rr1 a. ^ a naïf (fa^CuiL MAX 1VALLER PRÉFACE DE CAMILLE LEMONNIER Lu critique d'art Quelque chose comme la fugue*. On prend un iC c'eSt-à-din*. un tableau, et on exécute les moti., variations du « Carnaval de V J. péla DA.N m ■Wx. BRUXELLES J. FINK, LIBRAIRE.ÉDITEUR . 1, passage de la monnaie, 1 1884 LE SALON DE BRUXELLES 1884 j MAX WALLER LE PREFACE DE CAMILLE LEMONNIER La critique d'art Quelque chose comme la fugue. On prend un motif, c'est-à-dire un tableau, et on exécute les variations du « Carnaval de Venise... » J. PÉLADAN BRUXELLES J. FINK, LIBRAIRE ÉDITEUR 1, passage de la monnaie, 1 1884 A GEORGES EEKHOUD LE RUDE ÉCRIVAIN. LE BRAVE AMI. M. PRÉFACE A part une douzaine d'œuvres, rien ne surnage aux impressions d'une visite au Salon. Je me trompe : il reste une mélancolie devant l'effort inutile d'une cinquantaine d'artistes estimables qui n'ont pas su toucher le but. Ceux-là sont les pèlerins toujours en marche d'un Chanaan qu'ils n'entrevoient que dans leurs rêves;- la plupart sont bien doués, ont de la volonté et du talent, et pourtant s'arrêtent à cette limite indécise de la possession de soi-même sans laquelle l'ouvrier tâtonne, hésite, bat le vide, en proie aux tortures de l'inconscience. A chaque Salon on les revoit, quelquefois en progrès, le plus souvent semblables à ce qu'ils ont toujours été, dans leur coup d'aile qui rase la terre et ne monte pas au ciel; et l'on passe en se disant : Qui sait, ce sera peut-être pour l'an prochain. Mais l'an prochain, c'est souvent, comme aujourd'hui, la sénilité qui paralyse le cerveau, la maladie qui plombe la main, 011 ne' sait quelles circonstances obscures et tristes desquelles l'œuvre d'art sort jugulée, morcelée, à bout de sève et d'haleine. Le Salon de 1884 sera appelé le Salon des mécomptes et des désillusions. Il n'en.pouvait être autrement dans un monde d'art désorganisé comme le nôtre, où de plus en plus la pratique de l'art vrai fait place à de basses questions de métier, où presque toujours l'artiste attrape au petit bonheur une quasi réussite qui le satisfait et dont se satisfait le public, où enfin les plus illustres.,-entraînés par la lâcheté universelle, condescendent à des exhibitions qui flattent le goût général pour l'œuvre facile, le morceau d'exécution, les prestiges superficiels d'un simple ragoût de tons. Les peintres sont devenus des marchands, uniquement préoccupés de l'acheteur; et celui-ci, par un juste retour, n'est le plus habituellement qu'un spéculateur pour qui le tableau représente une valeur mercantile, sujette aux hausses et aux baisses des marchés. L'Héroïsme, qui donnait aux devanciers la force de souffrir et la mort et la vie pour l'idée, ne met plus sa flamme au cœur des derniers venus ; la religion de l'art a fini par succomber sous l'effroyable besoin de jouir qui ravage notre trouble fin de siècle. Au lieu de vivre absorbé dans sa passion et son rêve, l'artiste a pris des habitudes nomades et mondaines, s'est résorbé dans un étalage de vie extérieure, et, comme un fabricant de bretelles quelconque, bâcle à la douzaine pour subvenir à ses goûts de dissipation. Il en est résulté ceci : c'est que l'œuvre d'art qui, chez les primitifs, les croyants, les sublimes entêtés, avait la sérénité hautaine des besognes accomplies dans le calme de la pensée, se ressent aujourd'hui des hâtes tourmentées de l'élaboration. La durable et sévère beauté des maîtres qui, en peignant, cherchaient à éveiller une émotion grave où se repercutait celle qu'ils avaient eux-mêmes éprouvée, s'est transmuée en une sorte de beauté du diable, fugitive et purement sensorielle, qui chatouille notre rétine et ne va pas remuer notre âme dans cette tour que les sens murent au-dessus d'elle. Ce que nous demandons au tableau, à la statue, aux différentes formes de l'art, c'est le chiffonné, la sensation capiteuse et pétillante, le joli amusement de la vie à fleur do peau, sans racines ni projections au tréfond de l'être ; c'est-la fantaisie et là gaieté d'un joujou d'art, bien plutôt que la pénétration du sentiment, la profondeur de l'observation, les magies tranquilles d'une exécution posée et réfléchie. A peine avons-nous gardé le sens du tableau, c'est-à-dire de l'œuvre équilibrée en toutes ses parties, complète en soi, avec ses combinaisons et son éloquence particulières ; les morceaux de virtuosité nous suffisent ; et dans notre dédain de toutes les qualités qui, anciennement, concouraient à l'expression de l'idéal artiste, nous' en sommes venus même à préférer des ébauches souvent grossières et la bête cuisine d'un maître-queux sans cervelle aux fruits de la méditation et de l'étude. L'œuvre d'art, petit à petit détournée de sa destination véritable, ne préside plus aux intimités de la maison, comme une personne vivante, de laquelle on prenait conseil et qui soutenait dans les moments difficiles de la vie : elle a pris la banalité d'un objet do luxe, mêlé à tous les autres, parmi les exhibitions de parvenus qui encombrent nos hôtels. Na turellement, les artistes s'en prennent au public de cet abaissement et de ce discrédit de l'art : ils ne veulent pas convenir qu'ils sont seuls coupables, puisque le public ne subit jamais que les impulsions qu'on lui communique. En fût-il autrement, d'ailleurs, ils n'en auraient pas moins commis la faute de l'avoir encouragé dans sa méconnaissance des tendances élevées par leur servilité à lui complaire jusqu'en ses perversions de goût. II La commission d'admission se serait, paraît-il, montrée intraitable pour les envois d'un artiste dissident, qui a beaucoup occupé la critique chaque fois qu'il a exposé. Peut-être l'extrême complaisance à l'égard de quelques centaines d'autres artistes n'a-t-elle eu d'autre but que de racheter cette inexplicable rigueur à l'endroit de M. Ensor. J'admets parfaitement, pour ma part, les parti pris d'école : l'art ne peut être pratiqué sans absolu ; et les pires des Salons sont les Salons éclectiques. Or, il s'est trouvé que le Salon de cette année est par excellence un Salon de tolérance ; toutes les prétendues sévérités de la commission n'ont abouti, en fin de compte, qu'à éliminer un artiste incomplet mais intéressant, en ouvrant toutes larges les portes à la tourbe des médiocrités. Le peintre à l'œil kaléïdoscopique a le droit de se féliciter des mépris de la commission. Voilà son art consacré par la proscription ; il est avéré dorénavant que ses toiles sont un danger public, comme le furent autrefois celles de Dubois, d'Artan, de Speekaert, etc., etc. Mais alors pourquoi avoir accepté Vogels et Toorop, dont il est le chef de file ? Il est malheureusement trop vrai que nous ne nous accorderons jamais sur l'esthétique officielle. L'œuvre d'art, pour les commissions, est celle qui ne sort pas des habitudes « salonnières, » dont les angles sont suffisamment limés pour s'emborter dans le tas de la production courante, qui a la somme de qualités d'atelier professées dans les écoles. Pour nous, au contraire, l'œuvre d'art n'existe qu'à la condition de révéler une émotion de l'artiste, un côté do sa personnalité, un état de sa cervelle et de son âme ; il faut qu'elle nous donne la sensation d'une optique imprévue et d'une perception différente des autres ; enfin elle a droit à notre attention si elle ébranle en nous l'être sensitif et pensant par une palpitation d'humanité, une vision de nature, une chaleur de vie surprise sur le fait et demeurée dans le travail de la main. La vie est la loi de l'œuvre d'art, non pas la vie dans la mesure d'une demi-réalité, mais dans la plénitude de son expansion. Or, la vie dans l'art procède tout à la fois d'une v pénétration profonde des particularités de la nature et d'une notation expressivement exacte. Il n'y a pas, dans toute l'immense Peste de Tournai de M. Louis Gallait, une figure qui tienne à côté de l'émouvante et simple personne^! Vétudie de M. Fantin-Latour. Le public qui a par moments des intuitions brusques, l'a bien senti, puisqu'il a fait au peintre loyal un succès qui dépasse tous les autres succès du Salon. Selon le mot de Socrate : — la forme doit raconter les actions de l'âme — l'enveloppe extérieure moule étroitement ici une conscience réfléchie et tranquille; jusqu'au procédé matériel s'est clarifié et simplifié au point qu'il en devient inanalysable, pour faire apparaître plus sûrement, comme à travers un clair miroir, la grâce et la lumière de la ressemblance morale. Je ne connais pas de plus belle leçon d'art que cette sereine et noble toile d'un artiste que les fièvres du jour n'ont pas touché. III Les grandes expositions générales ne révéleront jamais, d'ailleurs, que le désordre et la confusion de l'art : les manifestations « particularistes, » les seules intéressantes quand on veut formuler un jugement sur l'évolution intellectuelle d'un temps, s'y diluent dans un courant de basses médiocrités. Depuis longtemps les Salons de peinture n'existeraient plus si la profession sacrée do l'artiste n'était déchue à la condition d'une industrie soumise aux stimulants de la concurrence : tels que les ont faits l'affluence toujours croissante des exposants, la perversion de la notion de l'art dans les écoles de dessin et la dégradation de l'idéal chez les artistes, ce sont actuellement des marchés publics. Rien n'intéresse moins le véritable critique que ces vastes étalages si peu renseignants sur les directions définitives de Fart : sa sélection, en revanche, va aux petits groupes, aux collectivités de tendances, aux manifestations isolées, chez lesquels il est assuré de trouver, à travers les erreurs inséparables de toute recherche, les convictions et la bonne foi. Il arrivera sûrement un temps où les expositions partielles et libres prendront la place des Salons officiels. L'intérêt alors, au lieu de s'éparpiller parmi le moutonnement des plagiaires et des retapeurs en vieux, — bonnes gens qu'on se figure, des besicles au nez, dans des échopes fumeuses comme celles des savetiers de campagne, en train de se découper un pan de renommée dans la gloire des pourpoints abolis, — se localisera sur de petites familles d'artistes apparentés par la communion de l'effort et de la volonté. Déjà notre palais des Beaux-Arts a servi à cette mise en lumière des cousinages d'esprits : l'Essor, et plus particulièrement le Cercle des XX, ont révélé naguère le sourd travail d'une fabrication nouvelle, moins poncive et plus naturiste que l'autre. Quelques « jeunes » ont paru même, bien que timidement encore, comme au début de toutes les initiatives, apporter une part d'originalité flamande à l'expérimentation de la formule émanée des ateliers de Paris. Rappelez-vous les morceaux de pratique, (qui parfois étaient mieux que des morceaux,) de MM. Schlobach, Char-let, Van Rysselberghe et Van Strydonck. Plusieurs d'entre eux, malheureusement, ont cédé depuis à la tentation des horizons lointains. « Tout le monde a au bout de sa maison un petit ruisseau où' se réfléchit un petit paysage qui n'est qu'à soi : mais on aime mieux peindre les chênes des Alpes ou des Pyrénées. » Le mot est de Balzac, qui mettait ainsi le doigt sur une des plaies de l'art contemporain. Rien ne remplace l'accent de la vie qu'on vit tous les jours, ni la lumière d'un soleil plus chaud et souvent moins peintre que celui qui nous départit son pâle calorique, ni les supercheries d'une topographie autrement accidentée que la nôtre — a beau mentir qui vient de loin — ni les étrangetés séduisantes que la différence des climats amène dans les mœurs, la défroque et les coutumes. La grosse affaire dans l'art n'est pas d'explorer les Afriques centrales, mais le coin de pays où les circonstances nous ont fait naître. Hennebicq et Hubert, devenus peintres d'ethnographie pittoresque, ne me donnent aucune sensation nouvelle d'humanité ni de nature; ils auraient mieux fait, l'un, qui a longtemps habité Mons, de me raconter la parade du Doudou avec son entrain de gaîté populaire, l'autre, une grise moustache de capitaine, de s'en tenir à ses croquades de piottes, dans leur drôlerie pataude de nicodèmes ou de coquefredouilles. IV Un Salon, en fin de compte, n'est vraiment intéressant qu'à la condition de nous éclairer sur des vérités d'art encore inexpérimentées. Je connais de longue date Alfred Stevens et Henri De Braekeleer; ce sont des maîtres qui résument avec force des évolutions accomplies; mais ils n'ont rien à m'enseigner, ni sur eux-mêmes, ni sur les modes de sentir qui, après eux, nous entraîneront à des émotions nouvelles. Stevens, dans sa Marine bleue et ses Papillons, demeure le surprenant coloriste qu'il est réellement, un coloriste qui broierait des perles fines dans ses pâtes ; et De Braekeleer, avec un tison pris à la fournaise de Pieter de Hooghe et de Delftje Van der Meer, nous ensorcelle de ses incomparables alchimies de lumière. Ceux-là sont en dehors des agitations de la lutte; ils nous apparaissent presque dans une gloire; leurs erreurs même ne peuvent les diminuer. Et leurs noms ne sont pas les seuls parmi les admirations et les sympathies qui nous sont familières : Jan Stobbaerts, un rural poussé on plein terre, un flamand et peut-être le plus flamand do nos peintres, oui, même à côté de H. De Braekeleer, cet émule des prestigieux Hollandais, et de Alf. Verwée, ce Flamand parisianisé, étale sa superbe santé de tueur d'abattoir dans une incomparable Étable, subodorant la paille, le trèfle et la bouse à pleines touches — un morceau dans la pâte comme on n'en a plus fait depuis Joseph Stevens, ce très grand peintre encore ignoré de son temps, et tel qu'en peignaient les maîtres réalistes issus du plantureux giron des Flandres. A un degré au-dessous, mais déjà moins pur, avec une pose de peintre à manières et un vernis de virtuose, le susdit Verwée, un fler coq malgré ses ficelles d'atelier ! allume de flambées de palette un bétail vêtu de velours et de satin, somptueuses viandes qui seraient primées à tous les jurys depeintreset ne le seraient peut-être pas par un jury