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Bruxelles, 1890, in-8° — Note supplémentaire. Bruxelles, 1892, in-8°. Le Livre de l'abbé Guillaume de Ryckel (1249-1272). Polyptyque et Comptes de l'abbaye de Saint-Trond au milieu du XIIIe siècle. Bruxelles, 1896, in-8°. La Hanse [lamande de Londres. Bruxelles, 1899, in-8°. Le soulèvement de la Flandre maritime en 1323-1328. Bruxelles, 1900, in-8°. La nation belge. 4 e édition. Bruxelles, 1917, in-8°. Chronique rimée des troubles de Flandre en 1379-1380, publiée avec une introduction et des notes. Gand, 1902, in-8°. Bibliographie de l'histoire de Belgique. 3e édition, avec la collaboration de MM. H. Nowé et H. Obreen. Bruxelles, 1931, in-8°. Recueil de documents relatifs à l'histoire de l'industrie drapière en Flandre (en collaboration avec M. Georges Espinas). Bruxelles, 1906-1924, 4 vol. in-4°. Les anciennes démocraties des Pays-Bas. Paris, 1910, in-8°. (Bibliothèque de philosophie scientifique.) Les périodes de l'histoire sociale du capitalisme. Bruxelles, 1914, in-8°. Le pangermanisme et la Belgique. Bruxelles, 1919, in-8°. Souvenirs de captivité en Allemagne. Bruxelles, 1920, in-8°. Les villes du Moyen Age. Essai d'histoire économique et sociale. Bruxelles, 1927, in-8°. Histoire de l'Europe, des invasions au XVIe siècle. Bruxelles et Paris, 1936, in-8°. Mahomet et Charlemagne. Bruxelles, 1937, in-8°. Les villes et les institutions urbaines. 3° édition. Bruxelles, 1939, 2 vol. in-8°. HENRI PIRENNE PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE GAND HISTOIRE DE BELGIQUE DES ORIGINES A NOS JOURS L'iconographie de l'ouvrage a été rassemblée et commentée par FRANZ SCHAUWERS Conservateur à la Bibliothèque Royale de Belgique et JACQUES PAQUET Licencié en Philosophie et Lettres (Histoire) LA RENAISSANCE DU LIVRE 12, PLACE DU PETIT SABLON - BRUXELLES DE LA MORT DE CHARLES LE TÉMÉRAIRE A LA PAIX DE MUNSTER AVANT-PROPOS DE LA PREMIERE EDITION. — Ce volume, qui comprend l'histoire de la Belgique depuis la crise provoquée par la mort de Charles le Téméraire jusqu'au début de la révolution contre l'Espagne, m'a coûté beaucoup plus de peine que les deux précédents et sera sans doute jugé beaucoup plus imparfait. La cause n'en est point dans la difficulté de la composition — au contraire, à mesure que l'on avance dans le XVIe siècle, l'unité croissante du sujet rend plus aisée la tâche de l'écrivain — il la faut chercher dans l'état des sources. On observera, en effet, que si le nombre des documents publiés sur le XVIe siècle, tant en Belgique qu'en Hollande, est extrêmement considérable, la grande majorité de ces documents se rapporte au règne de Philippe II. Ils contiennent bien peu de chose sur l'époque de Maximilien ou de Philippe le Beau et même sur celle de Charles-Quint. Toutefois, c'est pour l'étude de la civilisation nationale qu'ils sont particulièrement insuffisants. Dès lors, on reprochera peut-être aux développements que j'ai consacrés à la situation économique et sociale ainsi qu'au mouvement de la Renaissance, une information trop indigente et une généralisation trop hâtive. Mais l'utilité d'un ouvrage tel que celui-ci n'est-elle pas surtout d'indiquer des points de vue nouveaux et de proposer des hypothèses que les recherches futures, fondées sur l'exploration des archives, rectifieront peu à peu ? Je ne crois pas que l'historien doive attendre avant de prendre la plume que tous les détails de son sujet aient été élucidés. Il est indispensable que, de temps à autre, les données des sources connues soient mises en oeuvre et servent à constituer un tableau d'ensemble. Si imparfaite qu'elle soit, une synthèse présente toujours le mérite, par les explications qu'elle donne des événements et par les rapports qu'elle établit entre les faits, d'éveiller l'attention de la critique et de poser au moins, sinon de résoudre, quantité de questions intéressantes. Je n'ai pas besoin d'indiquer ici quelles sont les parties de cet ouvrage pour lesquelles j'ai été réduit à mes propres forces : les spécialistes les reconnaîtront facilement. En revanche, je dois constater combien ma tâche a été allégée, grâce à un grand nombre de travaux dont la plupart ont paru au cours des dernières années. Tels sont entre autres : le petit livre si clair de M. F. Rachfahl sur Marguerite de Parme, les recherches pénétrantes de M. Ernst Marx sur le soulèvement des Pays-Bas, les excellentes études de M. Paul Kalkoff sur les origines de la lutte contre la Réforme et, enfin, les premiers chapitres de L'établissement du régime espagnol dans les Pays-Bas de M. Ernest Gossart, si importants pour l'intelligence de la politique de Philippe II. Le Corpus Inquisitionis Neerlandicœ de M. Paul Fredericq m'a fourni naturellement la substance des passages relatrfs à l'inquisition (1). Et j'ai tiré le plus grand parti, pour l'histoire économique, du remarquable ouvrage de M. V. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger. Je tiens, enfin, à rendre hommage à la monumentale Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique d'Alexandre Henne, qui restera longtemps encore le fondement de bien des recherches, où la partialité de l'auteur est trop visible et, si l'on peut ainsi dire, trop honnête, pour pouvoir être dangereuse. A mon grand regret, je n'ai pu utiliser comme je l'aurais voulu, le tome premier du grand ouvrage de M. Rachfahl, Wilhelm von Oranien und de r niederlândische Aufstand (Halle, 1906), qui a paru au moment où mon volume était presque entièrement imprimé. C'est là une circonstance d'autant plus fâcheuse que divers chapitres de ce beau livre, consacrés à décrire la civilisation des Pays-Bas au XVIe siècle, se rapportent précisément à la matière traitée dans le livre II de mon travail. Comme dans les volumes précédents, j'ai strictement borné ma tâche à l'exposé de l'histoire des Pays-Bas, m'appliquant à en montrer les rapports avec l'histoire générale de l'Europe, mais sans la noyer dans celle-ci. J'ai attiré beaucoup plus l'attention sur Marguerite d'Autriche et sur Marie de Hongrie que sur Charles-Quint. Encore ai-je cherché à faire apparaître dans ce dernier, sous l'empereur et sous le roi d'Espagne, le souverain de l'Etat bourguignon. De plus et nécessairement, je me suis surtout occupé de celles des dix-sept provinces qui constituent aujourd'hui la Belgique, renvoyant le lecteur pour le reste, comme je l'ai fait précédemment, à l'excellente histoire du peuple néerlandais de M. P.-J. Blok. Quant à la méthode que j'ai suivie, je n'ai plus à m'en expliquer. Elle est restée celle des volumes antérieurs. Je me suis efforcé, de nouveau, de retracer le développement de la civilisation nationale en faisant saisir les rapports qui lient les unes aux autres toutes les manifestations de l'activité collective du peuple. J'ai tenté de découvrir, au sein même de notre histoire, les causes profondes qui ont soulevé les Pays-Bas, ou, pour mieux dire, l'Etat bourguignon, contre l'Etat espagnol. Parmi elles se rencontrent bien des questions encore brûlantes. J'espère en avoir parlé sans parti pris, uniquement préoccupé que j'ai été, non de juger les faits, mais de les comprendre et de les expliquer. Cette fois encore, j'ai à témoigner à mon ami, M. le Dr Fritz Arnheim, toute ma gratitude pour les rectifications multiples qu'il m'a signalées pendant la traduction allemande de mon manuscrit (2). Une autre amitié, celle de mon cher collègue de l'Université de Gand, M. Paul Thomas, ne m'a pas été moins précieuse au cours de la correction des épreuves de l'édition française; elle m'inspire la même reconnaissance et me laisse, au moment où j'abandonne ce volume, le même réconfortant souvenir. Gand, mars 1907. DE LA DEUXIEME EDITION. — Sans qu'aucun changement essentiel y ait été introduit, cette nouvelle édition présente de multiples améliorations portant à la fois sur le fond et sur la forme de l'ouvrage. Le texte s'est accru de dix-huit pages, et cette augmentation s'explique sans peine par le nombre considérable des publications nouvelles parues depuis cinq ans, tant en Belgique qu'à l'étranger, touchant la période comprise dans ce volume. Je les ai utilisées avec tout le soin dont j'étais capable. Quand il m'est arrivé de ne pas me rallier à leurs conclusions, j'ai donné brièvement en note les motifs qui m'y ont déterminé. Gand, 22 juillet 1912. DE LA TROISIEME EDITION. — Les corrections et améliorations apportées à la nouvelle édition de ce volume ne sont pas très nombreuses. Peut-être d'ailleurs ne le sont-elles pas assez. Les conditions du travail scientifique sont encore si défectueuses que je ne puis m'assurer de n'avoir rien laissé échapper des travaux utiles à consulter pour rendre cette mise au point digne de la faveur que le public veut bien conserver à mon ouvrage. Je remercie M. Gaston Dept, étudiant du doctorat en histoire à l'Université de Gand, d'avoir bien voulu se charger de la revision des tables. Gand, 7 février 1923. H. PIRENNE. (1) Je tiens à remercier M. Fredericq de la nouvelle preuve d'amitié qu'il m'a donnée en me permettant d'utiliser le manuscrit des volumes futurs du Corpus. (2) Cette traduction a paru, comme celle des deux volumes précédents, dans la Geschichte der Europûischen Staaten, herausgegeben von A. H. L. Heercn, F. A. Ukert, W. von Giesebrecht und K. Lamprecht, sous le titre de Geschichte Belgiens, Uebersetzung des franzSsischen Manuskripts von Fritz Arnheim. Dritter Band. Vom Tode Karls der Kilhnen (1477) bis zu Ankunft des Herzogs von Alba (1567). Gotha, F. A. Perthes, 1907, XXI et 606 pages in-8° LIVRE PREMIER LA CRISE LA RESTAURATION ET L'ACHÈVEMENT DE L'ÉTAT BOURGUIGNON (Bruges, Grand Séminaire, cloitre du refuge de l'ancienne abbaye des Dunes.) (Cliché Pichonnier.) Marie de Bourgogne adorant l'Enfant Jésus. La duchesse est agenouillée au centre de la composition. A sa droite, Jean Crabbe, vingt-neuvième abbé de l'abbaye des Dunes (1457-1488). Entre Marie de Bourgogne et Jean Crabbe, un ange planant tient un écu aux armes de la duchesse. Cette peinture en grisaille fait partie d'un ensemble représentai la généalogie des comtes de Flandre, des origines du comté à Marie de Bourgogne; il se trouvait autrefois à l'abbaye des Dunes à Coxyde. CHAPITRE PREMIER LA CRISE DE 1477 ES PROJETS DE LOUIS XI. - Le désastre de Nancy (5 janvier 1477) plaçait la maison de Bourgogne dans une situation presque désespérée. L'armée détruite, l'artillerie aux mains de l'ennemi, le duc Charles laissé parmi les morts, c'était l'évanouissement définitif du prestige militaire et de la puissance politique; c'était l'existence même de l'Etat créé par Philippe le Bon mise en question et peut-être irrémédiablement compromise; c'était, en tout cas, et dans les conditions les plus désastreuses, la guerre certaine avec la France. Car Louis XI ne pouvait laisser fuir l'occasion qui s'offrait enfin. Comment espérer qu'il sacrifierait sa haine, son long espoir de vengeance, l'intérêt évident de son royaume, au respect d'une nouvelle trêve de neuf ans qu'il avait signée le 13 septembre 1475 ? N'avait-il pas consenti justement à cette suspension d'armes pour laisser le Témé- raire s'user et se perdre dans sa lutte contre les Suisses ? Ne faisait-il pas épier depuis longtemps ses mouvements par un corps d'armée ? N'avait-il pas combiné déjà des mesures pour envahir à la fois la Bourgogne et la Flandre au moment propice ? Il n'avait rien à craindre de l'empereur, et le roi d'Angleterre, qui seul eût pu le retenir, ne songeait point à rompre la paix qu'il venait de conclure avec la France (avril 1475), dont il touchait une pension. Non seulement Louis XI se trouvait libre d'agir a sa guise, mais il pouvait se flatter encore de trouver des alliés au sein même des Etats bourguignons. La Gueldre, le pays de Liège, récemment annexés et tout frémissants sous le joug de leur vainqueur, aspiraient ardemment à l'heure de la délivrance. Et quant aux bourgeoisies de la Flandre, de la Hollande, du Hainaut, du Brabant, écrasées d'impôts, exaspérées par la violation de leurs privilèges, par l'orgueil du duc et la morgue de ses officiers, elles ne se dévoue- (Bruges, Musée de l'hôpital Saint-Jean.I (Cliché A.C.L.) Sainte Catherine. Détail du « Mariage mystique de sainte Catherine » peint par Hans Memlinc entre 1475 et 1479. Certains historiens, parmi lesquels O. Rubbrecht (L'origine du type familial de la maison de Habsbourg, chapitre Ier. Bruxelles, 1910) reconnaissent Marie de Bourgogne sous les traits de sainte Catherine et Marguerite d'York sous les traits de sainte Barbe. raient point sans doute à la défense d'un régime devenu insupportable. Ainsi, le péril extérieur se doublait, au dedans de l'Etat, d'un péril plus menaçant encore. Tout chancelait à la fois, et la chute de la maison de Bourgogne paraissait devoir être d'autant plus profonde que sa fortune avait été plus éclatante et plus rapide. Au milieu de cette débandade et pour sauvegarder un avenir si compromis, une jeune fille et une femme : Marie, la fille unique de Charles, âgée de vingt ans à peine, inconnue du peuple, dont l'avait séparée depuis sa naissance la sévère étiquette de la cour bourguignonne, caractère doux et faible, à la merci des événements, et sa belle-mère, l'intelligente et savante Marguerite d'York, capable de résolution et d'énergie, mais désorientée par la catastrophe soudaine qui la frappait (1). Autour d'elles, les « seigneurs du sang » : Louis de Bourbon, évêque de Liège, oncle de Marie, et des cousins, comme Adolphe de Clèves, seigneur de Ravenstein, le fils de celui-ci, Philippe, dit Monsieur de Ravenstein, Philippe de Bourgogne, sire de Beveren et de Veer, fils du grand bâtard Antoine. Puis quelques-uns de ces fonctionnaires étrangers que Charles, dans son absolutisme croissant, avait de plus en plus préférés aux nationaux pendant les dernières années de son règne : le chancelier de Bourgogne, Guillaume Hugonet, le sire de Humbercourt, l'évêque de Tournai, Ferri de Clugny, tous détestés par le peuple et, en dépit de leur expérience, hors d'état de rien faire. Quelques garnisons éparpillées dans les places fortes de la Picardie, de l'Artois et du Hainaut, c'était tout ce qu'Adolphe de Clèves, lieutenant général du duc depuis son départ, pouvait opposer à l'invasion imminente de la France. A peine informé de la déroute de Nancy et sans même encore savoir si Charles était mort ou vivant, Louis XI avait donné ses ordres (9 janvier). Il chargeait le seigneur de Craon d'occuper le duché de Bourgogne, et faisait filer vers le nord, le 11 janvier, Philippe de Commines et l'amiral de France « pour mettre en son obéissance tous ceulx qui s'i voudroient mettre» (2). Depuis longtemps, il se proposait, si quelque boulet bienfaisant le débarrassait de son ennemi, de faire épouser Marie de Bourgogne par le dauphin ou par un prince français (3). Ce n'était là, en somme, que la politique suivie si souvent déjà par la France vis-à-vis de la Flandre, et dont le mariage de Marguerite de Flandre avec Philippe le Hardi (1369) avait été la dernière manifestation. En l'adoptant, Louis XI restait fidèle à la tradition de ses prédécesseurs et se rattachait à Charles V. Et pourtant, maintenant que la fortune semble lui permettre de réaliser son dessein, il se laisse séduire par des perspectives plus tentantes. S'il ordonne à Craon de faire proclamer en Bourgogne qu'il veut fiancer son fils à Marie, s'il écrit aux bourgeois de Dijon qu'il est décidé à garantir les intérêts de « sa filleule », et si, pendant les négociations qu'il va entamer avec les villes de Flandre, il ne cesse de mettre en avant ses offres de mariage, il caresse à part lui de tout autres projets. Il n'a oublié ni la guerre du Bien Public, ni l'humiliation de Péronne. Il s'abandonne à l'espoir de détruire à jamais cette maison de Bourgogne devant laquelle il a tremblé si longtemps. Au même moment où il iNantes, Bibliothèque du Musée Dobrée, ms. 18, fol. 1 r°.) (Cliché Lumina.) Louis XI, roi de France, entouré de ses vassaux. Le roi tient le sceptre dans la main droite et la main de justice (dont l'original est reproduit dans le tome I, page 159) dans la main gauche. Au pied du trône, Philippe de Commines, historiographe du roi. Sur le bord supérieur du folio, le miniaturiste a écrit ces mots : a Les Coroniques de Montlehery du tens du roy Louis unsième. » Frontispice d'un manuscrit contenant la première partie des Mémoires de Commines. Début du XVIe siècle. se déclare prêt à faire de Marie sa belle-fille, et où il se donne comme son protecteur, il rêve de la dépouiller de son héritage. Il songe à réunir la Flandre au royaume, à exciter les Gueldrois et les Liégeois à la révolte, à appuyer les prétentions du roi de Bohême et des ducs de Saxe sur le Luxembourg (4), celles du comte palatin et d'Albert de Bavière sur le Hainaut et la Zélande (5), à donner le Brabant à quelque prince allemand dont il puisse se faire un allié, à distribuer d'autres territoires à des vassaux français (6). Groupés et puissants depuis un demi-siècle, les Pays-Bas retomberont ainsi dans le morcellement et la faiblesse. Il signale leurs riches provinces comme une proie à l'appétit des seigneurs de sa cour qui déjà se voient « tout d'or » (7). En même temps, il tâche de désunir leurs populations en s'efforçant d'exciter entre elles les haines de races, et il invite les Wallons à venir à la France puisqu'ils parlent la langue de la France (8). Mais il compte surtout, pour réussir, sur la corruption et l'intrigue. Pendant que Philippe de Commines engage le commandant d'Arras, Philippe de Crèvecœur, seigneur d'Esquerdes (9), à trahir la Bourgogne comme il l'a jadis trahie lui-même, des serviteurs de la chambre du roi, de ces hommes à tout faire qu'il a pris dans le peuple, qui lui doivent tout et qui ne connaissent point le scrupule, se glissent dans les villes. Robinet d'Ouden-fort arrive à Saint-Omer, et Olivier le Daim, ce petit bourgeois flamand anobli par Louis XI, est envoyé aux Gantois en mission secrète. ((Oxford, Bodleian Library, ms. Douce 365. fol. CXV r°.) Marguerite d'York en prières. Détail agrandi d'une miniature extraite d'un traité de morale transcrit en français à Gand par David Aubert pour Marguerite d'York (1475). LES GANTOIS. — A Gand, en effet, est réservé dans les plans du roi le rôle essentiel. Il sait que cette grande ville, humiliée comme lui par le Téméraire, est animée comme lui d'un âpre désir de revanche. Ses métiers, dépouillés depuis 1469 de leurs franchises et de leurs bannières, n'hésiteront point à embrasser sa cause. Une fois de plus, la politique urbaine s'appuiera sur la France. Le secours que Philippe le Bel a reçu jadis des patriciens gantois, les artisans gantois le fourniront à Louis XI. Qu'ils se soulèvent, et les Pays-Bas sont à sa merci. Car Marie de Bourgogne et Marguerite d'York se trouvent précisément au Prinsen-Hof de Gand, et les Etats généraux viennent d'y être convoqués. Le sort de la maison de Bourgogne semble donc enfermé dans les murs de la puissante commune. C'est de celle-ci que dépend le succès de la politique royale. Il faut la gagner à tout prix, et Olivier le Daim se hâte d'annoncer aux Gantois que son maître rétablit tous leurs privilèges. D'ailleurs, le roi ne se contente point de saper ainsi la puissance bourguignonne : pendant qu'il fait envahir par Craon le duché de Bourgogne, il prépare une armée contre les Pays-Bas. Il emprunte de l'argent à Paris, demande à ses villes des maçons et des bombardes pour le siège des forteresses et concentre en Picardie ses francs-archers et ses compagnies d'ordonnance. Dès la fin de janvier, ses troupes pénètrent dans le Vermandois. Elles se font ouvrir sans résistance les portes de Saint-Quentin et des villes de la Somme, qu'un article de la paix d'Arras promettait de rendre à la France si le duc mourait sans héritier mâle, et où la domination bourguignonne est détestée. Au mépris des droits de l'Empire, Louis impose à Cambrai sa suzeraineté (10). Ainsi, moins d'un mois après la mort du Téméraire, il menace à la fois l'Artois et le Hainaut. Mais, comme toujours, il préfère les négociations à la guerre. Il ne combattra que si la diplomatie ne suffit pas à assurer son triomphe. De Pé-ronne, où il est arrivé le 3 février, il attend les événements et s'efforce de les diriger. Ils se déroulèrent tout d'abord comme il l'avait prévu. A la nouvelle de la défaite et de la mort de leur prince, les métiers gantois s'étaient insurgés. Avant même l'arrivée d'Olivier le Daim, ils liaient inconsciemment partie avec le roi. La catastrophe que celui-ci mettait à profit pour détruire la maison de Bourgogne comme puissance européenne, ils se hâtèrent de s'en servir de leur côté pour détruire l'Etat bourguignon. La revanche de la politique urbaine sur la politique monarchique, du privilège sur l'égalité, du « bien particulier » sur le « bien commun », allait s'accomplir en même temps et à la même occasion que celle de la France sur la Bourgogne. Tandis que l'ennemi se massait aux frontières, les artisans, restés fidèles à la vieille tradition du particularisme urbain, ne songeaient qu'à leurs franchises et à reconstituer un Etat dans l'Etat. Au lieu d'organiser la résistance, ils n'avaient en tête, dit Philippe de Commines, que « de faire ung monde neuf » (11). Mais ce monde neuf qu'ils rêvaient, c'était le retour au passé. (Gand, Archives de la ville, charte n° 706.) Sceau de Marie de Bourgogne. Type équestre de chasse. Sceau pendant au bas du Grand Privilège du 11 février 1477 (n.s.). Diamètre : 130 mm. La révolution intérieure qu'ils ajoutaient à la guerre contre l'étranger, c'était, dans toute la force du terme, une révolution conservatrice ou, si l'on veut, une révolution réactionnaire. Ils n'avaient qu'à le vouloir d'ailleurs pour triompher. Incapable de résistance, prête à toutes les capitulations et à tous les sacrifices pour rallier ses sujets à sa cause, Marie de Bourgogne octroya aux Gantois tout ce qu'ils demandèrent (12). Dès la fin de janvier, l'organisation de la ville se trouvait, comme avant la paix de Gavere, aux mains des métiers. Les anciens échevins étaient en fuite ou en prison et on instruisait tumultueusement leur procès. LES ETATS GENERAUX. - C'est donc au milieu d'une ville en pleine fermentation politique que les Etats généraux s'assemblèrent vers la fin du mois de janvier. Marie les avait convoqués, avant même d'avoir appris la déroute de Nancy, pour leur demander des subsides et des troupes à envoyer à son père. La situation rendait ces demandes plus urgentes encore : mais les Etats n'étaient guère disposés à les entendre. Ils ne s'étaient plus réunis depuis le mois d'avril 1476 où, après des discussions orageuses, ils avaient refusé les levées d'hommes que Charles exigeait de ses provinces. Le souvenir de l'arrogance du chancelier Hugonet les menaçant, s'ils disaient mot « qui puisse desplaire à mon très redoubté et souverain prince » de « faire parler à leurs testes » (13), leur faisait mieux sentir qu'ils étaient à présent maîtres de la situation. Au surplus, les Gantois exerçaient sur eux leur influence et enhardissaient à la résistance les délégués des bonnes villes. La compassion qu'inspiraient sans doute à quelques-uns la jeunesse et le malheur de Marie de Bourgogne, ne pouvait l'emporter sur les rancunes excitées par son père et sur l'espoir de fonder un nouveau régime. Le loyalisme, d'ailleurs, restait intact. Tous reconnurent Marie comme « princesse naturelle ». Personne ne songeait à contester ses droits héréditaires, et si Louis XI avait espéré des défections, il fut amèrement surpris. Wallonnes ou flamandes, toutes les provinces représentées, Brabant, Flandre, Hainaut, Namurois, Artois, Hollande et Zélande, se déclarèrent bourguignonnes. On décida même de lever pour le 1er mars une armée de cent mille hommes et d'envoyer, en attendant, une ambassade au roi de France (14). Puis, oubliant la guerre, on ne songea plus qu'à modifier la forme du gouvernement. Les Etats s'improvisèrent assemblée constituante. Le 11 février 1477, ils contraignirent la duchesse à signer cet acte fameux que l'on appelle le Grand Privilège de Marie de Bourgogne (15). LE GRAND PRIVILEGE. — Ce Grand Privilège est la première charte commune à toutes les provinces des Pays-Bas. Suivant une opinion déjà courante au XVIIIe siècle, il y aurait établi, à la place du système monarchique institué par les ducs, un régime constitutionnel de forme parlementaire. On l'a souvent comparé à la Grande Charte anglaise et l'on ne s'est pas fait faute d'admirer la sagesse et le caractère libéral de ses stipulations. A y regarder de près, cependant, on se convainc aisément qu'il ne mérite point tant d'honneur et qu'il n'a pas une si haute portée. Bâclé à la hâte et certainement sous la pression des Gantois (16), imposé à la duchesse qui n'eut le temps ni de l'examiner, ni de le discuter, il constitue tout simplement une restauration du particularisme provincial. Sa signification est essentiellement négative. Il détruit, mais ce qu'il détruit, il ne le remplace pas ou il ne le remplace qu'en apparence. Que détruit-il ? Le gouvernement central, c'est-à-dire cet ensemble d'institutions créées par les ducs au-dessus des institutions territoriales, dans le but de les relier les unes aux autres et d'imprimer aux parties hétérogènes de l'Etat' bourguignon un caractère et un gouvernement communs. De toutes les « nouveautés » introduites par la dynastie, c'était là la plus importante, mais aussi la plus destructive des autonomies régionales (17). Par elle, l'ensemble des Pays-Bas se subordonnait à la souveraineté du prince; les comtés et les duchés jadis indépendants étaient ravalés au rang de provinces. Et si l'on ajoute que le personnel chargé du maniement de ces institutions se composait presque tout entier de Bourguignons de Bourgogne, c'est-à-dire d'étrangers, on comprend aisément que c'est à briser les grands rouages de la machine administrative que devait s'attacher la réaction particulariste qui s'affirme dans le Grand Privilège. Tandis qu'il laisse subsister sans changement ou avec de légères modifications les Conseils de justice provinciaux qui avaient soulevé au XIVe siècle une si forte opposition, il abolit purement et simplement le Parlement de Malines, cette grande cour de justice qui donne aux Pays-Bas l'attribut le plus essentiel de l'Etat, la souveraineté et l'unité judiciaires. Il n'en faudrait pas davantage pour caractériser ses tendances s'il ne nous apprenait lui-même que son but est le rétablissement de tous les « droits, privilèges, coutumes et usages », soit, en termes plus clairs, le rétablissement du morcellement territorial et l'abolition de l'Etat. A vrai dire, il semble que ce qu'il supprime d'un Cf-b p* l'fo 6 ♦»*^ fi fiay ( }VU/<. A. £W \n~.fpyt,.- •s.C^,., \ ' e fc. f^A, (Bruxelles, Archives générales du Royaume, ms. divers n° 174, fol. 31 r°.) « Sensuilt les personnes que ma très redoubtee demoiselle a prins pour estre de son Conseil » : Liste des personnes choisies par Marie de Bourgogne pour (aire partie de son Conseil. Le folio photographié ci-dessus cite deux Bourguignons, deux Brabançons, 'rois Flamands et trois Hollandais: En regard de chaque nom sont indiquées les deux ou trois langues dont usent habituellement les titulaires : pour la Bourgogne, maître Jean Caron-delet (français et latin) et Thomas ■ de le Playne • (latin, français et flamand) ; pour le Brabant, le sire de Gaesbeek (français et flamand) et maître Charles Degroot (latin, français et flamand) ; pour la Flandre, le sire de Gruuthuse (français et flamand), maîtres Jean de Haluin (Halewyn) et Adrien Celin (latin, français et flamand) ; 'pour la Hollande, le sire de Vere (français et flamand), maîtres Philippe de Werve et Jacques n dalmonde » (latin, français et flamand). Manuscrit contenant un recueil de documents d'ordre administratif relatifs à l'histoire des Pays-Bas de 1444 à 1469; utilisé par Pirenne (voyez la note 20) dans ses recherches sur la création et l'activité du Grand Conseil adjoint à Marie de Bourgogne en 1477. (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Médailles.) Louis XI, roi de France. Médaille exécutée par Francesco Laurana. Légende : DIVVS LODOVICVS REX FRANCORVM. (Diamètre : 85 mm.). il régnera à des titres particuliers et suivant des constitutions différentes. Devant le roi de France en armes, le faisceau des provinces des Pays-Bas se dénoue et s'éparpille. On cherche, il est vrai, à sauvegarder un semblant d'unité. Le rôle central que l'on refuse au prince, on le concède, en apparence, aux Etats généraux. Ceux-ci auront désormais le droit, comme les Etats particuliers de chaque territoire, de s'assembler quand ils le voudront et sans convocation préalable. Mais quels pouvoirs exerceront-ils ? Quels moyens emploieront-ils pour obliger toutes les provinces à respecter leurs résolutions ? Quelles sont les affaires qu'on leur réserve ? Le Grand Privilège est muet sur toutes ces questions. Le seul point qu'il établisse avec netteté, et cela semble dans les conjonctures du moment une étrange ironie, c'est l'interdiction faite au prince d'entreprendre une guerre, même défensive, sans l'assentiment de ses sujets. Il n'en faut pas davantage pour apprécier l'œuvre des Etats de 1477. Dominés par l'influence des villes et surtout par celle de Gand, ils ne voient d'autre moyen de redresser les griefs dont ils se plaignent que d'en revenir au particularisme. Avec eux, la politique médiévale l'emporte sur la politique moderne. Ils ne réforment pas, ils détruisent et, sans distinguer entre le principe même du régime bourguignon et les abus que son application a entraînés pendant le dernier règne, ils profitent à la hâte de l'occasion pour tout balayer pêle-mêle. L'établissement arbitraire de nouveaux tonlieux, l'emploi abusif du français dans les rapports administratifs avec les provinces de langue flamande, la substitution du droit romain au droit coutumier, la mise à ferme des offices judiciaires, la donation des abbayes en commande, toutes ces mesures vexatoires ou odieuses, accompagnement trop réel mais non nécessaire du gouvernement central, sont emportées en même temps que lui. Et l'on se persuade sans peine qu'il n'en pouvait être autrement si l'on songe à la diversité des intérêts, des mœurs, côté, il le rétablisse de l'autre. A la place du Parlement de Malines, il installe, en effet, un Grand Conseil adjoint à la personne du prince et dont les membres seront pris dans les divers pays suivant leur importance : quatre en Bourgogne (18), deux en Artois et Picardie, deux en Hainaut, un dans le Namurois, quatre en Brabant, quatre en Flandre, quatre en Hollande et Zélande, deux dans le Luxembourg et deux dans le Limbourg. Mais ce Grooten Raed ne pourra traiter que des affaires dont « les Conseils particuliers des divers pays et leurs lois locales ne peuvent prendre connaissance conformément à leurs privilèges », c'est dire qu'il ne s'occupera de rien, puisque les souverainetés locales sont rétablies (19). Et il ne suffit pas même d'avoir énervé ainsi par avance ce simulacre de Conseil : pour achever de le rendre impuissant, on le prive du caractère sédentaire qui pourrait le soustraire au contrôle des provinces : il se déplacera avec le prince. Ainsi est faussé le ressort du gouvernement central. Le principe monarchique de l'Etat a vécu. Le prince n'a plus en face de lui qu'une multiplicité de territoires sur lesquels rant la Flandre en principauté indépendante, annulait par avance le rôle réservé par le Grand Privilège aux Etats généraux. A côté du redressement minutieux d'une foule de griefs, grands et petits, touchant l'emploi des langues, le renouvellement des « lois », les frais de justice, les dommages causés par les lapins des dunes, ce texte abandonne aux « Membres de Flandre » le gouvernement du comté et déclare que celui-ci ne pourra être mêlé sans son assentiment aux guerres soutenues par les autres pays de la duchesse (21). Des concessions analogues, datées du 14 mars, furent exigées par la Hollande et la Zélande (22). L'un après l'autre, les territoires bourguignons tiraient ainsi les conclusions du Grand Privilège. (Mons, Archives de la ville, n° 410.) Exemplaire original, sur parchemin, du grand privilège de Marie de Bourgogne, adressé au magistrat de la ville de Mons (11 février 1477 n.s.). Délivré à Gand, l'acte est entièrement rédigé en flamand. Il est scellé des sceaux de la duchesse, de Louis de Bourbon, prince-évêque de Liège, et d'Adolphe de Clèves, sire de Ravenstein. des coutumes qui opposait les unes aux autres les provinces bourguignonnes. Trop récemment unies, elles étaient bien loin encore de constituer un solide corps d'Etat. La cohésion politique et la cohésion nationale ne pouvaient être maintenues entre elles que par l'unité de ce gouvernement central qu'elles s'acharnaient à démolir en voulant l'amender. Dans le mouvement de réaction qui entraîne les Pays-Bas en 1477, le Grand Privilège n'a guère, d'ailleurs, que l'importance d'un programme. Si l'on supprima tout de suite ce qu'il abolissait, on n'institua point ce qu'il prétendait organiser. On ne voit pas que le Grand Conseil, dont il ordonnait la création, ait jamais fonctionné (20), ni que les Etats généraux se soient réunis conformément à ses stipulations. Tranchant le lien qui rattachait les uns aux autres les divers territoires, il devait, en effet, se dissoudre en une série de privilèges particuliers et s'abolir en vertu même des principes qu'il proclamait. Le même jour où Marie de Bourgogne y apposait sa signature, les Flamands se faisaient octroyer par elle une charte spéciale qui, restau- LES SOULEVEMENTS URBAINS. -En même temps que ce retour au provincialisme s'accomplit un retour à 1 autonomie urbaine sous sa forme la plus extrême. Dans chaque commune, les métiers, à l'exemple de ceux de Gand, ont pris les armes, arrêté ou terrorisé les magistrats. Partout, ils réclament, menaçants, le rétablissement de leurs franchises politiques et économiques. Au sein de l'exclusivisme provincial, l'exclusivisme municipal se donne libre carrière. Dès le 11 février, les villes flamandes ont fait inscrire dans la charte octroyée au comté que les impôts votés à la majorité par l'assemblée des « Quatre Membres », ne pourront obliger la minorité, si bien que chaque ville reste seule et souveraine maîtresse de ses finances. Les Brugeois se font restituer, le 13 mars, toutes leurs anciennes coutumes, et la charte qu'ils dictent à Marie de Bourgogne constitue la manifestation la plus éclatante du protectionnisme suranné auquel ils restent obstinément fidèles. Elle supprime le Franc comme « membre de Flandre » et le soumet de nouveau au pouvoir de la ville, elle interdit l'exercice de la draperie dans les villages, elle refuse le droit de bourgeoisie à tout individu né hors de Flandre, elle reconstitue l'étape dans toute sa rigueur-pour les marchands étrangers (23). A Bruxelles, les artisans s'emparent de l'hôtel de ville, se saisissent des échevins, font pro- noncer par des commissaires, dont la plupart ne savent ni lire ni écrire, des condamnations à mort (24). Des faits analogues se passent à Ypres, à L'Ecluse, à Mons, à Bois-le-Duc, à Valenciennes, à Anvers. Partout, les métiers, menacés dans leur prospérité matérielle par une transformation économique dont ils ne peuvent comprendre ni les causes ni la portée (25), attribuent leur malaise à l'Etat et ne voient le salut que dans sa ruine (26). Pendant qu'ils traquent de toutes parts les fonctionnaires du prince et les partisans du régime qui sombre, ils rétablissent strictement leurs monopoles et s'efforcent de s'assurer le marché urbain qui leur échappe. Les brasseurs bruxellois font insérer dans le privilège accordé le 4 juin à leur ville la défense d'importer de la bière fabriquée au dehors; les bouchers confisquent la charte qui autorisait les bouchers étrangers à vendre de la viande le samedi; le marché du vendredi, odieux aux artisans parce qu'il est accessible aux marchands de l'extérieur, est supprimé (27). Dans l'intérêt des corporations triomphantes, le ravitaillement de la bourgeoisie est compromis. C'est la dernière et suprême conséquence de cette politique du « bien particulier » sous les coups de laquelle s'effondre l'Etat bourguignon. Comment, dans de telles conditions, la lutte contre Louis XI eût-elle été possible ? Du moment où elle se dissolvait, la « généralité » devenait naturellement incapable d'un effort commun. Et cet effort, d'ailleurs, elle eût refusé de l'accomplir si même elle l'avait pu. Les provinces n'entendaient pas maintenir contre l'ennemi étranger cette unité politique dont elles ne voulaient plus pour elles-mêmes. Sans doute, elles ne songeaient point, on l'a vu, à trahir leur « princesse naturelle ». Chacune d'elles reconnaissait hautement le droit héréditaire de la duchesse en son propre territoire, mais s'inquiétait fort peu que ce droit fût violé dans les provinces voisines. De la somme de ces loyalismes particuliers ne pouvait venir la résistance collective qu'il eût été indispensable d'opposer aux attaques de la France. Et puis, au sortir du règne si belliqueux de Charles le Téméraire, on ne voulait plus de guerre : on espérait aboutir facilement à une entente avec le roi. Louis XI, à l'en croire, n'était point l'ennemi des provinces, il le disait à tout venant; il n'en avait qu'à la puissance bourguignonne et, puisque celle-ci n'existait plus, il ne serait point difficile de trouver un accommodement. A cette politique, dont les villes et particulièrement les Gantois se montraient les promoteurs ardents, que pouvait opposer un gouvernement sans prestige, dépourvu d'armée et réduit à ne pouvoir compter que sur le dévouement de fonctionnaires détestés ? Pour gagner ses sujets (Détroit, Institute of Fine Arts.) Vue de Bruges à la fin du XVe siècle. On reconnaît le beffroi et la tour de Notre-Dame dont l'architecture correspond exactement, dès cette époque, à celle que nous reconnaissons aujourd'hui à ces monuments (sauf la partie supérieure du beffroi transformée au début du XIX0 siècle). On les comparera avec la miniature du XV» siècle illustrant la bataille de Beverhoudsveld (voyez tome I, p. 359) et avec la reproduction du beffroi de Bruges (voyez tome I, p. 118). Détail de «La Madone de la Roseraie • peint à la Tin du XV° siècle par un maître inconnu. à la cause de l'unité, Marie de Bourgogne était obligée de leur faire des concessions qui détruisaient cette unité même. Les déclarations de dévouement qu'elle recevait en échange de ses privilèges demeuraient stériles. L'armée de cent mille hommes décrétée par les Etats ne fut jamais levée. Une seule voie était ouverte à la duchesse, celle des négociations et des atermoiements. LES NEGOCIATIONS AVEC LOUIS XI. — Dès le 4 février, et avant même la réunion complète des Etats généraux, une ambassade était envoyée à Louis XI. Elle se composait des plus fidèles serviteurs de Charles le Téméraire, le chancelier Hugonet et le sire de Humber-court, de quelques nobles flamands et des bourgmestres de Bruges et de Gand. « Leur désolation estoit si grande et leur peur, dit Philippe de Commines, qu'i ne sçavoient ne que dire ne que faire» (28). Le roi affecta de traiter fort mal les seigneurs bourguignons, tandis qu'il se montrait plein de prévenance pour les représentants des communes, auxquels il accorda une entrevue secrète et qu'il invita à sa table. Il semble bien qu'il fit allusion devant les députés au mariage de Marie avec son fils, projet peu compromettant d'ailleurs vu l'âge du dauphin qui n'était encore qu'un enfant de sept ans. Mais il exigeait, avant d'entrer en pourparlers, la cession des villes de la Somme et du comté de Boulogne ainsi que la remise de toutes les villes de l'Artois. C'étaient là des « impossibilités » et l'on ne put naturellement s'entendre (29). Toutefois, pour écarter une agression immédiate et faire preuve de bon vouloir, les ambas- ■ VrtL.s^ /> ,1 «» \ rAvxl fc^w v+v* ^W^is*vA>to*Oit S» -r* m fi»"*»») vt■ rwfm^ X^T ^«fU . ----f trtfct-A/ £ ^V-AS r~>v* vy >*rrtV~. ^m -p f^"V^'/^fe i f ' .1 M* u (Paris, Archives Nationales, Xu 9.316- Cote du Musée : AE II 498.) Lettre adressée par Louis XI aux membres du Parlement de Paris, le 17 janvier 1478 (n.s.). La dernière ligne est autographe : ■ Réservez le procès de monsieur sainct Martin, dont je suis abbé. Loys >. (Musée de Mariemont.) Signature autographe de Marie de Bourgogne au bas de la lettre de nomination de maître Gheldof van der Noot au poste de chancelier de Brabant (26 janvier 1477 n.s.). sadeurs consentirent à laisser une garnison française entrer dans la « cité » d'Arras. Les conversations du roi de France avec les négociateurs de Gand et de Bruges avaient porté leurs fruits. Dans l'état d'esprit où ils se trouvaient, il n'était pas nécessaire d'avoir l'habileté d'un Louis XI pour leur inspirer une incurable défiance à l'égard des conseillers de la duchesse, et pour leur faire croire que, conduites par eux, seuls, les négociateurs aboutiraient rapidement. Aussi la seconde députation qui vint trouver le roi au commencement de mars fut-elle composée tout autrement que la première. Elle ne comprenait plus que des représentants des Etats, parmi lesquels les Flamands, et spécialement les Gantois, étaient les plus nombreux. Ces diplomates improvisés allaient être pris au piège : « ce n'estoient que bestes, dit brutalement Commines, et gens de ville, la plus-part » (30). Rédigées dans des termes si humbles qu'ils en sont presque serviles, leurs instructions témoignaient trop naïvement de leur désir de la paix pour ne pas mettre dès l'abord tous les avantages du côté d'un adversaire en armes (31). Elles déclaraient que les « gens des estats de Mademoiselle de Bourgogne » étaient prêts à s'employer à son mariage avec le dauphin, désavouaient les guerres entreprises contre la France par le défunt duc, et désiraient « exaulcer, ho-nourer et servir de tout leur pouvoir Sa Majesté, comme bien ils l'ont desjà démonstré en l'abolicion du Parlement de Malines ». Ils demandaient seulement que « attendu leur dite inclination », il plût au roi de « faire retraire son armée » pendant les négociations matrimoniales qui allaient s'engager. Louis XI n'eut pas de peine à mener où il le voulait ces ambassadeurs novices (32). Il se mit en frais de rondeur et de bonhomie. Il traita les Flamands surtout en vieux amis, déclarant qu'il n'avait jamais songé à leur faire la guerre, ni même à « requérir en Flandre son droit de ressort ». Quant aux Gantois, il se fiait tant en eux « qu'il tiï'rfrV JrfMiif fi Lt*+f (Cliché Cérard.) oserait bien entrer dans leur ville à six chevaux ». Il souhaitait ardemment l'union de Marie avec le dauphin, décidé, aussitôt après le mariage, à « oster sa couronne de son chief et la poser sur le chief de son fils et de Mademoiselle, et soi retraire en quelque lieu pour vivre en déduit ». Mais comment pourrait-il conclure la paix aussi longtemps que la duchesse serait entourée de conseillers perfides, unique obstacle à la réalisation de ces beaux rêves, et dont elle suivait aveuglément les avis au lieu de s'abandonner à ceux des Etats (33) ? L'ambassade rentra à Gand vers le 13 mars, ainsi mise au courant de la situation. Instruits par elle des intentions si pacifiques du roi et du motif qui l'empêchait bien malgré lui de les réaliser, les Etats, après une discussion passionnée, décidèrent de contraindre Marie à accepter le dauphin pour époux. Elle eut beau supplier avec larmes qu'on ne lui fît point violence et qu'on défendît son héritage on ne l'écouta pas (34). SUPPLICE D'HUGONET ET D'HUMBERCOURT. — Les Etats, les députés des villes notamment, étaient per- L'INVASION FRANÇAISE. - Leur supplice (3 avril), l'impuissance et l'isolement de Marie de Bourgogne au milieu d'une ville en révolte comblaient les voeux de Louis XI. Il dut croire que c'en était fait de la puissance bourguignonne et que, disloquée à l'intérieur par la révolution, elle allait, au premier choc, tomber à sa merci. Les Gantois et les Etats qui s'attendaient à voir le roi battre en retraite et entamer avec eux la négociation du mariage, s'aperçurent qu'ils avaient été joués quand son armée se dirigea vers le Nord. Il se flattait sans doute d'avoir raison aussi facilement de l'Artois et du Hainaut que des villes de la Somme et du comté de Boulogne. Il espérait, on l'a vu, que ces pays de langue française ne lui opposeraient aucune résistance. Il s'attendait à des défections nombreuses parmi les commandants de place, dont l'un des principaux, le sire d'Esquerdes, venait de passer dans son camp. Mais il faisait trop bon marché de ce sentiment de fidélité pour la « princesse naturelle » qui restait intact malgré les troubles et l'anarchie. Devant l'invasion, toutes les villes fermèrent leurs portes et se défendirent obstinément. La plus grande partie de la noblesse demeura fidèle. L'hé- (Malines, Musée Communal.) (Cliché obligeamment prêté par la maison d'éditions N. V. Standaard Boekhandel.) Le Parlement de Malines assemblé sous la présidence de Charles le Téméraire. A Pavant-plan, le receveur des amendes ; à ses côtés, les assignés. Devant l'estrade, à gauche, quatre secrétaires ; à droite, assis derrière une table, trois greffiers ; à leur gauche, les avocats et les procureurs. Charles le Téméraire préside la séance du Parlement. A sa gauche, le chancelier de Bourgogne (Hugonet), les deux présidents, quatre chevaliers (dont Humbercourt, le sixième personnage assis à la gauche du duc) et huit conseillers ecclésiastiques ; à sa droite, six maîtres des requêtes et douze conseillers laïques. Ce tableau, peint par un maître anonyme vers 1473, n'est pas la seule source iconographique illustrant l'histoire du Parlement de Malines au XV» siècle. Il existe également aux archives communales de Malines (ancienne maison des échevins), une peinture murale de la fin du XVe siècle dont un détail représente la salle de réunion du Parlement. On connaît fort peu de sources iconographiques illustrant avec une telle précision et une telle exactitude l'histoire d'un Conseil royal ou princier. suadés qu'elle les trompait. On écarta d'elle sa belle-mère Marguerite d'York et le sire de Ravenstein, tandis que les Gantois arrêtaient de leur propre autorité Hugonet et Humbercourt et faisaient instruire illégalement leur procès par les échevins. Leur mort était aussi certaine que quatre-vingt-dix ans plus tard, devait l'être celle des comtes d'Eg-mont et de Hornes jugés par le duc d'Albe (35). Alors comme maintenant, les prisonniers représentaient un régime dont leur supplice devait affirmer la disparition définitive. Avec Egmont et Hornes l'opposition nationale fut sacrifiée à l'absolutisme espagnol, comme avec Hugonet et Humbercourt la politique bourguignonne de centralisation monarchique et de guerre à la France fut sacrifiée à la politique municipale de particularisme et de paix à tout prix. Ils tombèrent victimes de la crise qui faillit faire disparaître en 1477 la maison de Bourgogne. Quand revinrent des temps plus calmes, on ne comprit plus les causes de leur chute et, par une ironie vraiment extraordinaire de l'histoire, ils passèrent pour avoir été mis à mort comme complices de Louis XI et traîtres à leur souveraine (36). roïsme du sire de Beveren racheta la trahison d'Esquerdes. Les débris de l'armée de Nancy venaient d'ailleurs renforcer peu à peu les garnisons de la frontière. Des chansons circulaient parmi le peuple et les soldats, excitant les courages « A léaument servir, La dame et l'héritage, Qui li doit partenir » (37). Maintenant que le roi dévoile ses plans, qu'il n'est plus permis de s'abuser sur son intention de déshériter sa filleule, et qu'il entame la guerre après avoir berné les Etats par des assurances de paix, les illusions se dissipent. Le cri de « Vive Bourgogne ! » commence à retentir de nouveau. Sur les derrières de l'armée française, Arras se soulève. Si le roi parvient à s'emparer de Térouanne (6 avril), il échoue devant Saint-Omer, que le sire de Beveren refuse de lui rendre malgré la menace de faire mourir son père, prisonnier en France. Les tentatives qu'il pousse du côté du Hainaut ne réussissent pas mieux. Il entre, il est vrai, au Quesnoy, écrasé par les boulets de ses bombardes, mais Condé et surtout Valenciennes, dont les bourgeois incendient eux-mêmes les faubourgs et font venir d'Allemagne, à leurs frais, cent cinquante arquebusiers, défient toutes les attaques. Furieux de cette résistance imprévue, Louis a vainement recours à la terreur. Le châtiment d'Arras, dont il expulse les habitants, et que bientôt, suivant l'exemple de Charles le Téméraire à Liège, il débaptisera, lui imposant le nom de « Franchise », les ravages qu'il exerce autour de Valenciennes, où quatre mille faucheurs appelés de France abattent les récoltes et où tout est incendié (juillet), n'aboutissent qu'à exaspérer la défense. Les Gantois, eux-mêmes, comprennent enfin, après la surprise de Tournai par une garnison française, que le péril menace à la fois tous les pays bourguignons. Leurs métiers courent aux armes, mettent à leur tête le duc de Gueldre, délivré de la prison où Charles le Téméraire le tenait enfermé depuis 1471, et marchent en tumulte vers l'Escaut. Mais le temps des métiers était passé aussi bien dans la vie militaire que dans la vie politique. Les milices communales chargées au Pont d'Espierre par quelques escadrons royaux, lâchèrent pied au premier choc. Le duc de Gueldre périt dans la mêlée (27 juin), et la débandade des Gantois fut la première preuve de l'inanité de leur tentative pour reconstituer, à l'aurore des temps modernes, l'Etat urbain du Moyen Age. (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) MARIAGE DE MARIE ET DE MAXIMILIEN. -Pendant que Louis XI s'acharnait à la ruine de la maison de Bourgogne, le superbe héritage de Charles le Téméraire excitait d'ardentes convoitises, et Marie, fiancée si souvent du vivant de son père, se voyait importunée par les prétendants les plus divers, dans le même moment où l'intégrité de sa succession était si gravement compromise. Le duc de Clèves la sollicitait pour son fils, Adolphe de Ravenstein pour le sien, le duc de Gueldre espérait, grâce à l'appui des Gantois, la contraindre à l'épouser; enfin, deux princes anglais, le duc de Clarence et Antoine Woodville, beau-frère du roi Edouard IV, se mettaient également sur les rangs. Portrait de Marie de Bourgogne par Hans Maler, peintre de l'école Souabe. Début du XVIe siècle. En 1510, Hans Maler de Schwaz reçut 15 florins de la Chambre Impériale des Comptes à Innsbruck pour avoir exécuté «-deux panneaux de portraicture sur lesquels Madame Marie de Bourgogne esl peincte «. Copie sur panneau de tilleul d'un modèle flamand dont il existe deux autres adaptations, l'une au Musée Joanneum à Graz, l'autre au Cabinet des monnaies et médailles de la Galerie de Vienne. Mais depuis le 6 avril 1476, Charles avait promis solennellement la main de sa fille au fils de l'empereur Frédéric III, l'archiduc Maximilien d'Autriche. Le mariage devait avoir lieu à Cologne, le 11 novembre, et si les événements en avaient empêché la célébration à cette date, il restait si bien décidé que, le 26 du même mois, Marie, remerciant son fiancé des joyaux qu'il lui avait envoyés, l'assurait qu'elle serait très heureuse de faire ce que son père « luy plaira moi ordonner et commander» (38). Elle se considérait donc comme définitivement engagée lorsqu'elle apprit le désastre de Nancy. La volonté de son père et son propre consentement la destinaient à Maximilien, et l'on s'explique sa résistance et ses larmes quand elle se vit menacée d'un mariage avec le dauphin. Prisonnière des Gantois et tremblant d'être livrée à Louis XI, elle écrivait secrètement, le 26 mars, à son fiancé pour le supplier de hâter son arrivée « afin qu'elle ne fut point contrainte de faire des choses qu'elle voudroit bien ne pas faire» (39). L'empereur n'était pas moins pressé d'assurer à son fils la main de la plus riche héritière de l'Occident. Mais Maximilien ne pouvait se montrer aux Pays-Bas sans armée et sans argent. Pendant qu'il s'efforçait péniblement de réunir l'un et l'autre, une ambassade chargée de conclure le mariage par procuration se hâtait vers la Flandre (40). Conduite par l'évêque de Metz et le prévôt de Xan-ten, Georges Hessler, le futur cardinal (41), elle arriva à Gand le 16 avril. La belle attitude des trois cents cavaliers de son escorte, mais plus encore la trahison du roi de France et la terreur qu'il inspirait maintenant, lui valurent un accueil chaleureux. Les enfants eux-mêmes la saluaient au passage des cris de « Vive l'Empereur ! ». Cinq jours après le 21 avril 1477, le duc Louis de Veldenz épousait Marie de Bourgogne au nom de Maximilien d'Autriche. Les plans du roi de France étaient déjoués. Un appui s'offrait aux Pays-Bas, et la recrudescence des efforts de Louis XI à partir de ce moment, contre les places du Hainaut et de l'Artois, n'a d'autre motif que l'espoir de remporter un succès décisif avant l'arrivée (Cliché A.C.L.) LA RESTAURATION ET L'ACHEVEMENT DE L'ETAT BOURGUIGNON des secours qu'on attendait désormais de l'Allemagne. Besogneux comme il l'était, l'empereur, même en engageant ses biens, ne put fournir à son fils que des ressources fort médiocres. Maximilien, accompagné de huit cents à douze cents hommes d'armes, quitta enfin Vienne le 21 mai. Il était si mal pourvu d'argent que Marie dut lui envoyer à Cologne de quoi paraître honorablement devant elle. Il arriva à Gand le 18 août, et le mariage fut célébré très simplement, le lendemain matin, dans la chapelle du Prinsen-Hof. Les deux époux, dont l'un ne parlait pas l'allemand, ni l'autre le français, ne pouvaient converser que par signes. Mais Marie, comme ses sujets, accueillait Maximilien en sauveur. La belle prestance et la jeunesse de l'archiduc plaisaient au peuple. Partout, on lui fit une réception enthousiaste. Les arcs de triomphe élevés sur son passage dans les rues de Gand, les tableaux vivants que l'on organisa à Bruges lors de sa joyeuse entrée portaient des inscriptions significatives : Tu es dux et princeps noster, pugna proelium nostrum, ou encore : Gloriosissime princeps de-fende nos ne pereamus (42). CONSEQUENCES DU MARIAGE AUTRICHIEN. — De tous les mariages politiques que présente l'histoire des Pays-Bas, aucun n'a entraîné des conséquences aussi graves que celui de Marie de Bourgogne avec Maximilien (Bruges, Bibliothèque Communale, ms. 437, fol. 395 r°.) (Cliché Brusselle.) Mariage de Marie de Bourgogne et de Maximilien d'Autriche. Dessin colorié extrait de la Cronicke van Vlaenderen, fin du XVe siècle. (La Haye, Bibliothèque Royale, ms. T. 309, fol. 4 v<>.) Portrait d'Adolphe, duc de Gueldre, tué à la tête des milices gantoises au pont d'Espierre le 27 juin 1477. Miniature extraite des Statuts de la Toison d'Or, manuscrit composé entre 1468 et 1477 à l'intention de Charles le Téméraire. d'Autriche. L'union même de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre ne présente point une telle importance. Car si elle a permis l'unification des diverses provinces sous le sceptre des ducs de Bourgogne, cette unification pourtant n'est point exclusivement son œuvre. Elle se serait faite tôt ou tard; tout y poussait, et le mariage bourguignon n'intervint que pour en hâter l'accomplissement et pour désigner la dynastie qui devait y présider. Au contraire, l'alliance matrimoniale de 1477, loin d'agir dans le sens de la tradition, en rompt brusquement le cours. En mettant sa main dans celle de Maximilien, en effet, Marie de Bourgogne a condamné la Belgique à n'avoir plus de dynastie lui appartenant en propre avant l'époque contemporaine. Sans doute, depuis la fin du XIIIe siècle, de nombreux mariages avaient donné des princes étrangers soit au Hainaut, soit à la Flandre, soit au Brabant. Mais Guillaume de Bavière, Wenceslas de Luxembourg ou Philippe de Bourgogne, en qualité de cadets, n'étaient point destinés à la succession de leurs pères. Introduits dans les Pays-Bas, ils y demeurèrent, s'y nationalisèrent très vite et ne les firent point entrer dans les maisons dont ils étaient issus. Quant à Maximilien, fils unique de Frédéric III, il se r/ f ........JiatiïjSt&r&imtw ôoiV____ (wCt" • WiV^1' "«"•*•> AU «V pw«g1""1'» H|r> —----U------p. „ mi v »..(»» S.,. <;.„ .àirv ^«Vii-iflf VvVG*., f VIWmA V...A., Otf&ici^njtti inrommioi ton iotfrWi Lxêant W ffîni -------b** imvw^wV Ur.n.i J^if ' B5&' ^ .Vh VvW M...* Vv-^.V-, T'.V, t^tl^'î «ii ftVÂteîi' ' V, V.^rv ..... ... . __m w., w. (Louvain, Archives de la ville, n° 1381.) (Cliché Arnou.) Début de la confirmation, par Maximilien, de la Joyeuse Entrée de Marie de Bourgogne à Louvain en qualité de duchesse de Brabant (5 décembre 1477). Original sur parchemin. voyait appelé à recueillir un jour l'héritage de la maison de Habsbourg. Il se trouvait dans la situation qui eût été celle de Philippe le Hardi, si ce prince avait été désigné, lors de son mariage avec la fille de Louis de Maie, pour porter plus tard la couronne de France. Les intérêts autrichiens devaient l'empêcher de se consacrer uniquement aux Pays-Bas comme l'avaient fait ses devanciers. Il était impossible désormais que le souverain qui allait régner sur les provinces bourguignonnes eût une politique bourguignonne. Fatalement, il les considérait comme une portion de cet ensemble hétérogène de peuples et de territoires qui constituait la maison d'Autriche, les subordonnerait aux (Paris, Bibliolhèque Nationale, Cabinet des Médailles.) Marie de Bourgogne. Médaille exécutée en 1477 par Giovanni Candida, médailleur napolitain qui travailla pour la duchesse. Diam. : 47 mm. Légende : MARIA, KAROLI F(ILIA), DVX BVRGVNDIAE, AVSTRIAE. BRAB (ANTIAE), C(OMITISSA) FLAN(DRIAE). desseins nécessaires pour le maintien et l'accroissement de cette vaste et complexe monarchie, les engagerait malgré elle, et le plus souvent contre leurs intérêts, dans toutes les guerres et dans tous les conflits où, par l'éparpillement même de ses territoires et la multiplicité de ses adversaires, il serait lui-même entraîné. Le mariage de Marie de Bourgogne allait mêler plus que jamais les Pays-Bas à l'histoire européenne, mais le rôle qui leur y serait dévolu serait, à l'avenir, un rôle passif. Ils seraient forcés de subir dorénavant et de plus en plus la politique de leurs princes, et de là une série de froissements et de conflits qui aboutiraient finalement à la Révolution. (Bruxelles, Archives Générales du Royaume, chartes de Flandre, 1™ série, n° 1278.) Sceau équestre de Marie de Bourgogne et de Maximilien d'Autriche. Type de guerre (pour Maximilien) et de chasse (pour Marie de Bourgogne). Sceau pendant à une charte du 27 février 1481 (n.s.). (Diamètre : 120 mm.) Les Etats généraux ne prirent aucune mesure pour écarter des éventualités si redoutables et si faciles à prévoir. Leur ascendant sur la duchesse, au moment du mariage, leur eût permis sans doute d'exiger des garanties; ils n'y songèrent point. Le contrat que Marie et Maximilien signèrent le 18 août 1477 est un simple pacte entre deux dynasties uniquement préoccupées de considérations territoriales. Suivant ses termes, le conjoint survivant ne pourra réclamer, en l'absence d'enfants, ni propriété ni usufruit dans les domaines du conjoint décédé. En revanche, les enfants issus du mariage, unus vel plures, hériteront de toute la succession de leurs parents (43). Aucune stipulation ne réserve dans ce cas l'autonomie politique des Etats bourguignons vis-à-vis des Etats autrichiens. Un mois plus tard, le 17 septembre, la duchesse renonçait d'ailleurs à la clause qui eût pu enlever les Pays-Bas à Maximilien; elle lui faisait donation de toutes ses principautés s'il lui arrivait de mourir sans enfants (44). Les Habsbourg avaient bien pris leurs précautions; quoi qu'il arrivât, l'héritage de Charles le Téméraire ne pouvait leur échapper. On comprend sans peine l'inertie des Etats au moment d'arrangements si décisifs. L'influence qui y dominait était celle des « gens de ville, mal accoustumés de besongner en si grans matières » (45). Les bourgeois qui venaient de se laisser duper par Louis XI ne pouvaient saisir la portée de l'union qui s'accomplissait sous leurs yeux. Chaque province se crut suffisamment garantie quand elle eut fait jurer par l'archiduc le respect de ses privilèges. On oublia même, tant le sentiment particulariste l'emportait, de soumettre le Grand Privilège à sa ratification. Seuls peut-être quelques-uns parmi les « seigneurs du sang » n'assistèrent point à la célébration du mariage sans de secrètes appréhensions et un mécontentement déguisé. Adolphe de Clèves n'avait-il point espéré pour son fils la main de Marie ? Mais, dans les circonstances présentes et en face des armées de Louis XI, aucune opposition n'était possible. S'il y eut çà et là des protestations, elles disparurent dans la joie momentanée qu'inspirait au peuple l'arrivée d'un protecteur. L'événement du mois d'août 1477, si essentiel dans l'histoire de Belgique, s'accomplit sans la moindre participation de l'Empire. Bien différent de Sigismond de Luxembourg, Frédéric III n'avait rien fait depuis le commencement de son règne pour imposer sa suzeraineté aux ducs de Bourgogne. C'est à la maison d'Autriche, ce n'est point au « Saint Empire Romain » qu'il voulait rattacher les Pays-Bas en négociant avec Charles le Téméraire le mariage de son fils et de Marie. Cette union n'apporta donc aucun changement aux rapports des provinces lotharingiennes avec l'Allemagne. Le lien qui s'était dénoué entre elles ne fut point resserré. Les souverains autrichiens s'efforcèrent même, on le verra plus loin, de le rendre plus lâche encore, pour pouvoir disposer en toute liberté de leur nouvelle acquisition. Et l'Empire les laissa faire et se désintéressa de ces pays qui, depuis si longtemps, lui étaient devenus étrangers. Malgré les exhortations de Frédéric III (20 mai), il se garda bien de prendre part à la lutte qui allait s'engager entre Maximilien et Louis XI. MAXIMILIEN ET LOUIS XI. - Le mariage de Marie de Bourgogne renversait de fond en comble les plans de ce dernier. Il rendait impossible, en effet, le démembrement des Pays-Bas, si ce n'est par une guerre que l'archiduc d'Autriche soutiendrait certainement avec vigueur. Maximilien, sans doute, était pauvre, mais les immenses trésors accumulés par Philippe le Bon n'avaient pu être épuisés par Charles le Téméraire. Les joyaux, les orfèvreries, les pierreries de la maison de Bourgogne, épargne splendide des années de prospérité, assuraient les ressources et le crédit nécessaires pour constituer une armée. Dès le 5 septembre, l'archiduc faisait vendre à Bruxelles pour cent mille florins d'argenterie, et les banquiers italiens de Bruges, Tommaso Portinari, les da Rabatta et les dei Campie lui (Arsenal de Soleure.) Demi-armure ayant appartenu à Maximilien Sur la cuirasse sont gravés la Vierge et l'Enfant Jésus entourés de saint Sébastien et de sainte Barbe. En dessous, l'inscription HOS NON C0MM1NVETIS EX EO. (Bruges, église Notre-Dame.) (Cliché A.C.L.) Marie de Bourgogne. Détail du mausolée de Marie de Bourgogne, exécuté par Pierre de Beckere de Bruxelles de 1495 à 1502. ouvrirent si largement leurs caisses que plusieurs d'entre eux en furent ruinés (46). On peut dire sans exagération que l'admirable organisation financière de la maison de Bourgogne fut le bouclier qui protégea les Pays-Bas, lors de la crise de 1477, contre les coups de leur adversaire. Elle lui permit de combattre sans exiger de ses sujets des sacrifices aussi lourds que ceux que son adversaire imposa aux siens. Maximilien arrivait décidé à agir. Le 27 août, il écrivait à Louis XI pour lui proposer le maintien de la trêve conclue en 1475 avec Charles le Téméraire. Mais s'il se déclarait prêt à remplir les obligations auxquelles les traités pouvaient l'astreindre envers la couronne, il exigeait très nettement, en revanche, la restitution immédiate des terri- (Original à Vienne, église Saint-Etienne.) Moulage de la pierre tombale de l'empereur Frédéric III, père de Maximilien. L'original, en marbre, a été exécuté à la fin du XVe siècle par Nicolas van Leyen. toires occupés par « violence et force d'armes » en Bourgogne et dans les Pays-Bas, qu'il était désormais tenu de défendre comme appartenant à sa femme (47). Conformément à ses habitudes de prudence, le roi, à la veille d'une guerre qui pouvait l'entraîner dans des complications imprévues, consentit à suspendre les hostilités. Une trêve fut conclue le 18 septembre; les deux adversaires la mirent à profit pour se procurer des alliances. Pendant que Louis cherchait à s'assurer l'appui de la Gueldre et du pays de Liège, Frédéric III s'efforçait de soulever l'Allemagne contre la France qui venait d'envahir le Cambrésis, le Hainaut et la Franche-Comté, terres d'Empire. Pour enlever aux Allemands tout prétexte d'entrer en lice, le roi retira ses troupes de Cambrai (48) et, dans un manifeste fort habile, il distingua la cause de la maison d'Autriche, seule en question dans la querelle, de la cause de l'Allemagne (49). Les princes de l'Empire pensaient comme lui : aucun d'eux ne s'arma pour la défense de Maximilien. Réduit à ses seules forces, Frédéric ne put seconder plus efficacement son fils contre Louis XI, que Rodolphe de Habsbourg, deux cents ans plus tôt, n'avait pu seconder Jean d'Avesnes contre Philippe III (50). Cependant, le roi de France, qui n'a plus de ménagements à garder ni d'ambassadeurs à séduire, abandonne l'attitude qu'il avait adoptée avant le mariage. Plus de protestations de dévouement pour sa « filleule » : elle est devenue subitement une criminelle, détenant au mépris de tout droit des fiefs dont une femme ne peut hériter (51). Digne fille de son père, contre la mémoire duquel le Parlement entame un procès de lèse-majesté (52), elle ne craint point d'attaquer son suzerain. Son audacieuse agression oblige le roi à se défendre en confisquant les terres qu'elle tient de lui. Il se déclare même, puisqu'il possède désormais la Bourgogne, chef de la Toison d'Or (53) ! Ces violences hâtèrent dans les Pays-Bas le réveil du sentiment bourguignon. Désormais, plus de défection dans la noblesse. Le Hainaut met sur pied deux cents lances, la Flandre lève cinq mille hommes. Des mercenaires anglais, écossais, mais surtout allemands se concentrent sur la frontière. La naissance de Philippe le Beau, le 22 juin 1478, suscite dans tous les territoires l'allégresse et la confiance. Pourtant, la guerre reprise au printemps, se borne à des mouvements sans importance entre les forteresses de l'Artois. Une nouvelle trêve d'un an est signée le 11 juillet. Soucieux de ne donner à l'Empire aucun motif de se mêler à la lutte, le roi promet de restituer les terres qu'il occupe en Hainaut et en Franche-Comté. Mais il conserve la Bourgogne ducale et affecte de n'appeler Maximilien et Marie, que « duc et duchesse d'Autriche ». LA BATAILLE DE GUINEGATE. - La campagne suivante fut plus glorieuse sinon plus décisive. Le 7 août 1479, Maximilien mettait en déroute près de Guinegate (aujourd'hui Enguinegatte) l'armée française commandée par le sire d'Esquerdes. Les piquiers flamands rangés par les comtes de Romont et de Nassau eurent l'honneur de la journée (54). Leur succès raviva dans la Flandre qui, jusqu'alors, n'avait pris part qu'assez mollement à la guerre, le souvenir des anciennes luttes contre la France. L'instinct national se manifesta dans des chansons patriotiques : « Si riepen aile : Flander de leeu ! Met vlaamschen tonghen » (55). Mais la victoire de Guinegate resta stérile. Maximilien pouvait bien résister à la France, il ne pouvait la contraindre à la paix. La guerre, d'ailleurs, menaçait de l'enserrer de toutes parts. Depuis le mois de juin 1478, Louis XI avait abandonné à Louis de Lorraine ses droits sur le duché de Luxembourg (56). Il faisait rédiger, le 7 novembre 1479, des instructions pour les ambassadeurs chargés de conclure en son nom une alliance avec Catherine de Gueldre (57). Enfin, dans le pays de Liège, il soutenait de plus en plus ouvertement Guillaume de La Marck contre Louis de Bourbon. Pendant que le roi en revenait ainsi à la politique qu'il avait opposée jadis à Charles le Téméraire, Maximilien, par une conséquence naturelle, se tournait de son côté vers l'alliée traditionnelle de la maison de Bourgogne, c'est-à-dire vers l'Angleterre. Louis XI sentait très bien que la neutralité d'Edouard IV était indispensable à ses opérations en Flandre. Grâce à elle, il masquait Calais et tenait la mer. Aussi avait-il renouvelé, le 25 octobre 1477 et le 13 février 1479, les clauses du traité de Picquigny et les fiançailles du dauphin avec la fille d'Edouard. Mais une entente cordiale et solide était impossible. Les intérêts politiques et économiques de l'Angleterre lui commandaient d'empêcher l'établissement de l'hégémonie française dans les Pays-Bas. A partir de 1478, ni Maximilien ni Marguerite d'York n'avaient rien négligé pour se concilier l'appui d'Edouard IV. Un traité de commerce avait été conclu le 12 juillet 1478 et, depuis lors, si la guerre soutenue par l'Angleterre contre l'Ecosse avait retardé une entente formelle, des relations de plus en plus intimes s'étaient établies entre le roi et l'archiduc. Dès le 18 juillet 1479, on concluait les fiançailles de Philippe le Beau avec Anne, troisième fille du roi d'Angleterre. Maximilien garantissait à Edouard IV la pension qu'il touchait de Louis XI si elle venait à être supprimée. Au commencement de 1481, il lui promettait, en cas de guerre contre la France, de l'aider à conquérir la Champagne et à se faire couronner à Reims. Enfin, le 16 avril 1481, il renouait, par son intermédiaire, l'alliance de Charles le Téméraire avec le duc de Bretagne, dont il recevait l'assu- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Mort de Marie de Bourgogne. duchesse reçoit les derniers sacrements. Gravure sur rance d'un secours de cinq mille archers (58). Ainsi, dès le printemps de 1481, l'ancienne ligue organisée contre la France par la maison de Bourgogne est rétablie. La Bretagne et l'Angleterre se trouvent aux côtés de Maximilien comme jadis à ceux de Charles. Louis XI malade, inquiet, retiré au Plessis, assiste découragé à la ruine de ses espérances. Il retient ses armées, se borne à faire harceler les frontières du Luxembourg et à entraver, grâce à l'intervention d'un légat du pape que Maximilien refuse de recevoir, les négociations de celui-ci avec Edouard IV. MORT DE MARIE DE BOURGOGNE. - Mais au moment où tout sourit à Maximilien, le hasard va le rejeter au milieu des périls et des conflits. Le 27 mars 1482, Marie de Bourgogne meurt inopinément à Bruges, à l'âge de vingt- cinq ans, des suites dune chute de cheval. Instrument inconscient de la plus importante des combinaisons politique qui aient jamais intéressé l'avenir des Pays-Bas, elle ne joua, dans les événements auxquels elle fut mêlée, aucun rôle personnel. Elle subit tour à tour l'ascendant des conseillers de son père, des Gantois et de son mari. Aimable, gracieuse, effacée, ses malheurs, ses larmes, sa jeunesse lui ont valu une sympathie dont elle fut digne, s'il faut en juger par l'expression douce et pure de ses portraits et les longs regrets de l'époux que la diplomatie lui avait donné (59). La duchesse reçoit les derniers sacrements. Gravure sur bois extraite de l'Excellente Chronique de Flandre (« Dits die excellente cronike van Vlaenderen »). Anvers, Guillaume Vorsterman 1531, fol. 223 vo. NOTES (1) M. O. Rubbrecht, L'origine du type familial de la maison de Habsbourg, ch. I (Bruxelles, 1910), retrouve les traits de Marie de Bourgogne dans la figure de la Sainte Catherine du retable de Memling (1479) à l'hôpital de Saint-Jean à Bruges. Ceux de Marguerite d'York seraient représentés par la Sainte Barbe du même tableau. (2) Philippe de Commines, Mémoires, éd. B. de Mandrot, t. I, p. 395 (Paris, 1901.) (3) Commines, loc. cit., p. 401. (4) E. M. von Lichnowsky, Geschichte des Hauses Habsburg, t. VII, p. cccclvI (Vienne, 1843); Chmel, Monumenta Habsburgica, t. I, p. 151 (Vienne, 1854). (5) K. Rausch, Die Burgundische Heirat Maximilians, I, p. 168 (Vienne, 1880). (6) Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. I, p. 403. — Commines, dans ce passage comme dans plusieurs autres, ne cache point sa désapprobation de la conduite du roi. Louis XI se débarrassa de lui en l'envoyant bientôt en mission dans le Poitou. (7) Commines, loc. cit., p. 406. (8) Molinet, Chroniques, éd. Buchon, t. I, p. 33 (Paris, 1827). (9) Pour ce personnage, voy. l'esquisse biographique de R. Serpette de Bersaucourt, dans Positions des thèses soutènues par les élèves de la promotion de 1908 à l'Ecole des Chartes (Paris, 1908). (10) H. Dubrulle, Cambrai à la fin du moyen âge, p. 322 et suiv. (Lille, 1903). (11) Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. I, p. 425. (12) Voy. la charte qu'elle accorda à Gand le 30 janvier 1477, publiée par V. Van der Haeghen dans les Mélanges Paul Fredericq, p. 273 (Bruxelles, 1904). (13) Gachard, Les Etats de Gand de 1476, dans Etudes et notices historiques concernant l'histoire des Pays-Bas, t. I, p. 15 (Bruxelles, 1890). (14) Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 3e série, t. X, 11869], p. 271. (15) Il n'en existe pas d'édition satisfaisante. On en possède deux mauvaises impressions du XVIII© siècle, l'une dans la Verzameling van XXIV origineele charters, privilegien en keuren van de provincie van Vlaenderen (Gand, 1787-88), l'autre dans un recueil analogue paru à Bruges en 1787. Il est intéressant de constater que ces éditions se rattachent aux mouvements qui précédèrent la révolution brabançonne. Le grand privilège fut parfois invoqué, à la fin du XVIe siècle, par les Calvinistes en opposition avec le Conseil d'Etat. Voy. un exemple dans Kervyn de Volkaersbeke et Diegerick, Documents historiques inédits concernant les troubles des Pays-Bas, t. II, p. 457 (Gand, 1849). Sur les controverses auxquelles il donna lieu en Hollande au XVIIIe siècle, voy. R. Fruin, Geschiedenis der staatsinstellingen in Nederland, éd. H. T. Colenbrander,, p. 45 (La Haye, 1901). (16) On manque de renseignements sur la composition des Etats en 1477. Mais il est incontestable qu'ils furent dominés par les Gantois et se composèrent surtout de députés flamands. Il est caractéristique de constater que l'exemplaire du Grand Privilège qui fut envoyé à la ville de Mons est rédigé en flamand. La langue du gouvernement central, le français, fut incontestablement, à cette époque d'effervescence, traitée en étrangère, du moins dans l'administration de la Flandre, réaction toute naturelle si on songe que Charles le Téméraire l'avait, du moins à la fin de son règne, systématiquement substituée au néerlandais dans ses rapports avec les provinces thioises. On trouve des preuves de cette réaction jusque dans de toutes petites villes. A Oudenbourg, par exemple, les commissaires du prince qui avaient jusqu'alors rédigé en français leurs apostilles au bas des comptes communaux vérifiés par eux, les rédigent en flamand à partir de 1477-78. Voy. Feys et Van de Casteele, Histoire d'Oudenbourg, t. II (Bruges, 1878). — De l'examen que j'ai fait des originaux du Grand Privilège qui nous ont été conservés, me semble résulter qu'ils n'ont pas été dressés par la chancellerie ducale, mais par la secrétairerie de la ville de Gand. Il y a là un symptôme curieux de l'origine essentiellement gantoise de ce texte. (17) Voy. Histoire de Belgique, t. II, 3« édition, p..378 et suiv. (Ed Lamertin.) (18) On voit par là que le Grand Privilège n'était pas fait seulement pour les Pays-Bas, mais pour tous les territoires appartenant à la maison de Bourgogne. Toutefois il est exclusivement l'œuvre des représentants des Pays-Bas, la Bourgogne n'ayant envoyé aucun député aux Etats de Gand. (19) M. A. Walther, Die Burgundischen Zentralbehôrden, p. 15 (Leipzig, 1909), est d'un autre avis. Mais c'est qu'il attribue au Conseil de 1477 la compétence que Wie-lant donne au Grand Conseil de Philippe le Bon. Il est trop évident qu'il faut juger le Grand Privilège d'après l'esprit qui l'inspire et que celui-ci est nettement hostile au pouvoir central auquel il ôte toute réaJité par le rétablissement des autonomies territoriales dans le sens le plus large. La meilleure preuve en est que toutes les causes pendantes au Parlement de Malines seront renvoyées aux cours locales et provinciales : aucune d'elles n'est réservée au Grand Conseil. (20) Gachard, dans son étude sur Le jugement et la condamnation de Guillaume Hugonet et de Gui de Brimeu, seigneur de Humbercourt, Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, t. VI, 2e partie (1839), p. 335, croit qu'il a été constitué, parce que le Grand Conseil de la duchesse est mentionné dans un compte à la date du 1er mars 1477. On pourrait ajouter à celle-là d'autres mentions du Grooten Raed en 1477 (Van Duyse et de Busscher, Invent, des arch. de Gand, p. 248; Gilliodts van Severen, Invent, des arch. de Bruges, t. VI, p. 166, 184, 288, 417). Un manuscrit conservé aux Archives du Royaume, fonds des Cartulaires et mss., n° 174, fol. 31, donne une liste des personnes choisies par la duchesse pour siéger au Conseil. Il y eut donc un commencement d'exécution, mais, en fait, les mentions relevées plus haut nous montrent que le Conseil ne se composa que de « seigneurs du sang » et de quelques conseillers, dont deux seulement, le sire de la Gruuthuse et Jean de La Bouverie, apparaissent avec quelque régularité. D'ailleurs Wielant, dans ses Antiquités de Flandre, p. 138 (Corpus. Chron. Flandr., t. IV), nous dit que les conseillers n'étaient pas payés et que le Conseil « vint en confusion » à l'arrivée de Maximilien, c'est-à-dire dès le mois d'août 1477. S'il est donc certain que Marie a eu un Conseil de février à août 1477, tout semble prouver que son organisation ne fut pas conforme aux stipulations du Grand Privilège, quoi qu'en pense M. Walther, Burgundischen Zentralbehôrden, p. J7. (21) On en trouve le texte dans la Verzameling van XXIV origineele charters mentionnée plus haut, p. 9, n. 3. (22) Groot Placaet boeck van de Staten-Generael, t. II, p. 658 (La Haye, 1664). (23) Gilliodts van Severen, Coutumes de la ville de Bruges, t. II, p. 72 (Bruxelles, 1875). (24) Henne et Wauters, Histoire de la ville de Bruxelles, t. I, p. 279 (Bruxelles, 1845). (25) Sur cette transformation, voy. plus loin livre II, chapitre II. (26) Le mouvement se communiqua même çà et là aux campagnes. Dans le métier d'Ardenbourg, les paysans refusèrent de payer la dîme. Voy. J. H. van Dale, Tiend-weigering van de vrijlaten in Aardenburger Ambacht, dans Cadzandria. 1859, p. 3 et suiv. (27) Henne et Wauters, op. cit., t. I, p. 283. Joignez G. Des Marez, L'organisation du travail à Bruxelles au XVe siècle, p. 127, 363, 385 (Bruxelles, 1904). (28) Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. I, p. 414. — Pour la date de l'ambassade, voy. la note ibid., p. 415, et Gilliodts van Severen, Inventaire des archives de Bruges, t. VI, p. 154. D'après les mémoires du sire de Haynin, éd. D. D. Brou-wers, t. II, p. 228 (Liège, 1906), l'ambassade quitta Gand le 3 février. Peut-être tous les députés ne partirent-ils pas ensemble. Pour la conduite du roi à l'égard des députés des communes, cf. Haynin, ibid. Les seuJs envoyés de Marie étaient les nobles et particulièrement Hugonet et Humbercourt qui avaient des lettres secrètes priant le roi de négocier avec eux seuls (Commines, t. I, p. 425). Les délégués des villes s'étaient joints à eux sans mandat. (29) Molinet, Chroniques, t. II, p. 21. (30) Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. I, p. 424. (31) Elles ont été publiées par Gachard dans son mémoire sur Hugonet et Humbercourt, Bull, de l'Acad. de Belgique, t. VI, 2e partie, p. 237. On les trouve également dans le Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 3e série, t. X [1869], p. 274, avec quelques différences. (32) Pour ce qui suit, voyez la relation présentée aux Etats généraux par les ambassadeurs dès leur retour, dans Kervvn de Lettenhove, Histoire de Flandre, t. V, p. 515 (Bruxelles, 1850). (33) Pour achever de rendre suspects aux communes les conseillers de Marie, Louis XI leur montra la lettre de la duchesse leur octroyant de pleins pouvoirs. Voir Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. I, p. 424-25. (34) Voir pour les violences qui lui furent faites, afin de la forcer à la paix et au mariage avec le dauphin, une lettre écrite le 18 mars par un des députés de Bruges aux Etats généraux, dans F. Priem, Documents extraits du dépôt des archives de la Flandre Occidentale, 2® série, t. VI, p. 284 (Bruges, 1848-49). (35) Voy. Histoire de Belgique, t. IV, 2T- édit., p. 13. (Ed. Lamertin.) (36) Des 1839, Gachard a clairement démontré dans son excellent mémoire sur la condamnation d'Hugonet et d'Humbercourt (voy. p. 13, n. 1) : 1° que le procès des deux seigneurs fut instruit par une commission nommée par les Gantois et se déroula en dehors de toutes les formes légales; 2° qu'ils furent condamnés, non pour avoir pactisé avec le roi de France, mais à cause de la haine que les Gantois leur portaient comme à des ennemis de leurs franchises. Le mémoire de Ch. Paillard, Le procès du chancelier Hugonet et du seigneur d'Humbercourt (Mém. in-8° de l'Académie de Belgique, t. XXXI, 1881) n'a rien ajouté à la démonstration de Gachard. Il est étonnant que Kervyn de Lettenhove n'ait pas tenu compte de celle-ci et ait représenté les deux conseillers de Marie comme des instruments de Louis XI, dans le tome V (p. 247) de son Histoire de Flandre, paru en 1850. Son erreur s'explique facilement par son point de vue. Pour lui, en effet, les communes sont les défenseurs de la « cause nationale » et tous leurs soulèvements s'expliquent par là. Il oublie seulement qu'en 1477, les Gantois soutiennent la politique de Louis XI et que c'est justement Hugonet et Humbercourt qui y résistent. D'ailleurs, le bruit se répandit tout de suite que les deux seigneurs avaient été condamnés comme partisans du roi de France. Dès le 20 avril, les ambassadeurs de Maximilien à Gand s'en font déjà l'écho. K. Rausch, Die Burgundische Heirat Maximilians I, p. 171. (37) Haynin, Mémoires, éd. R. Chalon, t. II, p. 308, (Mons, 1842). Voy. une chanson flamande de la même époque dans P. Fredericq, Onze historische volkslie-deren van voor de godsdienstige beroerten, p. 41 (Gand, 1894). (38) J. Chmel, Monumenta Habsburgica, I, p. 137. (39) J. Chmel, Monumenta Habsburgica, I, p. 140. (40) Pour les détails suivants, voir l'étude de K. Rausch, Die Burgundische Heirat Maximilians I, p. 168 et suiv. (41) Sur ce personnage voy. W. Hollweg, Dr. Georg Hessler, ein kaiserlicher Diplomat und rômischer Kardinal des XV Jahrhunderts. (Leipzig, 1907.) (42) Excellente Cronicke van Vlaenderen, fol. 191, v°, 193, r° (Anvers, 1531). (43) Dumont, Corps diplomatique, t. III2, p. 9 (Amsterdam, 1726). (44) J. Chmel, Momumenta habsburgica, t. I, p. 166. (45) Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. I, p. 424. (46) V. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. I, p. 276 (Iena, 1896). (47) Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Philippe de Comines, t. III, p. 530 (Paris, 1747); Vaesen, Lettres de Louis XI, t. VI, p. 216 (Paris, 1898). (48) H. Dubrulle, Cambrai à la fin du moyen âge, p. 322 et suiv. (49) Vaesen, Lettres de Louis XI, t. VII, p. 36-44 (Paris, 1900) (50) Histoire de Belgique, t. I, 4® édition, p. 251. (51) Sur la question du droit de Marie au duché de Bourgogne, voy. A. De Ridder, Les droits de Charles-Quint au duché de Bourgogne, p. 13 et suiv. (Louvain, 1890). (52) Vaesen, Lettres de Louis XI, t. VII, p. 56 (Paris, 1900). (53) Molinet, Chroniques, t. I, p. 121 (54) Sur cette bataille, voy. H. Klaje, Die Schlacht bei Guinegate von 7 August 1479 (Greifswald, 1890) et E. Richert, Die Schlacht bei Guinegate (Berlin, 1907), tous deux assez médiocres. (55) Liliencron, Die historischen Volkslieder der Deutschen, t. II, p. 160, (Leipzig, 1865). Cf. P. Fredericq, Onze historische Volksliederen, p. 42. (56) Plancher, Histoire de Bourgogne, t. IV, p. ccclxxxviii (Dijon, 1781). (57) Plancher, loc. cit., p. cdv. (58) Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Comines, t. IV, p. 35. (59) Maximilien déclarait aux Etats généraux, en 1482, « qu'il n'avoit jamais eu de jour ne de nuyf une heure plaisir ne repos ès pays de par dechà, sinon quant il se povoit trouver d'emprès elle ». Bullet. de la Comm. Roy. d'Hist., 3e série, t. I [1860], p. 315. Cf. H. Ulmann, Kaiser Maximilian I, t. I, p. 1 (Stuttgart, 1884). (Vienne, Kunsthtstorisches Muséum.I (Cliché Archives Photographiques.! Les enfants de Marie de Bourgogne et de Maximilien d'Autriche en 1494 : Philippe le Beau (16 ans) et Marguerite d'Autriche (14 ans). Portrait anonyme de l'école allemande. CHAPITRE II LA REGENCE DE MAXIMILIEN fA POLITIQUE DE MAXIMILIEN. - Marie de Bourgogne laissait deux enfants, un fils âgé de quatre ans à peine et une fillette de deux ans : Philippe, qui avait été ainsi baptisé en mémoire de Philippe le Bon, et Marguerite, qui portait le nom de la veuve de Charles le Téméraire. Par un testament rédigé trois jours avant sa mort, elle les constituait héritiers de la totalité de ses domaines et biens de toutes sortes, en même temps qu'elle désignait Maximilien comme leur tuteur, lui abandonnant en outre la régence de ses pays jusqu'à la majorité de son fils (1). Mais ce testament, dressé sans la collaboration de ses sujets, ne les engageait point. S'il n'était pas douteux qu'ils reconnussent Philippe pour leur « prince na- turel », il l'était très fort qu'ils fussent disposés à laisser le gouvernement aux mains de l'archiduc. Celui-ci n'était plus pour eux qu'un étranger et presque un intrus. La popularité dont il avait joui pendant les premiers mois de son règne et qu'avait ravivée un instant la victoire de Guinegate, avait bientôt fait place à la défiance et à une hostilité de plus en plus déclarée. Il ne faut point chercher les causes de ce revirement dans la personne de Maximilien. Jeune, beau, courageux, il se fût attiré facilement les sympathies de ses sujets si les circonstances ne l'avaient condamné à vivre avec eux dans un conflit perpétuel. Il était impossible, en effet, qu'ayant épousé l'héritière de Bourgogne, il ne cherchât point à restaurer l'Etat bourguignon en même temps qu'il le défendait contre la France. Son mariage avec Marie, combinaison purement dynastique et à laquelle les Etats généraux n'avaient pris aucune part, devait avoir pour conséquence nécessaire une réaction contre le provincialisme qui venait de triompher. S'il voulait reconstituer la puissance bourguignonne, il fallait qu'il violât le Grand Privilège qui précisément avait pour but de le détruire. Il était poussé fatalement à reprendre la tradition de Charles le Téméraire dans l'organisation politique des Pays-Bas, comme il la reprenait, dans sa politique extérieure, vis-à-vis de Louis XI. Depuis 1480, il tend visiblement à reconstituer le gouvernement central. Il fait entrer des étrangers dans son conseil. Il confie les fonctions de chancelier de Bourgogne, vacantes depuis la mort de Hugonet, à un autre Franc-Comtois, le seigneur de Champvans, Jean Carondelet, ancien premier président du Parlement de Malines. En 1481, il demande d'importants subsides pour rétablir la cour telle qu'elle avait existé sous les ducs. Il dirige seul sa diplomatie, et, bien qu'il ait promis aux Etats généraux de ne faire ni paix ni guerre sans leur assentiment, il ne leur communique aucun de ses projets. Aussi le mécontentement va-t-il croissant parmi les adversaires du régime monarchique. En Flandre, où les trois grandes villes ont recouvré leur ancienne prépondérance et n'entendent point y renoncer, l'opposition s'affirme avec une extrême violence. Quelques mois avant la mort de Marie de Bourgogne, les « Trois Membres » prétendent soumettre l'hôtel ducal à leur contrôle et lui imposer l'usage de la langue flamande « qui est chose très nouvelle et non accoustumée et dont mesdits seigneur et dame furent fort troublez et mariz » (2). C'est dans ces circonstances peu rassurantes que Maximilien se trouvait forcé de parlementer avec les Etats généraux afin d'obtenir qu'ils le reconnussent pour régent des Pays-Bas et qu'ils l'aidassent dans la lutte décisive qu'il avait si soigneusement préparée contre la France. Il s'attendait sans doute à les voir profiter des difficultés de sa situation et prêter l'oreille aux propositions que Louis XI ne manquerait pas de leur faire. Mais les événements surpassèrent de beaucoup ses prévisions les plus pessimistes. Les Etats généraux se réunirent à Gand le 28 avril 1482. Sauf la Flandre, qui différa sa réponse, tous les pays consentirent à reconnaître l'archiduc comme tuteur et comme régent. Mais ils manifestèrent énergiquement leur volonté *iîJBslMfcaé&^feS - uZZ-tZZc^V.3S.~ 'Paris, Archives Nationales, J 573 [Flandre IV, sac 4] n" 8.) Texte original du Jraité d'Arras conclu le 23 décembre 1482 entre Maximilien et Louis XI (Cliché Gérard.) (Rome, Ambassade de Belgique.) Philippe de Clèves, sire de Ravenstein (1456-1528). Portrait peint par un maitre anonyme de l'école des Pays-Bas vers 1500. Ce furent en réalité les Gantois qui dirigèrent la marche des pourparlers. Ils comprenaient fort bien que la guerre, par le rôle prépondérant qu'elle donnait au prince, fortifierait son autorité et lui permettrait de s'affranchir des concessions arrachées à Marie de Bourgogne. La paix leur apparaissait comme la garantie et la sauvegarde de leurs privilèges, et, pour l'obtenir, ils ne reculèrent devant rien. Ils lui sacrifièrent sans hésiter, non seulement l'intérêt dynastique mais l'intégrité territoriale des Pays-Bas. Si le roi leur avait demandé, dit Philippe de Commines, outre le comté d'Artois, ceux de Namur et de Hainaut « et tous les subjectz de ceste maison [de Bourgogne] qui sont de la langue françoyse, ils l'eussent voulentiers faict pour affoiblir leur seigneur» (5). de conclure la paix. Us venaient d'apprendre que Louis XI consentirait à traiter moyennant le mariage de la jeune princesse Marguerite avec le dauphin, et, malgré les objurgations de Maximilien, ils délibérèrent sur cette proposition (3). La récupération du duché de Bourgogne les intéressait fort peu et ils étaient bien décidés à ne lui point sacrifier le repos et la prospérité des Pays-Bas. Entraînés comme en 1477 par les Gantois, leur attitude devient de jour en jour plus résolue. A Alost, où ils se réunissent spontanément à la fin du mois de mai, plusieurs de leurs membres se déclarent prêts à forcer Maximilien à la paix et, s'il le faut, à s'entendre sans lui avec la France (4). En juillet, les Gantois mettent cette mesure à exécution et députent des ambassadeurs vers le roi. Cependant celui-ci profite des embarras de son adversaire. Il détache de lui le roi d'Angleterre, envoie des troupes à Guillaume de La Marck dans le pays de Liège, encourage les prétentions du duc Jean II de Clèves sur la Gueldre et soutient la révolte de l'évêché d'Utrecht. Comment Maximilien eût-il pu, dans ces conditions, résister au vceu des Etats ? En s'obstinant à vouloir la guerre quand ils exigeaient la paix, ne risquait-il point, isolé comme il l'était et environné d'ennemis, de se faire dépouiller de la tutelle de ses enfants, et, durant leur minorité, de laisser les Pays-Bas exposés à tous les hasards et en danger d'être distraits par Louis XI de la maison d'Autriche ? Il se trouvait, en somme, aussi impuissant que Marie de Bourgogne l'avait été après Nancy. Bon gré mal gré, il dut assister à la ruine de ses ambitions et laisser les Etats généraux négocier avec le traître d'Esquerdes, que Louis XI avait choisi comme plénipotentiaire. (Arras, Bibliothèque Municipale, ms 266-1136, fol. 281.) (Cliché Giraudon.) « Messire Philippe de Commines, seigneur d'Argentan, historien. » Dessin extrait du Recueil de Portraits d'Arras de la seconde moitié du XV1« siècle (voyez t. 1, p. 349). LA PAIX D'ARRAS. — C'est à Arras, dans cette même ville où une cinquantaine d'années auparavant, en 1435, Charles VII avait si complètement capitulé devant Philippe le Bon, que fut signé, le 23 décembre 1482, le traité ainsi débattu (6). Œuvre de Louis XI et des Gantois, cette seconde paix d'Arras fut, pour la France, la revanche de la première et, pour la maison de Bourgogne, un véritable désastre. Elle stipulait que le dauphin, rompant ses fiançailles avec la fille d'Edouard IV, épouserait la jeune Marguerite d'Autriche dès qu'elle aurait atteint l'âge nubile, qu'elle serait, en attendant, élevée à la cour de France et que sa dot, comprenant l'Artois, le comté La paix d'Arras fut le dernier succès diplomatique et la dernière joie de Louis XI au milieu des angoisses dont la peur de la mort le torturait. La maladie l'avait tellement changé qu'il ne consentit qu'à grand'peine à se montrer aux ambassadeurs flamands venus au Plessis pour recevoir son serment. Mais il fit donner des fêtes à Paris en leur honneur et gratifia les députés gantois de 30,000 « écus au soleil » et de belles vaisselles d'argent. Quelques mois plus tard, le 16 mai 1483, Marguerite était remise, à Hesdin, aux seigneurs français chargés de la conduire à Paris, où ses fiançailles avec le dauphin furent célébrées le 22 juin. « Si le duc d'Autriche l'eust peu ouster à ceulx qui l'amenoient, dit Commines, il l'eust vou-lentiers faict avant qu'elle saillist de sa terre; mais ceulx de Gand l'avoient bien acompaignée » (7). Depuis plusieurs mois déjà, ils la détenaient dans leur ville ainsi que son frère, et cette circonstance suffirait seule à expliquer l'inertie de Maximilien en présence de l'humiliation que lui imposait la paix d'Arras. LES ETATS GENERAUX DE 1482. - Si les Etats généraux de 1482 ne s'étaient point opposés à l'admettre comme régent au nom de Philippe, ils avaient eu soin pourtant de lui dicter leurs conditions et de limiter à l'avance les pouvoirs qu'il revendiquait. Animés du même esprit qu'en 1477, ils ne manquèrent point d'utiliser la situation pour établir un état de choses fort analogue à celui que le Grand Privilège avait prétendu organiser. Le régime monarchique, que Maximilien avait commencé de restaurer, fut de nouveau sacrifié au principe de l'autonomie provinciale. On décida que les « enfants de Bourgogne » résideraient à tour de rôle dans chacun de leurs pays héréditaires (8), rendant ainsi le gouvernement ambulatoire à travers les Pays-Bas, le soumettant successivement à des influences diverses et le privant de toute initiative et de toute autorité. L'archiduc avait bien dû accepter, crainte de pis, un système qui ne lui laissait en réalité qu'un vain titre et faisait des provinces, l'une après l'autre, les tutrices temporaires de ses enfants. On en revenait en somme au morcellement politique du Moyen Age, et la présence alternative de la dynastie dans ses multiples territoires n'était qu'un moyen d'affirmer le réta- (Nantes, Bibliothèque du Musée Dobrée, ms 18, fol. 208 v«.l (Cliché Lumina.) Mort de Louis XI. Le corps du roi est exposé sur un lit d'apparat. A la tête du lit, la couronne royale; à la droite du corps, la main de justice (dont l'original est reproduit dans le tome I, p. 159) ; à la gauche, le sceptre. Aux chandeliers sont suspendus des écus aux fleurs de lys cerclés de la couronne royale et entourés du collier de l'Ordre de Saint-Michel (voyez tome I, p. 405). Miniature du début du XVIe siècle extraite d'un manuscrit contenant la première partie des Mémoires de Commines. blissement de l'indépendance de chacun d'eux à l'égard des territoires voisins. Mais une telle organisation ne pouvait se maintenir. Le particularisme qui l'inspirait la vouait à la ruine. Pouvait-on s'attendre, du jour où l'exclusivisme local devenait la seule règle de conduite, à voir la province favorisée par la résidence du prince y renoncer au moment voulu et abandonner tous les avantages qu'elle en retirait ? Les événements se chargèrent bientôt de dissiper à cet égard les illusions que s'étaient faites les Etats généraux. Lorsque la Flandre, à qui Philippe et Marguerite avaient été confiés tout d'abord dut, après quelques mois, les remettre au Brabant, elle refusa de s'exécuter. Elle invoquait, il est vrai, pour colorer ce refus, non son propre intérêt, mais la défiance que lui inspirait Maximilien. Les Gantois l'accusaient de ne chercher, sous prétexte de tutelle, qu'à « pourter les grans deniers des pays de par deçà en Allemagne » (9). Vis-à-vis de cet Autrichien, ils se posaient maintenant en défenseurs de la maison de Bourgogne et attiraient à leur cause « les seigneurs du sang ». Depuis la mort de Marie, ceux-ci se considéraient comme appelés à exercer le gouvernement au nom de Philippe, et ils ne cachaient point le mécontentement que leur inspiraient les prétentions de l'archiduc au titre de régent. De quel droit un Habsbourg revendiquait-il l'administration de l'héritage bourguignon ? Ses affaires et celles de son fils n'étaient-elles point désormais complètement séparées, et n'était-il pas juste que les représentants de la de Bourgogne, le Mâconnais, l'Auxerrois, Salins, Bar-sur-Seine et Noyers, serait remise immédiatement aux mains du roi. Le ressort du Parlement de Paris sur la Flandre était rétabli et tous 'les privilèges octroyés aux Flamands par Marie de Bourgogne, ratifiés. En revanche, Louis XI abandonnait les quelques places qu'il tenait dans le Luxembourg, renonçait à ses prétentions sur Lille, Douai et Orchies, et promettait de n'envoyer de secours ni à Guillaume de La Marck, ni aux Utrech-tois, ni au duc de Clèves. d'Angleterre, les Gantois soumettent de nouveau le pays au triumvirat urbain dont ils détiennent la présidence. Le 22 janvier 1483, Louis XI autorise les « Trois Membres » à désigner à l'avenir les commissaires chargés de renouveler les « loix » (échevinages) (11), si bien qu'ils régiront désormais toutes les villes secondaires de leurs quartiers. Quelques jours plus tard, Ypres, dont l'industrie périt, se fait confirmer le privilège abolissant l'exercice de la draperie dans ses environs, et des sergents royaux viennent confisquer les laines et les métiers dans les villages de sa châtellenie (12). Pour protéger contre la concurrence victorieuse d'Anvers le commerce languissant de Bruges, un barrage est construit à Calloo afin d'empêcher les navires de remonter l'Escaut jusqu'en Brabant (13). (Paris, Bibliothèque Nationale, ms latin 1190, fol. 1 ro.) Charles VIII, roi de France. Miniature extraite d'un recueil de prières de la fin du XVe siècle. LES GANTOIS ET MAXIMILIEN. - Au milieu des périls et des difficultés qui l'environnaient, Maximilien ne perdit pas courage. Contraint à la paix avec la France, il put s'occuper de parer aux dangers qui le menaçaient du côté de Liège et d'Utrecht. Le 10 avril 1483, après la victoire de ses troupes à Hollogne-sur-Geer, il signe un traité avec Guillaume de La Marck, et il réussit, pendant les mois suivants, à rétablir l'ordre dans la principauté d'Utrecht, où les vieux partis des Hoeks et des Kabiljauws ont relevé la tête grâce à l'anarchie politique et se combattent avec fureur, celui-ci favorable, celui-là hostile à l'influence bourguignonne. C'est pendant qu'il guerroyait entre le Waal et le Zuy-derzée qu'il apprit la mort de Louis XI (30 août 1483). Cet irréconciliable ennemi de la maison de Bourgogne laissait aux mains d'un enfant de treize ans son royaume travaillé par le mécontentement populaire et les intrigues des grands vassaux. Maximilien, qui fut toute sa vie si prompt à l'espoir et dont la féconde imagination élaborait sans cesse de nouveaux projets, vit luire aussitôt devant ses yeux la possibilité d'une revanche. Il députe Olivier maison à laquelle appartenaient les Pays-Bas fussent chargés de les garder pendant la minorité de leur « prince naturel » ? Cette opposition dynastique à Maximilien chercha tout de suite à s'appuyer sur l'opposition particulariste des Gantois. Ses promoteurs, Adolphe de Clèves et Philippe de Bourgogne, sire de Beveren, se mirent en relation avec eux. Gand qui, par son entente avec Louis XI, dominait déjà la politique extérieure des Pays-Bas, s'empara ainsi, en s'alliant aux « seigneurs du sang », de leur politique interne. Vers le moment où la paix d'Arras était signée, Philippe reçut un conseil formé de Ravenstein et de Beveren, ses plus proches parents du côté maternel, et de quelques seigneurs flamands, Louis de Bruges, sire de la Gruuthuse, et Adrien de Rasseghem. La régence, au mépris de la décision des Etats généraux, était confiée de nom à ce conseil, en réalité aux « Trois Membres » de Flandre, c'est-à-dire aux Gantois dont ils suivaient l'impulsion. Dépouillé de tout pouvoir, obligé d'abandonner Marguerite à Louis XI et de laisser Philippe entre les mains de ses pires ennemis, Maximilien, dit pittoresque-ment Olivier de la Marche, ressemblait à saint Eustache dont « ung loup ravist son filz et ung lyon sa fille » (10). Cependant la Flandre en revient à une organisation calquée sur celle qu'elle avait connue au XIVe siècle, à l'époque de Jacques van Artevelde. S'appuyant sur le roi de France, comme ils s'étaient appuyés jadis sur le roi (Cliché A.C.L.i Le Rabot de Gand. Photographie prise après sa restauration. Cet ouvrage de défense, construit en 1489 à la manière des portes des enceintes urbaines, tire son nom de l'écluse, ou rabot,, placée à cet endroit sur la Lieve. La construction primitive a été restaurée à deux reprises : en 1860, puis en 1872. de La Marche à Charles VIII pour protester contre la paix d'Arras. Il se met en rapport avec l'Angleterre, exhorte Ferdinand le Catholique à envahir le Roussillon et à lui prêter son appui pour reconquérir la Bourgogne, propose au duc de Bretagne une nouvelle alliance et lui demande la main de sa fille. Dans les instructions de ses ambassadeurs il se déclare assuré de l'appui de tous ses pays, à l'exception de la Flandre, que le moment est venu, dit-il, de réduire enfin à l'obéissance (14). Ce n'étaient pas là de simples rodomontades. A mesure, en effet, que s'affirmait davantage la politique particu-lariste des « Trois Membres » de Flandre, les autres provinces comprenaient que leur cause s'identifiait avec celle de Maximilien. Pouvaient-elles consentir plus longtemps à abandonner leur « prince naturel » au pouvoir des Gantois et leur permettre de ne tenir aucun compte de la régence qu'elles avaient accordée à l'archiduc ? Ne souf-fraient-elles pas toutes d'ailleurs des mesures prises par les Flamands contre le port d'Anvers, vers lequel, de plus en plus, convergeait l'activité économique des Pays-Bas ? Encouragé par leur attitude, Maximilien casse, au mois d'octobre 1483, le conseil de régence qui prétend exercer le gouvernement au nom de Philippe. Il fait publier dans tous les Pays-Bas l'apologie de sa conduite et les accusations d'usurpation et de violence sur la personne de son fils qu'il lance contre les « Trois Membres » et les « seigneurs du sang » (15). L'opinion publique se déclare pour lui. En mai 1484, Ravenstein et Beveren abandonnent les Gantois, et, le 22 décembre, les Etats généraux écrivent au comte de Romont qu'ils refusent de le reconnaître comme « lieutenant général » de Philippe et qu'ils n'admettent d'autre autorité, durant la minorité du jeune prince, que celle de son père. La guerre devient donc inévitable entre la Flandre, conduite par les Gantois, et les Pays-Bas ralliés autour de Maximilien. INTERVENTION DE LA FRANCE. - Les « Trois Membres » étaient décidés à la soutenir. Dès le mois de septembre 1483, ils avaient fait faire dans chaque paroisse, au nom du « duc Philippe », le dénombrement de tous les hommes en état de porter les armes, de dix-huit à soixante-dix ans, et ils se vantaient de pouvoir mettre sur pied 150,000 combattants (16). Mais ils comptaient surtout sur l'appui de la France. Ils excitaient contre l'archiduc Pierre et Anne de Beaujeu, les tout-puissants conseillers du jeune Charles VIII. Le 27 décembre 1484, Charles VIII envoyait à Maximilien une véritable déclaration de guerre, l'accusant de violer la paix d'Arras et de vouloir priver de ses Etats Philippe, qu'en qualité de « frère » il se déclarait obligé de défendre (17). Au mois de février suivant, il promettait son appui aux Flamands et concluait un traité d'alliance officiellement avec Philippe, en réalité avec eux. Mais la situation de son royaume, agité alors de troubles civils, ne lui permit pas d'intervenir sérieusement. Un se- cours de quatre cents lances, commandées par d'Esquer-des, fut tout ce qu'il put mettre à la disposition de ses protégés. Ni les milices levées par ceux-ci dans le plat pays, ni les métiers des villes, n'étaient capables de résister aux mercenaires que Maximilien avait loués en Allemagne. Redoutables encore en temps d'émeute, les troupes communales avaient perdu toute valeur militaire depuis les transformations de l'armement et de la tactique. Leurs soldats improvisés ne pouvaient tenir la campagne contre une armée régulière et ils se réfugièrent derrière les murs des places qui, après la surprise de Termonde (26 novembre 1484), se rendirent l'une après l'autre. Bruges capitula le 21 juin 1485; Gand, où le métier des bateliers, la plus influente des corporations depuis la décadence de la draperie, aspirait à la paix, ouvrit ses portes le 5 juillet. Un soulèvement qui y éclata quelques jours plus tard et qui fut facilement réprimé par les soldats allemands, lui valut un traitement rigoureux. La constitution imposée à la ville après la bataille de Gavere fut remise en vigueur. Les Gantois durent rendre à l'archiduc tous les privilèges acquis par eux depuis 1477 et s'engager à le laisser jouir (Bruges, Gruuthusemuseum.) Tête et poing d'argent : Insignes de (Cliché Pichonnier.) la Haute-Justice du magistrat de Bruges. XVe siècle. des droits, prérogatives, domaines et seigneuries qu'ils lui avaient contestés. En même temps le jeune Philippe quittait le Prinsen Hof pour résider désormais à Malines. MAXIMILIEN ATTAQUE LA FRANCE. - Le temps était venu où Maximilien, croyant avoir réglé ses affaires bourguignonnes, pouvait se consacrer enfin à la tâche d'assurer sa succession à l'Empire. Il partit pour l'Allemagne au mois de novembre 1485, laissant son fils et les provinces belges sous le gouvernement de Philippe de Clèves, le principal des « seigneurs du sang », du chancelier Carondelet et du comte Englebert de Nassau, l'un des vainqueurs de Guinegate et le fils du premier Nassau qui se soit établi dans les Pays-Bas et y ait fondé, au service des ducs de Bourgogne et des Habsbourg, la puissance d'une famille qui devait être plus tard si fatale à leurs descendants. On le vit reparaître au mois de juin 1486, avec une pompe triomphale et la tête ceinte de la couronne de roi des Romains. Les villes lui firent des réceptions fastueuses « car c'était chose nouvelle et inaccoutumée d'avoir un roi à seigneur» (18). L'arrivée de son vieux père, Frédéric III, qui vint le rejoindre en juillet, fut l'occasion de nouvelles magnificences. Depuis Henri V, au XIIe siècle, aucun empereur n'avait plus paru dans les Pays-Bas. Mais ce n'était point en chef de l'Empire, c'était en chef de la maison de Habsbourg que Frédéric les visitait. Il ne songeait nullement à rétablir la suzeraineté impériale sur l'héritage bourguignon. Son voyage n'eut d'autre but que d'admirer les belles provinces que le mariage de son fils destinait à s'adjoindre un jour aux possessions héréditaires de l'Autriche, et d'embrasser le jeune enfant sur qui reposaient les destinées de sa dynastie. Quant à Maximilien, il ne rentrait dans les Pays-Bas qu'en ennemi de la France et résolu à venger d'une manière éclatante l'humiliation que la paix d'Arras lui avait infligée. L'intérêt des territoires bourguignons est d'ailleurs complètement étranger à ses projets. Il rêve de tout autre chose que de recouvrer l'Artois et la dot de Marguerite. L'ambition personnelle et l'espoir d'imposer sa prépondérance dans l'Occident de l'Europe sont ses seuls mobiles. Ce n'est point Philippe le Bon, c est Charles le Téméraire que le roi des Romains prend comme modèle. Et la guerre qu'il va imposer à ses sujets est la première de cette longue série de guerres dans lesquelles ils seront précipités malgré eux par leurs souverains étrangers (19). Allié au duc de Bretagne, Maximilien se croit sûr d'écraser la France entre une double agression. Il sait que bon nombre des grands vassaux de la couronne nourrissent un vif mécontentement à l'égard des Beau-jeu, et, imitant Charles le Téméraire avant la guerre du « Bien public », il cherche à se gagner des partisans dans le royaume par des manifestes qu'il lance contre le gouvernement. Le 13 décembre 1486, il conclut un traité d'amitié avec le duc d'Orléans et Jean d'Albret, roi titulaire de Navarre. Cependant, des bandes de Lands-knechten et de brillants escadrons de grosse cavalerie affluent d'Allemagne sur les frontières de la Flandre et du Hainaut. L'aspect redoutable et l'équipement encore peu connu de ces mercenaires, que les Pays-Bas ne devaient revoir que trop souvent dans la suite, font présager d'éclatants succès. Au moment où, dans l'été de 1486, l'armée (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaies de la ville de Gand révoltée contre Maximilien pendant la minorité de Philippe le Beau : deux doubles briquets d'argent. Maximilien assistant à la messe de réconciliation célébrée à Bruges, le jour de sa libération, le vendredi 16 mai 1488. Dessin à la plume du maître anonyme dénommé « Haushuchmeister » {fin du XVo siècle). L'identification de cette scène est due à H. Warburg (dans le jahrbuch der Kôniglich Preuszischen Kunstsammlun-gen, 1911, tome XXXII, pp. 180-184) cité par Henri Pirenne (voyez note 23). s'ébranle et, sous le commandement du roi des Romains, marche vers Saint-Quentin, tout le monde s'attend à apprendre bientôt la prise de Paris. Mais ces belles troupes, après quelques manœuvres en Artois et en Picardie, regagnèrent leurs quartiers, et les déprédations qu'elles exercèrent durant l'hiver les rendirent bientôt aussi odieuses que l'ennemi lui-même. La campagne suivante fut désastreuse. D'Esquerdes, devenu maréchal de France, s'empare de Saint-Omer (28 mai 1487), puis de Térouanne (26 juillet) et au mois d'août remporte une victoire importante devant Béthune. Après les espérances qu'il a encouragées et les allures victorieuses qu'il a prises, ces échecs répétés rendent Maximilien ridicule et odieux. C'est donc pour ce pitoyable résultat que les impôts sont redevenus plus lourds que sous le règne de Charles le Téméraire et que les provinces sont rançonnées par les mercenaires allemands ! Les Flamands surtout, qui considèrent la paix d'Arras comme leur œuvre, ne pardonnent pas au roi des Romains de l'avoir violée. Bruges l'accuse de sacrifier son commerce à celui d'Anvers. Gand n'oublie pas la confiscation de ses privilèges. Pendant l'hiver de 1487, le clerc des échevins, Coppenhole (20), banni deux ans auparavant, et son ami le sire de Rasseghem, échappé de la prison de Vilvorde, y dominent de nouveau. Les anciennes franchises sont rétablies, les métiers reprennent leur prépondérance, la milice des « blancs chaperons » est remise sur pied. Et enfin, conformément aux stipulations du Grand Privilège qui permet aux Etats de s'assembler sans convocation du prince, les Gantois convoquent le Brabant et le Hainaut à une assemblée générale dans leur ville. Personne, il est vrai, ne répondit à cet appel : on craignait évidemment le particularisme dont la Flandre avait naguère donné tant de preuves. D'ailleurs le conflit économique de Bruges avec Anvers et l'incompatibilité de leurs intérêts et de leurs tendances empêchaient la principale des villes brabançonnes de faire cause commune avec les alliés de sa rivale et contribuèrent grandement à maintenir le Brabant dans le parti du prince. 3mtocc»ct«6 <£pûe fciuô guoç. bet 2lb fotutâ m manwia (Lu C4ttfoîttt4 quâto epcelUttttWe* fut* pîtnctpcô m que»® pattata funt nt|t eeltctt»£r4ue et petfotut U1ittttct4mu& eut ron* recftmw et 4bmmtfîtrttôt6 btert Comtt4tud quâ brtb* ttotebtlccttftlttnobtlts\n:tPbtltppt Commefabuettiï ctujbe Ae^tô twtt Ic^thmt ef mttutalts fttfltt4tté Twam* t© futtt 4ffttctt etufbé retf ù Côftliatioe et 4lto* eû corotcâ tcô cott4 iuzamétû jncbtctû temeve ventébo in but© ©t>tbd Sîu^cn 4b qb poj? mulot* i fiant combé fe cômlcvut inj utroe tclubece et tnclufoe fubftbn euffebt4 ne mî$ epuc »of fent fine coif, ltcétia 6 facto ta pluubua btebus tenerc et fut tettebo ppzta Ubttcm qao volcbât ^ficifci feu tfôbt re n f©îmtb4:ût Heq* fo:mibât » 4t4ç, fiwç, pmculû pan» ctofû epeplîi et fcâb4ia pUiîtmoç. Hoô t^ttuc 4b quo« fpec t*Xbrftotpwutôcotumbî cô^mtôremebttô«but4ccmow uo 4b emfbé re^i« t>el aitetiuô $ to nobt» ftmet hoc ôblatc pettttôw î^âft ^ m*î<* \m 25ltbcî4ttÔc 4cbc venew btltufvdtriïiitôîûfeeKermn écçtiçC 119.1 (Cliché Pichonnier.l Armet de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. Mézail rappelant la (orme dite à groin. déclaré contre Maximilien le défenseur des Flamands. Depuis longtemps déjà sourdement hostile à cet étranger, il saisit l'occasion d'entamer avec lui un duel décisif. Il se pose en champion de la maison de Bourgogne contre la maison de Habsbourg. Il accuse le roi des Romains de vouloir, avec l'aide de son père, annexer les Pays-Bas à l'Autriche, et il lui conteste le droit d'en porter le titre et les armes. Comme jadis Philippe le Bon en face de Si-gismond, il nie, en face de Frédéric III, la suzeraineté impériale sur les provinces : il affirme qu'elles ne sont tenues au fief que « de Dieu et du soleil ». Au mambour autrichien qui a violé ses serments, il oppose le duc Philippe, « prince naturel » et héritier légitime des domaines bourguignons (29). Il enrôle sous sa bannière tous les mécontents, tous les ennemis du système monarchique. Il cherche à employer, au maintien de la maison de Bourgogne, ce particularisme qui a failli naguère la détruire. Et, par une conséquence nécessaire, il sollicite la France, qui a menacé si longtemps les Pays-Bas, de les arracher au roi des Romains. En s'alliant à Charles VIII et à d'Esquerdes contre Maximilien, il agit comme agira plus tard le prince d'Orange suscitant le duc d'Anjou contre Philippe II. Il est antiautrichien comme Guillaume de Nassau sera, au XVIe siècle, antiespagnol, et, à y regarder de près, on aperçoit aisément la ressemblance de leurs politiques, s'inspirant l'une et l'autre de la même idée d'indépendance. Soutenu par les villes flamandes, puis bientôt après (en septembre), par Bruxelles et Louvain qui lui ouvrent leurs portes, par les Hoeks de Hollande qui reprennent les armes, par les Liégeois entraînés par Guillaume de La Marck, par la cavalerie d'Esquerdes enfin et par les mercenaires français que lui envoie Charles VIII, Philippe de Clèves put résister à l'armée impériale. Il était impossible d'ailleurs de retenir celle-ci sous les drapeaux sans des dépenses énormes auxquelles ni Frédéric ni Maximilien n'étaient capables de faire face. Un inutile blocus de quarante jours devant Gand qui, recourant à son moyen habituel de défense, a fait déborder ses rivières et inondé la campagne autour de ses remparts, arrête et use l'élan des troupes allemandes. Les princes de l'Empire ont entrepris cette guerre à contre-cœur et, depuis le commencement du mois d'août, la plupart d'entre eux rappellent leurs contingents (30). Frédéric lui-même prend le chemin du retour au mois d'octobre. Les opérations militaires ne consistent plus qu'en une série d'escarmouches. Malgré l'acharnement des combattants, elles n'aboutissent à rien de décisif et n'ont d'autre résultat que de ruiner abominablement le plat pays. Empêché par ses intérêts allemands de s'absorber dans une lutte qui menace de s'éterniser, Maximilien quitte les Pays-Bas au mois de février 1489. Il y laisse comme lieutenant-gouverneur le duc Albert de Saxe, homme de guerre excellent, qui, appuyé sur Anvers et le Hainaut, regagne peu à peu le terrain perdu. On s'étonnerait à bon droit que Charles VIII n'ait pas plus énergiquement secouru Philippe de Clèves contre le roi des Romains, si l'on ne savait qu'il était alors occupé par la guerre de Bretagne. La mort du duc François II, le 9 septembre 1488, avait été l'occasion d'une ligue dans laquelle Maximilien, le roi d'Angleterre Henri VII et Ferdinand le Catholique s'étaient unis contre la France. La guerre civile des Pays-Bas se trouvait désormais subordonnée aux péripéties d'un grand conflit international et, une fois de plus, l'histoire de l'Europe allait déterminer le cours de l'histoire de Belgique. Une trêve conclue à Francfort, le 22 juillet 1489, entre Charles VIII et Maximilien, avait stipulé que le roi de France s'emploierait, comme suzerain de la Flandre, à y apaiser la révolte. Et, en effet, par le traité de Montil-lez-Tours (30 octobre 1489) (31), Charles avait amené les (Cliché Archives photographiques.) Hôtel de ville et beffroi d'Arras vus du côté est. Le beflroi a été construit de 1463 à 1499 et surmonté, en 1551, d'une partie octogonale amortie en couronne impériale imitée de celle de l'hôtel de ville d'Audenarde. Œuvre de Jacques le Caron, de Marchienne. L'hôtel de ville a été construit de 1511 i 1517. Des ailes de style Renaissance ont été ajoutées en 1572 par Mathias Tesson. Flamands à reconnaître le roi des Romains comme mambour et à lui payer une amende de 300,000 écus d'or. Ces événements provoquèrent la soumission des villes brabançonnes. Dégoûtées de la guerre, elles ouvrirent leurs portes à Albert de Saxe. Mais Bruges et Gand n'acceptèrent la paix qu'en rechignant, et Philippe de Clèves refusa formellement d'y souscrire. LA GUERRE EN FLANDRE. -L'Ecluse, où il s'est retiré et où une foule de mécontents sont venus le rejoindre, défie tous les efforts d'Albert de Saxe, comme Flessingue, aux mains des Gueux, défiera, au XVIe siècle, tous ceux du duc d'Albe. Pourtant, cette résistance est stérile. Le grand mouvement d'opposition dont Clèves avait espéré de prendre la direction, a avorté. Sous l'influence de leurs métiers, Bruges et Gand, il est vrai, reprennent les armes. Mais c'est là une simple explosion du particularisme municipal qui, abandonné à lui-même et privé de l'appui de la France, ne parvient pas à organiser une action commune. Bruges, investi par Albert de Saxe ne reçoit aucun secours des Gantois, et se soumet à Maximilien par le traité de Dam-me, le 29 novembre 1490. Ce traité clôture la série si nombreuse de ses insurrections, et l'auteur de l'Excellente Chronycke van Vlaenderen se fait sans doute l'interprète fidèle du sentiment de ses concitoyens dans le curieux passage où il leur recommande de ne plus jamais se révolter contre l'autorité du prince (32). La reprise des hostilités entre la France et Maximilien, à la suite du mariage par procuration de celui-ci avec Anne de Bretagne (décembre 1490), permit à Gand et à Philippe de Clèves de se maintenir encore pendant quelque temps. Charles VIII nomme Clèves son lieutenant-gouverneur en Flandre et renouvelle aux Gantois l'assurance de sa protection. Mais occupé en Bretagne, il ne leur envoie que des secours insignifiants. D'ailleurs, la prolongation de la lutte devient impossible. Gand est arrivé à la limite de ce qu'il peut supporter. Comme en 1485, le plus influent de ses métiers, celui des bateliers, demande la paix. Pour continuer la résistance, Coppenhole fait décapiter leur doyen et leur oppose les petits métiers chez lesquels l'extrême particularisme industriel entretient l'extrême particularisme municipal. Un cordonnier devient capitaine-général de la commune. Mais les bateliers se soulèvent, et, à son tour, Coppenhole monte sur l'échafaud (16 juin 1492). Dès lors, la paix n'est plus qu'une question de jours. Elle est conclue à Cadzant le 29 juillet 1492. Les Gantois acceptent enfin Maximilien comme mambour et se résignent à n'être plus qu'une simple ville et non un Etat dans l'Etat. Ils renoncent, comme après la bataille de Gavere, à la milice des blancs chaperons, à la juridiction qu'ils prétendaient exer- (Paris, Bibliothèaue Nationale, ms latin 4804, fol. 1 v".) Miniature extraite d'un manuscrit ayant appartenu à Louis de Bruges, sire de Gruuthuse (Ptolémée : Cosmographia). Fin du XVe siècle. La miniature originale représentait le sire agenouillé dans son oratoire devant l'autel de Sainte-Agnès. Louis XII, à qui Jean de Bruges, fils de Louis, avait légué la bibliothèque paternelle, fit effacer les armoiries de Louis, remplaça par des L couronnés de fleurs de lys les banderoles qui portaient sa devise. Mais il n'est pas prouvé qu'il ait poussé la mesquinerie jusqu'à « décapiter » Louis de Bruges pour mettre sa tête sur les épaules du sire. A la partie supérieure et à la partie inférieure de l'encadrement, la devise de Louis de Bruges I* Plus est en vous ») a échappé aux altérations des remanieurs. cer en dehors de leur échevinage, au pouvoir de créer des Haghepoorters, sauf dans la châtellenie de Gand. L'appel au Conseil de Flandre des sentences rendues par leurs échevins est rétabli. En même temps, les métiers perdent le droit de nommer eux-mêmes leurs doyens, et, de même que la ville se soumet au pouvoir supérieur de l'Etat, ils se soumettent, de leur côté, dans le sein de la commune, au pouvoir supérieur de la magistrature urbaine (33). Avec cette capitulation définitive de la plus indomptable des villes belges s'achève, dans les Pays-Bas, l'ère des révoltes municipales. Le conflit que depuis un siècle se livraient l'Etat et les communes, le principe médiéval de l'autonomie particulariste et le principe moderne de la centralisation monarchique, s'achève par le triomphe de celui-ci. A y regarder de près d'ailleurs, on constate aisément que ce triomphe s'annonçait depuis longtemps. Les progrès du commerce international et les formes nouvelles que lui imposait le développement du capitalisme étaient incompatibles avec les franchises, les privilèges, les monopoles que les bourgeoisies s'acharnaient à maintenir. La transformation sociale qui s'accomplit au cours du XVe siècle en tournant contre elles, tourne nécessairement à l'avantage du prince. Anvers, on l'a vu, qui sut si admirablement s'adapter aux circonstances nouvelles, a soutenu Maximilien avec autant de persistance que Gand en a mis à le combattre (34). Et d'autre part, la lutte n'était plus possible entre les milices communales et les armées de mercenaires. C'est l'appui de la France et ce sont les soldats d'Esquerdes qui ont fait durer si longtemps le conflit dont on vient de voir la conclusion fatale. Désormais l'opposition au pouvoir du prince ne sera plus une opposition contre l'Etat, mais une opposition dans l'Etat. Plus riches, plus actives que le reste du peuple, les villes continueront à le diriger, mais elles ne le domineront plus. Ayant perdu les privilèges qui les rendaient inaccessibles au sentiment du « bien commun », elles pourront rallier et inspirer l'opinion publique et joueront le premier rôle dans les Etats généraux qui, sur une scène plus vaste, reprendront, au XVIe siècle, le combat d'où elles sont sorties vaincues au XVe. RETABLISSEMENT DE LA PAIX. — La soumission de Gand devait entraîner celle de Philippe de Clèves qui se résigna à l'inévitable le 12 octobre 1492, et, abandonnant la Flandre à son adversaire, partit pour la France d'où il ne devait revenir que sous le règne de Philippe le Beau. Quelques semaines auparavant, le 25 juillet, l'évê-que de Liège, Jean de Hornes, l'allié de Maximilien contre les La Marck, était rentré dans sa capitale. La pacification des Pays-Bas était complète. La guerre contre la France, il est vrai, durait toujours. Depuis le mariage de Charles VIII avec la fiancée du roi des Romains, Anne de Bretagne, celui-ci réclamait non seulement la dot constituée à sa fille Marguerite par le traité d'Arras (l'Artois et la Franche-Comté), mais tout l'héritage de Charles le Téméraire (le duché de Bourgogne, l'Auxerrois, le Méconnais). Les opérations militaires furent d'ailleurs peu actives. On négocia plus qu'on ne combattit. Vers la fin de l'année 1492, Maximilien remporta quelques succès. Les bourgeois d'Arras, qui subissaient impatiemment la domination française, appelèrent ses troupes dans leur ville (5 novembre 1492), et il envahit la Franche-Comté au mois de décembre. Il n'en fallut pas davantage pour décider Charles VIII, tout entier à ses projets de conquête en Italie, à signer la paix de Senlis (23 mai 1493). Il restituait à son adversaire l'Artois, le Charolais et la Franche-Comté, en réservant toutefois ses droits de suzeraineté sur les deux premiers. La France gardait Auxerre, Mâcon et Bar-sur-Seine, mais provisoirement et en attendant que des négociations ultérieures décidassent de leur attribution définitive. Enfin, le 12 juin suivant, la jeune Marguerite d'Autriche était remise aux ambassadeurs de son père, chargés de la ramener à Malines. NOTES (1) E. M. von Lichnowsky, Geschichte des Hauses Habsburg, t. VIII, p. DCCXXXIV (Vienne, 1844). (2) Hist. des Pays-Bas. Corpus Chron. Flandr., t. III, p. 396, (Bruxelles, 1856). (3) Voy. la relation détaillée de ces Etats par l'un des députés de Namur, dans le Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 3® série, t. I [1860], p. 311 et suiv. (4) Commines, Mémoires, éd. Lenglet du Fresnoy, t. IV, p. 133, 137. Cf. L. De-villers, Le Hainaut après la mort de Marie de Bourgogne, Bull, de la Comm. Royale d'Histoire, 4e série, t. VIII [1880], p. 202 et suiv. (5) Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. II, p. 61. (6) Texte dans Commines, Mémoires, éd. Lenglet du Fresnoy, t. IV, p. 95. — Sur l'intervention des Gantois voy. ibid., t. II, p. 168, 169; Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. II, p. 38, 58, 61 : 1. L. A. Diegerick, Correspondance des magistrats d'Y près, p. xx (Bruges, 1853-56) ; Gachard, Lettres de Maximilien. Bull, de la Comm. Royale d'Histoire, 2e série,, t. II, [1851], p. 373. (7) Commines, Mémoires, éd. Mandrot, t. II, p. 62. (8) Olivier de La Marche, Mémoires, éd. Beaune et d'Arbaumont, t. III, p. 261 (Faris, 1885). (9) Olivier de La Marche, loc. cit., p. 265. (10) Olivier de La Marche, Mémoires, éd. Beaune et d'Arbaumont, t. III, p. 266. (11) Gilliodts van Severen, Inventaire des archives de Bruges, t. VI, p. 228. (12) I. Diegerick, Inventaire des archives d'Y près, t. IV, p. 61, 63. (13) Molinet, Chroniques, t. II, p. 420. (14) Commines, Mémoires, éd. Lenglet du Fresnoy, t. IV, p. 131 et suiv. (15) Voy. les textes publiés par Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, t. V, p. 526 et suiv. (16) I. Diegerick, Inventaire des archives d'Y près, t. IV, p. 70, 75. (17) Dumont, Corps diplomatique, t. 111=, p. 138. — A la même date, les Flamands négociaient le mariage de Philippe avec Charlotte de Bourgogne, fille de Jean de Nevers, qui avait été l'ennemi mortel de Charles le Téméraire. Voy. B. de Mandrot, Jean de Bourgogne et le procès de sa succession. Revue Historique, t. XCIII (1907), p. 28. (18) Molinet, Chroniques, t. III, p. 95. (19) Sur la politique de Maximilien, qu'Ulmann considère comme purement habsbourgeoise, voy. maintenant Max Jansen, Kaiser Maximilian I, (Munich, 1905) et surtout K. Kaser, Deutsche Geschichte im Ausgange des Mittelalters, t. II, p. 1 et suiv. (Stuttgart, 1906) qui la croient inspirée, au moins en partie, par les intérêts de l'Empire. (20) Sur ce personnage voy. Fris, Jan van Coppenhole, Bullet. de la Soc. d'Hist. et d'Archéolog. de GandJ 1906, p. 93 et suiv. (21) Gachard, Notice des archives de la ville de Gand, p. 42, 58. Mémoires de l'Académie Royale de Belgique, t. XXVII [1852]. (22) Je suis surtout pour l'histoire de l'emprisonnement de Maximilien à Bruges les curieuses lettres publiées par I. L. A. Diegerick, Correspondance des magistrats d'Ypres pendant les troubles de Flandre sous Maximilien (Bruges, 1853). Il faut les compléter par l'Histoire des guerres de Flandre, de Jean Surquet (Corpus Chron. Flandr., t. IV, p. 507), le récit contemporain utilisé par l'Excellente cronycke van Vlaenderen, fol. 229 et suiv.; le Boek al't gene datter geschiedt is binnen Brugghe, publié par C. Carton (Gand, 1859), et la relation de de Doppere, insérée dans la Chronique de Nicolas Despars, éd. De Jonghe, t. V, p. 303 et suiv. (Bruges, 1842). Pour cette dernière, voy. V. Fris, La chronique de Nicolas Despars. Bullet. de la Comm. Royale d'Histoire, 5e série, t. XI [1901], p. 545 et suiv. (23) M. A. Warburg croit retrouver, avec grande vraisemblance, dans deux dessins attribués au Hausbuchmeister le souvenir de la captivité de Maximilien à Bruges. Voy. Jahrbuch der kgl. Kunstsammlungen, 1911, n° 3. (24) Sur ce traité, voy. H. Pirenne, Le rôle constitutionnel des Etats généraux des Pays-Bas en 1477 et en 1488. Mélanges Paul Fredericq, p. 267. Le texte se trouve dans Molinet, Chroniques, t. III, p. 342. (25) Gachard, Lettres de Maximilien. loc. cit.. p. 340. (26) Molinet, Chroniques, t. III, p. 318 et suiv. (27) Sur sa conduite en cette circonstance, vov. L'imann, Kaiser Maximilian I. t. I, p. 34. (28) Sur ce curieux personnage, qui méritait une étude approfondie, voy. de Chestret, Histoire de la maison de La Marck, p. 49 (Liège, 1898). (29) Voy. dans Gachard, Lettres de Maximilian, loc. cit.. p. 378, le pamphlet de « Philalitès » qu'il fit répandre alors dans le pays. (30) Ulmann, Kaiser Maximilian I, t. I, p. 37. (31) Pour la date de ce traité, voy. Ulmann, loc. cit., p. 72. (32) Excellente Chronycke van Vlaenderen, fol. 270, r°. (33) Voir le texte de cette paix dans Gachard. Relation des troubles de Gand sous Charles-Quint, p. lxxi (Bruxelles, 1846). (34) Molinet, Chroniques, t. III, p. 93, dit qu'Anvers « toujours l'avoit consolé dans ses adversités ». (Amsterdam, Rijksmuseum.) Philippe le Beau entouré de seigneurs et de dames de la Cour de Bourgogne. Tapisserie flamande faisant partie d'un ensemble de scènes illustrant la vie de la cour bourguignonne vers 1500. CHAPITRE III PHILIPPE LE BEAU A RESTAURATION DE L'ETAT. - La mort de l'empereur Frédéric III, trois mois après la paix de Senlis, le 19 août 1493, en appelant Maximilien au gouvernement de l'Empire, devait lui faire bientôt abandonner la régence des Pays-Bas. Il ne pouvait d'ailleurs, sans justifier le soupçon de méditer l'annexion des provinces bourguignonnes à l'Autriche, maintenir plus longtemps sous tutelle son fils qui allait atteindre sa seizième année. Il se décida à déposer ses pouvoirs de mambour, et la Joyeuse Entrée de Philippe le Beau à Louvain comme duc de Brabant, le 9 septembre 1494, marqua l'inauguration d'un nouveau règne. Il s'ouvrait sous les plus heureux auspices. (Bruxelles, Archives Générales du Royaume, chartes de Brabant.) (Cliché Pichonnier.) Sceau équestre de Maximilien et de Philippe le Beau. Type à la fois de guerre (pour Maximilien) et de chasse (pour Philippe le Beau). Sceau pendant sur lacs de soie à une charte du 8 octobre 1494. Diamètre : 120 mm. La légende énumère les titres de Maximilien et de son fils. Si le traité de Senlis n'avait pas tranché toutes les questions pendantes entre la France et la maison de Bourgogne, l'expédition de Charles VIII en Italie garantissait du moins pour longtemps la sécurité de la Belgique. Pour la première fois depuis la mort de Jean sans Peur (1419), le prince montait sur le trône en pleine paix. Plus d'agitation dans les provinces, plus rien à craindre du côté de Liège. Seules, les revendications récentes de Charles d'Egmont sur la Gueldre présageaient un péril d'ailleurs lointain encore et qu'un traité avait provisoirement écarté. Mais le caractère le plus frappant de l'avènement de Philippe le Beau réside dans l'enthousiasme qu'il provoqua. Toutes les provinces saluèrent avec une confiance joyeuse le « prince naturel » si longtemps attendu. Tous les griefs, toutes les rancunes, toutes les craintes qu'avait fait naître Maximilien, s'évanouirent devant lui. Au sortir de la crise terrible que l'on venait de traverser, on accueillit le nouveau règne avec l'ardent espoir d'une ère réparatrice. Philippe le Beau fut le premier prince populaire des Pays-Bas et sa popularité cimenta l'Etat bourguignon qui avait failli sombrer au milieu de la guerre civile. Avec lui, la maison de Bourgogne se nationalise; elle devient pour tous les territoires, flamands ou wallons, le symbole et la garantie de leur indépendance. Et, du même coup, le régime monarchique, indispensable à son maintien, reparaît avec elle et se fait accepter comme elle. L'équilibre qui n'avait pu s'établir sous Maximilien entre le gouvernement central et les autonomies provinciales ou municipales, parce que le gouvernement central se présentait alors comme l'organe et l'instrument d'une politique étrangère, se réalise aisément du jour où le pres- tige et l'autorité du « prince naturel » travaillent en sa faveur. On constate ce relèvement de l'Etat dès les premiers jours du nouveau règne. Philippe le Beau ne ratifie point les concessions arrachées à sa mère en 1477. La Joyeuse Entrée qu'il jure en Brabant est calquée sur celles de Charles le Téméraire et de Philippe le Bon et abolit formellement la Joyeuse Entrée de Marie de Bourgogne et ses confirmations par Maximilien lors de son mariage, puis au commencement de sa régence (1). En Flandre, le Franc de Bruges, ce contrepoids à la prépondérance exclusive des trois chefs-villes, reparaît comme « quatrième membre » du pays (2). Partout, les «commissaires du prince » renouvellent les magistratures communales qui échappent ainsi à l'influence des métiers. Le conseil ducal est reconstitué comme centre du gouvernement, et déjà on voit y apparaître l'embryon des trois futurs « Conseils collatéraux ». Une ordonnance de 1495 réorganise le domaine dilapidé ou aliéné en grande partie pendant les dernières guerres. Les empiétements des Etats provinciaux sur l'autorité souveraine sont réprimés. En 1496, Philippe écrit aux membres de la Chambre des comptes de Bruxelles que les Etats du Brabant n'ont point d'ordres à lui donner : « Vous n'estes pas à eulx, ains à nous, et n'ont aucun commandement sur vous» (3). En 1504, enfin, le Parlement de Malines, supprimé lors de la réaction de 1477, sera rétabli sous le nom de Grand Conseil. Mais il importe de remarquer que le nouveau régime ne constitue point du tout un retour à l'absolutisme de Charles le Téméraire. Si Maximilien, dans ses tentatives malheureuses de restauration monarchique, s'était manifestement inspiré de ce dernier, Philippe le Beau agit tout autrement. Le système politique dont son règne a vu l'établissement se présente comme une sorte de compromis entre les droits du prince, gardien de l'intégrité de l'Etat en même temps qu'organe de l'administration centrale, et les droits garantis aux provinces par leurs constitutions territoriales. On pourrait le définir assez exactement un moyen-terme entre le particularisme effréné du Grand Privilège et la centralisation à outrance de Charles le Téméraire. Les étrangers, instruments dociles du souverain, disparaissent presque complètement du conseil ducal. Parmi les quatorze mem- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Médaille de Maximilien exécutée en 1480 par Giovanni Candlda. Bronze doré. Diamètre : 45 mm. bres dont il se compose en 1494, on ne rencontre que deux Allemands et trois Bourguignons de Bourgogne; tous les autres sont des « seigneurs du sang » ou des nobles des Pays-Bas. L'impôt est régulièrement consenti soit par les Etats provinciaux, soit par les Etats généraux; encore cherche-t-on à le réduire au minimum et à parer aux dépenses de la cour par les revenus du domaine. Enfin, les Etats généraux sont appelés à diriger avec le prince la politique étrangère, en décidant avec lui de la guerre ou de la paix. Quantité de privilèges, cassés par Maximilien ou Charles le Téméraire sont octroyés à nouveau. Dans la Joyeuse Entrée où il abolit les concessions faites par sa mère, Philippe se déclare prêt cependant à rétablir « celles par eux et préparé à son rôle de prince comme s'il ne devait régner jamais que sur les Pays-Bas. Ses précepteurs n'avaient vu en lui que le chef de la maison de Bourgogne, oubliant à dessein qu'il était aussi l'héritier de l'Autriche. On l'avait soustrait avec soin à l'influence d'Albert de Saxe (5), on ne lui avait pas même appris l'allemand (6); de parti pris, on lui avait fermé les yeux sur tous les intérêts indifférents à ses domaines néerlandais. Au moment où il sort de tutelle, il est devenu étranger à son père et étranger à la dynastie des Habsbourg : il n'est plus qu'un duc de Bourgogne ou, ce qui revient au même, le souverain national des Pays-Bas. Dès lors, on s'explique facilement que, trop jeune pour imprimer à son gouvernement un ca- il rxyxll.' l-y+w^ot^o- ' SijM^ t^-^-jtp Wv, C^W* » —.Wcc fitttU*>>«s ' f^VS fcV vw£fc«>tv, ^—}, ,„.. .—... — ------------7----- —— ----------------7-j ^pwV»;^ r v "-vmwf- » j • ♦ * -rcCÎr^fèl' •tW^Tri- --fY j {w;n»\-.VI^5nEUELr.WR J V/ -Bruxelles. Archives Générales du Royaume. Chambre des Comptes, n° 74.) Lettre de l'archiduc Philippe le Beau donnant l'ordre à la Chambre des Comptes de Brabant d'aller s'établir à Malines. Signature autographe. Lettre rédigée en flamand et datée de Namur (le 27 avril 1496). qui, étant réellement profitables au pays, lui seraient redemandées de commun accord par les trois Etats ». Il n'est pas difficile de reconnaître la tendance qui se manifeste dans tout cela. C'est incontestablement celle qui, depuis longtemps, dominait parmi la noblesse et qui, déjà sous le règne de Philippe le Bon, s'était exprimée dans le curieux mémoire attribué à Hugues de Lannoy (4). Et comment s'en étonner lorsque l'on constate que le gouvernement de Philippe le Beau fut, en réalité, le gouvernement de la noblesse ? LA POLITIQUE NATIONALE. - Elevé à Malines par des seigneurs belges à qui Maximilien, absorbé par ses projets, ses guerres, ses voyages continuels, avait laissé le soin de l'éducation de son fils, celui-ci avait été façonné ractère personnel, il se soit abandonné à la direction de ses conseillers et qu'il ait mérité ce surnom de « croit-conseil » que lui donnèrent les contemporains. Ces chevaliers de la Toison d'Or, les Croy, les Berghes, les Lalaing, forment son entourage habituel. Il les laisse appliquer sous son nom leur programme politique, organiser une monarchie tempérée par l'intervention constante d'un conseil formé de seigneurs indigènes et par l'intervention intermittente des Etats généraux. Le gouvernement cesse d'être purement dynastique et, par une conséquence inévitable, il modifie en même temps la ligne de conduite suivie jusqu'alors vis-à-vis de l'étranger. Le seul intérêt des Pays-Bas détermine désormais son attitude à l'égard des puissances voisines. Or, cet intérêt commande impérieusement, après les désastres causés par les troubles, le maintien de Il - 4 la paix à tout prix. Déjà odieuse en 1482 et en 1487, la guerre avec la France le devient bien plus encore, maintenant que la France ne menace plus la frontière et cherche même à écarter toute difficulté de ce côté pour avoir les mains libres en Italie. Aussi Maximilien a-t-il beau s'efforcer d'entraîner son fils dans les nouvelles coalitions qu'il suscite contre elle. Dominé par ses conseillers belges, celui-ci, pendant les premiers temps de son règne, contrecarre résolument la politique autrichienne. Tandis que Philippe se rapproche du sire de Ravenstein, auquel il paie une pension, Albert de Saxe, le fidèle représentant de la maison de Habsbourg dans les pays bourguignons, se voit en butte à un mauvais vouloir manifeste et accuse les ministres de Philippe de le détourner de son père. Les faits ne justifient que trop ces accusations. Pendant que Maximilien constitue contre la France la ligue de Venise, Philippe entretient les rapports les plus cordiaux avec Charles VIII. Il lui fait hommage pour la Flandre et l'Artois, alors qu'il néglige de relever ses fiefs d'Empire. Ses avances au roi d'Angleterre Henri VII ne sont pas moins significatives. Depuis la réconciliation de ce dernier avec la France, Maximilien lui avait témoigné une constante hostilité. En 1487, il avait favorisé contre lui la tentative de lord Lovel et, quelques années plus tard, l'inSUr- (Vienne-. Kunsthislori^hes Muséum.) rection provoquce par le Jeanne de Castille, dite la Folle, pseudo-York, le Wallon Porlrail peint vers ,500 Perkin Warbeck (7). Henri VII avait répondu à ces provocations en interdisant à ses sujets le commerce avec les Pays-Bas et en déplaçant l'étape des draps anglais d'Anvers à Calais. C'était un coup terrible pour les provinces bourguignonnes, et Philippe, sans tenir compte des désirs de son père, chercha tout de suite à le parer. Après de longues négociations, le 24 février 1496, fut signé YIntercursus magnus qui rétablissait l'entrecours entre les deux rives de la mer du Nord (8). Cet acte célèbre ne constitue pas seulement le plus libéral des traités de commerce de l'époque, il atteste encore la substitution, dans les Pays-Bas, d'une politique nationale à la politique étrangère du dernier règne. Les effets bienfaisants qu'il produisit tout de suite augmentè- rent encore la popularité du gouvernement et accentuèrent davantage son orientation nouvelle. LE MARIAGE ESPAGNOL. — Pendant que Philippe le Beau négociait avec Henri VII, son mariage faisait l'objet de pourparlers entamés depuis longtemps déjà entre Maximilien et les souverains espagnols, Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille. Le 5 novembre 1495, un traité signé à Malines décidait la double union du jeune duc avec Jeanne de Castille, et du frère de celle-ci, don Juan, avec Marguerite, sœur de Philippe, l'ancienne fiancée de Charles VIII. Quoique son mariage ne permît pas de présager alors que la succession des royaumes espagnols dût un jour échoir en partage à Philippe, il tendait pourtant à attirer le jeune prince dans la coalition anti-française conclue entre Maximilien et Ferdinand. Il apparaissait comme une revanche de l'empereur sur les conseillers de son fils, comme une victoire de la politique habsbourgeoise sur la politique bourguignonne. Les ministres belges ne se le dissimulèrent point et se hâtèrent, en redoublant de prévenances vis-à-vis de la France, de dissiper les soupçons qu'elle aurait pu nourrir. Leur mécontentement et leurs craintes augmentèrent encore lorsque Philippe se décida malgré eux, pendant le printemps de l'année 1496, à aller visiter son père à Ins-pruck, en compagnie d'Albert de Saxe. L'incompatibilité des tendances diverses entre lesquelles il était tiraillé se révéla pleinement pendant ce voyage, qui fut l'occasion d'une rupture éclatante entre Maximilien et François Busleyden, l'un des principaux ministres du duc. Maximilien mit certainement tout en œuvre pour rallier son fils à sa politique. Et le projet qu'il formula l'année suivante de partager l'ordre de la Toison d'Or entre l'Autriche et la Bourgogne, puisque désormais « des deux maisons n'est que une mesme chose» (9), indique bien la ligne de conduite qu'il dut chercher à lui faire adopter. On comprend sans peine qu'il ne pouvait abandonner son héritier aux seigneurs belges comme il avait été abandonné jadis au pouvoir des Gantois, ni lui permettre d'agir en souve- épouse de Philippe le Beau. par Juan de Flandes. rain indépendant. On a comparé exactement le rôle qu'il lui destinait à celui que Napoléon I" devait assigner à ses frères dans leurs royaumes de Hollande et de Westphalie (10). Il prétendait lui imposer son attitude et le traiter en simple lieutenant. Philippe revint dans les Pays-Bas pour épouser Jeanne de Castille arrivée à Anvers le 21 octobre 1496. De retour au sein de son entourage bourguignon, l'impression que l'entrevue d'Inspruck avait dû laisser dans son esprit, s'effaça rapidement. Au mois de mars 1497, il remplace le vieux chancelier Carondelet, créature de Maximilien, par Thomas de Plaines, et confie à François Busleyden les fonctions de premier maître des requêtes. L'année suivante, après la mort de Charles VIII, il fait représenter aux Etats généraux que son père voudrait l'associer à la guerre qu'il vient d'entreprendre contre Louis XII pour récupérer la Bourgogne et, sur leur désir de conserver la paix, il conclut le traité de Paris (2 août 1498) qui renouvelle celui de Senlis. Bien plus, il agit manifestement en allié du roi de France. Il lui communique les lettres qu'il reçoit de Maximilien, et ses conseillers affichent des sentiments si antiautrichiens que Louis XII dit en plaisantant qu'ils sont « aussi français que le vin d'Orléans » (11). Il est curieux de constater que, pour conserver la paix avec la France, Philippe va jusqu'à lui sacrifier ses intérêts dynastiques. Non seulement, il renonce, par le traité (Amsterdam, Rijksmuseum.) Philippe le Beau vers l'âge de vingt ans. Le duc porte le collier de la Toison d'Or. Tableau peint vers 1498 par Jacques van Laethem. (Londres, National Portrait Gallery.) (Photo obligeamment transmise par M. E. Cammaerts. prof, à l'Univ. de Londres.) Henri VII, roi d'Angleterre. Le roi porte le collier de la Toison d'Or et tient dans la main droite la rose blanche, insigne de la maison d'York. Portrait peint en 1505 par un maître inconnu. de Paris, à faire valoir sur la Bourgogne ses droits héréditaires, mais il refuse même de disputer la Gueldre à Charles d'Egmont. Ce turbulent et énergique personnage était fils de ce duc Adolphe mort en 1477 pendant la malheureuse expédition des Gantois contre Tournai. Il avait été élevé à la cour de Bourgogne, avait combattu les Français avec Maximilien et, en 1487, avait été fait prisonnier par eux au combat de Béthune. Mais Charles VIII ne le conservait en captivité qu'en attendant le moment de s'en servir. Libéré en 1491 et pourvu par le roi de troupes et d'argent. Charles n'eut qu'à se montrer en Gueldre pour y provoquer un soulèvement général contre la domination bourguignonne. Ainsi, presque au même moment où Philippe de Clèves en Flandre et les La Marck dans le pays de Liège déposaient les armes, la France acquérait dans le duc de Gueldre un nouvel allié qui, touchant à la fois par les frontières de ses territoires, la Hollande, l'évêché d'Utrecht, le Brabant, le Limbourg et la Frise, menaçait de toutes parts la sécurité des Pays-Bas. L'attachement des Gueldrois au descendant de leurs anciens princes le rendait plus redoutable encore. Il apparaissait à leurs yeux comme le champion de l'indépendance nationale contre l'étranger. Maximilien ne s'était pas dis- LES HERITAGES ESPAGNOLS. — Par les décès Charles d'Egmont, duc de Gueldre (1467-1538). successifs de son frère don Tuan ( 1497) de sa sceur Isa- s,a,ue de b»is exécutée vers 1540. Détail du tombeau du duc dont le baldaquin date ' v ' ' de 1660. Le tombeau a été détruit par fait de guerre en 1944. (Cliché A.C.L.) Hôtel de Jérôme Busleyden à Malines. Jérôme Busleyden, né à Arlon vers 1470, « doctor utriusque juris ■ de l'Université de Louvain, chanoine de Notre-Dame à Cambrai, de Sainte-Waudru à Mons, de Saint-Lambert à Liège et de Saint-Rombaut à Malines, archidiacre de Sainte-Gudule à Bruxelles et de Saint-Rombaut à Malines, fut nommé par Philippe le Beau maître des requêtes auprès du Grand Conseil de Malines en 1504, et mourut à Bordeaux le 25 août 1517. Fondateur du collège des Trois Langues à Louvain, et ami d'Erasme et de Thomas More, il se fit construire à Malines un palais qui n'était pas achevé à sa mort. Après sa disparition, il appartint à la famille Le Sauvage puis aux béguines. Dans le courant du XIX® et du XX<> siècle, le bâtiment servit tour à tour de banque, d'école et d'académie de musique^ Après l'incendie de 1914 qui nécessita une restauration, il devint musée communal. simulé le péril. S'il avait été forcé de comprendre Charles d'Egmont dans la paix de Senlis (23 mai 1493), il avait dirigé contre lui, l'année suivante, en venant d'Allemagne assister à l'avènement de Philippe le Beau, une attaque qui, d'ailleurs, avait échoué. Le 18 août 1494 avait été conclu un accord remettant au jugement des électeurs de l'empire les prétentions de Charles à la possession de la Gueldre. Maximilien espérait sans doute que son fils ne manquerait pas d'opposer à celles-ci les droits qu'il tenait de Charles le Téméraire. Mais se brouiller avec la Gueldre c'eût été du même coup se brouiller avec la France et, pour une querelle dynastique, compromettre de nouveau le repos dont les Pays-Bas avaient tant besoin. D'ailleurs, les Etats généraux déclaraient que la question gueldroise était une question étrangère et, sans leur consentement, point d'impôts et, partant, point de guerre. Aussi, pendant que son père confisquait la Gueldre et la faisait attaquer par Albert de Saxe, Philippe le Beau conserva-t-il soigneusement, la neutralité (12). En 1498, il laisse passer par les Pays-Bas les renforts que Louis XII envoie à Charles d'Egmont attaqué par Maximilien et les ducs de Juliers et de Clèves. Il agit comme si la guerre de Gueldre ne le concernait pas, et c'est un spectacle curieux que celui de ce prince bourguignon qui, soucieux avant tout de ne point déplaire à la France pour ne point nuire aux Pays-Bas, laisse au chef de la maison de Habsbourg le soin de défendre à sa place ses droits héréditaires. Tranquille du côté de Philippe le Beau, Charles d'Egmont, soutenu par Louis XII, put tenir tête à la coalition de ses ennemis. On s'en remit finalement à l'arbitrage du roi de France. Le traité d'Orléans, le 29 décembre 1499, rétablit provisoirement la paix. belle (1498) et du fils de celle-ci don Miguel (1500), Jeanne de Castille se vit appelée, en 1500, l'année même de la naissance de Charles-Quint, à recueillir un jour la succession des royaumes espagnols. Son mariage avec Philippe le Beau ouvrait donc brusquement à ce dernier, et contre toute attente, la perspective d'un immense accroissement de pouvoir dans le Midi de l'Europe. Déjà héritier des domaines autrichiens, le chef de la maison de Bourgogne le devenait encore de ceux des rois catholiques. Les rêves les plus chimériques de Charles le Téméraire, obsédé à la fois par le titre de roi des Romains et par le mirage de la Méditerranée, étaient sur le point de s'accomplir. Dès lors, il devenait impossible à Philippe de persister dans l'attitude qu'il avait observée depuis son avènement. Il allait nécessairement s'affranchir de la tutelle de ses ministres belges et des Etats généraux. Passant de la condition de simple prince bourguignon à celle de détenteur futur de la plus grande des puissances européennes, il subordonne désormais l'intérêt des Pays-Bas aux intérêts multiples qui le sollicitent. De nationale qu'elle avait été jusque-là, sa politique devient, comme celle de Maximilien, une politique dynastique. On voit cesser l'antagonisme qui, depuis six ans, régnait entre le père et le fils. Leurs conduites, jusqu'alors divergentes, (Arnhem, église Saint-Eusèbe.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) s'associent, et c'en est fait de la rivalité entre Habsbourg et Bourgogne. Du reste, par une curieuse interversion des rôles, c'est Philippe qui maintenant prétendra diriger Maximilien. Grâce à l'ascendant que lui donne son héritage espagnol, il s'impose au roi des Romains et l'entraîne à la remorque. PHILIPPE LE BEAU ET LOUIS XII. - On ne s'aperçut point tout d'abord dans les Pays-Bas de la volte-face du souverain, car Philippe débuta par s'unir à la France plus étroitement que jamais. L'amitié de cette puissance lui était indispensable non seulement pour assurer la sécurité de la Belgique pendant le voyage en Espagne qu'il se préparait à entreprendre, mais aussi pour s'assurer un appui contre son beau-père, Ferdinand d'Aragon, qui lui était manifestement hostile. Louis XII, que les Espagnols inquiètent en Italie et qui espère, par l'intervention de Philippe, obtenir de Maximilien l'investiture du Milanais, accueille ses avances avec empressement. Maximilien lui-même, quoique répugnant à un rapprochement avec cette maison de France qu'il a si obstinément combattue depuis vingt ans, se laisse gagner au projet de son fils. Il se rallie aux conventions signées à Lyon le 10 août 1501 et qui stipulent le mariage du fils de Philippe le Beau, le jeune duc Charles de Luxembourg (le futur Charles-Quint), âgé (Vienne, Bibliothèque Nationale, ms 8329, fol. 20 r°.) Philippe le Beau, roi de Castille. Dessin à la plume de la statue de bronze du tombeau de l'empereur Maximilien Ier à Innsbruck. Il s'agil ou bien d'un projet pour la statue de bronze du tombeau de Maximilien exécuté par Gilg Sesselschreiber entre 1502 et 1508, ou bien d'une copie d'après l'original exécutée vers 1540 par Jôrg Kôlderer. (Londres, collection Wallace.) Louis XII, roi de France. Buste de bronze exécuté vers 1500 par un sculpteur inconnu. d'un an et demi, et de Claude, fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne, son aînée de six mois environ. Claude apportait en dot à son fiancé la Bretagne, Milan et Naples, qui lui resteraient s'il ne lui naissait pas de frère. Pour manifester d'une manière-éclatante à toute l'Europe son alliance avec Louis XII, Philippe se décida, l'année suivante, lorsqu'il partit pour l'Espagne avec sa femme, au mois de novembre, à prendre son chemin par la France. Il n'exigea point d'otages pour sa sûreté, affectant de s'en remettre entièrement à la bonne foi et à l'amitié du roi. A Paris, il se plut à siéger à une séance du Parlement en qualité de premier pair du royaume. La réception qu'il reçut de Louis au château de Blois fut aussi splendide que cordiale. Ces manifestations ne pouvaient qu'augmenter la défiance et le mauvais vouloir de Ferdinand, dès lors ennemi déclaré de la France. Son gendre était encore en Espagne, lorsque l'ordre fut donné à Gonzalve de Cordoue de chasser les troupes du duc de Nemours hors du royaume de Naples. Mais du chef de Jeanne, Philippe avait été reconnu par les Cortès d'Aragon et de Castille comme héritier des rois catholiques; le but de son voyage était atteint et, au commencement de 1503, il s'empressa de repasser les Pyrénées. Le traité qu'il conclut à Lyon avec Louis XII (5 avril 1503) et qui lui réservait l'administration du royaume de Naples jusqu'au mariage de Claude et de Charles, le brouilla décidément avec Ferdinand. Toutefois, assuré de sa succession par le consentement des Cortès, il attacha peu d'importance à cette rupture; elle ne fit que •4 - n * ::r.»-. F «m. ESsEïste 1 JlJ'N P/M^-T^;; (Grenade, Chapelle Royale.) Tombeau des rois catholiques, Ferdinand et Isabelle, et de Philippe le Beau et Jeanne la Folle. Enterré à la Cartuja de Miraflores, près de Burgos, le cercueil de Philippe le Beau fut transporté de ville en ville jusqu'à Grenade. Craignant d'être dupe de ceux qui l'aidaient à suivre le cortège funèbre, Jeanne, épouse de Philippe le Beau, fit ouvrir le cercueil à plusieurs reprises et aux heures les plus intempestives, afin de s'assurer de la présence des restes de son époux. Le tombeau de Philippe et de Jeanne est l'œuvre du sculpteur espagnol Bartolomé Ordonez (vers 1518), auteur du fameux tombeau du cardinal Ximenez de Cisneros. à Alcala de Henarès, et des quatre cénotaphes de la famille de Fonseca dans l'église Santa Maria à Coca. le confirmer davantage dans son entente avec la France. Pour affermir celle-ci d'une manière inébranlable, il avait résolu d'y faire entrer Maximilien, dont la conduite ambiguë inquiétait Louis XII. Il alla le voir à Inspruck et réussit à vaincre ses derniers scrupules. Les traités signés à Blois, le 22 septembre 1504, stipulèrent une amitié indissoluble entre Maximilien, Philippe et Louis XII qui ne seront plus «qu'une âme dans trois corps» (13). Ce fut le triomphe définitif de la politique personnelle de Philippe le Beau. Le résultat s'en fit sentir tout de suite dans les Pays-Bas. La question de Gueldre était toujours pendante et Philippe n'ayant plus à craindre maintenant de voir la France soutenir Charles d'Egmont, résolut de revendiquer les droits qu'il s'était abstenu si longtemps de faire valoir. Les Etats généraux accordèrent en rechignant des subsides pour cette guerre qui indiquait le retour du prince à la politique de Charles le Téméraire et de Maximilien. Au mois d'octobre 1504, un cartel est lancé à Charles qui, isolé cette fois en face des troupes bourguignonnes, ne parvient pas à arrêter leur marche victorieuse. La mort de la reine Isabelle de Castille, le 26 novembre de la même année, bouleversa de fond en comble l'échiquier politique. Ferdinand d'Aragon, résolu à conserver l'administration de la Castille, se rapproche aussitôt de Louis XII qui, n'ayant plus d'intérêt à ménager Philippe depuis qu'il a obtenu de Maximilien l'investiture du Milanais, répond à ses avances. Il donne sa nièce, Germaine de Foix, en mariage au roi catholique qui souhaite d'obtenir un héritier pour frustrer Philippe de la succession d'Aragon. Il envoie des secours à Charles de Gueldre au moment où la prise d'Arnhem par les Bourguignons vient de réduire ce prince à la dernière extrémité. Enfin, profitant d'un conflit commercial entre l'Angleterre et les Pays-Bas, il cherche à se concilier l'appui de Henri VII. Philippe comprend que le plan de ses adversaires consiste à le retenir dans le Nord pendant qu'ils agiront à leur guise en Espagne et en Italie. Mais il a pris le titre de roi de Castille aussitôt après la mort d'Isabelle et il a décidé d'aller déjouer dans la Péninsule les intrigues de son beau-père (14). Au lieu de poursuivre ses avantages en Gueldre, il se hâte de traiter avec Charles d'Egmont (28 juillet 1505). Quelques jours plus tard, à Bruxelles, il répond de la manière la plus conciliante au langage menaçant d'une ambassade française qui l'accuse d'empiétements sur l'autorité royale en Flandre et en Artois. Pour s'assurer son royaume espagnol, il est manifestement prêt à tout céder dans les Pays-Bas. Sa conduite est devenue l'exact contre-pied de ce qu'elle était à son avènement. Et pour s'en convaincre, il suffit de comparer les deux traités d'entrecours qu'il a conclus avec l'Angleterre à dix ans de distance, en 1496 et en 1506. Le premier, on l'a vu, en opposition directe avec les vues de Maximilien, ne visait qu'à favoriser le commerce des Pays-Bas; le second, au contraire, sacrifie ce même commerce aux combinaisons politiques imposées par la succession espagnole et l'hostilité croissante de la France (15). Il est le prix dont Philippe paie l'alliance de Henri VII et les fiançailles du jeune Charles de Luxembourg avec Marie d'Angleterre, et c'est à juste titre que les gens des Pays-Bas lui ont donné le nom d'Intercursus malus. Bref, le traité de 1496 avait été l'œuvre du souverain des Pays-Bas, et celui de 1506, fut celle du roi de Castille. MORT DE PHILIPPE LE BEAU. — Philippe le Beau s'embarqua pour l'Espagne le 10 janvier 1506, laissant les provinces bourguignonnes sous le gouvernement du plus influent de ses conseillers, Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres. Malgré le traité de l'année précédente, Charles d'Egmont, excité par Louis XII, rouvrit, dès le printemps, les hostilités en Gueldre. Ainsi l'abandon de la politique nationale d'entente avec la France avait pour conséquence, après une convention commerciale désastreuse, la disparition du repos dont on jouissait depuis dix ans. Le mécontentement devint bientôt très vif. Le 16 août, Chièvres écrivait à son maître que les Etats généraux ne consentiraient point à voter les nouveaux subsides, et il lui suggérait discrètement d'en revenir à l'alliance française dont il avait été, lui, Chièvres, l'un des principaux instigateurs (16). Six semaines plus tard, le 25 septembre, Philippe mourait inopinément à Burgos... Il est impossible, dans l'état actuel de nos connaissances, de déterminer avec précision la part qui lui revient dans les événements de son temps. A en croire l'ambassadeur italien Vincent Quirini (17), ce furent ses conseillers qui gouvernèrent sous son nom, et rien ne prouve, en effet, qu'il ait été doué d'une grande initiative. Plus encore cependant qu'à la merci de ses conseillers, il fut à la merci du hasard qui fit de lui l'héritier des royaumes espagnols et lui imposa brusquement une orientation nouvelle. Son règne, où l'on a vu se substituer la politique étrangère à la politique nationale, fait présager les destinées futures de la Belgique. Mais il fut aussi une période de reconstitution où l'Etat bourguignon puisa la force de supporter sans périr de nouvelles épreuves (18). bl yvmi' fu'tt ardu>uc>auftn cvD uc\lxm rqo 111 tfiicîvfotfmc A b.MtMiittV:(cinfoiiic? * pvluvonlvmtî eïîvrrdî>K* Contcîvffa* | > :c 6 m o lie /Ni vro Lvuvcfomipie paloin» ÎVInifMiau "îv fvfla i fa ( i"ïv X* m a » t il i v a fc ; 11 tj> fvrç )) ( ait) 111 * I 'M m 11 o 11 pt vc fciqucm fn "îv fa fn croc tucieàc 1t » y Ma11 <\va tôt M I I H I f. M vcfr vmo ct| fo taffcfe Tiialii'Wtf oj Uqiifc\(iMiit (Vienne, Bibliothèque Nationale, ms 2606, fol 83 r°.) Armoiries de Philippe le Beau. « Très haut, très excellent et très puissant prince, par la grâce de Dieu archiduc daustrice, duc de Bourgoingne, de Lothric, de Brabant, de Lembourg, de Luxembourg et de Geldres, conte de Flandres, de Tyrolle, dartois, de Bourgoingne, palentin, de Haynau, de Hollande, de Zellande, de Namur et de Zutphen, Marquis de saint empire, seigneur de Frise, de Salins et de Malines » : tels sont les titres qu'énumère le texte des Statuts de la Toison d'Or rédigés à l'occasion de la réunion de l'Ordre à Malines le 24 mai 1491. Les armes de l'archiduc sont entourées du collier de la Toison d'Or et timbrées de la couronne du royaume de Castille. Page extraite des Statuts de la Toison d'Or, manuscrit enluminé après 1518. NOTES (1) E. Poullet, Histoire de la Joyeuse Entrée du Brabant, p. 287 (Bruxelles, 1863k (2) Cf. plus haut, p. 18. (3) Gachard, Inventaire des archives des Chambres des Comptes, t. I, p. 127 (Bruxelles, 1837). (4) Voir Histoire de Belgique, t. II, 3® édit., p. 374 (Ed. Lamertin). (5) Ulmann, Kaiser Maximilian I, t. I, p. 247. (6) Ch. Moeller, Eléonore d'Autriche et de Bourgogne, reine de France, p. 70 (Paris, 1895). (7) Sur ce personnage, voy. A. Morel-Fatio, Marguerite d'York et Perkin Warbeck, dans les Mélanges C. Bémont, p. 411 et suiv. (Paris, 1914). (8) G. Schanz, Englische Handelspolitik gegen Ende des Mittelalters, t. I, p. 18 (Leipzig, 1881). (9) Gachard, Lettres de Maximilien. Bullet. de la Comm. Royale d'Histoire, 2® série, t. III, [1852], p. 279. C'est à ces projets d'unification habsbourgeoise de Maximilien que M. A. Walther, Die burgundischen Zentralbehôrden, p. 43, attribue la réunion faite par Philippe en 1496, des trois Chambres des Comptes de Lille, La Haye et Bruxelles en un seul corps. L'ancien état de choses fut rétabli en 1498. lorsque le duc échappa à l'influence de son père. (10) Ulmann. Kaiser Maximilian I, t. I, p. 433. (11) Ulmann, loc cit., p. 610. (12) Voir sa curieuse remontrance aux Etats généraux le 20 décembre 1498, où, après leur avoir exposé que son père voudrait l'entraîner dans la guerre, il s'en remet finalement à leur avis. Gachard, Analectes historiques. Bull, de la Comm. Royale d'Histoire, 3e série, t. XII [1871], p. 154. (13) Lavisse-Lemonnier, Histoire de France, t. VI, p. 71 (Paris, 1909). (14) Sur les rapports de Philippe avec Ferdinand, voy. E. Gossart, Charles-Quint roi d'Espagne, p. 6 et suiv. (Bruxelles, 1910). (15) Schanz, Englische Handelspolitik, t. I, p. 30. (16) Lettres du roy Louis XII et du cardinal Georges d'Amboise, t. I, p. 67 (Bruxelles, 1712). (17) Alberi, Relazioni, ire série, t. I, p. 5 (Florence, 1839). (18) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. I, p. 18 (Bruxelles, 1858) suivi en cela par tous les historiens belges, juge très défavorablement Philippe le Beau. D'après lui, « son règne fut l'image du chaos et d'une effrayante décadence ». Von Hôfler a protesté avec raison contre cette appréciation qui ne s'accorde ni avec les documents ni avec les faits. Voy. ses Kritische Untersuchungen ûber die Quellen der Geschichte Philipps der Schônen. Sitzungberichte der phil.-hist. Classe der kaïs. Akademie der Wissenschaften, t. CIV, p. 170 (Vienne. 1883). (Cliché Giraudon.) (Bruxelles, Collection Franchomme.) Les six enlants de Philippe le Beau et de Jeanne la Folle. SUr,Lr,mir„P*nn"U' de 8'UChe à droi,e : Ferdinant< (né en 1503), Charles (le futur Charles-Quint, né en 1500); sur le second, de gauche à droite : Eléonore (née en lias), Isabelle (1501), Marie (la future Marie de Hongrie, née en 1505) et Catherine (1506). Tableau peint vers 1512 par un maître anonyme de l'école des Pays-Bas. CHAPITRE IV CHARLES-QUINT ET MARGUERITE D'AUTRICHE fERSONNALITE DE MARGUERITE D'AUTRICHE. — La mort inattendue de Philippe le Beau faisait, pour la seconde fois, passer les provinces bourguignonnes au pouvoir d'un prince mineur. Charles de Luxembourg, né au Prinsen-Hof de Gand le 24 février 1500, n'avait que six ans au moment du décès de son père. Aucune mesure n'avait été prise en vue de l'éventualité qui se présentait. La continuation de la guerre de Gueldre et la nomination récente d'un évêque de Liège tout dévoué à Louis XII, Erard de La Marck, rendaient la situation encore plus périlleuse. Le roi de France s'empressait de manifester, il est vrai, les sentiments les plus cordiaux à l'égard des enfants du roi de Castille et se déclarait prêt à « les aimer comme il avait aimé leur père » (1). Mais ces assurances n'avaient évidemment d'autre but que de préparer son intervention dans les affaires des Pays-Bas. Dès le 14 octobre, il faisait écrire à Erard de La Marck de « tendre afin que le roi des Romains n'entre ès pays de son fils» (2). On ne pouvait douter qu'il ne cherchât, comme Louis XI après la mort de Marie de Bourgogne, à exclure Maximilien de la régence. Il n'était pas moins évident que celui-ci revendiquerait le gouvernement des pays de son petit-fils et pour rien (Musée de Versailles.) (Cliché Archives Photographiques.) Marguerite d'Autriche à l'âge de trois ans et trois mois. Portrait peint en 1483 par un maître anonyme de l'école des Pays-Bas. au monde ne consentirait à laisser une influence étrangère s'imposer au futur chef de la maison de Habsbourg et à l'héritier des royaumes espagnols. L'Etat bourguignon n'était pour lui qu'une dépendance de l'Autriche et il se hâta de l'affirmer. Le 27 octobre, il mandait à « son chancelier » Thomas de Plaines et à « son conseil » des Pays-Bas qu'ils eussent à conserver le gouvernement de « ses pays... soulz nous et nostre très chéer et très aimé filz l'archiduc Charles d'Autriche, prince d'Aragon, etc., en attendant nostre venue... qui sera endedens quinze jours ou trois sepmaines » (3). Les Etats généraux, que Chièvres venait précisément de convoquer à l'occasion de la guerre de Gueldre, étaient donc appelés à se prononcer entre les prétentions contradictoires de la France et de l'Autriche. Leur décision prouva clairement combien la cohésion des Pays-Bas s'était affermie pendant le règne précédent. Si quelques provinces, craignant de froisser trop ouvertement le roi de France, commencèrent par observer une prudente neutralité, le Brabant, la Hollande et la Zélande proposèrent de confier la régence à Maximilien et firent prévaloir facilement leur avis. Le 16 novembre, une ambassade partit pour l'Allemagne, chargée d'annoncer la résolution des Etats au roi des Romains. Celui-ci n'eut donc pas besoin d'entreprendre le voyage de Belgique et de conquérir de haute lutte, comme il avait pu le craindre un instant, la régence des domaines bourguignons. Ne se sentant pas appuyé par les Flamands et toujours absorbé par sa politique italienne, Louis XII accepta le fait accompli. Il ne restait dès lors à Maximilien, obligé de résider en Allemagne, qu'à pourvoir les Pays-Bas d'un lieutenant gouverneur. C'est à sa fille Marguerite, tante du jeune Charles, qu'il confia ces fonctions (4). Elle n'était guère connue encore que par les épreuves qu'elle avait traversées depuis son enfance. Née à la cour de Bruxelles, le 11 janvier 1480, elle n'avait que trois ans lorsque, après la conclusion de la paix d'Arras, on l'avait livrée au roi de France, comme future épouse de Charles VIII. Rendue à son père en 1493, après le mariage de Charles avec Anne de Bretagne, son union avec don Juan, le fils de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille, lui ouvrait de nouveau, quatre ans plus tard, la perspective d'être reine. Mais ses espérances s'évanouirent promptement. Son mari mourut après quelques mois, la laissant enceinte d'un enfant qui ne vécut pas. Un second mariage avec Philibert II, duc de Savoie, en 1501, lui donna trois années de bonheur. Puis, veuve pour la seconde fois le 10 septembre 1504, elle renonça décidément à une nouvelle alliance et à servir plus longtemps d'instrument à la politique matrimoniale. En 1506, elle avait résisté aux instances de son père et de son frère qui eussent voulu la fiancer au roi d'Angleterre Henri VII (5). Elle semblait décidée à passer le reste de sa vie dans ses domaines de Savoie, fidèle au souvenir de son dernier mari. Lettrée et artiste, elle réunissait à sa petite cour de Bourg-en-Bresse des architectes, des sculpteurs, des poètes; elle faisait des vers, elle se composait des devises, elle discutait avec Jean Perréal les plans de l'église qu'elle avait résolu d'élever à Brou pour abriter un jour son tombeau à côté de celui de Philibert. LES DEBUTS DE MARGUERITE D'AUTRICHE. — Mais ce n'étaient là que des passe-temps servant à tromper un ardent besoin d'activité. Appelée sur un plus vaste théâtre, Marguerite devait s'y révéler comme l'une de ces grandes princesses qui furent si nombreuses au XVIe siècle, sans doute parce que les qualités féminines, la souplesse, la finesse et l'habileté convenaient particulièrement à la politique toute personnelle de l'époque. Désabusée, mais non découragée par ses malheurs, elle se donna tout entière à la tâche d'imposer à l'Europe la prépondérance de sa maison. Et elle s'y dévoua de cœur autant que de tête. L'amour vraiment maternel qu'elle eut pour son neveu, le ressentiment qu'elle conservait à la France depuis l'humiliation que lui avait fait subir Charles VIII la lancèrent, avec une passion qui est bien de son sexe, dans la lutte engagée entre les Habsbourg et les Valois. Elle ne se résigna pas à n'être qu'un instrument dans la main de Maximilien tout d'abord, de Charles-Quint ensuite. Elle considéra leurs intérêts comme les siens propres et elle prétendit les diriger avec eux. Sa correspondance nous la montre entraînant, encourageant, morigénant son père, ne lui épargnant ni les vivacités, ni même parfois les rudesses d'une fille dévouée, mais qui entend conserver son franc-parler dans la direction des affaires de la famille. Aussi pratique et avisée que Maximilien est chimérique et aventureux, elle lui impose un ascendant qu'il subit de bonne grâce. Il cherche avec bonhomie à l'apaiser quand il a reçu d'elle une lettre « malgracieuse », et lui envoie quelque joyau en signe de réconciliation (6). Pour les Belges, qu'elle devait gouverner presque sans interruption pendant vingt-trois ans, elle était et elle resta toujours une étrangère. C'est bien à tort que Michelet a vu en elle une Flamande. De son enfance passée à la cour des Valois, elle avait conservé des goûts et un esprit tout français. Elle ne fut point l'ennemie de la France, mais de la maison de France. Elle ignorait aussi complètement le flamand que l'allemand. Ses conseillers les plus intimes furent des Bressans et des Savoyards qui la suivirent dans le Nord : Jean de Marnix, Laurent Gorrevod, Mercurio de Gatti-nara. Les provinces bourguignonnes ne l'intéressèrent d'ailleurs que par l'utilité qu'en pouvait retirer la dynastie. Elle les gouverna bien parce qu'elle était intelligente et travailleuse, mais elle les gouverna sans sympathie. Son veuvage, autant, semble-t-il, que ses goûts personnels, la tint éloignée de ces fêtes et de ces réjouissances bruyantes si chères au peuple des Pays-Bas. A vingt-sept ans, elle se confina dans une retraite laborieuse, absorbée par les soins de la politique et par l'éducation des enfants de Philippe le Beau, sur lesquels elle reporta toute sa ten- ( Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaie de la minorité de Charles-Quint (1506-1515) : florin Philippus or. Flandre. Agrandie. Au revers, la fleur de lis indique que cette monnaie a été frappée à Bruges. