'rnr[Ç) gb noitri^qqjs plfônàtfÊnï pnu Et en réfléchissant aux écrivains qui ont tout dit, et la vie et le rêve, aux peintres qui ont tout exprimé, à tout l'art passé, un obsédant vers de Verlaine fut soupiré : Oh ! tout est bu! tout est mangé! plus rien à dire! — Et je songeai à ceux qui m'entouraient, qu'un instant j'avais oubliés, à ces infatigables broyeurs de fer et de feu : jamais jusqu'eux ne viendrait le nom de Verlaine ou de Barbey! et avec l'orgueil enfantin de l'artiste et sa passion dé supériorité j'eus un mouvement de fierté à avoir eu ainsi, seul, en cette rapide seconde, un vol fugitif de hautaines pensées. Mais, naïveté! celui qui passait là-bas voyait peut-être du haut de sa science, une aussi vaste étendue d'humanité que moi, des hauteurs de l'art, et qui sait! lui aussi peut-être méditait quelque découverte depuis longtemps rêvée, lui aussi peut-être saluait mentalement quelque savant extraordinaire dont j'ignorais le nom. Fumée, la Gloire! Illusion vaine, tout, même l'Amour, même Toi qui avais juré de m'aimer toujours! Chimère aussi la charité consolante .: comment relever l'homme de sa misère et empêcher l'inévitable souffrance ?... Sous les hangars sombres, des ouvriers s'épuisent aux éreintants labeurs et les machines aux silhouettes pleines de fatalité noire ont l'air de sinistres instruments de torture... Autour de moi gronde et trépide le laminoir. -;U£rI g^b, tiQm au1 l/îinsfn ■ jiFrï » astè f-ujR iuî :ti.Oci.'!j> Ji> C -jTijj3 HiOiJô b ^.sirn-K^ go.Tten Focking, Rembrandt de la> liqueur! Ton curaçao a des richesses de couleur où ruisselle la lumière, de prestigieux éclats dorés sur des fonds d'ombre douce, c'est comme du soleil en verre, comme un concert de flûtes, de hautbois et de cuivres doux qu'on entendrait par la bouche. Il met un peu de chaleur en la poitrine, allume une flamme de gaieté dans la tête et vibre ■ . o moelleusement en saveurs de velours. Artiste excellent qui sus comprendre l'exceptionnelle importance du cadre et du décor de telle sorte qu'en dehors de ta petite maison d'Amsterdam au bout d'un couloir sombre, avec, seule enseigne, une grossière et vétusté figuration d'appareil distillatoire, aux fenêtres garnies d'étroits carreaux, en dehors de la salle basse où se rangent de lourds flacons noirs : trésors d'ivresses suaves, ailleurs qu'au comptoir où trône l'impassibilité hollandaise dune servante en bonnet très blanc, où sont les verres particuliers de forme ancienne, des bonbons secs dans un petit panier, et dans une terrine verte des braises rougeoyantes, il n'est point de réel curaçao Focking ! siodrriBB JooîW| 3clrrol inp olnuoedol Au crépuscule, sur les canaux, la ville apparaît dans toute sa splendeur en une impériale robe de velours noir brodé de lumières et traînant fastueu-sement Sbr la mer. LeS^corîversations des passants, l'affairemefrt du négoce, les roulements des voitures, les tocsins des tramways sur fes rives, ' se côn-fonderit eïï:lîné[ïâilii&fff^jïfè©àdôWfej la grande voix des-1' capitales à la fin des journées. En la paix du soir, et ses teintes exquises, s'allument les lampes aux fenêtres : sur les ponts, sur les quais étincelle la danse jaune des flammes des réverbères, et les lanternes des bateaux rencontrés sont de grands y,eux ronds rougeâtres, comme des escarboucles fabuleuses en la nuit. En l'obscurité qui tombe partout flamboie l'illumination coutumière et sur l'eau noire, ce sont de scintillantes traînées d'or, des frissons merveilleux de qlarté. Les maisons, lointaines déjà sur les bords, semblent, dans,la brume, grandies, et ayigijstes; et leurs vieilles faces sombres aux pignons multiformes, avec jdes-jtpurelles et; des clochers émergeant du capricieux fouillis des toits pnt l'opulerçce et la sévérité ï » s. « de palais de Venise... Au retour, les arbres du rivage paraissaient bruns jj j i et les maisons, dans l'ombre accrue >|||| avaient des lignes plus majestueuses '\vj encore. A la chanson dorée des lu-- fl !) I i ■ lis mières de la ville miroitant sur l'eau, se f mariaient des vapeurs légères, subti- , lement argentées aux rayons bleus de || la Lune... J J v.t i u M !. ! & ïui i I I I I fl J '"i l fi II ■ ,90 1 1 ■ ïWffffS s À [f Aux grands maîtres de là-bas. Je pris donc le petit livre des mains de l'ange et je le dévorai; et il était doux dans ma bouche comme du miel; mais quand "je l'eus dévoré, mes entrailles furent remplies d'amertume. Saint Jean. Apocalypse. Maîtres très grands, maîtres aimés, devant qui j'incline avec respect l'hommage fervent de mes phrases chétives, r Ecrivains superbes qui rayonnez au dessus de l'obscurité d'un peuple immense comme des phares sur l'Océan, artistes précieux méconnus de la foule, maîtres lumineux, maîtres amers ! Gogol — toi d'abord, l'ancêtre et le précurseur, observateur moraliste des travers et des vices de ton temps, si douloureusement triste déjà dans ton persiflage glacé, comme tu as, en ta course fantasque de ville en ville, de château en château, collectionneur bizarre d'âmes mortes et créateur puissant d ames éternellement vivantes, su fixer d'impérissables types! Tels ces étonnants dessinateurs du Japon qui synthétisent en une ligne unique, un mouvement, une attitude, tu fis, en tes sommaires et pénétrantes figures, jaillir r l'essence des caractères' de ton siècle en traits brusques et vigoureux; et dans ton œuvre ainsi légendaire, vibre avec une ampleur dominatrice, lame de la vieille Russie; en ton œuvre, Gogol, le porte-parole d'un peuple, l'annonciateur des grands Russes et qu'il faut saluer avec admiration avant de parler d'Eux. Tourgueneff — un étang dans des arbres, par