de bouchers. Constant Meunier, avec un reverdissement d'artiste toujours jeune, dont la sève coule à larges flots dans son œuvre chaque jour accru, sculpte plus encore qu'il ne peint les frustes cariatides de cette farouche grisaille, le Creuset brisé. Marie Collart, cette exquise buco-liaste, retrouve dans deux au moins de ses toiles, le génie de poésie virgilienne qui l'égale parfois à Hobbema. L. Speekaert, dans son Fils -prodigue, une simple académie, mais montée à la chaleur du sang, donne la sensation des beaux nus anciens pétris avec de la lumière. Eugène Smits, inégal et pourtant toujours charmeur, réveille le souvenir des magies véronésiennes. J'en passe, et des meilleurs, sur le compte desquels la méprise n'est plus possible et qui arborent avec fierté des épaulettes gagnées à la bataille. Mais quelque reconfort qu'il y ait à se reposer parmi les certitudes d'un art arrivé à maturité, les jeunes surtout nous attirent : c'est vers eux, en effet, qu'il faut aller pour scruter les inquiétudes et les tourments des formules qui s'élaborent. Par malheur, à quelques exceptions près (Mayné notamment), aucune lumière ne nous vient aujourd'hui de cette jeunesse qui cependant porte en elle l'avenir. Plusieurs manquent-à l'appel, et parmi ceux qui sont présents, les uns marquent le pas (Schlobach, Wittman, Hoete-rickx, Iiamesse, Delvin, etc.) les autres s'attardent dans des pratiques surannées (Chàrlet, Sirnons-, Van don Eeden,Lefè. vre, etc.). Il y a bien des silhouettes chez M. de Lalaing, mais la silhouette n'est que le commencement do la figure. Un peintre qui ne saurait faire que cela serait bien près de n'être qu'un montreur d'ombres chinoises. On a vu du Michel-Ange dans le Groupe équestre; je n'y vois, moi, que du Simonis, et encore du Simonis de dessus'de pendule. Rien ne sert, du reste, à juger un artiste comme une acceptation trop prompte des foules. Les forts, les suggestifs, les apôtres du Verbe parlent d'abord dans le désert, compris seulement des initiés. Même acclamés, ils restent obscurs, dans la méconnaissance du monde mystérieux qu'ils portent en eux. Je voudrais me tromper, mais je crains bien que M. de Lalaing ne soit une vertu d'atelier, prédestinée aux succès faciles des forts en thème. Je sens une aristocratie plus fine en M. Khnopff; celui-là est un esprit dédaigneux et fier; mais peut-être cède-t-il trop à la fascination du rare et du chimérique. L'étrangeté est un condiment de l'œuvre d'art et ne peut devenir le fond de l'œuvre même. Cependant sa Sphinge, de son troublant regard, me persécute délicieusement, comme l'émanation d'une personnalité captivante. M. Van Strydoncli est surtout un exécutant de belle, main. Il aime les coulées onctueuses, les accords appuyés, les enveloppes d'air fondantes et veloutées, les chaleurs de ton sourdement allumées dans les pénombres ; mais un certain « gras fondu » d'exécution pourrait, s'il n'y prend garde, le conduire aux mollesses gélatineuses ! Sa peinture, maniérée et poisseuse, tout en surface, ne moule encore qu'imparfaitement la charpente de la figure et du paysage. Il caresse trop les dessus et ne creuse point assez.les dessous. Son Tobie est, par dessus tout, une nature morte de muscles et de peaux, peinte en ragoût, et fait voir plus do virtuosité que de vrai tempérament. Chez M. Abry, l'équilibre se rompt d'un autre côté : sa sensibilité l'a poussé vers une infortune éclatante, un peu trop célébrée. On sent qu'il s'est mis de moitié dans cotte misère d'un poète mourant à l'hôpital, en pleine floraison des ans. Mais je suis plus touché parla désolation sans larmes et La simplicité rade de son fond d'infirmerie, avec ses deux lits où râlent des agonisants, que par le faux pathétique du Gilbert déclamant ses vers, dans une attitude élégiaque et apitoyée. Rien ne supplée à l'observation immédiate des réalités : j'en prends pour témoignage MM. Frédéric et E. Charlet qui, avec des qualités de peinture inférieure à celles de M. Abry, ont montré des coins d'humanité attachants. Et M. Karl Meunier, un débutant très avisé et déjà joliment coloriste, s'est vu, lui aussi, remarqué du premier coup pour avoir exprimé avec sincérité le complexe détail d'une instal lation industrielle. Je regrette l'absence au Salon de Xavier Mellery. Dans un accès d'humeur, ou un excès de défiance do soi-même, il a retiré, au dernier moment, les cinq toiles auxquelles il travaillait depuis plus d'un an. On eût vu chez lui la religion de Vatelier pratiquée commme elle l'était par les anciens peintres. On eût vu aussi avec quelle science ce grave esprit sait construire les dessous d'une figure ; et il eût par surcroît apporté son autorité dans la grosse quèrelle des peintres du « ton expressif. » Il faut applaudir à l'élan qui emporte la jeune école à la notation exacte des atmosphères ambiantes ; c'est la condition du renouvellement de l'art sur le seul terrain peut-être où les maîtres nous aient laissé quelque chose à défricher. Mais en dépit des opticiens et des médecins de l'œil, l'optique tient si indéfectiblement au tempérament de l'individu qu'à côté des peintres peignant le clair ou le gris du jour naturel, il y en aura toujours qui peindront la nature à travers une faculté spéciale de vision. La large part qu'on accorde aujourd'hui au coloris n'est qu'un des éléments do l'œuvre d'art, et le caractère, la décision du dessin, la netteté et la puissance do .la mise en toile ne lui sont pas moins indispensables. Dans un dessin de carnet, Mellery sait mettre un style qu'on chercherait vainement dans la plupart des grandes toiles du Salon ; et par style il faut entendre la vie parlante et forte, exprimée dans ses traits essentiels par le moyen do la synthèse. Il n'y pas de style chez MM. Cormon, De Vriendt, Wulfaert, Vinck ; il y en a chez MM. Meunier, Speekaert, Stott, Verheyden, Fantin-Latour. Les premiers sont d'habiles vignettistes, mais n'entendent rien aux conditions de l'œuvre peinte : les autres sont vraiment des peintres caractérisant leur sujet dans un dessin de peintre. Je n'ai voulu ici que formuler des idées générales ; elles suffiraient à établir mes prédilections au Salon. J'aime la belle santé robuste de Verwée, de Courtens, desOyens, deVer-liaeren, la force tranquille de De Braekeleer, de Stobbaerts, de Meunier, d'Anna Bocli, l'émotion de la nature chez Baron, Heymans, Rosseels, Coosemans, de Knyff, Marie Collart, la distinction de Khnopff, Ter Linden, Alice d'Anetlian, Geor-gette Meunier; et je ne méconnais pas les mérites de ces autres talents estimables : Impens, Claus, Verdyen, Ver-straete, Hannon, Mundeleer, Taelemans, Cluysenaer. Camille LEMONNIER. LE SALON DE BRUXELLES Dans l'enfilade largement éclairée des salles se déroulent des choses honteusement brossées par des artistes sortis d'on ne sait où, les uns vieillots, léchant d'un pinceau bête des saynètes de chromolithographie, les autres jeunes, n'ayant ni passé pour qu'on les regrette, ni avenir pour qu'on les encourage. On assure que le jury a été d'une sévérité excessive et que le nombre des élus est rare. C'est une mauvaise plaisanterie; en présence des panneaux étonnants de cynisme qui se présentent là, on se demande avec horreur ce que devaient être les tableaux refusés, s'ils l'ont été justement. Mais le jury n'a été ni juste ni impartial, il faut bien le dire. Systématiquement, on a éliminé des peintres comme Ensor, comme Vogels, comme Finch, chez qui l'on peut blâmer les tendances et les partis-pris, mais en qui aussi l'on doit reconnaître un grand effort et un talent qu'un jury sérieux n'oserait pas nier. Allez trouver un jury sérieux! I E Salon est mauvais. * * * Le Salon est mauvais. Ce n'est pas même une exposition où l'on pourra passer ses heures perdues pendant les deux mois de durée. Une promenade lente satisfait, une seule, et l'on a bien vu, àrrêté à de rares moments par les œuvres qui éclatent de tout le rayonnement de la maîtrise et vers lesquelles on va, d'instinct, comme à des amis autrefois connus, que l'on retrouve. Les grandes machines, dont on dirait qu'elles sont faites plutôt par un entrepreneur d'échafaudages que par un peintre, n'attireront pas les regards. On passe inému devant la théâtrale et figée composition de M. Gallait; cet art conventionnel fait l'effet de quelque chose de très reculé, qui n'est plus de notre époque, qui déjà se place dans ce qu'on a appelé la nuit des temps, mais ici, dans une nuit plus noire et dans le temps des lunes mortes. La vie aperçue par un coin de porte et saisie dans son intimité calme, le monde entrevu dans son mouvement, la nature prise telle qu'elle est dans la variabilité éternelle de ses beautés, ont le don de nous agripper, de nous empoigner, de faire vibrer les fibres les plus délicates et les plus subtiles du fond de nous-même et de nous tirer ce cri d'admiration que nous poussons devant les Papillons d'Alfred Stevens, la Toilette de Henri de Braekeleer, ce grand maître à qui la gloire vient tardive et paresseuse, les vergers baignés de chaudes et amoureuses lumières de Marie Collart, tout ce qui a l'émotion, la mélancolie, la sincérité. * * * On fera justice ici de l'engouement parisien, en replaçant, dans la critique calme et non emballée qui fait le fond de la nature belge, les œuvres portées aux nues et dites merveilleuses, à la place où elles doivent être. Le public ne s'extasiera pas ici devant les portraits de M. Bonnat en l'appelant le Velasquez moderne, non plus que sur les femmes en gelée de groseille d'un M. Lefebvre, les » modes » canailles de M. Van Beers, qui a été chercher à Paris un succès fleurant le patchouli et le musc, ou les quatrièmes actes de mélodrame qu'étale dans une couleur conventionnelle et une lumière factice M. Jean-Paul Laurens. Quelque médiocre que soit le Salon actuel, nous n'avons pas à craindre la concurrence de ces messieurs du boulevard parisien, dont les réputations ont été faites à coups de tamtam par la complicité chauvine d'une presse vendue; qu'on ne parle pas non plus de contre-façon belge, nos peintres ont une santé plus vivace et plus robuste que la plupart des Français. Avec Vervvée seul, l'art belge peut hautement revendiquer sa place. * * * A côté des peintres dont le nom est fait, calé, indiscutable, comme Verwée, de Braekeleer, Meunier, Baron, Verheyden, Mellery qui, malheureusement, a retiré ses toiles à la dernière heure, il y a toute une troupe de jeunes, dont les uns formeront une génération de maîtres, dont les autres, après un seul effort qui faisait tout espérer, restent en route en se contentant de voir courir leurs compagnons. * * * La tendance générale de ces principes, dont nous aurons à reparler longuement encore, est bonne. Nous ne sachons pas de jeune talent qui se soit embourbé 4 LE SALON DE BRUXELLES dans la sotte et fausse peinture d'histoire, où tout a l'air de poser à la déclamation théâtrale. La religion de l'art moderne, c'est-à-dire de l'art sincère, n'a plus à redouter, dans les ateliers nouveaux, l'atteinte des vieilles idées que seuls ont encore ceux qui s'en sont servi pour faire leur fortune, par une sorte de mal'aria officielle, dont les derniers » cas » ne sont pas morts. (Cela viendra, et quand on est mort, c'est pour longtemps, comme dans la fable de Pépin le Bref.) Les uns font de la politique indépendante et les autres grignotent une dernière fois le complaisant fromage budget. Un seul jeune, dont le talent n'est pas contestable d'ailleurs, a osé crier un jour : Vive l'art officiel! Ce cri n'a pas résonné bien loin et n'a point réveillé de morts. Nous touchons à une époque d'art libre, dégagé de protections et d'attaches gouvernementales. On voit par ce Salon que la patte officielle y a passé encore ; elle a exclu de vrais et bons artistes et montré son aveuglement, sinon sa mauvaise foi, en acceptant les choses scandaleuses que l'on sait. Certes, la critique, qui n'est, en somme, qu'une fraction de'la foule , fera justice quand même, et il y aura plus de sourires que de colères devant le bric-à-brac exposé au Salon; mais ces sourires seront la condamnation du jury qui a promené son insuffisance sur des œuvres méritantes, comme des mains sales qui palperaient des robes d'épousée, et de tous les jurys en général, ces corps bizarres qui font plus partie de l'archéologie que de la société. / ALFRED STEVENS PRÈS une première séance d'ouverture, où l'on est très ennuyé par une foule qui s'y rend moins pour voir ies tableaux que pour... se faire voir par eux, on est mieux à môme de juger, de peser ses antipathies comme ses préférences. C'est vers Alfred Stevens que nous sommes allé tout d'abord, empoigné par la maîtrise des œuvres qu'il étale au milieu des médiocrités de la rampe, comme pour les écraser davantage, si cela était nécessaire. Camille Lemonnier l'a dit dans sa belle histoire de notre art belge, Alfred Stevens est de la famille des grands peintres. Comme eux, il est préoccupé prodigieusement de son exécution : il a l'amour des belles pâtes et des belles couleurs, et dans chaque coup de pinceau il frappe son empreinte ainsi que dans une médaille. La bonne peinture, il l'a prouvé, est le résultat d'un organisme sensible : les nerfs communiquent à la touche une vibration ; l'œil, la main, le cerveau sont à ce point tendus pour l'élaboration mystérieuse des tons, qu'il y a un tableau dans un centimètre carré : c'est que partout l'effort recommence, que la moindre touche est une opération de l'esprit et qu'une œuvre d'art se cisèle morceau par morceau, comme une orfé- t vrerie délicate et compliquée. » Mais la rareté de l'œuvre d'Alfred Stevens n'est pas uniquement dans l'exécution : il est du petit nombre de ceux qui serviront dans l'avenir à l'intelligence de la société actuelle. Alors que la plupart des toiles de ce temps seront muettes sur nous-mêmes, son art dira notre faiblesse et notre passion. Toujours chez lui vous sentirez le coup de pouce de l'artiste humain : il raconte son temps en moraliste et en historien, et ses