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) L'empereur Maximilien Ier aux pieds du Christ. Gravure de Hans Springiklee rehaussée de couleurs. Exemplaire peut-être unique sur parchemin. Début du XVIe siècle. dresse (7). Plus encore en Belgique qu'à Bourg-en-Bresse, elle chercha dans l'art son unique délassement. Elle confia à Louis van Boghen la continuation des travaux de cette merveille de Brou qu'elle avait commencée avec Perréal, dont elle s'occupa toute sa vie en ses moments perdus, et qui fut la poésie de ses dernières années. Elle transforma son hôtel en un vrai musée que les miniaturistes, les peintres, les ciseleurs emplirent de chefs-d'œuvre, et dont les épaves dispersées enrichissent encore de nos jours les galeries de l'Europe. C'est le 22 avril 1507 que les Etats généraux reconnurent officiellement Maximilien comme tuteur de Charles-Quint et Marguerite comme son représentant. Elle s'installa tout de suite à Malines, où elle acheta, en face de la « Cour de Bourgogne », résidence de ses neveux, l'hôtel de Jean Laurin, seigneur de Watervliet, où s'écoula désormais « le reste de son âge ». Les pouvoirs que l'Empereur lui concéda officiellement en 1509, lors de son voyage en Belgique, lui confiaient l'administration du pays « ainsi que nous mesmes ferions et faire pourrions comme tuteur et mambour de nostre filz si nous y estions en personne », sans rien réserver ni excepter (8). Jamais aucune gouvernante n'eut une liberté plus complète et jamais aussi aucune n'accepta plus franchement et plus allègrement les responsabilités de sa charge. Sa mission était pourtant très lourde et pleine de périls. Si la mort du vieux chancelier de Philippe le Beau, Thomas de Plaines, arrivée le 20 mars 1507, la laissait seule maîtresse du gouvernement, elle voyait Chièvres et les sei- gneurs, qui avaient jusqu'alors dominé au conseil, l'accueillir avec défiance et manifester ouvertement leur hostilité à ses conseillers étrangers (9). Les Gantois parlaient de redemander les privilèges octroyés en 1477, et Louis XII faisait travailler les gens d'Arras, auxquels il ordonnait de ne point reconnaître Maximilien comme tuteur de Charles (10). La conduite de l'évêque de Liège était plus que suspecte. Son frère, Robert de La Marck, seigneur de Sedan, type achevé de condottiere, insultait les frontières du Luxembourg. Enfin et surtout, le duc de Gueldre imprimait à la guerre une allure plus décidée et prenait hardiment l'offensive. Au mois de septembre, il pénétrait en Brabant et mettait Tirlemont au pillage. Les paysans du Namurois et du Luxembourg taillèrent en pièces, il est vrai, quelques semaines plus tard, près de Saint-Hubert, des escadrons de cavalerie que le roi de France envoyait à son protégé. Mais les vers pompeux de Jean Lemaire des Belges, qui célébra cette escarmouche comme une grande victoire, ne trompèrent personne. La régence commençait mal et le mécontentement se manifestait de toutes parts. Il était si vif que, le 17 octobre, Maximilien écrivait à sa fille qu'il était prêt à renoncer à son voyage de Rome pour venir à son secours « sy le pays d'en bas vouderoit tomber en mu-tery » (11). Les Etats généraux exigeaient de nouveau la paix. Ils affectaient de ne considérer la guerre de Gueldre que comme une querelle particulière concernant exclusivement le Brabant (12); la politique dynastique qui l'avait provoquée leur était plus odieuse que jamais. Maximilien avait beau leur écrire que « ce qui touche le roy ou prince (Cathédrale d'Innsbruck.) Seconde bataille de Guinegate (16 août 1513). Bas-relief de marbre du tombeau de Maximilien 1er exécuté par les frères Abel en 1561-1562. du pays comme chief et personnage publicque, touche tous ses subgectz » (13) : ils n'entendaient point ce langage renouvelé de Charles le Téméraire, et c'est avec les plus grandes difficultés qu'on parvenait à leur arracher quelques subsides pour la continuation des opérations militaires. La promesse que les provinces s'étaient faite, le 11 avril 1508. de s'entr'aider mutuellement et de rester unies, semblait présager un nouveau conflit entre le prince et le pays (14). D'autre part, la noblesse ne cachait pas ses sentiments antiautrichiens. Un chapitre de la Toison d'Or rejetait, quelques mois plus tard, le projet de Maximilien d'ériger un royaume d'Autriche-Bourgogne (15). (Chantilly, Musée Condé.) (Cliché Archives Photographiques.) Georges, cardinal d'Amboise (1460-1510), ministre de Louis XII, archevêque de Narbonne en 1492, archevêque de Rouen en 1494, cardinal en 1498, négociateur de la paix de Cambrai au nom de Louis XII (10 décembre 1508). Esquisse au crayon de Jean Clouet. LA PAIX DE CAMBRAI. — Marguerite n'était pas femme à se laisser vaincre par la peur. Elle voulut tout d'abord briser les résistances et imposer son autorité. Le 24 juin 1508, elle ordonnait de lever l'aide en Brabant malgré le refus des villes. Mais elle était trop clairvoyante pour ne pas comprendre qu'il était impossible de recourir longtemps à de tels procédés et qu'elle ne pourrait, par la violence, rallier les Pays-Bas à sa politique. En persistant à les y contraindre, ne risquait-elle pas de provoquer un soulèvement qui, en présence de la Gueldre en armes et de la France hostile, eût exposé de nouveau l'Etat bourguignon à tous les hasards ? La paix lui apparut comme le seul moyen de sortir d'embarras, en attendant que les circonstances permissent de régler le compte de Charles d'Egmont (16). Comme on ne pouvait mater celui-ci qu'en traitant avec son protecteur, elle se résigna, malgré ses répugnances, à se rapprocher de Louis XII. Elle réussit à faire comprendre à son père que la conservation des Pays-Bas était à ce prix. Tout en grommelant il la laissa faire et agit suivant ses conseils. Dès le mois d'août 1508, il promettait aux Etats généraux de conclure la paix, et, en novembre, laissait Marguerite entamer à Cambrai avec le cardinal d'Amboise des pourparlers où elle se révéla comme la plus habile diplomate de son temps. Les traités de Cambrai, en effet, qui furent signés le 10 décembre 1508, étaient tout à l'avantage de la maison d'Autriche. On n'a pas à s'occuper ici de la manière dont ils réglaient ses intérêts en Italie et en Espagne. Il suffit de constater qu'en établissant entre Louis XII et Maximilien une entente qui devait durer aussi longtemps que leur vie et dans laquelle étaient compris les alliés des deux adversaires, ils écartaient tous les périls qui menaçaient les Pays-Bas, les débarrassant à la fois de la guerre de Gueldre, des entreprises des La Marck et des intrigues de l'évêque de Liège. Les provinces les accueillirent avec la même joie qu'elles avaient montrée jadis lors de la conclusion de la paix d'Arras. Les Etats généraux votèrent un don de 60,000 livres à la gouvernante et consentirent aux aides qu'elle leur demanda pour contraindre Charles d'Egmont à la paix. Ils ne voyaient plus d'obstacles à combattre la Gueldre du moment que la France cessait de la soutenir. CHIEVRES ET MARGUERITE D'AUTRICHE. — La pacification de Cambrai semblait indiquer un retour à la politique nationale et francophile des premières années de Philippe le Beau. Le rapprochement de Marguerite avec Guillaume de Chièvres parut l'accentuer encore. Chièvres, qui boudait la gouvernante depuis son arrivée à Malines, se vit rappelé à la cour et reçut la charge de grand chambellan et de gouverneur du prince Charles. Mais une entente durable ne pouvait s'établir entre le nationalisme de Chièvres (Paris, Musée du et la politique dynastique de Marguerite. Tandis que l'un est décidé à tout faire Dé,ail d'UI pour conserver l'amitié de la France, indispensable au repos des Pays-Bas, l'autre ne voit dans les traités de Cambrai qu'un arrangement provisoire. Tout en négociant avec Louis XII, la gouvernante ne recherche-t-elle pas l'amitié de l'Angleterre ? Des froissements se manifestent bientôt entre elle et le grand chambellan. Secrètement hostile au mariage de Charles avec Marie d'Angleterre, qui pourrait donner ombrage à Louis XII, Chièvres emploie à l'empêcher autant d'efforts que Marguerite à le faire conclure (17). Soutenu par la noblesse et les Etats, il fait une opposition constante à la gouvernante qu'il accuse de chercher à rompre la paix. En 1511, la reprise des hostilités avec Charles d'Egmont provoque un soulèvement général de l'opinion; des libelles contre Marguerite sont affichés aux portes des églises; elle est devenue plus impopulaire que jamais (18). Ni l'hostilité du peuple, ni les intrigues de Chièvres pour la brouiller avec son père et Henri VIII d'Angleterre, ne la firent dévier de la ligne de conduite qu'elle s'était tracée. Plus Bourguignonne encore qu'Autrichienne, elle n'oublie point que la France détient toujours le duché de Bourgogne, conquis après la mort de Charles le Téméraire, et elle ne peut se résoudre à voir ce pays, berceau de sa maison, aux mains de l'éternel adversaire de celle-ci. uvre.) (Cliché Giraudon.) L'archiduc Charles vers l'âge de quinze ans. tapisserie des « Chasses de Maximilien » dont les cartons furent dessinés par Bernard Van Orley. En 1513, le moment lui paraît venu de détruire l'œuvre qu'elle a édifiée à Cambrai : elle réussit à pousser son père dans la ligue conclue contre la France par le pape et les rois d'Aragon et d'Angleterre. En même temps, et pour se débarrasser de l'influence de Chièvres, elle fait adopter par Maximilien un projet de « gouvernement de la personne du prince Charles » qui soumet celui-ci à un conseil qu'elle préside et dans lequel figurent des représentants de l'Empereur, de Ferdinand le Catholique et de Henri VIII (19). Mais elle a soin aussi de faire accepter par les coalisés la neutralité des Pays-Bas et de signer une trêve de quatre ans avec Charles d'Egmont, si bien que les provinces belges assistent paisiblement au spectacle d'une lutte organisée en grande partie par leur gouvernante. Pendant que l'on se battait sur leurs frontières, que Henri VIII et Maximilien remportaient la victoire de Guinegate (16 août) et s'emparaient de Térouarne (23 août) et de Tournai (23 septembre) (20), elles ravitaillaient les belligérants, et Marguerite affirmait plus tard qu'elles s'étaient enrichies pendant la guerre de plus d'un million d'or (21). Cette guerre tourna d'ailleurs tout autrement que Marguerite ne l'avait espéré. Au mois d'août de l'année sui- naturel », et la promesse de payer largement son consentement leva les derniers scrupules de Maximilien. Moyennant un cadeau de 150,000 florins et une rente de 50,000 livres, il abandonna ses pouvoirs de tuteur. Le 5 janvier 1515, Charles fut solennellement inauguré devant les Etats généraux assemblés à Bruxelles. Il est certain que des négociations secrètes entre Chièvres et Maximilien avaient tout préparé. Marguerite en avait été soigneusement exclue. On savait qu'elle eût remué ciel et terre pour empêcher l'émancipation de son neveu, et on voulut la placer devant le fait accompli. Elle se vit dépouillée de la régence sans même avoir été consultée, humiliée publiquement devant la noblesse et les Etats généraux triomphants, et l'on comprend sans peine son dépit et sa colère. Elle s'efforça d'ailleurs de les dissimuler. Pendant l'été suivant, l'Italien Pasqualigo la décrit, ne songeant qu'à se donner du plaisir et du bon temps, « plus belle et plus fraîche que jamais » (24). Mais elle était profondément ulcérée et ses vrais sentiments, cachés au public, se faisaient jour dans l'intimité. Au mois de février, elle se plaignait, les larmes aux yeux, à l'ambassadeur de Henri VIII, de l'atteinte portée à son honneur (25). vante, Louis XII se réconciliait brusquement avec Henri VIII et épousait sa sœur Marie, la fiancée de Charles-Quint. Pour la seconde fois la maison de France enlevait à la maison d'Autriche une princesse qui lui était destinée. Maximilien laissa faire. Bien plus, il autorisa son petit-fils à entrer dans l'alliance des deux rois. Il rompait, provisoirement du moins, avec la politique personnelle de sa fille. EMANCIPATION DE CHARLES-QUINT. - L'échec de Marguerite était un succès pour le sire de Chièvres: il s'empressa d'en tirer parti (22). Depuis quelque temps déjà, il s'efforçait, d'accord avec les Etats des provinces, d'amener Maximilien à mettre Charles hors de tutelle. Le jeune prince allait atteindre sa quinzième année; il devenait capable de régner par lui-même et de prendre le gouvernement de ses pays héréditaires. En 1514, les Etats généraux avaient déclaré, à la grande indignation de la régente, qu'ils n'accorderaient plus d'aide avant l'émancipation «de monseigneur» (23). Marguerite ne se dissimulait nullement le but de leurs projets. Elle voyait très bien que, sous prétexte d'émancipation, on ne visait qu'à se débarrasser d'elle et de sa politique dynastique, et elle ne s'était pas fait faute de mettre son père en garde contre les menées des « mauvais esprits » qui inspiraient les Etats. Mais le refroidissement qui venait de se manifester entre l'empereur et sa fille fut habilement exploité par ces « mauvais esprits ». Au mois de décembre 1514, les Etats généraux réclamaient le gouvernement de leur « prince (Bruges, Gruuthusemuseum.) (Cliché Pichonnier.) Charles-Quint vers l'âge de vingt ans. Buste de plâtre polychromé exécuté par un sculpteur anonyme contemporain. Restauré vers 1900. (Bruxelles, Musée Royal d'Art Ancien. ) Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, chevalier de la Toison d'Or, gouverneur de Charles-Quint (1458-1521). Portrait peint vers 1510 par un maitre anonyme de l'école des Pays-Bas. CHARLES SOUS L'INFLUENCE DE CHIEVRES. — Dévouée comme elle l'était aux intérêts de sa maison, elle dut ressentir plus encore que ses griefs personnels, la lourde faute que son père venait de commettre. L'année précédente, elle l'avait averti de prendre des mesures pour sauvegarder son influence dans les Pays-Bas lorsqu'il se déciderait à émanciper son petit-fils (26), et il n'avait point tenu compte de ce sage conseil. Il dut regretter amèrement sa légèreté quand il en aperçut les résultats. Chièvres, maître absolu de l'esprit du jeune prince, dominait maintenant son conseil et dirigeait sa conduite en opposition complète avec la politique autrichienne. L'empereur apprenait avec indignation que les lettres qu'il écrivait à Charles ou à Marguerite étaient ouvertes par le tout-puissant ministre; il reconnaissait l'erreur qu'il avait commise en sacrifiant la régente et il lui rendit trop tard toute sa confiance. Le 18 janvier 1516, il priait notamment Charles de communiquer à sa tante ses «plus grandz et arduez affaires» (27). Mais ces exhortations furent vaines. Chièvres conserva tout son ascendant. Charles était alors « un garçon de taille moyenne, maigre au possible, pâle, très mélancolique, tenant constamment la bouche ouverte par suite de sa mâchoire tombante, et dont les yeux paraissaient avoir été attachés et n'être pas à lui » (28). La faiblesse de sa complexion et ses indispositions continuelles inquiétaient son entourage. Il lui arrivait de tomber en des syncopes dont le caractère épileptique ne paraît pas douteux (29). Quoiqu'il se livrât parfois à de fugitifs sursauts d'énergie et de gaieté (30), il était habituellement froid, taciturne, «immobile comme une idole» (31). Il s'exprimait avec difficulté, et l'on s'accordait à lui trouver une intelligence plus que médiocre. L'éducation qu'il avait reçue à Malines était la même que celle de son père Philippe le Beau. Comme lui, il avait été élevé en prince bourguignon et avait appris à lire dans les histoires de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire (32). Il ne parlait que le français (33) et, s'il connaissait quelques bribes de latin, on ne lui avait enseigné ni l'allemand, ni l'espagnol. En revanche, Chièvres s'était efforcé de bonne heure de le mettre en contact avec ses futurs sujets des Pays-Bas. En 1507, le prince n'ayant alors que sept ans, il lui avait fait prononcer une petite harangue devant les Etats généraux (34). Mais il s'était surtout appliqué à gagner son affection et sa confiance. Charles l'aimait et le vénérait, et, après son inauguration, il n'agit que d'après ses conseils, s'effaçant devant lui et en laissant même recevoir à sa place les ambassadeurs étrangers. Dirigée par Chièvres, sa politique marque un nouveau retour à la politique nationale des premières années du règne de Philippe le Beau. A une seule exception près, son conseil ne renferme que des seigneurs des Pays-Bas, et l'on y voit siéger le sire de Ravenstein, le vieil ennemi de Maximilien. Le poste de grand chancelier, vacant depuis la mort de Thomas de Plaines, est confié pour la première fois à un Belge, Jean le Sauvage (35). En revanche, les hommes de confiance de Marguerite et de l'Empereur sont traités en suspects, s'ils ne sont persécutés. Et en même temps, comme sous Philippe le Beau encore, on voit se manifester dans la politique extérieure un rapprochement immédiat avec la France. Charles est à peine inauguré qu'il envoie une ambassade solennelle à François Ier. C'est un de ses plus intimes confidents, qui est en même temps un ami de Chièvres, Henri de Nassau, qui la conduit. Gattinara, le fidèle conseiller de Marguerite, auquel sa maîtresse a donné ordre de s'y (Londres, Collection Duveen-Bros.) (Cliché A.C.L.) L'archiduc Ferdinand, frère cadet de Charles-Quint. Portrait peint vers 1520 et attribué à Quentin Metsys. adjoindre pour surveiller et, si possible, pour entraver les négociations, s'y voit reçu en fâcheux et, à sa grande fureur, réduit au dernier rang. Les instructions de Nassau constituent, en effet, un éclatant désaveu de la politique antifrançaise de l'ex-régente. II est chargé d'assurer le roi « que monseigneur, sur toutes choses, désire son amour et d'avoir bonne, vraye, ferme et entière amitié avec luy et son royaume », d'excuser Charles de tout ce qui, durant sa minorité, aurait pu être fait dans les Pays-Bas contre le désir de François, de solliciter de celui-ci son appui pour la récupération de la Gueldre, de lui faire hommage pour les fiefs français de la maison de Bourgogne, d'entamer des pourparlers pour le mariage de l'archiduc avec «Madame Renée» (36), enfin de chercher à amener la France à une entente avec Maximilien, pour entraîner l'Autriche dans la politique pacifique des Pays-Bas (37). L'ambSssade ne quitta Paris qu'après avoir conclu le traité du 24 mars 1515. Il stipulait le mariage de Charles avec Renée pour le moment où celle-ci, alors âgée de quatre ans, aurait atteint sa majorité, et il établissait une alliance offensive et défensive entre les deux princes. Incontestablement il avait été dicté par la France. Non seulement il passait sous silence les droits de Charles sur la Bourgogne, non seulement il ne promettait rien quant à la Gueldre, mais au lieu de constituer en dot à Renée, suivant la demande de son futur époux, le duché de Milan et le comté d'Asti, il lui assignait le Berry, tout en y réservant d'ailleurs la souveraineté du roi. Il stipulait bien qu'en cas de non-accomplissement du mariage par la faute du roi ou celle de Renée, Charles recevrait tous les territoires jadis détenus dans le Nord de la France par Charles le Téméraire : le comté de Ponthieu, Péronne, Montdidier, Roye, Saint-Quentin, Corbie, Amiens, Abbe-ville, Montreuil, Le Crotoy, Saint-Valery et Doullens. Mais c'était là évidemment une promesse stérile. En l'acceptant, les négociateurs belges sacrifièrent l'intérêt dynastique à l'intérêt national. arrangement plus avantageux, mais c'était beaucoup déjà que d'avoir assuré entre leurs deux puissants voisins et malgré l'hostilité qu'ils manifestaient l'un pour l'autre, la sécurité et le commerce des Pays-Bas. Condamnable et condamnée d'ailleurs lorsqu'on la juge du point de vue autrichien, la politique de Chièvres, envisagée du point de vue belge, apparaît comme aussi habile que bienfaisante (39). (Matines, Musée Communal.) (Cliché A.C.L.) Charles, roi d'Espagne. Portrait en médaillon, entouré et accosté des blasons des provinces sur lesquelles régnait Charles en 1517. A la partie inférieure du panneau central sont énumérés les titres du roi. Portrait peint par Van Battel en 1517. Henri VIII, plein de projets ambitieux contre la France, n'épargnait rien cependant pour rompre l'alliance qui venait de se conclure. Résolu à ne point abandonner celle-ci, Chièvres ne pouvait d'autre part se résigner à une brouille avec l'Angleterre dont le commerce prenait une importance de plus en plus considérable pour la prospérité des Pays-Bas. Après de longs débats pendant lesquels l'archiduc se déroba continuellement derrière son ministre, on renouvela finalement pour cinq ans l'entrecours de 1506 et l'alliance contractée à la même date par Philippe le Beau (24 janvier 1516) (38). On eût souhaité sans doute un LA SUCCESSION ESPAGNOLE. - Depuis que Charles avait paru sur la scène politique, toutes les puissances de l'Europe l'observaient attentivement et cherchaient à le deviner. L'état de la santé de ses deux grands-pères, Maximilien et Ferdinand, faisait présager que le formidable héritage des maisons de Habsbourg et d'Espagne ne tarderait pas à échoir à ce jeune prince qui semblait ne pas s'en douter, se laissait conduire par Chièvres, par Sauvage, par les Etats généraux de ses Pays-Bas, n'avait pas encore mis le pied en Allemagne et témoignait une froideur presque hostile aux Espagnols fréquentant sa cour. L'EMPEREUR MAXIMILIEN DE HABSBOURG, LA GOUVERNANTE MARGUERITE D'AUTRICHE, L'ARCHIDUC CHARLES ET SES SŒURS ELEONORE, MARIE ET ISABELLE. Miniature extraite de l'antlphonalre de Marguerite d'Autriche. Revêtu des Insignes de la dignité impériale, Maximilien est assis sur un trône surmonté de la couronne, de l'aigle bicéphale et de l'invocation : Sub timbra alarum tuarum, protégé nos, A ses pieds, Marguerite d'Autriche, l'archiduc Charles (le futur Charles-Quint) et les trois princesses élevées à Malines par leur tante : Eléonore, Marie et Isabelle. A l'avant-plan, des représentants des trois ordres de la société : le clergé (invocation : Domine, refugiom factus es nobis a generationem [sic] in generationem), la noblesse et la bourgeoisie (invocation : Respice, Domine, in servos tuos et in opéra tua dirige lilios eorum). Dans un encadrement, l'écusson de la maison de Bourgogne. L'on connaît deux missels de Marguerite d'Autriche : l'un, dont cette miniature est extraite, repose aux archives de la ville de Malines; l'atitre est conservé à la Bibliothèque Royale deBruxelles(ms 15075). Celui de Malines contient sept messes polyphoniques de Pierre de la Rue. Il est orné de six miniatures dues à un artiste ou à divers artistes inconnus (premier tiers du XVI* siècle) : Hommage à l'Empereur (fol. 4 v°), ta Résurrection (fol. 19 v°), Maximilien (fol. 20 r<>), Sainte Anne (fol. 37 v°), trois papes (fol. 38 r°) et f Annonciation (fol. 52 v°), et de trois initiales décorées (fol. 66 v«, 84 v°, 98 v°). Les fermoirs de l'antiphonaire de Malines reproduisent la marguerite symbolique. Dimensions de la miniature avec l'encadrement : hauteur = 180 mm., largeur = 155 mm.; sans l'encadrement : hauteur =123 mm., largeur=108 mm. (Malines, Archives de la ville, Antiphonaire de Marguerite d'Autriche, fol. 4 (fi.) Ce fut la succession d'Espagne qui s'ouvrit la première. Ferdinand mourut le 23 janvier 1516, et la nouvelle en parvint à Malines au commencement de février. Cette mort, à vrai dire, ne transférait point évidemment à Charles la couronne de Castille (40), puisque sa mère Jeanne, fille du roi catholique, était en vie. Le conseil de Castille eût voulu qu'il se contentât du titre d'administrateur du royaume. Mais le dérangement des facultés intellectuelles de Jeanne empêchait celle-ci de régner et s'en fut assez pour que Charles, donnant pour la première fois une preuve d'énergie et d'audace, se résolût à passer outre. Le 14 mars 1516, il prit en grande pompe le titre royal dans l'église de Sainte-Gudule à Bruxelles. La question était tranchée, mais il restait à en imposer la solution à l'Espagne et à l'Europe, et tout de suite apparurent les difficultés de cette tâche. Car, achevant de rendre frappant le parallélisme que nous avons déjà relevé entre le règne de Philippe le Beau et celui de son fils, l'attitude de la France subitement se modifie. François Ier réclame le royaume de Naples, laisse Jean d'Albret envahir la Navarre, entretient des relations suspectes avec le frère de Charles, l'archiduc Ferdinand, élevé à la cour d'Espagne et qui peut devenir pour son aîné un dangereux rival. Pour se mettre à couvert d'une attaque possible, Charles raffermit ses traités avec l'Angleterre (19 avril 1516). Mais toujours fidèle pourtant à sa politique de paix avec la France, il négocie avec François par l'intermédiaire de Chièvres. Le traité de Noyon (13 août 1516) rétablit, par un nouveau projet de mariage, cette fois avec la princesse Louise (41) qui n'a pas encore achevé sa première année, une harmonie au moins apparente. Henri VIII, exaspéré par ce revirement, cherche à entraîner Maximilien dans une alliance avec le pape et Jeanne de Castille. L'empereur viendra dans les Pays-Bas pour délivrer Charles de ses conseillers et lui imposer une politique antifrançaise. Mais Maximilien n'arriva à Bruxelles l'année suivante que pour se rallier lui-même au traité de Noyon (14 février 1517). La diplomatie de Chièvres triomphait, et il fut à ce moment le véritable conducteur de la politique continentale (42). ner la terre natale et de risquer la partie décisive dans laquelle il s'était engagé. Il surmonta enfin ses hésitations. Après avoir fait ses adieux aux Etats généraux, il mit à la voile à Flessingue le 8 septembre 1517. Il était résolu désormais à se conduire en Habsbourg et à ne point se dérober au rôle qui lui incombait. Quelques jours avant son embarquement, il avait annoncé à Maximilien qu'il acceptait la candidature à la succession de l'Empire, devant laquelle, par crainte de la France et considération pour les Pays-Bas, il avait hésité jusqu'alors. Après avoir parcouru identiquement les mêmes phases que Philippe le Beau, il aboutit donc au même point : sa politique belge du début devient une politique dynastique et européenne. Le prince des Pays-Bas s'absorbe dans le roi d'Espagne et l'heure a sonné où les provinces bourguignonnes voient s'accomplir les conséquences du mariage de la duchesse Marie et de Maximilien. Leur « prince naturel », le descendant de la dynastie fondée par Philippe le Hardi leur échappe et se dénationalise, par une évolution toute contraire à celle qui, à la fin du XIVe siècle, avait détaché de la maison de France ses ancêtres maternels et les avait implantés dans les Pays-Bas. Et pourtant, lors de son débarquement sur les rochers de la côte des Asturies, près de Villaviciosa, c'est en étranger que Charles apparut à ses nouveaux sujets. Si son orientation politique avait changé, son entourage restait le même, et il arrivait accompagné de ses ministres et de ses courtisans bourguignons. Son premier séjour en Espa- CH ARLES-QUINT ROI D'ESPAGNE. — Le jeune roi pouvait désormais partir pour l'Espagne, et il en était grand temps. Il n'ignorait pas le très vif mécontentement qui travaillait la Péninsule. On y parlait de ses ministres belges avec le même mépris et la même aversion que les gens des Pays-Bas devaient témoigner plus tard aux ministres espagnols de Philippe II. On les accusait de détourner à leur profit ou à celui des provinces bourguignonnes les sommes envoyées à Bruxelles. Une révolte devenait menaçante, et pourtant Charles ne partait pas. Il rassemblait de l'argent, s'inquiétait de sa santé, semblait retombé dans son apathie et ne point trouver le courage d'abandon- U? Iftfrff ij.1 yW-mtférjrr^: A+ rYtUty : ûrf- vfvlVf cSynf- rrmfhrr-. boyyf- frrf- ^yf- vo^v! wfVc^- : -mf t .■><»> fmjlmrr hm tf. jyy^rM^.^ j,o*yr rf /ni*- kfS^ -nf UU"»^ ef>- rf wf-|>U* (VnvftfiCP: Çf|l»W rf-^n^-U Iftfir' /U^nnni ffl. r^Uf^f-« crH*- A<» Vw rf- o^yr lorg ty AjrffT r>i»w»Vr M~ nmnràtr kcmf plnifirf |,«wr JetSvl^ nrêS^Uy t>»*~v»vr «yicvwf- «« s^rf-'<*yrfï mownr vfVorw.wvào- «1 gr*-*^ p-r^- vim-f Vvf» rf- lem^ivr' <"-WV [fnhfi- V" ^tTrrf : T^1 t"rrh V- *M foinrC O» à?- rdrty K-atr . __ vr frrftj»™^ rt-SKIYHI* {Vienne, Staatsarchiv, Belgien 3 A 94.) Lettre autographe de Gattinara à Charles-Quint (28 mai 1527). Il - 5 HISTOIRE DE BELGIQUE gne ressemble d'une manière frappante à celui que son fils Philippe II devait faire cinquante ans plus tard dans les Pays-Bas, et il laissa d'aussi mauvais souvenirs. De part et d'autre, en effet, chez le prince et ses serviteurs, même ignorance de la langue nationale, même contraste de moeurs, d'idées, de goûts, avec ceux du pays, même défiance à l'égard des indigènes. Le luxe bourguignon détonne au milieu de l'austérité et de la parcimonie espagnoles. Pour les Castillans, Chièvres et les seigneurs flamands et wallons qui ont suivi le roi, sont de grossiers « sectateurs de Vénus et de Bacchus », substituant une pompe coûteuse et odieuse à la simplicité qui a, jusqu'alors, régné à la cour. On les accuse de traiter le peuple comme on traiterait « des Indiens », d'accaparer toutes les fonctions, de mettre les finances au pillage (43). Chièvres est resté célèbre pour son avidité dans la Péninsule où les historiens parlent de lui comme des historiens belges parleront plus tard d'Armenteros. Les faveurs dont il se laisse gorger par le roi font scandale. Il devient successivement duc de Soria, amiral du royaume de Naples, capitaine-général des armées de mer, contador-major d'Espagne. Son neveu, Guillaume de Croy, jeune homme de dix-sept ans, est fait archevêque de Tolède. Un autre Bourguignon, Carondelet, reçoit l'archevêché de Palerme et la primatie de Sicile; un autre, Adrien d'Utrecht, le futur pape Adrien VI, est nommé évêque de Tortose, inquisiteur général du royaume d'Aragon et, après la mort de Ximénès, grand inquisiteur de Castille; un autre encore, Charles de Lannoy, obtiendra la vice-royauté de Naples. LE LOYALISME DES PAYS-BAS. - Mais ces faveurs qui exaspéraient les Espagnols et contribuèrent tant à faire éclater la révolte des Comuneros (44), eurent, en revanche, pour résultat de gagner les grands seigneurs des Pays-Bas au nouveau régime. Elles les attachèrent à la politique mondiale du souverain en leur ouvrant la carrière des honneurs. Sur un théâtre beaucoup plus vaste, les Croy, les Nassau, les Buren, les Lalaing furent pour (Musée de Brooklyn, U.S.A.) Jean Carondelet (1469-1545). Maître des requêtes du Grand Conseil de Malines sous Philippe le Beau, troisième conseiller ecclésiastique de ce même Conseil (1504), membre du Conseil Privé dont il devint chef-président le l®r octobre 1522, Jean Carondelet cumula également les dignités et les bénéfices ecclésiastiques : il fut doyen de l'église métropolitaine de Besançon, archevêque de Palerme, prévôt de Saint-Donat à Bruges èt, en cette qualité, chancelier de Flandre, abbé commendataire de Notre-Dame de Mont-Benoit (comté de Bourgogne), prévôt de Saint-Walburge à Fumes et de Saint-Piat à Seclin. Tableau peint par Jean-Corneille Vermeyen (1500-1559). Charles-Quint ce que les Hugonet, les Humbercourt et tant d'autres avaient été pour Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Ils eurent l'illusion très naturelle que la fortune de leur prince se confondait avec la fortune de leur patrie. Ils affectèrent jusqu'au bout de considérer Charles comme un prince bourguignon et ses triomphes comme des triomphes de la maison de Bourgogne dont l'éclat rejaillissait sur ses ministres et sur ses sujets bourguignons. C'est la Bourgogne qu'ils crurent servir en le servant, non l'Autriche ni l'Espagne, si bien que le sentiment national s'allia chez eux à l'intérêt personnel et à cet amour de la gloire que propageait la Renaissance, pour les animer à l'égard de leur prince d'un dévouement qui ne se démentit jamais. Les premiers résultats de cette transformation, qui fut très rapide, se marquent dans la réconciliation de Charles et de Chièvres avec Marguerite dont l'un des confidents, Gattinara, devient grand chancelier à la mort de Jean le Sauvage, arrivée le 7 juin 1518. Le 24 juillet suivant, Marguerite elle-même reçoit la signature de tous les actes expédiés par le gouvernement des Pays-Bas et la nomination à tous les offices, en attendant que son titre de régente et gouvernante lui soit restitué le 1er juillet 1519 (45). Tous ses vieux griefs sont oubliés; elle écrit à Maximilien que Charles « se conduit si heureusement qu'il y a honneur et prouffit » (46); elle ne s'offusque plus de la confiance qu'il témoigne à Chièvres, preuve suffisante à elle seule du ralliement de ce-lui-ci à une politique qu'il a combattue jadis avec tant d'acharnement. Ce ralliement apparaît en pleine lumière lorsque, après la mort de Maximilien (12 janvier 1519), Charles brigue ouvertement la couronne impériale. Chièvres, que Henri VIII accusait, en 1516, de sacrifier cette question à l'alliance française, emploie cette fois toute son énergie à la faire trancher au profit de son maître. Il unit ses efforts à ceux de Marguerite, et sous la direction des deux anciens adversaires, maintenant associés, on voit s'employer pêle-mêle, mais avec un égal dévouement, aux négociations et aux marchandages indispensables, les amis héritage habsbourgeois. Dans l'immense monarchie qui venait de se constituer au sud et au nord de l'Europe, les provinces belges n'occupaient guère plus de place que le royaume de Tournai n'en avait occupé dix siècles auparavant dans la Francia de Clovis (47). La cathédrale d'Aix-la-Chapelle à l'époque du couronnement de Charles-Quint, vue de l'hôtel de ville. Dessin d'Albert Durer. Extrait d'A. Schulte : Die Kaiser- und Kônigskrônungen za Aachen, 813-1531 (Rheinische Neuiahrsblâtter, tome III), frontispice. Bonn-Leipzig, 1924, in-8°. de l'un et de l'autre, tous agissant désormais de concert : Henri de Nassau, Antoine de Lalaing, Gérard de Plaines, Jean de Marnix et jusqu'à l'évêque de Liège, Erard de La Marck, qui vient, lui aussi, de rompre avec la France. Ils purent considérer comme une victoire personnelle l'élection de Charles (28 juin 1519), dont la nouvelle parvint à Bruxelles le 30 juin. Elle y fut fêtée avec le même enthousiasme qui avait jadis salué la paix d'Arras. Et pourtant elle détruisait pour toujours l'œuvre de celle-ci et renversait définitivement l'échafaudage fragile de la politique d'entente avec la France que les Etats généraux s'étaient si longtemps efforcés de maintenir. Mais le peuple partageait la joie et la fierté de la noblesse en voyant son prince destiné à l'Empire. On ne songeait point à l'avenir dans l'éblouissement de cette apothéose. Quelques années plus tard, Y Excellente Chronyke van Vlaenderen, imprimée à Anvers, s'achevait, après le long récit des luttes de Gand et de Bruges contre Maximilien, par une triomphante gravure où le « comte Charles » apparaît comme l'aboutissement glorieux de l'histoire du pays, dans toute la pompe des ornements impériaux. Il est vrai que leur importance et leur valeur contrastaient singulièrement avec leur peu d'étendue. Situées entre l'Empire, l'Angleterre et la France, elles constituaient une admirable base d'action politique et militaire. Leur étonnante richesse et la solidité de leur crédit les rendaient plus précieuses encore, et, sans le secours des banquiers d'Anvers, Charles n'eût pu se procurer les ressources nécessaires à ses guerres continuelles. Il ne faut point s'étonner s'il s'intéressa durant tout son règne à des pays qui lui étaient si utiles, s'il s'efforça de les rendre prospères, de les bien gouverner, d'assurer la sécurité de leurs frontières et d'agrandir leur territoire. Mais il n'agit ainsi qu'en considération des services qu'il en retirait. Pour le reste, LES PAYS-BAS ET LA MONARCHIE HABSBOURGEOISE. — La Belgique ne revit Charles-Quint que le 1er juin 1520; mais ce n'était point pour elle qu'il remontait dans le Nord. Il y venait pour ceindre la couronne de roi des Romains, se présenter aux Electeurs, régler avec son frère Ferdinand la succession de Maximilien, prendre position en face de Luther et préparer enfin contre François Ier une guerre devenue inévitable. Au milieu de la complexité formidable des problèmes qu'il avait à résoudre, les intérêts propres de ses « pays de par deçà » ne comptaient plus que pour bien peu de chose. Conformément à sa devise, Charles avait rapidement poussé « plus oultre » et son héritage bourguignon s'éclipsait maintenant devant son héritage espagnol et son (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) (Cliché Pichonnier.) Couronnement de l'empereur Charles-Quint à Aix-la-Chapelle, le 23 octobre 1520. Gravure sur bois en fronlispice du « Triumphe du couronnement de lempereur el lentrée (riumphante en la ville daquisgrane (Aix-la-Chapelle) » imprimé à Anvers en 1520 par Guillaume Vorsterman. Seul exemplaire connu. ne soupçonnèrent point les tendances d'une politique dont le résultat leur apparut brusquement sous son successeur. Ils ne remarquèrent pas que Charles s'espagnolisait de plus en plus : ils ne voulurent voir en lui, jusqu'au bout, que leur prince naturel et le chef de la maison de Bourgogne. Son retour en 1520 donna lieu à toutes sortes de manifestations de joie et de loyalisme. Lui-même d'ailleurs ne cachait point le plaisir qu'il éprouvait à revoir le pays natal. Il disait aux Etats généraux réunis à Bruxelles « que son cœur avoit toujours été par deçà », et un peu plus tard, à Anvers, en prenant congé d'eux, il les assura « qu'il se partoit à regret ». Les subsides qu'il demandait furent votés avec un empressement inaccoutumé; les Etats allèrent jusqu'à lui affirmer que « s'ils l'eussent pu, ils eussent fait bien davantage » (48). Charles partit pour l'Allemagne au mois d'octobre, après avoir lancé son premier édit contre les Luthériens (49). Six mois plus tard (mars 1521), le belliqueux seigneur de Sedan, Robert de La Marck, instigué par François Ier, envoyait une lettre de défi à Marguerite. Ainsi les deux (Londres, Collection Wailace.) Charles-Quint : « Carolus V Ro(manorum) imper(ator) ». Médaille exécutée d'après un dessin d'Albert Durer pour la ville de Nuremberg en 1521. Sur le bord de la médaille, l'artiste a sculpté les armes des pays sur lesquels régnait Charles-Quint. Avers et revers. Plomb. il leur imposa sa politique et les entraîna dans tous les conflits qu'elle fit surgir. La conséquence en fut que l'histoire des Pays-Bas présenta plus que jamais, au XVIe siècle, le caractère européen que nous y avons si souvent constaté. Et elle le présenta d'autant plus que, par une coïncidence vraiment curieuse, elle se lie à l'histoire d'Espagne juste au moment où l'Espagne devient la première des puissances continentales. Car c'est dans l'orbite de l'Espagne que la Belgique fut décidément entraînée après que, par la convention du 7 février 1522, Charles eut abandonné à son frère Ferdinand tous les domaines autrichiens des Habsbourg. La suzeraineté de l'Empire sur les territoires lotharingiens continuait, il est vrai, de les rattacher à l'Allemagne. Mais depuis longtemps ce n'était plus là qu'une dépendance purement nominale, et, au lieu de resserrer ce faible lien, Charles s'efforça, au contraire, de le distendre davantage. Empereur, il ne pouvait naturellement méconnaître les droits de l'Empire sur ses domaines bourguignons, mais on verra plus loin qu'il agit de façon à les abolir. Son but fut manifestement de transformer les Pays-Bas en un poste avancé de la puissance espagnole dans le Nord de l'Europe. De son vivant toutefois, ses sujets néerlandais (Château de Windsor.) Armure d'Henri VIII, roi d'Angleterre. Début du XVIe siècle. guerres que l'Empereur devait soutenir durant toute son existence, l'une contre la Réforme, l'autre contre la France, s'ouvrirent chacune, et presque en même temps, sur le sol des Pays-Bas. LA CONQUETE DE TOURNAI. - Les hostilités commencèrent tout de suite dans la seigneurie de Sedan, envahie par des bandes bourguignonnes et allemandes sous le commandement de Henri de Nassau et de Franz von Sickingen. Tandis qu'après de faciles succès au début ses troupes s'usaient au siège de Mézières, défendu héroïquement par Bayard (50), Charles revenu au mois de juin de la diète de Worms, portait ses efforts sur Tournai. Cette ville, avec son enceinte flanquée de soixante-dix-sept tours et armée « de la plus belle artillerie du monde », semblait devoir défier l'assaillant. François Ier estimait que l'assiéger « seroit temps perdu », et Wolsey insistait vivement pour détourner l'Empereur d'une entreprise qui paraissait devoir être aussi vaine que périlleuse (51). Mais Charles opposa à tous les conseils l'obstination qui devait se révéler peu à peu comme un des traits saillants de son caractère. Et, contre toute attente, alors que les mauvais remparts de Mézières avaient résisté victorieusement à de furieuses attaques, Tournai, mal secouru par François Ier, dut se résigner, le 3 décembre, à ouvrir ses portes. La conquête de cette belle ville fut saluée avec joie dans les Pays-Bas. Rien, en effet, ne pouvait leur être plus avantageux que la possession d'une place qui commandait le cours de l'Escaut supérieur, où résidait l'évêque dont la juridiction spirituelle s'étendait sur la plus grande partie de la Flandre, et qui enfin, enserrée entre la Flandre et le Hainaut, avait constitué jusqu'alors pour les rois de France un poste militaire d'où ils pouvaient menacer à leur gré l'un ou l'autre de ces territoires. De nombreuses tentatives avaient été faites pour s'en emparer et pour mettre fin à une situation dont les inconvénients se révélaient à mesure qu augmentait la cohésion des provinces belges. Au XIIe siècle, les comtes de Flandre et ceux de Hainaut avaient vainement cherché à lui imposer leur protection. Jacques van Artevelde, au XIVe siècle, l'avait assiégée sans plus de succès avec son allié Edouard III. Les ducs de Bourgogne avaient conclu avec elle des traités de neutralité et, grâce à leurs bons rapports avec le pape, avaient su y introduire des évêques de leur choix; mais les troubles qui suivirent la mort de Charles le Téméraire avaient empêché l'absorption commencée. Pendant la campagne de Maximilien et de Henri VIII contre Louis XII, Tournai avait été pris par le roi d'Angleterre (1513) et l'on avait pu espérer que tôt ou tard celui-ci céderait aux Pays-Bas une possession trop éloignée de ses Etats et sans utilité pour lui. Il l'avait pourtant restituée à la France en 1518 au grand dépit de Charles-Quint. En dirigeant contre elle le principal effort de ses troupes en 1521, Charles atteignit enfin au but visé depuis si longtemps par ses prédécesseurs. Tournai demeura depuis lors réuni aux Pays-Bas, à qui le rattachaient sa position géographique et les intérêts de son commerce, et dont il avait si fortement in- Ç<*MMBNLES-0tN5.D6»fcHP«l»vp. ntynWîNTirsTKAl» c«»y (Oxford, Ashmolean Muséum.) La bataille de Pavie. « Le vray portrait du siège de Pavie mist sur laein doctobre en lan 1524, par le Roy de France. — Commen les gens de lempereur deffirent les françois en pregnant le roy le jour S. Mathias en lan 1525 (24 février 1525) ». Tableau endommagé peint par un maître anonyme contemporain. — Une tapisserie représentant la même bataille est reproduite plus loin, p. 73. (Hoogstraeten, Eglise Sainte-Catherine.) Antoine de Lalaing (vers 1480-1540). Chambellan de Philippe le Beau et de Charles-Quint, créé chevalier de la Toison d'Or le 6 novembre 1516. surintendant des finances, gouverneur de la Hollande, de la Zélande et de la Frise, Antoine de Lalaing fut un des conseillers les plus influents et les plus écoutés de Marguerite d'Autriche. Détail de son mausolée exécuté après 1555 par Jean Mone. Albâtre. Détruit par fait de guerre en 1944. fluencé le développement artistique durant le Moyen Age. Il fut avec son territoire (le Tournaisis) placé sous la juridiction du Conseil de Flandre, tout en constituant cependant une province spéciale, possédant ses Etats particuliers et jouissant d'une voix aux Etats généraux. Mais ce ne fut point là le seul résultat de la guerre. Dès le 24 juillet 1521, puis ensuite le 2 janvier 1522, Charles avait supprimé le ressort du Parlement de Paris en Flandre et en Artois. Il anéantissait ainsi dans ces pays le dernier vestige de la suzeraineté française; il effaçait sur la carte des Pays-Bas la frontière qui, depuis le traité de Verdun, avait séparé les régions relevant de l'Allemagne de celles relevant de la France. Les domaines bourguignons ne formaient plus désormais qu'une masse homogène, qu'un Etat distinct fermé définitivement à l'immixtion étrangère et n'ayant à compter qu'avec son prince. Il fallut cependant attendre cinq ans encore avant que l'annexion de Tournai et l'abolition du ressort du Parlement fussent officiellement reconnues par François Ier. Si la guerre avait cessé dans le Nord, elle continuait en Italie, et ce n'est que le 25 février 1525, quand le roi de France eut rendu son épée sur le champ de bataille de Pavie au Belge Charles de Lannoy, que la première phase du conflit, commencé en 1521, s'acheva décidément à l'avantage de l'Empereur. Le 14 janvier 1526, par le traité de Madrid, François renonçait à la suzeraineté sur la Flandre et l'Artois, cédait Tournai et promettait enfin de livrer la Bourgogne et ses dépendances. Mais il ne consentait à ces sacrifices qu'en protestant secrètement, et il se proposait bien de prendre sa revanche. MARGUERITE D'AUTRICHE DEPUIS 1522. - Au moment où la paix fut signée, Charles avait quitté les Pays-Bas depuis quatre ans déjà (26 mai 1522). Il y avait laissé Marguerite comme gouvernante avec les pouvoirs les plus étendus. Ses patentes lui donnaient le droit d'assembler les chevaliers de l'ordre, tous les conseils, les Etats généraux et de les faire délibérer sur toutes matières; elles lui remettaient la surintendance de la justice, des finances, de la gendarmerie, des gouverneurs et capitaines-généraux; elles l'autorisaient à publier des édits et ordonnances « comme nous meismes ferions et faire ferions en nostre propre personne » (52). L'empereur ne se réservait que la nomination de certains officiers. Pour le reste, il faisait de sa tante un véritable vice-roi. Mais très sagement il lui recommandait de gouverner d'accord avec son conseil et de prendre en tout les avis de la haute noblesse, dont la fidélité garantissait celle du pays et qu'il fallait éviter de froisser en affectant à son égard des allures absolutistes. Il comprenait très bien qu'il importait de laisser aux Pays-Bas un gouvernement qu'ils pussent considérer comme un gouvernement national. A l'exception de Jean Carondelet, qui y remplit les fonctions de chef, il n'y eut pas un seul étranger dans le Conseil privé de Marguerite. Celle-ci semble n'avoir supporté tout d'abord qu'avec une certaine impatience l'obligation d'associer les seigneurs belges à sa politique. Evidemment, elle préférait les conseillers « de robe longue », instruments dociles de la volonté souveraine, à ces chevaliers de la Toison d'Or, à ces généraux, à ces gouverneurs de provinces qui conservaient leur franc parler vis-à-vis d'elle et ne craignaient pas de combattre ses idées. En 1523, les seigneurs se plaignaient à Charles-Quint d'être exclus du conseil et de devoir attendre devant l'huis « quand ils venoient parler à Madame» (53). Ils obtinrent aussitôt satisfaction. Marguerite reçut l'ordre de ne rien traiter à l'avenir sans en avoir délibéré avec l'évêque de Liège, le sire de Ravenstein, le prince d'Orange et les comtes de Buren, de Gavre, d'Hoogstraeten, les sires de Beveren, de Berghes et du Rœulx. Elle finit d'ailleurs par s'entendre parfaitement avec ces seigneurs dont le dévouement pour Charles-Quint égalait celui qu'elle lui portait elle-même. Hoogstraeten surtout acquit sur elle une influence de plus en plus grande et on la soupçonna, sans la moindre preuve d'ailleurs, d'en avoir fait son amant (54). Jusqu'au début de cette nouvelle régence de Marguerite, les princes des Pays-Bas avaient régulièrement habité leurs provinces bourguignon- (Paris, Collection Wilkinson. ) (Cliché Giraudon.) Marguerite d'Autriche. « Marguerite d'Austrice et de Bourgoingne. ducesse douagière de Savoye, régente et gouvernante. » « Margarete van Ostrycke, hertoginne ende gravinne van Bourgoignien, douagiere van Savoyen, regente ende gouvernante. » Deux types d'intitulé d'actes diplomatiques délivrés par Marguerite d'Autriche. Portrait peint entre 1515 et 1520 par Bernard Van Orley. LA POLITIQUE DE MARGUERITE D'AUTRICHE. —• Marguerite cependant diffère encore très sensiblement de ses successeurs. Il s'en faut de beaucoup qu'elle ne soit qu'un simple agent du souverain, recevant ses ordres de Madrid et se bornant à les appliquer. Elle a rendu trop de services à son neveu, elle est trop attentive à ses intérêts, elle possède trop d'expérience, de valeur et d'ascendant pour que l'on puisse la traiter en subordonnée. Aussi gouverne-t-elle les Pays-Bas avec une entière liberté d'allures. En 1528, quand la guerre reprend entre Charles et François Ier, cette fois allié à Henri VIII, elle conclut avec l'Angleterre, à la grande indignation de Mendoça et des ministres castillans, une trêve particulière destinée à sauvegarder le commerce des provinces belges (56). Elle agit avec non moins d'indépendance à l'égard du roi de (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse). La paix de Cambrai dénommée Paix des Dames. « La triumphe de la paix celebree en Cambrav, avec la déclaration des entrees et yssues des Dames, Roix, Princes et Prelatz : faicte par Maistre Jehan Thibault, Astrologue de Limperiale Maieste et de Madame, etc. » Gravure sur bois en frontispice au Triumphe de la paix celebree en Cambray, de Jehan Thibault, négociée en 1529 par Marguerite d'Autriche et Louise d'Angoulême. mère de François Ior. Imprimé à Anvers par Guillaume Vorsterman, s.d., in-4°. (Paris, Archives Nationales, J 994 n° 2.) Texte original de la Trêve de six semaines conclue le 1er juillet 1521 et Charles-Quint. Signature autographe et sceau du roi de nés. Les deux voyages de Philippe le Beau en Espagne avaient duré fort peu de temps, et la première absence de Charles-Quint ne s'était guère prolongée au delà de deux ans; mais il en alla tout différemment à l'avenir. De plus en plus absorbé par les affaires de ses royaumes méridionaux ou par celles de l'Empire, Charles, durant la longue période de son règne qui s'écoule de 1522 à 1555, ne devait plus reparaître que cinq fois dans ses « pays de par deçà » et y résider en tout dix ans à peine. Après lui, Philippe II n'y fera qu'un seul séjour et depuis lors, jusqu'à Joseph II, aucun des souverains espagnols ou autrichiens de la Belgique ne posera le pied sur son territoire. Les gouverneurs qui primitivement avaient été chargés du soin de l'administration pendant les absences du prince, deviennent des fonctionnaires permanents, et l'on peut considérer la dernière phase de la carrière de Marguerite comme l'inauguration d'un système politique qui se prolongea jusqu'à la fin de l'Ancien Régime (55). Danemark Christian II, époux depuis 1514 de sa nièce Isabelle et qui, détrôné par Frédéric de Holstein, s'est réfugié en 1523 dans les Pays-Bas, où il compte préparer sa revanche (57). Mais uniquement préoccupée d'éviter une rupture avec Frédéric pour conserver à la marine hollandaise la libre navigation à travers le Sund, Marguerite empêche les corsaires armés par Christian de relâcher dans les ports néerlandais. Bien plus, lorsque en 1524 Charles-Quint manifeste l'intention de porter secours à son beau-frère et d'établir la suzeraineté impériale sur les royaumes du Nord, elle contrecarre sans hésiter cette politique et signe un traité de paix avec Frédéric et les villes de la Hanse qui le soutiennent. Plus tard enfin, malgré les promesses faites par l'Empereur à Christian après la paix de Cambrai et le retour intéressé de celui-ci au catholicisme, elle persiste dans son attitude et refuse obstinément de lui fournir le moindre secours. Manifestement, elle n'entend sacrifier les Pays-Bas ni aux intérêts espagnols ni aux visées ambitieuses de son neveu. Restée bourguignonne, elle ne peut se résigner à les considérer comme une simple province de l'Espagne. Si elle fait peu de cas de leurs franchises, elle veille soigneusement en revanche sur leur sécurité, et son gouvernement est la dernière période de leur histoire durant le règne de Charles-Quint, pendant laquelle ils ont joui d'une politique extérieure indépendante et répondant à leurs besoins. ANNEXION DE LA FRISE ET D'UTRECHT. -C'est aussi sous ce gouvernement que la Frise et la prin- (Cliché Gérard.) entre François Ier France. cipauté d'Utrecht vinrent s'adjoindre définitivement aux provinces bourguignonnes (58). Malgré les tentatives dirigées contre eux depuis le XIVe siècle par leurs voisins des Pays-Bas, les Frisons de la rive droite du Zuyderzée avaient réussi à conserver, sous la suzeraineté nominale de l'Empire, une autonomie complète. En 1345 ils avaient défait et tué le comte de Hollande, Guillaume IV, à la bataille de Stavoren. Plus tard, l'empereur Sigismond, en les prenant ouvertement sous sa protection, avait détourné Philippe le Bon de les attaquer, et si Charles le Téméraire avait été sur le point de les envahir, il s'était vu obligé de mettre la flotte qu'il avait préparée contre eux, au service de son beau-frère, le roi d'Angleterre Edouard IV, détrôné par Warwick. Pourtant, durant la seconde moitié du XVe siècle, la Frise, en proie aux luttes acharnées des Schieringers et des Vet-koopers, offrait les conditions les plus favorables à une intervention étrangère. Tandis, en effet, que ceux-ci étaient soutenus par Groningue, ceux-là demandaient l'appui du duc de Bourgogne. Charles, il est vrai, absorbé par la guerre de Neuss, puis par ses malheureuses expéditions de Suisse et de Lorraine, ne put profiter de l'occasion qui se présentait à lui. Son successeur Maximilien eut trop d'affaires sur les bras pour se charger encore d'un nouveau conflit. Il se borna à encourager les Schieringers, et, iBruxelles, Musée du Cinquantenaire.) (Cliché A.C.L.) Marguerite d'Autriche vénérant la statue dite miraculeuse de Notre-Dame du Sablon. Détail du panneau de droite de la quatrième des huit tapisseries racontant l'histoire de la statue de la Vierge du Sablon. Les huit pièces qui constituaient l'ensemble de cette histoire sont dispersées depuis 1893, date à laquelle elles appartenaient à M. Frédéric Spitser, de Paris. Un panneau fut acheté par le Musée du Cinquantenaire en 1893: l'hôtel de ville de Bruxelles en acquit un autre en 1914. Les six pièces restantes ont passé de main en main; l'une est aujourd'hui la propriété du Kaiser Friedrich Muséum de Berlin; une autre était répartie entre la firme Denotte et la Galerie Petit à Paris en 1924 et en 1929. On . a perdu la trace des quatre autres pièces. Commandées en 1516 par François de Taxis, les cartons en furent probablement exécutés par Bernard Van Orlev. (Cathédrale d'Innsbruck.) Marguerite d'Autriche. Buste de la statue de bronze coulée dans l'atelier de Gilg Sesselschrelber pour le tombeau de Maximilien 1er avant 1523. en 1498, sur leur demande, il s'empressa de nommer son fidèle lieutenant Albert de Saxe, gouverneur et podestat héréditaire de la Frise (59). La guerre civile reprit avec plus de furie à partir de ce moment. Groningue, secrètement soutenu par Philippe le Beau, dont les conseillers veulent empêcher Albert de prendre pied sur la frontière des Pays-Bas, dirige la résistance des Vetkoopers. Après la mort d'Albert à Emden (septembre 1500), son fils Georges, malgré l'hostilité persistante de Groningue, parvient à rétablir momentanément l'ordre dans le pays (60). Mais les troubles recommencèrent en 1514, et cette fois Groningue, déjà allié au comte Edzard Ier d'Ostfrise, fait appel à Charles de Gueldre. Incapable de continuer la lutte, Georges de Saxe vend ses droits, en 1515, au nouveau souverain des Pays-Bas, le jeune archiduc Charles. Depuis lors, la guerre ne cesse plus entre les troupes bourguignonnes et les bandes gueldroises. Enfin, lorsque celles-ci ont perdu leurs dernières places, le 10 novembre 1523, les Gemeene Staeten de Frise reconnaissent Charles comme leur « natuerliche, rechte, erflike heer ». et ajoutent ainsi une nouvelle province aux vieilles provinces de la maison de Bourgogne. L'annexion d'Utrecht s'accomplit quelques années plus tard. Sous Philippe le Bon, il en avait été de cet évêché comme de celui de Liège. L'un et l'autre avaient passé sous le protectorat bourguignon en recevant pour évêques, Liège, Louis de Bourbon, neveu du duc, Utrecht, David de Bourgogne, l'un de ses nombreux bâtards. Si excellente qu'elle eût été, l'administration de David avait pourtant provoqué un vif mécontentement par ses tendances centralisatrices. La catastrophe de Charles le Téméraire avait donné à Utrecht comme dans le reste des Pays-Bas le signal d'une réaction violente. Les Hoeks s'étaient soulevés, David avait dû s'enfuir de sa capitale et ce n'est qu'après une longue guerre et grâce à l'appui de Maximilien qu'il avait pu y rentrer en 1492. A sa mort (1496), la cour de Bourgogne réussit à imposer à l'évêché Frédéric de Bade, malgré les efforts de Philippe de Clèves qui encourageait l'opposition. Mais celle-ci restait puissante, et, quelques années plus tard, comme les Vetkoopers de Frise, elle lia partie avec Charles d'Egmont. En 1511, Utrecht ouvrait ses portes à une garnison gueldroise et l'évêque se réfugiait à Wijk-bij-Durstede. Peu de temps avant de mourir, il avait désigné comme son successeur l'amiral de Bourgogne, Philippe, fils naturel de Philippe le Bon, que le pape reconnut en 1516. La guerre reprit en 1521 à l'occasion d'une querelle entre deux villes de l'Overys-sel, Campen, soutenu par l'évêque, et Zwolle, qui se mit sous la protection de Charles d'Egmont. Les troupes du duc de Gueldre occupèrent tout d'abord l'Overyssel et la Drenthe ainsi qu'une bonne partie de la Frise, et l'on put croire qu'il allait se fonder, sur la rive droite du Zuyderzée. un puissant Etat rival des Pays-Bas. Heureusement, l'échec de Charles en Frise et les secours que les généraux bourguignons envoyèrent à l'évêque écartèrent le danger. L'Overyssel et la Drenthe repassèrent en 1523 sous le pouvoir de Philippe. Lors de son décès, l'année suivante, la Bourgogne et la Gueldre cherchèrent toutes deux à rallier le chapitre d'Utrecht à un candidat de leur choix. Mais les chanoines, espérant que la neutralité ramènerait la paix, portèrent leurs suffrages sur Henri de Bavière qui n'appartenait ni à l'un ni à l'autre des deux partis. Il s'abandonna d'ailleurs à l'influence de Florent d'Egmont, chef de la faction bourguignonne dans l'évêché. Bientôt, le mécontentement devint plus vif que jamais. En 1526, les métiers d'Utrecht s'insurgent, appellent Charles d'Egmont Tombeau de Marguerite d'Autriche à l'église de à Bourg-en-Bresse (Ain). Placé du côté gauche du chœur, il fait face à celui de Marguerite de Bourbon. Sur l'entablement, la princesse est habillée en habits de Cour; au registre inférieur, en dessous de la table de marbre, elle est simplement vêtue de son suaire. Au fronton, la devise de Marguerite : FORTUNE - INFORTUNE - FORT UNE. Tombeau d'albâtre provenant d'une carrière de Poligny (Jura). L'église de Brou fut construite par Marguerite d'Autriche, veuve de Philibert le Beau de Savoie, à la suite d'un vœu fait par sa belle-mère, Marguerite de Bourbon. Elle y .appela les artistes les plus renommés du temps : Michel Colombe, Conrad et Thomas Meyt, Vambelli, Campitogllo, Louis Van Boghem, Philippe de Chartres, Jean Perréal, Jean Brachon, Jean Ôrquois et Antoine Noisin. La statue de Marguerite a été sculptée par Conrad Meyt après 1532. à leur aide et introduisent de nouveau ses troupes dans la cité. LA PAIX DE CAMBRAI. - Charles profita des circonstances avec d'autant plus d'empressement qu'il pouvait compter comme jadis sur l'appui de la France. Enhardi par l'attitude de François Ier, qui refusait d'exécuter les clauses du traité de Madrid et préparait contre Charles-Quint une nouvelle guerre qui s'ouvrit officiellement au mois de janvier 1528, il ne craignit point d'attaquer les pays bourguignons. Il envoie son maréchal. Martin van Rossem, envahir la Hollande et mettre La Haye au pillage. Cependant, attaqué à la fois par le comte de Buren et par le nouveau gouverneur de Frise, Georges Schenck, il perd Utrecht et se laisse bloquer dans Arnhem. Enfin, lorsqu'il apprend que François Ier vient de laisser s'engager entre sa mère et Marguerite d'Autriche les pourparlers dont doit sortir bientôt la paix de Cambrai, il se résigne, lui aussi, à traiter. Le 3 octobre 1528 il abandonne l'Over et le Neder-Sticht, c'est-à-dire le pays d'Utrecht et l'Overyssel, et conserve à ce prix la possession héréditaire de la Gueldre et la possession viagère de Groningue et de la Drenthe (traité de Gorcum). Déjà auparavant l'Overyssel avait reconnu Charles-Quint comme er/-heer (21 mars 1528) et les Etats d'Utrecht agirent de même quelques semaines après la conclusion de la paix (21 octobre 1528). L'évêque d'Utrecht ne fut plus, dès lors, qu'un prince spirituel; la vieille principauté ecclésiastique fondée par les empereurs du Xe siècle était absorbée à son tour dans l'Etat bourguignon. Désormais, les Pays-Bas enserraient presque complètement les deux rives du Zuyderzée, devenu une mer bourguignonne. Seules Groningue, la Drenthe et la Gueldre restaient à conquérir pour réaliser entièrement les desseins de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire. Le pays de Liège, il est vrai, avait repris son indépendance. Mais Erard de La Marck s'y conduisait en allié fidèle et rien n'était plus à craindre de ce côté. La paix de Cambrai, négociée par Marguerite et acceptée enfin par François Ier, le 3 août 1529, consolida définitivement toutes les conquêtes des dernières années. Si elle laissait le Brou duché de Bourgogne aux mains du roi de France, elle abolissait, en revanche, et cette fois pour toujours, ses dernières prétentions sur les Pays-Bas. Ratifiant le traité de Madrid, elle cédait à Charles la souveraineté complète en Flandre et en Artois, lui abandonnait Tournai et le Tournaisis et lui sacrifiait les vieilles prétentions des Valois sur Lille, Douai et Orchies. Enfin, François renonçait à secourir à l'avenir Robert de La Marck et Charles de Gueldre. Cette paix, en rompant pour toujours le lien qui rattachait à la France, depuis cent ans, les régions de la rive gauche de l'Escaut, ne faisait pas seulement triompher la politique des ducs de Bourgogne. A l'envisager dans l'ensemble de l'histoire de Belgique, elle apparaît comme l'aboutissement d'une longue série d'efforts, dans laquelle on voit se succéder Ferrand de Portugal, Gui de Dam-pierre, les combattants de Courtrai, Jacques van Artevelde et Louis de Maie, avant d'arriver à Philippe le Bon, à Charles le Téméraire et à Charles-Quint. C'est pour en commémorer le souvenir que fut sculptée la belle cheminée du prétoire du Franc de Bruges, où l'Empereur, entouré de ses ancêtres bourguignons, habsbourgeois et espagnols, mais représenté comme comte de Flandre et portant les insignes de la Toison d'Or, semble faire rejaillir sur son pays natal la gloire de son triomphe. MORT DE MARGUERITE D'AUTRICHE. - Le traité de Cambrai fut le dernier succès de Marguerite d'Autriche. Heureuse d'avoir vu enfin sa maison prendre sur celle de France une éclatante revanche, elle songeait à se retirer à Brou, lorsqu'un mal déjà ancien dont elle souffrait à la jambe s'étant rapidement aggravé, elle succomba après quelques jours de maladie, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1530, en son hôtel de Malines (61). Elle avait dicté, avant de mourir, une lettre admirable, où se révèle une âme désabusée mais pleine de tendresse et de dévouement, et consciente d'avoir accompli son devoir (62). Elle meurt, écrit-elle, à son neveu, « sans regret quelconque, réservé de la privation de votre présence et de non vous pouvoir veoir et parler à vous encore une fois avant ma mort ». Elle constitue Charles son héritier universel, et, en ce moment suprême, elle se plaît avec quelque orgueil à constater qu'elle laisse les Pays-Bas, non seulement intacts mais « grandement augmentez », espérant en avoir « rémunération divine, contentement de vous, Monseigneur, et gré de vos subjects ». Peut-être eut-elle le pressentiment qu'une ère nouvelle allait commencer, où le vieil héritage bourguignon de la dynastie serait de plus en plus subordonné à l'Espagne et sacrifié à ses intérêts. Une certaine crainte de l'avenir se manifeste du moins dans la supplication qu'elle adresse à Charles dans son testament « pour non abolir le nom de la maison de Bourgogne, de vouloir retenir en ses mains le comté de Bourgogne tant et si longuement qu'il vivra, et, après son décès, de faire succéder cette comté à celui de ses héritiers à qui demeureront les pays de par deçà » (63). NOTES (1) Lettres de Louis XII, t. I, p. 92. (2) Bullet. de la Comm. Royale d'Histoire, 3® série, t. VI (1864), p. 125. (3) Gachard, Analectes Belgiques, p. 17 (Bruxelles, 1830). (4) Depuis la première édition de ce volume, Marguerite d'Autriche a été étudiée dans plusieurs travaux de valeur diverse. M. L. M. G. Kooperberg, Margaretha van Oostenrijk tôt den vrede van Kamerijk (Amsterdam, 1908), a traité en détail, grâce à de nombreux matériaux inédits, toute la partie de sa carrière qui s'étend jusqu'au traité de Cambrai. M. A. Walther, Die Anfânge Karls V, p. 66-127 (Leipzig, 1911), a consacré à sa politique dans les Pays-Bas, jusqu'en 1515, un chapitre pénétrant et suggestif sinon toujours convaincant. C'est en revanche un intérêt purement biographique et anecdotique que l'on prendra à la lecture des deux ouvrages abondamment illustrés que M. Ch. Hare, The high and puissant princess Marguerite of Austria (Londres, 1907) et M11® Eleanor E. Tremayne, The first governess of the Netherlands, Margaret of Austria (Londres, 1908), ont écrit pour le public des général readers. (5) Max Bruchet, Le projet de mariage de Marguerite d'Autriche avec Henri VII. Revue Savoisienne, 1920, n° 4. — C'est à cette occasion que Pierre de Coninxloo peignit d'elle un portrait qui parait être celui dont une réplique est conservée depuis 1913 au Musée de Bruxelles. Voy. A.-J. Wauters, Bulletin des Musées Royaux du Cinquantenaire, 1914, p. 4 et suiv. (6) A. Le Glay, Correspondance de l'empereur Maximilien Ier et de Marguerite d'Autriche, t. I, p. 293. Cf. encore t. II, p. 204 (Paris, 1839). (7) Pour son rôle d'éducatrice et sa vie privée à Malines, voy. Ch. Moeller, Eléonore d'Autriche et de Bourgogne, reine de France, pp. 33 et suiv. (8) Bullet. de la Comm. Royale d'Hist., 3® série, t. XII [1871], p. 168. Des pou- voirs antérieurs publiés par Le Glay, Correspondance, t. II, p. 431, ne sont qu'un projet de l'époque où l'empereur négociait avec Gattinara, que Alarguerite lui avait envoyé, sur les conditions de la régence de sa fille. Voy. A. Walther, Die burgundischen Zentralbehôrden, p. 92 et suiv. (9) On en retrouve encore l'écho en plein XVIe siècle dans les attaques que la nationalité de son père valut à Marnix de Sainte-Aldegonde. Voy. Œuvres de Ph. de Marnix. Correspondance et Mélanges, p. 406 (Bruxelles, 1860). (10) Lettres de Louis XII, t. I, p. 105. (11) A. Le Glay, Correspondance, t. I, p. 15. (12) Bullet. de la Comm. Royale d'Histoire, 2© série, t. III [1852], p. 309. — Leur mécontentement se comprend, la guerre ayant une répercussion déplorable sur l'industrie. Voy. E. Briinner. De order op de buitenneering van 1531, p. 72 et suiv. (Utrecht, 1918). (13) Bullet. de la Comm. Royale d'Histoire, 2® série, t. III [1852], p. 310. (14) Gachard, Lettre à MM. les Questeurs de la Chambre des Représentants sur le projet d'une collection de documents concernant les anciennes assemblées nationales de la Belgique, p. 49 (Bruxelles, 1841). (15) Ulmann, Kaiser Maximilian I, t. II, p. 361. (16) Sur les péripéties de la guerre de Gueldre et leur importance pour l'appréciation exacte de la politique de Marguerite, voy. L. Duncker, Furst Rudolf der Tapfere von Anhalt und der Krieg gegen Herzog Karl von Geldern. Ein Beitrag zur Entstehungsgeschichte der Liga von Cambrai (Dessau, 1901). (17) H. Baumgarten,Geschichte Karls V, t. I, p. 19 (Stuttgart, 1885). Sur la politique de Marguerite à l'égard de l'Angleterre, add. A. Walther, Die Anfânge Karls V, p. 84. (18) L. Ph. C. van den Bergh, Gedenkstukken tôt opheldering der Nederlandsche geschiedenis, t. III, p. 122 (Leide, 1847). (19) A. Walther, Die Anfânge Karls V, p. 116. (20) W. Busch, Englands Kriege im Jahre 1513 : Guinegate und Flodden. Historische Vierteljahrschrift, 1910, p. I et suiv. (21) Van den Bergh, Gedenkstukken, t. III, p. 123. (22) C'est lui certainement qui est visé dans l'intéressant rapport de Marguerite à Maximilien, le 6 juillet 1514, comme « celuy qui avoit brassé de nous oster d'icy et envoyer en Allemaigne, lequel seroit bien encore de cest advis pour pouvoir avoir plus grande auctorité >. A. Walther, Die Anfânge Karels V., p. 235. (23) A. Le Glay, Correspondance, t. II, p. 234. (24) E. Gossart, Notes pour servir à l'histoire du règne de Charles-Quint, Mémoires in-8° de l'Académie Royale de Belgique, t. LV [1897], p. 9. (25) Ibid., p. 31. (26) A. Le Glay, Correspondance, t. II, p 250. (27) Van den Bergh, Gedenkstukken, t. III, p. 134. (28) Gossart, Notes, p. 9. (29) Gossart, Charles-Quint, p. 61. (30) A. Walther, Die Anfânge Karls V, p. 203; Gossart, loc. cit., p. 217. (31) Brewer, Calendar of letters and papers of the reign of Henri VIII, t. II2, p. 938 (Londres, 1864). (32) G. Zenocarus a Scauwenburgo, De republica, vita, moribus etc. imperatoris Caroli Maximi, p. 34 (Gand, 1559). — Sur son éducation, voy. Gossart, Notes, p. 14, 33 et suiv., Baumgarten, Karl V, t. I, p. 41, et Armstrong, The emperor Charles V, t. I, p. 9 (Londres, 1902). (33) Il avait sans doute du flamand cette connaissance superficielle qu'en ont aujourd'hui tant de bourgeois francisés, par suite de leurs rapports avec les domestiques, les gens du peuple et les paysans. Pour l'allemand, il est certain qu'il l'ignorait, bien que dès 1513, Maximilien recommandât à Marguerite de lui faire apprendre le « thlois » (Correspondance, t. II, p. 176). B. Sastrow, fin merkwûrdiger Lebenslauf des XVI. Jahrhunderts, éd. L. Grote (Halle, 1860), cite de lui, p. 209, 217, quelques phrases germaniques qu'il lui aurait entendu prononcer. C'est un sabir mi-flamand, mi-allemand, dont l'incorrection atteste l'authenticité. Elles prouvent que l'empereur essayait de parler Hochdeutsch en s'aidant des bribes de malinois qu'il avait retenues de son enfance. La pauvreté du vocabulaire est tout à fait caractéristique. En somme, au point de vue linguistique, Charles n'était pas moins Français que sa tante Marguerite. (34) Gachard, Etudes et notices concernant l'histoire des Pays-Bas, t. II, p. 355 (Bruxelles, 1890). (35) Il jouit tout de suite d'une influence extraordinaire. En 1514, Erasme dit de lui : « Cancellarius, qui, reipsa, princeps est ». Citation de F. Nève. La Renaissance des lettres en Belgique, p. 57 n. (Louvain, 1890). (36) Elle était ia deuxième fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne. (37) A. Le Glay, Négociations entre la France et l'Autriche, t. II, p. 4 (Paris, 1845). (38) Schanz, Englische Handelspolitik, t. I, p. 39; Baumgarten, Karl V, t. I p. 41. (39) Sur la politique de Chièvres à cette époque, cf. A. Walther, Die Anfânge Karls V, p. 157 et suiv., dont l'étude détaillée me parait confirmer l'idée d'ensemble émise ici. Voy. aussi, à cet égard, l'opinion de M. R. Reuss, Revue critique, 191l2, p. 373. (40) Il héritait en revanche de l'Aragon du chef de Ferdinand. Sur tout ceci, voy. Gossart, Charles-Quint, p. 39 et suiv. (41) Fille de François I". (42) J'emprunte cette expression i von Hôfler, Karls V Wahl zum Rômischen Kônig. Sitzungsberichte der phil.-hist. Classe der kais. Akademie der Wissenschaften, t. LXXIV, p. 22 (Vienne, 1873). (43) Baumgarten, Karl V, t. I, p. 101 ; A. Morel-Fatio, Etudes sur l'Espagne, p. 263 (Paris, 1895); Gossart, Notes, p. 35. (44) Gossart, Charles-Quint, p. 101 et suiv. (45) Ch. Laurent, Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, série, t. I, (1893), p. 656, 682. Il est intéressant de comparer la situation qui lui est faite alors avec les précautions que Charles avait encore prises, le 23 juillet 1517, pour la subordonner au Conseil Privé pendant son absence en Espagne, Voy. Ordonnances des Pays-Bas, loc. cit., p. 578-581 (46) A. Le Glay, Correspondance, t. II, p. 357. (47) Il se considère cependant toujours comme prince de la maison de Bourgogne. Dans son testament de 1522, il fixe le lieu de sa sépulture à Bruges ou â Dijon, si cette dernière ville est reconquise. Hauser, Le traité de Madrid, p. 23 (48) J'emprunte cette citation ainsi que les deux précédentes à Gachard, Des anciennes assemblées nationales de Belgique. Revue de Bruxelles, nov, 1839 p. 29, 30 n. (49) P. Kalkoff, Die Anfânge der Gegenreformation in den Niederlanden, I, p. 19 (Halle, 1904). '50) A. Chuquet, Etudes d'Histoire, I. Bayard à Mézières (Paris, 1904). (51) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. Il, p. 391. (52) Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, éd. Ch. Laurent et J. Lameere, 2e série, t. II, p. 167 (Bruxelles, 1898). (53) Bulletin de la Comm. Royale d'Histoire, & série, t. V [1853], p. 54. (54) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. IV, p. 354, qui semble ajouter foi à ces accusations, les réfute lui-même en note. (55) Sauf, bien entendu, la courte période pendant laquelle Philippe II abandonna les Pays-Bas aux archiducs Albert et Isabelle. (56) Schanz, Englische Handelspolitik, t. 1, p. 73. Cf. pour la politique de Marguerite à cette époque : L. Bourrilly et P. Vaissière, Ambassades en Angleterre de fean Du Bellay. La première ambassade, 1527-1529 (Paris, 1905). (57) Je suis essentiellement, pour l'exposé des relations des Pays-Bas avec le Danemark, l'excellent récit de D. Schâfer, Geschichte von Danemark, t. IV (Gotha, 1893), auquel j'ai ajouté çà et là un détail d'après Henne, Histoire de Charles-Quint et d'après les documents publiés par J. J. Altmeyer, Histoire des relations commerciales et diplomatiques des Pays-Bas avec le Nord de l'Europe pendant le XVIe siècle (Bruxelles, 1840). (58) Pour ces événements qui, malgré l'intérêt qu'ils présentent, ne peuvent être rapportés que de façon sommaire dans un ouvrage spécialement consacré à l'histoire de Belgique, le lecteur trouvera une narration aussi claire que bien informée dans P. J. Blok, Geschiedenis van het Nederlandsche Volk, t. II, p. 338 et suiv. (Groningue, 1893). (59) Sur le rôle d'Albert de Saxe en Frise, voy, le travail de Sperling, dans fahresbericht des Kgl. Gymnaziums zu Leipzig (1892). (60) Schwabe, Herzog Georg, dans Neues Archiv fûr Sâchsische Geschichte, t. XII [1891], (61) Gachard (Etudes et Notices, t. II, p. 357) a prouvé que la mort de Marguerite ne fut pas accidentelle, comme on l'a souvent répété. On peut ajouter aux preuves qu'il donne qu'en 1527, son chirurgien, maître Pierre Demaistres, aurait guéri la gouvernante « de certaine blessure qu'elle avoit en l'une des jambes ». Le 8 juillet 1529, elle l'avait de nouveau mandé c pour curer un accident qui lui était arrivé au pied » (Inventaire des Archives départementales du Nord, t. V, p. 16). Ce sont ces maux anciens qui, s'aggravant en 1530, peut-être, comme le rapporte la tradition, à la suite d'une écorchure, auront amené la mort. (62) Gachard, Analectes belgiques, p. 378. (63) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. IV, p. 350. Le testament est du 28 novembre. CHAPITRE V CHARLES-QUINT ET MARIE DE HONGRIE (Naples, Museo Nazionale.) (Cliché Alinari.) La bataille de Pavie. Reproduction d'une des sept tapisseries offertes à Charles-Qùint par les Etats généraux en 1531 à son retour dans les Pays-Bas. Cartons exécutés par Bernard Van Orley. fERSONNALITE DE MARIE DE HONGRIE. — Rien n'atteste mieux l'affermissement du régime nouveau dans les Pays-Bas que le calme avec lequel on y apprit la mort de la gouvernante. La tranquillité publique ne fut pas troublée un instant; les Etats généraux ne demandèrent pas à être convoqués. En attendant la décision de l'empereur, le Conseil privé, sous l'autorité de Carondelet et du comte d'Hoogstraeten, se chargea d'administrer les affaires courantes. Charles-Quint, qui se trouvait alors en Allemagne, songea tout de suite à sa sœur Marie pour remplacer Marguerite. Née à Bruxelles le 15 septembre 1505 et, par conséquent, âgée de vingt-cinq ans, elle était veuve, depuis 1526, du roi Louis II de Hongrie, tombé sur le champ de bataille de Mohacz. Comme Marguerite après la mort de Philibert de Savoie, elle restait fidèle à la mémoire de son époux, bien résolue à ne point contracter un second mariage. N'ayant pas d'enfants, rien ne pouvait l'empêcher de se consacrer aux soins de la régence, et les qualités politiques dont elle avait fait preuve récemment, lors de l'attribution de la couronne de saint Etienne à son frère Ferdinand, la désignaient pour remplir des fonctions aussi, importantes que délicates. Cependant, Charles ne voulut point les lui confier sans s'être assuré par lui-même que sa nomination ne rencontrerait aucune opposition, et c'est seulement après avoir entendu l'avis de ses principaux conseillers qu'il pria sa sœur, le 3 janvier 1531, de vouloir bien accepter « pour lui faire plaisir » ( 1 ), la succession de Marguerite. Marie hésita quelque temps avant de se décider. Jalouse de sa liberté, elle redoutait de se « mettre la corde au col ». Puis, tandis que son frère accentuait de plus en plus son hostilité à la Réforme, elle ne cachait point ses sympathies, sinon pour les nouvelles doctrines religieuses, tout au moins pour les idées de tolérance professées par les humanistes. Erasme lui avait dédié, l'année précédente, son traité De vidua christiana, et elle maintenait à son service des gens d'une orthodoxie suspecte, tels par exemple que son chapelain Alexandre qui fut plus tard accusé d'hérésie. Mais comment résister aux instances du chef de sa famille ? Elle surmonta ses répugnances et consentit, du moins provisoirement, à remplir des fonctions dont elle considérait comme un devoir d'assumer la lourde charge. passagères, « choses transitoires et muables de quoi l'on doit user quand on l'a et s'en passer quand on ne l'a pas» (3). Elle se donna sans réserve aux soins multiples dont elle avait la responsabilité. Elle étonna ses conseillers par son entente des finances, par sa compétence dans le maniement des armées et la construction des forteresses. Elle s'initia à toutes les branches de l'administration et mit son point d'honneur à bien servir. On ne trouve plus, pendant sa régence, la liberté d'allures et l'indépendance qui avaient caractérisé celle de Marguerite. Elle se contenta d'être l'exécutrice des volontés de ce frère auquel elle avait immolé ses convictions intimes et ses convenances personnelles. Elle n'hésita jamais à lui sacrifier, quand elle le crut utile, l'intérêt de ses sujets, et elle s'attira une impopularité qu'elle ressentit douloureusement (4). Marguerite avait été encore une duchesse de Bourgogne, Marie ne fut plus qu'une régente au nom du roi d'Espagne. D'ailleurs, son rôle commence précisément au moment où Charles, débarrassé du dernier des ministres de sa jeunesse par la mort de Gattinara (1530), sera désormais le seul maître de sa politique. (Copenhague, Statens Muséum for Kunst.) Christian II, roi de Danemark (1481-1559). Portrait peint vers 1516 par un maître néerlandais inconnu. Elle les conserva à contre-cœur pendant vingt-cinq ans, et elle sut se montrer digne de la confiance que l'empereur lui avait témoignée. Car si elle nous apparaît très différente de Marguerite d'Autriche, elle ne lui fut cependant pas inférieure. Moins lettrée et moins délicatement artiste que sa tante — on ne lui connaît guère qu'un goût prononcé pour la musique — peut-être aussi moins habile politique, elle l'emporta sur elle, en revanche, par les qualités viriles de son caractère, l'énergie, la passion du travail, l'application aux affaires. Cette belle jeune femme blonde, dont les yeux noirs jetaient un regard droit et ferme, arrivait dans le pays pleine de santé et de force (2). Elle se délassait des soucis du gouvernement par la chasse et l'équitation ou elle défiait les meilleurs cavaliers. Le luxe intime et choisi de Marguerite dans son petit hôtel de Malines fit place chez elle à la pompe éclatante de la Renaissance. Bruxelles, où elle s'installa dans l'ancien palais des ducs de Brabant, devint décidément, depuis lors, la capitale des Pays-Bas. Elle se fit construire de somptueux châteaux à l'italienne à Mariemont et à Binche, et le souvenir des fêtes éblouissantes qu'elle y donna se conserve peut-être de nos jours, affaibli sans doute et dénaturé, dans les mascarades annuelles des « Gilles » de Binche. Mais elle ne s'entoura de toute cette splendeur que pour rehausser le pouvoir que Charles avait déposé entre ses mains. Son âme forte en dédaignait les jouissances CHARLES-QUINT DANS LES PAYS-BAS EN 1531. — Il avait résolu d'installer lui-même sa sœur dans les Pays-Bas. Le 24 janvier 1531, il arrivait à Bruxelles où on ne l'avait plus vu depuis bientôt dix ans. Il se montra aux Etats généraux, auxquels Carondelet exposa longuement toutes ses entreprises et toutes ses victoires des dernières années, et qui lui offrirent une splendide tapisserie représentant la bataille de Pavie (5), il ne prit point le temps de parcourir les provinces. Il s'absorba dans le travail et l'on peut considérer comme son œuvre personnelle la création des trois « Conseils collatéraux » qu'il institua aux côtés de la gouvernante et qui subsistèrent sans changements essentiels jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. C'est également durant ce séjour que fut élaboré un édit perpétuel s'appliquant à tous les Pays-Bas et qui constitue le point de départ de leur législation commune. Conseils collatéraux et édit perpétuel s'expliquent par les mêmes tendances. Ils avaient également pour but d'augmenter la cohésion des provinces en centralisant leur administration et en unifiant leur droit; ce furent deux pas en avant dans la voie du système monarchique rétabli par Philippe le Beau. Les instructions données à la gouvernante lui enjoignaient de maintenir strictement ces innovations. Mais Charles ne se borna point à cela. Il profita des circonstances pour trancher une foule de questions. Il racheta aux marquis de Bade le gouvernement du Luxembourg, qui leur avait été engagé jadis par Maximilien, et il réorganisa le Conseil de justice de cette province. Il entreprit avec l'Angleterre des négociations d'où sortit, en 1532, un nouvel arrangement commercial. Il promulgua un important édit sur les monnaies. Il distribua, entre les chefs de cette noblesse qui lui était si dévouée, les gouvernements des provinces. Enfin, il renouvela contre les hérétiques le terrible placard de 1529 qui punissait de mort toute transgression au catholicisme. N'avait-il pas prévenu Marie, si suspecte elle-même de pencher vers les doctrines dont elle allait devoir diriger l'impitoyable répression, que « à ceste heure ce que en Allemagne ce souffre ou ce tient pour légier, ès Pays-Bas ne le convient en fasson du monde souffrir» (6). Renforcer l'autorité souveraine et combattre la Réforme, telle fut essentiellement la double mission de la reine de Hongrie. Ces deux tâches, à vrai dire, se confondaient, l'unité politique et l'unité religieuse profitant également l'une et l'autre au pouvoir du prince. Ajoutons enfin que si Charles eut bien soin, en réorganisant le gouvernement du Pays-Bas, de ne pas toucher aux privilèges de ses sujets, il s'était arrangé en secret pour pouvoir les tourner au besoin. Sur le conseil de Marguerite d'Autriche, il avait obtenu de Clément VII, le 15 septembre 1530, d'être relevé « du desraisonnable serment » qu'il avait prêté lors de son avènement au duché de Brabant. D'autre part, le même pape lui avait concédé, quelques mois auparavant, la nomination aux bénéfices et dignités ecclésiastiques dans toute l'étendue de ses domaines bourguignons, soumettant ainsi le clergé, le premier des ordres de l'Etat, à l'ascendant du prince. Suivant son habitude, l'empereur voulut prendre personnellement congé des Etats généraux avant son départ (octobre 1531). Il leur communiqua les mesures qu'il avait arrêtées et leur fit donner lecture de l'édit perpétuel et des pouvoirs de la nouvelle régente. Puis, prenant lui-même la parole, il les exhorta à seconder de toutes leurs forces la répression de l'hérésie, affirmant qu'il n'hésiterait pas à tenir pour ennemis ses propres parents qui pactiseraient avec le luthéranisme. Il leur recommanda de vivre en paix et en union intime les uns avec les autres, et exprima, enfin, son regret de devoir les quitter (7). Il partit quelques mois plus tard, le 17 janvier 1532. On ne devait le revoir qu'en 1540 et dans un tout autre appareil. DIFFICULTES AVEC LE DANEMARK. - Il laissait à Marie, pour ses débuts, le règlement d'une affaire très épineuse. Christian de Danemark avait profité de la mort de Marguerite d'Autriche pour concentrer en Hollande les troupes destinées à combattre son compétiteur Frédéric de Holstein (8). L'empereur l'avait laissé faire, espérant que son succès soumettrait les royaumes du Nord et les villes de la Hanse à l'influence habsbourgeoise. Le 26 octobre 1531, Christian cinglait du port de Medemblik vers la côte de Norvège, avec vingt-cinq vaisseaux montés par sept mille hommes. Cette violation de la neutralité jusqu'alors observee par les Pays-Bas eut tout de suite pour conséquence un traité d'alliance entre Frédéric de Holstein et Lubeck, qui fermèrent le Sund aux navires hollandais. Le retentissant échec de Christian, tombé au mois de juillet suivant au pouvoir de son adversaire et emprisonné au château de Sonderbourg, rendit la situation plus mauvaise encore. Lubeck, dont la prospérité déclinait rapidement et qui voyait la jeune marine hollandaise faire des progrès constants dans la Baltique, voulait profiter de son alliance avec le Danemark pour se débarrasser de cette dangereuse rivale. Mais les Hollandais ne reculèrent point devant la perspective d'une guerre pour conserver le commerce du Nord, source principale de leur fortune. Ils exigèrent la saisie dans les ports néerlandais des bateaux danois et de ceux de la Hanse, et l'équipement d'une flotte de guerre par les Pays-Bas. Ces demandes se heurtèrent tout de suite à la résistance des autres territoires. Le particularisme était encore trop puissant pour que toutes les provinces comprissent la solidarité de leurs intérêts. La Flandre et Anvers ne prétendaient point nuire à leur commerce au profit de la Hollande (9); ils soutinrent que le conflit ne les concernait pas et qu'ils n avaient à s'y mêler en aucune façon. Marie de Hongrie n'hésita point cependant à faire sienne la cause hollandaise. Elle considérait toutes les parties des Pays-Bas comme constituant un seul Etat, puisqu'elles appartenaient à un même prince. Représentant le principe centralisateur, elle représentait aussi le « bien commun » en cette circonstance, et elle le fit triompher sur le « bien particulier» (10). Mais les artisans des villes, souffrant cruellement de la terrible cherté provoquée par l'interruption du commerce avec le Nord, ne songeaient pas à l'avenir et maudissaient la gouvernante. Néanmoins, malgré une insurrection assez grave qui éclata à Bruxelles, Marie ne céda pas. La mort de Frédéric de Holstein (10 avril 1533) et la situation inextricable qui s'ensuivit au Danemark, lui permirent bientôt d'ailleurs de traiter avantageusement et de conclure avec ce royaume une paix de trente années (traité de Gand, 9 septembre 1533). Resté seul Lubeck était incapable de l'emporter. Une flotte de quarante vaisseaux avait été armée dans les Pays-Bas, et l'amiral Gérard de Merckere put promener, sans être inquiété, le pavillon bourguignon sur les eaux de la Baltique. Wullenwever, qui dominait à Lubeck, ne se résignait pourtant pas à capituler. Il fallut les efforts combinés des ambassadeurs de l'empereur et de ceux de la régente pour faire reconnaître, enfin, la liberté du commerce hollandais à travers le Sund (26 mars 1534). La Hollande sortit donc victorieusement de la crise où l'avaient engagée les projets politiques de Charles-Quint, ,'Paris, Collection Hans Daucher.) (Cliché Giraudon.) Charles-Quint. Imp(erator). Caes(ar). Karolvs. Avg(vstvs). Plaque exécutée en 1522 par un artiste inconnu. et elle en sortit surtout grâce à l'énergie de Marie de Hongrie. Sa marine était sauvée et le principe de la « mer libre », condition indispensable de sa grandeur future, avait triomphé (11). Toutefois, ce triomphe n'était que momentané. Au mois d'octobre 1534, Charles d'Egmont, instigué par François Ier, méditant une nouvelle guerre, déchirait le traité de Gorcum, s'alliait derechef à la France et reconnaissait le duc de Lorraine comme son héritier. L'éternelle question de Gueldre ainsi remise sur le tapis allait se compliquer bientôt d'une recrudescence des difficultés avec le Nord. En Danemark, le comte Christophe d'Oldenbourg qui, depuis la mort de Frédéric, cherchait à s'assurer la couronne, avait sollicité l'appui du gouvernement des Pays-Bas. La querelle n'intéressait nullement Marie de Hongrie. Il lui importait fort peu que Christophe réussît ou non, mais elle désirait obtenir l'alliance des Danois contre Lu-beck et elle recommandait à son ambassadeur, en juillet 1534, de conclure un traité d'amitié avec eux, quel que fût leur roi. Cependant, quatre mois plus tard (en novembre), Charles-Quint fiançait à Madrid le comte palatin Frédéric avec la jeune princesse Dorothée, fille de Christian II, et Christophe d'Oldenbourg, renonçant à ses prétentions, embrassait la cause de Dorothée et de Christian II, toujours emprisonné. C'est alors que le fils de Frédéric de Holstein, Christian III, qui lui aussi revendiquait le trône, résolut, pour empêcher les Pays-Bas de soutenir ses ennemis, de provoquer une nouvelle entrée en scène de l'infatigable Charles d'Egmont. Au commencement de l'année 1536, il lui fournit des subsides et lui envoie des Landsknechten. Mais les gouverneurs de Frise et de Hollande paralysent tous les efforts du duc de Gueldre, et, au mois de juillet, un corps danois marchant à son secours est battu par Georges Schenk dans ces mêmes plaines de Heiligerlee qui devaient être, trente-deux ans plus tard, le théâtre de la victoire de Louis de Nassau sur les troupes du duc d'Albe. Presque au même moment, la prise de Copenhague (29 juillet 1536) valait à Christian III la possession désormais incontestée du Danemark. Cet événement qui renversait les combinaisons dynastiques favorisées par Charles-Quint, tourna en revanche à l'avantage des Pays-Bas. Il fit perdre à Lubeck, qui avait assisté les adversaires de Christian, les derniers vestiges de son antique prépondérance dans la Baltique, et ce furent les Hollandais qui profitèrent de sa chute. Après quelques pourparlers, Christian signa, le 3 mai 1537, avec Marie de Hongrie, une paix qui devait durer trois ans, mais qui, en réalité, fut définitive, si l'on ne tient pas compte des hostilités passagères qui éclatèrent en 1542, lors de l'alliance du Danemark avec François Ier (12). La marine hollandaise se substitua décidément depuis cette époque à la marine hanséatique dans les eaux du Nord. Les recettes du Pfundzoll levé dans le Sund, prouvent que son trafic décupla pendant le cours des dix années suivantes. Ce ne fut point là, d'ailleurs, le seul gain que les Pays-Bas retirèrent de ces complications. L'immixtion du duc de Gueldre dans le conflit leur valut de nouveaux progrès territoriaux. Dès le 8 juin 1536, Groningue, effrayé par le voisinage des Landsknechten que Charles d'Egmont avait levés grâce aux subsides du Danemark, reconnaissait Charles-Quint comme seigneur et appelait Georges Schenk dans ses murs. NOUVELLE GUERRE AVEC LA FRANCE. -Quelques mois plus tard, abandonné par Christian III, voyant les Pays-Bas inébranlablement fidèles au gouvernement et, enfin, désespérant de la France, dont la nouvelle guerre contre l'empereur se traînait sans résultats, Charles d'Egmont se résigna à déposer les armes. Il accepta, le 10 décembre 1536, la paix de Grave, par laquelle il cédait à Charles-Quint Groningue et la Drenthe, tandis qu'il le reconnaissait pour son héritier dans le duché de Gueldre et le comté de Zutphen (13). {Abbaye de Saint-Denis.) (Cliché Hachette.) Canonniers français de l'armée de François Ier. Fragment d'un bas-relief de marbre du tombeau de François I" exécuté par Pierre Bontemps en 1552 et représentant des scènes des batailles de Marignan et de Cérisoles. Si l'intervention de Charles-Quint en faveur de Christian II, quoique dictée par des considérations tout à fait étrangères à l'intérêt des Pays-Bas, eut pour eux, à la longue, les plus heureux résultats, la reprise de la guerre avec la France ne pouvait, en revanche, que tourner à leur détriment. Devenue inévitable depuis la mort du dernier duc de Milan, François-Marie Sforza (1er novembre 1535), cette nouvelle passe d'armes du grand duel qui troublait toute l'Europe, commença l'année suivante, et les provinces bourguignonnes y furent naturellement entraînées. Elle débuta même sur leur sol par un coup de main du seigneur de Sedan contre le château de Bouillon. Marie de Hongrie eût voulu, suivant l'exemple de Marguerite en 1528, faire proclamer la neutralité des provinces. Mais l'empereur ne le permit point, et elle fut contrainte de les pousser dans une lutte qui, sauf à la noblesse pourvue de commandements militaires, y était à bon droit odieuse à tout le monde. Les ressources manquaient. Charles avait bien envoyé 40,000 florins carolus, mais pour payer les trente mille piétons et les huit mille chevaux levés dans les Pays-Bas, pour réparer ou compléter les forteresses de la frontière, il fallut y ajouter 350,000 ducats empruntés sur garantie à la noblesse, 100,000 autres avancés par Anvers, et solliciter, enfin, des Etats généraux, des subsides qu'ils n'accordèrent qu'à grand'peine. La gouvernante leur avait promis, en retour de leurs sacrifices, d'éclatants succès d'où sortirait la paix. Ils les attendirent vainement. Le comte de Nassau, après avoir assiégé Péronne, battit en retraite sans avoir risqué aucune des hardies entreprises auxquelles, dans son désir passionné de mettre fin aux hostilités, Marie n'avait cessé de l'exhorter. On avait donc en perspective une nouvelle campagne pour l'été suivant, et cela avec un trésor vide, un domaine engagé jusqu'à la limite de ses revenus, des dettes criardes dont les intérêts passaient de 14 p. c. à 20 p. c. (14), et au milieu d'un mécontentement si vif qu'il faisait craindre une mutinerie. L'empereur refusait de nouveau à sa sœur l'autorisation de négocier la neutralité des Pays-Bas. Il refusait également la démission que, découragée ou feignant de l'être, elle le suppliait d'accepter. L'attitude des Etats généraux, convoqués à la fin de 1536, ne laissait guère à Marie l'espoir de les fléchir. Les Flamands déclaraient carrément « qu'ils n'étaient pas assez riches pour aider l'empereur à conquérir la France et l'Italie» (15). Pourtant, le péril devenait de plus en plus pressant. Le 16 mars 1537, François Ie1', après avoir déclaré la Flandre et l'Artois « acquis à la couronne en plein droit de propriété », franchissait la frontière. Les Etats généraux, appelés en hâte à Bruxelles, s'y réunirent huit jours après. Marie et Louis de Schore, maître des requêtes au Conseil privé, leur tinrent de longues et d'habiles harangues. Ils n'insistèrent point seulement sur la nécessité de repousser l'invasion; ils firent appel encore à l'attachement des provinces pour leurs privilèges, leur remontrant que l'empereur conservait ses sujets « en leurs franchises et libertés », tandis que l'on n'ignorait point, au contraire, la servitude que l'ennemi imposait aux siens « ainsi qu'il se voit de ceulx qu'il détient occupez de ceste maison » [de Bourgogne] (16). L'évidence du danger rendit les Etats plus maniables qu'on eût osé l'espérer. Entraînés par le Brabant, qui se déclara prêt à contribuer à la défense des territoires envahis, « toutes les provinces ne formant qu'un corps dont l'empereur est le chef » (17), ils consentirent à voter un impôt de 200,000 (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Giraudon.) François Ier roi de France. Portrait peint en 1528 par Jean Clouet. carolus par mois, destinés à la solde d'une armée de trente mille hommes. Gand seul souleva des difficultés. Les mesures de défense prises par la gouvernante et les généraux des Pays-Bas, découragèrent d'ailleurs prompte-ment le roi de France. Après avoir brûlé des villages en Artois et sur la frontière du Hainaut, il se retira vers la fin d'avril pour porter la guerre en Italie, ne laissant que quelques garnisons en Picardie. Le 30 juillet, une trêve était signée à Bomy (près de Térouanne) pour toute la région du Nord. Elle fut suivie, le 16 novembre, de celle de Monçon, précurseur elle-même de la trêve de Nice (18 juin 1538) qui ouvrit, pour quelques années, une nouvelle ère de paix. LE SOULEVEMENT DES ANABAPTISTES. -Les soins de la politique extérieure et de la guerre n'absorbèrent point uniquement Marie de Hongrie pendant cette première partie de sa régence. Elle eut à faire face aussi, au sein même des Pays-Bas, à de très graves difficultés. Charles-Quint lui avait recommandé en la quittant, comme le plus pressant de ses devoirs, la continuation de la lutte contre le luthéranisme qui, depuis 1521, avait été l'objet de mesures répressives de plus en plus impitoyables. Ces mesures, en partie du moins, avaient atteint leur but. Si Marie constatait devant les Etats généraux, en 1534, que dans certaines provinces « y a encores des subjetz qui secrètement et couvertement tiennent aucunes de ces erreurs luthériennes », il était certain cependant que la propagande s'en trouvait arrêtée et qu'elles ne recrutaient plus de nou-1 veaux adhérents. Leurs adeptes se cachaient, évitant d'en- II - 6 trer en conflit avec le gouvernement aussi longtemps que leur conscience ne les y forçait pas, et ceux d'entre eux qui, découverts par les inquisiteurs, montaient sur le bûcher, mouraient sans chercher à émouvoir le peuple; ils l'édifiaient et l'étonnaient seulement par leur constance et leur fermeté. Rien n'était moins révolutionnaire, rien n'était moins dangereux que ces néophytes. Mais la situation changea lorsque, aux environs de l'année 1530, Melchior Hoffmann et ses disciples commencèrent à répandre, sur les frontières des Pays-Bas, dans la Frise Orientale, dans l'évêché de Munster et en West-phalie, les rêveries mystiques et les espoirs apocalyptiques de l'anabaptisme. La Hollande, le pays d'Utrecht, le duché de Gueldre furent bientôt parcourus par des prophètes enthousiastes et, sur leur passage, les conversions s'accom- plirent par milliers. Les pauvres, les ouvriers, les matelots s'attachèrent passionnément à une doctrine qui leur annonçait le renversement de l'ordre établi, l'arrivée prochaine du règne des justes, la disparition des rois, des princes, des magistrats, la victoire, enfin, de l'esprit sur la chair dans un monde nouveau, éblouissant, surnaturel. L'anabaptisme ne condamnait pas seulement l'Eglise, il condamnait en même temps l'Etat et la société. Il faisait entrevoir aux malheureux un âge d'or qui les tirerait de leur longue servitude. Il leur annonçait le jour de leur triomphe comme un jour de vengeance. Il les appelait à fonder le « royaume de Dieu » par l'épée. Pendant assez longtemps, ni le gouvernement, ni les inquisiteurs ne semblent s'être doutés de ses progrès dans les régions septentrionales des Pays-Bas, ou du moins, s'ils en remarquèrent çà et là quelques symptômes, ils n'en comprirent point la nature. C'est seulement en 1531 que l'on s'aperçoit brusquement qu'une nouvelle secte vient de naître. Menacée par elle, la société s'arme pour la détruire, car ce fut beaucoup plus encore pour des motifs sociaux que pour des motifs religieux que la guerre fut déclarée aux anabaptistes. En 1534, la gouvernante les dépeignait avec effroi aux Etats généraux comme une tourbe de « gens non letterez, povres, mécanicques », ne tendant qu'au pillage des églises, des nobles, des bourgeois, des marchands, de tous les propriétaires, enfin, « pour de ce faire une masse et distribuer à chacun son vivre et sustentation » (18). Un édit publié le 1er juin 1535 les mit réellement hors la loi en punissant de mort tous ceux qui adhéraient ou avaient adhéré à leurs doctrines. Et les villes, jusqu'alors si hostiles aux placards dirigés contre l'hérésie, soutinrent et devancèrent même cette fois les efforts du gouvernement. Au commencement de 1534, les anabaptistes sont chassés d'Anvers sous peine, pour les hommes, d'être brûlés sur le bûcher, pour les femmes, d'être noyées dans l'Escaut (19). A ce moment, toute la région septentrionale des Pays-Bas fourmille de communautés anabaptistes. La misère qui vient de s'abattre sur sa population de marins par suite de la guerre avec le Danemark et de la fermeture du Sund, favorise la contagion d'une véritable folie mystique. Leyde, Delft, Harlem, Dor-drecht, La Haye, Schiedam, Rotterdam, Alcmar, Moni-kendam en Hollande, Sneek, Bolsward, Leeuwarden, Doc-kum, Groningue en Frise, sont remplis de sectaires (20). A Monikendam, ils comprennent les deux tiers des habitants, et à Groningue, on évalue leur nombre à plus de mille individus. A Amsterdam, où se trouvent les chefs du mouvement, des insurrections éclatent contre le magistrat, et c'est de cette ville et de ses environs que partent les prophètes qui, en 1534, vont organiser à Munster le « royaume de Dieu ». Pour retrouver semblable spectacle, il faut remonter jusqu'au XIVe siècle et à l'épidémie de mysticisme que provoqua la diffusion de la peste noire (21). Lors du siège de Munster, des centaines de personnes, à la voix des émissaires de Jean de Leyde, se mettent en route vers la ville sainte et marchent « au nom de Dieu » à sa délivrance. Il fallut que le gouverneur de Hollande, le comte d'Hoogstraeten, dirigeât contre elles ses compagnies d'ordonnance et les taillât en pièces. ECRASEMENT DES ANABAPTISTES. - La plus impitoyable des répressions n'arrêta pas, au reste, pendant cette année de crise (1534-35), la propagation de l'anabaptisme. Les autorités se virent débordées. Jusqu'alors l'hérésie n'avait été qu'un délit individuel : c'était maintenant le délit de tout un peuple. Le gouvernement dut autoriser la cour de Hollande à gracier les enfants, « les femmes il KSSfc Ipe A1/W /' t ^jc^y fi Ml"-'- JtyrJ^O ' le 4 y /W tv&fa-^ 1 ' ' ' T?xf (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Chambre des Comptes no 14121, années 1535-1538. fol. 3 v°.) Exécution d'anabaptistes. « Premiers, paié au boureau d'avoir mis à question et exécuté ung nommé Guillaume Mulier, X s(ous) p(arisis) » ; somme payée à son avocat (20 sous) et aux prêtres qui confessèrent le condamné (6 sous) ; somme payée au bourreau d'Arent de Jagher (10 sous) et à son avocat (20 sous). Fragment des comptes du baillage de Gand; compte rendu le 22 mai 1538 par François des Fossez, chevalier, seigneur de Scardan. (Paris. Musée Jacquemart André.) Marie de Hongrie, sœur de Charles-Quint, gouvernante des Pays-Bas (1505-1558) Portrait peint vers 1540 et attribué à Jacques Seissenegger. (Cliché Bulloz.) (Vienne, Bibliothèque Nationale, ms 2706.) Sainte Catherine à l'avant-plan d'un décor dont le tond serait occupé par le château des Comtes à Gand, du côté de la place Sainte-Pharaïlde. Miniature extraite d'une copie de la traduction allemande de VHortulus animae de S. Brant. Premier quart du XVIe siècle. corrompues par leurs maris » et « les hommes simples ». Et le nombre des supplices demeura encore si élevé, qu'il fallut recommander aux juges d'éviter les exécutions publiques par le feu ou par l'épée, et de faire noyer secrètement les condamnés (22). La crise d'ailleurs était trop violente pour durer longtemps. Elle prit fin après la chute de Munster (25 juin 1535), et l'anabaptisme perdit depuis lors son caractère révolutionnaire. Il continua pourtant de rester un objet de haine et de terreur. Aucune confession ne fournit autant de victimes à la répression de l'hérésie. Mais les supplices n'effrayaient point ses adeptes. Pendant les années suivantes, leurs doctrines, que l'on pourrait appeler, avant l'apparition du calvinisme, le « protestantisme des pauvres », continuèrent de se répandre et s'infiltrèrent largement dans les provinces du Sud, où nous les retrouverons plus tard. LA REVOLTE DE GAND. - C'est un conflit d'une tout autre nature que nous présente en 1539-1540, la célèbre révolte de Gand à laquelle on a vainement cherché des motifs religieux (23). En réalité, elle fut provoquée par des causes politiques et sociales : elle constitue le dernier épisode, sur le sol des Pays-Bas bourguignons, de la lutte séculaire entre les villes et l'Etat. Depuis la paix de Cadzant (1492), aucune ville n'avait plus pris les armes contre le prince. Après seize ans de guerre, la crise provoquée par la mort de Charles le Téméraire s'était apaisée, et les bourgeoisies, soit spontanément, soit par conviction de leur impuissance, avaient accepté le nouveau régime. D'ailleurs, ce régime ne les asservissait point au souverain. Chacune d'elles continua de posséder un très haut degré d'autonomie. Le gouvernement se garda de remanier leur administration interne; on ne voit pas qu'il ait augmenté les attributions de ses baillis urbains et moins encore qu'il ait songé à placer les grandes villes sous la menace de forteresses ou même de garnisons permanentes. Il se borna à exercer de nouveau, et désormais sans conteste, son droit de renouveler chaque année les magistrats municipaux par l'intermédiaire de commissaires désignés par lui. Il en résulta une double conséquence. Tout d'abord, les métiers perdirent le pouvoir qu'ils s'étaient arrogé d'intervenir dans l'élection de l'échevinage, et en second lieu, celui-ci fut exclusivement recruté désormais dans la bourgeoisie aisée et lettrée, c'est-à-dire dans cette classe de la population qui, fournissant à l'Etat une foule de fonctionnaires et s'adonnant aux professions libérales et aux entreprises commerciales ou industrielles suscitées par l'individualisme économique et l'esprit capitaliste, se trouvait intéressée au maintien de la situation politique et sociale à laquelle répondait lui-même le système monarchique. Ainsi, sans perturbations violentes ni conflits, l'esprit municipal se modifia. Les villes passèrent au pouvoir d'une minorité, d'une aristocratie de l'intelligence et de la fortune. Dirigé par elle, le gouvernement local n'est plus une arme tournée contre l'Etat; les anciennes aspirations à l'autonomie républicaine disparaissent. Les dépenses militaires qui, au Moyen Age, avaient absorbé la meilleure partie des ressources communales, ne grèvent plus les budgets. On laisse se rouiller la vieille artillerie municipale, on ne répare plus ni les tours, ni les murailles de l'enceinte; l'armée urbaine, jadis composée de tous les hommes valides, fournie de piques, de chariots, de tentes et d'étendards, fait place à quelques compagnies d'escrimeurs, d'archers ou d'arquebusiers, d'un caractère plus sportif encore que militaire. L'administration même des communes révèle des tendances toutes nouvelles. Elle se fait savante et paperassière, à l'imitation des Conseils de justice et des Chambres des comptes. La complexité croissante des affaires, des procès, de la correspondance ne permet plus aux échevins annuels de s'en acquitter personnellement. Ils en abandonnent la plus grande partie à un fonctionnaire spécial, permanent et bien payé, le pensionnaire ou le secrétaire, juriste de profession dont l'influence augmente constamment et qui devient, en fait, l'inspirateur et le guide du conseil urbain. La plupart des gens de métier ne virent pas s'accomplir ces transformations sans un mécontentement très vif. Ils leur attribuèrent, bien à tort, le malaise croissant dont souffraient la petite industrie et le petit commerce de plus en plus menacés par l'expansion du capitalisme et de la liberté économique. Le renchérissement des prix, ce phénomène universel au XVIe siècle, en atteignant cruellement beaucoup d'entre eux, augmentait leur hostilité contre un régime qu'ils en rendaient responsable, faute d'en comprendre la cause profonde. Les « maîtres », tout au moins les maîtres les plus aisés, purent surmonter la crise sans trop de peine. Tous ceux taient la loi aux villes et résistaient au prince. Mais impuissants, sans armes, sans organisation, que pouvaient-ils faire ? En somme, ce n'est que sous la pression de causes momentanées qu'éclatèrent çà et là des émeutes d'ailleurs facilement réprimées et qui ne rappellent en rien les guerres municipales du temps de Maximilien. Il en fut ainsi, par exemple, du soulèvement provoqué à Bois-le-Duc, en 1525, par les franchises du clergé en matière d'impôts, et de celui qui eut pour cause, à Bruxelles, en 1532, une cherté excessive des blés (25). Malgré des différences locales, la situation est identique de part et d'autre. A Bois-le-Duc comme à Bruxelles, ce sont les métiers qui dirigent le mouvement et cherchent à reprendre leur ancienne prépondérance dans le gouvernement municipal. La révolte de Gand présenta tout d'abord le même spectacle. Mais sous l'action des causes qui avaient si profondément modifié la population travailleuse, elle changea promptement de caractère. Commencée au nom des financiers, elle s'acheva en insurrection de prolétaires. (Gand, Quai aux Herbes.) (Cliché Barbaix.) La Maison des Francs-Bateliers de Gand (Schippershuis). La corporation des Francs-bateliers de Gand formait un groupe fermé et héréditaire depuis la seconde moitié du XlVe siècle. Ses membres faisaient « rompre charge », c'est-à-dire transborder dans l'embarcation d'un batelier gantois toutes les cargaisons transitant par Gand. Ils avaient également acquis un droit de priorité de navigation dans les eaux intérieures de la Flandre. Leur maison fut construite en 1530-1531 par le maitre-maçon Christophe Vanden Berghe et restaurée au début de ce siècle. qui possédaient quelque fortune augmentèrent leur outillage, le nombre de leurs employés, l'importance de leurs affaires. Ils dénaturèrent à leur profit le régime corporatif, en conservant la protection qu'il leur fournissait contre la concurrence extérieure, mais en laissant tomber toutes les garanties qu'il accordait aux « compagnons » et la plupart des restrictions qu'il imposait à la liberté des employeurs. C'est, en définitive, au détriment des compagnons et des apprentis que tournèrent les transformations subies au XVIe siècle par le régime urbain sous l'action politique de l'Etat et sous l'action sociale, beaucoup plus puissante, des phénomènes économiques. Ils furent ravalés au rang de salariés, ils ne formèrent plus qu'une classe de « gens mécaniques », sans espoir de changer leur condition, et en faveur de qui la sollicitude des pouvoirs publics se contenta d'améliorer le régime de la bienfaisance, preuve suffisamment significative de leur sort déplorable (24). Il ne faut donc point s'étonner si, parmi ces pauvres ouvriers, se maintint longtemps vivace l'espoir d'un retour à la situation que leurs pères avaient connue au XVe siècle et dans laquelle maîtres et compagnons, agissant de concert, dic- (Bruges, Bibliothèque Communale.) Reliure représentant la Pucelle de Gand. Cette reliure provient de l'atelier du monogrammiste V. C., successeur de Victor Van Crombrugghe (décédé avant juillet 1518). Les deux plats sont ornés d'une plaque représentant la pucelle de Gand assise dans un jardin clos ; à ses pieds, un lion accroupi tient une bannière à l'inscription « Ghendt ». Derrière le jardin se profilent trois tours dont celle du beffroi surmonté du dragon Gand n'était plus, au commencement du XVIe siècle, ce qu'il avait été au Moyen Age, c'est-à-dire la ville la plus industrieuse et la plus puissante des Pays-Bas. La décadence de la draperie flamande avait tari la source principale de sa fortune (26). Le métier des tisserands continuait bien à former, à côté de la poorterij et des métiers, le troisième « membre » de sa bourgeoisie, mais on ne désignait plus sous ce nom qu'un simple groupement politique comprenant des gens de toute profession au milieu desquels les derniers wevers achevaient de disparaître. Il est vrai que l'étape des blés avait fourni à la commune de nouvelles ressources; elle avait eu pour conséquence d'y susciter un très important commerce de céréales et d'en faire le centre d'une navigation fluviale très active (27). La corporation des bateliers était maintenant la plus influente de la ville. Tandis que la construction de la halle aux draps restait interrompue depuis 1441, elle se faisait élever en 1530-1531, la belle « maison » que l'on admire encore aujourd'hui comme l'un des plus splendides joyaux archéologiques de la vieille cité. Mais si prospère qu'elle ait été, la batellerie ne pouvait compenser le déclin de l'industrie drapière. Gand étonnait encore l'étranger par l'ampleur de son enceinte et la beauté de ses monuments; c'était une « vaste et merveil- (Bruxelies, Bibliothèque Royale, ms 19970.) Les Gantois s'humiliant devant Charles-Quint f1540). Aquarelle coloriée de Josse-Corneille Vermeyen dit Barba Longa (né à Beverwijk, près de Haarlem, en 1500 - décédé à Bruxelles en 1559), extraite d'un recueil de documents historiques du XVI0 siècle contenant, entre autres. « les sentences de particuliers exécutés à Gand et d'autres qui ont été bannis ». L'aquarelle était primitivement jointe au manuscrit 14899-909, fol. 3 r° du Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque Royale de Bruxelles; elle en a été retirée et rangée sous un numéro à part. leuse ville », « la plus belle et la plus ample de la chrétienté » (28), mais sa population restait stationnaire, et cette stagnation contrastait d'une manière éclatante avec les progrès étonnants qu'elle avait accomplis dans le passé. L'esprit municipal s'était conservé à Gand plus vivace que partout ailleurs. La paix de Cadzant, confirmée par Charles-Quint en 1515, n'avait aboli qu'en partie les anciens privilèges de la commune. Elle en possédait encore beaucoup plus que n'importe quelle localité des Pays-Bas. Cette étape des grains d'ailleurs, sur quoi reposait le meilleur de son commerce, n'était-elle pas un droit d'exception, et en fallait-il davantage pour entretenir dans la ville l'attachement à ce particularisme urbain dont elle avait été depuis tant de siècles le défenseur acharné ? On accusait sa population de se montrer défiante et peu sympathique à l'étranger. Gand, dit un contemporain, « n'estoit ville que pour les bourgeois, lesquels ne désirent marchands» (29). L'un des privilèges arrachés à Marie de Bourgogne en 1477 autorisait chacun des « membres de Flandre » à refuser de payer un impôt consenti par les autres membres (30). Cette concession exorbitante et bien conforme aux tendances de la réaction municipale qui sévissait alors, était rapidement tombée en désuétude à Bruges et à Ypres. Mais les Gantois, qui l'avaient imposée à la duchesse, n'avaient eu garde de s'en départir. Pendant la régence de Marguerite d'Autriche, ils l'avaient invoquée deux fois, en 1511 et 1525, et ce fut sur elle encore qu'ils fondèrent leur refus d'octroyer l'aide demandée en 1537 par Marie de Hongrie, lors de l'invasion de François Ier dans les Pays-Bas. Pressée par les circonstances, la gouvernante avait passé outre et ordonné de lever l'impôt dans le quartier de Gand, le considérant comme applicable à toute la Flandre, puisqu'il avait été voté par la majorité des quatre « membres ». De longues discussions s'ensuivirent pendant lesquelles, peu à peu, les esprits s'échauffèrent. Le peuple travailleur, les compagnons, les apprentis, les salariés soutiennent la résistance du magistrat. On ne parle plus que de restaurer les anciens privilèges, de rétablir les métiers dans toute l'étendue de leurs franchises, et bientôt l'opposition légale fait place à l'émeute. Elle éclate lors du renouvellement de la loi, à la mi-août 1539 (31). Les nouveaux échevins sont aussitôt débordés par le peuple. Les gens de métiers se mettent en grève, prétendent nommer eux-mêmes leurs doyens, exigent l'abolition du calfvel de 1515 qui ratifie la paix de Cadzant, et le retour au gouvernement de la ville par ses trois « membres » réunis en « collace »; mais ils demandent aussi que l'on empêche la sortie des grains et que l'on interdise aux couvents et aux paysans, dans un rayon de trois lieues autour de la ville, de pratiquer aucun genre d'industrie. Et ces revendications économiques, dirigées contre le commerce capitaliste des marchands de blé et la liberté industrielle, montrent mieux encore que les revendications politiques, la volonté bien arrêtée de rétablir intégralement le régime urbain du Moyen Age. Les fables les plus absurdes circulent parmi le peuple soulevé. Le bruit se répand que les magistrats tiennent caché dans le « secret » du beffroi, un vieux privilège, « l'achat de Flandre », par lequel les Gantois, pour avoir jadis racheté le comté perdu au jeu par un de leurs princes, sont à tout jamais déclarés francs d'impôts. Et là-dessus, les soupçons s'exaspèrent. Les échevins menacés et tremblants livrent au peuple une victime, Liévin Pyn, vieillard de soixante-quinze ans, faussement accusé d'avoir trahi la ville et pillé son trésor et qui, brisé par les épreuves de la torture, est porté sur un fauteuil jusqu'à l'échafaud. Les métiers, qui se sont saisis du gou!-vernement, obéissent à toutes les volontés d'une foule turbulente, ignorante, que viennent bientôt grossir une quantité d'étrangers. La grève devient permanente; on suspend la perception des « assises » communales; on confisque les biens des bourgeois qui ont pris la fuite; on déchire publiquement l'odieux calfvel au milieu d'une joie délirante, et l'on voit des enthousiastes en avaler des morceaux ou en attacher des débris à leurs chapeaux. Cependant, la gouvernante, dépourvue de troupes et à qui ses conseillers prêchent la douceur, consent à casser les échevins. Mais sa longanimité, prise pour une preuve de faiblesse, ne fait qu'empirer la situation. L'anarchie s'empare de la ville. L'autorité des doyens de métiers, choisis parmi le bas peuple et dont l'un des plus importants, celui des tisserands, ne sait ni lire ni écrire, est ouvertement méconnue. Des gens sans aveu, accourus du plat-pays dominent le mouvement et s'apprêtent à piller les couvents et les maisons des riches. Et bientôt à Audenarde, à Courtrai, à Ypres, à Lille, à Armentières, à Gram-mont, « les povres gens et aultres de petit estât prennent une attitude menaçante » (32). Le péril fut toutefois plus apparent que réel. Incapable de s'organiser parce qu'il lui manque l'esprit de classe, le prolétariat urbain s'agite dans le vide et se dépense en efforts stériles. Les villes soulevées ne s'entr'aident pas les unes les autres et ne parviennent pas à s'unir dans une action commune. Leur faiblesse militaire contraste d'ailleurs avec leur turbulence. Tandis que quatre-vingts ans auparavant, les Gantois avaient tenu tête à Philippe le Bon et affronté ses troupes en rase campagne, ils se bornent, cette fois, à réparer leurs murailles, à les garnir de leur vieille artillerie. Entre leurs forces réelles et leurs prétentions, la disproportion est éclatante. L'arrivée de vingt-deux hommes d'armes au château de Gavere leur apparaît comme une menace épouvantable. Et ils se rendent compte de leur impuissance, car, reprenant leur ancienne politique en même temps qu'ils essayent de rétablir leur ancienne constitution, ils sollicitent l'appui de François Ier, comme ils avaient sollicité, jadis, celui de Louis XI et de Charles VIII (33). Mais si le temps était passé de l'indépendance municipale, il l'était aussi des guerres entreprises à la légère, et le roi de France ne pouvait agir à l'égard de Charles-Quint comme ses prédécesseurs l'avaient fait à l'égard de Maximilien. Au surplus, il était en paix avec l'empereur et il se hâta de lui faire connaître les propositions des Gantois... Charles se trouvait en Espagne quand la révolte éclata et il ne semble pas y avoir attaché tout d'abord beaucoup (Zurich, Galerie Neupert.) Charles-Quint vers l'âge de trente ans. Portrait peint par Antonio Moro (Utrecht, 1512 - Anvers, 1577.) d'importance. Il ne partageait pas les inquiétudes de la gouvernante, qui craignit un moment de voir les anabaptistes profiter des circonstances pour s'insurger de nouveau. Il crut qu'il lui suffirait d'écrire aux mutins et qu'ils rentreraient dans le calme. Mais quand il apprit qu'ils bravaient ouvertement son autorité, qu'ils affectaient de ne l'appeler que « seigneur naturel » et non « seigneur souverain »; enfin, quand il eut été informé de leurs ouvertures à François Ier, il résolut de les frapper d'un châtiment exemplaire et d'affirmer sa puissance aux yeux de ses sujets des Pays-Bas par une répression impitoyable. Froidement décidé à la vengeance, il ne laissa pourtant rien transpirer de ses projets. Le comte du Rœulx, qu'il envoya dans la ville et qui y arriva vers la fin d'octobre, parla ferme, mais sans menaces. Il parvint d'ailleurs assez facilement à rétablir l'ordre. Il n'eut qu'à se présenter au nom de l'empereur pour rendre confiance aux échevins et aux « bonnes gens ». Bientôt on reprit le travail, on se répit à lever les « assises ». Les creesers (34) étrangers, qui avaient pendant les derniers mois empli la ville de cris et de tumulte, s'effrayaient maintenant de leur audace et ne se montraient plus. Cependant, Charles, appelé dans le Nord par les affaires de lEmpire, quittait l'Espagne au mois de novembre à la tête d'une armée. Un arrangement conclu avec François Ier lui avait ouvert le passage à travers la France. Le 21 janvier 1540, il arrivait à Valenciennes. Les Gantois n'avaient pas voulu croire à sa venue. Puis, quand il leur fallut se rendre à l'évidence, ils se rassurèrent. Ils se persuadèrent que l'empereur. « leur compatriote », et que l'on avait toujours vu si bienveillant pour ses sujets bourguignons, ne leur tiendrait point rigueur et qu'ils se tireraient d'affaire « moyennant une bonne aide ». Ils furent bientôt détrompés. Après s'être reposé quelques jours, Charles révéla brusquement ses projets. Le 14 février, « accompagné de la reine de Hongrie, de plusieurs seigneurs des pays d'en bas, des hommes d'armes ordinaires des dits pays et de cinq mille piétons allemands », il entrait à Gand au milieu de la consternation générale. Il y demeura jusqu'au 12 mai dans le vieux Prinsenhof où il était né. Pendant qu'il y recevait des ambassadeurs et travaillait avec ses ministres, il arrêtait, avec cette implacable volonté et cette obstination calme qui étaient devenues les traits saillants de son caractère, tous les détails de la punition qu'il réservait à la ville. Il voulut lui donner la forme et la solennité d'un jugement; il évita toute apparence de hâte. Les Gantois se remettaient de leur terreur et, commençant à croire que tout était oublié, s'amusaient au spectacle des brillantes cavalcades qui parcouraient journellement les rues de leur ville, où le roi des Romains était venu rejoindre son frère, lorsque, tout à coup, les arrestations commencèrent. Quelques jours plus tard, « estant assis en son siège, avironné f . .f >. > «<«.<-.■ AX] /■/*"■> (^V-.fc.v.ÇTw'S,., 4+t M4 (Gand, Archives de la Ville, charte 956.) Constitution dite « Concession Caroline » donnée à la ville de Gand par Charles-Quint, le 30 avril 1540. L'extrait photographié ci-dessus comporte le texte du serment imposé au quatrième et au cinquième secrétaire de la « keure • et la signature autographe de Charles-Quint. de ses princes, noblesse et conseil », l'empereur assistait solennellement à la lecture du réquisitoire formulé contre la « loi » de Gand par le procureur général du Grand Conseil de Malines. La cause était jugée d'avance. La sentence fut prononcée le 29 avril. Elle proclamait les Gantois coupables de « desléaulté, désobéyssance, infraction de traités, sédition, rébellion et lèse majesté ». En conséquence, elle leur enlevait tous leurs privilèges, dont les chartes seraient remises au prince, confisquait tous les biens appartenant à la commune et aux métiers, ainsi que l'artillerie de la ville, décidait que « Roland », la grosse cloche du beffroi, « serait dépendue ». Les échevins, trente bourgeois, le doyen des tisserands, dix hommes de chaque métier, cinquante personnes du « membre » des tisserands et cinquante creesers, « deschaus et à teste nue » et tous « estant en linge », feront amende honorable à l'empereur. Les fossés de l'enceinte, depuis la porte d'Anvers jusqu'à l'Escaut, seront comblés. Enfin, la ville payera sa part de l'aide refusée en 1537, une amende de 150,000 carolus d'or, une rente perpétuelle de 6,000 carolus, et elle remboursera tous ceux qu'elle a soumis à l'emprunt forcé pendant les troubles (35). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Soumission de Charles d'Egmont, duc de Gueldre. « 1543. - Caesaris victus pedibus se Clivius ecce advolvit supplex, cui et Gelrica sceptra reponit. » Gravure allégorique (Charles-Quint en empereur romain) extraite des Divi Camli V. lmperatoris Optimi Maximae Victoriae. ex multis Praecipuae, livre « Imprimé en Anvers auprès la bourse neuve en la maison de Hieronymus Cocq, paintre, Avec privilège du Roy (Philippe II) pour six ans > 115561, planche VIII. LA CONCESSION CAROLINE. — Le lendemain, 30 avril, fut proclamée la « Concession Caroline » (36), qui abolissait pour toujours l'antique constitution gantoise et qui devait rester en vigueur jusqu'à la fin de l'ancien régime. Elle ne se contente pas de mettre les échevins de Gand, comme ceux des autres villes des Pays-Bas, à la nomination du prince : elle supprime encore tous les corps autonomes entre lesquels se répartissait la population. S'inspirant de l'exemple de Charles le Téméraire en 1469, Charles-Quint détruit les « Trois Membres » de la bourgeoisie et veut que toute la population ne forme plus, à l'avenir, « qu'un seul corps et communauté ». La « collace », ce grand conseil de la commune, n'existera plus; il est remplacé par la réunion de quelques délégués des paroisses, choisis par le bailli et les échevins et décidant à la pluralité des voix. Les métiers sont réduits au rôle de simples groupements industriels, étroitement soumis au pouvoir de police des magistrats. Leurs doyens sont remplacés par des ouer-sten, institués par le bailli et les échevins; de cinquante-trois, leur nombre tombe à vingt et un. Enfin, la ville perd les derniers restes du pouvoir qu'elle avait conservé sur ses alentours (ommesaeten), et ses bourgeois forains (haghe-poorters) sont supprimés. Et pour garantir à l'avenir son obéissance et la victoire du prince, un château fort va s'élever sur l'emplacement du vieux monastère de Saint-Bavon, au confluent de l'Escaut et de la Lys. On en commença les travaux pendant que des supplices journaliers épouvantaient la population et que les maisons et l'argenterie des métiers étaient vendues à l'encan. qui finit même par inquiéter Anvers. En 1565, Guichardin la comparait à Milan, la plus riche des cités italiennes (38). Elle avait cessé d'être une commune médiévale pour se transformer en une ville moderne. Le retentissant échec de sa révolte marque une date de l'histoire des Pays-Bas. C'en fut fait désormais de la politique municipale et de l'intervention des métiers dans la vie publique. L'opposition au pouvoir monarchique n'aura plus maintenant pour organes que les assemblées d'Etat. L'ANNEXION DE LA GUELDRE. - Avant de quitter les Pays-Bas, Charles-Quint vérifia soigneusement les rouages de la machine administrative qu'il y avait montée en 1531. Il n'y trouva rien à reprendre et se borna, si l'on peut ainsi dire, à en affermir les organes. Il compléta ses ordonnances sur les Conseils collatéraux, réédita son dernier placard contre les hérétiques et enrichit enfin, par un nouvel édit général, la législation ébauchée neuf ans plus tôt. Un voyage qu'il fit à travers les provinces lui prouva que sa popularité restait intacte. S'il y avait çà et là des mécontents ce n'est point à l'empereur qu'ils s'en prenaient, mais à la gouvernante, ignorant ou feignant d'ignorer que celle-ci n'était que l'instrument des volontés de son Ainsi finit dans une répression sanglante et brutale la dernière tentative de Gand pour sauvegarder son indépendance municipale. On ne peut assister sans émotion à ce suprême effort d'une ville héroïque entre toutes et à cette conclusion lamentable d'une si glorieuse histoire. Il faut reconnaître pourtant que ce dénouement, abstraction faite des cruautés et des humiliations inutiles qui l'accompagnèrent, était inévitable. Le triomphe de Charles-Quint sur Gand s'explique en définitive par les mêmes causes qui amenèrent le déclin de Bruges et la grandeur d'Anvers. Au milieu d'une époque qui vit se développer la liberté économique et le commerce capitaliste, l'exclusivisme urbain ne pouvait plus se maintenir. Un contemporain remarque que « les marchans qui toujours désirent libertéz pour faire leurs marchandises, ne vouloient hanter, fréquenter, ne habiter Gand » (37), à cause des franchises excessives de ses bourgeois. Ils vinrent désormais s'y fixer en grand nombre et y fondèrent de puissantes maisons. L'industrie libérée du protectionnisme des métiers, se développa largement; la ville devint le grand marché des toiles flamandes, et lorsque le creusement du canal de Ter-neuzen, commencé en 1547, lui eut donné un débouché sur la mer, elle connut une ère de nouvelle prospérité qui alla grandissant jusqu'aux troubles du règne de Philippe II, et Carte des domaines de Charles d'Egmont, duc de Gueldre, en Gueldre, en Frise, à Drenthe et dans le Sticht. Cane extraite du Geschiedkundige Atlas van Nederland publié sous la direction d'A. Beekman. frère. Enfin, le 8 janvier 1541, Charles prit congé, à Luxembourg, de Marie de Hongrie et du brillant cortège de seigneurs et de dames qui l'avaient accompagné jusque-là, et il s'achemina vers l'Allemagne. Une nouvelle rupture avec François Ier était imminente et l'on pouvait douter que les Pays-Bas ne fussent entraînés dans la guerre qui allait éclater. Le 17 juillet 1540, en effet, le roi de France avait conclu un traité d'alliance avec le nouveau duc de Gueldre, Guillaume de Clèves. Il y avait déjà trois ans, à cette date, que l'éternelle question de Gueldre avait reparu sur le tapis (39). Charles d'Egmont n'avait conclu la paix de Grave (40) que pour la violer. Au mois d'octobre 1537, déchirant la promesse faite à l'empereur, il annonçait aux Etats du duché son intention de reconnaître le roi de France pour son successeur. Mais les Gueldrois, ou pour mieux dire les villes guel-droises, dont les franchises politiques étaient restées intactes et qui exerçaient en fait le gouvernement du pays, n'entendaient point passer au pouvoir d'un monarque dont les tendances absolutistes étaient bien autrement prononcées i ov' . f- A- Sf ___7 - 7T ' L-, — J- 1 " . ^J^—r ^ ZV & f . 1/ , -f-r t-c-yff*-_ > 5-5- f 1 .■•s»- «-«s. W ; (Vienne, Staatsarchiv, P A 39.) Brouillon autographe de la lettre adressée par Charles-Quint à la gouvernante Marie de Hongrie, le 29 décembre 1541. L'empereur met sa sœur en garde contre les menées du roi de France en Gueldre : « ... Et quant au roy de France et praticques qu'avez entendu il meyne en Cleves, il est tout certain de sa mauvaise volenté et qu'il fera par tout le pis qu'il pourra. Et se descouvrent continuellement de plus sesdites praticques en tous coustez et pour ce est tant plus requis s'enquerir tousiours soigneusement de ses menées et praticques tant au coustel de Gheldres, Cleves, que Dennemarque et autres lieux circonvoisins. Et que faictes le mieulx que possible vous sera pour les rebouter et empescher. Et m'advertissez le plus souvent que pourrez de ce que entendrez... » que celles de Charles-Quint. Si elles abhorraient ce qu'elles appelaient la « servitude bourguignonne », elles appréhendaient plus encore la servitude française. Elles applaudissaient à la rupture de la paix de Grave, mais à condition que ce ne fût pas François Ier qui dut en profiter. Charles d'Egmont persistant dans ses projets, elles se soulevèrent et il dut les laisser offrir sa succession à Guillaume, fils de Jean III, duc de Clèves et de Juliers, qui l'accepta. Le 27 janvier 1538, un traité reconnaissait ce jeune prince comme héritier de la Gueldre et lui remettait, conjointe-tement avec son père, l'avouerie du pays. Il fallait s'attendre à voir Marie de Hongrie s'opposer tout de suite à des arrangements qui, non seulement violaient la paix de Grave, mais menaçaient encore les provinces bourguignonnes d'un incontestable péril. Déjà héritier des duchés de Clèves et de Juliers et des comtés de Berg et de La Marck, Guillaume, en ajoutant la Gueldre au reste de ses possessions, n'allait-il pas constituer, au flanc des Pays-Bas, une formidable puissance territoriale ? Les princes de la maison des Habsbourg s'étaient toujours préoccupés d'écarter de leurs domaines néerlandais des voisins trop puissants. En 1511, Maximilien n'avait permis la réunion du duché de Juliers avec celui de Clèves que pour empêcher l'électeur de Saxe de s'introduire dans le premier de ces deux territoires. Et précisément, le danger qu'il avait dissipé de cette manière reparaissait à l'horizon. Car Sibylle, sœur aînée de Guillaume de Clèves, avait épousé Jean-Frédéric de Saxe (1526), et il pouvait se faire ainsi que le chef de la ligue de Smalkalde se trouvât quelque jour en contact avec les pays héréditaires de l'empereur, à l'égal détriment des intérêts habsbourgeois et de l'équilibre politique et religieux de l'Empire. S'il n'avait tenu qu'à Marie de Hongrie, la guerre eût éclaté tout de suite. Elle faisait dire à Guillaume, à la fin de 1537, que l'empereur n'abandonnerait jamais ses droits sur la Gueldre et, pour les affirmer solennellement, elle ordonnait, quelques jours plus tard, au Grand Conseil de Malines, d'ajouter à la longue liste des titres de Charles, ceux de duc de Gueldre et de comte de Zutphen. En même temps, elle priait son frère de lui envoyer de l'argent et des troupes. Mais Charles, retenu en Espagne, lui conseilla de temporiser avant de déchaîner une lutte dont François Ier n'aurait pas manqué de profiter, et qui peut-être aurait fait prendre les armes aux protestants d'Allemagne, avec lesquels Jean III et Guillaume entretenaient des relations suspectes. On en était là lorsque Charles d'Egmont mourut, le 30 juin 1538. Dernier représentant de la politique territoriale dans les Pays-Bas, il avait réussi, pendant près de cinquante ans, grâce à une énergie et à une habileté égales à son manque de scrupules, à préserver la Gueldre de l'absorption bourguignonne. Sauf à la fin de sa carrière, les villes gueldroises secondèrent constamment sa politique qui respectait toutes leurs franchises et sacrifiait le pays à leurs intérêts. Du reste, livré à ses propres forces, le duc eût été promptement réduit à l'impuissance. Mais l'alliance des Valois, on l'a vu, lui permit d'échapper à tous les périls. Il fut pour François Ier ce que les Liégeois avaient été pour Louis XI et Philippe de Clèves pour Charles VIII, et le roi de France n'abandonna jamais le précieux auxiliaire qui, dans ses conflits avec l'empereur, lui procurait l'inestimable avantage de menacer les Pays-Bas au centre de leurs provinces, tandis qu'il les attaquait lui-même par le sud. L'indépendance de la Gueldre ne se maintint si longtemps que grâce à la lutte des deux grandes puissances de l'Occident. Comme nous l'avons déjà remarqué si souvent, la politique territoriale dépendit, une fois de plus, des péripéties de la politique internationale : Charles d'Egmont ne resta debout qu'à la faveur de l'équilibre européen. Son successeur, Guillaume de Clèves, devait, mais avec une fortune bien différente, adopter la même attitude et recourir à la même tactique. Quelques mois à peine après avoir recueilli les domaines de Charles d'Egmont, la mort de son père Jean III (7 février 1539) faisait passer sous le pouvoir de Guillaume les duchés de Clèves et de Juliers ainsi que les comtés de Berg et de La Marck. Les négociations qu'il s'efforçait depuis longtemps déjà de nouer avec Marie de Hongrie et Charles-Quint ne pouvaient aboutir. Malgré les embarras que lui causait la révolte de Gand, la première le sommait d'évacuer la Gueldre et cherchait à s'emparer par ruse de plusieurs villes de ce duché, tandis que le second lui refusait l'investiture de l'héritage paternel. Guillaume devait donc plier ou accepter une lutte inévitable. Il se décida pour le second parti et se mit en quête d'alliés. Les princes protestants d'Allemagne effrayés de la puissance croissante de l'empereur, Henri VIII momentanément brouillé avec Charles-Quint, François Ier, enfin, qui prépare une nouvelle guerre, sont tout prêts à embrasser sa cause. Le 6 janvier 1540, le roi d'Angleterre épouse, à Greenwich, Anne de Clèves, sœur de Guillaume, qui, lui-même, le 4 juillet de l'année suivante, se fiance à Jeanne d'Albret, nièce du roi de France. Ainsi, la question de Gueldre devient une question européenne et comme le nœud des intrigues diplomatiques et des rivalités politico-religieuses des trois grands Etats de l'Occident. Charles-Quint sut détourner l'orage prêt à fondre sur lui. Il se réconcilie avec Henri VIII qui, dès le 9 juillet 1540, fait déclarer nul son mariage avec Anne de Clèves; il parvient à détacher une partie des princes allemands de Guillaume et de François Ier, puis, tranquille momentanément sur la situation de ses Etats du Nord, il se dirige, au mois d'août 1541, vers la Méditerranée, pour entreprendre son expédition contre les Maures d'Afrique. Son échec, l'année suivante, devant les murs d'Alger, poussa François Ier à l'agression qu'il préparait depuis longtemps. Allié à Guillaume de Clèves, au comte palatin, aux Electeurs de Mayence et de Saxe, au Danemark, à la Suède et à l'Ecosse, il a résolu de frapper un grand coup dans les Pays-Bas. Comme Louis XI en 1477, il en escompte à l'avance le morcellement : le roi de Danemark aura la Hollande et la Frise, le duc de Clèves, le Brabant, lui-même, enfin, la Flandre et le Hainaut (41). Les préparatifs des confédérés n'avaient point échappé à Marie de Hongrie. Avec une énergie et une activité étonnantes, elle avait mis les Pays-Bas en état de défense, demandant des subsides aux Etats généraux, restaurant les forteresses, constituant une armée. L'absence de l'empereur, retenu encore pour de longs mois dans le Sud, rendait la situation très critique. Mais la noblesse seconda de tout son pouvoir et de tout son dévouement les efforts de la gouvernante. Au mois de juillet 1542, lorsque les hostilités commencèrent, les frontières du Nord et du Midi étaient garnies' de troupes placées sous le commandement de René de Nassau, prihce d'Orange, du duc d'Aerschot, des comtes de Buren et du Rœulx. (Vienne, Kunsrhistorisches Muséum.) (Cliché A.C.L.) Tapisserie aux armes de Charles-Quint. Tapisserie exécutée par Guillaume Pannemaeker vers 1550. Pendant que Christian III faisait une démonstration navale sur les côtes de Hollande, le duc de Vendôme attaquait l'Artois, le duc d'Orléans envahissait le Luxembourg, et les bandes gueldroises, conduites par Martin van Ros-sem, pénétraient dans le Brabant. Cette fois, ce n'était plus, comme pendant les guerres précédentes, une seule province qui se voyait menacée. Elles étaient toutes également exposées au péril, et la généralité du danger eut pour conséquence l'unanimité de leur résistance. Contre toute attente, elles se montrèrent capables de supporter l'invasion sans faiblir. Le comte du Rœulx tint le duc de Vendôme en échec; le duc d'Orléans, après s'être emparé de Luxembourg, se retira devant les renforts dirigés vers cette place. Si van Rossem battit Je prince d'Orange à Brasschaet, le 24 juillet, il échoua devant les murs d'Anvers, qu'il somma vainement au nom des rois de France et de Danemark. Il ne réussit pas mieux dans un coup de main sur Louvain (2 août) dont les mauvais remparts furent énergiquement défendus par les bourgeois et les étudiants et, à l'approche des troupes qui marchaient contre lui, il battit précipitamment en retraite vers le Luxembourg, où il fit sa jonction près d'Ivoy, avec les Français. Interrompues par l'hiver, les hostilités reprirent au printemps de 1543. L'empereur se hâtait vers le Nord et son arrivée prochaine soutenait les courages. Marie de Hongrie fit occuper la Gueldre par le duc d'Aerschot, qui essuya un échec devant Sittard et ne put empêcher les Clévois de piller les frontières de la Hollande et du Limbourg. A la mi-juin, l'entrée de François Ier en Hainaut fit croire à une pointe des Français sur Bruxelles, où Marie de Hongrie accourut de Gand « pour vivre et mourir avec les bourgeois » (42). Mais la résistance des villes et le mauvais temps découragèrent le roi qui se replia bientôt en Picardie. Au mois d'août, enfin, Charles-Quint, ayant descendu la vallée du Rhin, paraissait sur le théâtre de la guerre. Il était décidé à profiter des circonstances pour en finir avec la Gueldre, et c'est vers ce territoire qu'il conduisit les vingt-six mille Italiens, Espagnols et Landsknechten qu'il amenait avec lui. Quelques jours suffirent pour réduire Guillaume de Clèves. Le 22 août, le siège était mis devant Duren qui fut pris d'assaut le surlendemain et, le 7 septembre, le duc, épouvanté, faisait sa soumission. Le traité de Venlo anéantit tous ses droits sur la Gueldre et le comté de Zutphen. L'unification des Pays-Bas était accomplie ! Le reste de la campagne se traîna dans des manoeuvres militaires sans importance. François Ier recula devant son rival (43) qui, au mois de novembre, entrait à Cambrai et y ordonnait la construction d'une citadelle destinée à couvrir la frontière méridionale des provinces bourguignonnes. Il reconnut la neutralité de la vieille cité épis-copale, qui n'en subit pas moins, depuis cette date jusqu'au commencement du XVIIe siècle, comme le pays de Liège, le protectorat des Pays-Bas. La guerre se transporta, l'année suivante, en Lorraine et en France et aboutit, enfin, le 18 septembre 1544, à la paix de Crespy. Dès le 23 mai, la paix de Spire avait rétabli définitivement les bons rapports avec le Danemark et assuré la situation désormais prépondérante du commerce hollandais dans la Baltique. L'ACHEVEMENT DES PAYS-BAS. - Les Pays-Bas furent richement récompensés des lourds sacrifices que leur coûta ce dernier duel de Charles-Quint et de Flan-çois Ier. La conquête de la Gueldre ne compléta pas seulement leur territoire, elle les affranchit aussi pour l'avenir de toute crainte d'agression dans le Nord. L'annexion de ce pays, déjà tentée par Philippe le Bon et réalisée un moment par Charles le Téméraire, était indispensable à la sécurité et à la cohésion des provinces dont elle porta le nombre à dix-sept. Ce fut pour elles un agrandissement nécessaire et ce fut aussi le dernier des agrandissements dont elles furent l'objet. Jusqu'aux conquêtes de Louis XIV, elles ne subiront plus de modifications territoriales. Il est intéressant de constater que c'est justement à la même époque où l'Etat bourguignon atteignit son étendue définitive, que l'on entreprit, sur sa frontière méridionale, la construction d'une barrière de forteresses destinées à le protéger contre la France. La trouée de la Meuse fut défendue par les places de Mariembourg (1542), de Phi- lippeville et de Charle-mont (1555), ainsi baptisées en l'honneur de Marie de Hongrie, de Charles-Quint et de Philippe II, tandis que la citadelle de Cambrai commanda l'Escaut. Au centre même du pays, Anvers fut entouré d'une nouvelle enceinte bas-tionnée qui passa longtemps pour un chef-d'œuvre de construction militaire. Ces grands travaux défensifs achevèrent de donner aux Pays-Bas la physionomie d'un Etat moderne. Construits suivant un plan d'ensemble et destinés à protéger à la fois toutes les parties du territoire, ils attestent à leur manière, comme les transformations politiques qui s'accomplissent à la même époque, les progrès du gouvernement central. La défense du pays s'unifie dans la même mesure, dans le même temps et pour les mêmes causes que son organisation administrative. Ce n'est point par hasard que les vieilles fortifications urbaines perdent leur valeur militaire à la même date où les vieilles franchises urbaines se subordonnent au pouvoir supérieur de l'Etat. Les unes et les autres avaient fait leur temps, et les transformations générales de l'époque amenèrent la disparition du particularisme municipal, comme elles rendirent les murailles des villes impuissantes contre le tir de l'artillerie, comme elles transformèrent leurs bombardes en simples objets de curiosité et réduisirent les milices communales au rôle de garde civique. LES PAYS-BAS ET L'EMPIRE. - Tandis que depuis son premier départ pour l'Espagne, en 1517, Charles-Quint n'a visité que trois fois les Pays-Bas, en 1520-1522, 1531 et 1540; depuis 1544, au contraire, jusqu'à son abdication (Collection privée de Sa Majesté la Reine des Pays-Bas.) (Cliché Oppenheim.) Charles-Quint vers l'âge de trente-cinq ans. Portrait peint par Josse de Clèves (vers 1485-1540). (Madrid, Musée du Prado.) Charles-Quint à la bataille de Miihlberg (1547), victoire remportée par l'empereur sur l'électeur Jean-Frédéric le Magnanime, chef de la coalition protestante. Tableau pein! en 1548 par Titien (1477-1578). plus tard à y implanter. Mais contraint de demander sans cesse des subsides aux Etats généraux, il ne put songer à diminuer leurs prérogatives, et les subsides ruineux qu'ils lui accordèrent, furent en réalité le prix dont ils payèrent le maintien de leur intervention dans le gouvernement. Quant à la noblesse, elle demeura aussi fidèle, aussi dévouée qu'elle l'avait été depuis le commencement du règne; elle contribua à la victoire de Muhlberg (1547) comme elle avait contribué jadis à celle de Pavie (45). Cette victoire de Muhlberg qui, en abattant les forces des protestants, fit de Charles-Quint, pour quelques années, le maître de l'Empire, lui permit de trancher dans les Pays-Bas une question ouverte depuis longtemps et toujours restée sans solution. Depuis la réunion des provinces bourguignonnes sous le sceptre de Philippe le Bon, en effet, la condition de cet ensemble de territoires n'avait pas encore été réglée. Sans doute, le lien qui rattachait à la France la Flandre et l'Artois se trouvait, après tant de guerres, définitivement rompu par les traités de Madrid et de Cambrai. Pour l'Allemagne, si la suzeraineté qu'elle exerçait depuis le IXe siècle sur les pays de la rive droite de l'Escaut, subsistait en théorie, elle n'était plus, depuis fort longtemps, que purement nominale. Les tentatives de Sigismond pour la ressaisir avaient échoué et Frédéric III n'avait rien fait pour modifier la situation. On aurait pu croire que Maximilien aurait cherché à restaurer les vieux droits de l'Empire sur la Lotharingie : il n'y songea point. Sa politique fut habsbourgeoise, elle ne fut pas impériale. En dépit des accusations que ses adversaires néerlandais lancèrent contre lui, il ne voulut pas du tout rattacher les Pays-Bas à l'Allemagne; il ne visa qu'à en assurer la pos- il y a résidé presque continuellement. C'est que les protestants d'Allemagne et la reprise de la guerre contre la France à partir de l'avènement de Henri II, le retiennent maintenant dans le Nord. Le centre des opérations militaires se déplace. Du vivant de François Ier, elles avaient eu surtout pour théâtre l'Italie et les frontières de l'Espagne; les Pays-Bas n'y avaient été entraînés que de loin en loin et jamais le roi, obligé de diviser ses forces, ne les avait menacés avec toute sa puissance. C'est sur eux, en revanche, que son successeur dirigea ses coups, si bien que, dès la fin du règne de Charles-Quint, les provinces bourguignonnes deviennent le champ de bataille des deux grandes puissances occidentales. Déjà fortement augmentées lors de la dernière campagne, les aides qui, durant la première partie du règne, n'avaient guère fourni qu'un million et demi de livres annuellement, montent à six millions en 1552 et à sept en 1555. Des emprunts écrasants, contractés sous la garantie des villes et des provinces, épuisent le crédit des Pays-Bas. Celui d'Anvers même, le plus solide de toute l'Europe, finira par sombrer dans la crise, et la banqueroute qui éclatera sous Philippe II se prépare du vivant de son père (44). Il est visible désormais que l'Etat bourguignon n'est plus le maître de ses destinées et que sa prospérité et son repos ne comptent plus pour rien dans les combinaisons politiques de son souverain. Il faut remarquer cependant que, si désastreuses qu'aient été pour la Belgique les dernières guerres de Charles-Quint, elles y ont sauvegardé du moins la liberté politique. La paix eut sûrement permis à l'empereur d'établir dans les Pays-Bas le régime absolutiste que Philippe II chercha (Madrid, Palacio de Oriente, Armeria.) Armure portée par Charles-Quint le jour de son entrée à Tunis (21 juillet 1535). Elle porte encore quelques traces de dorure. zaga, qui, envisageant la difficulté pour l'Espagne de défendre ces provinces éloignées, proposait de les troquer contre la Savoie et de les abandonner à l'infante Marie (49). Mais Charles était désormais décidé à les conserver et à les léguer à son fils. Si les souverains des Pays-Bas faisaient bon marché des droits de l'Empire sur leurs domaines néerlandais, ils ne pouvaient cependant les négliger tout à fait, et le Reichs-tag se chargeait de le leur rappeler. Sous Maximilien, il avait demandé, d'ailleurs en vain, que le gemeine Pfennig fût levé dans les fiefs impériaux des Pays-Bas et, en 1512, ceux-ci avaient été placés avec la Franche-Comté dans le « Cercle de Bourgogne ». Prise d'ailleurs sans l'assentiment des Etats généraux, cette mesure était restée lettre morte et n'avait rien changé aux rapports des provinces avec l'Allemagne : quelques années plus tard, leurs délégués à la diète d'Augsbourg pouvaient même affirmer qu'elles n'en avaient pas eu connaissance (50). Charles-Quint, devenu empereur, s'était engagé à les faire contribuer aux dépenses de l'Empire, mais il s'était heurté à un refus unanime. Ses sujets bourguignons avaient invoqué leurs privilèges; ils avaient même émis la prétention d'empêcher le gouvernement de payer de ses propres deniers, et Marguerite d'Autriche, si profondément imbue de la tradition bourguignonne, les avait secondés dans leur résistance. Charles avait d'ailleurs été enchanté d'une opposition qui favorisait ses intérêts dynastiques. Il ne demandait qu'à soutenir l'autonomie de ses « pays de par deçà », et, malgré les plaintes incessantes du Reichstag, il les avait déclarés, en 1530, exempts de toute juridiction impériale (51). Pourtant, après la conquête de la Frise, d'Utrecht, de Groningue et de la Gueldre qui, appartenant au Cercle de Westphalie, avaient conservé avec l'Empire des rapports plus suivis que les vieilles provinces bourguignonnes, la situation se compliqua. Mais le triomphe de Muhlberg vint à point pour permettre de la fixer définitivement. L'Empire étant maintenant « à l'entière dévotion de Sa Majesté » (52), il devenait facile de trouver la solution que l'on cherchait depuis si longtemps. Charles-Quint et Marie de Hongrie profitèrent aussitôt des circonstances. Ils réussirent à amener le Reichstag à leurs vues et à lui faire accepter, à Augsbourg, la transaction du 26 juin 1548. Les Pays-Bas constituèrent désormais un seul Cercle. session à sa dynastie (46). Pendant la réaction bourguignonne qui caractérise la plus grande partie du règne de Philippe le Beau, le prince, d'accord avec ses conseillers et la tradition nationale, se préoccupa moins encore de la suzeraineté allemande. En 1496, on se plaignait au Reichstag qu'ayant fait hommage au roi de France, il n'eût point relevé ses fiefs d'Empire. Néanmoins, lors de l'avènement de Charles-Quint, les projets de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire pour obtenir la reconnaissance officielle des Pays-Bas comme Etat distinct ne s'étaient pas encore réalisés. L'indépendance des provinces comme la souveraineté de leur prince, à défaut de titre légal, restaient incomplètes. Mais Charles-Quint était assez puissant pour atteindre au but. Il semble avoir songé tout d'abord, comme son arrière-grand-père, Charles le Téméraire, à ériger en royaume ses domaines bourguignons. L'autorité impériale dont il était revêtu et la renonciation de François Ier aux droits de la France sur la Flandre et l'Artois, devaient lui faciliter l'exécution de ce plan dont il fut sérieusement question en 1527 (47). Si ce projet s'inspire encore incontestablement de la tradition bourguignonne, il n'en est plus de même des velléités qu'eut l'empereur en 1539 et 1544, de donner les Pays-Bas à l'une de ses filles (48). Il n'agit plus dans ces circonstances qu'en vertu de combinaisons tout à fait étrangères à l'intérêt des provinces. La princesse Marie, pourvue des Pays-Bas, eût épousé le duc d'Orléans, le plus jeune fils du roi de France, et François Ier eût renoncé, au prix de ce mariage, à ses prétentions sur le Milanais. On peut douter d'ailleurs que ces arrangements aient été bien sérieux. Les Pays-Bas constituaient à la maison de Habsbourg, dans le nord de l'Europe, une position trop précieuse pour que Charles se soit facilement décidé à y renoncer. La seule conclusion à tirer de son attitude à leur égard, c'est qu'il ne les considérait plus que comme un appoint utile aux combinaisons de sa politique mondiale. LE CERCLE DE BOURGOGNE. — Or, à mesure que celle-ci s'affirmait davantage, la nécessité de lui garantir une base d'opérations entre la France, l'Allemagne et l'Angleterre apparut plus clairement, et l'idée d'ériger les territoires bourguignons en royaume indépendant cessa d'occuper l'empereur. Elle fut reprise sans succès en 1546 ou 1547, par un de ses conseillers castillans, Fernando Gon- (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) Marie de Hongrie, sœur de Charles-Quint, gouvernante des Pays-Bas (1505-1558). Buste de bronze exécuté par Leone Leoni (portant l'inscription D(OMINA) MAR(IA) HVNG(ARIAE) REG(INA). Hauteur : 0 m. 67S. —> (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) (Cliché A.C.L.) Charles-Quint. Buste de bronze exécuté par Leone Leoni (1509-1590). Hauteur : I m. 13. Ce buste faisait partie des bagages de Charles-Quint et de son fils. Philippe, lorsqu'ils séjournèrent à Bruxelles en 1549 et à Augsbourg en 1551. En 1555, Leoni l'envoya à Granvelle ; en 1600, il fut achete par l'empereur Rodolphe II; en 1648, les Suédois s'en emparèrent à Prague; le comte Lodron, ministre d'Autriche à Stockholm, le racheta Jtf It'P-oy  CA W p** 'fyhgWv' ti tfbt'/t'ir'f&- C fç ti'^rj -y ûii^f tmJméy 72*7 f&y ÏV 'Fcotyvr'! ^Jï'i^r bottf 'fr^/'rtn & tï"/pw/b/M itouf (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Musée.) Paroles prononcées en français par Philippe II devant les Etats généraux, le jour de l'abdication de Charles-Quint (25 octobre 1555). « Messieurs, combien que j'entendz raisonablement le langaige francois, si ne l'ay je encorres si prompt que pour vous povoir parler en icelluv. Vous entendrez ce que levesque d'Arras (Granvelle) vous dira de ma part. » Une tradition postérieure attribue la rédaction de ce billet à Viglius, chef-président du Conseil Privé, qui assista à l'abdication de l'empereur. Résolu à maintenir indissoluble l'union personnelle des Pays-Bas avec la monarchie espagnole, Charles-Quint prit habilement des mesures pour écarter ce danger. La pragmatique sanction, soumise aux divers Etats provinciaux et acceptée par eux, unifia le droit successoral de tous les territoires bourguignons et y établit d'une manière identique « la représentation en matière de succession, soit de mâles, soit de femelles..., tant en ligne directe que transversale et jusqu'au nombre infini, nonobstant toutes coutumes d'aucuns de nos dits pays à ce contraires ». Elaborées en vertu de considérations purement dynastiques, la transaction d'Augsbourg et la pragmatique sanction n'en apparaissent pas moins comme le couronnement naturel de l'évolution politique suivie par les Pays-Bas depuis le XIIe siècle. Par elles s'achève le double mouvement qui depuis si longtemps détachait les provinces et de la France et de l'Allemagne pour les agglomérer les unes aux autres. L'oeuvre entreprise par les ducs de Bourgogne est désormais accomplie. Les Pays-Bas constituent un tout indivisible, un seul corps politique, dont toutes les parties ayant volontairement accepté le même droit public et la même dynastie, sont étroitement unies. Mais cette union qu'elles viennent de contracter et à laquelle Charles-Quint et Marie de Hongrie les exhortaient depuis si longtemps, si elle augmente leur force en augmentant leur cohésion, les rive en même temps à l'Espagne. Par une singulière rencontre, l'unité nationale s'accomplit au profit d'une puissance étrangère, et la contradiction qu'elle implique prépare, à l'insu de tout le monde, la révolution prochaine. connaissance de ses futurs sujets et recevoir leurs serments. Rien en lui ne trahissait extérieurement l'Espagnol. II avait la barbe et les cheveux blonds, les yeux bleus, le teint clair des gens du Nord. Le nom même qu'il portait, ce nom essentiellement bourguignon de Philippe, semblait le rattacher à la vieille lignée des princes nationaux. Mais il ignorait complètement le flamand, ne s'exprimait en français qu'avec difficulté, ne parvenait point à cacher son antipathie pour l'exubérance et la liberté d'allures des habitants et, froid, grave, compassé, ne quittait guère le duc d'Albe et les seigneurs castillans qui l'avaient accompagné dans son voyage. Bref, tel Charles-Quint était apparu jadis en Espagne, tel Philippe apparaissait maintenant en Belgique : il était et il devait toujours rester un étranger pour ses « pays de par deçà ». Néanmoins, si on le reçut sans enthousiasme, on lui prodigua les preuves d'un loyalisme sincère. Les villes rivalisèrent de luxe pour fêter ses joyeuses entrées. Les plus grands seigneurs le sollicitèrent d'être parrain de leurs enfants. A défaut de popularité, on lui témoigna, pendant son séjour, du dévouement, de la déférence et du respect. Il partit pour l'Allemagne au mois de juin 1550. Ses efforts et ceux de Charles pour amener Ferdinand et les princes de l'Empire à lui conférer le titre de roi des Romains Au moment où la pragmatique sanction fut adoptée par les provinces, Philippe II se trouvait depuis plusieurs mois déjà dans les Pays-Bas. Il y était arrivé sur l'ordre de son père le 17 mars 1549, pour faire la (Amsterdam, Rijksprentencabinet.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Siège de Térouanne par les armées impériales (1553). A droite, le camp de Henri de Bréderode ; au centre, le camp du comte d'Epinoy qui mourut pendant le siège et fut remplacé par Guillaume d'Orange. Gravure sur bois de Corneille Anthonisz. Episode de la première campagne contre la France (1552-1554). n'aboutirent point; tout ce qu'il obtint à la diète d'Augsbourg (7 mars 1551), ce fut l'investiture des Pays-Bas. Puis il prit congé de son père et s'achemina vers l'Espagne. REPRISE DE LA GUERRE AVEC LA FRANCE. — Quelques mois plus tard, le 26 septembre 1551, la déclaration de guerre de Henri II à Charles-Quint était proclamée à Bruxelles. Cette guerre, qui fut si longue et si terrible et pendant laquelle les efforts combinés de la France et des princes protestants ébranlèrent pour la première fois la puissance de Charles-Quint, n'éprouva tout d'abord en Belgique que les frontières du Luxembourg et du Hainaut (55). Les Français avaient dirigé leurs premières opérations contre la Lorraine où l'empereur, après avoir conclu la paix de Passau avec les princes protestants, vint entreprendre vainement le siège de Metz (octobre-décembre 1552). Les opérations militaires se déplacèrent ensuite vers les Pays-Bas. En 1553, les Impériaux s emparent de Térouanne et de Hesdin, qu'ils rasent jusqu'au sol. En revanche, l'année suivante, les troupes françaises, commandées par le roi lui-même, envahissent la Belgique par la vallée de la Meuse. Après la prise de Mariembourg, dont la garnison insuffisante capitule, aucun obstacle sérieux ne s'oppose plus à leur marche en avant. Bouvignes est emporté d'assaut et livré aux flammes. Dinant ouvre ses portes après une courte canonnade. Tout l'Entre-Sambre-et-Meuse tombe aux mains de l'ennemi qui peut se porter à son gré sur Liège, pour empêcher l'arrivée des renforts que l'empereur attend d'Allemagne, ou sur Bruxelles, où Marie de Hongrie met la bourgeoisie sous les armes. Mais Charles-Quint vient se poster à Namur avec toutes ses forces et le roi de France, n'osant marcher vers le nord et s'exposer à une attaque de flanc, passe la Sambre à Châtelet et envoie son avant-garde dans la direction de Nivelles. Les corps impériaux concentrés à Gembloux par Emmanuel-Philibert de Savoie, à qui Charles a confié le commandement général de ses armées, arrêtent ce mouvement. Henri II renonce alors à pénétrer en Brabant. Il dirige sa marche vers l'ouest, traverse le Hainaut en le dévastant, brûle, à Binche, le palais construit par la gouvernante et fait subir le même sort au château de Marie-mont, puis, poursuivi par son adversaire, il vient mettre le siège devant Renty, après avoir livré aux flammes sur son passage Maubeuge et Bavai. Charles-Quint, renforcé par un corps espagnol que son fils vient de lui envoyer, offre vainement la bataille à son adversaire, qui bat en retraite le 14 août. Egalement épuisés après trois ans de lutte, ni le roi, ni l'empereur ne pouvaient continuer une guerre qui les ruinait sans résultats. Ils se décidèrent à entamer des négociations; elles aboutirent, le 5 février 1556, à la trêve de Vaucelles, conclue pour cinq ans sur la base du statu quo. ABDICATION DE CHARLES-QUINT. - Les Pays-Bas n'appartenaient plus à Charles-Quint le jour où cette trêve fut signée. Depuis quelque temps déjà, l'empereur, rongé de goutte et accablé d'infirmités, songeait à se décharger du fardeau des affaires et à consacrer dans la retraite, au salut de son âme, les courtes années qu'il lui restait à vivre. Il avait assuré le sort de son immense monarchie et pouvait l'abandonner sans crainte aux mains de son fils. S'il n'avait pu Momie de Charles-Quint. Dessin exécuté par Rico Y Ortega lors de l'ouverture des tombeaux royaux à l'Escurial en 1872. Extrait de J. Babelon : Charles-Quint, p. 336. (Paris, 1947, in-8°.) garantir à Philippe II sa succession dans l'Empire, il venait de lui obtenir une brillante compensation en le mariant à Marie Tudor (25 juillet 1554). Désormais, installée à la fois dans les Pays-Bas et en Angleterre, la maison de Habsbourg devenait aussi formidable dans le Nord que dans le Sud de l'Europe. Elle dominait la mer du Nord comme elle dominait la Méditerranée, enserrait la France de toutes parts et semblait devoir l'écraser dans son étreinte. Charles pouvait donc considérer sa tâche comme terminée et léguer à son héritier l'avenir de sa dynastie et le rôle de champion du catholicisme. Il résolut de se dépouiller tout d'abord des Pays-Bas, où il avait commencé de régner et où les péripéties de sa carrière si agitée le ramenaient au moment de son abdication. Mandé par lui, Philippe II arriva de Londres à Bruxelles le 8 septembre 1555, et, six semaines plus tard, le 25 octobre, l'empereur vêtu de deuil, à l'occasion de la mort récente de sa mère, s'appuyant d'une main sur un bâton, de l'autre sur l'épaule du prince d'Orange, paraissait pour la dernière fois devant les Etats généraux (56). Après un discours du conseiller Bruxelles, il prit lui-même la parole, s'aidant de notes tracées sur un bout de papier qu'il approchait de ses lunettes. Il commença par rappeler son émancipation qui, quarante ans auparavant, s'était accomplie dans cette même salle. Puis, jetant un coup d'œil sur son long règne, il mentionna ses voyages incessants, ses tra- U - 7 L—'iW (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) « La magnifique et sumptueuse pompe funebre faite aus obseques et funerailles du tresgrand et tresvictorieus empereur Charles Cinquième, celebrees en la ville de Bruxelles le XXIX jour du mois de décembre M.D. LVIII par Philippes Roy catholique d'Espaigne, son fils. » Détail de la pompe funèbre de Charles-Quint (p. 29) : « Ici marchoient, Apres le grand Estandart des couleurs, les Gentils-hommes de la Chambre du Roy, et ceus qui furent de celle de l'Empereur son Pere, ensemble plusieurs grans Seigneurs. » De gauche à droite, le marquis de Las Navas, le comte d'Olivares, le duc d'Albe, Toison d'Or, le duc de Brunswick, le roy « chief du dueil le duc d'Arcos, le comte de Melito et le duc de Savoie. Livre imprimé S Anvers sur les presses de Christophe Plantin en 1559. vaux, ses guerres, les périls qui l'avaient assailli si souvent. Aujourd'hui, l'heure avait sonné de se débarrasser d'un fardeau devenu trop lourd; il s'en déchargeait sur son fils qu'il recommandait à l'affection des provinces, les exhortant à rester unies, à soutenir la justice et à combattre l'hérésie. Des larmes coulèrent de ses yeux et des hoquets entrecoupaient sa voix lorsque, arrivé à la fin de sa harangue, il demanda pardon des fautes qu'il avait pu commettre. Puis, se reprenant : « Si je pleure, Messieurs, ajouta-t-il, ne croyez pas que ce soit pour la souveraineté que j'abandonne : c'est pour l'obligation où je suis de m'éloigner du pays de ma naissance et de me séparer de vassaux tels que ceux que j'y avais. » Et, certes, son émotion était sincère. En cette heure solennelle, les impressions de son enfance et de sa jeunesse durent se représenter en foule, dans toute leur fraîcheur, à sa mémoire fatiguée. Sans doute, il vit repasser dans son souvenir l'entourage familier de ses premières années : Marguerite d'Autriche, Adrien d'Utrecht, Chièvres et les fêtes populaires auxquelles, n'étant encore que duc du Luxembourg, il avait si souvent assisté et où il avait recueilli tant de témoignages d'amour et de dévouement. Au milieu des sanglots et des soupirs des assistants, il se sentit redevenir le compatriote de ses premiers sujets et son cœur battit à l'unisson de leurs cœurs. Mais le charme fut rompu lorsqu'on l'entendit s'adresser en espagnol à son fils pour l'investir de la souveraineté, et lorsque celui-ci, se tournant vers les Etats, s'excusa de ne pouvoir s'exprimer en français. L'évêque d'Arras, Gran-velle, leur parla en son nom et leur prodigua des promesses que les événements devaient si cruellement démentir. Enfin, la gouvernante renouvela l'émotion de l'assemblée en lui faisant part de sa résolution d'accompagner l'empereur dans la retraite et en l'assurant de l'affection qu'elle conserverait toujours pour les Pays-Bas. Charles-Quint passa encore plusieurs mois à Bruxelles, confiné dans une petite maison située dans le parc, derrière le palais, et dont il avait fait, depuis quelque temps, sa demeure habituelle. Ce fut seulement après avoir cédé ses possessions d'Espagne, d'Italie et du Nouveau Monde à Philippe II (16 janvier 1556) et après avoir assisté à la signature de la trêve de Vaucelles, qu'il s'embarqua pour la Castille, dans le port de Flessingue, le 14 septembre 1556, avec ses sœurs Marie et Eléonore. Quelques jours auparavant, il avait fait sceller à Souburg, dans l'île de Walcheren, ses lettres de renonciation à l'Empire. CONCLUSION. — Si depuis Charlemagne aucun prince n'a exercé sur l'Europe une action comparable à la sienne, dans le domaine restreint de l'histoire de Belgique, son règne demeure unique par l'importance des événements qui s'y sont déroulés et par les conséquences qu'ils ont produites. Toutes les phases de son étonnante carrière se sont répercutées sur les Pays-Bas. Pendant son adolescence maladive et mélancolique, livrée à l'influence de Chièvres, Charles n'est encore qu'un prince bourguignon, ami de la France et contrecarrant la politique autrichienne. Au moment où il recueille l'héritage de Ferdinand le Catholique, il semble que l'Espagne, où il débarque en étranger et qu'il abandonne tout d'abord à l'exploitation de ses courtisans et de ses favoris, soit devenue une province belge. Mais en même temps que la révolte des Comuneros lui dessille les yeux, l'acquisition de l'Empire, l'hostilité déclarée de François Ier, l'apparition de la Réforme lui imposent une politique mondiale. Pendant quelque temps, ses vieux serviteurs bourguignons restent les instruments de son pouvoir : il conserve Chièvres comme premier ministre, fait monter Adrien d'Utrecht sur le trône pontifical, donne à Lannoy la vice-royauté de Naples. Puis, après la mort de Chièvres, il s'émancipe de l'influence de ses compatriotes. S'il utilise encore leurs services, s'il ne cesse de faire appel à leur dévouement, s'il les emploie sur les champs de bataille et dans les négociations diplomatiques, surtout s'il met leurs richesses à contribution, il ne leur ouvre plus son conseil et ce sont maintenant un Savoyard comme Gattinara, des Francs-Comtois comme les Granvelle ou des Espagnols comme Los Covos ou Fernando Gonzaga qui ont la première place dans sa confiance. Les Pays-Bas s'absorbent dans l'énormité de sa monarchie et doivent se plier à ses desseins. L'autonomie relative qu'ils ont conservée sous Marguerite d'Autriche disparaît sous Marie de Hongrie. Il n'est plus question de les ériger en royaume indépendant et si, en 1548, ils sont détachés de l'Empire, ce n'est que pour être plus solidement reliés à l'Espagne. A la fin du règne, toutes les précautions ont été prises pour qu'ils ne puissent plus lui échapper et gravitent désormais dans son orbite. Mais pendant que leur prince les sacrifie à la grandeur de sa dynastie et à ses rêves de domination universelle, il les organise et les consolide.à l'intérieur. Par l'annexion du Tournaisis, d'Utrecht, de la Frise, de la Gueldre, par la soumission du pays de Liège au protectorat du gouvernement de Bruxelles, il constitue définitivement leur territoire et complète l'oeuvre inachevée des ducs de Bourgogne. Il augmente leur cohésion en perfectionnant leurs institutions centrales, en dotant leurs provinces des premiers principes d'une législation commune, en fortifiant leurs frontières, en agglomérant, enfin, toutes leurs provinces en un seul corps d'Etat par la transaction d'Augsbourg et la pragmatique sanction. Pourtant, il n'a point été jusqu'au bout dans ce grand travail. L'organisation monarchique qu'il a donnée aux. Pays-Bas n'y a point détruit les vieux privilèges politiques des provinces et n'y a point fait disparaître les prérogatives des Etats généraux. Seul, parmi tous les domaines qu'il lègue à son fils, l'Etat bourguignon n'est point soumis à la volonté toute-puissante de son souverain. Il y a une contradiction flagrante entre la subordination qui lui est imposée dans la politique extérieure et l'autonomie qu'il conserve dans son gouvernement interne. Elle se dévoilera tout à coup sous le règne de Philippe II, et l'opposition nationale qui éclatera contre l'Espagne sera d'autant plus dangereuse que, grâce aux réformes de Charles-Quint, les Pays-Bas se trouveront plus capables de s'unir en un même mouvement et de combiner leurs efforts. NOTES (1) Gachard, Analectes belgiques, p. 382. (2) Voir son portrait tout à fait séduisant au musée impérial de Vienne, dans la collection de l'archiduc Ferdinand, reproduit dans le Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen des allerhochsten Kaiserhauses, t. XIV, p. 142 (Vienne, 1893). Autre portrait d'elle, à l'âge de vingt-cinq ans, par J. Seisenegger, au musée Jacquemart-André, à Paris. (3) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. X, p. 132. (4) « Il n'est guère possible, écrivait-elle à Charles-Quint en 1555, de satisfaire à la fois sa conscience et les sujets de son souverain ». Henne, loc. cit., p. 243. (5) Conservée aujourd'hui au Musée National de Naples. (6) Gachard, Analectes belgiques, p. 385. (7) Register van Aert van der Goes, t. I, p. 328 (Je désignerai ainsi le registre de Van der Goes, publié sous le titre de : Holland onder de regeering van keirer Karel V en koning Philips II. [Amsterdam, 1791, 7 vol.]) (8) Pour les rapports avec le Danemark, voy. D. Schâfer, Geschichte von Danemark, t. IV, p. 172 et suiv. (Gotha, 1893), ainsi que le récit détaillé de Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. VI, p. 5 et suiv. (9) Voy. entre autres la protestation des quatre « membres de Flandre » (mai, 1532) dans Gilliodts van Severen, Cartulaire de l'ancienne estaple de Bruges, t. II, p. 625 (Bruges, 1905). (10) Les considérations dont s'inspira le gouvernement sont fort bien exposées dans un rapport du comte d'Hoogstraeten, gouverneur de Hollande, publié par Altmeyer, Histoire des relations commerciales et diplomatiques des Pays-Bas avec le Nord de l'Europe au XVIe siècle, p. 207. (11) Ce beau principe ne dissimulait d'ailleurs qu'une politique d'intérêts, comme le remarque très exactement D. Schafer, Geschichte von Danemark, t. IV, p. 260. (12) La paix entre le Danemark et Charles-Quint fut signée à Spire en mai 1544. (13) Sur ces événements, cf. Blok, Geschiedenis van het Nederlandsche Volk, t. II, 372 et suiv. (14) R. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. II, p. 49 (Iena, 1896). (15) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. VI, p. 168. (16) Gachard, Relation des troubles de Gand sous Charles-Quint, p. 180, (Bruxelles, 1846). (17) Register van Aert van der Goes, t. I, p. 537. (18) Altmeyer, Hist. des relat. des Pays-Bas avec le Nord, p. 307. (19) Antwerpsch Archievenblad, t. II, p. 329 (Anvers. 1865). (20) C.-A. Cornélius, Die Niederlândischen Wiedertàufer wàhrend der Belagerung Munsters. Abhandlungen der hist. Classe der Bayerischen Akademie, t. XI2 [1869], p 51-111. (21) Histoire de Belgique, t. II, 3e édit., p. 199. (22) Cornélius, Die Niederlândischen Wiedertàufer, p. 56. (23) Voy. par exemple Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, t. VI, p. 96. — Il y avait certainement des luthériens à Gand en 1539. Mais dans aucune des relations contemporaines, on ne découvre leur action. Le fervent catholique, auteur de la relation publiée par Gachard, leur attribue tout le mal, mais par pure passion religieuse et sans en donner la moindre preuve. (24) Cf. plus loin, livre II, chapitre II. (25) Sur ces émeutes, voy. Henne, Hist. de Charles-Quint, t. IV, p. 57, et VI, p. 23, qui me semble en exagérer beaucoup l'importance. Il faut joindre à son récit, en ce qui concerne celle de Bruxelles, les documents publiés dans le Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 3e série, t. III [1862], p. 358 et suiv. (26) En 1543, il n'y avait plus dans la ville que 25 métiers battant. De Potter, Gent van den oudsten tijd tôt heden, t. VIII, p. 177 (Gand, 1901). (27) G. Bigwood, Gand et la circulation des grains en Flandre du XIVe au XVIIIe siècle. Vierteljahrschrift fur Social- und Wirtschaftsgeschichte, t. IV [1906], p. 397 et suiv. (28) Gachard, Relation des troubles de Gandt, p. 72. (29) Gachard, ibid., p. 155. (30) Cf. plus haut, p. 18. (31) Les deux sources principales, relatives à la révolte de Gand, sont la relation d'un contemporain (lillois ?), publiée par Gachard, avec un riche appendice de pièces justificatives et une petite relation flamande contemporaine (Gachard, Relation des troubles de Gand sous Charles-Quint, [Bruxelles, 1846]), et le mémoire officiel attribué jadis à d'Hollander, mais qui est, en réalité, de Louis de Schore, président du Conseil privé (Hoynck van Papendrecht, Analecta Belgica, t. III2 [La Haye, 1743]). Le travail de Ch. Steur, Mémoire sur les troubles de Gand de 1540 (Bruxelles, 1834) est encore utile à consulter. Il faut y joindre naturellement l'exposé minutieux, mais peu impartial, de Henne, op. cit., t. VI et VII, et plus récemment une étude de V. van der Haeghen, Le procès du chef-doyen Liévin Pyn. Annales de la Société d'Hist. de Gand. t. V [1904], p. 295. (32) Gachard, Troubles de Gand, p. 265. — Sur la révolte d'Audenarde, voir les curieux documents publiés par van Lerberghe et Ronsse, Audenaerdsche Mengelingen, t. I, p. 40 et suiv. (Audenarde, 1845). Le caractère social du mouvement y apparaît aussi clairement qu'à Gand. Mais il semble y avoir eu là, en plus, une légère influence luthérienne. (33) Ch. Steur, Mémoire, etc., a vainement cherché à nier le fait, et il est curieux de constater que Gachard qui, dès 1846, avait publié dans les pièces justificatives annexées à la relation des troubles (p. 253), une lettre de Charles-Quint à Marie de Hongrie qui l'établit de la façon la plus irrécusable, l'ait mis en doute dans la notice consacrée par lui à l'empereur au t. III, p. 623, de la Biographie Nationale. — Les Gantois invoquèrent, ppur obtenir l'aide de François I®r, le «lit de justice» de 1537, qui avait de nouveau affirmé les droits du roi sur la Flandre. Voy. Lavisse-Lemonnier, Histoire de France, t. V2, p. 95 (Paris, 1904). (34) L'étymologie de ce nom est inconnue. C'était, en tout cas, une injure (De Potter, Geschiedenis der stad Aalst, t. I, p. 359 [Gent, 1873]). On le trouve déjà appliqué aux émeutiers d'Alost en 1525 (Henne, Hist. de Charles-Quint, t. VI, p. 304 et suiv.) La plupart de ces creesers étaient certainement des étrangers à la ville, car creeser est employé dans un texte de 1539, comme synonyme de haghepoorter (De Potter, loc. cit., p. 359 et suiv.) (35) Voyez le texte de cette sentence dans Gachard, Troubles de Gand, p. 112 et suiv. (36) Gachard, op. cit., p. 134 et suiv. — Charles-Quint modifia également l'organisation municipale des villes qui s'étaient révoltées i l'exemple de Gand. Voy. les règlements donnés à Grammont (Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 281), à Courtrai (Ibid., p. 306) et à Audenarde (Ibid., p. 322). (37) Gachard, Troubles de Gand, p. 155. (38) Henne, Hist. de Charles-Quint, t. VII, p. 115, aveuglé par son hostilité pour Charles-Quint, considère que les événements de 1540 ont amené la ruine de Gand î (39) Voy. pour ces événements : Henne, Hist. de Charles-Quint, t. VII, p. 267; Blok, Geschiedenis van het Nederlandsche Volk, t. II, p. 389. et. en particulier, P. Heidrich, Der geldrische Erbfolgestreit (Cassel, 1896). (40) Voy. plus haut, p. 76. (41) Henne, Hist. du règne de Charles-Quint, t. VII, p. 329. (42) Henne, Hist. du règne de Charles-Quint, t. VIII, p. 113. (43) Sur cette reculade du roi de France, voy. les documents nouveaux publiés par A. Cauchie, Deux épisodes de la lutte de François Jer avec Charles-Quint en 1543 Bullet. de la Commission Roy. d'H'st., 5<> série, t. I [1891], p. 41. (44) R. Ehrenberg, D as Zeitalter der Ftigger, t. I, p. 155. (45) Sur les services militaires rendus par la noblesse belge à Charles-Quint pendant ses campagnes contre les protestants d'Allemagne, voy. P. Kannengiesser, Karl V und Maximilian Egmont, Graf von Biiren (Fribourg en Br. 1895), (46) Ct. F. Rachfahl, Die Trennung der Niederlande vont deutschen Reiche. West-deutsche Zeitschrift /tir Geschichte und Kunst, t. XIX [1900], p. 79 et suiv., dont je suis l'opinion ici et dans les pages suivantes. (47) E. de Marneffe, La principauté de Liège et les Pays-Bas au XVI» siècle, t. I, p. 81 (Liège, 1887). (48) Henne, Hist. de Charles-Quint, t. VII, p. 292; E. Gossart, Notes pour servir à l'histoire du règne de Charles-Quint. Mémoires de l'Académie Royale de Belgique, t. LV [1897], p. 68 et suiv. (49) E. Gossart, Projets d'érection des Pays-Bas en royaume sous Philippe II. Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, 1900, p. 576. (50) K. Lanz, Staatspapiere zur Geschichte des Kaisers Karl V, p. 420 (Stuttgart, 1845). (51) Henne, Hist. du règne de Charles-Quint, t. V, p. 126. (52) Voy. les instructions de Marie de Hongrie publiées par Lanz, Staatspapiere, p. 422. (53) Rachfahl, Die Trennung, «fc., p. 98 et suiv. — Sur la situation respective des Pays-Bas et de l'Empire, voy. encore G. Turba, Ueber das rechtliche Verhaltniss der Niederlande zum deutschen Reiche. Drittes ]ahresbericht des K. K. Staats-Gymnasiums im XIII Bezirke in Wien (Vienne, 1903). — Un des buts de la convention d'Augsbourg aurait encore été d'empêcher à l'avenir certains seigneurs des Pays-Bas de revendiquer la qualité de princes d'Empire. Voy. les explications données par Granvelle à Philippe II sur ce sujet dans Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. clxxxvm (Bruxelles, 1848). (54) E. de Borchgrave, Histoire des rapports de droit public qui existèrent entre les provinces belges et l'empire d'Allemagne, p. 208 (Bruxelles, 1870). (55) Henne, Hist. du règne de Charles-Quint, t. IX, p. 139. (56) Voir tous les détails de cette cérémonie dans Gachard, L'abdication de Charles-Quint. Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, t. XXI, 28 partie [1854], p. 880. (Cliché A.C.L.l La cour du palais des Princes-Evêques à Liège. Le palais primitif, édifié par Notger, avait été détruit par un incendie en 1185 et le second en 1505. C'est Aert Van Mulcken, l'architecte des églises Saint-Jacques et Saint-Martin, qui entama en 1526 la construction du nouveau bâtiment qui sert aujourd'hui de Palais de Justice. CHAPITRE VI LE PAYS DE LIEGE K/ry% UILLAUME DE LA MARCK. - L'effon-I^W/ g) drement de la puissance bourguignonne après mor,: de Charles le Téméraire, avait affran-cbi le pays de Liège du joug qui pesait sur » lui depuis 1468. Au milieu des périls dont elle se voyait environnée, Marie de Bourgogne ne pouvait songer à conserver cette conquête de son père. Dès le 19 mars 1477, elle renonçait à tous « droits, querelle et action » sur la principauté, et, quelques jours plus tard, le supplice de leur ancien gouverneur, Humbercourt, put être considéré par les Liégeois comme attestant la chute définitive du régime dont ils avaient tant souffert. Ils en profitèrent pour rétablir tout de suite leur ancienne constitution. Le 15 avril, ils suppliaient Louis de Bourbon de se conduire désormais par l'avis des Etats et d'abandonner à leur décision les déclarations de guerre ou les conclusions d'alliances, la levée des impôts et la frappe de la monnaie. Mais l'évêque n'entendait point se soumettre comme sa nièce Marie de Bourgogne aux restrictions d'un Grand Privilège. S'il accepta les ouvertures de ses sujets, ce fut sous la réserve que les Etats ne pourraient agir de leur côté « sans son gré ou consentement». Bien plus! Le 19 avril, quelques jours après sa rentrée à Liège, il fit lire devant eux la bulle de Paul II lui reconnaissant merum et plénum domi-nium ac merum et mixtum imperium ( 1 ), et il déclara Tour de défense de la façade méridionale du château de Franchimont. Une vue d'une tour de défense de la façade orientale accompagnée d'une notice ad hoc a été reproduite dans le tome I, p. 407. vouloir s'y conformer. Ainsi sa restauration ouvrait de nouveau le conflit qui n'avait cessé de troubler la principauté depuis le commencement du XIVe siècle. L'évêque d'une part, les Etats de l'autre maintenaient intactes leurs prétentions contradictoires. Laissés à eux-mêmes toutefois, les métiers n'eussent certainement point déchaîné la guerre civile. Quel que fût leur mécontentement, ils avaient besoin de repos avant toutes choses. Etait-ce au moment où Liège et Dinant se relevaient à peine de leurs ruines qu'ils pouvaient songer à prendre les armes ? Mais les circonstances ne permettaient pas d'escompter une longue paix : la lutte engagée entre Maximilien et Louis XI allait s'étendre nécessairement à la principauté. Car, tandis que Maximilien refusait de consentir à l'abandon que Marie de Bourgogne avait fait de ses droits sur le pays de Liège et que, dès le mois d'octobre 1477, il réclamait le payement de la rente consentie à Charles le Téméraire (2), le roi de France cherchait une fois de plus à entraîner dans sa cause les Liégeois qu'il avait si cruellement trahis neuf ans plus tôt. La catastrophe de Nancy avait permis à ses partisans de rentrer dans leurs foyers, ulcérés par les souffrances d'un long exil, ruinés pour la plupart et n'aspirant qu'à fomenter de nouveaux troubles qui leur donneraient tout à la fois le plaisir de la vengeance et les moyens de refaire leur fortune. Conduite par eux, la guerre qui va éclater différera profondément de celles qui l'ont précédée. On y chercherait vainement un caractère spontané et national. Ce sont des ambitieux ou des intrigants qui y joueront le premier rôle, et le peuple en sera la victime beaucoup plus que l'acteur. Raes de Heers, qui mourut peu de temps après son retour à Liège, avait encore été le chef d'un parti politique. Guillaume de La Marck, dont l'influence succédera bientôt à la sienne, ne poursuivra plus que ses intérêts avec une absence complète de scrupules et de convictions (3). Il appartenait à la famille des seigneurs de Sedan qui. établie dans une région d'accès difficile aux confins de la France, des Pays-Bas et du pays de Liège, n'avait pas manqué de profiter de cette situation pour se mêler, depuis longtemps déjà, aux conflits de ses voisins. Placée sous une suzeraineté mal définie, elle conservait intacte son indépendance féodale. Mais comme les autres représentants attardés de la féodalité au début des temps modernes, elle ne tenait à cette indépendance que pour en tirer profit. Rien de moins chevaleresque que ces La Marck passant continuellement d'un camp à l'autre et vendant leurs services au plus offrant. D'ailleurs hardis et énergiques autant qu'avides et brouillons, plusieurs d'entre eux joueront un rôle marquant dans l'histoire si agitée du XVIe siècle. Le sire de Fleuranges s'illustrera dans les armées de François Ier, son cousin Erard montera sur le siège épiscopal de Liège, et c'est encore un des leurs, le trop célèbre Lumey, que l'on retrouvera, en 1572, commandant les Gueux à la prise de La Brielle. Guillaume fut le premier et peut-être le plus remarquable des aventuriers fameux de sa race. C'était un beau chevalier, d'une vaillance peu commune, mais dur, cruel (4), et d'autant plus âpre au gain qu'il n'avait recueilli de son père qu'un médiocre héritage. En véritable condottiere, il avait servi de bonne heure les causes les plus diverses. On l'avait vu successivement combattre pour les Liégeois contre Charles le Téméraire, puis pour Charles le Téméraire contre les Liégeois, et enfin pour Louis XI contre Charles le Téméraire. Au moment de rentrer à Liège, Louis de Bourbon avait jugé utile d'acheter son appui moyennant 15,000 florins du Rhin qu'il lui avait fait compter par la duchesse Marie. Aussi, tandis que son frère Everard prenait part avec les Gantois au procès d'Hugonet et d'Humbercourt, Guillaume n'avait-il point hésité à jurer fidélité à la maison de Bourgogne et à l'évêque. Il n'eut tout d'abord qu'à s'en féliciter, Bourbon se montrait généreux à son égard et le faisait grand mayeur de Liège et lui cédait en engagère le château de Franchimont... Il s'aperçut bientôt qu'il s'était donné un maître. Disposant à son gré des finances du pays, Guillaume avait pris à sa solde une bande de six cents hommes d'armes, tandis que l'évêque se voyait refuser par les Etats les subsides nécessaires à la levée d'un corps de Suisses destinés à repousser une attaque possible de la France. Une rupture devenait inévitable. Prié de licencier sa troupe à la fin de l'année 1478, Guillaume refusa, se retira dans le château de Franchimont et se mit tout de suite en rapport avec Louis XI. Cette défection comblait les désirs du roi. Depuis quelque temps déjà, il faisait pratiquer les métiers de Liège pour les soulever contre l'évêque et contre Maximilien. Cependant les métiers désorganisés et se rappelant le passé, hésitaient. Une conspiration préparée par un certain nombre d'entre eux avait été découverte et sévèrement réprimée. Entre la France et la Bourgogne aux prises, la plus grande partie des Liégeois souhaitaient de garder la neutralité, et l'évêque, malgré ses sympathies bourguignonnes, se trouvant sans armée et sans argent, s'était lui aussi rallié à cette politique (5). Des pourparlers avaient été engagés avec des agents de Louis XI, (Lille, Archives du Nord, Chambre des Comptes.) (Cliché Saint-Aubin.) Sceau secret de Jean de Homes, évêque de Liège, duc de Bouillon, comte de Looz. Ecu à trois huchets, penché, timbré d'un heaume. Sceau pendant au bas de la demande de restitution de la ville et du château de Huy occupés par l'archiduc Philippe le Beau (24 décembre 1493). Légende : « (Se)cret(ujm : Ioh(ann)is : de : horn : ep(iscop)i leo(diensis) : duc(is) : bullon(ensis) : et : comitis : Wossensis). « — Diam.: 58 mm. mais il était évident que le roi n'y avait consenti que pour travailler les Liégeois à la faveur des négociations. Au mois de septembre 1479, Bourbon était revenu d'une entrevue avec les délégués français « triste jusqu'à la mort » (6). FIN DE LOUIS DE BOURBON. - Son découragement ne s'explique que trop bien. Guillaume de La Marck, en effet, ne cachait plus son alliance avec la France. Louis XI l'avouait publiquement pour « ami et serviteur » (7), lui envoyait des subsides, lui promettait des troupes. La lutte était désormais virtuellement ouverte entre l'évêque et son ex-grand mayeur. Pour contrebalancer l'influence de ce dernier, Louis de Bourbon avait été forcé de se placer sous le protectorat bourguignon; le 31 janvier 1481, Maximilien lui avait promis son appui (8). Pourtant, à Liège même, l'ascendant de La Marck grandissait toujours; les anciens compagnons de Raes de Heers obéissaient manifestement à ses ordres. Ils réussirent, en 1482, à faire nommer parmi les leurs, les deux « maîtres » de la cité. Néanmoins la plus grande partie des métiers, du clergé et de la noblesse restait fidèle à l'évêque, mais elle ne lui manifestait qu'un dévouement fort tiède. Elle espérait encore éviter la guerre par des atermoiements. Les Etats ne permettaient point au prince de lever des soldats, et, malgré ses instances, ne faisaient point réparer l'enceinte de la capitale (9). Guillaume prit ouvertement les armes pendant l'été de 1482. Des mercenaires français étaient venus le rejoindre par les Ardennes, et le bruit se répandit bientôt qu'il préparait un coup de main contre le château de Huy. Bourbon y courut à la tête d'une petite bande d'artisans mis à sa disposition par les métiers. Il y apprit que son ennemi marchait contre Liège. Quoiqu'il eût pu lui laisser le champ libre et se réfugier en Brabant, il se décida pourtant à une lutte qu'il savait perdue d'avance. Tout en pleurant (10) il ordonna de revenir en arrière et, prenant avec lui un corps de Hutois, il rentra dans la « cité ». Le lendemain (30 août) l'arrivée de La Marck était signalée. L'évêque sortit pour lui livrer bataille. Mais abandonné en route par la milice bourgeoise terrorisée, il fut blessé, comme il cherchait à fuir, et Guillaume, après l'avoir lui-même frappé d'un coup d'épée le fit froidement achever sous ses yeux (11). Liège était à la merci du vainqueur, il s'installa le jour même au palais, se fit décerner le titre de mambour, et, quelques semaines plus tard, les membres du chapitre qui n'avaient pas eu le temps d'émigrer ou qui comptaient au nombre de ses partisans, demandèrent pour évêque son propre fils, Jean de La Marck. JEAN DE HORNES. — Malheureusement pour lui, au moment même de son triomphe, Guillaume cessait d'être (Héverlé-Louvain, Château d'Arenberg.) (Photo et renseignement obligeamment communiqués par M. R. d'Ude-kem de Guertechin, conservateur du château d'Arenberg.) Pierre tombale de Jean de La Marck d'Arenberg, seigneur de Lummen et de Seraing-le-Château (décédé le 14 juillet 1519), et de son épouse, Marguerite de Runkel (décédée vers 1547). Jean de La Marck était le fils de Guillaume de La Marck, surnommé « la Barbe » ou « le Sanglier des Ardennes seigneur de Lummen (décédé le 18 juin 1485) et de Jeanne de Schoonhoven, dame de Zundert (décédée le 18 mars 1506). Cette pierre, autrefois conservée dans l'église de Lummen, a été scellée dans le mur du parc du château d'Arenberg à Héverlé en 1913. V ICIU'S.- H'"'— « >iittrt — TT' îtut .....■ Êftftv^' ^ V f^J^ ow atmff (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Chartes de Brabant.) Promesse faite par Charles, roi de Castille, de respecter les clauses du traité de Saint-Trond (conclu le 27 avril 1518 entre le roi et Erard de La Marck) (12 mai 1518). Le texte du traité de Saint-Trond est inséré dans la promesse du roi. Original sur parchemin; signature autographe de Charles. Sceau tombé. utile au roi de France. Louis XI ne l'avait soutenu que pour faire échec à Maximilien, et la paix d'Arras (23 décembre 1482) venait précisément de mettre fin aux hostilités entre le roi et la maison de Bourgogne. Maximilien en profita pour agir énergiquement au pays de Liège. En opposition à Jean de La Marck, deux autres candidats, désignés par les chanoines de Saint-Lambert réfugiés en Brabant, Jean de Hornes et Jacques de Croy, se disputaient le siège épiscopal et intriguaient à Rome l'un contre l'autre. Ce désordre favorisait les plans de l'archiduc. Il espérait obtenir du pape le démembrement de l'évêché de Liège et l'annexion de la principauté à ses domaines (12). En attendant, il menait activement les opérations militaires. Battu par lui à Hollogne-sur-Geer (janvier 1483), Guillaume cependant n'abandonna point la partie. Il fit mettre à mort les partisans de la paix et continua une guerre qui ne pouvait plus avoir d'autres résultats que de ruiner le pays. Car la mort de Louis XI ne lui permettait plus de compter sur l'intervention française, et, peu de temps après, le Saint-Siège, se décidant enfin entre les compétiteurs qui se disputaient la dignité épiscopale, la conférait à Jean de Hornes. Le 22 mai 1484, le nouvel élu se réconciliait avec Guillaume par la paix de Tongres. Mais cette réconciliation n'était qu'une feinte. Attiré l'année suivante dans un guet-apens, Guillaume fut condamné sans forme de procès et décapité à Maestricht le lendemain (18 juin 1485) (13). Son supplice plongea le pays dans une nouvelle période d'anarchie. Everard de La Marck a juré de venger son frère. Il attire à lui tous les capitaines qui ont servi pendant la dernière guerre et viennent d'être licenciés. La principauté n'est plus désormais qu'une proie pour les mercenaires qui s'abattent sur elle et s'y croient tout permis. Un certain Gui de Canne s'improvise dictateur, gouverne par la force, appuyé sur les Suisses qu'il commande, et, comme un tyran italien, se fait construire un château fort dans la «cité» (14). Cependant Jean de Hornes a reconnu Maximilien comme « avoué suprême » de la principauté (15). Grâce aux secours qu'il en obtient et d'une insurrection qui éclate contre Gui de Canne, massacré par le peuple et enterré sous le gibet, il parvient à rentrer un instant à Liège. Il y est à peine réinstallé que les troubles qui éclatent en Flandre, l'emprisonnement de Maximilien à Bruges, puis l'insurrection de Philippe de Clèves remettent tout en question et permettent à Everard de La Marck de reprendre l'avantage. De nouveau les capitaines renvoyés par Jean de Hornes se groupent autour de lui. Il reparaît à Liège, s'allie à Philippe de Clèves et aux Brabançons révoltés, et comme eux, cherche à obtenir l'appui de la France. Il offre à Charles VIII la suzeraineté du pays, et sa conduite à l'égard du roi est tellement significative que le peuple donne le nom de « petite France » à l'île de la « cité » dont il a fait son quartier général (16). D'ailleurs ses propositions ne sont pas écoutées à Paris; Charles VIII ne songe qu'à l'Italie et n'entend point continuer la politique de son père à l'égard des Liégeois. Everard n'obtint de lui que le conseil de se réconcilier avec l'évêque. Il dut bientôt s'y résigner. Les progrès d'Albert de Saxe en Brabant ne lui permettaient plus de rien attendre du côté des Pays-Bas. Dans la principauté ruinée par quinze ans de guerres civiles, l'opinion publique se prononçait de plus en plus hautement pour le retour de l'évêque et le rétablissement de l'ordre. Après de longues négociations, la paix fut enfin conclue le 25 juil- let 1492, et Jean de Hornes rentra quelques jours plus tard, et cette fois définitivement, dans sa ville épiscopale. La guerre civile eut au pays de Liège, et pour les mêmes raisons, la même conséquence qu'en Flandre : elle ne profita qu'au pouvoir du prince. Les métiers avaient pu se convaincre de leur faiblesse militaire et partant de leur impuissance politique au milieu des événements qui venaient de s'accomplir. L'autorité légale disparue n'avait fait place qu'à la dictature et les souvenirs laissés par celle-ci suffisaient à dégoûter le peuple de la guerre civile. Jean de Hornes se remit paisiblement en possession des prérogatives épiscopales. En 1504, il obtint du pape, sans opposition des Etats, la confirmation de la « Pauline », ainsi que l'on appelait la bulle obtenue de Paul II par Louis de Bourbon. Le pays dévasté ne récupéra pas seulement avec la paix un gouvernement régulier. Les luttes civiles y avaient toujours été dominées par l'intervention de l'étranger, et il était naturel que cette intervention disparût avec elles. La France et les Pays-Bas reconnurent en 1492 la neutralité liégeoise; en 1493, Charles VIII et Maximilien la firent inscrire dans la paix de Senlis (17). ERARD DE LA MARCK. - La mort de Jean de Hornes (19 décembre 1505) faillit tout compromettre. Deux candidats briguaient sa succession : Jacques de Croy, soutenu par Philippe le Beau, et Everard ou Erard de La Marck, appuyé par Louis XII. Le conflit récent des gouvernements de Paris et de Bruxelles se répercutait ainsi dans les affaires liégeoises. Ce fut l'influence française qui l'emporta. Le 30 décembre 1505, les chanoines de Saint-Lambert portaient unanimement leurs voix sur Erard, les uns parce qu'ils étaient gagnés à la cause du roi, les autres parce qu'ils espéraient que cette élection réconcilierait définitivement la principauté avec les La Marck. Le nouvel évêque était, en effet, le neveu de Guillaume de La Marck et de cet Everard qui avait combattu pendant si longtemps contre Jean de Hornes. Mais cette parenté même accentuait encore son caractère français, et si l'on songe que son frère Robert, seigneur de Sedan, passait ouvertement au service de Louis XII peu de temps après sa nomination, on comprend sans peine que celle-ci constituait un grave échec pour la politique habsbourgeoise dans les Pays-Bas. D'après l'ambassadeur vénitien Quirini, elle rendit courage à Charles d'Egmont et le poussa à violer la promesse qu'il avait faite à Philippe le Beau de l'accompagner en Espagne (18). En tout cas, des rapports intimes se nouèrent tout de suite entre Erard et la Gueldre. Lorsque le duc reprit les armes au mois de juin 1506, le bruit se répandit à Bruxelles que l'évêque se préparait à lui envoyer des troupes, et l'on y apprenait bientôt que Louis XII, pour payer l'alliance d'Erard et se l'attacher plus fermement, lui promettait l'évêché de Chartres. Cependant les Liégeois n'entendaient point abandonner leur neutralité et se lancer sans motif dans une nouvelle guerre. Leur résistance empêcha Erard de fournir des soldats à Charles d'Egmont : il ne lui resta qu'à venir s'en excuser à Paris. Du moins seconda-t-il énergiquement, après la mort inopinée de Philippe le Beau, les vains efforts du roi de France pour arracher à Maximilien la tutelle de l'archiduc Charles. Il en fut récompensé par la donation de l'évêché qui lui avait été promis l'année précédente (5 novem- (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Erard de La Marck. Estampe gravée par J.