un tiède-soir d'été, avec le sourire dolent de la lune bleuissant l'eau qui scintille et qui frissonne, des tons fins, délicats, argentins, des vapeurs moelleuses comme des caresses qui montent dans les bois pleins de rumeurs, les grands bois où passent vagues des silhouettes d'amoureuses, — charme doux, charme qui rêve, mélancolie sentimentale de roses qui s'effeuillent — parfois encore la plaine immense du steppe, avec l'immensité et la petite fleur bleue, qui tremble au bord du chemin — un tendre devenu sarcastique pour avoir vécu, pour ses ambitions et ses espoirs en allées en fumée, un chasseur amoureux des bruyères, des forêts, de la vie simple et calme des champs et soucieux malgré lui des obscures fermentations sociales qui menacent l'avenir; le lyrique exquis de courts poèmes en prose; l'inventeur unique de séductrices visions, s'effaçant dans un demi-songe, aperçues un instant dans le mysticisme d'un paradoxal amour, Tourgueneff, maître très doux, rêveur amer! Herzen — un volcan, avec des bouillonnements farouches, de grandes lueurs qui incendient et qui éclairent, rouges, une spontanéité et une chaleur de lave, l'impétuosité irrésistible d'un fleuve de feu destructeur et purifiant ! — opiniâtre révolté maudissant le vieux monde et écrivant, de l'autre rive, d'extraordinaires pamphlets, sur les événements éphémères, avec des aperçus de prophète, des regards audacieux lancés dans l'avenir redoutable, des résumés du passé : terrifiantes analogies de l'histoire, la plus hautaine et décisive négation du Progrès, de la Liberté et autres Chimères charme-resses des peuples! Seul il dit la situation, aux époques troubles de décadence, des artistes, des penseurs, des esprits supérieurs dominant le bétail humain qui va aux transformations sociales sous la fatale poussée de la vie, entre les barbares qui viennent avec "la justice et les civilisés qui se défendent avec l'oppression ! Tolstoï — le plus grand de tous peut-être, et de tous ceux de sa race et de tous ceux de son siècle, énorme, universel, merveilleusement équilibré comme ces synthétiques génies auxquels rien d'humain n'est étranger. Et tout lui appartient, les âmes et les paysages, l'arbre, le cheval, le moujik à la pensée brumeuse, jusqu'au ministre, jusqu'à la grande dame, toutes les âmes — et les âmes d'enfants et leur candeur aux impressions ineffaçables, et celles des jeunes filles aux délica-tesses^ingénues, les âmes des épouses et celles des soldats, — toutes et tout, et la guerre et la paix, et les effrayants paysages traversés de fumées et d'éclairs, avec les bombes qui sifflent, les villes affamées, les mêlées désordonnées, les blessés qui saignent et qui meurent, toute l'horreur tragique des combats, — aussi la vie insouciante et paisible des campagnes, des steppes sans fin, des forêts profondes du Caucase, et la modernité des cités populeuses, la vie, toute la vie, avec des notations inouïes de détails minutieux et décisifs, des psychologies jamais essayées : dessous étranges de caractères, inquiétudes confuses, rêveries tristes et douces comme des brouillards gris d'automne mélancolique. Et couronnant, une simplicité et une largeur d'évangile, un symbolisme d'apôtre et de voyant, un optimisme impossible fait de charité presque folle, éperdue devant le vice et le malheur! Dostoïevsky — gouffre noir, aux profondeurs d'abîme et rempli de vertiges, sombre, avec des éclairs brusques tombant dans cette nuit et illuminant des épaisseurs d'ombre insoupçonnées et ça et là, dans cette obscurité, des filets de sang rouge, qui goutte — œuvre de ténèbres et de clartés, de désespérés cauchemars et de réalité froidement féroce, rêve démesuré allant jusqu'au génie et jusqu'au crime, œuvre monstrueuse et sans nom! où se démène une humanité fantastique : les misérables fous de souffrance et résignés de la maison des morts, les écrasés d'humiliations et d'offenses, les assassins souverains, les possédés épiques, les courageux bravant la honte de la lâcheté, les intelligents qu'affolent l'ambition et la science, déchaînement des hystéries et des névroses, des démences et des épi-lepsies! Frénésie immense de l'orgueil ! Esprits inquiets et souterrains arrivant à cette conclusion formidable : la conscience : une maladie; et tous, ces gigantesques insensés, devenus tels à force de clairvoyance et de lucidité, désorbités tant ils s'élèvent au dessus du vulgaire, les aliénés sublimes. Tes livres, ô Dostoïevsky, tes livres douloureusement vocifèrent un réquisitoire acharné contre notre Raison et notre Infirmité ! Grands maîtres, très chers méconnus de la foule, très hauts sommets difficilement accessibles, et qui défierez dans les siècles la bêtise et l'envie, tous, vous vous penchez, avec une singulière sympathie, vers le moujik, vers l'humanité la plus rudimentaire et concluez ainsi, dans une philosophie unanime de tristesse, au néant de vivre par le néant de penser ! Maîtres amers, devant qui j'incline avec ferveur mon hommage chétif, vous m'avez conquis par ce capiteux breuvage de désespérance dont vous enivrez vos élus ! Pour Monsieur Charles Destrée. 