conceptions sont en accord direct avec l'esprit moderne. Il a la concision, la netteté du livre; il enseigne, il avertit ; il est l'idéalité greffée sur la réalité : il est surtout la vie... » Je recopie ces lignes parce qu'elles disent bien ce que je pense moi-même. En voyant Les Papillons, on comprend tout ce qu'un tel art a de durée. Ce parc mélancolique, cette enfant à la pose admirablement gauche, et, au fond, cette femme mondaine rêvant dans le rêve de la nature, forment une œuvre grande à côté de laquelle tout s'efface. C'est l'aristocratie de la couleur et celle de la vie; c'est infiniment distingué, et il est bien de la famille des grands peintres celui qui sait émouvoir à ce point. On se souvient des tableaux où Alfred Stevens épanche son beau rêve d'élégance et de modernité, de la Visite, par exemple, dans laquelle se groupent trois dames habillées à la mode d'il y a vingt-cinq ans, avec la crinoline et les boucles. Qu'on revoie l'œuvre, elle n'a point vieilli; ces modes étalées n'ont pas le ridicule des choses surannées, elles ne choquent pas ; c'est que Stevens a réalisé la conception du Beau qui ne » passe » point, qui ne s'use point, qui ne fait jamais sourire et fait méditer. * * * C'est la mer que Stevens a le plus travaillée aujourd'hui, la mer comprise non comme Artan la comprenait avec sa rudesse superbe de matelot-peintre, mais une mer qui participe de la mondanité des plages, une mer qui est pareille à de la soie et à du satin liquides, et dont on entend le murmure comme s'il élait un froufrou de robe. Le Phare de la Hivre est une merveille. Dans une immensité sombre, au fond de laquelle on entrevoit, parmi les lueurs piquées ça et là, une longue silhouette de brise-lame, l'eau se convulsé et bat la côte, tragique et douce à la fois, ayant de l'élégance presque dans ses vagues crêtées d'écume... Le peintre l'a-t-il ainsi vue jamais ? Je l'ignore. Pour moi, je ne la connais pas pareille, mais c'est pareille que l'a rêvée Stevens et que nous la rêvons, sans souci de la réalité relative dont ne se préoccupe pas l'artiste, s'il rend, malgré le mensonge de son œuvre, une impression émouvante et durable. Peu m'importe la vérité si la fiction me transporte et me ravit; la mer de Stevens appartient-elle à l'une ou à l'autre ? Qui l'affirmera, d'ailleurs, en songeant à cette nature toujours changeante qui parfois dépasse tout ce que l'invention eût rêve. * * * Nous aimons moins le Départ. La figure de la jeune femme, dont le regard est perdu dans le vague, est exquise et dolente ; il y a tout un songe d'amour ou de regret dans ses yeux pensifs ; elle a la mélancolie du départ et ses yeux s'apaisent et se reposent sur cet horizon calme au milieu duquel le steamer qui part déroule les valses lentes de sa fumée. Le petit garçon qui est près d'elle est un brin banal. Nous n'aimons pas sa toilette vulgaire non plus que sa pose un peu apprêtée et factice. Meilleure est mille fois le Petit Garçon, renouvelé de la Veuve et ses Enfants qui se trouve au Musée. C'est encore le poème de la vie moderne un coin d'intimité fleurie posé là, devant les grandeurs déroulées de la mer. La Miss, campée dans sa toilette claire au milieu d'une plage, est adorable d'élégance et de jeunesse. C'est le même regard rêveur que dans Le Départ; elle semble prononcer des paroles aimantes, et ce mot qu'elles disent toutes dans leur exil et dans l'absence : » My heart is over the sea. » » Mon cœur est au-delà de la mer. » * * * Avec Stevens, sur la ligne des vrais maîtres, se groupent Alfred Verwée, Henri de Braekeleer et Fantin-Latour. Marie Col/art. — Henri De Braekeleer. — Alfred Verwée. Henri Fantin-Latour. — Henri Gervex. — Jacques de Lalaing. — William Stott. — Mitnkacsy. — Fernand Khnopff. — Gustave Vanaise. —• Charles Giron. — Louise Breslau. — Henri De Groux. — Madame d'Ursel. 'EST en 1866, je pense, que Marie Collart exposa son premier verger. Depuis, avec la gradation inéluctable de toute vraie nature artiste, elle n'a pas cessé de refaire ce verger dans son intime et profonde mélancolie. Baignés d'une lumière dorée et chaude, ses arbres continuent, de toile en toile, leur méditation, et l'on admire sans restriction ce peintre sincère qui a gardé la religion de sa première œuvre et s'est retiré dans ce jardin toujours le même, mais toujours beau, toujours sain. Marie Collart y a confiné son œuvre; près de ses vaches et de ses bœufs roux qui ruminent doucement sous les branches, elle a renfermé sa vie, heureuse et satisfaite de ce coin de nature apaisée où rien ne trouble le rêve des choses, où l'on voudrait comme elle se reposer des lumières trop vives et des voix trop bruyantes. Il n'y a pas là seulement la reproduction d'un bout de campagne, il y a une âme, féminine en même temps que grave, qui donne aux êtres, aux végétations une chaleur presque humaine. Parfois, on dirait que l'artiste a peint sur porcelaine, mais le reproche ne s'applique qu'à certains de ses tableaux et ceux-là même ont encore une grandeur et un sentiment. Nous l'avouons, les œuvres pensives surtout nous attirent. Quoi que l'on dise, c'est sur elles que l'on appuie sa pensée et qu'on s'envole plus haut, loin de tout ce qui remue et trouble, dans un complet détachement d'esprit. * * * Henri de Braekeleer l'a bien compris ; comme les vieux peintres hollandais, il s'est voué à l'étude des intérieurs, avec la même vision qu'eux ; je dirai plus : la même couleur. La Toilette est une œuvre de grand maître. C'est là de la peinture superbe ; ainsi que Van der Meer, il a saisi la lumière, il l'a fait passer dans la vie dolente des vieilles maisons. Il est bien flamand, Cette chambre où finit de s'habiller une femme, nous l'avons vue dans les anciennes demeures ; ces tapis que l'on sent moelleux et épais, ces draperies qui sont lourdes comme des gobelins et dont les plis s'écroulent avec opulence évoquent les luxes abolis, toute une vie de richesse plantureuse dont certaines demeures bru-geoises ont conservé la tradition. On s'étonne même de voir dans les tableaux d'Henri de Brakeleer, dans le Joueur de Cor, par exemple, apparaître une figure moderne, mais cette figure d'enfant qui est bien de notre temps, la figure d'un de nos collégiens, se mélan-çolise dans le milieu de silence et de méditation où le peintre l'a placée; ce gamin porte le cor à sa bouche, mais il n'en sonne point, de peur de troubler le sommeil des choses qui dorment sous les épaisses tentures de la chambre, dans le cuir de Cordoue des chaises, parmi les feuillets jaunes du livre qui repose sa vétusté sur le pupitre. • Je le répète, ce sont là œuvres de grand maître. Ces tableaux, les musées n'en devraient pas laisser échapper u,n seul; en les voyant, il nous-semble que nous avons le droit de les revoir encore et toujours, d'exiger qu'on nous les montre. Ils font partie de notre vie. Car c'est bien une Flamande, cette femme qui se pare, qui agrafe sa collerette de ses deux mains, avec un geste où la coquetterie n'est point, mais où l'on voit toute une force, tout un lourd contentement de vivre. Le Fumeur, quoique excellent encore, est très inférieur tant à la Toilette qu'au Joueur de cor. * * * Alfred Verwée est une santé. Toutes les rudesses de Ja campagne, il les a rendues dans son œuvre; ses Eupatoires sont une grande et belle toile. Cette bête pataude qui court de son lourd galop, écrasant sous son sabot les herbes hautes, est d'une allure épique. C'est la vie et la force, c'est la santé exprimées dans l'animal; c'est encore le Flamand, l'évocation d'un être qui mange, se goinfre, s'empiffre et ripaille dans une large satisfaction d'appétit. La bête se reposera tantôt au milieu d'un autre paysage : Au beau pays de Flandre ; sous une nouvelle forme, elle arrêtera sa course, et, au milieu de ses compagnons, elle se dressera dans les champs, au cœur d'un paysage lumineux, ayant pour décor des prairies et des prairies encore, limitées par la vague silhouette reculée de la ville de Bruges. Plantée là comme la statue de la vigueur, la bète à l'œil allumé de convoitise qui galopait au milieu des eupatoires, regardera d'un regard endormi quelque chose que l'on ignore, mais qui n'a rien que de tranquille et de lent. Ce qui fait la beauté d'Au beau pays de Flandre, c'est que ces jeunes taureaux arrêtés au milieu de la plaine ont l'air d'être si bien chez eux, d'être rois des campagnes déroulées au loin, d'en faire partie comme des enfants nés d'elles, inséparables de ces champs dont ils ont brouté l'herbe grasse. Ces œuvres sont comme un hymne à la nature, au renouvellement des sèves, à l'éternelle vie des végétations et des êtres, un art sain épanché au milieu d'une époque où l'on prétend la vigueur abolie par les névroses ! Tant qu'il y aura des artistes comme de Braekeleer, comme Marie Collait, comme Alfred Vcrwée, nous ne croirons pas à cette décadence, dont l'affirmation n'est qu'une excuse aux œuvres surchauffées et maladives. * * * C'est un Français, FIenri Fantin - Latour, qui triomphe dans le portrait. A côté de Bonnat dont, à notre sens, on a surfait énormément la réputation, celui-ci est un peintre de race. Nous disons le portrait, car c'est bien un portrait, ce tableau l'Etude, cette jeune fille qui regarde, recueillie et silencieuse. Pas de truc, pas de ficelle, pas d'effet pris au contraste des tons, une figure simple, dérobée à la vie de tous les jours. Rarement nous avons vu pareille distinction. Voilà de la vraie et sincère peinture. La jeune artiste que le peintre a représentée est belle et majestueuse. Habillé^ sans luxe, c'est dans son regard profond qu'elle concentre sa beauté. Et l'on est violemment ému devant cette face de femme tranquille, vivante et expressive dont rien ne trouble la sérénité. * * * Le Salon renferme, d'ailleurs, quelques très beaux portraits. Celui qui domine, nous semble-t-il, est celui du peintre Alfred Stevens, par Henri Gervex. C'est un vrai bijou d'élégance sobre ; les mains, les gants, sur lesquels passe le nuage bleu d'une cigarette, sont autant de morceaux solides de tout premier ordre. La couleur de M. de Lalaing, dont nous aurons à reparler encore, ne nous plaît guère dans le Portrait de M. Vinçotte. La tête du vieillard est merveilleusement modelée et la pose a une grande allure, mais nous aimerions voir une faute dans toute cette perfection un peu figée ; le Portrait qu'expose M. William Stott nous semble meilleur; cet homme en toilette de travail, traité dans une gamme un brin sourde, est d'une bonne expression et vit bien ; ce n'est plus un homme qui pose, c'est une pensée qui regarde. Le portrait de S. E. le cardinal Haynald de Calcosa, par Munkacsy, a de superbes morceaux ; la figure est un peu moite et trop rosée ; il y a là de la crème, mais les yeux sont fins et les mains bellement comprises. Fernand Khnopff aura, pour son Portrait de M. Edmond Picard, un succès d'intérêt et d'art. Ce portrait est très beau ; la tête sort, lumineuse et vivante, du fond sombre du tableautin, elle est ressemblante,un tantinet rajeunie dans le bas de la figure; mais qui sait? Est-ce la faute d u peintre ou la volonté coquette du modèle ? M. Khnopff expose un autre portrait encore, que la commission a placé parmi les dessins, quoiqu'il soit très franchement à l'huile. En fait d'autres portraits, nous remarquons celui de M. Wytsman, par Gustave Vanaise, moins heureux en ceci que dans le Bon Samaritain ; une exquise et élégante Parisienne, de M. Charles Giron, très crânement campée dans sa toilette noire ; un portrait curieux et expressif de MIIe Breslau, un joli portrait (genre fumeux de Toorop) de M. de Groux, et, comme drôleries, d'ignobles petits portraits de larbins et de cochers patibulaires... par Mmo la duchesse d'Ursel. Georgette Meunier. — Alix d'Anethan. — Anna Boc/i. — Fernand Cormon. — Jacques de Lalaing. — Femand Khnopff. — Ter Linden. N a longtemps souri en parlant des » peintresses » et l'on en sourit parfois encore. Ce mot, qui n'est peut-être pas très français, fait songer aux petites péronnelles du Sacré-Cœur, léchant d'un pinceau timide toutes les porcelaines de la maison, depuis le plus grand plat jusqu'à la plus mince soucoupe, tout un magasin qu'aux vacances prochaines le père exhibera en détail aux amis, avec des bedondaines d'orgueil... C'est un côté comique de l'art et que la tradition se transmet. En réalité, la femme est rarement apte à traiter ce qu'on a nommé » la grande peinture », celle où l'invention se complique de la vigueur ; mais rarement aussi elle s'en est occupée, sentant que ce n'est pas là que doivent s'épancher les subtiles délicatesses qu'elle tient en elle. Les jeunes filles qui, par fatalité d'art ou par goût, ont pris le pinceau, se sont le plus souvent adonnées à l'étude des fleurs, comme si elles sentaient que ce sont les fleurs, qui, dans la nature, se rapprochent le plus d'elles-mêmes et qu'elles en doivent mieux que nous comprendre la douceur parfumée. Elles se sont fait intérieurement ce madrigal que leurs fins doigts seuls avaient droit à manier tout ce qui est gerbe et bouquet, couronne et guirlande. Et c'est ainsi que nous voyons, au présent Salon, triompher la femme dans un genre dont elle s'est faite la souveraine et maîtresse. Ajoutons que ce ne sont pas seulement les fleurs seules, c'est tout ce qui est blanc, tout ce qui est immaculé, les mousselines, les ivoires, les nacres, les neiges, les soies sans tache et les satins vierges. Le Souvenir de mariée, de Mlle Georgette Meunier, est plus un rêve qu'un tableau. Tout ce blanc sur blanc a la transparence de quelque chose qu'on entrevoit et qu'on n'oserait toucher, de peur de le voir disparaître; une virginité diaphane sommeille dans ce coffret de nacre d'où, pêle-mêle, s'échappent et retombent les colliers — ces chapelets d'amour — et les perles — ces grains de pureté —; dans ce livre de prière du blanc laiteux de l'ivoire que seuls des doigts d'épousée doivent avoir feuilleté ; dans tout cet écroulement de blandices qui sont là abandonnées — comme un regret, ou qui attendent — comme un espoir. C'est un art extraordinaire que cet art de femme si spécial et en même temps si complet, si léger et à la fois si intense. M1!e Alix d'Anethan, à ce point de vue, n'est pas moins intéressante. Les premières communiantes sont une belle œuvre. L'enfant qui s'avance au premier plan, mains jointes et yeux baissés, est bien vivante et jolie. Elle est aussi une fleur, la fleur de chlorose qui tarde à s'ouvrir, la vierge au corps émacié, desséché par- la croissance et tenant entre ses petites menottes aux doigts allongés et pâles toute la candeur d'une âme qui ne sait pas. Le second tableau de M"0 d'Anethan : Au parc Monceau, est moins complet. Les enfants qui jouent devant un gazon de couleur désagréable, ne remuent pas et ne se remuent pas. Ils posent. Les Coquelicots de MUe Anna Boch sont peut-être le meilleur tableau de fleurs du Salon. C'est juste et c'est sincère. Tout le printemps rayonne dans ces rutilants coquelicots, dans ce coin de champs pris au hasard et rendu avec toute la poésie de la simplicité. * * * Continuant notre tour de Salon comme nous l'avons fait jusqu'ici, sans nous guère préoccuper de classifier les valeurs, nous nous arrêtons devant la grande composition _de M. Fernand Cormon : L'Age de la pierre polie ; Retour d'une chasse à l'ours, qui fait vis-à-vis à La Peste de Monsieur Gallait. Celle-ci, on le sait, produit une grande impressionen, ce sens que l'on songe à la possibilité épouvantable de la recevoir sur le nez ; celle de M. Cormon dit plus. Nous avons affaire à un panneau décoratif avoué et n'avons donc pas à nous plaindre du côté théâtral de l'œuvre. Elle ressemble évidemment à une grande scène de Wagner — moins la musique — et l'on s'attend à ce qu'un des personnages relève d'un geste déployé la peau de bête qui le gêne, pour lancer son ut de poitrine. Il y a cependant de beaux morceaux dans l'Age de la pierre; l'homme velu et farouche, qui montre l'ours étendu à ses pieds, est d'un très beau mouvement, et la bête elle-même est bien tombée, lourde et massive, sur le sol. Le côté des femmes est mauvais, ressemblant à du faux Hans Makart. * * On discute beaucoup autour des deux grands tableaux de M. de Lalaing ; la critique parisienne a chaudement vanté le Portrait équestre qui nous arrive avec une réputation déjà faite. Est-elle surfaite ? Peut-être. Ce qui nous gêne dans M. de Lalaing, ce sont ses tendances académiques. 11 paraît prédestiné à por-traicturer un jour les personnages officiels ; ce portrait équestre en est déjà un, semble-t-il ; la figure du vieillard, qui est plutôt un moine qu'un guerrier, est vraiment mâle et superbe ; il chevauche lentement sur une bête savamment peinte et construite qui exprime une lassitude très rendue ; les têtes et les arrière-trains des autres chevaux sont remarquables, mais le ciel est banal et toute la couleur en général participe de cette banalité. Les Lutteurs ne sont qu'un admirable dessin, qu'une superbe » académie . » Cela est d'un robuste artiste, mais pourquoi M. de Lalaing a-t-il peinturluré son groupe en bronze et l'a-t-il posé sur un socle comme un dessus de pendule? C'est éluder une difficulté que de dérober aux sujets leurs couleurs variées et multiples, pour les uniformiser dans une même gamme de tons. 11 y a là un peu de fumisterie, un semblant de trompe-l'œil qui ne sont pas dignes d'un artiste sincère. Parlant de fumisterie, nous songeons involontairement à M. Fkrnand Khnopff. Une Sphinge, une sphinge, pourquoi une sphinge ? Qu'est-ce ? Je ne comprends pas et, moi public, j'ai le droit de comprendre ; mon catalogue est fait pour expliquer ; il ne dit rien que cela : Une Sphinge ! C'est un grand danger pour un peintre de vouloir faire trop profond. Son art se fourvoie fatalement dans la littérature, devient intentionniste, et de là à devenir fumiste il n'y a qiie l'espace d'un cheveu. Je ne m'occupe pas du titre d'un tableau si ce n'est un tableau d'histoire où mon ignorance m'empêche de saisir le sujet ; et encore, on les regarde si peu, les tableaux d'histoire ! Je vois ici une femme nue dont le corps d'un blanc laiteux ressort sur un fond de peluche noire ; elle a les deux bras étendus comme pour se crucifier, et à ses pieds une cassolette en marbre rare fait monter des bandes de fumée bleuâtre. La tête est superbe. Inspirée des têtes gothiques, elle a le pâle regard des vierges anciennes, un regard troublant et mystérieux. Le corps nous plaît moins ; le ventre est plat, il n'est pas d'une femme, et les jambes manquent absolument d'élégance; la » sphinge » toute entière semble poudrederizée, surtout aux contours, et ne vit pas, ne palpite pas. Peut-être le peintre a-t-il voulu la faire impassible ; c'est même vraisemblable, mais l'impassibilité n'est pas l'absence de vie et nous ne trouvons ici qu'une femme d'albâtre, presque translucide, hiératiquement posée. Le tableau, d'ailleurs, comme presque tous ceux des « Vingtistes » — ce n'est pas un hasard malheureusement — est fort mal placé et, partant, ne peut être bien j ugé. * * * Le superbe tableau Les Braconniers, de M. Ter Linden, est dans le même cas et ne s'apprécie pas, à la hauteur où l'a mis l'intelligence équitable du jury de placement. Après 1793, du même, est très remarquable. Une vieille femme décharnée est seule, assise dans son haut fauteuil, au milieu d'une grande salle nue dont les murs semblent participer du froid et de la solitude. Tout a été détruit par la tempête, et, dans cette demeure vide, l'aïeule continue la douloureuse méditation de sa vieillesse. Elle se penche un peu, très peu, comme ces arbres antiques qui demeurent au sein des forêts dévastées et qui tomberont d'un seul coup, rigides, un soir d'hiver. A la vue de la toile de M. Ter Linden, toutes ces impressions douloureuses se dégagent et font penser. Jean Béraud. ■— Le chevalier de Knyff. — Aljred Vcrhaeren. — Capeinick. — Cap. — Boks. — Liebermann. — Stallaert. — Halkett. — Cazin. — Léon Abry. — Théodore Hanon. LA modernité pure, c'est-à-dire la mondanité, n'a pas été très étudiée jusqu'ici. Peu de peintres ont saisi le côté grand de l'élégance, tout ce qu'il y avait à tirer de l'observation de notre monde. Alfred Stevens est le seul maître de ce genre si complexe où l'on doit voir plus loin que le décor et le costume : l'âme de toutes ces choses, et leur vie. Nous avons vu Gervex dans la Rentrée du bal, Hermans dans l'Aube] c'est aujourd'hui Jean Béraud, un Parisien du boulevard, qui fait prime là-bas. Il nous envoie trois petits tableaux très-jolis, bibeloteux, gentillets, qui ont au moins le mérite de la sincérité. La Brasserie est un intéressant coin du quartier Latin avec ces buveurs de bocks et ces petites femmes en cheveux, à l'air canaille, lampant les verres sous le nez des vieux. La Sortie de l'Opéra est plus complet ; le groupe de femmes qui forme le milieu de la toile et celui des cochers, à droite, sont de bons morceaux. Nous en dirons autant à!Une Soirée ; dans les trois tableaux, l'artiste a voulu rendre la lumière jaune des gaz ; de là à faire une couleur conventionnelle, il n'y a pas loin; les parquets paraissent mouillés, et c'est d'un effet bizarre dans Une Soirée, de voir ces hommes en habits noirs et ces dames en toilettes claires causer et madrigaliser dans une pluie qui doit être battante, à en juger par le sol! * * * M. de Knyff est le peintre des natures opulentes. Les Prairies de Mortefontaine ont la belle allure des chefs-d'œuvre de Claude-Lorrain. Une lumière lente et tiède circule au milieu de ce large paysage reposé, de ces grands arbres qui doivent cacher un vaste domaine princier. Le chevalier de Knyff a mis là toute une aristocratie, une grandesse, un souffle d'orgueil vieux régime; ce n'est plus la nature intime de Marie Collart, c'est la nature déployée et hautaine où sont les daims et les gazelles. C'est la chasse de » Monsieur, » frère du Roy, où les manants n'ont point accès. M. de Knyff est de l'ancienne école des grands coloristes ; ses larges toiles, en sortant de l'atelier, ont cette teinte d'ambre que le temps donne aux vieux tableaux et l'on croit retrouver en les voyant des œuvres de beau maître contemplées naguère dans les musées. * * * M. Alfred Verhaeren est un peintre de race. Lui aussi a retrouvé le vernis des maîtres; son E?itre-côte est la plus belle nature-morte du Salon; cette viande est truculente et magnifique, elle donne faim, elle rutile d'une belle couleur ; cela est très beau. Dans les dunes, un canard sauvage abandonné par les chasseurs, nous frappe moins, de même que l'Etude. M. Verhaeren n'est pas assez connu; il mérite d'être hautement apprécié. L'Entre-cote est un tableau de musée.... mais la Peste de Tournai a coûté si cher, n'est-ce pas ? * * # Que l'on ne s'étonne pas si, ayant commencé la série de ces notes par les mots : » Le Salon est mauvais, » nous ne tarissons pas en éloges sur presque tous les peintres que nous citons. Nous avons dit aussi que, sur quinze cents toiles, il y en a cent bonnes ; c'est de ces dernières que nous nous occupons, préférant pour les autres le silence à un éreintement inutile. Nous aurions trop de peine, franchement, et de grosses colères îlous monteraient à la gorge si nous avions à parler de la kyrielle d'Allemands qui salissent les panneaux et déshonorent les cimaises, des Capeinick, qui font de la courtisanerie peinte, des Cap, des Boks, des Lieberman, des Stallaërt, que sais-je ? de M. Halkett, un impardonnable qui, autrefois, exposait une excellente Candiserie et tombe aujourd'hui dans un pot de couleur vulgaire, abominable et déplaisante. * * * Revenons au y. peintres. La chambre de Gambetta, par M. Cazin, encore un Parisien, est une petite merveille. Dans cette chambre, on sent planer la pensée de celui qu'on vient d'emporter vers la terre. Le lit a gardé l'affaissement d'un corps ; des couronnes déjà effeuillées y gisent, donnant à la solitude de cet intérieur la grande désolation de la mort. C'est funèbre et beau; les objets parlent d'une voix lente ; ils ont en eux, dans ce délaissement, quelque chose de la vie qui vient de s'éteindre, et c'est d'un merveilleux peintre de parvenir à donner une âme aux choses inanimées et une parole aux choses muettes. * * * M. Léon Abry s'est fait un genre à lui dans l'étude de nos soldats belges, et c'est déjà un mérite d'avoir le courage d'un sujet aussi local que celui-là. La toile Nouvelles du Village a de très grandes qualités. Les types y sont bien observés et rendus, et n'était la couleur un peu terne, le dessin un peu vulgaire, ce serait une belle œuvre de terroir. Gilbert à lHôtel-Dieu — il n'est plus question de soldats belges — est un sujet déplaisant par son seul titre. L'infortuné convive au banquet de la vie n'était qu'un raté pleurnicheur, et sur la tombe où lentement il est arrivé, il a eu parfaitement raison de dire que nul ne viendra verser des pleurs au nom de la poésie. Si M. Abry avait fait tout simplement lHôpital, cela eût cent fois mieux valu. Ce Gilbert décharné ressemble absolument à ses vers — il a l'air bête ; il gêne le spectateur qui voudrait ne voir là-dedans qu'une poignante scène de misère. Le malade qui se trouve à la droite de ce Don Quichotte est vraiment un fort beau et solide morceau. Que M. Abry rabatte son Gilbert sur son oreiller d'infortuné convive, et nous aurons une œuvre saisissante qui méritera tous les éloges. * * * Le Souvenir des Pyrénées, de M. Hannon, est bien connu. Il l'a refait plusieurs fois et c'est plutôt son grand tableau Flirtation qui marque au Salon. Une jeune fille en chapeau » lawn-tennis » ,est assise à un balcon; devant elle un jeune homme debout tient l'écheveau qu'ils dévident ensemble et ce fil les tient unis «comme un téléphone du cœur » (le mot est du peintre lui- même).Le jeune premier nous plaît peu; il a l'air assez sot, et, à voir la mine éveillée de la miss, ce pauvre téléphone aura bientôt son fil brisé ! Le paysage est joli ; M. Hannon est un habile japonisant ; il excelle à découper la monotonie des horizons par le feuillage des verdures mises en avant, et ces verdures mêmes, il les tripote joliment d'un fin doigt de bouquetière. Léon Frédéric. — Jan Toorop. — Constantin Meunier. — Cari Meunier. — Oyens. — Isaac Israëls.