-C. Vermeyen (1500-1559) après 1537. Exemplaire unique. bre 1507). En revanche, l'empereur ordonnait de le faire arrêter immédiatement s'il se risquait dans les Pays-Bas sans sauf-conduit (19). Les rapports d'Erard avec la maison de Habsbourg s'améliorèrent un peu pendant les années suivantes; ils ne cessèrent pourtant de rester fort tendus (20). En 1511, Marguerite d'Autriche négociait avec Rome pour le faire déposer, et ces négociations continuèrent après l'émancipation de Charles-Quint. En 1517, on accusait l'évêque d'envoyer des subsides au duc de Gueldre et de travailler à transporter la souveraineté du pays de Liège à François Ier. Tout en se défiant de lui, la cour de Bruxelles s'efforçait pourtant de se le concilier. Elle sentait vivement le péril qui eût menacé les Pays-Bas du jour où, soudée à la France et partant à la Gueldre, la principauté de Liège eût établi une communication directe entre ces deux pays et permis aux armées royales d'opérer à l'aise sur le flanc des provinces bourguignonnes. L'année de son embarquement pour l'Espagne, Charles-Quint avait fait proposer à Erard un traité d'alliance ou tout au moins de neutralité. Erard, il est vrai, avait refusé. Pourtant, les récompenses que Charles avait fait miroiter à ses yeux lui donnaient à réfléchir, et il laissait entendre à François Ier que la continuation de sa fidélité serait au prix de la plus haute distinction qui pût échoir à un prince d'Eglise, le chapeau de cardinal (21). Mais ce chapeau tant désiré fut donné à l'évêque de Bourges. Charles aussitôt s'engage à l'obtenir du pape; ses ambassadeurs accablent Erard de promesses et de bons offices et attisent si habilement son dépit qu'ils l'amènent enfin, le 27 avril 1518, à signer les conventions de Saint-Trond. Il ne fallut pas moins d'une pension de 6,000 livres, de l'expectative d'un évêché espagnol et d'une ou deux abbayes en Brabant, pour vaincre les dernières résistances du prélat. A ce prix, il consentit à prêter serment au roi catholique et à l'assurer que, s'il résignait un jour ses fonctions, il ne les abandonnerait qu'à un personnage « agréable au Roi ou à ses successeurs ». Son frère, le seigneur de Sedan, le suivit dans sa volte- kammergericht, et il écrivit aux Liégeois qu'il leur faisait des concessions si étendues « qu'il en avait refusé de beaucoup moindres à plusieurs princes allemands» (22). De son côté, Marguerite d'Autriche déployait pour les amadouer tous ses talents de fine diplomate; Charles-Quint donnait des rentes à la cité. Bref, les Etats se laissèrent enfin acheter comme avait fait leur prince. Ils consentirent le 12 novembre à un traité d'alliance qui les plaçait en réalité sous le protectorat des Pays-Bas. C'en fut fait pour longtemps de la neutralité liégeoise. Comme au XIVe siècle, la principauté s'orientait de nouveau vers le reste des provinces belges. Son annexion paraissait si •1 VfHicot* vwlrt .WrcWd, l!,tv mil, cf fiiçpic fc .To<"«' ^"CW «.f- , ---- «^w s, C. ,,,,„. . s, „,„..,., p,..../ ^ £m .-< iV„„,„.„„ r„— „ .r ^ ù—p---- t-" A r—A. « .-j ««h* hr■ i.* jMit! »t* iftpv^t iuftlV I f^HAV rt «/T./.V '^ftSC V* r^^f/J.jyWtV»' f"fj V^r-iu» p» r*l <«* .•<*•« Vj pevnw* c* jKvmcWv-n* t atw et If 1 ' cvwev (-Apf^m+r"" ^l'.ce-'^JL' c4 -\ S ' cS f*me' &*■ rf.^T^n M» «ilf ^J^tC hvh. vS^^ 5.H' Vi*- l~ * |n*w*.» KnS*"" ù ««T'A ptf? NCHh>*v* cfv* f^** f^^. vT** "«-^"^...rr t .- ' rf - HT'"' w^Mf' pt^/^ÎSK-wAçu* l'1 " r -À- iùi^r "e* AjfW-lA, - » i fMÉaK-v (Paris, Archives Nationales, K 82 n° Ibis.) (Cliché Gérard.) François Ier, roi de France, accorde une pension à son « cousin », Robert de La Marck, et aux fils de ce dernier en échange des services rendus et promis dans la lutte du roi contre Charles-Quint (14 février 1521 n.s.). Original sur parchemin. Sceau tombé. A gauche : signature autographe du roi. Il ■ l'tlN I il face. Provisoirement au moins, une pension de 8,000 livres le fit passer de la France à l'Espagne, en attendant mieux. ALLIANCE DE LIEGE ET DES PAYS-BAS. -Il restait toutefois à obtenir la ratification de ce traité par les Etats du pays de Liège. Sans leur approbation, en effet, il n'engageait que le prince et ne lui permettait de disposer ni des troupes ni des finances de ses sujets. Mais les Liégeois tenaient autant à leur neutralité que les Pays-Bas avaient tenu, pendant les règnes de Maximilien et de Philippe le Beau, à leur entente avec la France. Comme eux, ils ne cherchaient qu'à éviter la guerre et ils n'entendaient pas plus qu'eux sacrifier leur repos et leur prospérité renaissante aux desseins de leur prince. Ils résistèrent longtemps aux vœux de l'évêque et Maximilien dut intervenir pour les décider. Il n'hésita point, une fois de plus, à sacrifier l'intérêt de l'Empire à celui de son petit-fils. Les privilèges qu'il accorda à la principauté le 24 juin 1518 y abolirent presque complètement la juridiction du Reichs- prochaine que Charles-Quint la comprenait dans le projet de royaume Belgique qu'il élabora en 1527. Malheureusement la politique de Philippe II compromit les résultats qu'avait obtenus celle de son père. La création des nouveaux évêchés, puis l'explosion de la révolution contre l'Espagne devaient trancher plus tard le lien noué par les traités de 1518 (23). François Ier ne manqua pas de mettre tout en œuvre pour faire entrer les La Marck dans sa clientèle. En 1521, le frère de l'évêque, Robert II, se vendait de nouveau à la France et envoyait défier Marguerite d'Autriche. Depuis lors, de sa terre de Sedan, comme d'une petite Gueldre montagneuse, il ne cessa plus de harceler d'audacieuses attaques tantôt les frontières des Pays-Bas, tantôt celles du pays de Liège. Son fils Robert III, le fameux sire de Fleuranges, qui mourut comme lui en 1536, combattit à Pavie aux côtés du roi, y fut fait prisonnier, passa au château de l'Ecluse une longue captivité pendant laquelle il écrivit ses célèbres mémoires, reçut plus tard le bâton • • moins en partie, la suzeraineté liégeoise dans cette ville. Enfin, la désignation de son coadjuteur donna lieu à des difficultés assez grandes entre lui et son puissant protecteur. L'importance du règne d'Erard de La Marck ne consiste pas seulement dans l'établissement d'une entente intime avec les Pays-Bas, elle apparaît plus clairement encore si l'on envisage les transformations qui s'opérèrent, de 1506 à 1538, à l'intérieur de la principauté. Tandis qu'en Gueldre les franchises urbaines et l'omnipotence des villes se maintinrent aussi longtemps que dura la lutte du duché contre les Habsbourg, dans le pays de Liège, la constitution territoriale s'imprégna d'un caractère monarchique dans le même temps où s'accomplissait l'alliance avec le souverain des Pays-Bas. Dans un domaine plus restreint et avec moins d'intensité, la principauté épisco-pale vit s'effectuer sous Erard de La Marck des réformes politiques analogues à celles qui s'implantèrent dans les provinces bourguignonnes sous Philippe le Beau et sous Charles-Quint. De part et d'autre, les troubles civils s'achèvent par le renforcement des prérogatives et de l'autorité princières. (De Hartekamp, Collection von Pannwitz.) Erard de La Marck. Portrait peint par J.-C. Vermeyen (1500-1559). de maréchal de France et s'illustra en défendant Péronne contre Henri de Nassau. LE GOUVERNEMENT D'ERARD DE LA MARCK. Quant à Erard, seul de tous les membres de sa famille, il demeura jusqu'au bout au service de la maison de Habsbourg. Son zèle lors de l'élection impériale, sa participation à la guerre de 1523-1525, pendant laquelle il prit les armes contre son frère, les sommes considérables qu'il prêta plus d'une fois à Charles-Quint, attestent la sincérité de son revirement. Mais il fallut payer très cher ses services. Le cardinalat, l'archevêché de Valence, de riches pensions constituées sur les diocèses de Tournai et de Cambrai ainsi que sur les abbayes d'Afflighem et de Saint-Michel d'Anvers ne lui suffirent point. Il ambitionnait encore les sièges de Térouanne et d'Utrecht, et ses demandes d'argent impatientèrent plus d'une fois Marguerite d'Autriche et Marie de Hongrie qui l'appelait « un très dangereux espicier » (24). Il lui arriva d'ailleurs de contrecarrer les plans du gouvernement de Bruxelles dont il ne se résigna jamais à n'être qu'un simple instrument. La nomination d'inquisiteur général de la foi dans les Pays-Bas, qu'il obtint du pape en 1525, contribua grandement à l'échec de l'inquisition d'Etat rêvée par Charles-Quint (25). Dans d'autres circonstances il défendit obstinément ses droits d'évêque et de prince contre les empiétements de l'empereur et des gouvernantes. Il ne se laissa point dépouiller de la juridiction spirituelle en Brabant, et, lors des efforts de Charles-Quint pour annexer Maestricht, clef des Pays-Bas du côté de l'Allemagne, sa longue résistance sauvegarda, du (Liège, Musée de la Cathédrale Saint-Paul.) (Cliché A.C.L.) Buste reliquaire de saint Lambert. Argent doré. A l'avant-plan, le donateur, Erard de La Marck. Les pierreries furent achetées en Italie en 1509 par l'évêque; la crosse date du XIX® siècle. Cette pièce est l'œuvre de plusieurs orfèvres liégeois (1505-1512). — Hauteur :1m 62. Le gouvernement ne dépend plus exclusivement de l'issue des élections municipales et de la volonté changeante des métiers; il possède maintenant un principe d'ordre en acceptant le principe d'unité qui lui a manqué pendant si longtemps. La multiplicité des autonomies locales, des groupements corporatifs, des intérêts particuliers commence à se subordonner au pouvoir de l'Etat, nécessairement incorporé dans la personne de l'évêque. Erard de La Marck a été le premier prince moderne du pays de Liège. Dans la principauté lassée des guerres civiles il a accompli l'œuvre d'unification et de centralisation en laquelle Louis de Bourbon avait échoué. Il s'est proposé de réformer à la fois l'organisation spirituelle et l'organisation temporelle. Dans la première, il entame la lutte contre les églises collégiales qui pullulent si nombreuses « que l'on trouverait à peine autant de chapitres dans deux grands royaumes », et qui, se prétendant exemptes de la juridiction diocésaine, ne se servent de leurs privilèges que pour perpétuer des abus trop réels (26). A la seconde, il fournit par la création du « Conseil ordinaire » et par celle d'un procureur fiscal, la régularité et la hiérarchie qui avaient manqué jusqu'alors à l'administration de la justice. PROSPERITE DU PAYS. - La paix de Saint-Jacques, qu'il fit publier en 1507, fut la base de la constitution liégeoise jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Elle est bien loin, d'ailleurs, de supprimer les anciennes institutions du pays. Si elle abolit le tribunal de la Paix et le tribunal de l'Anneau du Palais, organismes surannés et depuis longtemps déjà privés de toute importance, elle consacre, en revanche, non seulement l'intervention des Etats dans le gouvernement du pays, mais encore la garantie que le tribunal des XXII fournit aux habitants contre le pouvoir du prince. Pas plus que dans les Pays-Bas, moins encore même que dans les Pays-Bas, le nouveau régime politique ne conduit à l'absolutisme. Ce que Charles-Quint n'a pu faire dans les dix-sept provinces, Erard de La Marck, même s'il l'eût voulu, ne pouvait songer à le tenter dans sa principauté. Il s'est borné à réaliser l'équilibre nécessaire entre la volonté du pays et celle du prince, à coordonner leur action, à éviter les heurts et les conflits. Cette garantie suprême du Moyen Age, le refus de service en cas de violation des privilèges, c'est-à-dire la guerre civile restreignant le bon plaisir, tombe dans l'oubli. On organise un modus vivendi toléra-ble pour les deux pouvoirs en présence. L'opposition qui existait à l'origine entre les Etats et le prince s'atténue. Les Etats délèguent habituellement leurs droits à des députés permanents, associés d'une façon continue avec l'évêque au gouvernement territorial, qui, de plus en plus, perd le caractère dualiste qu'il avait présenté jadis. L'institution des « Etats réviseurs des XXII » enlève à ceux-ci le droit exorbitant de prononcer des sentences sans appel. Toutes ces innovations s'accomplirent sans soulever de résistances. Les quelques, émeutes qui éclatèrent à Liège sous Erard de La Marck furent provoquées, soit par des agents de la France, soit par la conduite de certains magistrats (27). Le soulèvement des Rivageois en 1531, dont l'histoire est encore fort mal connue et qui paraît avoir eu pour cause principale un renchérissement subit du prix des grains, n'a rien de commun, en tout cas, avec les réformes politiques que l'on vient de décrire (28), Vitrail d'Everard IV, comte de La Marck et d'Arenberg, maïeur de Liège. 1525. Les vitraux d'Everard IV de La Marck et de Marguerite de Hornes, son épouse, ont été offerts par les deux conjoints à l'abbaye de Saint-Jacques en témoignage de la réconciliation des familles de La Marck et de Hornes dont la querelle avait troublé la principauté de Liège à la fin du XV" siècle. Everard était le filleul de Guillaume de La Marck, et Marguerite de Hornes la nièce du prince-évêque Jean de Hornes. (Cliché A.C.L.) (Liège, Eglise Saint-Jacques.) Celles-ci marchèrent de pair avec la restauration matérielle du pays. Depuis la fin du règne de Jean de Hornes, la paix dont la principauté jouit sans interruption lui permit de se relever rapidement de la détresse où l'avaient plongée la guerre étrangère et la guerre civile. A la fin du règne d'Erard elle s'était « enrichie de plus du double » (29). Liège, grâce à ses houillères et à une industrie nouvelle, celle de l'armurerie, que favorisaient l'abondance du charbon et la proximité des mines de fer de l'Ardenne, devint rapidement une des plus grandes villes des Pays-Bas. C'en fut aussi bientôt une des plus belles. L'évêque voulut rehausser sa capitale de l'éclat des arts. Il protégea les débuts de Lambert Lombard, fit ciseler par Henri Suavius le beau buste de saint Lambert que la cathédrale possède encore aujourd'hui, et fut pour l'architecte Arnold van Mulken ce que Marguerite d'Autriche était pour Louis Van Boghen. Pendant que l'on édifiait ce joyau de l'architecture expirante qu'est l'église de Saint-Jacques (1513-1538) et que l'on construisait, suivant les règles traditionnelles, le chœur de Saint-Martin (1520-1525), ses curiosités et ses préférences de grand seigneur allaient à l'art nouveau qui, du sud des Alpes, commençait à se répandre dans les Pays-Bas. Il faisait venir à Liège des sculpteurs italiens dont l'un fut chargé d'élever le mausolée qui devait abriter son tombeau (30). Et n'est-il pas permis de croire que son goût personnel imposa à Van Mulken le plan de l'admirable palais épiscopal dont il jeta les fondements en 1526 et qui, par ses larges cours à galeries, trahit si nettement, en dépit d'une ornementation encore gothique, une inspiration venue du Midi ? Le mouvement, si brillamment commencé, ne s'arrêta plus. A l'exemple du prince, les institutions religieuses comme les particuliers sacrifièrent bientôt à l'envi au style qu'il avait mis à la mode. En 1577, Marguerite de Valois s'étonnait de trouver la cité « très bien bastie, n'y ayant maison de chanoine qui ne paroisse un beau palais, les rues grandes (Bruxelles, Musée Roval d'Art Ancien.) Hubert Goltzius, antiquaire, graveur, numismate, né à Venlo le 30 octobre 1526, décédé à Bruges le 24 mars 1583. Portrait peint en 1576 par Antonio Moro. et larges, les places belles, accompagnées de très belles fontaines, les églises ornées de tant de marbre (qui se tire près de là) qu'elles en paroissent toutes, les horloges faites avec l'industrie d'Allemagne, chantant et représentant toute sorte de musique et de personnages » (31). Erard ne se contenta point d'en moderniser la parure en même temps qu'il en modernisait l'administration; il y propagea également l'esprit de la Renaissance. La vie littéraire qui s'était presque éteinte dans la ville (32), jadis si célèbre par ses écoles, y reprit à nouveau. Déjà Jean de Hornes, en 1495, y avait appelé les Hiéronymites; Erard y fit venir dés humanistes. Il correspondait avec Erasme; il attachait à son service, en 1514, le fameux helléniste Jérôme Aléandre, dont le séjour à Liège dut avoir une influence considérable et engagea probablement l'évêque à y appeler des artistes italiens (33). Tant d'activité ne fut point dépensée en vain. Quelques années plus tard, la cité renouvelée, transformée, illustrée par Lambert Lombard, attirait dans ses murs, autour du maître, les Hubert Goltzius, les Dominique Lampsonius et les Frans Floris, tandis que des humanistes comme C. Langius et Laevinus Torrentius y fixaient leur résidence et qu'enfin en 1555, le magistrat y appelait l'imprimeur Walter Morberius. (Liège, Musée Curtius.) Armoirie liégeoise du XVIe siècle. Sur les deux premiers panneaux supérieurs de gauche, les armes impériales et le perron liégeois ; .sur les deux premiers panneaux supérieurs de droite, les armes d'Erard de La Marck et de Donceel. — Hauteur : 1 m. 72; largeur : I m. 93. LES SUCCESSEURS D'ERARD DE LA MARCK. Aucun des successeurs d'Erard de La Marck, qui mourut le 16 février 1538, ne devait exercer sur la principauté une action comparable à la sienne. Simples instruments de la politique habsbourgeoise, ils ne s'occupèrent du pays de Liège que pour maintenir et renforcer sur lui le protectorat de Charles-Quint (34). On ne peut s'empêcher de les comparer à ces évêques impériaux qui avaient jadis, au Xe et au XIe siècle, gouverné le diocèse au nom de l'Allemagne. Comme ceux-ci d'ailleurs, ils furent imposés au pays. Le chapitre perdit en réalité, depuis le règne d'Erard, le droit de procéder à l'élection des évêques. Le prince se laissa désormais désigner par le gouvernement de Bruxelles un coadjuteur cum jure successionis. Corneille de Berghes (1538-1544), accepté comme tel par Erard en 1520, laissa Marie de Hongrie agir à sa place. Rien ne montre mieux les considérations exclusivement politiques qui présidèrent alors au choix des évêques, que la promotion au siège de Liège de ce personnage apathique, à demi imbécile, mais incapable de contrecarrer les volontés de l'empereur et qui, faute de mieux, servit à empêcher, en tenant la place, le parti des La Marck d'y installer de nouveau l'influence française. C'est une histoire vraiment bouffonne que celle de ce pauvre homme, qui refusa toute sa vie de recevoir la prêtrise, abandonna sa capitale pour se confiner dans ses terres de Zeven-bergen et qui menaçait Marie de Hongrie de se marier ou de crier dans les rues qu'il ne voulait pas être évêque, lorsqu'elle prétendait le contraindre à se fixer à Liège(35). L'alliance contractée avec les Pays-Bas ne se maintint que grâce aux efforts de la gouvernante, malgré la répugnance des Etats de la principauté, qui, dans le conflit de Charles-Quint et de François Ier, eussent voulu se renfermer dans une neutralité que ni l'un ni l'autre des deux adversaires n'était disposé à admettre. Les Liégeois se trouvaient entre les deux rivaux dans la même situation où la Flandre s'était trouvée à l'époque d'Artevelde entre Edouard III et Philippe de Valois : l'abstention n'était pas possible et il leur fallut prendre parti. Un bâtard de l'empereur Maximilien, Georges d'Autriche, le coadjuteur donné par Charles-Quint à Corneille de Berghes, succéda à celui-ci en 1544. Aussi étranger au pays de Liège que son prédécesseur, il s'y conduisit en agent actif et dévoué de la cour de Bruxelles. Il s'appelait « l'humble chapelain » de Marie de Hongrie et il se contenta d'exécuter ses ordres. Il laissa élever par l'empereur sur le sol liégeois les forteresses de Mariembourg, de Philippeville et de Charlemont qui, fermant la vallée de la Meuse aux armées françaises, protégeaient du moins la principauté en même temps que les Pays-Bas. A sa mort, en 1557, son siège passa à une autre créature de Charles, Robert de Berghes, coadjuteur depuis 1549. C'est sous son règne que l'érection de nouveaux évêchés par Philippe II devait modifier radicalement la situation du pays de Liège à l'égard des provinces bourguignonnes. Les trois successeurs d'Erard de La Marck n'avaient eu pour mission que de maintenir et de renforcer l'alliance contractée en 1518. Ils se confinèrent dans ce rôle et n'ambitionnèrent point de continuer son œuvre réformatrice. Leur gouvernement d'ailleurs ne fut point sans profit pour la principauté. Les craintes qu'inspirait aux Etats liégeois leur alliance intime avec l'empereur, ne se réalisèrent point. Elle ne leur imposa que de faibles sacrifices et leur valut en retour de longues années de paix, car la guerre ne s'étendit jamais à leur territoire. Il suffisait à Charles-Quint que Liège cessât d'être une base d'opérations pour la France; il ne prétendit point la mêler à ses entreprises. NOTES (1) De Ram, Documents relatifs aux troubles du pays de Liège sous les princes-évêques Louis de Bourbon et fean de Hornes, p. 636 (Bruxelles, 1844). (2) De Ram, op. cit., p. 658. (3) Sur ce personnage, voy. de Chestret de Haneffe, Histoire de la maison de La Marck, p. 193. C'est par suite d'une erreur propagée par le chroniqueur Jean de Roye, que l'on désigne souvent Guillaume sous le nom de « sanglier des Ardennes ». Cette appellation à d'autres membres de sa famille. Voy. de Chestret de Haneffe, Bull, de l'Acad. Roy. de Belgique, 1905, p. 116. (4) Philippe de Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. 1, p. 426. (5) Dès avant le mois de janvier 1478, il avait fait proposer à Louis XI d'être considéré comme neutre. Vaesen, Lettres de Louis XI, t. VI, p. 307 (Paris, 1898). (6) Adrien d'Oudenbosch, Chronique, éd. de Borman, p. 259 (Liège, 1902). (7) Adrien d'Oudenbosch, Chronique, p. 262. — Guillaume intriguait avec le roi de France depuis 1478 au plus tard. (Jean de Los, Chronicon, dans De Ram, Documents, p. 77). En 1483, il recevait de Louis XI 18,000 livres pour entretenir des gens de guerre assemblés sur la frontière du Luxembourg. (Philippe de Commines, Mémoires, éd. de Mandrot, t. I, p. 426, n.). (8) J. G. Schoonbroodt, Inventaire des chartes du chapitre de Saint-Lambert à Liège, p. 348 (Liège, 1863). (9) Adrien d'Oudenbosch, loc. cit., p. 268. (10) Adrien d'Oudenbosch, loc. cit., p. 269. (11) Adrien d'Oudenbosch, Chronique, p. 270 : Jean de Los, loc. cit., p. 82. (12) Voy. sur ces projets un mémoire transmis par lui à la cour pontificale, dans De Ram, Documents, p. 737. •— L'éditeur attribue ce texte à l'année 1484, mais il est probablement de 1483 (Jean de Los, loc. cit., p. 91). Maximilien aurait voulu substituer à Liège deux nouveaux évêchés, situés l'un à Louvain, l'autre à Namur ou à Maestricht. Il alléguait comme motif : » quod petulantia, insolentia, seu promptitudo arma sumendi et cornua contra superiores et vicinos erigendi, populo Leodiensi innata esse creditur ». (13) Un mémoire, certainement rédigé sur l'ordre des La Marck, attribue cette perfidie à Jean de Hornes (De Ram, Documents, p. 770). Jean de Los, loc. cit., p. 92, ne parle non plus que du rôle de l'évêque et de ses frères. (14) Jean de Los, loc. cit., p. 93. (15) De Ram, op. cit., p. 803. (16) Jean de Los, loc. cit., p. 105. (17) Dumont, Corps diplomatique, t. III, p. 307. Cf. Defrecheux, La neutralité liégeoise. Bulletin de l'Institut archéolog. liégeois, t. xxxvn 11907], p. 277, et Dabin, La politique française à Liège au XV siècle, Ibid., t. XLIII [1913], p. 189. (18) E. de Marneffe,La principauté de Liège et les Pays-Bas au XVI« siècle, t. I, p. 346 (Liège, 1887). (19) De Marneffe, sa principauté de Liège, etc., t. I, p. 8. (20) Sur la politique d'Erard et de ses successeurs à l'égard des Pays-Bas, il faut consulter l'excellent mémoire de H. Lonchay, De l'attitude des souverains des Pays-Bas à l'égard du pays de Liège au XVI0 siècle. Mémoires de l'Académie Royale de Belgique, t. XLI (1888), mais dont l'auteur n'a pu utiliser un certain nombre des documents publiés par de Marneffe. (21) De Marneffe, op. cit., t. I, p. 348. (22) De Marneffe, La principauté de Liège, etc., t. I, p. 47. (23) Histoire de Belgique, t. IV, 2e édit., p. 292. (24) De Marneffe, La principauté de Liège, etc., t. I, p. 266. (25) Voy. plus loin livre II, chapitre IV. (26) A. van Hove, Etude sur les conflits de juridiction dans le diocèse de Liège à l'époque d'Erard de La Marck (Louvain, 1900). (27) De Chestret de Haneffe, Les conspirations des La Marck formées à Liège contre Charles-Quint. Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, 1891, p. 684 et suiv. (28) Déjà en 1491, les Rivageois (habitants des bords de la Meuse en amont de Liège) s'étaient soulevés ■ propter intolerabilem famem ». (Jean de Los, dans De Ram, Documents, p. 107). Sur la sédition de 1531, qui fut aussi sévèrement réprimée que celle de 1491, voy. de Meef, La mutinerie des Rivageois, éd. Polain (Liège, 1835). Il n'est pas impossible que le protestantisme, qui commençait alors à s'insinuer dans la principauté, ait eu quelque influence sur le mouvement. Du moins sait-on que l'un de ses chefs, Jean de Stordeur, se réfugia à Bâle avec sa femme, Idelette de Bure, qui devait plus tard (1540) épouser Calvin. (29) De Marneffe, La principauté de Liège, etc., t. I, p. 314. (30) Sur le séjour de sculpteurs italiens à Liège à cette époque, voy. J. Brassine, dans Chronique archéologique du pays de Liège, t. I, [1906], p. 78, et, du même, L'argenterie d'Erard de La Marck. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. XXXV, [1906], p. 233 et suiv. (31) Marguerite de Valois, Mémoires, éd. Ch. Caboche, p. 150 (Paris. 1881). (32) Cf. Histoire de Belgique, t. II, 3® éd., p. 487. (33) J. Paquier, Jérôme Aléandre et la principauté de Liège (Paris, 1896) ; le même, Jérôme Aléandre, de sa naissance i la fin de son séjour à Brindes (Paris, 1900). (34) Voir sur eux H. Lonchay, De l'attitude des souverains des Pays-Bas à l'égard du pays de Liège, p. 68 et suiv. (35) De Marneffe, La principauté de Liège, etc., t. II, p. 18 (Liège, 1888). — En 1538, il déclare qu'il préfère recevoir (Vienne, Weltliche Schatzkammer. ) (Cliché A.C.L.I Potence du héraut d'armes de la Toison d'Or. La potence se compose de cinquante-deux blasons. Au bord inférieur, la chaîne de la Toison d'Or. La plaquette logée au-dessus de la Toison porte dans le champ inférieur la couronne impériale, le briquet de Bourgogne et la devise de Charles-Quint : « Plus Oultre ». Les autres plaquettes représentent les armoiries de cinquante chevaliers de la Toison d'Or : elles sont unies à la Toison par les briquets bourguignons. — Circonférence extérieure du collier : 1 m. 43; circonférence intérieure : 0 m. 988; hauteur d'un médaillon : 8 cm., avec chaîne : 11 cm. Or émaillé. Elle est mentionnée pour la première fois dans un inventaire du 7 juillet 1567. CHAPITRE PREMIER L'ORGANISATION POLITIQUE f ETABLISSEMENT DE L'AUTORITE DU PRINCE. — Un contraste frappant oppose la politique extérieure à la politique interne de Charles-Quint dans les Pays-Bas. Pendant que la première devient de plus en plus espagnole, la seconde reste nationale et bourguignonne. L'empereur n'a point cherché, comme le fera son fils, à espagnoliser le gouvernement des dix-sept provinces. Dans l'organisation de l'Etat, il n'a été que le continuateur de Philippe le Beau et, par delà Philippe le Beau, de Philippe le Bon. Comme eux, il a travaillé à relever et à consolider le pouvoir monarchique, mais, comme eux aussi, il s'est efforcé de le concilier avec les libertés et les mœurs du pays. Il s'est abstenu soigneusement de confier l'administration à des étrangers. Il a respecté les anciennes constitutions territoriales et les prérogatives des Etats généraux, et c'est à bon droit que Marie de Hongrie a pu vanter le caractère libéral de son gouvernement, en le comparant à celui du roi de France (1). Il n'y a qu'une voix, d'ailleurs, chez les étrangers pour constater l'étendue des franchises politiques en vigueur dans les Pays-Bas pendant la première moitié du XVIe siècle. L'Anglais Wingfield (2) et l'Italien Contarini (3) sont d'accord sur ce point et, plus tard encore, pendant les premières années du règne de Philippe II, Guichardin ne parlera pas autrement. En réalité, le système politique qui s'est installé dans les Pays-Bas, au sortir des guerres civiles du temps de Maximilien, apparaît comme un compromis entre des tendances diverses. D'une part, le prince, souverain moderne, se considérant comme le chef suprême de l'Etat et qui, libre d'agir à sa guise, irait droit à l'absolutisme, de l'autre, une multiplicité de provinces dotées de longue date de privilèges écrits ou de coutumes ayant force de loi, protégées contre l'arbitraire par une armature de concessions et de BKÏAtfcDE iwti'eeni. I t^puu^dCs! Cil «HOPIV Hoon CY gist noble home messflambert de &riaerde chevalier president dv grand consiel a malinb qv! trespassa le dixiesme d'octobre AN° XVC LVII ET DAME MARGVERITE MiCAVLT SA CpMPAlGNE LAQVELLE DECEDA _F XXVIJ ^OCTOBRE. XVCXC I rlspondt g (Malines, Cathédrale Saint-Rombaut.) (Cliché A.C.L.) Pierre tombale de Lambert de Briaerde, président du Grand Conseil de Malines, décédé le 10 octobre 1557, et de son épouse, Marguerite Micault, décédée le 27 octobre 1596. l'étranger, tout en conservant à la nation une vie politique incomparablement plus intense que celle de n'importe quel autre pays d'Europe à la même époque. Hybride et compliqué, il est difficile d'en caractériser brièvement la nature et peut-être est-ce Granvelle qui l'a le mieux défini en disant qu'il ne fut « ni une monarchie, ni une aristocratie, ni du tout une république» (4). Il importe, pour l'étudier, d'envisager successivement les deux rouages tant bien que mal agencés qui lui impriment le mouvement : le prince tout d'abord, le pays ensuite. LE CONSEIL DUCAL. — La première forme de centralisation politique qu'aient connue les Pays-Bas leur a été donnée par Philippe le Bon. Il n'en pouvait aller autrement puisque c'est sous Philippe le Bon que, pour la première fois, leurs divers territoires se sont trouvés réunis sous un même prince. Le gouvernement central devait être franchises jurées à chaque avènement, possédant, enfin, dans les Etats généraux un organe central d'entente et d'action communes, telles sont les forces rivales qui, comme des ressorts bandés l'un contre l'autre, s'opposent et s'équilibrent en se contenant. Après s'être heurtés violemment pendant les troubles de la fin du XVe siècle, le prince et le pays ont fini par trouver, sous le règne de Philippe le Beau, un modus vivendi qui s'est continué et affermi sous celui de Charles-Quint. Impuissants à se détruire, ils ont été forcés de s'entendre. Ils se sont fait des concessions réciproques par nécessité. Ils ont abouti, en politique, à un régime acceptable pour tous deux, comme on devait aboutir plus tard, en religion, à la liberté de conscience : par impossibilité de faire autrement. Ce régime, d'ailleurs, n'est point du tout un régime constitutionnel. Au fond, les deux principes qui s'y associent demeurent incompatibles, et ni l'un ni l'autre des deux pouvoirs en présence n'abandonne définitivement ses prétentions. Chacun d'eux n'attend que des circonstances favorables pour réduire la part de son compétiteur et on le verra clairement sous Philippe II. Bref, à y regarder de près, on s'aperçoit que le gouvernement des Pays-Bas jusqu'à la mort de Charles-Quint ne consiste qu'en un simple opportunisme. Mais cet opportunisme s'est trouvé bienfaisant. Il a donné, en effet, à l'autorité centrale assez de force pour sauver le pays de l'anarchie et le protéger contre (Courtrai, Hôtel de Ville, Salle du Conseil.) (Cliché A.C.L.) Plaque de foyer en fer fondu aux armes et à la devise de Charles-Quint (1527). nécessairement l'œuvre de ce prince, chaque province étant incompétente pour agir sur les autres, et aucune d'elles ne possédant sur ses voisines une suprématie quelconque. Partant, c'est aussi dans la sphère de ce gouvernement que se manifesta tout d'abord et le plus clairement cette grande « nouveauté » du XVe siècle : l'apparition de l'autorité monarchique dans la constitution du pays. Et par une autre conséquence, cette autorité augmenta dans la même mesure où augmentèrent elles-mêmes la cohésion et l'unité des Pays-Bas. Rien d'étonnant, dès lors, si la création provoquée par ses abus en 1477 ne fut, en réalité, qu'un retour au provincialisme d'autrefois. Le Grand Privilège imposé à Marie de Bourgogne faillit détruire l'Etat bourguignon en rendant une indépendance complète à chacun des territoires qui le composaient. Destruction de l'unité politique par la suppression du Conseil ducal, destruction de l'unité judiciaire par l'abolition du Parlement de Malines, substitution, enfin, dans tous les domaines de l'intérêt particulier des provinces à l'intérêt de la généralité, telles sont, on l'a vu, ses stipulations les plus caractéristiques. De ses pouvoirs, le duc ne conserve plus, en somme, que ses droits héréditaires à la possession des divers pays qui forment la maison de Bourgogne. Il se prétendait « souverain », on ne le reconnaît plus que comme « seigneur naturel », et ces deux appellations résument chacune tout un programme politique. Sans doute, le Grand Privilège établit entre les provinces une sorte de fédéralisme : il remplace l'Etat monarchique naissant par une union d'Etats féodaux. Mais cette union purement volontaire et qui, même en temps de paix, n'eût présenté ni solidité, ni chance de durée, était impossible à maintenir en présence de l'invasion française. Dès les premiers temps du règne de Maximilien, on tombe dans l'anarchie. Les provinces se séparent les unes des autres. Celles-ci se rallient à la cause du prince, celles-là, pour lui résister, se tournent vers la France. Au sein même de ses partisans, d'ailleurs, le roi des Romains ne parvient pas à se concilier franchement l'opinion et, présentée par lui, la restauration de l'Etat bourguignon reste longtemps problématique. C'est qu'il s'inspire visiblement de la politique odieuse de Charles le Téméraire. Il dévoile, à l'intérieur, les mêmes visées d'absolutisme, à l'extérieur, les mêmes desseins de conquêtes et de guerre en permanence. Etranger par surcroît, laissant les landsknechten piller le pays, s'entourant de ministres allemands, vaguement soupçonné d'arrière-pensées annexionnistes, on le tolère, on s'y résigne, mais on ne l'accepte qu'avec défiance et à contre-cœur. Pourtant, l'épuisement des provinces, la lassitude causée par vingt années de guerre, le besoin pressant d'ordre et de repos, et plus encore, peut-être, les transformations sociales et économiques qui s'accomplissent au détriment du particularisme pour lequel on a si longtemps combattu, inclinent iuii(\MlfiRrltthl1ncnfu (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Giraudon.) Tombeau de Philippe Pot, grand sénéchal de Bourgogne (décédé en 1494). Philippe Pot, sire de la Roche, grand sénéchal du duché de Bourgogne, était filleul de Philippe le Bon et chevalier de la Toison d'Or. Œuvre d'un artiste des Pays-Bas établi en Bourgogne à la fin du XVe siècle. Conseil établi à demeure à Malines où il reprend la tradition du Parlement de Charles le Téméraire. Quant au Conseil privé, présidé par le chancelier et composé normalement de maîtres des requêtes de l'hôtel et de secrétaires, auxquels s'adjoignent, suivant les circonstances, les seigneurs du sang et les chevaliers de l'Ordre, il ne s'occupe plus guère que des questions politiques (8). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Médaille à l'effigie de Marguerite d'Autriche et de Philibert le Beau de Savoie. Au revers, les armes de Marguerite et de son époux. Les armoiries portent un écu parti, à dextre, de gueules à la croix d'argent (Savoie), à sénestre, écartelé au 1 de gueules à la fasce d'argent (Autriche), au 2 de fleurs de lis d'or (Bourgogne moderne), au 3 bandé d'or et d'azur (Bourgogne ancien), au 4 de sable au lion d'or (Brabant), sur le tout d'or au lion de sable (Flandre). Médaille exécutée en 1502 par Jean de Marende. LES TROIS CONSEILS COLLATERAUX. - La complexité croissante des affaires devait aboutir à la longue à transformer les sections spéciales du conseil en autant de conseils indépendants. Ce n'était point là seulement une nécessité imposée par le souci d'une bonne administration : le prince y trouvait encore un précieux avantage. La peu à peu les esprits vers le système monarchique. Il reparaît tout de suite lorsque, à l'avènement de Philippe le Beau, les craintes s'évanouissent enfin d'un retour au gouvernement de Charles le Téméraire. L'équilibre s'établit sans peine entre les prérogatives du prince et les franchises du pays. La cour ducale redevient le centre du gouvernement général des provinces, tandis que les autonomies territoriales se dépouillent, sans qu'il soit besoin de nouvelles luttes, de l'intransigeance qui les a caractérisées sous Maximilien. Par-dessus les deux règnes précédents, Philippe le Beau renoue donc la tradition de Philippe le Bon. Bien plus, il la fait accepter franchement par ses sujets en enlevant aux institutions centrales qu'il restaure le caractère d'importations étrangères qui les rendait suspectes. En quelques années, le régime bourguignon s'est acclimaté : il est devenu le régime national, et ce n'est plus qu'en dehors des Pays-Bas, à Utrecht ou parmi les turbulentes bourgeoisies de la Gueldre, qu'on le considère encore comme un instrument de servitude à la française (5). Il était réservé à Charles-Quint de le perfectionner et de lui donner sa forme définitive. Sous les premiers ducs de Bourgogne, le conseil du prince était demeuré une institution assez vague, sans compétence ni composition bien déterminées. C'est seulement à partir du moment où il devint sédentaire, vers 1446, que ses fonctions se précisèrent et que l'on commença à distinguer les uns des autres et à répartir entre des groupes distincts de conseillers les divers services dont il était chargé (6). Cette spécialisation du travail devait naturellement s'accentuer avec les progrès du pouvoir monarchique. Interrompue par la crise constitutionnelle de 1477, elle reprend sous Maximilien. Une ordonnance de 1487 crée un Conseil des finances distinct du conseil princier (7). Puis, sous Philippe le Beau, le mouvement s'accentue. Du conseil ducal, maintenant désigné d'ordinaire sous le nom de Conseil privé, se détache, en 1504, comme cour de justice suprême, le Grand création de conseils séparés pour les finances et la justice devait aboutir, en effet, à supprimer l'immixtion de la partie aristocratique du conseil princier dans l'organisation de ces services et, partant, à les centraliser de plus en plus dans les mains du souverain. Sous Marguerite d'Autriche, les finances, la branche la plus importante de l'administration de l'Etat, se sont presque complètement détachées du Conseil privé : les « gens des finances » s'assemblent, certains jours de la semaine, dans une chambre réservée à cet objet (9). Rien d'étonnant si, dès la fin du XVe siècle, l'administration bourguignonne passe pour un modèle. Maximilien s'en inspire dans ses Etats d'Autriche et, de même que Philippe le Bon avait jadis fait venir de France des praticiens capables d'initier ses sujets néerlandais au maniement des institutions monarchiques, il envoie à Bruxelles, pour s'y instruire, des fonctionnaires allemands (10). La centralisation politique passe ainsi de la France à l'Allemagne par l'intermédiaire des Pays-Bas, comme, au Xe et au XIe siècle, la chevalerie, la paix de Dieu et la réforme de Cluny. Pourtant, à mesure qu'elle se développe, elle s'affranchit de ses modèles étrangers. La création des trois « Conseils collatéraux» (11) par Charles-Quint en 1531 ne doit rien à la France. Il n'y faut point voir non plus, d'ailleurs, une innovation introduite de toutes pièces par l'empereur. C'est tout simplement une réforme inspirée par l'expérience et la pratique nationales, le terme nécessaire de l'évolution dont nous venons d'esquisser les phases principales. Avec elles, le principe de la spécialisation des fonctions reçoit sa consécration officielle. Un conseil politique, le Conseil d'Etat, un conseil de justice, le Conseil privé, enfin, un Conseil des finances, tels sont les trois ministères distincts dont, désormais, et pendant des siècles, se composera le gouvernement central des Pays-Bas. Le Conseil privé et le Conseil des finances, placés directement sous l'autorité du prince ou de son représentant, ne comprennent guère que des conseillers de « robe lon- gue », recrutés parmi ces juristes sortis de la bourgeoisie et de la petite noblesse qui, dans tous les Etats, ont constitué, au début des temps modernes, les meilleurs et les plus dévoués artisans du pouvoir monarchique. Le premier forme tout à la fois un comité de législation et une cour judiciaire chargée de statuer sur les grâces et les contestations relatives aux privilèges ou aux droits particuliers des provinces (12). Le second, préposé aux diverses Chambres des comptes, règle l'administration financière en général et exerce la juridiction dans toutes les questions concernant l'impôt ou le domaine. C'est un tout autre caractère que présente le Conseil d'Etat. Consistant en un nombre fixe de membres à vie, choisis parmi les principaux seigneurs du pays, il ne possède que des attributions politiques. Par lui, la grande noblesse est intimement mêlée à l'administration du pays et associée à tous les actes du gouvernement central. Sans doute, l'avis du Conseil d'Etat est purement consultatif et sans doute aussi, ses pouvoirs assez mal déterminés peuvent soulever facilement des conflits. Il n'importe. Le contrôle qu'il exerce suffit à rendre le despotisme impossible. Charles-Quint en l'instituant n'a pu prévoir que, sous son fils, il serait le premier et le plus dangereux ennemi du souverain. La noblesse, d'ailleurs, n'intervient pas seulement dans la vie politique par ses représentants du Conseil d'Etat. Les chevaliers de la Toison d'Or conservent le droit d'être appelés à délibérer avec le prince. Ils se trouvent dans une situation assez comparable à celle des « ministres d'Etat » dans les monarchies constitutionnelles de nos jours. LES GOUVERNANTES. -L'absence presque continuelle du prince à partir des premières années du règne de Charles-Quint a rendu permanente dans les Pays-Bas une institution qui n'y avait existé jusqu'alors qu'à titre exceptionnel : celle du gouverneur ou, pour mieux dire, de la régente ou gouvernante générale. Sous les ducs de Bourgogne, des « lieutenants » avaient reçu la mission de gouverner le pays pendant les voyages du souverain, voyages peu nombreux d'ailleurs et de courte durée. Maximilien, quoique forcé à des absences beaucoup plus prolongées, se conforma tout d'abord à cette coutume. De 1489 à 1494, Albert de Saxe remplit, en son nom, les fonctions d'un véritable régent. (Bruxelles, Collégiale des SS. Miehel-el-Gudule, chapelle du Saint-Sacrement du Miracle). (Cliché A.C.L.I Marie de Hongrie. Détail de la verrière consacrée à Louis II, roi de Hongrie, et à son épouse, Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas. Cette verrière est l'œuvre de Michel Coxie et de Jean Haeck (1547). Marie de Hongrie fit don à la fabrique d'une somme de 300 florins pour aider à payer les frais d'exécution de ce vitrail. Bernard Van Orley est l'auteur d'une composition semblable, exécutée pour la collégiale de Sainte-Gudule en 1537. (Lille, Archives du Nord, abbiette de Lille.) (Cliché Saint-Aubin.) Sceau du Conseil provincial de Brabant. Ecu à l'aigle déployée et nimbée, portant en cœur un écusson aux armes d'Espagne, timbrée d'une couronne en forme de mitre. Sur le cercle, entouré du collier de la Toison d'Or et supporté par deux lions, la devise PLVS OVLTRE. Sceau rond pendant au bas d'un acte du 8 octobre 1548. Diamètre : 65 mm. On sait que Marguerite réalisa toutes les espérances de Maximilien. Aussi ne faut-il pas s étonner si Charles-Quint, à partir de 1519 jusqu'à son abdication, suivit exactement l'exemple de son grand-père. C'est tout d'abord à Marguerite, puis à Marie, veuve comme elle, comme elle sans enfants et appartenant comme elle à sa propre famille, qu'il abandonna le gouvernement de ses domaines bourguignons. L'une et l'autre reçurent les attributions les plus étendues. Les patentes données à Marguerite en 1519 et en 1520, à Marie en 1531, firent d'elles, dans toute la force du terme, les représentantes de l'empereur. Elles leur donnent le droit de convoquer tous les conseils ainsi que les Etats généraux, de promulguer des édits, de nommer à tous les offices, de disposer des finances et des forces militaires du pays. Sans doute, des instructions secrètes limitent, en quelques points, leur liberté d'action : Charles se réserve la nomination à certaines fonctions importantes, et Louis de Praet a joué pendant plusieurs années, à côté de Marie de Hongrie, un rôle analogue à celui que Granvelle devait occuper plus tard à côté de Marguerite de Parme. Mais, en somme, Marguerite et Marie jouirent toutes deux d'une très large autonomie, suffisamment justifiée d'ailleurs par leurs talents, leur zèle et leur fidélité. L'institution des gouvernantes rendit inutile le poste de chancelier de Bourgogne qui, supprimé momentanément en 1507, à la mort de Thomas de Plaines, cessa définitivement d'exister après celle de Jean le Sauvage (7 juin 1518) (13). L'audien-cier, ou premier secrétaire d'Etat, fut chargé à sa place, de la correspondance politique (14). Marguerite d'Autriche apparaît, depuis lors, comme Marie de Hongrie après elle, l'alter ego du prince. Instruments du prince, d'ailleurs, les gouvernantes Mais l'hostilité du pays à l'égard des étrangers lui fit adopter un autre système en 1507. C'est à sa fille Marguerite qu'il délégua ses pouvoirs pendant la minorité de Charles-Quint. La mesure était habile. L'origine bourguignonne de Marguerite devait la faire accepter facilement par les provinces, en même temps qu'elle garantissait son attachement à la politique de sa maison. Une femme d'ailleurs, une veuve sans enfants surtout, pouvait difficilement abuser des pouvoirs si étendus de la gouvernance générale. On n'avait à craindre de sa part aucune tentative de révolte ni même d'insubordination. n'existent que pour lui et par lui. Le pays n'intervient aucunement dans leur choix et elles ne prêtent point serment à ses privilèges. Contre leurs abus de pouvoir, il n'y a d'autres recours qu'au souverain. Mais celui-ci évite autant qu'il le peut de s'ériger en juge entre ses sujets et les régentes qu'il leur a données. Son intérêt évident est de ne point ébranler lui-même un pouvoir qui agit en son nom et qu'il s'efforce d'augmenter tout en se dissimulant derrière lui. Il a su rester populaire tandis que les gouvernantes — comme le chancelier Rolin sous Philippe le Bon -— ont détourné sur elles les griefs et le mécontentement populaire. Le devoir leur a imposé de se sacrifier, et toutes deux lui ont obéi en mettant toujours, quoi qu'il leur en ait coûté parfois, l'intérêt de Charles avant celui des provinces. La nécessité de correspondre avec les gouvernantes et de faire instruire les affaires qu'elles lui soumettaient, obligea Charles-Quint, pendant ses longues absences, à conserver à ses côtés un garde des sceaux et deux ou trois conseillers originaires des Pays-Bas auxquels étaient communiqués tous les papiers arrivant de Bruxelles. Le, garde des sceaux en faisait rapport à l'empereur après en avoir conféré avec les autres ministres (15). Cependant, l'intervention de ceux-ci ne fut jamais prépondérante dans l'administration interne des Pays-Bas, qui échappa, jusqu'au règne de Philippe II, à l'influence espagnole, pour conserver intact son caractère bourguignon. L'ADMINISTRATION PROVINCIALE. — On sait que l'organisation monarchique créée par les ducs de Bourgogne ne s'absorbe point tout entière, à beaucoup près, dans l'établissement d'un gouvernement central. Avant même la constitution de celui-ci par Philippe le Bon, la nécessité de régulariser l'administration de la justice et des finances avait provoqué, dans chacun des principaux (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 2088-98, fol. 87 v°.) Carte manuscrite du duché de Brabant. Comme les cartes médiévales, eile est entourée d'un cadre circulaire délimitant les frontières du duché : Hollande, Zélande, Flandre, Hainaut, Namur, Hesbaye, Looz, Gueldre. Elle est orientée au nord et indique l'emplacement des localités brabançonnes avec une exactitude relative. Carte extraite des Catalogi episcoporum, manuscrit du XVIe siècle. territoires du pays, l'institution d'organismes nouveaux placés directement sous l'action et le contrôle du prince. L'Audience du comte, installée en Flandre par Louis de Maie (1369), peut être considérée comme la première en date de ces innovations, dont le nombre s'accrut rapidement sous la dynastie bourguignonne (16). Des Conseils de justice, composés de juristes de profession à la nomination du souverain et pourvus de procureurs généraux et d'officiers fiscaux (17) chargés de diriger l'action publique, apparaissent en Flandre, en Brabant, dans le Luxembourg, dans la Gueldre; des Chambres des comptes sont fixées à Lille, à Bruxelles, à La Haye; dans les provinces, enfin, des représentants du duc, lieutenants-gouverneurs, grands baillis, capitaines généraux ou Stadhouders, veillent au bon fonctionnement de l'administration, à la défense et à la police du territoire, au maintien des prérogatives princières. Malgré les répugnances qu'elles soulevèrent tout d'abord, ces « nouveautés » s'acclimatèrent assez rapidement. Le Grand Privilège et les privilèges provinciaux qui en constituent l'achèvement cherchèrent bien à les amoindrir, mais ils ne les firent point disparaître. Seul le Conseil de Gueldre cessa d'exister dès que la Gueldre eût repris son indépendance à l'égard de la maison de Bourgogne. Les villes, redevenues toutes-puissantes, s'empressèrent, en effet, de supprimer cette marque de la Gallica servitus, c'est-à-dire du système monarchiste, au profit de la Libertas Germanica, c'est-à-dire du particularisme urbain (18). Ni Philippe le Beau ni surtout Charles-Quint n'eurent donc à reprendre de toutes pièces l'administration provinciale. Ils se bornèrent à la restaurer et à la compléter. De nouveaux Conseils de justice furent érigés dans le Namu-rois (1491), l'Artois (1530), le Luxembourg (1531). Le Conseil créé dans la principauté d'Utrecht par l'évêque David de Bourgogne fut conservé et réformé après l'annexion de ce pays. On rétablit celui de Gueldre en 1547. Le Tournaisis, après sa conquête, entra dans le ressort du Conseil de Flandre. Des édits réglèrent les attributions et la compétence de tous les conseils anciens et nouveaux. Egalement surveillés par le Conseil privé depuis 1531, ils se conformèrent de plus en plus aux mêmes tendances. Pour anéantir le principal grief que l'on avait invoqué contre eux, le gouvernement prit pour règle de ne recruter leurs membres que dans la population des provinces sur lesquelles ils exerçaient leur juridiction. Il apporta surtout le plus grand soin à ce recrutement, et il est certain que la haute magistrature des Pays-Bas fut, dans son ensemble, durant la première moitié du XVIe siècle, un corps des plus remarquables. Elle ne s'honora point seulement d'une foule de juristes excellents et d'humanistes distingués, elle fournit encore une preuve éclatante de son bon sens en se gardant de romaniser outre mesure le vieux droit coutumier des Pays-Bas. L'organisation des Chambres des comptes, dont le nombre fut d'abord de trois, Lille, Bruxelles et La Haye, puis s'augmenta, après 1543, de la Chambre de Gueldre et de Zutphen, se précisa et se perfectionna comme celle des Conseils de justice pendant le règne de Charles-Quint. Peu de pays possédèrent en somme, à cette époque, une comptabilité aussi perfectionnée que celle des provinces bourguignonnes, ni qui rende plus hautement témoignage de l'application et de la conscience des fonctionnaires qui en furent chargés (19). (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) Charles-Quint. « Charles par la divine clemence Empereur des Romains toujours auguste, Roi de Germanie, de Castille, de Léon, de Grenade, d'Arragon, de Naples, de Navarre, de Seville, de Majorque, de Sardaine, des Isles, Indes et Terre ferme, de la Mer oceane, Archiduc d'Austriche, duc de Bourgoigne, de Lothier, de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg, de Gueldre, Comte de Flandre, d'Artois et de Bourgoine, Palatin de Haynault, de Hollande, de Zelande, de Zutphen, Prince de Swave, Marquis du Sainct Empire, Seigneur de Frise, de Salins, de Malines, des villes, cites et pays d'Utrecht, d'Overyssel et de Groningue, dominateur en Asie et en Afrique... » Cette énumé-ration des titres de Charles-Quint constitue l'intitulé diplomatique de la Pragmatique Sanction du 4 novembre 1549. Buste de bronze en relief exécuté vers 1555 par Leoni. Hauteur : 68 cm.; largeur : 57 cm. LES GOUVERNEURS DE PROVINCES. — Tandis qu'il s'attachait à prescrire avec exactitude leurs devoirs à ses juges et à ses comptables, le souverain s'abstint de déterminer les fonctions des gouverneurs qui le représentaient dans les provinces. C'est que la situation de ces gouverneurs n'était point celle de simples fonctionnaires. Tous choisis parmi la haute noblesse ou les chevaliers de la Toison d'Or, il fallut leur laisser une indépendance qu'il eût été dangereux de vouloir limiter trop strictement. En réalité, leurs pouvoirs furent toujours très mal définis. L'inamovibilité dont ils jouissaient garantissait à chacun d'eux, dans sa province, une autonomie presque complète. Ils y commandaient la gendarmerie, y veillaient à l'entretien des forteresses, y nommaient à une foule d'offices, y convoquaient les Etats, y présidaient presque partout le Conseil de justice, y promulguaient des édits. La plupart d'entre eux cherchèrent et réussirent à se rendre populaires dans leurs gouvernements. En somme, leur fidélité était le seul garant de leur obéissance, et ils inspirèrent à Maximilien et à Marguerite d'Autriche une défiance assez vive (20). Mais Charles-Quint se garda de prendre des mesures contre eux. Il se savait assuré de leur dévouement, et sa politique à leur égard consista à leur laisser une liberté dont ils n'abusèrent jamais tant qu'ils furent sous ses ordres (21). Ils n'en devaient être que plus dangereux sous son fils. Dès les premières années du règne de Philippe II, Granvelle se plaint amèrement de leurs usurpations sur l'autorité royale. Il propose de restreindre leurs prérogatives, de rendre leurs fonctions triennales et de ne point remplacer ceux qui disparaîtront; il va même, en 1582, jusqu'à parler de leur abolition (22). L'OPPORTUNISME MONARCHIQUE. - Malgré l'établissement d'un gouvernement central et des nombreux organismes administratifs que le souverain a créés dans les provinces et auxquels il imprime le mouvement, la constitution politique des Pays-Bas, même au moment de la plus grande puissance de Charles-Quint, demeure beaucoup plus celle d'une pluralité d'Etats que celle d'un Etat unique. Sans doute, les dix-sept provinces reconnaissent le même prince, mais c'est à des titres divers et dans des conditions très différentes que ce prince règne sur chacune d'elles. Si grand qu'il soit et quelque fierté que sa grandeur inspire à ses sujets, l'empereur se rapetisse pourtant à la taille d'un duc de Brabant dans ses rapports avec les Brabançons; il n'est que comte de Flandre pour les Flamands, comte de Hainaut pour les Hennuyers, etc., si bien que ses pouvoirs se modifient à la frontière de chacun des territoires qu'il possède. Comme sous les ducs de Bourgogne, les institutions monarchiques n'ont point absorbé les autonomies provinciales. Elles s'y superposent sans les supprimer et, dans la constitution de l'Etat, les franchises du Moyen Age se conservent sous les innovations modernes, de même que le style gothique s'accole au style de la Renaissance dans un si grand nombre de monuments. (Malines, Musée communal.) (Cliché Van Kersbeeck.) Coffre aux privilèges de la ville de Malines (1475-1476). Les chartes et les privilèges urbains étaient conservés dans les tiroirs du cotfre qui sont encore munis des étiquettes indiquant la nature de différentes pièces classées. Chaque échevin possédait une clef du coffre. En dépit des difficultés de toute sorte que cette situation entraînait, le gouvernement ne chercha point, nous l'avons déjà constaté, à la faire violemment disparaître. Il se garda de proclamer, comme Charles le Téméraire, le principe du droit supérieur et souverain du prince. Ce n'est que très rarement qu'il lui échappa d'invoquer sa voluntas absoluta. Au lieu d'aborder de front les obstacles accumulés sur sa route, il préféra les tourner. Charles-Quint se fait secrètement relever par le pape du serment qu'il a prêté à la Joyeuse Entrée (23) et en obtient des pouvoirs qu'il pourra invoquer utilement contre les privilèges du clergé (24). Il s'arme en secret pour une lutte possible, mais il répugne à l'emploi de la force. Après la régence de Marguerite d'Autriche, dont l'humeur indépendante ne s'accommoda point toujours de la modération souhaitée par l'empereur, Marie de Hongrie ne cesse de manifester les intentions les plus conciliantes. Sa conduite à l'égard des Gantois atteste une longanimité extraordinaire et une volonté bien arrêtée de traîner les choses en longueur. Il n'est point jusqu'aux sanglants placards édictés contre les hérétiques où Charles ne se soit efforcé de tenir compte des susceptibilités des provinces et d'éviter toute violation trop flagrante de leurs coutumes. Il ne faut point chercher l'explication de cette attitude dans l'attachement feint ou réel — et peut-être l'un et l'autre à la fois — de l'empereur pour ses « compatriotes ». La raison d'Etat parla toujours chez lui plus haut que le sentiment; son impitoyable sévérité à l'égard des Gantois en 1540 le prouve à suffisance. Mais son tact politique lui conseilla d'agir comme il le fit. Pouvait-il risquer, en effet, de déchaîner dans les Pays-Bas une nouvelle guerre civile qui n'eût tourné qu'à l'avantage de François Ie'' ? La modération de sa politique interne s'explique donc par les nécessités de sa politique extérieure. En combattant ouvertement leurs libertés, il aurait appelé la France dans les dix-sept provinces; en les respectant, il s'y constitua un rempart contre elle. Et n'avons-nous pas vu que, avec une habileté consommée, il se servit de ces libertés, qu'il laissait subsister malgré lui, pour exciter ses sujets à le seconder contre son adversaire (25) ? Mais s'il renonça à imposer l'unité politique aux Pays-Bas, il chercha, du moins, à les y incliner par persuasion. Les discours qu'il prononça lui-même ou qu'il fit prononcer devant les Etats généraux, se terminent presque toujours par un appel chaleureux à l'« union » (26). L'union, c'est-à-dire l'abandon du particularisme territorial, la mise en commun de toutes les ressources et de toutes les forces des provinces en vue de l'utilité générale, l'entente dans les mesures de défense et de résistance à l'ennemi, l'alliance indissoluble, enfin, de toutes les parties de l'Etat collectif. Loin de tendre à maintenir les dix-sept provinces séparées les unes des autres. Charles-Quint poussa, au contraire, de tout son pouvoir à leur rapprochement. Sûr de sa popularité, il ne craignit point de susciter parmi elles l'éclosion d'un sentiment national. En les engageant à s'assister mutuellement, à se confondre viribus unitis en une patrie commune, il forgea l'arme redoutable qui devait être employée contre son successeur. L'union qu'il appelait de tous ses vœux se réalisa vingt ans après son règne..., dans l'union conclue à Bruxelles, en 1577, pour l'expulsion des Espagnols ! En revanche, tant qu'il vécut, elle ne réussit que difficilement à triompher des répugnances qu'elle soulevait. C'est que, présentée par le gouvernement, elle apparaissait à bon droit comme une tentative déguisée de centralisation monarchique. Si le prince la patronnait avec tant de chaleur, c'est donc qu'elle devait tourner à son profit et augmenter son pouvoir ! N'en avait-on pas eu la preuve, d'ailleurs, en 1535, lorsque Marie de Hongrie avait proposé tout ensemble aux Etats généraux, l'union et la création d'une armée permanente (27) ? Or, une armée permanente (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Collection des Matrices.) Matrice en acier de la bulle d'or de Charles-Quint. L'empereur, couronné, tient le glaive de la main gauche, le sceptre et le globe crucifère de la main droite ; il est accosté, à senestre, des armes de l'empire, à dextre, des armoiries de ses possessions patrimoniales. c'était, comme en France, l'impôt perpétuel et, partant, la disparition de la plus fondamentale des libertés publiques, le vote des subsides par le pays. Dès lors, il ne faut point s'étonner si l'opposition aux vues du gouvernement conserva, durant tout le règne de Charles-Quint, un caractère provincial. L'unité politique demeura suspecte parce qu'elle avait pour instrument le pouvoir monarchique. Pour résister à celui-ci, on se retrancha, dans chaque territoire, derrière la barrière des privilèges ou des usages locaux. C'était là, en effet, le seul rempart à l'abri duquel on pût légalement tenir tête au souverain. Ainsi l'opposition fut multiple tant qu'elle demeura paisible : il faut attendre la révolution contre l'Espagne pour la voir combiner et unir ses efforts en un mouvement national. Si vivace qu'elle se conserve, l'autonomie des provinces ne possède plus cependant, sous Charles-Quint, son ancienne vigueur. Les trois ordres qui en sont les organes, la bourgeoisie, le clergé et la noblesse, ont subi des transformations très profondes qui ont amoindri leur force ou qui les ont placés, vis-à-vis du prince, dans une attitude nouvelle. LES VILLES. —- Depuis la fin du XVe siècle, nous l'avons vu, l'indépendance des villes a été sans cesse en diminuant. Elles ont perdu leur puissance militaire, de même qu'elles ont cessé de posséder le monopole de l'industrie. Vers le même moment où ils deviennent incapables de tenir tête aux armées régulières, leurs métiers se voient de plus en plus menacés par la concurrence de l'industrie rurale et par le développement du capitalisme. Les plus importants d'entre eux, ceux des tisserands et des foulons, qui, pendant tout le Moyen Age, ont dominé la politique municipale, sont tombés, au commencement du XVIe siècle, dans une lamentable décadence par suite de l'exode de la draperie des villes vers les campagnes. De l'ancien patriciat, il ne subsiste presque plus rien, et la haute bourgeoisie, qui s'est substituée à lui, se détourne du particularisme médiéval à mesure qu'elle s'adonne de plus en plus aux professions libérales ou au fonctionnarisme, qu'elle s'inspire des idées de la Renaissance, et qu'un nombre toujours croissant de ses membres se lance dans ces entreprises capitalistes qui transforment la vie économique. Qu'elles s'adaptent aux conditions nouvelles de l'époque et y trouvent, comme Anvers, comme Lille, comme Valenciennes, comme les villes hollandaises, la source d'une étonnante prospérité, ou que, moins favorisées par les circonstances, elles ne parviennent point, comme Ypres ou comme Bruges, à s'y résigner ou à en profiter, il n'importe, riches ou pauvres, florissantes ou alanguies, les villes se courbent de plus en plus sous le pouvoir grandissant de l'Etat. Car les changements qui s'opèrent dans leur sein s'accomplissent au bénéfice du prince. Il a pour lui les capitalistes, puisque sa politique monarchique, hostile à l'exclusivisme urbain, favorise par là même la liberté économique. Il a pour lui la population des campagnes, d'autant plus ennemie des privilèges que ceux-ci prohibent ou entravent l'industrie rurale. Bien plus, il a pour lui les villes elles-mêmes qui, dans leurs querelles politiques ou économiques, le prennent pour arbitre et se servent les unes contre les autres de cette autorité monarchique à laquelle chacune d'elles s'efforce d'échapper pour soi-même. Ainsi minée de toutes parts, l'ancienne autonomie com- munale s'effondre à vue d'oeil. La tutelle que les villes avaient exercée jadis sur les châtellenies leur échappe; la bourgeoisie foraine tombe en désuétude. L'échevinage, renouvelé avec la coopération de « commissaires » du prince, est soustrait à l'ingérence des métiers et recruté exclusivement parmi les gens riches que leur éducation et leurs intérêts rapprochent du gouvernement (28). Les prérogatives du bailli ou de l'« amman » qui représente le souverain dans la ville, s'affermissent. Chaque année, les comptes communaux doivent être approuvés par des délégués du pouvoir central et enfin, l'autorisation de celui-ci est requise pour l'établissement de nouveaux impôts. Sauf dans des cas très rares, d'ailleurs, et dont celui de Gand en 1540 est le plus célèbre, ces résultats ont été obtenus sans lutte. Il n'a pas été besoin de casser les privilèges qui consacraient l'exclusivisme municipal : ils sont tombés d'eux-mêmes hors d'usage. Mais on ne doit pas croire cependant que l'autonomie urbaine ait perdu toute importance. Pour restreinte qu'elle soit, il n'en faut pas moins compter avec elle. Aucune décision engageant le corps de la ville ne peut être prise que du consentement de la commune représentée par ses divers « membres ». Ils sont habituellement au nombre de trois : le « magistrat » (échevinage), l'ancien magistrat et l'assemblée des métiers. L'unanimité de ces membres, exigée par la coutume pour qu'une décision soit valable, si elle entrave souvent la bonne marche des affaires, constitue, d'autre part, une précieuse garantie contre les exigences du prince. Sans doute, le gouvernement se décide parfois à passer outre et à considérer le consentement de la majorité comme suffisant (29). Mais cette pratique n'a jamais réussi à s'implanter entièrement. En face de l'Etat, les villes ont donc conservé un moyen très efficace de résistance, mais de résistance légale et pacifique. C'est par des correspondances interminables et des discussions à n'en pas finir qu'elles remplacent maintenant le recours aux armes. Dans cette lutte d'un nouveau genre, la paperasserie s'est substituée aux waepeninghen et le « pensionnaire » aux capitaines et aux hooft-mans de jadis. LE CLERGE ET LA NOBLESSE. — Le clergé devait réussir bien moins encore que les villes à maintenir intacte son indépendance, également menacée par le souverain. Déjà battus en brèche depuis le XVe siècle, ses privilèges financiers, sa juridiction, sa liberté dans les élections épiscopales et abbatiales subissent sous le règne de Charles-Quint des restrictions nouvelles et si considérables qu'elles vont parfois jusqu'à (Héverlé-Louvain, château d'Arenberg.) (Photo et renseignement obligeamment communiqués par M. R. d'Udekem de Guertechin, conservateur du château d'Arenberg.) Pierre tombale de Richard IV de Mérode, baron d'Empire, de Mérode Houffalize, seigneur de Freutz, Mamperlingen, Châtelineau, Bouchout, etc., décédé en 1565. C'est lui qui signa, en 1528, le traité d'Utrecht. Il fut également chef d'approvisionnement de l'armée impériale et gouverneur provisoire à Heinsberg et à Sittard (1543-1544) pendant la guerre dite « Heinsberger Krieg ». Primitivement placée dans l'église des Franciscains à Far-ciennes, la pierre tombale a été transportée à Héverlé dans le courant du XIX" siècle. les abolir. L'empereur, qui sera institué le défenseur de l'Eglise, ne tolère point que l'Eglise empiète sur son pouvoir. Puisqu'il combat pour elle, il entend qu'elle lui obéisse. Il se considère comme le chef temporel du clergé de ses Etats et lui impose sa volonté. Tâche aisée d'ailleurs, car abandonné à lui-même, le clergé est incapable de résistance. Le peuple, envieux de son immense fortune et de ses immunités, ne le soutient pas, et le pape, qui seul pourrait le protéger, favorise au contraire les vues du souverain. En 1515, Charles-Quint obtient de Léon X, puis en 1530, de Clément VII, la nomination aux bénéfices vacants dans les Pays-Bas (30). Les évêques de Tournai, de Térouanne, d'Arras, d'Utrecht, ceux de Liège même, après la mort d'Erard de La Marck, étant ses créatures, ne contrecarrent point ses projets. Ils le laissent saper la juridiction des tribunaux d'Eglise dans les affaires civiles (31), exiger rigoureusement le droit d'amortissement sur les propriétés ecclésiastiques (32), empêcher la création de dîmes, de fondations pieuses, interdire les donations aux couvents (33). L'édit de 1531 sur la réorganisation de la bienfaisance publique s'inspire d'une tendance nettement anticléricale. Les brefs et les bulles émanés de Rome ne sont exécutables dans le pays qu'en vertu de lettres de placet (34). Heureusement du moins qu'il est impossible, sans violer les institutions des provinces, d'enlever aux « prélats », c'est-à-dire aux abbés des principales abbayes, leur droit de séance aux Etats. Par une singulière rencontre, les privilèges territoriaux conservent à l'Eglise des Pays-Bas une autonomie politique qu'elle serait impuissante à sauvegarder par ses propres forces. En Brabant surtout, où la Joyeuse-Entrée limite plus nettement qu'ailleurs les droits du souverain, les abbés, inquiets de l'attitude du gouvernement à leur égard, constituent contre lui un parti d'opposition très actif et souvent très gênant. Ils exaspèrent Marguerite d'Autriche par leurs plaintes et les difficultés continuelles qu'ils soulèvent. Elle les accuse de trahison et va jusqu'à proposer de déporter les plus intransigeants d'entre eux (35). Mais que peut ce petit groupe de prélats frondeurs au milieu d'une Eglise de plus en plus soumise à l'Etat ? En réalité, le clergé ne compte plus comme puissance politique. L'opposition des abbés reste isolée. Encore ne s'inspire-t-elle point des intérêts généraux de l'Eglise, mais des intérêts particuliers de quelques monastères. Sans grande conséquence sous le règne de Charles-Quint, elle jouera cependant plus tard un rôle considérable, lorsqu'elle trouvera dans les deux ordres laïques qui siègent à côté d'elle aux Etats, des auxiliaires et des alliés. (Bruges, Burg.) (Cliché A.C.L.) Ancien greffe de la ville de Bruges. Bâtiment de style Renaissance construit de 1534 à 1537 par Chrétien Sixdeniers, maître-maçon, d'après les plans de Jean Wallot, tailleur de pierres. A la même époque, Guillaume Aerts sculptait les statues de Moïse et d'Aaron et des allégories de l'Equité, de la Justice et de la Fidélité, douze portraits en buste et les armoiries de Charles-Quint, du comté de Flandre, de la ville et de ses neuf gildes principales : ces ornements, polychromes en 1537 par Jean Zutterman ont été détruits par les révolutionnaires français en 1792. LA NOBLESSE. — De ces deux ordres, tandis que la bourgeoisie, au point de vue politique, est en déclin, la noblesse, au contraire, acquiert une influence qu'elle n'avait plus possédée depuis quatre cents ans. Refoulée au second rang à partir du XIIe siècle par la puissance croissante des villes, les progrès du pouvoir monarchique lui restituent dans l'Etat la première place. Bien différente, d'ailleurs, de la vieille caste féodale dont les derniers descendants achèvent de disparaître, et dont les moeurs ne subsistent plus que dans la région sauvage des Ardennes, la noblesse de l'époque bourguignonne, la haute noblesse surtout, s'est formée et enrichie au service du prince. On y rencontre pêle-mêle, à côté de familles indigènes comme les Lalaing, les Ligne, les Berghes, les Egmont, les Arenberg, les descendants de seigneurs bourguignons ou picards venus dans les Pays-Bas avec les ducs, comme les Meghem, les Croy, ou de comtes allemands qui y ont suivi Maximilien, comme les Nassau. Tout cela s'est rapidement fondu, amalgamé, uni par des mariages, par la communauté des moeurs, des intérêts, de la langue même, car, en dépit de ses origines diverses, la haute noblesse a bientôt adopté tout entière la langue de la cour, le français. Si, durant le XVe siècle, il se produit encore parmi ses membres quelques défections retentissantes, celle de Commines, celle des Croy, celles d'Esquerdes, on ne constate plus rien de tel depuis l'avè- nement de Philippe le Beau (36). C'est une fidélité inébranlable qu'elle témoigne dès lors au souverain, c'est pour lui qu'elle verse son sang sur tous les champs de bataille. De 1453 à 1521, on ne compte pas moins de quatre Lalaing morts au service : Jacques tué à Poucques (1453), Philippe à Montlhéry (1466), Josse au siège d'Utrecht (1483), Jacques à celui de Mézières (1521). Un Lannoy reçoit à Pavie l'épée de François Ier. Charles d'Egmont meurt aux côtés de Charles-Quint pendant l'expédition de Tunis. Le comte de Buren, qui a passé sa vie à combattre les Gueldrois, les Français, les protestants d'Allemagne, sentant approcher sa dernière heure, se fait porter, en costume d'apparat, dans la grande salle de son hôtel et, au milieu de ses amis et de ses domestiques, « soutenu sous les bras par deux gentilshommes », boit une dernière fois à la santé de l'empereur son maître (37). Ce n'est pas seulement leur sang, c'est aussi leur or que les nobles mettent à la disposition du souverain. En 1522, dans un de ces innombrables moments de pénurie où les coffres de l'Etat sont à sec, le comte d'Hoogstraeten vend mille livres de rente sur ses biens et refuse « par courtoisie » d'accepter les garanties que lui offre la gouvernante. Henri de Nassau, lors du siège de Mézières, avance trente-deux mille livres. Quantité d'autres mettent leur crédit à la dis- (Hoogstraeten, Eglise Sainte-Catherine.) (Cliché A.C.L.) Mausolée de Philippe de Lalaing, deuxième comte d'Hoogstraeten, de sa femme, Anne de Renneberg, et de leurs treize enfants. Gouverneur de la Gueldre sous Charles-Quint, Philippe de Lalaing mourut le 30 janvier 1555, et sa femme le 10 septembre 1583. Le mausolée a été détruit en 1944. position du gouvernement lors de la conclusion d'emprunts (38). Mais aussi les récompenses ne leur sont pas ménagées ! Chimay est érigé en principauté pour Charles de Croy en i486, Epinoy pour François de Melun en 1541, Gavere en 1553 pour Lamoral d'Egmont. Philippe de Croy devient duc d'Arschot et marquis de Renty en 1533. Antoine de Berghes, la même année, est fait marquis de Berghes. Une foule de terres, en retour de services rendus par leurs possesseurs, sont érigées en comtés : Egmont en 1486, Buren en 1492, Hoogstraeten en 1518, La-laing en 1522, Rœulx en 1533, Ligne en 1544, Boussu et Culembourg en 1555. Les sièges épiscopaux servent à pourvoir les cadets des grandes familles. Celui d'Arras est donné, en 1524 à Eustache de Croy, celui de Tournai, en 1539, à Charles de Croy. Trois autres Croy encore. Jacques, Guillaume et Robert, se succèdent sur celui de Cambrai de 1504 à 1556. Il échoit après eux à Maximilien de Berghes, dont deux parents, Corneille et Robert, deviennent évêques de Liège, en 1538 et en 1557. (Furnes, Eglise Sainte-Walburge.) (Cliché Janssens.) « Le briquet de Bourgogne qui orne les colliers de la Toison d'Or, devient un emblème national; il figure aux ornements sculptés aux façades des hôtels de ville, dans le chœur des églises, jusque sur le pignon des maisons particulières... » (Voyez le texte de Pirenne, p. 120.) Le briquet de Bourgogne accosté de la croix de Saint-André. En dessous, les armes impériales et la devise de Charles-Quint. Ce motit décore, depuis 1528, le soubassement de la chapelle de la Sainte-Croix i l'église Sainte-Walburge i Furnes. L'exemple a été cité par Pirenne lui-même. (Voyez la note 41.) Le prince ne néglige rien pour rehausser l'éclat dont il pare les « grands maîtres » et pour les attacher toujours davantage à sa personne. Il assiste à leurs mariages, tient leurs enfants sur les fonts baptismaux, les appelle « mon cousin » quand il leur écrit. Enfin, c'est à eux qu'il réserve la plupart des colliers de la Toison d'Or qui, jusqu'à la fin du règne de Charles-Quint, conserve presque intact son caractère bourguignon. Par cette distinction suprême, aussi passionnément désirée par la noblesse belge que la Légion d'honneur le fut par les soldats de Napoléon, il tient les dévouements en haleine et entretient l'émulation parmi ses serviteurs. Pour la rendre plus précieuse encore, il en augmente les prérogatives. Depuis 1517, les chevaliers de l'Ordre ne sont plus justiciables que de leurs confrères, et il est interdit de procéder contre eux par prise de corps (39). Au sein de la noblesse, ils constituent une noblesse plus haute, une classe privilégiée, une pairie qui non seulement à la cour, mais encore dans l'Etat, occupe la première place. Le gouvernement prend leur avis dans les circonstances difficiles, et choisit parmi eux presque tous les conseillers d'Etat et les gouverneurs des provinces. L'obligation imposée par les privilèges territoriaux aux fonctionnaires du prince d'être nés et « possessionnés » dans la province qu'ils administrent, ne s'applique point aux chevaliers de l'Ordre (40). Ils jouissent, pour ainsi dire, d'une naturalisation universelle dans les Pays-Bas. Ils n'y sont étrangers nulle part, et peu à peu leur action s'imposant également à tous les fragments de ce grand corps les rapproche, les attache, les unit en un même tout, comme, sur l'écu de Bourgogne, le collier de la Toison d'Or enserre de sa chaîne en sautoir les armoiries des dix-sept provinces. Mais si la haute noblesse travaille fidèlement pour le prince, elle n'entend point obéir en silence. En se transformant sous l'action du pouvoir monarchique, ses vieux sentiments d'honneur et d'autonomie féodale n'ont point disparu; ils se sont élargis. Elle se considère maintenant comme la gardienne de l'indépendance des Pays-Bas, et il suffit de se rappeler le rôle qu'elle a joué pendant les premières années de Philippe le Beau et de Charles-Quint, pour reconnaître chez elle, très nettement, une tendance nationale. Grandie au service des princes bourguignons, elle conserve fidèlement la tradition de ses origines. Elle reste bourguignonne lorsque le chef de la maison de Bourgogne devient roi d'Espagne. Par intérêt, sans doute, mais aussi par point d'honneur, elle est résolue à maintenir la patrie à l'abri de l'influence étrangère. Si elle a dû renoncer à l'espoir de dominer l'Espagne, elle ne permet point, en revanche, que l'Espagne la domine. Le sentiment bourguignon qui l'inspire prendra bientôt l'aspect d'un véritable patriotisme. Et, dès lors, à l'ascendant social dont elle jouit, se joint la force que donne la popularité. Elle apparaît comme la sauvegarde et le défenseur du pays. Le briquet de Bourgogne qui orne les colliers de la Toison d'Or, devient un emblème national; il figure aux ornements sculptés aux façades des hôtels de ville, dans le chœur des églises, jusque sur les pignons des maisons particulières, et on le retrouvera plus tard sur les médailles frappées par les Gueux (41). Car, au jour prochain où la révolte éclatera contre Philippe II, ce sera la noblesse qui en prendra la direction et qui, grâce à l'esprit qui l'anime, sera seule capable pendant les premiers temps, d'en grouper les mouvements divers en un même effort de l'Etat bourguignon contre l'Etat espagnol. LES ETATS GENERAUX. - Les trois ordres dont on vient de parler, clergé, noblesse et bourgeoisie, n'ont cessé d'être associés, pendant toute la première moitié du XVIe siècle, à l'exercice du pouvoir politique. Ce n'est point là, d'ailleurs, un caractère propre à cette époque. Depuis le XIVe siècle, dans chaque territoire, les Etats locaux re- Ces grandes assemblées, on se le rappelle, ne furent point l'œuvre du pays, mais exclusivement l'œuvre du prince (42). Tandis que les Etats des provinces se constituèrent lentement au cours des agitations politiques du XIVe siècle, les Etats généraux apparaissent soudain en 1463 : ils sont une création personnelle du souverain. Ils répondent, comme le Conseil ducal, comme les Chambres des comptes ou le Parlement de Malines, aux nécessités de la centralisation gouvernementale. Philippe le Bon, leur (Angers, Musée de l'Ancien Evêché.) Scène de la vie de cour au début du XVIe siècle : La dame de Rohan jouant de l'orgue. Tapisserie du début du XVIo siècle. présentaient le pays en face du prince et, sous le règne de Philippe le Bon, de même qu'un gouvernement central s'organisa par-dessus les provinces, de même aussi une seule assemblée délibérante réunit en un seul corps, sans toutefois les faire disparaître, les parlements particuliers : ce furent les Etats généraux. Le mouvement d'unification qui caractérise l'époque bourguignonne se communiqua donc à la fois aux institutions monarchiques et aux institutions représentatives. Toutefois, il se manifesta beaucoup moins complètement dans celles-ci que dans celles-là. Quelle qu'ait été jusqu'à la fin du règne de Charles-Quint l'importance des Etats généraux, il s'en- faut de beaucoup que l'on puisse les considérer comme un vrai parlement national. fondateur, en a emprunté à la France et l'idée et le nom même qu'ils ont porté et que conservent encore aujourd'hui, dans le royaume de Hollande, les Chambres législatives. Devenu le chef d'un grand Etat, il a voulu, à l'exemple des rois, assembler autour de lui les délégués de tous ses sujets, soit pour leur communiquer ses desseins, soit pour leur demander l'impôt. Et en agissant ainsi, il n'a visé que son seul avantage. Grâce aux Etats généraux, il s'épargnait les frais et les lenteurs de négociations séparées avec toutes les provinces; il apparaissait devant leurs délégués dans toute sa puissance et sa majesté de souverain; il pouvait, enfin, agir sur le vote de ceux-ci, non seulement pai son intervention personnelle, mais encore par l'influence que produisait souvent sur l'opposition le spectacle de (Charneux, Abbaye de Val-Dieu.) Un tournoi à la cour de Brabant. Estampe anonyme du XVIe-XVII» siècle. l'empressement du reste de l'assemblée à se rallier aux désirs du duc. Les Etats généraux ne servirent donc qu'à faciliter la tâche du gouvernement. Ils furent pour le prince un moyen d'affaiblir les résistances provinciales à son action centralisatrice et, si paradoxale qu'une telle affirmation puisse paraître, c'est en somme, au profit du pouvoir monarchique qu'ils furent institués. Quant au pays, bien loin d'applaudir à cette innovation, il ne la vit s'accomplir tout d'abord qu'avec défiance. On craignait qu'elle ne mît en péril les libertés sauvegardées par le particularisme politique; On se plaignait qu'elle imposât aux provinces des frais considérables en obligeant leurs représentants à de nombreux voyages, et quelques-unes d'entre elles revendiquèrent même le « privilège » de n'y être point astreints (43). Si Philippe le Bon s'est inspiré de l'exemple de la France en créant les Etats généraux, on remarque pourtant au premier coup d'oeil, entre les Etats généraux de France et ceux des Pays-Bas, une différence très profonde (44). En France, les Etats généraux apparaissent comme une assemblée nationale capable de s'engager au nom du pays tout entier; dans les "Pays-Bas, au contraire, ils ne constituent à vrai dire qu'un congrès d'Etats particuliers dans lequel chacun des Etats composants ne s'engage que pour lui-même. La raison de ce contraste doit être recherchée dans la nature même de la monarchie française et de la monarchie bourguignonne. La première constitue, en effet, une unité politique, un seul Etat, tandis que la seconde ne consiste qu'en une pluralité d'Etats. Le roi règne sur la France en vertu d'un titre universel; le duc ne règne sur les Pays-Bas qu'en vertu de titres spéciaux. Si toutes les provinces lui appartiennent, chacune d'elles conserve cependant son antique indépendance; l'action princière ne peut les pénétrer, substituer le gouvernement central à leurs gouvernements locaux. Mais dès lors aussi, elle ne peut remplacer leurs parlements multiples par un parlement unique. Les Etats généraux n'entraînent pas l'abolition des Etats des provinces. Ils n'en constituent en somme que la réunion, comme l'Etat bourguignon lui-même ne constitue que la réunion, sous un même souverain, de provinces diverses. Après leur création comme avant elle, les Etats provinciaux statuent en dernier ressort sur les demandes du prince. A les envisager au point de vue constitutionnel, les Etats généraux ne possèdent donc aucun pouvoir propre : ce n'est point la volonté générale du pays, ce sont les volontés particulières des territoires du pays qui s'y expriment, et l'on serait tenté de n'y voir, à l'origine, au lieu d'un parlement unique, qu'une assemblée de parlements siégeant ensemble (45). Institués par le prince et dans son intérêt, il est naturel que les Etats généraux n'aient pu se réunir sans être mandés par le prince. De même aussi, ils manquaient complètement du droit d'initiative : le souverain seul fixait leur ordre du jour. On ne les convoquait d'ailleurs que dans des circonstances extraordinaires, soit pour leur communiquer les projets du gouvernement et tâter par ce moyen l'opinion publique, soit, le plus souvent, pour leur demander des subsides. C'est exclusivement dans ce but que Charles le Téméraire les fit s'assembler, et c'est aussi sous (Cliché A.C.L.) (Chester, Collection E. Peler Jones esq.) Charles-Quint. Portrait peint par J.-C. Vermeyen (1500-1559). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Une instruction judiciaire au XVIe siècle. Le témoin dépose en présence de deux juges et d'un greffier. Gravure sur bois en frontispice au chapitre CLXII (De probationibus per testes) de la Praxis rerum civilium de J. Damhouder, p. 359 (Antverpiae, J. Bellerus, 1567, in-4°). lariste (47). Elles ne visent qu'à rétablir dans son intégrité primitive l'autonomie des provinces, et ce serait les mal comprendre que de supposer qu'après avoir supprimé la souveraineté du duc, elles aient voulu la remplacer par la souveraineté d'un parlement. Si tel avait été leur objet, n'est-il pas évident qu'elles eussent pris soin de modifier la composition des Etats généraux et de terminer nettement leurs prérogatives ? Nul gouvernement parlementaire n'était possible aussi longtemps que les Etats généraux continueraient à former un congrès d'Etats locaux, aussi longtemps que la volonté de la majorité ne pourrait faire la loi à la minorité. Or, sur ce point essentiel, l'acte de 1477 n'a rien innové. Il reconnaît expressément qu'aucune guerre ne pourra être déclarée sans l'assentiment « unanime » de toutes les provinces (48). Il laisse donc le particularisme l'emporter dans les Etats généraux, et l'on en doit conclure que bien loin de vouloir élever ceux-ci au rang d'un parlement national, il n'a augmenté leur influence que pour mieux affaiblir celle du prince. On s'en convaincra mieux encore en voyant, en 1488, la paix conclue entre la Flandre, le Brabant et le Hainaut reprendre et préciser les principes du Grand Privilège. Ici aussi, le droit des Etats généraux de s'assembler sans convocation préalable est formellement proclamé. Mais leurs pouvoirs ne consistent qu'à veiller au maintien des franchises des pays contractants, si bien qu'en somme, le particularisme territorial l'emporte encore une fois sur la «généralité» (49). Au reste, les innovations de 1477 et de 1488 restèrent lettre morte. On ne devait y revenir que beaucoup plus tard pendant la grande révolution contre l'Espagne où, les interprétant dans un sens auquel leurs auteurs n'avaient pas songé, on les invoqua en faveur du droit de la nation contre le droit du roi (50). Pendant les troubles incessants du règne de Maximilien, aucune assemblée légale des Etats généraux n'eut lieu que sur l'ordre du prince. Ces assemblées furent d'ailleurs très nombreuses; on n'en compte pas moins de douze de la mort son règne qu'ils usèrent pour la première fois de leur droit de jeter les propositions qui leur étaient soumises. En 1476, ils refusèrent, malgré les menaces du chancelier Hugonet, de voter les mesures militaires exigées par le duc (46). Ils devaient, l'année suivante, éprouver les effets de la crise politique qui ébranla si profondément toutes les institutions centrales de l'Etat bourguignon. Le Grand Privilège ne les supprima point, comme il fit du Parlement de Malines et du conseil ducal, mais il transforma leur caractère. Il leur reconnut le droit de se réunir spontanément, sans convocation préalable et dans l'endroit désigné par eux, pour délibérer sur le « bien et la prospérité du commun pays ». Il leur accordait ainsi une indépendance dont ils avaient été privés jusqu'alors; il partageait le pouvoir entre eux et le prince, et dans ce partage il leur réservait la plus grosse part, car les limites étroites qu'il fixait à l'autorité souveraine ne la laissaient guère subsister que de nom. Il ne faut point considérer ces stipulations du Grand Privilège comme une tentative d'inaugurer le régime parlementaire dans les Pays-Bas. On a vu plus haut que toutes les réformes de 1477 s'inspirent d'un esprit nettement particu- (Paris, Archives Nationales, J 668 [Espagne 10] n° 87 — Cote du Musée : AE III 27.) (Cliché Gérard. I Ratification des traités de Cambrai et de Madrid par les trois Etats de Namur (21 janvier 1530). La ratification est scellée des sceaux de deux abbés, de cinq seigneurs et des « maïeurs, eschevins. jurez et esleuz des villes de Namur et de Bouvignes » respectivement mandatés par le clergé, la noblesse et les villes. Le sceau du seigneur de Marbais est tombé : le deuxième en commençant par la droite est celui de la ville de Namur. La Belgique sous Charles-Quint. de Marie de Bourgogne (1482) à l'émancipation de Philippe le Beau (1494), c'est-à-dire une en moyenne par année (51). Maximilien les réunit tantôt à Alost, tantôt à Gand, à Anvers, à Bruges ou à Malines, pour leur exposer ses griefs contre les Flamands ou contre la France, pour délibérer avec elles sur les moyens de rétablir la paix, pour leur demander de l'argent ou des troupes. Mais pour active qu'elle ait été, leur intervention durant cette époque reste obscure et mal définie. Au milieu des contestations continuelles entre le prince et ses pays, les Etats généraux jouent beaucoup plus le rôle d'arbitres ou de négociateurs que celui d'une institution régulière. Ce ne sont que des conférences imposées par la nécessité du moment; ils agissent sans ordre ni méthode, au gré des circonstances. Il en est tout autrement à partir de l'avènement de Philippe le Beau. Maintenant que les troubles ont cessé et que le trône appartient à un prince national, les Etats généraux fonctionnent normalement dans l'Etat restauré. La renaissance du pouvoir monarchique, loin de leur nuire, garantit, au contraire, leur intervention dans le gouvernement : leur rôle augmente à mesure que s'accentue la centralisation politique. C'est que le prince n'ignore pas que les Etats généraux sont, à leur manière, un instrument d'unification. Si défectueuse que soit leur organisation, elle n'en rapproche pas moins les provinces les unes des autres, n'en établit pas moins, malgré la différence des intérêts locaux, des traditions et des langues, un contact salutaire entre les divers territoires, ne les prépare pas moins, enfin, à reconnaître que la prospérité de chacun des membres de l'Etat est liée à la prospérité de l'ensemble. Mais de plus, les Etats généraux permettent au souverain de connaître les besoins et les tendances de ses sujets. En relations constantes avec eux, il sait jusqu'où il peut aller sans froisser leurs susceptibilités ou alarmer leurs intérêts; il les tient ou il feint de les tenir au courant de ses desseins; il assure enfin, sa popularité en paraissant lui-même devant leurs délégués, en les haranguant en personne avec cette bonhomie familière dont Charles-Quint posséda si complètement le secret. Pendant les soixante et une années qui s'écoulent de l'avènement de Philippe le Beau à l'abdication de l'empereur, les Etats généraux siégèrent cinquante-huit fois, c'est-à-dire en moyenne une fois par an à peu près. Il ne faudrait point croire cependant que leurs sessions aient été annuelles. Vingt-trois des années comprises dans cette longue période ne les virent point se réunir, tandis qu'en revanche ils furent convoqués, en certaines années, à deux et même à trois reprises. La cause en est que, après Philippe le Beau comme avant lui, ils ne s'assemblèrent jamais que sur l'ordre du prince et pour recevoir de sa bouche des communi- cations importantes ou pour voter un impôt extraordinaire. Seules des circonstances exceptionnelles nécessitaient leur intervention. Mais il faut se hâter d'ajouter que, depuis la fin du XVe siècle, ces circonstances se produisirent continuellement : l'exception devint la règle. Les dépenses croissantes du souverain, ses dépenses militaires surtout, l'obligèrent à recourir d'une manière permanente à la bourse de ses sujets. Il lui fut désormais impossible de faire face à ses besoins au moyen des seuls revenus du domaine. L'aide (bede), c'est-à-dire le subside demandé par le prince et voté par le pays, devint non seulement une ressource indispensable, mais encore la ressource la plus importante du trésor. Extraordinaire en droit, il devint ordinaire en fait. Et, dès lors, il fallut que les Etats généraux devinssent 'èux-mêmes des assemblées ordinaires. Il n'en eût pas été ainsi si le gouvernement avait réussi, comme en France, à introduire dans les Pays-Bas l'impôt permanent. Il en témoigna bien quelques velléités dont la' plus caractérisée apparaît, en 1535, dans le projet soumis aux Etats par Marie de Hongrie en vue de la constitution d'une armée permanente (52). Mais ce ne furent là que des essais dans lesquels il eut la sagesse de ne point s'obstiner en présence des résistances qu'ils provoquèrent. En somme, cette garantie essentielle de la liberté politique, le droit de voter l'impôt, se conserva intact. Et l'importance politique des Etats généraux grandit dans la même mesure où cet impôt devint plus exigeant. Elle n'alla point pourtant jusqu'à les transformer en parlement national. Ils restèrent ce qu'ils avaient toujours été, une pluralité de parlements provinciaux réunis sous la présidence du prince ou de son délégué. Le seul progrès que l'on puisse remarquer dans le sens de l'unité, c'est qu'à partir de (Vienne, Kunsthistorisches Museunt, Waffensammlung.) (Cliché A.C.L.I Demi-armure de Charles-Quint. Exécutée à Augsbourg vers 1543-1544 par Desiderius Colman, dit Helmschmied. Armure dorée et noircie, gravée à l'eau-forte. L'autre moitié est conservée à l'Armeria Real de Madrid. (Bruxelles, Musée de la Porte de Hal, série V n" 130.1 (Cliché Pichonnier.) Epée à deux mains appelée espadon. XVIe siècle. Le talon de la lame flamboyante est armé de deux crocs. La longueur et le poids de cette arme redoutable exigeaient une escrime spéciale : l'escrimeur se frayait un chemin dans les rangs ennemis en faisant décrire à l'espadon des moulinets qui défiaient toute résistance. Au XVIIe siècle, l'espadon fut utilisé dans la défense des remparts. la régence de Marie de Hongrie, au lieu de s'assembler tantôt dans une ville, tantôt dans une autre, ils siégèrent presque toujours au palais de Bruxelles. Ce n'étaient que les vieilles provinces bourguignonnes qui leur envoyaient régulièrement des députés. Sauf le Tournaisis, les territoires annexés pendant le règne de Charles-Quint, Frise, Gueldre et Utrecht, revendiquèrent le droit de voter à part, dans leurs Etats provinciaux, les impôts qui leur étaient demandés. Ils ne furent guère représentés qu'à quelques assemblées particulièrement solennelles; et il en alla de même, la plupart du temps, du Limbourg et du Luxembourg (53). A la différence de ce qui se passait en France, les Etats généraux ne constituaient point une assemblée élective. Les députés étaient tout simplement choisis par les Etats provinciaux, pour lesquels, d'ailleurs, il n'existait pas non plus d'élection, la coutume désignant les prélats, les barons et les villes qui y avaient droit de séance. Il en résulte que les députations provinciales à une même assemblée d'Etats généraux présentaient de violents contrastes : les unes ne comprenaient que quelques envoyés, tandis que les autres se composaient de plusieurs dizaines de personnes. Toutes ces délégations, après l'examen des pouvoirs de leurs membres, se réunissaient dans une même salle pour entendre les propositions du gouvernement. Elles y siégeaient à huis-clos et y prenaient place suivant un ordre déterminé : les députés brabançons, après de longues discussions avec les Flamands, s'étaient fait réserver le premier banc. Le prince lui-même, la gouvernante ou quelque haut fonctionnaire exposait l'objet de la convocation. Il parlait en français et, du moins u - 9 bien malaisé d'amener toutes les corporations d'artisans à voter l'impôt. Que l'une d'entre elles s'obstinât dans son refus, la levée de l'aide dans toute la province était compromise. Aussi comprend-on sans peine que le gouvernement se soit efforcé de réduire partout l'influence politique des métiers. D'autre part, il n'admit jamais qu'un consentement una-^^ nime fût indispensable au vote des subsides (55). A ce principe, qui permettait à une minorité infime de faire la loi, il opposa toujours celui de la majorité. Plus d'une fois, il passa outre aux résistances en ^^j^^H publiant des « actes de compré-hension » vervanghenisse), c'est-à-dire en déclarant légalement consenti un impôt accepté par deux ordres sur trois (56). Il lui arriva aussi, lorsqu'une seule ville refusait son vote, de recourir au même expédient. Une mesure de ce genre fut, on l'a vu plus haut, le point de ^J^^^^EB départ de l'insurrection des Gantois. Au reste, en dehors de ces incidents, les demandes d'impôts W^hH ne provoquèrent aucun conflit sé-/^^■B^H^B^B rieux. Après des négociations qui duraient parfois pendant plusieurs mois, on finissait toujours par s'en-jt&^^^ull tendre. Pour rallier les provinces à ses demandes, le gouvernement leur promettait le redressement de KM^^^Hk, quelque grief ou la concession de iï^MPT^^^^^HU quelque avantage. Parfois, il dut leur abandonner la perception de l'aide votée et la surveillance de son emploi (57). Il ne se résignait d'ailleurs qu'à la toute dernière extrémité à se soumettre ainsi au ^A^^T^H contrôle de ses sujets. Mais, à me-HE0RR sure qu'augmentèrent ses besoins d'argent, les Etats souhaitèrent davantage ce contrôle : ils devaient, dès les débuts du règne de Philippe II, le réclamer avec insistance et faire naître par là, dans l'esprit du roi, une incurable méfiance à leur égard. Cette courte esquisse {suffira pour donner une idée sommaire du mécanisme des Etats généraux. Paralysées tout d'abord par le provincialisme qui leur enlevait toute initiative propre et tout moyen d'agir ^HH^HI en commun, ces assemblées gagnèrent peu à peu, durant le règne de Charles-Quint, plus de cohésion et hapeiie de la Sainie-Trinité.i plus d'importance. Sans que leur (Cliché Brusselle.) , r i . „ , constitution se modifiât en droit, en brugeois, conseiller de c >pe II, commissaire aux ta,t cependant, elle prit un carac- 07-1581). tère plus homogène. L'influence urbu"' peinle en 1574 prépondérante que le Brabant ac- quit sur les autres provinces contribua beaucoup à ce résultat. La députation brabançonne, dans laquelle siégeaient les représentants d'Anvers et les principaux nobles des Pays-Bas, devint, vers 1550, le leader des Etats généraux. C'est elle qui, sous Philippe II et pendant la révolution du XVIe siècle, devait leur communiquer cette unité d'action vers laquelle ils évoluent dès la fin du règne de Charles-Quint (58). LE NOUVEAU FONCTIONNARISME. — Il est impossible d'étudier ici en détail l'organisation des divers services publics dans les Pays-Bas sous le règne de Philippe le Beau et de Charles-Quint. Nous nous bornerons à en donner un rapide aperçu et à en marquer seulement les points essentiels. Ce qui frappe tout d'abord, c'est l'excellence de l'administration de l'Etat, c'est aussi son caractère national, c'est, enfin, son extraordinaire activité. Peu de pays, au XVIe siècle, ont été mieux gouvernés que les dix-sept provinces et ont possédé un corps de fonctionnaires aussi remarquable. On y rencontre des juristes ou des magistrats comme Wielant, comme Damhouder, comme Viglius. des négociateurs comme Busbeke ou comme Wesembeke, des comptables comme Thomas Gramaye, une foule d'agents de toute nature qui nous ont laissé par milliers, dans les dépôts d'archives, les preuves de leur zèle et de leur habileté. Et ces hommes, sans exception, se recrutent maintenant dans la population indigène. Plus de Bourguignons de Bourgogne, plus de Picards, comme sous les premiers ducs; plus d'Allemands, comme sous Maximilien. Il n'y a que des Belges dans l'administration des provinces belgiques, et si l'un des principaux griefs qu'avaient soulevé les régimes antérieurs disparaît ainsi, le prince et l'Etat en retirent encore un plus grand avantage. Enlevés aux étrangers, les services publics sont, en effet, non seulement tolérés, mais acceptés sans peine. Ceux qui en ont la charge savent à propos modérer leur action ou l'adapter aux circonstances parce qu'ils connaissent l'esprit, les mœurs et les besoins du peuple. Le gouvernement les consulte d'ailleurs avant de promulguer ses édits. Les Conseils collatéraux comme les Conseils de justice des provinces sont appelés à donner leur sentiment sur toutes les mesures de quelque importance. Et s'il arrive que, n'écoutant pas les avis qu'il demande, le souverain impose à ses sujets des ordonnances que l'on ne pourrait appliquer sans danger, très sagement les magistrats prennent sur eux d'en adoucir la rigueur. On verra plus loin, pour ne citer qu'un exemple significatif, qu'ils tempérèrent l'application des Paris, Bibliothèque Nationale, ms français 1537, fol. 44 r°.i Une forge d'armes au début du XVIe siècle. Miniature extraite des Chants royaux sur la Conception, couronnés au puv de Rouen de 1519 à 1528. « placards » sanguinaires publiés contre les hérétiques. Mais leur prudence n'est point timide, et s'ils s'abstiennent avec soin de heurter des habitudes séculaires et de brusquer la tradition nationale, ils n'hésitent point à accueillir les réformes qu'impose l'esprit du temps. Complètement dégagés de ce conservatisme qui persiste par exemple chez la petite bourgeoisie des métiers, ils nous apparaissent comme des hommes de la Renaissance. On trouve parmi eux des correspondants d'Erasme et de Vivès. Beaucoup adhèrent au programme social et religieux formulé par les humanistes. Ce sont, pour la plupart, des rationalistes tolérants, des « modernes », et il n'est pas étonnant que les théologiens les aient tenus pour suspects. Ne soutiennent-ils pas, en effet, de toute leur force, les efforts des gouvernantes contre les privilèges financiers et judiciaires du clergé? N'ont-ils point approuvé la réorganisation purement laïque de la bienfaisance introduite dans les Pays-Bas pour l'édit de 1531 ? C'est à eux certainement, beaucoup plus qu'à la volonté personnelle de Charles-Quint, (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Florin de Flandre du règne de Charles-Quint (1515-1555) : Carolus. Or. Au droit, l'empereur, couronné, tient le glaive et le globe crucifère; au revers, les armoiries des possessions de Charles-Quint timbrées de l'aigle impériale. qu'il faut faire honneur des mesures promulguées par cet édit et par celui de 1540 (59). On surprend dans ces deux textes, fondement, nous l'avons dit plus haut, d'une législation commune à tous les Pays-Bas, un caractère nettement réformiste et novateur. Devenu plus puissant et plus respecté, l'Etat ne se contente plus du rôle modeste de policier. Son ingérence s'étend maintenant à la vie sociale; il s'efforce d'atteindre ou de prévenir les abus nouveaux qu'ont fait naître les transformations de l'époque. En même temps qu'il remanie les principes de l'assistance publique, il combat les excès de la spéculation, prohibe les jeux de bourse, s'ingénie à retenir dans les bornes de l'honnêteté commerciale la force exubérante et audacieuse du capitalisme. Pour mettre fin aux rixes et aux homicides auxquels les fêtes de village donnent lieu pendant tout l'été, l'édit de 1531, inaugurant une idée que Joseph II devait reprendre à la fin du XVIIIe siècle, fixe au même jour toutes les kermesses du pays. Il ordonne, enfin, « pour le plus grand bien, utilité et commodité de nos vassaux et sujets », l'examen et la rédaction par le Conseil privé des innombrables coutumes des provinces. On n'obéit d'ailleurs qu'en rechignant à cet ordre si salutaire. Les villes, craignant pour leur autonomie judiciaire, mirent une mauvaise volonté manifeste à s'exécuter. Seules, à la fin du règne de Charles-Quint, dix coutumes avaient été promulguées en forme authentique (60). Les troubles du XVIe siècle arrêtèrent le travail à peine commencé, et qu'on ne devait achever lentement qu'à partir du règne d'Albert et d'Isabelle. L'ARMEE. — Pour donner une idée complète de l'activité de l'administration des Pays-Bas avant le règne de Philippe II, il faudrait encore jeter un coup d'oeil sur le perfectionnement de la procédure judiciaire, sur la substitution de l'amende ou des châtiments corporels au bannissement, sur la généralisation de la torture et l'introduction du droit romain, à titre de droit supplétif, à côté du droit national (61). Il serait nécessaire également de montrer les améliorations apportées à la comptabilité publique, au régime monétaire, à la législation commerciale, au notariat, etc. Mais de toutes ces nouveautés, les unes n'ont rien de spécial au pays et se rencontrent à la même date dans tous les Etats de l'Europe Occidentale, les autres trouveront plus utilement leur place dans un autre endroit de cet ouvrage (62). En revanche, l'armée et les finances doivent retenir un instant notre attention. L'Etat moderne étant essentiellement militaire, son budget est constitué en vue de subvenir aux dépenses croissantes que la guerre lui impose. Dans des proportions infiniment agrandies, il ressemble, à ce point de vue, aux villes du Moyen Age, dont les charges militaires absorbaient la quasi-totalité des ressources. Mais cette situation que l'on constate également en France, en Angleterre et en Espagne, a eu dans les Pays-Bas des conséquences qu'elle ne pouvait produire dans ces Etats. Tandis que pour ceux-ci les guerres monarchiques sont en même temps des guerres nationales, il en va tout différemment dans les dix-sept provinces. Englobées dans l'immensité des domaines habsbourgeois, elles participent malgré elles à tous les conflits où ils sont engagés et elles reçoivent les coups qu'on leur porte. Ainsi s'explique leur répugnance constante pour des guerres dont elles ne comprenaient pas ou dont elles désapprouvaient les motifs, et qu'elles s'efforcèrent d'éviter aussi longtemps qu'elles purent diriger elles-mêmes la politique de leurs princes. Elles durent pourtant se résigner à leur sort à partir de 1517. Et si la noblesse y trouva son avantage, si, dans les premiers temps au moins, le peuple lui-même se réjouit sincèrement, quoi qu'il lui en coûtât, des succès de l'empereur, si plusieurs campagnes eurent pour résultat l'annexion de provinces nouvelles aux Pays-Bas, à la longue l'épuisement progressif du pays finit par provoquer ce sentiment de lassitude et de mécontentement au milieu duquel devait s'ouvrir le règne de Philippe II. C'est à l'époque bourguignonne que remonte la constitution d'une armée permanente dans les Pays-Bas. En 1470, Charles le Téméraire avait demandé aux Etats généraux, pour trois ans, une aide de 120,000 écus, grâce à laquelle il mit sur pied dix compagnies d'ordonnance, soit mille lances garnies comprenant un effectif de quatre mille cavaliers et de trois mille piétons (63). Cette gendarmerie, qui avait provoqué dans le pays un énorme mécontentement, disparut en 1477. Maximilien n'eut jamais l'autorité nécessaire pour la réorganiser. Il n'employa durant tout son règne que des mercenaires qu'il faisait venir d'Allemagne ou qu'il levait « au son du tambourin » dans les Pays-Bas, particulièrement dans les provinces wallonnes, où la population, en grande partie agricole, s'adaptait plus facilement au service militaire que celle des provinces flamandes (64). Les hostilités terminées, ces mercenaires étaient licenciés en attendant qu'une prochaine guerre obligeât de nouveau le prince à requérir leurs services. Il arriva fort rarement que l'on recourût à la levée en masse. Le seul exemple qui s'en rencontre paraît appartenir à la guerre de 1479, pendant laquelle les milices flamandes brisèrent à Guinegate l'élan de la cavalerie française. Mais cette victoire fut sans lendemain. Les progrès de l'armement et de la tactique ne permirent plus bientôt à des troupes improvisées d'affronter des armées régulières. La proposition des Gantois à Marie de Hongrie, en 1537, de lui fournir une levée d'hommes au lieu de l'impôt demandé par elle pour payer des mercenaires (65), ne s'explique que par le souvenir de temps disparus sans retour possible. La restauration générale des institutions bourguignonnes sous Philippe le Beau rendit l'existence aux bandes ou compagnies d'ordonnance. On en connaît au moins quatre, composées chacune de cinquante hommes d'armes et de cent archers, qui furent complètement organisées vers la fin du règne (66). Elles furent portées à huit par Charles-Quint, en 1522, lors de son départ pour l'Espagne, et le nombre s'en augmenta encore dans la suite. En 1547, elles formaient un total de quinze bandes à l'effectif de trois mille chevaux (67). Recrutées dans la population indigène et presque entièrement dans la petite noblesse (68), commandées par les plus grands seigneurs du pays, cette gendarmerie, dont tous les contemporains louent à l'envi la bravoure et la solidité, apparaît à première vue comme une armée nationale. En réalité, elle ne l'était pas, ou elle ne l'était que très incomplètement. Les Etats généraux n'avaient sur elle aucune action. Elle constituait exclusivement l'armée du souverain. C'est à lui seul que les hommes prêtaient serment « envers et contre tous », et bien que les bandes d'ordonnance fussent prétendument levées « pour pourvoir à la sûreté et défense de notre pays et frontière de par deçà », on sait qu'elles combattirent fréquemment fort loin de cette frontière, en Italie et en Allemagne. Aucune partie spéciale du budget n'était affectée à leur entretien : elles étaient payées par le trésor impérial. Ainsi, le refus des Etats généraux, en 1535, d'organiser une armée permanente, n'avait servi à rien. Au reste, cette petite armée ne coûtait pas très cher. Chacune des quinze bandes n'est portée dans les comptes de la recette générale des finances que pour 25,000 livres par an. Elles n'absorbaient donc annuellement que 378,000 livres, somme très modérée, si l'on tient compte surtout de l'extraordinaire richesse du pays. Il faut remarquer de plus que ces troupes ne soulevèrent plus du tout la répugnance qu'elles avaient provoquée lors de leur création sous Charles le Téméraire. Leur recrutement national les fit facilement accepter. Elles furent d'autre part un nouvel élément d'unification. Des jeunes gens de toutes les provinces y servaient côte à côte sous la bannière de Bourgogne, et elles contribuèrent certainement à donner à la noblesse cet esprit de corps et de camaraderie qui devait, plus tard, à l'époque des troubles, la dresser tout entière contre le gouvernement, lors du Compromis de 1566. Les bandes d'ordonnance ne furent point la seule insti- tution militaire permanente du pays pendant le règne de Charles-Quint. Il y avait encore à Malines un très important arsenal renfermant une artillerie considérable. La frontière, on l'a vu plus haut, était protégée contre la France par des places fortes bastionnées. En revanche, la côte était peu défendue; elle n'eut plus à craindre, d'ailleurs, aucune attaque après la conclusion de la paix avec le Danemark. Cette sécurité dont on jouissait du côté de la mer, rendit inutile la création d'une flotte de guerre. Il y avait bien un amiral des Pays-Bas, mais les forces navales dont il disposait furent toujours insignifiantes. Il n'est point inutile de le constater pour marquer dès maintenant une des causes principales qui contribuèrent, sous Philippe II, aux succès des Gueux de mer. Nous n'avons esquissé jusqu'ici que l'outillage militaire du pays en temps de paix. En temps de guerre, le spectacle changeait complètement. Pour résister aux armées françaises, on faisait venir d'Allemagne des « Lansquenets » ou des « Noirs Harnois »; des troupes mercenaires étaient également levées dans les provinces. Pendant sa dernière campagne, l'empereur employa aussi dans les Pays-Bas des Italiens et des Espagnols. La solde de ces gens d'armes, qui ne se battaient que s'ils étaient payés, engloutissait des sommes immenses, et c'est à faire face aux dépenses qu'elle imposait que servit de plus en plus l'organisation financière de « par deçà ». LES FINANCES. - Bien que « taillant peu ses sujets », Philippe le Bon avait laissé une épargne si considérable que Charles le Téméraire n'avait pas réussi à la gaspiller entièrement. Le trésor de la maison de Bourgogne regorgeait encore de métaux précieux, d'oeuvres d'art et de joyaux lorsqu'il mourut, et le domaine restait florissant. Maximilien les épuisa l'un après l'autre. Toujours à court d'argent, il fut contraint de vendre ou de mettre en gage les orfèvreries, les diamants et jusqu'aux tapisseries du premier et d'aliéner ou d'hypothéquer les revenus du second. Il emprunta de toutes parts et à tous prix, sans compter ni prévoir, réduit aux pires expédients, vivant au jour le jour et dilapidant les ressources du pays. Il alla jusqu'à bouleverser l'excellente organisation monétaire de ses prédécesseurs; les fluctuations constantes du cours des monnaies furent un des abus dont ses sujets souffrirent le plus cruellement et qu'ils lui reprochèrent avec le plus d'amertume (69). On sortit de cette anarchie à l'avènement de Philippe le Beau. Grâce à la paix constante dont on jouit alors, la tradition bourguignonne put être reprise. Le domaine fut (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) « Le grand estandard. » Détail de « La magnifique et sumptueuse pompe funèbre faite aus obseques et funerailles du tresgrand et tresvictorieus empereur Charles cinquième, celebrees en la ville de Bruxelles le XXIX jour du mois de décembre M.D. LVIII, par Philippes Roy catholique d'Espaigne, son fils ». Anvers, Christophe Plantin. 1559, reconstitué; on remboursa les dettes, les Chambres des comptes exercèrent de nouveau un contrôle effectif sur la comptabilité de l'Etat; enfin, le florin Philippus, comme le florin Carolus devait le faire après lui, assura au commerce renaissant le bienfait de la stabilité monétaire (70). Charles-Quint, en succédant à son père, trouva donc les finances des Pays-Bas dans un état tout au moins très satisfaisant. Pendant les premières années de son règne, il s'appliqua sagement à les améliorer encore. En 1520, on avait éteint 378,500 livres de vieux emprunts et on avait racheté des terres engagées pour 100,000 livres. Deux ans plus tard, le domaine produisait 258,000 livres annuellement; en 1530 il en produisit environ 350,000 (71). Cet accroissement continu des recettes domaniales constitue la meilleure preuve de la prospérité financière des premières années du règne, car on sait que c'est à l'aliénation du domaine que le gouvernement avait recours tout d'abord en temps de détresse. Mais si florissant qu'il fût, le domaine ne pouvait plus supporter qu'une faible partie des dépenses de l'Etat. L'impôt devait suppléer à son insuffisance et quoique demeurant extraordinaire en droit, il devint ordinaire en fait depuis le milieu du XVe siècle. Il ne cessa de fournir à Charles-Quint la plus grande partie des ressources qu'il tirait des Pays-Bas. Relativement modéré jusqu'en 1542, on le voit bientôt monter au double et même au triple de sa quotité primitive. De 1515 à 1541, les comptes de la recette générale des finances constatent une encaisse annuelle d'un million de livres en moyenne; elle atteint 2,482,868 livres en 1542, 4,220,544 en 1543, 5 millions 331,085 en 1544, redescend ensuite jusqu'en 1551, pour atteindre 6,276,269 livres en 1552 et 6,691,758 en 1555 (72). En 1546, l'ambassadeur italien Navagero estime à 20 millions d'or les sommes que l'empereur, en vingt ans, a tirées des Pays-Bas (73). Est-il nécessaire de faire observer que ces chiffres s'expliquent par les grandes guerres habsbourgeoises et ne correspondent pas du tout aux besoins propres du pays ? En réalité, celui-ci subvient largement aux dépenses qu'entraîne la politique mondiale de son souverain. C'est avec les deniers de « par deçà » que l'empereur combat en Allemagne, en France, en Italie. Il dépense l'or gagné par ses industrieux sujets de Belgique, comme il dépense celui que les galions lui amènent à Séville des mines du Mexique ou du Pérou -— c'est-à-dire où il veut et comme il veut. Encore l'or du Nouveau Monde ne commence-t-il à affluer dans ses coffres que vers 1552 (74). Jusque-là, les dix-sept provinces lui fournirent la majeure partie de son budget militaire, les revenus de ses possessions italiennes étant dépensés sur place et l'Espagne se trouvant trop pauvre pour donner largement autre chose que des soldats. On pourrait s'étonner qu'il en ait été ainsi en songeant que l'impôt ne pouvait être levé dans les Pays-Bas sans le consentement des Etats. Mais s'ils le votaient, ils n'en disposaient pas. En réalité, il constituait un simple don fait au prince qui l'employait à sa guise. Le gouvernement n'avait aucun compte à rendre des sommes entrées dans ses caisses. Il échappait à tout contrôle de la part des contribuables, et c'est là sans doute une des lacunes les plus gra- ves qu'ait présentées la constitution politique du pays. On ne laissait pas que de s'en rendre compte. Plus d'une fois, on l'a vu, les Etats réclamèrent le droit de lever eux-mêmes l'impôt et d'en surveiller la destination. Toutefois, ce ne fut que très rarement qu'ils obtinrent satisfaction sur ce point (75). De là un mécontentement qui, n'osant s'en prendre à l'empereur, n'épargnait ni les gouvernantes ni leurs conseillers, et qui augmenta à mesure que les aides devinrent plus lourdes et furent plus exclusivement consacrées aux odieuses dépenses militaires. Si productif qu'il ait été, l'impôt ne fournit pourtant à Charles-Quint qu'une partie des sommes énormes qu'il tira des Pays-Bas. Comme tous les monarques de son temps, il eut largement recours à l'emprunt. Les aides ne servirent même, la plupart du temps, qu'à rembourser les prêts contractés par lui et qui allèrent toujours croissant. On peut dire que sans les avances que lui firent continuellement les banquiers d'Anvers, il eût été hors d'état de jouer le rôle politique qu'il s'était imposé (76). Ce fut un bonheur pour lui de posséder dans ses « pays de par deçà » le plus puissant marché d'argent qui eût jusqu'alors existé au monde. Ce lui en fut un autre que de pouvoir utiliser le robuste crédit de ses provinces bourguignonnes. Car elles garantirent presque toujours le remboursement de ses emprunts, soit au moyen de l'aide, soit au moyen d'émission de rentes (Rentmeestersbrieven) (77) ou d'avances consenties par les villes ou par les Etats provinciaux. En dépit de la diminution du taux de l'intérêt, qui de 50 p. c. parfois au début ne s'éleva plus que bien rarement à 20 p. c. aux environs de 1550 (78), les charges imposées par ces emprunts s'alourdirent avec une effrayante rapidité. On payait en 1552, 141,300 livres d'intérêt : on en payera 285,982 en 1544, 424,765 en 1555, et, enfin, 1,357,287 en 1556 (79). A cette époque, le crédit du pays tendu au delà de toutes limites, se trouvait à bout. L'Espagne, qui aurait dû intervenir, en 1553, pour 600,000 ducats au remboursement des dettes contractées à Anvers, n'en put fournir que 58,000 en espèces (80). De tels faits font pressentir que la banqueroute du gouvernement était imminente : elle éclata en Espagne en 1557. UNIFICATION CROISSANTE DES PAYS-BAS. -De ce rapide aperçu des institutions politiques des Pays-Bas pendant la première moitié du XVIe siècle, se dégage, semble-t-il, une double conclusion. D'une part, l'oeuvre bourguignonne s'est complétée et affermie : la cohésion territoriale a grandi, le gouvernement central s'est nationalisé, l'action du prince et celle du pays s'associent et collaborent au bien commun des provinces dont le faisceau se noue de plus en plus étroitement en dépit des résistances particularistes qui, bien qu'affaiblies, ne cessent point pourtant de retarder les progrès de la centralisation. Grâce au dévouement de la noblesse, à la diminution de l'autonomie des villes, à l'importance croissante des Etats généraux, aux commencements d'une législation commune, à l'établissement des Conseils collatéraux et au rétablissement du Grand Conseil de Malines, à la création d'une armée permanente, les « pays de par deçà », sans renoncer chacun à son autonomie particulière, se considèrent de plus en plus comme les membres d'un même corps. Depuis le milieu du siècle, les habitants de « par deçà » emploient fréquemment pour désigner l'ensemble des provinces le mot de « patrie », et s'il faut sans doute attribuer à l'influence des humanistes l'usage de cette expression, il est permis aussi de le considérer comme une preuve de l'union plus intime qui s'établit entre les divers fragments de l'Etat. Mais, d'autre part, cet Etat en voie de formation souffre d'un vice de plus en plus apparent. Son indépendance, en effet, reste incomplète. Son prince, si populaire qu'il soit, ne lui appartient qu'en partie et, à mesure qu'on avance, pour une partie toujours plus minime. Les institutions sont nationales, mais c'est de l'étranger qu'elles reçoivent le mouvement. La divergence qui s'accentue toujours davantage entre les intérêts du pays et ceux de la dynastie doit, à la longue, amener un conflit, et le mécanisme politique, déjà faussé à la fin du règne de Charles-Quint, prépare la catastrophe qui bouleversera le règne de Philippe II. NOTES (1) Voy. plus haut, p. 77. (2) Cité par Schanz, Englische Handelspolitik gegen Ende des Mittelalters, t. I, p. 57, n. 6 i « The folks of this countrv seem rather to be lords than subjects » (Ao 1522). (3) Alberic, Relazioni degli ambasciatori Veneti, le série, t. II, p. 24 (A° 1525). (4) Il dit ailleurs que « notre estât est à demy populaire » Weiss, Papiers d'Etat du cardinal Granvelle, t. VIII, p. 337 (Paris, 1851). (5) En 1524, après la mort de l'évêque Philippe de Bourgogne, les Utrechtois ne veulent plus de prince « ex ditione principum Burgundiae, cum illi moribus Germanicis se minus conformèrent, quae gaudent libertate, Gallicam servitutem omnibus exosam sectantes ». W. Heda, Historia episcoporum Ultrajectensium, éd. A. Buchelius, p. 328 (Utrecht, 1642). (6) Eug. Lameere, Le Grand Conseil des ducs de Bourgogne, p. 170 (Bruxelles, 1900). (7) Eug. Lameere, Essai sur l'origine et les attributions de l'Audiencier, p. 17 (Bruxelles, 1896) ; A. Walther, Die burgundischen Zentralbehôrden, p. 54. (8) Toute cette période intermédiaire de l'organisation du conseil ducal n'est pas encore suffisamment connue. On peut consulter, pour s'en faire une idée, le règlement donné en 1494 par Maximilien pour la « régenterie » de Philippe le Beau (Chmel, Urkunden, Briefe und Aktenstûcke zur Geschichte Maximilians I und seiner Zeit. Bibliothek des Literarischen Vereins in Stuttgart, t. X, p. 537 [Stuttgart, 1845]), et l'Etat de la cour de Philippe le Beau en 1496. Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 1™ série, t. XI [1846], p. 704, 708. Mais on se reportera surtout à l'étude, parfois un peu subtile, de A. Walther, Die burgundischen Zentralbehôrden, p. 84 et suiv. (9) Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, 2« série, t. II, p. 32 (A° 1520). Cf. un règlement analogue en 1522. Ibid., p. 207. (10) En 1510, il expédie l'Autrichien J. Pedinger à Marguerite, la priant de lui faire apprendre à la cour de Bourgogne le « langage wallon » ainsi que « l'art et pratique des comptes ». Le Glay, Correspondance de Maximilien, t. I, p. 253. — Pour l'influence des institutions bourguignonnes en Autriche, voy. S. Aider. Die Organisation der Zen-tralverwaltung unter Kaiser Maximilian I (Leipzig, 1886) et Ed. Rosenthal, Die Behôr-denorganisation Kaiser Ferdinands I (Vienne, 1887). M. A. Walther, Die burgundischen Zentralbehôrden, p. 168 et suiv., se refuse complètement à reconnaître cette influence et j'admets volontiers qu'il serait inexact de parler d'une imitation systématique. La question paraît pourtant plus compliquée qu'il ne le suppose. Faute d'avoir pu l'étudier comme elle le mériterait, je me contente de renvoyer à O. Hintze (Sitzungsberichte der historischen Gesellschaft zu Berlin, 5 avril 1909), qui croit que « eine allgemeine An-regung Maximilians durch die burgundischen Einrichtungen wird nicht in Abrede zu stellen sein », à Ed. Rosenthal, Zur Geschichte der burgundischen Zentralbehôrden. Vierteljahrschrift fur Social- und Wirtschaftsgeschichte, 1911, p. 406 et suiv. et à F. Rachfahl, Die Niederlândische Verwaltung des XV-XVI fahrhunderts und ihr Einfluss auj die Verwaltung Maximilians I. Historische Zeitschrift, t. CX [1912], p. 1 et suiv. La réponse de M. Walther dans son livre, Die Ursprunge der Deutschen Behôrdenorgani-sation im Zeitalter Maximilians I (Stuttgart, 1913), ne m'a pas convaincu. (11) Le nom des Conseils collatéraux leur vient sans doute du Grand Conseil lez nous des ducs de Bourgogne. (12) Sur le Conseil privé, voy. P. Alexandre, Histoire du Conseil privé dans les anciens Pays-Bas. Mémoires in-8° de l'Académie Royale de Belgique, t. LII (Bruxelles, 1894-95). (13) Gattinara fut Grand Chancelier de Charles-Quint, mais non chancelier de Bourgogne. (14) Sur l'audiencier, voy. le travail de Lameere cité plus haut, n. 7, et Walther Die burgundischen Zentralbehôrden, p. 152 et suiv. (15) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 225. (16) Histoire de Belgique, t. II, 3e édit., p. 379 et suiv. (17) Voy. les mémoires de P. Alexandre et de L. Tierenteyn sur l'Histoire des origines, des développements et du rôle des officiers fiscaux dans les anciens Pays-Bas. Mémoires in-8° de l'Académie Royale de Belgique, t. XLV (Bruxelles, 1891). (18) Voy. le texte cité plus haut, n. 5. (19) R. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. II, p. 147, n° 1. (20) Voy. par exemple Le Glay, Correspondance de Maximilien, t. I, p. 229. — Pour l'indépendance des gouverneurs, voy. A. Walther, Die Anfânge Karls V., p. 4 et suiv. En 1504, 1509 et 1515, les souverains promettent à Guillaume de Chièvres, titulaire du grand bailliage du Hainaut, de ne nommer à cette charge que le candidat qu'il désignera. (21) On ne trouvait pas, dans chacune des dix-sept provinces, un gouverneur spécial. Il n'en existait pas en Brabant, ni dans la seigneurie de Malines, où la gouvernante générale était censée en tenir lieu. La Hollande, la Zélande et Utrecht avaient ensemble un seul Stadhouder, de même la Gueldre et le comité de Zutphen, ainsi que la Frise, Groningue et l'Overyssel. La Flandre, le Hainaut, le Limbourg avec les « pays d'Outre-Meuse », le Luxembourg, le Namurois, l'Artois, le territoire de Lille, Douai et Orchies, Tournai et le Tournaisis possédaient des gouverneurs particuliers. Il n'existait donc régulièrement que onze gouvernances. (22) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 562; Piot, Correspondance de Granvelle, t. IX, p. 220 (Bruxelles, 1892); Weiss, Papiers d'Etat du cardinal Granvelle. t. VIII, p. 625. (23) Henne, Histoire de Charles-Quint, t. IV, p. 271. Cf. Gachard, Correspondance-de Philippe II, t. II, p. 115 (Bruxelles, 1851). — D'ailleurs Charles ne fit pas usage de ce privilège. Il respecta soigneusement la Joyeuse Entrée et, en 1549, à l'occasion de l'inauguration de Philippe II comme duc de Brabant, il consentit à y faire diverses additions. Voy. Liste chronologique des Edits et Ordonnances des Pays-Bas. Règne de Charles-Quint, p. 318, 323, 324, 326 (Bruxelles, 1885) La Joyeuse Entrée que Charles avait jurée en 1515, augmentant considérablement les libertés brabançonnes (Poullet, Histoire de la Joyeuse Entrée, p. 305 [Bruxelles, 1863]), il est d'autant plus caractéristique qu'il l'ait observée. (24) Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, 2e série, t. II, p. 134. (25) Voy. plus haut, p. 77. (26) Voy. entre autres celui qu'il fait prononcer en 1522 (Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. III, p. 249); celui de Marie de Hongrie en 1535 (Ibid.. t. VI, p. 79) et les propositions qui s'ensuivirent (Recueil des Ordonnances des Pays-Bas. 2e série, t. III, p. 478, éd. J. Lameere [Bruxelles, 1902]); les paroles encore de Charles au moment de son abdication, etc. La phrase suivante de Henne, op. cit., t. VI, p. 35, ne s'explique que par les préventions excessives de l'auteur à l'égard de Charles ; elles donnent exactement le contre-pied de la réalité : « Il s'ingéniait à nourrir la rivalité d'intérêts et de races entre les différentes provinces; en ménageant la Flandre et le Brabant quand la Hollande exhalait des plaintes menaçantes; en accordant, au contraire, des avantages à ce comté et en réveillant la jalousie des provinces wallonnes lorsque les lions de Flandre et de Brabant se prenaient à rugir, il retardait une union destinée à devenir la base de notre indépendance n. — Pour la politique unificatrice du gouvernement, voy. encore plus haut, pp. 75, 76, 77, 90, 91. (27) Cf. L. van der Essen, Les Etats-Généraux de 1534-1535 et le projet de Confédération défensive des provinces des Pays-Bas présenté par Marie de Hongrie au nom de Charles-Quint, dans les Mélanges Ch. Moeller, t. II, p. 122 et suiv. (Louvain, 1914). (28) Voy. la réorganisation de Tournai en 1522, qui a pour but d'écarter du conseil les artisans ne sachant ni lire ni écrire, pour n'y faire entrer que de riches bourgeois (Recueil des ordonnances, loc. cit., t. II, p. 142), celles de Bruxelles en 1521 et 1528 (Luyster van Brabant, III, p. 108, et Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. I, p. 338), celle de Bois-le-Duc en 1525 (Van Heurn, Historié van s'Hertogenbosch. t. I, p. 453 [Utrecht, 1776]), celle de Douai en 1534, (Pilate-Prévost, Table chronologique des archives de la mairie de Douai, p. 347 [Douai, 1842]), celle d'Utrecht en 1528 (S. Muller, Recht en Rechtspruak te Utrecht, p.122 [La Haye, 1885]), etc. Pour les changements appliqués à Gand et aux villes qui avaient participé à la révolte de 1540 et qui furent beaucoup plus importants, voy. plus haut, p. 84 et suiv. (29) Voy. un exemple de 1526 dans Recueil des Ordonnances, 2e série, t. II, p. 377. (30) Recueil des Ordonnances, loc. cit.. t. II, p. 134, t. III, p. 3. (31) Ibid.. t. II, pp. 6, 162, 248, 251. (32) Ibid., t. III, p. 33, 66. (33) Ibid.. t. II, p. 23, 36, 547. (34) Recueil des Ordonnances, loc. cit.. t. III, p. 72. — Déjà en 1485 Maximilien, en 1497 Philippe le Beau avaient pris la même mesure. Placcaeten van Vlaenderen I, p. 205, 209. Alexandre VI avait d'ailleurs très vivement protesté contre la politique du second de ces princes en matière ecclésiastique. Voy. les textes publiés par A. Cauchie, Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 5® série, t. II [1892], p. 321, 410-412, 417. (35) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. IV, p. 133. (36) En 1504, Charles de Lalaing fait biffer, dans les mémoires d'Olivier de La Marche, avec l'autorisation de Philippe le Beau, les passages où son père, Josse, est accusé d'avoir favorisé les Gantois au détriment de Maximilien, et obtient une déclaration constatant que sa maison a toujours été «fidelle et léalle à son prince, ferme, entière, non violée, sans reproche ». H. Stein, Olivier de La Marche, p. 230 (Bruxelles, 1888). (37) Brantôme, Œuvres complètes, t. I, p. 356 (Paris, 1858). (38) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. III, p. 265, 267, 287, 290, 291. (39) De Reiffenberg, Histoire de l'ordre de la Toison d'Or, p. 294 (Bruxelles, 1830). (40) Recueil des Ordonnances, 2* série, t. I, éd. Ch. Laurent, p. 338 (Bruxelles, 1893). (41) Exemples aux clefs de voûte de l'hôtel de ville de Damme, à la façade d'une des portes de Douai, à la clôture du chœur de Sainte-Walburge à Furnes, sur le sceau de la ville d'Ypres depuis 1564. Le briquet de Bourgogne figure encore à la façade du baillage d'Aire-sur-la-Lys, construit en 1609, et on le rencontre, à la fin du XVIle siècle, à celle de l'une des maisons de la Grand'Place (la Louve) à Bruxelles. Jusqu'à la fin du XVIIie siècle, il constitue, dans une forme naturellement de plus en plus stylisée, le motif essentiel des colliers des gildes de tir. Voir à cet égard les planches nombreuses représentant des colliers de ce genre dans P. Bergmans et J. Cazier, L'Art ancien dans les Flandres, t. II (Bruxelles, 1922). (42) Voy. Histoire de Belgique, t. II, 3® édit., p. 412. — Le nom d'Etats généraux ou de Staten Generaal apparaît déjà en 1506. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. I, p. 128, n. 2. (43) C'étaient la Gueldre, l'Overyssel, la Frise, Groningue, Utrecht et le Luxembourg, c'est-à-dire, à l'exception du Tournaisis, toutes les provinces incorporées de date récente à l'Etat bourguignon. Le Limbourg n'y figurait pas non plus, à cause de son union intime avec le Brabant. (44) Il n'existe point de travail satisfaisant sur les Etats généraux. L'ouvrage de Th. Juste, Histoire des Etats généraux des Pays-Bas (Bruxelles, 1864), ne répond que très imparfaitement à son titre. Il ne constitue aucun progrès sur l'essai naturellement vieilli de Gachard, Des anciennes assemblées nationales de la Belgique (Revue de Bruxelles, 1839). On consultera utilement : Fruin, De Zeventien provinciën en haar vertegenwoordiging in de Staten-Generaal (Bijdragen voor vaderl. geschiedenis, 1893), les notes du même dans la Geschiedenis der staatsinstellingen in Nederland, édit. H.-T. Colenbrander, p. 100 et suiv. (La Haye, 1901), et Ed. Poullet, Histoire politique nationale, t. II, p. 314 et suiv. (Louvain, 1892). (45) o Les estatz d'icy ne sont comme en France : car icy il y a tant d'Estatz divers et l'ung point subject à l'autre, combien que, quant à la succession ilz soyent, selon la pragmatique, d'une nature, mais en France tous les estatz sont subjects et uniz à la Couronne; aussy les Estatz n'envoyent leurs députés chargés pour résoudre sans renvoy. » Avis de Viglius au Conseil d'Etat en 1566. Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, p. 384 (Bruxelles, 1866). (46) Gachard, Les Etats de Gand en 1476, dans Etudes et notices historiques, t. I, p. 1 (Bruxelles, 1890). (47) Voy. plus haut, p. 16. (48) «Item dat wij noch onse nacommers... negheen orloghe in anlegghers oft verweerers stede an zullen moghen annemen, wij oft zij, en zullen eerst de Staten van allen onsen landen daar up bescriven ende daer inné doen bi ghemeener conclusie ende overdragne ». (49) H. Pirenne, Le rôle constitutionnel des Etats généraux des Pays-Bas en 1477 et en 1488, dans Mélanges Paul Fredericq, p. 267 (Bruxelles, 1904). (50) Histoire de Belgique, t. IV, 2e édit., p. 70 et suiv. Ed. Lamertin. (51) Gachard a publié une liste des assemblées des Etats généraux de 1465 à 1634, dans sa Lettre à MM. les questeurs de la Chambre des Représentants sur le projet d'une collection de documents concernant les anciennes assemblées nationales de la Belgique (Bruxelles, 1841). On la complétera par les indications fournies par deux autres Lettres (Bruxelles, 1843 et 1845) et par trois Rapports au Ministre de l'Intérieur sur le même objet (Bruxelles, 1864, 1865 et 1866). La collection en vue de laquelle furent rédigés ces travaux n'a pas paru, et c'est certainement là une des lacunes les plus regrettables que présente l'historiographie belge du XVIe siècle. Tout récemment, la Commission Royale d'Histoire a proposé au gouvernement de reprendre les travaux interrompus. Voy. Bulletin, 1905, p. x, xvn sqq. et 1906, p. xxxvm sqq. (rapport de M. J. Cuvelier). A ce projet se rapporte la communication de M. L. Devillers sur la Participation des Etats du Hainaut aux assemblées des Etats généraux. Ibid., 1905, p. 27. (52) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. VI, p. 87. (53) Voy. n. 43. (54) Il en était ainsi du moins dans les vieilles provinces bourguignonnes. En Frise et dans la Drenthe, les paysans étaient représentés. (55) En 1513, Marguerite d'Autriche prétend même que les villes n'ont pas le droit de refuser un impôt accepté par les autres ordres. Le Glay, Correspondance de Maximilien, t. II, p. 242. (56) Voy. des exemples en 1528 et en 1536, dans Henne, Histoire de Charles-Quint, t. IV, p. 208, et VI, p. 115. (57) Voy. un exemple en 1536, Placcaeten van Brabant, t. III, p. 385 (Bruxelles, 1664). (58) Pour se faire une idée concrète du fontionnement compliqué des Etats généraux, il faut consulter les relations de leurs assemblées dont quelques-unes sont imprimées dans les Bulletins de la Commission Royale d'Histoire, par exemple 3e série, t. I, p. 315 (assemblée de 1482); Ibid., t. IV, p. 330 (assemblée de 1492), Ibid., t. III, p. 348 (assemblée de 1512), Ibid., t. XI, p. 364 (assemblée de 1520). Il faut voir aussi, outre les travaux de Gachard mentionnés plus haut note 50 : L. Devillers, Inventaire des archives des Etats du Hainaut (Mons, 1884-1906) et surtout le registre A. van der Goes (voy. note 7). (59) On trouvera le premier dans le Recueil des Ordonnances, 2° série, t. III, éd* J. Lameere, p. 265, le second dans les Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 767 (Gand, 1639). (60) C'étaient les coutumes générales du comté de Hainaut et du comté d'Artois, ainsi que les coutumes de la châtellenie d'Ypres, celles de Malines, de Tournai, de Lille, de Renaix, de Mons, de Valenciennes, de Cuyck en Brabant. Defacqz, Ancien droit belgique, t. I, p. 139 (Bruxelles, 1846). (61) Détails intéressants à cet égard dans M. Bauchond, La justice criminelle du magistrat de Valenciennes au moyen âge, p. 115, 145, 229 (Paris, 1904). (62) Voy. plus loin, livre II, chapitre II. (63) Guillaume, Histoire de l'organisation militaire sous les ducs de Bourgogne, p. 120 (Bruxelles, 1848). La « lance » comprenait un homme d'armes et trois archers, tous à cheval, plus un couleuvrinier, un arbalétrier et un picquenaire à pied. (64) En 1546, Navagero dit que les Flamands sont mauvais soldats parce qu'ils sont trop riches, Alberi, Relazioni, le série, t. I, p. 314. (65) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. VI, p. 238. — Voy. ibid., p. 242, le curieux discours dans lequel Marie de Hongrie expose la supériorité des armées de mercenaires sur les milices nationales. (66) Guillaume, Histoire de l'organisation militaire, etc., p. 175. (67) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. III, p. 83. — Pour l'ensemble de l'organisation militaire des Pays-Bas sous Charles-Quint, voy. ibid., p. 33 et suiv. (68) D'après Morillon, à l'époque de Marie de Hongrie, « les bendes d'ordonnances se faisoient de gentilzhommes appauvris par la guerre ». Piot, Correspondance de Granvelle, t. VI, p. 41 (Bruxelles, 1887). (69) Voy. Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 2<> série, t. II, [1851], p. 430; Histoire des guerres de Flandre. Corpus chronicorum Flandriae, t. IV, p. 583 (Bruxelles 1865). Cf. Henne, Histoire, etc., t. V, p. 331. (70) Le florin Philippus fut émis en 1496, le florin Carolus, en 1521. Voy. Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, 2e série, t. II, p. 57. Ce florin valait une livre de quarante gros de Flandre, et se divisait en vingt patars ou stuyvers. Six florins faisaient une livre de 240 gros ou livre de gros de Flandre. On estime la valeur métallique du florin Carolus de 1521 à 1522 à 4 fr. 22 cent., de 1552 à 1559 à 4 fr. 20 cenl. Sur la législation monétaire de Charles-Quint, voyez Henne, op. cit., t. V, p. 332. (71) Henne, op. cit., t. II, p. 239, III, 289, V, 134. (72) J'emprunte ces chiffres aux analyses des comptes de la recette générale des finances, publiées dans l'Inventaire des Archives départementales du Nord, t. IV et V, (Lille, 1881-85). (73) Alberi, Relazioni, le série, t. I, p. 298. (74) Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. II, p. 150. (75) Exemples pour la Flandre en 1522 (Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. III, p. 266) et pour le Brabant en 1537 (Ibid., t. VI, p. 181). (76) Voir sur ceci l'excellent ouvrage de R. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. II, p. 147. (77) Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. I, p. 365. — Ajouter des textes intéressants pour le rôle des receveurs et leurs relations avec les banquiers, dans Devillers Inventaire des archives des Etats du Hainaut, t. I, p. 48-51, 243-245. (78) D'après les calculs d'Ehrenberg, loc. cit., il était normalement de 10 à 15 p. c. à Anvers. (79) Ehrenberg, op cit., t. II, p. 66. (80) Ibid. t. II, p. 151. (Vienne, Albertina.) (Cliché Penland.) Le port d'Anvers : quai d'embarquement près de la Porte de l'Escaut. Dessin exécuté en 1520 par Albert Dùrer au cours de son voyage dans les Pays-Bas (juillet 1520-juilIet 1521). CHAPITRE II LE MOUVEMENT ECONOMIQUE ET LES TRANSFORMATIONS SOCIALES fA RENAISSANCE ECONOMIQUE. - Si la découverte du Nouveau Monde provoqua la décadence de Venise, elle fut, pour les Pays-Bas, situés à proximité de l'Atlantique vers lequel converge depuis lors la vie économique, le début d'une ère nouvelle de prospérité. Bruges avait été au Moyen Age le point d'arrivée des grandes routes du commerce européen; Anvers devint, à partir du commencement du XVIe siècle, le centre du commerce mondial. L'influence dont il jouit de 1520 à 1580 environ n'a jamais, ni auparavant, ni depuis lors, appartenu à aucune ville jamais un port n'a possédé une importance aussi grande, exercé une attraction aussi irrésistible et offert un caractère aussi cosmopolite. Ce fut un spectacle unique que celui qu'il présenta pendant ces années d'étonnants progrès, où, par une fortune extraordinaire, il constitua tout à la fois le plus grand marché et la plus grande place de banque de l'univers, où les navires et les capitaux y affluèrent, où l'on y entendit toutes les langues, où il mérita enfin, par sa richesse comme par sa beauté, d'être appelé l'une des fleurs du monde (1). Grâce à lui, le caractère international de la civilisation de la Belgique atteignit à son apogée et les Pays-Bas devinrent une «terre commune à toutes les nations» (2). qu'elle l'a fait au XIIe siècle, lors de l'apparition des villes, ou qu'elle devait le faire, de notre temps, après l'invention de la machine à vapeur. Envisagés au point de vue économique, les troubles qui sévirent dans les Pays-Bas et particulièrement en Flandre de 1477 à 1492 apparaissent comme une tentative violente pour défendre, pour renforcer même, le régime de l'économie urbaine. Restaurer dans toute leur intégrité les droits d'étape et les divers privilèges qui restreignaient au profit des bourgeois la liberté commerciale de l'étranger, conserver aux métiers le monopole exclusif de l'alimentation des villes et de leur banlieue, supprimer la concurrence, soit par des mesures protectionnistes, soit par l'abolition de l'industrie à la campagne, tels furent les buts visés par les artisans urbains qui partout dirigèrent le mouvement, et tels furent les motifs qui les soulevèrent contre le prince. Ils ne combattirent le régime monarchique qu'afin de rétablir sur ses ruines l'exclusivisme municipal. Ils crurent qu'il leur suffirait, pour y atteindre, de demeurer inébranlablement fidèles à la tradition médiévale. Ils considérèrent leurs franchises comme une panacée contre les progrès du capitalisme naissant, et ils se flattèrent, en usant de contrainte, de ramener dans leurs murs les marchands « qui toujours désirent liber-téz » (3). Enfermés dans leurs préjugés séculaires, ils ne cherchèrent point à s'adapter à ces forces nouvelles, le capitalisme et son corollaire la liberté commerciale qui, (Cliché A.C.L.) Arrière des halles de Bruges. Les halles construites de chaque côté du beffroi en 1248 étaient primitivement isolées, surmontées de pignons et flanquées de deux tourelles. Biles furent complètement remaniées dans le courant de ia seconde moitié du XVIe siècle. Les ailes ajoutées en 1325-1390 furent rebâties d'après les plans de Pierre Diericx en 1561-1566. En 1566. on y ajouta la galerie sud. L'ensemble forme un quadrilatère long de 84 m. et large de 43 m. 53. Accoutumée depuis de longs siècles aux travaux de l'industrie et du commerce, leur population sut profiter de la fortune qui s'offrait à elle. A la vieille industrie drapière, dont le déclin avait commencé dès les premières années du XVe siècle, elle substitua des industries nouvelles : la fabrication de la toile, la sayetterie, la tapisserie. Le Hin-terland d'Anvers, stimulé par le voisinage du grand port, ne cessa de l'approvisionner de ses produits, que la marine hollandaise et zélandaise transportait par toutes les mers ou que les vaisseaux étrangers embarquaient comme fret de retour. Et en même temps, cause et résultat tout ensemble de cette puissante rivalité, le capitalisme s'imposa de plus en plus à toutes les énergies et à toutes les initiatives. Il imprégna le monde économique de ce caractère d'individualisme qui s'atteste également, à cette date, dans le domaine de la pensée et dans celui de l'art. Grâce à lui, contemporain des premiers humanistes, apparaît le grand entrepreneur. Bref, la Renaissance se manifeste dans l'ordre des échanges et de la production comme dans toutes les autres manifestations de l'activité humaine, et, sous son influence, l'organisation sociale, en dépit des résistances qui cherchent vainement à la retenir dans les liens du passé, se modifie presque aussi profondément (Bruges, Musée communal.) (Cliché Pichonnier.) La grue du port de Bruges au XVIe siècle. Sur le quai, la grue, actionnée à la main, décharge des marchandises. On comparera ce détail à celui qui a été reproduit dans le tome I, p. 466. Détail d'un tableau non signé, peint par un maître de l'école des Pays-Bas considéré comme appartenant à l'école de Jean Provost. (Mons, vers 1465 - Bruges, 1528.) travaillant à leur détriment, travaillaient à l'avantage du prince. Ils échouèrent dans la lutte désespérée qu'ils entamèrent contre elles, comme la noblesse du XIIe siècle avait échoué dans sa lutte contre les villes naissantes. Leurs privilèges devaient disparaître, comme avaient disparu alors, au sein des communes, les immunités domaniales et les droits seigneuriaux. Et, par une rencontre bien instructive, de même que le prince avait protégé jadis les jeunes bourgeoisies contre le conservatisme féodal, ce fut lui aussi qui favorisa maintenant, en dépit du conservatisme urbain, les premiers progrès de l'organisation capitaliste. Son triomphe fut en même temps le triomphe de celle-ci. (Bruges, Musée communal.) LE DECLIN DE BRUGES. - Les efforts des partisans des franchises urbaines pour conserver le système économique du Moyen Age, ne servirent qu'à en accélérer la chute. L'insurrection de Bruges contre Maximilien en 1488, hâta la décadence de cette ville déjà si éprouvée. Les marchands étrangers qui, depuis longtemps déjà n'y séjournaient plus que malgré eux, la quittèrent pour la plupart sans esprit de retour, lorsque le roi des Romains les eut appelés à Anvers (4). Le Zwin, où l'on n'avait pu continuer, pendant les troubles, les travaux de dragage indispensables, s'était irrémédiablement ensablé. Les gros bateaux n'y pénètrent plus, ils s'arrêtent maintenant dans le Hont, à Arnemuiden. d'où leur cargaison est amenée au moyen d'allèges (5). D'ailleurs, d'année en année, le mouvement commercial se détourne davantage du vieux port pour prendre la route de l'Escaut. Les petites villes des bords du Zwin se dépeuplent. En 1513, les maisons de Damme et de l'Ecluse tombent en ruine (6). A Bruges même, on compte en 1544, dans les sept paroisses, sept mille six cent nonante-six pauvres (7). Il ne pouvait plus être question, dans de telles circonstances, de conserver à la ville ses vieux droits d'étape. Philippe le Beau les ratifia bien en 1498 et 1500, mais il se garda de veiller à leur stricte observation. En fait, sauf pour les laines espagnoles dont la ville conserva le marché exclusif depuis 1493, son étape tomba en désuétude dès la fin du XV" siècle. De son côté, la Hanse eut beau imposer à ses membres, en 1442, de n'acheter de draps flamands qu'à son comptoir de Bruges, on n'observa que très incomplètement une mesure aussi gênante pour le commerce. Des entrepôts libres (wilde Lâger), se constituèrent aussitôt à Anvers, à Malines, à Middelbourg, à Utrecht, à Veere, à Amsterdam (8). Malgré ses efforts et ses protestations, la Hanse, de plus en plus menacée par les progrès de la marine hollandaise, ne parvint point à défendre la situation qu'elle s'était faite au Moyen Age dans la Venise du Nord. Sa prospérité avait grandi en même temps que celle de Bru- La « Poortersloge ». (Cliché A.C.L.) L'édifice primitif daterait du XIV® siècle. En 1441, la ville l'acheta. Après l'incendie du 29 janvier 1755, les toitures furent renouvelées; c'est également de cette époque que datent les voûtes intérieures. L'architecte s'est inspiré de l'hôtel de ville de Bruges : cette inspiration se remarque dans le système des travées avec tympans ajourés. Le bâtiment a été restauré par L. Delacenserie en 1899-1903. A l'époque de sa construction, la Poortersloge servait de lieu de réunion des bourgeois. A la fin du XVIe siècle, la gilde de l'Ours blanc y établit son siège. Du XVI'' au XIXe siècle, elle devint le local d'une société d'escrime (1510-1717), de la chambre de Rhétorique du Saint-Esprit (du XVIe siècle à la Révolution Française), de la chambre de Commerce (depuis 1665) et de l'Académie de dessin et de peinture (1720-1896). Elle abrite actuellement les archives de l'Etat de la Flandre Occidentale. Détail du Jugement de Cambyse, tableau peint en 1498 par Gérard David. ges, et elle disparut avec elle. Elle avait déjà commencé de fléchir au moment où les « Osterlins » construisirent aux bords de la Reye (1478) le somptueux palais dont le nom reste encore attaché aujourd'hui à l'une des places de la ville. Pendant les années suivantes le nombre des marchands allemands à Bruges alla sans cesse en décroissant. Ils furent forcés, eux aussi, d'obéir enfin à la prépondérance d'Anvers, où ils transportèrent leur comptoir en 1545. A cette époque, Bruges avait fini par reconnaître dans l'exclusivisme suranné de sa politique économique, la cause de sa détresse. Elle s'était décidée à suivre l'exemple d'Anvers et des villes hollandaises et à se montrer libérale envers les marchands étrangers que ses privilèges mettaient en fuite. En 1493, pour obtenir des Espagnols l'étape des laines et du fer, elle leur reconnaît les mêmes (Bruges, Musée communal.) (Cliché Brusselle.) Le bourgmestre de Bruges, Guillaume Moreel, son saint patron et ses cinq (ils. Volet du triptyque de saint Christophe, saint Maur et saint Gilles, peint par Hans Memling en 1484. droits dont ils jouissaient en Zélande et en Brabant. En 1494, elle se montre aussi généreuse à l'égard des Biscayens, des Aragonais et des Catalans (9). La charte qu'elle leur accorde abolit le courtage et l'obligation de vendre à la halle; elle proclame « que la rigueur de l'esta-ple a été une des principales causes » de la diminution du commerce; elle autorise l'exportation vers les autres provinces des marchandises débarquées à l'Ecluse. Mais on ne rompt pas facilement avec des traditions séculaires, et les concessions faites sous la pression de la nécessité sont bientôt oubliées. Dès 1498, les Espagnols se plaignent de la violation des promesses qu'on leur a faites, et, dans un langage où s'affirme l'esprit nouveau qui anime la vie économique, ils protestent contre les restrictions apportées à leur «naturelle liberté» (10). Seuls, à cette époque, avec les "Osterlins, ils maintiennent encore quelque activité dans la ville, mais il est visible qu'ils voudraient, comme les autres nations, se fixer à Anvers : ils se plaignent de ne trouver à Bruges ni fret de retour pour leurs bateaux, ni lettres de change sur l'Espagne. S'ils n'émigrent pas, c'est que le Conseil d'Etat, pour empêcher la ruine totale du commerce brugeois, leur en refuse l'autorisation. Et c'est un spectacle bien significatif que de voir maintenant le gouvernement monarchique, contre lequel la ville a combattu si longtemps, lui tendre une main secourable et se charger de ses intérêts. Au début du XVIe siècle, Philippe le Beau pousse de toutes ses forces à l'achèvement des grands travaux d'endiguement et de canalisation, grâce auxquels on espère désensabler le Zwin. Mais si Bruges trouve dans le prince un protecteur, en revanche elle est abandonnée par la Flandre. En 1514, les « membres » du pays refusent d'intervenir dans les dépenses entraînées par l'amélioration des passes maritimes devant l'Ecluse, et les raisons qu'ils donnent de ce refus, en même temps qu'elles se fondent sur la décadence du trafic brugeois, constituent aussi un véritable réquisitoire contre le particularisme municipal, que l'expérience a décidément condamné. Bruges, disent-ils, a perdu le sens de la liberté et du progrès. Elle ne songe qu'à récupérer les avantages que lui procuraient jadis l'étape et ses autres privilèges. Sa cause n'intéresse plus qu'elle-même; les villes de Flandre doivent s'opposer par tous les moyens à son succès et diriger leur commerce vers les nouveaux foyers d'activité économique qui se sont formés en Brabant et en Zélande (11). Ainsi, délaissés par leurs compatriotes, les Brugeois n'espéraient plus rien que du prince. En 1515, lors de la joyeuse entrée du jeune Charles-Quint, ils cherchent à l'émouvoir par des tableaux vivants de circonstance. Un des échafauds dressés sur son passage porte « la roue de fortune » tenue par le Roi et sa tante Marguerite, aux pieds desquels une « vierge désolée » symbolise la ville, « ce qui signifie toute misère et extrême pauvreté de laquelle on ne se peut nullement résoudre, sinon que cette roue soit tournée par la main mise des ditz deux personnages» (12). En dépit de la bonne volonté du gouvernement et des sacrifices ruineux que Bruges s'imposa, impôts nouveaux, loteries, emprunts qui à la longue épuisèrent ses finances délabrées, les travaux du Zwin n'aboutirent pas. Après de persistants efforts on parvint à approfondir la passe de trois pieds ! Et en même temps les canaux qui relient la ville à l'intérieur du pays s'envasent et s'emplissent d'herbes et de roseaux. C'est la situation que l'on constate en 1540 dans l'Yperleet et dans la Lieve, où il ne circule plus péniblement que quelques petites barques. Trois ans plus tard, tandis que le chiffre des exportations d'Anvers monte à 4,990.255 livres de gros, celui de Bruges n'atteint que 30,726 livres (13). Et la situation va s'empirant encore par la suite. Le Zwin achève de se fermer pendant les troubles du règne de Philippe II. En 1589, le sas de l'Ecluse est tombé en ruine; les communications avec la mer sont devenues impossibles. De l'éclatante prospérité d'autrefois, il ne reste plus à la ville que sa parure de monuments dont les eaux lentes de la Reye reflètent entre leurs quais déserts les fières ou gracieuses silhouettes. Bruges ne sera plus pendant longtemps que la ville du passé : c'est de lui qu'elle tient son charme et sa beauté mélancoliques; c'est lui encore, qui, par les richesses qu'il a prodiguées à ses fondations charitables, lui permettra (Bruges, Archives de la ville.) (Cliché Pichonnier.l Le cours de la Reye à Bruges, entre le pont du Roi (Koningsbrug) et la porte de Damme (Dampoort). Dessin anonyme colorié; seconde moitié du XVe siècle. d'entretenir une population nombreuse jusqu'à l'heure d'un réveil tout proche de nous. DRAPERIE FLAMANDE ET DRAPERIE ANGLAISE. — En même temps que s'accomplit la décadence de Bruges, les villes de Flandre et de Brabant voient s'éteindre cette industrie drapière qui au Moyen Age avait fait leur fortune. Dès la fin du XIVe siècle, l'Angleterre, qui s'était contentée jusqu'alors de fournir ses laines souples et soyeuses aux ateliers belges, aborde à son tour la fabrication des étoffes. Si pendant quelque temps ses rois hésitent sur le parti à prendre entre les « marchands de l'étape de Calais », qui les poussent à favoriser l'exportation des laines, et les drapiers, dont l'intérêt exige la restriction de cette exportation, ils se prononcent décidément pour ceux-ci pendant les premières années du XVIe siècle (14). Leur politique entre désormais dans la voie du « mercantilisme » et favorise par d'habiles mesures l'industrie nationale. Des taxes d'exportation frappées sur les laines en produisent le renchérissement à l'étranger et mettent les artisans des Pays-Bas hors d'état de lutter à armes égales avec leurs rivaux insulaires. L'organisation nouvelle que l'industrie prend en Angleterre sous Henri VII et Henri VIII, assure davantage encore sa prépondérance. Pendant que les métiers privilégiés des villes médiévales languissent et se ruinent, des localités dont le nom apparaît alors pour la première fois dans l'histoire économique deviennent les centres d'une production manufacturière reposant sur le capitalisme et le travail libre. Exemptes des entraves dans lesquelles étouffe l'antique industrie urbaine, elles augmentent d'année en année le chiffre de leurs affaires et la quantité de leurs produits. Et ceux-ci, profitant de l'essor pris par la marine britannique, inondent bientôt les marchés du con- (Cliché A.C.L.) Les halles de Courtrai. L'exiguïté des halles primitives avait obligé la ville i construire un nouveau local en 1511 Vers 1536. la construction fut renouvelée; les nouvelles halles, construites en pierre bleue et en brique rouge, furent achevées en 1547. Quelques détails furent ajoutés au XVII» siècle. Elles ont fait l'objet d'une restauration au siècle passé. tinent. D'Anvers, où ils s'accumulent, ils se répandent dans toutes les directions à travers l'Europe. Depuis le milieu du XVe siècle, les merchant-adventurers détournés du Zwin par le protectionnisme brugeois orientent leurs navires vers la libérale cité de l'Escaut. Chaque année, deux flottes y débarquent les « kerseyes » par milliers. En 1564, on estime à 80,000 pièces l'arrivage normal de ces tissus (15). Et ce n est pas seulement le grand commerce anversois qu'enrichit cette prodigieuse importation : elle a encore pour conséquence le développement dans la ville, d'une puissante activité industrielle. La plupart des draps anglais, en effet, arrivent à l'état brut sur les quais de l'Escaut pour y recevoir, par la teinture et les diverses opérations qu'ils subissent, l'attrait de la couleur et du moelleux. L'art des apprêts fournit ainsi leur gagne-pain à des centaines d'ouvriers, d'importants bé- déjà que les édits ducaux n'avaient servi de rien, et, en 1487, un document compare l'arrivage des draps anglais, à une inondation de la mer. Le rapprochement qui s'opéra entre la Bourgogne et l'Angleterre quelques années après la paix d'Arras (1435), ne pouvait d'ailleurs laisser subsister bien longtemps entre elles la guerre économique. Cette guerre, d'autre part, entravait grandement le commerce d'Anvers, qui réclamait la libre entrée des étoffes anglaises avec autant d'énergie que les drapiers flamands en exigeaient la prohibition. Entre ces intérêts incompatibles, Philippe le Bon devait prendre parti comme les rois d'Angleterre le firent de leur côté entre les prétentions contradictoires des marchands de l'étape et des manufacturiers. Après avoir hésité tout d'abord, il se décida enfin à sacrifier à la fortune grandissante d'Anvers la débile industrie qui cherchait vainement à se maintenir dans les villes de Flandre et de Brabant (18). Le souci de son trésor, dont le tonlieu de Zélande était devenu, grâce à l'activité de la navigation sur l'Escaut, une des sources les plus abondantes, explique sans doute en grande partie cette résolution. Elle n'en reste pas moins l'un des exemples les plus typiques des services rendus par la politique monarchique au principe nouveau de la liberté commerciale. Les successeurs de Philippe suivirent naturellement son exemple, et leur conduite eut, rappelons-le en passant, d'importantes conséquences politiques. Elle donne la raison de l'attitude si différente de Bruges et Gand d'une part, d'Anvers de l'autre, pendant les troubles qui suivirent la mort de Charles le Téméraire. Tandis que les deux villes flamandes furent pour Maximilien d'acharnées adversaires, la grande cité brabançonne défendit inébran-lablement la cause dynastique, dans le succès de laquelle elle voyait à bon droit la garantie de sa prospérité. Une fois encore l'histoire économique explique les agitations urbaines de ce temps, et la crise de la draperie flamande fut pour beaucoup plus dans les révoltes que le roi des Romains eut à combattre, que les questions de droit sous lesquelles se dissimulait une simple et fort naturelle politique d'intérêts. Le triomphe de Maximilien et l'épuisement où tomba la Flandre après la lutte acharnée qu'elle avait soutenue contre lui tournèrent naturellement à l'avantage de la concurrence anglaise. Philippe le Beau chercha bien à venir en aide à la draperie de plus en plus languissante. En 1494-95, des difficultés passagères avec l'Angleterre le ramènent même à la vieille politique prohibition-niste (19). Mais ce ne fut là qu'un épisode sans durée et sans importance. Les draps anglais reprennent bientôt le chemin des Pays-Bas, et, en 1499, Henri VII parvient à obtenir l'abolition de l'impôt d'un florin auquel on venait de soumettre chaque pièce importée (20). Une ordonnance rendue deux ans plus tôt, en 1497, et défendant de porter du velours à cause du dommage qui en résultait pour la draperie nationale, montre à quel point de faiblesse celle-ci en était arrivée à cette époque (21). Un peu plus tard d'ailleurs, en 1501, elle s'avoue vaincue. Bruges abandonne ses traditions de protectionnisme et supplie le gouvernement de placer dans ses murs l'étape de ces draps anglais contre lesquels la lutte n'est plus possible et que l'on voudrait maintenant, mais trop tard, détourner du port d'Anvers (22). La draperie anglaise néfices à de nombreux patrons. Grâce à lui, mais dans des proportions bien plus considérables, Anvers joue dans la vie industrielle du XVIe siècle le rôle que l'arte di cali-mala avait assigné à Florence au Moyen Age. A la même époque où l'on estime à cinq millions d'écus la valeur des draps anglais qu'il reçoit annuellement, on calcule que les profits qu'il retire du travail, de l'emballage et de la revente de ces étoffes, monte à la somme énorme de 338,000 livres de gros (16). Depuis la fin du XVe siècle, les villes drapières de la Flandre, du Brabant et de Zélande, atteintes à la source même de leur prospérité par les progrès de l'industrie anglaise, s'étaient efforcées de fermer à celle-ci le débouché des Pays-Bas (17). Les princes bourguignons ne leur ménagèrent point tout d'abord leur appui dans cette lutte inégale. Dès 1434, sur leurs plaintes répétées, Philippe le Bon interdisait l'importation dans tous ses « pays de par deçà » des draps et des filés anglais. Les années suivantes fournissent quantité de manifestations nouvelles de cette politique étroitement protectionniste. En 1439, en 1446, en 1448, en 1464, des défenses d'importation, soit pour une province, soit pour toutes les provinces, attestent la persistance d'un mal que l'on ne parvenait pas à enrayer. Car, en effet, dans la situation où se trouvaient la jeune draperie anglaise et la vieille draperie flamande, la victoire de la première était inévitable. En 1451, la Chambre des comptes du Brabant constatait IMalines, quai au Sel.) (Cliché A.C.L.) Détail de la façade de la maison dite « Le Saumon » à Malines. Maison de type Renaissance construite en 1520 par Jean Borremans de Bruxelles pour la corporation des poissonniers malinois. (Gand, rue du Reluge.) (Cliché Barbaix.) L'Arrière-Faucille (Achtersikkel) à Gand. Façade postérieure du « sleen » gantois appelé la Grande-Faucille (Groofe Sikkel) dont la façade antérieure (Voorsikkel) est reproduite dans le tome I, p. 175. s'est décidément substituée, à cette époque, dans le commerce général, à la draperie des Pays-Bas. Celle-ci ne cherche plus à lui disputer le marché européen : elle borne son ambition à conserver le marché national en faisant interdire aux sujets de la maison de Bourgogne l'usage des draps anglais et leur vente en détail (23). Encore ces efforts ne purent-ils aboutir, car, au commencement du XVIe siècle, les drapiers anglais ne se contentent plus de la fabrication des tissus grossiers qui avaient tout d'abord constitué leur premier article de vente. Le succès les a enhardis, leurs procédés se sont perfectionnés, et désormais ils approvisionnent l'Europe de draps de luxe à ce point qu'un drap fin est réputé tout naturellement drap anglais (24). Aussi ne peut-on songer à fermer les Pays-Bas à ces belles étoffes dont le public n'entend pas se priver. Constamment répétées, les ordonnances rendues contre eux sont constamment enfreintes, et par mille fissures la digue que l'on prétend opposer à l'inondation industrielle la laisse se glisser dans le pays. DECADENCE DE LA DRAPERIE URBAINE. -Par une évolution toute contraire, mais inévitable, pendant que la qualité des draps anglais va s'améliorant, celle des draps de Flandre empire de plus en plus. Déjà à la fin du XVe siècle, on constate qu'ils ne sont plus aussi bons que jadis et que la longueur des pièces a diminué (25). Manifestation caractéristique d'un phénomène bien connu dans l'histoire de toute décadence industrielle ! Se sentant incapable de rivaliser avec l'adversaire et de fournir au même prix que lui la même marchandise, on se résigne, pour éviter une hausse qui effaroucherait la clien- tèle, à réaliser des économies au détriment de la qualité du produit. Mais on n'arrive ainsi qu'à le décrier sur le marché et à lui faire perdre, l'un après l'autre, tous ses débouchés. Il faut reconnaître, d'ailleurs, que la situation de la draperie flamande ne lui permettait pas d'autres moyens de défense que ceux qu'elle mit en œuvre. Elle devait, ou bien modifier radicalement sa fabrication, abandonner les procédés auxquels une technique séculaire l'avait habituée et s'orienter dans une voie nouvelle, ou bien demander secours à ces expédients de toute vieille industrie menacée : la protection et la confection de produits de belle apparence mais de qualité inférieure. Ne pouvant prendre le premier parti — nous verrons bientôt pourquoi — elle adopta le second, et, depuis les premières années du XVIe siècle, sa chute fait des progrès toujours plus rapides. En 1545, à Ypres, « la négociation de la draperie est tellement déclinée et diminuée depuis le dernier « transport » de Flandre (1517) que où il soloit lors avoir six cents hostils [métiers] besoingnans et ouvrans, il n'y en a plus que cent ou environ » (26). A Gand, on ne compte plus que vingt-cinq métiers battant en 1543 (27). Les tisserands de Bruges sont si pauvres en 1544 qu'ils doivent vendre l'argenterie du métier pour payer les ouvriers qui réparent leur maison et leur chapelle (28). La draperie de Courtrai a tant perdu en 1529 que les magistrats achètent des laines aux frais de la ville pour les distribuer (Cliché Archives Photographiques.) Beffroi de Bergues-Saint-Winoc (Nord, arrondissement de Dunkerque). Construit en briques au XVIe siècle, le beffroi était primitivement isolé de la halle aujourd'hui attenante. La lanterne de la charpente et les cinq coupoles datent du XVII® siècle. LE CONSERVATISME INDUSTRIEL. - C'est que le régime corporatif qui a fait jadis la prospérité de l'industrie urbaine n'est pas adapté à la lutte qu'il doit soutenir, et qu'il se trouve incapable de résistance. L'artisan qu'il enserre dans les liens multiples d'une réglementation minutieuse, qu'il soumet aux épreuves compliquées de l'apprentissage, dont il fixe le salaire, auquel il impose sa technique, ne peut se plier à l'organisation nouvelle que réclame désormais la nature capitaliste de l'industrie. Il a connu la prospérité tant qu'il a fabriqué ces beaux draps fins dont il possédait littéralement le secret. Mais du jour où des produits de qualité égale et de prix plus avantageux viennent disputer aux siens le monopole dont ils ont joui pendant si longtemps, il perd avec une rapidité désolante le terrain qu'il avait conquis et dominé. Aux forces jeunes de l'industrie libre et du capital, il oppose obstinément sa vieille organisation réglementaire, désormais impuissante contre les armes nouvelles qui la menacent. Il reste fidèle au passé, et loin de comprendre que tous ses maux proviennent du conservatisme suranné où il persiste, il les attribue au gouvernement ou aux magistrats. Le renchérissement des prix, ce phénomène universel au XVIe siècle, augmente encore ses souffrances et son mécontentement. La hausse du blé sur les marchés provoque des émeutes, et si la révolte triomphe, on aperçoit tout de suite un retour significatif au régime médiéval de l'économie urbaine. Que demandent les métiers de Gand en 1539 ? La suppression de toute industrie dans un rayon de trois lieues autour de la ville (32). A quelle cause Ypres attribue-t-elle le recul constant de sa production drapière ? A la non-observation des vieux privilèges défendant aux villages des environs de s'adonner au travail de la laine (33). Manifestement, les corporations (Elbeuf, Eglise Saint-Etienne.) Tisserands au travail. Détail d'un vitrail du XVle siècle conservé à l'église de Saint-Etienne d (Seine-Inférieure). IBruxelles, Bibliothèque Royale, ms 22090, nl> 43.) Plan du village d'Hondschoote (Nord, arrondissement de Dunkerque) dressé par Jacques de Deventer. Après avoir levé les cartes du Brabant, de la Hollande, de la Zélande et de la Gueldre (1536-1542), Jacques Roelofs, né à Deventer, fut nommé cosmographe du roi et reçut la mission de « visiter, mesurer et desseigner toutes les villes de par deçà, ainsi que les rivières et villages voisins, semblablement les passaiges ou destroictz des frontières et le tout rédiger en un livre contenant le pourtraict de chacune province et démonstration de chacune ville particulière ». A sa mort il avait dressé le plan de septante-trois villes des Pays-Bas : ce sont les minutes qui ont servi à l'exécution d'une partie de l'Atlas dont les tomes II et III ont été retrouvés à la Bibliothèque Nationale de Madrid. Les minutes sont conservées à la Bibliothèque Royale de Bruxelles et dans les dépôts d'archives de quelques villes néerlandaises. La plupart de ces plans ont été reproduits en fac-similé chromographique par Ch. Ruelens, E. Ouverleaux et J. Van den Gheyn (Bruxelles, 1884-1924, 24 livraisons in-folio) et par R. Fruin (La Haye, 1916-1924, in-folio). Tous, sauf un. sont coloriés à l'aquarelle. d'artisans placent leur idéal en arrière, et si on les laissait faire, on en reviendrait bientôt aux moeurs du XIVe siècle et aux expéditions armées contre les paysans assez hardis pour chercher dans l'industrie un supplément de ressources. Réserver l'industrie comme un privilège exclusif aux bourgeoisies leur paraît être le salut; modifier ou perfectionner leur outillage ou leur organisation leur semble un abus intolérable. Les modifications apportées aux règlements industriels dans quelques localités, à la fin du XVe siècle, n'en ont nullement modifié l'esprit. Elles se bornent en général à autoriser la fabrication d'étoffes de qualité inférieure (34), mais elles multiplient, bien loin de les abolir, les restrictions mises à la liberté des travailleurs. A Courtrai, on ne trouve rien de mieux, en 1496, pour parer à la misère des tisserands, que d'imposer à tous l'obligation de ne travailler que sur un seul métier (35), sans songer à l'augmentation de prix qui doit nécessairement provenir de cette mesure et compliquer encore les difficultés contre lesquelles on se débat. A Bruges, en 1536, le métier des tondeurs s'oppose à l'emploi d'ouvriers étrangers par un industriel d'Armentières qui a introduit dans la ville un nouveau genre de draperie (36). A Ypres (37), à Bruxelles (38), l'érection d'un moulin à foulon provoque des troubles. A Malines, en 1575, le magistrat refuse aux teinturiers l'autorisation d'employer des procédés Elbeuf aux ouvriers qui manquent d'ouvrage (29). Et le spectacle est le même en Brabant et en Hollande. A Bruxelles, en 1537, il ne reste plus de teinturiers en bleu; pour en attirer un dans la ville, il faut lui promettre un subside de 600 florins annuellement (30). A Leyde, de 1521 à 1560. la production annuelle des étoffes diminue de 75 p.c. (31). nouveaux qui leur permettraient de réaliser une économie de 50 p. c. (39). Rien d'étonnant dans ces conditions si les capitalistes, qui jouent désormais le rôle prépondérant dans la vie économique, se détournent de l'industrie urbaine pour adresser ailleurs leurs commandes. Ce qu'ils demandent, ce ne sont plus ces qualités démodées : les moreyden, les strypte lakene, les dickedinnen, authentiquement scellés des plombs municipaux qui ont eu jadis tant de vogue sur les marchés. Ces marques, auxquelles les villes restent fidèles, n'ont plus pour eux aucune valeur. Il leur faut un article nouveau, de consommation courante, de prix modéré, de fabrication facile, bref, un genre d'étoffe tout à fait différent de celui que les villes ont produit jusque-là et qu'elles ne prétendent pas abandonner. LA NOUVELLE DRAPERIE. — La draperie rurale (40) ou « nouvelle draperie » est en mesure de le leur fournir, et nous allons la voir brusquement, à la fin du premier tiers du XVIe siècle, prendre un essor inouï, et faire surgir, à côté de l'antique organisation corporative de l'industrie, une organisation bien différente et présentant déjà certains caractères de la manufacture moderne. Tant que l'influence des grandes villes se maintint prépondérante en Flandre, la draperie rurale, impitoyablement pourchassée, ne traîna qu'une existence précaire et misérable. Mais la situation changea pendant le règne de Louis de Maie. En lutte contre les grandes communes, ce prince favorisa naturellement leurs adversaires et prit sous sa protection l'industrie du plat-pays. Quantité de villages reçurent de lui le droit de draper, et depuis lors, en possession d'un titre juridique inattaquable, leur situation fut définitivement assurée. Leurs puissantes voisines cherchèrent bien à entraver la vente de leurs étoffes et à les empêcher de se fournir de laines; il leur arriva même encore, pendant les époques de troubles, de briser leurs métiers; mais à partir de la période bourguignonne, elles se résignèrent, et ce ne fut plus que par des moyens de droit, par des procès devant les Conseils de justice, qu'elles s'efforcèrent d'empêcher les progrès de leurs jeunes rivales (41 ). Celles-ci, en effet, devinrent rapidement très dangereuses. Exemptes des entraves que le régime corporatif imposait à l'industrie urbaine, elles apportaient, dans la lutte pour la conquête du marché, plus de liberté et plus de souplesse. Leurs premiers fabricants furent, sans aucun doute, des cultivateurs pratiquant l'industrie comme profession accessoire. Mais ce qui était l'accessoire à l'origine devint rapidement le principal. Le travail de la terre est bientôt négligé pour celui du métier. En 1428, Philippe le Bon déclare que dans les châtellenies d'Ypres, de War-neton, de Cassel et de Bailleul, il faut appeler des étrangers pour cultiver les terres, chaque laboureur s'étant fait drapier (42). Le nombre des tisserands des nouveaux centres manufacturiers du plat-pays augmente avec une surprenante rapidité. C'est que l'on n'exige pas ici, comme dans les villes, de celui qui cherche à s'employer, un (Ma"nes' Musée certificat d'apprentissage et de bonne re- nommée. Tout homme, pourvu qu'il soit valide et sache lancer la navette ou tendre la chaîne, est sûr d'être embauché. On ne s'inquiète ni de son passé ni de son origine. On n'exige de lui de droits d'aucune sorte et on ne l'astreint à aucun engagement. Aussi se constitue-t-il, au commencement du XVIe siècle, dans les villages des environs d'Ypres, dans la châ-tellenie de Bailleul, à Bergues-Saint-Winnoc, aux environs de Lille (43), mais surtout à Hondschoote et à Armen-tières, un véritable prolétariat industriel. Les miséreux, les vagabonds y viennent de tous les points du pays chercher un gagne-pain (44). Les ordonnances contre le vagabondage et la mendicité, si nombreuses sous le règne de Charles-Quint, durent contribuer fortement à y faire affluer ces bandes de malheureux errants qui furent une des plaies de l'époque. Bien plus ! Le malaise croissant de l'industrie urbaine poussant les ouvriers des grandes communes vers le plat-pays, on assiste au spectacle inattendu d'un exode des villes vers les campagnes (45). Et encore, si nombreux que soient les arrivants, ils ne suffisent pas à l'ouvrage. Vivès, en 1526, nous apprend que les drapiers d'Armentières se plaignent du manque de bras (46). A Bergues, on estime la fabrication des draps, en 1507, à cent pièces par semaine (47). Suivant Guichardin, leur production se monte à Armentières à vingt-cinq mille pièces annuellement (48). L'aspect extérieur des nouveaux centres manufacturiers répond parfaitement à leur caractère économique. Jetez un coup d'oeil sur les plans que le géomètre Jacques de Deventer a tracés, entre 1550 et 1565, d'Hondschoote ou de Bailleul. Rien n'y rappelle la forme coutumière de la ville médiévale. Pas d'enceinte emmuraillée, pas même de fossé, aucune trace de ce lacis de ruelles courant entre les voies principales et où s'entassent les pauvres gens : une grande place, au centre de laquelle se dresse l'église et, partant de là, comme les rais d'une étoile largement ouverte, de grands chemins bordés de maisonnettes dont les longues lignes s'étendent toujours davantage dans la campagne à mesure que s'installent de nouveaux venus. Il y a entre ce type d'agglomération industrielle et les vieilles communal.) Coffre en cuir gaufré de la gilde de Malines. XVIe siècle. II - 10 (Florence, Galerie des Offices.) (Cliché Alinari.) Tapisserie artésienne du XVIe siècle. Fête nautique et combat sur l'eau, avec le portrait d'Henri III, roi de France, et de Louise de Lorraine. Cartons de François Quesnel (Holv Rood, 1542 ou 1544 - Paris, 1619). villes un contraste analogue à celui que l'on remarque à la même époque, en Angleterre, entre les towns à privilèges, comme Worcester ou Evesham, et les bourgs manufacturiers qui s'appellent Manchester, Sheffield ou Birmingham (49). Il va de soi que dans les conditions que nous venons de décrire, l'organisation même du travail devait rompre nécessairement avec la tradition des siècles antérieurs. En dépit du petit nombre des renseignements que nous possédons sur elle, il n'est cependant pas permis de douter qu'elle n'ait affecté, au moins au XVIe siècle, les caractères de l'entreprise capitaliste propre aux temps modernes. Sans doute, la draperie flamande du Moyen Age avait présenté déjà quelques-uns de ces caractères. Elle se différenciait nettement à cet égard du type industriel classique de l'époque (50). Produisant pour l'exportation en grand et non pour le marché local, elle avait brisé en bien des points les cadres du régime corporatif, adaptés à la taille de la petite industrie et du petit commerce. Bien qu'organisés en métiers comme leurs confrères des autres professions, les tisserands et les foulons de Gand, de Bruges et d'Ypres s'en distinguaient pourtant de façon très notable. Tandis, en effet, que dans presque tous les autres métiers, les maîtres constituent une classe de petits entrepreneurs vendant eux-mêmes les produits qu'ils fabriquent, bien rares étaient les ouvriers de la laine qui pouvaient arriver à l'indépendance économique. L'immense majorité d'entre eux travaillaient pour le compte de marchands dont ils recevaient la matière première et à qui ils rapportaient l'étoffe achevée. Ils se trouvaient donc dans la situation de purs salariés, et leur condition, si différente qu'elle ait été par ailleurs de celle de l'ouvrier moderne, s'en rapprochait pourtant en ce point essentiel. D'autre part, les marchands ou, si l'on veut, les donneurs d'ouvrage pour le compte de qui les draps étaient fabriqués, nous apparaissent comme un groupe d'entrepreneurs capitalistes. Pourtant, leur physionomie présente encore des traits fort nombreux qui empêchent de les confondre avec les entrepreneurs capitalistes que nous allons rencontrer au XVIe siècle. Tout d'abord, leurs capitaux roulants sont fort restreints. Leur fortune ne consiste pas exclusivement dans leurs opérations commerciales. Ce sont toujours de riches poorters qui, aux ressources qu'ils tirent du revenu de leurs terres ou de leurs maisons, ajoutent les bénéfices d'un négoce lucratif. Mais, en outre, l'organisation commerciale de l'époque ne leur permet pas de risquer de grandes affaires. Obliger d'exposer leurs draps aux halles et de les vendre par l'intermédiaire de courtiers assermentés, empêchés de s'entendre avec les acheteurs et de fixer les prix à leur guise; bref, soumis à un régime qui interdit la concurrence, protège les marchands les uns contre les autres et défend à chacun d'eux de se développer au détriment de la collectivité dont il est membre, il leur est impossible de dépasser un certain niveau et de réaliser de véritables fortunes industrielles. La décadence de la draperie urbaine les fait rentrer dans la classe des bourgeois rentiers dont ils sont sortis. Ils ne se ruinent pas : ils cessent de gagner un surplus dont ils pouvaient se passer, et c'est dans d'autres voies que, à partir du milieu du XVe siècle à peu près, se dirigent leurs enfants. Ce que les