31 ...La mer, au loin... La danse et le combat des vagues, sans fin... Et couché sur la dune, dans les herbes grêles-d'un vert délicat et pâli, je regarde la plage déserte et nue, le sablé que lé' vent moire de frissons clairs, la fureur apaisée des flots qui se viennent rouler contre la Terre, avec majesté, avec volupté et la mordre d'un long baiser d'écume blanche, puis sans fin f la danse et le combat dés vagues, la mer, au loin... Comme une aile de mouette^ une voile, ou la fumée d'un steamer comme un nuage plus noir : seuls rappels fuyants de l'homme infime dans l'étendue formidable. En la zone dorée où l'eau plus verte étincelle et miroite, le soleil s'étale et quand il se cache, une grande tache sombre semble courir sur la mer. L'œil s'effare devant l'innombrable succession de-ifurtives blancheurs monotonément balancées, qui pâlies, confondues, fà • peine s'aper-çoivent à l'horizon en une i ligne, grise. Lànbas, îleciel indécis se courbe vers l'onde et la rejoint édifiant une gigantesque coupole. Extraordinaire temple 0^1 s'enfle. ri4-n grondement continu : chant d'orgues solennelles, soupirs et murmures, râles qui menacent et qui se plaignent, la grande Voix' pleine dfobscures voix ! Longtemps ainsi bercé, je demeuré,1 presque fervent et religieux, conscient detre, devant un maître voilé, imperceptible comme le grain de sable emporté dans lar brise salée. Je demeure et je contemple, ce mouvement sans fin dans cette immensité, la mer! • ' r ...La mort du jour. Le soleil descendait dans la mer. Un étrange soleil livide et violâtre ainsi qu'une face d'étranglé. Et ce fut un fantastique et bizarre adieu de la lumière : au bout de l'horizon pesait sur l'astre déclinant un lourd nuage noir sous lequel saignait et brillait une large mare de pourpre, comme le meurtre d'un dieu, ^:,dont Les bords supérieurs étaient incendiés de flammes jaunes, aigrettes et houppes d'or d'une merveilleuse splendeur. Il y eut quelques soudaines fusées rougeâtreSj un suprême flamboiement orangé et le soleil disparut avec sérénité derrière l'infini bercement des vagues calmes. Et brusquement tout changea. S'apaisa la violence fastueuse de l'illumination rouge et or, se transforma soudain et de singulières clartés répandirent dans l'espace leurs charmes perfides. L'azur du ciel, resté très pur, où setageaient mollement de paresseuses vapeurs, se mêla de jaunes troubles et devint insensiblement d'un vert clair, surprenant, un vert doux et pâle comme les herbes tristes de la dune, un vert ra- dieux et tendre comme certains clairs ; | „ de lune dans les bois, un vert irréel glauque comme une lumière d rium et la mer immobile, étincelante comme une immense plaque de métal, reflétait la troublante fantaisie du ciel fou'. Concert imprévu et pervers de nuances insaisissables et séductrices, » • insensées et délicieusement fausses, artificielles recherches d'un poète exaspéré, triomphe morbide, tons de pourriture et de cuivre, et de poison, tons inquiétants et mau vais qui, par de subtiles correspon dances, induisaient l'esprit en de mon strueuses pensées. Puis, tout à l'enchantement coupable s'obscurcit, vint l'ombre et la nuit; et, dans le noir on n'entendit plus que le grand r sement .de la mer, la grande voix pleine de voix obscures, conseillères, ce soir là, de désirs dépravés et d'actions infâmes... Au retour, quand la nuit descendue eut enveloppé de son calme et de son mystère les horizons flancs ét les chemins déserts, nous traversâmes le pau- t vre cimetière où ceux qu'a dédaignés la tempête, gisent. Dans un pli de la diine, l'enclos funèbre et silencieux. Le feuillage froid' de quelques arbres toujours verts, rabougris et courbés par le vent des toyrmentes. Les tombes bossèlent le sable et régulièrement ondulent comme des flots et de chétives croix dressent leurs bras ou frissonnent des bouquets fanés et des couronnes misérables. Du haut des cieux ruissellent les pleurs bleus de la lune, et dans cette sereine clarté de paix triste, les feuilles des arbres ont tressailli, des ferrures ont grincé, des branches sèches .craquent- et dans les taillis, au loin, il semble que se lèvent des ombres. Au milieu de l'allée principale, un grand Christ, grossièrement sculpté, se tord en une suprême souffrance, étendant son large geste, de pardon, son geste symbolique et rédempteur sur les morts. Et là-bas, berçant incessamment l'éternelle agonie > o du crucifié, hurle la mer, le cimetière énorme aux tombes anonymes sans souvenirs et sans Dieu, gronde le rhythme tragique dès naufrages, la grande voix pleine de voix obscures, de sanglots et de pleurs... ^i-srb Hu^lci YYm') aèïd-M} asL.^iioaî .kol ^sq v«iî>vôl\o'' ---- I •Les sinistres bois de justice se dressent dans l'aurore blafarde. Autour de la large place, les maisons régulières dorment dun sommeil attristé et, de la grande ville, perdue là-bas, dans le brouillard glacé, ne monte que du silence lourd. Ici, sous les épingles fines de la pluie, — des chants, des rires sonores, des chuchotements de causeries et des appels, une rumeur Pour Monsieur Edmond Picard. — Voici l'heure des épées sanglantes tueuses d'hommes. Eschyle. (Eumenides). ...d'épouvantables planches contenant tous les supplices que la folie des religions a inventés... J.-K. Huvsmans. (A Rebours). joyeuse de foule impatiente. Dans le brouillard jaune s'aperçoivent comme des vagues, des milliers de faces humaines, hâves et pâles en ce demi-jour, aux yeux allumés de curiosité mauvaise; et çà et là, la symétrie de soldats graves réprimant les poussées, la silhouette fière des gendarmes à cheval, 1 etincellement furtif de sabres au clair. Aux fenêtres, des filles en d'insolentes toilettes ont des rires aigus comme sous les chatouilles, et sur les réverbères et les toits ricane l'espièglerie gouailleuse des gamins. Lamentable cohue de faibles et de souffrants, de nerveux et de misérables, de viveurs éreintés et de pauvres en loques qu'une fête trop rare assemble en une allégresse commune : accourez, les femmes ; accourez les enfants, et vous tous pour qui la vie est pénible et pleine de larmes,voici pour vous distraire et vous consoler, les