— Jan Stobbaerts. — Jules Garnier. Il fut un temps où le peintre — pénétré de ces traditions qu'on se passe de père en fils, — comme la névrose héréditaire chez les Rougon-Macquart — un temps où le peintre eût cru déroger s'il était sorti des sujets nobles. Les draperies et les chamarres, tout ce qui a la pompe et la grand esse, séduisait les jeunes, et c'est ainsi que régna la peinture d'histoire. Les toiles d'alors furent des illustrations, souvent bien faites, de M. Guizot ou de M. de Barante, et l'on se demande lesquels eurent le plus de mérite, ceux qui travaillèrent pour Hachette ou ceux qui peignirent pour les musées ? Avec-les aspirations nouvelles de l'art, ces traditions étroites s'amoindrirent ; des génies comme Millet, des talents comme de Groux, comme Meunier, comme bien d'autres, prouvèrent qu'il y a mieux à faire d'étudier les humbles et les petits, que chez ceux-là surtout se trouve la vraie grandeur, celle qui résulte de la simplicité. Avec deux paysans plantés droits dans un champ à l'heure de l'Angelus, la démonstration fut faite, et l'on remit aux magasins d'accessoires pourpoints, rapières, capes et mandolines, aux bons soins de M. Albrecht de Vriendt, peintre officiel ! Aujourd'hui la tendance des jeunes s'accentue ; parmi eux M. Léon Frédéric, un Essorien, s'est mis tout entier à l'étude des misérables, des loqueteux, des geignants. Très fortement influencé d'abord par Bastien-Lepage, qui a d'ailleurs créé toute une école de simiesquerie picturale, M. Frédéric semble vouloir devenir vraiment personnel. Son Noël à l'hospice est une toile de premier ordre ; les vieillards attablés devant le café qui fume sont vivants, vivants de la vie renfermée et triste de l'infirme et du souffreteux. Que M. Frédéric voie moins gris et ce sera parfait. Les Jumeaux sont très inférieur. A la même famille appartient M. Jan Toorop, qui se révéla, je pense, pour la première fois, à la tapageuse et belle exposition des XX. A près l'enterrement a de grandes qualités de sentiment. Le vieillard, affalé sur sa chaise au milieu de la chambre vide, est impressionnant ; il est écrasé sur lui-même dans une pose d'irrémissible désolation, cela est beau ; et si M. Toorop ne voyait pas les choses à travers une fumée épaise, ce tableau serait une œuvre complète et durable. * * * M. Constantin Meunier est de belle et forte race ; il tient de Ribeira par la couleur chaude et dorée de ses toiles. Il semble même qu'il ait rapporté de son voyage en Espagne une plus grande intensité de flamme, une furia nouvelle. Sa Fabrique de tabac à Séville éclate, au milieu des horreurs qui l'entourent, de" toute une supériorité d'œuvre de maître. Ces deux femmes — qui posent un peu — plantées à l'avant plan, et derrière, tout le moutonnement des têtes éclairées d'une lueur qu'on dirait tamisée par un vitrail rouge, cet ensemble à la fois silencieux et agité, prend quelque chose de dramatique et d'effrayant. C'est là une très grande œuvre. L Enlèvement d'un creuset brisé est de la même souche. Les ouvriers attelés à la lourde masse incandescente ont une tragique allure de cyclopes. Ils tirent à muscles tendus, à mains serrées, à figure ruisselante, formant dans le clair-obscur comme une grappe de force et d'ahan. Le fils du maître, M. Carl Meunier, affronte pour la première fois la cimaise avec une petite toile La Cy-lindreuse qui a beaucoup de charme ; le côté droit surtout, celui où, dans une vaporeuse lueur de serre, s'avance Une enfant aux contours fondus, est d'un très joli sentiment. Voilà un bon début. * * * Nous n'avons jamais rafollé de l'art des frères Oyens. Avec une santé exubérante qui déborde de leur œuvre et fait sentir une grosse sincérité de pantagruélistes, ils ont une vulgarité qui déplaît et un côté caricatural qui choque. Le Rapin de David Oyens, tout en gardant les qualités de facture que l'on sait, manque absolument de distinction. J'en dirai autant de: Après les élections. C'est de la peinture qui mange mais ne déguste pas ; gourmande, non » gourmette ». * # * A côté des Eupatoires ouvertes à la pleine lumière de notre Flandre, s'assombrit la grande et silencieuse composition de M. Isaac Israëls : Départ pour les Indes d'un détachement de soldats coloniaux hollandais. C'est à Rotterdam, au temps des longues pluies qui font sur les quais un épais crépuscule gris, presque visqueux. Précédés d'un fifre et d'un tambour, les émigrants s'avancent d'un pas qui regrette. Une vieille femme, merveilleusement comprise, traîne un enfant aux chairs malades et tombées ; et derrière les tètes qui se groupent et se tassent, les mâts des vieux bateaux rouillés se dressent dans le brouillard. La scène est poignante. Comme l'atmosphère, comme le ciel, les figures sont mornes et fatiguées. Toute la tristesse des départs et des absences pleure dans ce beau, ce superbe tablea.u ; et c'est merveille de voir le contraste des deux lumières qui voisinent, celle rayonnante et glorieuse des Eupa- toires et celle pluvieuse et assombrie du Départ... * * * Non loin de là se trouve l'Etable (vieille ferme seigneuriale de Cruyningheii) de M. Jan Stobbaerts. Celui-ci aussi est un flamand robuste, aux gros appétits, aimant les choses grasses qui suintent et débordent. Son Etable est faite d'une chaude coulée rutilante. Elle sent bien le fumier, cette paille imprégnée de purin où se vautrent des porcs, où les vaches enfoncent à mi-jambes ; la patauderie de la ferme y est toute entière, elle s'y déroule et s'y grise d'odeurs fortes mais saines. L! Etable est d'un peintre de la belle lignée. * * * M. Jules Garnier, dont nous ne parlons qu'à cause de sa réputation parisienne, est un pauvre artiste. Lorsqu'on prend pour épigraphe d'un tableau : » ...Puis » entrèrent en propos de resieuner on propre lieu... « Vous estez morfondue m'amie... Ventre sainct « Quenet, parlons de boire... Fœcundi calices quem « non fccere disertum..'. » lorsqu'on prend pour épigraphe une seule ligne du maître des maîtres Rabelais, ce n'est pas avec Joyeux buveurs qu'on se présente en public. Ils vont chanter, vos joyeux buveurs : Dans notre bel état Évitant tout débat, Quand notre femme crie On lui répond tra la la ! Tra la la Tra deri dera ! Du Boccace, monsieur Garnier, du Rabelais de café-concert, monsieur Garnier ! Que diable ! pourquoi ne nous apportiez-vous pas le célèbre Borgia s'amuse, que le Salon de Paris a eu la sottise de refuser? Il y aurait eu peut-être un succès de curiosité, de scandale, que sais-je. Mais les tristes Joyeux buveurs ! La Peste de Tournai, de M. Louis Gallaii. FORCE nous est de nous arrêter devant ce tableau q-ue tout le monde regarde, que plusieurs admirent, et à la vue duquel beaucoup — comme nous — se réjouissent parce qu'il est l'ultime condamnation d'un art dont notre époque n'a plus que faire et qu'elle ne peut même plus comprendre. Les grands journaux graves, plus anciens que M. Gallait et comme lui confinés dans une conception picturale que les jeunes ont enveloppée de bandelettes et déposée dans les pensifs sarcophages du passé, ont prononcé les mots sacrés de chef-d'œuvre et de maîtrise; le monument appartient aux » Musées de l'Etat, » ce qui nous donnera malheureusement une trop fréquente occasion de le voir; cela justifie l'explication de notre parti-pris de guerre contre de pareilles choses. Ce qui manque surtout à La Peste de Tournai, c'est la Vie et l'Ame. Ne discutons pas le sujet ; on fait un chef-d'œuvre d'un trognon de chou. Ce que nous discutons, c'est l'existence de ce quelque chose qui nous saisit à la gorge, lorsque nous avons devant les yeux une œuvre qui palpite et frissonne. Ici, je ne suis pas ému; rien ne m'arrête que l'étonnement et la surprise causés par les dimensions du cadre. » Comme il a fallu du temps pour couvrir toute cette toile ! Quelles sèves vitales répandues en pure perte ! » Mais je ne me recule pas à l'horreur de cette peste. J'aurais voulu voir des corps décharnés, des faces livides, des coins de solitude tragique, une désolation effrayante se déversant du tableau en moi-même; ce drame, spectateur, je devrais y participer, m'en imprégner, y être en un mot. Pourquoi passé-je indifférent et froid ? Parce que ce tableau est mauvais. * * * J'y vois un moine à la mode classique, levant les bras au ciel comme pour mieux donner la note finale du grand air qu'il vient de chanter, la main sur le cœur, en regardant la loge royale. J'y vois une reine qui se promène par les rues avec un fin voile de baptiste sur lequel est posée sa couronne d'or; son costume est immaculé, c.mme sa pose est gracieuse; cela dans des ruas qui doivent rouler des fanges, par une épidémie où l'on fuit avec épouvante sans regarder si l'on est vêtu ou non ! Comme c'est bien la réalité et l'émotion! J'y vois tout un jardin zoologique, quelques chiens bien traités et de chimériques bêtes à cornes; tout le monde s'embrasse dans cette machine, et ceux qui ne s'embrassent pas, posent. Ils ne souffrent pas, ils grimacent; ils ont, dans leur souffrance atroce, le souci constant de l'attitude noble, et leurs bras s'arrondissent avec des grâces. Ils sont tous propres ; pas une tache ne souille leurs robes, et les plis en retombent harmonieusement a vec tout le respect qu'ils se doivent. Pas un seul pestiféré, rien que des modèles d'atelier consciencieusement peints dans la manière léchée propre à l'école. Pour un homme de l'âge de M. Gallait, cette Peste de Tournai est une chose estimable ; on y verra le dernier vestige de ce que faisaient nos pères, égarés par des traditions dont on ne peut les rendre responsables. Ils faisaient des iniquités inconscientes ; ils ne voyaient pas, ils ne sentaient pas, ils se contentaient de peindre et parfois ils peignaient bien. M. Gallait a beaucoup travaillé, il a cru demeurer sur la brèche, il n'était que sur un terrain plat où personne ne le combattra plus. Verhcyden. — Vcrstraete. — Montigny. — Hcymans. — Jacques Maris. — Vogcls. — Schlobach. —Emile Charlet. — Baron. — Courtens. — Vanaise. — Van Sirydonck. 'EST sur le paysage que l'on se repose le plus volontiers du papillottement de toutes les couleurs, sur lui que l'esprit, qui n'a plus à comprendre et ne doit plus que sentir, s'apaise et se dilate. Les horizons s'en-fonçent dans la profondeur des perspectives, les matins épandent leurs blancheurs, les midis rayonnent, les crépuscules rêvent, et c'est toujours un hymme à la nature, aux choses silencieuses que chante le clavier doux des teintes. Tel, avec une rêverie sereine, nous est apparu le Coin dans les dunes de M. Isidore Ver-heyden, un beau peintre entré jeune dans le sillon large ouvert de l'art moderne. Ses tableaux ont une solidité merveilleuse, et la nature s'évoque à lui dans sa grandeur et sa majesté. Son Retour du marché est un des jolis coins de village du Salon. Ces paysans qui marchent entre les haies d'arbres, marchent bien. Cela remue, c'est véritablement agreste et sincère. M. Verheyden dépasse de cent coudées M. Théodore Verstraete qui décline et susurre de l'idylle au milieu de couchants ennuyeux et banals, M. Montigny qui s'attarde dans la redite de scènes de genre, cent fois connues, du Murger bébête à l'usage des concierges, cent autres qui étalent à la cimaise des croûtes qui ne ressemblent plus à rien, pas même à des épinards. * * * M. Heymans expose, dans le dangereux voisinage de Stevens, un bon Effet de nuit, paysage baigné des vapeurs du soir, que traverse une lune phtisique. C'est vaporeux et l'effet nous semble réussi, quoique la couleur soit un peu terne ; mais nous mettrons le peintre en garde contre ces sortes d'effets. A force de peindre la nuit, l'œil y voit beaucoup de choses qui ne s'expliqueront plus sur la toile. Il n'y a certes pas de mal à laisser un peu de mystère, des masses vagues, mais on en arrive vite aussi à l'exagération, à cette vieille charge d'atelier qui est toujours drôle : un tableau noir, tout noir, représentant un combat de nègres pendant la nuit ! * * * Le Souvenir de Do7'drecht de M. Jacques Maris est superbe. L'eau, les bateaux tassés dans un coin de canal, et, découpée sur un ciel convulsé, la silhouette d'une église noircie et lépreuse, tout y a une grandeur presque tragique, dont se rapproche, sans le valoir, le bel Arc-en-ciel de M. Guillaume Vogels. Celui-ci aussi est l'amant des couleurs qui font drame; il y a une pensée de crime chez lui comme chez Maris, lorsqu'il peint l'horreur du vent et 3e la nuit, et c'est beau de rendre avec tant d'intensité l'impression de ce qui est sombre, de ce qui hurle, de ce qui se cache. * * * L'envoi de M. Willy Schlobach n'est pas heureux. Ses deux tableaux Pêcheuses de crevettes et le Moulin de Knocke sont bons, ils ne sont pas meilleurs, et ils devraient l'être. M. Willy Schlobach est un des jeunes dont on attend beaucoup ; à l'exposition des XX, il avait un coin de marine où s'affirmait la patte d'un peintre de race. Il n'a plus le droit de faire » quelconque. » Le Moulin de Knocke est ennuyeux, les Pêcheuses de crevettes ne sont qu'intéressantes. Nous connaissons trop bien M. Schlobach pour ne pas le lui dire carrément. * * * La Forge de M. Emile Charlet est un bel effort d'art, mais un effort ■ qui n'a pas été suffisamment poussé. L'ensemble de cette grande composition est enveloppé de fumée et la couleur générale désagréable. Le dessin est bon ; l'ouvrier qui tourne le dos et va frapper a une belle allure d'athlète ; mais la couleur, mon Dieu! la couleur! Cela est terne, gris, et toute cette vie savamment prise a comme une forte asphyxie qui saisit le spectateur, de même qu'elle doit prendre tous ces malheureux forgerons. Et puis, le Creuset de Constantin Meunier n'est pas loin.... * * * M. Théodore Baron se répète, et désavantageuse-ment. Comme Marie Collart, lui aussi se confine dans un même coin de nature. Passant sa vie monastique- ment à Saint-Servais, il a le constant spectacle de la Meuse et des hauts rochers de ses bords, il les a étudiés et sentis et nous connaissons de lui maint chef-d'œuvre où toujours il a repris ce même thème. Le voici encore dans : Les Roches à Fresnes à la Meuse {mars), mais le tableau n'a pas la belle solidité des premiers. Ces rochers sont mous, cette eau est banale et nous craignons que M. Baron ne commence bientôt à refaire machinalement le paysage tant connu, à la manière dont feu M. Verboeckhoven tripotait ses petits moutons godiches. * * * M. Courtens expose une toile intéressante dont certains morceaux sont de premier ordre. Le Retour de l'office ; après midi est plein de sentiment. Le coin de gauche, les carrés de haies, est vigoureusement traité, mais le chemin ne tient pas et l'ombre des haies fait au terrain une déclivité non voulue. * * * Le terrain du Bon Samaritain de M. Vanaise n'est guère meilleur. Il est pareil à un mur et le tableau tout entier en souffre. Nous aimons peu d'ailleurs la nouvelle œuvre de l'excellent peintre qui a fait Saint Liévin et Dimanche soir. Outre que le sujet du Bon Samaritain n'est pas heureux, la couleur en est trop criarde. Le nu est bien modelé, la tête bien comprise, et toutes les excellentes qualités de M. Vanaise s'y montrent, mais l'ensemble est froid et la vie -manque. J'en dirai autant de M. Van Strydonck qui a fait un grand effort avec son grand tryptique : Tobie. Toujours de très bons morceaux, mais un tout trop factice où rien ne vibre ni ne résonne. Le panneau de droite : l'ange conçu dans la manière gothique et le jeuneTobie courbé vers l'eau où il vient de saisir le poisson, sont bien construits et posés. Ce qui vaut le mieux dans le tableau, c'est le paysage, un paysage sain, flamand et moderne. Le tryptique est bien équilibré et témoigne d'un grand effort. C'est, pour un jeune, un résultat dont on