pères avaient demandé à l'industrie, les fils le demanderont aux professions libérales, qui commencent, dès lors, à se développer si rapidement et à fournir un nouveau champ d'action à la bourgeoisie aisée. La « nouvelle draperie » présente un tout autre spectacle. N'étant point gênée par la tradition, elle suivra sans peine la direction que prend maintenant le mouvement économique et dans laquelle sa sœur aînée, l'industrie urbaine, n'a point su s'engager. On sait comment, sous l'action de causes multiples, la vie économique subit, à l'aurore des temps modernes, une transformation aussi profonde que celle qu'elle avait subie vers le XIIe siècle; comment le crédit prend son essor, comment les bourses se substituent aux halles, la liberté commerciale à la réglementation, la concurrence à la protection, l'individualisme économique au privilège des collectivités, comment enfin de puissantes maisons ou de hardis entrepreneurs manient des capitaux considérables, accumulent d'énormes fortunes ou sombrent dans des faillites retentissantes. La manufacture rurale ressentit de très bonne heure l'influence de cette puissante rénovation. Dès le commencement du XVIe siècle, c'est pour le marché international d'Anvers que travaillent ses drapiers. Ils en reçoivent les ordres qui font confectionner, pour un seul marchand, des centaines, des milliers de pièces. En 1555, un certain Jacob Colaert enlève la presque totalité des serges tissées à Bergues (51). Un autre «grossier», en 1572, écoule en moyenne 20,000 saies d'Hond-schoote annuellement (52). Les fabricants d'Armentières possèdent à Anvers, avant 1538, une halle à laquelle sont préposés deux « halliers » servant d'intermédiaires entre eux et les acheteurs en gros (53). Le caractère libéral et capitaliste du commerce anversois se communique à l'industrie. De même que les artisans des jeunes centres manufacturiers de la Flandre échappent à l'exclusivisme des métiers privilégiés, de même aussi leurs patrons drapiers ne sont point entravés par une législation arriérée et qui, appropriée aux conditions économiques du Moyen Age. ne l'est plus à celles des temps modernes. Non seulement ils communiquent librement avec l'étranger, s'engagent sans l'intermédiaire obligatoire des courtiers, sous leur propre responsabilité et sans autres restrictions que celles des contrats qu'ils ont acceptés, mais ils donnent encore à l'organisation industrielle une physionomie jusqu'alors inconnue. Ils ne sont plus, comme dans les « bonnes villes », de simples maîtres-arti-sans employant deux ou trois compagnons dont ils se différencient à peine. Ils se rapprochent déjà du fabricant moderne, en concentrant sous la direction d'un seul entrepreneur les diverses opérations techniques que le système médiéval des métiers répartit entre des corporations distinctes. En 1532, les « riches drapiers » de Neuve-Eglise prétendent, au mépris de l'ancien usage, exercer à la fois deux métiers dans leurs maisons : le tissage et le tondage, le tissage et la fou-lerie, etc. (54). A Hondschoo- te, la commune s efforce d empêcher les drapiers soutenus par les capitalistes pour lesquels ils travaillent, d'organiser chez eux des teintureries (55). Et ces faits, auxquels il serait facile d'en ajouter d'autres (56), dénotent une évolution incontestable vers le type industriel de la fabrique. Le rhétoricien Cornelis Everaert note avec surprise cette nouveauté : Menich doet nu twee ambachten in een wueninghe. Twelc selden hier voortijts was ghezien (57). Toutefois, il n'en faut point exagérer la signification. Il n'est guère possible de considérer les quatre-vingt-dix drapiers mentionnés à Armentières en 1538 (58) comme des capitalistes importants. Le plus grand nombre d'entre eux se bornaient sans doute à louer quelques tisserands en chambre et à faire donner ensuite, dans leur maison, l'apprêt aux étoffes brutes qu'ils en recevaient (59). Mais l'essentiel est le divorce qui s'est opéré, sous la double action de la liberté et du capitalisme, entre le donneur d'ouvrage et l'ouvrier, la rupture des cadres où le régime réglementaire maintenait encore l'industrie dans les villes privilégiées et surtout l'orientation de la draperie nouvelle vers les grands marchands de la place d'Anvers. Nous avons déjà dit que les étoffes fabriquées à Bergues, à Hondschoote, à Armentières, constituèrent des genres jusqu'alors inconnus dans la draperie flamande. Celle-ci, on se le rappelle, avait dû surtout, au Moyen Age, son étonnante vitalité à la confection des draps de luxe. Mais la décadence de cet article, provoquée par la concurrence anglaise et la rareté croissante de la laine insulaire, poussa la jeune industrie à chercher fortune dans d'autres voies. Elle ne s'obstina point à lutter contre (Munich, Staatsbibliothek, Codex iconographicus n° 265.) Vue de l'église Saint-Nicolas, du beffroi et de l'église Saint-Bavon à Gand en 1540. Détail d'une carte dessinée à la plume et coloriée à la main en 1540, extrait d'un manuscrit composé en 1562 et contenant une description de la Flandre, illustrée de portraits, d'armoiries, d'une vue panoramique de Gand et d'une carte de la Flandre. Dans son introduction à la « Vray pourtraicture » de « la ville de Gandt ». l'auteur, avertit ses lecteurs que la reproduction se rapporte à l'année 1540, avant que Charles-Quint eût transformé en citadelle l'abbave de Saint-Bavon. DESCRITTIONE DI M-LODOVICO M GVICCIARDINI PATRITIO FIORENTINOj DI TVTTII PAESI B A S S J , ALTR1MENTI , |,( DETTI GERMANIA INFERtORE. ] Con piu carte di Geographia dcl pacfc, te col ritratto naturalc di piu terre principali. AL GRAN- RE CATTOLICO M IIP PO D'A V S T R1 A. Cooamplidïmo Ixst et dituttclccofcpiu mcmocabili. IN ANVERSA M. D. 1 X V I L Apreflo OugIl'elnioSluiô.Stimpilorihcgio COU r H I T I L 191 Q, (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) (Cliché Bitjebier.) Frontispice de la première édition de la « Descritlione, di M. Lodovico Guicciardini patritio Florentino, di tutti i Paesi Bassi, altrimenti detti Germania Inferiore » (Description, par M. Louis Guichardin, citoyen de Florence, de tous les Pays-Bas, autrement dits Germanie Inférieure). Anvers, édit. Guillaume Silvius, 1567, in-folio. Edition dédiée « au grand roi catholique, Philippe d'Autriche > (Philippe II) (Al gran Cattolico Filippo d'Austria). L'exemplaire reproduit ci-dessus provient de la bibliothèque de l'érudit français Charles du Fresne Du Cange (1610-1688). Neveu du célèbre auteur de l'Histoire d'Italie, Louis Guichardin (Lodovico Guicciardini), né à Florence le 19 août 1521 et décédé à Anvers le 22 mars 1589, se fixa à Anvers avant 1542. En 1565. il publia les Commentarii délie cose piu memorabili relatives à l'histoire politique et sociale de l'Europe, et particulièrement des Pays-Bas, entre 1529 et 1560. Mais son œuvre capitale pour l'histoire des Pays-Bas au XVIo siècle reste sa Descrittionc.. . œuvre de longue haleine basée sur les sources locales et sur les cosmographies de Sébastien Munster et de Pierre Appien. Une enquête de plusieurs années l'amena à voyager dans tout le pays, et la Descrittione... renferme une foule de renseignements de première main sur la géographie, l'histoire, la vie politique, économique et sociale des Pays-Bas. L'octroi pour l'impression du livre fut délivré le 29 septembre 1565 et la première édition de 296 pages in-folio, ornée de quinze gravures sur bois et de deux gravures sur cuivre, parut en 1567 chez l'imprimeur anversois Guillaume Silvius. La même année paraissait la première traduction française. Le livre fut accueilli avec ferveur en Allemagne (la première traduction allemande date de 1580) et surtout dans les Pays-Bas où Christophe Plantin imprima en 1581 une deuxième édition de 558 pages in-folio ornée de cinquante-six gravures sur cuivre et invita François de Belieforest à la traduire en l'enrichissant de vingt-cinq nouvelles planches. La troisième édition de la version italienne, la plus complète et l'une des plus belles sorties des presses de Christophe Plantin, parut en 1588. Cornélius Kilianus traduisit en flamand la deuxième édition (1612) et Renier Vitellius en latin (1613). un adversaire qui avait pour lui l'immense avantage de posséder la matière première qu'il mettait en œuvre. Elle lui abandonna le terrain et s'établit sur des positions nouvelles : ce fut dans la fabrication des tissus légers et à bon marché qu'elle trouva la source d'une prospérité magnifique (60). Rien d'étonnant d'ailleurs s'il en fut ainsi. Jalousement surveillée par les grandes villes pendant tout le XIVe siècle, la draperie rurale n'avait pu, en effet, s'adonner comme elles au travail de la précieuse laine anglaise. Les marchands urbains l'accaparaient pour eux seuls au marché de Bruges et n'en laissaient parvenir que des quantités insuffisantes aux artisans du plat-pays (61). Ceux-ci furent donc contraints bon gré mal gré de s'approvisionner de laines de qualité inférieure. On est fort mal renseigné sur les espèces qu'ils se procurèrent jusqu'à la fin du XVe siècle. Mais, à partir de cette date, le commerce de plus en plus actif s'établit entre les Pays-Bas et les régions du Midi de l'Europe, commença de faire affluer en Flandre les laines d'Espagne. Nous savons qu'en 1455 elles alimentaient déjà une grande partie des ateliers du pays (62), et il n'est pas douteux que ce furent ceux des villages, car les villes continuèrent longtemps à s'en tenir exclusivement à la laine anglaise. L'union politique des Pays-Bas et de l'Espagne à partir du règne de Philippe le Beau en augmenta sensiblement l'importation. En 1493, l'étape de ces laines est fixée à Bruges (63) et voit son importance grandir constamment, tandis que l'étape de Calais, constituée pour les laines anglaises, décline d'année en année (64). En 1535, on importe annuellement dans les Pays-Bas 30,000 balles de laine espagnole, sans (Cliché A.C.L.I Hôtel de ville de Grammont. Construit au XV® siècle, l'hôtel de ville de Grammont reproduit le plan de celui de Louvain et de Courtrai : un quadrilatère flanqué de quatre tourelles en encorbellement au second étage. Il a été restauré. compter les arrivages très importants qui se font par Anvers (65). Vers 1560, Guichardin estime la valeur de ces laines à 625,000 écus (66). Moins soyeuse que la laine anglaise, la laine espagnole ne pouvait rivaliser avec elle dans la draperie fine. Mais elle convenait parfaitement pour les tissus légers, tels que les serges et les ostades, et du jour où elle parvint en Flandre en quantité suffisante, c'est exclusivement à ce genre de tissus que se consacra la draperie rurale. Elle allait pouvoir lutter à armes égales avec l'Angleterre, puisqu'elle possédait désormais une matière première qu'il n'était pas au pouvoir de celle-ci de lui enlever ou de faire renchérir. Si les draps que les artisans des villes s'obstinent à fabriquer ne trouvent plus d'acheteurs, les serges et les ostades de Bergues et d'Hondschoote, les draps légers d'Armentières figurent, à partir des premières années du XVIe siècle, parmi les principaux articles d'exportation des Pays-Bas. Et bientôt, par un significatif retour de fortune, l'Angleterre, qui a si complètement triomphé de l'industrie urbaine de la Flandre, est incapable à son tour de tenir tête à la jeune rivale que cette même Flandre lui suscite. Si elle garde le monopole de la draperie fine, elle voit en revanche, à partir de 1539-1540, décroître de plus en plus la production des ivorsted (67). Elle l'a emporté sur l'industrie flamande du Moyen Age, mais elle est vaincue à son tour par l'industrie flamande moderne. Entravées dans les villes, l'activité et l'énergie de la population se reprennent dès qu'elles ont trouvé dans la grande force du capital et dans la liberté économique des moyens nouveaux d'expansion, et la draperie rurale, persécutée jadis, prend une revanche éclatante. Son étonnant essor ne pouvait manquer d'attirer l'attention des villes. Elles crurent qu'elles pourraient, en suivant son exemple, participer à sa fortune. Depuis le milieu du XVIe siècle, on les voit à l'envi s'efforcer d'introduire chez elles la nieuwe draperie. c'est-à-dire la fabrication des étoffes légères faites de laine espagnole. Il en est ainsi à Bruges en 1533 et surtout en 1548 (68), à Courtrai en 1533 (69), à Leyde en 1562 (70). A Ypres, la laine d'Espagne, en 1545, est presque exclusivement employée (71). Bien plus, Bruges et Ypres appellent des drapiers d'Armentières, de Bailleul ou de Lille dans leurs murs pour y introduire la sayetterie. Mais ces tentatives échouèrent. La prospérité perdue ne reparut pas. Et l'on ne pourrait sans doute invoquer de meilleur exemple pour prouver que le régime des métiers privilégiés n'était plus capable de se plier aux nécessités nouvelles qui s'imposaient à l'industrie (72). On s'en convaincra mieux encore si l'on jette un coup d'oeil sur certaines villes de la Flandre wallonne et du Hainaut qui, dans le même temps qui vit s'achever la ruine de la draperie urbaine dans la Flandre flamingante et le Brabant, s'adonnèrent avec le même succès que Hondschoote et Armentières à l'industrie de la sayetterie : nous voulons parler de Tournai, de Lille, de Valenciennes et de Mons. Moins bien placées que les villes de la région (Anvers, Musée de la Boucherie.)'Cliché Institut National de Cinématographie.) Porteur de tourbe. Bois polychromé, première moitié du XVIe siècle; le socle date du XIXe siècle. Hauteur : 0 m. 36. Cette sculpture ornait primitivement une torchère du métier des porteurs de tourbe. maritime pour s'approvisionner de laines anglaises, elles avaient adopté, dès la fin du Moyen Age, la fabrication des saies, et c'est chez elles que se réfugièrent, en 1477, lors de la dispersion des artisans d'Arras par Louis XI, les sayetteurs artésiens. En y introduisant la draperie légère, les circonstances les mirent donc à même de lutter dans des conditions plus favorables que Gand, Bruges et Ypres, contre la concurrence anglaise. D'autre part, n'ayant pas les mêmes motifs que la Flandre de résister à l'influence d'Anvers, c'est dans cette place qu'elles écoulent leurs produits, et les relations croissantes qu'elles nouent avec elle les imprègnent peu à peu de l'esprit libéral et capitaliste qui y domine (73). Les métiers de la draperie n'y persistent pas dans cet exclusivisme qui, en Flandre, provoque leur ruine. Les restrictions que les vieux règlements imposent à l'initiative privée et au travail libre y tombent en désuétude. Au milieu du XVIe siècle, la sayetterie de Valenciennes reçoit l'impulsion de riches entrepreneurs, et la plupart des ouvriers qu'elle occupe viennent des campagnes environnantes, où ils retournent le samedi soir pour passer le dimanche dans leur famille et y porter leur propre salaire, après avoir travaillé en ville pendant toute la semaine (74). C'est le même spectacle que devaient présenter Lille et Tournai (75) et que l'on rencontrait sans doute aussi à Mons, quoique moins accusé. Il suffit de l'indiquer pour montrer combien l'organisation économique qui s'y révèle, capitaliste par en haut, prolétarienne par en bas. se rapproche de celle d'Hondschoote et d'Armentières. Il n'en va pas différemment pour l'industrie de Ver-viers et des villages voisins du pays de Liège et du duché de Limbourg (76), qui, née pendant le XVe siècle, continue de progresser au cours du XVIe. Comme la draperie rurale flamande, elle ne connaît ni métiers ni privilèges : la liberté économique y est entière. Toutefois, en cette région écartée des grandes voies commerciales, les résultats furent moins rapides et moins brillants. Il faut attendre le XVIIe siècle pour voir les produits de la manufacture verviétoise se substituer dans le grand commerce à ceux de la draperie de la Flandre et du Hainaut, ruinée par les troubles du règne de Philippe II. La disparition de la draperie urbaine en Flandre ne fut pas seulement compensée par l'essor de la « nouvelle draperie » : elle le fut également par celui de la fabrication des toiles de lin. De tout temps, le tissage du lin avait été (Diest, Eglise Saint-Sulpice.) (Cliché A.C.L.) Le meunier dans son moulin. Détail d'un vitrail de l'église Saint-Sulpice à Diest. XVI» siècle. pratiqué dans le pays; mais durant le Moyen Age il ne s'était point développé en industrie distincte. Dans les villes, ses suppôts formaient une branche secondaire du métier des tisserands de laine (77), et quant aux paysans, c'est pour leur propre usage qu'ils confectionnaient pendant l'hiver des toiles rudes et grossières : le linge fin venait de l'étranger. Cet état de choses commença de se modifier au XVe siècle. Se trouvant sans emploi par suite du dépérissement de la draperie, un certain nombre de tisserands de laine s'adonnèrent dans les villes au travail du lin. Ils étaient déjà assez nombreux à Bruxelles en 1475, pour demander leur érection en corporation distincte (78). Mais en butte à la défiance des artisans de la draperie et gênés par l'étroitesse du régime suranné auquel ils étaient soumis, ces tisserands ne devaient point prospérer dans le milieu urbain. Relégués dans les ruelles les plus misérables des quartiers pauvres, tout contre les remparts, on les désignait dédaigneusement à Bruges sous le nom de vestenaren; on alla même jusqu'à leur interdire de s'intituler wevers comme les tisserands de laine, et l'on créa pour eux l'appellation nouvelle de ketenwerkers (79). L'INDUSTRIE LINIERE. - Mal reçue dans les villes, l'industrie linière ne devait pas tarder, en revanche, à prendre possession du plat-pays. Nous sommes très peu documentés sur la transformation qu'elle y subit à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe et qui eut pour résultat d'en faire, en quelques années, l'une des sources les plus abondantes de la richesse nationale. Dès 1530, l'Angleterre achetait à la Flandre pour plus de 100,000 marcs de toile annuellement (80) et, en 1565, on constate que la fabrication des tissus de lin forme la principale ressource de plusieurs des « quartiers » du comté. Il en allait de même en Brabant, en Hollande et dans certaines parties du Hainaut dont les toiles entrèrent, à côté de celles des Flandres, sous le règne de Charles-Quint, dans le courant du commerce européen. Les progrès réalisés par l'agriculture favorisèrent naturellement la pros- périté de cette nouvelle industrie en lui fournissant à bas prix et en quantité une matière première excellente. Le lin, le lin flamand surtout, fut depuis lors pour les Pays-Bas ce que la laine de ses moutons était pour l'Angleterre, et si l'on ajoute que les eaux de la Lys, par une heureuse fortune, se trouvèrent convenir excellemment à l'opération du rouissage, on comprendra sans peine la rapidité du progrès de cette industrie linière qui, s'adaptant depuis lors à toutes les modifications du marché et de l'outillage, est restée jusqu'à nos jours ce qu'elle était déjà au XVIe siècle : 't principaelste onderhoud van eenighen quartieren van Vlaenderen (81). Dès le commencement du règne de Charles-Quint, elle était si active que le lin indigène ne lui suffisait plus et qu'on devait en faire venir de Russie (82). Il ne dépendit point pourtant des artisans des villes qu'elle ne fût arrêtée dans son expansion. Ils s'en montrèrent aussi jaloux qu'ils l'avaient été de la draperie rurale. Ils prétendirent empêcher les marchands de faire tisser à la campagne pour les obliger à réserver toutes leurs commandes aux tisserands urbains. En 1529, les tisserands en lin de Bruxelles réussirent à arracher au gouvernement une défense de ce genre (83), et nous avons vu qu'en 1539 les Gantois exigèrent la cessation de toute industrie autour de leur ville. Mais ces prétentions ne font que trahir une fois de plus l'inaptitude des métiers à comprendre les nécessités nouvelles de l'industrie : à peine rendue, l'ordonnance en faveur des Bruxellois fit diminuer de moitié la fabrication des toiles. On connaît encore trop imparfaitement l'organisation de l'industrie linière à cette époque pour pouvoir s'en faire une idée précise. Tout porte à croire cependant qu'elle présentait dès lors les (Gand, Musée Archéologique.) (Cliché Bijtebier.) Semelle de poutre provenant de la Maison des Orfèvres gantois dont elle porte les armes (vers 1550). caractères propres à l'entreprise manufacturière et que les milliers de tisserands qu'elle employait à la campagne travaillaient surtout pour le compte de capitalistes exportateurs. Ainsi, anciennes comme la draperie, ou récentes comme la confection des toiles, toutes les branches d'industrie nous ramènent à constater la naissance d'un système de production fondé sur l'alliance du capital et du travail libre. Nous en trouverons une preuve nouvelle dans l'histoire de la tapisserie, cette glorieuse industrie où s'allient si admirablement les deux caractères essentiels de la civilisation des Pays-Bas, l'activité économique et le sentiment de l'art. LA TAPISSERIE. - C'est vers le commencement du XVe siècle que la fabrication des tapisseries, depuis longtemps déjà si florissante à Arras, se répandit dans le bassin de l'Escaut (84). Elle s'installa tout d'abord dans les villes, où son caractère d'industrie de luxe lui assura un meilleur accueil que celui qu'y avaient rencontré les tisserands de toile. Grâce aux mœurs dispendieuses de l'époque, les tapissiers s'enrichirent promptement et se constituèrent de bonne heure en métiers spéciaux. Nous possédons encore les chartes qui furent données à ceux d'Au-denarde en 1441 et à ceux d'Alost en 1496. En dehors de la Flandre, dès avant la fin du XVe siècle, Enghien et Bruxelles étaient devenus des centres actifs de tapisserie, et, pendant les premières années du XVIe siècle, l'industrie nouvelle gagna une foule d'autres localités : Binche, Ath, Lille, Louvain, Tournai, Grammont, Gand, etc. On ne s'étonnera point qu'elle ait alimenté tout de suite un important commerce d'exportation. Aucune contrée, en effet, ne réunissait aussi complètement que les Pays-Bas les conditions indispensables à sa prospérité. La per- (Stutlgart, Musée de Peinture.) Carton d'une tapisserie de Michel Coxie (Malines, 1499-1592) : Le paradis terrestre. (Malines, Musée communal.) (Cliché Van Kesbeeck.) Mortier en cuivre fondu en 1532 par le fondeur malinois Pierre Ier Van den Ghein (décédé le 14 mars 1561). Pierre Ier, fils de Guillaume Van den Ghein, est un des représentants les plus importants de l'industrie du cuivre à Malines au XVI© siècle. Il fondit de nombreuses cloches, dont un grand nombre existent encore aujourd'hui, notamment au hameau «de Locht », sous la commune de Brecht (1528); à Bronbyvester, dans l'île danoise de Seeland (1529); à Notre-Dame au delà de la Dyle, à Malines (1533); à Walley (Lancashire), en Angleterre (1537); à Canettemont (Pas-de-Calais), en France (1543); à l'église Saint-Pierre-du-Quevroix, à Limoges (1548); à Ulvenhout sous Ginneken et à Armenuiden, en Hollande (1553); à Hal (1554); à Wehren (Hesse-Cassel). en Allemagne (1555) ; à Notre-Dame des Dominicains, à Louvain (1557) ; à Montmédy (Meuse), en France (1558); à Lanquesaint (Hainaut) (1560); et à l'église Notre-Dame à Edam (Hollande) (1561). On lui doit également de nombreux mortiers. Le mortier malinois est de type invariable : il se présente sous la forme d'une cloche retournée, de forme conique et, le plus souvent, sans anse. Sa hauteur varie entre 0 m. 05 et 0 m. 34, et son diamètre supérieur entre 0 m. 06 et 0 m. 43. fection à laquelle y était arrivé l'art de la teinture assurait aux tapisseries l'éclat et la solidité des couleurs, en même temps que les peintres et les dessinateurs dont fourmillait le pays, leur fournissaient des modèles en quantité inépuisable. Lorsque, vers la fin du XVe siècle, les droits de courtage exorbitants qui étaient levés à Bruges (85) eurent détourné les fabricants de la fréquentation de cette ville, Anvers devint le marché central des tapisseries belges. Un bâtiment (het tapesierspand) construit à côté de la bourse leur servait à la fois d'entrepôt et d'exposition permanente; on y recevait, pour les transmettre aux lieux de production, les commandes de la clientèle cosmopolite du grand port. Dès cette époque aussi, la tapisserie déborde les cadres étroits du métier. Comme la sayetterie et l'industrie linière, elle s'est transformée en industrie capitaliste, groupant sous la direction de marchands en gros, un nombre de plus en plus considérable de travailleurs libres. C'est encore la campagne, naturellement, la grande pourvoyeuse de toutes les entreprises capitalistes, qui lui fournit les bras dont elle a besoin. En 1539, autour d'Audenarde, la fabrication des tapisseries occupe, dit-on, douze à quatorze mille personnes, hommes, femmes et enfants, dans les paroisses d'Edelaer, Nukerke, Etichove, Volkeghem, Kerkhem, etc. (86). Les petits ateliers familiaux de ces villages sont placés, par groupes de trente à soixante, sous la direction de Winkelmeesters au service des patrons de la ville. Tous les dimanches, l'ouvrage effectué pendant la semaine est apporté à ceux-ci en échange de la matière première qui sera mise en oeuvre pendant la semaine suivante (87). Cette organisation affecte, on le voit, les caractères principaux du système manufacturier; elle en développe aussi toutes les conséquences sociales. Si elle affranchit les artisans du contrôle perpétuel qui s'exerce sur eux dans les villes, elle les réduit, en revanche, à la condition de prolétaires. Isolés en face de patrons qui les exploitent, ils sont forcés de se contenter d'un salaire dont ils cherchent à compenser l'insuffisance par un labeur exténuant. Ils mettent en réquisition tout leur ménage; dans les misérables chaumières où ils peinent du matin au soir, ils vont jusqu'à faire travailler des enfants de sept ans (88). Mé- plus fins. Elles seules confectionnent ces tapisseries d'art qui, exécutées d'après les dessins des Coucke, des Floris ou des Coxie, ont si justement mérité d'être appelées les « fresques des pays du Nord ». Dans ce domaine elles restent sans rivales, et les ateliers ruraux doivent se contenter de contrefaire maladroitement leurs produits. Encore ne le peuvent-ils qu'à leurs risques et périls. Car, dès 1544, une ordonnance leur a interdit l'imitation des marques employées dans les bonnes villes (90). Cette ordonnance, qui réglementa pour toutes les provinces l'industrie de la tapisserie, constitue peut-être le plus ancien document de la politique mercantile dans les Pays-Bas. Elle nous montre le gouvernement cherchant à établir, sur les ruines de l'économie urbaine du Moyen Age, une économie nationale. Après avoir favorisé, malgré les résistances municipales, l'essor de la liberté commerciale et du capitalisme, comme les princes du XIIe siècle avaient aidé les mercatores à briser les entraves du droit (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Tracé du canal de Bruxelles à Wlllebroeck achevé en 1560. L'auteur de cette gravure a jalonné le parcours du canal du nom des localités se trouvant dans son voisinage : Vilvorde, Grimbergen, Semst, Malines. etc. Gravure sur bois extraite de la Nieuwe Chronijcke van Brabandt, éditée à Anvers chez Jean Mollijns en 1565, in-folio, p. 409. contents de leur sort, mais incapables de l'améliorer faute d'organisation, ils rêvent vaguement d'une révolution qui les libère. En 1539, lors de l'insurrection gantoise, ils abandonneront leurs métiers pour emplir du bruit de leurs plaintes et de leurs menaces, le marché et les rues d'Aude-narde (89). Plus tard c'est parmi eux, comme parmi les masses ouvrières des environs d'Hondschoote et d'Armentières, que surgira le tumulte des Iconoclastes. Et pourtant, en dépit de la misérable condition à laquelle ils sont réduits, l'attrait que le travail industriel a toujours exercé sur la population rurale grossit sans cesse leur nombre de nouveaux adeptes. Vers 1560, ce n'est plus seulement dans la région d'Audenarde, c'est autour de Tournai, de Lille, de Douai, de Valenciennes, que la fabrication des tapisseries a envahi la campagne, où la main-d'œuvre à bon marché s'offre surabondante. Les villes ont beau fatiguer le gouvernement de leurs plaintes et obtenir même parfois qu'il prenne des ordonnances en leur faveur, les fabricants avantagent de plus en plus le travail rural au détriment du travail urbain, parce qu'il assure des profits plus rapides et plus abondants et qu'il permet d'organiser la production en pleine liberté. La tapisserie entre donc au XVIe siècle dans la même phase économique que la draperie. Elle ne s'y comporte point, à vrai dire, d'une manière identique. Tout d'abord, les villes ont conservé, malgré la concurrence de l'industrie champêtre, le monopole de la fabrication des genres les domanial, il reconnaît maintenant la nécessité de surveiller et de limiter leur action. Dans le cadre agrandi de l'Etat, il va les soumettre à son contrôle, comme les villes, dans le cadre plus étroit du marché local, les ont si longtemps soumises au leur. Du reste, le XVIe siècle ne nous présente encore que les premiers symptômes de cette orientation nouvelle du pouvoir public : les conséquences n'en apparaîtront en pleine lumière qu'au siècle suivant. Même dans les villes où l'industrie des tapisseries de luxe est florissante, même à Bruxelles, qui s'est acquis grâce à elle une renommée européenne, l'organisation du travail ne conserve que des traces bien faibles de l'ancien système corporatif. Les métiers des tapissiers ne servent plus guère qu'à imposer aux ouvriers un apprentissage indispensable dans une industrie d'art comme celle-ci. Mais ils ne dominent plus comme jadis la vie sociale de leurs membres. L'ordonnance de 1544 traite dédaigneusement de « minuties » leurs vieilles institutions charitables ou religieuses. La plupart de leurs maîtres sont devenus d'importants entrepreneurs, bien différents des artisans du Moyen Age, tandis que les compagnons y sont descendus pour la plupart au rang de purs salariés. Telle est certainement la condition des 2,000 tapissiers que Bruxelles comptait encore vers la fin du XVIe siècle (91). Si quelques-uns d'entre eux, doués d'une habileté spéciale, parviennent à s'assurer un sort plus heureux, ils ne songent qu'à émigrer afin de vendre ailleurs les secrets du (Mons, Archives de l'Etat, cartes et pians, n° 32.) Vue de la localité de Saint-Ghislain en 1503. On remarquera les murailles, les portes, les ponts, le tordoir, la boucherie, le marché et l'abbaye. Vue extraite d'un dessin composé à l'époque en vue d'un procès. métier. Pour les retenir, les maîtres ne trouvent guère d'autre moyen que de les accabler de dettes en leur ouvrant un large crédit (92). Le luxe de l'ameublement avait stimulé les progrès de la tapisserie; celui du vêtement favorisa dans le pays une autre industrie d'art : celle de la dentelle. La réorganisation de la bienfaisance publique, qui imposa aux enfants pauvres l'apprentissage d'un métier, transforma certainement en dentellières une quantité de jeunes filles, dans les villes comme à la campagne. Leur nombre était si grand à la fin du XVIe siècle, qu'il fallut défendre aux filles de plus de douze ans de faire de la dentelle « parce que les bonnes gens ne trouvaient plus de servantes» (93). On est mal renseigné d'ailleurs sur l'organisation économique qui s'implanta dans ce nouveau domaine. Mais tout porte à croire qu'elle présenta de bonne heure les caractères qui l'ont marquée dans la suite. La misérable condition des travailleuses les vouait à l'exploitation du capital, et l'on ne peut douter que, dès les premiers temps, la très grande majorité d'entre elles n'aient été, comme elles le sont encore de nos jours, dans la dépendance des marchands de dentelles. De même que les paysans de Flandre se sont transformés en tisserands, de même les bûcherons namurois fournissent à ces petites usines, dont le nombre grandit rapidement, leur personnel ouvrier. Au moment où Guichardin rédige sa description des Pays-Bas, dans tous les vallons qui s'ouvrent sur le large corridor de la Meuse « on ne cesse de labourer, battre, forger, fondre, marteler et affiner en tant de fournaises, parmi tant de flammes, estincelles et fumées, qu'il semble proprement qu'on soit là, dedans les boutiques et forges estince-lantes de Vulcain » (95). C'est encore le capital, est-il besoin de le dire, qui suscite et entretient cette bruyante activité. Si primitives qu'on les suppose, les installations qu'elle nécessite, barrages sur les cours d'eau, établissement de roues de (Cliché Letrancq.) moulins, construction de fours, de hangars, etc., coûtent assez cher pour n'être permises qu'aux détenteurs d'une certaine aisance. Et, en effet, les textes nous montrent à suffisance que c'est la bourgeoisie de Namur et des petites villes voisines que proviennent les maîtres de forges du pays. Comme en Flandre, la tradition ancestrale est abandonnée, et les fils des petits rentiers ou des artisans sortent de l'enceinte municipale pour s'adonner au LES FORGES. — Pendant que l'industrie capitaliste se répandait comme les eaux d'une inondation sur les campagnes de la basse Belgique flamande et wallonne, elle gagnait aussi les gorges boisées des Ardennes. Le Namurois particulièrement, dont le sol renferme en quantité des gisements de minerai de fer, et qui, tout sillonné de torrents et de gros ruisseaux, regorgeait de forces hydrauliques jusqu'alors inutilisées, devint au XVIe siècle un pays de forgerons. On y voit débuter alors cette activité métallurgique qui devait prendre au XIXe siècle, dans les vallées de la Meuse et de la Sambre, un si prodigieux développement. Durant le règne de Charles-Quint, le gouvernement accorde à une foule d'individus, moyennant des redevances fort minimes, le droit d'installer le long des cours d'eau des « marteaux à fer ». A côté de ceux-ci, s'élèvent des hauts fourneaux auxquels les forêts de la région fournissent le combustible en abondance (94). (Cliché A.C.L.) Le château de Jehay (province de Liège). Du XIIIe au XVIe siècle, la seigneurie de Jehay appartint successivement à Libert de Lexhy, seigneur de Jeneffe et de Limont, descendant de Raes de Damartin et d'Alix de Warfusée, à Walter Datin, Gérard Gossuin, Quentin de Thuin. à la famille de la Falloise et à Jean Helman de Sart. Ce dernier fit reconstruire le château partiellement détruit pendant la guerre des Hornes et des La Marck. Le donjon, flanqué de deux tours, fut construit en 1550. Le château de Jehay, entièrement construit sur pilotis, compte parmi les châteaux historiques les mieux conservés de la Belgique. Il a été restauré en 1864. DOAVV5 HAN5AE Tevtonicae Sac ri Romani ia\. p e rji • dehors à l'entreprise individuelle et au travail libre. Comme en Flandre encore et pour les mêmes raisons, la décadence de l'industrie urbaine va de pair, dans cette région, avec la vigoureuse croissance de l'industrie nouvelle. Dinant, dont les cuivres s'étaient répandus à travers toute l'Europe jusqu'à la fin du Moyen Age, ne parvient pas à retenir la fortune. Son exportation diminue sans cesse à partir de la fin du XVe siècle, et, si elle conserve encore quelque importance sous le règne de Charles-Quint, elle disparaîtra presque complètement après cette date. Sans doute, la concurrence de Malines, où le gouvernement des Pays-Bas favorise l'industrie du laiton, sans doute aussi la difficulté pour les Dinantais de s'approvisionner de calamine aux mines de Moresnet, concédées par la Cour de Bruxelles à des capitalistes qui en écoulent la production vers Anvers et les ateliers malinois, ont largement contribué à ce résultat (96). Mais on ne peut se dissimuler que le protectionnisme du « métier des batteurs » y a été pour beaucoup. Ne le voyons-nous pas, en 1569 et 1583, s'opposer à l'établissement, dans la ville, de fabriques de fils métalliques qui y eussent peut-être conservé la prospérité (97) ? Comme les tisserands de Bruges ou d'Ypres, il ne parvient pas à s'adapter aux nécessités du temps, et son esprit conservateur est, en grande partie, l'instrument de sa ruine. Active surtout dans le Namurois, la métallurgie ne s'y est point pourtant uniquement confinée. Elle fut pratiquée aussi dans certaines régions du Hainaut et dans les âpres vallons du pays de Franchimont, où les dernières forges n'ont disparu que de nos jours aux bords de la Hoëgne et du Wayai. LES HOUILLERES. — Si les hauts fourneaux ne se rencontrent guère aujourd'hui que dans le voisinage des mines de charbon, il n'en allait pas ainsi au XVIe siècle. La houille n'était guère employée, à cette époque, que pour le chauffage domestique et pour les foyers de forge. Uniquement consommée tout d'abord dans le voisinage des lieux d'extraction, son emploi avait commencé à se répandre à la fin du Moyen Age. Grâce à la Meuse, le Depuis 1315, les marchands de la hanse germanique disposaient de deux maisons à Anvers, l'une située Courte rue ■ Koeipoort l'autre au vieux marché aux grains. En^ 1562, ils obtinrent du magistrat anversois l'autorisation de construire un nouveau local, proportionné à l'importance de leur association. Corneille de Vriendt en exécuta les plans et, le 5 mai 1564, les bourgmestres Henri van Berchem et Jean van Schoonhoven posaient la première pierre. L'édifice fut achevé en quatre ans : soixante-cinq villes allemandes étaient intervenues dans les frais de construction à raison des deux tiers (60,000 florins) de la somme totale, et le magistrat à concurrence du dernier tiers (30,000 florins). Mais, à peine les marchands allemands avaient-ils officiellement pris possession de leur nouvelle maison, que les événements dramatiques des années suivantes les obligèrent à quitter la ville. Dè lors, l'hôtel de la hanse servit de caserne, de temple protestant à la communauté «De Brabantsche Olijfberg » (1708-1761), de champ d'exercice à la milice communale (1787) et. à nouveau, de caserne pour les troupes françaises (1794). Une délégation des villes hanséatiques essaya vainement de faire valoir les droits des villes allemandes, l'année suivante; ces droits ne furent reconnus aux villes de Hambourg, Brème et Lubeck qu'en 1816. Enfin, en 1863, les trois villes libres cédèrent leurs droits au gouvernement belge en échange d'une somme de 500,000 francs belges, montant de leurs frais de participation au rachat du péage de l'Escaut. — Gravure sur bois extraite de la Descritlione di tutti i Paesi Bassi de Louis Guichardin. Anvers, édir. Guillaume Silvius, 1567, in-folio. « Domus Hansae Teutonicae Sacri Romani Imperii » : Maison de la hanse germanique à Anvers. produit des charbonnages liégeois s'exportait facilement au dehors, et l'activité dont ils avaient déjà présenté le spectacle au XVe siècle ne fit que s'accroître dans la suite et leur donna une importance que les houillères du Hainaut ne devaient atteindre que beaucoup plus tard. L'utilisation de la poudre pour les travaux de fond permit de remplacer par des puits les plans inclinés qui avaient servi jusqu'alors à pénétrer sous le sol. Dès la fin du XVIe siècle, les couches supérieures de la houille étaient épuisées et l'on abordait déjà les veines profondes. L'année 1515. où un « coup d'eau » causa la mort de quatre-vingt-huit hommes, inaugure la lugubre série des grands accidents de mine de la Belgique (98). Les mineurs liégeois surent faire face aux difficultés croissantes qu'ils avaient à surmonter. De même qu'ils avaient été les premiers sur le continent à exploiter le charbon de terre, ils furent aussi les créateurs des procédés si complexes qu'impose, au milieu des périls de toute sorte, son extraction à grande profondeur. Les archives des « voir-jurés des charbonnages » fourniraient sans doute le sujet d'une des études les plus attachantes que puisse offrir l'histoire économique, et d'une de celles aussi qui montreraient le plus glorieusement tout ce que peuvent l'énergie et l'ingéniosité humaines. Mais ce beau sujet est à peine effleuré, et, en attendant qu'il soit étudié comme il le mérite, il faut renoncer à décrire et l'organisation des exploitations charbonnières et la condition sociale des milliers de travailleurs qu'elles occupaient. Par suite de sa nature spéciale, l'industrie houillère se développa sans contact avec le dehors. Elle ne s'ouvrit ni aux capitalistes anversois, ni aux travailleurs étrangers. Ce furent exclusivement des propriétaires fonciers ou des bourgeois de Liège qui lui fournirent les fonds qui l'alimentaient, de même que ce fut exclusivement sur place qu'elle recruta ses travailleurs. INDUSTRIES DIVERSES. - Favorisés par l'abondance et le bas prix du charbon, ainsi que par la production considérable de fer qui se faisait dans les régions voisines, les forgerons liégeois ne manquaient point de tirer parti de conditions si avantageuses. Le XVIe siècle les vit inaugurer une nouvelle industrie, celle des armes à feu, qui acheva d'imprimer à leur ville son aspect caractéristique. La fabrication des armes ne prit pourtant qu'au siècle suivant une importance de premier ordre. Mais il fallait en indiquer ici la naissance pour esquisser complètement le tableau de l'industrie liégeoise aux débuts des temps modernes. Le relèvement si rapide de la « cité » pendant le règne d'Erard de La Marck suffit à attester sa vitalité économique. Désormais la voie est tracée dans laquelle elle ne cessera plus, jusqu'à nos jours, de réaliser de nouveaux progrès. La sancta Legia du Moyen Age est devenue, et restera depuis lors, la ville des mineurs et des arquebusiers. Le drap, la toile et la tapisserie, la métallurgie, l'extraction du charbon et enfin la fabrication des armes à feu constituent les branches essentielles de l'activité manufacturière des Pays-Bas au XVIe siècle, mais sans l'absorber entièrement. Il faudrait mentionner à côté d'elles, pour être complet, une foule d'industries secondaires, telles que celles des rubans, du coutil, du canevas, du « bou-gran » et bien d'autres encore venues du dehors, car cette (Venise, Bibliothèque Saint-Marc.) La tonte et la moisson : illustration du mois de juin extraite du bréviaire de Grimani (fin du XVe début du XVIe siècle). Le Bréviaire du cardinal Domenico Grimani (1461-1523) est un volume de 831 folios de 28 cm. de haut sur 22 de large, illustré de vingt-quatre miniatures sur les saisons et de soixante autres sur les commandements, l'histoire de la Bible et les saints. Ces miniatures ont été attribuées à Gérard de Gand, Memling. Livienus, Gérard van der Meire; d'autres ont cru y reconnaître la main de Gérard Horebont et Antonello de Messine; d'autres encore l'attribuent à Jean Gossart, dit Mabuse. 11 fut acquis par le cardinal Domenico Grimani qui le légua par testament à son neveu à la condition que celui-ci, à son tour, en fît don à la République de Venise. En 1897. le volume a été transféré du trésor de la cathédrale à la Bibliothèque Saint-Marc. région regorgeant de travailleurs et de capitaux attire vers elle toutes les initiatives. D'Italie, de France et d'Allemagne, de hardis entrepreneurs viennent y chercher fortune, y acclimatent de nouvelles industries ou y perfectionnent les procédés de la technique. C'est Anvers, la cité libérale et cosmopolite, qui profita surtout de cette bienfaisante immigration. Le tourangeau Plantin y fonde sa célèbre imprimerie (1550); l'art de tailler les diamants s'y introduit; on y installe une verrerie à la façon de Venise. Cependant des Milanais répandent dans le pays la fabrication du satin, du velours et du drap d'or (99); des moulins à papier sont bâtis en Flandre; des Allemands établissent des salines le long du bas Escaut, et l'un d'eux, Pierre Stoffberg, invente un nouveau fourneau permettant d'économiser cinquante pour cent du combustible, et dont l'usage se généralise aussitôt (100). Si l'on veut, d'ailleurs, apprécier toute la portée de la révolution économique qui s'est accomplie au temps de la Renaissance, il suffira de rapprocher du spectacle auquel nous venons d'assister, celui que présentent, dans les villes, les antiques corporations de métiers. Entre elles et l'industrie nouvelle, le contraste n'est pas moins frappant que celui qui, à la même époque, oppose les uns aux autres, dans l'ordre intellectuel, l'humanisme et la scolastique, les Erasmiens et les magistri nostri. Repoussés de la grande industrie par le travail rural, les métiers n'en cherchent que davantage à conserver le monopole du marché urbain (101). Ils prétendent fournir seuls à la bourgeoisie les vivres et les objets d'usage courant qu'elle consomme. En conséquence, les règlements se multiplient et leur caractère protectionniste et exclusif s'accentue sans cesse. Les corporations se partagent minutieusement le domaine étroit qui reste soumis à leur exploitation; chacune d'elles épie ses voisines, et, à la moindre transgression de ses privilèges, leur intente d'interminables procès. Entre les forgerons et les tonneliers, les menuisiers et les charpentiers, les boulangers et les brasseurs, les corroyeurs et les bourreliers, bref, entre tous les groupes d'artisans qui vivent de la population urbaine ou, pour mieux dire, à son détriment, les contestations sont incessantes. LES METIERS URBAINS. - En même temps, le métier se replie pour ainsi dire sur lui-même et se fait de moins en moins accueillant aux nouveaux venus. On complique les conditions de l'apprentissage et on en prolonge la durée. On interdit impitoyablement à tout individu non affilié à un métier de se livrer, si peu que ce soit, à l'exercice d'aucune profession. A Bruges, en 1538, les chandeliers défendent à la fille d'un de leurs membres de laisser ouverte la boutique de son père pendant les six semaines qui suivent la mort de celui-ci, comme l'ancien usage le permettait (102). En 1567, ils empêchent un malheureux manchot de vendre des chandelles, par la raison qu'il lui a été impossible, vu son infirmité, de satisfaire aux exigences de l'apprentissage (103). Il va sans dire que l'exclusivisme est plus rigoureux encore à l'égard du « forain ». Le premier souci de chaque corporation est de fermer l'entrée de la ville aux produits de dehors. On condamne des maréchaux ferrants pour avoir employé des clous achetés à l'extérieur, des merciers, pour avoir vendu des couteaux de fabrication étrangère, etc. Ainsi, assurés d'un monopole intangible, rien d'étonnant si les artisans urbains ne modifient point leurs procédés de travail et professent une défiance invincible à l'égard de tout progrès industriel, de toute initiative qui troublerait leur confortable routine. En 1533, deux Brugeois ayant découvert un nouveau moyen de teindre les fils en noir, sont aussitôt empêchés de l'employer, et l'on pourrait citer quantité de faits du même genre (104). Il faut reconnaître d'ailleurs que, pour immobile qu'elle soit, la technique des métiers demeure excellente (105). Les produits qu'elle livre à la consommation, sous le contrôle permanent auquel elle est soumise, sont de qualité irréprochable. Mais comme il est naturel en l'absence de toute concurrence, leurs prix atteignent toujours un niveau fort élevé. L'intérêt du producteur est garanti au détriment de celui du consommateur, et, dans beaucoup de villes, la population, rançonnée par les corporations privilégiées, souffre d'un malaise très réel. Encore cette situation est-elle loin de tourner à l'avantage de tous les travailleurs, car la grande majorité de ceux-ci, apprentis et compagnons, ne peuvent plus que bien rarement arriver à la maîtrise, placée désormais en dehors de leurs atteintes par les taxes exorbitantes qu'il faut payer pour l'acquérir. Les maîtres seuls, c'est-à-dire quelques personnes i «ss; ! *r ^mmmm iH- «/ j w m-ïï é^y'i i «i JJ \ """ri (Bruges, Eglise Noire-Dame, chapelle Sainte-Marguerite.) (Cliché Pichonnier.) Vitrail représentant l'Enfant Jésus, Jean de Baenst et sa femme. Vers 1520. Ce vitrail fut posé vers 1520 dans la chapelle des familles de Baenst et Bladelin. Jean de Baenst descendait de Paul de Baenst, président du Conseil de Flandre, commissaire au renouvellement du magistrat de la ville et du Franc de Bruges. (Bruges, vers 1442 - Gand, 1497.) par métier, retirent ainsi tous les bénéfices du monopole dont jouit l'industrie urbaine. Bien plus ! Ces bénéfices deviennent héréditaires dans leurs familles, leurs fils ou leurs gendres acquérant sans peine cette « maîtrise » qui devient inaccessible aux simples compagnons. Ainsi, le métier se divise en deux groupes bien distincts : au-dessus, une petite aristocratie bourgeoise, réalisant dans la sécurité de la protection des bénéfices abondants et faciles; au-dessous, une masse d'ouvriers salariés auxquels est enlevé tout espoir d'améliorer jamais leur condition. La vie corporative, dans la phase nouvelle où elle est entrée, a perdu la vigueur et l'énergie qu'elle avait déployées au Moyen Age. Attentifs à leurs seuls intérêts, les maîtres cherchent à s'épargner les dépenses qu'elle entraîne. Il faut que le pouvoir public intervienne souvent pour les forcer à accepter les fonctions coûteuses de « rewards » ou de vinders. La plupart des métiers sont endettés; leurs anciennes institutions charitables se soutiennent à par l'afflux de population qu'elles provoquent, elles augmentent le nombre des clients qu'ils approvisionnent. LES NOUVEAUX RICHES. - Partout où le mouvement économique reste intense, c'est un groupe nouveau de grands marchands et de grands entrepreneurs qui l'entretient. Echappant à la réglementation qui tout à la fois protège et engourdit les boutiquiers privilégiés, ils déploient librement toutes les ressources de l'initiative individuelle pour atteindre à la fortune. Les manufactures qu'ils installent dans les villes occupent des centaines de salariés (107); c'est eux qui soutiennent par leurs commandes l'industrie rurale, et qui, au marché d'Anvers, achètent en gros la matière première qu'elle met en oeuvre. Ils constituent un groupe de «nouveaux riches» (108), actifs et hardis pionniers du progrès industriel. Grâce à eux, l'outillage économique du pays se transforme. Le système des communications s'améliore. La poste, primitivement réservée aux courriers de l'Etat, transporte les lettres des marchands (109), et des voitures publiques sont organisées. Vers 1560, fonctionne entre Gand et Paris un service de charrettes rapides pour le transport du poisson (110). Le canal de Willebroeck, achevé en 1560, rattache Bruxelles au Rupel et à l'Escaut; Gand, après sa grande révolte, se relie à la mer par celui de Terneuzen (1547-1561). Les dernières entraves que les villes avaient imposées jadis au libre trafic disparaissent ou s'atténuent. A Gand, l'étape des grains, qui pendant si longtemps a lourdement pesé sur tout le commerce de l'Escaut et de la Lys, perd sa rigueur primitive (111). Comme les mercatores du XIIe siècle, la plupart des entrepreneurs capitalistes, des « nouveaux riches » qui transforment la physionomie des villes, arrivent du dehors. Comme eux aussi, ils y introduisent des idées et des tendances nouvelles, qui imprègnent bientôt la vie urbaine et élargissent l'esprit municipal. Ils diffèrent autant des artisans privilégiés que les burgenses du haut Moyen Age différaient des /amiliae domaniales, et c'est là seulement où ils n'ont pas pénétré, à Ypres par exemple, à Bruges ou à Louvain, que la prospérité s'est interrompue et que la Renaissance économique n'a pas sorti ses effets. LA NAVIGATION. — Pendant que l'industrie renouvelée se répand dans les provinces du Sud des Pays-Bas, celles du Nord voient leur marine devenir la première de l'Europe (112). Grâce à l'appui des ducs de Bourgogne, puis de Marguerite d'Autriche et de Marie de Hongrie, elle résiste victorieusement au XVe siècle à la concurrence jalouse de la Hanse, et elle en triomphe au XVIe. Au cours de leurs négociations avec le Danemark et Lubeck lors de la guerre des duchés, les plénipotentiaires bourguignons proclament le principe de la mer libre, qui restera depuis lors un axiome fondamental de la politique néerlandaise. Cette même liberté que réclame l'industrie capitaliste, la navigation l'exige donc, elle aussi, et, dès qu'elle l'a obtenue, elle se développe avec une admirable vigueur. Les bateaux de Hollande et de Zélande transportent les blés et les bois de la Baltique (113), les vins et le sel du Bordelais (114). Ils pénètrent dans la Méditerranée, cinglent vers Madère et les Açores (115), et si les Espagnols décident Charles-Quint à les arrêter sur la route du Nouveau Monde (116), ils cherchent, depuis 1565, à découvrir par le nord un passage nouveau vers les Indes (117). peine (106). Et l'on comprend aisément que, profitant de ce relâchement et de cette apathie, le gouvernement ait pu restreindre sans trop de difficultés les libertés politiques conquises jadis par les artisans. D'ailleurs, ce qui en reste ne profite plus qu'aux maîtres. Eux seuls représentent désormais le métier en face de l'autorité communale comme en face de l'autorité souveraine, et l'on peut dire en employant une expression rigoureusement exacte dans sa trivialité, qu'ils n'en invoquent plus les franchises que dans un intérêt de boutique. Mais les métiers ne dominent plus dans les villes que sur la petite industrie et sur le petit commerce. S'ils ont conservé leurs positions au sein de ce domaine restreint, ils les ont perdues partout ailleurs, et, satisfaits du monopole dont ils jouissent, ils se résignent sans peine à laisser le capitalisme s'emparer de toutes les branches de l'activité économique qu'ils se reconnaissent impuissants à exploiter. Ils lui abandonnent sans partage l'industrie et le commerce d'exportation. Ils lui cèdent, nous l'avons vu, la draperie, une grande partie de la tapisserie, la manufacture des toiles, la métallurgie. Ils le laissent introduire à côté d'eux des industries nouvelles, glaceries, imprimeries, fabrication de satin, etc., qui, n'empiétant pas sur leurs attributions, ne peuvent leur causer aucun dommage. Ils se réjouissent, au contraire, de ces innovations puisque, (Brunswick, Landesmuseum.) Jacques Fugger le Riche (1459-1525) et son comptable en chef Mathieu Schwarz. Jacques Fugger dicte un ordre de commande à Mathieu Schwarz. Derrière Schwarz, un tableau renseigne le nom des villes avec lesquelles Jacques Fugger entretenait des relations d'affaires Rome, Venise, Budapest (« Ofen »). Cracovie. Milan, Innsbruck, Nuremberg, Anvers (« Antorff ») et Lisbonne. Dessin extrait de la Kostûm-biographie de Mathieu Schwarz (première moitié du XV1° siècle). La ville et le port d'Anvers en 1565. Fragment de la carte dressée par Virgilius de Bologne et Corneille Grapheus et imprimée par Gilles Van Diest pour le compte d'Antoine de Palerme. Seul exemplaire connu. relever les digues rompues et de remettre la charrue aux terres laissées en friche, on entreprend de toutes parts de nouveaux endiguements, et les cultures gagnent de vastes espaces sur les bois et les bruyères. La sécurité qui règne dans les campagnes favorise ces progrès et permet à la population de se multiplier. Le pays se couvre de maisons de plaisance où les bourgeois riches viennent passer la bonne saison, tandis que les châteaux de la noblesse, dépouillant leur aspect de forteresses féodales, s'entourent de parcs et de jardins. Parallèlement, la condition des paysans, déjà si favorable au XVe siècle, s'améliore encore. Tandis que l'Allemagne assiste aux désordres du Bauernkrieg et voit s'accomplir une recrudescence du servage, les derniers vestiges de la servitude achèvent de Amsterdam devient le grand entreprôt des céréales, Middelbourg, celui des vins de France. On affrète des navires pour la chasse du phoque et de la baleine. La grande pêche fournit annuellement à l'exportation pour plusieurs centaines de milliers de florins de poisson salé; les fromages du pays s'expédient à l'étranger par pleines cargaisons. A Vere, à Goes, à Arnemuiden, les chantiers de construction maritime, la fabrication des câbles et celle des voiles font vivre des milliers de personnes. Des gains énormes s'accumulent aux mains des marchands et des armateurs de la côte, et cet afflux de capitaux provoque, avec une rapidité vraiment inouïe, la' transformation du pays. Travaux d'endiguement et d'assèchement, amélioration du régime des eaux, embellissement et agrandissement des villes, perfectionnement des procédés de culture, tout est entrepris à la fois avec la confiance que donne la sécurité de la richesse. Nulle part ailleurs on ne rencontre une prospérité aussi générale, autant d'agrément et de propreté dans les habitations, des campagnes aussi bien tenues et aussi riantes (118). LES CAMPAGNES. - Particulièrement frappants en Hollande et en Zélande, les progrès de l'économie rurale constituent pourtant un phénomène commun à la plupart des provinces. En Flandre et en Brabant, le plat-pays, horriblement dévasté par les guerres civiles de la fin du XVe siècle, recouvre et augmente sa richesse sous les règnes de Philippe le Beau et de Charles-Quint. Dès 1510, les loups et les sangliers qui y pullulaient jadis ont presque complètement disparu. On ne se contente pas de lAmsterdam, Rijksmuseum, Cabinet des Estampes.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Caravelle portugaise dans le port d'Anvers. Gravure exécutée par Huys d'après un dessin de Pierre Bruegel l'Ancien (Anvers, Musée Plantin-Moretus.) disparaître dans les campagnes belges. L'Etat y pousse de tout son pouvoir. Depuis 1515, il multiplie les édits dans le but d'affranchir à la fois les hommes et les terres. Défense est faite aux seigneurs, en 1531, d'exiger de leurs tenanciers « dons, gratuités, services, journées, secours de noces » sous peine de rendre le double et d'être punis arbitrairement (119). En 1520 on interdit l'établissement de nouvelles dîmes et l'on abolit tous les droits fonciers existant depuis moins de quarante ans (120). Ajoutez à cela la défense de constituer à l'avenir des rentes perpétuelles et la faculté pour chacun de racheter celles qui existent. Ce qui subsiste encore du vieux droit domanial ne consiste plus maintenant qu'en bien peu de choses; le besthooft et la morte-main ou le meilleur catel sont réduits à des prestations en argent ou en nature n'amoindrissant plus la condition juridique de ceux qui les paient (121). C'est seulement au fond du Luxembourg, dans les abruptes régions de l'Ardenne, que la noblesse rurale, encore imbue des traditions du Moyen Age, traite les paysans avec rudesse. « Elle use de telle sévérité et autorité qu'elle les tient comme esclaves sous la rigueur des anciennes lois, de sorte qu'il ne leur est loisible de marier leurs enfants ni faire chose de conséquence sans le congé et le consentement des seigneurs» (122). Aussi ne faut-il point s'étonner si, de toutes les provinces des Pays-Bas, le Luxembourg seul a ressenti le contre-coup du grand ébranlement communiqué à l'Allemagne par le Bauernkrieg. Mais partout ailleurs la population rurale présente un spectacle hautement satisfaisant. La fondation de gildes de tir, de sociétés de rhétorique, l'érection d'écoles dans une quantité de villages témoignent du degré d'aisance auquel elle est parvenue. Guichardin admire son bien-être, et les belles peintures du bréviaire Grimani, où la campagne des Pays-Bas resplendit de tant de charme et de gaieté, formeraient la meilleure illustration des pages qu'il lui consacre. De même que dans l'industrie le travail libre tourne à l'avantage des entrepreneurs, de même il favorise dans (Cliché Hachette.) iMusee de Quimper.) Fête villageoise au XVIe siècle. Tableau attribué à Pierre Bruege! le Jeune. (Bruxelles, vers 1S64 - Anvers, 1637 ou DOMVi antvm ^jP SENATORIA pien"> (Cliché Bijtebier.) « Domvs senaloria Antverpiensis » : l'hôtel de ville d'Anvers. Ls 4 octobre 1541, un incendie avait détruit l'ancienne maison échevinale de la ville d'Anvers. Dominique de Waghemakere fut chargé de tracer les plans d'un nouvel édifice. Les travaux, entamés en 1542, durent être interrompus dans le courant de la même année pour permettre au magistrat d'utiliser les matériaux à la réfection des murailles urbaines menacées par l'invasion de Martin van Rossum. En 1560, les bourgmestres Jean van Schoonhoven et Nicolas Rockox l'ancien remirent à l'étude l'ancien projet et invitèrent quatre artistes anversois (Corneille Floris, Wouter van Elsmer, Jean Metsys et Lambert Van Noort) et six étrangers (Jacques du Broeucq de Mons, Jean Myns Heeren de Gand, Jehan du Gardin de Lille, Lambert Suavius de Liège, Nicolo Scarini de Florence et Louis du Foys, architecte du roi) à proposer au magistrat les plans d'un nouvel hôtel de ville. Corneille Floris dirigea les travaux dont le coût initial s'élevait à 100,000 florins, et le 27 février 1561. i op den noene », la première pierre était solennellement scellée. Des matériaux importés du Limbourg, des Pyrénées, de Buckenberg. Dortmund, Munster, Dînant, Valenciennes et Reims furent utilisés dans la construction de l'édifice qui était achevé le 27 février 1565. Les armes de Philippe II, du duché de Brabant et du marquisat d'Anvers ornaient la façade. . séparées par les statues de la Prudence, de la Justice, de Brabo, le héros romain légendaire, fondateur du duché, et de la Vierge, protectrice de la ville. La Furie espagnole (4 novembre 1576) n'épargna pas l'hôtel de ville dont la moitié de la façade septentrionale fut incendiée et reconstruite dès 1579 à l'initiative de Guillaume d'Orange. Du 29 janvier 1582 au 28 mai 1583 les Etats Généraux y siégèrent. Dans la suite, il subit encore quelques remaniements et agrandissements : les derniers datent de 1884 et 1898. Longueur de la façade : 68 m.; profondeur : 26 m. Gravure sur bois extraite de la Descrittione di tutti i Paesi Bassi de Louis Guichardin, Anvers, édit. Guillaume Silvius, 1567, in-folio. l'agriculture l'intérêt des propriétaires. Avec la servitude personnelle, en effet, disparaissent ou s'atténuent les antiques tenures héréditaires du droit domanial; le système du bail libre qui, dès le XIIe siècle, s'était introduit dans les grands domaines monastiques, se généralise si bien que les mots « censier » et cultivateur deviennent synonymes dans l'usage courant. Désormais le tenancier ne possède plus un droit réel sur le sol qu'il cultive; celui-ci devient l'objet d'un contrat de louage, et le revenu qu'il fournit au détenteur du fonds correspond à la valeur de la terre et la suit dans son mouvement ascensionnel. Ainsi, le capitalisme s'empare à son tour de la vie agricole. Tous ceux qui ont de l'argent à placer cherchent à acquérir des terres ou à augmenter l'importance de celles qu'ils possèdent. De grands seigneurs comme Philippe de Clèves, comme les Egmont, les Berghes, les Brederode, des fonctionnaires enrichis au service du prince comme les de Baenst ou les Laurin, font entreprendre d'énormes travaux d'endiguement (123). Les financiers achètent des seigneuries; les bourgeois acquièrent des fermes. La campagne s'ouvre à la spéculation et à l'esprit de lucre. En 1571, il faudra que l'Etat intervienne pour proscrire les opérations usuraires qui se dissimulent sous le nom de «rentes en blé» (124). Mais en même temps l'agriculture se perfectionne, et, stimulée par le commerce, s'efforce de produire davantage et à meilleur compte. La Flandre devance ici les autres provinces dans la voie du progrès. Elle prélude à cette culture intensive dont elle a été l'initiatrice dans le Nord de l'Europe et qui a fait d'elle un véritable jardin. Le vieux système de l'assolement triennal, qui se maintient encore de nos jours dans tant de régions, y disparaît dès le règne de Charles-Quint (125). Grâce à l'habile alternance des semailles, il n'est plus besoin de laisser la terre se reposer. Les nécessités de l'industrie donnent un vif essor à la culture du lin. Celle du navet permet d'augmenter encore l'importance de l'élevage du bétail déjà si florissant au Moyen Age. Et, à côté de lui, l'élevage des chevaux constitue une nouvelle source d'abondants profits (126). Toutefois, les ombres ne manquent pas à ce riant tableau. En détachant l'homme du sol, en poussant à l'augmentation patriarcale qui a si longtemps dominé dans les campagnes, les phénomènes que nous venons d'esquisser ont eu pour résultat la formation d'un nombreux prolétariat agricole. C'est dans son sein que les « censiers » recrutent, pour un salaire dérisoire, leurs domestiques, leurs vachers, leurs moissonneurs; c'est lui qui fait affluer vers les districts industriels les tisserands et les tapissiers; c'est lui qui procure au prince des soldats, des charretiers et des valets d'armée, et c'est lui qui fournit, dès qu'il en est besoin, les milliers de pionniers nécessaires aux grands travaux de fortification. Et malgré tout, il surabonde à tel point que le vagabondage et la mendicité deviennent une des plaies de l'époque et posent l'un des premiers problèmes sociaux que l'Etat ait eu à résoudre. ANVERS. — Le mouvement que l'on vient de décrire gravite autour d'Anvers et en reçoit l'impulsion. Durant tout le XVIe siècle, les Pays-Bas ne constituent pour ainsi dire que la banlieue de cette merveilleuse cité qui les soumet à son ascendant (127). Elle hâte l'unification du pays par l'attraction qu'elle exerce sur toutes les provinces, en même temps que par son exemple, elle ouvre les esprits aux idées de la Renaissance et de la Réforme. Mais son influence politique et son influence morale ne sont que les contre-coups de sa prépondérance économique. Devenue le plus grand marché du monde, elle laisse se manifester avec un éclat et une puissance incomparables les forces nouvelles du capital et de l'individualisme dont nous venons de constater l'action dans tant de manifestations diverses de la vie sociale. Sa prospérité, comme on l'a vu dans un autre endroit de cet ouvrage (128), remonte au commencement du XIVe siècle. Grâce à l'élargissement de l'Escaut occidental, à la sécurité de son port, au développement de la draperie anglaise qui, rebutée par le protectionnisme flamand, le choisit comme étape de ses produits, Anvers, dès le règne de Philippe le Bon, a non seulement atteint, mais dépassé l'importance de Bruges. Libre des préjugés où la tradition retient sa rivale, il accueille joyeusement les nouveaux venus; il rompt avec le régime médiéval du privilège pour adopter le principe moderne de la liberté. Dans ses murs, où affluent bientôt à côté des Merchant Adventurers anglais (129), les hardis capitalistes de l'Allemagne du Sud, s'accumulent non seulement les richesses, mais encore les forces fraîches qui préludent au renouveau de la vie économique. Les villes flamandes cherchent vainement, pendant les troubles civils du règne de Maximilien, à ruiner cette jeune concurrente au profit de la vieille Bruges. Contre les tentatives que leur inspire le particularisme territorial, Anvers a recours au prince. L'alliance se conclut d'elle-même entre l'ennemi des privilèges commerciaux et l'ennemi des privilèges politiques. Pendant que les communes de Flandre s'épuisent à combattre Maximilien pour sauvegarder leurs franchises, la cité de l'Escaut lui demeure inébranlablement fidèle. Elle pressent que le triomphe du souverain sera en même temps celui de cette « liberté naturelle » à laquelle sa fortune est attachée, et sa conduite montre jusqu'à l'évidence combien les transformations économiques de l'époque ont aidé l'Etat dans la lutte contre l'exclusivisme municipal. Plus tard, Philippe le Beau et Charles-Quint la trouveront toujours empressée à les servir. Elle estime ne point payer trop cher la sécurité qu'ils lui assurent en mettant son robuste crédit à leur disposition. Chez elle, avant l'avènement de Philippe II, ni révoltes ni émeutes; son organisation communale, où domine la bourgeoisie riche et où les métiers ont perdu tout pouvoir effectif, répond complètement aux idées suivant lesquelles le gouvernement cherche à réformer les constitutions urbaines (130). Déjà solidement établie à la fin du XVe siècle,-la puissance économique d'Anvers reçut de la découverte du Nouveau Monde une impulsion prodigieuse. Il fallait que les épices amenées à Lisbonne et à Cadix par les flottes portugaises et espagnoles eussent une étape dans le Nord de l'Europe, et la métropole commerciale des Pays-Bas était toute désignée pour les recevoir (131). Elle l'était non seulement parce qu'elle appartenait au roi de Castille, mais encore et surtout parce qu'elle réunissait les deux conditions indispensables à la pratique du grand commerce : la liberté du marché et l'abondance des capitaux. Plusieurs années déjà avant les voyages de Christophe Colomb et de Vasco de Gama, les financiers d'Ulm et d'Augsbourg avaient fondé aux bords de l'Escaut des succursales de leurs puissantes maisons, dont le rôle fut si considérable dans les transformations subies par l'or- (Cliché Bijtebier.) La Bourse d'Anvers au XVIe siècle. La bourse, construite par Pierre et Adrien Spillemans en 1531 et 1532 sur les plans de Dominique de Waghemakere (1527) avait été détruite par un incendie le 24 février 1581. Elle fut reconstruite sur le plan de l'édifice primitif par Paul Luydinck en 1583. Chaque nation y avait sa place désignée : marchands anglais, italiens, espagnols, français, wallons, allemands, bourguignons, hollandais, portugais, norvégiens, anversois, etc. La bourse a été anéantie par un incendie le 2 août 1858. — Gravure sur bois extraite de la Descrittione di tutti i Paesï Bassi de Louis Guichardin. Anvers, édit. Christophe Plantin, 1588, in-folio. ganisation économique de l'Europe au début des temps modernes. Les Meuting y sont en 1479, et en 1486 les Hochstetter y achetèrent un hôtel dont le souvenir s'est perpétué jusqu'à nos jours dans le nom de la Hochstetter-straat. Puis, lorsque le commerce des épices a décuplé l'importance du port, où une factorerie royale portugaise est établie en 1503 (132), les Fugger s'installent en 1508, les Welser en 1509, et après eux, durant les années suivantes, un exode ininterrompu amène les Herwart, les Seiler, les Mannlich, les Haug, les Tucher, etc. (133). A côté des Allemands se pressent d'ailleurs les Italiens, les Espagnols et les Portugais. Dès la fin du XVe siècle, les Frescobaldi et les Gualterotti ont transporté de Bruges à Anvers leurs importantes maisons de banque et de commerce, auxquelles viennent bientôt s'ajouter celles du Siennois Agostino Chigi, des Bonvisi de Lucques et des Affaitadi de Crémone, qui, en 1525, y fondent un comptoir en rapport avec leur établissement de Lisbonne. Les Florentins, jadis si nombreux dans les Pays-Bas, en sont maintenant écartés par la politique de Charles-Quint, mais en revanche, les Génois y abondent : G. Lomellini, M. Centurioni, A. Grimaldi, et bien d'autres figurent au premier rang des financiers anversois. Les Espagnols sont déjà représentés en 1498 par Antonio et Francisco del Vaglio, suivis plus tard par Diego de Haro, J. Lopez Gallo, etc. Les Marranos ou «nouveaux chrétiens» (juifs convertis) fournissent un important contingent, au premier rang duquel se place Marco Perez, l'un des exportateurs les plus riches et les plus habiles de son temps (134), et Diego Mendes chez lequel les gens de justice trouvèrent en 1532, lors de son arrestation comme judaïsant, pour 170,000 ducats d'épiceries diverses (135). Quant aux Français, si la rivalité de François Ier et de u - n (Mons, Collégiale Sainte-Waudru.) (Cliché A.C.L.) Les armes du marquisat d'Anvers. Ecu de gueules au château d'argent à trois tours crénelées et maçonnées de sable; chef d'or à l'aigle impériale bicéphale, sommé de la couronne de marquis. Légende ; Marchio S:(ancti) R:(omani) Impleriji. Détail d'un vitrail de la collégiale Sainte-Waudru à Mons (1511). Charles-Quint ne leur a pas permis de fonder à Anvers des comptoirs permanents, ils y affluent pourtant dans les intervalles des guerres et, avec les drapiers anglais, achevèrent de donner à la ville ce caractère cosmopolite qui la distingue au premier coup d'ceil. Moins importants que les marchands étrangers, une foule d'immigrants, venus des provinces wallonnes comme les Cocquiel, les Fontaine, les Berthout, les Bari, les Moucheron, ou des régions flamandes comme les Van der Straeten, les Sterck, les Schetz surtout, activent encore le commerce de la place (136). La nouvelle bourse, luxueusement bâtie en 1531, abrite chaque jour sous ses gracieuses galeries des représentants de toutes les nations de l'Europe. Au milieu des vendeurs et des acheteurs s'y agitent et s'y pressent les interprètes, les curieux, les marins; c'est là que Thomas Morus nous dit avoir rencontré cet Hythlodée qui lui raconta les merveilles de l'île d'Utopie. Ainsi, Anvers a bénéficié de la découverte du Nouveau Monde comme Bruges, à la fin du XIIIe siècle, avait bénéficié de la substitution du commerce maritime au commerce par voie de terre (137). Mais ni l'une ni l'autre de ces villes n'a été 1 artisan unique de sa richesse. Elles ont profité toutes deux des circonstances qui orientèrent vers elles le mouvement économique. Dans celle-là comme dans celle-ci, les étrangers jouèrent le premier rôle. Non seulement c'est eux qui y établirent les principaux comptoirs, mais c'est eux encore qui y entretinrent la navigation. Pas plus que Bruges, en effet, Anvers ne posséda jamais de véritable flotte de commerce. Ses propres navires ne comptent que pour bien peu de chose à côté de la quantité de bateaux hollandais, zélandais, anglais, espagnols, portugais et italiens qui fréquentent son port. A cet égard il diffère essentiellement d'Amsterdam, dont le commerce s'est développé sous l'influence des progrès constants de la marine hollandaise (138). C'est qu'Anvers n'a point d'efforts à faire pour attirer vers lui les denrées ou les produits qui alimentent son trafic. Ils y viennent d'eux-mêmes en suivant la direction nouvelle des grandes voies du transit, et la ville n'a d'autre souci que de s'ouvrir toujours plus largement devant eux, de se montrer de plus en plus généreuse pour toutes les nations, de laisser à chacune d'elles la liberté la plus entière et l'illusion qu'en s'installant dans ses murs, elle n'a pas changé de patrie. Elle est restée fidèle jusqu'au bout à l'esprit de liberté qui avait présidé, à la fin du Moyen Age, à sa grandeur naissante; elle en a imprégné toute son organisation économique à mesure que les développements du capitalisme l'ont exigé. Sa bourse et ses douanes furent des modèles et les créations les plus parfaites, semble-t-il, de ce que l'on pourrait appeler l'œuvre commerciale de la Renaissance (139). Il est impossible d'apprécier exactement l'importance du mouvement de son port. Les renseignements donnés par les contemporains ne constituent que des évaluations grossières et toujours excessives, mais dont l'exagération atteste du moins une intensité de vie extraordinaire. Il en est ainsi, par exemple, des chiffres ronds fournis par Scri-banius et que l'on a trop souvent répétés : 500 bateaux montant ou descendant le fleuve chaque jour, 200 voitures amenant quotidiennement des voyageurs, 2,000 chariots chargés de marchandises et 1,000 autres, affectés au service des vivres, passant toutes les semaines par les portes (140). Si, en 1551, l'ambassadeur vénitien Cavalli Marino évalue très inexactement, semble-t-il, le commerce d'Anvers (141), on peut avoir plus de confiance dans les renseignements de Guichardin. Celui-ci, en effet, habitait la ville depuis de longues années lorsqu'il écrivit sa description des Pays-Bas, et il s'occupait, comme on le sait, de banque et de négoce. D'après lui, vers 1560, l'importation du port d'Anvers montait à 15,935,000 écus, soit 31,870,200 florins carolus. Dans cette somme énorme, les soies, velours et produits de luxe d'Italie figurent pour 3,000,000 d'écus, les futaines et les vins d'Allemagne respectivement pour 600,000 et 1,500,000 écus, les blés du Nord pour 1,680,000, les vins de France pour 1,000,000. le pastel et le sel provenant du même pays pour 300,000 et 180,000 écus, les laines d'Espagne pour 625,000, et les vins pour 800,000, les épices de Portugal pour 1,000,000, les laines anglaises pour 250,000 et enfin les draps anglais pour 5,000,000 (142). Le seul document officiel que nous possédions, c'est-à-dire le compte de l'impôt du centième denier levé en 1543-1544 sur les marchandises sortant des Pays-Bas, s'accorde assez bien avec ces chiffres. Il fixe, en effet. 4,990,255 livres de gros de Flandre (29,941,530 florins carolus) la valeur des expéditions faites par Anvers, somme comprenant les huit dixièmes de l'expédition totale du pays (143). On a vu plus haut que l'Angleterre déversait annuellement sur le marché de la place environ cent mille pièces de drap. Le commerce des épices nous est malheureusement moins bien connu. On se fera pour- (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Giraudon.) Le prêteur et sa femme. Tableau peint par Quentin Metsys (1460?-1530). tant une idée de son activité en constatant qu'en 1552, un consortium de marchands dirigés par la puissante maison des Affaitadi fit venir de Lisbonne plus de 10,000 balles de poivre, et qu'en 1548, ses achats dans cette ville atteignaient la valeur de 3,000,000 de ducats environ (144). On dispose de renseignements plus précis sur la population de la ville que sur l'intensité de son mouvement commercial. Les dénombrements de feux (heerdtellingen) exécutés en Brabant durant le XVe siècle prouvent la rapidité de son développement. On y relevait, en 1480, 5450 maisons habitées, en 1496, 6586, en 1526, enfin, 8479 contenant 10,431 ménages (145). Depuis lors, jusqu'au milieu du XVIe siècle, cette marche ascensionnelle s'accélère encore. En 1549, lors des grands travaux de fortification entrepris sur l'ordre de Charles-Quint, l'enceinte des murailles est élargie et un quartier nouveau, la Nieuwe Stad, est annexé à la vieille ville. Les spéculations en terrains auxquelles le nom de Gilbert van Schoonbeke est resté attaché, prouvent combien cet agrandissement était devenu indispensable, et on pourrait citer, pour montrer avec quelle acuité la question des logements se posait alors dans la métropole commerciale, les plaintes que font entendre les contemporains sur le prix exorbitant des loyers. Ne nous figurons pas toutefois que la population anver-soise au XVIe siècle puisse être comparée à celle des grandes cités modernes. On a malheureusement perdu les dénombrements effectués en 1549, 1556, 1559 et 1561, mais Scribanius (146) nous affirme qu'en 1568 un recrutement portant sur les treize quartiers de la ville, y releva 89,991 personnes appartenant à la bourgeoisie et 14,981 étrangers fixés à demeure, soit en tout 104,972 habitants. Sept ans plus tard, en 1575, Requesens y constate l'existence de 13,000 maisons (147), et, en 1573, Champagney y compte 12,000 chefs de famille, bien que la population décline, dit-il, de jour en jour (148). En 1584, pendant le siège qu'elle eut à soutenir contre Alexandre Farnèse, elle aurait encore compris environ 90,000 personnes ( 149). Tous ces renseignements permettent de considérer comme exact le chiffre d'environ 105,000 habitants sédentaires en 1568, c'est-à-dire à une époque où, malgré un léger fléchissement, l'importance de la ville n'avait pas dû encore s'altérer très sensiblement (150). Si on tient compte des éléments flottants, qu'il faut renoncer à évaluer avec quelque exactitude, on ne sera sans doute pas très loin de la vérité en donnant à Anvers, à l'époque de sa plus grande splendeur, vers 1550, une population totale de 110,000 âmes. C'est là, on le voit, la population d'une ville moyenne de nos jours et que dépasse de beaucoup celle des grands ports contemporains. A n'envisager que les chiffres, l'Anvers du XVIe siècle ne peut soutenir la comparaison avec aucun des foyers modernes du commerce universel, Londres, Hambourg, Marseille ou New-York. L'Anvers même de 1912 le laisse bien loin en arrière et quant au mouvement des affaires et quant au nombre des habitants. Mais ce n'est pas quantitativement, c'est qualitativement qu'il convient de l'apprécier. Envisagé dans son milieu, rapproché des autres places commerciales du temps, il reprend tous ses avantages. Quelle que soit leur activité, ni Venise, ni Lyon, ni Londres ne peuvent rivaliser avec lui (151). Dans l'Europe de la Renaissance, il éclipse toutes ces cités par son caractère international et cosmopolite. Il est temps de constater que cette extraordinaire fortune ne s'explique point seulement par l'afflux des marchands et des capitaux étrangers. Sans doute, et on l'a remarqué dès le XVIe siècle, les Anversois n'ont pris qu'une part relativement restreinte au commerce dont leur ville était le centre (152). La bourgeoisie locale ne possédait point les ressources indispensables pour se lancer en masse dans les grandes affaires, et d'ailleurs le trafic du port s'est développé trop rapidement, pour qu'elle ait pu songer à se le réserver tout entier. Elle s'est efforcée au contraire, on l'a vu, de fournir aux nouveaux venus qui abondaient parmi elle, la liberté la plus complète. Elle leur a fourni des maisons de réunion, a bâti une bourse, construit des entrepôts, aménagé des quais, réparé les chemins qui conduisaient vers la ville; elle n'a rien négligé pour se donner un outillage économique aussi parfait qu'on pouvait le souhaiter alors. Mais elle ne s'est point (Anvers, Collégiale Notre-Dame.) (Cliché A.C.L.) Antoine Fugger (1493-1560). Détail du vitrail donné à la collégiale d'Anvers par la famille Fugger en 1537. Jean-Jacques Fugger ( 1516-1575) est également représenté sur le même vitrail. bornée à cela. Ses membres ne se sont pas contentés du rôle de courtiers, d'entrepositaires, d'entrepreneurs de transport. Ils n'ont point seulement vécu de l'étranger : ils ont contribué largement, par leur activité propre, à la prospérité qui leur échut en partage. Pendant la première moitié du XVIe siècle, Anvers se transforme en une cité manufacturière. Comme Bruges l'avait été au Moyen Age, il est tout à la fois commercial et industriel, et si la population immigrée l'emporte dans le commerce, la population indigène domine dans l'industrie. Le contraste éclate entre cette ruche en plein travail et les ports d'Espagne et de Portugal, dont Clé-nard, lors de son séjour à Lisbonne, raille si pittoresque-ment les habitants que l'on voit parader en public avec des escortes d'esclaves nègres, mais qui, rentrés dans leurs maisons délabrées, se contentent au repas de misérables légumes, et qui rougiraient de se livrer aux professions utiles dont ils abandonnent aux gens du Nord la charge et les profits. Aux bords de l'Escaut, au contraire, l'amour du confortable et du luxe solide surexcite l'instinct laborieux de la population. La bourgeoisie sait profiter des avantages que lui procure l'arrivage continuel des produits manufacturés ou des matières premières. Nous avons déjà vu avec quelle ardeur elle s'adonne à la teinture et à l'apprêt des draps d'Angleterre. L'esprit capitaliste qui y règne et y rend impossible le conservatisme routinier que le régime corporatif impose à d'autres villes, lui permet de profiter des perfectionnements apportés à la technique industrielle (153). Ajoutons que le polissage du diamant, la raffinerie du sucre, la savonnerie, l'imprimerie, la fabri- cation des verres à la façon de Venise, celle des majoli-ques, celle des vitraux, la préparation de la bière occupent des centaines de» travailleurs. L'imprimerie de Plantin, qui dépense, au dire de Guichardin, 300 florins par jour, constitue une véritable fabrique de livres, et les brasseries installées par Gilbert van Schçonbeke dans la ville neuve, autour du Water-Huis, dont les machines leur distribuent l'eau du canal d'Hérenthals dérivée par un aqueduc, présentent plus clairement encore le caractère capitaliste de l'industrie moderne. Ce n'est point d'ailleurs par sa seule industrie, c'est par l'industrie de la Belgique entière qu'Anvers, au XVIe siècle comme aujourd'hui encore, a atteint au degré de richesse où il est parvenu. Car s'il est une ville cosmopolite, il est en même temps une ville belge. Vers lui converge cette activité multiple que nous avons cherché à décrire, et à côté des épices, des vins, des blés du Nord ou des draps anglais, les tapisseries de Bruxelles et d'Au-denarde, les saies, les ostades et les serges d'Armentières, de Hondschoote, de Valenciennes et de Tournai, les toiles de Flandre, les fers du Hainaut et du Namurois, les armes de Liège alimentent une bonne partie de son commerce (154). L'art même de la peinture y entretient un puissant mouvement d'affaires : les toiles se débitent par centaines sur le Kerkplaats, devenu le grand marché des tableaux. D'un courant ininterrompu, les ateliers du pays Signatures de marchands étrangers séjournant à Anvers (1541). L'on reconnaît, entre autres, les signatures de Jean-Charles Affaitadi, Erasme Schets. Lopez, de Castro, Calderone, de Santa Cruz. Reproduites également en frontispice par J. Denucé : Inventaire des Affaitadi, banquiers italiens à Anvers, de l'année 1568 (Collection de documents pour l'histoire du commerce, /), Anvers, 1934, in-8°. déversent donc leurs productions sur les quais de l'Escaut. C'est là qu'ils trouvent en tout temps un débit assuré; c'est de là que leur parviennent à la fois les commandes et la matière première; c'est là enfin que les prix s'établissent à la bourse, soit par le jeu naturel de l'offre et la demande, soit par les artifices de la spéculation. La plupart des villes manufacturières possèdent à Anvers une halle permanente et des commis chargés de la vente de leurs produits. Elles sont avec la métropole commerciale en rapports constants, elles ne peuvent se passer d'elle, et il suffit qu'en 1540 Marie de Hongrie y interdise momentanément l'entrée des tapisseries d'Audenarde pour que, aussitôt, des centaines d'artisans tapissiers soient réduits au chômage. La prospérité d'Anvers et celle de l'industrie des Pays-Bas, tout à la fois cause et effet l'une de l'autre, se trouvent donc indissolublement unies. Et rien d'étonnant dès lors si Anvers attire vers lui, tant de la région flamande que de la région wallonne, la population industrieuse des provinces. Centre économique d'un pays bilingue, il devient bilingue lui-même, et dans ses murs, dès le milieu du XVIe siècle, le français apparaît comme la seconde langue des habitants. Anvers n'a pas seulement été la première place de commerce de son temps, c'en a été aussi la plus grande banque. Dès le XVe siècle, les dépenses croissantes de l'Etat, les dépenses militaires surtout, avaient obligé les divers souverains de l'Europe à recourir à l'emprunt. Pendant longtemps, des financiers italiens furent presque exclusivement leurs bailleurs d'argent. On sait que les ducs de Bourgogne et Maximilien d'Autriche se firent avancer des sommes très considérables par les Portinari et les Rapondi. Diverses circonstances se réunirent, pendant la première moitié du XVIe siècle, pour donner un essor inouï à ces opérations de prêt. D'une part, en effet, les guerres devinrent infiniment plus coûteuses, tandis que de l'autre les instruments de crédit se perfectionnèrent, que l'Eglise laissa tomber en désuétude la défense du prêt à intérêt et qu'enfin des fortunes énormes se constituèrent grâce aux progrès du grand commerce, capables de fournir aux princes les capitaux dont le besoin se faisait sentir de plus en plus impérieux. Faut-il rappeler ici que, sans le secours des banquiers allemands qui furent les grandes puissances financières du temps de la Renaissance, la politique mondiale de Charles-Quint eût été entravée dès les débuts du règne ? Durant les quarante premières années du XVIe siècle, Gênes dans le Midi, Augsbourg dans le Nord de l'Europe, furent les deux centres les plus actifs du commerce des capitaux. Mais le moment devait venir où, obéissant à l'attraction irrésistible d'Anvers, ce commerce émigrerait à son tour aux bords de l'Escaut. Déjà bien avant 1540, la plupart des grands négociants de la place avaient profité des besoins d'argent continuels de l'empereur pour réaliser de fructueux placements. Le solide crédit des Pays-Bas garantissait celui de son souverain, et les obligations émises par les receveurs généraux des provinces (Rentmeesters) pour l'amortissement des emprunts, se négociaient sans peine à la bourse (155). Outre cette solidité financière, Anvers jouissait d'ailleurs d'une hégémonie économique trop incontestable pour ne pas attirer à soi tôt ou tard les plus grandes maisons de banque de l'époque. C'est chose faite au milieu du XVIe siècle, où sa bourse, dont on évalue le mouvement RW* .fMtoStJL rft-hf&tu ff«tJU "itnjHÇilBt P, )H«rétHjf.nAf.in/tf fir«„j„Ofvh^^y tyS, („ Hbétrjg*» Iffl - / . (Anvers, Archives de la ville, cote indéterminée.) des capitaux à quarante millions de ducats annuellement (156), est devenue la première du monde. Non seulement le roi de Portugal, mais le roi d'Angleterre et l'empereur y possèdent maintenant des « facteurs » à poste fixe, employés à négocier leurs emprunts avec les financiers de la place. Ceux-ci, alléchés par l'énormité des gains que leur rapportent des intérêts de 16 à 20 p. c., se lancent avec une incroyable témérité dans les affaires les plus hasardeuses. Presque tous s'engagent pour des sommes bien supérieures à leur fortune. Des faillites retentissantes, celles des Frescobaldi (1518), des Gualterotti (1523), des Hochstetter (1529), des Balbani (1566) ne découragent pas l'esprit de lucre. En 1562, l'Espagne doit aux Fugger environ cinq millions de florins, alors que leur capital ne dépasse pas deux millions (157). Il n'est pas étonnant que, dans un tel milieu, les instruments du crédit se soient rapidement perfectionnés. Le billet à ordre endossable à un tiers y est mentionné dès 1536 et, en 1582, on reconnaît à son détenteur le droit de le faire valoir en justice (158). Sous l'influence prépondérante des opérations de banque, le commerce cosmopolite d'Anvers finit par se tourner de plus en plus vers la spéculation. En 1531 déjà, un édit interdit aux marchands l'accaparement des denrées et ordonne aux magistrats de casser tous les contrats tendant à la constitution de monopoles (159). Les banqueroutiers, dont le nombre s'accroît dans des proportions inquiétantes, (Cliché A.C.L.) Maisons construites au XVIe siècle sur la Grand'Place à Anvers. De gauche à droite : la maison l'Ange construite en 1579 et restaurée vers 1900; la maison des tonneliers construite vers la même époque; la maison de l'ancien Serment construite en 1560. et la maison des arbalétriers, la plus ancienne, construite en 1500. Elles ont été restaurées à la fin du siècle passé à l'initiative de l'administration communale. seront tenus à l'avenir pour « voleurs publics », et ils ne pourront invoquer, où que ce soit, contre leurs créanciers, le privilège de bourgeoisie. Ces mesures ne parvinrent point d'ailleurs à entraver le mal. A mesure que l'on avance dans le XVIe siècle, on le voit faire constamment de nouveaux progrès. L'importation des marchandises, celle des épices surtout, donne lieu à d'incessants jeux de bourse. On cherche, au moyen de « pronostications », à deviner les fluctuations des prix ou le cours du change. Une fièvre d'agiotage s'empare des esprits et bientôt, sortant du monde des marchands, se répand dans le public. En 1540, un nouvel édit témoigne de son intensité. Tout le commerce, y lit-on, se transformera bientôt en usure si l'on n'y porte remède, et, en conséquence, il cherche à le ramener dans une voie normale en condamnant comme usuraires tous intérêts supérieurs aux gains légitimes d'un trafic honnête. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les jeux de bourse sévissent plus que jamais. La noblesse elle-même, rompant avec ses moeurs traditionnelles, s'y lance avec passion et y consacre tous les fonds qu'elle employait jadis à des achats de terre. Les contrats de dépôt, sous lesquels se dissimulent de louches opérations de crédit, entrent dans la pratique journalière (160). S'il a surexcité l'énergie et l'esprit d'entreprise, le capitalisme, par son développement trop brusque, a démoralisé à la longue les mœurs économiques. Nul frein ne retient plus les appétits. Dans le milieu surchauffé de la grande ville cosmopolite, se rencontrent déjà des types presque contemporains d'aventuriers et de chevaliers d'industrie. Tel fut, par exemple, l'Italien Gaspar Ducci, aussi remarquable par son habileté que par son manque absolu de conscience, et qui, pendant de longues années, domine le monde des affaires, se débarrasse de ses concurrents par l'assassinat, devient le courtier officiel du gouvernement de Bruxelles, éblouit la ville de son faste, pour enfin disparaître brusquement dans la faillite (161). Et son histoire est celle de bien d'autres, acharnés comme lui à la recherche de la fortune. Certainement, vers le milieu du XVIe siècle, Anvers trahit des symptômes inquiétants. Le crédit de ses banquiers, tendu au delà de toutes limites, commence à fléchir. Vers 1560, Guichardin constate douloureusement les abus croissants de la spéculation et la décadence de l'antique honnêteté commerciale, et un de ses compatriotes appelle la bourse una vera sentina di ribalderie de più sorte (162). Sans doute, les dehors sont plus éblouissants que jamais. Nulle part on ne rencontre un tel luxe dans les vêtements, des fêtes aussi éclatantes, des banquets aussi somptueux. Mais ce mélange et ce contraste de la passion du plaisir et de la passion du travail ont je ne sais quoi de fiévreux et de morbide. Ils révèlent une civilisation dans laquelle triomphe de plus en plus la tendance à jouir et à jouir vite, sans s'inquiéter du lendemain. Plus brillante de beaucoup que celle d'Amsterdam ou de Londres, la pros- (Cliché Brusselle.) Salle intérieure de l'hôpital Saint-Jean à Bruges. Construite vers 1200 et complétée en 1289-1291. moeurs, ni même les vêtements ne les distinguent les uns des autres, et les édits contre le luxe cherchent vainement à empêcher ce mélange des classes en interdisant aux roturiers le port du satin et du velours. Rien de plus facile d'ailleurs aux parvenus que d'obtenir des lettres de noblesse. Le gouvernement, toujours à court d'argent, n'a rien à refuser aux financiers; il anoblit Gaspar Schetz, Pierre van der Straeten, d'autres encore. Il importe de remarquer que la plupart des nouveaux riches du XVIe siècle ne sortent pas des rangs du patri-ciat urbain (164). Enrichi par l'industrie et le commerce du Moyen Age, celui-ci, nous l'avons constaté plus haut, ne se lança point dans les entreprises capitalistes (165). Presque tous les grands commerçants que le XVIe siècle voit apparaître dans les villes sont des self-made-men, des parvenus énergiques, apportant à la recherche de la fortune cette âpreté et cette volonté tenace que l'on ne rencontre guère parmi l'aristocratie bourgeoise. C'est en revanche du côté des professions libérales, on l'a vu, que cette artistocratie dirigea ses fils. D'ailleurs, elle souffrit cruellement des perturbations de la vie économique. Vivant du produit de leurs maisons ou de leurs terres, un bon nombre de familles patriciennes furent ruinées par la diminution croissante des revenus. Les plus riches d'entre elles, pourtant, surmontèrent la crise. Elles haussèrent leurs fermages à mesure que diminuait la valeur de l'argent, et elles ne craignirent point d'imposer à leurs tenanciers, sous le nom de « rentes en grains », de véritables contrats usuraires (166). De plus, la spéculation, l'achat de Rentmeestersbrieven, la participation aux loteries leur fournirent le moyen de bénéficier indirectement du mouvement capitaliste de l'époque (167). Sous l'influence de ce mouvement, la bourgeoisie perd nécessairement le caractère exclusivement municipal qui l'avait distinguée jusqu'alors. Elle ne se confine plus dans le cadre étroit des intérêts urbains. En présence de la victoire des grandes entreprises sur les métiers, elle ne peut périté d'Anvers, vers la fin du règne de Charles-Quint, est pourtant moins solide. Par suite de la prépondérance exagérée qu'y a prise le commerce de l'argent, elle est à la merci des crises politiques. En 1557, la banqueroute de l'Etat espagnol lui portera un coup sensible, et elle est déjà sur la voie du déclin lorsque éclate, quelques années plus tard, la révolution des Pays-Bas. TRANSFORMATIONS SOCIALES. — L'expansion du capitalisme a naturellement provoqué dans les Pays-Bas de très profondes transformations sociales. Elles y ont été activées encore par ce phénomène, général au XVIe siècle et dont on n'a point ici à rechercher les causes, la diminution constante de la valeur de l'argent et, en conséquence, la hausse de tous les prix. C'est à partir de 1530 environ que celle-ci commence à se manifester, et elle s'accentue très fortement aux environs de 1550 (163). Favorable aux industriels, aux commerçants, aux spéculateurs, elle pèse lourdement en revanche sur tous ceux qui vivent de leurs rentes ou du travail de leurs mains et elle contribue largement pour sa part à donner à la société, déjà si ébranlée par le bouleversement économique, une physionomie toute nouvelle et qu'il importe d'esquisser au moins dans ses traits principaux. Jusqu'à la fin du Moyen Age, la différence des fortunes n'avait guère influé sur la hiérarchie sociale. Plus encore que par le droit, la noblesse et la bourgeoisie se distinguaient l'une de l'autre par les idées et le genre de vie. Entre la première, composée de militaires et de propriétaires fonciers, et la seconde, formée d'artisans et de marchands, les contacts étaient rares et difficiles et la coutume maintenait une barrière presque infranchissable. Si cette barrière ne disparut pas, elle fléchit tout au moins en bien des points sous l'influence de la renaissance économique. L'appât de la richesse et les nouveaux moyens qui s'offrent pour y arriver attirent maintenant toutes les classes et les rapprochent les unes des autres en dépit des traditions et des préjugés de caste. Des nobles spéculent à la bourse d'Anvers; les plus grands seigneurs traitent à leur table un aigrefin tel que Gaspar Ducci. D'autre part, les fortunes énormes qu'ils ont amassées dans la pratique du commerce ou de l'industrie, donnent à quantité d'hommes nouveaux un ascendant irrésistible. Le bourgeois disparaît dans le millionnaire ou dans le financier. Les « nouveaux riches » du XVIe siècle, quelle que soit leur origine, vivent noblement, dans de somptueux hôtels, entourés de toutes les jouissances et de tous les raffinements du luxe. Tout en s'adonnant aux affaires, ils participent au mouvement intellectuel de leur temps, fréquentent les universités, comme ce Gaspar Schetz qui suivit à Erfurt les leçons d Eobanus Hessus, se lient d'amitié avec des philologues, avec des artistes, collectionnent des médailles ou de beaux livres. Il se forme dès lors, dans les couches supérieures de la société, une aristocratie dans laquelle se rencontrent pêle-mêle, à côté des descendants de la vieille noblesse, les parvenus les moins fournis d'ancêtres. Ni les goûts, ni les subsister qu'en s'imprégnant d'un esprit nouveau. Dans l'époque de centralisation monarchique, de liberté commerciale et d'individualisme économique où l'on vient d'entrer, le contraste jadis si éclatant qui opposait le bourgeois au non-bourgeois, s'affaiblit sans cesse. Les différences de fortune l'emportent de plus en plus sur les différences juridiques. Vainement les métiers ont cherché à empêcher cette évolution et à maintenir contre le double effort de l'Etat et du capital, la vieille organisation municipale avec son exclusivisme et ses privilèges. Leur résistance devait échouer. La bourgeoisie fermée que le Moyen Age avait connue disparaît au cours du XVIe siècle. A sa place se constitue, formée d'éléments anciens et d'un afflux considérable d'hommes nouveaux, la bourgeoisie moderne, dont le signe distinctif est la richesse. Cette classe de censitaires, si l'on peut employer pour la désigner une expression du langage politique contemporain, jouit dès lors et jouira pendant des siècles des avantages du nouveau régime, concurremment avec la noblesse à qui elle touche et avec laquelle elle se confond presque par en haut. Dans toutes les villes, elle s'empare de l'administration municipale, elle fournit à l'Etat la majeure partie de ses fonctionnaires, et ce sont ses membres enfin qui organisent les entreprises commerciales ou industrielles et se lancent dans les spéculations financières qui donnent à la vie économique de l'époque son aspect caractéristique. Mais, au-dessous d'elle, et par une conséquence fatale, la masse des travailleurs s'absorbe de plus en plus largement dans le sein du prolétariat. La substitution croissante des entreprises manufacturières à la petite industrie des métiers, et, dans les métiers mêmes, la barrière qui s'élève entre maîtres et compagnons augmentent sans cesse le nombre des hommes réduits à vivre au jour le jour du travail de leurs bras. Dans les villes comme à la campagne, à Hondschoote et à Armentières, comme à Tournai, à Lille, à Valenciennes, à Anvers, aux environs d'Aude-narde, on ne rencontre plus guère que des ouvriers salariés. Et ces ouvriers, vivant de la grande industrie et placés en conséquence hors des cadres des métiers, ne possèdent pas même les ressources que le compagnonnage fournit à leurs semblables de France ou d'Allemagne (168). (Amsterdam, Rijksmuseum.) Une des sept œuvres de miséricorde. Détail des « Sept œuvres de miséricorde » peintes à la fin du XVo siècle par un maitre inconnu dit maitre d'Alkmaar. Ils constituent une foule sans organisation, sans esprit de corps dont les membres, isolés les uns des autres, ne sont en rapport qu'avec le patron ou les agents du patron qui les emploie. Obligés de se contenter du salaire qu'on leur impose, ils sont d'autant plus misérables que la hausse des prix diminue constamment leur standard of life. Aussi leur condition contraste-t-elle violemment avec celle des classes dirigeantes. En 1557, Badoero s'étonne de trouver dans les Pays-Bas, à côté d'une bourgeoisie opulente, une plebe povera e misera (169). LA MENDICITE. - Si les bouleversements économiques du XVIe siècle poussèrent à la formation d'un prolétariat industriel, ils eurent aussi pour résultat de faire du vagabondage une véritable plaie sociale. La concentration des capitaux, la décadence des métiers, les crises industrielles durent augmenter rapidement le nombre des êtres errants, vivant de mendicité et de rapines. Les armées, dont les mercenaires étaient licenciés après chaque campagne, y contribuèrent aussi pour une bonne part. Enfin, le grand nombre des fondations charitables que le Moyen Age avait vu se former dans toutes les villes, favorisait la fainéantise en assurant l'existence de ceux qui, volontairement, renonçaient au travail. Quantité de gens valides végétaient ainsi dans l'oisiveté, au grand détriment des bonnes mœurs et de l'ordre public. Leur nombre était si considérable dans certaines régions que les fermiers ne parvenaient plus à trouver d'ouvriers agricoles, et nous savons d'autre part qu'on rencontrait des familles entières dont tous les membres, depuis plusieurs générations, étaient mendiants de profession. Dans son admirable élan de charité chrétienne, l'Eglise s'était surtout préoccupée, au Moyen Age, de celui qui donne, beaucoup moins de celui qui reçoit. C'était bien plus dans un esprit de mysticisme que dans un esprit social, que tant d'hôpitaux, de refuges, de maisons-Dieu, avaient été créés. On avait, durant plusieurs siècles, consolé, nourri, vêtu les pauvres, mais on ne s'était pas avisé de combattre la mendicité. L'Etat, le premier, entreprit cette lutte. Il l'entreprit, non point pour des motifs humanitaires, mais pour de simples raisons de police. Dès le règne de Philippe le Bon, des ordonnances sont promul- (Ninove, Collection De Deyn.) (Cliché A.C.L.) Frontispice et page de titre du « De subventione pauperum sive de humanis necessitatibus Afflige d'une corporation courtraisienne |jbri duQ $ de Viyès dédié au magistrat de Bruges. Insigne de la charM Ïa'im-Marîin à Cour.rai. Argent. Le célèbre ouvrage de Vivès es. divisé en deux grandes parties : 'a bienfaisance privée et la bienfaisance publique. Encadrement gothique doré. Edité à Bruges. Deuxtème édmon, revue par 1 auteur, 1526, tn-8°. IIOANNISIj LODOVICI VIVIS VALENTINI Dcfubuentionepaupcrû.Siuede" humanisneceffitatib'Libri .II. Ad Senatum bru gcnfcm. Prior de fubuérionepriuata quid vnûqucm ■«*•> . ifx«Jt~^7 « «—s c-^fYe " . f2» u/t 0 rto^y^K aiV UA^ ' rï> c p p A^rtun ft'fn' vtti . t ftis^^J^^G J t^rv —•+-> , ftcj 1/t. / >AA* irri'J, fl Hç'!, vj? J«/» <——V p i/£«- S* /IvJl iffè j?obrfl fier■ G> "V-^.-w n tb^rj?^- s^rtJtf f sLw - frJli^r^p ■ yCf . C^A. ■ . /ff/ (Bâle, Bibliothèque de l'Université, ms AN III 15, fol. 29 r°.) Autographe d'Erasme. Lettre autographe à Boniface Amerbach, rédigée à Fribourg-en-Brisgau le 19 février 1531. (Bâle, Cabinet des Estampes de la ville, U. I. 53.) Erasme. Dessin à la plume d'un élève de Hans Holbein le Jeune. « maître François de Crémone, poète lisant en l'Université de Louvain », reçoit des subsides de Philippe le Beau (10). Un peu plus tard, un autre Italien, le fameux Aléandre, est attiré à Liège par Erard de La Marck (11). De son côté, l'évêque d'Utrecht, Philippe de Bourgogne (1464-1524), nous apparaît comme un grand seigneur à demi sceptique, amoureux, encore qu'un peu vulgaire et épais, de cette Italie qu'il a parcourue, d'où il fait venir à grands frais des architectes et où il envoie son peintre, Jean Gos-sart, s'inspirer du nouvel idéal de beauté qui l'a ébloui. Marguerite d'Autriche protège le peintre vénitien Jacques de Barbaris et fait place, parmi ses collections, aux marbres et aux gemmes antiques. Inscriptions et médailles voisinent avec les livres dans les maisons des ministres et des fonctionnaires enrichis au service de l'Etat. La demeure du conseiller Jérôme Busleyden « est meublée avec un goût exquis et somptueux et renferme une infinité de monuments de l'antiquité ainsi qu'une riche bibliothèque» (12). Marc Laurin (1488-1540), le fils du richissime trésorier général de Philippe le Beau et le père du célèbre numismate, le chancelier Carondelet, le maître des requêtes Georges de Themseke professent un même enthousiasme pour les littératures classiques et pour le trésor de sagesse et de beauté qu'ils y découvrent. Ainsi, parmi l'aristocratie de naissance comme parmi l'aristocratie d'argent, les goûts et les idées se transforment. Pour la première fois se révèle l'attrait profond des jouissances intellectuelles. La pompe éblouissante mais encore tout extérieure dont se sont entourés les premiers ducs de Bourgogne, fait place à un luxe plus délicat, plus raffiné, plus noble aussi. Les mœurs s'adoucissent, la politesse revendique ses droits à côté de l'étiquette; on commence à rechercher les plaisirs de la conversation; enfin, se dégagent, parmi les gens du monde, les premiers traits de la physionomie de l'homme moderne. ERASME. — Sur le terrain ainsi préparé par une intense culture pédagogique et par les modifications que subit la vie sociale, surgit Erasme (1466-1536). En lui, les deux mouvements se rencontrent et se combinent. Il a étudié tout d'abord chez les frères de la vie commune à Deventer et à Bois-le-Duc (1476-1480), puis, après avoir passé quelque temps au monastère de Stein (près de Gouda), l'irrésistible désir de s'initier à cette sagesse antique dont il a entrevu les premiers rayons sur les bancs de l'école, lui fait quitter sa cellule, et, comme tant de ses anciens condisciples, chercher au sein de l'aristocratie lettrée un protecteur qui, soit par sympathie intellectuelle, soit par mode ou par gloriole, le mettra à même de se livrer tout entier à sa passion d'humaniste. C'est désormais sous le patronage de la plus haute société que vivra ce bâtard de prêtre, ce moine défroqué, qu'en d'autres temps l'illégimité de sa naissance eût réduit à se confiner dans l'asile du cloître. Attaché tout d'abord à l'évêque de Cambrai, Henri de Berghes, qui l'entretient pendant quatre ans à l'Université de Paris, il entre, en 1496, au service du jeune lord Mountjoy et passe avec lui en Angleterre (13). C'est là que devait se décider sa carrière et se révéler sa véritable vocation. Introduit dans l'intimité de Colet et de Morus, il s'adonna avec le premier à l'étude du grec, au platonisme, au commentaire historique et grammatical de la bible, tandis que ses longs entretiens avec le second précisent en lui une nouvelle conception de la vie, plus large, plus libre, plus humaine. Au sortir de la vieille Sor-bonne, où les querelles scolastiques et une malpropreté révoltante l'ont également dégoûté, il se plonge avec délices en ces conversations dont nous retrouvons l'écho dans le Moriae Encomium, composé sous le toit de son ami. Au contact de cet esprit d'élite s'opère en lui une véritable renaissance, et il se consacrera désormais sans relâche, par des prodiges de travail et, si l'on songe à sa chétive santé, avec un réel héroïsme, à propager son idéal du vrai et du bien. Il ne place point cet idéal, comme les humanistes italiens, dans le retour à l'esprit de l'antiquité païenne. Mais s'il reste sincèrement chrétien, il allie son christianisme à la sagesse antique. Il rêve d'une Evangelica philo-sophia, et le modèle qu'il propose à ses contemporains, c'est celui du Miles Christianus. de l'honnête homme suivant les enseignements du Christ tout en interprétant librement l'Ecriture. Avec lui, la Renaissance du Nord trouve son expression la plus complète. Plus pratique, plus sociale, si l'on veut, que l'italienne, elle ne prétend point transformer l'homme, mais l'instruire, l'améliorer, l'éclairer. Depuis les règles élémentaires de la civilité jusqu'aux principes les plus élevés de la morale et de la religion, rien n'échappe à la tâche réformatrice que lui assigne Erasme. Il y débuta par la publication des Adagia, parus en 1500. l'année même de la naissance de Charles-Quint. Avant l'Emile de J.-J. Rousseau, jamais un ouvrage pédagogique n'exerça semblable influence et n'obtint pareil succès. Ce petit livre, qui popularisait non point la forme, mais le fond et comme le suc même de la sagesse antique, fut accueilli par un long applaudissement.Et il en fut de même en 1503 pour l'Enchiridion Militis Christiani, en 1509, pour le Moriae Encomium, en 1516 pour les Colloquia. Le plus étonnant, peut-être, de cette extraordinaire fortune, c'est qu'elle n'est point due seulement à l'enthousiasme des lettrés, des pédagogues ou des savants. Le pape, les cardinaux, Charles-Quint et ses ministres, Chièvres, Gattinara, tous les représentants de la tradition politique et de la tradition religieuse sont érasmiens, comme la cour de Louis XVI devait être voltairienne à la veille de la Révolution. Et ce rapprochement se présente de lui-même à la pensée. Car, avec les ressources d'un esprit aussi mordant et aussi sarcastique, Erasme, plus énergiquement encore que Voltaire, s'acharne à combattre la tradition. Le programme de réforme que son ami Morus dissimule dans YUtopie sous le voile de la fiction et de la plaisanterie, se formule chez lui très nettement comme le but à atteindre. Avec Morus, « il se prononce contre l'ascétisme médiéval et monacal, contre la scolastique, contre les superstitions, contre les frères vagabonds et les moines fainéants » (14). Il condamne le célibat des prêtres, ne voit plus guère dans le culte qu'un pur symbole, affirme enfin la supériorité de la vie du siècle sur celle du cloître. Plus rien de mystique dans le plan d'éducation qu'il ne se lasse pas d'exposer. Développer librement sa personnalité et se rendre capable de tenir une place utile dans le monde, tel est son idéal. Un siècle sépare la mort de Gérard Groote de la naissance d'Erasme; tous deux sont du même pays, tous deux ont voyagé, tous deux ont largement puisé dans la science de leur temps et voulu améliorer leurs semblables, mais quel contraste entre leurs tendances ! La perfection ne consiste plus désormais dans la vie contemplative, dans la méditation solitaire, in angello cum libello : elle réside dans l'épanouissement complet de l'énergie et des facultés de l'individu. Mais cet épanouissement ne sera possible que dans une humanité affranchie des entraves où la retient le passé. Dès lors, plus de distinction entre les hommes, plus de castes sociales et plus de frontières ! Et c'est ainsi que l'on retrouve au fond des enseignements d'Erasme et par une rencontre significative, cette même alliance de l'individualisme et du cosmopolitisme que nous avons constatée plus haut chez les capitalistes et les banquiers d'Anvers. Au reste, en dépit de sa hardiesse et de ses audaces Erasme n'est pas le moins du monde un révolutionnaire. Il ne veut bouleverser ni l'Eglise ni l'Etat : il attend de la diffusion de l'instruction et de la science, la rénovation de l'une et de l'autre. La sympathie qu'il témoigne tout d'abord à Luther se refroidit, puis fait place à une hostilité déclarée à mesure qu'entre Luther et Rome la rupture s'accuse davantage. Sa religion n'a rien de passionné ni de fougueux; il condamne également l'intolérance et l'hérésie et, jusqu'au bout, il n'a cessé d'espérer la réconciliation finale des adversaires et d'opposer au protestantisme ce que l'on pourrait appeler la Renaissance du catholicisme. Il a cru de bonne foi rester catholique et, pendant les premiers temps de la grande crise religieuse du XVIe siècle, des catholiques très sincères se sont fait gloire de professer ses idées. Vivès veut que l'on mette ses Colloquia entre les mains des écoliers en même temps que YUtopie de Morus. En 1526, c'est le propre ministre de Charles-Quint, Gattinara, qui, l'opposant tout à la fois à ceux « qui suivent aveuglément les ordres du pontife romain » et aux sectateurs de Luther, salue en lui le chef des gens de bien « n'ayant en vue que la gloire de Dieu et le salut de la République (15). LE COLLEGE DES TROIS LANGUES. - Mais si populaire qu'il ait été chez les humanistes catholiques, Erasme a dû combattre de bonne heure l'opposition des théologiens. Et l'on comprend sans peine qu'il n'en pouvait aller autrement du jour où, rejetant dédaigneusement leur science, il prétendait y substituer le commentaire purement historique et philologique des Ecritures. La querelle éclata dans toute sa violence à propos du Collège des Trois Langues, la création la plus caractéristique de la Renaissance sur le sol des Pays-Bas (16). C'est en 1517, l'année de l'affichage des thèses de Luther à Wittenberg, que s'ouvrit cette célèbre institution, dont François Ier devait s'inspirer plus tard, lors de la fondation du Collège de France (17). Largement dotée par Jérôme Busleyden, qui suivit certainement en cela les conseils d'Erasme, elle avait pour but de développer la connaissance des trois langues savantes, le latin, le grec et l'hébreu, et d'appliquer à l'interprétation des Ecritures, en dehors de toute théologie positive, les ressources et la méthode de l'érudition. Apparaissant au moment même où naissait le protestantisme, elle ne pouvait manquer d'in- (Ninove, Hôtel de ville.) Nicolas Despautère (Ninove, vers 1480 - Comines, 1520). Nicolas de Spauter (Despauterins, Despautère) fut proclamé maitre ès arts à l'Université de Louvain en 1501. Il professa les humanités successivement à Louvain, Bois-le-Duc, Bergues-Saint-Winoc et Comines. L'illustre grammairien est, entre autres, l'auteur d'une Orthographia (1506?), d'une Grammaticae pars prima (1512), d'une Syntaxis (1515), d'un Ars versificatoria (1511) et d'un Ars epistotica (1513). Portrait contemporain peint par un artiste inconnu. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Planche du « De Humani Corporis Fabrica Libri VII » d'André Vésale, « Scholae Medi-corum Patavinae Professoris » (p. 174). L'ouvrage lut imprimé à Bâle en 1543 par Jean Oporinus. Les planches ont été exécutées par Jean Stevens de Calcar; celle qui est reproduite ci-dessus introduit le chapitre consacré à la description des muscles (Secundae fttusculorum Tabulae Charade-rum index). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Trois demi-fuseaux de la sphère terrestre de Gérard Mercator, éditée à Louvain en 1541. La sphère est constituée par douze fuseaux disposés les uns i côté des autres; la circonférence totale, mesurée sur l'équateur, est de 1 m. 295. A gauche, la dédicace à Nicolas Perrenot, seigneur de Granvelle; à droite, note justificative de l'édition : Edebat Gerardus Mercator Rupelmundanus cum privilegio Ces(aris) Maeistatis ad an{nos) sox, Lovanii anno 1541, Cette reproduction est extraite du recueil des planches originales de la sphère terrestre et de la sphère céleste de Mercator, exemplaire rarissime acquis en 1868 à la vente des livres de M. Benoni-Verelst à Gand pour la somme de 2 fr. 75. quiéter bon nombre d'esprits. L'Université de Louvain la combattit dès la première heure, beaucoup moins par ignorance ou routine que par crainte de la voir se transformer bientôt en une école d'hérésie. Les collèges de Saint-Donat et d'Arras refusèrent d'accepter le legs de Busleyden, et il fallut toute l'énergie d'Erasme pour triompher de la résistance de ses adversaires. Il parvint, en dépit de tout, à organiser les cours et, trois ans plus tard, à les installer dans un bâtiment spécial érigé grâce à la munificence de parents et d'amis de Busleyden. Désormais, heureux du résultat de ses efforts et décidé à se consacrer à la direction de ce collège dont il espère tout ensemble la Renaissance de l'Eglise et celle des Lettres, il se propose de s'installer à Louvain, où il achète une maison en 1519. Mais Charles-Quint arrive dans les Pays-Bas dès l'année suivante. De concert avec Aléandre, que le pape députe auprès de lui porteur de la bulle excommuniant Luther, il prépare manifestement la guerre au protestantisme. Et tout de suite se déchaîne sur Erasme une effroyable tempête (18). L'évêque suffrageant de Tournai prêche publiquement contre lui; partout les dominicains et les carmes, qu'il a ralliés pendant si longtemps, le couvrent d'injures et le taxent d'hérésie. Nicolas d'Egmont et Vincent Diercx dans leurs leçons et leurs sermons fulminent à la fois contre lui et contre Luther. Sans doute, le grand humaniste, conscient du prestige qu'il exerce, sait qu'il peut compter sur l'appui de l'empereur; sans doute Léon X recommande la modération à ses adversaires. A la longue pourtant, dégoûté, troublé dans ses études, vaguement inquiet de l'avenir, il se décide à céder la place. En 1521 (28 octobre), il quitte Louvain pour aller chercher à Bâle une tranquille retraite et, avec lui, disparaît l'esprit qui avait animé jusqu'alors le Collège des Trois Langues. La fondation de Busleyden ne disparaîtra pas, mais elle se confinera dans l'étude de la philologie et ne cherchera plus à reprendre le rôle qu'elle a failli jouer un instant dans l'histoire de la réforme religieuse. L'HUMANISME APRES ERASME. - Le départ d'Erasme ne mit pas fin à la campagne de ses ennemis. Moines et théologiens, si longtemps malmenés et persiflés par lui, tenaient leur revanche : ils en abusèrent. Adrien VI dut imposer silence au plus exubérant d'entre eux, Nicolas d'Egmont et, en 1525, Clément VII conseillait à la faculté de théologie de Louvain de suspendre les hostilités (19). Charles-Quint, de son côté, n'abandonnait point l'écrivain avaient vécu dans l'entourage du maître et s'inspiraient de son enseignement. En dépit de son mérite et de sa piété si profonde, Nicolas Clénard ne parvient pas à y obtenir une chaire (21); Martin Lipsius, suspect comme lui de mo-dérantisme, quitte Louvain pour se retirer dans un couvent de Huy; Campensis l'imite à son tour; Goclenius et Rescius, (Anvers, Musée Royal des Beaux-Arts.) L'ensevelissement du Christ, par Quentin Metsys (14607-1530). pour lequel Gattinara, Marguerite d'Autriche et Marie de Hongrie professaient une égale vénération. C'est probablement pour cette raison que l'Université de Louvain s'abstint pendant longtemps de suivre l'exemple de celle de Paris qui, dès 1526, avait condamné les Colloques. Elle devait attendre le règne de Philippe II pour inscrire, en 1558, le nom d'Erasme sur la liste des auteurs dont la lecture était prohibée dans les Pays-Bas (20). Mais, dans l'entre-temps, elle ne se fit point faute de témoigner sa méfiance et son mauvais vouloir à ceux qui au Collège des Trois Langues, se sentent en butte à l'antipathie de leurs collègues (22). D'autre part, les fonctionnaires et les magistrats qu'avaient gagnés les idées éras-miennes, n'osent plus les professer ouvertement depuis que l'empereur s'est constitué le champion de l'Eglise. Les poursuites entreprises dès 1522 contre l'un des leurs. Corneille Grapheus, plus tard encore, en 1544, l'implication de Gérard Mercator dans un procès d'hérésie, leur inspirent une salutaire prudence et la volonté bien arrêtée de ne point se compromettre. Il devient évident, d'ailleurs, qu'entre le catholicisme et le protestantisme, il n'y a plus place pour cette réforme modérée que leur maître a préchée. Peu à peu, presque tous rentrent dans l'orthodoxie, mais en conservant de leur ancien idéal un esprit d'humanité et de tolérance qui, dès le règne de Charles-Quint, s'oppose à la stricte exécution des impitoyables placards lancés contre l'hérésie et qui, sous son successeur, contribuera largement à la révolte des Pays-Bas. Si le mouvement de la Renaissance dépouille peu à peu ses tendances pratiques, ce n'est que pour devenir, à d'autres égards, plus actif et plus fécond. La passion du savoir grandit encore au lieu de s'affaiblir. On veut tout connaître à la fois, et l'on étudie pêle-mêle poésie, musique, dessin, peinture, langues anciennes (23). N'osaftt plus aborder les controverses dogmatiques, on se livre d'autant plus avidement à l'étude. Laïques et ecclésiastiques rivalisent d'ardeur et, en 1528, Anna Bijns reproche au haut clergé de négliger la lutte contre le luthéranisme pour se livrer tout entier : ... Op ander fantasie, Op poëtrie ende philosophie. Depuis 1525, en dépit des difficultés que lui suscitent les placards, l'imprimerie prend un essor extraordinaire. De cette date à la fin du règne de Charles-Quint, s'ouvrent cinquante ateliers nouveaux, dont trente-cinq dans la seule ville d'Anvers. L'instruction à tous les degrés se répand à flots. Trois cents élèves fréquentent les cours de philologie du Collège des Trois Langues. Tournai réclame, en 1525, une université (24). A Bruges, en 1540, Jean de Witte fonde des cours publics de théologie, de latin et de grec (25). Les écoles latines se multiplient dans les villes, et le public se presse en foule aux tragédies et aux comédies représentées par les élèves. L'enseignement élémentaire n'est pas moins florissant : on estime, en 1575, que le nombre des petites écoles à Anvers n'est pas inférieur à deux cents (26). De riches particuliers ouvrent leurs bibliothèques aux travailleurs; en 1564, un simple curé lègue la sienne à la ville de Courtrai, à condition que l'accès en soit permis à chacun (27). Les collections de livres ou d'objets d'art abondent. La plus célèbre est celle de Marc Laurin, le neveu de l'ami d'Erasme, dont le château de Blauhuys (près de Bruges), auquel il a donné le nom de Laurocorinthus, renferme un véritable musée, un médail-lier inestimable, des manuscrits précieux et d'admirables reliures imitées de celles du fameux amateur français Gro-lier (28). Laurin, d'ailleurs, comme tant d'autres de ses contemporains, n'est pas seulement un collectionneur; c'est encore un savant et un protecteur de savants. Il encourage et il subventionne les travaux de l'épigraphiste Martin de Smet et de l'antiquaire Hubert Goltzius. Et à côté de ces hommes restés fameux dans l'histoire de l'érudition, combien d'autres n'en faudrait-il pas citer qui, durant le règne de Charles-Quint, se sont illustrés dans les lettres ou dans les sciences : les philologues classiques Langius, Barthélémy Latomus, Clénard, Martin Dor-pius, le syriacisant Masius, les botanistes Dodoens et de l'Escluse, le géographe Mercator, le grand anatomiste André Vésale. Par delà leurs étroites frontières, les savants des Pays-Bas se répandent de toutes parts à l'étranger. On en trouve à Paris au Collège de France, dans les universités d'Allemagne, en Italie, où ils se pressent sur le chemin de Rome, en Espagne, où Fernand Colon les appelle à la bibliothèque qu'il vient de fonder à Séville, en Portugal où Clénard enseigne le latin en attendant le moment d'entreprendre au Maroc sa « croisade pacifique » contre l'Islam. Pourtant, cette fougue de production et cette exubérance de travail n'épuisent pas l'activité débordante de la nation : si grandes qu'elles soient parmi les savants et les érudits, elles le sont davantage encore parmi les artistes. (Cliché A.C.L.) Façade de la chapelle du Saint-Sang à Bruges. La chapelle lui bâtie en 1503, et la façade du grand escalier en pierre bleue exécutée par Chrétien Six-deniers (1529-1534) d'après les plans de Guillaume Aerts et de Benoit vande Kerckhove. L'escalier a été reculé en 1832-1837 et la façade restaurée en 1893-1894. LE MOUVEMENT ARTISTIQUE. -Sans doute, à l'apprécier au point de vue de sa valeur intrinsèque, à le juger d'après le génie de ses principaux représentants, l'art du XVIe siècle, dans les Pays-Bas, ne peut soutenir la comparaison avec celui du XVe. Il est moins créateur et moins original; aucun nom n'y brille de l'éclat de ceux des van Eyck ou des van der Weyden; bref, il est inférieur, mais il s'en faut de tout que l'on puisse le dire en décadence. Car, tout d'abord, sa vitalité et sa fécondité loin dç s'affaiblir ne font qu'augmenter. Elles sont si intenses qu'elles alimentent un véritable mouvement commercial et qu'il faudrait presque citer la peinture parmi les industries du pays (29). Le marché aux tableaux qui se tient depuis 1460 à côté de Notre-Dame d'Anvers se trouve, à la longue, insuffisant, si bien qu'il faut, en 1540, le transporter dans une des galeries supérieures de la Bourse où, sous le nom de Schilders-Pand, il constitue désormais une exposition permanente. Les peintures affluent donc comme les draps, les serges, les tapisseries, vers le grand emporium de l'Escaut; la certitude d'y trouver constam- ment des acheteurs y attire les artistes comme elle y attire les marchands et les industriels. LA PEINTURE. — C'est tout simplement et très naturellement grâce à sa prépondérance économique qu'Anvers devient, depuis le commencement du XVIe siècle, la capitale artistique des dix-sept provinces. Dans ce milieu si actif et si moderne, un nouveau type de peintre apparaît. La liberté artistique s'y déploie à côté de la liberté commerciale. La gilde des peintres n'asservit plus ses membres à l'observation stricte de minutieux règlements. L'artiste produit désormais à sa guise : comme le fabricant, il secoue le joug du métier et conquiert son indépendance (30). De même que l'humaniste laïcise la science, il laïcise son art. La peinture profane l'emporte maintenant sur la peinture religieuse. Si considérable que soit le nombre des tableaux d'église qui sortent des ateliers, il le cède de beaucoup cependant à celui des portraits, des scènes de genre, des cartons pour tapisseries ou des compositions décoratives, de plus en plus demandés à mesure que la prospérité du pays éveille le goût du luxe parmi les classes aisées. C'est eux encore qui conviennent le mieux à ce commerce d'exportation qui, par l'intermédiaire des marchands du Schilders-Pand, fournit de toiles belges toutes les régions voisines et jusqu'à la Scandinavie, l'Espagne, le Portugal et l'Italie. Rien d'étonnant, dès lors, si les peintres du XVIe siècle, (Cathédrale de Roeskilde.) (Cliché Larscn.) Tombeau du roi Christian III de Danemark sculpté par Corneille II de Vriendt dit Floris (Anvers, 1518-1575). Suivant une tradition, adoptée aujourd'hui encore par la cour royale de Copenhague. Christian III confia la décoration de son tombeau à l'artiste le plus célèbre de son temps : il fit appel à Corneille Floris. (Bruges, Eglise Notre-Dame.) (Cliché Brusselle.) L'Enfant Jésus. Détail du groupe de marbre blanc « La Vierge et l'Enfant Jésus » sculpté par Michel-Ange Buonarotti (vers 1504). La statue a été donnée à l'église Notre-Dame de Bruges en 1514 par Jean Mouscron, fils d'Alexandre et de Jeanne Lootins. les peintres anversois surtout, perdent rapidement ce caractère à demi mystique si frappant encore chez plusieurs de leurs grands prédécesseurs, un Memling, par exemple ou un van der Goes. On rencontre en quantité, parmi eux, de joyeux viveurs, des ivrognes, des bohèmes d'apparence presque moderne, mais plus encore d'honnêtes gens, heureux de produire et d'amasser, se faisant une existence confortable, épousant quelque bourgeoise et élevant leurs fils dans la pratique de leur art. N'oublions pas que c'est par une gentille histoire d'amour que la légende ouvre la biographie de Quentin Metsys. De même qu'il est le premier des grands peintres qui se soient fixés à Anvers, Metsys est aussi le premier d'entre eux qui fasse pressentir l'avènement prochain de la Renaissance. Ami de l'humaniste Pierre Giles, en rapport avec Morus, avec Erasme, dont il a peint et gravé le portrait, il n'a pu échapper à l'influence de l'esprit nouveau. Sa piété a beau rester sincère, son art a beau conserver les traits principaux de l'école nationale, avec lui pourtant quelque chose a changé. Il est plus intime, plus personnel que ses devanciers. Dans ses tableaux, « la chair devient plus molle, plus mobile; le regard y met la vie de l'intelligence; les lèvres entr'ouvertes laissent passer l'haleine » (31). A la recherche du caractère se substitue la recherche du sentiment. Moins majestueux, moins noble que van Eyck, Metsys est aussi moins hiératique et plus humain. Mais s'il est déjà un peintre de la Renaissance, il n'a subi en revanche que faiblement, et vers la fin de sa carrière, cette influence italienne qui devait, après lui, s'imposer de plus en plus tyranniquement à ses successeurs. Et sans doute, on peut déplorer la domination qu'elle a exercée, mais il faut bien reconnaître qu'elle était inévitable. Tout, en effet, poussait vers l'Italie, les élèves ou les émules animés du souffle de Metsys : la fermentation intellectuelle de l'époque, le mépris que les humanistes déversaient sur le Moyen Age, l'attrait de la nouveauté, la célébrité de Raphaël et de Michel-Ange, et par-dessus tous les changements du goût et de la mode, qui exigeaient maintenant des scènes mythologiques, des nudités, tout le décor, enfin, de cette antiquité à laquelle allaient tout à la fois l'admiration générale... et les commandes des amateurs. Dès la fin du XVe siècle, les symptômes se multiplient de cette orientation nouvelle. En 1494, à Anvers, lors de la Joyeuse Entrée de Philippe le Beau, trois jeunes filles déshabillées en déesses païennes figurent dans une représentation du jugement de Pâris (32). En 1505, Philippe de Clèves offre en cadeau à son souverain « une belle femme nue paincte en platte paincture » (33). Les tapisseries empruntent-de plus en plus leurs sujets aux légendes du paganisme. L'engouement pour l'art italien s'accentue d'année en année. En 1514, le patricien brugeois Jean Mouscron commande directement à Michel-Ange la belle statue de la Vierge que l'église Notre-Dame conserve encore aujourd'hui (34). Jean Gossart de Maubeuge ne fit donc qu'obéir à une impulsion irrésistible lorsqu'il partit, en 1508, pour aller étudier à ses sources mêmes l'art dont le rayonnement lointain éblouissait ses compatriotes. Il en revint transformé. Non sans doute qu'il ait sacrifié à l'Italie le style et moins encore le savoureux coloris de l'école de Metsys. La Renaissance du Nord ne devait point abdiquer devant la Renaissance du Midi dès cette première rencontre. Gossart n'emprunta guère à ses modèles que des qualités toutes extérieures de décoration. Il s'appropria leurs motifs ornementaux, leurs architectures somptueuses, il renouvela non point l'esprit, mais les cadres et les sujets de ses tableaux. Mais c'était là déjà une innovation considérable. Elle répondait aux goûts de l'aristocratie comme à ceux des humanistes, et le succès en fut extraordinaire. Les plus grands seigneurs se disputèrent les peintures de Gossart, et Gérard Geldenhauer lui décerna le nom d'Apellem nostrœ cetatis. Bientôt, dans la voie qu'il a ouverte, d'autres vont, à l'envi, non seulement le suivre, mais le dépasser. Avec Bernard van Orley qui, arrivant de Rome, vient se fixer à Bruxelles, l'italianisme est bien près déjà de submerger la tradition nationale. Si la couleur reste encore flamande, le style a cessé de l'être. La gesticulation, les attitudes théâtrales, la recherche de l'effet l'emportent maintenant (Florence, Galerie des Offices.) (Cliché Alinari.) Antonio Moro (Utrecht, 1512 - Anvers, 1577) peint par lui-même en 1558. Antonio Moro est le peintre officiel des rois et des princes de son temps : Philippe II, Jean III de Portugal, Marie Tudor, Marie de Hongrie, Eléonore, sœur de Charles-Quint, le duc d'Albe, Granvelle, Alexandre Farnèse, Sir Henry Sidney, etc. Sur la toile, une pièce de vers grecs composés par Hubert Goltzius. dans la mise en scène où se prodiguent toutes les ressources d'une étonnante virtuosité. Et, jusqu'au bout de sa longue carrière, l'admiration publique ne cesse de soutenir les efforts de van Orley. Il devient le peintre attitré de Marguerite d'Autriche et de Marie de Hongrie; il encombre de ses cartons les ateliers des tapissiers et des verriers. Ses élèves, Michel Coxie «le Raphaël flamand» (1499-1592) et Pierre Coucke d'Alost (1502-1550) l'égalèrent par leur réputation, mais le surpassèrent encore dans l'imitation de l'Italie. Avec eux, comme avec leur contemporain Lancelot Blondeel (1496-1561), apparaît le type de l'artiste aussi versé, plus versé peut-être, dans la théorie de la peinture que dans sa pratique, et chez lequel rien ne subsiste plus de ce caractère artisan si marqué encore par exemple chez Gérard David, que la ville de Bruges employait, en 1488, à peindre les barreaux des fenêtres à la prison de Maximilien (35). Désormais, à l'exemple des Vinci, des Raphaël, des Michel-Ange, le peintre ambitionne de devenir un savant. Il rougirait de n'être plus qu'un simple ouvrier d'art; il tient à honneur de s'initier à toutes les connaissances de son époque et de vivre dans la compagnie des érudits et des lettrés. Tel est le cas du Liégeois Lambert Lombard (1505-1566) avec lequel la peinture belge n'est plus décidément qu'une branche septentrionale de la peinture italienne. Tout à la fojs architecte, graveur et poète, en même temps que dessinateur et coloriste, cet homme extraordinaire présente, avec son maître Jean Gossart, un contraste analogue à celui qu'on remarque entre les humanistes contemporains d'Erasme et les philologues de la génération postérieure. Le cercle qui se forme à Liège autour de lui et qu'il inspire, est tout romain. On y rencontre l'antiquaire Goltzius, le poète Lampsonius et, enfin, ce fameux Frans de Vriendt ou Frans Floris (1516-1570), que ses contemporains appelèrent l'incomparable. Fixé à Anvers après s'être imprégné des enseignements du maître et les avoir complétés par un long séjour en Italie, Floris y jouit d'une réputation que celle de Rubens seulement devait égaler au siècle suivant. On passe aujourd'hui avec indifférence ou ennui devant les vastes compositions de cet imitateur de Michel-Ange qui, abîmé dans l'admiration des fresques de la Chapelle Sixtine, leur emprunte surtout leurs défauts et croit toucher au faîte du grand art en adoptant leur coloration monotone. Mais il exerça de son temps un ascendant irrésistible. On porte à plus de cent vingt le nombre des élèves qui fréquentèrent son atelier. Sous son influence, les peintres des Pays-Bas s'approprièrent tous les procédés de l'école romaine, et Anvers se transforma en une véritable fabrique de tableaux italiens. Si les artistes, accablés de commandes, continuent à triompher dans le portrait, ils tombent dans le pastiche dès qu'ils abordent les grandes compositions picturales. Au milieu des Martin de Vos, des Adrien Key, des Lucas de Heer, des Nicolas Francken, Bruegel presque seul résiste à la mode et conserve son originalité puissante. Pour les autres, l'italianisme est devenu une véritable industrie que les fils continuent après les pères, et que l'on va pratiquer à l'étranger avec le même succès que dans le pays. Car les peintres néerlandais se sont si bien fait une se- (Bruges, Palais de Justice, ancienne salle échevinale.) Cheminée du Franc de Bruges. Sculptée en albâtre et en bois de 1529 à 1531 d'après les dessins de Lancelot-Blondeel, vraisemblablement en commémoration de la bataille de Pavie, elle représente l'empereur Charles-Quint entouré de ses aïeuls maternels et paternels. La cheminée proprement dite est en marbre noir; les cinq grandes statues ont été sculptées par Guyot de Beaugrant, les accessoires par d'autres artistes, notamment par Roger de Smet et Herman Glosencamp. La cheminée a été restaurée en 1850 par Charles Geerts. conde nature, qu'ils rivalisent désormais et collaborent, à Rome même, avec les épigones de Michel-Ange. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, ils s'y installent en telle quantité qu'ils y fondent sous le nom de Bent, une corporation nationale. Denis Calvaert est le premier maître du Guide et du Dominiquin; Pierre Witte, dit Candido, travaille à Florence; Léonard Théry de Bavay est le collaborateur du Rosso et du Primatice. D'autres vont en Espagne, comme Pierre de Kempeneere (Pedro Campana), le fondateur de l'école de Séville, ou comme Antonio Moro; en France, comme Ambroise Dubois; en Angleterre, comme les Horebout et les Geerarts; en Allemagne, comme les Spranger, les Savery et les Valkenborg. Si grande qu'ait été l'expansion au dehors des érudits et des savants des Pays-Bas, celle des peintres le dépasse de beaucoup. A partir du milieu du XVIe siècle, il y en a dans tous les ateliers, comme il y a des mercenaires suisses ou des lansquenets allemands dans toutes les armées. L'ARCHITECTURE. — Si la Renaissance italienne envahit la peinture, elle soumit aussi la sculpture et l'architecture à son ascendant. Dans tous les arts plastiques l'évolution s'accomplit suivant une courbe identique pour arriver, au même moment, au même point. Pendant que Frans Floris peint, son frère Corneille sculpte et bâtit. Entre l'hôtel de ville d'Anvers, qu'il éleva en 1561 sur le plan des palazzi de Rome, et les constructions du commencement du XVIe siècle, le contraste n'est pas moindre qu'entre les tableaux des « Raphaël » et des « Michel-Ange » néerlandais de 1550 et ceux de Quentin Metsys. Et ce n'est point fortuitement que nous écrivons ici le nom de ce grand artiste. Car son esprit se retrouve chez les architectes de son temps. Comme lui, les Keldermans, les Waghemakere, les van Pede, les van Poele, les van den Berghe, les van Boghen,. les van Mulken sans rompre avec le passé, n'y restent point asservis. A Gand, l'hôtel de ville (1518-1535) et la maison des bateliers (1531), à Bruxelles, le Broodhuis (vers 1525), à Bruges, la chapelle du Saint-Sang (1529-1533) et la façade postérieure de l'hôtel du Franc (1520), à Audenarde, l'hôtel de ville (1515-1535), à Liège, l'église Saint-Jacques (1512-1538) et le palais épiscopal (1526-1533), à Brou, enfin, cette étonnante église, « la dernière et la plus mignonne fleur du gothique », éclose pour Marguerite d'Autriche, attestent par la nouveauté de leur plan, la richesse, la grâce, l'originalité de leur ornementation, cette même renaissance de l'art qu'annoncent les peintures de Metsys. Ce sont là des créations vraiment personnelles, des manifestations indéniables de cet individualisme qui s'exprime alors sous tant de formes diverses dans tous les domaines de l'activité intellectuelle. Sous l'action de maîtres de génie, la vieille architecture nationale s'assouplit et s'adapte sans peine aux besoins nouveaux de la civilisation. Dans le palais de Liège, elle se montre capable de fournir à un prince la somptueuse demeure qu'exigent les moeurs du temps, tandis qu'elle réalise dans la Bourse d'Anvers un type de construction si parfaitement appro- (Cliché Brusselle.) prié à sa destination, qu'il n'a fallu lui apporter jusqu'à nos jours aucune retouche essentielle. Ces deux exemples suffisent à montrer que c'est dans les bâtiments civils qu'elle a déployé ses ressources avec le plus de bonheur. Moins libres dans les églises, où elle ne pouvait songer à modifier le plan traditionnel, elle s'est bornée à prodiguer une décoration exubérante comme à Brou ou à Saint-Jacques de Liège. De même que Jean Gossart peint déjà du vivant de Metsys, ses toiles à décor italien, de même aussi se glisse bientôt, dans les monuments, l'art de la Renaissance. Exactement comme dans la peinture, il s'impose tout d'abord à la décoration ou, pour mieux dire, à l'ameublement des édifices. Il pare de ses légers rinceaux, de ses fleurs et de Vue extérieure de la collégiale Sainte-Waudru à Mons. ses fruits, de ses amours et de ses grotesques, dans le cadre encore gothique de l'architecture, les portes, les manteaux de cheminée, les marbres et les boiseries. La charmante porte de l'hôtel de ville d'Audenarde (1531-1534), la belle cheminée de l'hôtel du Franc à Bruges (1529-1532) nous offrent déjà des spécimens d'une rare élégance de cette manière nouvelle. Pourtant, ces oeuvres n'abandonnent point encore la tradition. Elles continuent à s'inspirer de ce sentiment décoratif qui, de plus en plus, pendant le courant du XVIe siècle, envahit la sculpture nationale au détriment de la simplicité et de la majesté des formes. LA SCULPTURE. — Mais avec le Montois Jacques Dubroeucq (f 1584), en même temps qu'apparaît le premier grand statuaire des Pays-Bas depuis Claus Sluter, la Renaissance italienne l'emporte aussi complètement dans la sculpture qu'elle l'emporte dans la peinture avec les Lambert Lombart et les Frans Floris (36). Et le résultat n'en est point, comme chez les peintres, l'asservissement aux modèles étrangers. En raison même de ses moyens d'expression, plus simples, plus abstraits, plus universels que ceux de la peinture, la sculpture conserva mieux son indépendance. L'exemple des maîtres italiens arracha leurs émules belges à la recherche et à l'afféterie où l'on était tombé après Sluter, mais elle ne les réduisit pas au rôle de simples copistes. C'en fut fait désormais de cette subordination de la sculpture à la peinture qui est si visible dans les retables du XVe siècle; on en revint aux vrais principes de la technique sculpturale et, dans son autonomie recouvrée, la statuaire produisit de nouveaux chefs-d'œuvre. Il est certain que les sculpteurs belges du XVIe siècle l'emportent de beaucoup sur les peintres, leurs contemporains. A côté de Dubroeucq, le plus grand d'entre eux et dont on a pu comparer la manière simple et forte à celle de Rude (37), Corneille Floris d'Anvers (1518-1575), Jean de Bologne de Douai (1524-1608), Alexandre Colyns de Malines (1526/29-1612), comptent parmi les meilleurs artistes de leur temps. Leur réputation égala d'ailleurs leur mérite. Comme les peintres, ils se répandirent à l'étranger et semèrent l'Europe de leurs travaux. Jean de Bologne passa presque toute sa carrière en Italie; Colyns a exécuté à Inspruck sa plus belle œuvre; le mausolée du roi de Danemark Christian III, dans la cathédrale de Roeskilde, est de la main de Floris, comme celui de Gustave Wasa à Upsal a pour auteur l'Anversois Guillaume Boyen. Comme la peinture et la sculpture, l'architecture reconnut enfin à son tour le triomphe de la Renaissance. Le style des édifices ne devait-il pas nécessairement s'adapter au style de leur décoration picturale et de leur statuaire ? Le contenant pouvait-il plus longtemps ne point répondre au contenu ? Après 1530, on continue bien encore la construction des grands monuments gothiques commencés, tels que Sainte-Waudru de Mons ou Sainte-Catherine d'Hoogstraeten, mais l'influence de la Renaissance s'atteste dans les constructions nouvelles. L'hôtel du Saumon à Malines (1530-1534), le greffe de la ville de Bruges (1534-1537) ne lui empruntent encore que la parure de leurs façades. Elle s'accentue dans le charmant porche qui s'accole à la nef gothique de Saint-Jacques de Liège. Elle s'impose au plan même des monuments lorsque Pierre Coucke a rapporté d'Italie « les vrais principes de l'architecture » et traduit en flamand et en français, pour l'instruction de ses compatriotes, les œuvres du Bolonais Sébastien Serlio (Anvers, 1539). Dubroeucq, Corneille Floris, architectes en même temps que statuaires, construisent, le premier, les somptueux palais de Marie de Hongrie à Binche et à Ma-riemont, le second la maison hanséatique et l'hôtel de ville d'Anvers, « très magnifique édifice qui se povoit nombrer entre les miracles du monde» (38). A partir des environs de 1550, on ne rêve plus que palais à l'italienne, que jardins ornés de statues, de jets d'eau, de fontaines et de La construction de la collégiale Sainte-Waudru s'est échelonnée sur une période de deux cent quarante ans . la première pierre du chœur fut posée le 13 mars 1450 et l'on travaillait encore à la tour en 1690. Le chœur était achevé en 1506, le transept en 1527; il a fallu cent ans pour construire la nef et les collatéraux. La lenteur de ces travaux a donné naissance au dicton populaire : ■ C'est la tour de Sainte-Waudru, on n'en verra pas le bout. «Les sièges et les bombardements de 1691, 1709 et 1746 nécessitèrent plusieurs restaurations au XVIII» siècle. Les dernières datent de 1849 et 1894-1896. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Melchior Schets, prince de la Chambre de Rhétorique des « Violieren ». Dessin de Frans Floris extrait d'un album de documents divers concernant le « Landjuweel » de 1561 à Anvers. En 1561, la chambre de Rhétorique anversoise « de Violieren » organisa à Anvers un « Landjuweel », c'est-à-dire un concours de pièces de théâtre et de poésies, auquel prirent part mille huit cent nonante-trois rhétoriqueurs. A cette occasion, Guillaume van Haecht, membre de la Chambre, publia un mémorial avec la collaboration de l'échevin Melchior Schets, seigneur de Rumpst, prince des «Violieren». Le manuscrit contient les décisions prises par la gilde Saint-Luc au sujet des fêtes organisées pour la circonstance, la description de l'entrée à Anvers des différentes chambres de Rhétorique, six dessins originaux de Frans Floris et vingt-neuf blasons des Chambres qui participèrent au concours. grotesques, comme ceux que l'on admire au château d'Ernest de Mansfeld à Clausen (près de Luxembourg), ou à la villa de Granvelle aux portes de Bruxelles, pour laquelle travaille Leone Leoni (39). Les appartements, tendus de tapisseries à sujets mythologiques, empruntent au stuc, aux marbres, aux épaisses boiseries à caissons, une décoration luxueuse et lourde, où les toiles de Bruegel ou de Jérôme Bosch rappellent seules la persistance de l'instinct national. Les traditions de la vieille architecture gothique ne subsistent plus que parmi les maçons et les tailleurs de pierre des métiers, qui, jusqu'au commencement du XVIIe siècle, continueront, avec plus ou moins de bonheur, à en appliquer les recettes. De même que les transformations politiques, les changements de l'art et du goût ont eu pour résultat de refouler les artisans à l'écart. Le nouvel idéal artistique se confine dans les classes supérieures de la société, et la distance est devenue aussi grande entre l'architecte et le maître maçon, qu'entre l'entrepreneur capitaliste et le boutiquier. LA MUSIQUE. — Tandis que, dans les arts plastiques, l'invasion de la Renaissance italienne arrêtait ou modifiait le développement de la Renaissance nationale, la musique belge achevait dans une pleine indépendance la glorieuse évolution commencée au XVe siècle. D'Ockeghem à Or-landus Lassus (f 1594), son dernier et son plus glorieux représentant, elle progresse d'un mouvement continu. C'est qu'elle est tellement supérieure à toutes les écoles rivales qu'elle ne peut songer à leur emprunter. Elle les domine toutes au contraire et, plus encore que les peintres et les sculpteurs, l'étranger se dispute les musiciens belges. Point de chapelle où l'on n'en rencontre; point de prince qui ne tienne à honneur d'en attacher à sa personne, Marie de Hongrie ne cesse d'en fournir à Charles-Quint et, au plus fort des troubles civils, Philippe II chargea encore Marguerite de Parme de lui en envoyer. Mais l'école devait voir s'éteindre son éclat vers la fin du XVIe siècle : elle abandonna aux Italiens, formés par elle, la gloire de créer la musique instrumentale, à laquelle elle ne prit aucune part. Durant sa belle époque, elle n'eut point seulement en commun avec la peinture, la sculpture et l'architecture, la plus exubérante vitalité, elle leur ressembla encore en unissant comme elles, dans une féconde collaboration, les deux populations du pays. L'unité de la civilisation s'accomplit en même temps que l'unification politique. Dans l'histoire de l'art des Pays-Bas se présentent pêle-mêle, associés à la même oeuvre et travaillant de concert dans le même esprit, les Flamands van Orley, Floris, Colyns et Ocke-ghem, avec leurs compatriotes wallons Gossart, Lombart, Dubroeucq et Orlandus Lassus. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 228 fol. 50 v".) Poésie de Marguerite d'Autriche. La Bibliothèque Royale de Bruxelles conserve trois manuscrits (n°8 228, 10572 et 11239) ayant appartenu à Marguerite d'Autriche et communément appelés «Albums poétiques de Marguerite d'Autriche». Le manuscrit 228 renferme plus de soixante poésies (rondeaux, motets, ballades, rédigés en français, en flamand et en latin) célébrant les malheurs conjugaux de la gouvernante : la qualité de l'inspiration incline certains historiens à attribuer â Marguerite la composition de ces soixante pièces. v ' OiirWtJ fournit. Ll V J..» L?... l.+ r-ll" i.-.i, il* «ifc -m* Y»*' Jp ' jvt* p~*tft**rif'/+i f" HW4I J»*' I ,./;v.r«>'. /itvi ■iit j-' -i< «y—» fU-(*>» fr yti !Dia fcat rnibi magna ÉÉÉ quiporcnscft/ etfanctumnoinen cius crftnctumnoincnciiis» fr X>ta feeït nubi m< gnaquipotmseft/ctianctumno* men Ci ms et fanctii nome ne-. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Page d'un magnificat à quatre voix de Roland de Lassus. Le recueil des cinq Magnificats du Patrocinium a été édité à Munich en 1576 par Adam Berg, sous le patronage du futur Guillaume V de Wittelsbach, palatin du Rhin, duc de Bavière. LA LITTERATURE FLAMANDE. - Si puissante dans le mouvement intellectuel et dans le mouvement artistique, la Renaissance n'a influé que très superficiellement en revanche, durant le XVIe siècle, sur la littérature en langue vulgaire. Flamande ou française, celle-ci reste fidèle au passé, et tandis que peintres, sculpteurs et architectes abandonnent la tradition du Moyen Age, elle la continue imperturbablement. Il faut chercher la première raison de ce fait dans le mépris des humanistes pour les idiomes nationaux. C'est dans une langue savante que s'exprime désormais la pensée; la vie littéraire est devenue aristocratique comme la vie artistique, et, dès lors, par la même cause qui fait persister les maîtres maçons dans l'emploi du style gothique au temps de Dubroeucq et des Floris, les écrivains nationaux, descendus au rang d'écrivains populaires, obéissent encore, au temps d'Erasme, aux tendances rhétoricales du Moyen Age finissant. Il suffit, pour s'en rendre compte, de jeter un rapide coup d'oeil sur la littérature flamande de l'époque. Presque tout entière, elle est confinée dans les chambres de rhétorique et, en dépit de la friperie mythologique dont elle s'af- fuble, on ne trouve pas, dans le fatras de ses vers, la moindre trace de l'esprit qui anime les humanistes. Son succès, d'ailleurs, a été très vif au sein de la petite bourgeoisie à laquelle elle s'adressait. Durant tout le XVIe siècle, les chambres de rhétorique, si nombreuses déjà au siècle précédent, se multiplient encore. On en rencontre dans toutes les villes et dans quantité de villages. Dans la Belgique d'alors, elles sont aussi répandues que le sont dans la Belgique d'aujourd'hui les sociétés de chant. Elles ont d'ailleurs perdu le caractère religieux qu'elles avaient présenté à l'origine. Recrutées surtout parmi la petite et la moyenne bourgeoisie, elles apparaissent à la fois comme des sociétés d'agrément, des sociétés littéraires et des sociétés d'enseignement. C'est chez elles que se concentre maintenant l'activité qui a abandonné les « chambres » des métiers. Mais cette activité n'y est plus politique et municipale, elle y devient moralisante et sociale. Si les Zinne-spelen des rhétoriciens abondent en lieux communs de morale courante, ils manifestent, dès les premiers temps de la Réforme, des tendances si hostiles à l'Eglise que le gouvernement finira par les soumettre à la censure, en attendant que le duc d'Albe en interdise la représentation. Dans d'autres circonstances, ils remplissent la fonction qui est aujourd'hui dévolue à la presse. En 1555, à Bruges, les échevins font représenter un Spel van sinne destiné à émouvoir la charité publique en faveur de l'école Bogaerde (40). Au reste, la surabondante production des rederijekers ne trahit pas la moindre inspiration nationale. Elle s'écarte avec dédain de la poésie populaire. Elle tourne le dos à la nature et à la vie. Elle ne fait que ressasser des lieux communs dans une forme savantasse. Elle manque à la fois de sentiment et d'idées, laissant celles-ci aux écrits latins des humanistes et celui-là aux chansons en langue vulgaire dont sa vogue amène bientôt la décadence (41). Le plus connu d'entre les rhétoriciens, Matthijs de Caste-lein, est un petit bourgeois doué d'une certaine verve et frotté d'une vague teinture d'antiquité, mais déclamatoire, prosaïque, pédantesque et écrivant dans une langue farcie de mots français et complètement abâtardie. Si l'on surprend çà et là dans les pièces comiques (Kluchten, esbate-menten) un réalisme de bon aloi, la lecture des Zinnespelen (moralités) est mortellement ennuyeuse. Les « facteurs » à qui était réservé le soin de fournir aux chambres leur répertoire, bâclent leurs pièces sur commande et, faisant fonction tout à la fois d'écrivains et de metteurs en scène, apprennent leurs rôles aux acteurs et dirigent les répétitions. D'ailleurs, on attache au moins autant d'importance à la richesse des costumes et à l'éclat des décors qu'à la valeur des pièces représentées. Lors des Landjuwelen qui, grâce à la prospérité du pays, se multiplient de plus en plus, les chambres rivales cherchent à s'éclipser par l'étalage de leur luxe et la pompe de leur cortège. Du milieu de la littérature factice des rhétoriciens, une seule personnalité se détache avec quelque relief : Anna Bijns. C'est que la passion religieuse a su lui faire trouver, pour défendre l'Eglise attaquée par la Réforme, des accents émus et sincères. Elle dépasse de beaucoup, par la vérité du sentiment et la profondeur de l'émotion, Houwaert et van der Noot qui, dans la seconde moitié du XVIe siècle, jouiront d'une énorme réputation. Avec eux s'annonce une époque nouvelle. L'un et l'autre, en effet, instruits et lettrés, UNE IMPRIMERIE AU DÉBUT DU XVIe SIECLE Miniature extraite des Chants Royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528. Ce manuscrit provient de la bibliothèque des rois de France. Dimensions, avéc l'encadrement, 256 x 185 mm.; sans l'encadrement. 200 x 122,5 mm. (Pans. Bibliothèque Nationale, ms français 1537. fol. 29 v'.) ont cherché à faire pénétrer dans la littérature néerlandaise l'imitation de la beauté classique et se sont inspirés des modèles latins. LA LITTERATURE FRANÇAISE. - Les provinces wallonnes des Pays-Bas ont connu, comme les provinces thioises, les chambres de rhétorique et le goût des spectacles. En 1547, on représentait encore un mystère à Valenciennes. Toutefois, de la poésie bourgeoise qui a dû se développer chez elles comme chez leurs voisines, on ne connaît presque rien. En revanche, on voit la littérature française conserver la faveur de la cour. Jean Molinet, puis Nicaise Ladam prolongent, sous Marguerite d'Autriche, l'œuvre de Georges Chastellain. Mais, comme tous les épigones, ils exagèrent ses défauts. L'éloquence boursouflée, mais réelles, du grand chroniqueur dégénère chez eux en pure rhétorique. Dans ce genre d'ailleurs, Jean Lemaire de Belges (Bavai) éclipsa tous ses émules. Ce Bourguignon du Nord passa, au commencement du XVIe siècle, pour le premier écrivain français de son temps. Il fut l'ornement du cercle de lettrés que Marguerite d'Autriche aimait à rassembler autour d'elle, et à qui elle soumettait les vers et les devises qu'elle s'amusait à composer (42). Mais il fut plus qu'un rhétoricien de cour. Du milieu de son œuvre inégale et heurtée se détachent des pages où la vigueur d'une pensée personnelle et hardie s'exprime sous une forme originale et neuve. Lemaire, mort en 1523, n'a pu connaître les œuvres d'Erasme qu'à la fin de sa carrière. « S'il était né trente ans plus tard, quelles pages nous aurions de lui!» (43). Antérieur au mouvement de la Renaissance, il n'emprunte encore à l'antiquité que sa parure extérieure : il la vénère, il ne s'imprègne point de son esprit. Mais comment expliquer que l'influence des humanistes n'ait point provoqué, à la cour de Bourgogne, un nouvel élan des lettres françaises ? Pourquoi, au moment où la France voit apparaître Ronsard et où l'influence d'Erasme féconde chez elle le génie de Rabelais, les Pays-Bas cessent-ils de donner le jour à des écrivains dignes de ce nom ? Il ne suffit pas d'invoquer ici l'usage exclusif que les humanistes firent du latin. S'il permet d'expliquer que leurs œuvres n'aient point pénétré parmi les rhétoriciens de la bourgeoisie, il ne pouvait pas empêcher, et d'ailleurs il n'empêcha point, les classes supérieures de la société de les lire et de les comprendre. Dans une bonne partie de l'aristocratie lettrée et francisée des Pays-Bas, la connaissance du latin n'était guère moins répandue que celle du français. Comment se fait-il donc qu'à l'activité étonnante à laquelle la première de ces langues servit d'instrument, corresponde la stérilité lamentable de la seconde ? C'est peut-être que le français des Pays-Bas devint, au cours du XVIe siècle, incapable d'expression littéraire. Sans doute, on ne parle que lui à la cour, et les rederijkers, tels, par exemple, Herpener en 1556, ne laissent pas de s'en plaindre; mais pour la plupart de ceux qui le parlent, il n'est qu'une langue apprise, substituée artificiellement à la langue maternelle. Depuis la mort de Charles le Téméraire, l'afflux des nobles bourguignons vers les Pays-Bas a cessé et l'élément germanique s'est largement infiltré dans la haute noblesse, au grand détriment de la pureté du langage. Ajoutez à cela que Marie de Hongrie, élevée à Malines, puis transplantée en Allemagne, n'a pas reçu cette culture toute française dont Marguerite d'Autriche s'est pénétrée à la cour des Valois pendant sa jeunesse. Enfin, si l'on songe que les guerres continuelles de Charles-Quint et de François Ier ont rendu impossible le contact intime avec la France, on comprendra que le français bourguignon du XVIe siècle, même dans la société la plus choisie, ayant perdu la netteté, la souplesse et l'élégance, n'ait pu donner naissance à un mouvement littéraire digne de ce nom. La Belgique se contente de lire les livres de France; ses femmes dévorent les romans français (44), et dès son apparition, l'histoire de Pantagruel sera le livre de chevet de sa haute noblesse (45). Mais si on lit, on cesse d'écrire ou l'on n'écrit, comme le fera Marnix, que sous l'impulsion de la passion religieuse et politique. Dans le pays de Frois-sart, de Le Bel, de Chastellain et de Commines, il n'y a plus de littérature française, et il n'y en aura plus, à cause des troubles religieux, puis de la longue torpeur qui les a suivis, avant que l'on atteigne le XIXe siècle. L'EMPLOI ET L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES. — Toutefois, pendant que la littérature française s'éteint, l'emploi de la langue française, déjà si répandu au Moyen Age, fait de nouveaux et surprenants progrès. Il ne les doit point d'ailleurs à la contrainte. En matière linguistique, le gouvernement se garde des abus reprochés à Charles le Téméraire et, sur ce terrain, du moins, se conforme au Grand Privilège de 1477. Il veille à ce que ses (Cambridge, Pembroke College.) (Cliché Oppenheim.i Page de l'Album amicorum d'Abraham Ortelius. L'Album amicorum d'Ortelius est un manuscrit de 249 folios, composé d'adresses et de poèmes autographes rédigés et signés par les célébrités du temps : Pierre Bruegel, Christophe Plantin, Pluvius, Thierry Coornhert, Jean van der Does, etc. Le folio reproduit ci-dessus est de la main de Philippe Marnix de Saime-Aldegonde et daté d'Anvers, 7 mars 1579. Le correspondant d'Ortelius a dessiné un navire vainquant la tempête, entre un rocher et un dauphin, et sa devise (Repos ailleurs) ; la seconde moitié du folio est occupée par quelques vers en latin, en hébreu, en grec et en flamand. CEKTAEVANGruj QVO CYNOSVRA VOCAT yrn frt wirm !>A> niVA'n TDM rjjrr ?n^sn nyw » '/. «s T>)f vi 13/y Joo :rcojn jdm ojk o %rfm lengM, }r(niu!4<»"» A* A™ 7*r*f J'*ffi,hs't Heu inchrymAns, .„,<•■ AV' iy, -vint ttf ver tnt: (errum /«■ •"» fùbfint'f h':Je-'. '" Ait" 'nlUcirt e- UtrAt; ittrliAUlmtle/tiil. ■/» Ç'tni'i . „ tït Syn yAtiïrif MecntS. mfif». fyA i ■', ./£ X,/. -h- rcj- r^yjf (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Papiers d'Eiai et de l'Audience, n° 1414.) Lettre autographe de Louis de Blois, abbé de Liessies, à Viglius. chef-président du Conseil privé, relative à une visite d'inspection à l'abbaye de Cambron (11 décembre 1554). Depuis sa précédente visite, le correspondant de Viglius a appris que les moines de Cambron « sont demorez jusques à present en une damnable coustume du temps passé », à savoir que le moine préposé à l'office de la messe chantée reçoit, outre la prébende commune, une rémunération en argent et en nature, « lesquelles choses tendent grandement i propriété, laquelle est fort détestable en religion car elle répugne du tout à la profession monastique •. L'enquêteur attire l'attention de Viglius sur la nécessité de mettre à la tête de l'abbaye un prélat capable de réprimer ces abus. Le fonds des Papiers d'Etat et de l'Audience, dont cette lettre est extraite, renferme un grand nombre de documents (enquêtes, rapports, correspondances, etc.) sur la situation matérielle et morale du clergé à l'époque de la Réforme. pourra s'étonner de voir surgir, pendant les années qui précédèrent la Réforme, un véritable mouvement anticlérical. Déjà sous le règne de Maximilien, l'Excellente Chro-nycke van Brabant (15) considère^comme un abus intolérable la présence d'ecclésiastiques dans le gouvernement « car Dieu ne les a pas destinés à cela ». A Bois-le-Duc en 1516, 1517, 1518, à Mons en 1525, les franchises du clergé provoquent des émeutes ( 16). Et l'hostilité du public se manifeste avec d'autant moins de retenue que le gouvernement semble la partager. Tout au moins, si dévoué défenseur qu'il soit de l'orthodoxie, se montre-t-il bien décidé à ne point laisser l'Eglise empiéter sur le domaine de l'Etat. En 1484, 1497 et 1530, défense est faite d'exécuter les bulles pontificales sans le placet de la cour. En 1520, une ordonnance interdit la constitution de nouvelles dîmes; une autre prohibe les transmissions de propriété en faveur des cloîtres, collèges, hôpitaux, etc., si ce n'est avec le consentement du souverain; d'autres encore restreignent la juridiction ecclésiastique ou entravent la prédiction des indulgences. En 1531, on l'a vu plus haut, malgré la répugnance visible du clergé, Charles-Quint laïcise l'organisation de la bienfaisance (17). Où que l'on porte ses regards, on voit donc également s'amoindrir l'influence et le prestige de l'Eglise. Et nulle part peut-être ce mouvement de recul n'est plus frappant que dans le domaine intellectuel. C'est en dehors de l'Eglise, en effet, que se développent les écoles à demi laïques des frères de la vie commune, en dehors d'elle que l'imprimerie débute, en dehors d'elle, enfin, qu'apparaissent les premiers humanistes. Il ne lui reste que les universités, demeurées fidèles à la théologie traditionnelle, mais dont les lettrés raillent impitoyablement les magistri nostri, le mauvais latin, les disputes interminables et la saleté. Ainsi, indifférence des évêques, relâchement dans les monastères, insuffisance et ignorance du bas clergé, hostilité du peuple et de l'Etat, diffusion de l'instruction chez les laïques et isolement des théologiens, tels sont les principaux facteurs qui, au début du XVIe siècle, minent la puissance de l'Eglise. Sans doute, l'édifice tient encore et personne même ne songe à en sortir; mais on n'y éprouve plus cette confiance, cette sécurité, cette paix intérieure que l'on y a goûtées pendant tant de siècles. Si les cérémonies du culte continuent à attirer la foule (18), beaucoup n'y apportent plus qu'une dévotion tout extérieure. Parmi les lettrés comme au sein des masses, le sentiment religieux ou s'affaiblit ou s'émancipe. Les uns persiflent les moines, s'enhardissent à critiquer librement l'Eglise, censurent la papauté, perdent le respect des traditions (19); les autres, en possession de traductions de la bible de plus en plus largement répandus par l'imprimerie, y trouvent un nouvel aliment pour le mysticisme individuel et les méditations solitaires. ATTITUDE DES HUMANISTES. - Le maître des premiers, on le sait à suffisance, ce fut Erasme. Vis-à-vis de l'Eglise, il prit, ce semble, une attitude comparable à celle de Voltaire vis-à-vis de l'Ancien Régime. Si hardis qu'ils aient été, ni l'un ni l'autre, en effet, ne prétendirent rompre ceux des carmélites et des dominicains. Mais adonnés à l'étude de la théologie, occupés de controverses ou enseignant dans les universités, leurs membres ont perdu tout contact avec le peuple et, partant, toute action sur lui. Tout cela n'est rien encore en comparaison du triste tableau qu'offre le bas clergé. Nommés par des abbés négligents ou par des seigneurs chez qui la piété s'est refroidie, la plupart des curés ne sont plus capables de satisfaire aux devoirs de leur ministère. Beaucoup, ivrognes et lubriques, ne valent pas mieux par leur instruction que par leurs moeurs. En 1530, on constate qu'il y a parmi eux une foule de jeunes gens « si peu instruits que leurs paroissiens le sont davantage ». La plupart du temps d'ailleurs, ils ne résident point dans leur cure; ils la cèdent à bon prix à quelque desservant misérable qui, pour vivre, en sera réduit à exploiter ses ouailles et à faire argent de la distribution des sacrements (12). Il se forme ainsi un véritable prolétariat ecclésiastique où abondent les aventuriers, les déclassés et où il n'est même point rare de rencontrer des moines fugitifs. On peut deviner, dès lors, les conséquences d'un tel état de choses. La rapacité de ces malheureux mercenaires dépasse souvent les pires imaginations. Sous Philippe II, à une époque où la situation tend pourtant à s'améliorer, l'un d'eux va jusqu'à menacer un père de déterrer son enfant s'il ne reçoit trois ducats pour frais de funérailles. En 1569, Lorenzo de Villavicencio affirme que beaucoup de desservants sont si ignorants qu'ils ne savent point distinguer entre les doctrines orthodoxes et les hérétiques (13). Dans les « registres de l'Audience » abondent les exemples de prêtres allant à la chasse, se battant jusqu'au sang dans les tavernes, vivant publiquement avec leurs concubines et leurs bâtards. En 1547, le curé Joos Bustermann comparaît devant les échevins de Gand pour léguer sa maison à ses cinq enfants naturels (14). Il n'en fallait pas tant pour discréditer le clergé dans une société où, sous l'influence des humanistes, se répandaient le goût de la science et le désir de mœurs plus affinées et plus élégantes. Et si l'on ajoute à cela que les immunités et les privilèges de l'Eglise avaient fait naître, au cours du XVe siècle, un mécontentement très vif, on ne (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Une étuve (« stove »), bain public, au début du XVIe siècle. Gravure sur bois extraite du Tregement der ghesontheyt, traduction néerlandaise du Regimen sanitatis de Maginus Mediolanensis, Bruxelles, Thomas Vander Noot, 1514, in-Iolio. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms II 1862, fol. 104 r».) « Thomas Morus, chancelier d'Angleterre ». Dessin à la plume extrait des Mémoriaux d'Antoine Succa. Sur le contenu et la valeur de ce manuscrit, voir tome I, page 262. œuvres, le culte des reliques, le célibat des prêtres. Mais que l'on oublie un instant la forme de ses attaques et on les retrouvera toutes dans l'Utopie. Car les Utopiens n'ont pas d'images dans leurs temples, leurs prêtres sont mariés, les femmes même peuvent être prêtres parmi eux. Erasme condamne l'ascétisme et la scolastique. Morus fait-il autre chose ? Erasme ne se lasse point de prêcher la tolérance. Morus fait punir d'exil les intolérants par les Utopiens. Erasme, enfin, veut substituer à la théologie l'interprétation rationnelle des écritures. Morus ne demande-t-il pas à la raison de contrôler les croyances religieuses ? Mais, à vrai dire, ces idées n'appartiennent en propre ni à Morus ni à Erasme. Elles se retrouvent autour d'eux chez la plupart des humanistes et, à tout prendre, elles ne constituent qu'une application à l'Eglise des principes mêmes de la Renaissance (20). Elles forment le programme commun des lettrés, elles alimentent les conversations ou les pensées d'une aristocratie intellectuelle se croyant le droit de tout dire et de tout critiquer, et c'est là sans doute ce qui explique leur audace. Ceux qui y adhèrent ne songent point aux masses profondes du peuple ce n'est pas sur lui qu'ils comptent pour réaliser leur idéal. Assurés de la faveur, non seulement des princes et de leurs ministres, mais de celle du pape et des cardinaux, ils attendent avec confiance la victoire pacifique d'un christianisme rajeuni par la science. Aux colères des moines et des théologiens, ils n'opposent que le dédain de gens sûrs d'eux-mêmes, pleins d'espoir dans le progrès des lumières et conscients de la pureté de leurs intentions. Aussi ne craignent-ils avec le passé. De même que Voltaire conserve l'établissement monarchique, Erasme conserve l'établissement catholique : il ne voulut point être hérétique, ne crut jamais l'être et, en fait, ne le fut pas. Rien ne ressemble moins aux humanistes néo-payens de l'Italie, que ce représentant par excellence de l'humanisme septentrional. Plein de confiance dans la vertu des bonnes lettres, il espère opérer par elles la réforme de l'Eglise, comme il a opéré la réforme de l'Université de Louvain par le Collège des Trois Langues. Son idéal d'un catholicisme rationnel ou, si l'on veut, rationaliste, ne diffère point, en somme, de celui de ses amis anglais, Colet ou Morus, ou de celui de son disciple espagnol, Vivès. Si Erasme s'écarte d'eux, c'est beaucoup moins par le fond des idées que par sa verve polémique, sa raillerie et son persiflage. Mais à y regarder de près, il est visible qu'entre l'Utopia de Morus et le Moriae Encomium, la parenté est aussi grande au point de vue religieux qu'au point de vue moral et intellectuel... et l'on sait pourtant que Morus périt martyr de son attachement à ses convictions catholiques et à l'Eglise. Erasme ne se lasse pas d'attaquer, avec toutes les ressources de l'esprit le plus mordant, la piété extérieure, les (Munich, Staatsgemâldesammlung.) Martin Luther (Eisleben, 1483-1546). Portrait Deint par Lucas Cranach le Vieux en 1532. Inscription : IN SILENTIO ET P SPE ERIT FORTITVDO VESTRA. point d'applaudir aux premières manifestations du protestantisme. Jérôme Busleyden correspond avec Lefèvre d'Etaples, et Erasme soutient, au début, les efforts de Luther. Leur humanisme aristocratique et leur tolérance les empêchent de voir s'approcher la révolution religieuse dont ils ont horreur et dont ils seront les victimes en même temps que l'Eglise. PREMIERS SYMPTOMES DE LA REFORME. — Tandis que l'humanisme s'est développé spontanément dans les Pays-Bas, le pro--testantisme y est arrivé du dehors. On trouve bien encore, au commencement du XVIe siècle, en Hollande, en Hainaut, en Flandre, quelques rares hérétiques se rattachant soit aux Vaudois, soit aux sectes mal connues de la fin du Moyen Age — tels que, par exemple, un certain Herman van Rijswijk qui fut condamné au feu en 1512 à La Haye comme panthéiste et athée (21) — mais entre ces attardés et le mouvement de la Réforme, on ne distingue et il n'a existé en réalité aucun rapport. Il en va autrement, il est vrai, de Wessel Gansfort, mort à Groningue en 1489, et que Luther salua comme un précurseur après avoir lu ses écrits. Mais outre que Luther, désireux d'atténuer la nouveauté de ses doctrines, semble bien avoir exagéré leur parenté avec celles de Gansfort, ce dernier, absorbé dans ses études théologiques, n'exerça aucune action sur le peuple et ne contribua pas le moins du monde à incliner les Pays-Bas vers le protestantisme (22). Mais ne s'y inclinaient-ils pas d'eux-mêmes sous la pression des circonstances ? Le discrédit du clergé, la diffusion de l'imprimerie, les progrès de l'humanisme dans les classes supérieures et les tendances mystiques d'une bonne partie des masses populaires ne préparaient-ils Hmottftltad^diKfctaiidt^Uteibctrubrcrlp^ a S.ZJxolofllc n&igrtro:dufdfln<5 iWdcm lc«oic£>:dliurlo.*fïurn.iv «nie f'Jpc tant vfflc»:fl non m (M corilt dént.Sedrwcrnnmtiic:ritimoiemPe1perc«»Mntttanr. « Docendi tant cbfura. 11 papj nolfrt meneur* tomU 0dieato< ram millet BafiUei.r.jtetn «emere» irc&rtftAcan.caacaiMiofi " opufl lit Bnilitj.r.l^«n:t>cruiap«umn p»remM:«qo pa ipfc fui ai jm jp illla impiflnenircr. ) * «ont» ctîfi « *ipe tel It:qui Jiptcr rmiit pixiait »ert>6 txl m attw ccctriiio pnutM nicrt lubrnt. 4 V?nuiu fit vert» Dnrbûmcodcj rcrraone;cqualc Tel longtu» tfptw tmpendllur rfmto ifc lltl. f Cœôii<>t>iP«n«cirartotlJ.»n«tWjilTlnlnimumrfl:»iMcâ(MJia: Tnnpi>ntpio:ct catmûtutocflcbunf. 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S3egit<«>tfmit£ûc< furftlictjersu ^aclpfen % frcifeît. Jêe&ruckt î>urct> l&an eTL ufft. ÉC>. Xè. XXXÏIIÏ. 1 (Bruxelles, Bibliothëque Royale, Réserve Précieuse.) Luther. Portrait gravé sur le second plat d'une reliure allemande du XVIfi siècle. Le réformateur est entouré de figures allégoriques symbolisant la Foi, l'Espérance et la Charité. Légende : NOSSE CVPIS FAC1EM LVTHERI HANC CERNE TABELLAM SI MENTEM LIBROS CONSVLE CERT ERI. Reliure des (Carmina) des Strozzi poetae pater et /ilius, Venise, Aldus Manutius, avant 1515, in-8o instruction suffisante, ceux que les erreurs de Luther auraient séduits. On voit que c'est bien là dans toute la force du terme une inquisition d'Etat. Seul l'Etat nomme les commissaires chargés de poursuivre l'hérésie, seul il fixe leurs droits et leurs pouvoirs et, par surcroît enfin, il les choisit parmi ses fonctionnaires laïques. L'Eglise n'intervient pas le moins du monde dans cette institution créée pour la défendre C'est que,- aussi imbu des prérogatives de sa souveraineté que fidèle à l'orthodoxie, Charles redoute l'ingérence du pouvoir clérical. Telle qu'il la conçoit, la répression de l'hérésie apparaît comme un service public, comme une opération de police entreprise au nom du prince contre un nouveau genre de délit. Mais le pape n'entendait point abdiquer devant l'Etat et abandonner à l'empereur et à ses agents la défense de la foi. Le 1er juin 1523, au vif dépit de Marguerite d'Autriche et de Charles-Quint, une bulle d'Adrien VI nommait van der Hulst, quoique laïque et par dérogation spéciale au droit canon, « universalem et generalem inquisi-torem et investigatorem » dans les provinces bourguignonnes (41). Désormais, le commissaire de l'empereur devenait inquisiteur pontifical; il cessait d'être l'instrument du prince et, partant, de répondre à la mission qui lui avait été confiée par celui-ci. Si l'on ajoute à cela que l'arrogance et la brutalité de van der Hulst firent tout de suite surgir de dangereux conflits (42), on comprend sans peine que la gouvernante ait profité de la découverte d'un faux commis par lui lors d'un différend avec les Etats de Hollande, pour lui retirer ses pouvoirs. Elle le déposa le 9 octobre 1523, assurée par la mort d'Adrien VI, arrivée le 14 septembre, que cette mesure ne soulèverait à Rome aucune difficulté. Il fallait remplacer, toutefois, l'organisation que l'on venait de détruire, et la remplacer de commun accord avec le pape pour éviter dans l'avenir de nouvelles complications. Sur la proposition du gouvernement des Pays-Bas, Charles se* décida à substituer au commissaire laïque créé l'année précédente, des inquisiteurs ecclésiastiques présentés par lui et nommés par le Saint-Siège. En réalité, il renonçait à son inquisition d'Etat. Clément VII ne pouvait manquer dès lors, d'entrer dans ses vues. Il envoya dans les Pays-Bas le cardinal Laurent Campeggi qui, le 17 juin 1524, dépouillait van der Hulst de la dignité d'inquisiteur apostolique, et nommait à sa place trois inspecteurs nouveaux proposés par Marguerite d'Autriche : Olivier Buedens, prévôt de Saint-Martin à Ypres, Nicolas Houzeau, prieur (Leipzig, Bibliothèque de l'Université.) Frontispice de la première traduction complète du texte de la Bible en langue allemande par Martin Luther. (Edition de 1534 imprimée à Wittenberg par Hans Luft.) des Ecoliers à Mons, et Nicolas Coppin, doyen de Saint-Pierre à Louvain (43). L'antique inquisition épiscopale subsista d'ailleurs à côté de ceux-ci, et les évêques prétendirent même, tout d'abord, les soumettre à leur surveillance. Mais le pape se défiait à bon droit de la mollesse et de la négligence des prélats de cour. En 1525, non seulement il affranchissait les nouveaux inquisiteurs de l'autorité diocésaine, mais il leur conférait le droit de citer devant eux les évêques et d'installer, quand et où ils le jugeraient utile, des inquisiteurs auxiliaires (44). Il voulut même, pendant quelque temps, soustraire à l'influence de l'Etat l'institution qu'il venait de créer d'accord avec lui. Le 12 février 1525, il chargeait l'évêque de Liège, Erard de La Marck, d'exercer « super dicta sancta inquisitione ejusque ministris... superinten-dentiam et auctoritatem » (45). Mais la résistance de Marguerite d'Autriche rendit vaine cette nomination (46). Jusqu'au bout, l'organisation inquisitoriale dans les Pays-Bas devait conserver un caractère mixte, mi-politique, mi-ecclésiastique. A l'exemple de l'empereur, son ennemi le duc de Gueldre (47), comme son allié l'évêque de Liège (48) entamèrent en même temps que lui la lutte contre l'hérésie. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse, fonds des placards.) En -tête du placard de Charles-Quint (« Oordinatien ende statuyten ») en date du 7 octobre 1531. ... om te extirperen ende te verdriven de Lutheraansche ende andere gereprobeerde secten. (Pour extirper et chasser les sectes luthérienne et autres réprouvées), sur la falsification des monnaies et sur la police générale des Pays-Bas. Antwerpen, Willem Vorsterman ende Michiel van Hoochstraeten, 15 November 1531, in-4°). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Jean de Leide, chef de la secte des Anabaptistes de Munster, à l'âge de vingt-six ans. Le portrait est accompagné de la devise de Jean de Leide : ■ Godes Macht is mijn Cracht » (La puissance de Dieu est ma force). Gravure sur bois exécutée en 1535 par Corneille Anthonisz. « pour que tous les bons chrétiens du temps présent et de l'avenir... en regardant ce visage, puissent prendre en horreur les exécrables actions et projets de l'abominable secte des Anabaptistes ■ (op dat aile guede oprechte Christen, nu ende in toecomende tiiden..., dese figuere aensiende, altoos in ghehoecnisse moegen hebben des gruwelcken handels ende voernemens der verderficlicker Wederdoepers Secten voerschreven). Les placards du premier ne le cèdent en rien pour la sévérité à ceux de Charles-Quint et, quant au second, il s'efforçait, dès 1523, d'amener les Etats de la principauté à autoriser la publication de l'édit de Worms. D'ailleurs, moins répandu dans le pays de Liège et dans la Gueldre que dans les provinces bourguignonnes, le protestantisme y fut naturellement combattu avec moins d'acharnement. L'intérêt du conflit se concentre sur les Etats héréditaires de Charles-Quint. Dans cet étroit théâtre, jusqu'à la fin du siècle, l'hérésie et l'orthodoxie se trouveront aux prises, sous les yeux de l'Europe, comme deux duellistes en champ clos. LES PREMIERS SUPPLICES. - C'est là que périrent les deux premiers martyrs de la Réforme. Le 1er juillet 1523, deux augustins d'Anvers, Henri Voes et Jean van Essen, étaient livrés aux flammes sur le grand marché de Bruxelles (49). Ce supplice, par lequel van der Hulst débuta dans sa courte carrière d'inquisiteur, eut le résultat de toutes les persécutions religieuses. Le gouvernement espérait qu'il étoufferait sous la terreur la flamme du protestantisme : il ne fit que l'aviver. Le courage des victimes frappa la foule d'admiration; Luther les chanta dans un de ses plus beaux cantiques et, dès l'année suivante, Erasme constate « que leur mort a fait beaucoup de luthériens » (50). Elle servit cependant à détourner définitivement les hu- HISTOIRE DE BELGIQUE mes d'études. Philippe de Bourgogne, qui a tout d'abord montré aux réformés la bienveillance d'un grand seigneur curieux d'idées nouvelles, les fait poursuivre maintenant dans son diocèse. Ni chez Erasme ni chez les amis d'Erasme, on ne trouve un mot de sympathie pour les malheureux qui viennent de monter sur le bûcher : on leur reproche d'avoir manqué de discretio spi-ritus (53). Mais cette discretio spiritus que les humanistes prisent si haut, le peuple, lui, en manque totalement. Il se porte d'un élan sincère vers cette foi nouvelle pour laquelle on sait mourir. En dépit des placards, les pamphlets luthériens et les traductions de la bible s'enlèvent à mesure que les imprimeries clandestines les multiplient. L'ouvrier à son établi, le boutiquier derrière son comptoir discutent avec leurs clients, sans craindre de se compromettre, la doctrine de la grâce ou. l'efficacité des sacrements. Temmerlieden, metsers sijn ons doctoren nu, Tengieters. pijpers, pinceellekers en [schaliedekkers (54). (Bàie, Oeffentliche Kunstsammlung.) (Cliché Spreng.) David Joris, membre de la secte des Anabaptistes. (Bruges, 1501-Bâle, 1556). Ce peintre sur verre et rhétoriqueur fut considéré par ses sectateurs comme un authentique prophète Portrait peint par Jean van Scorel (Schoorl, 1495-Utrecht, 1562). manistes et les lettrés de doctrines devenues trop périlleuses pour qu'un homme du monde osât encore les professer ouvertement. Désormais, si les amis, d'Erasme continuent à souhaiter une réforme pacifique de l'Eglise, ils se bornent à en parler entre amis et portes closes. Martin Zipaeus recommande à ses correspondants de ne point prendre ouvertement le parti de Luther et de cacher leurs opinions avec le même soin qu'il cache lui-même dans sa bibliothèque les livres du moine allemand. Dorpius se déclare bien décidé à demeurer paisible spectateur de la « tragédie » qui vient de commencer (51). D'ailleurs, la publication du De libero arbitrio (septembre 1524), par lequel leur chef vient de rompre publiquement avec Luther, les met à l'aise et fait s'évanouir leurs derniers scrupules. S'ils réprouvent les supplices, ils ne comprennent rien, en revanche, à l'obstination des protestants. Au milieu des passions religieuses déchaînées, ils continuent de croire que tout pourrait se passer leviter, mansuete ac civiliter (52). Puis les troubles qui viennent d'éclater en Allemagne effraient leur conservatisme de gens de bon ton ou d'hom- Aux représentations des chambres de rhétorique, on applaudit à outrance les moindres allusions aux moeurs du clergé ou aux abus de l'Eglise. A Anvers, dans les ruelles des quartiers populaires, s'organisent des instructions sur l'Ecriture. En 1524, trente-huit artisans sont cités devant le magistrat pour avoir assisté à des réunions de la sorte « in een straetken gheheeten d'Eck-straetken, daer men lesse gedaen ende ghe-interpreterd heeft de heylighe eeuwange-lien... contrarie den gheboden van der keyserlieke majesteyt » (55). Des prêtres, des moines défroqués prêchent les nouvelles doctrines le dimanche dans les prairies autour de la ville (preekers int groen), et, de semaine en semaine, le nombre de leurs auditeurs va croissant (56). Par contre, en 1522, un dominicain est interrompu par des injures au milieu de son sermon; la même année, des femmes arrachent aux inquisiteurs des augustins qu'ils viennent d'arrêter (57); en 1523, une ordonnance constate la diminution significative des aumônes faites aux églises (58); en 1525, des sectaires demeurés inconnus renversent nuitamment des crucifix (59). PROGRES DU LUTHERANISME. - Pendant que le luthéranisme fait d'effrayants progrès à Anvers, où les marchands allemands le répandent de plus en plus, où les Marranos portugais (juifs convertis) le soutiennent par hostilité au catholicisme (60), où le gouvernement, enfin, n'ose agir énergiquement contre lui par crainte de porter un coup mortel à la prospérité du commerce, il gagne des adeptes toujours plus nombreux dans les diverses régions du pays (61). Ils fourmillent surtout à Utrecht, où Willem Dierks, un pauvre cuvelier, doit faire amende honorable en 1525, et dans le comté de Hollande, où le prêtre Jan de Bakker (Pistorius) est exécuté peu après pour s'être marié à l'exemple de Luther. Puis clairsemés dans les autres provinces, aucune d'elles n'échappe pourtant à la contagion. Flamandes ou wallonnes, elles s'ouvrent également à la propagande religieuse dont on constate les effets de 1521 à 1528, à Lille (1521), à Gand (1522), à Berg-op-Zoom (1525), à Courtrai (1525), à Louvain (1526), à Bréda (1526), à Bruxelles (1527), à Maestricht ( 1527), à Valenciennes ( 1527), à Dunkerke (1527), à Tournai (1527) et à Liège (1528) (62). Ainsi ni l'inquisition, ni les placards ne parvenaient à enrayer le mal; il semblait qu'une « commune erreur contre la foi et l'Eglise » (63) fût sur le point d'envahir les Pays-Bas. Il est vrai que l'immense majorité de la population restait orthodoxe, mais elle l'était mollement et ne professait point pour les hérétiques cette haine violente que l'empereur se plaisait à afficher dans son discours de 1531 aux Etats généraux (64). La plupart des fonctionnaires et surtout des magistrats municipaux continuaient de n'appliquer qu'avec une répugnance visible les édits contre les luthériens. Les inquisiteurs surtout étaient l'objet d'une animadversion générale. Ceux qui ne les condamnaient point au nom de la tolérance religieuse voyaient avec inquiétude leur action échapper à tout contrôle et soustraire les accusés à leurs juges naturels. De bonne heure, des protestations s'élèvent contre eux. En 1527, les échevins de Valenciennes sollicitent de la gouvernante le droit d'assister aux procès d'hérésie intentés à leurs bourgeois (65); Lille formule une demande analogue vers 1531 (66), tandis que, plus hardis encore, les Etats de Hollande déclarent que les villes sont suffisamment armées pour reprimer les abus qui pourraient se produire en matière religieuse, attribuent aux désordres du clergé l'agitation dont souffre le pays et proposent de laisser chacun prêcher librement la parole de Dieu (67). Mais plus le pays inclinait à la douceur, plus l'empereur redoubla de sévérité. Il s'était juré d'extirper l'hérésie de ses provinces et, jusqu'au bout, il devait sur ce point demeurer inflexible. Si la situation s'aggravait sans cesse malgré les mesures prises, c'est donc que ces mesures étaient insuffisantes. Et, dès lors, au lieu de renoncer à la lutte, il fallait lui imprimer une nouvelle vigueur et se dépouiller de tous scrupules pour atteindre au but. Le seul tort avait été de se montrer trop clément. Il importait d'agir Sans pitié et de proportionner les châtiments à la grandeur du péril. C'est la mort que le placard du 14 octobre 1529 promulgue avec la même abondance que devaient le faire plus tard les décrets de la Révolution française au temps de la Terreur. La mort pour tous ceux qui discuteront de la foi sans être théologiens, la mort pour ceux qui confectionneront et répandront des images injurieuses pour Dieu, la Vierge ou les Saints, la mort, enfin, pour ceux qui, connaissant des hérétiques, ne les dénonceront pas, tel est le « système draconien, absurde, arttijuridique et cruel dans (Bruxelles, Musée Communal.) (Cliché A.C.1,.1 Portrait d'un prédicant. Attribué à Joos van Clève (vers 1489-1540 ou 1541). sa simplicité» (68) qu'inaugure ce fameux placard (69). A côté de lui, bien entendu, l'inquisition continue à fonctionner, recherchant et examinant les hérétiques, qu'elle livre ensuite au bras séculier s'ils persistent dans leurs erreurs. LES PLACARDS DE 1529-1531. — Le placard de 1529, renforcé encore le 7 octobre 1531 (70), s'il avait été observé à la lettre, eût entraîné une véritable hécatombe de victimes et un amoncellement de ruines. Car, outre la mort, il frappait encore les coupables de la confiscation des biens, et de plus, ne distinguant pas entre les confessions, il menaçait des mêmes peines les orthodoxes et les dissidents. Mais son outrance même ne permit pas de l'appliquer dans toute sa rigueur. Cependant le régime de terreur qu'il fit peser sur le pays entrava très sérieusement l'expansion du protestantisme. Les communautés naissantes se désagrégèrent, les prédicants se cachèrent ou émigrèrent en Allemagne. Personne, d'ailleurs, n'essaya de la résistance. Sujets fidèles du prince, les luthériens avaient toujours évité de prendre à son égard l'attitude de rebelles. Ils se courbèrent sous l'orage, renoncèrent à la propagande publique et ne professèrent plus leur foi n - 14 qu'en secret. Mais, privés désormais d'enseignements religieux par la dispersion de leurs pasteurs, abandonnés à leur interprétation personnelle de l'Ecriture, sortis d'ailleurs presque tous de la petite bourgeoisie ou de la classe ouvrière, partant incapables de discerner entre les doctrines et de conserver intacte celle qu'ils avaient reçue, beaucoup d'entre eux ne devaient pas tarder à passer aux sectes nouvelles qui commencent, vers cette époque, à se répandre dans le peuple. En réalité, l'empereur, en enrayant la marche du luthéranisme, le fit refluer vers l'ana-baptisme, auquel passèrent très rapidement la plus grande partie de ses fidèles. Un nouvel adversaire, plus terrible que le premier, allait bientôt paraître à sa place. LES ANABAPTISTES. — L'agitation produite dans les esprits par la propagande luthérienne n'avait pas été sans agir sur les adeptes, d'ailleurs très clairsemés, que conservaient encore les vieilles hérésies du Moyen Age. En 1525, un certain Coppin, puis après lui Quentin Couturier répandirent dans ies environs de Lille, en Hainaut et jusqu'en Brabant, une sorte de panthéisme populaire (71). A la même époque (1525) un couvreur en ardoises anversois, Loy Pruystinck, fondait une secte de « libertins spirituels » ou « Loïstes », qui furent pendant un instant assez nombreux en Brabant et en Flandre et qui s'inspiraient de tendances manichéennes. Il eut même l'audace de soumettre ses doctrines à Luther, qui le dénonça aussitôt en termes furibonds à la communauté évan-gélique d'Anvers (72). Au reste, il ne faudrait point attacher grande importance à ces mouvements s'ils n'avaient certainement contribué pour leur part à frayer à l'ana-baptisme son chemin vers les Pays-Bas (73). Né dans l'Allemagne du sud au milieu des troubles de la guerre des paysans et également persécuté dès sa naissance par les catholiques et par les protestants, l'anabaptisme s'était développé dans les classes populaires avec une rapidité surprenante. Transporté à Emden par Melchior Hofmann (1529), il gagna presque aussitôt toutes les provinces septentrionales de l'Etat bourguignon et poussa même des ramifications jusqu'à Maestricht et jusqu'en Brabant (74). On possède, dès l'année 1529, des chants d'anabaptistes néerlandais, tout débordants de piété (Hoogstraeten, Eglise Sainte-Catherine.) (Cliché A.C.I..I Arrestation d'un hérétique. Miséricorde des stalles de l'église Sainte-Catherine à Hoogstraeten, sculptée par Albert Gelmers entre 1531 et 1548. Sur l'importance de ces miséricordes, voir p. 193. extatique et dans lesquels, à côté de la description des souffrances qui attendent les purs et d'exhortations à supporter patiemment les supplices, se rencontrent des attaques passionnées contre l'Eglise et ses dogmes (75). A partir de 1531, Amsterdam, où s'est fondée une secte de « Melchioristes », devient le centre d'une véritable prédication anabaptiste. On s'explique aisément ces progrès, si l'on observe que l'anabaptisme, tant par la simplicité de sa théologie que par la nature même du mysticisme dont il s'imprégna sous l'influence de Hofmann, convenait merveilleusement à l'intelligence simpliste et à la naïveté des masses populaires. Ne s'adressait-il point, en effet, aux deux sentiments les plus puissants sur elles, la terreur et l'espoir, en annonçant la fin prochaine du monde et l'arrivée du règne de Dieu ? Mais, dès lors, l'anabaptisme devait nécessairement revêtir un caractère révolutionnaire. Son mysticisme apocalyptique l'obligeait à rejeter tous les principes sur lesquels reposait l'organisation sociale, puisqu'il ne voyait dans cette organisation que l'œuvre du mal et aspirait à son anéantissement. Il repoussait et condamnait à la fois l'Eglise et l'Etat. Plus de prêtres, mais aussi plus de propriété, plus d'armées, plus de tribunaux, plus de maîtres ! Les « justes » et les « purs », éclairés par la parole de Dieu, allaient fonder dans la lumière un monde idéal de vertu, de liberté et de justice, une cité céleste où s'effaceraient toutes les distinctions entre les hommes, où tous les rangs seraient confondus dans l'amour et la charité. Hofmann et ses disciples ne tentèrent point toutefois de réaliser par la violence l'idéal qu'ils rêvaient. Révolutionnaires en esprit, ils ne le furent pas en action. Mais leurs doctrines n'en constituaient pas moins pour l'Etat le plus sérieux péril, et lorsque, vers 1530, il en eut compris la nature et découvert les progrès, le gouvernement entreprit aussitôt contre elles une lutte acharnée. Dès 1531, Marie de Hongrie ordonnait aux Conseils de justice et aux gouverneurs des provinces de rechercher les anabaptistes et de prendre à leur égard toutes les mesures de prudence que requérait la situation (76). Ce fut bien pis quand, deux ans plus tard, en 1533, apparut un nouveau prophète, le boulanger Jan Matthijs de Harlem. Avec lui s'ouvre la crise suprême de l'anabaptisme. C'en est fait de la résignation et de la patience : il ne suffit plus d'attendre le règne de Dieu, il faut l'établir par l'épée, anéantir les méchants, élever par la violence une nouvelle Jérusalem. L'heure de la vengeance a sonné et tout de suite, chez les illuminés que surexcitent les missionnaires de Matthijs, le mysticisme se transforme en folie guerrière. En 1534, ils se soulèvent à Amsterdam et peu s'en faut que la ville ne tombe en leurs mains (77). Mais la société qu'ils menacent unit ses efforts contre eux. Les protestants ne les haïssent pas moins que les catholiques. Les villes, où les échevins n'appliquent qu'à regret les placards contre les luthériens, se montrent impitoyables à l'égard des anabaptistes. C'est qu'avec eux la question religieuse est devenue une question sociale. Leur communisme exaspère et terrorise ceux qui possèdent et ferme leurs coeurs à la pitié. Contre les sectateurs de Matthijs et de Jean de Leyde, une justice expéditive prononce invariablement la mort : le feu ou l'épée pour les hommes, la noyade pour les femmes. Pendant le siège de Munster, où les chefs du mouvement, traqués dans les de niffr der ijpoctljir* Hirick Loofel'o[en[ynrcrflaeghet ou.-» [ijdoc.idrnbûtleiimitMghenjiomienSdUi t- d nrf'e in ffiipoerHr. LtfoicUituui ^liu/ui i-c du^cufmt fffuimMti» lUi^ai*» Mu. (Amsterdam, Rijksmuseum, Pays-Bas, ont été fonder la « nouvelle Jérusalem », les soldats du comte d'Hoogstraeten taillent en pièces les bandes qui se sont mises en route pour rejoindre leurs frères. Au mois de juin 1535, un placard condamne à mort tous les anabaptistes, même ceux qui abjureront leurs erreurs (78). Si les massacres furent moins nombreux dans le Sud des Pays-Bas que dans la Hollande et les contrées voisines, c'est que les sectaires s'y rencontraient plus clairsemés et partant moins dangereux, non point qu'ils y inspirassent une moindre horreur. Nous avons vu plus haut qu'on les bannit d'Anvers dès 1534 sous peine de la vie; en 1535, on y mettait encore leur tête à prix et l'on défendait de vendre le portrait de Jean de Leyde ou des livres qui parlassent de lui (79). La chute de Munster (25 juillet 1535) ne mit pas fin tout de suite à la folie sanguinaire qui s'était emparée de l'anabaptisme. Pendant quelques années, on rencontre encore des fanatiques dont le plus connu est Jean de Batenberg de Vollenhove (dans l'Overijssel) qui fut arrêté en 1537 en Artois et exécuté sur l'ordre de Marie de Hongrie. Plus tard, des sectes d'un caractère mi-religieux et mi-anarchi-que, comme celle que Lorenzo de Villavicencio décrit en 1564, semblent attester la persistance de ce mysticisme révolutionnaire dont Jean de Leyde fut la plus saisissante incarnation (80). Mais ce ne sont là que des phénomènes sporadiques et sans importance. Si les prédications apocalyptiques d'Hofmann se retrouvent encore dans le curieux Wonderboek de David Joris (1542), elles s'y concilient avec le respect des pouvoirs établis et l'obéissance aux princes qui, éclairés par Dieu, déposeront un jour volontairement leurs couronnes. D'ailleurs, la grande majorité des anabaptistes en revint très tôt, après la crise terrible que l'on venait de traverser, à leurs doctrines primitives, auxquelles Menno Simons de Wittmarsum donna une forme nouvelle (81). Depuis lors, ils furent pendant longtemps aussi doux et inoffensifs qu'ils avaient été dangereux un moment. Leurs communautés prétendaient restaurer le christianisme primitif sur la base de l'amour du prochain et de la conscience individuelle sans prières ni sacrements. Néanmoins elles continuèrent de rester en butte à la haine publique, et la persécution déchaînée contre elles ne cessa plus de sévir. En 1566, Guillaume d'Orange lui-même, c'est-à-dire le protagoniste de la tolérance religieuse, proposait à Marguerite de Parme de les expulser des Pays-Bas (82). Autant qu'il est possible d'en juger, les anabaptistes four- Cabinet des Estampes.) La messe des renards : Estampe satirique. « La messe des Hypocrits lesquelles (sic) sont plus fin (sic) que Renarts... » L'officiant, l'acolyte, organiste et chantres sont coiffés d'une tête de renard. Sur la table de l'autel, gardée par un renard et un hibou, une caricature du pape avec la légende S(tmcfus) Judas, les clés de saint Pierre et une bourse bien garnie. Gravure anonyme du XVIe-XVIIe siècle. nirent, jusqu'à la fin du règne de Charles-Quint, la presque totalité des victimes de l'inquisition et des placards (83). Il semble même que, détournée contre ces malheureux, l'impitoyable législation de l'empereur" ait laissé jouir les luthériens d'une tranquillité relative (84). Du reste les supplices ne les empêchèrent point de faire de nouveaux adeptes. Ils se répandirent même dans les provinces méridionales, où le prolétariat industriel des régions manufacturières leur fournit quantité de nouveaux adeptes (85). En 1561, ils avaient des communautés à Anvers, à Tournai, à Ypres, à Poperinghe, à Armentières et à Hondschoote où nous les retrouverons plus tard, au moment de la crise suprême ouverte par l'intervention du calvinisme (86). LE PROTESTANTISME APRES 1535. - Après le placard de 1529 et l'écrasement de la révolte des anabaptistes en 1535, la propagande publique de l'hérésie est entravée dans les Pays-Bas. Les humanistes se sont réconciliés, au moins en apparence, avec l'Eglise et se confinent désormais dans l'érudition pure. Les communautés luthériennes sont dissoutes; les anabaptistes se cachent au sein des masses populaires. Il n'y a plus de prêches, plus de scandales dans les églises, plus d'apostasies retentissantes comme celles de Praepositus ou de Pistorius. D'autre part, l'influence directe de Luther cesse de se faire sentir, depuis que, modifiant son attitude primitive, il a cessé de s'appuyer sur le peuple pour agir de commun accord avec les princes protestants d'Allemagne. Et pourtant le gouvernement sent bien que sa victoire n'est qu'apparente. Si l'hérésie ne se montre plus, elle continue à vivre dans les consciences, comme un arbre abattu, mais non point arraché, auquel ses racines conservent une existence souterraine. Peut-être même est-elle plus dangereuse maintenant qu'elle ne l'a jamais été. Car, HISTOIRE DE BELGIQUE abandonnée par tous ceux qui n'y avaient adhéré que par dilettantisme intellectuel, amour de la nouveauté ou tendances révolutionnaires, elle ne compte plus que des adeptes réellement convaincus, attachés de toute leur âme à la foi nouvelle et prêts, s'il le faut, à lui sacrifier leur vie. D'ailleurs leur religion personnelle ne s'affiche point au dehors; les confesseurs sont infiniment rares parmi eux; ils ne recherchent point le martyre, et ce n'est qu'à la dernière extrémité qu'ils l'acceptent lorsque, découverts et amenés devant les juges, ils se voient contraints de choisir entre la mort et l'abjuration. Respectueux de l'autorité qui les traque, ils se soumettent à ses sentences sans murmurer. Jusque sur le bûcher ils ne profèrent aucune parole de haine, aucun appel à la vengeance. Comme les premiers chrétiens ils meurent les yeux fixés au ciel, en chantant des cantiques, et, comme les premiers chrétiens aussi, ils suscitent par leur douceur et leur fermeté des conversions dans la foule accourue à leur supplice. Leurs « testaments spirituels », ces effusions si sincères et si touchantes qu'ils adressent du fond d'un cachot à leurs familles et à leurs parents, les récits, empoignants dans leur simplicité, qui relatent naïvement leur arrestation, la nuit ou à la table de famille, au milieu des cris et des pleurs de la mère et des enfants, qui décrivent leur résignation, rapportent leur interrogatoire et retracent leurs derniers moments, circulent sous le manteau, renforçant la foi des uns, troublant ou attendrissant les autres (87). Non seulement à Anvers, où fonctionnent quantité d'imprimeries clandestines, mais surtout dans la ville protestante d'Emden, sur la frontière de Frise, la presse les multiplie sans relâche. NOUVELLES MESURES REPRESSIVES. - Et malgré toutes ces précautions, le gouvernement ne parvient pas à en empêcher la diffusion. Ils pénètrent partout, cachés avec des bibles et des recueils de cantiques au fond de la hotte des colporteurs (Calis-cremer), enfouis dans la cale des bateaux ou dans les lourds chariots de marchandises sous les tonneaux et les caisses, dissimulés enfin, dans des ballots d'apparence inoffensive, parmi les serges, les toiles ou les tapisseries. On a recours à tous les moyens pour tromper ou dépister les recherches. Les livres suspects sont pourvus de titres anodins, de fausses approbations de l'autorité ecclésiastique ou tout au moins ne portent ni nom de lieu, ni nom d'auteur, ni marque typographique (88). Aussi les placards ne cessent-ils de restreindre la liberté des imprimeurs et celle des libraires. En 1544, défense est faite d'imprimer sans en avoir obtenu le privilège du gouvernement, de mettre sous presse tout manuscrit qui n'aura pas été soumis préalablement au Conseil privé, de vendre, sauf approbation de l'officier compétent, des livres anonymes ou écrits en langue étrangère (89). En 1546, on impose aux imprimeurs un serment dont la violation sera punie de mort, en même temps qu'on publie le catalogue des seuls ouvrages qui pourront être employés dans les écoles, ainsi que Yindex des livres prohibés, dressé par l'Université de Louvain (90). Comme la liberté de la presse, la liberté de la scène fut abolie. Accoutumées à une indépendance complète, les chambres de rhétorique ne craignaient point d'entremêler leurs Spelen van zinnen d'attaques très violentes contre le clergé, de railleries contre les pèlerinages, le jeûne, le culte des saints ou les indulgences. Les représentations données à Gand en 1539 avaient fait scandale, et dans une pièce jouée la même année à Middelbourg s'étaient révélées des tendances luthériennes (91). Il fallait couper court à un danger que la popularité des spectacles pouvait rendre bientôt menaçant. A partir de 1536, il fut interdit aux rhétoriciens de monter un nouvel ouvrage sans l'octroi de l'échevinage local et l'autorisation des dominicains, et on leur défendit, en 1540, de se permettre des allusions à l'Ecriture et aux sacrements. Il va sans dire que les écoles ne furent pas oubliées. Les édits de 1546 et de 1550 subordonnent leur ouverture à l'autorisation du juge local et du curé de la paroisse, du chapitre ou de l'écolâtre (92). Malgré tout cependant, et quelques soins que l'on prît pour la combattre sous toutes les formes et lui barrer tous les chemins, l'hérésie grandissait sans cesse. Le placard du (Cathédrale de Canterbury.) (Cliché R. Tuck and Sons reproduit avec l'autorisation de Miss Babington, chief authority.) Chapelle du refuge fondée à Canterbury vers 1580 par les descendants des premiers protestants wallons émigrés en Angleterre en 1548. La première communauté protestante des réfugiés du continent fut fondée en 1548 par Jean Utenhove de Gand et par François Perrucel dit de la Rivière, natif d'Orléans. A la fin de l'année 1561, vingt-cinq familles flamandes et hollandaises s'étaient établies à Sandwich. Elles furent bientôt rejointes par des familles wallonnes qui formèrent une communauté séparée au début de 1568. Le premier article de la proclamation lancée par le ministre wallon aux fidèles déclarait that the mynister in the ffrench tongue admytted shall firmely houlde the appostolical doctryne, and observe the order in mynistrenge the sacrements as the minister in the f/lemishe tongue dothe, ail beinge one Churche (que le ministre de langue française maintiendra fermement la doctrine apostolique et observera l'ordre adopté par le ministre, de la langue flamande dans la collation des sacrements, tous formant une Eglise). Les Wallons s'établirent à Canterbury pendant l'été de l'année 1575. Dans la liste des premiers membres de la communauté de Canterbury on relève les noms des familles de l'Arbre, Blanchard, du Castel, Leclerc, Lefebvre, Mounier, Desprez, Robin. Rogier. Leroy, etc. Cette chapelle porte, aujourd'hui encore, le nom de Black prince's chantry (en souvenir du mariage du Prince Noir et de Jeanne de Kent, qui y fut célébré), de Huguenot Chapel ou de Walloon Church 22 septembre 1540 constate que « les sectes maudites et perverses continuent à se multiplier et que la situation va de mal en pis » (93). Pour en venir à bout, il faut donc redoubler de sévérité, et, aux peines anciennes, en ajouter de nouvelles. Désormais, les hérétiques sont proclamés inhabiles à disposer de leurs biens; tous ceux qui négligeront de les dénoncer ou présenteront des requêtes en leur faveur seront traités comme leurs fauteurs et complices; enfin les officiers qui, effrayés par la cruauté des édits, se permettraient d'en adoucir l'application, perdront leur office et seront punis arbitrairement. LES INQUISITEURS. — Il était impossible d'aller plus loin dans la voie de la terreur. Charles avait épuisé tous les moyens dont le pouvoir civil disposait pour le maintien de l'orthodoxie. Et puisque ses efforts demeuraient impuissants, il ne lui restait qu'à se tourner vers les inquisiteurs apostoliques pour les associer plus intimement et plus efficacement à son œuvre. Depuis leur institution en 1524, ceux-ci, en effet, n'avaient point réussi à étendre leur juridiction à tout le pays. Ils n'avaient pénétré ni dans le Luxembourg (94) ni à Groningue, et le Brabant, la plus riche et la plus importante des provinces, avait manifesté à leur égard des dispositions si hostiles que leur action y avait été presque complètement paralysée (95). D'ailleurs, la sévérité des placards soulevait chez eux des scrupules bien compréhensibles. Ils hésitaient à soumettre aux Conseils de justice les pièces des procès qu'ils avaient instruits, et envoyer ainsi à la mort une foule de gens qui, suivant les principes de la juridiction ecclésiastique, n'eussent souvent été passibles que d'une simple pénitence. Il avait fallu les rassurer, en 1544, en obtenant de Paul III un bref qui les autorisait à déposer, en matière d'hérésie, devant les juges laïques (96). Ce bref atteste l'union intime qui va exister désormais, pour la répression de l'hérésie, entre les agents de l'Etat et ceux de l'Eglise. Sans perdre leur caractère apostolique ni cesser d'être nommés par le pape, les inquisiteurs agiront à l'avenir de concert avec l'autorité civile. Dès 1545, l'empereur ordonne d'installer des inquisiteurs spéciaux en Artois, en Brabant, en Flandre, en Hainaut, en Hollande et en Zélande, et les instructions qu'ils reçoivent en 1546 les placent sous le contrôle du gouvernement et leur assignent le rôle d'auxiliaires des magistrats criminels (97). Le placard du 28 avril 1550 introduit de toutes pièces ce nouveau système (98). Non seulement il confirme toutes les pénalités contenues dans les placards précédents, non seulement il exige un certificat de catholicisme de chaque personne venant se fixer dans le pays, mais il assimile les inquisiteurs aux fonctionnaires impériaux et il ordonne à tous les officiers publics de leur prêter main-forte. Pourtant le Brabant et Anvers protestèrent avec tant d'énergie contre ces stipulations qui allaient ruiner le commerce et disperser les marchands, qu'il fallut en adoucir la rigueur et en dissimuler la portée. L'édit promulgué le 25 septembre exempte les marchands étrangers de justifier de leur orthodoxie et ne parle plus des inquisiteurs, dont il remplace le nom par celui de « juges ecclésiastiques » (99). Mais ce ne fut là qu'une concession de pure forme. En réalité, l'inquisition continua de fonctionner sous le contrôle et avec l'appui de l'Etat partout où cela fut possible sans alarmer trop vivement l'opinion. Le 31 mai 1550, Charles-Quint lui donnait de nouvelles (Courtrai, cheminée de l'Hôtel de ville.) (Cliché A.C.L.) La transgression des lois de l'Eglise. Une femme s'éloigne de la chaire de vérité du haut de laquelle un prédicateur dénonce les vices de certains chrétiens. Détail d'un groupe de sculptures de bois illustrant les vertus et les vices (vers 1525). instructions (100) et, en 1555, il prescrivait encore aux huissiers et sergents du Conseil privé, du Grand Conseil de Malines et du Conseil de Flandre, de lui fournir aide et assistance (101). Il se borna, provisoirement du moins, à ne pas l'imposer aux Brabançons, et il feignit même d'ignorer que les bourgmestres d'Anvers n'avaient accepté le placard du 25 septembre 1550 que sous réserve de leurs privilèges, ordonnances, statuts et coutumes. Encore s'étaient-ils abstenus d'assister à sa publication, et le héraut chargé de la lecture de l'édit avait-il eu soin de bredouiller au point que personne n'avait pu en comprendre un seul mot (102). Ce placard du 25 septembre 1550 est le dernier que Charles-Quint ait rendu en matière religieuse. La guerre avec la France, qui éclata peu après et qui remplit les dernières années de son règne, en empêcha d'ailleurs l'application rigoureuse. LES PLACARDS INEXECUTABLES. - A tout prendre, l'empereur échoua donc dans sa lutte contre l'hérésie. Il parvint bien à ralentir le progrès des nouvelles doctrines : il ne réussit pas, malgré tous ses efforts, à les extirper. Et l'on distingue facilement les causes de cet insuccès. La première réside dans la nature même du pays. Il était impossible, en effet, sans ruiner les provinces, de leur imposer dans toute sa rigueur, la féroce législation des placards. Comment garantir cette terre « com- mune à toutes les nations » et qui, de plus en plus, vivait de l'industrie d'exportation et du commerce international, contre l'infiltration d'idées répandues par toute l'Europe ? La civilisation cosmopolite de l'Etat bourguignon était incompatible avec le maintien rigoureux de l'orthodoxie, et l'intransigeance en matière de foi y devait aboutir fatalement à l'anéantissement de la prospérité économique. Guillaume d'Orange le voyait bien lorsqu'il écrivait quelques années plus tard « que les Pays-Bas étant le marché de la chrétienté ne pouvaient faire un monde à part» (103). Mais Charles-Quint lui-même ne manquait point de s'en rendre compte. Si puissants et si sincères que fussent les sentiments religieux qui le poussaient à défendre l'Eglise, pouvait-il leur sacrifier entièrement la richesse de ses sujets de par deçà ? Ne savait-il point que cette richesse constituait la base de son crédit et que sa disparition eût entraîné l'ébranlement de ses finances et partant de sa puissance militaire ? Aussi sa conduite trahit-elle manifestement les hésitations qu'il éprouve entre ses devoirs de catholique et ses intérêts de souverain. Il promulgue les pénalités les plus cruelles, il se montre inexorable dans le texte de ses édits, mais il tolère des tempéraments dans l'application. Par une contradiction significative, il épargne à Anvers, principal foyer de l'hérésie, l'intervention directe de ses agents et y abandonne aux échevins la poursuite des suspects, parce qu'il n'ose y provoquer l'exode des étrangers et la décadence du port et de la bourse. C'est tout au plus s'il lui arrive de temps à autre d'en bannir les Marranos portugais, et encore la fréquence et la contradiction des édits qu'il rend contre eux, attestent-elles leur inefficacité (104). D'autre part il se garde d'indisposer la haute noblesse et lui laisse une complète liberté d'allures. Le Prince d'Orange affirme, en 1567, que du temps de l'empereur, plusieurs gentilshommes luthériens ont toujours résidé dans son hôtel sans être inquiétés (105). Il faut ajouter à cela que l'atrocité même des placards en rendait la stricte exécution impossible. Quelle apparence y avait-il que des échevins condamnassent à mort des malheureux coupables seulement d'avoir lu la bible ou possédé un recueil de cantiques prohibés ou parlé de religion entre amis ? De très bonne foi, la plupart d'entre eux considéraient les édits de l'empereur comme de simples épouvantails destinés à effrayer le peuple, mais qu'il fallait appliquer.avec discernement, en proportionnant les peines à l'importance des délits (106). Il n'y eut guère que les Conseils de justice, placés sous l'influence directe du gouvernement, qui les appliquèrent à la lettre. Quant aux inquisiteurs, ils ne devaient remettre au bras séculier que les hérétiques obstinés. Jusqu'en 1545, ils n'eurent point à s'occuper des contraventions aux placards, et l'on a même vu plus haut qu'ils hésitaient à témoigner devant les juges laïques. LES REFUGIES. — Il faut conclure, en somme, que la situation des hérétiques fut moins terrible sous le règne de Charles-Quint qu'elle ne le paraît à première vue. Seuls les anabaptistes furent traités avec une rigueur impitoyable; quant aux luthériens et aux sacramentaires, ils purent assez facilement échapper en s'abstenant de « scandaliser publiquement» le peuple. On distingue bien, depuis 1527, un certain mouvement d'émigration, qui s'accentua à partir de 1544, sans doute à la suite du renforcement de l'inquisition (107). Des suspects s'enfuirent à Wesel, dans le duché de Clèves, à Emdem, à Francfort, à Cologne, dans le Palatinat (108); d'autres, des Hollandais, se rendirent en Prusse, où le duc Albert cherchait à recruter des colons (109); d'autres enfin se fixèrent en Angleterre et fondèrent à Canterbury, en 1548, la première église du « Refuge » (110). Ce furent là des symptômes inquiétants sans doute, mais qui ne menaçaient point encore la fortune du pays et qui, chose plus étonnante, ne portèrent pas atteinte à la popularité de l'empereur. Il est remarquable, en effet, que même chez bon nombre de protestants, la persécution religieuse ait laissé intact le prestige de Charles. On continua de louer sa douceur et son humanité pour rejeter sur le clergé et surtout sur les moines tout l'odieux des mesures dont il était l'auteur (111). La haine qu'il attisa au fond des cceurs retomba tout entière sur l'Eglise qu'il défendait : il n'eut point à la porter lui-même ! Ne nous exagérons pas, d'ailleurs, l'importance et la force des dissidents qu'il eut à combattre. Si les anabaptistes furent certainement très nombreux parmi le prolétariat des contrées industrielles, s'il y avait beaucoup de sacramentaires mêlés à quelques luthériens dans le pays d'Utrecht et dans les comtés de Hollande et de Zélande (112), si enfin les représentants de toutes les confessions et de toutes les sectes abondaient à Anvers, dans les autres régions du pays on ne rencontre, durant tout le règne, que des hérétiques clairsemés. Sauf aux environs de Lille et de Tournai, les contrées wallonnes furent très faiblement atteintes par les nouvelles doctrines; il ne s'en découvre que peu de traces dans le Namurois, l'Artois, le Luxembourg, le pays de Liège. En Flandre même, quoique plus répandues, elles n'entamèrent point sérieusement la masse de la population. Dans toutes les provinces, la très grande majorité des habitants restait fidèle au catholicisme. En 1554, le jésuite Henri Dionysius admire la piété au moins apparente qui s'y manifeste (113), et, en 1557, Badoero constate qu'à en juger d'après la foule qui se presse le dimanche dans les églises, la religion n'est nulle part aussi florissante (114). Mais déjà se prépare un nouveau péril; la propagande calviniste, vers 1543, atteint les frontières des Pays-Bas et va y déchaîner la crise religieuse dont Charles-Quint n'a vu que le prélude. NOTES (1} Pour l'ensemble des Pays-Bas, il faut se reporter à J. G. de Hoop-Scheffer, Geschiedenis der Kerkhervorming in Nederland van haar ontslaan toi 1531 (Amsterdam, 1873). L'esquisse que je donne ici se rapporte surtout aux Pays-Bas du Sud. On devra la compléter par Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. IV, p. 282 et suiv. (2) H. Dubrulle, Bullaire de la province de Reims sous le pontificat de Pie II, p. 23 (Lille, 1905). (3) W. Heda, De Episcopis Ultrajectinis, éd. A. Buchelius, p. 315 (Utrecht, 1643). (4) Voy. par exemple dans U. Berlière, Les évêques auxiliaires de Cambrai et de Tournai, p. 146 (Bruges-Lille, 1905), la lettre qu'Erasme se permet d'écrire à l'évêque de Tournai à propos de son suffragant. (5) A Liège, en 1516, « pauci viri ecciesiastici existunt quin habeant publice forcarias in domibus suis claustralibus etc. » A. van Hove, Etude sur les conflits de juridiction dans le diocèse de Liège à l'époque d'Erard de La Marck, p. 17 n. (Louvain, 1900). Cf. les autres sources citées au même endroit. (6) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. V, 366, Louvain, 1868), (7) H. Dubrulle, Bullaire de la province de Reims sous le pontificat de Pie II, p. 19. (8) Pour tous ces faits et bien d'autres du même genre, voy. U. Berlière, Monasticon Belge, t. I, (Maredsous, 1897). (9) Gachard, Relation des troubles de Gand sous Charles-Quint, p. 108. (10) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p. XIX. Cf. Ibid., t. I, p. CXXI. (11) U. Berlière, Mélanges d'histoire bénédictine, t. II, p. 58 et suiv. (Maredsous, 1901). (12) Voy. à cet égard les constatations du gouvernement dans Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. IV, p. 287. (13) Gachard,Correspondance de Philippe II, t. II, p. 87, 88. Cf. encore une ordonnance de 1544 dans Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 132. (14) F. de Potter, Gent van den oudsten tijd tôt heden, t. VIII, p. 7 (Gand, 1901). (15) Année 1489. (16) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. IV, p. 57, 75. (17) Voy. plus haut, p. 166. (18) Voy. pour l'année 1517, Pastor, Die Reise des Kardinals Luigi d'Aragona, p. 73. — En 1557, Badoero écrit encore : • Quanto ail' udire i divini uffici non si vede divozione maggiore in altra gente ». Alberi, Relazioni, ire série, t. III, p. 291. (19) Voy. par exemple le livre De la différence des schismes et des conciles écrit par Jean Lemaire de Belges en 1511, violent réquisitoire contre la papauté à laquelle il va jusqu'à reprocher d'avoir imposé aux prêtres le célibat. (20) P. Wernle, Die Renaissance des Christentums im XVI Jahrhundert (Tubingue, 1904). (21) P. Fredericq, Corpus documentorum inquisitionis haereticae pravitatis Neerlandicae, t. I, p. 501 (Gand, 1889). (22) Sur Gansfort, voy. K. Mûller, Kirchengeschichte, t. II, p. 203 (Tubingue, 1902), et J.-F. Beerens, Een leerling van Wessef Gansfort Nederlandsch Archief voor Kerkgeschiedenis, t. IV [1906], p. 135 et suiv. On sait d'ailleurs que ses écrits ne furent publiés qu'en 1522 par les Hollandais Hoen et Rode. (23) O. Clemen, fohann Pupper von Goch, p. 276 (Leipzig, 1896). (24) De Hoop-Scheffer, Geschiedenis der Kerkhervorming, p. 316 et suiv. (25) Sur l'attitude du gouvernement à cette époque, voy. de Hoop-Scheffer, op. cit., p. 82. — Marguerite d'Autriche considéra toujours les dérèglements du clergé qu'elle détestait, comme la cause de la Réforme. Voy. par exemple, son mémoire à l'empereur en 1525, dans P. Fredericq, Corpus, t. V, p. 35 (Gand, 1903), et sa lettre du 24 juin 1525 au magistrat de Malines, dans P. J. van Doren, Inventaire des Archives de la ville de Malines, t. IV, p. 96 (Malines, 1866). (26) Erasme approuve, en 1522, la répression de l'hérésie. P. Fredericq, Corpus. t. IV, p. 130, 161 (Gand, 1900). Mais il était naturellement ennemi des supplices. Ibid., p. 289. (27) C'est aussi l'opinion du dernier historien de Charles, Armstrong, The emperor Charles V, t. II, p. 340. (28) Voy. sur les événements de cette année l'excellent travail de P. Kalkoff. Die Anfânge der Gegenreformation in den Niederlanden (Halle, 1903). (29) P. Kalkoff, Anfânge der Gegenreformation. I, p. 19. Le même, Das erste Plakat Karls V gegen die Evangelischen in den Niederlanden, dans Archiv fur Refor-mationsgeschichte, t. I [1904], p. 280. (30) P. Kalkoff, Das Wormser Edikt in den Niederlanden. dans Historische Viertel-jahrschrift, t. VIII [1905], p. 69. (31) P. Kalkoff, Anfânge der Gegenreformation, I, p. 65, et II. p. 41. (32) Ibid., II, p. 35. (33) P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 88. (34) Ibid., p. 137. (35) P. Fredericq, Corpus, t. IX, p. 83. Cf. P. Kalkoff, Der Inquisitionsprocess des Antwerpener Humanisten Nikolas von Herzogenbusch. Zeitschrift fur Kirchen geschichte, t. XXIV [1903], p. 416. (36) P. Fredericq, Corpus, t. IV, pp. 88, 105. (37) Nombreux exemples dans P. Kalkoff, Anfânge der Gegenreformation, II, p. 17, 27, etc. (38) C'est ce que Philippe II affirmait en 1566 au nonce du pape. Gachard, Les bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 86. (39) P. Kalkoff, Anfânge der Gegenreformation, p. 73. (40) P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 101. — La commission du 23 avril fut com-pletee le 29 (Ibid., p. 116, 115) et le 7 mai (?) (Ibid.. p. 1231. (41) P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 186. (42) Ibid., p. 228 et suiv. (43) Ibid., p. 275. (44) P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 319 (20 mars). (45) Ibid., p. 307. (46) Le 12 avril 1525, elle écrit à Charles « que ladicte commission ne doict estre admise et que nullement du monde n'y debvez consentir ne accorder vostre placet ». Ibid., p. 333. (47) De Hoop-Scheffer, Geschiedenis der Kerkhervorming, p. 440. (48) H. Lonchay, Les édits des princes-évêques de Liège en matière d'hérésie au XVI<* siècle, dans Travaux du cours pratique d'histoire nationale de P. Fredericq, t. I, p. 25 et suiv. (Gand, 1883). (49) Voy. les pièces relatives à cet événement dans P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 191 et suiv. (50) P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 289. (51) Nève, La Renaissance des lettres en Belgique, p. 208, 209. (52) Voy. les paroles de Martin Lipsius dans Nève, La Renaissance, etc., p. 209. (53) Le 31 août 1523, Erasme écrit à Zwingli, à propos du supplice des Augustins d'Anvers : « Quorum mortem an deplorare debeam, nescio. Certe summa et inaudita cum constantia mortui sunt. Scio pro Christo mori gloriosum esse. Nunquam defuit piis afflictio ; sed affliguntur et impii, et noXutexvoç ille, qui se subinde transfigurai in angelum lucis, et rarum est donum discretio spiritus » P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 225. (54) Anna Binjs, Refereinen, p. 30 (Rotterdam, 1875) (55) P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 259. (56) Ibid., p. 378. (57) Ibid., p. 135, 137. (58) Recueil des Ordonnances, 2e série, t. II, p. 293. (59) P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 356. (60) Sur le rôle de ceux-ci voy. Kalkoff, Anfânge der Gegenreformation, I, p. 38. (61) Le 15 mai 1525, Marguerite d'Autriche affirme qu'aucune province n'en est indemne. P. Fredericq, Corpus, t. IV, p. 344. (62) J'emprunte toutes ces dates aux riches matériaux rassemblés dans le Corpus de P. Fredericq, auquel il est inutile de renvoyer en détail pour chacune d'elles. (63) Ce sont les propres termes du placard du 14 octobre 1529. (64) Voy. plus haut, p. 75. (65) P. Fredericq,Corpus, t. V, p. 269. (66) Ibid., p. 38, P. Fredericq date cette pièce de l'année 1525, mais elle est certainement postérieure à la mort de Marguerite d'Autriche (décembre 1530), puisque la gouvernante y reçoit le titre de « reine », qui ne peut s'appliquer qu'à Marie de Hongrie. (67) Registre d'Aert van der Goes, t. I, p. 432. — Même dans une petite ville comme Limbourg, on voit des échevins protester contre les poursuites extraordinaires et réclamer le renvoi des prévenus devant leur juridiction. J. Hashagen, Geschichte der famille Hoesch, t. I, p. 393 (Cologne, 1911). (68) J'emprunte ces expressions à Edm. Poullet, Histoire du droit pénal dans le duché de Brabant, t. II, p. 70 (Bruxelles, 1870). — On se servira utilement, pour la connaissance des lois portées par Charles-Quint contre l'hérésie, du chapitre II (tome II) du livre de Poullet, et de la description populaire mais très exacte de P. Fredericq, De Nederlanden onder Keizer Karel, t. I (Gad, 1885). (69) Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 107; Recueil des Ordonnances, 2e série, t. III, p. 262. (70) Ibid., p. 113 (71) P. Fredericq, Corpus, t. V, p. 94. (72) J. Frederichs, De secte der Loisten of Ant-werpsche libertijnen (Gand, 1891). (73) Sur le soulèvement des anabaptistes, voy. plus haut, p. 78 et suiv. Malgré mes efforts pour exposer ici la question non plus au point de vue politique, mais au point de vue religieux, il m'a été impossible d'éviter certaines répétitions. (74) Sur Melchior Hofmann, voy. F. O. zur Linden, Melchior Hofmann. ein Prophet der Wiedertàufer (Harlem, 1885). (75) R. Wolkam, Die lieder der Wiedertàufer, p. 57 et suiv. (Berlin, 1903). (76) Inventaire des Archives départementales du Nord, t. V. p. 14, 45 (Lille, 1885). (77) Cf. plus haut, p. 78. (78) Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 118. — L'année précédente, le 27 février 1534, l'empereur avait accordé leur pardon à tous les anabaptistes de la Hollande qui se repentiraient dans le terme de vingt-quatre jours. Eug. Hubert, Analyse du registre sur le fait des hérésies, etc. dans P. Fredericq, Travaux du cours pratique d'histoire nationale, t. II, p. 117 (Gand, 1884). (79) Bulletin des Archives d'Anvers, t. II, p. 335. Cf. K. Vos, De doopsgezinden te Antwerpen in de XVI" eeuw. Bulletin de la Comm. Roy. d'Hist., t. LXXXtv [1920], p. 311 et suiv. (80) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. xxvt. (81) Voy. l'article « Mennoniten » de S. Cramer dans la 3» édit. (1903) de la Realencyclopedie fur protestantische Théologie, de Herzog. (82) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. 220, 226, 385 (Bruxelles, 1850). (83) Voy. à cet égard l'analyse du recueil de chants anabaptistes Het offer des Heeren (1562-63) dans Wolkan, Die Lieder der Wiedertàufer, p. 59 et suiv. Le texte de l'Offer des Heeren vient d'être republié par S. Cramer dans la Bibliotheca reformatoria Neerlandica, t. II (La Haye, 1905). — Voy. aussi la liste alphabétique des martyrs protestants néerlandais dressée par les auteurs de la Bibliotheca Belgica dans leur Bibliographie des martyrologes protestants néerlandais (Gand, 1890). Sur 877 martyrs mentionnés, 617 sont des anabaptistes. De ces 877 victimes. 223 moururent sous le gouvernement de Charles-Quint, les autres sous celui de Philippe II. il Kjff ■Àii HISTOIRE DE BELGIQUE (84) Philippe II le constate en 1559 : o Nous entendons que plusieurs [magistrats], tenans peu de compte des dictz luthériens et sacramentaires, font tant seullement quelque debvoir contre les anabaptistes ». Gachard, Documents inédits, t. I, p. 337 Bruxelles, 1833). (85) Ils continuèrent d'ailleurs au moins dans le Nord, à compter des adhérents parmi les classes supérieures. Voy. à cet égard l'étude récente de F. Ritter, Zut Geschichte der Hàuptlinge von Werdum und der taufgesinnten Martyrerinnen Maria v. Beckum und Ursula v. Werdum, dans Jahrbuch der Gesellschaft fur Vaterl. Alter-thiimer zu Emden, t. XV [1905], p. 390 sqq., 504. (86) En 1563 et en 1565, le catholique Cassander publia encore contre eux deux traités De baptismo infantium, et en 1565, le calviniste Guy de Bray les attaqua dans un virulent pamphlet intitulé : La racine, source et fondement des anabaptistes. (87) Voir à ce propos la Bibliographie des martyrologes protestants (mentionnée plus haut), p. 75. Cf. les récits fort vivants de F. de Enzinas, Denkwiirdigkeiten vom Zustande der Niederlande und von der Religion in Spanien, trad. de H. Boehmer, p. 5, 34 (Bonn, 1893). (88) Nombreux détails épars à ce sujet dans la Bibliographie des martyrologes protestants néerlandais. — On imprimait aussi à Anvers des livres protestants pour l'étranger, par exemple la traduction de la bible en anglais par Tyndal, que les marchands de la Hanse transportaient à Londres dans leurs ballots. Hansische Geschichtsblâtter, t. I [1871], p. 155. (89) Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 130. (90) Ibid., p. 135. — L'index fut republié en 1550. Ibid., p. 170. (91) Jonckbloet, Geschiedenis der Nederlandsche letterkunde, t. II, p. 466. (Groningue, 1889) ; Cramer et Pijper, Bibliotheca reformatoria Neerlandica, t. I, p. 275 et suiv. (La Haye, 1903). (92) E. Poul.et, Histoire du droit pénal dans le duché de Brabant, t. II, p. 76. (93) Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 122. (94) J. Frederichs, De inquisitie in het hertogdom Luxemburg, dans J. Frederichs et J.-J. Mulder, Twee verhandelingen over de inquisitie in de Nederlanden (Gand, 1897), p. 102 et suiv., a montré que l'inquisition fonctionna dans le Luxembourg, mais il ne donne pas d'exemples pour le règne de Charles-Quint. (95) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. cxxm. — Pour Anvers spécialement voy. J.-J. Mulder. De uitvoering der geloofsplakkaten en het stedelijk verzet tegen de inquisitie te Antwerpen, dans Twee verhandelingen, etc., p. 1 et suiv. (96) Eug. Hubert, Analyse du registre sur le faict des hérésies, p. 119. (97) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. CXIV; E. Poullet, Histoire du droit pénal dans le duché de Brabant, t. II, p. 94. (98) Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 157. Ce texte est daté du 29 avril, mais il fut promulgué dès le 28 en Brabant. 199) Ibid., p. 186. (100) Placcaeten van Brabant, t. I, p. 41. (101/ Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. cxxi : ordonnances du 31 janvier et du l01' février 1555. Voy. encore (Ibid., p. cxxn) l'analyse d'une lettre aux évêques du 27 janvier 1555. (102) Piot, Chroniques de Brabant et de Flandre, p. 129 (Bruxelles, 1879). Cf. Mulder, Uitvoering der geloofsplakkaten te Antwerpen, p. 5 et suiv. (103) Groen van Prinsterer, Archives de la Maison d'Orange, P'o série, t. II, p. 435, 438 (Leyde, 1835). (104) Liste chronologique des Edits et Ordonnances de Charles-Quint, p. 213 (an. 1537), 225 (an. 1538), 318 (an. 1549), 332 (an. 1550) (Bruxelles, 1885). (105) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. 329. (106) Exemple très intéressant dans Diegerick, Inventaire des archives d'Ypres, t. V, p. 245. (107) A. A. van Schelven, De Nederduitsche vluchtelingenkerken der XVIe eeuw in Engeland en Duitschland in hunne beteekenis voor de Reformatie in de Nederlanden, p. 7 et suiv. (La Haye, 1908). (108) Voy. A. van den Velden, Registres de l'Eglise réformée néerlandaise de Frankenthal au Palatinat (Bruxelles, 1911). (109) B. Schumacher, Niederlandische Ansiedelungen im Herzogtum Preussen zur Zeit Herzog Albrechts, p. 25 et suiv. (Leipzig, 1903). En 1530, Bucer estimait le nombre de ces émigrés à 4000. M. Schumacher montre (p. 32) qu'il y a là une énorme exagération. — D'autres Hollandais s'établirent dans la région de Dantzig. E. Schmidt, Geschichte des Deutschtums im Lande Posen unter polnischer Herr-schaft, p. 315 (Bromberg, 1904). Pour le rôle économique de ces réfugiés, voy. l'intéressant travail de G. Witzel, Gewerbegeschichtliche Studien zur Niederlândischen Einwanderung in Deutschland. Westdeutsche Zeitschrift filr Geschichte und Kunst, 1910. (110) Henne, Histoire du règne de Charles-Quint, t. IX, p. 81 (Bruxelles, 1859); Rahlenbeck, Quelques notes sur les réformés flamands et wallons du XVIe siècle réfugiés en Angleterre, dans Proceedings of the Huguenot Society (Lymington, 1892); W. Cunningham, Alien immigrants to England, p. 137 et suiv. (Londres, 1897); F.-W. Cross, History of the Walloon and Huguenot church at Canterbury (Canterbury, 1898). — En 1550, une seconde église réformée fut fondée à Londres pour les réfugiés des Pays-Bas. Voy. Bibliotheca reformatoria Neerlandica, t. I, p. 423. — En 1545 fut rendu un édit contre les fugitifs. Liste chronologique des édits de Charles-Quint, p. 435. (111) Enzinas, Denkwiirdigkeiten, etc., p. 51, 77. (112) Jusque vers 1550, le mot luthérien fut souvent employé dans les Pays-Bas pour désigner un hérétique non anabaptiste. Mais, en Hollande, la plupart des dissidents étaient des « sacramentaires », plus rapprochés de Zwingli que de Luther. Voy. de Hoop-Scheffer, Geschiedenis der Kerkhervorming, p. 109. Sur les différences que présentaient leurs doctrines avec celles des luthériens, cf. Schumacher, Niederlandische Ansiedelungen im Herzogtum Preussen, p. 149. (113) J. Hansen, Rheinische Akten zur Geschichte des Jesuitenordens, p. 247 (Bonn 1896). (114) Voy. plus haut, p. 196. LIVRE III LES COMMENCEMENTS DE L'INSURRECTION CONTRE PHILIPPE II ■ ifc; -m (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse, Recueil V.H. 26423, planche 14.) Siège de Saint-Quentin (27 juillet 1557). Gravure de François Hogenberg. CHAPITRE PREMIER PHILIPPE II DANS LES PAYS-BAS Philippe ne pouvait plus être pour eux qu'un étranger. Quand bien même son éducation et son caractère ne l'eussent point détaché de ses sujets bourguignons, il n'en eût pas moins été contraint, par nécessité politique, de les subordonner à l'Espagne. Sans doute, il n'a jamais aimé les Belges, dont la liberté d'allures en matière politique et la tolérance en matière religieuse répugnaient à son absolutisme et à son catholicisme intransigeant. Sans doute aussi, son absence perpétuelle à partir de 1559 contribua largement à les indisposer contre lui. Sans doute enfin, son intelligence médiocre, ses hésitations, son incurable lenteur, son goût pour la paperasserie, les petits moyens et les petites intrigues l'empêchèrent de reconnaître à temps les mesures à prendre ou les lui firent prendre maladroitement (2). Tout cela, au fond, n'a joué qu'un rôle très accessoire dans la terrible crise qui éclata sous son règne. Envisager celle-ci comme une insurrection provoquée d'un côté par le despotisme du souverain, de l'au- fA SITUATION AU DEBUT DU REGNE. — En montant sur le trône, Philippe II ne recueillit, on le sait, qu'une partie de l'héritage de son père. La maison de Habsbourg se divisait en deux branches : l'une fixée à Vienne avec Ferdinand, l'autre à Madrid avec Philippe. Réunis pendant le règne précédent, les titres d'empereur et de roi catholique appartenaient désormais à des monarques différents, et ce brusque changement de l'équilibre européen eut sa répercussion immédiate sur l'histoire des Pays-Bas (1). Jusqu'ici, englobés dans les immenses domaines de leur prince, ils ne s'y étaient cependant pas absorbés. Ils avaient conservé presque intacte leur autonomie interne, et, grâce aux séjours fréquents de Charles-Quint à Bruxelles au cours des voyages continuels que lui imposait la situation de ses Etats, ils n'avaient point cessé de voir en lui leur souverain national. Mais, qu'il le voulût ou non, tre par l'ambition de quelques grands seigneurs, c'est se condamner à n'en comprendre ni la nature, ni la portée. Les causes en sont bien plus profondes, et, contre les circonstances qui l'imposèrent, les volontés humaines étaient incapables de prévaloir. C'est qu'en réalité, sous l'opposition de Philippe II et de Guillaume d'Orange, se découvre l'opposition foncière de deux Etats différents de mœurs, de traditions, d'idées et d'intérêts, l'Etat espagnol et l'Etat bourguignon, et que, si grande qu'elle ait été, l'importance des protagonistes du conflit se subordonne à celle des deux grandes forces collectives qu'ils représentent. Eût-il été autre qu'il ne fut, Philippe II ne pouvait main- (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Réserve.) tenir la balance égale entre l'Espagne et les Pays-Bas. Souverain purement espagnol, il devait sans hésitation sacrifier ceux-ci à celle-là, les traiter de parti pris non en Etat distinct, mais en « possession » faite pour servir de point d'appui et de base d'opérations à la puissance espagnole dans le Nord de l'Europe, et partant chercher à leur ravir l'autonomie et l'indépendance. Mais dès lors la catastrophe devenait inévitable. Car, unies par la communauté des intérêts et par l'organisation politique, les dix-sept provinces ne se laisseront point imposer le joug. Constituées en Etat par Philippe le Bon, elles auront la force de résister aux efforts de Philippe II. Elles l'auront d'autant plus que Charles-Quint lui-même a fortifié leur cohésion, les préparant ainsi, sans le vouloir, à affronter son fils. Dès les premiers jours du nouveau règne, la bataille s'engage donc entre l'Etat bourguignon et l'Espagne. Elle ne fait qu'entrer dans une phase nouvelle et décisive avec l'intervention du calvinisme. Mais avant celle-ci déjà les adversaires sont aux prises, et, pendant assez longtemps, leur lutte restera beaucoup plus nationale que religieuse. Charles-Quint avait tout préparé de longue date pour assurer à son fils la possession des Pays-Bas. La convention d'Augsbourg, la pragmatique sanction, la reconnaissance enfin de Philippe par les provinces dès 1549 avaient écarté à l'avance toutes les difficultés qui eussent pu surgir au moment décisif soit dans l'Empire, soit dans l'Etat bourguignon lui-mê-me. Aussi, jamais avènement ne s'accomplit-il dans des conditions plus normales et plus paisibles que celui du prince d'Espagne. Rien de tel ne s'était vu depuis la mort de Charles le Téméraire. Marie de Bourgogne, Philippe le Beau et Charles-Quint n'avaient pris le pouvoir qu'en pleine crise politique ou y avaient été appelés encore enfants par la mort inopinée de leur prédécesseur et avaient dû, avant de régner par eux-mêmes, subir de longues années de régence. Aujourd'hui, au contraire, c'était un souverain de vingt-huit ans, qui, des mains de son père, recevait l'autorité devant les Etats généraux, au milieu d'un élan universel de loyalisme. Et au moment où il la reçoit, la situation politique est aussi rassurante qu'on peut le souhaiter. La trêve de Vaucelles a suspendu les hostilités avec la France. Rien à craindre de l'Empire, où règne Ferdinand d'Autriche, oncle du nouveau souverain. Du côté de l'Angleterre, dont l'amitié est d'autant plus indispensable aux Pays-Bas qu'ils entretiennent avec elle des relations économiques plus actives, le mariage de Philippe avec Marie Tudor garantit une sécurité complète. Ajoutons que la Gueldre et le pays de Liège, qui ont inquiété pendant si longtemps la puissance bourguignonne, sont devenus pour elle un accroissement de force. La première est annexée, et le second a accepté un protectorat qui, sous l'évêque Georges d'Autriche, le soumet entièrement à la Cour de Bruxelles. Ainsi donc, et pour la première fois depuis un siècle, le prince, en prenant possession du trône, n'a point à se préoccuper soit de défendre les Pays-Bas contre l'ennemi du dehors, soit de combattre des révoltés ou des préten- ■n 1/ i i.,^—M—.n-.-- i^—....... ;..-£— .....- r 'U— - ■ ;-*"?tt irrr^-fr^rrr^r 1H.JJI ■^h—im/îi f-f.J .T-lit II Tiff ■■ ■■' — utai«M.«>Ml Timuftm «.T>« i .»■ fUmfttmm "•''—> m.... es JZ^.--"■g^.^^^r-T'-r^.'--- iEEbdEfcS&^EraSb^^ c Investiture des Pays-Bas à Philippe II. Diplôme délivré par Charles-Quint à la réunion de la Diète impériale à Augsbourg le 7 mars 1551. Voici le passage essentiel du dispositif de ce diplôme. Charles-Quint concède en fief à son fils les principautés territoriales relevant de l'Empire : ... in feudum contulimus et concessimus deque illis irpsum Serenissimum-Jilium nostrum suo et praefatorum heredum suorum nomine... conferimus et invëstimus. quicquid in illis tanquam Roma-norum Imperator de jure, aequitate, ac speciali gratia conferre et concedere debemus et possumus; ifa quod praefatus Serenîssimus filius ac Princeps noster Dominus Philippus eiusque ' haeredes antedicti, illa omnia nobis et sacro Romano Imperio, in feudum habere ac pàst obitum nostriim iure feudi tenere, possidere, eisque uti et frui possint et valeant, quemadmodum nos in praesentiarum (pour : praesentibus) tenemus et possidemus et progenitores ac praedecessores nostri tenuerunt et possiderunt, omni impedimento et contradictione cessante, idque iuxta eorundem feudorum naturam, libertatem antiquam ac privilégia Domus Austriae, Burgundiae, Brabantiae, Limburgiaet coeterorumque Dominiorum supra latius specificatorum, quibus (prout rationis est) in nullo derogare intendimus... A ce diplôme était primitivement appendue la bulle d'or impériale dont le revers et les cordelettes ont laissé unfe empreinte sur le parchemin. Signatures autographes de l'empereur et de Nicolas Perrenot, seigneur de Granvelle, père du cardinal et ministre de Philippe II. dants. L'union des dix-sept provinces est accomplie; leurs divers territoires tiennent ferme les uns aux autres et constituent un bloc compact. Tous reconnaissent le même souverain, tous ont adopté, en sa faveur, la même loi successorale, tous, vis-à-vis de l'Empire et de la France, se trouvent dans les mêmes rapports politiques, tous obéissent aux mêmes édits généraux et aux mêmes conseils du gouvernement, tous enfin se considèrent désormais comme les membres distincts mais inséparables du patrimoine bourguignon. Il put sembler tout d'abord que l'on s'entendrait facilement. Car, pendant les premiers temps de son règne, Philippe II s'efforça de ne rien changer au système de gouvernement établi par son père. Charles-Quint et Marie de Hongrie, qui ne s'embarquèrent pour l'Espagne que le 15 septembre 1556, assistèrent à ses débuts et l'empêchèrent sans doute par leur présence de s'abandonner à ces innovations qui marquent presque toujours l'avènement d'un nouveau prince. D'ailleurs, le principal des ministres de l'empereur, Granvelle, restait attaché au fils de son maître, l'aidait de ses conseils et lui faisait comprendre la nécessité de ne point froisser l'opinion publique en cette première rencontre avec ses sujets. Philippe s'abstint donc soigneusement d'apporter la moindre modification aux privilèges des provinces (3). Il n'enleva leurs fonctions à aucun des officiers en charge. S'il fit entrer Granvelle, un étranger, au Conseil d'Etat, il eut soin d'y appeler en revanche les jeunes seigneurs que son père lui avait désignés : le prince d'Orange, le comte d'Egmont, le marquis de Berghes, le comte de Boussu, le sire de Glajon et le lieutenant d'Amont, Simon Renard. L'organisation officielle de la lutte contre l'hérésie ne subit pas de changements : Philippe se contenta de faire republier le placard du 25 septembre 1550 (20 août 1556) (4). Enfin, il choisit, pour remplacer Marie de Hongrie, un prince agréable à la haute noblesse, excellent homme de guerre, libéral et magnifique, dont l'origine comme le caractère attestaient qu'il ne serait point un instrument politique dans les mains du souverain, le duc Emmanuel Philibert de Savoie, auquel, deux jours après l'abdication de Charles-Quint, le 27 octobre 1555, la lieutenance générale des Pays-Bas était confiée (5). (Vienne, Kunsthistorisches Muséum, Waffensammlung.) Armure portée par Philippe II en 1546 pendant la guerre de Smalkade. Œuvre de Desiderius Colman d'Augsbourg dit Helmschmied. (Florence, Galerie Pitti.) (Cliché Alinari.) Philippe II, peint par Titien, vers l'âge de trente ans. Philippe par ta grâce de Dieu Roy de Castille, de Léon, d'Arragon, de Navarre, de Naples, de Sicille, de Mail-lorcque, de Sardaine, des Isles, Indes, et terre ferme, de la mer Occeane, Archiduc d'Austrice, Duc de Bour-goingne, de Lothier, de Brabant, de Lembourg, de Luxembourg, de Geldres et de Milan, Conte de Habsbourg, de Flandres, d'Artoys, de Bourgoingne, Palatin, et de Hayn-nau, de Hollande, de Zélande, de Namur et du Zutphcn, Prince de Zwave, Marquiz du sainct Empire, Seigneur de Frize, de Salins, de Malines, des cités, villes et pays d'Utrecht, D'Overijssel et Groeninge, et dominateur en Asie^ et en Affricque, Intitulé de l'édit sur la levée du centième denier sur les biens meubles et immeubles dans les Pays-Bas (9 septembre 1569), imprimé à Bruxelles la même année par Michel de Hamont (un exemplaire à la Bibliothèque Royale de Bruxelles, Réserve Précieuse, fonds des placards). MALENTENDU ENTRE LE ROI ET LE PAYS. - Et pourtant, on ne répondit à toutes ces avances qu'avec une froideur mal dissimulée. Elles ne réussirent point à gagner au nouveau prince la confiance de ses sujets. Manifestement, on se défiait de lui, et l'on n'avait pas tout à fait tort. C'est que « la manière de donner vaut mieux que ce qu'on donne », et Philippe donnait visiblement à contre-cœur. Tout dans sa conduite démentait les intentions qu'il affichait. S'isolant dans le palais de Bruxelles au milieu d'un entourage exclusivement espagnol, il communiquait si peu avec les seigneurs appelés récemment au Conseil d'Etat que, dès le mois de novembre, ceux-ci pouvaient croire qu'on les y avait fait entrer « seulement pour forme » (6). S'il s'était borné à confirmer les placards contre les hérétiques, il était évident toutefois qu'il ne souffrirait plus la négligence avec laquelle on les avait appliqués jusqu'alors. Le 28 novembre 1555, il renouvelait et renforçait les instructions des inquisiteurs, et, le 30 septembre 1556, il ordonnait aux Conseils de justice d'appliquer impitoyablement l'édit du 20 août, de poursuivre les officiers trop indulgents, de saisir les biens des émigrés pour cause de religion, de surveiller étroitement les rhétoriciens et les chanteurs ambulants, enfin de faire exécuter en secret les condamnés « qui prennent gloire en ce qu'ilz meurent publicquement pour, par leur obstination, tant mieulx povoir attirer les (Madrid, Musée du Prado.) Marie Tudor, deuxième épouse de Philippe II (1516-1558), reine d'Angleterre de 1553 à 1558. Portrait peint par Antonio Moro entre 1553 et 1558. simples gens à leurs dampnables sectes et erreurs» (7). Quelques semaines plus tôt (15 août 1556), il autorisait la Compagnie de Jésus à s'établir en Belgique, bien que le président du Conseil privé, Viglius, l'eût averti de l'hostilité à laquelle cette mesure se heurterait dans les provinces (8). D'autre part, il ne parvenait point à s'attacher le duc de Savoie, qui se rejetait bientôt vers la noblesse, mécontente de son côté de la hauteur dédaigneuse du roi et de l'antipathie qu'il ne parvenait point à lui cacher. Enfin, il est impossible que l'on n'ait pas eu vent d'un projet dont Philippe s'entretint vers cette époque avec ses conseillers intimes, et qui eût consisté à transformer les Pays-Bas en royaume, non point, comme il en avait été question jadis, pour assurer leur autonomie, mais, au contraire, pour les soumettre au régime monarchique pur (9). C'en était assez pour répandre la conviction que le roi désapprouvait dans son for intérieur les mesures qu'on lui voyait prendre officiellement. On sentait qu'il jouait un rôle et qu'il le jouait à contre-cœur, sans y apporter cette sincérité et cette sympathie qui eussent pu lui concilier les esprits. Mais ce qui aggravait surtout le malentendu, c'était l'aversion que les Espagnols inspiraient à toutes les classes de la population. IMPOPULARITE DES ESPAGNOLS. - Si déjà en 1549 la réserve hautaine et la gravité des courtisans qui avaient accompagné Philippe dans le pays avaient choqué l'aristocratie, ce fut bien pis lorsque Charles-Quint eut appelé dans le Nord, en 1553, pour prendre part à la guerre de France, des régiments entiers d'infanterie espagnole. La morgue insupportable de cette soldatesque, qui traitait les provinces en pays conquis et dont l'insolence s'augmentait encore des rancunes laissées dans la péninsule par les exactions des Belges de 1517, eut bientôt fait d'exciter une haine nationale qui devait croître avec les années. Plus ces étrangers étaient redoutables, plus on les détesta. Les Flamands surtout qui, adonnés généralement à l'industrie ou à l'agriculture, professaient une aversion très marquée pour la vie militaire, abominaient de tout leur cœur ces soldats qui se faisaient gloire de n'être que soldats. Avec eux apparaissait un nouveau type d'armée. Ce n'étaient plus de ces mercenaires loués pour une campagne et se battant à prix d'argent soit pour la France, soit pour l'empereur, comme les Suisses ou les Landsknechten que l'on avait connus jusqu'alors : les Espagnols constituaient une milice nationale, pleine de courage, mais pleine aussi d'orgueil et se faisant gloire de mépriser tout autre que son roi. De là à les considérer comme les plus dangereux ennemis des libertés publiques, il n'y avait qu'un pas. Il fut d'autant plus vite franchi que l'on remarquait avec non moins de dépit que de jalousie, la considération témoignée aux soldats castillans par leurs capitaines, par les ministres et par le souverain lui-même. A l'antipathie provoquée par l'opposition des mœurs, s'ajoutèrent donc bientôt des soupçons et des défiances réciproques. Les Belges ne reprochaient pas seulement aux Espagnols leur insolence et leur fainéantise, ils les accusaient encore de comploter contre les institutions du pays, tandis que, de leur côté, les Espagnols affectaient outrageusement d'éviter tout contact avec un peuple dont ils réprouvaient tout autant que le penchant à boire, si choquant pour la sobriété méridionale, l'humeur paisible et les allures indépendantes, et qu'ils se représentaient comme un ramassis d'hérétiques et d'ennemis du roi (10). Déjà fort accusée à la fin du règne de Charles, cette hostilité préparait les plus graves difficultés à son successeur. Dès 1552, des diplomates anglais écrivent que le prince Philippe aura de la peine à se faire accepter dans les Pays-Bas à cause de la haine et de la terreur dont les Espagnols y sont l'objet (11). Et certes le nouveau souverain n'était pas homme à améliorer la situation. Imbu lui-même de tous les préjugés et de toutes les préventions de ses compatriotes, il manquait complètement de la souplesse et de l'habileté qui lui eussent permis de les dissimuler. L'affection, le respect et le dévouement que lui témoignaient les Espagnols renforcèrent encore la suspicion des Belges à son égard, en même temps que, par contraste, elles achevèrent de le détacher d'eux. Tandis que le roi ne s'ouvrait de ses projets qu'à Granvelle, qu'à Ruy Gomez, qu'à Bernardino de Mendoça et qu'à don Juan Manrique, dès le 18 novembre 1555, les seigneurs du Conseil d'Etat exigeaient que toutes les affaires concernant les provinces fussent soumises à leur délibération (12). Ainsi, trois semaines après l'abdication de Charles-Quint, s'accusaient les premiers symptômes d'un inévitable conflit. LE ROI ET LES ETATS GENERAUX. - S'ils ne provoquèrent pas tout de suite une rupture, c'est que les événements politiques obligeaient Philippe II à ménager ses sujets bourguignons. Il fut bientôt évident, en effet, que la trêve de Vaucelles ne durerait pas. Appuyé par le pape, Henri II préparait ouvertement une nouvelle guerre, et, pour la soutenir, il allait falloir demander aux provinces de coûteux sacrifices. Or, la situation financière se présentait sous l'aspect le plus inquiétant. Les énormes dépenses occasionnées par les dernières guerres de Charles-Quint avaient écrasé le pays sous le faix des impôts et des emprunts. La dette flottante, qui se montait en 1554 à 285,982 livres, avait passé à 424,765 en 1555, pour atteindre la somme de 1,357,287 en 1556 (13). On avait engagé le domaine, mis en réquisition le crédit des villes et des Etats provinciaux. Au mois de juillet 1556, ceux de Flandre devaient environ trois millions « et les autres à l'advenant » (14). A la même date, les aides courantes se trouvaient déjà dépensées à 400,000 florins près. En novembre, le duc de Savoie évaluait à 3,909,000 florins les sommes empruntées à intérêt par le gouvernement, et, malgré cela, on devait encore 300,000 florins aux gens de cheval, 601,380 aux piétons licenciés, 766,240 aux bandes d'ordonnance, 620,300 aux garnisons des frontières, sans compter 721,200 florins indispensables pour l'entretien de ces mêmes garnisons, 208,000 pour les travaux de forteresses et 36,800 pour l'artillerie (15). Il était impossible de demander aux banquiers d'Anvers, dont le crédit épuisé chancelait, les avances capables de combler un pareil déficit et d'organiser la campagne. Un seul moyen s'offrait : assembler les Etats généraux, leur dévoiler le péril et solliciter leur appui. Ils furent convoqués à Bruxelles le 1er mars 1556, et le 12, le gouvernement leur demandait la levée du centième denier sur le revenu des immeubles et du cinquantième sur la vente des marchandises. Ces propositions n'avaient aucune chance d'être acceptées. La rupture imminente de la trêve de Vaucelles avait provoqué dans les provinces plus de mécontentement encore que de crainte. Elles savaient fort bien que ce n'était pas à elles, mais à l'Espagne, que la France en avait, et il leur paraissait intolérable de devoir porter le « principal fardeau » d'une guerre qui ne les concernait pas. Ce que l'on n'avait osé dire sous Charles-Quint se proclamait maintenant à haute voix. Et les plaintes se faisaient d'autant plus pressantes et hardies que les Etats généraux se sentaient soutenus par le Conseil d'Etat et par leur nouveau gouverneur. Ceux-ci, en effet, abondaient dans leur sens et allaient jusqu'à déclarer au roi qu'il n'était « point raisonnable » que l'un des pays de Sa Majesté fût foulé doublement par la guerre et par les contributions tandis que l'autre ne se ressentirait de rien (16). Dès le mois de novembre, ils décidaient d'offrir leur démission de commun accord si l'Espagne ne prenait point sa part des charges militaires (17). Dans ces conditions il fallait perdre tout espoir de se concilier les Etats. Ils rejetèrent à l'unanimité les demandes du prince. Leur défiance à l'égard des impôts indirects, qu'il est si facile de transformer en impôts permanents, accentua encore leur mauvais vouloir. Tout ce que l'on obtint d'eux, ce furent des subsides offerts en particulier par chaque province et que Philippe, faute de mieux, se vit contraint d'accepter (18). La campagne qui s'ouvrit sur les frontières de l'Artois pendant les premiers jours du mois de janvier 1557, fut désastreuse pour la France. Quoi qu'on en eût dit, Philippe avait fait venir d'Espagne des sommes importantes. (Florence, Galerie Pitii.) (Cliché Anderson.) Henri II, roi de France. Portrait peint par François Clouet (vers 1510-vers 1572). Il avait obtenu de plus la coopération de l'Angleterre qui, le 7 juin, déclarait la guerre à Henri II. L'armée dont Philibert de Savoie prit le commandement le 15 juillet, et où marchaient côte à côte les Tercios espagnols, des corps anglais, des mercenaires allemands et wallons et les bandes d'ordonnance des Pays-Bas conduites par les plus grands seigneurs des provinces, le prince d'Orange, le comte d'Egmont, le baron de Berlaymont, le duc d'Aer-schot, etc., comprenait l'effectif énorme de cinquante-six mille hommes. Après une pointe en Champagne, elle se rabattit brusquement sur Saint-Quentin, mal défendu par de vieilles murailles et pourvu d'une garnison insuffisante. Coligny parvint à s'y jeter avec quelques renforts et le connétable de Montmorency se porta tout de suite à son secours. Mais il prit mal ses mesures et, le 10 août, attaquées en queue par un mouvement tournant du duc de Savoie, ses troupes lâchèrent pied au milieu d'un abominable désordre et furent taillées en pièces par la cavalerie. Saint-Quentin, bombardé, ouvrit ses portes le 27, puis on s'empara de Noyon qui fut livré aux flammes, on atteignit Chauny, et déjà la bourgeoisie parisienne s'attendant à un siège mettait ses biens en sûreté ou quittait la ville, quand il fallut s'arrêter. L'argent manquait et l'on ne pouvait, faute de ressources, pousser plus avant et affronter l'armée française reconstituée qui s'avançait pour couvrir la capitale. En novembre Philibert licencia l'armée qu'il avait, pour la plus grande partie, dirigée sur le Luxem- Boulogne Ccutibral1 Verdun fttraabouMj Vll'llll." + Difon O* ♦ ** H Venbp Rome OrinpieH Les Etats de Philippe II. maine, qui fournissaient, en 1551, 327,960 livres, trahissaient aujourd'hui un déficit annuel de 18,857 livres. On avait emprunté à intérêt 5,270,380 livres, et l'ensemble de la dette atteignait le chiffre de 9,380,550 livres. Visiblement le roi était aux abois. Son délégué auprès des Etats généraux, Antoine de Lalaing, comte d'Hoogstraeten, ne voyait d'issue que dans le retour à l'impôt indirect vainement sollicité en 1556, ou dans une banqueroute qui eût consisté à rér duire à 5 p. c. les intérêts dus aux créanciers de l'Etat. Malgré l'épuisement de leurs finances, les provinces ne refusèrent pas de s'imposer de nouveaux sacrifices. Mais elles se sentaient maîtresses du terrain, et conduites par le Brabant, elles résolurent de dicter leurs conditions (22). Avant de s'engager à payer, on dressa, pour ainsi dire, la liste des griefs dont on avait à se plaindre et l'on stipula des garanties. Le 26 novembre et le 17 décembre 1557, deux volumineux cahiers de remontrances furent présentés au duc de Savoie (23). A côté de réclamations contre les abus des percepteurs du tonlieu, contre l'exagération du taux de l'intérêt, etc., on y rencontre des propositions singulièrement hardies et visiblement inspirées du souci de maintenir, en face de l'Espagne, l'indépendance nationale. C'est ainsi que les Etats considérant « que le service de guerre par extrangiers a esté de tout temps la ruyne de tous royaulmes et provinces », demandaient que les deux tiers des troupes fussent composés à l'avenir de soldats indigènes, qu'ils émettaient le vœu de voir confier la garde des forteresses et des villes frontières aux chevaliers de la Toison d'Or ou à des seigneurs du pays, qu'ils voulaient enfin que les royaumes d'Espagne, de Sicile, de Milan et de Naples contribuassent, suivant leur importance, aux dépenses militaires, « attendu que la source de la guerre est, pour la plupart, procédée des querelles de leur costé ». Allant plus loin encore, le Brabant n'avait pas craint de protester contre le payement des dettes contractées par le roi, faisant ob- bourg, les autres provinces des Pays-Bas étant « infestées de la peste », tandis que le roi s'appliquait fiévreusement à rétablir ses finances (19). Leur situation n'avait jamais été pire. Dès le mois de juin, l'Espagne s'était résignée à la banqueroute en supprimant les garanties données à ses créanciers sur les domaines de la couronne et en les remplaçant par des rentes d'Etat à 5 p. c. (20). Dans cette détresse, le recours aux Etats généraux s'imposait inéluctable. On les convoqua à Valenciennes (août 1557), d'où ils se transportèrent bientôt à Bruxelles. Ils y siégèrent en permanence, sauf quelques interruptions passagères, jusqu'en mai 1558. Leur lettre de convocation ne cachait point les terribles embarras du gouvernement. Elle avouait que le trésor était à sec, qu'il était impossible de payer les troupes et qu'il faudrait bientôt suspendre les gages des officiers de justice. Elle suppliait les provinces de trouver un remède. Elle leur proposait, enfin, d'activer les délibérations, de conférer à leurs délégués le pouvoir de décider pour elles et de s'entendre directement avec les commissaires royaux (21). C'était leur donner barre sur le prince et elles ne manquèrent pas d'en profiter. Elles commencèrent par refuser de laisser carte blanche à leurs représentants. Puis, à peine réunis, ceux-ci exigèrent la communication de l'état des finances. Il était réellement effrayant. Les revenus du do- (Madrid, Musée Naval.) Galion flamand offert à Philippe II par les nobles des Pays-Bas peu après son accession au trône d'Espagne. server qu'elles ne concernaient en rien le pays et que les Etats ne les avaient point approuvées. Une seule province, la Hollande, souleva la question religieuse en demandant que les pouvoirs des inquisiteurs de la foi fussent limités conformément au droit canon. L'indignation que Philippe II dut éprouver à la lecture de ces réclamations, ne l'empêcha pas d'y faire une réponse bienveillante, sans d'ailleurs s'engager à rien. Il obtint enfin, au mois de mai 1558, une somme de 1,200,000 livres plus un subside annuel de 800,000 livres d'Artois à percevoir pendant neuf années, mais dont 500,000 livres étaient destinées à payer les intérêts et l'amortissement d'un capital de 2,400,000 florins qu'on lui fournit immédiatement. C'était beaucoup moins qu'il n'eût voulu, et encore dut-il consentir à ce que les Etats eussent la recette et l'administration des deniers votés, à ce que leurs délégués assistassent aux « monstres » des gens de guerre, et à ce qu'ils fissent les payements à l'armée. Le 14 mai, l'un des bourgmestres d'Anvers, Antoine van Straelen, était nommé commissaire général et superintendant des dépenses pour les gens de guerre. Cependant les opérations militaires avaient repris pendant que les Etats délibéraient. Le 8 janvier 1558, le duc de Guise surprenait Calais, puis, à l'autre extrémité des Pays-Bas, s'emparait de Thionville. Ces succès furent compensés le 13 juillet par l'éclatante victoire de Grave-lines, où le comte d'Egmont mit en déroute le maréchal de Termes. Mais les besoins d'argent restaient plus pressants que jamais. Philippe II convoqua de nouveau les Etats généraux à Arras pour le 19 août. Il eut beau leur déclarer qu'il avait fait venir de ses autres pays plus de douze millions de florins et que les dépenses courantes montaient à 600,000 florins par mois, on ne consentit point à voter les impôts du centième et du cinquantième auxquels il ne se résignait point à renoncer, et il n'obtint que des subsides, d'ailleurs assez considérables (24). LE MESSAGE DE 1559. - Heureusement, la paix approchait. Une suspension d'armes conclue le 17 octobre 1558 aboutit, le 3 avril de l'année suivante, au traité du Cateau-Cambrésis. Désormais tranquille du côté de la France, Philippe pouvait songer enfin à s'embarquer pour l'Espagne. Toutefois, il était impossible de mettre ce projet à exécution avant d'avoir licencié les troupes et pourvu d'une manière définitive au gouvernement des Pays-Bas. Mais tout cela ne pouvait s'accomplir sans argent et. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles. I Antoine van Straelen, échevin puis bourgmestre d'Anvers (Anvers, 1521-Vilvorde, 1568). Spécialiste des questions financières, Antoine van Straelen fut nommé superintendant des finances par les Etats Généraux en 1558. De 1563 à 1567, il prit position contre Granvelle aux côtés d'une partie de la noblesse et collabora avec Guillaume d'Orange. Arrêté sur l'ordre du duc d'Albe le 9 septembre 1567, il mourut pendant l'instruction ouverte contre lui. Médaille d'argent exécutée par Jacques Jonghelinck (Anvers, 1530-1606) en 1568 Légende: ANTONII. A. STRALE. D(OMIN)VS. DE. MERXEM. ET. DAMBRVGGE - AET(ATIS) XLIIII. Diamètre : 52 mm. IBruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Nicolas Perrenot, seigneur de Granvelle (Ormans, 1486-Augsbourg, 1550). Conseiller au parlement de Dôle (1518), puis conseiller et maitre des requêtes au conseil privé et membre du conseil particulier de Marguerite d'Autriche (1521), Nicolas Perrenot fut choisi par Charles-Quint en qualité de chef-président du conseil privé de Charles-Quint. Il fut chargé par son maitre de plusieurs missions diplomatiques auprès des cours de France et de Danemark. Médaille frappée par Jean Second vers 1540. Diamètre : 62 mm. plus que jamais, l'argent manquait. Une nouvelle aide de 956,000 florins, votée au printemps par les Etats provinciaux, avait été aussitôt dévorée. Les conseillers du roi ne savaient plus où donner de la tête. Granvelle écrivait avec désespoir qu'il voudrait aller prendre de l'or jusque dans les entrailles de la terre, et pourtant il suppliait le roi de tout souffrir plutôt que de s'adresser encore aux Etats généraux (25). Mais si périlleux que pût être un nouvel appel au pays, il n'existait pas d'autre moyen de salut. Le 15 juin 1559, les Etats étaient pour la quatrième fois assemblés à Bruxelles. Avec une insistance qui paraissait plus suspecte à mesure qu'elle se manifestait davantage, ils furent priés de consentir à l'établissement d'un impôt indirect frappé sur le sel, et d'affecter une partie de « l'aide novennale » votée l'année précédente, à l'entretien d'une troupe permanente de 3,000 chevaux. Quelques jours plus tard, et comme les provinces délibéraient encore sur ces propositions, leurs délégués recevaient brusquement l'ordre de se réunir à Gand le 31 juillet. C est que Philippe venait d'arrêter la date de son départ et qu'il voulait, suivant l'exemple de son père, prendre solennellement congé de ses sujets. Le message qu'il fit lire à l'assemblée, le 7 août, exposait que sa présence en Espagne étant devenue indispensable, il se voyait forcé, à grand regret, d'abandonner momentanément « ses bons subgectz des Pays-Bas, la résidence auprès desquelz, si aucunement il luy estoit possible, il y vouldroit continuer jusques au boult de sa vye ». Il promettait de revenir à bref délai et espérait qu'en son absence on prendrait toutes les mesures nécessaires pour assurer le licenciement des troupes étrangères, auquel il avait dépensé déjà plusieurs millions de ducats pris dans ses autres domaines. Il eût voulu, disait-il, nommer comme gouverneur son fils don Carlos, à la place du duc Philibert qui, remis en possession de la Savoie par le traité du Cateau-Cambrésis, se disposait à quitter les provinces. Mais « aulcunes causes et respectz très urgentz » supposant à ce projet, il avait fait choix de sa propre sœur, Madame la duchesse de Parme, connaissant « l'amour et singulière affection que toujours elle a porté au pays de par deçà, comme y ayant esté née et nourrye et sachant les langues d'iceulx ». Il lui conférait donc « tout tel povoir et auctorité que à la feue royne douagière d'Hongrie» (26). Il terminait enfin par les plus pressantes recommandations de maintenir l'unité catholique et de veiller strictement à l'exécution des édits rendus contre les II - 15 (Madrid. Musée du Prado.) Philippe II, peint par Titien vers 1553. ■ Philippus, byder...ghenaden (Godts) Prince van Spaengien, van beyde Sicilien van Jerusalëm, etc. Eertshertoghe van Oistenrijck, Hertoge van Bourgoingnen, etc., Grave van Habsburgh, van Vlaenderen, etc. » Intitulé de la Joyeuse-Entrée de Brabant jurée à Louvain le 5 juillet 1549, d'après le texte imprimé à Cologne avec les deux additions (Gand, le 12 avril 1565, et Bruges, le 26 avril 1565) par Godefroid Hirtzhorn en 1565 (un exemplaire à la Bibliothèque Royale de Bruxelles. Réserve Précieuse, fonds des placards). sectes, vu que « oultre le desservice que Dieu en reçoipt, l'expérience des choses passées monstre que le changement de religion ne se faict sans que joinctement se fasse changement en la république, et que souvent les povres et gens oyseulx et vagabonds prennent ceste couleur pour envahir les biens des riches» (27). On peut considérer ce manifeste, dont tous les termes furent évidemment pesés avec soin, comme le premier exemple de cette politique de dissimulation que Philippe II devait appliquer si fréquemment dans la suite. Il n'était pas exact qu'il se proposât de revenir prochainement « par deçà »; il ne l'était pas davantage qu'il eût songé à confier à son fils le gouvernement des provinces, ni qu'il eût donné à Marguerite de Parme les pouvoirs que Marie de Hongrie avait jadis reçus de Charles-Quint. Quant à ses protestations d'amour pour ses sujets bourguignons et aux regrets qu'il éprouvait, disait-il, à les quitter, on savait depuis longtemps ce qu'il en fallait croire : ils ne touchèrent personne. On s'en aperçut bien par la réponse des Etats généraux. Conçue en termes respectueux, elle trahit pourtant une défiance nettement accusée à l'égard du prince et, sous l'humilité de ses termes, se déguisent mal des dispositions menaçantes. Elle prie le roi « de faire garder les frontières et fortz par subjectz du pays de par dechà et non par estrangers », de casser ou d'employer autre part la gendarmerie étrangère dont on ne peut souffrir plus longtemps « les oultrages et servitudes », de faire administrer enfin les affaires « par advis et conseil des seigneurs de par dechà, comme les très nobles ancestres de Vostre Majesté ont fait de tout temps ». Faute de quoi, elle prévoit pour l'avenir « plusieurs inconvénientz dont l'apparence est très grande » et en rejette d'avance la responsabilité sur le roi (28). Il était impossible de marquer plus clairement, en langage officiel, la prétention d'exclure l'Espagne de toute intervention dans l'Etat bourguignon. Non seulement on affirmait, en invoquant l'exemple de Charles-Quint, la nécessité d'un gouvernement national, mais en réclamant le départ des troupes étrangères, c'était encore l'Espagne que l'on visait. Philippe II avait, en effet, conservé trois mille hommes d'infanterie espagnole dans les Pays-Bas et il se proposait de les y laisser pendant une absence, tout (Paris, Bibliothèque Nationale, ms latin 1429, fol. 1 r°.) Fleurs de lis entourées du collier de l'Ordre de Saint-Michel. Miniature en frontispice aux Heures d'Henri ii. (Cliché A.C.L.) Ruines du château de Poilvache, la plus importante forteresse construite au Moyen Age sur la rive droite de la Meuse. Les origines du château de Poilvache sont mal connues. Assiégé à plusieurs reprises pendant le XIIIe siècle, il changea souvent de propriétaires. Détruit une première fois par les Dinantais (1322), il fut vendu par Jean l'Aveugle au comte de Namur, Guillaume Ier (1342). Ruiné une nouvelle fois par les Liégeois sous Philippe le Bon, le château connut, au début du règne de Philippe II, un sort identique à celui de beaucoup d'autres forteresses de la vallée de la Meuse : ses derniers murs furent abattus à coups de canon par les compagnies franches d'Henri II (1554). à la fois pour surveiller les frontières et pour soutenir au besoin la nouvelle gouvernante. Il avait espéré les faire accepter par l'opinion publique en les plaçant sous le commandement des deux seigneurs les plus influents et les plus populaires du pays, le prince d'Orange et le comte d'Egmont. Mais les Etats ne voyaient dans ces troupes qu'une garde prétorienne menaçante pour les franchises et l'autonomie du pays. L'hostilité qu'elles soulevaient était si violente qu'Orange avait refusé, pour ne point se compromettre, d'en accepter le commandement et qu'il n'avait cédé enfin que sur les instances du roi. Manifestement Philippe II attachait la plus grande importance au maintien de ses fidèles Espagnols dans les provinces. Il ne se dissimulait point qu'en les rappelant il laissait le champ libre à une opposition dont les réclamations lui faisaient clairement connaître les tendances. Mais comment soulever un conflit sur le point de s'embarquer ? En dépit de son irritation, il capitula. Dans une réponse assez sèche, et dont le style contraste d'une manière significative avec les effusions du message lu devant les Etats quelques jours auparavant, il protesta qu'on lui prêtait « sinistrement et contre vérité » des intentions qu'il n'avait pas, excusa les Espagnols des violences qui leur étaient reprochées, violences inévitables « quelle que puisse estre la nation des gens de guerre que l'on veult entretenir », affirma d'ailleurs qu'il n'avait jamais songé à les laisser en permanence dans les Pays-Bas, mais enfin, et sans cacher le vif mécontentement qu'il en éprouvait, promit de les rappeler dans trois ou quatre mois au plus tard (29). LE ROI ET LA NOBLESSE. — S'il crut devoir céder si promptement, c'est qu'il n'ignorait pas que les mécontents étaient soutenus par la noblesse et qu'il se voyait dans l'impossibilité de rompre avec celle-ci. Pour se la concilier, il venait précisément de lui confier la haute administration du pays. Il avait maintenu, en effet, dans le Conseil d'Etat organisé auprès de la gouvernante, le prince d'Orange, le comte d'Egmont et le sire de Glajon; il avait partagé entre les seigneurs les plus influents tous les gouvernements provinciaux (30). Et au lieu de lui marquer la reconnaissance ou tout au moins la déférence sur laquelle il comptait, la haute aristocratie ne craignait pas de faire obstacle à ses desseins ! Il en ressentit un amer dépit, qu'il exprima quelques jours plus tard, en termes véhéments, devant le prince d'Orange (31). Obligé de sacrifier aux réclamations du pays une bonne partie de ses projets, il eut du moins la satisfaction de ne pas quitter la Belgique sans avoir pris des mesures énergiques pour résoudre la question qui, à ses yeux, primait toutes les autres, c'est-à-dire la question religieuse. Au mois de juillet, dans un chapitre de la Toison d'Or, il avait surpris l'assemblée en lui demandant la promesse de veiller à la répression des délits commis contre la foi et en lui rappelant que les statuts de l'ordre imposaient à ses membres l'obligation d'entendre la messe chaque jour (32). Le 8 août, le jour même où il avait reçu la remontrance des Etats généraux, il adressait aux évêques une circulaire fixant minutieusement leurs devoirs, et, comme l'eût fait une instruction pastorale, leur prescrivant d'adopter pour l'enseignement religieux le catéchisme employé dans les Etats de l'empereur, de l'alléger cependant de ses longueurs et de sa prolixité et de le faire traduire, ainsi remanié, en français et en flamand (33). A la même date, le Grand conseil de Malines et les Conseils de justice provinciaux recevaient l'ordre d'appliquer les placards dans toute leur rigueur, de ne pas sévir seulement contre les anabaptistes, mais aussi contre les luthériens et les sacramentaires, de se bien convaincre que, (Bruxelles. Archives du Royaume de Belgique, collection des moulages, n° 7411.) Moulage du grand sceau de majesté de Philippe II. Assis sur son trône, le front couronné, tenant le glaive de la main droite et le sceptre de la main gauche, le roi est accosté à dextre et à senestre des armoiries de ses Etats Légende : PHILIPVS D(EI). G(RATIA). REX. HISPAN(IAE). ANGL(IAE). FRANC(IAE). VTR(IVSQUE). SICILIAE. ET. ARCHID(VX). AVSTR(IAE). DVX. BVRG(VNDIAE), BRAB(ANTlAE). ETC. COMES. FLANDR(IAE). ETC. Le sceau original pendait à un acte de 1566 conservé aux archives communales de Tournai détruit en mai 1940. si impitoyables qu'ils fussent, les châtiments édictés contre l'hérésie répondaient strictement à la volonté du prince, enfin de ne point se borner à poursuivre les sectaires, mais de faire châtier par les magistrats des villes tous ceux qui n'observaient point les jours de fête et de jeûne ou n'assistaient pas régulièrement aux offices (34). Cependant les plans du roi allaient bien au delà de ces recommandations. Il avait résolu de remanier complètement l'organisation ecclésiastique du pays. Il venait d'obtenir du pape la création de quatorze nouveaux évêchés et d'une université à Douai, et les dernières mesures qu'il prit avant son départ se rapportent à l'organisation de ces réformes si pleines de périls pour l'avenir (35). LE DEPART DU ROI. — Il s'embarqua à Flessingue le 25 août 1559, et avec lui disparut le dernier souverain des Pays-Bas qui, avant l'époque contemporaine, ait encore résidé dans les provinces (36). Désormais, ni rois d'Espagne ni empereurs d'Autriche ne devaient plus s'y montrer. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, l'Etat bourguignon allait être gouverné de Madrid, puis de Vienne, abandonné à des régents, traité enfin par les successeurs de ses princes comme un domaine étranger dont ils porteraient les titres et placeraient les armoiries sur leur écu, mais sans s'intéresser à son sort autrement que par des considérations de politique internationale ou des combinaisons dynastiques. Et sans doute cette absence perpétuelle dont Philippe II légua l'exemple à ses descendants, contribua pour sa part à faire éclater la révolution que l'on voit poindre dès les débuts du règne, mais nous en avons dit assez déjà pour montrer qu'elle n'en fut pas la cause, et que le choc ne pouvait être évité. Inauguré sous les auspices les plus favorables, le nouveau gouvernement, après moins de quatre ans d'exercice, avait fait surgir entre le roi et ses sujets une insurmontable défiance. Philippe avait vu, à toutes ses mesures, répondre ou le mauvais vouloir ou des protestations formelles. Et ce qui donnait à la situation une gravité particulière, c'est qu'il devait se croire, de très bonne foi, victime d'une hostilité systématique, d'une sorte de conspiration dirigée contre sa personne. Ignorant le caractère, les besoins et les aspirations de ses sujets de par deçà, il s'imaginait leur avoir fait une concession exorbitante en leur laissant les institutions dont ils avaient usé sous son père. Si maladroitement qu'il s'y fût pris, il s'était cependant efforcé de gagner leur bienveillance; il avait même été aussi loin dans cette voie que pouvait le faire un roi d'Espagne. Il ne comprenait point et il ne pouvait comprendre que les Pays-Bas exigeaient leur autonomie complète. La demande du retrait des troupes espagnoles lui apparaissait comme une preuve évidente de déloyauté et d'insubordination. Il y avait consenti en paroles, se promettant en secret de revenir sur sa promesse. Il partait plein de rancune et d'inquiétude, se défiant du Conseil d'Etat, des gouverneurs provinciaux, de la noblesse, ne comptant que sur Marguerite et sur Granvelle, qu'il laissait auprès d'elle comme conseiller intime. L'avenir lui apparaissait à bon droit sous les couleurs les plus sombres. Il l'était d'autant plus que la mort de Marie Tudor (17 novembre 1558) venait non seulement de le priver de l'appui de l'Angleterre qui, en son absence, eût pu contenir les Pays-Bas, mais encore de faire passer ce royaume à une reine hérétique et dans laquelle il pressentait l'un de ses plus redoutables adversaires. NOTES (1) C'est le grand mérite de Gossart, L'établissement du régime espagnol dans les Pays-Bas, p. xi et suiv. (Bruxelles, 1905), que d'avoir fort bien mis en lumière l'importance de cette question. (2) Pour le caractère de Philippe, voy. Ch. Bratli, Philippe II, roi d'Espagne, Etude sur la vie et sur son caractère (Paris, 1912). (3) E. Poullet, Histoire de la joyeuse entrée de Brabant, p. 336 (Bruxelles, 1862). (4) Placcaeten van Brabant, t. 1, p. 45. (5) Gachard, Le duc Emmanuel Philibert de Savoie, gouverneur général des Pays-Bas, dans Etudes et Notices, t. III, p. 9 (Bruxelles, 1890). La nomination de Philibert avait été dictée par des considérations de pure politique extérieure. On l'avait choisi comme ennemi de la France. (6) Gachard, Des anciennes assemblées nationales de Belgique, dans Revue de Bruxelles, décembre 1839, p. 30. (7) Bulletin de la Commission Royale d'histoire, 2e série, t. XI [1858], p. 234. (8) A. Cauchie, Notes sur quelques sources manuscrites de l'histoire belge à Rome, Ibid., 5e série, t. II [1892], p. 160. (9) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 143. Cf. Gossart, Projets d'érection des Pays-Bas en royaume sous Philippe II, dans Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, Classe des lettres, 1900, p. 558 et suiv. (10) Sur cette antipathie réciproque, voy. Morel Fatio, Etudes sur l'Espagne, p. 239 et suiv., et Gossart, Etablissement du régime espagnol dans les Pays-Bas, p. 12 et suiv. (11) E. Gossart, Etablissement, etc., p. 192. (12) Gachard, Anciennes assemblées nationales, loc. cit., p. 30. (13) R. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. II, p. 66. (14) Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 2* série, t. VIII [1856], p. 120. Voy. encore le Registre de van der Goes, t. IV, p. 133. (15) Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, loc. cit., p. 129 (16) Ibid., 2e série, t. VIII [1856], p. 128. (17) Ibid., p. 132. (18) Sur ces Etats voy. surtout le Registre de van der Goes, t. IV, p. 245 et suiv., 290. (19) Sur cette campagne voy. E. Marcks, Gaspard von Coligny und das Frankreich seiner Zeit, t. I, p. 103 et suiv. (Stuttgart, 1892); Lavisse-Lemonnier, Histoire de France, t. V, 2e partie, p. 169 et suiv. (Paris, 1904) ; Rachfahl, Wilhelm von Oranien, t. I, p. 221 et suiv., et H. Vander Linden, dans la Biographie Nationale, t. XXI, vo Savoie. (20) R. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, t. II p. 154. (21) Gachard, Assemblées nationales, loc. cit., p. 10. Sur ces Etats, voy. le Registre de van der Goes, t. V, p. 201 et suiv., et la relation imprimée dans le Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 3e série, t. VIII [1866], p. 297 et suiv. — J'ai emprunté de plus quelques renseignements au ms. 327 de la collection des Cartulaires et Manuscrits aux Archives générales du Royaume à Bruxelles. M. Rachfahl, qui a consulté également ce document, a imprimé d'après lui le texte d'un projet brabançon relatif à l'aide novennale (Wilhelm von Oranien, etc., t. I, p. 633). Lire aussi (ibid.. p. 637), l'instruction pour Antoine van Straelen, tirée des Archives communales de Gand. (22) Granvelle s'était bien douté de ce qui se passerait et avait fortement déconseillé au roi de convoquer les Etats. Vov. Gossart, Etablissement du régime espagnol, p. 36. (23) Rachfahl, Wilhelm von Oranien, t. I, p. 556 et suiv. (24) Gachard, Assemblées nationales ,loc. cit., p. 21 et suiv. (25) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 182. (26) Marie de Hongrie était morte le 18 octobre 1558 en Espagne. (27) Gachard, Documents inédits, t. I, p. 313. (28) Ibid., p. 323. (29) Ibid., p. 326. (30) Voy. leur liste dans Marx, Studien zur Geschichte des Niederlândischen Aufstandes, p. 18 et suiv. (31) D'après une lettre écrite par Orange en 1576, le roi lui aurait dit o que si los estados no tuviessen pilares, no hablarian tan alto ». Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. III, p. 147 (Bruxelles, 1851). (32) E. Gossart, L'établissement du régime espagnol, p. 51. (33) Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 3e série, t. IX [1867], p. 300. (34) Gachard, Documents inédits, t. I, p. 332. (35) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 185. (36) Si l'on ne tient pas compte d'Albert et d'Isabelle, que l'on peut considérer à peine comme des souverains. Hôtel du cardinal de Granvelle à Bruxelles, du côté des jardins. En 1549. Granvelle fit édifier dans la rue des Sols un magnifique palais de style Renaissance. L'œuvre, dont les plans sont attribués à Sébastien Van Noye, architecte de Philippe II, fut achevée en 1555. Le 13 mars 1564, Philippe II rappelait Granvelle à Madrid. Dès lors, l'hôtel du cardinal connut des vicissitudes diverses. Saccagé par les calvinistes en 1579, la • Maison de Monsieur d'Arras • devint l'habitation de Charles de Lorraine, duc d'Aumale (1605), puis du comte d'Isembourg, du prince de Chimay et de Pierre Roose, chef-président du Conseil Privé (vers 1660). Démembré à la mort du neveu et héritier de Roose (1700), l'hôtel servit tour à tour de bureaux au Conseil privé et au Conseil des finances (1773), d'hôpital militaire et de magasin d'équipement (sous le régime français), d'école de musique, d'académie de peinture, de sculpture et d'architecture (1827) jusqu'au jour où l'Université Libre de Bruxelles prit possession des locaux (1842). L'ancien hôtel de Granvelle a été démoli il y a une vingtaine d'années. Gravure extraite de P.-J. Goetghebuer : Choix des monumens (sic), édifices et maisons les plus remarquables du Royaume des Pays-Bas, planche XXXII. Gand, 1827, grand in-folio. CHAPITRE II MARGUERITE DE PARME ET GRANVELLE LES NOUVEAUX EVECHES fARGUERITE DE PARME. - En 1521, pendant le siège de Tournai (22 octobre au 11 décembre), Charles-Quint avait établi ses quartiers à Audenarde. Jeanne van der Gheynst, fille d'un tapissier du village voisin de Nukerke, lui plut (1). Quelques mois plus tard, elle mettait au monde une enfant qui reçut le nom de Marguerite, en l'honneur de la gouvernante du pays, Marguerite d'Autriche. Cette « petite fille bâtarde de l'empereur » fut confiée aux soins du sommelier de celui-ci, André de Douvrin, et élevée dans sa maison de Bruxelles. Marguerite d'Autriche, puis Marie de Hongrie surveillèrent soigneusement son éducation. Les comptes de la recette générale des finances mentionnent leurs achats de poupées, de jouets, d'étoffes précieuses pour cette nièce inattendue. En 1531, ils notent gravement la valeur des cadeaux qu elle offrit à sa mère, qui, épousée par un maître de la Chambre des comptes de Brabant, venait d'accoucher d une fille dont Marguerite fut marraine. Nous savons encore, grâce à eux, ce que les gouvernantes dépensèrent pour lui faire apprendre la musique et la danse, et combien reçut le chapelain de Sainte-Gudule, Jean Beauvalet, qui lui montra à lire et à écrire (2). Mais la petite Brabançonne devait bientôt être trans- portée sur un tout autre théâtre. Le 23 juin 1529, six jours avant la conclusion du traité de Barcelone qui rétablissait la paix entre Clément VII et Charles-Quint, elle était fiancée au neveu du pape, Alexandre de Médicis, et, quatre ans plus tard, on la conduisait en Italie (3). Au milieu du luxe et des scandales dont les cours italiennes donnaient alors le spectacle, les souvenirs de son enfance au foyer paisible de Douvrin durent s'effacer rapidement. Après avoir passé quelque temps à Naples, elle épousa Alexandre le 29 février 1536. Elle le vit, à Florence, se concilier par des fêtes crapuleuses le bon vouloir de la populace, s'entourer de sicaires et d'espions, bâtonner les nobles et confisquer les biens des exilés. Son assassinat la rendit veuve le 6 janvier 1537, après moins d'un an de mariage. Mais elle ne devait guère jouir de sa liberté. Le 4 novembre 1538, l'empereur la donnait à Octave Far-nèse, petit-fils du pape Paul III. Ce nouvel époux n'était âgé que de quatorze ans et elle éprouvait un tel dépit de l'union disproportionnée à laquelle la politique venait de la contraindre, qu'elle refusa pendant longtemps de se soumettre aux devoirs de la vie conjugale. Elle s'y résigna enfin; en 1545 elle mettait au monde deux jumeaux dont un seul vécut, qui devait illustrer plus tard le nom d'Alexandre Farnèse. HISTOIRE DE BELGIQUE Paul III avait abandonné la même année à son fils Pierre-Louis Farnèse, père d'Octave, les villes de Parme et de Plaisance, territoires milanais annexés par Jules II en 1512 et que ses successeurs sur le siège de saint Pierre s'étaient obstinés depuis à conserver malgré les protestations de Charles-Quint. Aussi ce dernier s'empressa-t-il de profiter de l'assassinat de Pierre-Louis en 1547, pour faire occuper Plaisance par ses troupes. Son refus catégorique de la restituer poussa Octave Farnèse à s'allier à la France en 1551. Il ne fit la paix avec les Habsbourg qu'à l'avènement de Philippe II qui, pour le détacher de Paul IV, alors ennemi de l'Espagne, le reconnut en 1556 comme seigneur de Parme, de Plaisance et de Novare, mais à la (Cliché Archives Photographiques.) Détail de la cour intérieure du palais de Granvelle à Besançon. Construit pour Nicolas Perrenot, le palais était achevé en 1540. condition de payer les soldats espagnols qui continueraient de tenir garnison au nom du roi catholique dans les citadelles de ces deux dernières villes. Ce n'était là qu'une demi-satisfaction; le duc s'en contenta faute de mieux, mais sans abandonner l'espoir d'obtenir un jour la restitution pure et simple de son bien. Marguerite dut en parler à Philippe, qu'elle vint saluer en Angleterre au mois de mars 1557, et le voyage d'Octave à Bruxelles, en 1559, se rattache sans doute au même objet. Ni l'un ni l'autre d'ailleurs n'obtinrent rien. Mais peut-être la question de Plaisance ne fut-elle pas étrangère à la décision prise par le roi de confier à Marguerite le gouvernement des Pays-Bas. Il comptait sans doute que l'espoir de rentrer un jour en possession de cette place l'induirait à se plier à ses volontés (4). Or, il voulait avant tout laisser à Bruxelles un simple instrument de ses desseins. Se rendre aux désirs de l'empereur Ferdinand, qui eût souhaité pour un de ses fils la lieutenance du cercle de Bourgogne, c'eût été renforcer, au détriment de l'Espagne, le lien si lâche qui subsistait encore entre l'Empire et les Pays-Bas. Accepter, comme le souhaitaient les seigneurs, la duchesse Christine de Lorraine, il n'y fallait pas songer davantage. Car, outre que cette princesse, dont la fille était alors demandée en mariage par le prince d'Orange, fût tombée sans doute sous l'influence de la haute aristocratie, sa qualité d'héritière du roi détrôné de Danemark, Christian II, et les prétentions qu'elle conservait à ce titre sur le royaume Scandinave, eussent pu faire surgir à tout moment de dangereux conflits; enfin son fils, le duc Charles II de Lorraine, gravitait dans l'orbite de la France. Tout, au contraire, plaidait pour la nomination de Marguerite. Non seulement le roi avait barre sur elle, mais sa naissance dans les Pays-Bas et le sang de Charles-Quint qui coulait dans ses veines semblaient devoir lui concilier la bienveillance des provinces. Pourtant ce n'était pas une Belge, c'était une Italienne que celles-ci allaient trouver dans leur nouvelle régente. Elle avait si bien oublié les leçons de son enfance qu'elle ne savait plus écrire le français. Elle le parlait du moins couramment, et c'en était assez pour que Philippe II pût déclarer aux Etats généraux qu'elle connaissait « les langues du pays », bien qu'elle ignorât tout à fait le flamand. Son portrait, peint par Coello vers l'époque, semble-t-il, de sa nomination (5), la représente robuste, bien portante, assez jolie et avec des cheveux fauves et un teint clair qui rappellent son origine flamande. Le regard manque d'intelligence sinon de douceur, et la physionomie présente un air légèrement maussade et vulgaire qui s'allie mal à l'élégance du costume. Le mors de cheval placé dans les fortes mains de la duchesse atteste qu'elle fut une intrépide écuyère aussi longtemps que le lui permirent les attaques de goutte de plus en plus fréquentes dont elle souffrit comme son père et qui la vieillirent assez tôt. Grande travailleuse d'ailleurs, ainsi que la plupart de ceux de sa race, elle s'appliqua courageusement aux affaires. Mais elle ne montra ni l'énergie ni les aptitudes politiques de ses deux grandes devancières, et elle n'apporta point non plus au service du roi ce dévoûment sans limites que le sentiment de famille inspira tour à tour à Marguerite d'Autriche et à Marie de Hongrie. La situation qui lui fut faite par Philippe II limitait étroitement son indépendance. Ses patentes de nomination lui conféraient bien le gouvernement des Pays-Bas « tout ainsi et par la forme et manière que nous mesmes ferions et faire pourrions en nostre propre personne », mais des instructions secrètes lui ordonnaient de s'en rapporter, dans toutes les questions principales, à l'avis de Granvelle. du président du Conseil privé, Viglius, et du chef des finances, Berlaymont (6). GRANVELLE. — De ces trois hommes qu'elle recevait en qualité de Consulta (7). les deux derniers n'étaient que de bons fonctionnaires; le premier seul, Granvelle. devait être son directeur politique. Jouissant de la confiance complète du souverain, tant par les services qu'il avait rendus à la dynastie que par sa légitime réputation d'habileté, il apparaît auprès de la gouvernante comme le (Bruxelles, Musée Royal d'Art Ancien.) Marguerite de Parme vers l'âge de 30 ans. Portrait peint par Alonso Sanchez Coello (Valence, 1515-Madrid, 1590). représentant du roi. Il n'est point le ministre de Marguerite mais le ministre de Philippe II, qui, grâce à lui, contrôle tous les actes du gouvernement de Bruxelles. Pardessus la tête de la duchesse il correspond avec Madrid, approuvant ou critiquant « Madame » et suggérant les mesures qu'il faut lui faire prendre. En réalité, c'est lui qui détient la régence effective. La gouvernante n'est là que pour la forme, pour dissimuler aux gens du pays l'intervention directe de l'Espagne : elle n'a que les apparences du pouvoir. Comme pour la répression de l'hérésie, rien ne semble changé, au premier coup d'ceil, dans l'organisation politique du pays. De même que Philippe n'a point modifié les édits de son père contre les protestants, de même aussi il n'a point retiré ouvertement à Marguerite l'autorité dont Marie de Hongrie avait été revêtue. Mais, de part et d'autre, des mesures secrètes ont atténué la portée des mesures prises en public. Les instructions du roi aux Conseils de justice (8) ont renforcé la sévérité des placards et ses instructions pour Marguerite de Parme l'ont subordonnée à Granvelle. Une fois de plus, on se trouve en présence de cette politique de dissimulation qui reprend sous main ce qu'elle a donné publiquement, qui, n'osant affronter l'opinion, cherche à la leurrer par des concessions simulées et n'aboutit, en fin de compte, qu'à semer dans les esprits une incurable défiance et à prêter le flanc, même quand elle est sincère, à l'accusation de ne pas l'être. Par une nouvelle application de ce système, le tout-puissant Granvelle ne reçut pas de titre particulier. Officiellement, il ne fut que membre du Conseil d'Etat. Né à Ornans, en Franche-Comté, le 20 août 1517, il avait alors quarante-deux ans, l'âge de la pleine maturité de l'esprit. Promu à l'évêché d'Arras en 1538 grâce au crédit de son père, le fameux ministre de Charles-Quint, il avait été formé par lui au service de la maison de Habsbourg, lui avait succédé en 1550 dans le conseil intime de l'empereur, et, après l'abdication de celui-ci, avait conservé les mêmes fonctions auprès de Philippe II. Si on ne peut le considérer comme un homme de génie, il faut convenir au moins que personne ne connut mieux et ne mania plus adroitement, au XVI'1 siècle, les ressorts de la diplomatie. Il fut le type achevé de ces ministres de l'absolutisme qui ne voient dans l'Etat que le souverain, confondent ses intérêts avec ceux du peuple, son trésor avec la fortune publique, sa grandeur avec la grandeur nationale. Il le fut d'autant plus que sa qualité de Franc-Comtois le rendait également étranger à l'Espagne, à l'Italie et aux Pays-Bas. Il ne s'intéressa jamais dans la monarchie qu'à la personne même du monarque. A Bruxelles, comme dans la suite à Naples ou à Madrid, il n'éprouva pas la moindre sympathie pour le peuple qui l'entourait. Sa vraie patrie était la cour et sa fidélité au prince lui tenait lieu de patriotisme (9). C'est là ce qui explique tout à la fois la haine qu'il souleva dans les dix-sept provinces et l'indifférence dédaigneuse avec laquelle il la supporta. Il ne dut son impopularité qu'à son zèle pour le service du roi et il put se considérer très sincèrement comme une victime I Bruxelles. Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Antoine Perrenot de Granvelle (Ornons, 1517-Madrid, 1586). Gravure au burin de Lambert Suavius, datée de 1556. du devoir. Car il n'était par nature ni fanatique (10), ni violent, ni cruel, et, en dépit des calomnies que ses ennemis répandirent sur son compte, il est certain qu'il n'excita pas Philippe II à la rigueur, qu'il ne voulut point introduire dans les Pays-Bas l'inquisition d'Espagne, ni les contraindre à l'obéissance par, la force (11). C'était, dans la vie privée, un prélat de cour, collectionneur et lettré, de moeurs faciles et dont les aventures galantes défrayèrent plus d'une fois la chronique scandaleuse. A Naples, en 1573, âgé de près de soixante ans, il était encore le rival de don Juan auprès d'une beauté à la mode (12). La somptueuse villa qu'il se fit construire aux environs de Bruxelles, à la Fontaine, et qui passa longtemps pour une des principales curiosités des Pays-Bas, attestait magnifiquement ses goûts d'art et de luxe ( 13). et il suffit de parcourir sa correspondance pour le voir, au milieu des occupations les plus absorbantes ou aux moments les plus critiques, s'occuper de l'achat de manuscrits grecs, de médailles et de tableaux. Mais insatiable de dignités et amoureux du pouvoir, il servit l'absolutisme autant par principe que par intérêt et sympathie personnelle. Dès le premier jour, il ne put cacher l'aversion qu'il éprouvait pour les libertés des Pays-Bas et surtout pour les privilèges de cette haute noblesse qui s'exprimait sans réserve sur le compte du roi et affectait de le considérer lui-même comme un simple parvenu. Les deux auxiliaires de Granvelle à la Consulta n'y devaient guère jouer qu'un rôle de comparses. Le premier, le Frison Viglius, né en 1507, appartient à ce groupe d'humanistes qui, arrivés à l'âge d'homme à l'époque des placards contre l'hérésie, n'osèrent affirmer leurs tendances érasmiennes et s'attachèrent à l'érudition. Comme tant d'autres, il voyagea tout d'abord à l'étranger, professa le droit à Bourges et à Padoue, découvrit et publia à Venise la paraphrase des Institutes par Théophile. Sa réputation le désigna au choix de l'empereur et de Marie de Hongrie, qui le firent entrer en 1541 au Conseil privé des Pays-Bas, dont il devint président en 1549. Ce ne fut point un homme d'Etat, mais un excellent juriste, rompu aux affaires, savant, méthodique et sincèrement convaincu, en bon romaniste, de la légitimité du pouvoir absolu. D'ailleurs, amoureux d'argent (14), de places et de sinécures aussi bien pour lui que pour ses lArras, Bibliothèque municipale, ms 266-1136, fol. 200 r°.) tCliché Giraudon.) Lamoral, comte d'Egmont (La Hamaide, 1522-Bruxelles, 1568). Dessin extrait du Recueil de Portraits d'Arras attribué à Jacques Leboucq, roi d'armes de la Toison d'Or; seconde moitié du XVIe siècle. neveux, mais brave homme, débonnaire et conservant de son éducation première un vieux fonds de tolérance religieuse qui devait plus tard le faire suspecter d'hérésie par les Espagnols. Aussi avide que lui, le chef des finances, Charles de Berlaymont, baron de Hierges, de Perwez et de Beaurain, n'avait en revanche aucune espèce de talent politique. Mais, comblé de faveurs par Charles-Quint et nommé par Philippe II chevalier de la Toison d'Or, il s'était étroitement attaché à la cause du roi, et on ne lui en demandait pas davantage. En face de Granvelle et de ses deux acolytes, les trois autres membres du Conseil d'Etat constituèrent l'opposition antimonarchique, ou, ce qui revient au même sous le règne de Philippe II, l'opposition nationale et antiespagnole. Le sire de Glajon, Philippe de Stavele, personnage de second ordre, perdu de dettes, et qui quitta le pays en 1563 (15) pour échapper aux poursuites de ses créanciers, ne fut, à côté de ses deux collègues, qu'un simple figurant, et son effacement fait ressortir d'autant mieux le relief de leur personnalité. LE COMTE D'EGMONT. - Le comte Lamoral d'Egmont, né en 1522 au château de La Hamaide, en Hainaut. et alors âgé de trente-sept ans, était le représentant le plus brillant et le plus populaire de la haute aristocratie des Pays-Bas. Sa famille, enrichie par les princes bourguignons, appartenait à la plus vieille noblesse hollandaise et se vantait de descendre des rois fabuleux de la Frise (16). Son grand - père Jean (III) avait été durant trente-deux ans gouverneur de la Hollande et de la Zélande; son oncle Philippe, son père Jean (IV), son frère Charles étaient morts au service de l'empereur, les deux premiers en Italie, le troisième à Carthagène, au retour de la guerre d'Alger. Depuis toujours Charles-Quint lui avait témoigné une faveur marquée, qu'il paya par un dévouement sans bornes. On le voit participer en 1541. avec son frère, à l'expédition d'Afrique, combattre van Rossem en 1542, assister à la prise de Duren en 1543. à la campagne de 1552, au siège de Metz. Chevalier de la Toison d'Or et chambellan de l'empereur, il fait partie, en 1554, de l'ambassade chargée de demander pour Philippe II la main de Marie Tudor, et c'est lui qui épouse la reine par procuration au nom du prince d'Espagne. Sa brillante valeur contribue largement, trois ans plus tard, à la victoire de Saint-Quentin; celle de Gravelines, en 1558, est gagnée sous son commandement. A ces superbes états de service répond une situation sociale qui achève de le mettre hors pair. Il possède en Hollande d'énormes polders; il est propriétaire en Flandre de la principauté de Gavere et de l'industrieuse Armentières. Charles-Quint et Ferdinand ont rehaussé par leur présence son mariage, en 1544, avec Sabine, fille de Jean, comte palatin du Rhin. Philippe II l'a nommé en 1559 gouverneur de Flandre et d'Artois. Ajoutez à cela qu'il a toutes les qualités qui rendent populaire. Il est franc, ouvert, généreux, magnifique, et, quoique père de treize enfants, mène un train de maison qui éclipse celui des plus grands seigneurs. Heureux de vivre, heureux de briller, heureux enfin de la sympathie qu'il suscite autour de lui. il étale naïvement sa vanité et son ambition (17). Il croit avoir rendu au roi assez de services pour occuper la première place dans son conseil. Ce n'est ni un calculateur ni un politique, mais un impulsif, tout à l'heure présente, incapable de projets longuement mûris, excellent pour soulever et entraîner les masses, mais impuissant à les conduire et qui reculera, au moment décisif, devant les responsabilités qu'il a encourues et qu'il n'osera assumer. LE PRINCE D'ORANGE. — Le prince d'Orange forme avec lui le plus frappant contraste. S'il est totalement dépourvu des qualités du comte d'Egmont, combien ne le dépasse-t-il point, en revanche, par la vigueur du caractère et par celle de l'esprit ! Ce fut le hasard qui amena dans les Pays-Bas cet homme qui devait y exercer une action si décisive (18). Fils aîné du comte Guillaume Ier de Nassau-Dillenbourg, il n'était encore qu'un enfant de onze ans, destiné à régner quelque jour sur les domaines allemands de sa famille, quand la mort inopinée de son cousin René de Nassau changea brusquement le cours de sa carrière. Ce René appartenait à la branche des Nassau à laquelle le mariage du comte Englebert Ier (f 1443) avec la riche héritière des Polanen (1403) avait apporté les seigneuries brabançonnes de Bréda et de Geer-truidenberg. Jean IV, fils d'Englebert (f 1475), avait joué un rôle important à la cour de Bourgogne. Son fils aîné, le comte Englebert II, s'était signalé par son dévouement à Charles le Téméraire et à Maximilien. C'est à lui que Philippe le Beau, en partant pour l'Espagne en 1501, avait confié le gouvernement des provinces bourguignonnes. Il était mort sans postérité en 1504, désignant comme héritier son neveu Henri, qu'il avait élevé et qui jouit bientôt à la cour d'une influence extraordinaire. Henri de Nassau, le « comte Nansot » des chansons militaires françaises, fut l'un des confidents de Charles-Quint avant d'être un de ses meilleurs généraux. Il épousa tout d'abord Françoise de Savoie, puis Claudine de Châlons, princesse d'Orange, puis enfin, par l'entremise de l'empereur, dona Mencia de Mendoça, marquise de Zenette. Le fils que lui donna sa seconde femme, René, prince d'Orange depuis 1530 par testament de son oncle maternel Philibert de Châlons, devint, à la mort de son père, en 1538, le plus grand seigneur des Pays-Bas. Il était gouverneur de Hollande, de Zélande, d'Utrecht, de la Frise et de la Gueldre, quand il fut blessé mortellement, en 1544, au siège de Saint-Dizier. N'ayant point d'enfants, il légua ses immenses possessions et son titre de prince d'Orange à son jeune cousin Guillaume, le plus proche de ses parents mâles. Mais Charles-Quint ne devait point admettre sans condition cet arrangement de famille. C'est que Guillaume était luthérien. Tandis, en effet, que son oncle combattait pour l'empereur, son père avait passé au protestantisme vers 1530, adhéré à la ligue de Smalkalde et fait élever ses enfants dans la religion nouvelle. Du reste, il consentit facilement, pour assurer à son fils le superbe héritage qui venait de lui échoir, à l'envoyer à la cour de Bruxelles et à le laisser élever dans le catholicisme. L'enfant y eut pour précepteur un frère cadet de Granvelle et y adopta bientôt les moeurs, la langue et les idées de la haute noblesse bourguignonne. Son mariage, à l'âge de dix-huit ans, avec Anne de Buren, la fille du fameux général de Charles-Quint, acheva de le nationaliser dans les Pays-Bas et lui concilia sans doute la sympathie particulière du vieil empereur. Il en reçut en 1553 un important commandement militaire pendant la guerre de France, et c'est appuyé sur son bras que Charles parut devant les Etats généraux le jour de son abdication. Au moment où commence le règne de Philippe II, Guillaume. né le 24 avril 1533, avait vingt-deux ans et rien encore ne faisait soupçonner son génie. Sa vie avait été jusqu'alors celle de tous les « grands maîtres » de sa génération. Comme eux, il avait fait campagne, et comme eux il se plaisait en temps de paix à dépenser sans compter, traitant largement ses amis et ses officiers en d'interminables banquets et se montrant buveur aussi intrépide {Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Revers de la médaille de Viglius y Aitta de Zuichem, chef-président du Conseil privé de 1549 à 1569. Le champ de la médaille est occupé par les armes de Viglius timbrées de la mitre et de la crosse. Viglius ayant succédé en 1562 à Lucas Munich, dernier abbé et premier prévôt de Saint-Bavon à Gand. bien qu'il ne fût pas prêtre. Légende : VITA. MORTALIVM. VIGILIA. Médaille exécutée par Jacques Jonghelinck en 1568 Diam. : 55 mm. (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, collection des moulages, n° 1104.) Empreinte de la matrice du sceau des Etats de Brabant. Légende: SIGILLVM - STATVVM - BRABANTIE 1557 —v (Cassel, Musée de Peinture.) Guillaume d'Orange à l'âge de 22 ans. Portrait peint par Antonio Moro entre le 22 juillet 1555 et le 21 janvier 1556. que l'avaient été ses oncles (19). Son immense fortune lui assurait, malgré sa jeunesse, un ascendant avec lequel pouvait seul rivaliser celui d'Egmont. Outre Bréda et Geer-truidenberg, il possédait encore de vastes territoires dans le Luxembourg, sans compter la principauté d'Orange. Ses revenus, évalués à 150,000 florins au minimum, faisaient de lui le seigneur le plus riche des Pays-Bas (20), et on lui savait gré de n'en tirer aucune vanité. Car il se montrait simple, aimable, accueillant envers tous. Jamais de colère ni de rudesse, même envers ses domestiques. Instruit avec cela, et parlant sept langues sans compter le français, devenu à la cour de Bourgogne son idiome usuel (21). Enfin, en dépit de cet inexplicable surnom de Taciturne que l'on devait lui appliquer plus tard, il était naturellement éloquent (22). Mais ce qui domine en lui, c'est la vigueur de l'intelligence et la ténacité de la volonté. De bonne heure on dit en proverbe à la cour « conseil du prince d'Orange et exécution du comte d'Egmont» (23). S'il est lent à se décider, sa résolution, une fois prise est inébranlable. « Mon intention, depuis que Dieu m'a donné un peu d'entendement, écrira-t-il plus tard, a toujours tendu à cela de ne me soucier de paroles ny de menaces en chose que je puisse faire avecq bonne et entière conscience» (24). Chez lui, l'imagination et le sentiment semblent ne jouer aucun rôle, et cette tournure d'esprit se concilie parfaitement avec son indifférence en matière confessionnelle. Il est catholique comme il sera plus tard luthérien et plus tard encore calviniste, sans enthousiasme ni conviction profonde. En réalité, c'est un politique qui envisage les questions religieuses beaucoup plus en homme d'Etat qu'en croyant. Si en 1561, il interdit le protestantisme dans sa principauté d'Orange, c'est pour empêcher la « violation du repos public » et point du tout, comme l'eût voulu Granvelle, en qualité de « crime de lèse-majesté divine et humaine» (25). Sans doute, dans son for intérieur, il a rêvé de très bonne heure pour les Pays-Bas d'une « paix de religion » analogue à celle qui a été introduite dans l'Empire. Et, à y regarder de près, on aperçoit que son attitude religieuse n'est qu'une conséquence de son attitude politique. Grand seigneur, il n'entend point abdiquer devant le roi les privilèges qu'il tient de sa naissance. Plus que personne il revendique hautement la liberté de parler et d'agir sans contrainte. C'est qu'il n'est point seulement, comme les autres « grands maîtres » des Pays-Bas, chevalier de la Toison d'Or et gouverneur.de province. Issu d'une famille princière, il prétend conserver intacte vis-à-vis de Philippe II cette indépendance dont ses parents jouissent en Allemagne vis-à-vis de l'empereur (26). Si Bourguignon qu'il soit devenu, le comte de Nassau n'a pas disparu complètement en lui. Il ne se reconnaît point comme un simple vassal du roi d'Espagne; il ne se courbera jamais sous cet absolutisme que Granvelle a pour tâche de faire triompher. Son origine étrangère lui donne dans la haute aristocratie une situation unique qui, s'ajoutant à sa richesse et à ses talents, va grouper bientôt autour de lui les membres épars de l'opposition. Nul ne s'entendra mieux à la conduire et ne saura mieux susciter les obstacles à l'adversaire, tout en lui dérobant son jeu avec une habileté et un machiavélisme auprès desquels la dissimulation de Philippe II ne paraît qu'une grossière et naïve tactique. ATTITUDE DE LA NOBLESSE. - Ce qui, au début, assura au comte d'Egmont et au prince d'Orange une influence extraordinaire au Conseil d'Etat, ce fut l'appui qu'ils trouvèrent dans la plus grande partie de la noblesse. Au moment où commence leur rôle, presque tous les vieux serviteurs de Charles-Quint avaient disparu. Plus un seul parmi les grands seigneurs n'avait connu Chièvres et Marguerite d'Autriche. Les plus âgés d'entre eux étaient encore enfants pendant cette période du règne où Charles se conduisait en prince bourguignon; aucun n'avait assisté à ses grandes victoires d'Allemagne et d'Italie, aucun ne se rappelait les années antérieures à l'explosion de la Réforme et à la lutte contre l'hérésie. Du règne longtemps si glorieux ils n'avaient connu que les revers : les guerres malheureuses contre les protestants, les guerres indécises contre la France. Ils avaient vu le souverain vieilli, entouré de ministres étrangers, écrasant d'impôts les provinces, compromettant le crédit d'Anvers, inondant le pays de troupes allemandes ou espagnoles, persécutant les protestants, et ils n'avaient plus découvert en lui ce prince national si cher à leurs pères. L'avènement de Philippe II avait achevé d'ébranler chez eux le sentiment dynastique. Ils ne se sentaient plus les compagnons et comme les « antrustions » du prince. Ils lui restaient fidèles par loyalisme héréditaire, mais sans cette chaleur de cœur et cet enthousiasme qui avaient animé jadis les Maximilien de Buren ou les Henri de Nassau. Ils en devinrent, en revanche, d'autant plus bourguignons. La rupture qui s'opère entre eux et le souverain les oblige à se replier, pour ainsi dire, sur eux-mêmes, à chercher un appui dans leur pays d'origine, dans leur « patrie »(27) naturelle, dont l'indépendance est indispensable au maintien de la situation privilégiée qu'ils occupent. Par intérêt de classe, par sentiment aristocratique, on les voit devenir patriotes. Pour défendre contre le roi leurs prérogatives, leur autorité de gouverneurs, leurs privilèges de chevaliers de la Toison d'Or, ils associent leur cause à celle du pays. Sans doute on rencontre dans leurs rangs des intrigants, des ambitieux et des brouillons, mais, chez la plupart d'entre eux, comme il arrive toujours aux époques de crise, les considérations personnelles finissent par se transformer en un programme politique et par s'y subordonner plus ou moins. Pour qu'il en eût été autrement, il eût fallu qu'ardents catholiques, ils eussent tout sacrifié au maintien de la foi et admis, par motifs religieux, l'absolutisme espagnol qu'ils réprouvaient par tradition et par amour-propre. Mais, bien que fort éloignés de l'hérésie, ils se montrent singulièrement tièdes, pour la plupart, à l'égard de l'Eglise. Elevés presque tous par des humanistes (28), ils n'ont reçu qu'une instruction religieuse extérieure et superficielle (29). Ce que lisent les plus lettrés d'entre eux, c'est Erasme, c'est Cassander, l'apôtre de la conciliation entre les diverses confessions chrétiennes, et, lettrés ou non, ils dévorent les oeuvres de Rabelais (30). Le relâchement de leurs mœurs les détourne d'ailleurs des préoccupations religieuses. A vrai dire, et par une opposition très marquée avec la noblesse française, ils ne s'adonnent guère à la galanterie (31). L'amour ne joue presque aucun rôle à la cour de Bruxelles. Les seigneurs qui y fréquentent sont des militaires robustes et désœuvrés qui passent leurs journées au jeu de paume et la plus grande partie de leurs nuits en banquets ou plutôt en orgies (32). Bréderode, Orange lui-même boivent tellement que plusieurs fois ils risquent d'en mourir. Dans ces bombances où les « grands maîtres » réunissent autour d'eux toute une clientèle de gentilshommes pauvres, administrateurs de leurs domaines ou hommes d'armes de leurs bandes d'ordonnance, le contact se maintient entre la haute et la basse noblesse. Celle-ci colporte à travers la ville les propos de table des seigneurs, leurs critiques, leurs plaintes, leurs plaisanteries à l'adresse de la gouvernante, de Granvelle ou de Viglius. Grâce à elle on connaît à l'extérieur les discussions orageuses du Conseil d'Etat; on sait que les premiers personnages du pays, le prince d'Orange, le comte d'Egmont, le comte d'Hoogstraeten, le marquis de Berghes, les sires de Montigny et de Bréderode, soupçonnent le gouvernement de conspirer contre les provinces, qu'ils réclament la convocation des Etats généraux, qu'ils se posent ouvertement en défenseurs de la « patrie » contre les trames espagnoles, et, partant, leur popularité augmente dans la même mesure où grandit le mécontentement des masses, habilement attisé par eux. Chez tous les membres de la haute noblesse, il est vrai. 1 opposition ne se manifeste point avec la même vigueur. Les comtes d'Arenberg et de Meghem, le comte de Mans-feld, surtout, étranger au pays par sa naissance et dont le catholicisme ardent contraste avec l'indifférence religieuse de la plupart des seigneurs, conservent plus de retenue que les amis d'Orange et d'Egmont. Mais du moins les laissent-ils faire sans protester, et ne sont-ils point fâchés de les voir saper l'autorité de Granvelle. LE DEPART DES TROUPES ESPAGNOLES. -Le retard apporté au rappel des troupes espagnoles facilita singulièrement la tâche des mécontents. Il leur fournit, en effet, dès l'abord, un grief évident à exploiter contre le gouvernement et le meilleur moyen d'entretenir l'agitation parmi le peuple. Bien que Granvelle et la gouvernante avertissent le roi de l'exaspération croissante de l'opinion, bien qu'ils allassent même jusqu'à parler de l'imminence d'un soulèvement, comme toujours Philippe hésitait. Il sentait bien que la présence de ses fidèles soldats était la meilleure garantie de l'obéissance des provinces, le plus ferme appui de son autorité. Mais enfin, devant l'explosion de haine qui se manifestait contre eux, comment s'obstiner à violer plus longtemps la promesse solennelle faite l'année précédente aux Etats généraux ? Il finit par céder à contrecœur et par donner enfin l'ordre tant différé. Les Espagnols mirent à la voile le 10 janvier 1561. L'irritation qu'ils avaient soulevée ne disparut pas; elle ne fit que changer d'objet. La question des nouveaux évêchés allait provoquer un conflit plus grave encore. Ce n'est point à Philippe II qu'appartient l'idée de remanier l'organisation diocésaine des Pays-Bas. Demeurée presque intacte depuis l'époque franque, celle-ci présentait des inconvénients de toute nature et que l'on avait reconnus depuis longtemps. Non seulement les six diocèses de Liège, de Tournai, de Cambrai, d'Arras, de Térouanne et d'Utrecht ne correspondaient aucunement aux circonscriptions civiles, non seulement ils relevaient de deux (Musée de Douai.) Cliché Baron (rêres.l Anne de Buren, épouse de Guillaume d'Orange. Copie anonyme du XVI» siècle d'après l'original de François Clouet aujourd'hui perdu. Tableau endommagé. métropoles étrangères, les uns de Cologne, les autres de Reims, mais encore presque tous étaient si étendus et si peuplés, que l'administration ecclésiastique en souffrait grandement. Dès le Moyen Age s'était déjà accusé, çà et là, le désir d'une situation moins défectueuse. Les Flamands, pendant leur guerre contre Philippe le Bel, avaient cherché à obtenir du pape l'érection de la Flandre en évêché distinct et indépendant de Tournai, ville alors française (33), et les ducs de Brabant, depuis le XIIIe siècle, avaient fait plus d'une tentative pour soustraire leur territoire à la juridiction spirituelle de l'évêque de Liège (34). Les ducs de Bourgogne, presque constamment en lutte avec les Liégeois, n'avaient eu garde d'abandonner ces projets. Ils furent repris par Charles le Téméraire, puis par Maximilien, qui eût voulu amener le pape à établir des sièges nouveaux à Maestricht, à Namur et à Louvain (35). Plus tard encore, en 1524, Marguerite d'Autriche avait conseillé à Charles-Quint, dans le dessein d'affaiblir l'influence temporelle des évêques, un morcellement des vieux diocèses (36). Tous ces plans, on le voit, ne s'inspiraient que de considérations politiques. Ce n'était pas l'intérêt de l'Eglise, c'était l'intérêt du peuple ou celui du prince qui les avait suscités. Et sans doute, en demandant au pape le remaniement complet des circonscriptions diocésaines des Pays-Bas, Philippe II ne fut point sans se préoccuper de l'avantage de l'Etat, mais, bien différent de ses prédécesseurs, il eut en vue avant tout les nécessités religieuses. Il voulut, par l'augmentation du nombre des évêques et par la diminution du territoire confié à chacun d'eux, les mettre à même d'agir plus efficacement sur les fidèles, de mieux veiller au maintien rigoureux de l'orthodoxie et de seconder ainsi sa campagne contre le protestantisme. LES NOUVEAUX EVECHES. - La bulle qu'il obtint de Paul IV, le 12 mai 1559 (37), institua, à côté des diocèses anciens, quatorze diocèses nouveaux érigés à Namur, Saint-Omer, Malines, Anvers, Gand, Bruges, Ypres, Bois-le-Duc, Ruremonde, Harlem, Deventer, Leeu-warden, Groningue et Middelbourg. Au lieu de six évê-chés pour une population de trois millions d'hommes, il y en avait désormais dix-huit (38), chacun comprenant en moyenne 160,000 habitants. Les nouvelles circonscriptions s'adaptaient, autant qu'il était possible, aux limites des provinces et à la répartition des langues nationales. De plus, elles étaient soumises à trois sièges archiépiscopaux établis à Cambrai, Utrecht et Malines, et dont le dernier recevait la primauté sur l'ensemble, si bien que, échappant désormais à l'ingérence de Reims et de Cologne, les Pays-Bas formeraient à l'avenir une unité ecclésiastique comme ils formaient déjà une unité politique. Du reste, toute la nouvelle organisation ne dépend que du roi. Celui-ci, d'accord avec le pape, nomme les évêques, les entretient de sa cassette en attendant que des revenus fixes leur soient assignés, désigne enfin les candidats, sans tenir compte de la naissance, parmi des docteurs (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Papiers d'Etat et de l'Audience, n» 592.) (Cliché Oppenheim.r Bulle du pape Paul IV érigeant trois nouveaux archevêchés, à Cambrai, Utrecht et Malines, et treize nouveaux évêchés à Namur, Saint-Omer, Anvers, Gand, Bruges, Ypres, Bois-le-Duc, Ruremonde, Harlem, Deventer, Leeuwarden, Groningue et Middelbourg (12 mai 1559). Bulle de plomb pendant sur cordelettes rouge et or. Bas le Duc Jfilvarenbeck y? Bruges Oudenbourç D" Loktrcn Boulcrs COLOGNE* r tncht Hnlchm\ lArras ambrai kCtun / Grtida Amiens fendeuil les Diocèses de Belgique avant le 12 Mai 1559 Légende ............limites de Diocèses ....----Limites ce la Belgique actuelle Carie dressée par utr l'Abbé Oeharveng professeur d'histoire au P* Séminaire de Sonne Isperance et dessmee par Mp l Abbè Untltns pro/csseur de dessin, au même Etablissement Carte des diocèses de la Belgique avant le 12 mai 1559. Les ordinaires de Thérouanne, Tournai, Cambrai — et accessoirement, Noyon et Arras, dofu la juridiction ne s'étendait pas sur le territoire de l'actuelle Belgique — relevaient du métropolitain de Reims ; celui de Liège du métropolitain de Cologne ; une partie du Luxembourg belge, avec Arlon, Neufchâteau et Bertrix, faisait partie de l'archidiocèse de Trêves. Carte dressée par l'abbé Deharveng et dessinée par l'abbé Driessen pour le Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastique, t. VII. colonnes 528-529. Une carte des diocèses de la Belgique après le 12 mai 1559 est reproduite plus loin, au chapitre I du livre VII. ou des licenciés en théologie. Ainsi établie, l'Eglise des Pays-Bas ressemble singulièrement, en dépit de la différence des temps et des milieux, à cette église impériale imposée au X' siècle par Otton Ier à la Lotharingie. Des deux côtés, les évêques apparaissent comme des créatures du souverain et des instruments de son pouvoir. Et la comparaison s'impose entre Granvelle, promu en 1561 à l'archevêché de Malines, et Brunon, recevant de l'empereur allemand en 953 la double dignité d'archevêque de Cologne et de duc de Lotharingie. Ce rapprochement suffit à faire comprendre le tollé de plaintes et de réclamations que souleva tout de suite la réforme. Sans doute, on ne pouvait nier qu'elle ne fût excellent au point de vue religieux. Mais elle sacrifiait trop d'intérêts et surtout elle augmentait trop considérablement le pouvoir du roi pour que l'on se résignât à l'accepter. On l'accueillit avec une hostilité semblable à celle que devait rencontrer, à la fin du XVIII" siècle, la réorganisation du système judiciaire par Joseph II. Le catholicisme du monarque espagnol déchaîna la même tempête que le « despotisme éclairé » du monarque autrichien. Le plan de Philippe fut taxé de machination contre la liberté des provinces, de violation flagrante des privilèges. La noblesse était furieuse de devoir abandonner à des théologiens de basse naissance les évêchés dont elle avait fourni si longtemps les titulaires; plus furieux encore, les moines des couvents que le projet royal assignait à la « mense épiscopale » des nouveaux prélats. Pour doter ceux-ci, en effet, et soulager d'autant son trésor, Philippe avait obtenu du pape l'assignation à ses évêques d'un certain nombre d'abbayes. Il trouvait d'ailleurs dans cet expédient, dont Granvelle lui avait suggéré l'idée, un puissant avantage politique. Désormais, au lieu d'abbés sur lesquels il n'avait aucune prise, ce seraient des évêques nommés par lui et dévoués à sa personne qui siégeraient aux Etats des provinces et aux Etats généraux, où ils constitueraient un parti monarchique. Ainsi, la réorganisation religieuse aboutirait à renforcer le pouvoir souverain; elle introduirait la division dans des assemblées qui, depuis quelques années, avaient manifesté des sentiments si équivoques à l'égard de la couronne. C'en fut assez pour porter à son comble l'exaspération des esprits. La noblesse et la bourgeoisie prirent en main la cause des abbés maintenant confondue avec leur propre cause. En Brabant, les chefs des grands monastères qui, déjà sous Charles-Quint, avaient obstiné- (Kansas City [Missouri], collection W. Rockhill Nelson Gallerv of Art.) Antoine Perrenot de Granvelle. Portrait peint par Titien vers 1555. Antonio Moro a peint à la même époque un autre portrait de Granvelle ressemblant à celui-ci ; il est conservé au Kunsthistorisches Muséum à Vienne. ment défendu leurs privilèges contre la centralisation gouvernementale (39), se mirent à la tête de l'opposition, si bien que l'on assista au spectacle paradoxal d'une réforme religieuse combattue par le clergé. « Les abbés sont si stupides, écrit Granvelle dans un moment d'humeur, qu'ils se laissent emporter comme des buffles.» (40). Et ce n'était pas seulement la crainte de voir les Etats s'ouvrir à l'influence royale qui soulevait le peuple contre les nouveaux évêchés. On voulait y voir aussi un acheminement vers l'introduction dans les Pays-Bas de l'inquisition d'Espagne, dont le nom seul inspirait à tout le monde une terreur mystérieuse. On n'ignorait pas que l'évêque de Bruges, Pierre Curtius, que celui d'Ypres, Martin Rythovius, que celui de Bois-le-Duc, François Sonnius, que celui de Gand, Guillaume Lindanus, que ceux de Harlem enfin et de Middelbourg avaient rempli auparavant dans les provinces les fonctions d'inquisiteurs. Ne savait-on point d'ailleurs que le frère Lorenzo de Villa-vicencio et le « contador » Alonso del Canto transmettaient à Madrid des listes de suspects et dénonçaient au roi la mollesse du gouvernement de Bruxelles en face de l'hérésie (41) ? En fallait-il davantage pour justifier tous les soupçons ? Marguerite et Granvelle avaient beau innocenter le roi des desseins qu'on lui prêtait, on ne les croyait pas. Pouvaient-ils déclarer publiquement à sa décharge qu'il considérait l'inquisition des Pays-Bas comme plus impitoyable que l'inquisition espagnole (42) ? ENTREE EN SCENE DE L'OPPOSITION. - C'est sur Granvelle que retomba tout le poids de l'indignation soulevée par Philippe. On n'osait s'en prendre directement au souverain que défendait encore, malgré son impopularité croissante, sa qualité de prince légitime. Mais l'occasion était trop belle de se débarrasser du tout-puissant ministre pour qu'on la laissât échapper. Son élévation récente au cardinalat (26 février 1561), en accentuant la confiance dont il jouissait auprès du maître, attisa encore la haine qu'on lui portait. Les seigneurs du Conseil d'Etat, qui jusqu'alors avaient ménagé les apparences, crurent le moment venu de rompre en visière avec lui et d'unir leur action à l'action populaire. Le 23 juillet 1561, le comte d'Egmont et le prince d'Orange offraient au roi leur démission de conseillers, ne voulant pas plus longtemps, disaient-ils, porter la responsabilité d'événements provoqués par le cardinal et auxquels ils ne pouvaient s'opposer puisque toutes les affaires majeures se traitaient à leur insu (43). Ainsi les deux chefs de la haute noblesse se rangeaient ouvertement au parti de l'opposition et, dès lors, celle-ci se crut tout permis. Ce fut, contre Granvelle, un incroyable débordement d'injures. En français et en flamand, les pamphlets fourmillent contre ce « diable rouge », cet « archi-vilain », ce « rouge dragon », ce « pourceau d'Espagne », cette « racaille papaline », d'autant plus furibonds qu'ils n'arrivent point à l'émouvoir et qu'il n'y répond que par le dédain. La maladresse de Philippe II empira encore la situation. Beaucoup moins préoccupé de l'agitation des Pays-Bas que des progrès rapides du calvinisme en France, il avait résolu d'offrir son intervention à Catherine de Médicis. Au mois de juin 1562, il chargeait Marguerite de Parme d'envoyer des troupes dans le royaume. On ne pouvait choisir plus mal à propos le moment d'agir. Bien que Granvelle ne se dissimulât nullement le péril qu'une guerre de religion éclatant en France ferait courir aux Pays-Bas déjà si troublés, il n'hésita point à dissuader le roi de son projet. La gouvernante, de son côté, le suppliait de songer à l'état d'épuisement où se trouvaient encore les provinces. Enfin le prince d'Orange déclarait en plein conseil qu'on ne pouvait faire marcher les bandes d'ordonnance sans le consentement des Etats (44). Philippe céda, mais on se figure sans peine le dépit qu'il en dut éprouver. Les Pays-Bas ne se bornaient plus à contrecarrer sa politique monarchique : ils mettaient obstacle maintenant à ce rôle de défenseur de la foi auquel il tenait par-dessus tout ! Il n'en fallait pas davantage pour les faire soupçonner à Madrid, sinon de pactiser avec les Huguenots, tout au moins de sympathiser avec eux. Cependant, l'opposition gagne toujours en force et en audace. Déjà soutenue presque ouvertement par les seigneurs du Conseil d'Etat, elle devient encore plus redoutable en se soumettant à la direction du Brabant. Plus riche et plus influente que toutes les autres, non seulement parce qu'elle renferme la capitale économique du pays, Anvers, et sa capitale politique, Bruxelles, mais encore parce que la plupart des chefs de la haute noblesse, Orange, Hoogstraeten, Berghes siègent dans ses Etats, cette province va depuis lors, un peu comme Paris le fait en France, animer et conduire l'opinion publique (45). Elle commence à exercer dans la vie politique la même prépondérance qu'elle exerce déjà dans la vie commerciale et dans la vie artistique, et, enhardie par le consentement de ses voisines, elle transformera bientôt leurs oppositions particulières en un seul mouvement d'opposition nationale. Granvelle s'en aperçoit très bien. Ce sont les Etats du Brabant, écrit-il, qui entretiennent dans le pays la résistance aux nouveaux évêchés (46). Et, ne pouvant les réduire par la force, il cherche au moins à ruiner leur influence en s'efforçant de semer la zizanie entre les nobles et entre les provinces, en conseillant au roi de susciter contre le port d'Anvers la concurrence du port de Gand, nouvellement rattaché à la mer par le canal de Terneuzen, « étant indifférent que l'une ou l'autre ville profite des avantages du commerce, pourvu que celui-ci ne sorte pas du pays» (47). Mais ces expédients d'une politique aux abois ne servent de rien. De jour en jour les Etats brabançons deviennent plus énergiques. Ils réclament la nomination du prince d'Orange comme ruwaert de Brabant; ils prennent à Paris l'avis du jurisconsulte Dumoulin, « hérétique notoire », sur la légalité des mesures instituant les nouveaux évêchés; ils envoient à Madrid et à Rome des députations exposer leurs griefs au roi et au pape. De son côté, le Conseil d'Etat, où le comte de Hornes, fraîchement revenu d'Espagne, siège maintenant auprès d'Egmont et d'Orange, décide de déléguer auprès de Philippe le baron de Montigny pour lui remontrer les périls de la situation. Une assemblée des chevaliers de la Toison d'Or convoquée par Marguerite de Parme lui arrache, malgré les scrupules de Granvelle et de Viglius, la convocation des Etats généraux. La réunion qu'ils tinrent à Bruxelles, le 29 juin 1562, se passa d'ailleurs dans le plus grand calme et se sépara sans difficulté après avoir accueilli favorablement une demande de subsides. Mais cette réunion, attestant la diminution du crédit de Granvelle auprès de la gouvernante, devait avoir pour conséquence d'encourager les efforts de ses ennemis. La ligue que plusieurs seigneurs ont formée contre lui dès la fin de 1561 — imitant peut-être l'exemple donné en France au mois d'avril par Montmorency, Guyse et Saint-André — ne garde aucune retenue. Elle traite le ministre en ennemi déclaré; elle répand le bruit qu'il a conseillé au roi de faire couper une demi-douzaine de têtes (48) et de venir en force pour soumettre le pays. Ses chefs s'expriment, écrit Marguerite, « en termes qui semblent mettre en doute que Votre Majesté soit maître de ces Etats » (49). L'OPPOSITION SE TOURNE VERS L'EMPIRE. — Cette conduite l'effrayait plus encore que leur langage. Depuis quelque temps, en effet, ils cherchaient visiblement à se rapprocher de l'Allemagne (50). Ils se rappelaient maintenant que le Cercle de Bourgogne constituait une partie intégrante de l'Empire et se trouvait placé sous sa protection, et il n'était point douteux que ce fût contre leur souverain espagnol qu'ils invoquaient cette suzeraineté si constamment méconnue depuis le règne de Philippe le Bon. Le mariage d'Orange avec la luthérienne Anne de Saxe, conclu en 1561 (24 août) malgré le mécontentement manifeste du roi, peut être considéré comme le premier symptôme de cette attitude nouvelle de la haute noblesse. Sans doute le prince avait tenu, tout au moins en apparence, sa promesse de faire instruire sa femme dans le catholicisme (51), mais, depuis lors, il n'avait manqué aucune occasion d'afficher de plus en plus ouvertement sa (Musée de Besançon.) (Cliché Bulloz.) Simon Renard, diplomate au service de Charles-Quint et de Philippe II, ami de Granvelle, à l'âge de trente-neul ans. Portrait peint par Antonio Moro en 1553. Sur les marques d'hostilité de la noblesse des Pays-Bas à Simon Renard, voir plus loin p. 253 la notice accompagnant la reproduction du tableau de Pierre Bruegel l'Ancien : Les culs-de-jatte. qualité de vassal de l'empereur et de seigneur allemand. Il nouait des relations étroites avec ses parents d'Outre-Rhin, tous protestants; il hébergeait dans son hôtel de Bruxelles ou dans son château de Bréda une foule de gentilshommes luthériens; en 1562, les objurgations de la gouvernante ne l'avaient pas empêché de se rendre à Francfort pour assister au couronnement du nouveau roi des Romains, Maximilien II. Il était facile de prévoir les périls, ou tout au moins les graves inconvénients que cette attitude pouvait susciter à la puissance espagnole dans le Nord. Berlaymont s'en effrayait à bon droit et déclarait à Marguerite « que le prince a quelque grand dessein en tête, et qu'il s'agit de quelque chose de contraire au service du roi » (52). Pendant que la haute noblesse, sous la direction d'Orange, cherchait à attirer l'Empire à sa cause, le peuple, lui, s'intéressait passionnément aux affaires de France, où le massacre de Vassy (2 mars 1562) venait de déchaîner la première guerre de religion. « Il ne se parle d'autre chose en ce pays, écrit Granvelle, que de ces mouvements de France, et de telle manière qu'on voit clairement qu'il y en a beaucoup auxquels il ne déplairait pas que les choses tournassent mal, et, si cela arrivait en France, bientôt nous en verrions autant ici» (53). Quantité de Huguenots venaient chercher asile dans les provinces. Comme à l'époque de la Révolution française, le pays regorgeait d'émigrés contre lesquels le gouvernement n'osait agir, et Les (ubtils moyens par le Cardinal Granduelle auec ces complices Inuentez. Pour Inftituer l'ab-hominablé Inquilîon auec 1a Cruelle obfèruatio des Placcartz Contre ceulx delà Religion. Pous ainfy pardeflus les Empereurs Roys,Seigneurs Nobles & toute Temporalité dominer fc ce faire pryer Se adorer, Defquelzles Nobles du pays baz auec les Puyffans& Nobles Seigneurs leurs aiiczaduertiz, Ont auec bonne & jufte ni* fonallencontre oppofez* IBruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Pamphlet anonyme contre Granvelle rédigé et répandu à l'initiative de la noblesse. qui entretenaient dans les grandes villes, surtout à Tournai, à Valenciennes et à Anvers, la plus dangereuse fermentation (54). Dès la fin de l'année 1562, la situation était si grave que le cardinal déclarait tout perdu si les seigneurs prenaient les armes : « car si quelqu'un d'eux le faisait, il n'y a que Dieu qui pourrait empêcher que l'exemple de la France ne fût limité en ce pays» (55). Heureusement, ils ne songeaient pas encore à la révolution et continuaient à nourrir l'espoir d'une intervention de l'Empire. C'est au milieu de ces circonstances que Montigny revint d'Espagne. Ceux qui avaient pu croire qu'il en apporterait la démission de Granvelle, se trouvèrent amèrement déçus. Le roi, loin de renvoyer le cardinal, lui témoignait plus de confiance que jamais; il s'efforçait de détruire les préventions des seigneurs à l'égard de ce ministre, l'innocentait d'avoir proposé la création des nouveaux évêchés, affirmait enfin qu'il n'était point question d'installer l'inquisition espagnole dans les Pays-Bas. Ainsi donc, tous les efforts des derniers mois avaient été dépensés en pure perte. Philippe restait inébranlable. Mais au point où en étaient les choses, son obstination ne pouvait avoir d'autre résultat que de communiquer une nouvelle énergie aux mécontents. La ligue des seigneurs combina de nouveaux projets. Montigny y adhéra dès son retour et en fut bientôt l'un des membres les plus ardents. MARGUERITE ABANDONNE GRANVELLE. -En face de cette opposition irréductible, la régente, cependant, fléchissait peu à peu. Elle en arrivait à se demander s'il était sage de conserver un ministre dont la présence rendait le gouvernement impossible. Autant les seigneurs affichaient leur haine pour Granvelle, autant ils se montraient auprès d'elle pleins de déférence et de dévouement. Elle se flattait donc de les apaiser le jour où le roi la laisserait agir seule et l'affranchirait du contrôle humiliant auquel il l'avait soumise. D'habiles intrigues l'indisposaient d'ailleurs contre le cardinal. Son secrétaire Armenteros, Simon Renard surtout, ennemi déclaré de Granvelle, lui faisaient croire qu'elle était secrètement desservie par lui à Madrid (56). Le refus de Philippe II d'abandonner Plaisance aux Farnèse donnait de la vraisemblance à ces accusations, si bien que, par ambition de jouer un rôle politique comme par intérêt personnel, elle en vint finalement à souhaiter elle aussi le rappel de son conseiller (57). Dès le mois de janvier 1563, elle laissait entendre qu'elle ne demandait qu'à le prendre au mot quand il parlait de se retirer, comme cela lui arrivait parfois (58). Ces dispositions encouragèrent les seigneurs à frapper un nouveau coup. Le 11 mars, Orange, Egmont et Hornes adressaient au roi un véritable réquisitoire contre Granvelle. Le cardinal, y disent-ils, est devenu tellement odieux qu'il est impossible de le laisser plus longtemps dans les provinces; la conviction que « la masse des affaires » dépend de lui est si bien enracinée dans les esprits « qu'il ne faut espérer la pouvoir jamais extirper durant sa présence ». Quant à eux, ils sont décidés à ne plus siéger à l'avenir à ses côtés au Conseil d'Etat (59). Ce n'était point en leur nom, c'était au nom de presque toute la haute noblesse que les trois signataires envoyaient à Philippe cette mise en demeure. A l'exception d'Aren-berg et de Berlaymont, tous les chevaliers de la Toison d'Or et tous les gouverneurs de province l'avaient approuvée, et elle le laissait clairement entendre en invoquant « le sentiment de tant d'hommes de par deçà bien principaux ». Il était facile de voir d'ailleurs qu'elle demandait bien autre chose que le rappel d'un ministre détesté. Elle impliquait en réalité tout un programme politique. En accusant Granvelle de détenir « la masse des affaires ». c'est le gouvernement monarchique et espagnol qu'elle condamnait au nom du gouvernement national et bourguignon. Philippe II ne le comprit pas. S'il fut exaspéré de l'insolence des seigneurs, il n'attribua leur attitude qu'à des froissements d'amour-propre, à des ambitions déçues, à des intrigues personnelles. Il crut être habile en traînant les choses en longueur et en recourant, comme toujours, à des finasseries de policier. Il se figura n'avoir affaire qu'à des meneurs, et il se dit que, pour enrayer le mouvement, il suffirait de semer la défiance entre ses chefs. Il tarda jusqu'au 6 juin avant de répondre qu'il se proposait de venir bientôt dans les Pays-Bas, mais qu'en attendant il lui serait agréable de voir l'un des seigneurs et d'apprendre quels griefs on invoquait contre Granvelle. Car « je ne vois, disait-il, que vous m'exprimiez aucune cause particulière qui nous pourroit mouvoir à estre d'avis que je deusse faire le changement que vous m'escrip-vez » (60). En même temps, et pour détacher d'Orange le comte d'Egmont, il écrivait à celui-ci qu'il désirait beaucoup le recevoir. LE ROI ET LES SEIGNEURS. - Mais si délicieusement que la vanité du comte pût être flattée par cette marque de faveur, il était trop engagé vis-à-vis de la (Brcda, Bibliothèque communale.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Château des comtes de Nassau à Bréda, résidence de la famille de Nassau avant la révolte contre Philippe II. Détail d'une gravure exécutée par Dolendo vers 1590. ligue pour oser rompre avec elle. Après avoir consulté les signataires de la lettre du 11 mars, il remercia humblement le roi de sa bienveillance, déclarant qu'il serait heureux de lui baiser les mains, mais qu'il ne pouvait se rendre en Espagne «pour l'affaire du cardinal» (61). Quelques jours plus tard, les seigneurs rendaient publiques deux lettres nouvelles qu'ils adressaient à Philippe et à la gouvernante (62). Au premier, ils déclaraient persister dans leur refus de siéger au Conseil d'Etat, à la seconde, ils exposaient que le principal motif de ce refus était l'ordre formel, arrivé récemment de Madrid, de ne point convoquer les Etats généraux, lesquels, dans leur intime conviction, se trouvaient seuls capables de fournir les « moyens pour sortir de ces calamitez ». Cette déclaration ne laissait subsister aucun doute sur l'attitude des seigneurs. Il était impossible de marquer plus clairement que ce n'était pas une question de personne mais une question de principes qui l'inspirait, et de mieux circonscrire le débat entre le gouvernement absolutiste et le gouvernement autonome. Granvelle en convenait lui-même en accusant ses adversaires « de vouloir réduire le pays en une forme de république où le roi ne pût dire que ce qui leur plairait » (63). On entrait désormais en pleine crise. Encouragés par la grève des conseillers d'Etats, les Etats de Brabant suspendent le payement des subsides; dans les provinces, les gouverneurs manifestent publiquement leur mauvais vouloir. Et pourtant jamais on n'a eu plus grand besoin de leur appui. Car le calvinisme commence à susciter des troubles dans la basse Flandre, à Tournai, à Valenciennes. Comment lui résister si les agents du pouvoir refusent d'agir ? Comment aussi, au milieu du mécontentement général, remédier au délabrement des finances et combler un déficit qui s'augmente chaque année de 600,000 florins (64) ? Granvelle commence enfin à désespérer. Accablé de soucis, craignant même pour sa vie, il vieillit, ses cheveux blanchissent (65); il ne voit plus de salut que dans l'arrivée du roi. Mais il sait bien que le roi ne viendra pas, et Marguerite le sait aussi. Dès lors, elle se décide à proposer le remède suprême. Au mois d'août 1563, son secrétaire Armenteros part pour Madrid, chargé de demander à Philippe II le rappel du cardinal. Cependant la situation ne cesse de s'aggraver. Orange Egmont, Hornes, Berghes tiennent des conciliabules mystérieux. En décembre, la duchesse ayant convoqué à Bruxelles les députés des Etats généraux, Granvelle n'ose demeurer dans la ville, et, pour colorer son absence, imagine de faire une tournée dans son diocèse (66). En revanche, dans leurs hôtels de la capitale, les nobles donnent à 1 envi des fêtes et des banquets, dépensent sans compter, s'endettent « afin de maintenir leur crédit sur le peuple » (67). Pendant le carnaval, au milieu d'une mascarade chez le sire de Grobbendonck, ils décident d'adopter pour leur ligue une livrée noire parsemée de têtes de folies rouges. Bientôt par les rues de Bruxelles on rencontre à chaque pas ce singulier uniforme — avant-coureur de celui des Gueux — et le peuple ne manque pas de voir, dans ces têtes de folies, la tête du cardinal (68). Quant à Philippe, il délibère plus lentement que jamais, sans parvenir à se décider entre son désir de châtier les coupables et la prudence que commandent les circonstances. Le duc d'Albe, tellement transporté de colère par la dernière lettre des seigneurs que « s'il ne se maîtrisait, son opinion paraîtrait celle d'un frénétique », lui a conseillé de dissimuler « en attendant que l'on puisse couper la tête à ceux qui le méritent» (69). C'est à ce parti qu'il se range enfin. Dans la solitude de son cabinet, il règle minutieusement la mise en scène d'une véritable comédie politique. Résigné à céder, il veut du moins sauver les apparences. Tandis qu'il fait rédiger pour Marguerite des instructions ostensibles, blâmant la conduite des seigneurs et leur ordonnant de reprendre séance au Conseil d'Etat jusqu'à ce qu'il ait statué sur leurs plaintes, il écrit de sa main à Granvelle, l'autorisant à s'absenter « pendant quelques jours pour aller voir sa vieille mère en Bourgogne », et il met la duchesse au courant de cette manœuvre, grâce à laquelle « l'autorité du roi et la réputation du cardinal» seront sauvegardées! (22 janvier 1564) (70). Armenteros apporta le tout à Bruxelles à la fin de février. Le dénouement de la pièce n'était pas douteux. Malgré l'ordre royal, les seigneurs s'obstinèrent à ne point reparaître au Conseil. Dans la ville « pleine de leurs nouvelles livrées », une rébellion n'allait-elle pas éclater (71) ? La gouvernante le craignit ou feignit de le craindre. DEPART DE GRANVELLE. — Bien que Philippe, regrettant déjà sa première décision, lui eût recommandé, peu de jours après l'arrivée d'Armenteros, de chercher les moyens de conserver Granvelle, bien que celui-ci, dans son dépit d'être sacrifié à l'opposition, n'eût encore fait part à personne des intentions du roi, elle n'hésita point à le prier de s'éloigner. Il fallut que le ministre vaincu jouât son rôle jusqu'au bout. Il demanda gravement à « Madame » de pouvoir accompagner jusqu'en Bourgogne, où l'appelaient des affaires et des affections de famille, son frère Chantonay qui venait précisément d'arriver dans les Pays-Bas (72). Cette permission lui fut accordée soi-disant pour deux ou trois mois, et il eut soin de faire proclamer partout qu'il reviendrait prochainement. Le 13 mars, il quittait Bruxelles; il n'y devait plus jamais reparaître. n - 16 NOTES (1) G. Crutzen, L'origine maternelle et la naissance de Marguerite de Parme, dans Travaux du cours pratique d'histoire nationale de P. Fredericq, t. I, p. I et sui». (2) Inventaire des Archives départementales du Nord, t. V, p. 23, 31. (3) Sur sa vie en Italie, voy. A. de Reumont, Margheritha d'Austria, duchessa dl Parma, dans Archivio storico italiano, 4« série, t. VI [1880], p. 15 et suiv., et F. Rachfahl, Margaretha von Parma, Statthalterin der Niederlande, p. 1 et suiv. (Munich-Leipzig, 1898). (4) F. Rachfahl, Margaretha von Parma, p. 119 et suiv., a insisté avec beaucoup de force sur l'importance de la question de Plaisance dans les rapports entre Marguerite et Philippe II. (5) Au Musée royal de Bruxelles (tableaux anciens, n° 411). — Voir un autre portrait d'elle dans le lahrbuch der xunsthistorischen Sammlungen des allerhôchsten Kaiserhauses, t. XVII, p. 266 (Vienne, 1896), où elle est représentée plus jeune. Les musées de Vienne et de Berlin possèdent d'autres portraits de la duchesse dans son âge mûr, par Antonio Moro. (6) Gachard, Correspondance de Philippe II. t. I, p. 465, 469. (7) La nature de la Consulta répond bien à la politique cauteleuse et timide du roi à cette époque. Il n'ose ouvertement changer le système du gouvernement, mais il il cherche a en fausser le mécanisme. L'organisation en apparence reste ce qu'elle en était auparavant : en fait, Philippe s'efforce de l'espagnoliser. C'est de la même manière qu'il a agi quant aux placards de Charles-Quint en matière d'hérésie : il en respecte la lettre, mais il s'efforce d'en changer l'esprit. (8) Voy. plus haut, p. 223. (9) « Je me contente, écrit-il en 1567, de m'entendre bien avec mon maitre, et ne suis non plus Flamand que Italien; je suis de partout, et ma foi est de procurer de faire mes affaires et de m'employer en ceux du maître et du public en ce que l'on voudra et non plus ». Gossart, Etablissement du régime espagnol, p. 40. (10) En 1558, il ne veut pas, malgré les instances du pape, que l'on censure les ouvrages d'Erasme. E. Gossart, Un livre d'Erasme réprouvé par l'université de Louvain. Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres, 1902, p. 438. (11) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. CLXIX. — Plus tard, au fort de la lutte, il poussa le roi à des mesures violentes. II fut de ceux qui conseillèrent la mis à prix de la tête du prince d'Orange. (12) Gachard, Etudes sur don Juan d'Autriche. Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, 2" Série, t. XXVII [1869], p. 547 n. (13) E. Marx, Studien zur Geschichte des Niederlândischen Aufstandes. p. 469. n. 3. (14) Voir un exemple caractéristique et scandaleux de son avarice dans Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I. p. 350. (15) Il mourut le 26 décembre de la même année, (16) Chronique des seigneurs et comtes d'Egmont. Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 26 série, t. IX [1857], p. 13 et suiv. (17) Granvelle l'appelait : Amigo de humo (ami de la fumée). Weiss, Papiers d'Etat de Granvelle, t. VII, p. 135. (18) Sur la famille de Guillaume, l'enfance de celui-ci, son éducation et ses faits et gestes dans les Pays-Bas jusqu'au commencement du règne de Philippe II, voy. l'excellent exposé de F. Rachfahl, Wilhelm van Oranien und der Niederlandische Aufstand, t I, livres I et II. (19) Luigt d'Aragona, qui visita Bruxelles en 1517, cite comme une des curiosités de la ville le grand lit élevé dans la salle de l'hôtel de Nassau pour les convives ivres-morts (Reise von Luigi d'Aragona, éd. Pastor, p. 65). Guillaume d'Orange demeura toute sa vie enclin à des excès de table que lui permettait d'ailleurs sa robuste santé. Voy. Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, p. LXVt. (20) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, p. 249, et Correspondance de Philippe II, t. II, p. 115. — En 1557, Badoero évalue les revenus du prince à 80,000 scudi (Albert, Relazioni, ire série, t. III, p. 298), il n'est question dans ces textes que des revenus du prince dans les Pays-Bas. Rochfahl, Wilhem van Oranien, p. 210, porte l'ensemble de ses revenus à 200,000 livres, Egmont, le plus riche des seigneurs des Pays-Bas après lui, si on ne tient pas compte du duc d'Arschot dont le rôle politique ne doit commencer que beaucoup plus tard, aurait eu 62,000 florins de revenus, Berghes, 50,000, Culembourg, 31,000, Hoogstraeten, 16,000, Hornes et Bréderode, 8.000. Gachard, Correspondance de Philippe II. t. II, p. 115. (21) Tous les brouillons autographes de ses lettres sont écrits en français. (22) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. ni. — Sur son surnom, voy. P. J. Blok, Anteekeningen over « De Zwijger * en over het Wilhelmus. Bijdragen voor Vaderlandsche Geschiedenis, 1910, p. 140. Il ne lui aurait été donné de son vivant que par ses ennemis, dans le sens de peu sincère, dissimulé. (23) Gachard, ibid. (24) Groen van Prinsterer, Archives de la maison d'Orange, t. V, p. 245 (Levde, 1838). (25) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. 16-22. — Sur les idées religieuses du prince voy. une étude de P.-J. Blok, De Godsdienst van Willem van Oranje, dans Verspreide studiën, p. 126 et suiv. (Groningue, 1903), et Marx, Studien, etc., p. 274. je reviendrai plus loin sur ce sujet. A mon sens, Guillaume fut à l'origine partisan des idées d'Erasme et de Cassander, ainsi que la plupart des grands seigneurs de son temps. (26) En 1560, il écrit à la gouvernante qui voudrait le voir demander au roi la permission de se marier : « que les vassaux de par deçà sont libres en leurs mariages, et qu'il ne convient pas de leur imposer cette servitude ». Gachard. Correspondance de Marguerite de Parme, t. I, p. 160 (Bruxelles. 1867). (27) Il est intéressant de remarquer combien l'emploi du mot patrie devient fréquent depuis 1555, parmi l'opposition, pour désigner les Pays-Bas sans distinction de provinces. Ce fait est dû en partie, sans doute, à l'imitation du langage des anciens, mais il décèle nettement aussi la tendance nationale bourguignonne du mouvement politique. Voy. plus haut, p. 130. (28) L'aristocratie était plus lettrée qu'on ne le croit généralement. Beaucoup de jeunes nobles avaient étudié au collège des Trois Longues (Nève, Collège des Trois Langues, p. 325), et Guichardin cite un nombre considérable d'humanistes parmi la noblesse IDescription des Pays-Bas. p. 93). Le comte d'Hoogstraeten possédait dans son château une « belle librairie » ilbid., p. 205l. Le philologue Barlandus avait été le précepteur du marquis de Berghes. Casembrodt, le secrétaire d'Egmont. était un humaniste et un poète, etc. (29) Groen van Priesterer, Archives, etc.. t. II, p. 266 (Leyde, 1835) a déjà remarqué très exactement que le sentiment religieux était chez eux bien inférieur au sentiment politique. (30) Voy. plus haut, p. 189. (31) Je dis à la galanterie, je ne dis pas à la débauche. On sait que certains d'entre eux, Bréderode par exemple, que ses ennemis allèrent jusqu'à accuser d'inceste avaient sous ce rapport des mœurs déplorables. (32) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 331. (33) Kervyn de Lettenhove, Recherches sur la part que l'ordre de Citeaux et le comte de Flandre prirent à la lutte de Boniface VIII et de Philippe le Bel, dans Mémoires de l'Acad. Royale de Belgique, t. XXVIII [1853], p. 91. (34) Histoire de Belgique, t. I, 4° édit., p. 223. — Pour d'autres projets analogues du duc Jean III au XlVe siècle, voy. Em. Fairon, Un projet de démembrement du diocèse de Liège proposé par les Brabançons en 1332 et 1336. Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, t. LXXVIII [1909], p. 142 et suiv. (35) Gachard, Correspondance de Philippe II. t. I, p. xcv, n., et p. 376, mentionne un projet de ce genre sous Charles le Téméraire. Pour Maximilien, voy. plus haut, p. 154. En 1505, l'abbé de Saint-Bavon, Raphaël de Mercatel, avait cherché à faire ériger par le pape son abbaye en évêché distinct. U. Berlière, Les évêques auxiliaires de Cambrai et de Tournai, p. 142 (Bruges, 1905). (36) P. Fredericq, Corpus Inquisitionis, t. IV, p. 279 (Gand, 1900). — Pour d'autres projets de Charles-Quint, voy. Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. xcni et suiv.; de Hoop-Scheffer, Geschiedenis der Kerkhervorming, p. 210; Marx, Studien, etc., p. 55. En 1553, les quatre membres de Flandre avaient déjà prié l'empereur d'établir un évêché à Ypres. Gachard, Notice sur les Archives de Gand, P. 65. — Sur l'organisation diocésaine avant la création des nouveaux évêchés, voy. J. Laenen, Notes sur l'organisation ecclésiastique du Brabant à l'époque de l'érection des nouveaux évêchés. Annales de l'académie d'archéologie de Belgique. 5e série t. VI [1904], p. 67 et suiv. (37) Miraeus, Opéra diplomatica, t. I, p. 472 (Louvain, 1723). (38) On s'attendait à vingt, puisqu'il y avait six anciens diocèses et quatorze nouveaux. Mais, depuis 1553, l'évêché de Térouanne, transféré à Boulogne, n'exerça plus aucune juridiction sur les Pays-Bas, et, depuis 1559, celui de Liège perdit celle qu'il avait possédée jusqu'alors sur une partie du Brabant, du Namurois, du Hainaut, du Luxembourg et du Limbourg. (39) Voy. plus haut, p. 118. (40) Weiss, Papiers d'Etat de Granvelle. t. VII, p. 206. (41) E. Marx, Studien, etc., p. 221. (42) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 207. En 1567, il le déclarait de nouveau au nonce du pape. Gachard, Les bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 101. (43) Gachard, Correspondance de Philippe II, p. 195. — Sur les motifs personnels qui ont poussé Egmont et Orange à rompre avec Granvelle, mais dont i] ne faut pas exagérer l'importance, voy. Marx, Studien, etc., p. 148. (44) Kervyn de Lettenhove, Les Huguenots et les Gueux, t. I, p. 164 (Bruges. 1883); F. Rachfahl, Wilhelm von Oranien, etc., t. II, p. 175 et suiv. (45) Les Etats de Brabant acquirent ainsi une importance nationale. Ce fait apparaît en pleine lumière quand on voit Egmont, en 1565, acheter la seigneurie de Gaesbeek pour pouvoir y siéger. Gachard, Notice sur les Archives de Gand, p. 47. (46) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 199, 203. — Dès le mois de février 1562, les Etats de Brabant avaient envoyé une députation à Madrid pour protester contre les évêchés. Weiss, Papiers d'Etat, t. VI, p. 503 (Paris. 18461. (47) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 201. (48) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 207. — Philippe II, tout en déclarant à la régente que Granvelle ne lui a rien proposé de semblable, déclare « qu'il ne serait peut-être pas mal de recourir à ce moyen ». (49) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 215 (50) Kervyn de Lettenhove, Les Huguenots et tes Gueux, t. I, p. 166; Marx. Studien, etc., p. 271. (51) Sur la duplicité de sa conduite en cette occasion, tant à l'égard des parents protestants de sa femme que de Philippe II et de Marguerite de Parme, voy. Rachfahl. Wilhelm van Oranien, etc., t. II, p. 124 et suiv. (52) Gachard. Correspondance de Philippe 11, t. I. p. 225. (53) Ibid. (54) Weiss, Papiers d'Etat, tome VII, p. 33; Gachard, Correspondance de Philippe II. t. I, p. 218. (55) Gachard, Correspondance de Philippe II. t. I, p. 230. (56) E. Marx, Studien, etc., p. 442 et suiv., a très finement analysé les mobiles qui poussèrent Marguerite à ce revirement. Sur la curieuse personnalité de Simon Renard, voy. ibid., p. 316 et suiv. (57) F. Rachfahl, Margaretha von Parma, p. 117 et suiv., a eu le mérite de montrer clairement l'influence de la question de Plaisance sur les dispositions de Marguerite, mais, semble-t-il, avec quelque exagération. 158) Gachard. Correspondance de Philippe II. t. I. p. 236. (59) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. Il, p. 35. (60) Ibid.. p. 41. (61) Gachard, Correspondance de Philippe 11, t. I, p. 258. (62) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. 42. 48. (63) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 261, cf. p. 297, 257. (641 Ibid., p. 266. (651 Ibid., t. I, p. 268. (66) Ibid.. p. 274. (67) Ibid., p. 275. (68) On discute beaucoup sur la signification de cette livrée. Voy. les intéressants détails fournis par Marx, Studien, etc., p. 467 et suiv. La question me parait pourtant assez simple. Les seigneurs adoptèrent une livrée commune en signe de confédération, e: leurs relations de plus en plus intimes avec l'Allemagne expliquent qu'ils aient choisi pour elle, comme le faisaient les princes allemands, des étoffes très simples et la couleur noire. Quant aux têtes de folies, elles n'ont aucun rapport avec Granvelle : on les adopta parce que l'on se trouvait à l'époque du carnaval. (69) Correspondance de Philippe II, t. I. p. 272. (70) Ibid.. p. 285. — Pour le détail des événements voy. l'exposé très complet de Marx. Studien .etc., p. 463 et suiv. (71) Gachard, Correspondance de Philippe II. t. I, p. 295. (72) Il venait d'être envoyé de Paris à Vienne comme ambassadeur d'Espagne et se dirigeait par Bruxelles vers son nouveau poste. CHAPITRE III LES CALVINISTES ET LES GUEUX ROPAGATION DU CALVINISME. - Pendant les premiers temps, l'opposition des Pays-Bas à Philippe II se place exclusivement, on l'a vu, sur le terrain national. Elle reste tout à fait étrangère à la question religieuse. Si tiède que soit leur foi, ses chefs professent sans exception le catholicisme. Orange lui-même, malgré des accointances suspectes, ne permet point que l'on doute de son orthodoxie. Nulle part on ne voit les luthériens ou les anabaptistes soutenir les mécontents ou prendre la moindre part à la lutte. Leur réserve contraste singulièrement avec l'agitation qui emplit le pays. C'est parmi ses sujets catholiques que le roi catholique souleva d'abord des résistances : il n'en rencontra aucune, au commencement de son règne, parmi les hérétiques. Mais il n'en fut ainsi que pendant la première phase du conflit. L'entrée en scène du calvinisme va modifier brusquement la situation et faire surgir, à côté de 1 opposition nationale, une opposition religieuse qui, s'imposant bientôt à celle-ci, l'entraînera dans son mouvement et la précipitera dans la révolte ouverte. C'est qu'avec lui un esprit nouveau apparaît parmi les confessions protestantes (1). Tandis que les luthériens s'abstiennent de toute action politique, tandis que les anabaptistes, après avoir renoncé à leurs rêveries apocalyptiques, ne cherchent plus qu'à éviter le contact d'une société qu'ils condamnent et se confinent dans leurs communautés d'initiés, le calvinisme prétend réformer l'Etat et le soumettre à la loi divine, c'est-à-dire le soumettre à son Eglise. Car, comme le catholicisme son ennemi, il possède une organisation religieuse complète. Bien différent de Luther, qui ne s'est occupé que de prédication, abandonnant le reste au pouvoir civil, Calvin a reconnu toute l'importance de la discipline ecclésiastique. La constitution synodale qu'il a donnée à la société religieuse assure l'indépendance de celle-ci à l'égard de la société temporelle. Mais cette indépendance n'est qu'un point de départ, qu'un minimum dont on se contentera faute de mieux. L'idéal consiste dans la subordination de l'autorité laïque à l'autorité spirituelle; le but à atteindre est l'Etat théocratique tel que le maître l'a fondé à Genève. L'Evangile doit triompher, fût-ce en dépit du prince, qui n'est plus qu'un tyran lorsqu'il s'oppose à la parole de Dieu. Dès lors, le calvinisme devient fatalement révolutionnaire. Il l'a été en France avec les Huguenots, comme dans les Pays-Bas avec les Gueux. Il l'a été d'autant mieux qu'il conçoit Dieu plutôt comme un maître que comme un père, et que son radicalisme religieux ne lui fait voir dans l'ancien culte qu'une abominable idolâtrie. Ajoutons enfin que son dogme de la prédestination absolue, par une curieuse inconséquence, pousse ses adeptes à l'action. Au lieu de tomber dans le quiétisme, ils se dévouent entièrement à la volonté de Dieu et au triomphe de son Eglise. Au milieu des infidèles, ils se prouveront à eux-mêmes, en développant toutes leurs énergies, qu'ils sont réellement les élus du Christ (2). Ils se soumettront (Dresde. Staatlich Historisches Muséum.) Philippe de Hornes (à gauche), Guillaume d'Orange (au centre), Lamoral d'Egmont, (à droite). Trois portraits en médaillons peints vers 1580 par un artiste inconnu. à la plus terrible des disciplines, et leur volonté constamment tendue ne connaîtra point d'obstacles. La charité perd chez eux sa douceur et sa tendresse; c'est à la tête et non au cœur que leur religion obéit. De toutes les confessions chrétiennes aucune n'a été aussi froide, aussi peu attirante. Mais aucune n'a développé une égale puissance de prosélytisme ni exercé, en aussi peu de temps, une telle influence politique. Partout où elle apparaît, elle entame la lutte. Elle ne résiste point seulement, elle attaque, et cela sans s'inquiéter du nombre ou de la force de ses ennemis. A la résignation des luthériens, elle substitue la révolte; elle ouvre, dans chaque pays où elle s'implante, l'ère des guerres de religion. C'est pendant les dernières années du règne de Charles-Quint qu'elle atteignit le territoire des Pays-Bas. Elle semble y avoir passé tout d'abord inaperçue. Pendant assez longtemps on confondit les calvinistes avec les luthériens et les anabaptistes, et il faut attendre le placard du 28 avril 1550 pour rencontrer le nom de Calvin parmi ceux des hérétiques dont les ouvrages sont prohibés sous peine de mort (3). Mais bien avant cette date, une propagande déjà active devait avoir largement répandu 1' « Institution chrétienne » dans le Hainaut, le Tournaisis et les environs de Lille (4). C'est, en effet, par ces régions wallonnes, proches de la France et rattachées à elle par la communauté du langage, que le calvinisme s'introduisit dans la Belgique, comme le luthéranisme s'y était introduit jadis par les provinces du nord, de sorte que, dans le grand drame religieux du XVIe siècle, les deux populations des Pays-Bas jouèrent successivement leur rôle. Le calvinisme ne devait point tarder à refouler les autres confessions protestantes. Ni les luthériens ni les sacra-mentaires ne disposaient comme lui d'une solide constitution ecclésiastique. Faute d'organisation indépendante, leurs communautés se trouvaient incapables de tenir tête à l'Etat. C'est là seulement où les princes adhérèrent à sa doctrine que le luthéranisme triompha. Dans les Pays-Bas, vis-à-vis d'un souverain champion du catholicisme, ses chances de l'emporter disparaissaient, et l'on a vu, en effet, qu'à partir de 1540 environ, sa propagande avait été arrêtée dans les provinces. Si ses adeptes conservèrent leur foi, ils cessèrent de faire des prosélytes; leurs communautés se désagrégèrent et leurs coreligionnaires d'Allemagne se montrèrent impuissants à les soutenir. Le calvinisme, au contraire, dispose, dès les premiers jours, de puissants instruments de pénétration et de lutte. Il possède dans ses « pasteurs » une armée de missionnaires. Formés à Genève, à Lausanne, à Strasbourg, plus tard à Heidelberg, ils présentent tous les caractères d'un véritable clergé, mais d'un clergé aussi actif, aussi instruit que le clergé catholique est, en général, ignorant et apathique (5). Pourvus d'instructions, agissant de concert, se tenant en rapport les uns avec les autres, ils apparaissent comme les agents disciplinés d'une vaste entreprise religieuse. Ils pénètrent dans les villes sous des déguisements ou sous des noms d'emprunt, évangélisent le soir, à portes closes, dans une hôtellerie, au fond d'une cour ou dans quelque endroit écarté de la banlieue. Parfois, c'est au milieu d'un repas, dans une maison amie qu'ils exercent leur mission, cherchant à convertir les convives par des conversations édifiantes et leur distribuant des livres et des cantiques (6). Dès avant 1543, ils ont gagné ainsi, surtout aux alentours de Lille et de Tournai, de nombreux fidèles dans toutes les classes de la société, mais particulièrement dans le peuple, et ces « frères dispersés » correspondent activement avec Strasbourg ou Genève (7). En 1544, les fidèles de Tournai députent deux mandataires dans la première de ces villes pour demander un pasteur. Bucer leur envoya Pierre Brully, qui, arrêté et exécuté l'année suivante, fut, semble-t-il, aux Pays-Bas, le premier martyr du calvinisme. Mais déjà celui-ci était assez répandu dans les provinces wallonnes pour y susciter des apôtres. Tel fut le Montois Gui de Bray, l'un des propagandistes les plus actifs de la doctrine, le rédacteur de la « Confession de foi des Eglises néerlandaises ». Dès 1556, il avait réussi à établir à Lille une communauté pourvue de ses diacres et de sa caisse, alimentée par les contributions des membres (8). D'ailleurs le calvinisme commence à gagner à cette date les provinces du Nord. L'Angleterre, depuis sa rupture avec Rome, est devenue pour lui une excellente base d'opérations. Depuis la fin du règne de Henri VIII, elle accueille en masse les protestants de France et de Belgique, et tout de suite, sur ce sol hospitalier, sur cette terre de « refuge », apparaissent des communautés calvinistes (9). C'est dans leur sein que se forment les « prédi-cants » qui s'acharnent à la conversion des Pays-Bas. Le commerce si intense qui se fait entre les deux rives de la mer du Nord facilite singulièrement leur tâche. Grâce à lui, ils se maintiennent en communication constante avec les « fidèles » des Pays-Bas; ils les dirigent, ils les encouragent. Expulsés pendant le règne de Marie Tudor, ils s'installent en grande partie à Emdem, sur la frontière même des Pays-Bas du Nord (10), puis ils reviennent plus nombreux en Angleterre à l'avènement d'Elisabeth, qui les prend ouvertement sous sa protection. Pour des motifs économiques plus encore que religieux, elle laisse les protestants wallons et flamands s'installer à Londres, à Sandwich, à Colchester et à Norwich, où ils introduisent leurs industries et qu'ils transforment en même temps en foyers de propagande (11). Entre ces émigrés et la mère patrie, le va-et-vient est continuel, et bientôt, le long de la côte, le calvinisme s'implante comme il s'est implanté déjà dans les contrées wallonnes autour de Tournai, de Lille et de Valenciennes. Des deux côtés, il atteint Anvers où se répercutent nécessairement tous les mouvements qui agitent le pays et où les relations commerciales font affluer en nombre de plus en plus considérable les Huguenots français. La grande ville fournit ainsi au calvinisme, comme jadis au luthéranisme, une admirable position centrale. Par elle, toutes les communautés du pays, flamandes ou wallonnes, correspondent les unes avec les autres et se soumettent à une direction commune. De très bonne heure, l'organisation de la nouvelle Eglise y fonctionne presque au grand jour. Les femmes calvinistes viennent y accoucher pour pouvoir faire baptiser leurs enfants «à la mode des hérétiques» (12). Ces progrès s'expliquent aisément si l'on songe à la situation religieuse du pays. Désorganisés depuis longtemps et privés de leurs pasteurs, les luthériens ne pouvaient penser à s'y opposer. Les anabaptistes, plus nombreux, essayèrent pendant quelque temps d'une résistance que Gui de Bray combattit énergiquement (13) et qui, à la longue, devait céder devant le prosélytisme méthodique et l'organisation supérieure des calvinistes. Quant aux catholiques, c'est-à-dire à l'immense majorité de là population, ils ne montrèrent que tiédeur et apathie vis-à-vis du nouveau péril qui menaçait leur foi. Manifestement, la ferveur a presque complètement disparu parmi eux; s'ils restent dans l'Eglise, c'est par tradition, par habitude, par conservatisme, mais bien rares sont ceux qui se montrent disposés à la défendre. TIEDEUR DES CATHOLIQUES. - Dans toutes les classes de la population, on constate les symptômes les plus inquiétants. Les gens instruits affichent pour la plupart leur indifférence à l'égard des querelles religieuses; ils ne veulent plus de persécutions, et, comme Cassander, dont les œuvres trouvent parmi eux quantité de lecteurs, ils adhèrent à un christianisme large et tolérant dans lequel pourraient s'unir les adeptes des diverses confessions (14). D'autres, plus frivoles, raillent les pratiques pieuses et affectent un scepticisme d'esprits forts. Monti-gny se déclare « rassasié de messes » (15) et mange ostensiblement de la viande en carême. En 1564, l'évêque de Liège, Gérard de Groesbeek, constate que le « degast des opinions et mœurs est tel qu'il est desjà enraciné en la plupart des gens parvenu en âge, de quelque estât ou conditions ils soyent » (16). Des plaintes analogues s'entendent de tous côtés. Granvelle, la gouvernante, les évêques, tous s'effrayent de la décadence de la religion catholique. L'institution des nouveaux évêchés, qui a pour but précisément de remédier à ce mal, l'augmente au lieu de l'amoindrir, par le mécontentement qu'elle soulève et la défiance qu'elle inspire. Les jésuites cherchent bien à prendre pied dans le pays, mais le sentiment public leur est visiblement hostile, et, pendant longtemps, en dépit de tous leurs efforts, ils n'arriveront pas à agir sur les esprits. Viglius déconseille à Philippe II de les introduire dans les provinces (17), et à Liège, où pourtant l'hérésie n'a guère pénétré, l'évêque n'ose proposer aux Etats des mesures en leur faveur « à cause de la malvaisté du temps» (18). Dans de telles conditions, l'ardeur et l'énergie des pré-dicants devaient faire de rapides conquêtes. La logique passionnée de 1' « Institution chrétienne » s'imposait sans peine à des âmes dans lesquelles la foi catholique s'était amoindrie. L'éloquence et la clarté de son style contribuaient encore à son succès parmi les nobles et les bourgeois chez qui la langue française était depuis longtemps en usage. Ils n'avaient pu connaître Luther que par des traductions, mais, lisant Calvin dans son texte original, ils se sentaient plus proches de lui et subissaient plus facilement son ascendant. En outre, le dépit que leur inspiraient les privilèges et la suprématie du clergé, et surtout la haine qu'ils portaient à l'inquisition, amenaient bon nombre d'entre eux à s'intéresser à une doctrine qui condamnait sans réserve l'organisation de l'Eglise. Enfin, le mécontentement provoqué par le roi catholique tendait au même résultat : c'était une manière de protester contre le gouvernement que d'adhérer au calvinisme. LE CALVINISME ET LES TRANSFORMATIONS SOCIALES. — Il n'en faut pas davantage pour comprendre comment, dès les premiers temps de la régence de Marguerite de Parme, on le voit s'infiltrer dans les cou- (Rotterdam, Musée Boymans.