larmes et le sang d'un homme, le frisson éperdu de la chair devant l'épreuve prochaine, venez tous : c'est si doux de voir mourir! Non, ni les félicités innombrables de l'or, ni les suprêmes pâmoisons des baisers fiévreux, rien ne vous donnera ce plaisir ineffable,. cetÇe ivresse de l'âme épanouie, cette délectation intime et confuse : c'est si doux de voir mourir! — Attrait fatal de l'horreur qui toujours, et dans toutes les nations de la terre, rassembla la plèbe avide autour des bûchers, des gibets çt\/ des échafauds, étrange volupté de la souf- France humaine dans les cirques gigantesques, comblés de Spectateurs enthousiastes, où succombaient, sans tm cri de pitié, les gladiateurs héroïques, où les bêtës déchiraient les martyrs aux: applaudissements frénétiques de ' , t. . . • r v (r la multitude'tfâTlsportée; inavouable et mystérieuse jouissà'ri^ë qui fît accepter aux pôpulâtions Satisfaites, sans ré-volteè ni colères, les autodafés tragi- r * n • r ques et les'exécutions implacables, qui, aùx temps actuels est la raison secrète ■ dë1 la formidable ^ui'ssâ)]lîté?e des journaux,' ^conteurs de cataclysmes et de méfaits^est'si doux voir mourir! jb ènoiJtjcn gpf SQIjjoï grmL te (8IJJO[UQJ - rjr, obi'/r 'jd'jlq Itidmu^/n ott?*1 j;l - Vblupte ^on^rueùsë dé la Dou-le'ur! Mybtëtë'des cruautés insatiables qui; dans tous les cultes, offrit des sacrifices et de^ insolations délectables aux c(ieux farouches ! Instinct dominateur qui, pousse lçs peuples dans les désastres épouvantables de la guerre : oh! les exterminations impitoyables de tribus entières dont les, têtes coupées s'entassent aux pieds du trône des vainqueurs en funèbres monce^.t$j .... ç^jjges!... I^es massacre^^ujnultuqux dans les villes prises d'assaut, les égorge m en ts dans les rues, 1/^s ttye%s sauves d'enfants et,:de vieillards,. viols de femmes, et le pillage et le carnage en les cités qu'empourpre l'embrasement des palais en feu ! Les incendies flambant dans les soirs, contés aux populations par les nuées qui passent comme de grands .oiseaux de flamme et de menace, les incendies avec les clameurs dès brûlés et le fracas des riiurs qui s'effondrent, les églises pleines de vaincus réfugiés sous la vaine protection des images saintes, les tocsins de désespoir, les cris d'agonie, les blasphèmes et les râles, les chutes affreuses d'affolés, dans les lueurs ensanglantées ! Délices des batailles et des combats t r • r r ; r sans merci, quand les armées s'entrechoquent et se confondent, les guerriers navrés en cette mêlée impétueuse t . rr • r . 1 [- , f \ où les bras sans trêve s'abaissent et se relèvent pour des coups irréparables, les blessés piétinés sous les galops des chevaux, les soldats couchés comme des blés sous l'orage, et le tonnerre des canons qui grondent, lés balles qui sifflent, les trompettes exaspérées, les hurlements des moribonds inexaucés! — Affolante odeur de la poudre, ivresse exquise de frapper, de tuer, de plonger l'acier rouge dans des chairs qui palpitent et qui fument, au milieu du vacarme et des éclairs, vertige étonnant des combats! Délices des poursuites continuées sur les rivières, des luttes navales! Les mains cramponnées aux barques et coupées, les nageurs épuisés, enfoncés à coups de pique, les convulsions suprêmes des naufragés que la vague étouffe et qu'elle entraîne, ils reviendront flottants plus tard, noyés verts! Et, délices plus savoureuses encore, après les guerres merveilleuses, les pestes et les famines! — Les pestes qui terrifient lesjiations, frappent soudain en pleine insouciance et font pourrir les malades avant de les emporter, qui. conduisent à travers les peuples muets de longs convois de cadavres noirs et les famines où l'on voit aux visages blêmes dévorer les bêtes immondes, brouter be et la terre, et s'en aller, les nuits, l'œil hagard et la faim au ventre ir les cimetières de leurs mains décharnées à la recherche de morts récents pour d'abominables repas! Il'JWl) 0*f:j;0t£> 3fJT)£Y fif OUI) ?/J-o 1 o ■ 'x '"' & sufq aîrrGJJoft iaoïfepdiyai sii .ufiîsiJns loi 13V 2è)(Ofi Jrmî C'est si bon de voir mourir!' — Mais bien faire souffrir es_t meilleur! Retenez, retenez cette vie qui s'échappe et guérissez pour de nouvelles tortures. La guerre est trop simple et belle seulement par sa grandeur! Trop vite ils s'en vont dans l'Inconnu, clans l'irrévocable repos, tous ces guerriers et ces capitaines; que de précieuses jouissances perdues en ces trop expéditives hécatombes! La douleur lente, la dou- • leur minutieuse, la douleur centuplée! à l'affreuse Agonie de la Croix, il a fallu le coup de lance et l'éponge de fiel ! — Si l'on savait tout ce que peut endurer la chair avant le trépas... Et les hommes avec une sagacité prudente placèrent l'assouvissement de leurs désirs sous la sauvegarde des choses sacrées : la Religion, la Justice, et désormais il fut possible, au hom de Diéit, au nom de la Loi, de se griser, avec l'universelle approbation et la conscience calme, de l'inavouable volupté! Recherches subtiles, raffinements , complications savantes : partout la sensation, partout la douleur possible, infiniment! Vous les yeux qu'éblouit la splendeur des soleils, serez transpercés d'aiguilles téné-brantes; et les yeux las qu'attire la douceur du sommeil, resteront grand ouverts, inexorablement brûlés, gon-, pleurant sous l'éclat des lumières s relâche avivées ; et les yeux fiers les beaux yeux des vierges au doux regard seront arrachés des orbites saignantes; vous, la langue aux pa-suaves, serez jetée aux chiens affamés qui hurleront vers le sang coulant de la bouche ! Vous les mains, les mains tendres pour