doit le féliciter. Dario de Regoyos. — Binjé. — Delvin. — Dantan. — Van Beers. M Dario de Regoyos s'est voué à la peinture des . choses crépusculaires et nocturnes. Jadis, il n'y a pas bien longtemps, il avait été attiré par l'observation des chemins de fer. Les trains filant dans le noir, éclairés seulement de la lueur rouge des fanaux, les gares assombries par le soir et piquées de lumières vacillantes, tout cet aspect tragique des départs prolongés, les queues de trains au tournant des voies, il les avait saisis, d'une manière maladroite encore, mais où perçait une belle âme de peintre et une vision originale des couleurs. C'est avec un sujet d'un autre ordre que M. Dario de Regoyos arrive au Salon, mais il y justifie les anciennes espérances. Le Mois de Marie à l'église de Notre-Dame au Sablon est remarquable. Plongée dans un commencement de nuit, la rue de la Régence s'enfonce en une perspective solidement établie. Le ton du tableau est un peu trop terne et opaque, mais c'est une œuvre de bon aloi et de bonne facture. * * * Le petit Marais de M. Bimjé est exquis. A la suite de Corot, ce peintre est l'amant des natures vaporeuses et fines. De l'eau dormante du Marais monte une buée légère qui a la transparence de l'impalpable. Comme le Songe de l'eau qui sommeille de Mine Desbordes, c'est un rêve dégagé d'un coin de paysage. Les feuillages s'alan-guissent dans cette vapeur du soir qui s'étend comme une mousseline, et tantôt les fées du vieux Corot sortiront de leur lit de roseaux pour venir valser du bout des pieds sur la surface apaisée de l'eau.... * * * M. Delvin a envoyé des Chevaux, deux bêtes cabrées se dressant dans un rude mouvement bien saisi. La pose est sculpturale et, n'était la couleur, c'est un intéressant morceau. La Fête-Dieu à Villerville-sur-Mcr de M. Edouard Dantan, qui se trouve dans la même salle, a de très belles parties. Les figures des matelots qui forment le groupe principal ont l'expression robuste et vivante. Ils s'avancent lentement, recueillis, le front légèrement baissé, avec une méditation grave. L'allure générale est grande et simple. On s'arrête longtemps devant de telles œuvres où se reflète une pensée d'artiste vrai. * * « De là à Jan Van Beers il y a le monde. Eva, peinte avec une désespérante habileté, a toute une jolie canail-lerie de cocotte. La pose paresseuse de cette petite femme, ses pieds agaçants, le luxe douillet du boudoir où elle étend son indolence', appartient à un art de bibelot et de journal- de mode. Les chairs sont léchées dans les tons de la cire vierge ; c'est là une poupée mise » avec chic, chiffonnée par une brosse-couturière, mais rien ne sort de là, rien ne se dégage de ces yeux d'émail rehaussés de Kohel ; cela ne pense pas, c'est mort, c'est artificiel, c'est stupidement vide. La mode pourra se complaire dans de telles œuvres. Les agenouillées du high-life y verront le reflet d'elles-mêmes. Elles placeront le panneautin dans le coin le plus douillet de leur appartement, entre un portrait de la divetta Théo et un bouquet de jacinthes, et leurs amants boudinés et grelotteux s'extasieront devant l'œuvre du miniaturiste Van Beers en disant que c'est d'un grand maître... Succès de chambre à coucher ! Faute de grives... Alexandre Markelbach. — José/ Israè'ls. — Alphonse Asselbergs. — Frits von Uhde. — Alexandre Thomas. — Cluysenaar. — Edouard Richter. — Anne Dubois. — Jules Lefebre. — Léopold Speekaert. OUS avons parlé de M. Jan VanBeers et des suc- cès de dixième ordre que son art —je devrais dire son articule — remporte et remportera longtemps encore ; c'est un heureux sort, commun au genre. Il y a un public spécial pour acheter les tableaux de cette famille, un public ami des œuvres dites » sympathiques, » de celles qui caressent l'œil et séduisent par leur sujet pris certes à la grande comédie humaine, mais avec beaucoup de comédie et très peu d'humanité. Les sous-maitres pullulent. Certains artistes ont pris aux peintres de race leurs sujets et leurs genres, croyant sans doute qu'il suffit d'être bâtard pour être de la famille et qu'on se laissera prendre sottement au naïf subterfuge du pastiche. Ainsi a fait M. Markelbach avec sa Gilde flamande qui fait penser — oh ! très vaguement ! — à Frantz Hais, Un costumier garanti par le gouvernement — M. Markelbach est un officiel — doit avoir passé par là. L'opéra-comique —■ très comique! — y garde tous ses droits, et l'on songe, en voyant le tableau, à tout sauf à une gilde... flamande. Cela n'a rien de flamand, ni comme types ni comme couleur; nous y voyons des comparses, des choristes bariolés au milieu d'accessoires pris par fraude à M. Lapissida, rien de plus, ce qui n'empêchera pas la... comment dirai-je?... la chose... la machine de se vendre comme pain bénit à quelque épicier retiré des affaires ou à un musée de province. Les Frantz Hais hausseront, voilà tout. La Rentrée de Josef Israels est une œuvre arrêtante et belle. Il y a du Millet dans ce tableau où se lamente l'âme populaire. La femme qui gravit la côte, suivie de deux enfants courbés comme elle, a l'allure cassée et geignante qu'il faut. C'est une solide œuvre d'un grand sentiment et d'une merveilleuse facture. M. Alphonse Asselbergs nous semble décliner. Son Marais à Genck, qui se trouve vis-à-vis des Lutteurs de M. de Lalaing, a le papillottemént d'un mauvais crépon japonais. Où le peintre a-t-il vu ces jaunes, ces verts crus et durs ? Franchement cela tourne au » diisseldorf-fisme » et jamais on ne nous fera admettre un art à tel point criard. M. Fritz von Uhde avec son Ecole de Tambours en est un des plus glorieux spécimens. Nous tombons en pleine imagerie, quelque chose comme de la » chromo » quintessenciée où l'on n'aurait employé que dés teintes « tape-à-l'œil « et factices. M. Thomas avec ses deux envois, se fait membre de la même famille. Arrivé à une certaine réputation à l'aide de son intéressant Judas du Musée de Bruxelles et du curieux portrait de Louise Lateau, il est aujourd'hui dans la grande dégringolade finale. Sa' Vierge au Calvaire est un comble de banalité poncive, et son Etude, surtout, étale la décrépitude d'un art dont on ne peut plus rien attendre.Blairautéeet sixfois vernie, léchéeetsurléchée, émaillée, frottée, cirée, luisante comme une paire de bottes laquées, cette vierge tient, en sa figure niaisement douloureuse, toute la routine des vieilles écoles ; nous l'avons vue sur » les souvenirs » que les dévotes encartent dans leurs paroissiens, mais jamais cela n'a ressemblé à une femme, fût-elle légendaire. M. Richter est, nous assure-t-on, une célébrité. Ses tableaux du Salon de Bruxelles sont mauvais. Truands et Ribaudes qui appartiennent, dit le catalogue, au musée de Gand, ne sont qu'un joli bariolage sans ombre de vie. Après l'avoir vu, on n'a d'autre envie que de rentrer chez soi pour relire Notre-Dame de Paris. C'est peu comme effet pictural... Mlle Anne Dubois est une élève de Stevens. Cela se devine. Ses fruits, Cerises, sont d'une très jolie couleur, mais la » peintresse », au contraire de son maître et avec le génie en moins, ne se préoccupe pas de pousser son œuvre; ses cerises sont en verre et la coupe qui les contient en sucre. Le tableau est séduisant à l'œil, fait tout de chic et de bon métier, de même que Une mauvaise traversée où M"e Dubois a très habilement traité un ensemble de couleurs vives sans les rendre criardes. C'est, pour employer le langage des ateliers, un tableau « amusant. » Encore une réputation parisienne M. Jules Lefevre. Où diable a-t-il vu femme nue pareille à son Ondine? Nous ne parlerons pas du dessin qui est toujours de la famille » séduisante, » mais d'où viennent ces chairs molles d'une teintes fondante de glace à la vanille ? Cela ne s'étreint ni ne s'embrasse, cela se mange à la cuiller; j'ajoute qu'avec de pareilles formes, ce doit être bon tout de même... à croquer ! Oscar Angenot. — Euphrosine Beemaert. — Emile Breton. — Emile Claus. — Cluysenaar. — Félix Cogen. — Delsaux. — Dicrickx. —Mlle Heger. - Heins. — Lamorinière.— Al. Marcette. — Roffiaen, — Rosseels. — Hamesse. — Lambrichs. — Mayné. — Mauve. — Maris. — Mesdag. — Moreau (de Tours). — Pierre Oyens. — Seeldrayers. — Smith-Hald. — Eugène Smits. — Le'opold Speekaert. — Stallaert. — Stroobant. — Ten Cate. — Van der Hecht. — Van Gelder. — Verdyen. — Verhaert. — Wytsman. — Wulfaert. — Taelemans. OUS avons hâte de finir ; prolonger notre examen du Salon nous exposerait à tomber dans la minutie, à nous attarder devant les œuvres de demi-valeur, de celles dont un côté seulement intéresse. Certes, bien des noms nous ont échappé et nous n'osons nous prétendre complet-, quitte à nous excuser auprès de ceux que nous avons injustement oubliés. Parcourant une dernière fois le catalogue, nous y pointons M. Oscar Angenot qui expose un médiocre portrait mais de très jolies Pivoines et iris ; Mlle Beer-naert dont les paysages ont une certaine poésie ; les paysages de M. Emile Breton ; son Automne notamment est une œuvre pénétrante et sentie ; la Ferme en Flandre de M. Emile Claus, un peu trop ondoyante de couleur ; les bons portraits de M. Cluysenaar ; les Femmes de pêcheurs à Scheveniuguc, deM. Félix Cogen, et ici, remarquons-le, les peintres actuels, sauf Artan, ont rarement compris la mer. On peut hardiment soutenir cet apparent paradoxe que la mer n'a absolument pas l'esprit de l'eau. Lorsqu'elle est tranquille et doucement moutonnante, ses flots remués ont l'allure lente d'une pâte, ce n'est pas la légèreté fluide et transparente des rivières, c'est une coulée lourde que le pinceau doit rendre par le procédé qu'il voudra, léché ou empâté, mais que les meilleurs marinistes du Salon n'ont pas obtenu complètement. M. Delsaux a un bon envoi. Ses Bretèques à Namur surtout sont de belle école. L'Atelier de sculpture de M. Dierickx, un peu crayeux, est une sérieuse étude d'un joli modelé. M1,e Heger marche à grands pas; elle a un Escaut à Bornhem qui méritait une meilleure place ; c'est un des jolis paysages du Salon, remarquablement construit et en même temps imprégné d'un exquis sentiment. J'en dirai autant de la Lande de M. Armand Heins, de l'Etang à Putte de Lamorinière, du Willemsdorp de M. Alexandre Marcette, de Y En septembre dans la bruyère de Roffiaen, de Rosseels avec sa Bruyère et des Hamesse, toujours un brin métalliques de ton. M. Lambrichs décline, décline. Déjanire a quelques qualités et beaucoup de défauts dont le principal est une irrémissible lourdeur et une désolante vulgarité. M. Mayné avec son PocJiard, continue son étude des scènes de rue ; il faut l'en féliciter tout en le mettant en garde contre la cocasserie et la charge. A noter et à vanter aussi, MM. Anton Mauve, Maris, Mesdag, et nous arrivons, alphabétiquement, à M. Mo-reau (de Tours) dont la Vision provoque une douce hilarité. Dans les O, sauf l'excellente Gerritje de Pierre Oyens, il n'y a que des zéros. M. Seeldrayers n'est pas le premier venu, et l'on s'arrête longtemps, avec intérêt, devant sa Clinique à l'École vétérinaire. La grande critique à adresser à cette composition, qui témoigne d'un vigoureux effort, est la trop grande exactitude de détail qui donne au tableau une allure déplaisante de photographie ; il y a peu de vraie vie dans ce groupe ordonné selon les règles de la pose, dans ces physionomies banales et communes ; l'émotion, le coup de fouet manquent ; c'est vide d'intérêt, et, quoique bien peint, n'attire guère. Il nous reste à citer encore, toujours au courant des lettres, Smith-Hald et Eugène Smits, et nous tombons sur un fort qui ne s'est pas révélé d'aujourd'hui : Léopold Speekaert. Non que son envoi du Salon actuel nous plaise. Son Fils prodigue est quelconque et les Deux Bouquets, une fille qui lace ou délace son corset, ont une » intention » trop mystérieuse pour notre intellect. C'est toujours un art de belle pâte, un art de maître, mais combien je préfère à tout cela le portrait de vieille femme exécuté magistralement dans la chaude tonalité des anciens, que M. Speekaert a donné à la tombola Fontaine ! * * # Pleurons sur M. Stallaert... * * * Et après lui, qui nous donne des idées de miserere, chantons louange à MM. Stroobant, Ten Cate, Van der Hecht un consciencieux qui manque de ton, Van Gelder un farceur, Verdyen un indécis, Verhaert un vigoureux, Wytsman un bon qui a été meilleur, et rions à gorge déployée devant les Funérailles du Titien de Monsieur Wulfaert qui domie la note gaie à la salle d'honneur, celle où se coudoient dans la plus charivarique promiscuité Van Beers et Verwée, Fantin-Latour et Gallait ; puis, après avoir noté M. Taele-mans et sa très bonne Batilieue de Bruxelles, fermons notre catalogue de peinture et résignons-nous à la horde d'inimitiés que notre franchise doit nous avoir faites ! Le Salon est mauvais, avons-nous dit, mais avec les vrais artistes que nous avons cités nous nous sommes consolé de la médiocrité générale. Notre grand art belge et le grand Art sont toujours debout, malgré l'es jurys, les commissions et les censures. On rejette un Ensor pour accepter un Wulfaert ; on expulse un Vogels pour accueillir un Godding, qu'importe puisque cela démontre l'insanité des juridictions officielles en matière d'art ? Les victimes sont des démonstrations et les refusés d'aujourd'hui sont les glorieux de demain. Notre école de peinture n'a plus à craindre, elle continue la large lignée des grands peintres dont les chefs-d'œuvres emplissent nos musées — parfois, et trop souvent ceux de l'étranger. Après les Verwée, les De Braekeleer, les Stevens,de nouveaux jeunes sont venus, épris comme leurs maîtres d'un idéal qui grandira, qui rayonnera en eux, ainsi que tout ce qui parLicipe-de la subtile pénétration de notre époque, de cette sorte d'hyperesthésie qui nous donne, dans ce qu'on a nommé la névrose mo- derne, une' sensibilité plus grande et une délicatesse plus fine. On dira que nous marchons à la décadence — on le disait à Courbet, à Rousseau, à Millet, à Manet ! — et le goût public, ce grand enfant qu'on doit élever au biberon de l'Art, se révoltera plus d'une fois encore, mais le Beau pénètre, mais le Beau saisit et jugule et l'on se trompe lorsqu'on traite les nouveaux venus d'iconoclastes. Les jeunes, tout en ayant compris et senti les oeuvres dites réalistes, se prosternenttoujours, adorants et muets, devant les Gothiques comme devant l'école rutilante de Rubens et de Jacques Jordaens. En réalité, il n'y a pas d'école ; il y a des âmes qui se manifestent comme elles peuvent dans l'œuvre d'art, et c'est pourquoi les jurys qui pontifient sont aussi vains que la critique qui juge. Dumas a dit : » Les opinions sont comme les clous, plus on tape dessus, plus on les enfonce. » Cela est vrai en Art, et tout ce que nous avons écrit ici n'a d'autre but que de guider à travers le salon les égarés et les ennuyés. Nous aurions beau dire à M. Van Aise qu'il voit vert et à M. Frédéric qu'il voit gris, ils nous répondront que nous sommes daltonien, et l'on en revient toujours à des conclusions de ce genre, qui closent la bouche et sèchent la plume. Est-ce un mal ? P.