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.l Jean Calvin (Noyon, 1509-Genève, 1564). Portrait peint vers 1550 par un maître français anonyme. -T7 r- •""/'S «C- ir^U'T '-*:' OH /A .j-ji-'x* SvZ^tài â-i**- i----.^-<-•♦♦7—^Ant'W'ei<.pen flaitsamt af.nsciiôwfn gelegen aent) scheld /a ex die v vlaemsche landovve sines. Dans les grandes villes même de la Flandre, du Brabant, du Hainaut et de l'Artois, elle n'atteint guère cette petite bourgeoisie composée de boutiquiers ou de maîtres artisans qui a conservé les traditions du régime corporatif. Mais elle triomphe partout où le travailleur ne vit que de son salaire, partout où la misère de sa condition l'excite contre le régime dont il souffre. EXPLOSION DU CALVINISME. - Car ce ne sont pas seulement les patrons qui ont poussé au calvinisme le prolétariat industriel. Il s'y est jeté de lui-même par mécontentement, par esprit de révolte, par espoir d'améliorer son sort. Bref, c'est pour des raisons analogues à celles qui, dans le siècle de la vapeur, devaient gagner les populations industrielles au socialisme, qu'elles ont adhéré au calvinisme dans le siècle de la Renaissance. Sans doute la prédication religieuse a conquis beaucoup d'âmes, converti une foule d'hommes déjà détachés de l'Eglise par l'anabaptisme; mais chez d'autres, ouvriers sans travail, vagabonds, gens sans aveu, la nouvelle religion n'est qu'un prétexte d'insurrections, d'aventures à courir, de coups à faire ou d'aumônes à recevoir (23). Plus il grossit, plus il avance, plus aussi le flot du calvinisme entraîne avec lui d'éléments suspects, et sa force n'augmente qu'au détriment de sa pureté. Il s'en fallut de peu que le soulèvement des Huguenots de France ne se communiquât tout de suite aux Pays-Bas. Du moins y provoqua-t-il immédiatement une recrudescence dans l'activité et la hardiesse des propagandistes. Encouragés par l'exemple de leurs coreligionnaires, ils ne craignent plus de se montrer. De nouveaux pasteurs arrivent d'Angleterre ou de France pour prendre la direction du mouvement. Dans la basse Flandre, comme autour de (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 22090.) Plan de Bailleul au XVIe siècle, par Jacques de Deventer. Sur le contenu et la valeur de l'oeuvre cartographique de Jacques de Deventer, voir plus haut p. 140. (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Anvers en 1562. Gravure de Melchisedech Van Hooren (qui travailla à Anvers entre 1556 et 1575). Dans le cartouche supérieur, on lit : Loft Godt van al en drinckt den wijn en laet de werelt de werelt sijn (Louez Dieu de toutes choses, buvez votre vin et laissez le monde tel qu'il est). Tournai et de Valenciennes, on tient maintenant des prêches en plein jour. Des émissaires huguenots parcourent la région; les imprimeries calvinistes de Sedan l'inondent de pamphlets, de livres pieux, de recueils de cantiques. Dès le mois d'août 1560, Marguerite de Parme s'attend à une révolte, et Granvelle écrit au roi que la religion se perd dans toutes les parties du pays et que c'est miracle que l'exemple de la France n'ait point encore été suivi (24). Philippe II recommande vainement de sévir : il est impossible d'emprisonner des centaines de suspects et de décimer la population. D'ailleurs le mécontentement général soulevé par le gouvernement l'oblige à ménager l'opinion. Marguerite se borne à agir « autant que Testât et humeur de ces pays peuvent comporter» (25). Elle encourage les magistrats zélés, elle renouvelle l'édit contre les représentations théâtrales, mais elle n'ose aller plus loin (26). En 1561, la répression de l'hérésie se heurte partout à une résistance déclarée. A Anvers, on n'arrête plus aucun calviniste (27). Dans la basse Flandre, l'arrivée de l'inquisiteur Titelman fait éclater des troubles; il se voit suivi par des bandes menaçantes de plusieurs centaines de personnes, conspué publiquement, et la haine populaire se déchaîne contre lui avec tant de furie que les hôteliers, crainte de représailles, refusent de le loger (28). A Messines, la prison où l'on a enfermé quelques hérétiques est forcée par la foule. Les « justices champêtres » sont terrorisées et il n'en faut rien attendre. Au mois de juillet 1561, le Conseil de Flandre constate que dans la châtellenie de Bailleul, « le nombre des suspectz, pour la pluspart povres gens idiots ne sçachans lire ne scripre, est si grand que l'on n'en sçauroit bonnement venir à chief sans grande effusion de sang et sans entière ruyne du dit quartier» (29). C'est pis encore à Armentières et autour d'Hondschoote, à Nukerke, Kemmel, Wytschaete, Dranoutre, Reninghelst, Steenwerck. Déjà çà et là des pillages d'églises sont signalés. Au mois de novembre, une bande envahit près de Bruges un monastère de Jacobins, blesse deux moines et prend de l'argent (30). Des quantités de réfugiés ont quitté l'Angleterre à la nouvelle des événements; ils excitent les passions populaires « et semblent pressez comme gens enchâssez, povres et en partye banniz, de se mettre à quelque hasard» (31). Une requête anonyme envoyée au magistrat d'Hondschoote, soi-disant au nom de deux mille réformés, revendique le droit à l'insurrection contre l'autorité rebelle à la parole de Dieu. Et très habilement, employant pour la première fois un argument que les calvinistes devaient si souvent reproduire dans la suite, elle invoque en faveur de la tolérance qu'elle réclame, l'intérêt général de la ville dont la conduite des inquisiteurs fera fuir l'industrie (32). D'autres manifestes ne sont que de grossières supercheries destinées à émouvoir la foule ignorante et crédule. Telle, par exemple, une lettre de « Frédéric de Naus-burg (sic) et de messire Gérard van Sevenberghe, princes électeurs », menaçant de faire périr par le fer et par le feu, les persécuteurs « de leurs pauvres frères» (33). LES EMEUTES DE VALENCIENNES. - L'agitation qui sévit dans les districts industriels de la Flandre s'empare aussi du prolétariat ouvrier de Tournai et de Valenciennes. Dans cette dernière ville, elle est fomentée « par des gens es-trangiers qui y viegnent. François et aultres, pour ouvrer de sayettes et de- myes ostades, que sont en partie fugitifz d'ailleurs à cause de la religion » (34). Au mois d'octobre 1561. des inconnus s'assemblent la nuit dans les rues, chantent les psaumes de Marot, profèrent des injures devant les maisons des prêtres. On a beau doubler le guet, défendre de louer des boutiques ou des chambres à tout étranger qui n'exhibera point une attestation de catholicisme, obliger les aubergistes à fournir chaque jour au magistrat la liste de leurs hôtes, menacer de démolir les maisons où des « conven-ticules » auront été tenus (35), la fermentation des esprits, un moment contenue, éclate en février avec plus de violence. La mauvaise situation de l'industrie augmente, pendant l'hiver, la gravité du péril. Quantité de gens sans travail pactisent avec les réformés, et, pour éviter une sédition, le magistrat est obligé de les employer à la réparation des murailles afin de leur donner « moyen de gai- (Chàteau de Braunfols, près de Coblence.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Henri, baron de Bréderode (1531-1568). Portrait peint par un artiste inconnu vers 1565. gnier » (36). Cependant les symptômes menaçants se multiplient. Des lettres déposées à l'hôtel de ville affirment l'obligation de combattre « l'idolâtrie » pour mériter le royaume de Dieu (37). Les autorités n'osent faire exécuter deux calvinistes condamnés depuis longtemps. Lorsqu'elles s'y décident enfin, le 27 avril 1562, la foule se précipite sur les bûchers, éparpille les fagots, court arracher de leur prison les deux « maubrulez », et, au milieu du chant des psaumes, les conduit processionnellement à un prêche (38). Cette fois le scandale était trop éclatant. Le marquis de Berghes, gouverneur de la ville, qui jusqu'alors s'est constamment absenté pour n'être pas contraint de sévir, ne songe plus à résister aux exhortations de la régente. Il accourt à Valenciennes, où cinq cents soldats tirés des garnisons voisines le rejoignent. Il n'y eut d'ailleurs aucune résistance. Les réformés n'étaient point capables de s'opposer à la force armée; ils se dispersèrent ou se cachèrent. Ceux d'entre eux que l'on put saisir périrent en chantant des psaumes « tant que l'aleine leur a duré », et Philippe II, informé de ce « très mauvais exemple», s'empressa de conseiller à Marguerite de faire mettre à l'avenir dans la bouche des condamnés un « bâillon ou autre chose », ainsi qu'il l'avait vu pratiquer en Angleterre du vivant de Marie Tudor (39). On ne peut douter que les péripéties de la lutte entamée en France entre les Huguenots et la cour n'aient exercé leur action sur les troubles de Valenciennes. Le manifeste de Condé, lan-le 8 avril, fut certaine- ce ment l'occasion de l'émeute des « maubrulez », et si le calme se rétablit promptement, c'est en grande partie à la mauvaise tournure que prirent durant l'été les affaires des protestants de France qu'il le faut attribuer. Mais ce calme n'était qu'apparent. Malgré la fuite des pasteurs, un très grande nombre de bourgeois continuaient à s'abstenir de la fréquentation des églises. Pendant la semaine de Noël, le prévôt écrivait à Bruxelles que les sermons attiraient bien peu de monde, et que l'on ne remarquait dans l'assistance presque aucun des « principaux de la ville » (40). L'assassinat du duc de Guise à Orléans (18 février 1563), en relevant les chances des Huguenots, eut son contre-coup immédiat à Valenciennes. Dès le commencement de mars, des prêches se tiennent de nouveau dans la banlieue. Cette fois, on ne se donne plus la peine de s'y rendre, comme naguère, déguisé par des barbes postiches ou un masque sur le visage : les fidèles s'y por- (Vienne. Kunslhistorisehes Muséum.) Marguerite de Parme vers l'âge de quarante ans. Portrait peint par Antonio Moro. (Cliché Kunstverlag Wolfrum.) tent hardiment, la figure découverte et le pistolet à la main (41). « C'est une procession de les voir sortir de la ville », et le mont d'Anzin est tout couvert de leur foule (42). Les ouvriers ne travaillent plus; ils déclarent que « par le Roy, ny prince, ny magistrat, ny justice, ne laisseront d'aller à leur presche ». Tous d'ailleurs répondent de l'ordre « moyennant que l'on les laisse vivre en liberté de leurs consciences ». Ce sont là, dit Berghes, les « propres propos des Huguenots » (43), et il attribue avec raison aux rapports noués entre les sectaires et Colligny l'énergie et la résolution dont ils font preuve (44). Tournai présente le même spectacle que Valenciennes. Là aussi les calvinistes affirment audacieusement leur foi, se pressent aux instructions des pasteurs et réclament la liberté d'exercer leur culte en public (45). INDIFFERENCE DES SEIGNEURS. - Cette crise se fût transformée bientôt en révolte ouverte si la guerre de religion avait duré en France. Mais l'accalmie qui sui- Minute de la lettre adressée du bois de Ségovie par Philippe II au comte d'Egmont (20 octobre 1565). Le roi remercie le comte de l'avis qu'il a bien voulu lui donner sur ce qu'il a vu pendant son voyage. Il le charge de collaborer ù l'exécution des décisions prises en matière de religion dans les Pays-Bas. sans mollesse (flaxedad) ni dissimulation. Pour le reste (c'est-à-dire les changements demandés par la noblesse à l'organisation du Conseil privé et du Conseil des finances), le roi n'a-pas encore pris de décision : ce serait modifier l'état actuel des choses et, en cette matière, les innovations provoquent souvent des inconvénients plus graves que ceux auxquels on veut remédier. Philippe II termine sa lettre en engageant le mandataire de la noblesse à assister Madame de Parme dans son œuvre de maintien de l'intégrité des Pays-Bas et de la religion catholique. BKIEF DISCOVRS ENVOYE' AV ROY PHI. lippe noftre Sire & fou ueraiti Seigneur, pour le bien & profit de fa Ma-iefté, & fingulierement de fes païs bas: au quel eft monftré le moyen qu'il faudroit tenir pour ob-uier aux troubles & emo dons pour le fait de la Religion, & extirper les fecftes & herefies publiantes en fes dits pais. * s * r• (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 17510-25, foi. 174 r".) (Cliché Bijtebier.) « Brief discours envoyé au roy Philippe, nostre sire et souverain seigneur... » contenant d'intéressants détails sur les conséquences désastreuses de l'émigration des calvinistes en Angleterre (1565). Source utilisée par H. Pirenne (voir la note 52). Extrait d'un recueil de placards et d'ordonnances du XVIe siècle. vit dans ce royaume la proclamation de l'édit d'Amboise (19 mars 1563) enlevait aux réformés tout espoir de vaincre. Il eût suffi pour leur faire prendre les armes que la haute noblesse, alors au plus fort de sa lutte contre Granvelle, s'intéressât à leur cause. Elle n'y songea point. Car si elle répugnait visiblement à faire couler le sang, si même elle voyait avec une satisfaction secrète la question religieuse accroître les embarras du gouvernement, elle était pourtant bien décidée à ne point pactiser avec les hérétiques. Aussi, un envoi de troupes rétablit-il de nouveau la tranquillité à Valenciennes (mai à juin 1563). Tournai et la basse Flandre rentrèrent également dans l'ordre. Une fois de plus les pasteurs et les fidèles les plus compromis émigrèrent. Ils allèrent en Allemagne, en France, en Angleterre, attendre impatiemment l'heure de la revanche. Et ils ne devaient point l'attendre longtemps, car le cours pris par les événements après le départ de Granvelle, allait amener bientôt l'alliance de l'opposition politique et de l'opposition religieuse. LE GOUVERNEMENT AUX MAINS DES SEIGNEURS. — Marguerite de Parme n'avait pas mieux compris que Granvelle les causes profondes du mécontentement des Pays-Bas et de l'opposition des seigneurs. Elle s'imaginait que l'impopularité du cardinal avait tout fait, is<0->l<ù / .'t/Q *>«f — y & / ' i■__» si.- m It-caf _ -fit c JtSc^^ïKgTJe.' (Archives générales de Simancas, Estado, liasse 527.) et que, lui disparu, le calme se rétablirait sans peine. Elle ne voyait qu'une question de personne là où se posait en réalité une question de principe. Elle ne possédait point assez d'intelligence politique pour remarquer que ce n'était point comme homme privé, mais comme ministre du roi d'Espagne que Granvelle avait été combattu. Dès qu'il fut loin, elle se flatta de ramener les esprits et de prouver à Philippe II qu'elle avait les talents nécessaires pour gouverner seule. « Grâce à Dieu, lui écrit-elle le 12 juin 1564, la tournure qu'ont prise les affaires me permet d'assurer que d'ici à peu de temps il n'y aura plus de craintes à concevoir, à moins qu'il ne survienne quelque accident du dehors» (46). Trompée par les protestations de dévouement des seigneurs et par leur rentrée au Conseil d'Etat, elle ne devina point qu'ils allaient prétendre à lui imposer leur influence et à jouer auprès d'elle, au profit du pays, le rôle que Granvelle y avait joué tout d'abord au profit du roi. Elle se laissa duper par les apparences, et sa grande erreur fut de croire que les opposants désarmeraient au moment même où ils s'enorgueillissaient d'avoir forcé le souverain à capituler et à rappeler son ministre. Mais d'ailleurs comment Marguerite aurait-elle pu se soustraire à la tutelle des seigneurs ? N'avait-elle point, dans les derniers temps, pris leur parti contre le cardinal ? Et n'eût-ce point été se condamner elle-même et s'infliger le plus cruel démenti que de rompre avec eux ? Par sa faute elle se trouvait leur prisonnière, et les considérations d'amour-propre qui la portèrent à ne point se l'avouer contribuèrent à lui cacher la réalité de la situation. Cependant, il apparaissait à tout témoin non prévenu que les seigneurs étaient désormais les maîtres du pays. Soutenus par les Etats de Brabant et par presque tous les gouverneurs de province, Orange, Egmont et Hornes se hâtent de réaliser le programme de l'opposition. Il n'est plus question de Consulta; tout se traite au Conseil d'Etat, où Viglius et Berlaymont, tombés en disgrâce, assistent impuissants au triomphe de leurs adversaires. « L'on forge ici, écrit Viglius, une nouvelle république et Conseil d'Etat, lequel exerce la souveraine superintendance de tous affaires. Je ne sais comment cela pourra subsister avec le pouvoir et autorité de Madame la Régente et si Sa Majesté elle-même ne sera bridée par cela » (47). Et ces craintes ne sont pas exagérées. Les seigneurs, en effet, cherchent manifestement à faire du Conseil d'Etat, complètement soumis à la haute noblesse, le pivot central du gouvernement. Ils veulent que l'on augmente le nombre de ses membres; ils exigent qu'on lui subordonne le Conseil privé et le Conseil des finances, qui, depuis leur création par Charles-Quint, ne relèvent que de la gouvernante. Dans un tel régime, quelle autorité restera-t-il au souverain ? Ou plutôt, n'est-il pas évident que le vrai souverain désormais sera la noblesse, regardée par le peuple comme organe de l'indépendance nationale ? Le mot de « république », qui revient continuellement à cette époque sous la plume de Viglius et de Granvelle, correspond exactement aux visées de l'opposition. Ce qu'elle veut, à n'en point douter, c'est la constitution de l'Etat bourguignon en république aristocratique. La politique nationale l'emporte donc sur la politique monarchique, mais elle ne l'emporte qu'au détriment de la bonne marche de l'administration. La réaction trop violente détruit le principe d'ordre en même temps que l'au- Vue générale de Saint-Laurent de l'Escuriai près de Madrid. L'artillerie espagnole avant détruit une église dédiée à Saint-Laurent pendant le siège de Saint-Quentin, Philippe II fit construire en signe de réparation le monastère de Saint-Laurent de l'Escuriai près de Madrid L'œuvre fut menée à bien par les architectes Juan Bautista de Toledo, Juan Herrera et Francisco de Mora après vingt-deux ans de travail <1562-1584). Le plan se présente sous la forme d'un gril, en souvenir du martyre de Saint-Laurent : 1 habitation royale construite en sa,11,e sur la façade orientale, en constitue le manche, les corps de bâtiments transversaux les barreaux, et les quatre tours, d'une hauteur de 55 mètres, les pieds L édifice est perce a 1 extérieur de quinze portes et de onze cent dix fenêtres. L'église, construite en granit, affecte la forme d'une croix grecque; la croix s élève a 95 mètres de hauteur. C est a l'Escuriai que sont enterrés les rois et les reines d'Espagne. (Cliché Moreno.i (Oxford. Bodleian Library.) Philippe Marnix de Sainte-Aldegonde (1538-1598) à l'âge de trente-cinq ans. Portrait attribué à Antonio Moro et daté de 1573. torité souveraine. L'ingérence des seigneurs dans tous les services publics y introduit l'anarchie. On n'arrive plus à rien que par leur entremise; il n'y a plus de fonctions et de faveurs que pour leurs partisans. Dans les provinces, les gouverneurs s'arrogent une indépendance quasi féodale. A la cour, Armenteros met impudemment les finances au pillage, et on le laisse faire pour s'assurer son appui auprès de la régente. Il n'est point jusqu'aux privilèges, dont on réclamait jadis si âprement l'observation, que l'on ne viole dès qu'il s'agit de caser une créature ou de contenter un ami (48). Du reste, tout en poursuivant son avantage, la noblesse a bien soin de ne point perdre le contact avec la nation. Elle n'ignore pas qu'elle ne tire sa force que de l'opinion publique et qu'elle ne peut la diriger qu'en lui obéissant. Elle continue à réclamer la convocation des Etats généraux, et Granvelle l'accuse avec dépit de se soumettre « à ce méchant animal nommé peuple » (49). LES REFUGIES ET L'ANGLETERRE. - Vis-à- vis de la question religieuse, que les troubles calvinistes venaient de faire surgir avec une acuité nouvelle, la conduite des seigneurs était toute tracée. Pouvaient-ils admettre que l'on appliquât à des milliers de malheureux les terribles édits de Charles-Quint ? Leur tolérance personnelle, le souci de la prospérité du pays, la considération de la popularité dont ils jouissaient les inclinaient également à la douceur. Ils ne pensaient pas, comme Philippe II. qu'il fallût sacrifier la richesse nationale au triomphe de l'Eglise (50). Ils ne se dissimulaient point que la continuation des mesures de rigueur amènerait la ruine des provinces. Ils s'inquiétaient de voir l'exode des suspects vers les contrées voisines, vers l'Angleterre surtout, y transporter quantité d'industries. Au mois de janvier 1566, le conseiller d'Assonleville estimait le nombre des réfugiés à Londres, à Sandwich et dans les environs à plus de trente mille hommes (51), et l'on savait qu'Elisabeth venait d'assigner à ces utiles émigrants « une autre ville maritime grande et vide nommée Norwich », pour y fabriquer « bays, arras, sayes, tapstry, mockadors, staments et carsay » (52). Le départ des calvinistes, nombreux surtout dans les districts manufacturiers, enrichissait donc l'Angleterre dans la même mesure où il appauvrissait les Pays-Bas. Et le péril était d'autant plus pressant que, depuis le commencement de son règne, Elisabeth, reprenant avec énergie la politique mercantile de Henri VII et de Henri VIII, s'efforçait par tous les moyens de développer l'activité économique déjà si intense de son royaume. La prospérité commerciale des provinces bourguignonnes lui portait ombrage, et elle ne leur cachait pas son hostilité. Elle laissait violer par ses sujets les stipulations du magnus intercursus; elle frappait de taxes les importations, elle fermait les yeux sur l'audacieuse piraterie que les marins anglais exerçaient impunément dans la mer du Nord. Les choses avaient été si loin que le gouvernement de Bruxelles s'était décidé, en 1563, à une rupture. La régente avait prohibé l'entrée des marchandises britanniques, et, de son côté, Elisabeth avait répondu à cette mesure en fermant ses ports aux bateaux néerlandais et en menaçant de transporter d'Anvers à Emdem l'étape des draps d'Angleterre (53). Malgré l'avis de Granvelle, Philippe II, craignant de voir éclater une guerre à laquelle il n'était pas préparé, avait ordonné de négocier. Dès 1564, le commerce était rétabli, prétendûment sur le pied de Y intercursus, mais en fait suivant le désir des Anglais. Depuis lors, la concurrence de ceux-ci était devenue de plus en plus désastreuse. Il n'était que temps, si l'on voulait empêcher une catastrophe, de mettre un terme à l'émigration qui renforçait de jour en jour la puissance déjà trop redoutable de l'adversaire. OPPOSITION AUX PLACARDS. - Le seul moyen d'atteindre ce but consistait dans l'abolition ou tout au moins dans l'adoucissement des placards. Les catholiques les plus fervents en réprouvaient l'affreuse cruauté. On était dégoûté des supplices; « il n'était pas vingt personnes dans tout le pays qui souhaitassent le maintien de l'inquisition » (54). Viglius lui-même, dans son for intérieur, penchait vers l'indulgence, et Granvelle le gourmandait amicalement de désirer une paix de religion analogue à celle d'Allemagne, ou un système qui permettrait aux hérétiques de « vivre comme font les chrestiens sous le Turcq, qui ne fait si griefve persécution contre nulz d'aul-tre foy comme nous faisons contre ceulx qui sont de la nostre pour quelques différentes intelligences de l'Escrip-ture » (55). Lorsque l'un des plus dévoués partisans du roi pensait ainsi, on devine aisément quelles devaient être les dispositions des seigneurs du Conseil d'Etat et de leurs amis de la noblesse. Si aucun d'eux ne songeait à s'allier apx calvinistes, ils réprouvaient énergiquement toute persécution violente. Pendant les derniers troubles, ni Egmont en Flandre, ni le marquis de Berghes à Valenciennes, n'avaient voulu prendre la responsabilité de sévir. D'après eux, on n'arriverait qu'à augmenter le mal en répandant le sang, et cette conviction répondait au sentiment de l'immense majorité de leurs compatriotes. Un catholique aussi ardent que l'ingénieur italien Di Marchi ne consta-tait-il pas lui-même, pendant son séjour auprès de Marguerite de Parme, que la nation « veut être traitée avec douceur et bienveillance, et non par la terreur et la rudesse » (56) ? A la réalisation du vœu général, seule la volonté du roi s'opposait. Mais devait-on plus longtemps courber la tête ? Le gouvernement du pays ne s'était-il point affranchi de l'Espagne depuis le départ de Granvelle ? Philippe, qui avait cédé une première fois devant l'opposition, se montrerait-il maintenant inébranlable ? Le moment n'était-il pas venu d'obtenir non seulement le retrait des placards, mais encore l'application du programme politique des seigneurs, c'est-à-dire le renforcement du Conseil d'Etat et la convocation des Etats généraux ? Toutes ces questions furent débattues dans une séance du Conseil où se manifestèrent des opinions si extrêmes que Viglius épouvanté fut frappé d'apoplexie en rentrant chez lui (57). Quelques jours plus tard le comte d'Egmont quittait Bruxelles, chargé par ses collègues de proposer au souverain « des moyens grands et nouveaux » tant pour la réforme de l'Etat que pour les affaires de la religion (58). Il arriva à Madrid au mois de février 1565. Le mot d'ordre avait été donné de tout mettre en oeuvre afin de le séduire, et son séjour fut un long enivrement pour sa vanité. Il se vit « reçu et traicté tant de Sa Majesté que de tous autres seigneurs et chevaliers de la cour, tellement que jamais ne fut veu qu'un seigneur particulier et vassal, que grand qu'il fust, soit esté tant favorisé et caressé » (59). Il parcourut, sous le clair soleil du printemps espagnol, les travaux de l'Escuriai, que l'on bâtissait alors pour remercier saint Laurent de cette victoire de Saint-Quentin à laquelle le comte avait pris une part si glorieuse. Etourdi par la bienveillance de Philippe II, ébloui par les honneurs qu'on lui rendait, il dut parler en courtisan, oublier les instructions qu'il avait reçues, tromper le roi et se tromper lui-même, dans la naïveté de son contentement, sur les dispositions des seigneurs et sur celles du pays. Il rentra à Bruxelles le 30 avril « l'homme le plus satisfait du monde », et proclamant qu'il n'avait eu qu'à se montrer pour avoir cause gagnée (60). Il lui fallut bientôt quitter ses airs vainqueurs. Froidement examinées et dépouillées des compliments qu'elles contenaient à son égard, les lettres qu'il apportait ne renfermaient pas la moindre concession. Le roi envoyait bien quelque argent pour remédier au déficit des finances, mais il remettait à plus tard l'examen de la réforme du Conseil d'Etat, et, quant à la religion, il déclarait qu'il préférerait perdre cent mille vies plutôt que de céder sur ce point. Il permettait seulement que la gouvernante réunit avec les conseillers d'Etat deux ou trois évêques et quelques théologiens pour discuter les moyens d'endoctriner le peuple, de fonder de bonnes écoles et de pourvoir plus efficacement au châtiment des hérétiques (61). Cette assemblée se tint le 1er juin. Les seigneurs du Conseil d'Etat qui y assistèrent refusèrent de donner leur avis «le roi ne le leur ayant pas demandé» (62). Les (Amsterdam, Rijksmuseum.) Elisabeth, reine d'Angleterre, vers l'âge de vingt ans (avant son accession au trône). Portrait peint par P. Pourbus (Gouda, vers 1510-Bruues, 1584). autres membres se déclarèrent pour le maintien des placards, mais en exprimant le désir de les voir adoucis. LES DEPECHES DU BOIS DE SEGOVIE. - C'est en réponse à ce vœu qu'arrivèrent les fameuses lettres datées du bois de Ségovie le 17 et le 20 octobre 1565 (63). Philippe y exprimait à la gouvernante son mécontentement de tout ce qui se disait aux Pays-Bas touchant l'inquisition. Cette institution était plus nécessaire que jamais et il ne souffrait point qu'on la discréditât. Il n'y avait pas lieu d'apporter le moindre changement aux édits contre l'hérésie. Tout au plus pouvait-on examiner s'il ne conviendrait pas d'exécuter les sectaires en secret. Défense était faite enfin à Marguerite de convoquer les Etats généraux « tant que les choses de la religion ne seront pas mieux assurées ». Pour le Conseil d'Etat, le roi y nommait le duc d'Aerschot, adversaire déclaré de la politique des seigneurs et ennemi personnel du prince d'Orange. « Croyez, concluait la dépêche du 17, que ce que je vous respondz icy est ce qui convient au bien de la religion et de mes dicts pays de delà, qui ne vauldriont riens sans icelle. Et cecy est la voye pour les povoir conserver en justice, paix et tranquillité. » Marguerite de Parme fut atterrée à la lecture de ces étranges missives. Ainsi, Philippe ne comprenait rien à la situation ! Ni l'ambassade d'Egmont, ni les avis qu'elle avait si souvent envoyés à Madrid pendant les derniers temps, ni les conseils de modération des évêques eux-mêmes n'étaient parvenus à ébranler son obstination ! II allait falloir imposer, au milieu de l'exaspération générale, la stricte exécution de ces édits « que l'on n'avait pas même osé appliquer quand Granvelle était aux Pays-Bas » (64). Epouvanté par l'aveuglement du roi, Viglius parlait d abandonner les affaires. La gouvernante elle-même, rongée d'inquiétude et voyant poindre une catastrophe, songeait à quitter son poste. « Madame de Parme, écrit Morillon le 9 décembre, se trouvant au Conseil d'Estat, ne besoigne plus de l'éguille, mais annote ce que se dict et appuyé sa teste sur le bras senestre, et dit l'aultre jour qu'elle feroit mieulx de se retirer en sa maison puisque rien n'est bien prins » (65). Pour la haute noblesse, elle donnait libre cours à son exaspération. Le comte de Hornes «jette feu et flamme» (66). Berghes parle «comme un désespéré» (67). Plus furieux encore, parce qu'il accuse le roi de l'avoir dupé, Egmont s'abandonne à son tempérament d'impulsif. « C'est celui qui à présent parle le plus et que les autres mettent en avant pour dire les choses qu'ils n'oseraient dire eux-mêmes» (68). Seul Orange se contient au milieu de ce débordement de colère, et cette réserve du futur « Taciturne » est plus effrayante que les déclamations furibondes de ses amis. Plus effrayante encore, l'attitude du peuple. Dès le mois de décembre, le pays regorge de « livretz, pasquilles et billets grandement scandaleux, et contre l'autorité du roy et honneur de ses ministres ». On publie partout que Philippe « veut introduire l'inquisition d'Espagne et que, si l'on veut faire observer les placards, il y aura une terrible effusion de sang, laquelle on ne pourra plus comporter, et, l'essayant, on verra qui sera plus forts » (69). La proclamation récente des canons du concile de Trente dans les Pays-Bas (11 juillet 1565) (70) est exploitée contre le gouvernement : on dit que les ecclésiastiques eux-mêmes y sont hostiles. A Namur, au centre de la province la plus catholique, les Etats s'assemblent sans autorisation et envoient une députation à la régente déclarer qu'ils n'accepteront jamais l'inquisition d'Espagne (71). Des pamphlets réclament hardiment la liberté du culte pour les réformés, « cette liberté étant aussi indispensable à la conscience que la nourriture l'est à la vie» (72). La triste situation de l'industrie, gravement compromise par l'émigration des ouvriers, mais plus encore la cherté excessive qui caractérisa l'année 1566, porte à son comble le mécontentement populaire (73). Le prix des céréales a doublé, les pauvres meurent de faim. Dans la foule surexcitée circulent des bruits d'accaparement de blés analogues à ceux qui précédèrent, au XV!^ siècle, l'explosion de la Révolution française (74). On marque avec du sang la porte des IBruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse. Recueil V. H. 26423, planche 39.) Le Compromis des Nobles (5 avril 1566). Déambulant l'actuelle rue de Namur, les signataires du Compromis font leur entrée dans le palais de la gouvernante; au fond de la cour d'entrée, on aperçoit, dans l'encadrement de la fenêtre, Henri de Bréderode remettant à Marguerite de Parme le texte de la pétition de la noblesse. Gravure de François Hogenberg (Malines, avant 154(1-Cologne, 1590). En plus de sa collaboration aux Civitates orbis terrarum de G. Braun (6 tomes en 3 voiumes in-folio, Cologne, 1572-1618), Fr. Hogenberg a illustré une Histoire de l'Europe et spécialement des Pays-Bas, de 1535 jusqu'à son temps. Ses gravures, d'abord éditées séparément, ont été jointes au Léo Belgicus d'Aitsinger dont la première édition parut en 1583. Elles illustrent au jour le jour l'histoire de la révolte des Pays-Bas sous Philippe II. Leur intérêt anecdotique est indéniable, leur valeur historique moindre, l'auteur ayant dû suppléer par l'imagination à l'absence d'un témoignage visuel. marchands de grain. « Dieu nous veuille garder de quelque sédition », écrit le secrétaire Bave à Granvelle le 4 décembre 1565, car «si le peuple se haulsoit, je crain-droie que le fait de la religion y seroit entremeslé » (75). Et, en effet, il commence visiblement à s'entremêler à tous les événements. L'obstination du roi à maintenir les placards, dût-il en coûter des milliers de vies, et la ruine économique des provinces ont amené la question nationale à se confondre avec la question religieuse. Jusqu'ici les réformés avaient agi sans la moindre entente avec les chefs de l'opposition politique. Mais, dans les circonstances terribles où l'on se trouve maintenant, il est impossible que l'idée d'une alliance entre la majorité catholique et la minorité protestante, celle-ci menacée dans sa foi, celle-là dans sa prospérité, ne se présente point aux esprits les plus clairvoyants. PROJETS DU PRINCE D'ORANGE. - Depuis quelque temps déjà, cette idée préoccupait le prince d'Orange. Génie essentiellement politique et dégagé de tout exclusivisme religieux, il avait trouvé dans le christianisme conciliant de Cassander (76), transposition théologique des idées d'Erasme, la doctrine la mieux adaptée à ses penchants intimes. S'il continuait à se déclarer catholique à Bruxelles, tout en s'avouant secrètement luthérien à ses correspondants d'Allemagne, en réalité il n'appartenait ni à l'une ni à l'autre des deux confessions. Par conviction personnelle comme par intelligence d'homme d'Etat, il adoptait le parti de la tolérance (77). On le soupçonnait de rêver d'une « espèce de religion qu'il fan-tastiquoit en son esprit, demie catholicque et demie luthérienne, pour donner contentement aux uns et aux aultres » (78). Au milieu des troubles et des périls de l'heure présente, la conviction se renforçait chez lui, que seul, l'établissement d'une paix de religion analogue à celle qui régnait dans l'Empire, pourrait rendre le calme aux Pays-Bas (79). Aussi entretenait-il des relations de plus en plus intimes avec ses parents et avec les princes d'Outre-Rhin. Habile, énergique, fervent protestant, son frère Louis de Nassau se multipliait à son service dans des négociations secrètes qui faisaient affluer à Bréda quantité d'émissaires suspects. Dès le mois de mars 1566, les choses étaient si avancées que Guillaume de Hesse exhortait le prince à jeter le masque et à prier la diète impériale d'étendre aux Pays-Bas la Religionsfriede (80). Mais la paix de religion n'avait été faite que pour les luthériens, et, depuis longtemps déjà, ceux-ci ne formaient plus dans les provinces qu'une infime minorité. Ce n'était plus vers l'Allemagne, c'était vers Genève que s'orientait maintenant la Réforme. Sans l'adhésion des calvinistes, les projets d'Orange restaient lettre morte et il importait donc de les y rallier. Le prince avait espéré tout d'abord que l'entreprise serait aisée. II jugeait des autres d'après lui-même et estimait sans doute que de misérables querelles théologiques n'empêcheraient point l'union des deux grandes confessions protestantes. Depuis 1563, il avait été mêlé plus ou moins directement aux tentatives de conciliation faites entre elles; il nouait des rapports avec les Huguenots, il semble même avoir eu une entrevue avec Gui de Bray (81). Contre son attente, tous les efforts échouèrent devant 1 obstination des calvinistes. Aussi intransigeants vis-à-vis (l.a Hâve, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Droit et revers d'une médaille des Gueux (1566). Au droit, l'effigie de Philippe II et les premiers mots de la devise des gueux : EN. TOVT. FIDELLES. AV. ROY.; au revers, deux mains nouées sur une besace et la suite de la devise : IVSQUES A PORTER LA BESACE. A l'extrémité de la médaille, soutenue par une chaine, pend une écuelle de mendiant. H existe de nombreuses variantes de ce type. de Luther que vis-à-vis de Rome, ils déclaraient hautement « qu'ils aimeraient mieux mourir que de se faire luthériens » (82). Au mois de juillet 1566, le prince reconnaîtra que « si on leur donnait l'autorisation de professer la confession d'Augsbourg, ils ne s'en contenteraient pas» (83). Une telle attitude faisait s'évanouir tout espoir d'intervention des princes luthériens dans le cercle de Bourgogne : Orange se trouvait seul sur la voie où il s'était engagé. Mais il avait assez de souplesse d'esprit pour ne point s'obstiner dans des desseins momentanément irréalisables. Le cours des événements allait d'ailleurs le placer en face d'une situation toute nouvelle. INFLUENCE DES HUGUENOTS. - Tandis qu'entre l'Allemagne et les provinces le lien religieux se brisait comme s'était brisé avant lui le lien politique, l'influence française reprenait, sous l'action du calvinisme, une vigueur qu'on ne lui avait plus connue depuis longtemps. Unis dans la communauté d'une même foi, les réformés des Pays-Bas se sentaient solidaires des réformés de France. La cause des Huguenots était la leur, et, dès l'explosion des guerres de religion dans le royaume, ils n'avaient cessé d'en suivre les péripéties avec une attention passionnée. On avait pu apercevoir déjà dans les troubles de Valenciennes, de Tournai et de la basse Flandre, la répercussion immédiate des succès ou des revers du prince de Condé et de Coligny. La confession de foi des Eglises protestantes des Pays-Bas n'avait-elle pas été calquée par Gui de Bray sur la confession des Eglises de France (84) ? Et de plus, une grande partie des pasteurs répandus dans les provinces n'étaient-ils point français ou formés dans le milieu tout français de Genève ? Il était évident dès lors que du jour où se constituerait à côté des pasteurs et des consistoires un parti confessionnel prêt à l'action, il emprunterait son programme aux Huguenots et s'inspirerait de leur exemple. Or, dès 1565 au plus tard, ce parti est en voie de formation. Ses premiers adhérents appartiennent à la petite noblesse ou à la haute bourgeoisie, et, tout au moins au début, ils se recrutent surtout dans les régions wallonnes, que leur langue comme leur situation géographique mettent en rapports étroits avec la France. La plupart d'entre eux sont des jeunes gens qui, partis suivant la mode du temps pour compléter leurs études à l'étranger, se sont dirigés vers l'académie de Genève et en sont revenus convertis. On rencontre parmi leurs chefs le bâtard de Hames, Picard naturalisé par Charles-Quint et devenu roi d'armes de la Toison d'Or, le sire d'Aymeries, noble hennuyer. précepteur dans la maison du prince d'Epinoy, le secrétaire du comte d'Egmont, Casembrodt, humaniste et poète à ses heures. L'avocat tournaisien Gilles Le Clercq « bien docte en latin et grand philosophe » est une de leurs fortes têtes. Mais par l'intelligence, le savoir, la conviction passionnée, l'habileté et l'énergie, les deux Marnix, Jean et Philippe, âgés l'un et l'autre de moins de trente ans, l'emportent sur tous leurs compagnons (85). Leur propagande incessante parmi les gentilshommes de fortune médiocre qui cherchent un emploi à la cour, vivent dans la familiarité des grands seigneurs et n'ont souvent d'autres ressources qu'un modique héritage, un petit traitement ou leur solde d'hommes d'armes des compagnies d'ordonnance, porte rapidement ses fruits. Dès le commencement de 1566, Morillon écrit à Granvelle « qu'ils ont infecté beaucoup de noblesse» (86). LE COMPROMIS DES NOBLES. - Ces Huguenots des Pays-Bas étaient trop peu nombreux pour agir, trop peu nombreux surtout pour prendre les armes. S'ils voulaient réussir, ils devaient, en exploitant le mécontentement provoqué par le récent échec de l'ambassade d'Egmont, attirer à eux la masse de l'opposition, minorité, entraîner la majorité, calvinistes, imposer aux catholiques leur ligne de conduite et les amener habilement à travailler pour eux. Leur plan, ébauché dès le mois de juillet 1565 dans des conciliabules secrets tenus à Spa sous prétexte de prendre les eaux, se précise à Bruxelles, au mois de novembre, dans la maison de Hames, en présence du pasteur français Junius. On décide de réunir toute la noblesse des provinces en une « noble compagnie », en un « compromis », en une confédération analogue à celle des Huguenots (87). Très habilement. Gilles Le Clercq rédige le texte qui sera soumis aux adhérents de cette ligue. Toute expression pouvant porter ombrage aux catholiques en est bannie avec soin. Il n'y est question que de s'engager par serment solennel à empêcher le maintien de l'inquisition, sans rien tenter « qui soit au déshonneur de Dieu et du Roy ». Les ligueurs se promettent de garder ce serment pour la vie « comme frères et fidèles compagnons tenant la main l'un à l'autre », et de se soutenir mutuellement (88). Aussitôt des émissaires se répandent par toutes les provinces. Le succès dépasse leurs espérances. En quelques semaines, plusieurs centaines de signatures sont récoltées. Il n'est point jusqu'à des abbés et des chanoines qui ne donnent leur adhésion (89). Mais ce qui afflue surtout, ce sont les gentilshommes des bandes d'ordonnance, si bien que la « noble compagnie » ressemble presque, par cette prépondérance de l'élément militaire, à un pronun-ciamiento de l'armée bourguignonne. Restait à trouver un chef, et c'était là le plus malaisé. Aucun des promoteurs du Compromis ne possédait, en effet, ni assez de fortune, ni assez de prestige pour jouer dans les Pays-Bas le rôle d'un Coligny. Et c'était bien d'un tel rôle qu'il s'agissait. Car, en dépit de leur modération apparente, les calvinistes se préparaient à une insurrection. Ils songèrent tout de suite au prince d'Orange et rien ne fut négligé pour obtenir son consentement. Mais la partie était grosse : il hésitait. « Il n'est pas encore d'avis, écrit Hames le 27 février, d'user d'armes, sans lesquelles il est impossible de mettre notre projet à exécution » (90). Peut-être se fût-il déclaré s'il avait pu amener les seigneurs à prendre parti pour la ligue. Il l'essaya vainement. Tout exaspéré qu'il fût contre le roi, Egmont ne voulait point se poser en rebelle, et l'abstention d'un personnage aussi populaire ne laisserait à une insurrection que de bien maigres chances de succès. Il fallut donc se rabattre, pour le moment du moins, sur des projets moins éclatants et moins périlleux. Orange conseilla de remettre solennellement à la régente une pétition contre les placards, et, faute de mieux, on suivit ce conseil. On pouvait compter sur l'appui moral de la plupart des grands seigneurs. Quelques-uns d'entre eux même, le sire de Bréderode, le comte de Culembourg, Louis de Nassau, le comte de Hoogstraeten, s'affirmaient publiquement les défenseurs des confédérés. Il n'y avait guère que le comte de Mansfeld qui désapprouvât le Compromis. Marguerite de Parme pensait de même. Mais que faire ? Elle ne pouvait recourir à la violence, puisque c'était précisément la force armée, c'est-à-dire les hommes d'armes des bandes d'ordonnance, qui soutenait le mouvement. Puis, le 27 mars, une assemblée du Conseil d'Etat, du Conseil privé et des chevaliers de la Toison d'Or, au lieu de blâmer les manifestants, la priait de leur faire obtenir du roi un « pardon général », et demandait comme eux l'abolition de l'inquisition et la modération des placards. En présence de semblables dispositions, il fallait se résigner. Il était évident que le pays tout entier favorisait les nobles du Compromis, et que refuser de les recevoir c'eût été provoquer peut-être une prise d'armes générale. Ils présentèrent leur requête le 5 avril. La députation qui l'apporta fut accompagnée jusqu'aux portes du palais par une cavalcade de deux à trois cents cavaliers, arrivés depuis quelques jours des provinces wallonnes comme des provinces flamandes. La réponse de Marguerite lui fut imposée par ce déploiement de forces. Elle promit d'envoyer une ambassade au roi pour lui exposer les vœux des pétitionnaires, et. provisoirement, de faire « modérer » (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Archives Photographiques.) Les culs-de-jatte. — Les Gueux. Tableau peint par Pierre Bruegel l'Ancien en 1568. Coiffés d'une mitre, d'un béret de. papier ou d'un cylindre crénelé, revêtus d'une espèce de chasuble à laquelle sont appendues des queues de renard, les culs-de-jatte portent les attributs dont l'Inquisition espagnole menaçait d'affubler les Gueux. En 1559, quatre ans avant l'adoption des queues de renard comme emblème par la noblesse des Pays-Bas, Pierre Bruegel peignait dans son Combat de Carnaval et de Carême (Vienne, Kunsthistorisches Museuml un type de mendiant estropié, cul-de-jatte, portant attachées sur le dos six queues de fourrure. Il n'est donc pas impossible que le terme de « Gueux ■ décerné par Berlav-mont aux signataires du Compromis des Nobles qui portaient des queues de renard à leur chapeau le 5 avril ait été suggéré au président du Conseil des finances par la comparaison des nobles avec les mendiants affublés des mêmes attributs. Le choix de ces queues de renard apparaissait comme un défi à la personne de Simon Renard, ami de Granvelle et diplomate dévoué à la cause de Philippe II (voir portrait p. 235). Les nobles les firent pendre aux chapeaux de leurs domestiques puis s'en parèrent eux-mêmes. Le 19 juin 1564, à l'occasion du baptême d'un des fils de Pierre-Ernest de Mansfeld à Luxembourg, l'on vit paraître un individu déguisé en cardinal suivi d'un diable à cheval qui le frappait à l'aide d'un fouet formé, de queues de renard. Dans sa correspondance, Granvelle explique que le choix de cet emblème a été inspiré aux nobles par l'attitude de son ami Simon Renard. les édits lancés contre l'hérésie. Elle eut du reste assez de sang-froid, malgré son trouble en présence des confédérés, pour se refuser, comme ils l'eussent voulu, à approuver leur conduite. LE BANQUET DES GUEUX. - Le soir, un banquet réunissait les signataires du Compromis à l'hôtel de Cu-lembourg. La plupart d'entre eux s'étaient fait tailler la barbe « à la Turque », portaient des vêtements de couleur grise et étaient pourvus de besaces et d'écuelles comme celles des mendiants et des gueux qui erraient par le pays (91). Que signifiaient ces singuliers emblèmes destinés, comme jadis les livrées des seigneurs anticardina-listes, à servir de signe de ralliement aux ligueurs ? Ce fut, semble-t-il, une parole injurieuse prononcée, le matin même, peut-être par le comte de Berlaymont, qui en inspira l'adoption. Toujours est-il que ce soir-là fut poussé pour la première fois ce cri de « Vive le Gueux ! » qui, durant tant d'années, allait retentir dans les provinces (92). Tous les mécontents acclamaient les Gueux. Leurs médailles, décorées du briquet de Bourgogne, le vieux symbole national, et de deux mains se serrant l'une l'autre en signe d'union, se propagèrent, en or, en argent, en cuivre et en plomb, dans toutes les classes sociales. Les chapeaux s'ornèrent d'écuelles; on en vit sur les harnais des chevaux; des dames même les adoptèrent en guise de boucles d'oreilles. Mais ce premier élan d'enthousiasme allait se calmer bientôt. C'est qu'en réalité tous ceux qui criaient « Vive le Gueux ! » n'avaient pas les mêmes pensées. Les uns étaient « Gueux d'Etat »; les autres, « Gueux de Religion ». Les premiers, tous catholiques, ne voulaient que des II - 17 réformes politiques; les seconds, ardents calvinistes, visaient avant tout la liberté de leur culte et la guerre à « l'idolâtrie romaine ». Ceux-ci ne devaient point tarder à l'emporter, et l'union conclue entre des éléments si divers grâce à l'exaspération des esprits, ne se maintint qu'un moment. HARDIESSE DES CALVINISTES. - Pendant que Marguerite de Parme faisait préparer par le Conseil privé la « modération » des placards, pendant que ses ambassadeurs, le baron de Montigny et le marquis de Berghes, se disposaient, à contre-cœur, à partir pour l'Espagne, les plus étranges événements se passaient dans le pays. Le succès des Gueux, l'acceptation de leur requête, les promesses de la gouvernante avaient fait croire aux calvinistes que la liberté du culte était accordée ou tout au moins qu'elle serait tolérée à l'avenir. Dès le 20 avril, on avait fabriqué et répandu partout une soi-disant déclaration des chevaliers de l'ordre, attestant que « les magistratz et inquisiteurs ne procéderont [plus] pour le faict de la religion par prinse de corps, ny confiscation de biens, ny bannissement» (93). Et sûrs désormais de l'impunité, les réformés jetèrent le masque. Une foule de prêtres secrètement convertis « révoquent en chaire les doctrines orthodoxes que jusqu'à présent ils avaient prêchées, disant qu'ils n'ont pu jusqu'ici ni prêcher ni parler, en criant miséricorde à Dieu pour avoir, sous l'empire de la contrainte, entraîné et trompé son peuple » (94). A leur exemple, tous ceux qu'a gagnés la propagande incessante des dernières années, proclament publiquement leur foi. Ils attirent à eux bon nombre de familles luthériennes (95). Ils abondent maintenant dans les provinces qui, trois ans auparavant, étaient encore indemnes, en Frise, en Gueldre, en Limbourg, dans le pays (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Prédication calviniste dans la campagne anversoise (rive gauche) le 14 juin 1566. Gravure de François Hogenberg. La légende, rédigée en allemand, explique le succès des pasteurs calvinistes par l'absence de prédications catholiques. Les auditeurs se répartissent par petits groupes dissimulés par les arbres et les bosquets, afin d'échapper à la surveillance des autorités. L'habitude prise par les calvinistes de se réunit dans les campagnes à l'abri des buissons a donné naissance à l'expression « faire l'école buissonnière ». Des gardiens en armes, disposés i l'extérieur du cercle des auditeurs, surveillent les environs : ils sont chargés de donner l'alerte et de protéger la fuite de leurs coreligionnaires contre les expéditions punitives des catholiques de Liège (96). Dès le mois de mai, dans plusieurs paroisses rurales de la Flandre, les curés signalent un déficit de plus de cent communiants (97). Il n'y a guère que le Na-murois et le Luxembourgeois où l'on ne rencontre point de calvinistes. Par centaines, ils arrivent d'Angleterre à Anvers, à Lille, à Tournai, à Valenciennes, aigris par l'exil, ruinés par la confiscation de leurs biens, animés de l'espoir d'une revanche, et effrayant les voyageurs dans les bateaux et les chariots par la violence des propos qu'ils tiennent et des chants qu'ils entonnent (98). Pourtant Marguerite n'a promis que l'adoucissement des placards : jamais elle n'a entendu permettre le culte public de la Réforme. Le projet de « modération » dressé par le Conseil privé et soumis aux Etats des provinces ne tolère l'exercice public d'aucune religion dissidente. Il se borne à ne pas inquiéter les hérétiques « tant qu'ils s'abstiendront de scandale », c'est-à-dire qu'il leur permet de vivre comme ont vécu, sous Charles-Quint, les grands seigneurs et les marchands étrangers. Si restreinte qu'elle fût, la tolérance qu'il accordait répondait d'ailleurs entièrement aux désirs de la majorité de la nation (99). Egmont l'avait hautement approuvée, et, sauf quelques protestations, les Etats provinciaux se montraient disposés à l'accepter. Evidemment la gouvernante ne pouvait aller au delà. Elle croyait déjà avoir outrepassé ses pouvoirs en agissant comme elle l'avait fait. Quelques-uns de ses conseillers ne blâmaient-ils pas sa faiblesse, et le roi ne lui écrivait-il point qu'il ne céderait jamais devant l'hérésie (100) ? Mais ce qui paraissait exorbitant à Philippe II, les calvinistes le rejetaient avec mépris. L'heure était venue pour eux de faire triompher la vraie foi. Ils se sentaient appuyés par une partie de la noblesse, voyaient le gouvernement aux abois, se laissaient entraîner par la fougue de leurs pasteurs et ne reculaient point à l'idée d'un soulèvement. Hardiment, ils opposent puissance à puissance et tiennent tête à la régente. Personne n'obéit à l'édit du 27 avril qui ordonne aux émigrés rentrés dans le pays de le quitter aussitôt. L'opposition glisse désormais du terrain national sur le terrain religieux. Les « Gueux de Religion » l'emportent sur les « Gueux d'Etat ». Ce n'est plus la noblesse, ce sont les consistoires qui prennent la tête du mouvement, et ce n'est plus contre l'absolutisme espagnol, c'est contre « l'idolâtrie romaine » qu'ils le dirigent. Aussi une foule de catholiques qui ont signé le compromis des nobles « estimantz que c'estoit seulement contre l'inquisition et pour le maintiennement des privilèges du pays », commencent-ils à abandonner la compagnie des Gueux, « véantz qu'ilz tendent plus avant de ce que. pour les amorsser, ilz leur avaient faict entendre » (101). LES PRECHES. - Et en effet, dès le commencement du mois de juin, le groupe calviniste de la no- blesse ne cache plus son jeu. Il vise ostensiblement au triomphe de la réforme. En Artois et dans le Sud de la Flandre, Esguerdes, Langastre. d'Olhain, entretiennent des pasteurs autour de Béthune, de Merville, de La Gorque, dans la région industrielle d'Armentières. Les consistoires. qui se dissimulent sous des noms analogues à ceux des chambres de rhétorique, le Bouton à Armentières, la Rose à Lille, la Vigne à Anvers, l'Aigle à Valenciennes, le Glaive à Gand (102), correspondent entre eux et avec les consistoires étrangers, s'envoient les uns aux autres et reçoivent de Genève, de France et d'Angleterre quantité de « prédicants ». La maison du prince d'Orange à Bruxelles est pleine de ministres que Louis de Nassau « caresse beaucoup », et contre lesquels le gouvernement n'ose agir. Anvers regorge de calvinistes au point que, dès le 30 mai, Granvelle écrit au roi qu'ils y sont plus nombreux qu'à Genève (103). Tout le monde s'attend à un soulèvement, au massacre du clergé, au pillage des églises. Le 13 juin, pendant que la procession du Saint-Sacrement parcourt la ville, des sectaires cherchent à s'emparer de la cathédrale. Mais déjà les prêches ont commencé dans la basse Flandre, et, de cet ardent foyer où la passion religieuse s'exaspère sous l'influence du mécontentement et de la misère des masses travailleuses, l'incendie gagne de proche en proche. Il se répand à Tournai, à Valenciennes, à Audenarde, à Gand. Dès la fin de juin, il s'est communiqué à toute la Flandre. L'exemple est immédiatement suivi par les autres provinces. Avant le 1er juin, un ministre hérétique est signalé à Batembourg. Vers le milieu du mois, on tient des prêches à Heele, seigneurie du comte van den Berg, près de Bois-le-Duc, et dans la banlieue de Maestricht; puis la contagion s'étend à la Hollande, où le premier prêche est mentionné le 14 juillet aux environs de Hoorn. A Bruxelles même, des conventicules calvinistes ont été découverts par « aulcunes femmes jalouses qui ont suivi leurs marriz qui se levoient le matin à trois heures pour y aller» (104). Les autorités épouvantées laissent faire : « la justice dort» (105). Marguerite de Parme a beau, le 3 juillet, interdire les prêches sous peine de punition arbitraire pour les assistants et de la potence pour les prêcheurs : cette mesure ne fait qu'augmenter le nombre des premiers et l'audace des seconds. Les assemblées tenues par les calvinistes ressemblent maintenant à des camps. Les hommes y arrivent par centaines, armés de piques ou de pistolets; ils font cercle autour des femmes qui environnent le pasteur, juché sur un tas de manteaux ou monté sur l'échelle d un moulin à vent, pendant que, dans les prairies voisines, sous des tentes élevées à la hâte, on vend des livres de propagande, on met en perce des tonneaux de bière et 1 on prépare un repas pour l'assistance. Le soir, tout le monde rentre en ville en chantant des psaumes et en iBruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) La furie iconoclaste (20 août 1566). Armés de gourdins et de haches, certains iconoclastes brisent les vitraux; d'autres abattent les statues, profanent l'autel et s'emparent des trésors de l'église. Une scène identique à celle-ci est représentée sur une médaille des gueux conservée au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Royale à La Haye (voir p. 284). Hogenberg s'en est-il inspiré? Ou bien, au contraire, l'auteur anonyme de la médaille a-t-il copié Hogenberg? La gravure figure dans la première édition du Léo Belgicus d'Aitsinger publiée à Cologne en 1583: et la médaille a été frappée en 1566 au plus tôt. L'absence de date plus précise ne permet pas de résoudre le problème de façon certaine, mais il n'est pas interdit de voir en cette gravure une copie agrandie du champ de la médaille. criant « vive le Gueux ! » Et ce ne sont plus seulement des pauvres gens qui forment l'auditoire des ministres. On commence à y remarquer des avocats, des riches bourgeois, des dames « à chaîne d'or ». Personne ne songe plus comme jadis à se masquer ou à se déguiser pour se rendre aux prêches : on les annonce publiquement par le pays et l'on s'embarque pour y aller, dans des bateaux préparés tout exprès (106). L'audace des calvinistes croît de jour en jour. A Gand, le 23 juillet, ils protestent devant les échevins contre les placards interdisant les prêches « vu que l'on est tenu d'obéir aux ordres de Dieu avant d'obéir à ceux des hommes » (107). Le Ie' août, des pasteurs suivis d'une troupe de fidèles paraissent chez le président du Conseil de Flandre et réclament l'autorisation de disposer d'une église dans la ville, l'hiver devant empêcher bientôt les réunions à la campagne. DESARROI DU GOUVERNEMENT. - Cette hardiesse ne s'explique que par le désarroi du gouvernement. Moins effrayé, il constaterait qu'en dépit du nombre de leurs recrues, les réformés sont encore bien clairsemés au regard de la masse orthodoxe de la nation. Mais leur activité et leur énergie donnent le change à tout le monde et terrorisent la régente : elle n'ose employer la force, qui disperserait bientôt les pasteurs et les chefs des consistoires. Dans la crainte de déchaîner une guerre de religion à la française, elle ne veut point s'appuyer sur le parti purement catholique qui vient de se former au sein des seigneurs et que représentent Mansfeld, Aerschot, Berlay-mont, Arenberg, Meghem et Noircarmes. Quoique le prince d'Orange, le comte d'Egmont, le comte de Hornes aient perdu sa confiance, elle ne se résigne cependant pas à rompre avec eux. Elle compte sur l'ascendant dont ils jouissent auprès du peuple pour rétablir le calme sans effusion de sang. C'est Orange qu'elle envoie à Anvers (Gouda, Archives communales.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Jean de Ligne, comte d'Arenberg (1525-1568). Détail du carton dessiné par Thierry Crabeth pour un vitrail de l'église Saint-Jean à Gouda. (13 juillet), où les calvinistes semblent prêts à une insurrection; c'est Orange encore et Egmont qu'elle charge, quelques jours plus tard, de s'aboucher avec les nobles du Compromis, dont une nouvelle réunion est convoquée pour le 13 juillet à Saint-Trond, sur les terres de l'évêque de Liège. Bien qu'il ne soit plus douteux pour personne que les chefs du Compromis n'agissent d'accord avec les réformés, et bien que cette attitude ait amené une foule de défections, un nombre assez considérable « de Gueux d'Etat » catholiques ont pourtant répondu à leur appel. C'est que personne n'ignore les dispositions du roi. Dans ce pays où tout se sait (108), on est informé de l'indignation causée à Madrid par les derniers événements. On parle de l'arrivée de Philippe II à la tête d'une armée; on sait que le comte de Meghem cherche à lever des troupes en Allemagne, et pour tous ceux qui n'entendent point retomber sous le joug espagnol, le moment est venu, fût-ce au prix d'une entente avec les hérétiques, de s'unir étroitement les uns aux autres. Officiellement d'ailleurs, et d'accord avec Orange et Egmont, les confédérés se déclarent fidèles au roi, hostiles à toute nouveauté religieuse, et décidés seulement à s'entr'aider et à se servir de leurs parents et amis dans le cas où ils seraient attaqués. Mais ce n'est là qu'une partie, et la moins importante, des résolutions du Compromis. Les pasteurs, en effet, se sont mis en rapport avec l'assemblée de Saint-Trond et lui proposent une alliance. Accepter leurs ouvertures, c'est sans doute pactiser avec l'hérésie, et pourtant les catholiques eux-mêmes s'y résignent. C'est qu'ils savent que, soutenus par quantité de riches marchands, les calvinistes possèdent ce qui manque à la noblesse : des finances. Ils promettent 50,000 florins, c'est-à-dire le moyen pour la ligue de louer des mercenaires et d'opposer la force à la force. Se priver de l'aide qu'ils offrent en leur refusant la protection qu'ils demandent en échange, n'est-ce point se condamner à l'impuissance et courir à une défaite certaine ? Et pourquoi les repousser, puisqu'ils s'affirment prêts à quitter paisiblement le pays si le roi et les Etats généraux proscrivent l'exercice public de leur culte ? Cette déclaration dut triompher des scrupules des catholiques : sauf de rares exceptions, tous approuvèrent l'alliance. Ce fut un véritable « cartel » entre deux partis poussés l'un vers l'autre par la nécessité, un arrangement de circonstance dans lequel les « Gueux de religion » entraînèrent les « Gueux d'Etat », et où l'opposition nationale et bourguignonne se mit à la remorque des consistoires inspirés par Genève. Orange et Egmont, malgré leur aversion commune pour le calvinisme, non seulement ne cherchèrent point à l'empêcher, mais en approuvèrent la conclusion. Pendant que Louis de Nassau, qui avait dirigé les délibérations de Saint-Trond, se hâtait de retenir des troupes allemandes en wartgeld grâce aux subsides des protestants, on préparait une nouvelle pétition. Douze confédérés la remirent à la régente le 30 juillet. Elle réclamait l'autorisation pour les signataires du Compromis de se placer sous la protection des chevaliers de l'Ordre, et spécialement du prince d'Orange, du comte d'Egmont et du comte de Hornes, jusqu'à la prochaine assemblée des Etats généraux. Autant valait demander au gouvernement de capituler devant les calvinistes. Marguerite de Parme voulut gagner du temps. Elle différa sa réponse jusqu'après une assemblée des chevaliers de la Toison d'Or qu'elle avait convoquée pour le 28 août (109). FERMENTATION POPULAIRE. - Si les consistoires avaient réussi à s'emparer de la direction du compromis des nobles, ils allaient se voir débordés eux-mêmes par les auditeurs fanatisés des prêches. A force de tonner contre l'idolâtrie, contre le clergé, contre la tyrannie des mauvais princes rebelles à la parole de Dieu, les ministres calvinistes avaient propagé autour d'eux les sentiments révolutionnaires. Pour la plus grande partie composée d'ouvriers et de pauvres gens, les masses qui se pressaient à leurs meetings religieux y puisaient la haine de l'Eglise et de l'Etat. Elles étaient trop récemment et pour tout dire trop superficiellement converties à la doctrine nouvelle pour en comprendre la morale austère. Des prêches, elles retenaient surtout les déclamations enflammées contre la Babylone moderne, vivant de l'exploitation de la crédulité publique, en opprobre à Dieu autant qu'elle est à charge aux hommes. L'inaction du gouvernement, l'attitude d'une partie de la noblesse, affichant désormais ses convictions calvinistes, les excitations enfin d'agitateurs mi-religieux mi-politiques poussent bientôt l'audace des réformés au paroxysme (110). Ils se croient tout permis et on leur attribue les plus terribles desseins. Les seigneurs catholiques craignent pour leur vie. Meghem écrit à la régente, le 9 août, qu'il n'ose venir à Bruxelles : « car je suis adverti de tous costez qu'ils me veullent tous avoir mort, et mon grand-père [Humbercourt] me sert assez d'exemple de ne me mettre en la miséricorde de ce peuple enragé» (111). De grossiers pamphlets traitant Marguerite de Parme de bâtarde et de paillarde sont semés par les rues de Bruxelles (112). Dès le mois de juin, Morillon s'attend à tout et relit le Catilina de Salluste pour affermir son courage (113). Déjà une foule de marchands quittent le pays, et cet exode augmente encore le malaise de l'industrie et par contre-coup la gravité de la situation. Anvers est plein d'ouvriers sans travail. Au commencement d'août il y en a 8,000 dans la seule région d'Audenarde. A la fin de juillet, deux cents vagabonds s'assemblent sur le marché d'Ypres, exigeant de l'ouvrage et menaçant de piller la ville (114). LES ICONOCLASTES. — En d'autres temps sans doute, au milieu de cette anarchie politique et de ce malaise social, une jacquerie eût éclaté. Mais le fanatisme religieux dirige cette fois les passions; il les déchaînera non point contre les riches, mais contre l'Eglise. A Valenciennes, le peuple veut chasser de la ville les ecclésiastiques. A Anvers, on oblige le doyen de la cathédrale à crier « vie le Gueux ! » (115). Dans la basse Flandre des agitateurs parcourent les villages, exhibant des lettres soi-disant scellées du roi par lesquelles ordre est donné de piller les églises (116). Le moment est venu d'en finir avec l'idolâtrie, de pulvériser les idoles qui souillent les temples du Seigneur. Et subitement, le 10 août, se déchaîne l'insurrection des iconoclastes. Elle débuta dans cette région industrielle d'Hondschoote et d'Armentières où nous avons vu si souvent déjà la Réforme fomenter l'émeute au sein des masses prolétaires (117). Des bandes pourvues de cordes et de bâtons et conduites par des chefs agissant en vertu d'un plan arrêté d'avance s'y sont organisées, et l'oeuvre de destruction commence aussitôt. Dans les églises, au milieu de la poussière, du fracas des statues qui tombent et des vitraux que l'on brise, s'agite une sarabande de forcenés, frappant au hasard, lacérant les tableaux, martelant les orfèvreries, se parant des vêtements sacerdotaux, foulant aux pieds les hosties et buvant le vin consacré. Tous les villages y passent l'un après l'autre, flamands et wallons : Houpli-nes, Frelinghem, Erquinghem, Fleurbaix, la Chapelle Grenier, la Chapelle d'Armentières, Le Maisnil, Radinghem. Beaucamps, etc. Le 14, les bandes travaillent à Poperin-ghe, le 15, à Ypres, pendant que d'autres exécuteurs vont brûler les abbayes des Dunes, de Phalempin, de Furnes, de Messines, de Loos, de Marquette, de Voormezeele, d Eversham. Et dès lors le mouvement se propage de proche en proche avec une étonnante rapidité. Il gagne Au-denarde le 18, Anvers, le 20, Gand et Bois-le-Duc, le 22, Tournai, le 23, Enghien, le 27, pour se prolonger ensuite dans le Nord vers la Zélande, la Hollande et la Frise où il atteint Leuwarden le 6 septembre. Nulle résistance d'ailleurs. La soudaineté de la catastrophe a tellement frappé de terreur les magistrats et les catholiques qu'ils laissent partout le champ libre à quelques centaines d'énergumènes. A Gand, le bailli se borne à les prier de briser avec le moins de violence qu'il leur sera possible, et les fait accompagner par ses sergents (118). La folie des iconoclastes est contagieuse. On voit des pères amener dans les églises leurs enfants armés de petits marteaux pour abattre les statuettes des bas-reliefs et des retables. Dans les rues, d'autres enfants jouent avec les images des saints et leur ordonnent de crier « Vive le Gueux !» (119). Rien n'est épargné. On ne se borne point à détruire les « idoles » sans pitié pour leur valeur artistique : on brise pour briser, par haine, par rancune, par instinct brutal ou par plaisir. On lacère les livres, les manuscrits, on va jusqu'à violer les sépultures. On se soûle de vin dans les celliers des abbayes, et, le soir venu, l'œuvre de vandalisme et l'orgie se prolongent bien avant dans la nuit, à la lueur des cierges. En vain quelques pasteurs cherchent-ils à calmer les forcenés, « disant qu'ilz devoient en premier lieu oster les ymaiges dominans ès cœurs des hommes, si comme avarice, envie, luxure, paillardise et autres vices et péchez intérieurs avant que de procéder à l'abat des idolles extérieures » (120). Leurs exhortations ne peuvent rien contre le vertige des sectaires. Les instigateurs du mouvement sont d'ailleurs sincèrement convaincus qu'ils font une œuvre méritoire et agréable à Dieu en anéantissant pour toujours le culte des infidèles. A Bois-le-Duc, constatant que toutes les images ne sont pas détruites, ils demandent tranquillement aux trois « membres » de la ville de faire enlever celles qui ont échappé (121). Prosélytes brutaux, ils agissent du moins avec désintéressement (122). A Gand, et à Tournai, ils font remettre aux magistrats les (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Lamoral, comte d'Egmont. Lamoraldus Princeps Cauerus, Cornes Egmonianus, Flaniriae Arthesiaeque Praefeclus. Gravure anonyme de la seconde moitié du XVIe siècle. orfèvreries qu'ils ont brisées. Ce n'est point parmi eux, mais parmi la tourbe de vagabonds ou de malheureux sans travail qui les suit, que l'on rencontre des pillards et des voleurs. IMPUISSANCE DE MARGUERITE DE PARME. —■ La régente fut avertie le 18 août de l'explosion des troubles. Comme catholique et comme représentant de Philippe II, elle fut atterrée de l'outrage fait à la religion. Voilà donc à quoi aboutissaient les complaisances qu'elle avait témoignées aux seigneurs ! A son attitude conciliante des dernières années, répondait une insurrection sacrilège ! Désormais, le parti national fut irrémédiablement discrédité à ses yeux : elle ne vit plus en lui que l'allié ou le complice de l'hérésie. Sans doute ses chefs blâmaient les pillages et se montraient décidés à y mettre fin. Mais ils étaient visiblement beaucoup plus émus par la crainte d'une jacquerie que par l'insulte faite à l'Eglise. Egmont déclarait « que la première chose à faire était de conserver l'Etat, qu'ensuite on s'occuperait de la Religion ». Et comme Marguerite répliquait « qu'il lui paraissait plus nécessaire de pourvoir d'abord à ce qu'exigeait le service de Dieu, parce que la ruine de la religion serait un plus grand mal que la ruine du pays, il repartit que tous ceux qui avaient quelque chose à perdre ne l'entendaient pas de cette manière» (123). En présence de pareilles dispositions, comment espérer venir à bout du désordre par des mesures de contrainte ? D'ailleurs de quelles troupes la régente eût-elle pu disposer ? Impossible de recourir aux bandes d'ordonnance, où abondaient les signataires du Compromis. Quant à appeler des mercenaires allemands, c'eût été déchaîner immédiatement la guerre civile. Il fallait donc temporiser et céder devant l'orage en attendant des temps meilleurs. Heureusement des lettres royales venaient d'arriver à Bruxelles par lesquelles Philippe II consentait à la suppression de l'inquisition, à la modération des placards et à un pardon général. Bien qu'il ne fût pas sincère en faisant ces concessions, bien que le 9 août il eût protesté solennellement qu'il ne se considérait point comme tenu par elles, et qu'il entendait au contraire punir les auteurs des crimes commis contre la religion et contre sa souveraineté, ses déclarations officielles permettaient au moins à Marguerite de répondre à la pétition des confédérés. Mais il ne suffisait plus de -leur promettre l'amnistie et l'abolition de l'inquisition (124). Les calvinistes exigeaient l'assurance que leurs prêches ne seraient plus interdits, et. sans cette concession, criminelle au sentiment de la gouvernante, tout le reste ne servirait de rien. Ni vis-à-vis de sa conscience, ni vis-à-vis du roi, Marguerite n'osait en prendre la responsabilité. Assiégée par les exhortations des seigneurs, elle se défendit désespérément. Elle déclarait en plein conseil, d'une voix entrecoupée par les sanglots, « qu'elle se laisseroit plustost tuer que de consentir..., que ça seroit la ruyne de la religion que Sa Majesté voulloit plustost conserver que le pays, myeulz aymant tout perdre que d'offenser Dieu sy griefvement » (125). Pour échapper à ses conseillers elle voulut s'enfuir à Mons : le peuple de Bruxelles lui ferma les portes. Elle dut enfin se rendre compte de la nécessité de céder. Sans vouloir s'engager elle-même, et en protestant qu'elle n'obéissait qu'à la contrainte, elle permit aux seigneurs, le 23 août, de déclarer que, jusqu'à la décision du roi, les prêches tenus dans les lieux accoutumés ne seraient point troublés (126). En revanche, les confédérés lui promirent d'aider de tout leur pouvoir à la répression des pillages, de s'employer énergiquement pour que le peuple déposât les armes et que les prêches ne se fissent que dans les endroits où ils avaient eu lieu jusqu'alors, enfin de considérer leur alliance comme « nulle, cassée et abolie », tant que la sûreté qui leur était garantie serait observée (127). LES PAIX DE RELIGION. - Cet arrangement qui n'était, il est vrai, qu'un expédient provisoire, établissait la liberté de religion dans les Pays-Bas. S'il défendait au culte réformé de s'étendre encore, il en tolérait du moins la célébration dans les localités où il s'était introduit. Il ne restait plus qu'à organiser le modus vivendi des protestants avec les catholiques, et c'est à quoi s'attachèrent tout de suite les seigneurs, Orange à Anvers, Egmont en Flandre, Hoogstraeten à Malines, Hornes à Tournai, etc. Quant aux pillards, un placard promulgué le 25 août les mettait hors la loi, permettant de leur courir sus et de les tuer comme ennemis de Dieu et de l'Eglise (128). Orange en fit exécuter plusieurs à Anvers; d'autres furent mis à mort en Flandre et dans le Tournai-sis. Ils avaient disparu partout dès les premiers jours du mois de septembre. Cependant, dans une foule de villes, l'exercice de la religion réformée s'introduit avec l'approbation des gouverneurs. Les calvinistes baptisent, marient, célèbrent la cène, ouvrent des écoles. A Tournai, à Valenciennes, à Gand, à Anvers, ils se construisent, soit en bois, soit même en pierre, des temples affectant, pour éviter sans doute toute ressemblance avec les églises catholiques, la forme d'édifices à coupoles, ronds ou octogones (129). A Anvers, les luthériens, encore nombreux à cause de la colonie étrangères, imitent leur exemple. Des « paix de religion » locales règlent les rapports entre les diverses confessions, les placent toutes sur le même rang et défendent d'en molester aucune (130). FORMATION DE PARTIS CONFESSIONNELS. — Si cette égalité religieuse paraissait s'imposer dans une foule de localités, comme la seule solution pratique de la question confessionnelle, elle n'en était pas moins en contradiction manifeste avec les concessions faites par la gouvernante. Tolérants par conviction cassandérienne ou par indifférence, Orange, Egmont, Hornes, Hoogstraeten ne voyaient aucun inconvénient à laisser les prêches se tenir dans les villes, à côté des églises catholiques. Puisqu'on les tolérait, pourquoi s'obstiner à les reléguer à la campagne, exposés aux intempéries de l'hiver déjà proche ? Ils fermèrent les yeux sur les empiétements des protestants et se bornèrent à les empêcher de molester leurs adversaires. Mais c'est là justement ce qui soulevait l'indignation de Marguerite. Elle ne pouvait souffrir l'idée que le calvinisme fût mis de pair avec l'orthodoxie. Dès le 6 septembre, elle écrit que l'on s'efforce de « planter en égalité deux religions» (131), et elle ajoute avec raison qu'elle n'a jamais promis cela. Aussi ne peut-on s'étonner de la voir accuser maintenant ses anciens favoris « de s'être déclarés contre Dieu et contre le Roi, en paroles et en fait » (132). Désormais, elle ne cherchera plus son appui que chez la noblesse catholique, et c'est le comte Pierre-Ernest de Mansfeld qui deviendra son conseiller intime. Ancien ennemi de Granvelle, Mansfeld s'était peu à peu retiré de l'opposition depuis le départ du cardinal. Son origine saxonne le rendait inaccessible à ce sentiment bourguignon qui animait les autres membres de la haute noblesse. Ajoutez à cela que, né en 1517, il avait fait ses premières armes sous Charles-Quint, et qu'arrivé à l'âge d'homme au moment où Orange et Egmont étaient encore enfants, il représentait à côté d'eux les idées de la génération à laquelle leurs pères avaient appartenu. Comme ces derniers, il restait catholique avant tout, et c'est autour de lui que se groupaient les Berlaymont, les Aerschot, les Noircarmes, les Meghem, qui, dès les premiers symptômes d'agitation religieuse, s'étaient rapprochés du gouvernement. Quand éclata l'insurrection des iconoclastes, Marguerite nomma Mansfeld gouverneur de Bruxelles et se mit sous sa protection (133). Pendant que la haute noblesse se divisait ainsi en partis irrémédiablement hostiles, la zizanie se mettait également parmi le peuple. L'autorisation donnée aux protestants de célébrer leur culte en public exaspérait les catholiques. De leur côté, les calvinistes continuaient à fulminer contre « l'idolâtrie ». Ils allaient jusqu'à déclarer que la célébration de la messe et les sonneries des cloches blessaient leur conscience (134). La nation, naguère unie dans la communauté des mêmes revendications politiques, se séparait en deux camps sous l'empire de la question religieuse. Un parti antigueux se constituait, ayant comme l'autre ses médailles et ses emblèmes (135). Tous les catholiques qui avaient adhéré au compromis des nobles s'en retiraient. Il était évident que la liberté de religion ne ramènerait point le calme dans les esprits. Les seigneurs qui avaient espéré, grâce à elle, éteindre les querelles confessionnelles et rallier les masses à leur politique nationale se voyaient cruellement déçus. Dans leur tolérance cassandérienne, ils n'avaient point apprécié exactement la violence des passions religieuses. Partout, en présence des allures provocantes des calvinistes, se réveillait le sentiment catholique. Nulle conciliation n'était possible entre l'orthodoxie et la Réforme (136). Il fallait opter franchement pour l'une ou pour l'autre. En Flandre, Egmont s'épuise vainement à ne froisser personne et n'aboutit qu'à mécontenter tout le monde. Il en est réduit à des demi-mesures, à des subterfuges, à des expédients puérils. Il n'ose ni assister à la messe, ni ne pas y assister. A Gand, il y va, mais sans se découvrir, et là-dessus les protestants sont furieux parce qu'il y a été, et les catholiques parce qu'il ne s'y est point découvert (137). Manifestement, ce qui l'intéresse, c'est-à-dire (Madrid, collection privée du duc d'Albe.) (Cliché Oppenheim.) Ferdinand Alvarez de Toledo, duc d'Albe (1508-1582). Portrait peint peut-être par Rubens, d'après Titien. L'original a été détruit dans l'incendie de l'Alcazar de Madrid. la transformation du gouvernement et la convocation des Etats généraux, n'intéresse plus personne. Il a perdu cette popularité dont il était si fier. Dès la fin de l'année, il est devenu « blancq et vieil et ne dort s'il n'at ses armes et pistoletz devant son lict » (138). Epouvanté par les responsabilités qu'il a encourues, il s'arrête au moment de la résolution suprême, bourrelé de scrupules, de craintes et de remords. Orange, lui, ne connaît point ces hésitations. Sa claire intelligence lui montre les choses telles qu'elles sont, et la gravité de la situation, au lieu de l'effrayer, lui fait prendre son parti. Il voit que le temps est passé des compromis et des cartels. Il sait qu'il n'est point de pitié à attendre de Philippe II et qu'il faut hardiment se préparer à la lutte ou retomber sous la tyrannie espagnole. Il considère que le moment est venu de s'allier franchement à l'Empire et de solliciter l'aide des princes allemands (139). C'est à ce plan qu'il cherche à rallier ses amis. Le 3 octobre, il rencontre à Termonde, Egmont, Hornes et Hoog-straeten et leur dévoile ses projets. Mais Egmont ne peut supporter l'idée de rompre avec le souverain légitime. Après des heures de discussion à portes closes, les sei- gneurs se séparent sans avoir rien décidé. Et bientôt le comte se résigne enfin à se rapprocher de Marguerite et de Mansfeld. Il reparaît au mois de janvier 1567 au Conseil d'Etat. Quelques jours plus tard, Marguerite donne l'ordre aux fonctionnaires de prêter un nouveau serment de « fidélité absolue » au souverain. Egmont se soumet, tandis qu'Orange suivi par Hornes, Hoogstraeten et Bréderode refuse de lier sa conscience par une promesse d'obéissance «sans limitation» (140). LE GOUVERNEMENT RESISTE AUX CALVINISTES. — Cette exigence de Marguerite, comparée à son effroi de l'été précédent, prouve de la manière la plus significative combien les affaires du gouvernement se sont relevées en l'espace de quelques mois. L'épouvante provoquée par l'insurrection des iconoclastes dissipée, on s'était aperçu bien vite, en effet, du petit nombre des sectaires. On avait craint un soulèvement général, une invasion des Huguenots, une intervention allemande : rien de tout cela ne s'était produit. Dans toutes les villes, la majorité catholique se ressaisissait. A Bruxelles, les « serments » se prononçaient contre les prêches. En quelques semaines un revirement de l'opinion s'était accompli contre les calvinistes et en faveur de la régente, inspirée et rassurée par Mansfeld. Aussi la duchesse cherche-t-elle tout de suite à revenir sur les concessions qui lui ont été arrachées. Dès le 8 octobre, un édit ordonne aux pasteurs étrangers de quitter le pays (141). L'accord du 23 août est désormais interprété strictement. Le 4 décembre, Marguerite écrit aux villes que, bien qu'ayant été forcée de tolérer les prêches, elle n'a pas entendu autoriser pour cela l'exercice de la religion nouvelle. Il importe donc de « commencer le remède aux plus griefs et intolérables abus et désordres, et après le continuant aux aultres moindres successivement et par degrez ». Le peuple doit comprendre que « l'ancienne reli- (Rruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Médaille du parti antigueux à l'effigie de Notre-Dame de Hal. Médaille anonyme. XVIe-XVIle siècle. Légende : N(OSTRE). DAM(E). DE. HAL. Dimensions (sans la bélière) : 23x27 mm. gion seule est agréable à Dieu et au roi» (142). Il peut compter d'ailleurs, pour la faire triompher, sur l'appui militaire du gouvernement. Car celui-ci maintenant possède des troupes. Il a levé en Allemagne plusieurs régiments; il envoie des garnisons dans les villes principales et s'apprête à prendre l'offensive. Un instant les réformés avaient espéré obtenir du roi, moyennant trois millions de florins, la liberté de leur culte (143). Ils employèrent cet argent à équiper des soldats. Le synode calviniste d'Anvers supplie Orange d'en prendre le commandement. Mais le prince hésite. Il sait bien que sans l'appui de l'Empire, sur lequel il s'obstine à compter, un soulèvement ne peut réussir. De nouveau il s'efforce vainement de réconcilier calvinistes et luthériens, fait venir des pasteurs d'Allemagne, parle encore d'un ralliement général des protestants de toutes les provinces à la confession d'Augsbourg (144). Toutefois, s'il ne se décide point à tirer l'épée, son attitude à Anvers, où il maintient la paix de religion et où la gouvernante n'ose l'inquiéter, encourage les calvinistes. Ils comptent aussi sur Bréderode, qui, en Hollande, fortifie son château de Vianen. D'ailleurs, ils dominent à Maestricht et surtout ils possèdent, au sud du pays, deux des grandes villes de la région wallonne. Tournai et Valenciennes, où la foi nouvelle s'est introduite de si bonne heure, sont en leur pouvoir (145); l'une et l'autre refusent d'accueillir les garnisons envoyées par la gouvernante. LE SIEGE DE VALENCIENNES. - Les protestants de Tournai, que le comte de Hornes avait visiblement favorisés, ne purent maintenir longtemps leur prépondérance après le départ de celui-ci (15 octobre), qui, découragé par la tournure des événements, renonça aux affaires et se retira dans ses domaines de Weert. Mais Valenciennes ne faiblit point. Les ministres Gui de Bray et La Grange, appuyés par le consistoire, organisent dans la ville un régime théocratique calqué sur celui de Genève. Les plus riches marchands de la bourgeoisie mettent leurs fortunes à la disposition de la défense (146), et, pour animer le courage des croyants, la voie argentine du carillon chante, du haut du beffroi, les mélodies les plus populaires des hymnes de Marot (147). Il faut qu'en décembre Noircar-mes vienne mettre le siège devant les remparts. Ainsi le gouvernement ne recule pas devant le recours à la force, qui, quelques mois plus tôt, lui faisait si grand peur. Dans la plupart des provinces le culte réformé a cessé. On traque les pasteurs. Egmont lui-même, pour attester son zèle, en fait pendre en Flandre et ordonne de démolir les granges qui, à la campagne, avaient servi de temples protestants (148). Les calvinistes répondent à la violence par la violence. Il n'est plus question d'opposition politique : c'est une guerre de religion qui se prépare. Louis de Nassau va louer des mercenaires en Allemagne; des bandes armées s'organisent pour débloquer Valenciennes. Le 27 et le 29 décembre, deux d'entre elles sont taillées en pièces par la garnison de Lille et par les troupes de Noircarmes, à Wattrelos et à Lannoy. Le 2 janvier 1567, Noircarmes parvient à faire entrer une garnison à Tournai. Ces échecs ne découragent pas la résistance. Elle s'abandonne encore à l'illusion de voir Louis de Nassau lui amener des troupes d'Allemagne et les seigneurs se prononcer pour elle. Au commencement de février, Bréderode envoie à Marguerite de Parme, au nom de quelques nobles restés fidèles au Compromis, une protestation contre la violation de l'accord du 23 août, la suppliant d'éviter « l'effusion du sang du pauvre peuple» (149). En même temps, il écrit aux assiégés de Valenciennes pour leur promettre le secours du prince d'Orange, du comte de Hornes et d'autres grands personnages. Mais ces promesses ne servaient plus qu'à sauver les apparences. En réalité, la situation était désespérée; le gouvernement l'emportait partout. Le comte de Meghem arrivait le 21 février devant Vianen, et Bréderode, malgré ses rodomontades, courait se mettre à l'abri à Amsterdam. Quelques jours plus tard, Utrecht se soumettait au gouvernement. En vain, le sire de Toulouse, Jean de Marnix, essaye-t-il, à la tête de quelques centaines d'hommes, de surprendre l'île de Walcheren. Flessingue et Arnemuiden lui ferment leurs portes. Il se replie sur Austruweel, devant Anvers, dans l'espoir de s'emparer de la grande ville par un heureux coup de main, sinon du consentement du prince d'Orange. Il y est attaqué le 13 mars par Philippe de Lannoy que la régente a lancé à sa poursuite. Du haut des murailles de la ville, on aperçoit le combat et aussitôt les calvinistes prennent les armes, brûlant de courir à l'aide de leurs frères. Orange, autour duquel se groupent les luthériens, s'oppose à ce projet. La raison continue à le diriger en ce moment terrible. Il comprend que se déclarer pour les calvinistes, c'est rompre avec les princes allemands dont il espère le salut des Pays-Bas. Que pourrait d'ailleurs, contre les soldats de Lannoy, la foule désordonnée qui hurle et se presse dans les rues ? Et ne risque-t-il point de perdre Anvers et de se perdre lui-même, en cédant à sa fureur ? Froidement il se décide. Au milieu des cris de mort, sous les arquebuses braquées contre sa poitrine, il demeure inébranlable, fait tenir closes les portes de la ville et laisse périr Marnix en vue des remparts (150). TRIOMPHE DU GOUVERNEMENT. - C'en est fait désormais du soulèvement. La conduite d'Orange a enlevé leur dernier espoir aux défenseurs de Valencien- (Bruxelles, Musée de la Porte de Hal. série XIV. n» 1.) Glaive de justice (1566). Lame plate portant de chaque côté une inscription et une marque incrustées de cuivre. nés. Pour Gui de Bray, le prince n'est plus qu'un « mes-chant malheureux, et que Dieu punira quelque jour pour ce qu'il les avoit si longtemps abusé en folle espérance de secours » (151). La ville se rend à Noircarmes le 24 mars. Trois semaines plus tard, le 11 avril, Maestricht fléchit à son tour. Dans le Nord, Bréderode, chassé de Vianen par le comte de Meghem, se réfugie à Emdem après avoir vainement sollicité son pardon de Marguerite par l'intermédiaire d'Egmont. Les comtes de Hornes et d'Hoogstraeten prêtent serment à Philippe II. Mais, malgré toutes leurs sollicitations, Orange refuse de les imiter. Il écrit au roi une lettre respectueuse, puis, le 11 avril, quitte Anvers et va se mettre en sûreté dans le comté de Nassau. Sur toutes les routes se pressent de longues bandes de fuyards. En avril, le tiers des habitants de Bois-le-Duc a émigré. Le 5 mai « ung monde de Brabantinois et Wallons passe par Delfsyl à Empden, pouvres et riches, avec femmes et en fans » (152). A Em-den, à Cologne, ils abondent au point que l'on en compte souvent jusqu'à trente dans une même maison. C'est par centaines qu'ils débarquent en Angleterre. Marguerite et Mansfeld triomphent donc. Mais ils n'entendent point pousser leur avantage à l'extrême. La religion sauvée, la régente se propose d'en revenir à sa politique de 1564. Mansfeld n'oublie point qu'il s'est prononcé jadis, avec les autres seigneurs, pour l'adoucissement des placards, l'abolition de l'inquisition et la convocation des Etats généraux. Tous deux sentent bien que la prudence conseille la modération dans la victoire, qu'il faut gagner les nobles par d'habiles concessions et de ne pas « les mettre en désespoir et leur donner occasion de nouveaux tumultes ». Surtout, il importe d'arrêter l'émigration et de ne pas « appauvrir cestuy pays consistant en manufactures, navigation et négociation ». Il ne peut y avoir plus belle victoire, écrit la gouvernante au roi, « que le chastoy des chefs et l'humiliation des rebelles sans effusion de sang » (153). Granvelle, le pape lui-même, joignent leurs instances aux siennes, et invoquent en faveur de la clémence l'humanité et l'intérêt bien entendu (154). A toutes ces sollicitations Philippe II ne répondit que par le dédain ou des accès de colère. Trop de rancune s'est amassée dans son cœur depuis qu'il a quitté les Pays-Bas; trop longtemps il a dû céder devant l'opposition, humilier son orgueil de souverain devant les prétentions de ses sujets. Il est devenu incapable de pardon et de pitié. L'heure a enfin sonné de la revanche qu'il a si longtemps attendue. Roi catholique, il a juré sur l'âme de son père de tirer une vengeance éclatante de l'injure faite à Dieu par les iconoclastes; roi d'Espagne, il a décidé d'en finir avec l'autonomie des Pays-Bas et de les courber sous son absolutisme. Que lui importe que tous ses sujets, catholiques comme protestants, portent la même haine au régime espagnol ? C'est par la force qu'il entend le leur imposer. L'ENVOI DU DUC D'ALBE AUX PAYS-BAS. -Le 30 octobre 1566, le duc d'Albe a reçu mission de conduire dans les dix-sept provinces les régiments espagnols qui, depuis le mois de septembre, se concentrent en Lom-bardie. Marguerite, livrée à ses seules forces, a eu beau dompter la rébellion dès la fin de l'hiver, il n'importe ! Malgré ses protestations, le roi reste inébranlable. Les instructions qu'il donne à son lieutenant font de celui-ci le véritable gouverneur des Pays-Bas. La régente n'aura plus, dès son arrivée, que l'apparence du pouvoir. Indignée, elle offre sa démission : Philippe la refuse. Il lui trace, en même temps, le programme qu'elle doit appliquer : casser les privilèges des villes, construire des citadelles à Anvers, à Valenciennes, à Flessingue, à Amsterdam, à Maestricht, aux frais des habitants, substituer des fonctionnaires royaux aux magistrats urbains, lever des impôts sans le consentement des Etats, licencier enfin les troupes indigènes (155). Cependant, l'armée espagnole s'est mise en marche au mois de juillet pour franchir lentement la Franche-Comté et la Lorraine. A la nouvelle de son approche, la terreur s'abat sur les provinces. De toutes parts, les suspects courent se mettre à l'abri en France, en Angleterre, dans le duché de Clèves, dans l'Ostfrise, à Cologne... Enfin, le 9 août 1567, l'avant-garde des tercios du duc d'Albe entre à Bruxelles. NOTES (1) K. Rieker, Staat und Kirche nach lutherischer, reformierter, moderne Anschauung. Historische Vierteljahrschrift, t. I, [1898], p. 370 et suiv. (2) Erich Marcks, Gaspar von Coligny, sein Leben und das Frankreich seiner Zeit, t. I, p. 293 (Stuttgart, 1892). — Le passage suivant d'un curieux factum des calvinistes de Valenciennes 1562 (Ch. Paillard, Histoire des troubles religieux de Valenciennes t. II, p. 161 [Bruxelles, 1874]) justifie complètement cette manière de voir : « Nous sommes délibérez d'endurer et demorer constant pour et au nom de Jhésus-Christ; ou aultrement, si nous reculons contre la foy, nous n'entrerons point au royaume des cieulx ». (3) Cependant on trouve déjà l'institution chrétienne dans l'index de 1546. Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 148. (4) Pour la propagande calviniste, cf. Rachfahl, Wilhelm von Oranien und der Niederlandische Aufstand, t. I, p. 409 et suiv. (5) M. van Varnewijck, Van die beroerlicke tijden in Ghendt, éd. F. van der Haegen, t. I, p. 48, 54, fait très bien ressortir ce contraste. (6) J'emprunte ces détails à R. Reuss, Pierre Brully, p. 52 et suiv. (Strasbourg, 1879); Ch. Paillard, Le procès de Pierre Brully, p. 13 et suiv. (Paris, 1878); L. A van Langeraad, Guido de Bray, zijn leven en werken, p. 16 et suiv. (Zierikzee, 1884). Brully avait déjà prêché à Gand en 1537. Voy. Morrees, Geschiedenis der Kerkher-vorming in de zuiderlijke Nederlanden, p. 42 (Leyde, 1908). (7) /. Calvini opéra, éd. G. Baum, Ed. Cuntz, Ed. Reuss, -t. XI. p. 683 (Brunswick, 1873). Cf. A. Elkan, Philippe Marnix von St. Aldegonde, t. I, p. 14 et suiv. (Leipzig, 1910). (8) Langeraad, Guido de Bray, p. 17 et suiv. Cf. Ch. L. Froissard, L'Eglise sous la croix pendant la domination espagnole, Chronique de l'Eglise Réformée de Lille (Paris, 1857). (9) Cf. plus haut, p. 210. (10) B. Hagedorn, Ostfrieslands Handel und Schiffahrt im XVI. fahrhundert p. 205 (Berlin, 1910). (11) A. A. van Schelven, De Nederduitsche Vluchtelingenkerken, p. 331 et suiv. (12) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 327. (13) Voy. plus haut, p. 212, n. 86. (14) J. Hansen, Rheinische Akten zur Geschichte des Jesuitenordens, p. 349 (Bonn, 1896). — Cassander publia, en 1561, sous De officio pii ac publicae tranquil-litatis vere amantissimi viri, in hoc religi'onis dissidio. Sur ses doctrines, voy. de Schrevel, Histoire du séminaire de Bruges, t. I, p. 387 et suiv. (Bruges, 1883). (15) Gachard, Correspondance de Philippe H, t. I, p. 268. (16) L. Lahaye, Cartulaire de la commune de Dinant, t. IV, p. 38 (Namur, 1891). Cf. encore Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 413. (17) Voy. plus haut, p. 218. (18) L. Lahaye, Cartulaire de la commune de Dinant, t. IV, p. 64. — Cependant les jésuites avaient déjà fait certains progrès dans les Pays-Bas. Quelques-uns d'entre eux s'étaient établis à Louvain en 1542 (Hansen, fesuitenakten, p. 48) et y possédaient en 1547 une résidence fixe (Ibid., p. 74). Ils y eurent un collège en 1560 et il était question à cette date de leur donner une des quatre « pédagogies » de l'université (Ibid., p. 358). Un autre collège était florissant à Tournai en 1563 (Ibid., p. 460). A Bruges, l'évêque Rémi Drieux les protégeait (De Schrevel. Remi Drieux, évêque de Bruges, dans les Annales de la Société d'Emulation, t. XLVI [1900], p. 329). Il en était de même des évêques de Liège, Robert de Bergues, Georges d'Autriche et Gérard de Groesbeek. Granvelle leur témoignait également une faveur marquée. Sur leurs débuts dans le pays, voy. en général Delplace, L'établissement de la Compagnie de Jésus dans les Pays-Bas (Bruxelles,' 1887), et E. Gothein, Ignatius von Loyola und die Gegenreformation, p. 753 et suiv. (Halle, 1895). Sur les progrès postérieurs de l'ordre, voy. Histoire de Belgique, t. IV, 2e édit., p. 361 et suiv. (19) Elkan, Philipp Marnix, t. I, p. 78 et suiv. (20) Max Weber, Die protestantische Etik und der Geist des Kapitalismus. Arcliiv fur Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, t. XX et XXI, voit dans le calvinisme une des sources mêmes de l'esprit capitaliste. La morale essentiellement active du calvinisme donne naissance à une sorte d'ascétisme laïque qui, chez l'homme d'affaires, se manifeste par la production de richesses indépendamment de tout but de puissance personnelle et aboutit ainsi à un capitalisme pur. Cette thèse, qui a provoqué d'intéressants débats (voy. F. Rachfahl, Kalvinismus und Kapitalismus, Internationale Wochenschrift, 1909 [sept.] et 1910 [mai], peut se justifier pour les puritains du XVIle siècle, mais ne me paraît pas correspondre ni à la situation du XVI© siècle, ni même en général aux tendances des calvinistes hollandais du gouden eeuw. Cf. H. Pirenne, Les périodes de l'histoire sociale du capitalisme, Bullet. de l'Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres, 1914, p. 295. (21) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 456. (22) Ibid. t. I, p. 506, t. II, p. 102. (23) En 1562, le prévôt de Valenciennes déclare que si les administrateurs de o l'aumône de la ville » le voulaient, la plupart des pauvres se déclareraient évangé-liques. Paillard, Troubles de Valenciennes, t. II, p. 488. (24) Gachard. Correspondance de Philippe II, t. I, p. 191. (25) Gachard, Correspondance de Marguerite de Parme, t. I, p. 459. (26) Gachard, Correspondance de Marguerite de Parme, t. I, p. 138. (27) Correspondance de Philippe II, t. I, p. 252. (28) Gaillard, Archives du Conseil de Flandre, p. 225, 227 (Gand, 1856). Ajoutez les documents recueillis par E. de Coussemaker, Troubles religieux du XVIe siècle dans la Flandre maritime (Bruges, 1877). Plusieurs des gens qui se pressaient aux sermons des pasteurs ne voyaient en eux, semble-t-il, que des prêtres plus puissants que les prêtres catholiques. En 1566, dans le Limbourg on apportait des malades à Junius, espérant qu'il leur rendrait la santé, funii vita, éd. P. Merulla, p. 257. (29) Gaillard, Archives du Conseil de Flandre, p. 217, 218. (30) Ibid.. p. 239. (31) Ibid., p. 285. (32) Ibid., p. 286. (33) Ibid., p. 288. (34) Paillard, Troubles de Valenciennes, t. II, p. 47. (35) Ibid., p. 67. (36) Ibid., p. 103. (37) Ibid.. p. 161. (38) Ibid., p. 193 et suiv. (39) Pailllard, Troubles de Valenciennes, p. 440. (40) Ibid.. p. 474 . (41) Ibid., p. 246. (42) Ibid.. p. 259. (43) Paillard, Troubles de Valenciennes, p. 261 et suiv. (44) Ibid., p. 276. Colligny aurait, d'après lui, dépêché à Valenciennes et à Tournai des « prédicans nouveaulx ». Pour les rapports des calvinistes des Pays-Bas avec les Huguenots, voy. Kervyn de Lettenhove, Les Huguenots et les Gueux, t. I, p. 170. (45) A. Hocquet, Tournai et le Tournaisis au X'VIe siècle, p. 93 et suiv. (46) Gachard, Correspondance de Philippe II,, t. I, p. 303. — Sur tout ce qui suit. comparez l'excellent récit de Rachfahl, Margaretha von Parma, p. 136 et suiv., qui me parait pourtant ne point apprécier exactement la conduite des seigneurs, en considérant qu'ils se proposèrent de détruire l'Etat pour en revenir à la féodalité (p. 138). Ce n'est point à l'Etat bourguignon qu'ils en avaient, mais à l'influence espagnole qui avait dominé le gouvernement dans les dernières années. Ils cherchèrent à parer pour l'avenir à ce danger en augmentant les attributions du Conseil d'Etat où ils siégeaient. Ils ne sacrifièrent point l'unité de l'Etat. Ils la renforcèrent plutôt en agissant constamment d'accord avec l'opinion publique de toutes les provinces. Mais, en revanche, il est très vrai que la bonne marche de l'administration fut entravée par les nouveautés qu'ils introduisirent dans le gouvernement en substituant leur autorité à celle de la gouvernante. (47) Groen van Prinsterer, Archives, t. I, p. 377. — Sur les changements que les seigneurs voulaient introduire dans le Conseil d'Etat, voy. les notules de Berty dans Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, p. 387. (48) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 273; Diegerick, Inventaire des Archives d'Ypres, t. VI, p. 189. (49) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 290. (50) Weiss, Papiers d'Etat, t. VII, p. 50, VIII, p. 96. — Tous sont d'accord sur ce point qu'il ne faut pas punir de mort les délits en matière de religion. En fait, la répression de l'hérésie s'adoucit depuis le commencement de 1563. Au lieu de la mort, les tribunaux condamnent les délinquants à des amendes et à des pénitences publiques. Voir, à cet égard, les sentences portées par les échevins d'Ypres de 1559 à 1567 dans Diegerick, Documents du XVIe siècle, t. II, p. 153 et suiv. (Bruges, 1875). De 1559 à janvier 1563, sur 16 condamnations, 11 prononcent la mort; de janvier à juillet 1563, on ne trouve en revanche qu'une seule condamnation à mort sur 24 jugements. Puis, sauf une seule condamnation en 1564, la répression s'arrête jusqu'en 1566. (51) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 392. (52) W. J. C. Moens, The Walloons and their church at Norwich, p. 18 (Lymington, 1887-88). — On trouve dans un curieux document intitulé Brief discours envoyé au roi Philippe nostre sire, etc. (vers 1565), à la Bibl. Royale de Bruxelles, mss. Van Hulthem, 17510-17525, de très intéressants détails sur les conséquences désastreuses de cette émigration. (53) Sur ce conflit voy. H. Brugmans, Engeland en de Nederlanden in de eersre jaren van Elizabeths regeering, p. 47 et suiv. (Groningue, 1892) ; Te Lintum, De Merchant Aventurers in de Nederlanden, p. 26 et suiv. (La Haye, 1905) ; K. Kaser, Handelspolitische Kiimpfe zwischen England und den Niederlanden, 1563-1566 (Stuttgart, 1892); B. Hagedorn, Ostfrieslands Handel und Verkehr, t. I, p. 162 et suiv. (54) C'est là l'opinion d'un catholique convaincu, l'ingénieur italien Di Marchi, qui avait suivi Marguerte de Parme dans les Pays-Bas. Voy. sa lettre publiée par A. Cau-chie dans les Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. XXIII |1892], p. 26. (55) Groen van Prinsterer, Archives, t. I, p. 286. Cf. Piot, Correspondance de Granvelle, t. VIII, p. 167 (Bruxelles, 18901. (56) Lettre citée plus haut, p. 248. (57) F. van der Haer, De initiis tumultuum Belgicorum, p. 187 (Douai. 1587). (58) Hopperus, Mémoires, p. 266, dans A. Wauters, Mémoires de Vigilius et d'Hop-perus sur le commencement des troubles des Pays-Bas (Bruxelles, 1858). (59) Hopperus, Mémoires, p. 267. (60) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 349, 352. (61) Ibid., p. 347. Cf. Hopperus, loc. cit., p. 268. (62) Hopperus, loc. cit., p. 276. (63) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. cxxtx et 374. (64) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 384. (65) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 42. (66) Ibid., p. 63. (67) Ibid.. p. 87. (68) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 391. (69) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 72. (70) Voy. Histoire de Belgique, t. IV, 2e édit., p. 352. (71) Poullet, loc. cit., p. 175. (72) Brief discours cité p. 445, n. 2. (73) De 1565 à 1566, le « heu . de froment (environ 1 3/4 hectolitre) monta de 6 à 12 livres. H. van Houtte, Documents pour servir à l'histoire des prix de 1381 à 1794 (Bruxelles, 1902). (74) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 115; Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 370, 382. (75) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 27. (76) Poullet, Ibid., p. 55 n. Le jurisconsulte français Baudouin, adepte de Cas-sander, était depuis 1564 en relations avec Guillaume. Paquot, Mémoires littéraires, t. III. p. 78. (77) Sur sa tolérance en matière religieuse, voy. J. P. Scholte, Bijdrage tôt de kennis van de godsdienstige verdraagzaamheid van prins Willem I, dans Nederlandsch Archief voor kerkgeschiedenis, t. IV, [1905], p. 26 et suiv. (78) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. Il, p. iv. (79) Déjà en 1562, les Etats de Brabant, sur son instigation, avaient émis un vœu en ce sens. Metsius, Mémoires sur les troubles, dans Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p. 740 (Bruxelles, 1861). (80) Groen van Prinsterer, Archives, t. II, p. 72. (81) Langeraad, Guido de Bray, p. 58. — Il semble bien que les grands seigneurs revendiquaient une entière liberté de pensée en matière religieuse et supportaient aussi malaisément l'orthodoxie du calvinisme que celle du catholicisme. A cet égard, la conduite de Jacques de Bourgogne, sire de Falais, est tout à fait caractéristique. Après avoir émigré vers 1544 par suite de son adhésion à la Réforme et avoir fait rédiger par Calvin l'éloquente Excuse qu'il adressa peu après à Charles-Quint, il rompt avec le Réformateur en 1552 sur la question de la prédestination. Voy. A. Cartier, L'excuse de noble seigneur Jacques de Bourgogne, seigneur de Falais et de Bredam, par Jean Calvin (Genève, 1911). (82) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, GLltl. (83) Groen von Prinsterer, Archives, t. II, p. 153. (84) Langeraad, Guido de Bray, p. 92. (85) Sur leur formation religieuse et scientifique voy. A. Elkan, Philipp Marnix von St Aldegonde, t. I, (Leipzig, 1910). (86) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 232. (87) Granvelle remarque, en effet, qu'ils prirent exemple sur eux. Poullet, Correspondance de Granvelle, t. p. 212. (88) Supplément à l'histoire des guerres civiles de Flandre du Père F. Strada, t. II, p. 299 (Amsterdam, 1729). (89) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 308. (90) Groen van Prinsterer, <4rchives, t. II, p. 35. (91) Plusieurs portaient des faisceaux de flèches brodées sur leurs habits, voulant symboliser ainsi l'union des provinces. Cf. les flèches que brandit encore le lion figurant sur l'écu du royaume de Hollande. (92) Gachard, Etudes et Notices historiques, t. i, p. 130. — M. R. van Bastelaer, Sur l'origine de la dénomination des Gueux du XVIe siècle. Mélanges Godefroid Kiirth, t. 1, p. 261, a cherché dans l'iconographie du XVI« siècle, une explication qui ne parait pas suffisante. — La signification primitive du mot gueux est celle du mendiant, de « brinbeulx ». Bullet. de la Comm. Royale d'Hist., t. LXXVII [1908], p. 89. M. A. Tihon a publié (Ibid., p. 65) un texte confirmant l'opinion qui fait venir le sobriquet adopté par les ligneurs d'une injure proférée contre eux au moment de la remise de l'adresse à la gouvernante. Si c'est Berlaymont qui l'a proférée, il aura peut-être pensé à Bréderode, qui était perdu de dettes. (93) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 217. (94) Ibid., t. II, p. 17 Cf. J. Hashagen, Geschichte der Familie Hoesch. t. I, p. 421, 423 (Cologne, 1911). (95) La famille limbourgeoise des Hoesch est un exemple caractéristique. Voy. Hashagen, op. cit., p. 425. (96) Le calvinisme s'est répandu dans ce dernier par le Nord et, en 1566, a gagné beaucoup de partisans dans les parties flamandes du pays. Hasselt, en particulier, suivra le mouvement de révolte qui va éclater dans les Pays-Bas. On pourra consulter à cet égard : Lenoir, Histoire de la réformation dans l'ancien Pays de Liège (Bruxelles,1861), et Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVIe siècle, p. 272 et suiv. (Liège, 1884). Voy. encore : H. van Neuss, Notice historique sur l'introduction de la Réforme à Hasselt. Bullet. de la section scientifique des Mélophiles de Hasselt, t. II [1865], p. 9 et suiv.; A. Paquay, La répression des troubles calvinistes à Hasselt par Gérard de Groesbeek. dans l'Ancien pays de Looz, t. VI [1902], p. 35 et suiv.; J. Hansen, fesuitenakten, p. 526; Gachard, Analectes, p. 174 et suiv., 265 et suiv. Pour le Limbourg, cf. J. Hashagen, Geschichte der Familie Hoesch. t. I, p. 418 et suiv. (97) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 253. Cf. P. Cuypers van Velthoven, Documents pour servir à l'histoire des troubles religieux du XVIe siècle dans le Brabant Septentrional, p. 5 (Bruxelles, 1858). (98) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 231. (99) Une minorité de catholiques fervents la considérait comme excessive. Poullet, op. cit., t. I, p. 341. Tous les autres en étaient franchement partisans. (100) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 415. — Il lui envoyait en même temps d'autres lettres destinées à être communiquées au public et par lesquelles il cherchait à donner le change sur ses intentions, annonçant sa prochaine arrivée dans le pays et promettant d'examiner alors s'il ne conviendrait pas de modifier les placards : « car Dieu sait bien que je n'évite rien plus volontiers que l'effusion du sang humain ». Supplément à Strada, t. II, p. 349. (101) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 306. Cf. Ibid.. p. 358. — En revanche, une foule de gens du peuple prennent la médailfe des Gueux. Ibid.. p. 307. (102) Kervyn de Lettenhove, Les Huguenots et les Gueux, t. I, p. 324. Cf., la Chainture des Gueux, dans Gachard, La Bibliothèque Nationale, p. 388 et suiv. (103) Poullet, Correspondance de Granvelle. t. I, p. 285. Cf. Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. I, p. 384. (104) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 326. André Saravia avait groupé à Bruxelles une communauté calviniste formée de gens de cour et de bourgeois entendant le français. Voy. Paquot, Mémoires littéraires, t. XI, p. 340. (105) Ibid.. p. 326. (106) J'emprunte les divers traits de ce tableau au récit pittoresque de van Vaernewijck, Beroerlicke tijden, passim. La traduction française de ces mémoires par H. van Duyse (Gand, 1905-1906) contient un grand nombre de planches d'un vif intérêt, d'après des gravures et des dessins du temps. On pourra consulter encore D. Jacobs, Het wonderjaar te Cent, dans la revue De Tîjdspiegel. 1906. (107) Gachard, Notice sur les Archives de Gand, p. 114. 1108) Les seigneurs avaient organisé un service de renseignements qui leur coûtait très cher. Ils étaient informés de tout ce que le roi écrivait à la gouvernante et de ce qu'elle répondait. Gachard, Voyages des souverains des Pays-Bas. t. II, p. xvt (Bruxelles, 1874). (109) Malgré sa brièveté, le récit de Rachfahl, Margaretha von Parma, p. 192 et suiv., me parait le meilleur que nous possédions de la conduite des confédérés à cette époque. Je l'ai suivi dans ses parties essentielles. (110) Dès le mois de juillet, les sectaires répandent le bruit dans la basse Flandre, que les prêches se font avec l'autorisation des seigneurs et particulièrement d'Egmont. Diegerick, Documents du XVIe siècle, t. I, p. 163 (Bruges. 1874). (111) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 442. (1121 Ibid., p. 450. (113) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 305. (114) Ibid., p. 353, 355, 389, 391, 402. Add. Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, ire série, t. XVI [1850], p. 208. (115) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I. p. 388-89. (116) G. Des Marez, Documents relatifs aux excès commis i Ypres par les iconoclastes. Bulletin de la Commission Royale d'Histoire. 5e série, t. VII [1897], p. 575. Voir aussi le très curieux mémoire justificatif du magistrat d'Ypres dans Diegerick, Document du XVIe siècle, t. I, p. 17 et suiv. (117) Voy. les documents recueillis par Ed. de Coussemaker, Troubles religieux du XVIe siècle dans la Flandre maritime, t. I, p. 105 et suiv. (118) Van Vaernewijck, Beroerlicke tijden, t. I, p. 105. — Cf. pour le détail les intéressants matériaux recueillis par V. Fris, Notes pour servir à l'histoire des iconoclastes et des calvinistes à Gand de 1566 à 1568. Annales de la Soc. d'histoire et d'archéologie de Gand, t. IX [1909], (119) Van Vaernewijck, Beroerlicke tijden, t. I, p. 128. (120) A. Pinchart, Mémoires de Pasquier de Le Barre et de Nicolas Soldoyer, t. I, p. 132 (Bruxelles, 1859). Cf. Groen van Prinsterer, ^rc/tiVes, t. II, p. 217. Fr. Junius condamnait également les violences, voy. sa Vita, p. 430. Mais tous les calvinistes n'étaient pas de son avis. Plusieurs ministres, et Marnix de Saint-Alde-gonde lui-même, reconnaissaient au peuple le droit d'abattre les images pour obéir à Dieu, Rachfahl, Wlihelm von Oranien, t. II, p. 713. (121) Cuypers van Velthoven, Documents, p. 46. (122) Morillon, le 25 août 1566, reconnaît que, dans la basse Flandre, « ils n'ont rien emporté, consignans l'or et l'argent èz mains des marglisiers et magistratz par inventaire ». Mais il n'est naturellement pas question de restitution aux églises. Ils font faire serment aux magistrats « qu'ilz convertiront le tout en argent monnaié pour l'usaige des povres ». (Poullet, Correspondance de Granvelle, t. I, p. 428). Un Anglais, témoin oculaire à Anvers, constate aussi qu'en général on ne vola pas. (Kervyn de Lettenhove, Relations politiques des Pays-Bas et de l'Angleterre, t. IV, p. 339 [Bruxelles, 1885]). Il eut naturellement beaucoup de pillards parmi les vagabonds qui s'adjoignirent aux réformés, et plusieurs durent regretter que le mouvement ne se fût déchaîné que contre l'Eglise. Le Dagboek de van Campene, éd. F. de Potter. p. 37 (Gand, 1870), rapporte les vers suivants qui caractérisent bien leurs tendances : Hadden wij begonnen an cooplieden goedt, Ende der kercken beelden laten met vreden, Ons handen ghewasschen in papens bloedt, Zoo waeren wij heeren van dorpen en steden. (123) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 450. (124) Gossart, L'Etablissement du régime espagnol, p. 69 et suiv. — L'inquisition dont il est question ici est l'inquisition établie par Charles-Quint. L'inquisition épiscopale qui n'avait jamais été abolie, mais qui avait perdu toute importance depuis que l'Etat s'était chargé de la lutte contre l'hérésie, continuait naturellement à exister. (125) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 592. — Dans la commission donnée aux seigneurs pour traiter, Marguerite fit insérer les mots « considéré la force et nécessité inévitable ». Voy. La déduction de l'innocence de Messire Philippe baron de Montmorency, comte de Hornes, etc., p. 429 (imprimé au mois de septembre 1568). Les calvinistes eussent voulu un édit analogue à celui qui avait été octroyé le 17 janvier 1562 aux Huguenots français et qui les autorisait à s'assembler dans les campagnes. Voy. Gachard, loc. cit., p. 592. (126) Reiffenberg, Correspondance de Marguerite d'Autriche, p. 187. Ces lettres ne furent expédiées que le 25 août, donc après l'accord du 23. (127) Le Petit, La grande chronique ancienne et moderne de Hollande, etc., t. II, p. 121 (Dordrecht, 1601). (128) Anselmo, Codex Belgicus, Placards, p. 37 (Anvers, 1661). (129) Van Vaernewijck, Beroerlicke tijden, t. II, p. 108 et suiv.; Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 7; Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 493. — Cette forme paraît caractéristique pour les premières églises calvinistes. Il en existe encore à Leyde un intéressant spécimen, du XVIIe siècle il est vrai. (130) Pour Anvers, voy. Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. 215; pour Tournai, Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, lre série, t. XI [1846], p. 421; pour Utrecht, Gachard, loc. cit., p. 209; pour Ypres, Diegerick, Documents du XVIe siècle, t. I, p. 264; pour Bois-le-Duc, Cuypers van Velthoven* Documents, p. 115. (131) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. 224. (132) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 453. (133) Pour son rapprochement avec Mansfeld, von Rachfahl, Wilhelm von Oranien, etc., t. II, p. 773. (134) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 88. (135) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 495. — Depuis l'été de 1566, le mot gueux perd sa signification politique pour devenir synonyme de protestant et spécialement de calviniste. (136) Dès avant le mois de septembre, Marguerite cherchait à organiser, dans les provinces wallonnes catholiques, une ligue opposée aux calvinistes. Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 457. (137) Van Vaernewijck, Beroerlicke tijden, t. I, p. 233. (138) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 196. (139) Groen van Prinsterer, Archives, t. II, p. 430. (140) Groen van Prinsterer, Archives, t. III, p. 146 (Leyde, 1836). (141) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. c. (142) Diegerick, Documents du XVIe siècle, t. III, p. 214 (Bruges, 1876). (143) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 78; Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 2e série, t. XI [1858], p. 244, et 3e série, t. III [1862], p. 392. (144) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. cxxxm. (145) A Tournai, on estime que les cinq sixièmes du peuple sont calvinistes. Groen, Archives, t. II, p. 217. (146) Parmi eux, Michel Herlin dont M. van Vaernewijck, Beroerlike tijden, t. II, p. 102, dit qu'il était « so machtich als een grave ». Il gagnait de 10,000 à 15,000 florins par an, avait acheté trois à quatre seigneuries et son commerce de vin faisait vivre quantité de bateliers. (Ibid., p. 152). (147) Rachfahl, Wilhelm van Oranien, t. II, p. 874. (148) Van Vaernewijck, Beroerlicke tijden, t. II, p. 112, (149) Diegerick, Documents du XVIe siècle, t. III, p. 278. — Comparez le ton cassant de la réponse de Marguerite à ses terreurs du mois d'août. Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 266. (150) Il est caractéristique, pour la situation religieuse du moment, que les luthériens se joignirent aux catholiques contre les calvinistes. Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 527. (151) Langeraad, Guido de Bray, p. 72 n. (152) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. II, p. clxiii. (153) Kervyn de Lettenhove, Les Huguenots et les Gueux, t. I, p. 469. (154) Ibid., t. I, p. 470, Cf. Gachard, Les bibliothèques de Madrid et de l'Escuriai, p. 92. (155) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 542. LIVRE IV LE REGIME ESPAGNOL ' -J^î " II (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Lansquenets en marche (« Die gemaynen Knecht »). Gravure d'Erhard Schoen tdécédé à Nuremberg en 1542). CHAPITRE PREMIER LE DUC D'ALBE E PLAN DE PHILIPPE II. - La politique personnelle de Philippe II dans les Pays-Bas ne s'affirme pleinement que du jour où il prit la résolution d'y envoyer le duc d'Albe. Jusque-là, il n'avait guère fait que suivre à l'égard de ses provinces belges, la tradition de Charles-Quint. S'il avait créé les nouveaux évêchés, il avait respecté les institutions politiques; il avait évité toute cause de rupture; il avait cherché à contre-cœur sans doute et avec maladresse, mais enfin il avait cherché à satisfaire l'opinion publique. Sa longanimité n'avait abouti, de concession en concession, qu'au plus éclatant des échecs. En vain, il avait rappelé ses troupes, en vain il avait congédié Granvelle et capitulé devant les seigneurs. A mesure qu'il avait montré plus de condescendance, l'opposition s'était faite plus audacieuse. Purement politique tout d'abord, elle avait prétendu reconstituer l'Etat bourguignon en face de l'Etat espagnol. Puis, s enhardissant jusqu'à réclamer la liberté de conscience, elle avait favorisé l'agitation que le calvinisme entretenait dans le pays et provoqué, enfin, le soulèvement des iconoclastes. La majesté royale et la majesté divine avaient été également outragées. Aux yeux du roi catholique, l'autonomie de ses « Etats de par delà » n'avait servi qu'au triomphe de l'hérésie. Il les enveloppait l'une et l'autre d'une même réprobation, et ses intérêts de souverain se trouvant d'accord avec les intérêts de l'Eglise dont il se considérait comme le protecteur, il s'était enfin décidé, après avoir infligé à ses sujets du Nord un châtiment exemplaire, à leur imposer l'absolutisme politique et le catholicisme d'Etat qui régnaient en Espagne. Car pour rétablir du même coup dans les Pays-Bas la « due obéissance » et l'unité confessionnelle, il suffit d'y implanter le régime espagnol. Et c'est à cette tâche que va se consacrer le duc d'Albe. Il ne vient pas seulement pour châtier des rebelles et pour traquer des hérétiques. Il a reçu mission d'hispaniser le gouvernement du pays, de le soumettre en tout à la cour de Madrid, d'en faire un presidio d'où la puissance espagnole, sans avoir à craindre de nouvelles révoltes, puisse tra- vailler à imposer son prestige et sa foi à la France, à l'Angleterre et à l'Empire et, reprenant l'oeuvre de Charles-Quint, tendre vers la domination universelle en même temps qu'elle écrasera le protestantisme. Malgré l'éloignement de leur prince, les Pays-Bas étaient restés jusqu'alors, grâce à leurs gouvernantes, en contact direct avec la dynastie. Marguerite d'Autriche, Marie de Hongrie, Marguerite de Parme « étaient du sang », et leur présence conservait aux provinces belges quelque apparence de leur vieille indépendance bourguignonne. Elles la perdent dès l'arrivée d'Albe. Avec celui-ci, en effet, le gouvernement passe aux mains d'un étranger, simple instrument de son maître, responsable devant lui seul et n'agissant que pour lui seul. Les plus anciens « Etats héréditaires » de la monarchie vont être traités en pays conquis. Albe ne se fera pas inaugurer dans les provinces et ne prêtera pas serment à leurs privilèges. Il ne sera lié que par une seule parole, celle qu'en partant il a donnée à son roi. Pour ce roi, conformément à son caractère, il cherche à tromper l'opinion sur ses desseins. Il ne confie officiellement au duc d'Albe que des pouvoirs militaires et laisse à Marguerite de Parme le titre de gouvernante. Surtout, et visiblement pour rassurer les esprits, il feint de vouloir partir lui-même pour Bruxelles. Il le fait entendre au pape qui le supplie de se montrer à ses sujets « avec la miséricorde et non avec le feu et le fer» (1). Il s'irrite si l'on a l'air de douter de son voyage. Il ordonne d'emballer sa garde-robe, dépense 200,000 ducats en préparatifs, laisse Pie V prier pour son heureuse traversée et Marguerite de Parme envoyer des navires à sa rencontre. Pourtant, il est bien décidé à ne pas bouger. Il ne veut pas présider à l'annulation des privilèges qu'il a juré de maintenir, assister aux exécutions qu'il a ordonnées, voir couler le sang, entendre les supplications de son peuple. Plus tard seulement, quand l'œuvre sera achevée, il apparaîtra « comme un bon père », pour octroyer son pardon. En attendant, il arrête minutieusement et froidement les mesures à prendre et désigne les têtes à couper. Par fortune, celle de Montigny, récemment arrivé en Espagne, est du nombre, et il ne faut pas qu'il échappe. Philippe l'amuse donc de promesses et de prétextes pour le retenir auprès de lui jusqu'au jour où son fidèle lieutenant fera signe qu'il est temps d'agir. Ce simple détail suffit à montrer que le roi et le duc s'accordent sur un plan de conduite où rien n'est abandonné au hasard. Les rôles ont été parfaitement répartis. En apparence, le premier reste étranger à la répression. Il laisse au second toute la responsabilité publique de leur œuvre commune et cette responsabilité, celui-ci non seulement n'hésite pas à s'en charger, mais il s'en charge avec joie. (Madrid, collection du duc d'Albe.) « Don Fernando Alvarez de Toledo, duc d'Alva, lieutenant-gouverneur et capitaine-général » des Pays-Bas. Buste de bronze attribué à Leone Leoni. CARACTERE DU DUC D'ALBE. - Agé de cinquante-neuf ans en 1567. don Ferdinand Alvarez de Toledo, duc d'Albe et marquis de Soria, appartenait à cette génération qui avait vu la puissance espagnole se répandre sur l'Europe (2). Toute la fierté de la race énergique et guerrière dont il sortait s'était exaltée en lui sur les champs de bataille où il avait combattu, pour Charles-Quint, les Français et les protestants. La grandeur de son roi se confondait à ses yeux avec la grandeur de l'Espagne. Il avait ressenti comme une injure personnelle les réclamations des seigneurs belges contre le gouvernement de Philippe II. N'avouait-il pas, dès 1564, que la lecture de leurs lettres le faisait tomber en frénésie? (3). D'ailleurs, il haïssait les gens des Pays-Pas et aspirait à leur faire expier le dédain que Chièvres et les Flamencos avaient montré jadis aux Castillans. Vieux chrétien, il abominait la tolérance religieuse et ne voyait dans ses partisans que des fauteurs d'hérésie. Orgueilleux de sa noblesse, il méprisait un peuple où la bourgeoisie jouissait d'une influence prépondérante. Sobre, hautain, distant, il ne dissimulait pas sa répugnance aristocratique pour la gaîté bruyante, les longues beuveries, la familiarité d'allures d'une population dont il était absolument incapable de pénétrer le caractère et dont les vertus mêmes, la franchise, l'énergie laborieuse, la cordialité et l'humanité ne lui inspiraient que du dégoût. Au demeurant, il était tout le contraire d'un brutal soudard. Sa politesse glaciale, mais raffinée, en imposait à tout le monde. Il était complètement maître de soi, et ses contemporains admiraient la prudence dont il avait donné des preuves également éclatantes comme homme de guerre et comme diplomate. Il ne se décidait qu'après avoir longtemps réfléchi, puis, sa résolution prise, il marchait droit au but avec la rectitude imperturbable d'une volonté inaccessible au doute. C'était, comme Michelet l'a dit admirablement, un « génie médiocre, mais fort par la netteté du parti pris, par la simplicité des vues et par la passion ». Venu dans les Pays-Bas pour châtier des rebelles qui ne méritaient à ses yeux aucune pitié, et pour écraser une constitution politique incompatible avec la majesté de son roi, il a poussé jusqu'au bout dans la voie qu'il s'était tracée. Jamais il n'a éprouvé, non pas même le moindre remords — un tel mot serait ridicule à propos d'un tel homme — mais la moindre hésitation. Il n'a pas voulu s'apercevoir qu'il suscitait lui-même les obstacles sur son chemin. Il n'a eu qu'une méthode de gouvernement : la force ou, pour mieux dire, la terreur. Inaccessible au sentiment du possible comme à celui de la miséricorde, il s'est avancé, inflexible, au milieu des ruines, la conscience tranquille. C'est le sentiment du devoir, ce n'est pas la cruauté qui lui a fait ordonner des supplices, et l'on pourrait com- parer sa sérénité d'âme devant ses victimes à celle de Robespierre. Chez l'un comme chez l'autre, la sincérité est aussi entière et aussi effroyable, et l'un comme l'autre revendiquent hautement la responsabilité du sang qu'ils font couler. « Il vaut infiniment mieux, écrira le duc, conserver par la guerre pour Dieu et pour le roi un royaume appauvri et même ruiné que, sans la guerre, l'avoir entier pour le démon et les hérétiques ses sectateurs» (4). Plus jeune de vingt ans, Albe n'aurait sans doute pas pensé ainsi. Mais la religion telle qu'il la conçoit, c'est ce catholicisme des vieux Espagnols formés par la guerre sainte contre les Maures et pour qui l'hérétique se confond avec l'ennemi. Le seul moyen de propagande que connaissent de tels hommes, c'est l'épée ou le bûcher. C'est en purs soldats qu'ils combattent pour leur foi et pour leur roi. Ils s'attaquent au corps, ils dédaignent l'esprit. Leur action est toute militaire et politique et, s'ils luttent pour le Christ, c'est au nom de leur souverain et non pas au nom de l'Eglise. Toute sa vie. Albe a traité les évêques avec hauteur et il a manifesté à l'égard des Jésuites une défiance insurmontable. Décidé à sévir impitoyablement, il a dû croire que son oeuvre ne serait ni longue, ni difficile. Ses forces n'étaient-elles pas irrésistibles ? Il amenait avec lui dix-neuf enseignes du tertio de Naples sous Alonzo de Uloa, dix du tertio de Sicile sous Julian Romero, dix du tertio de Lombardie sous Sancho de Londono, quatorze du tertio de Sardaigne sous Gonçalo de Bracamonte, au total environ neuf mille hommes de vieilles troupes éprouvées et ne connaissant point la défaite. Sa cavalerie consistait en douze cents soldats italiens ou albanais, y compris une élite de deux cents mousquetaires montés, le tout sous le commandement de son bâtard, don Fer-nand de Tolède, grand prieur de Castille. Le comte Albert de Lodron conduisait un régiment allemand levé dans le Tirol. A l'état-major, on avait adjoint un groupe d'ingénieurs italiens, dont le fameux Chiapino Vitelli, un des premiers constructeurs militaires de l'époque. L'équipement des troupes était irréprochable, et sur leur passage à travers la Savoie, la Franche-Comté et la Lorraine, on accourait de loin pour admirer leur air martial, l'éclat de leurs armes, le bel ordre de leurs rangs, la quantité des équipages et des voitures du train, qu'accompagnait une chatoyante cohue de femmes, huit cents à pied et quatre cents à cheval, «belles et braves comme princesses» (5). On croyait voir marcher les légions de César à la conquête du Belgium. Tout le monde se sentait plein d'entrain, les vétérans espagnols surtout, qui se réjouissaient à l'avance de mettre à la raison les gens des Pays-Bas, ramassis de Luteranos et d'ennemis du roi. Dès que Marguerite de Parme eut vu le duc, les dernières illusions qu'elle avait pu conserver s'évanouirent. Il eut beau lui témoigner un « grandissime respect » et lui affirmer qu'il se mettait à ses ordres « ni plus ni moins que Berlaymont et d'Arenberg » (6), elle comprit que ce IVienne, Kunsthistorisches Muséum). (Cliché Kunstverslag Wolfrum.l « Le Massacre des Innocents ». Détail d'un tableau intitulé « Entrée des cavaliers dans un village ». Le personnage à cheval situé à l'avant-plan, entre un trompette et un sonneur de cor, serait le duc d'Albe : cette identification, quoique plausible, reste hypothétique. L'attribution du tableau est également discutée : il s'agirait ou bien d'un original peint par Pierre Bruegel l'Ancien (Bruegel, entre 1520 et 1530-Bruxelles, 1569), ou bien d'une copie exécutée par Pierre Bruegel le Jeune, fils du précédent (Bruxelles, vers 1564-Anvers, 1637 ou 1638). « capitaine-général » était désormais le maître, et qu'elle ne comptait plus. Sa vanité se fût peut-être contentée de la simple apparence du pouvoir, mais elle ne put se résoudre à passer pour complice de ce qu'elle prévoyait. En face de l'homme inflexible qui lui conseillait froidement de le charger de toutes les responsabilités et qui revendiquait toutes les haines qu'il allait déchaîner, elle ne songea plus qu'à quitter Bruxelles. Dès le 29 août, elle priait le roi de l'autoriser à partir. Elle reçut son congé dans le courant d'octobre et, à la fin de décembre, elle se mettait en route pour l'Italie. ORGANISATION DE LA TERREUR. - Albe. d'ailleurs, n'avait pas attendu pour agir qu'elle lui eût cédé sa place et son titre. Tout d'abord, et pour prévenir toute tentative d'insurrection, il dispose savamment ses troupes. Il les cantonne dans les localités voisines de Bruxelles, de manière à pouvoir les concentrer en une seule nuit s'il en est besoin. Pour la première fois, les grandes villes de Belgique doivent entretenir des garnisons permanentes. A Anvers, les ingénieurs italiens commencent la construction d'une citadelle inexpugnable, réduit éventuel de l'armée tant contre un soulèvement national que contre une invasion étrangère. Tout de suite, la puissance ou, pour mieux dire, la force espagnole s'affirme avec arrogance. Dans les villes, les soldats rudoient leurs hôtes, se font II - 18 • % ^r 'yts. ____ V ite^jjpfeiiÂ^'-»«*» 7 f 'frio, t--I"" -t*wi -rvL-^ *'"l~f]t y / ^ Vi^.r^ ___________ (Cliché Huarr 1 Page du journal de Nicolas de Landas, procureur-général du comte d'Egmont, contenant le mémoire rédigé pour sa défense par Egmont au château des Comtes à Gand et remis au capitaine de Salinas (12 lévrier 1568 (n.s.) (folio 135). Le comte d'Egmont avait donné procuration à Nicolas de Landas, grand-bailli d'Armentières, pour t faire apparoir de son innocence, bon droit et justice », et il lui avait adjoint Jean de Rantere, avocat au Grand Conseil de Malines. De son côté, Nicolas de Landas s'était entouré de savants professeurs de l'Université de Louvain : Jean Wamesius, Albert Leoninus, Pierre Peckius, et d'avocats au Conseil de Brabant : Liesvelt, Boisschot et Wesembeek. Mais l'accusation interdit au comte d'Egmont d'entrer en rapport avec ses défenseurs jusqu'à ce qu'il eût répondu lui-même au procureur-général. Egmont rédigea alors son plaidoyer. Lorsque, en 1577, les calvinistes se furent emparés de la citadelle d'Anvers, les Etats Généraux saisirent les archives du Conseil des Troubles et beaucoup de pièces furent remises aux familles des victimes. Le document reproduit ci-dessus a été retrouvé à Mons et acheté par les archives de l'Etat en 1853; il a été anéanti dans l'incendie des archives de Mons en mai 1940. servir du meilleur et scandalisent la bourgeoisie par la licence de leurs moeurs aussi bien que par les manifestations exubérantes de leur piété méridionale, portement de croix et flagellations publiques (7). A la cour, les fonctionnaires et les conseillers nationaux se sentent en butte à la suspicion et au mauvais vouloir. Tout l'entourage du duc est purement espagnol et lui-même affecte de ne point parler français. La froideur hautaine de son abord épouvante les seigneurs. Egmont, après l'avoir vu, est devenu un autre homme. Il ne mange plus et, la nuit, on l'entend se promener fiévreusement par sa chambre ou bien, il est secoué d'accès de colère pendant lesquels il parle de se renfermer dans son château de Gaesbeek et de « lever le pont» (8). Sur le peuple pèse le malaise angoissant qui précède une catastrophe. Par habileté peut-être, par prudence en tout cas, le duc prend son temps. Il veut que son premier coup porte et il en combine soigneusement l'exécution. Elle réussit à merveille. Le 9 septembre, les comtes d'Egmont et de Hornes sont arrêtés soudain à Bruxelles et l'ancien bourgmestre van Stralen à Anvers (9). Moins de quinze jours plus tard, le 21 septembre, l'ordre arrive en Espagne de faire subir le même sort au malheureux Montigny. En même temps, le 20 septembre, le Conseil des troubles est institué. Composé de neuf membres soumis à l'influence de trois Espagnols, Del Rio, Vargas et Roda, ce Conseil n'est point, à proprement parler, un tribunal. Sa mission ne consiste qu'à donner des avis au gouverneur qui promulgue les sentences en nom propre. A vrai dire, c'est une juridiction d'état de siège, ne tenant pas le moindre compte des coutumes, des traditions, des libertés nationales (10). Dans le régime de terreur qu'Albe fait peser sur les Pays-Bas, il occupe la même place que le Tribunal révolutionnaire à l'époque la plus sanglante de la Révolution française. Chez l'un comme chez l'autre, les garanties individuelles, les formes les plus élémentaires de la procédure sont sacrifiées au but à atteindre, le salut public ou la raison d'Etat. Ici et là, c'est la même activité féroce et fébrile. Quand le duc est à Bruxelles, il passe sept heures par jour au Conseil, signant sans relâche les condamnations qui approvisionnent la mort par fournées. Le 4 janvier 1568, on exécute quatre-vingt-quatre personnes, trente-sept le 20 février, soixante et onze le 21 février, cinquante-cinq le 20 mars, etc. (11). Le 3 mars, un large coup de filet s'abat à la même heure dans tout le pays sur cinq cents victimes. Et ce n'est point l'hérésie qui fait envoyer au supplice tant de malheureux. Albe laisse aux inquisiteurs la punition des crimes contre la foi; pour lui, il ne s'en prend qu'aux rebelles : émeutiers, iconoclastes, signataires du Compromis, assistants des prêches, imprudents, enfin, qui, surexcités par les événements de 1566, payent maintenant de leur tête quelques journées de révolte ou de désordre (12). Les catholiques sincères voient fort bien « qu'on ne tient pas regard aux âmes» (13). Ils le voient d'autant mieux que le « tribunal de sang » prononce régulièrement la confiscation des biens en même temps que la mort. Ainsi, la boucherie à laquelle il préside devient une excellente opération financière et s'il massacre les sujets du roi, il l'enrichit de leurs dépouilles. En 1573, Albe se vantera de lui avoir procuré, rien qu'en confiscations, 500,000 ducats de rente (14). LE CONSEIL DES TROUBLES. - Au reste, le Conseil des troubles comme le Tribunal révolutionnaire a produit l'effet qu'il se proposait. La hache toujours levée et la prison toujours ouverte ont amené l'immense majorité de la population au dernier degré de la terreur. Sous le coup trop soudain et trop rude qui vient de la terrasser, elle semble avoir perdu la conscience d'elle-même. Le voulût-on d'ailleurs, comment organiser la résistance dans les villes occupées par les soldats espagnols ? Aussi tous ceux qui le peuvent, fuient-ils à l'étranger. D'autres se cachent à la campagne, où le désespoir et la misère les transforment en pillards et en bandits. Sous le nom de « gueux des bois » ou de « frères des bois », de « bosquillons », de « feuillants » de « blitres » leurs bandes rôdèrent par la basse Flandre et le Tournaisis effrayant la population vivant sur le pauvre homme et altérées de vengeance mettent les églises à sac et tuent les curés qui tombent dans leurs mains. Cette Vendée du XVIe siècle ne pouvait pas mieux réussir que les coups de main tentés par quelques gentilshommes résolus contre la personne du gouverneur (15). En réalité, les mesures avaient été trop bien prises et les forces (Cliché Kunstverslag Wolfrum.) (Musée de Darmstadt.) «La pie sur le gibet». Scène de supplice. Ce tableau illustre probablement les massacres organisés sur l'ordre du duc .d'Albe mais commepourle .Massacre des Innocents., l'identiMcation de I, scène reste conjecturale. Tableau petnt en 1568 par Pierre Bruegel t Ancien. du duc étaient trop grandes pour qu'il eût rien à craindre au dedans du pays. Mais il s'attendait à être attaqué de l'extérieur, et pour parer à tout événement, il avait levé, dès son arrivée dans les provinces, onze mille reîtres en Allemagne. Il n'ignorait pas, en effet, que le prince d'Orange, retiré à Dillenbourg (16), était l'unique espoir des émigrés qui, depuis l'été de 1567, quittaient le pays par toutes les routes et par tous les ports. La mort récente de Bergues et de Bréderode, l'arrestation d'Egmont, de Hornes et de Montigny avaient fait refluer sur lui tout le prestige dont jouissait la noblesse nationale. Le jeune comte d'Hoogstraeten le suivait dans son exil; Marnix lui apportait le concours de son talent d'écrivain et de son éloquence; Jacques de Wesembeke correspondait sans relâche avec ses partisans du pays et de l'étranger et lui organisait des finances. Son frère, enfin, l'ardent Louis de Nassau, le pressait de monter en selle et de faire « sonner le tambourin ». A tout prendre, les chances d'une lutte ouverte contre le duc d'Albe étaient plus favorables qu'on n'eût pu le croire à première vue. A l'intérieur des Pays-Bas, l'indignation était générale. En France, les Huguenots s'intéressaient certainement à une entreprise contre le lieutenant de Philippe II. Et le concours de l'Allemagne semblait plus assuré encore. L'empereur Maximilien II ne cachait pas sa désapprobation de la conduite du duc et, dès le mois de février 1568, il l'avait déclaré à Madrid. Mais c'est surtout l'assistance des princes luthériens qu'Orange, luthérien lui- I <5mftîLitbthm(t. C«cttmctffl) C&nftcltcU Ettb{ atinB«ttwt«rrniws®oo;lufl)tit!lilt l?"rf/Ç«t, llMIhtlm ïUiureuanOianmitM 'Oraue Dan jut, |oii/P«mHatria,inrind43.fwl>t:ifiil>teré.Uiaet ttaiiotjrRc Capttncl Uttevtn t>aiitkl(Ucrr8/(pmt J.^S.n.nwmctDjcnaf. 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LES NOUVEAUX IMPOTS. - De toutes les garanties constitutionnelles dont elle jouit, la plus essentielle, mais aussi la plus gênante, c'est le vote de l'impôt, qui permet aux sujets de n'ouvrir leur bourse que moyennant des concessions fatales à l'autorité souveraine. Ne l'avait-on pas constaté en 1558, lors de l'acceptation de l'aide novennale (36) ? Or, cette aide vient d'expirer (1567) et il faut se créer de nouvelles ressources. Deux voies peuvent y conduire : ou bien on recommencera de pénibles et humiliantes négociations avec les Etats généraux, ou bien on saisira l'occasion qui s'offre d'établir hardiment le principe de toute monarchie forte : l'impôt permanent. Grâce à lui, non seulement le ressort essentiel des libertés publiques sera brisé, mais le roi pourra encore s'affranchir des sacrifices ruineux qu'il s'impose pour les Pays-Bas. Ceux-ci se suffiront désormais à eux-mêmes. Bien plus ! Ils interviendront, comme il est juste, dans les dépenses de la monarchie. « Le point principal, écrit le duc, c'est que Votre Majesté peut retirer tout ce qu'elle veut de ces pays, où jusqu'ici, pour un florin qu'on lui accordait, elle devait (Londres, British Muséum, ms Cotton Galba, C. IV loi. 256 r«.) Lettre adressée par Guillaume d'Orange à Wesembeke au sujet du manifeste composé et répandu par son correspondant à l'insu du prince. Signature autographe de Guillaume d'Orange (30 mai 1572). Il résulte du contenu de cette lettre que la célèbre proclamation d'Orange du 14 avril 1572 fut rédigée par Wesembeke sans que le texte eût été communiqué au prince. « J'ai aussi veu ce qu'avez faict imprimer de ma part pour faire semer au pays et servir d'exhortation aux habitans d'icelluy; mais je vouldrois que ne l'eussiez divulgué devant me l'avoir communiqué, ainsi que je vous avois escript, principalement ce qui est en langue franchoise et allemande. » leur donner tout ce qu'ils demandaient de ses prééminences royales, et faire ces concessions de telle manière que, certes, dans l'état ou je trouvai les choses ici, et en considérant la souveraineté que Votre Majesté y exerçait, moi, qui ne suis qu'un simple écuyer, je ne l'aurais pas souffert » (37). Et certainement, en parlant ainsi, Albe est sincère. Il raisonne en Espagnol pour qui les Pays-Bas ne sont qu'une annexe de la monarchie. De quel droit y jouiraient-ils d'une situation exceptionnelle et d'avantages que ne possèdent ni l'Italie, ni la Sicile ? Mais le point de vue auquel il se place trahit justement chez lui la même erreur qui a perdu Guillaume de Normandie au XIIe siècle, et Jacques de Châtillon au XIVe (38). Il ne voit pas combien les provinces belges, avec leur classe moyenne si laborieuse, diffèrent de cette Espagne où une noblesse oisive règne sur un peuple misérable. Il ne comprend pas que le système des alcabalas castillans transporté dans les Flandres doit nécessairement les épuiser en les frappant à la source même de l'industrie qui alimente leur prospérité. Avec une ignorance vraiment extraordinaire de la nature du pays, il répond aux objections de Viglius et des Conseils collatéraux que les impôts nouveaux n'incommoderont ni le clergé ni la noblesse, et que tout leur poids retombera sur les marchands et les artisans (39) ! En face de l'Angleterre qu'enrichit l'habile mercantilisme d'Elisabeth, il va accabler les Belges, déjà à moitié ruinés, de charges énormes destinées à solder l'armée qui les tient sous le joug. D'ailleurs, il ne se rend aucun compte de l'attachement du peuple à ses libertés. Il ne sait pas que toucher aux privilèges « c'est toucher à la chair qui tient aux ongles » (40). Les nouveaux impôts furent proposés aux Etats généraux, convoqués pour un seul jour à Bruxelles, le 21 mars 1569. Ils consistaient en un 100e denier à lever une fois pour toutes sur tous les biens meubles et immeubles, puis en deux taxes permanentes, l'une du 10e sur la vente des biens meubles, l'autre du 20e sur celles des immeubles, toutes deux payables par le vendeur. Ce système, simple application des alcabalas espagnols, avait reçu l'approbation du roi. Viglius avait eu beau faire remarquer que les Pays-Bas n'étaient pas comme l'Espagne une contrée agricole, qu'ils ne pouvaient maintenir leur industrie, menacée par la concurrence anglaise, que grâce au bon marché des subsistances et des matières premières, et que le bon duc Philippe ainsi que ses successeurs l'avaient toujours compris : il s'agissait bien encore de Bourgogne ! Philippe II, comme le duc d'Albe, ne voyait que la raison d'Etat. S'affranchir de l'intervention des Etats généraux par l'institution de l'impôt permanent et assurer à la couronne des revenus fixes et copieux, telle était son unique préoccupation. On comprend qu'en présence d'aussi grands avantages, l'intérêt des provinces ne pouvait peser dans la balance. Mais comment ne point s'étonner d'une telle conduite ? Ne sacrifiait-elle pas l'avenir au présent et, le jour où le gouvernement d'Espagne aurait ruiné les Flandres, ne serait-il pas lui-même victime de sa politique ? Il ne craignait pas de couper l'arbre pour en avoir le fruit, et ses projets financiers dans les Pays-Bas trahissent le même désir de jouissance immédiate et imprudente qui devait tarir si rapidement les immenses ressources du Nouveau Monde. Au reste, le duc s'attendait à des protestations et il eut soin, pour y couper court, de terroriser les Etats généraux. Il leur fit déclarer par le vieux conseiller Bru- (Paris, Bibliothèque Nationale. Cabinet des Estampes.) Gaspard de Coligny, un des chefs du parti huguenot (1519-1572). Dessin au crayon de François Clouet (vers 1510-vers 1572). xelles que « Sa Majesté étoit décidée à user contre les réfractaires... de l'autorité que Dieu lui avoit donnée, pour conduire ses subjects au bon chemin ». Il fallait « estoup-per la bouche à tous ceulx qoi y voudroient mettre obstacle... afin que Son Excellence ne soit occasionnée d'y pourveoir ». Le lendemain, le duc entretint en particulier les délégués des diverses provinces. Il leur dit que le roi et lui voulaient un consentement absolu en signe d'obéissance, mais qu'en suite le 10e et le 20e denier pourraient être remplacés par des impositions moins onéreuses et établies de concert avec eux (41 ). Le vague espoir que ces paroles laissaient subsister explique sans doute en grande partie la résolution finale des Etats provinciaux. Sauf ceux d'Utrecht, qui persistèrent dans un refus obstiné, ils se résignèrent, après de longs débats, à accepter, tout en protestant, les nouveaux impôts. Presque partout, d'ailleurs, leur consentement fut arraché par l'intimidation. A Lille, le gouverneur, Rassenghien, fit un tableau effrayant des malheurs que leur refus ferait fondre sur eux : «Qu'alors les habitants pleureroient..., mais que peut-être on ne les écouteroit pas; que le duc ne feroit point de cas de mettre une ville ou deux à sac afin que les autres y prissent exemple» (42). Des moyens analogues furent employés en Flandre et en Hainaut. Ailleurs, le vote fut irrégulier, comme en Artois où, contrairement à la coutume, on demanda séparément l'avis de chaque ville, comme en Brabant, où l'on ne tint pas compte du refus des « nations » de Louvain et de Bruxelles. Le duc était donc arrivé à ses fins, et il se contenta, pour le moment, de ce premier succès. Il consentit, à la demande des Etats, à substituer pour deux ans (13 août 1569 à 13 août 1571), au 10e et au 20e denier, une somme globale Prise de La Brielle par les Gueux (31 mars-1er avril 1572). Gravure de François Hogenberg extraite du De Leone Belglco de Michel Aitsinger (Cologne, 1583, petit in-folio), p. 120-121 de 2 millions par an. Cependant, le 100e denier était perçu : au mois de février 1571, il avait rapporté 3 millions 300,000 florins (43). Des financiers encouragés par ce succès proposaient au gouvernement de prendre les nouveaux impôts à ferme pour 4 millions. Mais Albe assurait qu'ils produiraient beaucoup plus et que, toutes charges payées, le roi, grâce à eux, pourrait mettre facilement dans ses coffres 2 millions de florins chaque année (44). Malgré le sentiment unanime du peuple, qui demandait une prolongation de l'abonnement du 10e et du 20e denier, il ordonna, le 31 juillet 1571, d'en commencer la levée au mois d'août suivant (45). Personne cependant ne pouvait croire que sa résolution fût définitive. La lenteur voulue du Conseil des finances fit gagner quelques semaines. Mais le gouverneur était buté à son idée. Il se montra inflexible et, au mois de septembre, il fallut, bon gré mal gré, exécuter ses ordres. Ce fut aussitôt une épouvantable déroute. Le choc brutal de la fiscalité espagnole brise les rouages si délicats du commerce et de l'industrie, et le mouvement économique s'arrête. Le monde des affaires est frappé de paralysie. Sous la menace des alcabalas, les marchands émigrent comme ont fait les rebelles sous la menace du Conseil des troubles. A Anvers, les exportateurs annulent tous les marchés passés par eux avec les centres manufacturiers. La ville se dépeuple; elle « fond non moins que la neige au soleil ». Des maisons qu'on louait 300 florins n'en valent plus que 50, et le produit du tonlieu tombe de 80,000 florins à 14,000 (46). Sur les canaux, des files de bateaux sont arrêtés devant les écluses (47). Le chômage est général dans les districts industriels de Tournai et de Lille. En Hollande, la misère des pêcheurs fait pleurer et beaucoup d'entre eux, mourant de faim faute d'ouvrage, se réfugient en Angleterre. Des villages où l'on ne rencontrait pas un mendiant, en ont maintenant des centaines. On ne voit partout que des pauvres « bien habillés » demandant l'aumône (48). Le commerce est tellement abattu, que le duc d'Albe, voulant renouveler la livrée de sa maison, n'a pu trouver assez de drap bleu à Bruxelles et à Anvers, alors qu'autrefois un seul marchand aurait pu tout fournir (49). LA RESISTANCE AU Xe DENIER. - Le spectacle n'est pas seulement lamentable. La colère du peuple lui donne un caractère effrayant. L'impôt rencontre chez les pauvres gens qu'il affame une résistance muette. Pas de cris, pas d'émeute, mais une indomptable résolution de ne pas céder. A Bruxelles, à Anvers, à Malines, les boutiques des détaillants restent obstinément closes. Les meubles vendus à l'encan pour refus de payer le 10e denier ne trouvent pas d'acquéreurs. Plutôt que de se soumettre à l'odieuse taxe, on ne boit plus de bière. Et à mesure que la misère augmente, la défiance puis la haine à l'égard des autorités constituées, qui torturent leurs compatriotes pour obéir à l'Espagnol, se développent au fond des cœurs. « C'est une mort d'être maintenant en loy, commandant Son Excellence si précisément et refusant le peuple si audacieusement » (50). « Bienheureux, s'écrie Morillon, tous ceux qui sont décédés sans voir les misères qui sont devant la porte ! » (51). Non seulement on se défie des Etats, des magistrats, des nobles, mais le clergé est plus suspect encore. Le peuple ne sait pas que les évêques supplient le gouverneur de céder. Il ne suffit pas qu'un jésuite, çà et là, prêche contre le 10e denier (52), que çà et là un prêtre refuse l'absolution aux collecteurs (53). Le catholicisme d'Albe compromet, aux yeux de bien des gens, l'Eglise catholique tout entière et dans plusieurs régions, mais surtout en Hollande, les calvinistes en profitent pour se livrer secrètement à une active propagande (54). Mais le duc ne veut rien entendre. Devant la catastrophe qu'il a déchaînée, il ne convient pas de son erreur et « se tue de colère» (55). L'ambassadeur d'Espagne à Paris, don Francès d'Alava, a beau lui donner des conseils sensés, l'évêque d'Ypres lui fait entendre de sérieuses remontrances, il attribue ou feint d'attribuer tout le mal au mauvais vouloir du Conseil des finances, qu'il accuse d'intriguer contre lui. D'ailleurs, les ordres du roi sont formels et le besoin de ressources pressant. Philippe II écrit qu'il ne peut plus envoyer autant d'argent que par le passé et qu'il faut percevoir les nouveaux impôts (56). Pourtant, le peuple n'a pas perdu confiance en son « prince naturel ». Le roi est sans doute mal informé; il se rendra aux supplications de ses sujets; une démarche à Madrid lui fera comprendre la situation. En 1572, les Etats du Hainaut députent vers lui quelques délégués, puis ceux de Lille, Douai et Orchies, ceux de Brabant, ceux de Flandre suivent leur exemple. Ils ne savent pas qu'Al-be les a devancés dès le 11 mars et a conseillé au roi de ne les recevoir que par l'ordre de payer « car l'occasion ne se représentera plus » (57). Ils étaient encore en route quand une nouvelle inattendue parvint à Bruxelles. Le 1er avril 1572, les Gueux de mer s'étaient emparés du petit port de La Brielle. LE PRINCE D'ORANGE ET LES HUGUENOTS. — Ce que le massacre des soldats de Châtillon à Bruges avait été au XIVe siècle, lors du conflit de la Flandre et de la France, ce hardi coup de main le fut dans le soulèvement des Pays-Bas contre l'Espagne. L'un et l'autre surgissent brusquement, sans préparation, sous la pression trop forte de l'étranger. L'un et l'autre sont l'œuvre de bannis; l'un et l'autre, enfin, font apparaître sur la scène les chefs politiques qui vont se mettre à la tête d'un peuple exaspéré. Les matines de Bruges ouvrent la Flandre en 1302 à Jean de Namur et à Guillaume de Juliers (58), comme la prise de La Brielle en 1572 ouvre la Hollande à Guillaume d'Orange. Depuis longtemps, il attendait cette occasion. Après son échec de 1568, qui l'avait rejeté en France désemparé et presque ridicule, tout le monde l'avait cru perdu. Son crédit était ruiné. Au mois de février 1569, il avait été obligé de s'enfuir de Strasbourg, pendant la nuit, pour échapper à la fureur de ses reîtres qui exigeaient tumultueusement leur solde (59). Granvelle s'apitoyait avec dédain sur le sort du « pauvre prince qui est détruit sans remède pour avoir voulu suivre l'advis d'aulcuns discoureurs qui luy ont persuadé les mariaiges d'Allemaigne » (60). (Bruxelles. Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Ducat obsidional frappé à Middelbourg en 1573 pendant le siège de la ville par Guillaume d'Orange. Droit et revers. Au droit, un texte de circonstance rappelle la situation pénible des habitants qui se nourrissaient de cheval, de chien, de peaux, de rat et de chat, de tourteaux de lin. (Doen ic was gesleghen - Was Milddelburg belegen - Zo dat het vole at - van honger wegen peerde, honden, huyen,deur noot Catien,ratte ende lusken wafelen - voor broot.) Au revers, la légende : +. DEO. REGI. PATRIAE. FIDEL(IS). MIDDELB(VRGIS). 1. 5. 7. 3. Ducat d'or. Dimensions : 29x28 mm. Poids : 3,23 gr. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Gouda à la fin du XVIe siècle. Gravure extraite des CMtates orfcis terrarum de G. Braun, F. Hogenberg et G. Hoefnagel (6 tomes en 3 volumes in-folio. Cologne, 1572-1618). Tome III. planche 31. Mais Granvelle ne devinait point, malgré sa finesse, l'indomptable énergie, la ténacité, le talent politique d'un adversaire qu'il mettait trop hâtivement hors de combat. Guillaume s'était bientôt ressaisi et, loin de désespérer de l'avenir, il combinait de nouveaux projets au moment même où ses ennemis le croyaient accablé. En France, il était entré en contact avec les chefs du parti protestant : Coligny, Condé, Jeanne d'Albret. Il avait admiré leur vigueur et cette opiniâtreté dans la mauvaise fortune qui, en dépit de la défaite de Jarnac, en dépit de la mort de Condé, leur avaient finalement valu la paix de Saint-Germain et la liberté de conscience (8 août 1570). Le calvinisme abattu dans les Pays-Bas se relevait donc en France. Coligny poussait Charles IX à reprendre la lutte contre la maison d'Espagne, le rapprochait de l'Angleterre et l'exhortait à la conquête de la Flandre. Louis de Nassau, arrivé dans le royaume avec l'armée que Wolf-gang de Bavière amenait à Coligny, et qui s'est fixé au milieu des Huguenots de La Rochelle, met toute son ardeur au service de cette politique protestante. Ce fougueux calviniste est, avant tout, l'homme des guerres de religion. Chez lui, nul scrupule national ne contrebalance la haine qu'il a vouée au « papisme » et à la puissance espagnole. Pour décider Charles IX à l'action, il n'hésite point à lui proposer le partage des Pays-Bas entre la France, l'Allemagne et l'Angleterre et à lui faire espérer la couronne de roi des Romains. Dans ces conjonctures, un plan nouveau se forme et se précise dans l'esprit du prince d'Orange. Déçu de l'espoir qu'il avait fondé sur l'Allemagne, il va lier sa cause à celle des protestants français. Par lui, les Gueux s'uniront aux Huguenots et l'influence française viendra combattre aux Pays-Bas l'influence espagnole. Guillaume, il est vrai, est luthérien, mais les questions confessionnelles n'ont point de prise sur ce génie essentiellement politique. Il hésitera d'autant moins à tendre la main aux calvinistes de France que la Réforme dans les Pays-Bas est essentiellement calviniste et que l'unité de religion doublera la force de la coalition qu'il veut former. Retiré de nouveau à Dillen-bourg, il observe les événements, correspond avec Coligny et avec Louis de Nassau, et tout en préparant de concert avec eux une campagne décisive, il suit et encourage les efforts des Gueux de mer. Recrutés comme les Gueux des bois dans la foule des bannis, des rebelles et des suspects, et comme eux mêlés à des pillards et à des coureurs d'aventures, ils tenaient la mer depuis l'arrivée du duc d'Albe et harcelaient de leur piraterie le commerce des provinces (61). Dès le mois de juillet 1568, Louis de Nassau leur avait donné des patentes de corsaires au nom de son frère. Mais c'est surtout depuis la crise provoquée par les nouveaux impôts qu'ils sont devenus redoutables. Une infinité de pauvres mariniers de Hollande et de Zélande qui mouraient de faim, ainsi qu'une infinité d'ouvriers wallons sans ouvrage viennent s'unir à eux (62). Des Huguenots de La Rochelle, des Liégeois inquiétés pour leurs croyances augmentent encore leurs équipages. Sans cesse, on aperçoit leurs voiles croisant au large devant les ports, aux bouches du Zuyderzée, à l'entrée des passes maritimes que les vaisseaux marchands sont obligés de traverser, et ils achèvent, par les prises qu'ils font et la terreur qu'ils répandent, de ruiner la navigation. On pend sur-le-champ tous ceux dont on parvient à s'emparer, mais ils n'accordent pas plus de pitié qu'ils n'en demandent. Débarquent-ils sur la côte, ils massacrent les curés des petits villages éparpillés dans les dunes et, par bravade, ils font flotter au haut de leurs mâts les bannières des églises qu'ils ont pillées. D'ailleurs, il règne un certain ordre parmi ces pirates. Des nobles calvinistes, ruinés par les confiscations, condamnés à mort par le Conseil des troubles et exaltés par la rage et le fanatisme, sont capitaines à leurs bords. Un petit seigneur de l'Artois, Adrien de Berghes, dit Dolhain, commande en qualité d'amiral à tous leurs navires. Disposant d'un nombre de vaisseaux insuffisant, le gouverneur de Hollande, le comte de Boussu, s'épuise vainement à leur donner la chasse. Il ne parvient pas à les empêcher de ramener continuellement, soit à Emden, soit dans les ports anglais, des prises dont le produit va grossir les ressources de guerre qu'amasse le prince d'Orange. Cependant, le duc d'Albe n'accorde pas grande importance à ces écumeurs de mer. Depuis 1571, c'est surtout la France qui occupe son attention, car il n'ignore rien des intrigues de Coligny avec Guillaume et Louis de Nassau. Il s'inquiète des armements qui se font publiquement avec la complicité de la cour et malgré les remontrances que Philippe II et lui-même adressent à Paris par l'ambassadeur espagnol. Quant aux Gueux, il s'efforce d'induire la reine Elisabeth à les priver des secours qu'ils tirent de l'Angleterre. Et, en effet, le 1er mars 1572, ordre leur est donné de quitter les ports du royaume. Le duc avait bien appris quelques jours plus tard (25 mars) qu'un de leurs chefs les plus dangereux, le Liégeois Guillaume de La Marck, sire de Lumey, méditait une attaque sur l'île de Voorn, à l'embouchure de la Meuse; il ne s'en était pas ému. LA PRISE DE LA BRIELLE. — C'est dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1572 que la flottille de Lumey parut devant La Brielle. La petite ville n'avait pas de garnison et ses pêcheurs étaient au large. Les Gueux débarquèrent. Ils pouvaient être six cents en tout, dont trois cents arquebusiers wallons et gascons, le reste, « gens de toute nation et de peu d'effet» (63). Ils eurent vite fait de mettre le feu à l'une des portes et de pénétrer dans la place. A cette nouvelle, les villes voisines, de proche en proche, se mettent en insurrection. La misère et la haine ont poussé le peuple à bout et, entre Albe et Lumey, la famine lui dicte impérieusement son choix. Aussitôt, les calvinistes se démasquent. Comme en 1566, sans calculer le danger, ils prennent la tête du mouvement et entraînent derrière eux la masse affolée. Le 6 avril, Flessingue se soulève; le 8, Rotterdam; le 10. Schiedam et Gouda. De l'intérieur du pays, une foule de misérables accourent se joindre aux révoltés. Le 13 avril. Morillon s'effraye d'apprendre que « de Borgerhoutte, qui est un faubourg d'Anvers, sont partis pour ung coulp [vers La Brielle] plus de 170 hommes qui y estoient retirés de Tournay et Valenciennes pour ce qu'il n'y a plus d'ouvrage. Ils y sont allé chercher adventures, de manière qu'il y a autant de dangier de nos propres gens que des ennemis » (64). Les Gueux rallient désormais autour d'eux les sans-travail et les protestants. Partout où ils paraissent se déchaînent à la fois la brutalité d'une plèbe exaspérée et le fanatisme religieux. Leur histoire abonde en traits d'héroïsme et en spectacles de répugnante cruauté. Les hérétiques se vengent sur l'Eglise de la tyrannie espagnole. Non seulement ils prohibent l'exercice du culte catholique, mais ils traquent les prêtres et les font mourir avec des raffinements de barbarie. L'abominable supplice des moines de Gorcum (9 juillet) atteste, comme les massacres de septembre pendant la Révolution française, jusqu'à quel degré de fureur homicide peut descendre la nature humaine sous le poids d'une haine trop longtemps contenue et qui s'épanche enfin (65). Devant la catastrophe qu'il n'avait pas prévue, Albe se trouvait désarmé. Le comte de Boussu, manquant de troupes, ne peut reprendre La Brielle ni maintenir les villes voisines dans l'obéissance. A Flessingue, les bourgeois repoussent à coups de canon un corps espagnol et massacrent l'ingénieur Hernando Pacheco, qui dirigeait la construction de la citadelle. Des capitaines depuis longtemps en rapport avec les émissaires d'Orange, y organisent militairement la foule. Lumey y envoie des secours sous le commandement de sire de Treslong, dont le père a été décapité à Bruxelles en 1568. D'autres renforts arrivent d'Angleterre; d'autres encore sont expédiés de France par Louis de Nassau. Avec une activité fébrile, on renforce les fortifications et l'on inonde les alentours en perçant les digues, si bien qu'au bout de quelques jours, la place est devenue imprenable, La Brielle n'était qu'une bicoque. Mais Flessingue, qui domine l'Escaut, est la clef d'Anvers. Grâce à elle, les Gueux possèdent dans les Pays-Bas un réduit aussi sûr que celui des Huguenots à La Rochelle et dont aucun effort ne pourra désormais les expulser. Si elle a surpris le duc d'Albe, la rapidité des événements n'a pas moins surpris le prince d'Orange. Bien plus, elle l'a effrayé. Il craint que la hâte de Lumey n'ait compromis l'attaque générale qu'il prépare d'accord avec les protestants de France. Il ne cache pas sa colère; il hésite sur le parti à prendre. Mais son entourage lui force la main et coupe court à ses indécisions. Wesembeke compose rapidement un manifeste et, sans le lui avoir montré (66), le lance dans le public. Le prince s'y intitule stadhouder de Sa Majesté de Hollande, Zélande, Frise et Utrecht et, à ce titre, appelle tout le monde à la résistance. Le 15 avril, don Fadrique, le fils du duc d'Albe « parloit encore des affaires de Zélande et de Hollande en riant et comme si ce ne fût rien » (67). Au mois de mai, après les progrès des Gueux, la perte de Flessingue, le manifeste d'Orange, la situation se découvre dans toute sa gravité. Le duc assiste exaspéré au démenti que les faits viennent de donner à la belle assurance qu'il manifestait jadis. Il voit autour de lui la satisfaction que les mauvaises nouvelles répandent dans le peuple. Il s'impose l'humiliation de suspendre la levée du 10e denier, et ce sacrifice lui coûte d autant plus que son trésor est à sec. Il n'ose faire bouger l'infanterie espagnole à laquelle il doit un arriéré de solde, ni la réunir «de crainte de quelque insolence» (68). Il avoue au roi qu'il est mal secondé « à cause de la haine qu'on lui porte », et il le supplie de hâter l'arrivée du successeur que Philippe II, sur sa demande, lui a désigné depuis quelque temps, le duc de Medina Celi. LA PRISE DE MONS PAR LOUIS DE NASSAU. — Néanmoins, tout pourra encore s'arranger « si les princes voisins ne s'en mêlent pas ». Mais ils s'en mêlent. Le plan concerté entre Orange et ses alliés de France s'exécute enfin. A deux heures d'intervalle, Albe apprend que le 23 mai, une bande de Huguenots, commandés par La Noue, vient de s'emparer de Valenciennes, et que, le 24, Louis de Nassau s'est jeté dans Mons avec des troupes. En face de ce nouveau péril qui menace les Pays-Bas d'une invasion française, il faut laisser le nord et faire aussitôt face au sud, quitte à revenir sur les Gueux quand les Français seront repoussés. Sauf les garnisons indispensables, le duc dirige toute l'armée vers le Hainaut. Le péril a retrempé son énergie. Il va au plus pressé et laisse derrière lui la révolte se répandre en Hollande et en Zélande. Le 10 juin, Enkhuysen arbore la bannière d'Orange, puis c'est au tour de Dordrecht et de Gorcum (25 et 26 juin), de Tholen, d'Alkmaar, de Harlem, de tout le Waterland qui, à l'exception d'Amsterdam et de Schoonhoven, est perdu pour les Espagnols. Le 21 juillet, Rotterdam et Goes se prononcent à leur tour, le 7 août Zierikzee. Les villes maritimes « ressemblent à une patenostre que quand l'une tombe, le surplus suyt » (69). En Zélande, Middelbourg seul, héroïquement défendu par Beauvoir et Wacken, puis par Mon-dragon, reste fidèle au roi. Vers l'est, les côtes de Frise sont assaillies par les Gueux, et le comte van den Berg, beau-frère du prince d'Orange, envahit la Gueldre. Cependant, Albe lève quatorze mille chevaux en Allemagne, trois régiments de hauts Allemands, trois de bas Allemands et, sans attendre leur arrivée, marche hardiment contre les Français. Les Huguenots sont chassés de Valenciennes. Le 17 juillet, des renforts que leur amène Genlis sont dispersés auprès de Saint-Ghis-lain par don Fadrique, tandis que le duc lui-même investit dans Mons les troupes de Louis de Nassau. LE PRINCE D'ORANGE EN HOLLANDE. - De son côté, le prince d'Orange s'est mis en mouvement. Laissant les Gueux continuer leur progrès, il s'avance au secours de son frère. Si son armée est peu nombreuse, il compte sur l'intervention de Coligny. Il espère aussi que les villes qu'il traversera embrasseront sa cause et, peut-être, l'auraient-elles fait quelques semaines plus tôt. Mais l'outrance calviniste des Gueux a indigné les catholiques et rendu le prince suspect à la majorité de la population A vrai dire, on ne va pas jusqu'à lui résister. On observe plutôt à son égard une neutralité défiante. Plusieurs villes, sommées par lui ou travaillées par ses partisans, Rure- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Christophe Mondragon, défenseur de Middelbourg contre Guillaume d'Orange. Gravure de D. Custos (Anvers, vers 1550-Augsbourg, 1612). monde, Hérenthals, Diest, Malines, Termonde n'osent lui disputer le passage. Mais Louvain et Bruxelles restent closes, et nulle part le peuple ne se soulève. Partout où passe Guillaume, d'ailleurs, et malgré ses ordres formels, ses sodats insultent les églises et maltraitent les prêtres. N'osant rien risquer, à son ordinaire, il avance avec trop de lenteur, attendant toujours les renforts qui doivent lui venir de France. C'est la nouvelle de la Saint-Barthélemy qu'il en reçut (24 août). En un clin d'œil, la situation était renversée. Le massacre des Huguenots, la mort de Coligny anéantissaient toutes les espérances du prince et sauvaient le duc d'Albe. Après une inutile tentative pour forcer le blocus de Mons (11-12 septembre), Orange battit en retraite, abandonnant la ville qui capitula le 21 septembre. Mais il ne devait pas prendre, comme en 1567, le chemin de l'étranger. C'est dans le pays des Gueux qu'il se réfugie, irrévocablement décidé « de s'aller tenir en Hollande et en Zélande, et de faire illec sa sépulture ». NOTES (1) Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escuriai, p. 93 {Bruxelles, 1875). (2) Sur sa formation et son caractère voy. duc de Berwick y de Alba, Contribuciân al estudio de la persona del III duque de Alba (Madrid, 1919). On y trouvera de belles reproductions des portraits du duc, de ses statues et des médailles frappées en son honneur. (3) Histoire de Belgique, t. III (3« édition), p. 425. (4) Gachard, La Bibliothèque Nationale à Paris, t. I, p. 404 (Bruxelles, 1875). (5) Brantôme, Œuvres, t. I, p. 163 (Paris, 1858). (6) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 566 (Bruxelles, 1848). (7) Cornelis en Philips van Campene, Dagboek, éd. F. De Potter, pp. 32, 49 (Gand, 1870). (8) Ed. Poullet, Correspondance de Granvelle, t. II, p. 597 (Bruxelles, 1888). (9) Sur le rôle de celui-ci voy. H. Vander Linden, Van Stralen commissaire des Etats généraux et l'union des provinces belges au début du règne de Philippe II. Bullet. de l'Acad. Roy. de Belgique, Classe des Lettres, 1924, p. 305 et suiv. (10) Ed. Poullet, Histoire du droit pénal dans le duché de Brabant, p. 118 (Bruxelles, 1870). (11) Gachard, Le Conseil des troubles, dans Etudes et notices historiques, t. I, p. 142 et suiv. (Bruxelles, 1890). (12) Il est impossible, faute de renseignements précis, d'apprécier le nombre des victimes du duc d'Albe. Les chiffres, plus ou moins officiels, donnés au XVIe siècle, varient de 18,000 à 6,000. Voy. Gachard, Etudes et notices, t. Il, p. 366. Le premier est fourni par les protestants, le second par les Espagnols. Leur réduction à 2000, donnée par F. van der Haeghen, d'après la Bibliotheca Belgica dans le Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, 1889, p. 556 et suiv., est certainement de beaucoup au-dessous de la réalité. M. J. Meyhoffer, Le Martyrologe protestant des Pays-Bas, 1523-1597 (Nesson-vaux, 1907) apporte des données intéressantes, mais qui ne permettent point une conclusion d'ensemble. Voy. F. Fris, Revue de l'Instruction Publique, 1907, p. 402 et suiv. Ce qui rendra la question à jamais insoluble, c'est la destruction, après la pacification de Gand, d'une grande partie des archives se rapportant aux procès criminels. Voy. un exemple pour Valenciennes dans Simon Leboucq, Troubles de Valenciennes, p. 167 (Bruxelles, 1864) et un autre pour le Limbourg dans J. Hashagen, Geschichte der Familie Hoesch, I, p. 457 (Cologne, 1911). La répression fut surtout sanglante de 1567 à 1569. On consultera avec fruit, pour s'en faire une idée concrète, le mémoire d'Ad. Hocquet, Tourna i et le Tournaisis au XVIe siècle (Bruxelles, 1906). Il semble que le plus sûr soit de s'en tenir avec Gachard au nombre de 6 à 8000 exécutés. Les adversaires espagnols du duc d'Albe, en 1574, l'accusèrent d'avoir fait périr 6000 personnes. Voy. Corr. de Philippe II, t. III, p. 40. (13) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 292. (14) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 216. (15) De Ghellinck Vaernewijck, Un complot contre le duc d'Albe en 1568. Bulletin de l'Académie d'Archéologie de Belgique, 1901, p. 160 et suiv. (16) Sur les séjours de Guillaume à Dillenbourg et les secours qu'il reçut de sa famille, voy. C. Dônges, Wilhelm der Schweiger und Nassau-Dillenburg (Dillenburg, 1909). (17) On trouvera dans Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. VI, p. 256 et suiv. (Bruxelles, 1866), trois manifestes du prince, datés du 20 juillet, du 31 août et du 1er septembre 1568. Viglius, Ibid., p. 284, écrit qu'ils font beaucoup de mal et que « quasy tout le monde tenoit le contenu d'iceulx pour véritable». Dès avril 1568, le prince avait publié sa Justification, à la fois en français et en flamand. La même année, parut la Défense de messire Antoine de Lalaing, comte d'Hoogstraeten. Pour les éditions des manifestes orangistes de cette année, voy. F. van der Haeghen, Bilbliotheca Belgica, nos ]3i 14, 17, 18. (18) E. Teubner, Der Feldzug Wilhelms von Oranien gegen den Herzog von Alba im Herbst des fahres 1568 (Halle, 1892). (19) Le comte d'Hoogstraeten mourut pendant l'expédition, des suites d'une blessure. (20) Fl. Van Duyse, Het oude Nederlandsche lied, p. 1634 (La Haye, 1907). (21) Voy. le passage de Cabrera cité par E. Gossart, Notes pour servir à l'histoire du règne de Charles-Quint. Mémoires in-8° de l'Acad Royale de Belgique, t. LV [1897], p. 71. (22) Gachard, Correspondance de Philippe 11, t. II, p. 79. (23) Ibid., p. 131. (24) Ibid., p. 63. (25) J'emprunte à peu près textuellement cette analyse à E. Gossart, L'établissement du régime espagnol dans les Pays-Bas, p. 293 (Bruxelles, 1905). (26) H. Vander Linden, Le duc d'Albe et l'université de Louvain. Bullet. de la Comm. Roy. d'Hist., 1908, p. 10. (27) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 35 (Bruxelles, 1884). (28) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 90 (Malines, 1828). (29) E. Gossart, Projets d'érection des Pays-Bas en royaume sous Philippe II. Bullet. de l'Acad. de Belgique, Classe des Lettres, 1900, p. 560. (30) Gossart, loc. cit., p. 558 et suiv. (31) Ed. Poullet, Correspondance de Granvelle, t. III, p. 38. (32 )lbid., p. 462. (33) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 207. — En 1571, le Vénitien S. Cavalli constate que Sa Majesté « è risoiuta di mutare tutto il governo ». Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2e série, t. VIII [1856], p. 344. (34) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 360. (35) Ibid., p. 210. (36) Histoire de Belgique, t. III (3e édit.),. p. 387 et suiv. (37) Gachard, Correspondance de Philippe 11, t. II, p. 209. (38) Histoire de Belgique, t. I (4eédit.), pp. 199 et 406. (39) Van Meteren, Histoire des Pays-Bas, fol. 69 (Amsterdam, 1470). — Le duc aurait dû savoir qu'en 1543-44, la perception d'un centième denier sur le commerce avait aussitôt provoqué une émigration vers Hambourg. Voy. Gachard, Corresp. de Marguerite de Parme, t. II, p. 114. (40) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 463. (41) Gachard. Des anciennes assemblées nationales de la Belgique. Revue de Bruxelles, t. VI [1839], p. 49. (42) Gachard, Ibid., p. 51. (43) Gachard, Correspondance de Philippe 11, t. II, p. 170. (44) Ibid., p. 146. (45) Voir les ordonnances dans les Placcaeten van Brabant, t. III, pp. 304 et 313. Le 10e était modéré pour les marchandises d'exportation. Mais il frappait rigoureusement toutes les denrées de consommation et devait donc être particulièrement pénible pour les pauvres. Morillon rapporte (Corr. Granvelle, t. IV, p. 91) que des entrepreneurs profitèrent de la misère publique pour diminuer les salaires d'un tiers. (46) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 126. (47) Ibid., p. 149. (48) Ibid., p. 100. (49) Ibid., p. 305. (50) Ibid., p. 93. (51) Ibid., p. 97. (52) Ibid., pp. 155, 157. (53) Van Campene, Dagboek, p. 391. Cf. Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 99. (54) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 149. (55) Ibid., p. 99. (56) Ibid., p. 594. (57) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 231. (58) Histoire de Belgique, t. (4® édit.), p. 409. (59) A. Hollànder, Wilhelm von Oranien und die Stadt Strassburg in den lahren 1568-1569, p. 50 et suiv. Zeitschrift fur die Geschichte des Oberrheins, t. XXI (1905). (60) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 75. (61) B. Hagedorn, Ostfrieslands Handel und Schiffahrt im XVI fahrhundert, p. 222. et suiv. (Berlin, 1910). (62) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, pp. 213, 217, 249. (63) Ibid., p. 603. (64) Ibid., p. 174. (65) H. Meuffels, Les Martyrs de Gorcum, (Paris, 1908). (66) Kervyn de Lettenhove, Documents inédits relatifs à l'histoire du XK/e siècle, p. 166 (Bruxelles, 1883). (67) Piot, Correspondance de Ganvelle, t. IV, p. 180. (68) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 246. (69) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 281. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Pardon général accordé par Philippe II aux habitants des Pays-Bas (5 avril 1574). Le 5 avril 1574, du haut d'une tribune accolée à la Broodhuys, sur la Grand'Place de Bruxelles, Requesens fit donner lecture du pardon général accordé par le roi d'Espagne à ses sujets des Pays-Bas. Gravure de François Hogenberg. CHAPITRE II LA LUTTE CONTRE LES REBELLES JUSQU'A LA PACIFICATION DE GAND \OLITIQUE DU PRINCE D'ORANGE EN 1572. — Avec l'établissement du prince d'Orange dans le nord, la rébellion des villes de Hollande et de Zélande va devenir une révolution. C'est à juste titre que les Espagnols ont considéré Guillaume de Nassau comme l'incarnation, comme le génie même de la résistance à Philippe II. De son arrivée à Enkhuizen en 1572, jusqu'à son assassinat en 1584, il s'est consacré tout entier à sa tâche et il eût pu revendiquer à bon droit la mâle devise de Marnix : « repos ailleurs ». Médiocre général, et le sachant, il ne reparaîtra plus sur les champs de bataille, mais il donnera toute sa mesure dans la politique. Aux prises avec des difficultés inouïes, à travers les péripéties invraisemblables d une des luttes les plus extraordinaires auxquelles l'Europe ait assisté, son esprit et son caractère s'élèvent à la hauteur des circonstances. Lorsque tout le monde désespère, son héroïque opiniâtreté relève les courages. Dans les con- jonctures les plus embrouillées, sa lucide intelligence sait trouver les expédients et les solutions nécessaires et, avec une admirable souplesse, varier ses procédés, passer d'un allié à un autre ou poursuivre à la fois plusieurs intrigues et répondre à la ruse par la ruse. S'est-il assigné dès l'origine un but précis ? Il est impossible de le dire et lui-même sans doute n'eût pu répondre à la question. Tout au début, son opposition à Philippe II est celle d'un grand seigneur, d'un prince qui refuse de n'être qu'un sujet. Sur un plus vaste théâtre, elle rappelle le conflit de Philippe de Clèves et de Maximilien (1). Mais, dans la seconde moitié du XVIe siècle, la politique seigneuriale ne peut résister seule à l'absolutisme. Elle cherche, dès lors, un appui dans la nation. Contre l'Espagne, elle se fait bourguignonne; contre la souveraineté de la couronne, elle en appelle aux privilèges et aux Etats généraux. Cette attitude, qu'Orange adopte (La Haye, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.