les caresses, les mains énergiques pour l'action, vous serez meurtries et broyées dans des étaux de fer, et, sous les ongles, de longs éclats de bois seront enfoncés et ruisselleront de gouttes vermeilles! Vous les membres agiles et forts, serez sur la roue rompus par de pesantes masses, et les os brisés, les chairs pantelantes, le supplicié suppliera vainement de mourir! Vous serez écartelé par le redressement de deux arbres courbés, par les secousses lentes des bourreaux dont l'effort vous déchirera, ou accrochés à la queue d'un cheval emporté, vous irez bondissant par les forêts et les plaines, laissant aux buissons et aux pierres des lambeaux rouges ! Et les flamboiements superbes des bûchers!... Les esclaves enduits de poix allumés comme des torches, dans les nuits triomphales des Césars, les bains dans l'huile bouillante, le plomb fondu versé dans les oreilles, les criminels précipités dans la fournaise ou enfermés dans des bêtes de bronze, les casques ardents enfoncés sur la tête, et les brasiers où successivement les membres sont consumés pour d'impossibles aveux, les grils où rissolent des martyrs surveillés pour un tourment prolongé, les fers incandescents marquant d'empreintes infâmes, les fouets aux chaînes garnies de clous brûlants... Volupté démente des patients expirant avec des contorsions lamentables dans la fumée des bûchers à petit feu, des autodafés grandioses vers lesquels, sous les risées de la foule, processionnent les victimes, en habits grotesques, le cierge à la lueur pâle en main! oh! les flamboiements superbes des bûchers et l'odeur fade, l'odeur écœurante et chère aux narines humaines, des poils roussis, des chairs rôties et grésillantes sous les langues de flamme! Pas un siècle, pas une année de l'histoire n'est pure de sang versé. Sans cesse, après les vieilles tortures s'invente un supplice nouveau, progression indéfinie et incroyablement variée de l'horreur ! Ce temps lapide ou crible de flèches, cet autre empale ou enterre vif; et toujours ce sont les abominations des gênes sans espoir! les con- vulsions et les vomissements des empoisonnés qui se tordent en des affres terribles, des pendaisons avec des poids énormes et calculés aux jambes, des mutilations effroyables, des os minutieusement limés, des corps que l'on scie entre deux planches, des intestins hors du ventre béant et frémissant que l'on enroule sur un treuil, et la question par l'eau intarissablement coulée dans le gosier ou tombant par gouttes rythmées sur le crâne nu! Toutes les afflictions lentes et combinées : la faim près des fenêtres des cuisines, les cheveux arrachés un à un avec une sensuelle patience et des écorchés enduits d'un miel mince exposés aux insectes ! — Les prisons ! voûtes lugubres où le tortionnaire sous le mas- que, loin du public et du bruit, pouvait à l'aise savourer sa jouissance impartagée, et les geôles sordides et les cages de fer, les cachots où, dans l'ombre, des bêtes inconnues, avec une odeur d'excrément, couraient sur les plaies, mourissoirs infects rêvés dans un délire de cruauté... Et le vieux graveur fervent, dans son angoisse éperdue, s'inquiète et n'ose croire qu'au jour du solennel jugement, le Dieu obscur et formidable qui permit ces choses, pourra pardonner à l'Homme, en faveur de cet incommensurable poids de douleurs amassées dans les siècles, l'énormité de ses voluptés féroces ! D'après les estampes de Jan Luyken. Jifivwoq ,Jimd uu te oilduq uh niol .*'.»xip -ifjqmï tonjsgsirroj ïarjovjjv.-aeitfï é asi" te "'aobilirof» «si -te ?,nrJ> . ,ûo aîorfà&'j . ;al A >..... ;. . ami j3YK; t33£jn>!07fi! aôrxî aj>f:> » k <1 no'f ôaf -ti'i înaijriWGO jnafnà'-': 2fî£br33vj-f zfàqfati erHcfé^aomt-iBàiillq : ...à-hiniro vf. b tw vzb .îriaviai wa'/mp »■•/ al- ïr\ la aMwpnr-i lauhiaqa 9-;?io$irtc (oh iDlinafoid I.rb :fJO( IJ.Sî'up 37=io".H. ■1er'-: jMiîbifmoï Jq iundo uaiCI ai .^lorrr.»-;:?. i -'i-q ;r/>uoq . ■ 3:f' • : .■ iii.11 ' in , ïyj ab.iijavs1; na ;àirimoH'l wvmrsmb swalr;::. . n ?,bfoq aiefetiieffâriaiîfHCKrfîi àwononà'i ,cQloùiz gfpgfô m&zèmtm î, l-eaacnàï Pèlqwlov.- aa* ah tftHôffWj^y?6- ; ^i'id-KÎ ftâfrfîO >000?. -fifg f. ,?.9ï'fffIOP 8UO) ^OTfohoîff 8ri.6h riofiirni; zufozôi ta eotd -£q ognoi zuovor1' aob .irronr./ b-no- ','( ; r r r f r i . r • .flic ''•). :îD'I j.''» f » i «r* ' 801 £ g i J9*l v ■ ~ j ...et personne ne pouvait apprendre le cantique que ceux qui ont été rachetés d'entre ceux de la terre. * Saint Jean. [Apocalypse.) ) 85 b .'ro'- ob "Wîir. inojjoft A Bruges, en une chapelle que je n'y ai jamais vue et que je sais même ne point y être, mais c'est à Bruges, nécessairement. Une étrange chapelle : gothique et pourtant semblable à un « crypte, avec des fenêtres rondes comme des soupiraux de cave, toute petite et d'une disposition bizarre, avec . des angles brusques et des recoins pleins d'ombre, et cependant remplie de monde, une foule énorme, aperçue ici, soupçonnée là-bas; des vêtements modernes, tous sombres, mais de glabres et résolus visages, amincis dans l'encadrement des cheveux longs, pareils à des Flamands de siècles lointains. Et l'encens monte, des fumées bleues et grises, qui hésitent et qui flottent autour de l'or des cierges, s'accumulent sous la voûte; de faibles lumières scintillent sur l'huile des vases sacrés, griffant par secondes d'un rayon incertain les dorures de l'autel, des autels. Car, se disent à la fois plusieîirs messes, psalmodie multiple qui bourdonne dans la chapelle recueillie et silencieuse, et qu'interrompent de temps en temps de larges chants liturgiques, harmonies montant avec l'encens dans l'air chargé de prières. Oh! ces prières, que