-V. Jamaer. — Ch.-Lion Cardon. QU'EST devenu le projet de fonder une École des Arts décoratifs ? La ville de Bruxelles était disposée à pousser seule ce projet, sans le concours du gouvernement, et M. Buis semblait un des plus ardents défenseurs de cette belle idée ? De fait, il est déplorable que nous n'ayons pas une école où tous les corps de métier trouveraient un enseignement artistique. Un apprenti veut-il se faire menuisier, serrurier, tapissier ? Il ne sait rien de ce qui a été fait avant lui dans la carrière qu'il choisit; les admirables travaux passés, il les ignore — qui les lui enseignerait? — et c'est ainsi que nos ouvriers ne sont que des artisans alors que nous avons le devoir d'en faire des artistes. Lorsque je me promène, tout, dans les ouvrages publics, doit me choquer. Pourquoi les réverbères sont-ils si lourds, déplaisants, massifs, au lieu d'avoir une légèreté de lustre ancien ? Pourquoi ne sont-ils pas beaux de forme ? Les boîtes aux lettres semblent écraser les trottoirs ; on dirait des poteaux kilométriques ; elles sont laide§, Pourquoi? 58 le salon Les enseignes, au lieu de se balancer, comme au temps jadis, au bout des tringles ouvragées, ciselées elles-mêmes, avec leur fond de vieil or, leurs dentelles de fer forgé, pourquoi se composent-elles d'une grosse planche équarrie, peinturlurée de lettres crues, et collée bêtement sur le mur ? Les aubettes à journaux et les colonnes du boulevard, pourquoi, au lieu d'être sveltes de forme, élancées et gracieuses, sont-elles plantées comme des soliveaux, comme des grosses femmes de foire, comme des pachydermes en fer ? Les bancs du boulevard et ceux du Parc, les aubettes du tram et les trams eux-mêmes, les tables des cafés et les chaises, tout ce qui est objet public, pourquoi est-ce toujours banal de forme, sans goût, tout de go, là, pour votre argent, du solide enfin ? Parce que ces objets sont fabriqués à la diable, par des ouvriers qui savent bien leur métier, sans se douter qu'il y a derrière ce métier un art, qui ignorent les belles époques de cet art et font laid sans savoir qu'ils pourraient faire beau. La plus simple table peut être artistique, tout en étant aussi solide et peu chère que les sottes tables rondes des cafés. L'ouvrier-artiste métamorphe ce qu'il touche et l'embellit. Nous n'avons pas d'écoles pour faire ces ouvriers-artistes. * * * J'ajouterai que MM. les peintres semblent affecter un beau dédain pour leurs* confrères de l'architecture et de la décoration. Ils les traitent en indignes, en maçons, en badigeonneurs de murs; qu'ils allaient voir la restauration de la Maison du Roi, l'admirable escalier de chêne qui s'y trouve, les merveilleux plafonds, ils diront avec nous que c'est l'œuvre d'un grand et pur artiste dont on ignore presque le nom alors qu'on devrait le crier bien haut et bien fort. Je parle de M. P.-V. Jamaer, architecte de la ville. Grâce à lui, notre place de l'Hôtel de Ville reprend la grandiose harmonie d'autrefois ; avec une intuition rare, il lui rend peu à peu son aspect, il arrache au passé le secret de ses formes, et de jour en jour ce passé se dresse plus pur et plus archaïque. Qu'ils aillent voir la salle des mariages à l'hôtel de ville et la peinture murale dont M. Ch.-Léon Cardon expose le Projet au Salon. On entre dans la salle des mariages par celle où sont les tapisseries de M. Geets. Cette salle est du sévère et du sobre style gothique de Marie de Bourgogne. De forme allongée, prenant jour à droite, du côté de la Grand'Place par un rang de fenêtres, et à gauche s'ou-vrant par une porte sur un escalier, elle était seule apte à recevoir une large composition. Au centre s'y trouve, personnifiée par une jeune femme, la bonne Cité présidant à l'union de ses enfants. Elle est assise dans une cathèdre à dossier gaufré d'or, droite, les bandeaux partagés sur le front, avec la candeur des vierges de Memling, et la i-obe en fuseau tombe le long de son corps en raides cassures d'un jaune doux. A ses côtés se trouvent deux pages élevant d'une main les flambeaux d'hyménée, à l'écusson de la cité et de la province, et de l'autre supportant des cartels emblématiques avec les devises flamandes : — Mariez et tenez ; — Une fois mariés, maintenez. Enfin par dessus la Ville, deux Génies volent déployant une draperie d'or, décorée de motifs héraldiques et jettent des couronnes. Le fond est une imitation de tenture, avec cette inscription en banderolle, qui la borde : Ici ? amour vous réunit. Tel est le motif du milieu, le plus considérable, à droite et à gauche duquel s'en trouvent deux autres plus étroits, comme les volets d'un triptique. A droite une grande figure de femme, décorée d'attributs, personnifie la justice ; à gauche Saint-Michel, en arme, représente la Loi. M. Cardon a traité son œuvre avec une sobriété extrême. Au contraire de M. Geets qui, dans l'étalage un peu trop carnavalesque de ses Corps de métier, a prodigué les couleurs éclatantes, les bleus et les rouges crus, mal en harmonie avec la sévérité du style, M. Ch.-Léon Cardon ne s'est servi que des tonalités douces et atténuées, une gamme assourdie et discrète d'une suprême harmonie. Dans les caissons du plafond éclatent les ors et les rouges des Cartels, des Serments et des Corporations. Cela est œuvre de bel artiste, épris de l'art dont il s'est pénétré et comme imbibé. Il a la grâce mêlée de raideur qu'aimaient les maîtres ; la vierge qui représente la Cité est exquise de pureté dans sa pose hiératique en même temps que reposée, et l'on s'arrête longuement à contempler ses yeux doux qui regardent au loin, vers la pensée et vers le rêve. Dans ses bras ouverts et soutenant l'écusson communal, elle semble appeler les époux et leur dire ce mot, déroulé au-dessus d'elle : Maintenez. Dessins, Aquarelles, Gravures t Henri Gervex. — Khnopff. — De Witte. — Storm de S'Gra-vesande. — L. Flameng. — Th. Vcrstraete. — Lamoriniere. — Carriere-Belleuse. — Ch. Verlat. — F. Van Knyck. — Danse. — Kcepping. — Le Couteux. — L. Lenain. — La comtesse de Flandre. AVANT tout, n'est-ce pas, l'Eve cI'Henri Gervex ? un pastel devant lequel on s'arrête avec ravissement comme devant toute œuvre subtile et délicate. Conçue et exécutée dans la manière mystérieuse de Henner, cette femme a la grâce des belles nymphes ; sous l'épi-derme dont le grain se rose, on sent couler la vie, la belle vie palpitante de l'Humanité. Toute la mièvrerie française s'y fond avec la force des grands maîtres et le pastel y rend tout ce que le pinceau, tout ce que l'ébau-choir auraient pu donner. A côté d'elle, les œuvres Voisines semblent criardes et » truquées, » sans souffle et sans art. Non qu'il n'y en ait qui ne vaillent. M. Khnopff, dont le jury a mis au milieu des dessins, en le prenant sans doute pour un pastel, le portrait du petit de Wcelmont, qui s'y montre dans toute la pureté de son original talent. Plus loin M. De Witte, dont on connaît les mer- veilleuses eaux-fortes, exposées naguère, si nous nous souvenons bien, à l'Essor, étale une suite de dessins à la plume où se montre une âme éprise de belle lumière et une main déjà maîtresse. Je n'en dirai pas moins de M. Storm de S'Gravesande dont l'Entrée de forêt est une eau-forte de haute valeur. Faite, dirait-on, pour illustrer quelque conte de Hauff ou de Hoffmann, elle a un aspect tragique et profond ; M. Storm a compris admirablement le grandeur sombre qu'on peut tirer de l'eau forte. Plus que tout autre procédé de gravure, celui-ci est apte à rendre le drame intérieur des choses muettes, et cette forêt vit bien de la vie nocturne devant laquelle on se sent empoigné et frémissant. La réputation de M. Flameng, un... Flamand, assure-t-on, n'est plus à faire ; c'est lui qui a illustré le plus beau Manon Lescaut que l'on connaisse parmi les éditions modernes, celui de la collection Galaup de Chasteuil ; c'est lui que les éditeurs dits » des bibliophiles » choisissent pour interpréter par la pointe et l'acide, les chefs-d'œuvre qu'ils republient. Des deux eaux-fortes qu'il expose, nous préférons de beaucoup son Portrait de Darwin, gravé d'après John Collier, une belle tête pensive et grave reproduite d'un tableau que nous ne connaissons pas, mais dont la présente gravure donne une superbe idée ; le Widoiver, reproduit d'après Luke Fidès, ne le lui cède en rien, mais le tableau est si poncif et si pleurard que l'on hésite si l'antipathie qu'on éprouve à le voir s'adresse à lui ou à la planche qui le reproduit. M. Théodore Verstraete est meilleur dessinateur que peintre. Nous avons dit ce que nous pensions de ses tableaux aux couleurs déplaisantes de chromo- lithographies, nons sommes heureux de signaler son eau-forte le Soir où s'épanche une douce et pensive rêverie de poète ; le même éloge est à faire de la Ferme à Cappelle7i, de M. Lamorinière. La Femme nue de M. Carrier-Belleuse est un des plus déplaisants pastels que nous connaissions ; cette pauvre femme tordue a évidemment un grave éléphan-tiasis des hanches que nous recommandons à l'artiste de faire soigner au plus tôt. M. Ch. Verlat avec son Rien ne vaut le chez-soi^&nt être mis en première ligne, de même que M. Van Kuyck, l'auteur des Reproches. Le premier, comme M. Storm, a saisi la note sombre ; ce cavalier qui rentre au logis, chevauchant par la tempête et la neige, fait aussi songer à ces légendes allemandes du premier romantisme que nous lisions autrefois, et que jamais nous ne relisons sans retrouver le vieux frisson passé. L'autre, M. Van Kuyck, est un Flamand flamingant d'Anvers, un rude de la bonne école qui fleure son gras terroir et rend, comme il l'a supérieurement fait dans les Kermesses d'Eekhoud, la vie rurale de notre pays. M. Danse nous paraît comprendre l'eau-forte comme s'il avait affaire à de la lithographie. Ses planches, très travaillées, ne sont pas vigoureusement mordues comme il conviendrait. J'en prendrai à témoin le Portrait d'après Rubens, qui est trop flou, trop fignolé, trop poussé mais pas assez enlevé. Mieux vaut la reproduction de M. Kœpping d'après Munkacsy et le Matin d'après Jules Breton ; cela est vraiment fouillé et vigoureux, de même que les eaux-fortes de M. Le Couteux d'après Millet et Julien Dupré. Certes on est souvent, dans la critique de ces sortes de choses, séduit avant tout par l'œuvre reproduite, comme dans l'eau-forte du Pâturage de Dupré, mais c'est beaucoup d'évoquer par les procédés où manquent les couleurs, les tableaux de tels maîtres. M. Lenain, qui est certes un de nos premiers graveurs, expose d'excellentes choses travaillées et retravaillées, parmi lesquelles nous remarquons surtout la Vierge et PEnfant du Titien. La Comtesse de Flandre fait preuve d'inégalité — que les typos ne mettent pas illégalité — en exposant un Escalier dans le Rocher que les collectionneurs se disputeront certainement — comme autographe ! Dessins, Aquarelles, Gravures. Binjé. — Henri de Groux. — M. Mundeleer. — Vos. — Léonie Danse. — Ecrevisse. — Louis Rorcourt. — George. — Galofre. ■— Mmt Godart-Meyer. — Ch. Jacques. — M ainsi la. — M11® Rot h. — Seghers. — Smith-Hald. — S/acquêt. — Uytterschaut. — Ch. Kœpping. — Jasinski. — M. Baes. — Vanderveken. — Henri Evrard. UX aquarelles je suis retombé encore sur M. Binjé, avec le même charme et la semblable impression de poésie calme et pénétrante. Ses trois compositions, Pluie, Rosée, Neige sont, comme le Marais, des rêves de choses plus que des sujets palpables arrachés à la réalité. Il plane sur ces trois paysages une atmosphère de pensivité douce et reposante. On voudrait s'y baigner, dans cette rosée qui monte en bandes lumineuses, dans cette pluie qui est une rosée aussi, dans cette neige qui semble n'avoir pas le courage d'être froide. Nous avons eu l'occasion de parler une fois déjà de M. Henri de Groux ; l'occasion se représente à propos de sa Pastorale. Non que le sujet soit bien clair, mais, de même que son père, ce grand et beau maître, M. de Groux semble avoir saisi le côté triste et méditatif des * * * choses agrestes ; il y a là du Millet, certes et du de Groux surtout, mais avec de pareilles tendances et du nerf, on va loin. * * * M. Mundeleer a deux envois exquis; d'abord sa Bourgeoise, traitée dans une gamme atténuée sur un fond de lumière douce, qui a la solidité d'une toile, ensuite ses Roses qui, bien que trop sommairement exécutées, sont d'une ravissante couleur. M. Vos, un peu crû dans son Confrère de la brosse, se montre dans Démence sénile bon observateur et bon. aquarelliste. Cette vieille femme à l'œil encore pénétrant, nous l'avons vue cent fois et c'est d'un artiste fort d'évoquer ainsi ; une remarque, le corps de la vieille est mal bâti et les plans sont mal établis. La jeune fille au piano de MIIe Léonie Danse est d'une jolie tache, et traitée par une main de première habileté. * * Les aquarelles de M. C. Ecrevisse, Soirée d'été à La Hulpe surtout, sont d'une poésie très subtile, ainsi qu'un fusain