} (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Droit et revers d'une médaille des Gueux en forme de cœur (1566). Pièce unique. Au droit, le médailleur illustre la situation des Pays-Bas vers 1560 : Granvelle, premier archevêque de Malines, préside un collège d'évêques (légende : GRANVEL(LVS). SPIRITVS. FILY : Granvelle, esprit du Fils, c'est-à-dire de Philippe II); les nobles sont reçus en audience par Marguerite de Parme (illustration du Compromis des nobles; voyez p. 250); (légende : LIBERTAS PATRIAE) ; un prédicant répand la nouvelle doctrine (légende : VERITAS). Au revers, illustration des événements de 1566 : une église ravagée par les iconoclastes (légende : VIVE DIEV. LA SANTE DU ROY. ET. LA. PROSPERITE DES GEVS) ; les Pays-Bas (GERMANIA INFERIOR) recevant en dépôt le cœur du roi (légende : COR, REGIS. IN. MANV) tandis qu'une mère presse contre elle ses petits (MISERICORDIA. DEI) ; la gouvernante (MADAME. DE. PARMA) capture dans un filet une carafe, un goblet, des poissons et d'autres instruments de table; enfin, un gibet. En bas, la légende : NIET. VOOR. DEVCHT. dès le gouvernement de Marguerite de Parme, s'accentue et se précise en face du duc d'Albe. Plus son adversaire foule aux pieds la constitution du pays, plus le prince s'en déclare et s'en institue le défenseur et plus les considérations nationales l'emportent chez lui sur les considérations d'intérêt privé. Tel il est déjà au moment où il se réfugie en Hollande, et tel il restera pendant très longtemps. Il ne voit dans la Hollande et la Zélande que le réduit d'où il peut continuer la lutte dans laquelle il s'est lancé trop ouvertement pour pouvoir reculer. Mais il n'identifie pas sa cause avec la leur. Il embrasse, par delà leurs frontières, un plus vaste horizon. S'il soutient et dirige leur résistance, il reste le champion de tous les Pays-Bas contre l'Espagne. Sa politique est celle de « la généralité »; elle unit dans ses desseins les dix-sept provinces et, en ce sens, elle se rattache directement à la tradition bourguignonne. Fils de Charles-Quint et héritier de Philippe le Bon, Philippe II demeure aux yeux d'Orange le souverain légitime. La distinction qu'il établit entre le roi qu'il accepte et son gouvernement qu'il combat, n'est pas une subtilité de révolutionnaire honteux. Il se fût certainement contenté, en 1572, d'une situation où les Pays-Bas n'eussent été rattachés à la maison d'Autriche que par une simple union personnelle et eussent joui à l'intérieur d'une autonomie complète. C'est à la longue seulement et sous l'influence des événements, qu'il a travaillé à la déchéance de Philippe II. A l'origine, il a cru certainement de bonne foi que la légalité était pour lui. La tyrannie du duc d'Albe ne justifiait-elle pas amplement le droit d'insurrection inscrit dans la Joyeuse Entrée ? L'opposition armée au despotisme d'un gouverneur n'était pas incompatible avec le respect de la suzeraineté du roi, et le Willelmuslied ne mentait pas en faisant dire au prince : Den koning van Ispanien Heb ik altijd geert. Mais Orange ne peut se confiner dans un rôle purement politique. Les Gueux du nord, qui lui ont fait la place qu'il va occuper, sont pour la plupart de fougueux calvinistes. Dès 1568, le conventicule de We-zel, s'inspirant de l'organisation de l'Eglise réformée de France, leur a donné une constitution religieuse complétée en 1571 par le synode d'Emden (2). Il ne peut se passer de leur concours. Il doit vivre et mourir avec eux; et quel moyen, dès lors, de résister à leurs exigences ? Rien certainement ne lui a coûté davantage que les concessions auxquelles ils l'ont obligé, que le caractère confessionnel qu'il a dû, par égard pour eux, imprimer à sa conduite. Car, au milieu du déchaînement des passions religieuses, il reste fidèle à la tolérance érasmienne. Ce luthérien est bien plutôt un humaniste attardé. Il réprouve le sectarisme des Gueux, des ministres, des réfugiés qui l'entourent. Il n'a rien de la foi si ardente de son frère Louis. Ce sont apparemment des considérations d'opportunisme beaucoup plus que des motifs de conscience qui l'amèneront, en octobre 1573, à faire profession publique de calvinisme. Et même alors, la liberté de religion demeurera son idéal. Non seulement il lui reste fidèle par conviction personnelle, mais il la considère comme une garantie indispensable de succès pour sa politique d'union. Il y voit la seule chance dont il dispose d'entraîner dans un même mouvement les réformés et les catholiques des dix-sept provinces. Jusqu'au bout, il n'a cessé de nourrir ce rêve que l'intransigeance confessionnelle devait l'empêcher de réaliser. Il n'a pas compris qu'au temps où il vivait, la question religieuse l'emportait sur la question nationale et condamnait ses efforts à un échec inévitable. LES RESSOURCES DE LA HOLLANDE. - Au moment où il atteignit la Hollande, la cause des rebelles paraissait désespérée. Rien à attendre du côté de la France après la Saint-Barthélemy; rien non plus à attendre de l'Empire, où Maximilien II s'est réconcilié avec le roi d'Espagne qui vient d'épouser Anne d'Autriche. Elisabeth d'Angleterre est mieux disposée, mais elle est trop prudente pour se compromettre en soutenant énergiquement la révolte. Cependant, les succès mêmes du catholicisme augmentent les forces défensives de la Hollande et de la Zélande. La Saint-Barthélemy a fait affluer vers ce coin de terre, où le protestantisme se prépare à subir un terrible assaut, une quantité de Huguenots déterminés à tout. D'Allemagne et d'Angleterre, ce que les réfugiés flamands et wallons comptent de plus ardent vient y prendre part à la lutte. Il n'est pas jusqu'à la certitude de n'avoir à attendre aucun pardon qui n'exalte les courages. D'ailleurs, les ressources ne manquent pas. La navigation s'est ranimée dans les villes de la côte et la piraterie fournit des prises en abondance. Les marins de Flessingue viennent d'attaquer les navires qui escortaient le duc de Medina Celi; ils en ont capturé plusieurs avec le trésor qu'ils portaient et, presque au même moment, une flotte richement chargée, cinglant de Lisbonne vers Anvers, est tombée en leur pouvoir à l'embouchure de l'Escaut. Puis, très rapidement, le chaos des premiers jours s'est débrouillé. Dès le 15 juillet, les Etats de Hollande se rassemblent et, harangués par Marnix, reconnaissent le prince d'Orange comme stadhouder. Dans les villes, le peuple qui s'est soulevé en faveur des Gueux et a déposé ou mis en fuite les magistrats catholiques, rentre dans l'ordre après sa victoire. Le système municipal n'est pas modifié. La bourgeoisie aisée reprend le pouvoir. La seule nouveauté consiste en ce que les vroedschappen (conseils urbains) se recrutent désormais parmi les protestants. Enfin, à mesure que le nouvel état de choses s'affermit, il organise des finances régulières. La confiscation des biens ecclésiastiques lui constitue déjà d'abondantes ressources. On en obtient d'autres en haussant la valeur des monnaies, en élevant les impôts indirects, en taxant une foule d'objets de consommation. On demande des contributions aux villes et plusieurs d'entre elles, par enthousiasme, doublent spontanément leur quote. L'établissement des licentes, c'est-à-dire de droits d'entrée et de sortie sur les marchandises, fournit une nouvelle source de revenus. Car, possédant à la fois les embouchures de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin, les rebelles tiennent à leur merci tout le commerce extérieur des Pays-Bas. Le transit qui se portait jadis vers Anvers, commence à s'orienter vers leurs ports. Ils peuvent se passer des autres provinces et elles ne peuvent se passer d'eux. La navigation de la Hollande et de la Zélande, déjà si active au milieu du XVIe siècle, reçoit de la guerre une impulsion décisive. Au milieu du fracas des sièges, la supériorité économique va passer aux provinces maritimes et, comme l'Angleterre pendant sa lutte contre Napoléon, elles trouveront dans l'accroissement constant de leur trafic, le moyen de supporter sans faiblir des dépenses écrasantes. Dès avant même son arrivée dans le nord, Orange avait déclaré qu'il ne gouvernerait qu'avec l'avis des Etats de Hollande, et il va de soi qu'il ne pouvait agir autrement. Mais cette promesse, qui faisait éclater à tous les yeux le contraste de sa conduite avec celle du duc d'Albe, le mettait aux prises, en même temps, avec de sérieuses difficultés. Il n'entendait pas, nous l'avons déjà dit, sacrifier ses projets d'avenir aux intérêts particuliers d'un seul territoire. Son but restait l'affranchissement de tous les Pays-Bas. Vis-à-vis des Etats de Hollande, il se trouvait, en somme, dans la même situation où les ducs de Bourgogne s'étaient trouvés jadis vis-à-vis des Etats de leurs diverses provinces. Sa politique de « généralité » devait, en mainte occasion, se trouver en conflit avec le particularisme hollandais. Et ces conflits étaient d'autant plus inévitables qu'il ne pouvait, comme eût fait un prince légitime, réclamer l'obéissance en vertu d'un titre légal. Durant les premiers temps, il lui fallut une admirable souplesse, une patience à toute épreuve et des prodiges d'habileté pour conserver l'autorité mal définie d'un stadhouder révolutionnaire. Ce n'est qu'à la longue qu'il se fit accepter franchement en se rendant indispensable. En octobre 1574, il lui suffit de parler aux Etats d'abandonner le gouvernement pour qu'ils le supplient de rester en charge. Et, le 20 juil- let 1575, il parvient à se faire reconnaître « chef et souverain pour tout ce qui concerne la conservation et la défense du pays ». Un Landraad créé à côté de lui l'affranchit de plus, dans une certaine mesure, du contrôle incessant des Etats. POPULARITE DU PRINCE D'ORANGE. - Sa popularité, d'ailleurs, compense la fragilité de son pouvoir, et il veille jalousement sur elle. Il affecte une bonhomie et une rondeur d'allures qui lui concilient la sympathie de ces bourgeois patriciens dont l'influence est prépondérante dans toute la Hollande et sans lesquels il ne pourrait rien. « Il sait causer, converser et boyre avec eux et avec la langue les tirer à ce qu'il veut» (3). Il invite toutes sortes de gens à sa table, où l'on s'assied sans préséances. Quoiqu'il parle exclusivement le français avec son entourage, il n'emploie que la langue nationale dans ses rapports avec le public, Il n'est pas jusqu'au petit peuple pour lequel il ne se montre plein d'attention. Il lui arrive d'arrêter de simples artisans dans la rue pour s'entretenir avec eux (4). Aussi devient-il bientôt l'idole de la foule, et l'amour qu'elle lui témoigne constitue-t-il la garantie la plus solide de son influence. Les catholiques et les royalistes eux-mêmes admirent son humanité. Avant la reddition de Middelbourg, en 1574, on s'attendait à le voir ordonner le carnage de la garnison espagnole ou, tout au moins, l'exécution de son chef, le vieux colonel Mondragon. Or, la ville prise, il étonne tout le monde par sa douceur. Mondragon «en dit tous les biens du monde» (5). La même année, après s'être emparé du château de la dame de Vredenbourg, il la remet en liberté avec ses filles « disant qu'il ne fait pas la guerre aux dames, mais aux Espagnols et ceuls qui leur sont adhérents » (6). Il impose aux soldats une discipline sévère, ordonne de pendre les officiers pillards, et la bonne justice qu'il maintient parmi ses troupes fait ressortir plus cruellement les désordres de celles du roi. De bonne heure, il a su écarter de son entourage les fanatiques comme Datenus, ou les soudards sanguinaires comme Lumey. Ses conseillers intimes forment une élite d'hommes remarquables par leur intelligence, leur aptitude aux affaires, leur talent de polémistes. Requésens avouera, en 1574, que les meilleures têtes du pays sont avec lui, et (La Haye, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Droit et revers d'une médaille des Gueux (1575). Au droit le chapeau, insigne de la liberté (LIBERTAS AVREA) ; légende : CV1VS. MODERATVR. HABENAS. RATIO. Au revers, le lion de Hollande; légende : SECVRIVS. BELLVM. PACE. DVBIA. II - 19 Morillon déclare de son côté « qu'il est trop fin pour notre boutique» (7). Ses hommes de confiance sont étrangers à la Hollande et on ne laisse pas de s'en plaindre. Ce sont des Brabançons comme Marnix ou Junius; des Français, comme Loiseleur de Villiers; plus tard comme La Noue, comme Duplessis-Mornay, comme Dujon, comme Languet. Tous, d'ailleurs, appartiennent au calvinisme. Chassés des Pays-Bas par le duc d'Albe, ou de France par la Saint-Barthélemy, ils travaillent dans le Nord à la constitution de cet Etat réformé qui est devenu irréalisable dans leur patrie. Par leur intervention, le conflit de l'Espagne et de la Hollande va prendre l'aspect d'une lutte de principes entre deux conceptions politico-religieuses diamétralement Vifcours de la trahifon de la Ville de sïMalinesjuec la ms & SurnonttX^res^pts.&Offlces.des Suaires frai/lr es, O' Produeurt de Lfurprinft itctlle, (y des rebelles A regret des Preftres, Seigneurs du grand Sénat ^tous — xvj P r Et des bons Dourgcou g «lionne & effraye. — — viijCXXU1^- i>Mclxxviij IxviiiJ vitupéré dit Kouuernemét.eftat.Sc office, 'rinila fuyte auec fei adherent.le. flaire», & complice», côevn rrailire, melchant.Schomme defluyal,par vn iour de» Chari huau», pour euiter la clarté do Soleil,cllanr côtraire au II il & praûicque delà profef»ion. luxu i Uni axiottu: Qui mlli égu.tUt luctm, & fe retira vetïT» Conté de Zélande. Si ne lai (Ta autre choCe à fa polteriri. c| le tiltre acquit par telle» llratage-me» de gucne,qui cil le nom & tiltre de traittre, proditeur, & aflafin de la A» i. _____11____i___ *XXXV1J J — xix CXXXVI1/ - iiij — vij Haranqve. Bons Bourgeois, ie fuis du Roy enuoi^, — — xxvj < Pour garder voftre bien, terre, Seigneurie, — xviij. Et oppofer au dix, vingttrente denier, — xxiij Qu'on prétend des biens &rerresauoir payer: — xiiij Et pour ayder toute perfone outragie, — — xviij ladis réduis i pouretc & pénurie, — Par opprefsion, & grande tyrannie — D'ertrangcrs, gattans voftre entiere patrie. • Responce. A Vortre dire, Seigneur, on ne fe fie, — Vous eftes aduerfaire, & pofire partie, — Pcriures & traiftres vous ont euequié, — Sans pouoir&addreneduRoyottioié.— — —xiiij Par vous fera noftrc honpefte Boutgeoifte - — xvij RuiW V^enapA*'0?.-V''jnosrôngitr — — — vij Pois en parfin dv» îînnorce, & punie — — — xiij De noftre R oy, de progenie en progenie. — — iiij COK'CLVSIOK. xliiij " ^ Ixxxi 1 ►MCCCVIO xlviiiJ te.vergoingne.Bt perpeiuelle confu. Çon jitre comjjrip {} CJvonicquei. DlttMiou» garde d« ul accident. bBr»y«,alTcauoir,Gr«goire NuiTele, dit Btofe, Bourgeoi» de ladite ville de Malin**. hô«Y»gier,at\emAalie, Capitaine «tan enleigne d'infanterie Malinoife, exccuteur de la trahifon d'icelle.Sc de U furpiinfe & trahifon de U ville de Dermonde,«n laquelle il princ Ci reGdence auee ce» gendar-oiei &foldau,foub» la charge'Agou uememét dudit Oouuemeur vaden Dorpe.affin de parapprédre & erifuy ure le* caute!ci,impoliure», fraude» de (a praAicque,de laquelle il te. noit le lld de fon execution. Dieu nou» garde de tel feauoir. '-XIn Sinon on vous prédis en prophétie: — — xiij f ^ j De Dieu ferez & toute Nation renie, — — — x»j\ Auffi b Art m, Ghenijts, 'Doubet, & Tottie} — — xixj xxxl,"[ TVaghew'wt, & ' Graut-., cjui par perfidie--xxxi,iJ v.Iviii J 5 - xxiii) j j> lui j Vous auront 3dm{c,addrrfTc, & aydic.-- - . . „ . Ji» fugîtit'3c b»nnï,tK>itr le t. il dtt itouMci pjffa., Commit Bcdtpuli pli ledit Pline» d*Oi.nge,»ii«noijGuiiton» de Rûtlrt» noif» liitnti.l.preroitr d.qwtrc cwi»ATe» d«u* juirct Guidon» ch»tcûd.iioiieen»eheu»u»:itel4u«l» ileuoit povi Lieuieiuni le Seigneui d» DurtTend»!»: Se qmtie cnTeignet d'infintiie Alem*nde,ehifcune enfoieiK d«.;oo tcOc».poui inulhii de ruipi«ndreUdite»iUe de U»line»,côe il if.ii pUm, ' ■ • tf»nifon,enfuiu»nt la contpîieiion di pi.ncq dudit venden Doipe.4 l'execuiion dieclKiochote p»r ledit C.piuineNulfele, en Uquelle la vain» ploir» a «A» «n vigeui ticfme d'A ougll.daie de fon iboidemet Aent««,iufque» Unuiflenfuiuâi le premier d'CWtebre^Lrt de ion dcpaft«mct(«nuiiôle»dôuic hcure«,lo!tq tonceeur AcouragerutcSucni - . . ............. , premiei o ueieni.,nate oc ion oepaftamtt.cnuuo le.doute heuiet.loi» q loncaiir A(ouiagc fui côucrrï •n lafehct», ton hôneur Je venu en vitupctc, dt toui» ta tiophtc en hont. 8c vergoign., onnt la fuyic auee fe» adhèrent, traill le», & meichair», 1 leur perpeiutll* blâme 6c confulion. * K.Ueu,crl>»iirct4.,ancJuoir,Un Rubbcnt.di H»nry d* Ni«uhujfe,drr Poureeau^nbedeus Bourgeoi, d. ladit. ville,gen, fedttieuidt enclin» 1 toute reuolu,«motiâ,Jt tedirion: ayint »n confirmation d. c. dlë ctulé dt, premmet troublet aduenue» n hfte» de PcwecouD» damierc» en ladite ville,lor» qu'il» ftifirent luec leur» adhèrent dt côpiice» le» arme» 6t airrrea muniôria it goere citant en icelle. De brief apte» craindan, ellr. reprina de crun. de rebellion.ilr fe retirarct au fetuice de l»ut proteOeut ledit Prine. d'Ortnge.iufquet i U vtnu* dudit Watouejcqiiel ils feruoyent de guide* dt efpia» pat tout le voiag.,6c iulque» 1C. que ladite vill. fut fupptinfe dt trahie. ' Jrir.e.ri t*L'tut Stntt, aflcauoir.lc» Pre-Gdent di gen» du grand Conlïil de f» Maiefte en Uditt vtllede Malinct.dt auttea fupçcfta d. fa Court. CB.m Bier^eev, tel que l'Efeoutbeie.ék autre. d.U tuftice Je Hagirtrat, gêna Carnoli eppreffit» 8C t fuhon.Dieu Jtl» gen» Caiholiquet.tant Noble.,, . , oppr.fff» 6c rrioiu.ft demourât eftonnée dt edrayéi d'vne i feruoyent de guide» dt »fpi« pat tout le voiag«,6e iulqo.» 1 e. que ladite vill. fut fuppiinfe dt il de fa Maiefte en Udite ville de Malinct.dt auttea Tuppcfla de fa Coun. c Beer Bi.rreeir, tel PWbeit.vrayemeoT innoeena & du tout ignoian» du/iit d. ladite trahifon,lefqucli eltin» furpri * " ' " — ' '-----tantfoudaine Metamorohofe,n'auoyenlletemp» ny lemoien defen ^oTitit<,Gieeift,Do.f(rt,T>»iir»,ty»»fce»»ei^fIeauoii,M.Guil t grand Conleil,dt depuit ladite furptinlc deuenua CûfeiÙier» aui Hagillrat, ■tna.inuahi»^ aggrefft, 1 l'improueu,fure't rellemct it grand regtet.inieteft mine Gheniite.Philipi . . ., -rr ■ . ----- -----,dt par (fpecial lefdita C......,^, Doublet, Jt Waghetvina.ayan» eh«rg» d'annoter le» bien» de leur pretendueeonfircano«,8c ledit Pottiere Seeretaire, jt Maiflr. de» caaainn» au regard de» PalTeporta de Sauluecô. ' " ' ' ' ' 1 ' — "-----N'^ola» d. GrIîlc.BoUMnil fc av.nl .» .ntr.mir. d. Hr,n„ Ar I.J... w>ll. '- À*-..... I.J... ,____.__L :. GuilUumcArma Aduocat.Antmnc Gheniit» Philippe Doit. "----------— ........,'£„ _________ „ o -------- — ------------------------ --------------------n—il de» Paltcporrt dcSaulu___ duiit donnci dt fignet de Ton ligne manuel. 1 Grave, ilTcauoir,Nicole» de Grrue.Botrgeoit, fie ayant eu cntrcmife de ttcepie de ladite ville, de depuie ladite furprinfe dt trahifon le moien de fe mettre à delfcnce.a leur grand règret^ntercO.Bc con. oir.M.GuilUumeAmi» Aduocat.Antmnc Glvniita.Philippe Dou. Côfeilliera audirOouiitineur Warou»,Je par (fpecial lefdil»Ghcnijla/- Jt I» Roy lee veuille »ydtr,r.dreir«t,A afGtler. k 'f>'n'< iifut iMH i s- !«<•<<«'«•/./-_ X ypH*/>i 5tfit"*"* tmri^. ïiII-J»\ tjjt. ti rvf.'i'f h— «<*i AXtfC iitr mi rfî trfmyn ÏA 'Va ^r/tU /r* > wf*risd>i <*l*n„i im c Z) i - ' » V • (f ,. eCmnA. *liuniïr f'crfc "< rom >»i*.ràtèr-MÏ J/îr >tl I % 'S, efi -, ** - 'z^jfypiAt : "M'.y. s /«'V' T-'*'** A-n IvHt/Mm vf ~*h'r >jXrfimt,/,J„f, .vXriài, mirfrtf T I • A k "~\Jt»mi ! ■jLÛ* Ait (Dresde, Sâchsisches Landeshauptarchiv, ms 9309, fol. 32 r".) (Photo obtenue avec le concours du lieutenant général Goethals, chef de la mission militaire belge à Berlin, et des autorités soviétiques d'occupation en Allemagne.) Extrait du registre des dépenses faites par Fr. Lixaldius pour l'armée du duc d'Albe dans les Pays-Bas. Nommé trésorier-général de l'armée espagnole dans les Pays-Bas par Philippe II le 12 mars 1567, Fr. Lixaldius se mit au service d'Albe, de Requésens puis du Conseil d'Etat. Il fit transcrire le relevé des recettes et des dépenses faites au cours de sa gestion, depuis la formation de l'armée du duc d'Albe jusqu'à l'automne 1576. Guillaume d'Orange fit vraisemblablement parvenir un exemplaire du registre de Lixaldius à son parent, le landgrave de Hesse, après l'avoir reçu des mains des Etats Généraux. La présence de ce registre parmi les archives de l'Etat à Dresde s'explique par le fait que le landgrave de Hesse expédia une copie de la traduction latine du texte espagnol à l'électeur de Saxe. {Vienne, Kunslhistorisches Muséum, Ambraser Sammlung.) Guillaume d'Orange à l'âge de trente-trois ans. Portrait peint par un artiste inconnu en 1582, année de la mort du duc. s'obstine, et ses troupes, soutenues par l'espoir du pillage, sont si acharnées qu'il y aurait une mutinerie si on levait le siège. Elles repoussent toutes les tentatives d'Orange contre leurs lignes. Enfin, la famine triomphe de l'héroïsme de la garnison. La ville se rend sans conditions le 12 juillet 1573. Cette fois, Albe veut montrer au peuple la clémence du roi. Il se contente de faire passer par les armes jusqu'au dernier les deux mille trois cents soldats français, wallons et anglais qui étaient dans la place. Quant à la bourgeoisie, il la tient quitte moyennant cinq ou six exécutions et le paiement de 100,000 écus qui seront distribués à l'infanterie. Après cet acte de magnanimité, il fait répandre en Hollande une proclamation accordant leur pardon à toutes les villes qui rentreront dans l'obéissance. « Avec les forces qu'elle a, écrit-il à Philippe II, Votre Majesté peut user maintenant de miséricorde, et on lui en aura de la reconnaissance; si elle en eût usé en d'autres temps, elle n'aurait fait qu'encourager les rebelles à de plus grandes insolences » (15). Mais personne ne répond au manifeste du duc. Malgré le désarroi qui s'est emparé de beaucoup d'entre eux, la résolution de leurs chefs et surtout l'inébranlable fermeté du prince d'Orange empêchent les défections parmi les révoltés. D'ailleurs, l'imminence du péril qui les menaçait s'évanouit bientôt. Le 29 juillet éclate la première de ces mutineries qui devaient si souvent, dans la suite, paralyser les efforts des royalistes. Depuis le commencement de la campagne, Albe, mal fourni d'argent, a laissé ses soldats compenser l'insuffisance de leur solde par le pillage et la maraude. L'indiscipline n'a pas tardé à se glisser parmi eux. Les vieilles compagnies espagnoles, après la prise de Harlem, nomment un electo et refusent de marcher si on ne les paye. Lorsqu'elles rentrent dans l'ordre, le 12 août, il est trop tard pour attaquer Enkhuizen, comme le projet en avait été formé : on se contentera d'assiéger Alkmaar. S'il résiste, on n'y laissera âme qui vive. Car le duc en est revenu à sa méthode ordinaire. « Puisque l'on n'a tiré aucun fruit de l'exemple de Harlem... peut-être la cruauté fera-t-elle plus d'impression sur les autres villes» (16). Alkmaar résista et même résista si bien que don Fadrique .ne put s'en emparer avant les inondations de l'hiver et dut se résigner, le 8 octobre, à lever le siège. Quatre jours plus tard, la flotte du comte de Boussu était défaite dans le Zuiderzee par celle des rebelles et son chef tombait entre leurs mains. Pour comble de malheurs, la situation n'était pas plus rassurante du côté de la Zélande. L'investissement se resserrait autour des troupes royales qui défendaient Middelbourg. Le 1er août, elles avaient perdu Ram-mekens, le port de la ville. Le 16, un capitaine français s'emparait de Gertruidenberg au nom du prince d'Orange. LE DEPART DU DUC D'ALBE. - Tant qu'il avait été victorieux, le roi n'avait cessé d'approuver la conduite de son lieutenant, mais la mauvaise fortune qui s'acharnait maintenant sur le duc, après tant d'assurances de succès, finit par ébranler sa confiance. Il savait que Medina Celi ne se cachait pas de blâmer les agissements de son collègue (17). Les évêques des Pays-Bas lui faisaient entendre des plaintes respectueuses sur le despotisme du gouverneur. Mais surtout, il s'épouvantait des effroyables dépenses qu'entraînait la guerre (18). Les échecs de ses troupes l'exaspéraient et faisaient tomber son masque d'impassibilité. On l'avait vu avec stupeur jeter au feu les lettres qui lui apprenaient les pertes subies au siège de Harlem (19). Aussi, dès le 30 janvier 1573, sans avertir personne, s'était-il décidé à envoyer en Flandre le gouverneur du Milanais, don Louis de Requésens. Suivant sa coutume, il hésita longtemps avant d'agir. Sans doute espérait-il encore quelque succès militaire qui eût changé ses plans. C'est seulement le 15 octobre qu'il fit connaître sa résolution au duc d'Albe. « Je vois bien, écrit-il, que les choses sont arrivées à ce point qu'il faut penser à tous les moyens susceptibles de les rétablir, surtout en présence d'une pénurie d'argent telle que nous ne pouvons plus avancer ni reculer, bien que je n'entende pourtant accorder jamais rien qui ne soit juste et compatible avec notre sainte foi catholique et mon autorité, quand même je devrais perdre les Pays-Bas » (20). Requésens arriva à Bruxelles le 17 novembre 1573. Le 29, anniversaire de la date à laquelle sept ans auparavant il avait reçu l'ordre d'aller dans le Nord, le duc lui remit ses pouvoirs. Le 18 décembre, il partait pour l'Espagne... Il avait tragiquement échoué et, depuis sa retraite, ce fut à qui lui imputerait la responsabilité de la catastrophe qui éclata sous son gouvernement. « Le duc d'Albe, dira plus tard l'évêque de Namur, a fait plus de mal à la religion en sept ou huit ans que Luther et Calvin avec tous leurs suppôts» (21). Et il est certain que la haine qu'il amassa dans les âmes comme par plaisir, rejaillit bientôt sur le roi et sur l'Eglise. Il compromit irrémédiablement la cause qu'il défendait; c'est lui qui fit apparaître « par deçà >. l'autorité royale comme la plus insupportable des tyrannies. Pourtant, les causes de son insuccès sont plus profondes. L'Espagne ne pouvait, si elle voulait conserver les Pays-Bas — et elle le voulait — leur laisser une autonomie qui ne lui eût laissé à elle-même que la charge écrasante de les défendre contre ses ennemis. Il fallait en faire une partie constituante de la monarchie et les obliger à contribuer à son maintien. Leurs vieilles libertés devaient disparaître et leurs ressources alimenter les trésors du roi. Philippe II l'avait parfaitement compris. L'essentiel de la mission du duc d'Albe, ce n'était pas le châtiment des rebelles, c'était l'introduction de nouveaux impôts. Or, ce fut là justement ce qui provoqua la Révolution. Tant qu'on avait coupé des têtes, violé des privilèges, maltraité le peuple, rien n'avait bougé. Mais la nation se souleva quand on se mit à creuser jusqu'aux sources de sa vitalité et qu'elle se vit sacrifiée sans scrupules à l'étranger. Les convulsions de ce pays d'industrie et de commerce renversèrent le régime qu'on voulait lui imposer. Ce n'est pas, comme on le crut plus tard, la question religieuse, c'est la question du 10e et du 20e denier qui déchaîna la résistance (22). La politique dynastique de la maison de Habsbourg qui, soixante-dix-sept ans plus tôt avait réuni sous une même couronne les Pays-Bas et l'Espagne, aboutissait à ce choc décisif. A ce point de vue, le soulèvement de 1572 se rattache à cette longue opposition nationale dans laquelle se sont succédé, depuis Maximilien, Philippe de Clèves, Busleyden, Chièvres, les seigneurs ennemis de Granvelle et les nobles du Compromis. L'Etat bourguignon se redresse une dernière fois contre l'Etat espagnol. Mais si les motifs de l'insurrection sont purement politiques, elle emprunte ses armes à la religion. Le calvinisme saisit aussitôt l'occasion de rentrer en scène et prend la direction du mouvement. La résistance nationale devient, en Hollande et en Zélande, une résistance confessionnelle. Le chant du 10e denier qui appelle le peuple aux armes est, en réalité, un hymne protestant. PHILIPPE II ET LES PAYS-BAS EN 1573. - En se décidant à rappeler le duc d'Albe et à le remplacer par Requésens, Philippe II ne songeait nullement à l'intérêt des Pays-Bas. S'il voulait mettre fin à la guerre, c'était tout simplement pour des motifs financiers et pour des considérations de politique générale. Car, en se prolongeant, la lutte contre les rebelles épuisait son trésor. Mais surtout, elle fournissait à l'Angleterre et à la France le moyen d'intervenir dès qu'elles le voudraient en Hollande et en Zélande. Personne n'ignorait qu'Elisabeth laissait passer des secours aux révoltés et que le prince d'Orange entretenait avec Paris des négociations suspectes. Dans la volumineuse correspondance du roi, on ne rencontre pas un mot de pitié pour ses sujets désobéissants et hérétiques. Au plus fort du siège de Harlem, il ne se préoccupe que de conserver, aux yeux des puissances étrangères, une attitude compatible avec sa majesté de souverain catholique. Il craint que les pourparlers du duc d'Albe avec Elisabeth ne le compromettent vis-à-vis de la chrétienté et ne soient mal interprétés « par la pauvre reine d'Ecosse » (Madrid, collection privée du duc de Berwick y Alba.) [Cliché Oppenheim.) Le duc d'Albe à l'âge de septante-quatre ans. Portrait peint en 1566 par un artiste inconnu. (23). Plus tard, quand il apprend la reddition de la ville, il se réjouit surtout de ce qu'elle soit arrivée « dans le même temps que le roi de France se rendit à ses rebelles bassement et lâchement, comme si lui-même eût été assiégé par eux » (24). C'est donc exclusivement en vertu de sa politique espagnole qu'il modifie sa politique dans les Pays-Bas. Si le sort des provinces lui eût vraiment tenu à coeur, il n'eût pas hésité à se rendre au vœu de ses sujets catholiques et à venir en personne rétablir la paix. Le baron de Rassen-ghien lui assurait qu'il n'aurait qu'à se montrer « pour deschasser comme un cler soleil les brouillardz qui nous accablent de tous costez » (25). Le 20 mai 1573, la faculté de théologie de l'Université de Louvain avait le courage de faire un appel solennel à ses sentiments d'homme et de catholique : « Les saints livres, lui écrivait-elle, nous apprennent que, dans son indignation contre les injustices, les violences, les fraudes, Dieu transporte les royaumes d'une nation à l'autre. Il n'a pas coutume, même sur cette terre, de laisser impunément vexer ses sujets bons et fidèles, opprimer les innocents, pressurer les pauvres, envahir les biens des établissements charitables, dépouiller ceux qui se sont consacrés à son service et qui ne donnent de sujets de plainte à personne. » Le remède à tant de maux « consiste dans la venue de Votre Majesté elle-même en Belgique, si son affection pour ce malheureux pays peut lui inspirer cette résolution, ou, si cela est tout à fait impossible, dans la nomination d'un gouverneur qui inspire confiance à tout le monde » (26). Et sans doute, l'arrivée de Philippe dans les provinces aurait rendu la situation des rebelles bien difficile, pour ne pas dire intenable. Ne déclaraient-ils pas à l'envi qu'ils respectaient le roi et n'en voulaient qu'à la tyrannie de son lieutenant ? Mais aussi, pour se résoudre à parlementer en face de l'Europe avec ses sujets en armes, il eût fallu que Philippe leur portât cette affection que les théologiens de Louvain cherchaient vainement à éveiller dans son cœur, et que le roi d'Espagne n'eût pas étouffé en lui l'héritier des ducs de Bourgogne. Il songea bien, pendant un moment, à confier les Pays-Bas à quelqu'un de sa maison. En 1572, il faisait sonder les intentions de l'empereur quant à l'envoi d'un archiduc à Bruxelles. Ce ne fut là qu'un projet passager. Un fils de l'empereur n'eût pas été un instrument assez souple dans sa main. Pour la seconde fois, le gouvernement des provinces fut donné à un fonctionnaire espagnol. Le roi n'osa reprendre la tradition de Charles-Quint. Il l'avait abandonnée par la nomination du duc d'Albe; il continua de s'en écarter par celle de Requésens. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 9080, fol. 48 v°.) Philippe II en habit de Chevalier de la Toison d'Or. Miniature extraite du Livre de Lordre de Thoison dor. XVIIe siècle. DON LOUIS DE REQUESENS. - Celui-ci appartenait à une famille de vieux serviteurs de la couronne et qui lui devait sa fortune. Son père, don Juan de Suniga y Velasco, avait été honoré de l'estime de Charles-Quint. Successivement grand commandeur de Castille et membre du Conseil d'Etat de Madrid, il avait reçu, en 1535, la charge de gouverneur du prince Philippe, dont il fut, durant plusieurs années, « l'horloge et le réveille-matin » (27). Devenu roi, Philippe n'oublia pas le fils de son vieux-précepteur. Il le maintint, à la mort de celui-ci, dans la grande commanderie de Castille, le nomma ambassadeur à Rome (1562), puis gouverneur du Milanais. Ces fonctions n'avaient pas empêché Requésens de prendre part à la guerre contre les Morisques en 1568 et d'accompagner, en 1571, don Juan d'Autriche à Lépante. Du reste, il était beaucoup plus diplomate qu'homme de guerre. Sa santé, chétive depuis toujours, était devenue avec le temps franchement mauvaise. Agé de quarante-six ans au moment où l'ordre royal le contraignit de partir pour les Pays-Bas, il ne comptait plus que sur peu d'années de vie et il fit de vains efforts pour rejeter un fardeau qu'à bon droit il trouvait trop lourd pour ses forces. On ne peut comprendre les raisons qui poussèrent Philippe II à lui confier le poste le plus fatigant de toute la monarchie. Jaloux de son pouvoir comme il l'était, sans doute appréciait-il avant tout dans Requésens « un homme ponctuel, et qui ne voudra perdre un poil de l'autorité du roi» (28). Car, si différent qu'il fût de son devancier, le nouveau gouverneur lui ressemblait du moins par son dévouement à la couronne et par son caractère de pur Castillan. Comme lui, il ne s'entoure que d'Espagnols; comme lui, il méprise les Belges; pas plus que lui, il ne comprend leurs moeurs et leurs idées et ne parle leurs langues, la flamande par ignorance, la française par parti pris. Il eût pu, avec plus de souplesse et d'habileté, se concilier facilement le clergé par l'ardeur de sa dévotion. Chaque semaine, il se confesse, et il communie tous les quinze jours. Surtout, et en ceci apparaît chez lui le représentant d'une génération postérieure à celle du duc d'Albe, il est grand protecteur des Jésuites, « avec lesquels il est enfermé la plupart du temps» (29). Mais la défiance qu'il montre aux gens du pays le rend tout de suite suspect. Dès le mois de mars 1574, « on a opinion qu'il fera pis que le duc d'Albe » (30) et, en août, il est plus abhorré encore. On ne se gêne pas pour lui faire sentir l'antipathie qu'il inspire, et la réprobation dont il se sent entouré augmente sa nervosité naturelle. Il devient bientôt inabordable. Il est sujet à de terribles accès de colère pendant lesquels « il jette son bonnet au feu et ne veult qu'on le relève» (31). On est convaincu, bien à tort, qu'il prétend suivre en tout les traces de son prédécesseur. En réalité, il voudrait pacifier le pays et rompre avec le terrorisme. Mais il n'ose prendre d'initiative sans l'avis du roi, et le roi, suivant sa coutume, hésite, tâtonne et ne se décide pas. Il avait songé tout d'abord à faire proclamer par Requésens un pardon général. Puis, sur les observations du duc d'Albe, il avait changé d'avis. Le nouveau gouverneur n'apportait en somme qu'un projet d'amnistie. Encore devait-il, avant de le publier, se mettre d'accord avec le duc. Or, celui-ci lui conseille « de laisser de côté la douceur, la clémence et toute négociation... et de recourir au seul moyen des armes» (32). Le grand commandeur a beau envisager la situation tout autrement, il n'est pas homme à se prononcer sans l'autorisation du roi. Il le supplie de lui faire connaître promptement sa volonté. Pour lui, et il ne le cache pas, il souhaite un pardon aussi large que possible. Bien plus, il laisse entendre timidement qu'il faudrait renoncer au Conseil des troubles aussi bien qu'au 10e denier et permettre aux hérétiques de se réconcilier avec l'Eglise ou de quitter le pays après avoir vendu leurs biens. Il voudrait même convoquer les Etats généraux et les employer à négocier avec les rebelles. Enfin, il se plaint d'être paralysé par les instructions secrètes qui lui défendent « de remettre en aucune manière les crimes de religion et de rébellion » (33). A mesure que le temps s'écoule, ses lettres se font plus pressantes... Mais aucune réponse n'arrive de Madrid. Au mois de février, Philippe n'a pas encore résolu la question du pardon. Sans doute, il veut faire dépendre ses résolutions de la tournure des opérations militaires. Elle est plus déplorable que jamais. Une tentative longuement préparée par Julian Romero pour débloquer Middelbourg avec une flottille montée par des marins recrutés de force, échoue piteusement (29 janvier 1574). Et la place, privée de tout espoir de secours, se rend quelques jours plus tard au prince d'Orange, après une magnifique résistance de deux ans (18 février). Désormais, le drapeau espagnol ne flotte plus nulle part en Zélande. En Hollande, le siège de Leyde, commencé depuis la fin d'octobre de l'année précédente, ne fait aucun progrès. Jamais encore, la situation n'a été aussi grave. Car l'infatigable Louis de Nassau a obtenu des subsides du roi de France et lève une armée en Allemagne pour venir à la rescousse de son frère. Il faut donc rassembler de nouvelles forces, et le trésor est vide. Pas un réal en caisse pour subvenir aux dépenses militaires, qui montent à 600,000 écus par mois, et pour combler l'arriéré de 6 millions d'écus qui est dû aux troupes. Enfin, le 10 mars, Philippe écrit. Les mauvaises nouvelles l'ont décidé à agir. Il envoie à Requésens le « pardon général » et le laisse libre de supprimer le Conseil des troubles et le 10e denier, lequel pourra être remplacé par une subvention de 2 millions de florins pendant dix ans. Il complique d'ailleurs ces concessions de finasseries et de petits moyens dont il attend merveille. Le pardon est rédigé en quatre formes différentes parmi lesquelles le grand commandeur choisira. Il aura aussi à faire publier un « livret » composé par Hopperus pour justifier les mesures prises dès les débuts de la révolte, « mais sans nom d'auteur et de manière qu'on ignore qu'il est publié par ordre du roi ». De plus, il examinera s'il ne conviendrait pas de créer, au moyen des biens confisqués, un nouvel ordre militaire. « Ce serait une grande satisfaction aux naturels des Pays-Bas, que de déclarer, dès à présent, l'institution de cette nouvelle milice, comme le fit Philippe le Bon lorsqu'il institua la Toison d'Or, deux ans avant que les statuts en fussent arrêtés. » Quelques jours plus tard, le 31 mars, ces instructions sont complétées par de pleins pouvoirs pour traiter avec les rebelles, mais « de manière qu'il paraisse que vous agissiez comme de vous-même et non par suite d'autorisation de ma part» (34). Au moment où ces lettres arrivèrent à Bruxelles, Louis de Nassau avait passé le Rhin et manoeuvrait sur la rive droite de la Meuse. Son armée comprenait deux mille cavaliers et six à sept mille fantassins. Sancho d'Avila observait ses mouvements, décidé à l'attaquer dès qu'il aurait franchi le fleuve. Le choc eut lieu le 14 avril, dans les tourbières de Mook, non loin de Grave. Comme toujours en rase campagne, les vieilles troupes espagnoles firent merveille. Le combat fut aussi court que sanglant. Louis y trouva une mort digne de sa carrière aventureuse de soldat de la foi. Son frère Henri de Nassau et le jeune prince-palatin Christophe restèrent comme lui sur le champ de bataille. PROGRES DU MECONTENTEMENT. - Mais les vainqueurs eux-mêmes devaient empêcher leur triomphe de porter ses fruits. L'ennemi refoulé, l'armée ne songea plus qu'à elle-même et exigea sa solde. Ses régiments marchèrent sur Anvers, déclarant que ce n'était pas au roi à les payer, mais aux villes qui, d'après eux, s'entendaient en secret avec les rebelles. Pour Requésens, cette nouvelle mutinerie était un désastre. Il venait de convoquer les Etats généraux pour leur faire part des décisions royales et, sous l'impression encore fraîche de la victoire de Mook, proclamer les réformes qu'il souhaitait depuis si longtemps. La conduite des soldats bouleversait tous ses projets, discréditait son gouvernement, augmentait la confiance des provinces soulevées. Partout, elle attisait la haine que l'on portait aux Espagnols. Le grand commandeur s'entendait accuser ouvertement d'avoir appelé les mutins. Et le sentiment de son impuissance l'emplissait de rage. Impossible de songer (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Don Luis de Zuniga y Requesens (15207-1576). Gravure de Christophe I Van Sichem (Amsterdam, 1564-1624). (Bruxelles, Bibliothèque Royale. Cabinet des Médailles.) Don Luis de Zuniga y Requesens. Médaille d'argent exécutée par Anieus en 1576. Légende : LVDVICVS. RICASENIVS. MAIOR. CASTILLIE. COMMENDATARIVS. Diamètre : 60 mm. D'après une fonte postérieure. à rétablir la discipline par la force. Il en résulterait une bataille, et « si les Espagnols avaient le dessous, les autres nous couperait le cou, à nous qui resterions» (35). Il dut se résigner à parlementer avec ses troupes, essuyer sans broncher leurs insolences, leur promettre tout ce qu'elles voulurent, et il les amena finalement, par des prodiges de patience, à quitter Anvers le 5 juin, sans avoir pillé la ville. Le même jour, il courait à Bruxelles et, le lendemain, il y faisait publier en grande pompe le pardon général. Le 7, il annonçait aux Etats généraux l'abolition du Conseil des troubles ainsi que celle du 10e et du 20e denier, moyennant un subside de 2 millions à accorder pour dix ans et la perception d'un nouveau centième. Si exorbitantes qu'elles parussent à Philippe II, ces concessions n'atténuèrent pas même le mécontentement public. Deux ans auparavant, elles eussent été saluées avec joie. Aujourd'hui, elles arrivaient trop tard. Qu'importait aux rebelles du Nord un pardon qui excluait les protestants ? Ce qu'ils voulaient, c'était le libre exercice du culte calviniste et le roi restait aussi décidé que jamais à le leur refuser. Quant aux provinces obéissantes et catholiques, elles se souciaient peu qu'on leur promît l'abolition du Conseil des troubles et des impôts du duc d'Albe, puisqu'en fait, depuis l'arrivée de Requésens, ceux-ci n'étaient plus perçus et que celui-là ne fonctionnait plus guère. Sauf quelques gentilshommes réfugiés à Liège et à Cambrai, personne n'eut recours au pardon. On ne vit dans le changement d'attitude du gouvernement qu'un symptôme de faiblesse et les Etats généraux y répondirent par un véritable manifeste d'opposition. C'était la première fois qu'ils prenaient la parole depuis sept ans, et leur langage prouva que le régime espagnol leur était plus odieux que jamais. Après avoir protesté « qu'ils aymeroient mieulx la mort que de veoir aucun changement dans la religion », ils demandaient que le roi se servît principalement « tant pour la police que pour la guerre, de naturels du pays », que la solde des troupes fût payée par leurs commis comme cela s'était pratiqué au temps de l'aide novennale, que l'on mît fin aux pillages qui se commettaient journellement sur les sujets de Sa Majesté « ni plus ni moins que si c'estoient pauvres esclaves et infidèles », que les provinces fussent rétablies en leurs privilèges et gouvernées comme elles l'avaient été par la reine de Hongrie, que le roi voulût venir dans le pays, enfin « qu'il fût avisé sur quelque accord de cette guerre intestine avec conservation néanmoins de la foi et religion catholique, honneur et service de Sa Majesté » (36). La sincérité de ces dernières paroles n'était pas douteuse. Fermement attachés à la religion de leurs pères, les Etats respectaient également dans le roi leur prince naturel et légitime, le descendant de Charles-Quint et des ducs de Bourgogne. Mais leur loyalisme n'allait point jusqu'à l'obéissance passive. Les devoirs qu'ils avaient à remplir vis-à-vis du souverain supposaient chez celui-ci le respect et le maintien des libertés nationales. Philippe II n'avait-il pas, en laissant les gouverneurs fouler aux pieds les privilèges, violé le contrat qui le liait au pays ? L'opposition qu'ils soutenaient contre lui était une opposition légale. Les plus fervents catholiques comme les légitimistes les plus convaincus protestaient contre les atteintes portées à la constitution du pays par l'absolutisme espagnol. Berlaymont lui-même déclarait à Requésens « qu'on ne peut faire aux Pays-Bas ce qui se fait à Naples et à Milan (37). Dans le public, à mesure que la pénurie et le désarroi du gouvernement vont croissant, le mécontentement s'exprime avec plus d'énergie. Le duc d'Arschot « fait plus de mal, par la liberté avec laquelle il parle, que les plus grands hérétiques» (38). Les Etats du Brabant protestent âpre-ment, au nom de la Joyeuse-Entrée, contre la nomination de Sancho d'Avila au poste de gouverneur du château d'Anvers. Parmi les prélats, il en est qui se demandent tout haut s'il ne vaudrait pas mieux vivre sous les protestants que sous les Espagnols (39). De telles dispositions enhardissent les autres provinces. Les unes refusent le 100e denier; d'autres demandent une diminution de leur cote ou des délais de payement. Toutes s'excusent sur la misère du pays. Et, en effet, elle est lamentable. Partout éclatent de nouvelles mutineries. Les passages continuels de troupes ont dévasté les campagnes; le commerce languit; la place d'Anvers est ruinée. Cette détresse se fait sentir d'autant plus cruellement que la Hollande et la Zélande, en pleine guerre, vivent dans l'abondance. Les pièces obsidionales frappées à Leyde sont remboursées au pair, et Requésens constate tristement que, s'il avait le même crédit, il aurait déjà battu des millions de semblable monnaie (40). LE LEVEE DU SIEGE DE LEYDE. - Le plus grave, c'est que les rebelles inondent le pays de pamphlets provoquant le peuple à en finir avec les Espagnols et l'appelant aux armes. Leurs succès militaires, l'héroïsme qu'ils ont déployé durant le siège de Leyde, définitivement levé le 3 octobre 1574, leur donnent un prestige extraordinaire. N'était la question religieuse, les provinces catholiques n'hésiteraient pas à embrasser leur cause, et c'est miracle que chaque jour qui passe sans amener un soulèvement général. Il règne une telle agitation parmi les gens du pays qu'il n'y a pas de réunion publique ou privée où ils ne parlent de se révolter , « et les personnages les plus consi- diation. Il espérait d'ailleurs que le rétablissement de la paix déciderait Philippe II à placer les provinces sous le gouvernement d'un archiduc et il n'ignorait pas que Requésens était entièrement favorable à son intervention. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Droit et revers d'une monnaie obsidionale frappée pendant le siège de Leide (1574). Seul exemplaire connu. Au droit, le lion de Hollande brandit une hampe soutenant le chapeau des gueux; légende : ERGO. HAEC. LIBERTATIS. Au revers, les armes de la ville de Leide et la légende : GODT BEHOEDE LEYDEN. Argent. Diamètre : 38 mm. dérables disent que le peuple ne vaut rien puisqu'il ne le fait pas... Il n'y a pas une seule maison où le prince d'Orange n'ait quelqu'un à sa dévotion» (41). D'ailleurs, Requésens comprend et excuse cette exaspération, « car aucune des provinces les plus fidèles et les plus obéissantes du monde, qui eût souffert tout ce que celle-ci souffre depuis huit ans, n'eût été aussi patiente » (42). Si peu d'espoir qu'il eût dans le résultat de ses efforts, le grand commandeur mettait cependant tout en oeuvre pour abattre les rebelles. Dès le commencement de 1574, il cherchait, comme le duc d'Albe l'avait fait avant lui, à se débarrasser du prince d'Orange par l'assassinat. Guillaume n'était-il pas à ses yeux, comme aux yeux de tous les Espagnols, l'auteur responsable de la révolte ? N'était-il pas condamné à mort ? Ses partisans ne complotaient-ils pas, de leur côté, le meurtre du gouverneur (43) ? Mais, depuis qu'il y avait été autorisé par le roi, Requésens s'attachait surtout à négocier un accord. La tâche était malaisée, Philippe II ne voulant pas que son nom fût mêlé aux pourparlers, et Orange se gardant de faire aucune proposition. On essaya tout d'abord de le sonder par l'intermédiaire du professeur Leoninus, puis par celui de Marnix, tombé aux mains des Espagnols en 1573, et qui reçut un sauf-conduit pour se rendre en Hollande. LES CONFERENCES DE BREDA. — Le roi finit par s'y résigner. Au commencement de l'année 1575, Maximilien II envoyait les comtes de Schwars-bourg et de Hohenlohe au prince d'Orange et, grâce à eux, des pourparlers s'ouvraient à Bréda, le 15 février, entre les délégués des rebelles et ceux du gouverneur. L'insuccès de ces tentatives personnelles ne laissait guère d'illusions à ce dernier. « Mais du moins, écrivait-il, le monde sera convaincu que le roi n'a négligé aucun moyen de réduire ces gens sous son autorité et celle de l'Eglise catholique, et le peuple, voyant qu'on négocie la paix, il y a lieu de croire qu'il différera de se Il fut bientôt évident que ces « pratiques » ne pouvaient réussir. Non seulement le prince refusait de traiter sans les Etats de Hollande et de Zélande, mais il était d'accord avec eux pour demander, préalablement à toute entente, « le libre exercice de la parole de Dieu » dans les provinces soulevées, le départ des soldats espagnols et la convocation des Etats généraux, qui s'occuperaient de rechercher le moyen de pacifier le pays. Bien loin de se prêter aux avances du grand commandeur, il faisait entendre un langage menaçant. Confiant dans l'appui de l'Angleterre et de la France, il parlait de remettre en des mains plus puissantes que les siennes les territoires qu'il occupait. Ainsi la continuation des hostilités pouvait amener une guerre européenne et une invasion des Pays-Bas. Depuis longtemps, l'empereur envisageait avec crainte une éventualité si dangereuse pour l'Allemagne. Elle l'amena à proposer sa mé- (Amsterdam. Rijksmuseum, Cabinet des Estampes.) La Conférence de Bréda (1575). Estampe allégorique. Dieu, entouré de la Foi (Fiies) et de l'Espérance (Spes) veut donner la Paix (Pcx) aux Pays-Bas, mais son messager (Fama pacis) ne parvient pas à se faire écouter de l'envie (Invidia) et de la violence (Vis) qui poursuivent la charité (Charilas) de leurs coups. Estampe anonyme, 1575, iBrielIe (}orlncf»>m Làii. Expéditionscebelfcs a YESftagm/A &b i5/Z. fifî j-r-FzontièXA linguistique, Dortirechl mook Or.loy lO DuMbonrg liddelhourgi O Breda fleMinflue Wcerl Qu.mrirweel PS67/ Wflavers Bruyps Uii remonilc (iand Bruxelles Courtrai sj0iSjtfJ^ ! Qudeiuier de Binche BawavjJo Laiidrocie» Lr Coteau • Carte des opérations militaires de Guillaume d'Orange dans les Pays-Bas méridionaux (1568-1572). D'après Fréd. Lyna et L.Lebeer, dans la Geschiedenis van Vlaanderen (5 volumes in-4° parus, Bruxelles, 1936-1940, t. IV, p. 174.) révolter tout à fait; car, en vérité, ses souffrances sont telles qu'il lui serait impossible de les endurer s'il n'avait l'espoir qu'elles finiront bientôt » (44). Hélas! loin de servir la cause du roi, les conférences de Bréda n'eurent d'autre résultat que de la compromettre davantage. Tandis qu'à Madrid Philippe II consultait à l'insu l'un de l'autre le duc d'Albe et Hopperus, demandait l'avis d'une junte spécialement convoquée pour examiner les affaires des Pays-Bas, ne parvenait point à prendre parti, laissait Requésens sans instructions et, à la nouvelle de l'ouverture des négociations, faisait dire des prières et distribuer des aumônes en ordonnant de n'en laisser connaître le motif à personne (45), les délégués orangistes agissaient avec une habileté consommée. Ils savaient la paix impossible, puisque la condition qui les eût portés à la conclure, la liberté de leur culte, était justement la seule que le roi était résolu à n'accorder jamais. Mais ils se gardèrent bien de soulever la question religieuse et d'effaroucher les provinces catholiques par leur intransigeance confessionnelle. Au lieu de parler en calvinistes, ils parlèrent en patriotes. Ils confondirent leur cause avec celle de tous les Pays-Bas. Ils se donnèrent comme les défenseurs des privilèges et des constitutions nationales; ils exigèrent le rappel des troupes espagnoles; ils se déclarèrent prêts, enfin, à s'en rapporter, même sur le point de la liberté de conscience, à la décision des Etats généraux, « nous confians fermement qu'ilz entendront que, avec bonne raison, nous nous opposons non seulement à l'inquisition d'Espaigne, mais aussy aux rigoreulx, desraisonna- bles et impieulx placcartz quelques ans passez émanez sur ces pays » (46). Comment une telle attitude ne leur eût-elle pas concilié toutes les sympathies ? Les catholiques ne demandaient-ils pas, eux aussi, le retour au gouvernement traditionnel ? N'avaient-ils pas toujours blâmé la sévérité des placards ? Ne désiraient-ils pas ardemment que les Etats généraux devinssent l'arbitre de la situation ? Sur le terrain où ils avaient porté la discussion, les rebelles étaient inattaquables. « On ne saurait croire, écrivait Requésens au roi, à quel point l'opinion publique est prévenue en leur faveur; on ajoute foi à tout ce qu'ils disent comme à l'Evangile » (47). Il n'était pas jusqu'aux délégués du gouverneur qui n'approuvassent in petto leurs propositions. Mais leurs instructions les obligeaient à n'en rien montrer et à se poser ainsi en ennemis de la nation. Aux rebelles invoquant le bien de la « patrie », ils se voyaient forcés d'alléguer la volonté du roi. Au lieu d'accepter l'arbitrage des Etats généraux en matière religieuse, ils exigeaient le départ de tous les hérétiques, leur laissant seulement la faculté de réaliser leurs biens avant de prendre le chemin de l'exil. Ainsi conduites, les négociations devaient échouer : elles furent décidément rompues au mois de juillet. Et il arriva, dans les provinces obéissantes, ce qui devait arriver. L'insuccès de la politique royale fut d'autant plus amèrement ressenti que l'on avait souhaité la paix avec plus d'ardeur. A vrai dire, l'impopularité de Philippe II et de Requésens ne pouvait plus grandir. Mais elle commença à discréditer l'Eglise qu'ils protégeaient. Dans beaucoup de villes, on accusa le clergé et surtout les Jésuites — pour lesquels on n'ignorait pas les sympathies du gouverneur — d'avoir voulu la continuation de la guerre (48). Cependant, les opérations militaires recommençaient et, cette fois, l'armée royale était plus heureuse. Son plan consistait à se jeter au centre des rebelles et à y occuper des positions qui sépareraient l'une de l'autre la Hollande et la Zélande. Le 7 août 1575, elle s'emparait d'Oudewater, le 24, de Schoonhoven. Dès le 9 septembre, le grand commandeur pouvait écrire que les ennemis ne s'étaient jamais trouvés aussi pressés. Les soldats, animés par le succès, déployaient une incomparable bravoure. Le 29 septembre, ils s'emparaient de l'Ile de Duyveland en passant un bras de mer, en pleine nuit, au milieu de la flotte hollandaise qui les canonnait. Le lendemain, dans l'eau jusqu'aux aisselles, ils traversaient le chenal séparant Duyveland de Schouwen et se dirigeaient sur Brouwershaven qui se rendait le jour suivant (1er octobre). Bommenede était emporté d'assaut le 30 octobre, et l'on commençait activement le siège de Zierikzee. Pourtant, les rebelles parlaient moins que jamais de déposer les armes. L'imminence du péril n'avait d'autre effet que d'engager plus avant le prince d'Orange dans la voie des négociations avec l'Angleterre, mais surtout avec la France, à laquelle il faisait offrir les places dont il disposait. Pour mieux marquer leur rupture définitive avec l'Espagne, les Etats de Hollande et de Zélande cessaient de promulguer leurs placards au nom de Philippe II. Dans les provinces obéissantes, la population ne cachait pas sa déconvenue à la nouvelle des progrès de l'armée royale « étant tous persuadés que si le roi l'emportait par la force, ils resteraient sujets et esclaves» (49). DECOURAGEMENT DE REQUESENS. - Mais ces inquiétudes ne tardèrent pas à se dissiper. Faute d'argent, Requésens ne put tirer parti de ses avantages. La nouvelle banqueroute de Philippe II ruinait son crédit. Une flotte envoyée d'Espagne arrivait à la fin de décembre dans un état si lamentable « qu'il en coûtera plus pour la réparer qu'il n'en eût coûté pour équiper des navires du pays » (50). A la fin de janvier 1576, la situation paraissait désespérée au grand commandeur. « Il serait heureux de mourir bientôt pour que d'autres que lui apprissent au roi la perte des Pays-Bas qui, d'ailleurs, n'auront pas été conquis par les ennemis, mais qu'on leur aura donnés, en ne prenant pas à temps les mesures nécessaires » (51). Le mauvais état de sa santé augmentait encore son découragement. Il allait jusqu'à proposer de concéder aux habitants tout ce qu'ils voudraient « jusqu'à les laisser quasi en république, pourvu qu'ils assurent de conserver la religion catholique et l'autorité royale» (52). Pour lui, il n'a plus qu'un désir : être déchargé de ses fonctions et rejoindre ses enfants en Espagne. Il ne devait pas lui être donné de les revoir. Usé par le travail et les soucis, il était à la merci du moindre accident. Un anthrax qui lui vint à l'épaule pendant un séjour qu'il faisait à Bruxelles pour y gagner le jubilé de 1576, empira bientôt au point de ne plus laisser de chances de guérison. Il mourut le 5 mars et telle était la pénurie des finances qu'il fallut différer ses funérailles de deux ou trois jours à cause du manque d'argent. Il ne se trouvait pas dans son hôtel plus de cent cinquante écus... (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaie obsidionale de la ville de Zierickzee assiégée par les Espagnols (1575-1576). Monnaie de plomb. Dimensions : 42x44 mm. NOTES (1) Voy. Histoire de Belgique, t. III (3" édit.), p. SI. (2) J. De Jong., De voorbereiding en constituteering van het kerkverband der Neder-landsche gereformeerde Kerken (Groningen, 1910). (3) Groen van Prinsterer, Archives de la maison d'Orange, t. VII, p. 98. (4) M. Brosch, Don /uan d'Austria in den Niederlanden Mittheilungen des Instituts fiir Oesterreichische Geschichtsforschung. t. XXI [1900], p. 470. (5) Piot,Correspondance de Granvelle, t. V, p. 47. (6) Ibid., p. 80. (7) Ibid., p. 146. (8) Ibid., t. IV, pp. 456, 457. (9) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 295. (10) Ibid., p. 301. (11) Ibid., p. 306. (12) Ibid., p. 307. (13) Ibid., p. 305. (14) Ibid., pp. 354, 357. (15) Ibid., p. 393. (16) Ibid., p. 402. (17) Medina fut relevé de ses fonctions de gouverneur le 28 juillet 1573. Il quitta les Pays-Bas le 6 octobre. (18) De 1567 à février 1572, 8 millions de florins avaient été envoyés d'Espagne. Voy. Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 595. Cf. Bussemaker, De afschei-ding der waalsche gewesten, t. I, p. 30 (Harlem 1895). Consulter, pour se faire une idée des dépenses militaires le Registre de Fr. Lixaldius, trésorier général de ['armée espagnole de 1567 à 1576, publ. par F. Rachfahl (Bruxelles, 1902). (19) Gachard, La Bibliothèque Nationale, t. II, p. 422. (20) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 415. (21) Gachard, Actes des Etats généraux, t. I, p. 256. (22) C'est seulement à partir de 1573 qu'Albe attribue la révolte à la question religieuse, et l'on comprend facilement ses motifs. Mais Requésens et Medina Celi lui donnent pour cause le 10e denier (Corresp. de Philippe II, t. II, pp. 447, 448 ; t. III, p. 14). Granvelle et son correspondant Morillon ne pensent pas autrement. (23) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 324. (24) Ibid., p. 397. (25) Bulletin de la Commission royale d'Histoire, 3» série, t. IV [1863], p. 478. (26) Molanus, Historia Lovaniensium, t. I, p. xvii (Bruxelles, 1861). (27) A. Morel-Fatio, La vie de Don Luis de Requésens. Bulletin Hispanique, 1904-1905, p. 4. — Cf. Francisco Barado y Font, Don Luis de Requésens y la politica espanola en los Paises Bajos. (Madrid, 1906). (28) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 171. (29) Piot, Correspondance de Granvelle, t. V, p. 220. (30) Ibid., p. 56. Cf. p. 176. (31) Ibid., p. 396. (32) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 447. (33) Ibid., p. 450. (34) Ibid., t. III, pp. 36, 45. (35) Ibid., p. 59. (36) Gachard, Assemblées nationales, loc, cit., p. 70. (37) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 119. (38) Ibid., p. 116. (39) Ibid., p. 120. (40) Ibid., p. 307. (41) La fréquence du nom de Guillaume dans les registres baptismaux de la fin du XVI® siècle et du commencement du XVII" siècle peut être considérée comme une preuve de la popularité du prince. (42) Ibid., pp. 207, 212, 217. (43) Gachard, Correspondance de Philippe II t. III, p. 118. (44) Ibid., p. 259. (45) Ibid., t. III, p. 267. (46) Ibid., p. 697. (47) Ibid., p. 340. (48) Van Campene, Dagboek, p. 63. (49) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 361. (50) Ibid., t. III, p. 404. (51) Ibid., p. 427. (52) Ibid., t. III, p. 439. CHAPITRE III LA PACIFICATION DE GAND (Gand, Musée Archéologique.) (CIiché Bijiebier.) Vue générale de Gand en 1564. Tableau peint en 1564 par Lucas de Heers. Le carré central délimité par un trait blanc représente l'emplacement de l'abbaye de Saint-Bavon, remplacée depuis 1540 par une citadelle construite sur l'ordre de Charles-Quint. fA REGENCE DU CONSEIL D'ETAT. -Depuis Marguerite d'Autriche, aucun gouverneur des Pays-Bas n'était mort en fonctions. Requésens n'avait pas eu le temps de se désigner un successeur qui fût chargé de l'intérim en attendant les instructions du roi. Dès lors, le Conseil d'Etat devait prendre en main la direction des affaires au nom de Philippe II. Le 5 mars, il se réunissait dans la maison de Viglius et assumait le gouvernement. Mais jouirait-il d'une autorité suffisante pour surmonter les périls de la situation ? Il ne se composait plus que de trois membres : Viglius, le duc d'Arschot et le comte de Berlaymont, tous inférieurs à leur tâche. Le vieux Viglius, impotent timoré, alourdi, peut encore donner des conseils, mais il est incapable d'initiative. Vaniteux de sa noblesse, hâbleur, outrecuidant, Arschot manque totalement de sérieux et de talents politiques. Son intempérance aggrave encore sa nervosité naturelle. Il se laisse exciter par son entourage, s'échappe devant ses collègues en sorties furibondes, puis tombe en des accès de découragement, se repent de ce qu'il a dit, s'excuse, verse des larmes, si bien qu'il passe pour à moitié fou (1). Aussi buveur que lui, Berlaymont s'endort sur la table pendant les séances et même à jeun on n'en peut tirer grand'chose, car son inintelligence n'est pas moins notoire que son avarice (2). Prennent part aussi aux séances, en attendant leur nomination définitive, un honnête homme tâ-tillon et médiocre, le baron de Rassenghien, un diplomate de second ordre, Assonleville, un juriste, le conseiller Sas-bout, le vieux Mansfeld, que l'on a appelé de son gouvernement de Luxembourg, et enfin, seul représentant de l'Espagne dans l'assemblée, Geronimo de Roda, assesseur au Conseil des troubles et naguère confident de Requésens. Ainsi recruté, le Conseil ne manquait pas seulement de prestige, il se trouvait encore soulever à la fois la méfiance du roi et celle du peuple. Sans doute Philippe II n'ignorait pas que ses membres étaient des catholiques sincères et fidèles à la dynastie. Mais il savait aussi qu'au fond du coeur la plupart d'entre eux réprouvaient sa politique. Dès le 10 mars, Rassenghien le suppliait de pacifier le pays, et cela par les moyens mêmes que les rebelles avaient proposés à la conférence de Bréda, c'est-à-dire en rappelant les troupes étrangères et en abandonnant aux Etats généraux la recherche d'un modus vivendi en matière religieuse. Et les lettres du Conseil laissaient bientôt apparaître les mêmes désirs d'autonomie et les mêmes exhortations à la tolérance. Quelle apparence que Philippe s'accommodât de gens ainsi disposés ? Dès le premier jour, son parti est pris. En attendant qu'il confie les provinces à un nouveau gouverneur, il laissera le Conseil d'Etat s'user dans l'impuissance. Il ne lui donnera aucune instruction, il ne répondra pas à ses lettres ou, s'il y répond, ce sera par la vague promesse de fournir bientôt les « vrais remèdes » et par la défense de réunir les Etats généraux. Plus se font pressantes les dépêches qu'il reçoit de Bruxelles, plus il affecte d'indifférence. Au milieu de circonstances si graves que le Conseil ne sait où donner de la tête, il le charge, le 14 mai, de lui envoyer des chanteurs pour sa chapelle! (3) En revanche, il correspond avec Roda, à l'insu de ses collègues. Celui-ci possède toute sa confiance et il la mérite par l'aversion qu'il porte, en bon Espagnol, aux institutions du pays et par la haine qu'il professe à l'endroit des hérétiques. Personne d'ailleurs n'ignore ses sentiments. Sauf Mansfeld, les conseillers belges le traitent en ennemi et en espion. En sa présence, ils se groupent dans un coin de la salle pour causer à voix basse et lui-même « s'approche d'une fenêtre pour les laisser plus libres» (4). Mais que lui importe leur hostilité ? Il connaît la pensée du roi. Il sait que jamais il n'accédera à leurs voeux, et il sait aussi qu'ils ne sont pas hommes à lui forcer la main. Le sentiment de l'obéissance l'emporte chez eux sur le mécontentement. Ils ont beau aspirer de toutes leurs forces au retour du gouvernement bourguignon, le loyalisme paralysera toujours leur volonté. Il suffit au roi de se taire pour qu'ils n'osent rien entreprendre. C'est là justement ce qui les perd dans l'opinion publique. On ne leur pardonne pas de ne rien faire. On les accuse ou on les soupçonne de pactiser avec les Espagnols. Leur passé, d'ailleurs, les compromet. Mansfeld n'a-t-il pas jadis soutenu Marguerite de Parme contre les seigneurs ? Viglius et Berlaymont ont-ils jamais osé résister au duc d'Albe ? Arschot n'a-t-il point gardé le silence lors du supplice d'Egmont et de Hornes ? Ainsi, la situation du Conseil d'Etat est aussi fausse que possible. Le roi, le sachant opposé à ses vues, lui interdit toute initiative; le peuple, constatant son inaction, se croit abandonné par lui. En vain les conseillers s'assemblent le matin et le soir et délibèrent avec angoisse; sans argent, sans prestige, que peuvent-ils espérer ? Chaque jour qui passe augmente le désarroi. Car de nouvelles mutineries sont imminentes. Déjà, à la fin d'avril, les garnisons allemandes de Valenciennes, de Nivelles, de Termonde, de Bois-le-Duc n'obéissent plus à leurs officiers. On va droit à l'anarchie. L'impuissance des autorités constituées pousse la nation aux fureurs du désespoir. Dès le 1er avril, Roda déclare au roi que le pays ne se trouve plus en état de supporter la guerre et qu'il est sur le point de se soulever. Ce qu'il redoute le plus, « c'est qu'on mette à mort tous les Espagnols... A Bruxelles même, l'insolence des bourgeois en est venue au point que, de crainte de quelque malheur, on a dû faire partir pour le château d'Anvers le peu d'Espagnols de Julian Romero qui étaient restés dans la ville» (5). Partout le peuple s'arme et le Conseil d'Etat n'ose l'en empêcher « pour qu'ils ne pensent pas que nous les vouldrions exposer en proye aux soldars » (6). Cependant les Etats de Brabant profitent de l'exaspération générale pour reprendre leur rôle traditionnel de défenseurs des libertés du pays. Le moment leur paraît (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Viglius (1507-1577), chef-président du Conseil privé de 1549 à 1569. Gravure au burin éditée par Ph. Galle (Harlem, 1537-Anvers, 1612) en 1604. venu de remettre en vigueur la Joyeuse-Entrée. La remontrance qu'ils envoient à Madrid, le 17 avril, s'exprime avec une énergie inattendue. Elle exige le départ des étrangers « pour n'apporter avecq eulx que nouvellitez, chose merveilleusement pernicieuse et dommagiable, ce que pareillement tesmoignent tous philosophes et historiens, et démonstrent de fait les misérables exemples advenus en ces Pays-Bas. » Elle demande l'envoi d'un prince royal dans les provinces « pour recouvrer l'affection, dévotion et correspondance des estatz et subjectz... en quoy consiste l'authorité et force d'ung prince, conservation, maintènement et prospérité de ses pays ». Elle réclame hautement, enfin, la convocation des Etats généraux pour rétablir la paix et restaurer les anciens droits et privilèges « selon l'obligation qu'ils ont fait à Votre Majesté et Votre Majesté à eux » (7). Ainsi, les Etats s'enhardissent jusqu'à rappeler au roi les serments qu'il a prêtés. Ils ne supplient plus : ils protestent au nom du droit. Ils invoquent les historiens et les philosophes à l'appui de la tradition nationale. Ils ne gardent plus de ménagements. C'est une réforme radicale qu'ils demandent. De toutes les nouveautés introduites dans le pays, ils n'en respectent aucune. Ils vont jusqu'à rouvrir la querelle des nouveaux évêchés. Les prélats brabançons protestent contre l'incorporation des abbayes d'Afflighem, de Saint-Bernard et de Tongerloo aux diocèses de Malines, d'Anvers et de Bois-le-Duc. Comme toujours dans les moments de crise, les intérêts privés s'allient aux rancunes populaires et se confondent avec elles en un même mouvement de protestation. L'exemple des Etats de Brabant encourage ceux des autres provinces. En Hainaut d'abord, puis en Flandre et en Gueldre, ils exigent aussi la réunion des Etats généraux. Le malheureux Conseil d'Etat, assailli de leurs plain- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) (Cliché Bijtebier.) Reliure aux armes de Pierre-Ernest de Mansfeld, membre du Conseil d'Etat (1517-1604). Au-dessus des armoiries : .M. et la devise : .FORCE.MEST.TROP ; en-dessous : .MANSFELT.-.1556. Reliure d'un exemplaire des Loix, ordonnances et Edictz des treschrestiens Rois de France... Paris, Galliot du Pré, 1552, in-folio. tes, supplie le roi de céder. Il le conjure de lui faire au moins connaître ses ordres « car, pour avoir les mains liées à faulte de povoir, nous ne povons rien» (8). Viglius, don Diego de Çuniga, Roda lui-même insistent pour obtenir un mot de réponse. Leurs lettres s'engloutissent vainement dans le mystère du cabinet de l'Escuriai. PHILIPPE II FAIT APPEL A DON JUAN. - Pourtant, Philippe lui aussi vit dans la fièvre. L'échec de ses deux gouverneurs l a enfin convaincu de la nécessité d'envoyer un prince du sang aux Pays-Bas. Son choix s'est porté sur son frère naturel, don Juan d'Autriche, le vainqueur de Lépante. Il lui a écrit dès le 8 avril, le suppliant de se mettre en route sur-le-champ, et les termes inaccoutumés de sa lettre trahissent l'inquiétude qui l'assaille. « Je voudrais, lui dit-il, que le porteur de cette dépêche eût des ailes pour voler auprès de vous, et que vous en eussiez vous-même, afin d'être plus tôt là-bas» (9). Le même jour, il corrige de sa main la dépêche qu'Antonio Perez adresse au secrétaire de don Juan. Deux fois de suite il la remanie, y ajoutant de longs passages qui doivent « rendre un refus impossible ». Il s'adresse à son frère « comme gentilhomme et comme chrétien »; il lui parle de ses devoirs envers Dieu qui lui donna la victoire de Lépante, et, faisant allusion sans doute aux amours du prince, il le supplie « d'examiner si, depuis lors, il n'a pas assez offensé Dieu pour avoir besoin de mériter son pardon par un sacrifice tel que celui-ci» (10). Mais le roi doit connaître comme son Conseil d'Etat de Bruxelles, le supplice de l'attente. Don Juan garde le silence et lorsqu'il écrit, c'est pour annoncer qu'au lieu de voler vers les Pays-Bas, il envoie à Madrid son confident Escovedo demander des instructions. Retard d'autant plus fatal qu'il oblige Philippe, buté comme toujours à ne laisser rien transpirer de ses projets, à persister dans son mutisme envers ses ministres de « par delà ». Il se borne à leur faire savoir le 23 juin que le gouverneur chargé d'apporter les « vrais remèdes » arrivera au mois d'août ou au mois de septembre. Il profite de l'occasion pour leur défendre une fois de plus d'assembler les Etats généraux et de négocier avec les rebelles. En attendant, qu'ils trouvent de l'argent afin d'éviter toute « émotion populaire ou militaire ». Mais quand cette lettre parvint à Bruxelles, l'émotion y était à son comble. Ce que l'on redoutait depuis plusieurs mois était arrivé. Zierikzee avait fini par se rendre (29 juin 1576) et aussitôt les troupes avaient quitté leurs quartiers, et, ne songeant plus qu'à exiger leur solde, s'étaient dirigées vers les villes du Sud. Arrivées devant Bruxelles, elles y avaient trouvé la bourgeoisie prête à se défendre, s'étaient détournées vers Alost, s'en étaient emparées par surprise le 25 juillet et en avaient fait leur place d'armes. Cette fois, c'en était trop. Il ne suffisait donc pas que la lutte contre les rebelles eût anéanti le commerce, privé d'ouvrage les masses ouvrières, augmenté le prix de tous les objets de consommation; il fallait encore que l'armée royale se tournât contre les provinces fidèles et prétendît leur faire payer de force les frais d'une guerre qu'elles abhorraient ! La haine que les Espagnols soulèvent contre eux comme par plaisir depuis tant d'années, s'épanche irrésistible. Toutes les classes sociales s'unissent pour la résistance. A Bruxelles, l'émeute gronde dans les rues. La bourgeoisie et le peuple courent aux armes. Les gens des « nations » ne veulent plus que l'on appelle les Espagnols « soldats de Sa Majesté », car « ce serait faire de celle-ci le chef d'une bande de brigands» (11). On menace de mort Julian Romero, et, pour le soustraire à la fureur de la foule, il faut l'enfermer dans le palais, ainsi que Vargas et Roda. La maison de Roda est pillée, un de ses domestiques massacré à coups d'arquebuse et de couteau et son cadavre traîné sur le pavé. L'exaspération est si générale et si contagieuse que des prédicateurs vont jusqu'à déclarer que l'on peut, sans scrupule de conscience, tuer les Espagnols (12). Et le Conseil d'Etat, qui n'a rien pu empêcher, n'est guère moins odieux que ceux-ci. On l'accuse ouvertement de conspirer contre la nation. Ses membres craignent pour leur vie. La foule envahit l'hôtel de Berlaymont et en enlève cent cinquante arquebuses. Arschot est injurié dans les rues. On arrache à Mansfeld les clefs des portes de la ville. MUTINERIE DES TROUPES ESPAGNOLES. - Ainsi la seule autorité qui représente encore le roi est à vau-l'eau. « Le Conseil, écrit Vargas, n'a pas plus de pouvoir à Bruxelles qu'il n'en aurait à Flessingue » (13). En fait, il se laisse conduire par les Etats de Brabant, qui, s'appuyant sur le peuple en armes, lui imposent ses décisions. Le 27 juillet, il est obligé de promulguer un placard contre les mutins d'Alost, les déclare rebelles et ennemis du roi, permet de leur courir sus et menace de mort qui leur prêterait faveur ou assistance. Le 7 août, il autorise les Etats de Brabant à lever pour résister aux gens de guerre quatre à six cents chevaux et deux à trois mille hommes de pied de troupes nationales, de sorte qu'au nom du roi, il approuve en somme la guerre civile contre les soldats du roi. Car c'est bien à la guerre civile qu'on se trouve acculé. Au milieu du soulèvement général qui de Bruxelles gagne tout le pays, Sancho d'Avila, rejoint par Vargas et Julian Romero, rassemble des forces à Anvers et organise une sorte de gouvernement provisoire. Il menace de marcher sur Bruxelles pour y délivrer le Conseil d'Etat. Mais cette attitude ne fait que porter la résolution et la fureur du peuple aux dernières limites. Malgré la -t-- . i. " r / .mfto^-rr CçLbV l 'S/p-t je<* oCrrVW* ■cœryw Jm -«3< {Archives Générales de Simancas, Eslado, Liasse 570.) Correction autographe de Philippe II à la dépêche adressée par Antonio Perez à Pedro de Escovedo, secrétaire de Don Juan (Madrid, le 8 avril 1576). La dépêche et la correction autographe du roi sont rédigées en espagnol. Voici la traduction de la note transcrite de la main du roi en marge de la lettre : « Si le seigneur Don Juan agissait de la sorte {c'est-à-dire : s'il refusait de représenter le roi dans les Pays-Bas), il ne remplirait pas non plus son devoir envers Dieu : car il est particulièrement obligé de le servir et de se sacrifier pour sa religion, en reconnaissance des grâces que Dieu lui a faites, surtout en lui donnant la victoire qu'il lui donna (allusion à la bataille navale de Lépante). Qu'il examine même si, depuis lors, il n'a pas assez offensé Dieu pour avoir besoin de mériter son pardon par un sacrifice tel que serait celui-ci. Il manquerait alors à ses devoirs envers son père (Charles-Quint), en ne venant pas en aide à des pays que son père aima tant, pour lesquels il s'exposa à de si grands dangers, comme je l'ai dit, où il reçut le jour, où il fut élevé. Et il y manquerait tellement qu'il semble que, du haut du ciel, son père se plaindrait de lui puisqu'il mettrait son frère (Philippe II) dans un embarras évident en ne l'aidant point dans une nécessité pareille où il n'y a absolument pas d'autre remède; et son frère aurait un juste motif de s'en ressentir. Enfin, il ne satisferait pas à ce qu'il doit au monde, à lui-même et à son honneur. » cessation complète du travail, tout le monde s'endette pour acheter des armes : les cultivateurs, afin de s'en procurer, vendent jusqu'à leurs vaches (14). Pour organiser cette anarchie, pour coordonner les efforts, pour leur assigner un but précis, bref pour transformer en une opposition politique consciente l'insurrection spontanée qui surgissait partout, il fallait un chef, et il n'était pas loin. La mutinerie des troupes espagnoles, après la prise de Zierikzee, avait été pour le prince d'Orange, un coup de fortune. Elle lui permettait de respirer au moment même où ses affaires prenaient une tournure inquiétante. Ni la France, en effet, ni l'Angleterre ne répondaient à ses appels et ne lui fournissaient les secours indispensables à la continuation de la guerre. Craignant de le voir céder aux Français la Hollande et la Zélande, Elisabeth, pour écarter ce péril, lui offrait de négocier avec Madrid une paix qu'elle savait bien d'ailleurs ne pouvoir aboutir. Quant à Henri III, il s'avançait, puis se reprenait, et finalement n'osait rompre en visière à l'Espagne. D'autre part, à mesure qu'elle se prolongeait sans résultats décisifs, la résistance des provinces rebelles faiblissait peu à peu. L'enthousiasme des premiers jours avait disparu. Si les calvinistes restaient décidés à tout, les indifférents se dégoûtaient de la guerre et les catholiques opprimés, privés de l'exercice de leur culte, exaspérés de la dispersion de leurs prêtres et de la confiscation de leurs églises, ne cachaient point leur désir d'une réconciliation avec Philippe II. Les événements qui venaient d'éclater ne pouvaient donc arriver plus à propos. Non seulement ils absorbaient l'effort des troupes royales, mais ils fournissaient encore au prince l'occasion longuement attendue de rallier à sa cause, jusque-là confinée dans le Nord, l'ensemble des Pays-Bas. A vrai dire, la Hollande et la Zélande depuis trop longtemps abandonnées à elles-mêmes, et où les calvinistes dominent, ne s'intéressent pas au sort de leurs compatriotes demeurés fidèles au roi et à l'Eglise. Le gouvernement spécial qu'elles se sont donné, le développement croissant de leur marine et de leur commerce, grâce à la fermeture de l'Escaut, ont fait d'elles, dans toute la force du terme, un Etat dans l'Etat. Au point de vue confessionnel comme au point de vue économique, elles vivent de leur vie propre. Bien plus ! elles s'opposent aux autres territoires. Flessingue et Middelbourg détournent vers elles le commerce d'Anvers; les capitalistes et les artisans affluent dans leurs murs. Comment espérer que les rebelles sacrifient volontairement une situation si avantageuse, rouvrent les embouchures des fleuves et laissent échapper de leurs frontières la prospérité qui s'y accumule ? INTERVENTION DU PRINCE D'ORANGE. -Mais le particularisme qui inspire leur conduite est tout à fait étranger à celle du prince d'Orange. Si complet qu'ait été depuis quatre ans son dévouement à la Hollande et à la Zélande, il voit plus haut qu'elles et plus loin. Le moment lui paraît venu d'unir en un même mouvement, en un même faisceau l'ensemble des dix-sept provinces, et c'est au nom de la « commune patrie » qu'il agira désormais. Pour l'aider dans cette tâche, il dispose d'un personnel excellent. Les réfugiés belges et les Huguenots français qui l'entourent attendent impatiemment l'occasion de GUILLAUME I«r DE NASSAU, PRINCE D'ORANGE, D VERS L'AGE DE QUARANTE-SIX ANS, Portrait peint vers 1579 par Adrlaen Thomasz Key (Anvers i à Anderlecht (musée Erasme : dépôt du Musée Royal d'Art dépôt à l'Oranje Nassau - Muséum), à Munich (Rayerische c Rohonez. ÏNE (Dillenbourg. M avril 5533 - Delft, 10 juillet 1584) 1589). Il existe des variantes et des copies de ce portrait : de Blois, à La Haye (collection Jos. H. Gosschalk ; en ilungen), à Oxford (Bodleian Library) et au château de (La Haye, Mauritshuis.} LE REGIME ESPAGNOL s'employer pour lui. Le désir de revoir le sol natal, de prendre une revanche sur l'Espagnol, de faire triompher leur idéal politique et leur idéal religieux les attache passionnément à son service. Leur cause se confond avec la sienne, et c'est de lui que dépend la réalisation de leurs espérances. Si différents qu'ils soient par leurs origines, leurs caractères, leurs ambitions ou leurs passions personnelles les hommes qui se groupent dans l'entourage cosmopolite du prince se ressemblent en un point essentiel. Tous sont des adeptes convaincus des idées politiques nées aux environs de la Saint-Barthélémy, au sein du calvinisme français (15). Comme Hotman, comme Bèze, ils condamnent l'absolutisme royal au nom des droits du peuple. Ils proclament hautement la légitimité de l'insurrection contre la tyrannie du prince, que cette tyrannie s'exerce dans le gouvernement ou qu'elle opprime les consciences. Et c'est en ce dernier point qu'apparaît le lien qui rattache les théories de ces « monarchomaques » à leur foi religieuse. Appartenant à une Eglise persécutée, ils revendiquent, comme un droit naturel, le libre exercice de leur culte. Ils n'admettent pas que le souverain puisse imposer sa confession à ses sujets. Dès avant la publication des Vindiciae contra tyrannos (1579), ils en professent unanimement les principes. Et cela est d'autant moins étonnant que l'auteur de ce livre célèbre, Duplessis-Mornay, est en rapports constants avec eux. Pour eux comme pour lui, le prince ne peut exiger l'obéissance que si lui-même obéit à la loi de Dieu inscrite dans la Bible. Il peut tolérer l'erreur, mais il ne lui est pas permis d'opprimer la vraie foi, c'est-à-dire la foi protestante. La résistance est alors un devoir absolu. Elle l'est d'autant plus que si Dieu élit le souverain, c'est le peuple qui lui donne son autorité. « Les princes sont créés et ordonnés pour leurs sujets et non les sujets pour les princes » (16). D'ailleurs, il n'appartient pas au peuple comme tel de se mettre en rébellion. Car le peuple est une hydre à plusieurs têtes, une bellua innumerorum capitum. Abandonné à lui-même, il irait droit à l'anarchie. Mais les magistrats auxquels il a délégué son pouvoir, les Etats et les Conseils qui le représentent, interviendront pour lui. Leur action se substitue à l'action populaire, et elle est seule légitime. Tout ensemble libérale et aristocratique, cette théorie tend à placer partout, à la tête de l'Etat, un parlement. Cela veut dire qu'appliquée aux Pays-Bas elle subordonnera la volonté du prince à celle des Etats généraux. Ceux-ci ont beau n'être qu'un congrès d'Etats provinciaux, leurs membres ont beau n'appartenir qu'aux trois ordres privilégiés de la nation, clergé, noblesse et bourgeoisie, elle les reconnaît comme l'organe du peuple et comme l'organe du peuple tout entier. Ce qu'ils représentent, d'après elle, ce n'est pas une pluralité de territoires indépendants : c'est la patrie commune constituée par le corps des dix-sept provinces. (Bruxelles, Musée de la Porte de Hal, série VIII, n» 2.) (Cliché Pichonnier.) Arbalète à cric. XVIe siècle. (Bruxelles, Musée de la Porte de Hal, socle n° 94). (Cliché Pichonnier.) Armure allemande de guerre renforcée pour la joute, ayant appartenu à Philippe II. Début de la seconde moitié du XVIe siècle. Son point de vue est tout à l'opposé du particularisme régional. De même que l'autorité royale s'étend à tous les sujets, de même celle des Etats généraux s'exerce sur tous les citoyens, indépendamment des groupes historiques entre lesquels ils se répartissent. Malgré la diversité des privilèges particuliers, la multiplicité des coutumes, la différence des idiomes, les Pays-Bas forment une unité politique et non un assemblage de principautés autonomes. Philippe le Bon ne les a-t-il pas élevés au rang d'Etat, et, en créant les Etats généraux qu'il a associés à son gouvernement, n'a-t-il pas mérité le titre de « père du peuple ?» (17). INFLUENCE DES MONARCHOMAQUES. — La théorie des novateurs apporte donc aux partisans des franchises nationales des arguments nouveaux. Grâce à elle, ils ne se contenteront plus de revendiquer leurs privilèges pour le simple motif qu'ils les possèdent et que le roi en a juré l'observation. Ils invoqueront encore en leur faveur une conception rationnelle de l'Etat et des motifs de droit naturel et de droit historique. On commence à s'en apercevoir dès les II - 20 De Leone (Bruxelles, Bibliorhèaue Royale, Réserve Précieuse.) Arrestation des membres du Conseil d'Etat, Mansfeld, Berlaymont, Sasbout et Assonleville, le 4 septembre 1576. Gravure de François Hogenberg (Malines, avant 1540-Cologne, 1590) extraite de M. Aitsinger Belgico... (Cologne, G. Campensis, 1583, petit in-lolio), p. 228-229. conférences de Bréda. Déjà les idées nouvelles s'expriment clairement dans le beau discours de Junius en réponse aux propositions de paix des délégués de Requésens. On en trouve la trace dans le manifeste envoyé au roi par les Etats de Brabant en 1576. Mais c'est à partir du soulèvement provoqué par la mutinerie des Espagnols, qu'elles vont se répandre avec une vigueur croissante et former le programme du parti des « vrais patriotes », ou, ce qui revient au même, du parti orangiste. En face des catholiques qu'ils veulent rallier à leur cause, les patriotes auront bien soin d'ailleurs de dissimuler, au début, le côté confessionnel de la doctrine. Ils esquiveront la question religieuse : ils ne parleront qu'en politiques et, la haine contre les Espagnols aidant, ils se concilieront bientôt les esprits les plus cultivés et les plus hardis. En très peu de temps, ils se seront assuré quantité d'adhérents parmi la bourgeoisie lettrée, dans laquelle se recrutent les pensionnaires des villes, les fonctionnaires et le barreau. Et c'est ce qui explique la part de plus en plus considérable que les avocats vont prendre aux événements. Dès le mois de juillet 1576, les hommes du prince d'Orange se mettent à l'œuvre. Le Conseil d'Etat, les Etats de Brabant et les Etats de Flandre sont assaillis de lettres les exhortant à secouer le joug des Espagnols. Marnix surtout se dépense. Bruxellois d'origine, il a conservé beaucoup d'amis à Bruxelles et il se met aussitôt en rapport avec eux. Avec toute l'ardeur de son tempérament combattif, il prodigue les manifestes et les pamphlets. Dès le 28 juillet, il se réjouit du succès qu'il obtient et il redouble d'efforts. Et comment la propagande orangiste n'arriverait-elle pas à ses fins, au milieu d'un peuple aigri contre son gouvernement et qui ne compte plus ses griefs ? Aussi adroite qu'elle est active, elle évite de froisser non seulement les convictions des catholiques, mais aussi leur loyalisme, que Marnix appelle « le calus de la servitude chez des gens habitués à porter le joug » (18). A ceux qui se plaignent de 1' oppression politique, elle montre le prince d Orange comme le défenseur de la liberté; à ceux qu'excède l'arrogance des Espagnols, elle le prône comme le champion de la patrie; à ceux enfin, marchands, industriels et artisans, que ruine ou qu'affame l'arrêt des affaires, elle dépeint sous les couleurs les plus séduisantes la richesse dont regorgent, grâce à lui, la Hollande et la Zélande (19). Pour toutes les classes sociales, pour tous les intérêts, pour toutes les convoitises, elle a des arguments appropriés. Il n'est point jusqu'aux prélats brabançons, furieux de l'incorporation des abbayes aux nouveaux évêchés, parmi lesquels elle ne recrute des adhérents, tel l'abbé de Sainte-Gertrude de Louvain, Jean van der Linden. Et pourquoi hésiterait-il ? Orange cache si bien son jeu que beaucoup d'ecclésiastiques le croient catholique au fond du cœur, et cette opinion est généralement répandue dans le peuple (20). Si misérable, si impuissant qu'il soit, le Conseil d'Etat reste pourtant réfractaire à l'influence orangiste qui, en dehors de lui, s'insinue et se répand de toutes parts. Incapable d'agir, il oppose du moins une résistance passive aux séductions et aux exhortations dont il est l'objet. Les grands seigneurs et les hauts fonctionnaires qui y siègent ressentent amèrement l'indifférence du roi à leur égard, mais ils auraient horreur de s'associer contre lui au chef des rebelles. L'honneur leur commande de rester fidèles au souverain qu'ils représentent. Au lieu de répondre aux lettres d'Orange, ils dévoilent ses menées à Philippe II. ARRESTATION DU CONSEIL D'ETAT. - Ne pouvant les gagner à leurs vues, les patriotes vont se débarrasser d'eux par un coup d'Etat. Un gentilhomme français, Théron, tout dévoué au prince d'Orange, s'abouche à Bruxelles avec ses partisans les plus audacieux. II peut compter sur l'abbé de Sainte-Gertrude, sur le premier bourgmestre Henri de Bloyere, sur les avocats Liesvelt, van der Haeghen et van den Eynde, sur Guillaume de Hèze, le commandant de l'infanterie levée par les Etats de Brabant. Il n'y a rien à craindre du peuple puisqu'il exècre le Conseil d'Etat. Pour réussir, il suffit d'oser. Le 4 septembre, en plein jour, un lieutenant de Hèze, Jacques de Glymes, à la tête de deux compagnies de soldats, pénètre dans le palais, met en arrestation Mansfeld, Berlaymont, Sasbout et Assonleville qu'il y trouve en séance, et les emmène à la prison du Broodhuys. En même temps des gardes sont placés aux portes des maisons d'Arschot et de Viglius, et l'on s'empare des trois conseillers les plus influents du Conseil privé : Fonck, Bois-schot et Del Rio. L'émotion fut extrême à la nouvelle de ce coup de force, et les Etats de Brabant s'empressèrent de décliner toute responsabilité. Mais, sauf quelques royalistes sans influence, personne ne protesta. Les auteurs du complot faisaient d'ailleurs répandre parmi la foule que les ministres arrêtés se proposaient de livrer la ville aux Espagnols. Il ne leur en fallut pas davantage pour se concilier l'opinion populaire. Il est impossible de douter que le prince d'Orange n'ait (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Guillaume d'Orange. Gravure au burin exécutée vers 1581 et attribuée à J. Wiericx, d'après Hubert Goltzius (Venlo, 1526-Bruges, 15831. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaie des Etats. 1. Droit d'un daldre des Etats. Anvers 1579. 2. Droit d'un demi-daldre des Etats. Brabant, 1577. 3. Droit d'un liard de cuivre. Brabant, 1577-1579. organisé et dirigé de loin l'attentat du 4 septembre (21). La nomination de don Juan d'Autriche comme gouverneur étant maintenant connue de tout le monde, il lui importait de parer à ses conséquences en plaçant le pays dans une situation révolutionnaire. L'arrestation du Conseil d'Etat équivalait, en effet, à l'arrestation du roi lui-même. C'était un crime de lèse-majesté (22). Désormais, entre le souverain et ses sujets, le lien était rompu. La nation s'opposait brusquement à son prince héréditaire. Il n'y avait d'autre alternative que la guerre ou des négociations dans lesquelles les provinces traiteraient d'égal à égal avec Philippe II. En somme, l'outrage infligé à la couronne associait toutes les provinces à la rébellion de la Hollande et de la Zélande. A qui s'adresser en de telles circonstances, si ce n'est justement à l'homme qui, depuis tant d'années déjà, menait la résistance dans le Nord ? Tous ceux qui acceptaient le coup d'Etat suggéré par Orange, étaient fatalement obligés d'implorer son assistance. Il devenait l'arbitre du conflit qu'il avait déchaîné. Avec une lucidité merveilleuse il avait aperçu tous les résultats de son audacieuse initiative, et les choses se déroulèrent comme il l'avait prévu. Tandis qu'à Anvers Roda lance un manifeste déclarant qu'il se charge du gouvernement jusqu'à la mise en liberté des membres du Conseil d'Etat, à Bruxelles les Etats de Brabant invitent, dès le 6 septembre, les Etats des autres provinces à s'unir à eux. Le Hainaut et la Flandre les approuvent aussitôt. Comme les Gantois après l'arrestation de Maximilien à Bruges en 1488 (23), les trois vieilles provinces bourguignonnes s'arrogent donc, au mépris des prérogatives souveraines, le droit de convoquer les Etats généraux. Toutefois, pour rendre l'illégalité moins flagrante et pour rassurer les esprits timorés, les chefs du mouvement délivrent Arschot, Viglius et Sasbout, et rétablissent ainsi un semblant de Conseil d'Etat. REUNION DES ETATS GENERAUX. - Cependant les Etats de Flandre et de Hainaut sont venus siéger avec les Etats de Brabant et cette assemblée dicte ses ordres au Conseil d'Etat qui les exécute. Elle leur fait tout d'abord convoquer à Bruxelles les Etats d'Artois, de Lille-Douai et Orchies, de Valenciennes, de Malines, de Namur, de Tournai-Tournaisis, de Limbourg et pays d'Outre-Meuse (20 septembre), puis ceux de Hollande et de Zélande (25 septembre), puis enfin, ceux de Luxembourg, de Guel-dre, de Frise, d'Overyssel, de Gro-ningue et d'Utrecht. Ainsi les Etats généraux qui vont se réunir représenteront réellement, comme en 1555, toutes les provinces du pays. Ils constitueront le grand congrès des Pays-Bas. On n'y trouvera point seulement les représentants des provinces qui d'ancienneté étaient invitées à voter les aides. On y verra siéger, à côté d'elles, celles qui, plus récemment annexées à l'Etat bourguignon, n'y paraissaient que dans les circonstances extraordinaires (24). C'est qu'en réalité, ce n'est pas d'impôt qu'il s'agit. L'assemblée qui s'ouvre en 1576, doit être aussi solennelle que celle qui a assisté vingt et un ans plus tôt à l'abdication de Charles-Quint. Comme elle, en effet, elle doit coopérer à un événement capital, plus capital même que celui de 1555, car il ne s'agit plus ici d'un changement de prince, mais d'un changement de constitution. Le moment est venu de réaliser les revendications auxquelles le roi s'oppose depuis si longtemps. Les Etats généraux se substituent au souverain. Ils appliquent les principes des monarchomaques, et c'est au nom de la nation qu'ils vont se charger de la pacification du pays, de l'expulsion des Espagnols et du rétablissement des privilèges. Ils y sont si résolus qu'ils s'empressent de justifier leur conduite devant l'Europe. Dès le 12 octobre, ils envoient un ambassadeur annoncer au roi de France « le grand et souverain changement ces jours passez advenus aux Pays-Bas » (25). Ils en députent d'autres à l'empereur, à la reine d'Angleterre, à l'évêque et à la ville de Liège. Le 17 seulement, et quand il est impossible de revenir sur le fait accompli, ils s'adressent à Philippe II. Leur lettre est tout à la fois une apologie de leur conduite et un acte d'accusation. Ils rappellent au roi tout ce qu'ils ont souffert depuis l'arrivée du duc d'Albe, sans que jamais la moindre satisfaction ait été accordée à leurs plaintes. La tyrannie qu'on leur a imposée n'est pas seulement cause de la ruine des provinces; c'est elle encore qui a poussé la Hollande et la Zélande à la révolte et y a fait triompher l'hérésie. Il est temps de mettre fin à tous ces maux, et, d'un « unanime consentement », ils se sont décidés à entreprendre eux-mêmes la pacification du pays. Ils protestent devant Dieu qu'ils persévéreront « jusqu'à la mort » dans la religion catholique. Ils affirment qu'ils continueront à voir dans le roi « leur souverain seigneur et prince naturel », et ils feignent de croire qu'il eût soulagé leur misère si on ne la lui avait cachée, et qu'il approuvera leurs résolutions. Mais il faut qu'il « fasse retirer les sol-datz espaignolz de ces païs, veu qu'aultrement n'y a moyen de parvenir à la pacification et repos public » (26). Ainsi, leur obéissance au souverain dépend de la capitulation de celui-ci devant leurs exigences. Ils ne cessent point de se considérer comme ses sujets, mais ils lui font entendre qu'il doit désarmer et les laisser décider de la question que, ni comme monarque, ni comme catholique, il ne peut leur abandonner, c'est-à-dire de la réconciliation de la Hollande et de la Zélande. Ils savent bien d'ailleurs )(fac!jïcciticri de Cjancj^ Harlem O Amsterdam Utrecht Qoriiichein Brl.Ue iPordrprht / Middelburg <; ffe%Mue( que Philippe ne rappellera pas ses troupes et qu'il approuve les mesures prises par Roda. LA FURIE ESPAGNOLE A ANVERS. - Aussi se hâtent-ils de rassembler une armée qui puisse s'opposer à l'armée royale (27). Jetés dans la voie révolutionnaire par le coup d'Etat du 4 septembre, ils sont obligés de s'y avancer plus avant. A mesure qu'ils accentuent leur attitude et se montrent plus décidés à défendre la nation contre l'étranger, le nombre de leurs partisans va croissant. Quantité de membres de la haute noblesse se déclarent pour eux. Le fils du comte d'Egmont, Philippe, accourt à Bruxelles, au milieu de l'allégresse générale, et accepte une charge de colonel. Dès le commencement d'octobre, l'armée des Etats est organisée et ses chefs sont les plus grands seigneurs du pays. Le duc d'Arschot, que l'on arrêtait comme suspect quelques semaines auparavant, y exerce les fonctions de capitaine-général. Sous lui, le comte de Lalaing est lieutenant général, le marquis d'Havré, général de cavalerie, et monsieur de Gongnies, maréchal de camp. A Anvers, le gouverneur de la ville, Champagney, se tourne décidément contre Sancho d'Avila. En Flandre, le comte du Rœulx, gouverneur de la province, appelle à lui les troupes wallonnes des villes frontières, lève seize nouvelles compagnies de soldats et, dès le 16 septembre, investit le « château des Espagnols ». A Utrecht et à Valenciennes, on assiège également les citadelles; Maestricht expulse sa garnison. Bref, partout on prend l'offensive contre l'armée du roi, désemparée et affaiblie par la neutralité qu'observent les régiments allemands et surtout par la défection générale des régiments wallons qui passent, avec leurs officiers, au parti de la Révolution. Du Nord, où il n'y a plus rien à craindre, le prince d'Orange envoie des renforts aux assiégeants du château de Gand; sa flotte remonte l'Escaut et vient croiser devant Anvers. Assaillis de toutes parts, les Espagnols ne peuvent donc compter que sur eux-mêmes. Mais le péril a rétabli la discipline parmi ces vieux soldats. Pas un d'entre eux ne parle de se rendre. Leurs corps éparpillés à travers le pays marchent tous vers Anvers et se rassemblent dans la citadelle sous le commandement de Sancho d'Avila. Les troupes des Etats résolurent de les y bloquer. Elles les croyaient découragés : ils étaient, au contraire, altérés de vengeance et prêts à la bataille. Pour les exciter encore, Roda leur avait promis de faire payer par la ville, dès qu'ils s'en seraient emparés, l'arriéré de leur solde. Le dimanche 4 novembre, en plein midi, décidés à tout et sûrs d'avance de la victoire, ils sortent de leur réduit par trois côtés à la fois. Tout plie devant leur élan. Les soldats des Etats, surpris par la soudaineté du choc, lâchent pied, jettent leurs armes, se précipitent dans les fossés, les franchissent à la Carte des terriloires ayant adhéré . |a Pacification de Gand. nage ou s y engloutissent. Autour de 1 hô- tel de ville, où la résistance tient bon, le feu est mis aux maisons et dévore bientôt le plus beau quartier de la cité. Et au milieu de la fumée de l'incendie, la soldatesque, ivre de son triomphe, se rue au massacre et au pillage. Plus de 7,000 hommes, combattants ou bourgeois, sont mis à mort. On force les entrepôts, les magasins, les habitations privées, les prisons elles-mêmes. La rapine se monte à deux millions d'argent sans compter les joyaux, les meubles, les marchandises que trois semaines plus tard les troupes étaient encore occupées à empiler sur des chariots. CONCLUSION DE LA PACIFICATION. - Cette « furie espagnole » que Roda célébrait, quatre jours plus tard, comme une brillante victoire (28), eut pour résultat de hâter la pacification dont les délégués des Etats généraux traitaient à Gand, depuis le 19 octobre, avec ceux de Hollande et de Zélande. Dès le premier jour, les débats avaient été conduits par les représentants du prince d'Orange. Ils avaient fait admettre comme base des pourparlers leurs propositions de Bréda. Sur le départ des Espagnols, le rétablissement des vieilles coutumes, la conclusion d'une paix durable, tout le monde se trouvait d'accord. Dès le 28 octobre, les commissaires des Etats généraux avaient même pris l'engagement de ne point reconnaître l'autorité de don Juan d'Autriche, dont on savait l'arrivée imminente, tant qu'il n'aurait point juré «tous les poincts et articles de la pacification» (29). En des circonstances moins tragiques, la question religieuse eût soulevé sans doute d'inextricables difficultés. Les calvinistes qui parlaient au nom des provinces du nord exigeaient, en effet, avant de conclure, l'exercice exclusif du culte protestant dans toute l'étendue de celles-ci. Ils étaient arrivés dans la ville accompagnés de quantité de réfugiés portant des bannières sur lesquelles se lisaient les mots : pro fide et patria. Pour eux, au rebours des députés catholiques du Midi, que la cause nationale intéressait exclusivement, le maintien de leur foi primait tout le reste. Ils ne voulurent même point admettre que le catholicisme fût rétabli en Hollande et en Zélande, et « encore que plusieurs le trouvoient assez dur », il fallut passer outre à leurs exigences et se contenter de l'espoir que « de brief le tout sera redressé » (30). Personne n'osa prendre la responsabilité de retarder la conclusion de l'accord. De la salle où ils délibéraient, les négociateurs n'entendaient-ils pas le canon tonner contre le château des Espagnols (31)? Dès le 31 octobre, ils avaient consenti à toutes les propositions de Marnix et de ses collègues. Deux gentilshommes couraient aussitôt à Bruxelles « à cheval desbridé » en porter le texte aux Etats généraux assemblés en permanence à l'hôtel de ville. Quelques catholiques y protestèrent vainement contre les concessions faites aux réformés. Leurs voix furent couvertes par les cris du peuple qui, massé sur la grand'place, terrorisait l'assemblée et menaçait « de massacrer les opposants» (32). La nouvelle des événements d'Anvers, en provoquant un universel sursaut de fureur contre les Espagnols, brusqua le dénouement. Dès le 5 novembre, le Conseil d'Etat approuvait la pacification. Trois jours après, elle était solennellement proclamée à la bretèque de l'hôtel de ville de Gand (33). Elle stipulait une ferme et inviolable « paix, accord et amitié » entre les contractants, qui s'engageaient à employer « corps et biens » pour s'assister les uns les autres et « signament pour expulser les soldats espagnols et autres étrangers et forains s'estant efforcés d'appliquer à eulx les richesses du pays et au surplus renger et tenir la commune en perpétuelle servitude »• Cela fait, les Etats généraux, convoqués en assemblée plénière, mettront ordre aux affaires du pays et s'occuperont spécialement de régler l'exercice de la religion en Hollande et en Zélande. Il est entendu que ces provinces ne pourront rien entreprendre contre le catholicisme en dehors de leurs frontières, ni y « scandaliser personne de faict ni de paroles à paine d'estre punis comme perturbateurs du repos publicq ». Jusqu'à l'avis des Etats généraux, et afin « que personne ne soit légièrement exposé à quelque reprinse, capture ou danger », les placards sur l'hérésie et les ordonnances criminelles du duc d'Albe sont suspendus. La situation du prince d'Orange comme gouverneur de Hollande et de Zélande demeure intacte, et ces deux territoires continuent à former une communauté politique spéciale se régissant elle-même. Tous les prisonniers sont (Gand, Abbaye de Saint-Bavon.) (Cliché A.C.L.) Tombes de soldats espagnols mises à jour lors de fouilles récentes dans la cour intérieure de l'abbaye de Saint-Bavon. Depuis la révolte de Gand et la constitution dite Caroline 1540 (voyez p. 82 et 84). Charles-Quint avait fait édifier une citadelle sur l'emplacement de l'abbaye Saint-Bavon. élargis, tous les condamnés politiques rentrent dans leurs biens « en tel estât que lesdits biens sont présentement », et tous les actes relatifs aux confiscations prononcées depuis 1566 sont «cassez, révoquez, extaints, annulez et royez ès registres ». Quant aux immeubles vendus et aliénés, une commission sera chargée d'en indemniser les anciens propriétaires. Exception est faite toutefois pour les biens ecclésiastiques situés en Hollande et en Zélande, dont les ex-possesseurs n'auront droit qu'à une pension alimentaire, « le tout par provision et jusques à ce que sur leurs ultérieures prétentions soit ordonné par les Etats généraux ». C'est encore à leur « discrétion et détermination » que l'on s'en remet pour établir le cours des monnaies de façon que les deux provinces du Nord, où il a fallu pendant la guerre hausser la valeur de toutes les espèces, n'aient point à en souffrir; et c'est eux enfin qui examineront s'il convient que « la généralité de tous les Pays-Bas » prenne à sa charge les dettes contractées par le prince d'Orange lors de ses campagnes de 1560 et de 1572. CARACTERE DE LA PACIFICATION. - Tels sont les points principaux du traité célèbre que l'on désigna depuis lors sous le nom de Pacification de Gand. Ils trahissent tout à la fois la hâte' et l'embarras des négociateurs. En réalité, ils ne constituent qu'un arrangement provisoire, qu'un expédient permettant de conclure une paix unanimement désirée et de délivrer le pays du joug étranger. Le programme des vieilles revendications nationales s'y exprime sans réserves, ainsi que la volonté bien arrêtée de les faire triompher par la force. A ce point de vue, la Pacification se rattache au grand privilège extorqué à Marie de Bourgogne en 1477 (34) et ses défenseurs ne manqueront pas d'invoquer plus tard cette analogie. Dans un cas comme dans l'autre, en effet, le pays s'oppose au souverain et lui dicte ses conditions. La seule différence, mais elle est essentielle, c'est que le privilège de 1477 détruit l'Etat au profit des autonomies provinciales, tandis qu'en 1576 on cherche visiblement à tout subordonner au bien de la « commune patrie ». A vrai dire, on n'y réussit pas entièrement. Il a fallu reconnaître à la Hollande et à la Zélande une situation exceptionnelle. Elles occupent une place à part dans la « généralité », puisqu'elles conservent leur gouvernement spécial et un système monétaire indépendant. Mais surtout, et c'est ici le point faible de la Pacification, elles rendent impossible une solution définitive de la question religieuse. En somme, on a dû se contenter d'une cote mal taillée, d'une transaction provisoire qui ne satisfait ni les catholiques ni les calvinistes. Les premiers ne souffrent qu'à contre-cœur la domination exclusive du culte réformé dans les provinces du Nord; les seconds regardent comme intolérable de ne pouvoir professer publiquement leur foi en dehors de leurs frontières. Evidemment, le conflit religieux qui depuis dix ans pèse sur la vie nationale subsiste dans toute sa gravité après la Pacification comme avant elle. Au lieu de le résoudre, on s'est borné à remettre l'angoissant problème à la discrétion des Etats généraux. Mais les deux partis comptent bien, le moment venu, y faire triompher leurs désirs. L'un et l'autre persistent dans leur intransigeance. Leur haine commune des Espagnols et leurs communes aspirations vers un régime politique national les ont rapprochés momentanément. Il n'empêche qu'envisagé au point de vue confessionnel, le traité de Gand n'est pas du tout une paix, mais tout au plus une trêve de religion. Le prince d'Orange ne l'a bien certainement accepté que faute de mieux. Toutes ses idées et toute sa conduite attestent qu'il eût voulu une tolérance réciproque et non un simple modus vivendi entre deux ex-clusivismes également étroits. Mais il savait ses préférences personnelles irréalisables : il se contenta du possible. Il y trouvait d'ailleurs assez de motifs de se réjouir. En fait, la Pacification ralliait tous les Pays-Bas à sa cause. Ce n'était plus seulement deux provinces, c'était la « généralité » tout entière qui prenait son parti contre le roi. Il arrivait au but qu'il visait depuis si longtemps. Il devenait le chef de l'opposition nationale, le champion, en face de l'Espagne, de la « commune patrie ». Jusque-là simple stadhouder révolutionnaire de la Hollande et de la Zélande, sa situation équivalait maintenant à celle d'un véritable gouverneur révolutionnaire des dix-sept provinces. Et en même temps sa popularité devenait formidable. Les pauvres gens qui voyaient dans le traité de Gand la fin de leurs misères saluaient avec enthousiasme le prince qui l'avait fait conclure. Plus ils avaient souffert, plus ils l'acclamaient comme un sauveur. Grâce à eux, il allait pouvoir tenir tête à don Juan d'Autriche. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) La furie espagnole à Anvers (4 novembre 1576). Médaille anonyme contemporaine. Bronze. Diamètre : 115 mm. 11!:1! Il II llM J HISTOIRE DE BELGIQUE NOTES 139. 152. (1) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 220. (2) Ibid., p. 97. (3) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p. (4) Ibid., p. 140. (5) Ibid., p. 25. (6) Ibid., t. IV, p. 77. (7) Ibid., t. IV, p. 87 et suiv. (8) Gachard ,Correspondance de Philippe II, t. IV, p. (9) Ibid., t. IV, p. 39. (10) Ibid., t. IV, p. 41 et suiv. (11) Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. I, p. 438 (Bruxelles, 1845). (12) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p. 352. (13) Ibid., t. IV, p. 315. (14) Ibid., p. 333. (15) Pour ces doctrines, voy. A. Elkan, Die Publizistik der Bartholom'dus Nacht und Mornays Vindiciae contra tyrannos (Heidelberg, 1905). (16) Gachard, Actes des Etats généraux, t. II, p. 230. (17) Je résume ici le discours de Junius à Champagney en 1574, dans P. Bor, Nederlandsche Oorlogen, t. VII, fol. 45 vo (Amsterdam, 1621). Voy. aussi le mémoire du prince d'Orange à Elisabeth en 1573. Kervyn de Lettenhove, Relations politiques des Pays-Bas et de l'Angleterre, t. III, p. 175. Cf. Ritter, Deutsche Geschichte, t. I, p. 489 (Stuttgart, 1889). (18) Œuvres de Philippe de Marnix. Correspondances et Mélanges, p. 200 (Bruxelles, 1860). (19) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. V, p. 358, et le Mémoire de Metsius, évêque de Bois-le-Duc, Ibid., t. IV, p. 748. (20) Pontus Payen, Mémoires, t. II, p. 113 (Bruxelles, 1860). A Gand, d'après van Campene, le prince passe pour bon catholique. (21) M. Ritter, Wilhelm von Oranien und die Genter Pacification. Deutsche Zeit-schrift fur Geschichtswissenschaft, t. III [1890], p. 28 et suiv. (22) Metsius, Mémoire, p. 750. (23) Histoire de Belgique, t. III (3° édit.), p. 46. (24) Ibid., p. 197. (25) Gachard. Actes des Etats généraux, t. I, p. 20. (26) Gachard, La Bibliothèque Nationale, t. I, p. 146. Une seconde lettre conçue en termes beaucoup plus énergiques et vraiment insultants [Ibid., p. 151) ne peut être, à mon avis, qu'un projet qui ne fut pas envoyé au roi. Elle ne porte d'ailleurs aucune date. (27) N. Japikse, Resolutiën der Staten-Generaat van 1576 tôt 1609, t. I, p. 82 et suiv. (La Haye, 1915). (28) Gachard, Correspondance de Philippe II. t. V, p. 19. (29) Bullet. de la Commission royale d'Histoire, 4» série, t. III [1876], p. 102. (30) Ibid., p. 121. (31) On appelait ainsi la forteresse construite par Charles-Quint après la révolte de Gand en 1546, pour maintenir la ville dans l'obéissance. (32) Metsius, Mémoire, pp. 769, 770. (33) Placcaeten van Brabant, t. I, p. 536. (34) Histoire de Belgique, t. III (3® édition), p. 9. CHAPITRE IV DON JUAN (Delft, Prinsenhof.) (Cliché Oppenheim.) Scène allégorique de la révolte des Pays-Bas contre Philippe II. Tandis que Guillaume d'Orange et le lion de Hollande défendent la pucelle hollandaise contre les attaques d'Albe et de Requesens, Don Juan, debout près de la grille du jardin, assiste au combat dans une attitude d'expectative. Bas-relief de forme circulaire; terre cuite exécutée vers 1580. Dimensions : 41x51 cm. fA MISSION DE DON JUAN. - Le 3 novembre 1576, dans la soirée, deux cavaliers couverts de poussière arrivaient à Luxembourg. Le premier était un seigneur espagnol, Octavio Gonzaga; sous la livrée de l'autre, vêtu en domestique, se déguisait le nouveau gouverneur des Pays-Bas qui, à travers la France, arrivait de Madrid à franc étrier. Don Juan d'Autriche était le fruit du caprice de Charles-Quint, vieillissant et morose, pour une belle fille, Barbara Blomberg, remarquée en 1546 à Ratisbonne, pendant la diète (1). Il naquit après le départ de l'empereur, le 24 février 1547. Depuis lors, si Charles ne s'était plus soucié de la mère, il veilla de loin sur ce dernier fils. Il l'avait confié tout d'abord à son fidèle valet de chambre, Adrien Dubois, qui se fit passer pour le père de l'enfant. Puis en 1550, il lui ordonna de le remettre à un violoniste de la chapelle impériale, Francisco Massi. Celui-ci l'emporta en Espagne et le garda dans sa maison jusqu'au jour où Juan fut placé, à l'âge de sept ans, sous la direction d'une dame renommée pour sa vertu, dona Magdalena de Ulloa, qui, bien que le prenant pour un bâtard de son mari, l'entoura d'une sollicitude maternelle. Le mystère ne se dissipa qu'après l'ouverture du testament de l'empereur. Philippe II fit alors venir son frère à la cour, où il fut élevé avec don Carlos et Alexandre Farnèse. Il n'avait que vingt-quatre ans lorsque la victoire de Lépante l'illustra d'un éclat qui devait rester attaché à son Léo Belgicus : Les XVII provinces des Pays-Bas. La première représentation des XVII provinces sous forme d'un lion est l'œuvre de François Hogenberg (sur cet artiste, voyez la notice de la page 250). Gravure en frontispice extraite de M. Aitsinger : De leone Bclgico... Cologne, G. Campensis, 1583, petit in-folio. nom à travers les siècles. Ce jeune héros blond, avec des yeux bleus, aussi brave qu'élégant, célèbre pour ses avan-tures amoureuses, séduisant par ses manières et l'heureuse souplesse de son intelligence, eût été le plus aimable des princes si l'on n'eût redouté l'ambition effrénée dont il était dévoré. Philippe II ne ménageait pas ses soupçons coutu-miers à un frère si brillant et si avide de gloire. Déjà en 1574, il avait repoussé les propositions de Requésens et de Hopperus qui lui conseillaient de l'envoyer dans les Pays-Bas. Il fallut toute la gravité des événements de 1576 pour qu'il se résignât à changer d'avis. Il savait bien qu'un don Juan n'accepterait pas de n'être que l'exécuteur de ses volontés. Mais la nécessité vainquit sa répugnance. Les ministres ne lui disaient-ils pas d'ailleurs que la présence d'un prince du sang au milieu de ses sujets du Nord apaiserait le mécontentement ? Il put constater bientôt que ses hésitations étaient justifiées. Au lieu de partir sur-le-champ pour les provinces, don Juan posa des conditions. Il n'entendait point s'user dans une guerre obscure contre un peuple de bourgeois et de marchands. Il aspirait à une couronne et, s'il consentait à aller dans les Pays-Bas, c'était, la révolte domptée, pour tourner ses armes contre l'Angleterre, détrôner Elisabeth et épouser Marie Stuart (2). Malgré les ordres du roi, il ne se mit point en route avant d'être venu lui-même à Madrid et d'avoir obtenu satisfaction. Philippe lui promit tout ce qu'il voulut. Plus le temps pressait, plus les nouvelles des provinces révélaient le péril croissant des affaires, et plus il s'abandonnait à l'espoir que don Juan seul, le héros de sa maison, pouvait empêcher une catastrophe. Dans des instructions minutieusement élaborées, il lui trace un plan de conduite et lui explique longuement en quoi consistent les « vrais remèdes » qu'il aura à appliquer. Il s'efforce de tout prévoir et retouche sans cesse son oeuvre. Son frère est déjà en chemin, qu'il lance derrière lui, anxieusement, des dépêches pleines de recommandations supplémentaires.. . Reconnaissant enfin l'éclatant échec de sa politique, il se résigne aux concessions indispensables. A condition de (Bruxelles. Bibliothèque Royale, ms 15662 fol. 38 r°.) (Cliché Bijtebier.) Drapeaux des troupes écossaises qui combattirent contre Don Juan à la bataille de Rymenam (1er août 1578). Dessin colorié extrait d'un manuscrit contenant les poésies de Guillaume de Gortter. Né à Malines en 1586, Guillaume de Gortter, « facteur », c'est-à-dire poète attitré de la chambre de rhétorique Saint-Jean de sa ville natale, est l'auteur de ballades, sonnets, chansons et chronogrammes rassemblés dans un manuscrit de 115 folios. Ces poésies, composées entre 1603 et 1618, sont illustrées de cinquante-cinq dessina coloriés représentant des guerriers de l'époque des troubles. maintenir intacte la religion catholique et de sauvegarder l'obéissance «autant qu'il sera possible» (3), il capitule sur tout le reste. Il consent à supprimer toutes les nouveautés introduites depuis l'arrivée du duc d'Albe, à rétablir le gouvernement dans l'état où il se trouvait sous Charles-Quint, à laisser l'administration aux indigènes, à rappeler même ses troupes s'il le faut. Et comme toujours, mêlant le détail à l'essentiel, il recommande à son frère d'avoir bien soin, pour se concilier les gens du pays, de parler français, de remplacer son titre espagnol de Don par celui de Messire et, enfin, de ne pas prendre ses maîtresses dans les familles principales! (4). Bref, ce qu'il attend du vainqueur de Lépante, c'est une mission d'ange de la paix, une attitude modeste et conciliante, presque un rôle de souffre-douleur. Il ne songe pas que, dès le premier jour, l'orgueil et l'ambition de don Juan l'empêcheront d'obéir. Dans les circonstances présentes, le choix d'un tel homme était aussi mauvais que possible et Granvelle l'avait vainement déconseillé. Il ne fallait même pas compter que la gloire militaire du nouveau gouverneur en imposerait à une nation de sens rassis et pratique. Si le sang de Charles-Quint coulait dans ses veines, on n'ignorait pas qu'il était bâtard. Sa mère vivait précisément à Bruxelles et attirait sur elle l'attention par une conduite bruyamment scandaleuse, par le nombre et l'espèce de ses amants. Tandis que don Juan traversait la France à bride abattue, les négociateurs de la Pacification se hâtaient d'achever leur œuvre avant son arrivée. L'accord était complet entre eux lorsqu'il parvint à Luxembourg. Désormais, pour se faire accepter par le pays, il se trouvait devant l'alternative ou de ratifier le traité de Gand ou de recourir aux armes et de s'imposer par la force. Dans un cas comme dans l'autre, il s'écartait des instructions du roi, puisqu'il lui était recommandé tout ensemble de ne pas tolérer l'hérésie et d'éviter la guerre. Sa situation était donc singulièrement difficile. Elle l'était d'autant plus que l'armée nationale continuait les hostilités contre les troupes espagnoles. Enfin, le prince d'Orange et ses émissaires exhortaient les Etats généraux à se méfier du gouverneur. Ils suppliaient leur « sainte assemblée » de se rappeler « que ce que vous traictez et négociez maintenant n'est poinct un faict particulier vostre, mais qu'il y a une infinité de nobles, bons bourgeois et peuple quy, ne pouvant tous y estre présens, vous ont choisy et remys leurs vyes entre voz mains, sur la confidence qu'ils ont en vous que irez en toutte intégrité pour maintenir la liberté de vostre commune patrie, et les garantir (comme gardes et protecteurs d'icelle que vous estes) de toute l'oppression et tyrannye plus que barbare jusques à présent endurée et soufferte» (5). Don Juan s'était mis tout de suite à la besogne. Dès le lendemain de son arrivée, il adressait au Conseil d'Etat, la seule autorité qu'il tînt pour légitime, une lettre autographe et débordant de sentiments de conciliation (6). Il s'excusait d'employer l'espagnol, mais s'il parlait le français, disait-il, il ne savait pas ii. . A (Madrid, Musée du Prado.) encore 1 ecrire, et il n avait pas voulu perdre un temps pré- Don Juan d'Autriche (1545-1578) r r gouverneur des rays cieux à se procurer un secré- PortraiI peint par Alonso taire. Il réclamait le concours des membres du Conseil, leur affirmait qu'il était prêt à « leur complaire en toutes leurs demandes et prétentions qui soient justes, son principal désir étant même de soutenir celles-ci ». Il demandait donc qu'on lui envoyât le plus tôt possible des délégués et déposât les armes, s'engageant à ordonner de son côté aux gens de guerre espagnols d'arrêter leurs mouvements. PREMIERS DISSENTIMENTS. - La réponse qu'il reçut deux jours plus tard dissipa ses illusions, s'il en avait. Elle lui montrait, en effet, que le Conseil d'Etat se soli- darisait avec les Etats généraux, puisqu'il envoyait de concert avec eux le seigneur d'Yssche pour le congratuler Mais surtout, elle lui faisait nettement entendre qu'avant le départ des Espagnols, il ne fallait espérer ni le licenciement de l'armée nationale, ni même la conclusion d'un accord. C'était lui proposer, en somme, de renvoyer ses forces, tandis que le pays conserverait les siennes. Il le comprit sans peine et le ressentit comme une injure. Le 7 novembre, il se plaignait « de la froideur et du peu d'égards qu'on lui montrait» (7). Il s'indignait de ne pas voir la haute noblesse lui apporter ses hommages. Dès le 17, il avertit le roi qu'il faudra en venir à une rupture et lui demande des hommes et de l'argent ! Ce qui l'exaspère surtout, c'est d'apprendre que l'armée des Etats ne cesse de harceler les troupes espagnoles, auxquelles il a ordonné de s'abstenir de toute agression. Mais ses remontrances provoquent invariablement la même réplique : point d'entente avant la retraite des étrangers. Aussi, tout en continuant à négocier, la rage dans le cœur, se met-il secrètement en rapport avec Roda. Il peut d'autant moins abandonner les soldats du roi, qu'il s'attend à devoir sous peu recourir à leurs services et il se concerte avec leurs chefs sur les mesures à prendre. L'interception de lettres qu'il leur adresse achève, à la fin de novembre, de lui aliéner les esprits. Le Conseil d'Etat lui-même perd toute retenue. Il lui signifie insolemment « qu'ilz ne sont si enfans ny si simples par deçà qu'ilz se laissent mener par le nez comme buffles, quoique les Espagnolz en pensent et présument... se persuadans les Etats que par cecy Vostre Altèze les veult endormir et , fils illégitime de Charles-Quint, qu'elle attend arqent pour ■Bas de 1576 à 1578. 4 , „ , ■ * u 1- sanchez Coe,.o (.531-.588), conforter ceulx qui ont brusle, pillé et massacré partout, vio-lans tous droictz, loix et justices, ce qu'ilz ont opinion que Dieu, à la fin, ne voudra plus permettre » (8). Pourtant, les négociations continuent, et don Juan, depuis le commencement de décembre, y apporte même plus de condescendance. C'est que son confident Escovedo vient d'arriver de Madrid et lui a annoncé que le roi permet que les troupes espagnoles soient employées contre l'Angleterre. Cette nouvelle a ranimé toute son ambition. La paix lui apparaît maintenant comme indispensable à l'accomplissement de ses rêves, puisqu'elle lui donnera une armée pour délivrer Marie Stuart et conquérir la couronne d'Angle- terre. Il se montre désormais plus disposé à accepter la Pacification de Gand. Aussi bien les évêques et les théologiens de Louvain affirment-ils qu'il peut l'approuver en toute tranquillité de conscience (9). Du côté des Etats aussi, les circonstances deviennent plus favorables à un arrangement. On commence à s'apercevoir que le prince d'Orange ne veut pas d'accord avec Philippe II, même moyennant la ratification du traité de Gand. Sollicité par lui de prendre la défense des provinces, le frère du roi de France, François, duc d'Anjou (10), envoie à Bruxelles son chambellan, Bonivet, et tâche d'obtenir une déclaration des Etats généraux en sa faveur. Mais ceux-ci n'entendent point abandonner leur souverain légitime. Ils continuent à se reconnaître comme ses vassaux. La seule chose qu'ils exigent de lui, c'est qu'il accepte leurs conditions. Orange constate avec dépit « qu'il se dessiner deux partis : l'un décidé avant tout à maintenir l'exercice exclusif du culte catholique, aspire à une réconciliation avec le roi; l'autre sacrifiant la question religieuse à la question politique, marche d'accord avec Orange et ne recule pas devant l'idée de secouer la suzeraineté de Philippe II. Le premier recrute surtout ses adhérents parmi le clergé, la noblesse et la haute bourgeoisie; il domine à l'assemblée des Etats. L'autre, moins nombreux parmi les représentants des provinces, attire à lui les avocats, les lettrés, les lecteurs des monarchomaques et, surtout, le petit peuple que l'horreur du régime espagnol, dont il a tant souffert, porte aux résolutions extrêmes. Tiraillés entre ces deux tendances, les Etats généraux commencent à flotter et à perdre leur assurance des premiers jours. On peut craindre que le faisceau des provinces ne se dénoue. Il importe, pour le resserrer, de tranquilliser la majorité des ....s,». •« -l"» •■•■< (La Haye, Archives Générales du Royaume, Etats généraux, Secrete Kas, Lopende, 1.) Texte original de l'Union de Bruxelles (9 janvier 1577). Les contractants s'engagent à s'assister contre l'oppression des Espaignolz, plus que barbare et tyrannicque... à paine d'estre dégradez de noblesse, de nom, d'armes et d'honneur, tenuz pour perjures, desléaux et ennemiz de nostre patrie devant Dieu et tous les hommes et encourir note d'infamie et lâcheté à jamais » ; mais ils maintiendront « nostre saincte foy et religion catholicque, apostolicque et romaine... et la deue obéissance à Sa Majesté ». Le texte est signé par les députés des Etats de Brabant et de Gueldre (signatures visibles sur la photo), de Flandre, d'Artois, de Hainaut, de Lille-Douai-Orchies, de Hollande et de Zélande, de Namur, de Tournai et du Tour- naisis, d'Utrecht, de Malines, des villes de la Frise et de la Flandre Occidentale. n'y a pas apparence de les tirer à son opinion, si ce n'est à la dérobée» (11). Ses agents s'y emploient avec zèle. De concert avec Bonivet, Marnix, Liesvelt, Bloyere travaillent les députés des provinces, les « nations », la populace de Bruxelles. Les calvinistes qui, grâce à la Pacification, ont quitté la Hollande et la Zélande et sont rentrés dans la ville, font chorus avec eux. L'UNION DE BRUXELLES. - S'ils gagnent bon nombre de partisans, leur attitude, en revanche, effraie les catholiques et les loyalistes. Le Conseil d'Etat s'inquiète visiblement. Au sein des Etats généraux commencent à catholiques et d'affaiblir en même temps l'influence croissante d'Orange. Aussi bien, les seigneurs ne la tolèrent-ils qu'avec impatience. La popularité du prince, son ingérence constante dans les affaires de la généralité leur portent ombrage. Il ne l'ignore point d'ailleurs, et il n'ose encore quitter son réduit de Hollande « pour entreprendre la conduite des affaires encore si crues aux autres provinces » (12). Evidemment, il ne manque point de gens qui ne lui pardonnent pas d'avoir dirigé les négociations de Gand. Le 9 janvier 1577, ils prennent leur revanche par l'Union de Bruxelles (13). En apparence, cette union n'est qu'un corollaire de la "ï. exaltant w C___ rT ■ ' Su A ■ -.i .Mf ■ iê IV 1 :iv ,0. % f mm .vu... vw,ta*/* ^ - -, t „ & > - I / / ^ ^ (J., F';„ ? -r -l.-.W •CCKtlf r. -1.-:' L ,TM'- __ Pacification. Elle proclame plus énergiquement encore la résolution unanime de ses contractants de s'assister les uns les autres contre « l'oppression des Espaignolz, plus que barbare et tyrannicque... à paine d'estre dégradez de noblesse, de nom, d'armes et d'honneur, tenuz pour perjures, desléaux et ennemiz de nostre patrie devant Dieu et tous les hommes et encourir note d'infamie et lâcheté à jamais ». Mais elle déclare en même temps qu'elle maintiendra « nostre saincte foy et religion catholicque, aposto-licque et romaine... et la deue obéissance à Sa Majesté». Elle est donc tout ensemble une alliance nationale et une alliance catholique. Ses promoteurs, les comtes de Boussu et de Lalaing, le marquis d'Havré, le vicomte de Gand, Champagney, Hèze, sont aussi décidés à résister aux Espagnols que résolus à ne point tolérer l'extension du calvinisme et à se réconcilier avec le roi dès qu'il aura retiré ses troupes. L'Union de Bruxelles se réfère à la Pacification de Gand, mais elle ne s'y réfère qu'en l'interprétant dans un sens strictement catholique... Toutefois, elle s'opposait si nettement à l'étranger que la Hollande et la Zélande elles-mêmes y donnèrent leur approbation, tout en protestant qu'elles n'entendaient point déroger par là aux clauses de la Pacification en matière religieuse. On pouvait prévoir, dès lors, que catholiques et protestants, d'accord pour invoquer le traité de Gand, ne tarderaient pas à en tirer des conséquences opposées. En attendant, l'Union de Bruxelles affirmait solennellement que le pays était plus décidé que jamais à exiger le départ des Espagnols. Il fallut en passer par où il voulait. De longues et difficiles négociations, dans lesquelles s'entremirent l'évêque de Liège, Gérard de Groesbeek, et des délégués de l'empereur, aboutirent finalement à un traité nmmtfrfmi t~ -"T M ' Athmt bcYéint) 10 ' aifO^V--ijjjarc£<~>ây^faMpur' -f\ c-*w/t^ f rt ÏT> Ci'/i m C. cmnj cfiij tuante' (. m p iV tu E_ / ail " ■'OHHf x^ /1" (La H ave, Archives Générales du Royaume, Loket E.) Etats généraux, Secrete Kas, Lopende, (Namur, Archives de l'Etat, bureau du conservateur.) (Cliché Pichonnier.) La ville de Namur en 1575. Dominant la ville, le pont de Jambes et le cours de la Meuse, le château des comtes et la collégiale Saint-Pierre. A l'intérieur et aux extrémités de l'enceinte, on reconnaît les tours du beffroi, de la cathédrale Saint-Aubain et des églises Saint-Jean-Baptiste et Saint-Jean-l'Evangéliste, la porte Saint-Nicolas, la porte de Samson (la porte de Fer) et la porte en Trieux (porte de Namur). A favant-plan, petit Herbatte, la porte et l'église Saint-Nicolas et l'hôpital Saint-Roc. Au-dessus, les armes de Philippe II et du comté de Namur. L'auteur de cette gravure est Arnould Mazius, professeur de théologie et chanoine du chapitre de Saint-Aubain. La même gravure est reproduite par G. Braun et F. Hogenberg. Civitates orbis terrarum (Cologne, 1572-1618, 6 livres en 3 volumes in-folio), livre 2, planche 20. Signature autographe de Don Juan au bas de l'Edit perpétuel de Marche-en-Famenne (12 février 1577). que don Juan signa à Marche, le 12 février, et qui porte le nom d'Edit perpétuel. Après avoir ratifié les clauses de la Pacification de Gand, il disposait que les soldats espagnols évacueraient les provinces dans les vingt jours, les autres troupes étrangères, dès qu'elles auraient été payées. Le maintien des privilèges était garanti. Le comte de Buren, fils du prince d'Orange, envoyé en Espagne par le duc d'Albe, serait mis en liberté dès que son père aurait satisfait aux conditions que lui imposeraient les Etats. Le nouveau gouverneur ne serait pas reconnu avant le départ des troupes étrangères. De leur côté, les Etats s'obligeaient à fournir 600,000 livres pour la solde de celles-ci, à licencier leur armée et à « maintenir en toutes choses et partout » la religion catholique et l'obéissance due au roi (14). Mais, dans l'espoir d'amener les rebelles du Nord à consentir à cette paix, il avait fallu promettre que les Espagnols quitteraient le pays par la voie de terre. La Hollande et la Zélande, en effet, craignant d'être attaquées par eux, refusaient obstinément de les laisser passer à travers leur 1 PANNES AVSTPJACVS CAR V.F.PHI.H.CAT.NO APVD BELG.GVB.E.T CAPIT. GENERAL. territoire. Dès lors, les projets de don Juan sur l'Angleterre s'en allaient en fumée. Philippe II avait beau lui promettre qu'une nouvelle occasion se présenterait bientôt, il était désespéré et comme fou; « tout n'était plus pour lui que dégoût et mort» (15). L'idée de rester dans les Pays-Bas, de continuer à devoir se contenir devant des gens qui venaient de traiter avec lui d'égal à égal et qu'il méprisait et haïssait tout ensemble, l'emplissait d'une insurmontable horreur. Il suppliait le roi de le rappeler, de le remplacer par Madame de Lorraine ou par Madame de Parme. Il lui offrait de conduire ses soldats au secours du roi de France contre les protestants. Devant ses confidents, il se livrait aux pires extravagances, parlant d'aller à Madrid pour se faire reconnaître infant et s'emparer du gouvernement. Cependant, il accomplissait ponctuellement les clauses du traité de Marche. L'armée royale pliait bagage. A la fin du mois d'avril, elle était en route pour l'Italie. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Don Juan. Gravure de Christophe I Van Sichem. (Amsterdam, 1546-1624). L'EDIT PERPETUEL DE MARCHE. - Pourtant, le pays ne manifestait aucune joie. « Jamais on n'avait vu si peu de contentement pour une paix» (16). Les Oran-gistes ne dissimulaient pas leur exaspération. Le jour où les Etats généraux avaient approuvé l'Edit perpétuel, ils avaient quitté l'assemblée en masse, déclarant que l'on ne pouvait pas traiter sans l'assentiment du prince (17). Et il est vrai que l'alliance si solennellement établie entre les provinces par la Pacification de Gand et l'Union de Bruxelles semblait subordonner la conclusion d'un accord à leur consentement unanime. Or, ni la Hollande ni la Zélande n'avaient été consultées. Il était certain à l'avance qu'elles refuseraient leur adhésion. Car si l'Edit perpétuel ratifiait la Pacification, il se mettait d'autre part en opposition avec elle par la promesse des Etats de « maintenir en toutes choses et partout la religion catholique ». Comment les calvinistes eussent-ils pu se rallier à un texte qui prohibait aussi formellement l'exercice de leur culte ? L'avenir apparaissait donc plein d'incertitudes et gros de nouveaux conflits. La réconciliation avec le roi remettait au premier plan cette inextricable question religieuse que les négociateurs de Gand avaient si prudemment écartée. On était à peine sorti d'une guerre qui avait ravagé le pays, détruit son commerce et son industrie, fermé l'Escaut, ruiné Anvers, poussé le peuple au désespoir; on venait d'acclamer six mois auparavant, une Pacification définitive, de proclamer l'oubli du passé, de reconstituer la patrie commune, de saluer le retour de la concorde et l'espoir d'une ère nouvelle de labeur paisible et de restauration matérielle, et tout cela pour aboutir bientôt sans doute à de nouveaux déchirements ! Les protestants revenus dans le pays envisageaient avec rage l'éventualité menaçante d'un second exil. Parmi les catholiques eux-mêmes, beaucoup s'épouvantaient maintenant de ce que l'on venait de faire. DON JUAN GOUVERNEUR. - Néanmoins, il fallait se résigner au fait accompli. Le 3 mars, don Juan s'établissait à Louvain et mettait en jeu, pour se concilier l'opinion, toutes les séductions de sa nature. Il se montrait charmant, plein de courtoisie et de confiance. « Il surpasse Circé; nul ne vient par devers luy qui ne soit transformé à sa dévotion» (18). On le voyait assister aux fêtes populaires, tirer le papegay, distribuer des pains aux pauvres, boire de la bière sans faire la grimace. Il affectait même de se détourner des Espagnols, et avait bien soin de ne parler que son mauvais français. Il fut enfin reçu en grande pompe à Bruxelles, le 12 mai 1577, avec l'accompagnement obligé de feux de joie, d'arcs de triomphe et de tableaux vivants. Mais ces réjouissances officielles contrastaient avec le malaise et l'inquiétude de la po- pulation. Le 3 mai, les Etats généraux n'avaient reconnu le gouverneur, après une séance orageuse, qu'à une voix de majorité (19). La haute noblesse, que les derniers événements avaient ramenée aux affaires, ne lui cédait la place qu'avec dépit. Le comte de Lalaing se retire dans son gouvernement du Hainaut. Champagney est visiblement hostile. Tous lui reprochent de se cacher d'eux, de ne témoigner de confiance qu'à des royalistes avérés tels que Berlaymont, Meghen et Assonleville, d'avoir un « arrière-conseil » de confidents espagnols auxquels il soumet secrètement toutes les affaires. On interprète mal ses moindres démarches. Il faudrait évidemment pour se faire tolérer qu'il consentît à n'être qu'un instrument dans la main des seigneurs. « Il ne leur suffit pas, écrit Gonzaga, que nous les honorions, que nous ne nous mêlions de rien, que nous nous soumettions à ce qui leur plaît de faire, comme si nous étions des charançons et eux des rois» (20). Si telles sont les dispositions de la noblesse, on devine facilement ce que doivent être celles du peuple. Travaillé depuis longtemps par les émissaires d'Orange et d'Anjou qui emplissent Bruxelles et l'inondent de pasquilles et de chansons frondeuses, il devient de plus en plus nerveux, irritable, soupçonneux. La mise en liberté, conformément à l'Edit de Marche, des prisonniers espagnols, la présence d'autres Espagnols parmi les conseillers et les domestiques de don Juan lui paraissent trahir d'abominables machinations. Sous le nom de « bourgeois bons patriotes », les plus hardis des mécontents se plaignent publiquement au comte de Lalaing et aux Etats généraux de prétendues violations de la Pacification. Au sein même des Etats, de nombreux députés soutiennent des propositions exorbitantes. Ils ne se contentent plus d'exiger le retour aux pratiques du gouvernement de Charles-Quint et de Marie de Hongrie. Remontant au grand privilège de 1477, ils veulent que les Etats aient désormais le droit de se réunir deux fois par an et que le roi ne puisse, sans leur avis, déclarer la guerre ou conclure la paix (21). Encore si les négociations entreprises par don Juan avec le prince d'Orange présentaient quelque espoir d'aboutir ! Mais, dès le premier jour, on voit clairement qu'on ne s'entendra pas. Les conférences ouvertes à Geertruidenberg le 20 mai ne se prolongent que pour la forme, personne n'osant assumer la responsabilité d'une rupture. Il est trop évident que le prince ne peut abandonner les calvinistes de Hollande et de Zélande. Visiblement, il escompte le mécontentement général du pays, l'appui qu'Elisabeth, au courant des projets de don Juan sur l'Angleterre, lui accorde de nouveau; enfin, les relations qu'il continue à entretenir avec le duc d'Anjou. A mesure que le temps passe, ses chances augmentent. Ses agents, en face du gouverneur désarmé, montrent une audace de plus en plus grande. Déjà les cal- Bouclier donné par le pape Pie V à Don Juan après la victoire de Lépante. L'original, très mutilé, se trouve à l'Armeria Real de Madrid. G.Sensi a pu le reconstituer dans son état primitif grâce aux empreintes laissées par les lettres de l'encadrement et par le crucifix. Comme l'original, la reconstitution porte deux traces de balle. Dessin extrait d'A. Jubinal : La Armeria Real ou collection des principales pièces du Musée d'artillerie de Madrid, planche 16. Paris, s.d., in-folio. vinistes ne craignent plus d'agir. Des ministres commencent à tenir des prêches dans les provinces du sud. Et malgré ce retour offensif de l'hérésie, les catholiques, non seulement persistent dans leur hostilité à l'Espagne, mais l'accentuent encore. Champagney parle avec tant d'arrogance que don Juan conseille au roi de le faire assassiner ainsi que d'autres « qui favorisent ses mauvais desseins ». Il se voit entouré d'ennemis; ses domestiques ne peuvent sortir sans qu'on les insulte. A Bruxelles, dont Hèze est gouverneur, et où les compagnies bourgeoises montent la garde avec tambours et drapeaux comme en temps de guerre, il se tient pour prisonnier. On lui rapporte que le prince d'Orange complote de s'emparer de sa personne. RETRAITE DE DON JUAN A NAMUR. - Une telle situation n'a que trop duré; sa patience est à bout. Le 11 juin, sous prétexte de négocier avec des colonels allemands le paiement de leur solde, il se retire à Malines. Le 14 juillet, il se dirige vers Namur, soi-disant pour saluer au passage la reine de Navarre qui va prendre les eaux à Spa. Le 24, il s'empare à l'improviste du château de la ville. Enfin, il est en sûreté ! Il s'est assez humilié, assez contenu; que le roi lui renvoie ses troupes et il pourra parler en maître, agir en soldat, venger son honneur et « se baigner dans le sang des traîtres » (22). NOTES (1) P. Herre, Barbara Blornberg, die Geliebte Kaiser Karls V und Mutter Don luans de Austria, p. 22 et suiv. (Leipzig, 1909). (2) Il avait été question de ce mariage en 1569 déjà. (3) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p. 426. (4) Ibid., pp. 44, 346, 427. (5) Gachard, Analectes belgiques, p. 304. (6) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. V, p. 460. (7) Ibid., p. 44. (8) Ibid., pp. 482, 484. (9) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 1™ série, t. XIV [1848], p. 5 et suiv. (10) Ce personnage porte parfois aussi le titre de duc d'Alençon, apanage qu'il possédait depuis 1566. U n'obtint le duché d'Anjou de Henri III qu'à la suite de la paix de Monsieur, en 1576. Depuis lors, il fut désigné surtout sous le nom de duc d'Anjou. (11) Groen van Prinsterer, Archives, t. V, p. 517. (12) Ibid., p. 516. (13) Texte dans J.-C. de Jonge, L'Union de Bruxelles, p. 277 (Rotterdam, 1829). (14) Texte dans Placcaeten van Brabant, t. I, p. 595. (15) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. V, p. 187. (16) Paroles de l'agent anglais Wilson, dans Kervyn de Lettenhove, Relations politiques des Pays-Bas et de l'Angleterre, t. IX, p. 211. (17) Metsius, Mémoire, p. 783. (18) Kervyn de Lettenhove, Relations politiques, etc., t. IX, p. 240. (19) Metsius, Mémoire, p. 788. (20) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. V, p. 379. (21) Metsius, Mémoire, p. 786. — Ces propositions sont d'ailleurs inspirées par le prince d'Orange qui, déjà le 30 novembre 1576, conseillait aux Etats généraux de les présenter à don Juan. Gachard, Analectes, p. 310. (22) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. V, p. 182. LIVRE V LA GUERRE DE RELIGION ; firtltuf» R uretftlor TaC\in )uid /apitntin Ut w pirltur, que iftratur omrun ■ Saji I. TBZSE XClîïXNT r*INCE, MATTHIAS A» C11KX7VC DAVJTHJCE DVC DE ÎOVBGOIG NE. DE STIE» ,I>E CAaiNTHE.ET DE GABNIOLE COMTE DE rniJL.IT DE HAIÏBOVKQ . MEÎS1ÏE GV1LLAMM£ ï» INCE DO FANGE S COMTE DE NAJÎOV. DE VIANDEM, DIETZ ET CXrSSEICLIXjnQGE.lAKON DE 1KED A ET DtEST VICOMTE ITPrtTVRL DE BESANCON,ET D ANVERS. CHAPITRE PREMIER LA POLITIQUE ORANGISTE (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) L'archiduc Mathias et Guillaume d'Orange. « Très excellent prince Matthias, archiduc daustrice, duc de Bourgoigne, de Stier, de Carinthe, et de Carniole, comte de Tirol et de Habsbourg » (à gauche), o Messire Guillaume, prince d'Oranges, comte de Nassou, de Vianden, Dietz et Catssenellenboge, baron de Breda et Diest, vicomte perpetuel de Besançon et d'Anvers » (à droite). Gravure au burin de Jean Wiericx. fENDANCES DEMOCRATIQUES DES PATRIOTES. — La retraite de don Juan à Namur comblait les vœux du prince d'Orange. Elle le dispensait d'un coup de force contre le gouverneur, et rejetait sur celui-ci tout l'odieux d'une situation qui plaçait le pays en face d'une nouvelle menace de guerre. Jamais les circonstances n'avaient été plus propices à une attaque de fond contre l'Espagne. L'Edit perpétuel était déchiré. L'événement justifiait les soupçons si habilement répandus par les Oran-gistes contre le roi et son lieutenant. La fièvre régnait dans toutes les provinces. L'inquiétude des uns, l'exaspération des autres, le désarroi de tous les préparaient également à subir l'action d'une volonté ferme et audacieuse. Et, par une chance inespérée, la force se trouvait, cette fois, du côté de l'opposition. Les troupes royales avaient disparu tandis que l'armée nationale était encore sous les drapeaux. A vrai dire, entre Namur et Bruxelles s'engageaient de confuses négociations (1); don Juan voulait gagner du temps jusqu'au retour des tercios espagnols et les Etats généraux ou, pour mieux dire, la majorité des Etats généraux, s'abandonnaient encore à l'illusion d'un replâtrage. Mais le prince d'Orange est décidé à les pousser coûte que coûte dans la voie de la résistance, à ne plus leur permettre de tergiverser comme ils le font depuis longtemps, à les entraîner dans sa politique antimonarchique. Dès le 2 août 1577, il leur envoie un de ses agents, Jacques Taffin, pour les exhorter à prendre une résolution conforme « à l'obligation qu'ils ont envers le corps entier et général (Cliché A.C.L.I Château d'Havré (province de Hainaut). Résidence de Charles-Philippe de Croy, l'un des plus fermes soutiens des Etats généraux, le château d'Havré fut successivement assiégé par les troupes de don Juan (20 mars 1578) et du duc d'Anjou (26 juillet 1578). Partiellement détruit par un incendie en 1579, il fut reconstruit par Charles-Alexandre de Croy, marquis d'Havré. Trois ans après son acquisition par la province de Hainaut (1927), i! s'est partiellement écroulé. Sous l'Ancien Régime, le château d'Havré fut visité par des hôtes de marque : Marie de Hongrie (1537), Ambroise Paré (1569), Eugène de Savoie et le duc de Malborough (1709) y séjournèrent quelque temps. de tout le peuple» (2). Ne sont-ils point, suivant la doctrine des monarchomaques, les représentants de la nation ? Le pouvoir de la nation n'est-il pas supérieur à celui du prince ? Ne lui appartient-il pas, en droit naturel, de déposer le tyran ? Et qui pourrait prétendre que Philippe II ne soit pas un tyran ? D'ailleurs, l'histoire des Pays-Bas n'abonde-t-elle point en exemples de souverains détrônés par le peuple ? Jacques van Artevelde n'a-t-il point soulevé la Flandre contre Louis de Nevers pactisant avec l'étranger ? Les Etats de Brabant n'ont-ils pas enlevé la couronne au duc Jean IV ? Il est temps que les patriotes se ressaisissent et comprennent enfin que le droit et la tradition nationale leur commandent d'agir. Les provinces ne sont pas une possession espagnole. Les ducs de Bourgogne en ont fait un Etat indépendant. Quel contraste entre le bon duc Philippe, résidant au milieu de ses sujets, gouvernant de concert avec eux, et le despote qui, du fond de l'Escurial, opprime et ruine les Pays-Bas (3) ! Et pendant que la propagande orangiste invoquant ainsi la raison et l'histoire pousse les esprits à la révolution, Elisabeth offre son appui aux Etats généraux. Pour elle aussi, le moment est venu de ruiner dans le nord cette puissance espagnole qui la menace d'un péril constant. Trois jours après la surprise de Namur, son ambassadeur, Davison, propose officiellement aux Etats de recourir à la médiation de la reine. Et des instructions secrètes le chargent de se mettre en rapport avec les « bons patriotes », de les exciter contre don Juan, de les engager à appeler le prince d'Orange (4). Il n'était pas besoin de leur en donner le conseil. A leurs yeux, le prince apparaissait comme l'unique recours. Les événements qui s'étaient précipités depuis huit mois, aussi bien que les incessantes menées orangistes avaient porté à son paroxysme la popularité dont il jouissait depuis la Pacification de Gand. A Bruxelles surtout, où la présence des Etats généraux nourrit l'agitation politique, la bourgeoisie exige impérieusement son arrivée. Le parti des patriotes y devient de jour en jour plus audacieux et plus puissant. Dirigée sous main par des avocats remuants et par les calvinistes rentrés dans la ville durant les derniers temps, il ne parle que de résister à outrance et ne veut plus d'entente avec don Juan. Il pousse visiblement à la guerre, et les manifestes où il oppose la tyrannie espagnole aux droits et aux libertés du pays enfièvrent les masses populaires (5). Les artisans, les ouvriers aigris par la misère ne sont que trop décidés à risquer le tout pour le tout. Ils se défient depuis longtemps de la noblesse, des magistrats, du clergé, des autorités sociales et politiques, auxquels ils attribuent tous leurs maux. Si la nation, comme on ne cesse de le proclamer, est supérieure au roi, pourquoi les gens du commun qui constituent la majorité de la nation, sont-ils privés de toute participation au gouvernement ? Pourquoi doivent-ils abandonner aux Etats généraux, recrutés au sein des ordres privilégiés, les destinées du pays ? Il faut rompre avec une situation si injuste. Il importe que, dans la direction politique, « à chacun bourgeois, teste pour teste, compète action entière » (6). Ainsi, parmi la foule, les principes libéraux des monarchomaques se transforment en principes démocratiques. L'idée de l'égalité politique des citoyens s'impose avec d'autant plus de force et de rapidité qu'elle est plus simple. Bien différente de la démocratie du Moyen Age, où l'individu ne participe qu'aux droits du groupe social auquel il appartient, cette démocratie du XVIe siècle est nettement individualiste. A l'absolutisme qui prétend courber tous les sujets sous le même niveau, elle répond en donnant à tous les citoyens la même place dans l'Etat. Si, pour la forme, elle conserve les vieux groupements où le Moyen Age a réparti la population urbaine, elle crée à côté d'eux des institutions où se manifeste l'esprit nouveau qui l'anime. Dès le mois d'août 1577, à la demande de la bourgeoisie, on établit à Bruxelles un comité de dix-huit personnes recrutées parmi les neuf « nations » de la ville et qui, chargé nominalement de veiller aux travaux des fortifications, s'empare de tout le gouvernement municipal (7). Car, appuyés par le peuple et commandant les forces militaires de la commune, les XVIII sont, en réalité, irrésistibles. On peut les comparer aux comités créés par la Révolution Française en 1793. Comme eux, au milieu des circonstances exceptionnelles que l'on traverse, de l'exaspération générale et des soupçons excités de toutes parts contre les pouvoirs établis, ils substituent à la légalité un régime d'exception et de dictature. Et plus leur ingérence dans les affaires se fera envahissante, plus s'accentuera le caractère illégal de leur pouvoir, plus aussi, obligés pour se maintenir de s'assurer la faveur de la foule, ils accentueront leurs tendances jusqu'à l'extrême démagogie. On s'aperçoit, dès leurs premières mesures, que c'en est fait de l'influence de la bourgeoisie conservatrice qui détenait l'administration urbaine. Ils confisquent, pour les appliquer à la réfection des remparts, les revenus affectés au remboursement des rentes constituées lors de la construction du canal de Wille-broeck, et ils imposent aux habitants aisés une taxe destinée à rétribuer les pauvres gens employés aux travaux de l'enceinte. Telle devait être, durant la Révolution Française, la situation de l'Assemblée législative en face de la Commune de Paris, telle fut, dès lors, à Bruxelles, en face de ces dictateurs populaires, la situation des Etats généraux. Incapables de résister aux XVIII, qui ont la force, ils sont désormais à leur merci. S'appuyant sur les « patriotes », la minorité des Etats impose ses volontés à l'assemblée. C'est elle qui, le 6 septembre, la décide à envoyer une députation au prince d'Orange pour l'appeler dans la ville. Sans doute, beaucoup de députés catholiques tremblent à l'idée de lui confier le sort du pays. Mais comment résister au vœu du peuple sans provoquer une révolte ? Du moins, pour calmer leurs scrupules, demandent-ils qu'Orange consente à autoriser le culte catholique en Hollande et en Zélande et s'engage à ne point permettre l'exercice d'une religion dissidente dans les autres provinces. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Entrée de Guillaume d'Orange à Bruxelles (23 septembre 1577). Gravure de Fr. Hogenberg extraite de M. Aitsinger : De Leone Belgico, p. 324-325. Cologne, 1583, petit in-folio. Etats généraux n'a plus qu'à subir la politique orangiste. Dès le 25 septembre, elle consent à envoyer à don Juan des propositions inacceptables et, le 5 octobre, à adresser au roi une « justification » qui n'est, en réalité, qu'une menace de faire appel à l'étranger s'il ne licencie pas les troupes qu'il rassemble contre le pays, ne rappelle pas don Juan ARRIVEE D'ORANGE A BRUXELLES. - Il arriva le 23 décembre, et jamais joyeuse entrée de souverain ne fut plus triomphante. Depuis Willebroeck, les compagnies militaires de la ville, alignées en grande tenue sur les berges du canal, faisaient une double haie au bateau qui le portait. Aux écluses où il devait descendre, le sol était jonché de fleurs. Une barque superbement ornée et tendue d'orange l'attendait à Vilvorde; deux autres barques l'escortaient, chargées de musiciens et, à mesure qu'il approchait de Bruxelles, la foule se pressait de plus en plus dense, mêlant ses cris aux volées des cloches et du canon. Le prince mit pied à terre à la porte d'Anvers, salué par le duc d'Arschot, les comtes de Lalaing, d'Egmont, de Boussu et toute la noblesse. Puis, quand il s'achemina pour gagner, après dix ans d'exil, l'hôtel de Nassau, ce fut un enthousiasme si formidable « que ceux qui n'y ont pas assisté ne pourront le croire. On n'eût pu recevoir autrement un ange venu du ciel ». De toutes les fenêtres, du toit de toutes les maisons partent des acclamations incessantes; on s'écrase pour voir le héros national, pour le toucher en bousculant les hallebardiers qui l'entourent. Ce ne sont que bras levés au ciel, que sanglots, qu'applaudissements. Des femmes se mettent à genoux sur le passage du cortège, « comme si Dieu lui-même traversait la ville ». Et quand enfin Guillaume, ivre lui aussi de joie et d'orgueil, a franchi le seuil de sa demeure, une garde s'organise qui, jour et nuit, va veiller sur la sécurité de ce « père du peuple » (8). Après un tel accueil, nul doute n'était plus possible sur l'ascendant qu il allait exercer. Au sein des Etats comme dans la bourgeoisie, les patriotes, agissant de concert avec lui, étouffent toute opposition. La majorité modérée des (Amsterdam, Rijksmuseum, Cabinet des Estampes.) Guillaume de La Marck, sire de Lumey, Seraing, Borset et Minderleyt, mambour de Franchimont (vers 1542-15787). Gravure anonyme du XVIe siècle. I 29i£ ftaitljuj>= triump&snt ttatt te btuc&cl in btàtfiî» eux s'inquiètent de son entourage calviniste et s'indignent de la proscription qui continue à frapper leur culte en Hollande et en Zélande. Il craint surtout que les hérétiques, rentrés après la Pacification, ne le compromettent par une propagande intempestive, et il s'efforce d'autant plus d'écarter de lui tout soupçon d'intolérance ou de prosélytisme. Son christianisme, distendu et assoupli par la série des conversions qui l'ont fait passer successivement par tant de confessions religieuses, lui permet de reprendre, au milieu des catholiques du Brabant, sa première attitude, la vraie : celle d'un cassandérien (11). Il s'abstient soigneusement de pratiquer le culte réformé. Dans ses domaines de Bréda, on continue à dire la messe à la grande indignation des calvinistes (12). Malgré les reproches de son frère Jean de Nassau, il ne manque pas d'affirmer à toute occasion, qu'il ne tolérera aucune nouveauté dans les quinze provinces catholiques. Pourtant, il a beau s'ingénier à ne froisser ni les calvinistes du Nord, ni les catholiques du Midi, sa présence suffit à ranimer les passions religieuses, dont il comprend mal la violence parce qu'il y est personnellement inaccessible. Le ministre Villiers apprécie très justement la situation. Prnrr X nr (^fent fvmftr -fr tn-ftrrt

  • u' tr m t*tUf. hu pa-rt/Jt /,cy armcHft ti àerme tt/f <ùc4e V»lyc ^ Vijft -f*. -fniyye Vtnt dtL. Jt/tltytt -hn renttm Ç^J^bmer^ee ttftc ey rtnvt, f^ioyrUH Atwi1. £ yfr* ^fijrjtrjt A -/PI /MU Ces f'Vn- f>*f**t-/t yent^rrjr ^/Uturfinf- ttyjiïî^luiin. et m*rS*r* erUcrXîn^ , tbjn» » "Vùàrtjf. ^ Jfl ^ J Vc/^y-kr+t^ d^njrvjir ew^yt1^""* ~U'rs . C \gitfn4t\y l)in ^ «A «V ni coc/è ■ iLondres, British Muséum, fonds Lansdown, ms 94, n° 70.) « Prière des fidelles de Flandres. » La ■ prière » se compose de seize couplets de trois vers décasyllabiques chacun. L'auteur invoque le secours de Dieu contre Philippe II et les Espagnols. Chaque couplet se termine par un fragment du « Pater » : Pater noster... Qui es in coelis... etc. Poésie anonyme de la seconde moitié du XVI® siècle. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) La plus ancienne représentation connue de l'Hôtel de ville de Bruxelles. Seul exemplaire connu. « Dit stadthuys triumphant staet te Bruessel in Brabant. » Gravure exécutée par Melchisedech van Hooren en 1565. et ne désigne pas pour gouverneur « un prince extrait légitimement du sang d'Autriche », c'est-à-dire, puisque le roi, depuis la mort de don Carlos, n'a plus de fils, un fils de l'empereur (9) ! Quelques jours ont donc suffi pour amener les choses au point où Orange les voulait. L'entente n'est plus possible avec Philippe II : la guerre contre l'Espagne est virtuellement déclarée. Cette fois, le roi n'aura plus en face de lui deux provinces, mais la « généralité » tout entière combattant viribus unitis pour sa liberté. Dès le mois d'octobre, une remontrance portée aux Etats généraux par un groupe de Bruxellois, demande qu'on fasse le siège de Namur, qu'on lève le dixième homme dans tout le pays, qu'on remplace tous les magistrats en fonctions par de bons et sincères patriotes, qu'on choisisse, dans chacune des dix-sept provinces, également parmi les patriotes, « deux nobles et deux hommes doctes », et que de ces soixante-huit personnes on compose les Conseils d'Etat, privé et des finances, qu'on ôte des Etats généraux « toutes personnes favorites des ennemis », qu'on fasse appel aux troupes du comte-palatin Jean-Casimir et à celles de la reine d'Angleterre (10)... Ainsi, les royalistes passent désormais pour suspects; il faut en épurer le gouvernement et, afin d'organiser la résistance nationale, remettre celui-ci tout entier aux mains des patriotes. MECONTENTEMENT DES CATHOLIQUES. -Mais il importe plus encore de rassurer les catholiques si l'on veut qu'ils s'associent aux protestants dans la lutte contre le roi. Orange n'ignore pas que plusieurs d'entre quand il écrit que les catholiques « ne peuvent recevoir don Juan qu'ils n'advencent beaucoup la papauté, et ne peuvent recevoir monsieur le prince qu'ils ne la désad-vouent» (13). Sans doute, la grande masse de la nation n'était pas intolérante. Presque sans exception, elle réprouvait les supplices et la rigueur des persécutions dont la prospérité du pays n'avait que trop souffert. Les Espagnols constataient avec mépris que, pour sauvegarder les intérêts de son commerce et de son industrie, elle protestait contre l'exil des hérétiques et voyait sans réprobation se conclure des mariages mixtes (14). Orange reconnaissait, en février 1577, que plusieurs d'entre les Etats de Brabant et d'autres provinces » ne sont pas trop passionnés allencontre de nostre religion (le protestantisme) et admettent que ung chacun puisse faire son salut et servir Dieu selon le témoignage de sa conscience » (15). Pourtant, le peuple restait sincèrement attaché à sa foi. S'il tolérait la présence des calvinistes, c'était à condition qu'ils s'abstinssent de scandales, et il considérait comme un scandale la profession publique de leur culte. On consentait à fermer les yeux pourvu que les dissidents consentissent eux-mêmes à respecter, au moins extérieurement, l'Eglise établie. Mais c'est là justement ce qui était impossible. Comment les protestants, revenus de Hollande et de Zélande, eussent-ils pu cacher des convictions que leur conscience les obligeait à propager et pour lesquelles ils avaient souffert un long exil ? Tous ceux d'entre eux qui étaient rentrés dans le pays après la Pacification appartenaient aux adeptes les plus ardents de la Réforme. Leur vœu le plus cher était la ruine de « l'idolâtrie romaine », et les circonstances semblaient leur en promettre la réalisation. La fuite de don Juan et surtout l'arrivée du prince d'Orange à Bruxelles échauffaient leurs esprits et les rendaient incapables de toute retenue. Déjà au mois de décembre 1576, il avait fallu se hâter de faire sortir de Bruxelles les compagnies militaires venues du Nord, qui irritaient les catholiques en chantant des psaumes. On commençait à remarquer çà et là des gens refusant de s'agenouiller au passage des processions. Les patriotes, il est vrai, absorbés par leurs passions politiques et qui voyaient les calvinistes prendre résolument leur parti, n'attachaient pas grande importance à ces symptômes d'antagonisme confessionnel. Mais les conservateurs et surtout la noblesse en prenaient ombrage. Plus s'accentuaient les allures démocratiques des masses populaires, plus grandissaient leurs alarmes. Le péril qui menaçait à la fois l'Eglise et l'Etat, renforçait chez eux la conviction traditionnelle de la nécessité de l'alliance entre les deux grands pouvoirs sociaux. Le catholicisme assez tiède des grands seigneurs se ranimait sous l'influence de leurs anxiétés politiques. D'ailleurs, la prépondérance du prince d Orange leur était insupportable. Ils prétendaient ne se laisser ni dominer, ni compromettre par lui. Ils voyaient fort bien qu'il poussait le pays à une rupture définitive avec le roi et, si odieuse qu'ils trouvassent la domination espagnole, ils restaient inaccessibles aux principes des monar-chomaques. Tant comme gentilshommes que comme sujets I Bruxelles, Bibliothèque Royale. Réserve Précieuse.) L'arrestation du comte d'Arschot à Gand (28 octobre 1577). Gravure de Fr. Hogenberg extraite de M. Aitsinger : De Leone Belgico, p. 328-329. Cologne, 1583, petit in-folio. de la maison de Bourgogne, ils n'admettaient point la possibilité de détrôner leur prince naturel. Les scrupules qu'ils avaient dû surmonter pour signer l'Union de Bruxelles et accepter l'Edit perpétuel se faisaient de plus en plus pressants. Ils leur inspirèrent un nouveau projet. L'ARCHIDUC MATHIAS. - En 1576, au plus fort des négociations avec don Juan, un des frères de l'empereur Rodolphe II, l'archiduc Mathias, avait proposé ses services aux Etats généraux (16). Ce jeune agité de dix-neuf ans, naïvement ambitieux, n'avait aucune valeur personnelle, mais catholique et appartenant à la maison d'Autriche, peut-être parviendrait-il, grâce à l'appui de son frère, à décider Philippe II à lui donner le gouvernement des Pays-Bas, en sorte que ceux-ci, tout en évitant un conflit avec leur prince légitime, obtiendraient l'autonomie à laquelle ils aspiraient et seraient délivrés du joug espagnol. Une telle perspective devait sourire aux esprits modérés. Les catholiques y trouvaient leur compte, aussi bien que tous ceux chez lesquels s'alliaient aux aspirations nationales le respect du souverain légitime et la défiance à l'égard d'Orange et de la démocratie patriote. Le duc d'Arschot se chargea de l'affaire. Secrètement instigué par lui, Mathias quittait le palais de Vienne sous un déguisement, dans la nuit du 3 octobre 1577, et arrivait à Maes-tricht le 28. Cette équipée aurait pu réussir à condition que l'empereur en prît résolument la responsabilité. Mais, s'il était au courant des projets de son frère, et s'il en souhaitait la réussite (17), il ne voulait point se laisser entraîner dans une guerre contre l'Espagne. Il protestait aussitôt à l'ambassadeur de Philippe II de sa parfaite innocence. Quant à l'Empire, à l'exception de quelques patriotes qui voyaient dans l'aventure de l'archiduc le moyen de rétablir la suzeraineté de l'Allemagne sur les Pays-Bas et de s'y opposer aux menées de la France, il resta complètement indifférent (18). Dès lors, sans troupes, sans argent, sans prestige, Mathias ne pouvait que courir à un échec piteux et ridicule. Bien plus ! Il allait servir à confondre le parti qui avait (Welbeck Abbey, collection du duc de Portland.) Elisabeth, reine d'Angleterre de 1558 à 1603. Portrait peint par Marc Gheeraert de Bruges (vers 1516-après 1604). voulu se servir de lui pour combattre le prince d'Orange et, victime de l'une des manoeuvres les plus habiles et les plus hardies de ce fin politique, se voir réduit de ne plus être qu'un simple instrument de ses desseins. Le jour même où il entrait à Maestricht, son sort était décidé. De quelque mystère que l'on eût entouré les pourparlers entrepris avec Mathias, Orange en avait eu connaissance et s'était empressé de parer le coup. D'ailleurs, le duc d'Arschot ne cachait plus son jeu. Dès qu'il fut informé du départ de l'archiduc pour les Pays-Bas, il se hâta de le faire reconnaître comme gouverneur par les quatre « Membres de Flandre », province dont le Conseil d'Etat venait de lui confier l'administration. En même temps, les antiorangistes reprenaient courage. Sans la crainte que leur inspirait le peuple, ils n'eussent pas hésité à se saisir de Guillaume. Il le savait et, par précaution, il quitta Bruxelles pour se mettre en sûreté à Anvers. Cependant, les patriotes s'agitaient. A Bruxelles, ils exigeaient la reconnaissance du prince d'Orange comme ruwaert de Brabant. A Gand, encouragés par la présence de nombreux calvinistes revenus de l'exil et par celle des troupes hollandaises envoyées quelque temps auparavant par le prince pour coopérer à l'attaque du « château des Espagnols », ils prenaient une attitude menaçante à l'égard du duc d'Arschot. Des ambitieux hardis et habiles, les sires de Ryhove et d'Hembyze, attendaient impatiemment l'occasion de se pousser au pouvoir grâce à un soulèvement populaire. On parlait de remettre en vigueur les anciens privilèges confisqués en 1540 par Charles-Quint; mais ce que voulaient en réalité les instigateurs du mouvement, c'était instituer dans la ville le régime de dictature démocratique récemment inauguré par la commune bruxelloise. L'ARRESTATION DU DUC D'ARSCHOT A GAND. — La situation était donc singulièrement propice à un coup de main. Le prince d'Orange, pressé par l'arrivée imminente de Mathias, résolut de la mettre à profit. Il n'avait pas hésité, quelques mois auparavant, devant l'arrestation du Conseil d'Etat. Ryhove lui proposait, cette fois, de s'emparer du duc d'Arschot : il le laissa faire. Le 28 octobre, au milieu de la nuit, le duc était assailli dans sa demeure et mis sous bonne garde. Les évêques de Bruges et d'Ypres, ainsi que les sires de Rassenghien et de Hallewijn étaient également faits prisonniers. On se saisit, par la même occasion, du haut-bailli de la ville et de quelques conseillers du Conseil de Flandre. Dès le lendemain, Ryhove enrôlait trois cents vagabonds et leur donnait des armes. Tout le petit peuple se prononçait pour lui. Paralysés par l'épouvante, les modérés laissaient faire. Le 1er novembre, un comité des XVIII était institué à Gand sur le modèle bruxellois. La grande ville flamande entrait à son tour dans la révolution. Orange ne manqua pas de désavouer l'attentat de Ryhove , mais il se hâta surtout d'en profiter. L'événement surexcitait l'audace de ses partisans. Les Etats généraux s'abandonnaient maintenant sans résistance à la direction des patriotes. Le 7 décembre, ils déclaraient solennellement don Juan ennemi de la patrie. Le 10, l'Union de Bruxelles était promulguée à nouveau, mais dépouillée du caractère strictement catholique que lui avaient donné ses auteurs. Elle interprétait, cette fois, la Pacification de Gand dans le sens de la tolérance religieuse. Les signataires s'engageaient « à ne point grever ou endommager ceulx qui, s'estant retirez de la religion catholique romaine, se sont par la dicte pacification uniz avec eulx, comme aussi iceulx asseurent n'avoir esté ny estre leur intention de violer, grever ou endommager ceulx de ladicte religion catholique romaine ou, par aulcun attentat, empescher ou destourbier l'exercice d'icelle » (19). Les adeptes des deux confessions promettaient donc de se supporter mutuellement; protestants ou catholiques, tous s'unissaient contre l'ennemi commun. Les exclusivismes religieux se subordonnaient à la nécessité de l'action politique. Le prince d'Orange voyait enfin son idéal se réaliser. Par une suprême habileté, il entraînait en même temps l'archiduc Mathias dans sa politique. Il s'était bien gardé, après l'avoir rendu inoffensif, grâce à l'arrestation du duc d'Arschot, de se brouiller avec lui. Il avait préféré s'en servir. Rompre avec Mathias, c'eût été, en effet, pousser à bout les catholiques et risquer de les rejeter vers don Juan. Au contraire, en reconnaissant pour gouverneur le jeune prince qu'ils avaient appelé, on calmait leurs alarmes et on les empêchait de faire défection. Il n'était pas à craindre que l'archiduc devînt jamais dangereux ou même gênant. Futile et incapable, il n'était venu dans les Pays-Bas que pour s'y parer d'un titre. Il n'ambitionnait que l'éclat extérieur du pouvoir, et il lui était fort indifférent de l'obtenir du duc d'Arschot ou du prince d'Orange. Pourvu que les apparences fussent sauves, il était prêt à tout. Le 8 décembre, les Etats généraux le priaient d'accepter le gouvernement des Pays-Bas « par provision et sous l'agréation de Sa Majesté Catholique ». On lui imposait toutefois des conditions qui le réduisaient au simple rôle de personnage décoratif. Il devait s'engager à abandonner aux Etats généraux le choix de son conseil et la décision de toutes les affaires d'importance. En cas de déclaration de guerre. de conclusion de paix, d'alliances ou de demande de subsides, le consentement de la « commune », c'est-à-dire le consentement du peuple serait requis, « vu qu'il est plus que raisonnable que ce qui touche un chacun soit aussi consenti par chacun ». Les Etats généraux, comme les Etats particuliers des provinces pourraient s'assembler aussi souvent qu'ils le jugeraient utile. La nomination des gouverneurs provinciaux leur était abandonnée. En revanche, Mathias recevait un traitement de 120,000 florins par an « pour assistence de l'entretiènement de sa cour et pour tenir Testât que sont accoustumez d'avoir en ces pays les princes du sang et de l'anchienne maison de Bourgogne » (20). Dans cette constitution, où le souvenir de la dynastie bourguignonne s'allie aux tendances parlementaires et démocratiques des monarchomaques et des patriotes, pas un mot ne faisait allusion au prince d'Orange. Aucune place n'était réservée dans le gouvernement de la « généralité » au stadhouder de la Hollande et de la Zélande, au ruwaert du Brabant, au chef du parti qui, depuis la retraite de don Juan, n'avait cessé de grandir en nombre et en influence. Mais les Etats généraux étaient incapables d'exercer le pouvoir qu'ils s'arrogeaient. Ce congrès, dont la composition variait sans cesse, où chaque territoire représenté, quelle que fût son insignifiance, jouissait également d'une voix, où les députations provinciales n'osaient prendre de résolutions définitives avant de s'en être référées à leurs commettants, où ne siégeaient que les mandataires du clergé, de la noblesse et des villes principales, non seulement ne correspondait point du tout aux tendances de la « généralité », mais se consumait en discussions interminables et en conflits incessants, agitant les questions sans pouvoir les résoudre et ne se décidant le plus souvent que sous la pression des menaces populaires. Son impuissance apparut dès qu'il fut question de la nomination du Conseil d'Etat de Mathias. LES « BONS BOURGEOIS DE BRUXELLES ». — Orange avait proposé une liste de candidats choisis surtout parmi les patriotes et où, conformément aux promesses de tolérance réciproque inscrites dans la seconde Union de Bruxelles, il avait fait figurer tout au moins un calviniste notoire, Marnix, l'agent le plus actif et le plus dévoué de sa politique personnelle. Sur les instances des modérés, les Etats généraux l'avaient écarté, ainsi que d'autres Orangistes, pour leur substituer des personnages d'allure moins révolutionnaire. Parmi leurs élus se trouvait même un adversaire avéré du prince : le sire de Champagney. Mais dès le lendemain (22 décembre 1577), une députation de « bons bourgeois de la ville de Bruxelles » se présentait à l'assemblée. Elle l'accusait de tolérer dans son sein la présence de mauvais patriotes tels que Champagney surtout et Léoninus qui, en alléguant à tout propos l'obéissance due au roi et le maintien de la religion catholique, « qui est réservé en la Pacification de Gand », entravaient la bonne marche des affaires. Puis, s'en prenant à l'organisation même des Etats, elle protestait contre l'attribution d'une voix à chaque province, « de sorte qu'on donne à ung pensionnaire de Malines, Tournay, Tournésis, Valen-ciennes et semblables petites provinces, autant d'authorité en leurs opinions qu'on faict à un Estât entier et principal de Brabant, Gueldres, Flandre, Arthois, Haynault, Hollande et Zélande et aultres ». Enfin, elle critiquait amère- (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Archives Photographiques.) Portrait présumé de François de Valois, duc d'Anjou et d'AIençon, quatrième fils d'Henri II, roi de France, et de Catherine de Médicis (1556-1584). Tableau de l'école française du XVIe siècle. ment la composition du Conseil d'Etat. Elle faisait observer qu'il ne correspondait en rien à l'importance relative des provinces. Tandis qu'on y avait fait entrer de nombreux nobles du Hainaut et de l'Artois, il ne comprenait qu'un seul Brabançon, et ni la Hollande, ni la Zélande, ni Utrecht, ni l'Overyssel, ni Groningue n'y étaient représentés. Evidemment, on s'était préoccupé avant tout d'y assurer la prépondérance aux territoires où dominaient les tendances conservatrices. Les « bons bourgeois » exigeaient que l'on en revînt aux principes du Grand Privilège de 1477 et que l'on mesurât la participation de chaque province d'après la situation qu'elle occupait dans la «généralité» (21). Ainsi, entre les patriotes et les Etats généraux, le conflit devenait aigu. C'était le fonctionnement traditionnel de l'assemblée qui était, cette fois, mis en question. Jamais encore, les théories révolutionnaires ne s'étaient si hardiment affirmées. Il était évident, toutefois, que si les Etats généraux prétendaient gouverner le pays, une réforme profonde de leur organisation devenait indispensable. Mais les modérés comprenaient sans peine que la transformation du congrès des provinces en une assemblée vraiment nationale et recrutée proportionnellement à la population des divers territoires eût donné aussitôt la prépondérance aux patriotes du Brabant et de la Flandre et aux calvinistes de la Hollande et de la Zélande. Ils se résignèrent à une transaction. Ils firent place dans le Conseil d'Etat au chef des patriotes brabançons, l'avocat Liesvelt, et y admirent Marnix comme représentant de la Hollande et de la Zélande. Champagney fut sacrifié, mais on conserva Léoninus. De plus, il fut entendu que les commissions données par le roi, notamment celles du marquis d'Havré et du président Sasbout, ne seraient pas révoquées (22). ORANGE LIEUTENANT GENERAL DE MATHIAS. — La commune de Bruxelles ne se contenta pas de cette cote mal taillée. Elle revint à la charge le 2 janvier 1578. Plus exigeante encore que la première fois, elle demandait, sans rien abandonner de ses prétentions, que le prince d'Orange fût donné comme lieutenant général à l'archiduc Mathias, « au moins jusques que par les Estatz généraulx à assembler suivant la Pacification de Gand, soit dressé tel ordre sur Testât de ce Pays-Bas comme appartiendra » (23). Il fallut en passer par où elle voulait. Aussi bien le prince ne possédait-il pas déjà la réalité du pouvoir dont ses partisans réclamaient pour lui la consécration officielle ? Que pouvait-on répondre aux « nations » de Bruxelles qui, le 6 janvier, expliquaient leur attitude « à cause que les Espagnolz sont les principaux ennemis de ces pays, et monseigneur le prince des principaulx ennemis des Espagnolz » (24). D'ailleurs, la proposition des patriotes bruxellois était soutenue par Elisabeth, dont on espérait toujours l'appui contre don Juan. Le 8, les Etats généraux décidaient « par pluralité de voix » de prier Mathias, « vu son bas-âge », de choisir le prince d'Orange pour son lieutenant général (25). Il se hâta de déférer à leurs vœux et de se dépouiller du dernier semblant d'autorité qu'il conservait encore. Le 18, il faisait sa joyeuse entrée à Bruxelles, accompagné de Guillaume. Le 20, tous deux prêtaient serment aux Etats. Désormais, Son Altesse n'était plus qu'un simple fantoche aux mains de Son Excellence. LA BATAILLE DE GEMBLOUX. - Malgré la rupture de don Juan avec les Etats généraux, Philippe II, aussi lent à prendre une résolution qu'à l'abandonner, s'obstinait encore à espérer une issue pacifique. Non seulement il ordonnait à son frère de continuer les négociations, mais il défendait au marquis d'Ayamonte, gouverneur de Milan, de lui envoyer des troupes. Pouvait-il cependant le laisser désarmé à Namur, alors que les Etats s'occupaient fiévreusement de renforcer leur situation militaire? Le 2 août 1577, les troupes wallonnes chargées de garder la citadelle d'Anvers la remettaient en leurs mains. Le 21, l'assemblée autorisait les Gantois à démanteler le château de leur ville, et elle agissait de même le 25 septembre à l'égard des Lillois. Elle décidait de lever dans les provinces 2 millions de florins. Surtout, elle ne se lassait pas de solliciter des secours, expédiant des ambassadeurs à Elisabeth pour lui demander des troupes et de l'argent, appelant à l'aide le comte-palatin Jean-Casimir et ne craignant même pas de s'adresser au trop célèbre Lumey. Aussi, dès le commencement de septembre, le roi s'était-il résigné à renvoyer dans les Pays-Bas l'armée qui venait d'en sortir. Mais ce n'était là qu'une mesure de précaution. Il restait si bien décidé à éviter la guerre qu'au mois de novembre il proposait secrètement à Marguerite de Parme de la substituer à don Juan. Il fallut l'arrivée de l'archiduc Mathias pour lui faire abandonner ce projet. Encore l'éventualité menaçante de nouvelles hosti- (Luxembourg, Musée de la cathédrale.) (Cliché Kutter.) Chasuble aux armes de Pierre-Ernest de Mansfeld, provenant de sa chapelle sépulcrale. Fin du XVIe siècle. lités l'emplissait-elle d'appréhensions, et suppliait-il son frère de n'employer la force qu'à la dernière extrémité. En même temps qu'il lui rendait ses soldats, il députait à Bruxelles Jean de Noircarmes, lieutenant de ses archers bourguignons, pour moyenner une entente. L'avant-garde des troupes espagnoles, trois mille fantassins et quinze cornettes de cavalerie, arriva dans le Luxembourg au commencement de décembre. Une offensive énergique eût suffi pour la refouler. Malheureusement, l'armée des Etats se trouvait dans une situation lamentable. Concentrée à Temploux, près de Namur, sur la rive gauche de la Meuse, elle manquait d'artillerie, de cavalerie, d'équipages et surtout d'argent. Son infanterie se composait de cinquante et une enseignes de Wallons, de six de Bas-Alle-mands et de dix-sept d'Ecossais, ces dernières envoyées par le prince d'Orange. Au total, elle était forte d'environ vingt mille hommes; mais la cohésion faisait défaut. La ferveur protestante des Ecossais indisposait contre eux les autres corps. Le comte de Lalaing, qui exerçait le commandement général, n'avait ni l'autorité, ni le prestige nécessaires. D'ailleurs, la tournure que prenaient les événements à Bruxelles, l'influence croissante du prince d'Orange, les tendances démocratiques des patriotes le mécontentaient (Darmstadt, Landesbibliothek, Thésaurus Picturarum, t. I, fol. 139.) (Photo obtenue grâce au concours de M. le Conservateur de la bibliothèque de Darmstadt.) Le palatin Jean-Casimir (Simmen, 1543-Heidelberg, 1592). « Joannes Casimirus Palatinus Rheni, Dux Bavariae, etc. » Dessin extrait du Thésaurus Picturarum, vaste recueil de dessins (32 volumes) exécuté vers 1600 par Markus zum Lamb. et l'inquiétaient à la fois. Et ses sentiments étaient ceux des autres chefs, comme lui catholiques et appartenant comme lui à la noblesse : le comte d'Egmont, le sire de Hèze, le sire de Montigny. Tous désapprouvaient la seconde Union de Bruxelles qu'ils avaient signée à contrecoeur, tous se savaient suspects aux Orangistes. Manifestement entre l'armée nationale et le parti qui venait de s'emparer du pouvoir, la confiance manquait. L'inaction de l'ennemi permit à don Juan d'attendre le rassemblement de ses forces. Au commencement du mois de janvier 1578, Alexandre Farnèse lui avait amené de Lombardie des troupes espagnoles et italiennes. Mansfeld avait levé pour lui en Lorraine, avec l'appui de Guise, quatre à cinq mille hommes de renfort. Il disposait maintenant d'environ dix-huit mille fantassins et de deux mille chevaux. Le pape Grégoire XIII envoyait sa bénédiction à ces soldats, et don Juan eut soin de faire orner leurs étendards d'emblèmes religieux. Par conviction personnelle et sans doute aussi par habileté, il voulut apparaître, en face d'adversaires divisés par la question confessionnelle, beaucoup plus comme le défenseur du catholicisme que comme le lieutenant du roi. Le 31 janvier 1578, comme l'armée des Etats se repliait sur Gembloux pour y occuper de nouvelles positions, son arrière-garde fut attaquée à l'improviste par la cavalerie espagnole. Elle fléchit, et Farnèse obtint de don Juan de pousser son avantage. L'escarmouche devint une attaque de fond. L'arrière-garde, rejetée sur le gros des troupes, marchant en désordre, le rompit et le mit en fuite. Les Wallons de Montigny et les Ecossais du colonel Balfour tinrent courageusement dans Gembloux; ils ne purent empêcher la débandade. Il y eut peu de tués, mais l'armée disloquée s'éparpilla. Une partie de ses débris se retira sous les murs de Bruxelles; une autre, dans les environs de Grammont. Dès le 5 février, Mathias et Orange, par précaution, se réfugiaient à Anvers avec les Etats généraux. Les patriotes ne manquèrent pas d'attribuer cette catastrophe à la trahison. Le jour de la bataille, le comte de Lalaing et la plupart des colonels assistaient, à Bruxelles, au mariage du sire de Berzeele. Il n'en fallait pas davantage pour les exposer aux pires soupçons. Discréditée par sa défaite et par l'inertie et la négligence de ses chefs, l'armée nationale était désormais incapable de se refaire. Chaque ville ne songea plus qu'à sa défense et à se procurer une garnison. La Hollande et la Zélande se gardèrent bien d'envoyer les forces militaires dont elles disposaient, s'unir aux débris des régiments vaincus. Elles se bornèrent à les masser autour d'Anvers, prêtes à les rappeler au premier péril. Elles se montraient moins que jamais disposées à se sacrifier à la « généralité », et le succès de leurs affaires contrastait cruellement avec le désarroi des provinces du sud. Quelques jours après la bataille de Gembloux, le 8 février, Amsterdam, demeuré jusqu'alors fidèle au catholicisme et au parti du roi, s'unissait aux autres villes hollandaises et passait comme elles au pouvoir des calvinistes. Cependant, les troupes de don Juan n'étaient pas assez nombreuses pour lui permettre d'avancer jusqu'au coeur du pays et d'assiéger Bruxelles. Il se contenta d'occuper Louvain, Tirlemont, Arschot, Diest et Léau, tandis que Mansfeld opérait dans le Brabant wallon, où il s'empara de Nivelles après quatre assauts, et qu'Octavio Gonzaga, entré dans le Hainaut, se mettait en possession du Rceulx, de Soignies, de Binche, de Chimay et de Philippeville (21 mai). De son côté, Alexandre Farnèse, manoeuvrant dans les environs de Maestricht, s'assurait de Limbourg, de Fauquemont et de Dalhem (9-20 juin). CONDUITE DE L'EMPEREUR ET D'ELISABETH. — Depuis qu'il avait pris les armes contre Philippe II, le prince d'Orange n'avait cessé de solliciter le secours des puissances voisines. Si l'Empire ne l'avait point soutenu, l'Angleterre et la France lui avaient accordé, au contraire, un appui plus ou moins déclaré suivant les circonstances et les fluctuations de leur politique. A vrai dire, ni Elisabeth, ni Henri III n'avaient osé prendre ouvertement son parti. Ils ne s'intéressaient à sa cause que dans la mesure où elle les servait contre l'Espagne, satisfaits d'entretenir dans les Pays-Bas une lutte épuisante pour les ressources de celle-ci. De plus, jaloux l'un de l'autre, ils se surveillaient mutuellement, contrecarrant leurs menées au lieu d'unir leurs efforts. Néanmoins, l'intervention étrangère avait permis à la Hollande et à la Zélande de résister victorieusement au duc d'Albe et à Requésens. Les Etats généraux ne manquèrent pas d'y recourir après leur rupture avec don Juan. Les scrupules du loyalisme ne pouvaient tenir longtemps contre la nécessité. D'ailleurs, de toutes parts, leur arrivaient des offres de services : Elisabeth, le duc d'Anjou, l'archiduc Mathias leur faisaient des avances. Les modérés penchaient pour le dernier, prince catholique et appartenant à la maison d'Autriche. Mais on continuait à négocier avec les deux autres, dans le naïf espoir d'obtenir leurs bons offices sans trop se compromettre. La défaite de Gembloux et les succès de don Juan venaient de rendre le besoin d'alliance plus pressant que jamais. Les hésitations n'étaient plus possibles. Elles l'étaient d'autant moins que l'influence d'Orange et des patriotes dominait maintenant dans les Etats et les excitait à rompre en visière à Philippe II. Du côté de l'Empire, on n'aboutit de nouveau à aucun résultat. Rodolphe II fut prodigue de bonnes paroles, offrit sa médiation, mais resta décidé à ne point se brouiller avec son beau-frère d'Espagne. Marnix eut beau exhorter la diète de Worms (7 mai) à prendre les armes pour conserver les Pays-Bas à l'Empire : il n'y trouva pas le moindre écho. Les princes catholiques comme les princes luthériens persistèrent dans leur indifférence. Il ne fallait donc compter que sur les puissances occidentales, l'Angleterre et la France. LE PALATIN JEAN-CASIMIR. - La première, dont on n'avait pas à craindre d'annexion, paraissait la plus sûre. Il fut pourtant impossible de l'amener à une alliance formelle. Le machiavélisme prudent d'Elisabeth répugnait aux résolutions compromettantes. Elle refusa de s'engager ouvertement dans la lutte, jugeant plus profitable de la soutenir par des moyens détournés, qui lui permettraient soit de s'y lancer quand elle le jugerait à propos, soit de retirer son épingle du jeu au bon moment. Si elle consentit à faire quelques prêts aux Etats, sur bonnes garanties, elle refusa, après de longues négociations, de leur envoyer des troupes (26). Mais, décidée à ne pas intervenir, elle ne voulait pas que la France intervînt à sa place. Pour traverser les plans du duc d'Anjou, dont les menées l'inquiétaient, elle proposa aux Etats généraux de faire appel au comte-palatin Jean-Casimir et de le reconnaître comme son lieutenant. Il fallut bien se plier à ses exigences. Le 29 mai 1578, l'assemblée s'engageait à accepter les secours du palatin, à consigner en ses mains 20,000 livres sterling fournies par la reine pour le paiement de ses troupes et à l'admettre au Conseil d'Etat (27). Calviniste fanatique, brouillon incorrigible, esprit chimérique et inconsistant, Jean-Casimir excitait tout à la fois la défiance des catholiques et celle du prince d'Orange. Celui -ci avait tout fait pour amener la reine à le remplacer par Leicester. Il le savait hostile à sa politique de tolérance et de conciliation et s'effrayait de l'appui qu'il ne manquerait pas de donner au prosélytisme des Réformés. Déjà des pasteurs et des prédicants réfugiés dans le Palatinat arrivaient à Gand et à Bruxelles, commençaient à y déclamer contre le papisme et y déchaînaient la plus dangereuse agitation. Cependant, la situation militaire était trop grave pour permettre de refuser un secours d'où qu'il vînt, et force fut d'accepter le compromettant auxiliaire suscité par Elisabeth. La reine n avait pu obtenir, comme elle le souhaitait, que, moyennant l'arrivée de Jean-Casimir, les Etats généraux rompissent leurs pourparlers avec le duc d'Anjou. Déjà, on se le rappelle, ce Valois ambitieux, perfide et débauché, avait tenté, en 1576, de les gagner à sa cause (28). Soutenus par les Orangistes de Bruxelles, ses projets avaient échoué devant les répugnances des catholiques. Le duc passait, à cette époque, pour favoriser en France le parti huguenot et plus d'un de ces agents dans les Pays-Bas étaient calvinistes ou, du moins, suspects de calvinisme. L'ouverture des hostilités entre les Etats et don Juan releva ses chances. Elle les releva d'autant mieux qu'il venait précisément de rompre avec les protestants. Sa sœur, enfin, Marguerite de Navarre, durant le voyage qu'elle avait fait en Belgique dans l'été de 1577, sous prétexte de prendre les eaux de Spa, avait déployé tout son charme pour lui concilier le dévouement de plusieurs seigneurs, parmi lesquels le comte de Lalaing. Jaloux de l'ascendant et de la popularité du prince d'Orange, Lalaing ne demandait qu'à lui opposer un concurrent qui, tout en arrêtant les progrès du calvinisme et en tenant tête aux patriotes démocrates, pourrait défendre le pays contre l'Espagne. Il conçut le projet de faire pour le duc d'Anjou ce qu'Arschot, de son côté, faisait pour l'archiduc Mathias. Ces grands seigneurs catholiques tendaient en somme, par des menées différentes, au même résultat. Tandis que celui-ci, en vertu de considérations légitimistes, s'adressait à un membre de la maison d'Autriche, celui-là, plus audacieux, ne craignait pas de s'allier à un prince français. Mais Orange devait déjouer les plans de Lalaing comme ceux d'Arschot. L'alliance de ses adversaires catholiques avec le frère du roi de France eût porté un coup formidable à sa politique. Il était d'autant plus décidé à l'empêcher qu'il avait lui-même provoqué les négociations de 1576 avec Anjou et qu'il n'entendait pas se laisser frustrer d'un si précieux auxiliaire. Malgré le contraste de leurs natures, il y avait entre le duc et le prince un point de ressemblance. Tous deux, le premier par ambition personnelle, le second par caractère et par éducation, ils professaient la même indifférence ou, si l'on veut, la même tolérance en matière confessionnelle. Le catholicisme suspect de l'un s'accordait avec le calvinisme de raison de l'autre : c'étaient, au fond, des politiques, et ils ne pouvaient manquer de s'entendre. Lorsqu'il eut connaissance des intrigues du comte de Lalaing, Orange fit travailler Anjou par un de ses hommes de confiance, Ghislain de Fiennes, sire de Lumbres, ancien capitaine des Gueux de mer. Dès lors, l'attitude du duc n'était pas douteuse. Sollicité par deux partis, il devait nécessairement pencher vers le plus puissant. Sans rompre avec Lalaing, il se tourna vers le prince d'Orange. Le 16 novembre 1577, il lui écrit qu'il est décidé à se gouverner d'après ses conseils. LE DUC D'ANJOU. - A vrai dire, la situation était, en ce moment, des plus embrouillées. L'archiduc Mathias venait d'arriver dans les Pays-Bas et il n'était plus possible aux Etats généraux de faire appel au duc d'Anjou sans se rendre compte de félonie et sans se brouiller avec l'empereur. En outre, Elisabeth, dont on escomptait les secours, s'opposait à toute entente avec la France. Les Etats en étaient réduits, le 18 novembre, à répondre aux propositions du duc par des compliments embarrassés et par des excuses polies (29). Orange, de son côté, ne pouvait, à peine adjoint à Mathias comme lieutenant général, le trahir ouvertement au profit du prince français. Bref, au commencement de 1578, ce dernier n'avait guère d'autre partisan déclaré que le comte de Lalaing, retiré après la déconfiture de Gembloux dans son gouvernement du Hainaut. Aigri par sa défaite, de plus en plus mécontent du prince d'Orange, obligé par surcroît de tenir tête avec des forces insuffisantes aux Espagnols qui envahissaient sa province, Lalaing, dès le mois de mars 1578, appelait Anjou dans les Pays-Bas, offrant de mettre entre ses mains plusieurs villes hennuyères (30). Toutefois, en accueillant ces ouvertures, Anjou était bien décidé à ne pas se compromettre aux yeux des Oran-gistes. Le 28 mars, il donnait plein pouvoir à ses agents, La Rochepot, des Pruneaux et Mondoucet, pour conclure un traité avec les Etats généraux. En même temps, il se mettait secrètement en rapport avec les principaux calvinistes de l'entourage du prince d'Orange, Junius, Marnix, Villiers et Duplessis-Mornay récemment arrivé à Anvers (31). Il se fait donc tout à tous, sollicitant à la fois protestants et catholiques et prodiguant aux uns et aux autres des promesses contradictoires. Mais justement parce qu'il courtise tous les partis, il ne parvient à en conquérir aucun. Les conférences qui s'ouvrent au mois d'avril à Saint-Ghislain entre ses délégués et ceux des Etats, et que contrecarrent les menées divergentes de Lalaing, d'Orange et d'Elisabeth, n'aboutissent pas. Lalaing seul reste ouvertement fidèle au duc. Appuyé par une partie de la noblesse hennuyère, il introduit dans le Hainaut des garnisons françaises. Anjou va-t-il donc se laisser confisquer par les ennemis d'Orange ? Celui-ci l'a craint pendant un instant. Il fait interdire par les Etats au comte de Lalaing de recevoir des forces étrangères dans son gouvernement sans l'ordre de l'archiduc Mathias. Des nouvelles venues d'Anvers apprennent à Anjou qu'on le suspecte de vouloir agir contre les patriotes. Il a beau déclarer qu'il ne veut pas être « aux Artésiens, Flamengs ou Hannouwiers seulement, ains à tous ensemble» (32), les calvinistes le considèrent comme gagné à la cause catholique. D'autre part, Elisabeth le combat de plus en plus âprement. Il se décide alors à brusquer les choses. Le 13 juillet, il arrive à Mons et lance un manifeste aux principales villes des Pays-Bas, leur annonçant que son armée le suit et qu'il vient combattre pour leur cause. Désormais, Orange doit prendre parti. Tergiverser plus longtemps serait jeter le duc dans les bras de ses adversaires. Il est visible qu'Anjou ne demande qu'à échapper à l'alliance compromettante de Lalaing et à se donner à la « généralité ». Le prendre au mot sera le meilleur moyen de l'arracher aux catholiques. Aussi bien n'a-t-on plus rien à espérer d'Elisabeth et importe-t-il, pour contenir les protestants surexcités par l'arrivée prochaine de Jean-Casimir, de pouvoir opposer à celui-ci un prince orthodoxe. La politique d'union et de tolérance du prince d'Orange lui commande de se rallier au Valois. Il va d'ailleurs lui imposer ses conditions. Le 13 août 1578, les Etats (Bruxelles, Bibliolhèque Royale, Réserve Précieuse, Recueil V.H. 26423, planche 143.1 La Bataille de Gembloux (31 janvier 1578). Gravure de François Hogenberg. généraux acceptent un traité préparé par Marnix et Lies-velt. Le duc entretiendra à ses frais pendant trois mois dix mille hommes de pied et deux mille chevaux. Il prendra le titre de « Défenseur de la liberté des Pays-Bas contre la tyrannie des Espagnols et de leurs adhérants ». Il ne se mêlera point du gouvernement du pays et ne conclura ni paix ni trêve sans le consentement des Etats. Si, plus tard, les Etats veulent changer de souverain, ils s'engagent à le préférer à tout autre prince. En revanche, s'ils font la paix avec Philippe II, ils reconnaîtront qu'ils lui en sont redevables, lui rembourseront tout ce qu'il aura dépensé pour eux et lui feront une « reconnaissance condigne à sa grandeur» (33). Cinq jours plus tard, par une convention secrète, le duc promet à Orange non seulement de ne rien entreprendre contre la religion réformée, mais de s'employer à ce que les provinces qui, jusqu'ici ne la tolèrent pas encore, ne se séparent pas de l'Union si les Etats généraux l'y introduisent (34). Ainsi Anjou après Mathias est arraché aux catholiques et confisqué par la politique orangiste. Deux fois de suite, le prince a renversé les projets de ses ennemis. Il émerge plus fort et plus puissant que jamais du sein des intrigues où ils ont voulu le noyer. L'habile joueur a maté le comte de Lalaing comme le duc d'Arschot et lié partie avec le Valois que ses adversaires appelaient contre lui. MORT DE DON JUAN. — Du même coup, la situation militaire du pays paraissait assurée. Malade, découragé, devenu suspect à Philippe II et ne recevant pas de renforts, don Juan demeurait inactif. Le 31 juillet, une tentative qu'il avait hasardée à Rimenam contre les troupes couvrant Anvers n'avait abouti qu'à un échec. L'arrivée imminente de Jean-Casimir par le nord et du duc d'Anjou par le sud l'avait contraint à se replier sur le camp de Bouges, près de Namur. Sa santé était ruinée plus encore par le désespoir que par la fatigue. Le 1er octobre, il expirait, après avoir vu s'évanouir tous ses rêves de gloire et d'ambition. En mourant, il laissait le commandement de l'armée à Alexandre Farnèse. NOTES (1) Japikse, Resolutiën, t. I, p. 215 et suiv. (2) Gachard, Actes des Etats généraux, t. I, p. 214. (3) Pour les souvenirs historiques très habilement rappelés par la propagande orangiste et interprétés conformément à ses desseins, voy. un exemple intéressant dans Kervyn de Lettenhove, Relations, etc., t. IX, p. 401. (4) Ibid., pp. 436, 439, 444. (5) En juillet 1578, Plantin écrit d'Anvers à Arias Montanus que les ouvriers qui jadis ne travaillaient que trois jours par semaine et buvaient le reste du temps, apprennent maintenant le maniement des armes et ne vont plus au cabaret. Il y en a qui veulent s'embarquer pour une autre patrie plutôt que de vivre sous la domination étrangère. Correspondance de Christophe Plantin, t. V, p. 316. (6} Gachard, Actes des Etats généraux, t. I, p. 463. (7) Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. I, p. 462. Il avait été précédé par un comité de 26 membres, dont quatre étaient pris dans le magistrat, quatre dans le large conseil et dix-huit parmi les nations. Ces derniers absorbèrent bientôt tout le pouvoir. (8) je suis surtout ici le récit de l'agent anglais Davison, témoin oculaire. Kervyn de Lettenhove, Relations, etc., t. IX p. 538. (9) Gachard, Actes des Etats généraux, t. I, p. 263. (10) Ibid., p. 460. (11) Voy. Histoire de Belgique, t. III (3e édition), p. 407. (12) Bezold, Briefe des P/alzgrafen Johann Casimir, t. I, p. 326 (Munich, 1882) (13) Kervyn de Lettenhove, Relations, etc., t. IX, p. 153. (14) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. V, p. 376. (15) Kervyn de Lettenhove, Relations, t. IX, p. 189. (16) Bull, de la Comm. roy. d'Hist., 3e série, t. V [1863], p. 283. (17) Sur sa conduite, voy. Hansen, Nuntiaturberichte aus Deutschland, 3e Abth., t. II, p. XXXVIII et suiv. (Berlin, 1894). (18) A. Eiermann, Lazarus von Schwendi, p. 87 et suiv. (Fribourg en Br., 1904). (19) De Jonge, Verhandelingen en onuitgegevene stukken, t. II, p. 198 (Delft, 1827). (20) Van Meteren, Histoire, fol. 146 (Amsterdam, 1670). (21) Gachard, Actes des Etats généraux, t. I, pp. 304 et 466. (22) Ibid., p. 308; Japikse, Resolutiën, t. I, p. 534; cf. J.