l'on sent autour de soi, chaudes, profondes, passionnées dans cette communion de ferveurs! Aux murs, de.merveilleuses boiseries, des gerbes de fleurs et des enlacements impétueux! de iianer en vieux chêne; des clochetons et des tourelles ajourées, toutes brunes et noires, si vieilles! Vers le milieu, dans une stalle surélevée comme une chaire, la somptuosité triomphale d'une théorie de prêtres, de vieux moines aux chéveux blancs, des enfants de chœur aux têtes d'ange en des surplis de tulle sur des robes rouges, tous à genoux, v dans la stalle et sur lès gradins de l'escalier, murmurant, courbés, toutes les messes psalmodiées autour d'eux et priant pour toutes les prières du peu- pie agenouillé. Les étoffes sacerdotales ont des plis raides et solennels, les couleurs splendides s'apaisent dans la clarté confuse et c'est ainsi, en ce décor, ces figures austères et calmes la sérénité de leur Foi, comme une inoubliable vision de gothiques tableaux inconnus. < - » » if rfifcO ■ : A U". .pi ■ 10 / ; rlDli.;0IV 13 ,3Sïlpiï Près de l'un des autels, sur la tablette de marbre noir, issu du sanctuaire où normalement il est caché, un extraordinaire Christ : le buste seulement, de grandeur naturelle. Une draperie injectée de pierreries voile les épaules et le cou. D'argent, le chef entier. Et dans cette tête polie, brillante et pâle, ces joues rondes et lisses que frôlent les furtives lueurs de la chapelle, cette bouche mystérieuse aux froides et muettes lèvres de métal, ces yeux sans regards luisants et blancs, ces yeux de statue impassible, en ce chef d'argent, apparaît peu à peu une expression divine de charité et de douleur : « A moi les affligés, venez à moi de tous le plus affligé, pour être consolés par ma souffrance ! » Sur cette tête des cheveux épars, semblables à de l'étoupe soyeuse, de longues mèches étonnantes, douloureusement tordues et dont le désordre encadre d'effrayante façon l'ovale impénétrable et rigide. Et l'on y voit des épines, des épines perçantes et croisées comme des poignards, et des • \ taches noires comme du sang coagulé. Trois vieux prêtres aux traits ravagés de ravines et de rides, au front plissé dans le souci des veilles prolongées et des méditations, très vieux et très vertueux — et aussi trois enfants au visage rond et joyeux, au regard libre et charmé de ceux qui ignorent la réflexion, très jeunes et très innocents — et enfin le septième, timide et hagard dans sa pourpre, le plus misérable et le plus ignoble des hommes de la ville, le plus sali de honte, chargé de forfaits et de crimes qui se pût trouver, choisi pour l'inespéré pardon et la rédemption prochaine, se donnent la main autour du chef miraculeux. Par instants, avec une émotion indicible et un respect tremblant, ils peignent avec des peignes d'argent les cheveux du Christ. Et ils chantonnent alors sur un rythme lent une pauvre et ridicule chanson du passé où reviennent de puériles paroles. Dans le silence, brusquement épandu, la vieille chanson falote aux vocables naïfs comme des bégaiements, s'élève, révélatrice de l'âme d'un peuple, symbole obscur de ses destinées et de ses espoirs, avec l'encens, les prières et les bénédictions, la vieille chanson aux sens voilés et perdus depuis des siècles que la tradition l'a transmise. Ils la murmurent en frissonnant, éperdus dans un rêve fou de sanctification, qu'ils ne comprennent point, les prêtres de leurs voix graves et chevrotantes, les enfants chantant clair, cristal frais et pur dans le fascinateur concert, et l'assassin osant à peine expirer du bout des lèvres les mots prodigieux qui. lui mettent des larmes aux yeux et de la clarté dans son cœur sombre. Oh ! cette incantation de très ancienne légende, cette mélopée surhumaine et mystique venue de lointains inconnus, de trop lointains là-basî... Pour Monsieur Iwan Gilkin. — Dans les sonores harmonies des vagues de parfums, dans l'haleine infinie de l ame universelle, se perdre, s'abîmer sans conscience, suprême volupté. R. Wagner. ITristan et Yseult.) I Tayaut! La chasse va vite dans la forêt! La bête éperdue fuit au travers des taillis et des fourrés, toujours tout droit, sans rien voir, avec une vertigineuse vélocité parmi les sapins et les chênes, au dessus des fossés et des mares, l'imminence du péril croissant fait fuir la douce bête éperdue. Et derrière elle, sonne sur la terre le galop des chasseurs, bruit sourd et saccadé qui s'approche, s'enfle en tourmente dans un grand fracas de branches cassées et de feuilles foulées, et des cris de mort, des hurlements, d'affreux blasphèmes en cette furie, des imprécations et des menaces et dans la nuit, les éclairs bleus des armes et les chevelures rouges des torches! Tayaut ! la chasse va vite par la forêt ! Aux lueurs rouges des torches, c'est un précieux gibier que poursuivent d'étranges chasseurs : « La bête éperdue, c'est moi, l'enfant royal, qui cours avec une extraordinaire vélocité parmi les sapins et les chênes. Et pourquoi dois-je fuir ainsi, ô mon Dieu! Tantôt dans mon palais, alors que j'admirais mes oiseaux rares — oh ! les jolis tres-sautements d'ailes en la vasque d'argent remplie d'eau — mes ministres sont venus, mes insupportables ministres, blêmes, si blêmes que je les ai presque aimés en ce moment là. L'émeute, ont-ils dit... L'émeute? Puis du sang, oh! mon cœur défaille... » Et il court, avec une rapidité fantastique le petit prince, il court... ■ . . •■):••' 'i , ? ! ' > j l rrrr : : Tayaut! la chasse va vite par la forêt ! -,C.V.. ,„i —.!