de M. Louis Rorcourt : VIntérieur de forêt à Groenendael, une merveille de perspective et de profondeur tragique. Nous devons renoncer, dans cette partie du Salon, à signaler tous ceux qui valent ; et force nous est de les énumérer un peu à la vapeur. Nous citerons parmi les meilleurs aquarellistes M. George, dont la Petite mère, rappelant Stevens, est de tout premier ordre; M. Galo-fre avec son De Castellamare à Civita-Vecchia, une marine lumineuse et fraîche ; le fusain triste et mélan- colique de Mme Godart-Meyer : Le soir à Evere; la remarquable eau-forte Intérieur de bergerie de M. Ch. Jacques ; la papillottante et carnavalesque, mais aussi habile aquarelle de M. Mainella : Les jardins publics à Venise; un très sérieux et beau portrait au pastel de M"e Roth ; la consistante marine de M. Segers, la Plage à Scheveninghe; les deux larges compositions de M.Smith-Halo ; les aquarelles de M. Stacquet(surtout la Dyle à Muysen) ; de M. Uytterschaut (l'Etang d'Auderghem), et enfin les gravures de MM. Jasinski et Ch. Kœpping. Nous ne nous apesantirons pas sur les clochers de M. Baes, qui rentrent, avec avantage d'ailleurs, dans le cadre de l'architecture, mais qui, comme aquarelles, manquent un peu de variété, ne fût-ce que dans les ciels. Mentionnons le portrait bien mâle et énergique de Peter Benoit, gravé à l'eau forte par M. Vanderve-ken, et terminons par M. Henri Evrard qui expose une Frise décorative pour un hôpital militaire, une composition saine témoignant non seulement d'une main habile mais aussi d'une grande honnêteté de conception et d'exécution. A l'encontre de M. Julien Dillens qui, dans ses deux longues frises à lui, éparpille sur un panneau interminable une série de bonshommes costumés qui se suivent à la queue pour se diriger vers une déesse qui ressemble à un cordon-bleu de bas étage, M. Evrard a su mettre une vie et une allure dans ce groupe où devaient gémir toutes les souffrances et saigner toutes les plaies. Son œuvre, exécutée, vaudra-t-elle ce simple projet fait de cœur ? La Sculpture Jcf Lambeaux. — Louis Devilles. — Marie Caxin. — Georges Van der Straeten. —Julien Dillens. — Jules Lagae. — Paul Dubois. PARMI toutes les choses médiocres, groupes inten-tionnistes, bustes honteux, figures sottes, nus canailles, qui s'aligrfent, on a peine à fixer attentivement le regard, sans distraction, sur les œuvres de valeur, qui sont assez nombreuses. Au premier rang se placent les deux forts, l'un par son audace, l'autre par sa finesse. MM Jef Lambeaux avec sa Folle chanson et Louis Devillez avec son bas-relief : Salomé. M. Lambeaux est un véritable phénomène dans notre pays. Jeune, osant tout, épris d'un art viril et puissant, le voilà déjà presque sculpteur officiel! Anvers lui prend sa fontaine; il moule les autorités et sculpte les bourgmestres ; il ne lui manque que la décoration et un fauteuil académique. Et il a un grand, très grand talent ! C'est à croire au renversement de toutes les conventions ! Est-ce que par hasard le monde du rond de cuir cesserait d'être idiot ? M. Lambeaux a repris dans la Folle chanson la jolie figure du Baiser ; c'est encore la friponne au sourire voluptueux et doux, à la lèvre entr'ouverte comme 7° le salon pour croquer un fruit défendu qu'on ne voit pas, à la poitrine saine et forte, dont les pointes s'offrent au baiser; c'est la personnification du Péché dans toute sa fougue, de la Jeunesse dont les sens se déchaînent et s'irritent et dont les paroles grivoises s'épanchent avec un petit rire dans la large oreille ouverte de la libertine Vieillesse. Celle-ci est représentée par le Satyre pansu, qui se tord, la main sur le ventre comme pour l'empêcher de crever, et la tête en arrière dans un spasme de de gaîté folle. Enfin, en second plan, le petit Satyre qui essaye d'écouter, c'est l'Enfance curieuse et déjà prête au vice. Ce groupe est très beau. M. Lambeaux a le secret des fines attaches et des modelés délicats. Son œil a les belles harmonies de lignes qu'il entrelace avec une science de maître. Que tous ceux qui font du nu étudient à cette école ; un corps de femme ou d'homme n'est pas un simple composé de courbes et d'angles rabotés dont on se contente trop facilement; il y a cette incessante sinuosité que le pouce doit suivre dans la pâte, ce détail presque invisible qui, rendu par un fort, fait palpiter le bronze et respirer le marbre. A ce point de vue, la Salomé de M. Devillez est une merveille ; dans une mince feuille de plâtre, l'artiste a modelé la Féline avec une délicatesse suprême. Hiéra-tiquement posée, comme les divinités des bas-reliefs d'Egypte, elle n'est pas raide. Elle est droite et pourtant sinueuse ; elle semble être descendue de quelque temple des Pharaons où elle aurait dormi des siècles, pour revivre dans une vie plus souple et plus amollie. Son regard fixe a la douceur et la cruauté. D'une main fine de duchesse moderne, elle tient le grand plateau dans lequel a roulé la tête échevelée du précurseur Joakanann, dont son autre main entr'ouve l'œil vitreux et hagard. Cette tête est pour elle un jouet, le cadeau galant ,du tétrarque, et tout à l'heure pour Antipas et pour sa mère Hérodiade elle se relèvera, les bras voluptueusement arrondis, et recommencera sa danse » qui rend le cœur lâche... » * # * Non loin d'un adorable buste de jeune fille : Buste de MUc M., de Jef Lambeaux, se crispe un masque de bronze, la Tristesse, de Mmo Marie Cazin, œuvre profonde dans sa simplicité, mais qui évoque plus l'âpre douleur que la tristesse ; cette tête est fouillée et refouillée à coups de pouce, et belle. Le même éloge est à faire du David. Tout près de là encore est le Buste de Mne Andrée Worth par Georges Van der Straeten, un Gantois qui cherche et trouvera à Paris un succès qu'il mérite bien. Nous nous arrêtons à cet artiste, non seulement à cause de son exquis et fantaisiste talent, mais à cause aussi de l'iniquité dont il a été victime. Au dernier moment, le soir du vernissage, le jury faisait retirer du Salon une statuette ravissante : Fantasia, sous prétexte que M. Van der Straeten y avait ajouté à la dernière heure un accessoire jugé « ridicule. » Or, chose piquante, cet accessoire n'était qu'un polichinelle pourrait bien faire pour n'être pas ridicule, sans manquer à tous ses devoirs ! Le jury s'est peut-être reconnu, cela l'aura blessé ! Certes, M. Van der Straeten ne prétend pas au grand Art. Comme Van Beers, comme Grévin, il a la passion des petites femmes « chic, « à la mine gaudriolante et chiffonnée, aux toilettes retroussées d'une chiquenaude, qu'il fignole en des statuettes mignonnes faites pour les boudoirs ; mais les incomparables artistes qui firent les bergeries en pâte de Saxe n'avaient pas davantage l'ambition de faire du « grand art. « En sont-ils moins durables ? * * * M. Julien Dillens, qui ne parvient pas à trouver la distinction, a fait à l'exposition un envoi considérable. Son œuvre la plus importante est le Modèle du bas-relief four le frojiton sud de l'hospice des Trois-A lices, à Uccle} qui est un morceau sérieux et travaillé. L'artiste est parvenu, sans être déplaisant, à mettre en scène des dames en toilette de ville, ce qu'on a rarement vu en sculpture. Le groupement est harmonieux, les têtes, — surtout celle de la vieille femme grise, — expressives, et n'est qu'on ne peut regarder l'œuvre qu'en se plaçant géométriquement en face d'elle — il était peut-être impossible de faire autrement, — c'est un bas-relief solide dont on doit dire beaucoup de bien. Un Terme a traîné un peu partout et nous n'avons pas à en reparler ; le groupe de Herkenbald ou le Brutus bruxellois — oh ! 1830 ! — manque absolument de vie et d'allure ; nous ne nous arrêtons que devant le buste Étruric qui nous semble être la meilleure chose qu'ait faite M. Dillens. Ce type est intéressant non seulement comme belle exécution, mais comme rappel de race. C'est bien une étrusque, cette femme au regard lointain, aux lèvres un peu avancées, au front déprimé. Cela est tout à fait réussi. * * * MM. Jules Lagae et Paul Dubois sont les premiers parmi les jeunes ; l'un, élève de Jef Lambeaux, l'autre, élève de Van der Stappen. VAbel de M. Lagae est d'un grand effet. Comme son maître, l'artiste a travaillé à fond le nu, dont il a compris les intimes difficultés. Cet homme écroulé dont les lèvres' s'entr'ouvrent douloureusement et dont les yeux agonisent est traité de main déjà mûre, et M. Lagae prendra bientôt rang parmi nos meilleurs. Je n'en dirai pas moins de M. Paul Dubois dont F Hippomine est d'une rare élégance. De quelque côté qu'on le regarde, cet adolescent aux formes gracieuses est vivant et fort. Quoique mâle et robuste il a la lèvre imberbe Et le faune amoureux craint son regard superbe. Il détache sa sandale, prendra sa course poursuivi par la vierge Atalante « podasochyse, « — ô trop oublié Homerus ! — et vaincra la belle chasseresse... Bruttin. — de Rudder. — Vinçotte. — de Tombqy. — Desen-fans. — Samain. — Injalbert. — Rodin. — Hambresin. OTRE tournée dans le Salon est finie, et nous n'avons plus qu'à glaner les bons et les « moins bons « que nous avons oubliés. Il y en a quelques-uns dans la sculpture. M. Brunin a un bel envoi. La femme nue qu'il intitule : Ces palmes et lauriers aux vainqueurs ! est d'un très bon mouvement; certes, les attaches ne sont pas d'une grande élégance et la déesse allégorique de M. Brunin ne semble pas descendre en droite ligne des duchesses du « noble faubourg, » mais elle est au moins campée de façon fougueuse, et marche, et s'avance bien vers le spectateur. La Vérité de M. de Rudder est jolie c'est une nouvelle conception de la fable, qui ne nous déplaît pas ; cette vierge au corps gracile, qui d'un geste délicat relève ses cheveux, est vraiment séduisante et jolie. M. Vinçotte devait envoyer au Salon deux Chevaux retenus par un esclave, un groupe de grandeur nature que nous avons vu, dressé magistralement, dans son atelier ; le travail n'a pas été terminé à temps et l'artiste n'a pu donner que le buste du professeur Chandelon, * * * une merveille. Ce vieillard à la tête bosselée et ridée a, dans le bronze, une expression et une tenue lourdes de chanoine, un air de bonté contente et satisfaite ; la vie en sort dans le sourire et rayonne dans le regard. * * * M. de Tombay peut remercier M. Vinçotte d'être arrivé en retard. Son Gaulois domptant un cheval eût fatalement créé une comparaison avec les chevaux de son confrère et ces comparaisons-là sont toujours dangereuses. Non que le groupe de M. de Tombay soit quelconque. L'œuvre est savamment construite mais manque un peu de vigueur; la bête semble faite de plaques boulonnées et soudées, elle est trop académique, trop faite sur un patron connu; M. Desenfans avec LAmarre est absolument dans le même cas; rien n'est déplaisant comme la pose, et ici encore ont sent trop le modèle, un modèle scrupuleusement et correctement reproduit, mais n'évoquant rien qu'un atelier au milieu duquel sur un tabouret se contournerait un homme nu. Beaucoup d'autres sculpteurs ont procédé de même; ils n'ont pas assez compris que le modèle n'est qu'un guide destiné à faciliter le gros ouvrage, mais c'est en lui-même, dans son esprit, que le sculpteur doit trouver un Beau que la réalité offre rarement, ou du moins qu'elle n'offre jamais d'une façon complète. Mettre en scène un homme nu et lui donner un titre allégorique ou historique ne signifie rien : ce sont le plus souvent des études serviles que l'on ne doit pas encourager. M. Samain sculpte un homme à moitié vêtu qui raccommode, d'un air désolé et cassé.... son j^anta-lon. Une épée brisée gît à coté de lui ; cela s'appelle Grandeur et décadence des Romains. Montesquieu s'esclafferait à voir ce brave homme rendre ainsi tout son chef-d'œuvre ! Ceci n'est d'ailleurs qu'une discussion de titre et c'est au gout... littéraire seul de l'artiste que nous pouvons faire des reproches. Il eût appelé son groupe Homme mettant des fonds de culotte que cela ne ferait rien à l'œuvre qui témoigne d'un bel effort et ne manque pas d'expression. * * * Il nous reste à citer encore le marbre de M. Injalbert : IJA mour incitant des colombes, avec de grandes réserves sur la face de cet amour, qui est désolamment convulsée; le Buste de M. Antonin Proust, de Rodin, la Pêcheuse de M. Hambresin, une robuste femme inspirée de Jules Breton et dont la poitrine gonflée à la palpitation de la vie saine. * * * Combien en oublions-nous? Que ceux qui ne sont pas contents lèvent le doigt! Nous n'avons pas voulu, dans la série déjà trop longue de ces articles, distribuer des éloges banals ni faire une revue complète. Avec nos partis pris, inévitables, nos préférences pour certains genres où nous retrouvions nos propres émotions, nous avons crié bien haut le nom de ceux que nous considérons comme des maîtres. Ils sont rares et nous aurions pu ne citer que la moitié des artistes dont nous avons parlé. Mais à côté de ceux qui sont bons il y a ceux qui le deviendront et la tâche du critique participe de la prédiction plus que de la constatation. Notre art belge n'est pas près de s'éteindre. Nos artistes ont à s'imprégner de la large Nature, à chercher en elle l'inspiration pour la transformer et la grandir. On a dit que l'Art est un coin de nature vu à travers un tempérament. Oui, mais c'est le tempérament qui doit dominer, et je me moque fort de ce que le ciel d'un tableau soit bariolé de couleurs impossibles, inouïes, si ce ciel m'attire à lui et me donne l'impression radieuse de l'immensité ! Bruxelles. — Imprimerie Ed. Maheu, 18, rue des Sables. TABLE DES MATIÈRES Préface I, II, III, IV Chapitre I............................i II..............................5 II I............................9 I V..............15 11 V..............21 11 VI..............27 » VII..............33 » VIII..............37 IX..............43 » X..............47 XI..............51 „ XII..............57 „ XIII..............61 » XIV............. • 65 I, XV..............69 II XVI..............75