• . irr», 1 ' ' ..... ' l» ('- " |JJ"' « Mon cœur défaille... que sais-je moi, si le peuple souffre et s'il a faim? Quand, par hasard je parcourais les rues de ma ville, je n'ai jamais entendu que des vivats et des applaudissements, Ils ne m'ont rien demandé, jamais, et les mères m'ont présenté leurs nouveau-nés aux joues roses pour les voir bénir et je les ai bénis ! Que leur ai-je fait, à ceux-là qui me poursuivent? Leur ai-je pris les vers radieux des poètes, les chansons exquises des musiciens, le babil et le plumage des oiseaux!... Et qu'ils sont laids, ceux que j'ai vus! Atroces figures, hâves, décharnées, aux yeux qui luisent comme ceux des bêtes, ils ont passé tantôt dans mon palais, cassant les statues, déchirant les étoffes splen-dides et dans leur fureur, au milieu des meubles renversés, du sang!... Il a fallu fuir... » Et il court, il court toujours, le petit prince, les branches lui déchirent la figure et ses pieds frêles sàignent sur les feuilles mortes et les pierres... 3. ; . - , •■:> , ,£> : I : fôrç idO .■■ -ïrh-ioi Tayaut! la chasse va vite dans la forêt! « Il a fallu fuir. Pourquoi fuir ? J'aurais voulu les attendre, leur montrent courage d'un roi. Mais je n'ai pu : ils sont trop laids, si laids qu'ils m'épouvantent. Ils ont des faulx, des haches, des marteaux et d'ignobles étendards. J'ai peur. Oh! mes oiseaux! mes chants et mes poètes! J'ai peur... » Et toujours il entend derrière lui, le petit prince, sonner sur la terre le galop des chasseurs, et son pàuvre cœur tressaute aussi dans sa poitrine, et derrière lui l'émeute gronde, pleine de menaces et de blasphèmes; dans la nuit étincellent les éclairs bleus des armes et les chevelures rouges des torches. « Oh! mes , oiseaux, mes poètes et mes chants! Il a fallu vous quitter dans ce désastre immense, et seul, mechapper, seul. Un peu d'eau, un peu de repos, grâce! Mes jambes chancellent et j'étouffe, des pensées" de folie tourbillonnent dans ma tête... » Il a trébuché le petit prince et faibli, mais l'imminence du péril lui rend des forces,;'et il repart, affolé... t. , ,."5L XI î-p.'i ;cfOtjOf] tf! 'iO <• :lïT-L'.) Tâyaut! la chasse va vite dans la forêt! « J'ai couru à travers la ville, j'ai couru à travers les: champs. J'ai ren^ contré des femmes qui ont vu mes yeux en pleurs et mes pieds meurtris; j'ai rencontré des jeunes filles qui ont vu mes cheveux blonds arrachés par les branches et ma bouche altérée. Nul n'a prononcé pour moi un mot de pitié ou d'amour! Devant mes pas, les portes se sont fermées et les habitants sont sortis de leurs demeures pour se joindre à la meute qui aboyé après moi ! Auront-ils donc moins faim quand ils m'auront tué! Tayaut! la chasse va vite dans la forêt! L'eau noire, en secoulant, frissonne horriblement dans l'ombre. Il est arrivé, cheveux au vent, la tête en feu, les jambes défaillantes, il est arrivé, le petit prince, jusqu'au fond du temple. Les portes étaient ouvertes et les prêtres avaient fui ; son pas a sonné dans la solitude des salles abandonnées; il s'est incliné devant l'image des dieux qu'il a coutume de venir prier; et allant plus loin toujours, il est entré dans l'enceinte sacrée où jamais il n'avait osé pénétrer. Les prêtres très vieux, initiés par de longues études et de terribles méditations, en connaissent seuls le mystère et c'est la mort pour tout fidèle qui en franchit le seuil redouté. La salle est obscure et sinistre. L'eau noire, en s'écoulant, frissonne horriblement dans l'ombre. La salle est obscure et sinistre, ses murs démesurés, montant droit sans un angle, sans une frise, sans nul détail qui vienne interrompre la rigidité de leurs lignes, se devinent dans l'ombre, augmentant l'immensité de toute leur indécision. Le dallage est, comme les murs, de marbre noir lisse et poli, sans urte tache, sans un ornement et si bien scellé qu'on le dirait d'un bloc. L'énorme caveau s'éclaire vaguement d'une lumière douteuse, on ne sait d'où venue. Il a refermé d'un dernier effort, le petit prince, il a refermé les lourdes portes de bronze verdâtre dont les battants se sont rejoints avec une clameur lugubre et qui vibrent et résonnent comme un gong... L'eau noire, en s'écoulant, frissonne horriblement dans l'ombre. Les portes de bronze vibrent longuement;... et maintenant qu'il est en sûreté, loin de ses ennemis rugissants, il a plus peur encore, le petit prince, et se sent envahi d'un trouble singulier. Il a fait quelques pas dans la salle régulière et vaste et a regardé autour de lui. Le silence, après tout ce tumulte, l'oppresse. Partout ses regards ont glissé sur le marbre poli, noir; au milieu du dallage s'ouvre un trou carré, béant, plein de nuit. A des profondeurs indéterminables, il semble que l'ombre bouge et s'éclaire parfois d'écaillés de lumière. Dans le silence il perçoit comme un frémissement, et il croit sentir, comme un battement d'ailes, une vague fraîcheur lui caresser le visage. L'eau noire, en s'écoulant, frissonne horriblement dans l'ombre. La fraîcheur lui caresse le visage, et il a frémi, le petit prince. Il a plus peur encore affreusement de cette eau sacrée, qui coule toujours, venant de l'inconnu, allant vers l'inconnu, et très vite, et toujours pleine de mystère et d'angoisse. Il ne sait pourquoi il tremble à présent, mais jamais pareille épouvante, mêlée d'inexplicable charme, n'a étreint son âme. Et l'eau l'attire irrésistiblement. Il ne saurait plus fuir, il. s'est couché sur le bord, sa tête s'est penchée vers l'onde religieuse,, et ses yeux bleus qui rêvent et qui brillent de larmes, ses cheveux blonds épars en mèches longues, ses joues pâles, ses lèvres rouges et fines que plisse un sourire énigmatiquement triste, . son col délicat d'enfant royal, il se revoit comme le portrait pâli d'un frère et il s'imagine que le flot s'est arrêté pour refléter en la caressant sa pauvre figure désespérée... L'eau noire, en s'écoulant, frissonne horriblement dans l'ombre. Face de prince pâle sur l'eau noire qui s'écoule... Il entend, le petit prince, des rumeurs et des chuchotements, presque des voix, enchanteresses, peut-être perfides. Son trouble s'apaise et son esprit charmé ne regrette plus ses oiseaux et ses poètes, n'a plus de craintes pour le peuple ameuté ! Des voix frôlantes et douces comme jadis le baiser de sa mère sur son front, comme le regard d'une jeune fille qu'il aurait aimée... murmures qui célèbrent la douceur de l'anéantissement et de l'oubli ! Douceur de l'abandon des misères humaines, du bon sommeil sans rêves,, sans fin; douceur de ne plus connaître jamais l'amer souvenir du passé, l'ennui lourd du présent, l'effroi de la venir! De s'en aller dans la nuit, dans l'inconnu, sans pensée et sans désir, de s'évanouir dans l'eau consolatrice et berceuse, de se dissoudre insensiblement, de ne plus vivre que comme un frisson, comme un scintillement de lumière, comme un imperceptible mouvement dans l'immense nature, ineffable douceur de ne plus être... L'eau noire, en secoulant, frissonne horriblement dans l'ombre... » \ M ...The silent arachnes that weawe unrestingly in our imagination... Th. Carlyle. (Sartor resartus.) Heures exquises et vagues où le Rêve, ce mystère, emplit et berce l'âme î I 1 & 4 8 •É i images, tel un vol d'oiseaux impatients; et la Raison n'en arrête pas de suite de sa surveillance détestée, l'essor fol! oh! les songes sans limite, les beaux songes qui vibrent comme des musiques, s'illuminent de surprenante lumière : enchantement des choses enfin délivrées de logique! Heures exquises et vagues de ces fins de journée quand défaille le corps fatigué, quand l'esprit lassé s'engourdit gonflé d'images et d'idées, lorsque la • sensation précise par degrés s'efface, la toujours pénible sensation du monde inévitable et mauvais, quand imperceptiblement tout devient trouble, indécis et fantasque comme le caprice de pétales emportés dans le vent. Oh! les songes, les beaux songes aux charmes d'imprévu, exaltateurs comme des délires d'inspirés ! J'ai vu dans l'ombre de la vallée silencieuse, sous la pâle clarté de la lune, croître et se faner les grands lys de légende; j'ai vu, sur ma table de travail, ouvert, le livre chimérique aux poèmes merveilleux comme les étoiles du ciel; j'ai vu dans l'étrange chapelle, aux boiseries anciennes, la somptuosité triomphale des prêtres, la candeur des enfants et le trouble du criminel qui chantaient le cantique de la rédemption; j'ai vu ricaner les monstrueuses gargouilles de Deuil et de Péché en contemplant la nécessaire et monotone procession des âmes souillées; j'ai vu, dans le couchant splendide, l'art qui se mourait en des civilisations uniformisantes; j'ai vu dans l'horreur d'un rêve rouge les suppliciés hurler et se tordre en de minutieuses et délectables souffrances; j'ai vu les végétations de folie et d'artifice qui, comme des pensées mauvaises, s'épanouissaient vertigineusement au fond glauque de l'aquarium; j'ai prié vers la forêt douloureuse emplie de l'aboi des chiennes noires et où les harpies font des lamentations sur des arbres étranges; j'ai vu dans la nuit la brutale fureur de l'émeute épouvanter la fuite désespérée du petit prince : et dans la plainte du feu, dans la chanson de la pluie, dans le grondement de la mer, j'entendis les voix musiciennes, les voix mystérieuses qui le charmèrent, les voix conseillères d'anéantissement et d'oubli !... Heures exquises et vagues à l'aube et vers le soir, ils m'ont souvent hanté ces songes familiers et je les aime tant qu'ils reviendront encore. Mais toujours ils se sont enfui, et le réveil brusque et triste a surgi, quand j'ai voulu — vanité dérisoire — surprendre le secret de leur charme. Ma mémoire n'a pu garder que le souvenir précieux de leur beauté, mais rien de cette beauté'même. Ces radieuses chimères, queije ne pouvais retenir, m'ont chaque' fois laissé plus découragé et plus faible, avec le regret de'leur splendeur enfuie et le mépris insurmontable des choses d'ici, de la réalité banale et mauvaise; elles, les consolatrices, elles m'ont rendu plus amère l'amertume de vivre; aussi je les adore et les redoute comme une ivresse dangereuse, les heures exquises et vagues de l'aube et des fins de .journée, quand tourbillonnent les songeries comme des pétales emportés dans le vent. — Mais pourquoi faut-il, lorsque de telles visions nous sont données, pourquoi faut-il que toujours,et malgré nous, un misérable instinct d'artiste nous incite à saisir et à dominer le beau rêve, fier comme un Esprit, et à l'exiler amoindri dans nos œuvres, et à le livrer, l'ange alors déchu, à la foule imbécile : besogne absurde et impie payée aussi du meilleur de notre vie. Sommaire Frontispice (Chimère) par Odilon Redon Eau-forte (La Gouge) par Marie Danse Dessin (La Forêt des Suicidés) par Henry De Groux Ballade des Trains qui passent dans la Nuit. Les Gargouilles des Cathédrales vieilles. La Mort de F Art. Les Lys de Morteraine. Le Livre Chimérique. La Chanson du Carillon. Dans le Noir. Ballade de la Souffrance d'Écrire. La Peur. L'Inconnue. Ballade des Réverbères Mélancoliques. Fleurs de Gel. A une qui est au loin. Aquarium Dormir... Par la Pluie. La Plainte du Feu. Les Fumées. Humilité. Ballade des Grandes Affiches. Réflexions Confuses. Amsterdam. Pour célébrer les Russes. Devant la Mer. La Voluptueuse Cruauté. La Chapelle de Rédemption. Le Petit Prince. Rêveries. ■ - ■ - I m '■S. _ ^■i I ■ ■ ■