-C. de Pater, De Raad van State nevens Mathias (La Haye, 1917), p. 42 et suiv. (23) Gachard, Ibid., p. 485. (24) Ibid., p. 318. (25) Bondam, Verzameling van onuitgegevene stukken, t. IV, p. 243 (Utrecht, 1781). (26) Sur les emprunts consentis par Elisabeth, voy. H. Lonchay. Les Etats généraux de 1619, dans Mélanges G. Kurth, t. I, p. 321 (Liège, 1908). (27) Gachard, 4c(es des Etats généraux, t. I, pp. 373, 377. (28) Voy. plus haut, p. 312. (29) P.-L. Muller et A. Diegerick, Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou et les Pays-Bas, t. I, p. 96 (Utrecht, 1899.) (30) Muller-Diegerick, Documents, etc., t. I, p. 126. (31) Sur la date de l'arrivée de Mornay à Anvers, voy. Muller-Diegerick, op. cit., t. I, p. 132. D'après Elkan, Die Publizistik, etc., pp. 73, n. 73, n., et 108, Mornay ne se serait fixé à Anvers qu'en juillet 1578 et n'y aurait fait qu'un court séjour en avril de la même année. (32) Muller-Diegerick, Documents, etc., t. I, p. 305. (33) Ibid., p. 408. (34) Ibid., t. I, p. 424. (Varsenare [Flandre Occidentale], collection de Mlle de Man ; provisoirement déposé au Musée du Béguinage de Bruges.) (Cliché Bijtebier.) « Les Sept Merveilles de la ville de Bruges » (Septem Admirationes civitatis Brugensis). Au centre, la Waterhalle, occupant le côté est de la Grand'Place; à gauche, la tour de l'église Notre-Dame; à droite, les halles et le beffroi; à l'arriêre-plan, à gauche, la Poortersloge (reproduite ci-dessus, p. 135); au centre, la maison aux sept tours; à droite VOosterlingenhuis, hôtel de la Hanse germanique. La septième «merveille», le Waterhuis, se trouve dans le coin inférieur gauche, devant la tour de Notre-Dame; ce château d'eau fut construit en 1288 pour doter la ville d'une distribution d'eau potable. CHAPITRE II LA PAIX DE RELIGION TAT D'ESPRIT DES CATHOLIQUES. - Depuis la victoire du gouvernement sur l'insurrection de 1566, le catholicisme était demeuré sans conteste la religion des provinces belges. Ce qu'elles contenaient encore de protestants s'était dispersé, à l'arrivée du duc d'Albe, dans le Palatinat, à Emden, en Angleterre, ou avait formé les bandes désespérées des Gueux des bois. Les Gueux de mer, un peu plus tard, avaient recruté leurs équipages parmi ces exilés ou ses révoltés. Après la prise de La Brielle et le triomphe du calvinisme en Hollande et en Zélande, la plupart des réfugiés, flamands et wallons, avaient afflué enfin vers ces territoires où chacun trouvait à s'employer suivant ses aptitudes ou sa condition, soit dans la guerre, soit dans la politique, soit dans le commerce, tout en travaillant à l'exaltation de sa foi. Plus s'accroissaient les forces des rebelles, plus aussi augmentait leur attraction sur leurs coreligionnaires, si bien que, dans la même mesure où l'Eglise protestante prit possession des deux provinces septentrionales, l'Eglise catholique reconstitua son hégémonie dans celles du Midi, à peu près vides de dissidents. Pourtant, de celle-ci à celles-là, l'ardeur religieuse ne contrastait pas moins violemment que la nature même des confessions. Autant les protestants du Nord déployaient de zèle et d'énergie, autant les catholiques montraient d'apathie et de faiblesse. Sans doute il existait parmi eux beaucoup de croyants sincères, ayant horreur de l'hérésie. Mais bien rares étaient ceux qui approuvaient la guerre entreprise pour forcer leurs compatriotes de Hollande et de Zélande à rentrer dans le giron de l'Eglise. L'esprit de prosélytisme qui inspirait les rebelles était presque com- (La Haye, Archives Générales du Royaume, Iro section, acquisitions, 1886, VII k). Sceau des Etats généraux (des provinces du Nord). Bien qu'apposé au bas de l'acte de nomination de Robert Goes en qualité d'envoyé extraordinaire des Provinces-Unies à la cour de Copenhague (12 février 1721), il était employé dès la fin du XVIfl siècle. Une résolution des Etats généraux datée du 11 septembre 1578 en donne la description suivante : « Résolu de faire graver ung scel pour la généralité; en sera ung lion grimpant couronné, aiant en la patte droicte une espée, en la senestre dix-sept flèches (symbolisant les XVII Provinces) liées d'ung roulet, ou sera .escript : Concordia, estant la superscrip-tion dudict scel : Sigillum ordinum Belgii. » (Bruxelles, Musée de ia Porte de Hal, socle n° 26.) (Cliché Pichonnier.) Demi-armure de fantassin espagnol. XVI" siècle. plètement éteint dans les provinces obéissantes. Elles restaient attachées à la foi de leurs pères, mais elles n'entendaient pas l'imposer à ceux qui l'avaient abandonnée. Le catholicisme de la grande majorité de leurs habitants était un catholicisme de tradition, une habitude séculaire, une pratique enracinée par la coutume. Il n'atteignait pas, au fond des âmes, les sources de la volonté. Cette tiédeur religieuse, qui frappait tous les Espagnols, n'avait point échappé à l'attention de Philippe II. La création des nouveaux évêchés en 1559 avait eu pour but de la combattre et de gagner les Pays-Bas à ce puissant effort de rénovation qui commençait, en face de la Réforme menaçante, à redresser l'Eglise catholique. Mais en butte tout d'abord à la défiance générale, puis contrariée par les troubles de plus en plus graves qui agitèrent le pays depuis 1566, cette grande œuvre n'avait pas répondu à l'attente du roi. Tout entier à la guerre, le gouvernement de Bruxelles n'avait pu soutenir l'action des évêques. Leur bonne volonté était paralysée, le bas clergé persistait dans son apathie et l'instruction religieuse du peuple était déplorable. D'ailleurs l'Espagne compromettait la cause de l'Eglise. Plus le duc d'Albe, Requésens et don Juan s'étaient donnés comme les défenseurs de celle-ci, plus ils l'avaient exposée aux haines soulevées par eux. A mesure que la situation s'était faite plus grave, l'impopularité du clergé n'avait cessé de grandir. On l'accusait de trahir la cause nationale et on opposait à la fidélité qu'il témoignait au tyran de Madrid, le patriotisme enflammé des calvinistes du Nord. En 1576, au moment où se réunissent les (Gand_ Musée Archéologique Etats généraux, il n'y a pas encore Serrure provenant de en Belgique de parti protestant, XVI mais il s'y est formé au sein des populations urbaines aigries par la misère, un parti nettement anticlérical. Et ce parti, qui revendique pour ses membres le nom de « patriotes », s'oriente nécessairement vers le prince d'Orange, puisque c'est le Prince d'Orange qui dirige la résistance à don Juan et à Philippe II. On comprend dès lors qu'il faudra bien peu de chose pour faire glisser les patriotes au protestantisme. La voie révolutionnaire où ils se sont lancés, en effet, les rapproche de plus en plus des calvinistes qui entourent le prince et les conduit à se placer sous leur direction. Ce n'est point par sentiment religieux, par conviction intime qu'ils abandonneront le catholicisme. Ils rompront avec lui par une suite nécessaire de leur rupture avec le roi. Emportés par la passion politique, ils sortiront de l'Eglise pour s'opposer plus énergi-quement au régime espagnol. Dans la surexcitation de la lutte, ils s'emporteront fougueusement jusqu'aux résolutions extrêmes. Ils se donneront comme chefs les calvinistes les plus violents et s'abandonneront aux derniers excès de l'intolérance et du fanatisme. Mais, sauf chez les réfugiés qui se mettront à leur tête, la foi nouvelle ne jettera point en eux de racines profondes. La soudaineté même de leur conversion en prouve la fragilité. Au fond, les « patriotes » de Flandre et de Brabant ne se sont ralliés à la Réforme que par hostilité à l'Eglise et à l'ordre de choses qu'elle représentait. La plupart d'entre eux ne se sont déclarés protestants que par antiroyalisme et antipapisme. .) (Cliché Bijtebier.) C'est à Gand que cette ultime •Hôtel de Ville de Gand. conséquence de la révolution poli- siècle. tique devait se manifester avec le îledeuen cnde curt bec, ctotrsujatwmmt ftet ratftfftmcnt entw at= tefl ban ômccfclje binnrn ^(jmût gjjtftljitt us/ ùra wfljtii^ «ôctobji* f ®pbel®rtmtntbaH pttrerbeCltrcfe/toûcnm&t tt j^attt mbc œtta «upue/bp tl3«lf8;t. plus d'énergie et entraîner les plus graves conséquences. L'attentat du 28 octobre 1577 avait mis brusquement la ville au pouvoir de Ryhove, d'Hembyze et de leurs partisans. La petite bourgeoisie, patriote à Gand comme à Bruxelles, avait applaudi à ce coup d'audace. Les échevins, le Conseil de Flandre, en présence des dispositions du peuple, n'avaient osé agi*. Ils avaient dû assister impuissants au renversement de la Concession Caroline de 1540. Les anciens privilèges avaient été remis en vigueur, la bcfurgeoisie répartie de nouveau en trois membres, la « collace » réorganisée et les doyens des métiers élus suivant l'ancien usage. Ce retour à l'organisation médiévale n'était d'ailleurs qu'un trompe-l'œil, qu'une façade archaïque servant à cacher la réalité. Il ne répondait ni à la constitution sociale, ni aux intérêts économiques de la population. Les métiers avaient perdu leur vigueur ancienne; les tisserands, qui redevenaient le troisième membre de la ville, ne consistaient plus qu'en quelques dizaines d'individus. La grande masse du bas peuple, composée de simples salariés, demeurait en dehors des. antiques groupements que l'on prétendait rétablir. Sous couleur de retour aux privilèges, on ne cherche qu'à bouleverser l'organisation urbaine, qu'à en déposséder les catholiques modérés et la bourgeoisie riche. Il n'en faut pas d'autres preuves que l'institution comme à Bruxelles, dès le mois de novembre, d'un collège des XVIII qui s'empare aussitôt du gouvernement de la ville (1). En fait, et malgré les apparences, au lieu de la démocratie du Moyen Age, c'est une dictature démagogique qui va désormais régir la commune. Et il était inévitable qu'elle ouvrît la porte au protestantisme. LES CALVINISTES DE GAND. - Depuis la Pacification de 1576, en effet, quantité de calvinistes étaient rentrés à Gand (2). Ce n'étaient pas seulement des bourgeois émigrés pour cause de religion, bannis ou condamnés à mort par le duc d'Albe et qui se pressaient vers leur patrie après un long exil. On rencontrait parmi eux beaucoup de Flamands, de Brabançons, de Wallons, revenus de leurs refuges de Hollande, de Zélande et d'Angleterre. Le canal de Terneuzen, qui mettait la ville en relations directes avec Flessingue, lui amenait un afflux de calvinistes qui, s'y trouvant plus en sûreté qu'à Bruxelles et s'y appelant les uns les autres, n'avaient pas tardé à y constituer un groupe important et avide d'agir. Les événements d'octobre leur avaient valu de nouvelles recrues, et comme la haine qu'ils portaient aux Espagnols les désignait à la faveur populaire, leur influence avait grandi plus rapidement encore que leur nombre. En attendant avec impatience l'occasion de faire triompher la foi pour laquelle ils avaient si longtemps souffert, tous se montraient ardemment orangistes et patriotes. Beaucoup d'entre eux. qui avaient rempli d'importantes fonctions parmi les rebelles, connaissaient le maniement des affaires. Dans les circonstances que l'on traversait, ils étaient donc tout désignés pour le pouvoir. Dès le mois de novembre, ils entrent dans le collège des XVIII présidé par Ryhove. Au mois de janvier 1578, lors de la rénovation du magistrat par le prince d'Orange, bon nombre des leurs figurent à côté d'Hembyze dans l'échevinage, ou obtiennent d'importantes fonctions municipales. Désormais, Gand est virtuellement aux mains des calvinistes, ou, pour parler comme les catholiques de ce temps, aux mains des Gueux. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Exposé des motifs de l'arrestation de plusieurs notabilités par les calvinistes gantois le 28 octobre 1577. Plaquette éditée à Gand chez la veuve de Pierre de Clerck en 1577. Ils commencèrent par assurer la défense de la ville, assurant du même coup leur domination. Des troupes furent levées en Zélande qui vinrent renforcer encore le nombre des Réformés; la bourgeoisie reçut une organisation militaire et l'on entreprit la construction de nouveaux remparts.- Ordre fut donné aux villages voisins de livrer leurs cloches, dont le métal servit à fondre des pièces d'artillerie. Malgré les réclamations des Etats généraux, la ville détourna vers ses coffres les impositions destinées à entretenir l'armée nationale. Sous prétexte de renforcer les fortifications, on s'en prit aussitôt à l'Eglise. Les ordres religieux, hommes et femmes, durent travailler aux remparts, envoyer leurs trésors à la monnaie. L'indignation soulevée par la défaite de Gembloux empira encore la situation du clergé depuis longtemps suspect d'espagnolisme. Dès le mois de mars, les prêtres n'osent plus se montrer dans les rues et prennent des habits laïques. En revanche, les calvinistes cessent de se dissimuler sous les dehors du patriotisme et affichent ouvertement leurs doctrines. Le fougueux pasteur Datenus est arrivé du Palatinat au mois de janvier; d'Angleterre, de Hollande, d'autres pasteurs accourent le rejoindre et bientôt les prêches s'organisent. En face de cette violation flagrante de la Pacification, le Conseil de Flandre se décide à intervenir. Mais les XVIII font arrêter quelques-uns de ses membres et coupent court à ses velléités d'énergie. Les protestations des Etats généraux demeurent sans effet. La ville désor- II - 22 (Amsterdam, Rijksmuseum, Cabinet des Estampes.) Estampe satirique protestante : le pape, un cardinal et des moines s'adonnent aux jeux de hasard. La légende qui accompagne l'estampe les traite de bandits (roovers), et le pape de bête couronnée (ghecroonde beest). Gravure de Pierre van der Heyden (Petrus a Merica, né vers 15301. mais n'en fait plus qu'à sa guise. Elle se sent assez puissante pour qu'on n'ose l'attaquer et d'ailleurs les évêques et les seigneurs qu'elle tient en prison depuis le mois d'octobre, lui servent d'otages et répondent sur leur tête de sa liberté. Le magistrat en profite pour autoriser la prédication de l'évangile et, s'il défend aux protestants et aux catholiques de s'injurier mutuellement, il accentue de jour en jour son hostilité à l'égard de ceux-ci et tend visiblement à imposer la Réforme par la force. Au reste, le voulût-il, il lui serait impossible d'agir autrement, car l'impatience des calvinistes, surexcitée encore par les sermons enflammés des pasteurs, ne peut plus se contenir. Au mois de mai, des bandes de soldats et de fanatiques envahissent les couvents et les églises, et, comme en 1566, s'y acharnent sur les « idoles » du « paganisme romain ». On va jusqu'à briser les croix, les ossuaires, les calvaires. Au milieu de ces violences, l'Eglise nouvelle s'organise, institue son consistoire et prend possession des sanctuaires catholiques soigneusement purifiés, raclés et blanchis à la chaux. Ceux des Carmélites et des Dominicains sont affectés à l'instruction religieuse des enfants; la chapelle des tisserands est réservée aux prêches wallons. Le 1er juillet, le séminaire devient le siège d'une sorte d'académie protestante (3). Mais si l'on avait détruit le « papisme », on ne l'avait pas remplacé. Il ne suffisait pas de proscrire l'ancien culte pour que le culte nouveau régnât sur les consciences. A tout prendre, les calvinistes convaincus ne formaient dans la ville qu'un groupe peu nombreux. La foule qu'ils entraînaient derrière eux et qu'ils ameutaient contre l'Eglise en faisant appel à sa passion antiespagnole et en flattant ses instincts démagogiques, ne les suivait que par sentiment révolutionnaire. Les pasteurs eux-mêmes constataient qu'elle se composait en grande partie de gens sans religion (4). Manifestement on s'était trop hâté : on avait imposé à la ville la confession protestante; on ne l'y avait pas convertie. Il était à craindre que le « pauvre peuple, n'ayant l'exercice d'aucune religion, ne tombe en manifeste athéisme» (5). Si les calvinistes modérés et politiques voyaient nettement le péril, les fougueux zélateurs qui enfiévraient la commune gantoise se grisaient de leur triomphe et ambitionnaient de nouvelles conquêtes. Les souvenirs du glorieux passé de la cité achevaient de troubler les esprits. On se rappelait le temps où Jacques van Artevelde imposait sa volonté à toute la Flandre et le moment paraissait venu d'y rétablir, à la confusion de l'Espagne et en l'honneur de la vraie foi, l'hégémonie gantoise. En novembre 1577 Gand proposait à Bruxelles de rétablir l'alliance conclue avec le Brabant sous le gouvernement d'Artevelde et, en 1578, s'efforçait d'y faire entrer non seulement les autres villes flamandes, mais celles de l'Artois et du Tour-naisis (6). Les troupes concentrées dans la ville ne demandaient qu'à marcher. On était certain d'avance que les catholiques interdits et sans défense ne résisteraient nulle part. Dès le mois de mars 1578, des expéditions étaient dirigées sur Courtrai et sur Hulst, y entraient sans coup férir et y déposaient les magistrats catholiques. Bruges subissait le même sort le 21 mars, Renaix, le 6 juin, Ypres, le 20 juillet. Partout des comités des XVIII étaient aussitôt institués sur le modèle gantois et la prédication de l'évangile commençait. Au début de l'été, le mouvement avait gagné toute la province. On prêchait à Alost, à Termonde, à Eecloo, à Deynze, à Audenarde, à Menin, à Messines et dans quantité de petites villes et bourgades. C'était au tour des prêtres et des catholiques d'émigrer. POLITIQUE DE TOLERANCE DU PRINCE D'ORANGE. —- La conduite des Gantois exposait la politique du prince d'Orange, c'est-à-dire la politique d'union nationale, au danger le plus pressant. Car, en remettant au premier plan la question religieuse et en violant la Pacification de 1576, elle devait infailliblement provoquer une réaction catholique. Alors que le prince, depuis son arrivée à Bruxelles, s'efforçait de dissiper les craintes qu'il inspirait aux orthodoxes et s'abstenait, par égard pour eux, de pratiquer son culte, Gand déclarait fougueusement la guerre à l'Eglise. Et, pour comble de malheur, Guillaume se voyait incapable non seulement d'arrêter, mais même de désavouer un mouvement qu'il réprouvait de toutes ses forces. Réformé lui-même, comment eût-il pu, en effet, sans se compromettre irrémédiablement aux yeux de ses coreligionnaires, protester contre le libre exercice de la Réforme ? Il en était réduit, avec ses conseillers intimes. Villiers, Taffin, Duplessis-Mornay, à chapitrer secrètement les pasteurs, à leur recommander la modération, à blâmer leurs violences, à leur représenter le péril auquel ils exposaient la patrie (7). Il n'aboutissait qu'à se faire taxer de modérantisme par les fanatiques à la Datenus. Puisqu'il ne fallait plus penser à supprimer le mal, il importait au moins de le restreindre. Déjà en 1566, au moment de l'insurrection calviniste, des paix de religion locales avaient été promulguées dans certaines villes, à Anvers notamment et à Tournai, autorisant l'exercice simultané du catholicisme et de la Réforme (8). Ce n'avait été d'ailleurs que de simples expédients, imposés aux magistrats par la nécessité de faire vivre côte à côte les adeptes des deux confessions. La même nécessité reparaissant, le prince d'Orange devait songer d'autant plus naturellement aux mêmes moyens d'y subvenir que deux au moins de ses conseillers, Villiers et Taffin, avaient été mêlés aux transactions de 1566. Toutefois, il ne s'agissait pas, en 1578, d'un simple retour à ce qui avait été fait douze ans plus tôt. Dans toutes les villes où le protestantisme venait de s'installer en maître, le pouvoir municipal avait passé aux mains des calvinistes et l'on ne pouvait se flatter d'en obtenir les concessions nécessaires. L'initiative devait partir de la suprême autorité politique, c'est-à-dire des Etats généraux. Dès le 22 juin, une pétition demandant la liberté de religion était remise à l'assemblée par un groupe d'Orangistes, et des exemplaires imprimés en circulaient aussitôt dans le public (9). Le 10 juillet, le prince soumettait aux Etats un projet de Religionsfrid (10), et s'ils refusèrent, à une petite majorité, de le voter, ils décidèrent au moins, deux jours après, de présenter à l'approbation des provinces un texte qui s'en rapprochait fort (11). Ils s'y étaient ingéniés visiblement à ne pas froisser les catholiques. Leur projet présente l'exercice de la religion « prétendue réformée » comme une mesure nécessaire pour maintenir l'Union en face de l'ennemi, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu « nous donner moyen de tenir ung commun ou national concile, les deux parties librement oyes, et que par icheluy aultrement il en soit conclu et déterminé ». La tolérance qu'il laisse à chacun de servir Dieu « selon l'entendement qu'il lui a donné » n'est donc que provisoire. Encore ne sera-t-elle accordée que là où cent ménages au moins, ayant un an de résidence, la réclameront. Partout où elle sera introduite, les magistrats répartiront les églises entre les deux cultes, de manière à les écarter le plus possible l'un de l'autre. Défense est faite aux prédicants de parler de choses qui pourraient troubler les esprits. Les Réformés se conformeront aux usages catholiques en ce qui concerne les degrés de parenté prohibitifs du mariage. En dehors de la Hollande et de la Zélande, ils ne pourront travailler lors des fêtes chômées dans l'Eglise, et les boucheries ne seront point ouvertes aux jours de jeûne. Le régime spécial que les calvinistes ont établi partout où ils dominent est aboli, les XVIII sont supprimés, l'autorité des magistrats rétablie et les arrestations arbitraires interdites. Gand paraît spécialement visé dans les paragraphes ordonnant d'obéir à Son Altesse et aux placards des Etats généraux tou- Le Burg, le beffroi, les halles, la rue aux Laines, le marché aux poissons, la place des Tanneurs, le couvent des Frères Mineurs et la halle aux draps à Bruges en 1562. Détail du plan de la ville de Bruges dressé en 1562 par Marc Geerarts (Gheeraerts ou Gérard le Vieux). (Brugae Fhndrorum urbs et emporium mercatu célébré anno a Christi nativitate MDLXII), Il existe une édition récente de ce plan : celle du Gidsenbond à Bruges, 1941, in-4». chant la mise en liberté des prisonniers. Partout, les fidèles des deux religions se partageront les emplois et seront admis sans distinction aux universités, collèges, écoles et hôpitaux. LA TOLERANCE AU XVIe SIECLE. - Ainsi conçue, la Religionsfrid ne faisait aux protestants qu'un minimum de concessions. Elle mettait en vigueur dans tous les endroits où il avait disparu, même en Hollande et en Zélande, l'exercice du culte catholique, tandis qu'elle rendait presque impossible l'introduction de la Réforme dans les localités demeurées fidèles à l'Eglise. Il n'était pas douteux, en effet, que l'on ne trouvât partout cent ménages catholiques prêts à demander la libre pratique de leur religion. Au contraire, dans la plupart des villes de la Flandre wallonne, de l'Artois et du Hainaut, où les réfugiés n'avaient pas encore pénétré en nombre, on pouvait s'attendre à ne pas rencontrer cent ménages protestants, et l'on était à peu près sûr de n'en pas rencontrer du tout dans le Namurois et le Luxembourg. Néanmoins, en tolérant l'exercice de la Réforme en dehors de la Hollande et de la Zélande, la paix ne laissait pas que d'anéantir les promesses si solennellement faites aux catholiques en 1576. Le principe même dont elle s'inspirait était incompatible avec l'esprit de la Pacification de Gand. Celle-ci réservait aux Etats généraux le règlement de la question religieuse, tandis que les promoteurs de la Religionsfrid n'admettaient point, en cette matière, la compétence de l'autorité civile. « Ce n'est point, disaient-ils, le faict des législateurs ou gouverneurs politiques de se mesler de la religion quant à la substance d'icelle ou de contraindre quelqu'un à tenir l'une ou l'autre; mais leur doibt suffire que tous les bourgeois de la ville puissent vivre en repos et amitié et que à nulluy ne soit faict aucune violence de quelconque qualité ou religion qu'il soit» (12). La tolérance qu'ils prônaient n'était au fond qu'une échappatoire; ils n'y avaient recours qu'afin d'éviter la guerre civile. Leur attitude en présence des différends confessionnels est à l'opposé de celle de l'Etat moderne. Au lieu de professer comme celui-ci une complète indifférence dogmatique, ils ne doutent pas que la vérité religieuse ne doive l'emporter sur l'erreur. Aussitôt que le concile national aura proclamé cette vérité, la liberté de culte disparaîtra. Les dissidents conserveront leurs droits civils; ils n'auront plus celui de professer leurs doctrines (13). INTOLERANCE DES CALVINISTES GANTOIS. — Il ne s'agit, on le voit, en 1578, que d'une tolérance momentanée, non d'une tolérance de principe. Au surplus, les adeptes de cette tolérance sont tous protestants. Convaincus de la vérité de leur foi, ils attendent avec confiance la décision du Concile. Mais la ferveur religieuse s'allie en eux aux préoccupations de l'homme d'Etat. Leurs idées sont celles que Duplessis-Mornay a exposées en 1576 dans sa « Remonstrance » aux Etats de Blois et dans sa lettre «Aux estats et seigneurs des Pays-Bas» (14). L'influence du grand Huguenot domine plus que jamais dans le conseil du prince d'Orange. Avec lui, il travaille de toutes ses forces à empêcher qu'un zèle intempestif ne compromette les résultats obtenus, et, en désorganisant la résistance à l'Espagne sous prétexte de religion, ne fasse le jeu du roi catholique. . Contre cette modération provisoire s'insurge aussitôt le fanatisme impatient des pasteurs. Pour eux, le moment est venu de renverser 1' « idolâtrie romaine ». S'ils réclament la paix de religion partout où les protestants sont en minorité, à Gand, où ils commandent en maîtres, ils la rejettent avec horreur. Datenus va jusqu'à prêcher qu'il faut être athée pour tolérer le catholicisme, et que le prince d'Orange « qui change de religion comme d'habit, ne se soucie que de l'Etat et fait de l'utilité son Dieu» (15). En vain Ryhove et les calvinistes modérés protestent contre ces fureurs; le parti de la violence, auquel Hembyze se rallie, l'emporte bientôt grâce à l'appui des troupes et de la populace. La passion religieuse surchauffée entraîne la ville. Elle ne tient plus aucun compte des Etats généraux. L'exclusivisme confessionnel l'amène à l'exclusivisme politique. En même temps que les pasteurs rêvent d'en faire une nouvelle Genève, s'y introduit l'idée de se « cantonner » à la mode suisse et de secouer le joug impie de la «généralité» (16). L'arrivée imminente de Jean-Casimir, le protecteur de Datenus, y porte à son comble l'intransigeance et l'aveuglement. Les prédicants sont décidés à opposer le palatin au prince d'Orange, et le bruit se répand que les Gantois songent à lui donner le comté de Flandre. NOTES (1) Voy. plus haut, p. 71. (2) Il est possible d'apprécier nettement leur rôle grâce aux excellents matériaux recueillis par V. Fris dans ses Notes pour servir à l'histoire des iconoclastes et des calvinistes à Gand de 1566 à 1584. Annales de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Gand, t. IX [1909], p. 1 et suiv. (3) P. Fredericq, L'enseignement public des calvinistes à Gand, dans Travaux du cours pratique d'histoire nationale, t. i, p. 51 et suiv. (Liège, 1883). (4) Kervyn de Lettenhove, Relations, etc., t. X, pp. 782, 857. C'est aussi l'avis du prince d'Orange. Voy. Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. IV, p. 93. (5) Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. IV, p. 857, t. V, p. 43. — Ce sont là exactement les idées de Duplessis-Mornay. Voy. Elkan, Die Publizistik, p. 113. (6) P. Fredericq, Le renouvellement en 1578 du traité l'alliance conclu à l'époque de /acques van Artevelde entre la Flandre et le Brabant, dans Travaux du cours pratique d'histoire nationale, t. I, p. 27 et suiv. (Gand, 1883). A. C. de Schrevel, Le traité d'alliance conclu en 1339 entre la Flandre et le Brabant renouvelé en 1578 {Annales de la Soc. d'Emulation de Bruges, t. LXV, 1922). (7) Kervyn de Lettenhove, Relations, etc., t. X, pp. 410, 522, 569. (8) Histoire de Belgique, t. III (3« édit.) p. 472. (9) Gachard, Actes des Etats généraux, t. I, p. 386. Cf. le même, La Bibliothèque Nationale, t. I, p. 189. (10) Gachard, La Bibliothèque Nationale, t. I, p. 198. — C'est sous le terme de Religionsfrid que la paix de religion est désignée habituellement tant dans les provinces wallonnes que dans les provinces flamandes. L'expression vient certainement d'Allemagne ; elle s'est introduite dans les Pays-Bas après la conclusion de la Religions-friede d'Augsbourg. (11) E. Hubert, Etude sur la condition des protestants en Belgique, p. 165 (Bruxelles, 1882). — Duplessis-Mornay joua un rôle considérable parmi les partisans de la paix de religion. Voy. Elkan, Ueber die Entstehung des niederlândischen Religions-friedens von 1578 und Mornays Wirksamkeit in den Niederlanden, Mittheilungen des Instituts fur Œsterreichische Geschichsforschung, t. XXVII [1906], p. 460 et suiv. (12) Discours contenant le vray entendement de la Pacification de Gand, p. 42 (Réimpression de Gand, 1876). (13) Ibid., p. 52. Cf. Elkan, Die Publizistik, p. 102. (14) Elkan, op. cit., p. 102. (15) B. De Jonghe, Ghendtsche geschiedenissen, t. II, p. 72. (16) Kervyn de Lettenhove, Relations, etc., t. X, p. 114. Cette idée du cantonnement apparaît déjà chez les Huguenots (Eidgenossen) français en 1569. CHAPITRE III LA RECONCILIATION DES PROVINCES WALLONNES AVEC L'ESPAGNE BF.THVNAE VR BIS AR.TF.SOAF GEN VINA DESCRJP. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) La ville de Béthune en 1580. Plan dessiné par Quentin van den Gracht (1534-après 1589), extrait de G. Braun, F. Hogenberg et G. Hoefnagel : Civilates orbis terraram (6 tomes en 3 volumes in-folio). Cologne (1572-1618), t. IV, pl. 7. ^rm RIEFS DES CATHOLIQUES WALLONS. IlLW/ g] — Tandis que les Gantois, sous l'influence du fanatisme calviniste, se détachaient de la « généralité », leurs excès provoquaient, dans * la plupart des provinces wallonnes, une réaction catholique qui devait bientôt les détourner, elles aussi, de la cause nationale et permettre à Alexandre Farnèse de reconquérir le sud des Pays-Bas. Ce serait une erreur complète que de chercher les motifs de ce revirement dans la différence de moeurs et de langage qui distinguait l'une de l'autre la population wallonne et la population flamande. Réunis depuis des siècles par la communauté des destinées, des intérêts et des institutions, les divers territoires de la Belgique s'étaient accoutumés à un régime qui, tout en sauvegardant l'individualité de chacun d'eux, les avait imprégnés d'une civi- lisation dont les caractères généraux s'affirmaient également au nord et au sud de la frontière linguistique. Junius le constatait éloquemment en 1574 (1), et il suffit de rappeler que, depuis le commencement des troubles, on demandait de toutes parts la restauration de l'Etat bourguignon, pour montrer que les dix-sept provinces conservaient la volonté de vivre ensemble. Les devises de leurs médailles et jetons : Viribus unitis, Belgium foederatum, Concordia res parvae crescunt, n'attestent pas moins l'unité de leurs aspirations. Partout, jusqu'en 1578, on ne parle que de la « commune patrie » et de la « défense commune » contre « l'ennemi commun ». L'assemblée permanente des Etats généraux, la Pacification de Gand, les deux Unions de Bruxelles avaient encore renforcé la cohésion de la « généralité ». On se demande d'ailleurs quels griefs les provinces (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) « Concordia res parvae crescunt — Discordia maximae dilabuntur. » Médaille donnée à titre de récompense par les Etats des Provinces du Nord au XVIIe siècle. Au droit, les armoiries des sept provinces du Nord et la première partie de la légende. Au revers, reproduit ci-dessus, un lion couronné brandissant une éDée et tenant dans la patte gauche un faisceau de sept flèches, avec la seconde partie de la légende. Argent. XVII° siècle. Diamètre : 58 mm. wallonnes eussent pu invoquer contre les provinces flamandes. Chacune d'elles avait une voix aux Etats généraux; au Conseil d'Etat elles possédaient même une représentation beaucoup trop large pour leur importance. C'est dans leur langue, c'est-à-dire en français, que délibéraient les Etats. Enfin, le tout-puissant prince d'Orange, malgré son long séjour en Hollande, avait conservé intacte l'empreinte de son éducation à la cour de Bourgogne. Ses mœurs étaient celles de la haute aristocratie et comme celle-ci, il considérait le français comme sa langue maternelle. Les Gantois devaient le voir avec surprise, lors de son séjour dans leur ville en 1580, se rendre au prêche de l'église wallonne (2). A côté des Français de son entourage intime, les Duplessis-Mornay, les La Noue, les Languet, on ne rencontrait guère que des Wallons comme Lumbres, Dolhain, Taffin, Villiers, etc., ou des Flamands francisés comme Marnix. Dans ces conditions et quand bien même, ce qui n'était pas, les provinces wallonnes se fussent montrées susceptibles et ombrageuses, on ne voit point ce qui eût pu faire naître chez elles la moindre hostilité à l'égard des provinces flamandes (3). Mais le désaccord de la question nationale ne pouvait provoquer, la question religieuse le fit surgir. Ce n'est point à une lutte de races, c'est à une lutte confessionnelle que va nous faire assister la défection des provinces wallonnes, ou, pour mieux dire, de la majorité des provinces wallonnes. Elles n'abandonneront leurs compatriotes que pour sauvegarder leur foi catholique contre le calvinisme triomphant. A première vue, leur revirement paraît étrange. N'avaient-elles pas fourni au calvinisme, treize ans plus tôt, ses premiers combattants dans les Pays-Bas ? Les Gueux n'abondaient-ils pas en 1566 parmi la petite noblesse de l'Artois et de la Flandre wallonne ? L'insurrection n'était-elle pas partie de la région d'Armentières et du Tournaisis ? Valenciennes n'avait-elle pas constitué la place d'armes de la Réforme, et n'avait-il pas fallu un siège pour venir à bout de son obstination (4) ? Mais la réaction catholique qui avait suivi la prise de la ville et surtout l'impitoyable rigueur du duc d'Albe avaient eu raison de tout cela. L'échafaud n'avait pratiqué nulle part d'aussi larges coupes qu'à Valenciennes et à Tournai. De nulle part non plus, les Gueux des bois, puis les Gueux de mer n'avaient reçu d'aussi abondantes recrues. Les émigrés du Sud avaient puissamment contribué à la défense de la Hollande et de la Zélande. Ils y avaient apporté cet esprit militaire qui, depuis le XVe siècle, faisait du Hainaut et de l'Artois les pépinières de l'armée nationale. Sans doute tous les hérétiques n'avaient pas quitté les provinces wallonnes. Mais découragés par le départ des plus ardents de leurs frères, obligés de dissimuler leur foi et incapables de s'organiser, ils ne restaient fidèles à leurs convictions que pour obéir à leur conscience et avaient perdu tout espoir. Pour comble de malheur, les Huguenots français, refoulés dans le Sud du royaume, ne pouvaient plus les seconder. Ceux d'entre eux qui, depuis 1572, vinrent de plus en plus nombreux combattre dans les Pays-Bas, se dirigeaient par mer vers la Hollande et la Zélande et ne s'intéressaient plus au calvinisme désemparé et résigné de la Wallonie. Il se ranima pourtant sous le coup des événements qui suivirent la mort de Requésens. Comme en Brabant et en Flandre, les Réformés de l'Artois, du Tournaisis, du Hainaut, de la région de Lille se jetèrent avec enthousiasme dans l'agitation patriotique. Ils organisèrent dans les villes un parti démocrate et orangiste. Le spectacle que nous avons constaté à Bruxelles dès 1577 se retrouve à Arras dans tous ses traits essentiels. Ici aussi, le petit peuple exige la guerre à outrance contre la tyrannie espagnole, et ici aussi des avocats monarchomaques et un petit groupe de protestants entraînent derrière eux la masse catholique des pauvres gens. Les avocats artésiens Crugeol et Gosson (5) nous apparaissent comme d'exactes répliques de Liesvelt et de ses confrères. Comme eux, ils prennent conseil de Marnix, de Villiers, des agitateurs orangistes; comme eux, ils dressent des listes de suspects; comme eux enfin, ils instituent à côté du conseil de la ville ou pour mieux dire au-dessus de lui, un comité de salut public, les XV, visiblement imités des XVIII de Bruxelles (6). LES PATRIOTES EN WALLONIE. - Mais les chances des patriotes sont bien moins favorables dans les provinces wallonnes que dans les provinces flamandes. Trop éloignés du gros des forces orangistes (7), ils ont aussi à combattre une opposition particulièrement redoutable. Le clergé d'abord est beaucoup plus riche et plus influent en Hainaut, en Artois, dans le pays de Lille, qu'en Flandre ou en Brabant. De plus, la création des nouveaux diocèses n'a pas introduit dans ces régions des perturbations aussi profondes que dans les contrées du Nord et n'y a point soulevé ce mécontentement qui excite contre l'Espagne tant d'abbés brabançons. Au contraire, en réorganisant l'Eglise, elle l'y a en même temps attachée au roi. L'évêque d'Arras, Mathieu Moulart, et l'abbé de Saint-Vaast; Jean Sarrasin (8), poussent de toute leur énergie à une entente avec don Juan, et, contre les patriotes, constituent un parti « johanniste ». La noblesse s'y rallie sans exception. Car, privée par l'émigration de tous ses membres calvinistes, elle est maintenant unanimement catholique. Elle demeure, il est vrai, sincèrement antiespagnole et fidèle à la cause nationale. Mais la tournure des événements depuis l'arrivée du prince d'Orange à Bruxelles, l'influence croissante de la démocratie, l'arrestation du duc d'Arschot et des évêques par les Gantois, l'impuissance à laquelle le prince a réduit l'archiduc Mathias refroidissent peu à peu son zèle, l'inquiètent et enfin la dégoûtent, comme dit Pontus Payen, « du beau patrio- taige » (9). Après la bataille de Gembloux, le clergé ne devra pas déployer de grands efforts pour l'amener à l'idée d'une réconciliation avec le roi. Les dispositions des deux ordres privilégiés dans les provinces wallonnes sont d'autant plus dangereuses que leur ascendant social y est plus grand. En Hainaut, Valenciennes et Tournai formant chacun une province spéciale, la bourgeoisie n'est représentée aux assemblées d'Etats que par la seule ville de Mons. En Artois, pays essentiellement agricole, Arras, Saint-Omer et Béthune ne peuvent assurer la prépondérance à l'élément urbain. Bref, si les patriotes et les Orangistes wallons sont animés du même esprit que les patriotes flamands, les circonstances (Madrid, Musée du Prado.) (Cliché Braun.) L'Espagne secourant la Religion. Tableau peint par Titien avant 1575. la Qlut-/tf 'sû S e-X t m&.'tiT tr. politiques et le milieu social au milieu duquel ils s'agitent suscitent contre eux une bien plus forte résistance. Cette résistance se manifeste dès le mois de février 1578, et il faut reconnaître qu'elle fut conduite avec beaucoup d'adresse. Les Orangistes puisaient leur force dans l'union nationale. Puissants par la « généralité », ils tomberaient nécessairement le jour où celle-ci, perdant sa cohésion, cesserait de les soutenir. Or, pour dénouer le faisceau des provinces, il suffisait de dissoudre l'assemblée des Etats généraux. Le roi voyait clair lorsqu'il s'obstinait jadis à interdire la convocation de ce grand corps, organe et symbole de la « commune patrie » en face de l'Espagne. C'est de lui qu'était venu tout le mal; c'est lui qui, incapable de résister aux injonctions des patriotes, leur permettait de se couvrir des apparences de la légalité et d'entraîner le pays dans une politique dont le bas peuple était l'instrument et dont apparaissaient de plus en plus nettement les attaches calvinistes. Ces considérations amenèrent les Etats d'Artois, ou plus exactement le clergé et la noblesse des Etats d'Artois, à demander, dès le 7 février 1578, la clôture de la session des Etats généraux. Quelques jours plus tard, le 1er mars, ils proposaient de conclure la paix avec don Juan et, le 6 mars, les Etats de Hainaut se ralliaient à leur opinion. Ainsi, à la politique patriote de guerre et d'union nationale, les Johannistes opposent une politique de particularisme et d'entente avec le souverain. Mais tout de suite le peuple des villes entre en scène. Le 17 mars, une émeute éclate à Arras. On bloque les échevins dans l'hôtel de ville, on traîne en prison les partisans de la paix, on oblige les députés de la bourgeoisie qui ont siégé aux Etats à désavouer la conduite de ceux-ci. A Béthune, à Aire, à Saint-Omer, à Douai, des mouvements analogues se manifestent. L'exemple de Gand encourage les villes wallonnes. En rapport avec le prince d'Orange, Villiers, Théron et Marnix, leurs tribuns se montrent résolus à maintenir l'union par la force. Gosson déclare à Arras que « se divisant ces provinces, c'estoit comme si de leur main droite, ils démembroient leur bras gauche» (10). LES JOHANNISTES ET LES PROTESTANTS. -Pour s'imposer au clergé et à la noblesse, les patriotes wallons devaient, comme les patriotes du Nord, s'appuyer /l ilrmd & utrlé , CLC '.iictdics (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms II 1028, fol. 52 r".) Armoiries des duchés de Luxembourg et de Gueldre, et des comtés de Flandre, Artois, Bourgogne, Hainaut, Hollande, Zélande et Frise. Miniatures extraites du Passe-temps, Mémoires d'un gentilhomme de la chambre de Philippe II (1587-1602) de Jehan Lhermite. Le Passe-temps est un recueil de souvenirs entrecoupés de nombreuses descriptions de voyages. Son principal intérêt réside dans la description de la cour d'Espagne à la fin du règne de Philippe II. sur la troupe. Il ne suffisait point d'armer le peuple; la présence de soldats réguliers était indispensable. Les Gantois ne devaient-ils pas leur succès aux mercenaires enrôlés par Ryhove ? Un calviniste d'Arras, ancien Gueux de mer devenu capitaine en Hollande, Ambroise Le Duc, offrit ses services à ses compatriotes. On s'empressa de l'appeler dans la ville et de lui donner le commandement des quinze compagnies militaires de la bourgeoisie et d'une cornette de cinquante chevaux (mars 1578). Jusqu'alors, la minorité protestante qui avait dirigé les patriotes avait soigneusement évité de porter ombrage aux catholiques. Mais, à Arras comme à Gand, dès qu'elle vit la force de son côté, elle abandonna toute retenue. A peine Le Duc est-il installé dans la ville que des prêches se tiennent dans sa maison. On commence à entendre chanter dans les rues les psaumes de Marot. En même temps, pour compléter l'identité du spectacle à Arras et à Gand, l'esprit révolutionnaire se déchaîne parmi les « cordonniers, chavetiers, pigneux, tisserands et autres artisans » qui soutiennent les XV. La démagogie et la Réforme se déployent de concert et s'enhardissent mutuellement. L'envoi dans les provinces, au mois de juillet, par les Etats généraux, du projet de paix de religion surexcite encore les calvinistes. A Béthune, à Saint-Omer, à Lille comme à Arras, ils réclament l'exercice public de leur culte. Ils font circuler des pétitions sur lesquelles ne craignent pas de s'inscrire deux cent six bourgeois à Valenciennes et plus de huit cents à Tournai (11). Ils compensent leur petit nombre par leur audace, menacent les magistrats catholiques de les envoyer à Gand, et disent arrogamment que « le pot de terre brisera le pot de cuivre» (12). Dans le plat-pays, en Artois et aux environs de Lille, des pasteurs, encouragés par leur attitude, commencent à prêcher. « L estât ecclésiastique, raconte un contemporain, estoit réduit au désespoir, les gentils hommes trembloient de peur, les riches citoyens des villes n'estoient guère assurés dans leurs maisons» (13). A la faveur de ce désarroi, il suffisait d'un coup de force pour assurer la victoire à la minorité protestante et orangiste, et elle était bien décidée à l'exécuter. Pour agir à coup sûr, elle n'attend que le secours des Gantois, car Ryhove et Hembyze ont promis à ses chefs l'envoi d'une partie des reîtres de Jean- ec/t-"^- (Amsterdam, Rijksmuseum, Cabinet des Estampes.) « Liberae religionis typus » : estampe catholique satirique. Deux chevaux, montés par Luther et Calvin, tirent le char de la « Religion libre » suivi de la Pauvreté et de la Révolte; une prison et une ville en flammes symbolisent la Cruauté et la Ruine (devastatio) ; la Paix et la Piété s'enfuient en direction du seul refuge : une abbaye. Estampe hollandaise anonyme, vers 1570. Casimir et de plusieurs compagnies écossaises. Mais au moment où ces troupes vont arriver, la mutinerie des soldats du baron de Montigny leur barre le chemin. Elle sépare les calvinistes du Sud de ceux du Nord et permet au catholicisme, dans les provinces wallonnes, de reprendre l'offensive et d'étouffer la Réforme avant qu'elle se soit préparée au combat. MECONTENTEMENT DES TROUPES WALLONNES (14). — Après la bataille de Gembloux, les Etats généraux, poussés par le prince d'Orange, avaient constitué dans le Nord une nouvelle armée, sous le commandement du comte de Boussu. Elle renfermait surtout des troupes protestantes : compagnies tirées de Hollande et de Zélande, mercenaires écossais, volontaires huguenots et reîtres allemands amenés par Jean-Casimir. Quant aux régiments wallons vaincus par Farnèse, une partie en avait été licenciée et on laissait le reste tenir garnison dans les places du Sud ou escarmoucher péniblement dans le Hainaut contre les troupes de Gonzaga. Dans ce débris d'armée le mécontentement était universel. Tous catholiques, ses chefs, Lalaing, Montigny, Melun, Egmont, Hèze, Champagney, se savaient suspects aux patriotes et accusaient le prince d'Orange de les abandonner et d'empêcher le comte de Boussu de leur envoyer des renforts. Les soldats s'exaspéraient de ne pas recevoir leur solde. En avril, le régiment de Hèze, placé à Maestricht, s'était mutiné. Bref, la situation était plus que critique et justifiait pleinement les réclamations des troupes. Personne cependant n'en était responsable. Le désordre de leurs finances ne permettait point aux Etats généraux de faire face aux dépenses militaires, et le comte de Boussu n'avait point assez de forces pour risquer, en présence de don Juan, de dégarnir les abords d'Anvers. D'ailleurs, le comte de Lalaing, dont la jalousie à l'égard du prince d Orange augmentait en même temps que son exaspération devant les progrès des protestants et des démagogues, se montrait de plus en plus ombrageux et déclarait qu'il ne laisserait entrer dans le Hainaut « nul soldat de religion contraire à la catholique » (15). Ainsi la question religieuse paralysait maintenant la défense nationale. Entre l'armée des Etats et l'armée de Gembloux, la différence des confessions empêchait la confiance et l'unité des efforts. La conduite du commandant de Grave-lines, Valentin de Pardieu, sire de La Motte, qui, le 8 avril 1578, expulsait de la place la compagnie de son lieutenant de Vaux, fidèle partisan des Etats, devait être, dans ces circonstances, le point de départ d'une catastrophe. Soldat de carrière entré au service depuis une trentaine d'années et couvert de blessures, La Motte avait pris une part active aux opérations militaires contre les protestants en 1566, s'était distingué à la bataille d'Austruweel et surtout pendant la campagne de Hollande sous les ordres de don Fadrique. Requésens, le sachant aigri de n'avoir encore reçu aucune récompense, lui avait fait donner par le roi, en 1574, le gouvernement de Gravelines. Cette faveur ne l'avait pas empêché de se prononcer deux ans plus tard, comme presque tous les officiers wallons, pour la cause nationale. Il ne s'y était rallié d'ailleurs que dans l'espoir d'obtenir un commandement avantageux. En véritable mercenaire, il lui était fort indifférent de suivre un drapeau plutôt qu'un autre, à condition d'y trouver son profit. Mais il s'aperçut bientôt que les Etats généraux payaient plus mal encore que le roi d'Espagne. L'influence croissante des calvinistes, qu'il avait jadis si rudement combattus et auxquels il demeurait odieux, acheva de le dégoûter et de le convaincre qu'il avait fait fausse route. Son protecteur le duc d'Arschot prisonnier des Gantois, son ami Champagney irrémédiablement brouillé avec le prince d'Orange, ses soldats et lui-même privés de solde, il n'en fallait pas tant pour le décider à une nouvelle volte-face. Dès les premiers mois de 1578, il s'abouche avec des agents de don Juan. Toutefois, il se garde prudemment de s'engager à fond. Même après le 8 avril, il se déclare fidèle à la Pacification de Gand. Entre les Espagnols et les Etats, il prend une attitude qui lui per- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Types de soldats du XVIe siècle. Gravure d'Abraham De Bruyn (Anvers, 1540-Cologne, vraisemblablement, 15871. mettra, suivant les circonstances, de se donner au plus offrant. LES « MALCONTENTS ». — Son exemple ne trouva pas d imitateurs parmi les chefs des troupes wallonnes. Pourtant, si aucun d'eux ne songe à un rapprochement avec le roi, leurs dispositions deviennent de jour en jour plus inquiétantes. On commence à les désigner, et ils se désignent eux-mêmes, sous le nom de « Malcontents ». Comme nobles, ils s'indignent des mouvements démocratiques provoqués dans toutes les grandes villes par les Orangistes. Comme catholiques, ils protestent de toutes leurs forces contre la violation de la Pacification. Comme militaires, ils s'irritent du dénuement dans lequel les Etats généraux laissent croupir leurs soldats. Le souvenir des services qu'ils ont rendus à la cause nationale leur fait paraître d'autant plus injustes les suspicions auxquelles ils sont en butte. Hèze n'a-t-il pas jadis fait arrêter les membres du Conseil d'Etat ? Lalaing n'a-t-il pas organisé l'armée ? Montigny n'a-t-il pas vaillamment lutté à Gembloux ? Philippe d'Egmont n'est-il pas venu se mettre à la disposition du pays ? Ajoutez à tout cela que la plupart d'entre eux sont des jeunes gens aussi incapables de se maîtriser qu'avides de jouer un rôle. Il est impossible qu'ils continuent à assister inertes au renversement de l'ordre religieux et de l'ordre social, cfont la conduite des Gantois paraît, à leurs yeux, menacer le pays. Champagney d'ailleurs, plus que jamais ennemi déclaré du prince d'Orange, met tout en œuvre pour attiser leur mécontentement. Avec plusieurs d'entre eux, Hèze, Ber-seele, Glymes, Bassigny, il vient protester à Bruxelles contre le projet de paix de religion. Une émeute éclate. Les patriotes s'emparent des pétitionnaires et, pour comble d'audace, livrent Champagney aux Gantois (19 août). Cependant la puissance de ceux-ci grandit toujours. Déjà toute la Flandre flamingante a passé sous leur domination. Que leurs troupes pénètrent à Lille et elles y provoqueront sans nul doute une insurrection calviniste et démocratique qui ne manquera pas de s'étendre aussitôt aux villes voisines. Contre ce péril, le baron de Montigny (Amsterdam, Rijksmuseum, Cabinet des Estampes.) « Die Khue auss Nider Landt » : La vache des Pays-Bas. Estampe satirique. La vache symbolise les Pays-Bas dont quatre étrangers se disputent la possession : le roi d'Espagne (Philippe II) essaye de la retenir par la queue, un Allemand (l'archiduc Mathias) la saisit par les cornes, un Français (François d'AIençon, duc d'Anjou), s'efforce de l'emmener, et un Anglais (le palatin Jean-Casimir ou bien Richard Dudley, comte de Leicester), la trait. Estampe allemande anonyme; vers 1580. se décide à utiliser ses troupes que les Etats généraux laissent sans emploi et sans argent. Puisque le gouvernement n'ose s'opposer aux Gantois, il va se charger de leur tenir tête. Le 1er octobre 1578, le jour même de la mort de don Juan, il se porte à Menin avec les débris de son régiment et quelques compagnies wallonnes qu'il a rassemblées autour de lui. Il commande ainsi le cours de la Lys, met Lille à l'abri d'un coup de main et menace en même temps les positions avancées des Gantois, Ypres et Courtrai. Pleins de confiance dans leurs forces, les calvinistes de Gand s'empressent de relever ce défi. De même que le duc d'Albe a répondu en 1567 à l'invasion de Louis de Nassau par la décapitation des comtes d'Egmont et de Hornes, de même Ryhove, avant de marcher contre Menin, fait pendre sous ses yeux deux prisonniers catholiques, le conseiller Hessels et Jean de Visch. Dès lors, la guerre civile est déclarée, et c'est nettement une guerre de religion. Les troupes protestantes de Ryhove vont offrir la bataille, le 5 octobre, aux Wallons catholiques de Montigny, qu'elles appellent par dérision Paternoster Knechten. Jean-Casimir leur avait envoyé des renforts, et, après la défaite de Ryhove, il accourut lui-même à Gand (9 octobre). Contrecarré par le prince d'Orange et par les Etats, il saisit avec joie l'occasion de jouer un rôle personnel. Son fanatisme répond à celui des Gantois, et il condamne comme eux la politique de tolérance par laquelle Orange cherche à maintenir la cohésion de la « généralité ». Mais tandis qu'il vient mettre au service des sectaires les forces qu'il a prétendument amenées à la défense des provinces, Montigny voit affluer dans son camp une bonne partie des soldats français qui ont suivi le duc d'Anjou en Hainaut (16), si bien que l'intervention des étrangers dans les affaires du pays ne sert qu'à y renforcer l'anarchie. PROJET D'UNE CONFEDERATION CATHOLIQUE. — Pendant que l'on se battait sur les frontières de Flandre, les Etats de Hainaut s'étaient assemblés sous la présidence du comte de Lalaing. Ils déclarent le moment venu de mettre fin à une situation intolérable « non pas pour attempter chose nouvelle et contraire au bien de la cause commune, mais soubz protestation bien expresse de se maintenir et conserver suyvant les termes de la Pacification et Union contre la plus que barbare insolence et tyrannie excédant l'espaignolle des sectaires et leurs adhérens, et obvyer à l'extinction et anéantissement qui se prétend, de nostre saincte foy et religion, de la noblesse et généralement de tout ordre et estât» (17). Leur intention n'est pas, on le voit, de déserter la cause nationale. Ils n'abandonnent en rien le programme patriotique de 1576, puisqu'ils réclament la stricte application de la Pacification de Gand et de l'Union de Bruxelles. Incontestablement, ils se placent sur le terrain de la légalité, et on ne peut rien leur répondre quand ils protestent contre la violation par les calvinistes des engagements les plus solennels. Mais ils refusent de comprendre qu'il est trop tard pour revenir en (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) LA GUERRE DE RELIGION (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, collection des moulages, n08 28021, 28022 et 28023.) Empreinte des matrices en argent du sceau des trois membres des Etats du Hainaut (1578). A gauche, sceau du clergé; écu timbré d'une crosse et entouré des armoiries des membres du clergé députant, avec la légende : SIGILLVM. CLERI. HANNONIAE. Au centre, sceau de la noblesse; écu timbré d'un cimier et entouré des armoiries des nobles députant, avec la légende ; SIGILLVM. NOBILIVM. HANNONIAE. 1578. A droite, sceau du Tiers-Etat représenté par les villes du comté; écu timbré des murailles d'une ville et entouré des écus des villes députant, avec la légende : SIGILLVM. CIVITATVM. HANNONIAE. 1578. Les matrices originales reposent aux Archives de l'Etat à Mons. arrière, que la question religieuse domine maintenant la question politique, que l'on ne peut plus songer à refuser aux protestants l'exercice de leur culte. Ils ne veulent pas admettre que la « cause commune », à laquelle ils restent fidèles, exige de nouvelles concessions, et que leur rattachement à la lettre des conventions de 1576 n'est pas moins destructif de la « généralité » que le fanatisme particulariste des Gantois. Car ils ne peuvent compter que sur le concours des provinces catholiques, et, dès le milieu d'octobre, ils proposent aux Etats d'Artois de se liguer avec eux, « ce que, une fois emprins et mis en lumière, n'est à doubter que les catholicques déchassez et opressez, mesmement plusieurs quartiers et villes catholicques, dont en y a en-croire beaucoup à tous costez, se déclareront et joindreront aussy et y assisteront de tous leurs moyens et puissances » (18). Ces paroles sont significatives. Elles montrent bien que ce n'est pas d'une Confédération wallonne, mais d'une Confédération catholique qu'il est question. Sans doute, les provinces wallonnes, où le catholicisme domine, en formeront la base; mais elle sera ouverte à tous ceux qui, dans l'ensemble du pays, n'ont point abandonné l'Eglise. Bref, ce qu'on veut, ce n'est pas un « cantonnement » à la gantoise : c'est tout simplement « la conservation et exécution de la première Union tant solempnellement advouée et jurée par toutes les provinces ». S'ils tendaient tous deux au même but, les Etats de Hainaut et les Etats d'Artois n'étaient point d'accord, cependant, sur les moyens de l'atteindre. Ceux-ci travaillés par l'évêque Mathieu Moulart, songeaient à une réconciliation avec l'Espagne; ceux-là, sous l'influence du comte de Lalaing, décidaient de recourir au duc d'Anjou et de le détacher, à leur profit, du parti orangiste (24-27 octobre) (19). Au moment où ils s'engageaient ainsi, la victoire de la cause catholique dans les provinces wallonnes était un fait accompli. Le 16 octobre, à la nouvelle de la démarche des Etats de Hainaut auprès de ceux d'Artois, les patriotes d'Arras s'étaient soulevés. Arborant les couleurs du prince d'Orange, orange, blanc et bleu, ils s'étaient emparés de l'hôtel de ville. Ils triomphaient s'ils avaient pu recevoir à temps quelques troupes de renfort. Mais les Gantois, contenus par Montigny, n'étaient plus à même de leur venir en aide. Bientôt les catholiques reprennent courage. Trois fois plus nombreux que leurs adversaires, ils peuvent compter sur la plupart des compagnies militaires de la bourgeoisie. Le 21 octobre, ils marchent contre la petite troupe de Le Duc et les pauvres gens des quartiers populaires qui se groupent autour d'elle. La résistance était impossible et Le Duc évita par la fuite un combat inutile. Dès lors les patriotes n'avaient plus qu'à déposer les armes. Ils durent assister impuissants à l'arrestation de leurs chefs et à celle des XV. Le 23 et le 25, après une procédure sommaire, l'avocat Gosson, avec huit de ses principaux partisans, était exécuté sur le grand marché. CHUTE DES CALVINISTES WALLONS. - Les événements d'Arras provoquèrent aussitôt, dans les villes voisines, un mouvement de réaction contre les Orangistes qui venaient de révéler leur faiblesse. A Lille, Longastre, chargé par le prince de renouveler la loi « pour y fourrer des consistoriaux » (20), est chassé par une émeute. Douai, qui a assisté le 16 octobre à l'expulsion des jésuites, voit les catholiques se remettre, dès le 30, en possession du pouvoir. Tournai seul, où le prince d'Epinoy tient garnison au nom des Etats, résiste à l'entraînement général. Mais partout ailleurs, dans la région wallonne, le calvinisme, auquel la démocratie urbaine frayait la voie, est abattu' en même temps qu'elle au profit de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Car la restauration politique Carte des territoires ayant adhéré à l'Union d'Utrecht et à l'Union d'Arras va de pair avec la restauration religieuse. Le parti des « Malcontents » n'est pas seulement un parti confessionnel : c'est encore un parti aristocratique et conservateur. Avec lui, ce sont les ordres privilégiés qui dominent aux Etats de Hainaut et d'Artois, ce sont les commandants des troupes wallonnes, c'est Montigny, c'est Lalaing, ce sont leurs innombrables parents, amis et clients, c'est enfin la bourgeoisie riche qui l'emporte sur le bas peuple comme l'Eglise l'emporte sur le protestantisme. Il était inévitable, dans ces conditions, que les vainqueurs achevassent l'évolution commencée, et qu'accentuant leur hostilité aux révolutionnaires, ils revinssent tôt ou tard au souverain légitime. Encouragés par les circonstances, Mathieu Moulart à Arras et La Motte à Gra-velines, tous deux en rapports avec Alexandre Farnèse, travaillent ouvertement pour l'Espagne. Le premier cherche à convaincre les Etats d'Artois, comme le second à gagner Montigny. Le comte de Lalaing s'efforce en vain de traverser leurs projets en prônant l'alliance d'Anjou. L'aversion des Hennuyers et des Artésiens pour la France, dont les armées ont si souvent ravagé leur territoire et assiégé leurs villes, les emplit de défiance à l'égard du duc (21). Pour brusquer les choses et forcer leur assentiment, celui-ci risque le 23 décembre un coup de main sur la ville de Mons. La vigilance des bourgeois déjoue cet attentat qui achève de le discréditer. Sans argent, incapable de payer ses troupes en pleine débandade, il abandonne la partie et se retire à Condé d'où il reprend bientôt le chemin de Paris. Dès lors, Lalaing n'a plus qu à laisser faire les partisans de la paix. Le 6 janvier 1579, les députés des Etats d'Artois et de Hainaut, réunis à l'abbaye de Saint-Vaast avec ceux de Douai, concluent l'Union d'Arras (22). Les circonstances ont eu raison enfin de ce « dégoût des Espagnols » (23) qui, depuis si longtemps, arrêtait les catholiques sur le chemin du retour à Philippe II. Les négociateurs d'Arras écrivent aux Etats généraux qu'ils sont décidés à « chercher les voyes pour redresser les affaires, mesmement d'adviser par quels moyens raisonnables, certains et asseurez l'on polroit parvenir à une générale réconciliation avecq le roy catholicque, nostre seigneur et prince naturel ». Ils les supplient en même temps de rétablir l'Union générale suivant les termes de la Pacification de Gand, « aultrement ne doibvent trouver estrange [vos seigneuries] si tenons pour desjoints et séparez de la dicte Union, comme de faict sont, tous ceulx et celles qui contreviennent à aulcuns des poincts et articles d'icelle, directement ou indirectement par quelque voye ou manière que ce soit » (24). L'UNION D'ARRAS ET L'UNION D'UTRECHT. - A l'Union catholique d'Arras répondit, quelques jours plus tard, le 23 janvier 1579, l'Union calviniste d'Utrecht. Comme la première, elle se réclamait de la Pacification de Gand, mais en l'interprétant, selon les désirs des Réformés, dans le sens de la liberté complète de religion. Elle groupait, autour de la Hollande et de la Zélande, les provinces d'Utrecht, de Gueldre, de Frise, d'Overyssel et de Groningue, et les villes protestantes de la Flandre et du Brabant, Gand, Ypres, Bruges avec le Franc. Anvers, Lierre et Bréda ne tardèrent pas à s'y affilier. D'ailleurs, elle ne s'inspirait point uniquement de considérations religieuses. La Hollande et la Zélande, dont les Etats y avaient poussé de toutes leurs forces, s'y réservaient une situation privilégiée et voyaient surtout dans les territoires auxquels elles s'alliaient un boulevard contre l'Espagne. Tandis que les confédérés d'Arras parlaient de réconciliation avec le roi, ceux d'Utrecht se préparaient à la guerre. Les ressources militaires et la puissance économique des deux provinces maritimes leur permettaient d'envisager l'avenir avec une confiance que les événements devaient justifier. Le prince d'Orange, inquiet de l'attitude des provinces wallonnes, avait lui-même hâté la conclusion de la ligue du Nord. Son frère Jean, gouverneur de Gueldre, avait énergiquement travaillé au succès final. Et cependant, pour la politique dont le prince s'était jusqu'alors constitué le champion, l'Union d'Utrecht et l'Union d'Arras étaient également fatales. Comment, en effet, la « généralité » pourrait-elle subsister encore entre les tendances incompatibles des protestants et des catholiques ? Chacune des deux alliances ne comptait plus que sur soi-même. L'esprit confessionnel et l'esprit de parti l'emportaient sur l'esprit national. Il n'était plus question de défendre la « commune patrie » contre l'étranger. L'Etat bourguignon se déchirait... Les Etats généraux, retirés à Anvers depuis la bataille de Gembloux, ont perdu ce qui leur restait d'autorité. L'archiduc Mathias n'est plus qu'un fantoche dont personne ne s'occupe. Les provinces cessent de fournir leurs contributions : le trésor est à sec et l'armée nationale, sous le commandement du Français La Noue (25) et de l'Anglais Norris, se sent incapable de rien entreprendre. Le 2 mars, Farnèse l'attaque à Borgerhout, la rejette sous les murs d'Anvers, et, dix jours plus tard, commence, sans être inquiété, le blocus de Maestricht. Cependant les provinces wallonnes affirment nettement leur volonté d'en finir. Le 23 février 1579, les Etats d'Artois et les députés du Hainaut et de Douai avertissent les Etats généraux de leur résolution de traiter seuls avec le roi, s'il est impossible d'arriver à une paix générale, « assez considérans combien elle peut et doibt prévaloir une particulière ». Mais ils n'accepteront cette paix générale que « sur le pied et le fondement de la Pacification de Gand, Union ensuivie et Edit perpétuel, sans y admettre ou coucher chose quelconque au contraire, signamment de nostre saincte foy et religion catholique romaine» (26). C'est en vain que les Etats généraux les supplient de sacrifier leurs scrupules religieux au salut du pays et les exhortent « à déchasser le cruel tyran et ennemy commun de tout le nom belgicque » (27). Au milieu de la défection universelle, ces objurgations patriotiques n'éveillent plus le moindre écho. Du côté des Gantois, l'avenir, après s'être un moment éclairci, apparaît de nouveau sous les plus sombres couleurs. Au mois de novembre 1578, Jean-Casimir, abandonné par Elisabeth mécontente de ses stériles intrigues, avait définitivement quitté les Pays-Bas. Son départ avait aussitôt provoqué dans la ville une réaction des Orangis-tes, groupés autour de Ryhove, contre les sectaires obéissant à Hembyze. Datenus s'était enfui, et, le 16 décembre, la paix de religion avait été proclamée en présence du prince d'Orange. Elle partageait les églises et les écoles entre les deux confessions et chargeait un comité de huit personnes, quatre catholiques et quatre protestants, de veiller à son exécution. Ce revirement avait permis une entente avec Montigny. Le 9 janvier 1579, il s'était décidé à évacuer Menin, moyennant le maintien du catholicisme dans la ville, la délivrance des prisonniers que les Gantois détenaient depuis si longtemps et le payement de trois mois de solde à ses troupes. On pouvait donc espérer encore échapper à la guerre civile et diriger vers l'armée des Etats les 7,000 Wallons de Montigny (28) et les soldats engagés par Ryhove. Mais cette accalmie ne dura qu'un moment. Le 26 jan- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse, recueil V.H. 26423, planche 154.) Exécution de l'avocat Gosson sur la place du Marché à Arras le 26 octobre 1578. Gravure de François Hogenberg (Malines, avant 1540-Cologne, 1590). En dessous du commentaire en langue allemande figure ce texte en langue française : . Le seigneur de Coppres, ceux du conseil D'arthois et les escevins D'arras, conjurés à la révolte contre la Patrie, condamnent et mettent à mort Monsieur Gosson, conseiller et député de son ALTESSE et de la Bourgeoisie dicetle ville, le Dimenche 26 D'octobre à deux heures en la nuit an 1578, en son aage de 70 ans, pour s estre opposé à leur desseing. » vier, Gand, malgré les protestations de la poorterie, adhérait à l'Union d'Utrecht, et les calvinistes intransigeants en profitaient pour reprendre le pouvoir. Excités par les lettres du secrétaire de Jean-Casimir, le Dr Beuterich (29), les partisans d'Hembyze font de nouveau la loi à la majorité catholique. Le pillage des églises recommence; des mercenaires sont enrôlés; les captifs que l'on avait envoyés à Termonde rentrent en prison le 10 mars, enfin la paix de religion est abolie. LA DEFECTION DE MONTIGNY. - Avec elle s'évanouissait la dernière chance de ramener Montigny et les Malcontents à la généralité. Sous le coup de leur exaspération, ils se décident enfin à l'inévitable. La Motte, qui se donne maintenant comme agent de Philippe II et que les Etats généraux viennent de déclarer ennemi public (9 mars), leur fait des avances auxquelles s'associent l'évêque d'Arras, le baron de Selles et le sire de Valhuon, envoyé d'Alexandre Farnèse. Il n'en fallait pas tant pour réussir. Le 6 avril, à Mont-Saint-Eloi, Montigny, au nom de tous les « colonels, capitaines et soldatz » qui l'ont suivi en Flandre, met ses troupes à la disposition du roi et lui livre les villes de Menin et de Cassel, à condition que Sa Majesté lui donne 205,000 florins comme paiement de solde, gouverne suivant la Pacification de Gand et l'Edit perpétuel et enfin promette aux provinces de l'Union d'Arras de retirer des Pays-Bas les gens de guerre étrangers (30). —y)M, ^y»*,^»;'* >«4y __^ / ___ VWiv A, Oo^. j^i&SZ^ , frtKrMyAc y. ^ _ (O^MT^QI l'C PCg^t • mc/Mf a*- ^diH r ifj ^ ■■■■ (La Haye, Archives Générales du Royaume, Bruin Kastje n° 28.) (Cliché Oppenheim.) Signatures des délégués des Etats de Hollande, Zélande, Utrecht et « Ommelanden » au bas de l'Union d'Utrecht (23 janvier 1579). Trois délégués signent pour la Hollande, quatre pour la Zélande, huit pour Utrecht et, sur ce folio, un pour les « Ommelanden ». LA PAIX D'ARRAIS. — Cet accord, bien qu'il précède de quelques jours la réconciliation officielle de l'Union d'Arras avec Philippe II, la considère comme accomplie et s'y rattache intimement. C'est qu'en effet, l'issue des négociations dont elle devait sortir n'était plus douteuse. Sauf Tournai, toutes les provinces wallonnes avaient décidément rompu, dès le mois de mars, avec la généralité. Il ne leur restait qu'à s'entendre avec Farnèse, et entre le camp de Maestricht et le monastère de Saint-Vaast, où leurs députés siégeaient en permanence, les courriers galopaient sans relâche. Pourtant, si des deux côtés on avait le même désir de conclure, les pourparlers n'en étaient pas moins laborieux. Le clergé seul traitait avec confiance et bonne volonté. Mais au sein de la noblesse et des villes, l'antipathie invétérée contre l'Espagne et le scrupule d'abandonner une cause pour laquelle on avait si longtemps combattu faisaient surgir constamment des difficultés ou des hésitations. Avec un don Juan, peut-être ne serait-on jamais arrivé au but. Mais le souple et habile Farnèse sut manœuvrer à merveille. Comme un adroit pêcheur, il rend de la corde chaque fois qu'il sent sous sa main une résistance trop forte; il est patient, il est calme, il est modéré, et la paix d'Arras, qu'acceptèrent enfin les Etats d'Artois, de Hainaut, de Lille, de Douai et d'Orchies le 17 mai 1579, fut le premier triomphe de sa diplomatie — et la condition de tous les suivants. Elle proclamait le maintien de la Pacification de Gand, de l'Union de Bruxelles et de l'Edit perpétuel « dans tous leurs points et articles », octroyait une amnistie générale et ratifiait toutes les nominations faites par l'archiduc Mathias, les Etats généraux et le Conseil d'Etat, pourvu que les personnes nommées fussent catholiques. Six semaines au plus tard après la publication du traité, tous les soldats espagnols, italiens, albanais, bourguignons « et autres estrangiers non agréables aux Estatz », devront sortir du pays, qui lèvera, pour les remplacer, un corps d'armée national. Les villes et forteresses seront confiées à des commandants indigènes. Le roi ne pourra mettre de troupes dans les provinces réconciliées sans leur consentement. Tous les privilèges sont rétablis « et si aucunz ont esté violez, seront réparez et restituez ». Le gouverneur des Pays-Bas sera à l'avenir un prince de sang, mais provisoirement le duc de Parme exercera le gouvernement pour une durée de six mois. Sa cour se composera surtout de « naturels du pays » et au plus de vingt-cinq à trente, étrangers. Le Conseil d'Etat comprendra douze membres, au choix du roi, tous « naturels du pays », et dont huit auront suivi le parti des Etats du commencement à la fin; de ces huit, cinq seront nommés à vie et l'on renouvellera les autres tous les trois mois « pour laisser ouverture aux provinces à réconcilier ». Toutes les dépêches, comme au temps de Charles-Quint, seront montrées au Conseil d'Etat. Quant au Conseil privé, au Conseil des finances et autres offices d'importance, le roi y fera entrer « des naturels du pays, ou bien d'autres non naturels, agréables aux Estatz ». Les impôts seront consentis par les Etats, comme sous Charles-Quint. Enfin, le bénéfice de ces stipulations est garanti à toutes les provinces, châtellenies, villes ou personnes privées qui se réconcilieront dans les trois mois suivant le départ des troupes royales (31). Ainsi faite, la paix d'Arras présente un caractère très nettement antiespagnol. Si elle restaure l'obéissance au « prince naturel », elle proclame d'autre part le retour du LA GUERRE DE RELIGION -------; " % ' ■£<•<•«. • \---UAy.fft,. A/ «1-. y» — t / '/yv-ï ^ çf— V - cf. • ■fvyf-Or* f J» , ^ v y^rf^ /J- ^ Ji ^ {/I-™ "c «Jov^v- >Vr- , ^ ,, - c^-o "Î7. ^yrvv» ---c i- - ' -.yw, _ ' , ' c / t b ! 'is ~ -------- fr^yfyt (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Papiers d'Etat et de l'Audience, n° 591bis, fol. 9 r°.) Signatures des plénipotentiaires des provinces wallonnes au bas des préliminaires de la réconciliation de ces provinces avec Philippe II signés à l'abbaye de Saint-Vaast près d'Arras le 17 mai 1579. On reconnaît, entre autres, les signatures de Mathieu Moullart, évêque d'Arras, Jean de Noircarmes, Robert de Melun, et de Philippe de Lalaing « lieutenant-capitaine-général et grand bailly de Haynnau ». pays à l'autonomie que le duc d'Albe, en 1567, avait reçu mission de détruire. Elle réalise, en somme, le programme de l'opposition politique que nous avons vu débuter vingt ans plus tôt, lors du départ de Philippe II en 1559. Par elle, l'Etat espagnol capitule devant l'Etat bourguignon. Elle met fin au système de la contrainte et du despotisme, rend le gouvernement aux nationaux, restitue tous les privilèges, chasse du pays les étrangers. Evidemment, à moins de renoncer à sa souveraineté même, le roi ne pouvait octroyer aux Pays-Bas de plus larges concessions. Mais il ne cède le domaine politique que pour conserver intact le domaine religieux. Grave échec pour le roi d'Espagne, la paix d'Arras est un éclatant succès pour le roi catholique. Doublement conservatrice, elle rétablit la tradition tout à la fois au détriment de l'absolutisme et au profit de l'Eglise. Et par cela même, elle provoque le déchirement de cet Etat bourguignon qu'elle semble restaurer. Conclue grâce à l'écrasement du parti calviniste dans les villes wallonnes, elle menace du même sort les protestants des provinces du nord, de la Flandre et du Brabant. Elle leur est d'autant plus odieuse qu'elle ranime aussitôt les espérances des catholiques et provoque de toutes parts des défections. Le 27 juillet, Malines adhère à la paix; Valenciennes l'accepte au mois d'octobre. Quant à la noblesse, presque tout entière, suivant l'exemple du comte d'Egmont, elle se réconcilie avec le roi. La rupture depuis si longtemps imminente entre les catholiques et les protestants est maintenant un fait accompli. Seule leur haine commune pour l'Espagne l'avait retardée. Rassurés désormais sur les intentions du souverain, les conservateurs se résignent à lier leur cause à la sienne. A partir de la paix d'Arras, les Pays-Bas se scinderont de plus en plus nettement en deux partis politico-religieux : l'un catholique et loyaliste, l'autre calviniste et républicain. ECHEC DU CONGRES DE COLOGNE. - Attestée déjà par la conduite des provinces wallonnes, cette scission se manifesta plus clairement encore pendant les conférences ouvertes à Cologne, au mois d'août 1579, entre les commissaires des Etats généraux et ceux de Philippe II, à l'intervention de l'empereur (32). Dès le premier jour, on put constater que l'on se trouvait en présence de deux thèses inconciliables. Aux propositions du duc de Terra-nova — rétablissement de l'obéissance au roi et de l'exercice exclusif du catholicisme — les délégués des Etats ne se contentèrent point d'opposer leur résolution de maintenir la liberté du culte. Calquant leur langage sur celui des Vindiciae contra tyrannos, publiées la même année, ils affirmèrent que les sujets n'étaient pas faits pour le prince, mais le prince pour les sujets, que les consciences ne relevaient que de Dieu, et que si le souverain s'obstinait à les asservir, le peuple avait le droit de le déposer et d'appeler les princes voisins à son secours. A cette théorie huguenote et révolutionnaire, les catholiques répliquaient que contre le pouvoir du prince légitime il n'est de recours qu'au pape, et que le prince n'est légitime qu'à la condition d'être orthodoxe. Avec Lensaeus, ils considéraient l'unité religieuse comme aussi indispensable à l'Etat qu'à la famille (33). Ils voyaient dans la lutte contre l'hérésie le premier devoir de tout gouvernement. Ainsi, chez les négociateurs de Cologne se répercutaient les polémiques des théoriciens. On retrouvait au fond des discussions sur les privilèges du pays et sur l'interprétation de la Pacification de Gand, les arguments des monarchomaques et ceux des légitimistes. De jour en jour l'incompatibilité des principes se révélait plus entière, et la portée de la lutte engagée dans les Pays-Bas se manifestait dans toute son ampleur. Parmi les commissaires des Etats, plusieurs s'épouvantèrent bientôt du dénouement auquel ils se voyaient entraînés. Tous ceux d'entre eux qui, restés fidèles au catholicisme, n'avaient pris parti contre l'Espagne que par motifs politiques ou rancune personnelle, abandonnèrent la partie du jour où ils se virent contraints d'opter entre le roi et le calvinisme. Les abbés de Sainte-Gertrude et de Maroilles firent amende honorable à Philippe II; le duc d'Arschot s'exila volontairement à Venise, où il finit sa carrière d'agitateur indécis ballotté par les événements. Seuls, les calvinistes convaincus devaient porter à l'avenir le poids de la lutte et ils en acceptaient d'avance toutes les responsabilités et toutes les conséquences. Lors de la clôture du congrès, le 13 novembre, le conflit du roi et des rebelles avait pris la précision et l'acuité du conflit de la Réforme et de l'Eglise catholique. Entre les adversaires, la coupure était aussi nette qu'elle était définitive il n'y avait plus d'hésitations possibles ni de chances de transactions. NOTES (1) Bor, Oorprongk, begin en vervolgh der Nederlandsche oorlogen, t. VII, fol. 49 (Leyde, 1621). (2) Ph. de Kempenaere, Vlaemsche kronifk, éd. Ph. Blommaerts, p. 268 (Bruxelles, 1839). (3) Les textes invoqués pour expliquer la scission par l'antipathie de race ne font que constater en réalité que la majorité des Wallons est catholique et celle des Flamands protestante. Voy. Gossart, La domination espagnole dans les Pays-Bas, p. 107. (4) Histoire de Belgique, t. I, pp. 237, 240, 254, 258, 260 et suiv. (5) A. Guesnon, Maître Nicolas Gosson (Arras, 1911). (6) Sur le mouvement protestant à Arras, consultez les Mémoires de Pontus Payen, publiés par A. Henne, t. II (Bruxelles, 1861). (7) Les protestants wallons établis dans le Nord y restèrent pour la plus grande partie et ne vinrent pas, en masse, grossir les rangs de leurs coreligionnaires. On raconte bien qu'après la mort de Requésens, 6,000 réformés rentrèrent à Tournai. Mais en 1578, il n'y a dans la ville que 800 personnes qui demandent des prêches et la Religionsfrid. Voy. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3« série, t. XI [1870], p. 421. (8) Ch. Hischauer, Correspondance secrète de Jean Sarrasin (Arras, 1912). (9) Mémoires, t. II, p. 66. (10) Pontus-Payen, Mémoires, t. II, p. 182. Cf. O. Bled, La Réforme à Saint-Omer et en Artois. Mémoires de la Société des Antiquaires de la Morinie, t. XXXI. p. 200 et suiv. (11) Ad. Hocquet, Tournai et Le Tournaisis au XVIe siècle, p. 214 (Bruxelles, 1906). (12) Pontus-Payen, Mémoires, t. II, p. 121. (13) Ibid. (14) Pour l'ensemble des faits, jusqu'à la conclusion de la paix d'Arras, je renvoie une fois pour toutes au récit si complet de Th. Bussemaker, De afscheiding der waalsche gewesten van de generale Unie (Harlem, 1895-1896). (15) Gachard, La Bibliothèque Nationale, t. I, p. 188. (16) Voy. plus haut, p. 82. (17) Gachard, Actes des Etats généraux, t. II, p. 426. (18) Ibid., p. 423. (19) Ibid., p. 64. — Sur l'attitude et les démarches des Etats d'Artois pendant la crise, voy. le récit détaillé de Ch. Hirschauer, Les Etats d'Artois de leur origine à l'occupation française, t. I, p. 259 et suiv. {Paris, 1923). (20) Piot, Correspondance de Granvelle, t. VII, p. 211. (21) « Le peuple d'Arras, sur tous ceulx des Pays-Bas, a eu de tout temps la domination franchoise en horreur ». Pontus-Payen, Mémoires, t. II, p. 75. Cf. ibid., p. 105. D'après Buchelius, les Douaisiens ne peuvent supporter les Français. Mém. de la Soc. des Sciences de Douai, 1902, p. 58. Ces textes achèvent de prouver que la séparation des Wallons ne peut s'expliquer par le sentiment de race. Celui-ci les aurait poussés vers la France. (22) Gachard, Actes des Etats généraux, t. II, p. 454. (23) Kervyn de Lettenhove, Relations, etc., t. V, p. 320. (24) Gachard, Actes des Etats généraux, t. II, p. 453. (25) Sur le rôle de La Noue dans les Pays-Bas, voy. H. Hauser, François de La Noue, p. 89 et suiv. (Paris, 1892). (26) Gachard, /Icfcs des Etats généraux, t. II, p. 464. (27) Ibid., p. 470. (28) Pour ce nombre, voy. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2® série, t. IX [1857], p. 373. (29) Bezold, Briefe, t. I, p. 338. (30) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., loc. cit., p. 372. (31) Le traité fut ratifié solennellement au nom du roi à Mons, le 12 septembre 1579. C'est le texte de cet acte définitif (Gachard, ^c/cs des Etats généraux, t. II, p. 522) que je résume ici. Il ne présente d'ailleurs que des différences insignifiantes avec celui du 17 mai. Bussemaker, De afscheiding, etc., t. II, p. 472 et suiv., fournit un tableau intéressant des variantes des propositions de paix des 8 décembre 1578 , 9 janvier et 6 avril 1579, avec les traités d'Arras et de Mons. (32) Sur ce congrès, voy. M. Lossen, Aggdus Albada und der Kôlner Pacifications Congress im Jahre 1579, Historisches Taschenbuch, 5® série, t. VI [1877], p. 277 et suiv.; J. Hansen, Der Niederlândisclie Pacificationstag zu Kôln im fahre 1579. West-deutsche Zeitschrift, t. XIII [1894], p. 237 et suiv. (33) J. Lensaeus, De unica religione studio catholicorum principum in republica conservanda (Louvain, 1579), Cf. du même : Orationes dnae. I. Contra YeuJJotrciTpiôTaç, hoc est Romanae ecclesiae desertores (Louvain, 1579). (Musée de Nuremberg.) (Cliché Muller.) Rencontre de lansquenets. Statuettes de bronze. Travail allemand. XVIe siècle. CHAPITRE IV LE DECHIREMENT DES PAYS-BAS ESTAURATION DU GOUVERNEMENT ROYAL. — A la fin de l'année 1579, après la conclusion de l'Union d'Arras et de l'Union d'Utrecht, après la réconciliation des provinces wallonnes et des « Malcontents » avec le roi, après l'échec du congrès de Cologne, la politique nationale et tolérante de Guillaume d'Orange perdait ses dernières chances de succès. Le prince et ses conseillers avaient très bien compris, dès 1576, que la question religieuse constituait le seul obstacle à la collaboration de toutes les provinces contre l'Espagne. Aussi s'étaient-ils ingéniés, lors de la Pacification de Gand, à écarter cet irritant problème. Mais on ne temporise point en matière de croyance. Les protestants avaient bientôt exigé la liberté de leur culte, et, par leurs violences, poussé à bout les catholiques. On avait espéré en vain, grâce à la paix de religion, amener les deux partis à conclure une trêve momentanée et à se supporter mutuellement : dans toutes les villes où elle avait été introduite, la Religionsfrid avait provoqué des désordres continuels. La célébration des offices, les enterrements, les baptêmes, les mariages étaient autant d'occasions de scandales et de bagarres. Le contact entre les deux cultes n'avait eu pour résultat que d'exaspérer leur exclusivisme. Au bout de très peu de temps, le parti le plus puissant avait partout fermé les églises assignées au parti adverse. Au milieu du déchaînement des passions religieuses, quelques Erasmiens attardés, quelques Cassandériens restaient tolérants par principe. De rares hommes d'Etat l'étaient aussi, soit par opportunisme, soit par indifférence, comme par exemple, le prince d'Epinoy qui ne s'est jamais « enquesté des consciences des personnes, moyennant qu'ilz vivent politiquement» (1). Mais cette faible minorité s'émiette de jour en jour. L'un après l'autre, les nobles qu'elle renfermait encore l'abandonnent et passent à l'ennemi. Le marquis d'Havré cherche à se réconcilier avec le roi. Le 3 mars 1580, Georges de Lalaing, comte de Rennebourg, qui a longtemps combattu en Frise pour les Etats, fait volte-face et s'empare de Groningue au nom de Philippe II. De toute la haute noblesse, il n'y a plus dès lors que le prince d'Epinoy qui demeure fidèle à la « généralité » (2). l'archiduc Mathias et les Etats généraux instituent à Gand une nouvelle Chambre des Comptes pour la Flandre, ce ne seront plus là qu'autant de mesures illégales ou, pour mieux dire, de mesures révolutionnaires. (Amsterdam, Rijksmuseum, Cabinet des Estampes. ) Gravure satirique d'inspiration protestante : des prêtres au visage grotesque administrant les sacrements. Les traits des fidèles sont également défigurés par l'artiste. La messe, le baptême, l'Eucharistie, la Pénitence, les ordres religieux, les pèlerinages, le culte des saints, le trafic des indulgences et la simonie font l'objet de cette scène. Détail d'une gravure exécutée en 1605 par R. Baudous (Bruxelles, vers 1575-Amsterdam, après 1644), d'après J. De Gheyn. PARTIS CONFESSIONNELS ET PARTIS SOCIAUX. - Qui, d'ailleurs, pourrait encore considérer Mathias comme un gouverneur royal ? Qui pourrait même admettre encore la légitimité de l'assemblée que l'on continue à désigner du nom d'Etats généraux ? En réalité, elle ne représente plus qu'une faible partie de la « commune patrie ». Des provinces wallonnes, Tournai seul y conserve des députés, et, quant à l'Union d'Utrecht, elle se désintéresse visiblement de ce qui s'y passe ou n'intervient que pour imposer ses décisions (5). Les Etats généraux se trouvent, en somme, presque aussi impuissants que l'archiduc lui-même. La Flandre et le Brabant qui, entre la confédération catholique du Sud et la confédération calviniste du Nord, n'ont point pris parti, pourraient leur conserver quelque apparence d'autorité. Mais l'anarchie politique y est à son comble et les progrès du protestantisme ont eu pour résultat d'y substituer partout le pouvoir des démocraties urbaines au pouvoir des Etats. D'ailleurs la généralité a perdu toute force et toute influence. Elle s'efface maintenant devant l'Union d'Utrecht. Le protestantisme triomphant dans les sept provinces du Nord y maintient inébranlable la résistance à l'Espagne, en même temps que la prospérité commerciale de la Hollande et de la Zélande leur fournit les moyens de continuer la lutte. La création d'un Conseil de l'Union (Raad der naarder Unie) donne aux provinces fédérées un organe politique central (3). Elles commencent visiblement à constituer un Etat distinct. Elles n'appliquent plus les ressources dont elles disposent qu'à leur propre défense (4). Leurs Etats particuliers délibèrent sans se préoccuper des Etats généraux siégeant à Anvers. Le gouvernement royal, de son côté, se reconstitue dans les provinces catholiques. Déjà le 19 juillet 1578, don Juan a installé le Conseil de Brabant à Louvain et destitué les conseillers désobéissants qui continuaient de siéger à Bruxelles. Après la prise de Maestricht (29 juin 1579), Alexandre Farnèse établit dans cette ville une seconde chambre du même Conseil. Il appelle à Namur la Chambre des Comptes de Brabant, puis le 7 juin 1580, le Grand Conseil de Malines, D'autre part, la réconciliation des provinces wallonnes lui permet d'assigner Douai comme résidence au Conseil de Flandre et de remettre la main sur la Chambre des Comptes de Lille. Ainsi tous les grands organismes administratifs créés par le pouvoir monarchique sont replacés sous l'autorité du roi. Désormais, il n'est plus possible aux rebelles de feindre encore le respect pour les prérogatives de Sa Majesté. S'ils conservent à Bruxelles un Conseil de Brabant, à Gand un Conseil de Flandre et si, le 30 juillet 1580. Bruxelles et Anvers se sont organisés à leur tour sur le modèle de Gand. A Bruxelles, où les patriotes sont si puissants depuis 1576, la majorité de la population reste pourtant catholique. La paix de religion n'a été introduite que malgré les neuf « nations », et le comte d'Egmont, le 4 juin 1579, a profité de leur mécontentement pour tenter de surprendre la ville et de l'entraîner dans le parti des « Malcontents ». Pour parer au retour de nouveaux dangers, cinq enseignes d'Ecossais ont été appelées par la bourgeoisie, et aussitôt un Conseil de guerre a été organisé qui, grâce à l'appui des soldats et du petit peuple, s'est emparé du gouvernement de la commune et s'est mis à persécuter les catholiques (6). Ceux-ci ont beau être sept contre un, la force leur manque et il ne leur reste qu'à subir le régime militaire et démagogique qui, au mépris des vieux privilèges, réserve désormais tous les emplois aux calvinistes. Le rapport numérique entre les protestants et les catholiques est le même à Bruxelles qu'à Arras; mais, comme à Gand, la minorité possède le pouvoir et elle en abuse. Le commandant van den Tympel et le pensionnaire Corneille van Aersen ne sont pourtant point des fanatiques. Orangistes convaincus, ils veulent seulement empêcher la ville de se réconcilier avec le roi. et ils savent qu'elle ne manquerait pas de le faire si les calvinistes ne s'y opposaient. Dès lors, ils se voient condamnés à céder à toutes les exigences de ceux-ci. A partir du mois de juin 1579, les prêtres n'osent plus se montrer dans les rues, accompagner les enterrements, porter ostensiblement les saintes huiles aux malades. A la paix de religion se substitue bientôt l'exercice exclusif de la Réforme. La ville organise une école protestante pour cent enfants, paye des traitements aux pasteurs, distribue de l'argent aux pauvres qui assistent aux prêches, cherche à soumettre au calvinisme l'organisation de la bienfaisance (7). En 1581, on interdit formellement l'exercice public du catholicisme; on ira, en 1584, jusqu'à défendre de dire la messe en secret. Le spectacle est le même à Anvers. Là aussi les calvinistes s'imposent par la violence aux catholiques, d'ailleurs moins nombreux qu'à Bruxelles. Le 28 mai 1579, une procession à laquelle participait l'archiduc Mathias est accueillie par des huées et refoulée dans la cathédrale. Orange, accouru avec sa garde, ne peut rétablir l'ordre. Cent vingt prêtres sont embarqués de force et conduits à Rupelmonde. Une paix de religion proclamée le 12 juin ne ramène pas le calme. En fait, les catholiques opprimés perdent sans cesse du terrain. Depuis 1581, le protestantisme domine seul dans la ville. Le magistrat consent toutefois à réserver une église « pour Son Altesse » et en autorise l'accès aux catholiques, pourvu qu'ils aient trois ans de résidence. Les calvinistes gantois vont plus loin encore. Dès le mois de février 1580, la religion réformée est devenue le culte officiel de la ville. Défense est faite de procéder aux mariages et aux baptêmes si ce n'est conformément à ses rites, et, imitant l'Eglise pour la combattre, on installe un inquisiteur chargé de surveiller la conduite des catholiques (8). Le 30 mai, ils sont forcés de livrer leurs armes et expulsés des compagnies militaires. Ce ne sont point des motifs purement religieux qui leur attirent cette persécution. Nous avons déjà constaté que l'ardeur de la foi ne correspondait guère, chez les protestants de la Flandre et du Brabant, à ses manifestations extérieures. Ces nouveaux Réformés n'étaient convertis pour la plupart que très superficiellement. Ils étaient beaucoup plus antiespagnols et antipapistes que calvinistes; ils détestaient la puissance de l'Eglise plus qu'ils n'en rejetaient les dogmes, et leur intolérance s'explique avant tout par leurs passions politiques. S'ils mettent les catholiques hors la loi, c'est que ceux-ci ne cachent point leur désir d'adhérer à la paix d'Arras. Partout où ils le peuvent, ils imitent leurs coreligionnaires des villes wallonnes et secouent le joug des Gueux. Le 29 mai 1579, les Malinois s'insurgent contre leur garnison hollandaise, l'expulsent et « déclarent expressément jusques au dernier vouloir vivre et mourir dans la religion catholique» (9). Au mois d'août, Bois-le-Duc agit de même. Ailleurs, tous les catholiques qui le peuvent émigrent dans les provinces du Sud. Liège, Lille, Douai, les villes de l'Artois et du Hainaut sont pleines de fugitifs. A Bruxelles, en 1581, il y a deux mille maisons à louer. Cet exode achève d'exaspérer les soupçons auxquels les « papistes.» sont en butte. On les accuse de pactiser avec l'ennemi, on les taxe de trahison, bref, on les traite, et pour les mêmes motifs, comme les aristocrates et les « ci-devant » pendant la Révolution française. Le clergé surtout devient odieux. On Détail de la cour intérieure du « Prinsenhof », résidence de Guillaume d'Orange à Délit. (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) (Bruxelles, Musée Royal d'Art Ancien.) Alexandre Farnèse, duc de Parme et de Plaisance, gouverneur-général des Pays-Bas (Rome, 1545-Arras, 1592). Portrait peint par Otto Voenius (1558-1629). le chasse de toutes les villes et les prêtres qui ont le courage de demeurer à leur poste sont contraints, comme en France sous la Terreur, de célébrer la messe à portes closes, dans des maisons sûres. Le 16 juin 1579, les Gantois promettent 2,000 livres à qui leur livrera les évêques d'Ypres et de Bruges (10). Mais les catholiques ne sont pas seulement suspects en vertu de leur attitude politique, ils sont encore détestés à cause de leur situation sociale. L'ancienne bourgeoisie leur appartient presque tout entière. Car la foi nouvelle n'a plus fait d'adeptes parmi elle après 1566. Ceux de ses membres qui, convertis avant cette date, sont rentrés en 1576, ne constituent qu'une minorité obligée, pour se maintenir et se défendre, de s'appuyer sur les démagogues. On ne trouve point, en Flandre et en Brabant, ce groupe de patriciens convertis qui, en Hollande et en Zélande, se charge de l'administration municipale et de la conduite des affaires publiques. Ici le menu peuple presque seul a rompu avec l'Eglise, et la démocratie s'est développée en même temps que la Réforme. ATTITUDE NOUVELLE DU PRINCE D'ORANGE. — Dès lors, le conflit qui oppose les protestants aux catholiques s'aggrave de toutes les rancunes et de tous les griefs des pauvres contre les riches. Dans les villes belges où il s'est introduit depuis 1576, le calvinisme est une religion d'ouvriers et de prolétaires, et de là ses allures furibondes et ses outrances. Surexcitée par les sermons des pasteurs qui anathématisent la tolérance et la modération, enflammée par ses passions et ses appétits, la foule se défie à la fois du prince d'Orange et des Etats généraux. Incapable d'esprit politique, elle n'écoute que les chefs qui la mènent. Les villes où elle domine deviennent autant de petites républiques. Sans doute, beaucoup d'entre elles, en Flandre et en Brabant, ont adhéré à l'Union d'Utrecht, mais elles n'en sont, pour ainsi dire, que des membres honoraires, et elles font preuve à son égard d'une entière autonomie. Chacune d'elles prétend se gouverner et se défendre par ses propres forces. La vente des biens ecclésiastiques, les impôts de guerre levés sur les riches, les réquisitions exigées du plat-pays leur constituent momentanément des ressources suffisantes et elles ne songent pas à l'avenir. Elles n'écoutent point Orange, lorsqu'il cherche à les convaincre de l'impossibilité de résister à l'ennemi si chacun se conduit à sa guise. Elles ne payent point leur solde aux quelques compagnies huguenotes avec lesquelles le brave La Noue escarmouche dans le sud de la Flandre contre les « Malcontents ». Il semble que toute leur politique consiste à étouffer le catholicisme : le reste viendra par surcroît. Ces dispositions sont encore renforcées par l'appoint des calvinistes wallons, qui, depuis 1579, se sont réfugiés dans la région flamande. A Gand, à Bruges, à Ypres, à Anvers, à Bruxelles, à Audenarde (11), on trouve de ces exilés, zélateurs fougueux d'une religion à laquelle ils ont sacrifié leur patrie et qui partout où ils s'établissent apportent de nouveaux aliments à la haine du « papisme » et confirment dans leur intransigeance les comités des XVIII, les conseils de guerre, les ministres et les démagogues. La fortune du prince d'Orange avait naturellement passé par les mêmes phases que celle de la « généralité » dont il était l'âme. En 1577, au moment où la nation se soulevait contre l'Espagne, il avait été acclamé comme le père du peuple et l'incarnation de la « commune patrie ». Mais la discorde qui s'était bientôt glissée entre protestants et catholiques avait été fatale à ses desseins. En s'efforçant de concilier les deux partis, il s'était rendu suspect à chacun d'eux. Mathieu Moulart à Arras, Datenus à Gand, prêchaient également contre lui. Le premier le dépeignait comme un ennemi juré de l'Eglise, le second l'accusait d'athéisme. La tolérance qu'il professait ne lui avait valu que de devenir « la butte contre laquelle chacun vient descocher ses traicts de médisance» (12). En somme, sa politique d'union avait échoué. Pour conserver la direction des événements il adapta ses plans aux circonstances et prit une attitude nouvelle. Les provinces catholiques lui échappant, il se voyait rejeté vers les rebelles. Son titre de lieutenant général de l'archiduc Mathias lui permettait de prendre en main le gouvernement que celui-ci était incapable d'exercer. Mais les hésitations, les scrupules, les lenteurs des Etats généraux entravaient continuellement son action. La pauvre assemblée était maintenant si discréditée, si impuissante et si gênante qu'il songeait à s'en débarrasser. Le 26 juillet 1579, il faisait proposer par ses partisans d'Anvers que, « veu le jeune âge et inexpérience de l'archiduc, le prince d'Orange entreprenne seul et absolument la cognoissance des affaires », que les Etats généraux, après avoir établi un Conseil d'Etat, un Conseil privé et une Chambre des finances se séparent, sauf à s'assembler tous les six mois pour se faire rendre compte des affaires (13). Toutefois, si diminués qu'ils fussent, les Etats n'entendaient pas abdiquer entre les mains du prince. Il en était réduit à les LA GUERRE DE RELIGION gourmander, à leur faire honte de leur inertie, à blâmer le particularisme des députés, presque dans les mêmes termes qu'employaient jadis Charles-Quint et Marie de Hongrie (14). Le 26 novembre, il accuse leurs membres de n'être que des « avocats » de leurs provinces et de leur sacrifier le « bien public »; il rappelle que depuis quinze mois les finances sont insuffisantes, que c'est miracle d'avoir pu résister à l'ennemi, et il menace d'abandonner son poste si l'on ne veut porter remède à la situation (15). Il obtient bien quelques semaines plus tard (27 décembre 1579) un vote créant un Conseil d'Etat de trente et un membres élus par les onze provinces restées fidèles à la «généralité» (16); mais ce n'est là qu'une manifestation sans portée et sans effet. En réalité le simulacre d'Etats généraux qui continue à siéger à Anvers n'en impose plus à personne. L'Union d'Utrecht agit sans se soucier de ses résolutions. Le prince d'Orange s'en soucie moins encore et conduit personnellement les négociations avec l'extérieur et la politique de résistance à l'Espagne. Des provinces du sud, seules la Flandre, le Brabant, Tournai et Malines sont encore représentées par des députa-tions incomplètes, le clergé ayant cessé d'y figurer. L'état des affaires confine maintenant l'assemblée dans le Nord. A la fin de 1581, elle se transporte à Delft, puis à Amsterdam et à La Haye et si elle revient à Anvers l'année suivante, elle le quittera définitivement en juin 1583 pour la Hollande. La substitution du néerlandais au français comme langue des délibérations, à partir de mars 1582, caractérise mieux encore l'évolution qui transforme les Etats généraux en Etats des Provinces-Unies (17). Bientôt d'ailleurs, les victoires de Farnèse leur enlèveront les députés du Sud qui y figurent encore. Ceux de Tournai disparaissent en 1581, ceux de Malines et du Brabant en 1585. En 1586, le délégué qui prétendait encore y siéger pour la Flandre, cesse d'y être mentionné (18). Officiellement, même après l'échec du congrès de Cologne, les Etats n'ont encore rompu ni avec l'Eglise, ni avec le roi. S'ils laissent le calvinisme s'emparer des villes et violer impunément la paix de religion, ils n'interdisent point le culte catholique; s'ils n'obéissent plus à Philippe II et s'ils ont cessé de le reconnaître comme « prince souverain », ils ne lui contestent pas son titre de « prince naturel ». Ils s'arrêtent au bord de la Révolution et n'ont point le courage de pousser jusqu'à leurs dernières conséquences les principes des monarchomaques qu'ils ont sans cesse à la bouche. Dans la pratique, ils s'en tiennent à la Joyeuse-Entrée. Us restent fidèles à la conception médiévale du dualisme de l'Etat. Ils distinguent les droits du pays et les droits du prince. Ils ne doutent point que leur résistance ne soit légale, mais ils reconnaissent aussi la légitimité du droit héréditaire. Si graves que soient leurs griefs contre Philippe II, leur respect traditionnel pour la dynastie l'élève au-dessus de leurs atteintes. En dépit des Vindicae contra tyrannos, ils ne peuvent se résoudre à abandonner le fils de Charles-Quint et le descendant direct des ducs de Bourgogne. Cette situation était trop fausse pour pouvoir durer. Son ambiguïté la condamnait. Dans la crise présente il était besoin avant tout de solutions nettes et franches, de résolutions énergiques. Les scrupules de légalité qui tourmentaient encore les Etats, soulevaient le mépris des calvinistes dominant à la fois dans l'Union d'Utrecht et dans les grandes villes de la Flandre et du Brabant. S'y attarder (Amsterdam, Rijksmuseum.) François de La Noue, gentilhomme calviniste français, allié de Guillaume d'Orange, commandant l'armée des Etats généraux (1531-1591). Portrait peint par un artiste anonyme de l'école hollandaise. Seconde moitié du XVIe siècie. plus longtemps, c'eût été pour le prince d'Orange s'aliéner l'opinion des partisans les plus décidés de la guerre à l'Espagne. Aussi, à partir de 1578, abandonne-t-il l'attitude qu'il a prise lors de son arrivée triomphale à Bruxelles. Il affiche maintenant sa foi réformée, recommence de fréquenter les prêches, et, au mois de septembre, fait baptiser sa fille Catharina Belgica suivant le rite évangéli-que. S'il reste tolérant au fond du cœur, du moins ne parle-t-il plus désormais de paix de religion. En brisant avec les catholiques, il doit briser nécessairement avec Philippe II. Le roi lui-même se charge d'ailleurs de brusquer le dénouement. Au moment de recommencer la guerre, il ne veut point qu'on le soupçonne de méditer la ruine de ses sujets. L'édit que, sur les conseils de Granvelle (19) il fait proclamer le 15 juin 1580 par Alexandre Farnèse (20), désigne le prince d'Orange comme le « seul chef, autheur et promoteur des troubles et principal perturbateur de tout nostre estât ». C'est ce « malheureux hypocrite », qui, avec ses adhérents, a séduit le peuple; c'est sa présence dans les provinces qui les condamne « à n'avoir jamais paix, repos, ni aucune quiétude ». Aussi, usant de son droit de « prince absolut et souverain », Philippe le déclare-t-il « trahistre et méchant, ennemi de nous et du pays..., ennemi du genre humain ». Il promet « en parole de roi et comme ministre de Dieu » une récompense de 25,000 écus d'or et une reconnaissance de noblesse à qui sera assez « généreus de cœur et désireus de nostre service et bien publicq » pour « se faire quicte de cette peste, le nous délivrant vif ou mort, ou bien lui ostant la vie ». L'APOLOGIE DU PRINCE D'ORANGE. - Au pathos solennel de cette provocation au meurtre en vertu du droit divin, le prince répondit le 13 décembre par la publication de son « Apologie », le plus beau peut-être et, à coup sûr, le plus prenant en même temps que le plus habile des pamphlets du XVIe siècle. Elle est rédigée sous forme de lettre adressée aux Etats généraux. Après s'être félicité d'avoir encouru par son dévouement à la patrie la haine des Espagnols, Guillaume jette un regard sur ses ancêtres, si fidèles à la dynastie et auxquels le roi qui vient de le désigner aux assassins doit une partie de son héritage : Englebert, le vainqueur de Guinegate, Henri, le plus loyal serviteur de Charles-Quint, René, qui mourut au service de l'empereur, Philibert de Châlons, qui lui valut la possession de Naples et de Milan. Puis, ripostant aux accusations de Philippe par des accusations plus atroces, il lui jette à la face les vices et les crimes les plus abominables : la perfidie, la débauche, l'inceste, le meurtre de don Carlos ! Pour lui, dans toute sa carrière, il n'a eu en vue que le salut public et le triomphe de la religion. Après leur avoir sacrifié ses biens, la liberté de son fils aîné, relégué en Espagne par le duc d'Albe, la vie de ses frères, tués en combattant pour le pays, il est prêt à mourir à son (Bruxelles, Bibliothèque Royale. Réserve Précieuse.) Page de titre de la première édition de l'apologie du prince d'Orange, « le plus beau peut-être et, à coup sûr, le plus prenant en même temps que le plus habile des pamphlets du XVIe siècle ». (H. Pirenne, voyez le texte ci-dessus.) Première édition parue à Leide chez Charles Silvius en 1581. tour. « Si vous jugez ou que mon absence ou que ma mort mesmes vous peult servir, me voilà prest à obéir; commandez,envoyez-moi jusques aux fins de la terre, j'obéirai. Voilà ma teste, sur laquelle nul prince ni monarque n'a puissance que vous» (21). Ces mots de l'éloquent plaidoyer en attestent clairement l'esprit révolutionnaire et lui donnent la portée d'un manifeste politique. En déclarant ne relever que des Etats généraux, le prince substitue la souveraineté nationale à la souveraineté du roi. Il nie la légitimité du pouvoir qui prétend s'imposer à lui. Mis hors la loi, il y met lui-même son adversaire, et au coup de couteau dont Philippe II le menace, il riposte par un coup d'Etat. Cependant, les Etats généraux ne peuvent encore se résoudre à l'imiter. Le ton mesuré de leur réponse à l'Apologie contraste curieusement avec la virulence de celle-ci (22). Ils remercient Guillaume de ses services, le reconnaissent innocent des crimes qui lui sont imputés, affirment qu'il ne s'est chargé du pouvoir que sur leurs instances, lui garantissent leur appui et leur obéissance et lui offrent pour la garde de sa personne une « compagnie de gens de cheval ». Mais ils évitent soigneusement d'attaquer la personne du roi et de mettre en question son autorité. Ils n'osent prononcer les mots irréparables et se contentent en terminant d'annoncer la publication prochaine d'une justification de leur propre conduite... Les événements allaient les dispenser du souci de l'écrire. ALLIANCE D'ORANGE ET DU DUC D'ANJOU. — Au milieu de l'année précédente, le prince d'Orange avait renoué ses négociations avec le duc d'Anjou. Prévoyant l'échec du congrès de Cologne, il voulait s'assurer un allié contre l'Espagne et il n'en voyait point d'autre que la France. Depuis longtemps déjà il ne comptait plus sur l'Empire, et Elisabeth avait prouvé suffisamment qu'elle n'était point disposée à affronter Philippe II dans l'intérêt des Pays-Bas. Anjou, au contraire, n'attendait qu'une nouvelle occasion de reparaître dans les provinces. L'issue piteuse de son équipée de 1578 ne l'avait pas découragé (23). Il conservait un agent à Bruxelles, et parmi les Français de plus en plus nombreux qui entouraient le prince d'Orange, deux des plus influents, Duplessis-Mor-nay et La Noue, avaient été ses conseillers et restaient en rapport avec lui. Enfin, les obstacles auxquels il s'était heurté l'année précédente, n'existaient plus. Elisabeth, au lieu de contrecarrer encore ses projets, lui promettait sa main et, sûre désormais de n'avoir rien à craindre, se réjouissait de le voir s'attaquer à l'Espagne, au grand profit de l'Angleterre, et sans qu'il en dût rien coûter à celle-ci. D'autre part, la réconciliation des provinces wallonnes mettait fin aux intrigues du duc avec le comte de Lalaing. Il n'avait plus à balancer, comme jadis, entre les catholiques et les protestants. Pour réussir, il se voyait obligé de se lier étroitement au prince d'Orange. A partir du mois de juillet 1579, il n'agit plus que de concert avec lui. La solidarité de leurs intérêts les unit en une intime collaboration. L'alliance avec Anjou devient, dans la politique du prince, la question essentielle. C'est sur elle qu'il compte pour rétablir son ascendant, pour continuer la lutte contre Philippe II et pour provoquer sa déchéance. Pendant cette dernière phase de sa carrière, il ne changera plus d'attitude. Il s'engage tout entier et avec une sincérité si complète qu'en mars 1582, frappé par Jaureguy et se croyant APOLOGIE OV DEFENSE DE TRESILLV- STRE PRINCE GVILLAVME PAR LA GRACE DE DIEV PRINCE D'ORANGE: Conte de Naflàu,de Catzenellenbogen, Dietz, Vian-den,&c. Burchgrauc d'Anuers, & Vilconrc de Besançon ; Baron de Breda, Dieft, Grimberge, d'Arlai, Nozeroi, &c. Seigneur de Chaftel-beTlin, &c. Lieutenant général es pais bas, & Gouverneur de Brabant, Hollande, Zélande, Vtrecht, & Frifc : & Admirai, &c. Qntre le 'Ban & Sdiiïoublié par le %oi etEtyaigne, par lequel il profeript lediB Seigneur Trime ; dont apper-ra des calumnies fauljes actujàtions contenues en ladifieTrofcription. PRESENTEE A MESSIEVRS LES Eftats Generauls des Pais bas. Enfemblc leditt Ban ou Trofcription. De l'Imprimerie de Charles Syluius, M. D. LXXXlt blessé à mort, il ne cesse d'exhorter ses amis à ne pas abandonner le duc. Il lui fallut mettre en œuvre, pour arriver à ses fins, toute son énergie et toute son habileté. Les calvinistes les plus ardents ne pouvaient se résoudre à appeler parmi eux un prince catholique; en Flandre, en Hollande, en Zélande, le peuple, échappé à l'absolutisme espagnol, craignait de tomber sous l'absolutisme d'un Valois; dans l'Empire. Rodolphe II ne cachait pas son mécontentement, et il n'y manquait pas de patriotes, comme Lazare Schwendi, pour s'indigner de voir Orange traiter « avec les lubriques et frauduleux François » et consommer ainsi la séparation des Pays-Bas d'avec l'Allemagne (24). Les efforts de Guillaume et de ses auxiliaires devaient pourtant finir par l'emporter. Marnix et Villiers rassurent les consciences en montrant que Dieu a plus d'une fois suscité des payens pour délivrer Israël (25). Le prince lui-même « met la main à la plume » (26), rédige des mémoires, discute avec l'Union d'Utrecht et les Etats généraux, s'attache à dissiper leurs préventions et à les convaincre de la nécessité de l'alliance. Malgré l'opposition de ses adversaires qui le traitent de « franciste », il parvient à faire lire devant les Etats, le 13 janvier 1580, un projet de convention reconnaissant le duc et « ses hoirs masles légitimes procréez de lui » comme princes des Pays-Bas (27). Le grand mot était lâché et l'assemblée s'accoutuma peu à peu à l'entendre. Le 27 juin, elle adoptait le texte qui lui avait été présenté, et, le 12 août, votait des instructions pour les ambassadeurs qu'elle députait vers Anjou sous la conduite de Marnix (28). LE TRAITE DU PLESSIS. — Le marché fut conclu le 19 septembre, dans ce même château du Plessis où les députés des Gantois avaient, un siècle auparavant, sollicité l'appui de Louis XI contre Maximilien (1482). Cette fois, on demandait le secours de la France pour reconstituer l'ancienne indépendance bourguignonne. Mais quel contraste entre la situation de Philippe le Bon et celle que l'on assigne à Anjou ! Choisi par les Etats, comme Léo-pold Ier devait l'être deux siècles et demi plus tard par le Congrès national de Belgique, le nouveau prince ne possède point de droits par lui-même et l'autorité qui lui est conférée n'est au fond qu'une délégation de la souveraineté du peuple. Le traité qui détermine ses pouvoirs doit être envisagé comme la réalisation pure et simple des principes des monarchomaques combinés avec les souvenirs du Grand Privilège de 1477 et les stipulations de la Joyeuse-Entrée. Monarchique en apparence, la constitution qu'il établit est, en réalité, républicaine. Sans doute, le prince possède un Conseil d'Etat, mais ce sont les provinces qui en choisissent les membres, et c'est elles aussi qui déterminent le choix des gouverneurs territoriaux. Quant aux (Original à Bar-le-Duc [département de la Meuse], église Saint-Pierre.) (Cliché Giraudon.) Statue de la mort. Détail du monument funéraire de René de Châlons, cousin de Guillaume d'Orange. René de Châlons, fils d'Henri, comte de Nassau, et de Claude de Châlons qui, par son mariage, introduisit la principauté d'Orange dans la maison de Nassau, mourut le 15 juillet 1544 au service de Charles-Quint peu après la prise de Ligny-en-Barrois. A la mort de son père, il était devenu le plus puissant seigneur des Pays-Bas, gouverneur de la Hollande, de la Zélande, d'Utrecht, de la Frise et de la Gueidre. Mort sans laisser d'héritier, ses possessions et ses titres passèrent à son jeune cousin, Guillaume d'Orange, qui devait un jour le compter, dans son Apologie, au rang de ses prédécesseurs les plus illustres. Après sa mort, son corps fut ramené à Bar-le-Duc. L'inhumation eut lieu à Bréda. Le motif central du monument funéraire de René de Châlons, reproduit ci-contre d'après un moulage se trouvant au Musée de l'Homme à Paris, est l'œuvre du sculpteur français Ligier Richier (1500-1567). (Londres, British Muséum, Cabinet des Médailles.) (Photo obtenue avec le concours de M. E. Cammaerts, professeur à l'Université de Londres.) Droit et revers d'un florin frappé à l'occasion du voyage de Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde en Angleterre pour saluer le duc d'Anjou, prince des Pays-Bas, et le ramener dans ses nouveaux Etats (1580). Légende au droit : PH(ILIPPVS) DE MARNIXE DVMONT S(AINTE) ALDEGONDE-1580. Légende au revers : EX VIRTVTE HONOR. Grandeur naturelle. affaires communes, elles ne relèvent en somme que des Etats généraux. Ils doivent être convoqués au moins une fois par an et ils peuvent s'assembler, en outre, chaque fois qu'ils le jugeront nécessaire. La direction même de la guerre leur est abandonnée. Le général de l'armée sera nommé avec leur consentement et, dès qu'ils le demanderont, tous mercenaires étrangers devront sortir du pays. Enfin, si Son Altesse viole les conditions du contrat par lequel elle se lie à la nation, celle-ci sera déchargée de toute « obéissance, serment et fidélité ». Ainsi tenu en laisse et condamné d'avance à ne jouir d'aucune initiative politique, le prince règne, mais il ne gouverne pas. Sa fonction principale se borne à représenter l'unité et l'autonomie du pays. Il doit se contenter d'être le symbole de l'indépendance nationale. Aussi l'oblige-t-on à résider dans les provinces et les Etats se réservent-ils le droit de désigner parmi ses fils leur futur souverain, afin d'écarter celui d'entre eux qui serait éventuellement appelé à la couronne de France (29). Aux garanties que la « généralité » prend contre le duc s'en ajoutent d'autres encore. Il est entendu que la Hollande et la Zélande « demeureront comme ils sont à présent, nommément au faict de la religion et aultrement ». En outre, dès le 9 août, Anjou a promis au prince d'Orange de le reconnaître comme seigneur souverain de ces deux provinces et d'Utrecht (30). Ce n'était là que la conséquence d'un projet formulé depuis quelque temps déjà au sein des Etats de Hollande et de Zélande et que le prince avait cru prudent d'écarter. S'il y accéda cette fois, ce ne fut point par ambition personnelle, ce fut pour avoir raison des répugnances provoquées dans les territoires maritimes par ses négociations avec la France. Le 23 janvier 1581, en effet, le duc s'engageait à laisser les « pays de Hollande, Zélande et Utrecht en pleine et entière liberté pour se soubmettre au prince d'Orange et le prendre pour leur seigneur et ses hoirs après lui successivement, ou pour estre maintenu et gouverné avecque l'advis et sous l'auc-torité du dict seigneur prince» (31). La partie la plus puissante de l'Union conservait donc, à l'égard d'Anjou, une situation privilégiée et quasi indépendante. Comme elle n'avait cessé de le faire depuis 1572, elle continuait à demeurer maîtresse chez elle. Elle n'était soumise à Son Altesse et à la « généralité » que « ès affaires concernans la monnoie, la guerre, les contributions ». Si les conventions du 19 septembre ne donnaient au duc d'Anjou que les apparences de la souveraineté, elles lui imposaient en même temps des charges très lourdes. Tout d'abord il s'engageait à procurer aux provinces l'aide du roi son frère et à conclure, après son avènement, une alliance perpétuelle avec la France. Quant aux frais de la guerre contre l'Espagne, les Etats promettaient d'y subvenir à raison de deux millions quatre cent mille florins par an, le reste des dépenses devant être à la charge du duc. DUPLICITE DU DUC D'ANJOU. - Sans aucun doute ces dernières clauses renfermaient, aux yeux des Etats, tout l'essentiel du traité. C'est uniquement pour s'assurer la coopération militaire de la France qu'ils s'étaient résignés à recevoir Anjou. Mais comment pouvaient-ils croire que celui-ci se contenterait de n'être qu'un combattant au service des Pays-Bas et se ruinerait pour eux moyennant un titre illusoire ? Il avait déjà manifesté pendant les négociations du Plessis son impatience d'obtenir davantage. Il aurait voulu être « prince souverain » et il se résigna à passer outre uniquement parce que, suivant le mot de ses agents, « si une fois nous sommes aux Pays-Bas, la fortune nous viendra en aide pour nous rendre maître de l'autorité que nous désirons » (32). Au mo- (Vienne, Kunsthistorisches Muséum, Weltliche Schatzkammer.) Rodolphe II (1552-1612). Buste de bronze exécuté en 1603 par A. de Vries (La Haye, vers 1560-Prague, 1626). L'UAMPHIA I OLAND1A ILVTSLSBVRQVMt N'AMVRC VM ^ fiRVUDJOA I I i'. KAfcA.NT I I.lMBVRtiVM ; i ■ ' 1VTTHAN1A ment même où il signait le traité, il était donc résolu à le violer le plus tôt possible. Même sur le point qui leur tenait le plus à cœur, l'alliance militaire avec la France, il trompait sans vergogne les Etats généraux. Henri III consentait bien à taquiner et à effrayer l'Espagne, mais il ne songeait pas à lui déclarer la guerre. En même temps qu'il promettait par écrit à son frère de l'assister « jusques à sa chemise », il lui faisait jurer de ne montrer sa lettre qu'aux ambassadeurs et ne jamais se prévaloir envers lui de cet engagement (33). Catherine de Médicis, de son côté, ne croyant pas au mariage du duc avec Elisabeth, continuait à espérer pour lui la main d'une infante. Elle s'imaginait que Philippe II accepterait son fils comme gendre afin de le détacher des rebelles. Anjou la laissait faire, prêt à trahir ses futurs sujets si les intrigues de sa mère tournaient favorablement. Le 5 août 1581, il lui promettait d'abandonner son entreprise au cas où le roi d'Espagne consentit à lui donner une de ses filles, et, le 23 septembre, l'ambassadeur français à Madrid recevait l'ordre d'agir en conséquence. Ce n'étaient là d'ailleurs que d'inutiles manoeuvres. Certains que Henri III ne soutiendrait pas le duc, Philippe et ses ministres n'attachaient aucune importance aux menées du jeune et perfide ambitieux. Granvelle voyait beaucoup plus clair que le prince d'Orange lorsqu'il traitait dédaigneusement de « farce » la reconnaissance d'Anjou par les Pays-Bas (34). Elle permettait néanmoins d'établir nettement la situation politique,d'en finir avec les ambiguïtés et les équivoques qui la masquaient encore et d'en faire apparaître à tous les yeux le caractère révolutionnaire. Elle fit comprendre tout d'abord au pauvre archiduc Mathias qu'il était temps de se dépouiller d'un rôle devenu ridicule. Dès le mois d'octobre 1580, Lazare Schwendi lui conseillait de partir puisque les provinces n'avaient pas honte de traiter avec la France (35), et l'empereur, au nom de sa dignité, l'exhortait à rentrer en Allemagne. Il écouta leurs avis. Le 30 décembre, il s'adressait humblement aux Etats, leur demandant comment il aurait à se conduire à l'avenir et les priant de lui payer les arrérages de son traitement. De 233,333 florins qui lui étaient dus, il n'en avait reçu que 39,603 (36). Il était hors d'état de solder la dépense de sa maison, et cette misère ajoutait une note lamentable et comique au tableau de ce gouverneur inutile, encombrant, mais dont, l'ayant appelé, on ne pouvait honnêtement se défaire. Il finit par donner sa démission, que les Etats acceptèrent le 7 mars 1581. On lui promit par politesse une rente de 5,000 florins qu'il ne toucha jamais. Les réclamations de ses créanciers le retinrent quelques mois encore dans les provinces. Il ne reprit la route de Vienne que le 29 octobre, sans avoir rien compris, sans doute, aux événements dans lesquels il était venu se jeter à l'étourdie et dont il avait été le jouet. Il put encore être témoin, le 26 juillet 1581, de la proclamation par les Etats généraux de la déchéance de Philippe II. La ratification définitive par le duc d'Anjou à Bordeaux, le 23 janvier de la même année, des articles arrêtés au Plessis, rendait inévitable cette affirmation suprême de la Révolution. Elle l'annonçait d'ailleurs en justifiant par le droit naturel, « les justes exemples de toutes nations et peuples affligez » et la violation des coutumes et lois du pays, le transfert de souveraineté qui allait s'accomplir (37). C'est, en effet, au nom du droit popu- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) (Cliché Bijtebier.) Armoiries de Philippe II entourées des écus des provinces des Pays-Bas. Au centre, au-dessous des armes du roi d'Espagne, l'écu de Brabant. Dans l'encadrement, les écus de Flandre, Artois, Hainaut, Gueldre, Frise, Zutphen, Matines, Limbourg, Overyssel, Utrecht, Groningue, Namur, Luxembourg, Anvers, Zélande et Hollande. Gravure en frontispice à la Descrittione di tutti i Paesi Bassi de Louis Guichardin, 3e édition, Anvers, Christophe Plantin, 1588, in-folio. laire et au nom des constitutions nationales que le roi d'Espagne fut « abjuré ». La tradition historique et la théorie des monarchomaques s'unirent contre lui. On le rejeta, en invoquant à la fois le passé et le présent. De ces deux ordres de considérations, le second toutefois était seul sans réplique. Car depuis la paix d'Arras, les constitutions et les privilèges étant rétablis, les vieux griefs ne pouvaient plus se justifier. Mais Philippe continuait de refuser à ses sujets protestants la liberté de leur culte. Il s'opposait donc à la parole de Dieu et violentait la souveraineté du peuple. Doublement tyran, il devait disparaître. Et la révolution politique qui l'emporta et fit triompher le droit nouveau dans les Pays-Bas, ne fut que le contrecoup de la révolution religieuse qui l'avait précédée. Quelques semaines plus tard, le duc d'Anjou arrivait sur la frontière à la tête d'une armée. Il obligeait Farnèse à lever le siège de Cambrai (17 août) et prenait possession de la ville, puis, à court d'argent et contraint de licencier ses troupes, il remit à plus tard son avènement et partit pour Londres, faire sa cour à Elisabeth (38). LA DECHEANCE DE PHILIPPE II. - Pendant qu'Orange appelait le duc d'Anjou à la défense de l'Union d'Utrecht, Alexandre Farnèse en préparait l'attaque. Philippe II l'avait délégué, dès le 13 octobre 1578, comme gouverneur éventuel, à la nouvelle de la maladie de don Juan, et ce dernier lui-même, on l'a vu, lui avait confié, sur son lit de mort, le commandement de l'armée et la direction des affaires. Le 29 novembre, le roi, en dépit d'une partie de son entourage, ratifiait les dispositions prises par son frère. Fils d'Octave Farnèse et de Marguerite de Parme, Alexandre était né à Rome le 27 août 1545 (39). Conduit de bonne heure en Espagne, il avait été élevé à la cour avec don Carlos et don Juan. Mais il ne s'était point laissé absorber. Sa fine et forte nature italienne avait résisté à l'ambiance castillane. Bien différent d'un Rodolphe ou d'un Albert d'Autriche, il ne ressentit que très superficiellement l'influence de l'Escuriai, et les Espagnols ne considérèrent jamais comme un des leurs ce neveu de leur roi. Par une rencontre très rare, la souplesse du diplomate s'alliait chez lui à l'énergie du militaire. Il maniait la pelle avec les soldats, s'exposait au feu dans les tranchées, savait enlever une charge de cavalerie. Mais son courage ne l'emportait jamais, comme celui d'un Henri IV par exemple, au point de lui faire perdre le sang-froid. Il ne s'y abandonnait pas; il le dominait et le faisait servir à ses fins. Nul n'était moins impulsif et ne se défiait autant du hasard. Dans la guerre comme dans les négociations, il préparait longuement ses plans, ne brusquait rien, ne se butait pas, savait attendre l'heure d'agir. Sa prévoyance contraste singulièrement avec l'impéritie de ses prédécesseurs espagnols. Au fond, il y a quelque affinité entre son caractère et celui du prince d'Orange, si éclatante que soit d'ailleurs entre ces hommes la différence du tempérament, de l'éducation et de la foi religieuse. Mais chez l'un comme chez l'autre, on rencontre la même volonté lucide, la même obstination alliée à la même souplesse, la même tension de toutes les énergies vers le but à atteindre. Avec moins de rondeur et de bonhomie, mais avec plus de grâce et de distinction, Parme exerce autour de lui le même charme qu'Orange et éveille la même sympathie. Ses ennemis eux-mêmes rendent hommage à sa courtoisie, à sa discrétion, à son humanité (40). Dans les lettres qu'il écrit en Espagne, on observe avec étonnement qu'il parle des gens des Pays-Bas sans haine et sans mépris (41 ). (Amsterdam, Rijksmuseum; en dépôt à La Haye, Oranje-Nassau Muséum.) Guillaume d'Orange peu de temps après la première tentative d'assassinat dont il fut l'objet à Anvers en 1582. Portrait peint en 1583 par un artiste inconnu de l'école hollandaise. Il existe plusieurs variantes de ce portrait : à Brescia (Pinacoteca Martinengo), Alkmaar (Musée communal), La Haye (collection privée de S. M. la reine des Pays-Bas), Gouda (vitrail de l'Eglise réformée) et Siegen (Muséum des Siegerlandes). LA POLITIQUE D'ALEXANDRE FARNESE. -Don Juan n'était venu en Belgique qu'avec répugnance. Il ne se sentait pas fait pour le rôle que Philippe II lui avait assigné parce qu'il le trouvait inférieur à son ambition. Farnèse, au contraire, s'adonna de tout cœur à sa tâche. Il semble qu'il ait mis son point d'honneur à réussir là où les plus fameux capitaines espagnols avaient échoué. Au surplus, la guerre des Pays-Bas attirait maintenant l'attention de toute l'Europe. Il devait être glorieux de terminer la lutte que se livraient dans les provinces le Catholicisme et la Réforme, la Monarchie et la République, et de venir à bout d'un adversaire tel que Guillaume de Nassau. Farnèse appréciait le prince à sa valeur et il n'avait fait publier qu'à regret l'édit de proscription lancé contre lui. Pour un homme avide de donner toute sa mesure, les difficultés de l'entreprise en augmentaient encore les attraits. A la mort de don Juan, la situation paraissait singulièrement compromise. L'armée royale était insuffisante, et la guerre que Philippe II venait de commencer au Portugal l'empêchait d'envoyer des renforts aux Pays-Bas. Farnèse avait dû tout d'abord se tenir sur la défensive, se retrancher dans le camp de Bouges et attendre les événements. Il n'avait pas tardé à se reconnaître et à découvrir la voie dans laquelle il fallait s'engager. Dès qu'il eut observé les querelles intestines qui travaillaient la « généralité » et paralysaient ses forces, il résolut de les mettre à profit. La politique orangiste avait pour devise « L'union fait la force »; il lui opposa la maxime « Diviser pour régner ». On a vu plus haut comment il sut se servir du mécontentement des provinces wallonnes pour les amener à se séparer de l'Union. Il ne se laissa point aller à préférer l'illusion d'une paix générale à la certitude d'une paix particulière. Son intelligence avisée avait prévu l'échec du congrès de Cologne et il ne consentit point, comme l'aurait voulu l'empereur, à interrompre, pendant sa durée, les pourparlers entrepris avec l'Artois et le Hainaut. Libre d'agir à sa guise, il était certain de réussir. Le traité d'Arras prouva qu'il avait vu clair (42). Tout en négociant, il organisait son armée, louait en Allemagne 24,000 fantassins et 7,000 chevaux, et, au printemps de 1579, prenait l'offensive. Il envoyait en Gueldre le vieux Mondragon, faisait courir sa cavalerie dans le Brabant, culbutait à Borgerhout les troupes des Etats. Puis, pour s'ouvrir un passage vers l'Allemagne et gagner un solide point d'appui sur la ligne de la Meuse, il entre- (Bruges, Musée communal.) (Cliché A.C.L.) Le Traité de Tournai conclu le 20 mai 1584 entre le duc de Parme et la ville de Bruges. Seigneurs chargés de discuter avec Alexandre Farnèse les conditions de la reddition de la ville. Leurs armes permettent d'identifier, entre autres : au premier rang, Philippe de Croy, comte d'Arschot, prince de Chimay et de Porcien, comte de Beaumont et de Zenning-hem, gouverneur de la Flandre (troisième personnage à partir de la gauche); au deuxième rang, Philippe, comte de Lalaing et gouverneur du Hainaut (troisième personnage à partir de la gauche), Charles, seigneur de Ghistelle et de la Notte, gouverneur de Malines (deuxième personnage à partir de la gauche). Détail du Traité de Tournai, tableau peint par Pierre Claeissins le Jeune (Bruges, vers 1532-1623), peintre officiel de la ville de Bruges. prit le siège de Maestricht. La ville tint héroïquement pendant quatre mois. . Elle fut enfin prise d'assaut le 29 juin 1579, et Farnèse ne put empêcher la soldatesque, exaspérée par l'obstination de la résistance, d'y renouveler les horreurs auxquelles elle s'était accoutumée sous le duc d'Albe. Le bruit courut qu'après le sac de la ville, on avait trouvé 1,700 femmes parmi les morts (43). Désormais, l'armée royale menaçait les provinces rebelles à l'est et au sud, et ses premiers succès provoquaient bientôt, parmi celles-ci, d'éclatantes défections. Bois-le-Duc et Malines chassaient leurs garnisons calvinistes. Georges de Rennebourg, en Frise, abandonnait les Etats pour passer au service du roi. Courtrai ouvrait ses portes le 27 février 1580. Mais les progrès de Farnèse lui coûtaient cher. Pour mener à bien la réconciliation des provinces wallonnes, il avait dû renvoyer ses troupes étrangères et il se voyait arrêté maintenant par la nécessité de former une nouvelle armée avec les régiments désorganisés de Montigny et des « Malcontents ». D'Espagne, où la guerre de Portugal continuait, il ne recevait que des ressources dérisoires. Enfin, le traité d'Arras ne lui conservait ses pouvoirs qu'en attendant l'arrivée d'un gouverneur de sang royal. Le 3 mars 1580, Philippe II, sur le conseil de Granvelle, rendait à Marguerite de Parme l'administration des Pays-Bas. Cette nomination répondait sans doute aux termes de la paix conclue avec les catholiques, mais elle s'explique aussi par l'incurable défiance du roi à l'égard de tous les caractères incapables d'obéissance passive. S'il se réjouissait des avantages obtenus par Farnèse, il s'inquiétait des allures, à son gré trop personnelles, de sa politique. Il jugeait excessives les conditions accordées aux provinces wallonnes et il avait résolu de ne laisser à son neveu que la conduite de la guerre, tandis que Marguerite de Parme, vieillie et presque impotente, serait chargée du gouvernement civil et agirait suivant ses ordres et les directions de Granvelle. FARNESE GOUVERNEUR DES PAYS-BAS. -Ces desseins devaient échouer. Farnèse entendait rester libre et ne point partager avec sa mère l'honneur et les responsabilités de sa mission. Aussi bien, dans les cir- constances que l'on traversait, était-il indispensable de mener de concert la diplomatie et les opérations militaires et de les soumettre à une seule volonté. Installée à Namur, dans l'été de 1580, Marguerite n'y joua qu'un personnage impuissant et ridicule. Sauf Mansfeld, qui espérait reprendre, grâce à elle, l'influence dont elle l'avait laissé jouir treize ans plus tôt, personne ne s'inquiéta de sa présence. Elle eut avec son fils des scènes pénibles, pleura, s'emporta, lui reprocha sa «maudite jalousie» (44); il ne consentit point à lui céder la moindre parcelle d'autorité. A la longue, le roi lui-même fut contraint de céder. Le 13 décembre 1581, le gouvernement était officiellement confié à Farnèse. C'était une première violation de la paix d'Arras. Elle ne souleva d'ailleurs aucune protestation. Il était clair pour tout le monde, en effet, que Farnèse seul pouvait venir à bout des provinces protestantes. Puisque la guerre se prolongeait, les pouvoirs du duc devaient donc se prolonger aussi et, de provisoires, devenir permanents. Au surplus, il s'efforçait visiblement de capter la confiance des ralliés. Il avait banni de son entourage tous les Espagnols. Son premier ministre était Jean Richardot, ancien membre du Conseil de l'archiduc Mathias, opportuniste souple et avisé, qui avait rompu avec l'opposition après la paix d'Arras et dont la fortune récente devait encourager les hésitants à suivre l'exemple (45). Les commandements militaires étaient exercés par la haute noblesse; le vieux Mansfeld avait le titre de maître de camp général, le marquis de Roubaix, celui de général de cavalerie. Les Conseils collatéraux, les Conseils de justice, les postes d'administration étaient réservés aux indigènes. On ne pouvait se plaindre d'aucune illégalité. En 1581, le baron de Hèze arrêté pour trahison, avait été déféré au jugement des provinces et c'est par elles qu'il avait été condamné à mort. -do •^Mui.m^A^u.f W~ - JU.'» » - V iy. xV cGfyrWl an-r^j . lin M^—ét'-fMV* AJIUH* ^^Jhi^i^^vj -ïûcS jwtmK1»'? n / f^c r MW plçMù. neucAcz** ' rfoiiit pv&Xfï? (Anvers, Archives de la ville, charte 0.360.) Signatures d'Alexandre Farnèse et des délégués anversois au bas de l'acte de capitulation de la ville (17 août 1585). Signèrent la capitulation au nom de la ville d'Anvers : Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, Guillaume de Mérode, Jean de Schoonhoven. Mathieu de Lannoy, Corneille Pruenen, Philippe de Lantmeter, Jean de Weert, Arnoud Boudewvns, Guillaume van Schooten, André Hessels, J. Meganck, Adrien Bardoul, Gilles Sautin, Jean Godin, Jean Radermacher, Balthazar Moucheron au nom de Louis de Malapar, Herman Van Dadenborch, Henri Van Erp, Jean Garin et Thierry Van Os. leurs, depuis la prise du fort Lillo, le jour même de l'assassinat du prince d'Orange, le découragement se glissait peu à peu dans la population. Les habitants les plus riches quittaient furtivement la ville. Entre la garnison et les gildes militaires de la bourgeoisie, la mésintelligence allait croissant. L'intérêt particulier l'emportait peu à peu sur le dévouement à la défense. Les bouchers empêchaient l'inondation de plusieurs polders où ils faisaient pâturer leurs bœufs. Au mois d'avril, l'insuccès de la machine infernale de Giannibelli, puis d'une batterie flottante construite à grands frais et décorée du nom significatif de « fin de la guerre » trompait amèrement l'espoir de rouvrir le fleuve. Quelques semaines plus tard, le 26 mai, Farnèse s'emparait de la digue de Kauwenstein après un sanglant combat et désormais la ville, investie de toutes parts, ne pouvait plus échapper à son sort. CAPITULATION D'ANVERS. - Marnix s'attendait depuis longtemps déjà à une issue fatale. Le 23 mai, il écrivait au duc de Parme que l'on pourrait s'entendre moyennant «quelques libertés de religion» (69). Il se laissait aller à croire que « Dieu consentirait à éclairer le cœur du roi », l'inclinerait à la tolérance et amènerait ainsi une réconciliation générale des provinces protestantes. Le prince d'Orange n'était plus là pour l'entraîner par son exemple et soutenir ce caractère plus actif qu'énergique. L'opinion publique en Hollande et en Zélande considéra la conduite de Marnix comme une trahison. Mais n'avait-elle pas, l'année précédente, taxé les Gantois de lâcheté ? (70). Elle oubliait que les villes du Sud, abandonnées à leurs seules ressources, ne pouvaient indéfiniment résister sans recevoir de secours et qu'il ne fallait point exiger d'elles plus d'abnégation qu'on ne leur en témoignait. Le 17 juillet, la reddition de Malines à Farnèse aggravait encore la situation d'Anvers (71). La famine était désormais inévitable à bref délai, et il était certain qu'elle pousserait le peuple à exiger la paix à tout prix. Le magistrat voyait clairement qu'une réconciliation particulière provoquerait la ruine de la ville, les Zélandais ne pouvant manquer d'en prendre occasion pour fermer l'Escaut au profit de leurs ports et des ports de Hollande. Aussi, le 8 juillet, des députés envoyés au duc de Parme lui demandaient-ils de conclure une pacification générale dans laquelle les Provinces-Unies seraient comprises en même temps qu'Anvers (72). Ces propositions n'avaient naturellement aucune chance d'aboutir. Il fallut bien se résigner à accepter le 17 août une capitulation qui reproduit, dans ses traits essentiels, celles des autres villes, si ce n'est que le délai donné aux protestants pour émigrer ou se faire catholiques y est, en raison de leur grand nombre, portée à quatre ans (73). La chute d'Anvers marque l'apogée de la carrière de Farnèse. Toute l'Europe avait suivi avec une attention passionnée les péripéties d'un siège demeuré célèbre dans l'histoire militaire. S'il n'avait pas été illustré par l'héroïque résistance que Harlem et Leyde avaient déployée jadis, les difficultés de l'entreprise, la force et la grandeur de la place, l'ingéniosité et la science dont avaient fait preuve également l'attaque et la défense l'élevaient au rang des exploits les plus glorieux de l'époque. Aussi le duc résolut-il de donner à sa victoire un retentissement extraordinaire. Habile d'ailleurs jusqu'au milieu de son triomphe, il eut soin d'écarter du pompeux cortège qui l'escorta à travers les rues de la ville, ses officiers italiens et espagnols. Il ne se fit suivre que de la noblesse ralliée, les Chimay, les Egmont, les Arenberg, les Mansfeld, etc., comme s'il eût été un prince national célébrant sa joyeuse entrée. Mais la ruine franchissait avec lui les portes d'Anvers. Désormais la calviniste Flessingue fermait l'Escaut plus hermétiquement que l'estacade de Parme, et la solitude allait se faire le long des quais aujourd'hui décorés par ordre d'arcs de triomphe, d'obélisques, d'emblèmes et de statues. FARNESE EN FACE DES PROVINCES-UNIES. — Le génie militaire d'un Italien venait de relever dans les Pays-Bas le prestige des armes espagnoles (74). Mais, si considérables que fussent les résultats obtenus, la partie la plus difficile de la tâche restait à accomplir. La Belgique reconquise au roi d'Espagne et au catholicisme, il fallait maintenant attaquer dans leurs derniers retranchements la Réforme et la République. Et ces retranchements étaient formidables. Baignées au nord et à l'ouest par la mer, protégées à l'est par la vaste échancrure du Zuiderzée et par le cours de l'Yssel, au sud par le large et profond fossé du Waal et de la Meuse, puis enfin par l'estuaire où ces fleuves viennent mêler leurs flots à ceux de l'Escaut, les trois provinces d'Utrecht, de Hollande et de Zélande ressemblaient à un camp retranché entouré d'eau de toutes parts. Depuis le commencement de la guerre, on avait travaillé sans relâche à rendre plus infranchissables encore ces obstacles naturels. Dans ces pays de digues où tant de terre avait été remuée contre l'invasion de l'océan, l'invasion espagnole allait se heurter à une barrière de forteresses. Une ligne de forts, de redoutes, de retranchements s'élevait derrière les grandes rivières. Les villes riveraines se hérissaient de bastions. On avait accumulé les moyens de défense dans tous les endroits susceptibles de livrer passage à l'ennemi. Enfin, non seulement la flotte des rebelles tenait la mer, mais ses vaisseaux remontaient encore le long des fleuves et partout où il en était besoin, leur canon venait appuyer les efforts de la résistance. Maître de la Frise, de la Gueldre, du Brabant et de la Flandre, Farnèse enserrait l'adversaire tout le long des rivières qui le séparaient de lui. Malheureusement, dépourvu de navires de guerre plus encore que le duc d'Albe et Requésens l'avaient été, il en était réduit aux seules ressources de la stratégie. Les opérations qu'il devait entreprendre ressemblaient à celle d'un siège, siège de tout un pays, et d'un pays qui, grâce à la mer, avait la faculté de s'approvisionner constamment d'hommes, de vivres et de munitions. En somme, dans la guerre qui allait commencer, toutes les chances se trouvaient du côté de la défense. Sans doute, abandonnées à leurs propres forces, les provinces eussent été contraintes, tôt ou tard, de renoncer à la lutte. Mais l'Angleterre et la France avaient trop d'intérêt à laisser l'Espagne épuiser ses forces contre les rebelles pour ne point venir en aide à ceux-ci. Henri III étant momentanément hors de cause, Elisabeth se hâta de leur tendre la main. Dès le 20 août 1585, elle concluait une alliance avec eux et envoyait des troupes tenir garnison dans l'île de Walcheren et à Berg-op-Zoom. Le 4 février 1586, les Etats généraux — et désormais il faut entendre par ce mot l'assemblée des députés des seules provinces du Nord — reconnaissaient comme gouverneur le favori de la reine, Robert Dudley, comte de Leicester. De son côté, Farnèse combinait son plan de campagne. Ne pouvant rien attendre d'une attaque de vive force, il faisait appel à ses ingénieurs. La pelle et la pioche allaient jouer le rôle principal dans les opérations militaires. Les travaux d'art des ennemis seraient attaqués par d'autres travaux d'art. Le pays en porte encore aujourd'hui les marques, et il suffit de rappeler l'existence du canal de Robles en Frise, celle des lignes de Cantelmo dans la Flandre zélandaise, les ruines des redoutes que le promeneur rencontre aux environs de l'Ecluse et d'Ardenbourg, pour montrer l'importance et la durée d'une guerre dont rien jusqu'alors n'avait pu donner l'idée. Ce fut avant tout une guerre savante, et les Pays-Bas, qui avaient si souvent servi à l'Europe de champ d'expérience sociale, devinrent pour elle un véritable champ d'expériences militaires. De toutes parts, les jeunes nobles avides de s'exercer au métier des armes y accoururent, et dans les deux camps se formèrent quantité de grands capitaines : Maurice et Frédéric-Henri de Nassau, le comte de Bucquoy, Tilly, Charles et Ernest de Mansfeld et bien d'autres. FARNESE SUR LE RHIN ET LA MEUSE. - Contre Farnèse, les Provinces-Unies ne s'appuyaient pas seulement sur l'Angleterre. Depuis 1583, la guerre qui avait éclaté dans le diocèse de Cologne à la suite de la conversion de l'archevêque Gérard Truchsess au protestantisme, avait encore amélioré leur situation. Le prince d'Orange et les Etats généraux s'étaient empressés de fournir des secours à Gérard. Ils avaient envoyé des troupes à son lieutenant, le comte Adolphe de Neuenar, en même temps qu'ils le faisaient accepter comme gouverneur par les Etats de Gueldre. C'est que Neuenar, déjà maître de Rheinberg et de Neuss, achèvera, en s'installant en Gueldre, de dominer le cours du Rhin et de couper les communications de Verdugo, détaché en Frise, avec les autres corps de l'armée espagnole. La « guerre de Cologne » réclamait donc l'intervention de Farnèse. D'ailleurs, Philippe II n'entendait pas laisser la Réforme conquérir de nouvelles positions sur les frontières des Pays-Bas. Par son ordre, le duc de Parme avait expédié des renforts, en 1583, à l'évêque de Liège, Ernest de Bavière, que les membres catholiques du chapitre colonais venaient d'élire en remplacement de Gérard. Après la prise d'Anvers, il avait cantonné une partie de son armée sur les frontières de la Gueldre, dans le Brabant septentrional et dans le Bom-melerwaard. Bobadilla, surpris en plein hiver par le comte de Hohenlohe et cerné par l'inondation entre le Waal et la Meuse, n'échappa que grâce à une gelée propice où l'on voulut voir l'intervention de la Vierge. Plus heureux, un autre lieutenant d'Alexandre, Haultepenne, repoussait un coup de main de Neuenar contre Nimègue. Dans le Nord, Verdugo, vaillamment secondé par Jean-Baptiste de Taxis, tenait tête à Guillaume-Louis de Nassau. La campagne de 1586 eut pour but de donner de l'air à l'armée royale en séparant les Provinces-Unies de leurs alliés d'Allemagne. Charles de Mansfeld reçut l'ordre de mettre le siège devant Grave et d'ouvrir ainsi le passage de la Meuse. Farnèse le rejoignit au printemps avec le gros de ses forces. Il s'empara de la ville le 7 juin, malgré les efforts de Leicester et de Hohenlohe, et, quelques jours plus tard, le 29, la garnison de Venlo, déconcertée par la rapidité et l'habileté de ses mouvements, capitulait à son tour. Aussitôt, ayant mis le Brabant à couvert et s'étant assuré deux solides points d'appui, le duc poussa dans la direction de Cologne. Il voulait enlever Neuss au comte de Neuenar et se rabattre ensuite par un mouvement tournant vers la Gueldre. Neuss, mal fortifié, ne pouvait tenir contre le vainqueur d'Anvers. Les protestants qui y dominaient refusèrent pourtant de se rendre. La place fut emportée le 27 juillet et il fut impossible de contenir les soldats qui, se croyant tout permis en dehors des pays du roi et contre des hérétiques, massacrèrent la garnison, une grande partie de la bourgeoisie et mirent le feu à la ville. C'est devant ces ruines fumantes que le 1er août, le légat Bonomi remettait au « défenseur de la foi » une épée d'or et une toque de velours bénites par le pape. Il restait, pour réaliser le plan de Farnèse, à remonter vers Rheinberg et à s'emparer de cette importante position. L'armée prit en chemin Meurs et Alpen, mais une diversion de l'ennemi l'empêcha d'atteindre au but que son chef lui avait assigné. Le jeune Maurice de Nassau, inaugurant sa carrière militaire par un coup d'éclat, franchissait le Hont et le 26 juillet se rendait maître d'Axel, tandis que le comte de Hohenlohe menaçait Zutphen. C'étaient là les premières applications d'une tactique qui fut constamment employée dans la suite. Pour attaquer la frontière des Provinces-Unies avec quelques chances de succès, les troupes royales étaient forcées de concentrer en un même point le gros de leurs forces et de dégarnir le reste du front. Dès lors, les rebelles, disposant grâce à leurs navires de moyens rapides de transport, passaient eux-mêmes à l'offensive sur un autre point pour obliger l'ennemi à marcher contre eux et à desserrer son étreinte à l'endroit qu'il avait choisi. A la nouvelle de la contre-attaque qui le menaçait, le duc de Parme abandonna le siège de Rheinberg et se porta vers Zutphen afin de ravitailler la place et de mettre Hohenlohe hors d'état de donner la main au comte de Neuenar. Il repoussa ce dernier à Lingen, déjoua les manoeuvres de Hohenlohe et de Leicester et parvint même à conquérir Deventer. De son côté, le gouverneur d'Anvers, le vieux Mondragon, empêchait Maurice de Nassau de s'étendre dans le pays de Waes. Les opérations de la campagne de 1587 furent restreintes. Leur objectif était la prise de l'Ecluse qui, malgré l'énergie de sa garnison anglaise et la coopération des navires de Flessingue, dut se rendre le 5 août. Le marquis del Vasto et Haultepenne avaient suffi pour faire échouer en Gueldre et autour de Bois-le-Duc des tentatives d'invasion de Hohenlohe. La prise de l'Ecluse se rattache au projet grandiose que Philippe II venait de concevoir. Il avait résolu de profiter de l'impuissance à laquelle les troubles civils contraignaient la France, pour se tourner contre l'Angleterre. Dès 1585 il avait communiqué son plan d'attaque à Farnèse. Une flotte espagnole devait assaillir les côtes de l'île et permettre à l'armée des Pays-Bas, préalablement renforcée, d'y opérer un débarquement. Soit qu'il ait cru ce projet réalisable, soit qu'il y ait vu seulement un moyen de s'assurer des renforts, le duc y donna son assentiment. Il considérait toutefois qu'avant d'agir, un point d'appui sur la côte était indispensable. De là son expédition contre l'Ecluse qui, dans sa pensée, devait préparer la conquête de Flessingue. L'attaque de l'Angleterre ne pouvait réussir, d'autre part, qu'en trompant la vigilance d'Elisabeth. Pour lui donner le change, Farnèse entreprit depuis 1586 des pourparlers de paix qui aboutirent à des conférences tenues à Bourbourg dans l'été de 1588. L'INVINCIBLE ARMADA. — Pendant ces négociations, la Flandre se transformait en un vaste chantier maritime. A Gand, à Bruges, à Termonde, à Watten, on construisait des centaines de bateaux plats destinés au passage des troupes. Un canal était creusé du Sas-de-Gand à Bruges et l'on approfondissait l'Yperlée de Bruges à Nieuport afin de pouvoir diriger les embarcations vers la côte sans les exposer au canon de Flessingue ou à celui des croiseurs zélandais de la mer du Nord. D'Espagne, d'Italie, d'Allemagne, de Bourgogne, arrivaient constamment des soldats et une quantité de noblesse avide de prendre part à l'entreprise. Pourtant, à mesure que le dénouement approchait, Farnèse en appréciait mieux les difficultés. Les ports de Dunkerque, de Nieuport et de l'Ecluse n'étaient pas assez profonds pour pouvoir fournir un abri à Xarmada royale Le duc aurait voulu que Philippe II lui permît de s'emparer de Flessingue avant de faire prendre la mer à l'expédition. Il ne fut pas écouté. Le 6 août 1588, la flotte, composée (Londres. Wallace Collection.) (Photo obtenue avec le concours de M. E. Cammaerts, professeur à l'Université de Londres.) Robert Dudley, comte de Leicester (1532 ou 1533-1588) à l'âge de vingt-huit ans. Favori de la reine Elisabeth d'Angleterre et son principal agent sur le continent, il fut nommé gouverneur par les Etats généraux (c'est-à-dire les Etats des provinces du Nord) le 4 février 1586, mais il abandonna cette charge le 17 décembre 1587. Portrait peint par un artiste flamand anonyme en 1560. de cent trente-deux gros vaisseaux sous le commandement du duc de Medina Sidonia, arrivait devant Calais, harcelée par les agiles navires de Drake. L'armée des Pays-Bas était massée sur le rivage prête à s'embarquer. Mais des bateaux hollandais bloquaient les ports, et les bâtiments espagnols, mal dirigés, gênés par les courants, attaqués sans relâche par les Anglais et incapables d'approcher de la côte à cause de leur tirant d'eau, l'attendirent vainement durant trois jours. Le 9 août ils battirent en retraite par le nord en doublant la Grande-Bretagne, et les tempêtes achevèrent de transformer cet insuccès en une lamentable catastrophe. Les Espagnols ne manquèrent pas de rejeter sur Farnèse la responsabilité de la défaite. On alla même jusqu'à l'accuser de s'être concerté secrètement avec l'Angleterre, dans l'espoir d'être reconnu comme prince des Pays-Bas. Il profita de la fin de l'année 1588 pour envoyer le prince de Chimay au secours d'Ernest de Bavière, pressé par les protestants dans la région de Bonn. Puis il dirigea vers la Gueldre Pierre-Ernest de Mansfeld qui, après un siège où les bombes furent, paraît-il, employées pour la première fois, s'empara de Wachtendonck. Lui-même essaya, mais sans y réussir, la conquête de Berg-op-Zoom. L'année suivante fut marquée par des avantages plus considérables. En Gueldre, Charles de Mansfeld, après avoir repoussé un coup de main de l'ennemi sur Nimègue, mettait le siège devant Rheinberg, qui se rendit le 30 jan- ne parvint pas à l'entamer. Il ne ramenait qu'une armée affaiblie, ayant été obligé de laisser une partie de ses troupes au duc de Mayenne et de mettre des garnisons sur les frontières de France. Ces événements rendirent les rebelles du Nord plus forts et plus entreprenants que jamais. Ils n'avaient eu qu'à se plaindre de Leicester qui, mécontent de la tutelle à laquelle le soumettaient les Etats généraux, avait, comme avant lui le duc d'Anjou, comploté contre eux et s'était vu finalement obligé d'abandonner son poste le 17 décembre 1587. Mais la déclaration de guerre de Philippe II à Henri IV leur fournissait en celui-ci un allié d'autant plus sûr que ses intérêts se confondaient avec les leurs et garantissaient sa bonne foi. Quelques années auparavant, ils n'avaient accepté qu'en rechignant le concours de la France. Ils en firent désormais la base de leur politique extérieure. L'entente que le prince d'Orange avait vainement essayé d'établir se réalisait enfin grâce à la tournure des événements : elle allait durer pendant près d'un siècle. La campagne de 1591 fut désastreuse pour les Espagnols. Enhardies par l'affaiblissement de l'armée royale et par leur confiance en Henri IV, les troupes des Provinces-Unies obtiennent succès sur succès. D'Ostende, poste avancé que les rebelles conservent au milieu de la Belgique, Norris s'empare en février de Blankenberghe. La prise de Zutphen par Maurice de Nassau, le 30 mai, et celle de Deventer, le 10 juin, ferment les passages de l'Yssel, points vulnérables de la frontière. Malgré ses efforts, Farnèse ne parvient pas à se rendre maître du fort construit en face de Nimègue sur la rive droite du Waal. Assailli par des forces supérieures, il est contraint d'en lever le siège le 26 juillet. Puis Maurice, plus actif et plus rapide que jamais, enlève par une brusque attaque la place de Hulst, et, revenant à l'est, se fait ouvrir, le 21 octobre, les portes de Nimègue. Ainsi, non seulement les Provinces-Unies ont frustré l'ennemi de ses débouchés sur leur territoire, mais elles en ont acquis sur le sien. Et ce qui est plus important encore, ces victoires leur ont donné en elles-mêmes une assurance inébranlable. La gloire des armes exalte le sentiment patriotique. Maurice de Nassau devient le héros national et jouit d'une popularité à laquelle son père lui-même n'a jamais atteint. Au lieu de pouvoir se consacrer tout entier à rétablir sa situation si compromise dans le Nord, Farnèse dut de nouveau partir pour la France au mois de décembre. Il débloqua Rouen pressé par Henri IV, et ses habiles manœuvres à Caudebec sauvèrent les troupes de la Ligue d'une défaite imminente. Mais il rentrait dans les Pays-Bas malade et découragé, tandis que les rebelles redoublaient d'énergie et d'entrain. Ils n'avaient pas craint d'envoyer 3,000 hommes de renfort à Henri IV. Au mois de juillet, Maurice de Nassau, portant cette fois ses opérations contre la Frise, y enlevait Steenwijk, le 6 juillet 1592, et Coevorden le 2 septembre. FARNESE EN FRANCE. — Quoique Maurice de Nassau vînt d'entrer à Bréda (25 février 1590) et menaçât Nimègue, il fallut dégarnir la frontière. Dès le mois de mars, cinq cents arquebusiers et douze cents lances wallonnes partaient pour rejoindre le duc de Mayenne, sous le commandement de Jean-Baptiste de Taxis et du comte d'Egmont, qui trouva la mort à la bataille d'Ivry. Au commencement du mois d'août, Farnèse ayant confié le gouvernement à Pierre-Ernest de Mansfeld et le commandement des troupes au fils de celui-ci, Charles de Mansfeld, se mit lui-même en route vers Paris à la tête de 14,000 hommes de pied et de 2,800 cavaliers. Il obligea Henri IV à lever le siège de la capitale, puis rentra dans les Pays-Bas en novembre, suivi par son adversaire qui (Londres, British Muséum, Cabinet des Estampes.) Attaque de l'« Invincible Armada » par la flotte anglaise en vue des côtes de Calais (6 août 1588). Gravure sur cuivre exécutée en 1589 par A. Ryther d'après Robert Adams (1540-1595). vier 1590. Le 10 avril 1589, Farnèse, de son côté, était entré dans Geertruidenberg, grâce à la complicité de la garnison anglaise de cette place. Jamais, les chances de l'armée espagnole n'avaient été meilleures. Elle n'avait plus rien à craindre du côté de Cologne, où Ernest de Bavière était définitivement vainqueur des protestants. Rheinberg lui assurait le passage du Rhin et la domination de la Gueldre. Par Geertruidenberg, elle menaçait à la fois la Hollande et la Zélande. Farnèse attendait impatiemment le moment de les attaquer et il affirmait au roi qu'il ne serait pas difficile d'en venir à bout. Mais l'assassinat de Henri III, le 1er août 1589, venait de décider Philippe II à intervenir en France. Il allait y soutenir la résistance de la Ligue contre Henri IV, et il s'abandonnait à l'espoir d'assurer à sa fille Isabelle, grâce à l'appui des catholiques, la couronne des Valois. Qu'il réussît, et le prestige de sa maison dans l'Europe comme dans l'Eglise serait plus grand que jamais. Pour atteindre à un résultat si grandiose, il n'hésita point à ajourner la soumission des Pays-Bas. Le duc de Parme reçut l'ordre de se porter à la rescousse de la Ligue. Cependant les ennemis de Farnèse profitaient d'échecs dont il n'était pas responsable, pour achever de détruire son crédit auprès du roi. Les deux Mansfeld et cet incorrigible intrigant de Champagney le calomniaient à l'envi dans de perfides mémoires qu'ils envoyaient à Madrid (75). Leur orgueil, froissé par la confiance que le duc accordait à Richardot et à ses favoris italiens, leur faisait perdre toute mesure. Champagney allait jusqu'à dénigrer les exploits du siège d'Anvers; la fameuse estacade jetée sur l'Escaut n'était, à l'en croire, qu'un ouvrage sans importance. DISGRACE DE FARNESE. — Ces attaques venaient appuyer celles des Espagnols dont l'hostilité ne désarmait pas. Philippe II continuait pourtant à écrire à Farnèse les lettres les plus flatteuses. Mais il n'agissait ainsi que pour lui donner le change (76). Mécontent de la marche des affaires «n France, il était décidé à lui retirer ses pouvoirs. Le 20 février 1592, il chargeait le marquis de Cerralvo de lui remettre l'ordre de venir à Madrid; s'il résistait, Cerralvo devait se proclamer aussitôt lieutenant général. La mort qui empêcha ce dernier d'accomplir sa mission ne changea point la décision royale. Don Pedro Enriquez de Azevedo, comte de Fuentès, fut désigné à sa place le 3 juin 1592. Sous le coup de cette disgrâce qu'il ignorait encore, Farnèse avait une troisième fois quitté Bruxelles pour la France le 11 novembre. Une blessure reçue pendant la campagne précédente avait achevé de ruiner sa santé; il avait inutilement cherché la guérison aux eaux de Spa. C'est à peine s'il pouvait encore se tenir à cheval, et tous ceux qui assistèrent à son départ eurent le pressentiment qu'ils ne le reverraient plus. Malgré son énergie, il dut s'arrêter à Arras. C'est là qu'il mourut, le 3 décembre 1592. dans cette même abbaye de Saint-Vaast où avait été conclue, grâce à lui, quatorze ans auparavant, la réconciliation des provinces wallonnes. On blâme généralement Philippe II de l'avoir arrêté à deux reprises dans la conquête des Provinces-Unies, en l'obligeant à seconder tout d'abord l'entreprise de l'armada, puis plus tard, et surtout, en l'envoyant guerroyer contre Henri IV. Insensée, en effet, si on l'apprécie au point de vue de l'histoire des Pays-Bas, la conduite du roi se comprend parfaitement, pour peu qu'on tienne compte de sa politique européenne. En 1588 et en 1592, comme en 1567, l'attitude de Philippe II à l'égard de ses « pays de par delà » s'explique par les mêmes motifs. Il ne les considère que comme un poste avancé de sa monarchie; il ne tient à eux que pour les services qu'ils peuvent lui rendre et il les subordonne entièrement à ses desseins. Comment ne sacrifierait-il pas à l'espoir de dominer l'Angleterre et la France, la conquête de ce coin de terre ? D'ailleurs, il n'y renonce point, il ne fait que la différer, car, s'il réussit à vaincre les deux grandes puissances occidentales qui favorisent les. rebelles, la soumission de ceux-ci est inévitable. L'accessoire suivra le principal, et, maître de l'Angleterre et de la France, il le deviendra par surcroît de la Hollande et de la Zélande. Ce ne sont point ces deux provinces qui l'arrêteront au moment où il rêve le renversement, à son profit, de l'équilibre européen. En réalité, son erreur n'est pas d'avoir arrêté Farnèse. Elle est ailleurs, et elle est plus profonde. Il faut la chercher tout à la fois dans son dédain d'Espagnol pour les autres peuples, dans son absolutisme étroit, dans sa haine aveugle pour l'hérésie. Il n'a songé qu'à Elisabeth et à Henri IV : il n'a pas tenu compte de la résistance indomptable que la nation anglaise et la nation française opposeraient à ses projets. Sa faute a été de croire au succès d'un plan dont la conception fut aussi grandiose qu'inexécutable. L'Angleterre et la France échappant aux étreintes de l'Espagne, les Provinces-Unies devaient leur échapper aussi. Il est douteux, en effet, que, malgré son génie militaire, Farnèse eût triomphé de leur résistance. Pouvait-il réussir là où le duc d'Albe et Requésens avaient échoué ? Sans doute il était plus grand général que ses devanciers, mais sa tâche était aussi bien plus lourde que la leur. Il se trouvait maintenant devant un peuple enhardi par ses victoires, sûr de l'appui de l'étranger, invulnérable du côté de la mer, couvert le long de la frontière par de larges fleuves sillonnés de navires de guerre et par une barrière de forteresses, ayant enfin à sa tête un homme de guerre tel que Maurice de Nassau. Malgré tous ses efforts, il n'avait pu s'emparer encore en 1592 que des glacis de la place. Il lui restait à donner l'assaut final et nul ne peut dire qu'il l'eût emporté. Buchelius, en 1584, éclatait de rire en entendant à Douai un prêtre catholique lui prédire l'expulsion à bref délai de tous les hérétiques de Hollande et sstfuUt- -l {c cÙ*- II. II'U'UL Ja. -jL* J 4 Vt'£r*£t~r h*" J' „ J /i, tn 'A- Co-'ft /<* ****** ^ ^ ^ fie Ci' V-r- -"f . }'. "If . ta y* y J ' tZ' Kf . utter, ^'tmw'tJLflin V ft'trU, » y,-eu i' r // /• Ot/t* Mt>r* c*'*">»" s" ^ jt^y^s»<'vuptt 6' Corrxo er' ^.^tj/tl m*9nJnre ' „ ' » ror\*t et n ?#/ i^i/rta ffttestn» >M4 «•«€•-€. J * , ' • J,./.- r ... vire o - tttrerx rn.XA.trtO' 0 , Z" CP > litern* ■fs y ' • ^ quela*-c /(/i«™.»« rc./yt Pwywc ^ uirt l ^ y r (Madrid, Bibliothèque Nationale, ms 9393, fol. 33 r°.) Copie contemporaine de l'acte de cession des Pays-Bas donné par Philippe II à sa fille, l'archiduchesse Isabelle, et à son beau-fils, l'archiduc Albert (6 mai 1598). Leur palais de Bruxelles, empli de courtisans et de conseillers espagnols, apparut comme une succursale de l'Escu-rial (19). Sous leur règne, la politique extérieure fut aussi peu nationale qu'elle l'avait été avant eux. Le recrutement de leurs ambassadeurs parmi la noblesse belge ne doit point faire illusion à cet égard : il leur eût été impossible, sans affirmer trop crûment la vraie nature de leur « souveraineté », de se faire représenter en dehors par des Castillans. On venait à peine d'entamer les négociations de paix avec la France lorsque Philippe II, le 10 septembre 1597, fit savoir à ses sujets de Belgique qu'Albert leur communiquerait prochainement « la bénigne résolution qu'il avoit prise pour leur propre bien» (20). Les Etats de Brabant en reçurent connaissance de la bouche même de l'archiduc, le 5 décembre; ceux des autres provinces en furent informés par lettre. Tous témoignèrent naturellement un enthousiasme de commande et exaltèrent la « bonté et affection paternelle du roi » à leur égard. Plusieurs d'entre eux ne purent cependant s'empêcher de manifester la crainte que leur inspirait une indépendance dont ils se voyaient gratifiés sans l'avoir demandée. Ils firent observer qu'ils ne pourraient résister avec leurs propres forces aux ennemis qui les entouraient. Ceux de Flandre allèrent jusqu'à déclarer qu'il ne serait « conseillable de séparer et distraire ces pays » des autres Etats de Sa Majesté, si les secours de l'Espagne devaient leur manquer à l'avenir (21). La signature du traité de Vervins permit de passer aux mesures d'exécution. Dès le 26 juillet 1598, les députés de toutes les provinces furent mandés à Bruxelles, afin d'y reconnaître solennellement Isabelle pour « dame et princesse souveraine » en présence de son futur mari, chargé par elle de la représenter. L'assemblée devait se tenir dans la grande salle du palais, tendue « des tapisseries de l'ordre de la Toison d'Or contenant l'histoire de Gédéon », et où l'on avait préparé, sous un dais aux armes de Bourgogne, un trône pour l'archiduc. Dix-sept bancs rangés sur le parquet attendaient les députés des dix-sept provinces (22). LES ETATS GENERAUX DE 1598. - La cérémonie, qui eut lieu le 21 août, débuta sous le coup d'une double désillusion. Les représentants du pays, se croyant appelés à une session d'Etats généraux, s'attendaient à délibérer avec l'archiduc sur les conditions du « transport ». Le président Richardot leur avait démontré aussitôt « l'absurdité » de leurs espérances (23). Us n'avaient point à se mêler de la décision royale. Tout au plus pouvaient-ils conférer ensemble sur les éclaircissements qu'ils désiraient demander à Son Altesse, « mais l'on ne entendoit que ce fust à pluralité de voix ny par forme de assemblée des Estatz généraulx ». Force leur fut donc de formuler par écrit les voeux qui leur tenaient le plus à cœur. Le 20 août, ils supplièrent Albert de déclarer que l'acte de cession laissait subsister « l'ancienne franchise, liberté et souveraineté » du pays; de s'occuper sans retard de conclure une bonne paix avec la Hollande et la Zélande et de les laisser eux-mêmes entamer des pourparlers; de convoquer, aussitôt après son mariage avec l'infante, une assemblée générale des Etats du pays « pour adviser sur le redressement, tant de justice que police, et généralement sur tout ce que concerne leur service, ensemble la conservation, bien et repos du dict pays » (24). L'acquiescement de l'archiduc à toutes ces requêtes laissait pourtant subsister bien des appréhensions, et celles-ci s'accentuèrent encore lorsque l'on constata, lors de l'ouverture de la séance du 21 août, que les sièges réservés aux députations des Provinces-Unies restaient inoccupés. Ainsi, le vague espoir qu'on avait (Bruxelles, Musée de la Porte de Hal, socle n° 91.) (Cliché Pichonnier.) Demi-armure allemande à rinceaux polis et repoussés sur fond noir. Seconde moitié du XVIe siècle. pu conserver d'une réconciliation des rebelles avec les nouveaux princes, s'évanouissait le jour même de la reconnaissance de ceux-ci ! Richardot eut bien soin d'ailleurs de ne faire aucune allusion à l'absence menaçante des députés du Nord, dans le morceau de rhétorique ampoulée qu'il prononça devant l'assemblée. Il se borna à dérouler avec grandiloquence, une suite de lieux communs sur la clémence du roi, le malheur des guerres civiles et la prospérité dont l'avènement des archiducs ne pouvait manquer de combler la Belgique. Le lendemain, les serments réciproques du prince et des représentants des provinces furent prêtés sur l'évangile au son des trompettes, des tambourins et des fifres. Le jour suivant, l'archiduc donna un banquet de deux cent cinquante personnes « où il ne se but une seule goutte d'eau» (25), et il assista, le 24 août, à une procession qui se termina par un Te Deum solennel, chanté à Sainte-Gudule. Le 14 septembre, le lendemain même de la mort de Philippe II, qu'il apprit en route, Albert, pourvu des dispenses du pape, quittait Bruxelles, pour aller épouser l'infante. Il laissait le gouvernement au cardinal André d'Autriche, fils de l'archiduc Ferdinand de Tyrol, et le commandement des troupes à l'amiral d'Aragon, don Francisco de Mendoza. Son absence, qui ne devait durer que quelques mois, se prolongea beaucoup plus longtemps. Le mariage, conclu d'abord par procuration à Ferrare, le 15 novembre 1598, fut célébré à Valence le 18 avril 1599 (26). Quatre mois plus tard, le 20 août, les archiducs entraient par Thionville dans les Pays-Bas. NOTES (1) Voy. plus haut, p. 373. (2) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 432, et II, p. lxxix. (3) Gachard, Les Etats généraux de 1600, p. 159 (Bruxelles, 1849). (4) A. Guesnon, La surprise d'Arras tentée par Henri IV en mars 1597 et le tableau de Hans Coninxloo, dans Statistique monumentale publiée par la Commission des Monuments historiques du Pays-de-Calais, 1907. (5) Mot de Bellièvre, cité par Fruin, Tien jaren uit den tachtigjarigen oorlog, p. 359 (La Haye, 1882). (6) Texte du traité dans Dumont, Corps universel diplomatique, t. VI, p. 561. (7) J. Nouaillac, Villeroy, p. 442 (Paris, 1909). (8) Gossart, Notes pour servir à l'histoire du règne de Charles-Quint en Belgique. Mém. in-8° de l'Acad. royale de Belgique, 1897, p. 67 et suiv. Cf. du même, Projet d'érection des Pays-Bas en royaume sous Philippe II. Bulletin de l'Acad. roy. de Belgique, Classe des lettres, 1900, p. 558 et suiv. (9) Gachard, La Bibliothèque Nationale, t. II, p. 421. (10) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 194. (11) Ibid., t. II, p.. lxxix. (12) Voy. les réponses des provinces à la lettre du roi leur annonçant son projet, dans Gachard, Documents inédits concernant l'histoire de la Belgique, t. I, p. 393 et suiv. (13) Recueil des Ordonnances des Pays-Bas. Règne d'Albert et d'Isabelle, éd. V. Brants, t. I, p. 7 (Bruxelles, 1909). (14) Gachard, Lettre sur les documents concernant les anciennes assemblées nationales de la Belgique, qui existent dans les archives de Simtinctts et dans les bibliothèques de Madrid, p. 10 (Bruxelles, 1845). (15) Voy. les clauses secrètes du traité de cession. Brants, Ordonnances, p. 12. (16) Fruin, Tien jaren, etc., p. 348, n. (17) H. Lonchay, Philippe II et le mariage des archiducs Albert et Isabelle. Bullet. de l'Acad. roy. de Belgique, Classe des Lettres, 1910, p. 364. (18) Brants, Albert et Isabelle, p. 19 (Louvain, 1910). (19) Albert montra la même défiance que Fuentès aux anciens conseillers d'Alexandre Farnèse qui se plaignent, en 1599, d'être en butte à une véritable persécution de la part des Espagnols. Cauchie et Van der Essen, Inventaire des archives farnésiennes, pp. 372, 375. (20) Gachard, Documents inédits, t. I, p. 389. (21) Ibid., p. 396. (22) Ibid., p. 462. (23) Ibid., p. 436. (24) Ibid., pp. 445, 447. (25) Gachard, Lettre, etc., p. II. (26) Sur les négociations relatives à ce mariage, voy. G. Turba, Beitrâge zur Geschichte der Habsburger nus den letzten jahren des spanischen Kônigs Philipp II Archiv. fur Oesterreichische Geschichte, t. LXXXVI (1899). CHAPITRE II LE REGNE DES ARCHIDUCS f ARCHIDUCHESSE ISABELLE. - Durant les derniers mois, les défiances et les appréhensions s'étaient dissipées. Non seulement on ne pouvait plus douter que, la guerre se prolongeant, l'armée espagnole ne continuât à défendre le pays, mais on se réjouissait surtout du désir nettement manifesté par les archiducs d'amener le plus tôt possible une pacification générale. Au surplus, leur avènement dans les Pays-Bas coïncidait avec les débuts d'un nouveau règne en Espagne. La mort du vieux roi (13 septembre 1598) était venue à point nommé pour faire apparaître Albert et Isabelle, après tant de ruines et de souffrances, comme les annonciateurs d'une ère de calme et de restauration. Les espérances auxquelles leur arrivée donnait l'essor leur assurèrent un accueil enthousiaste. Ce fut surtout à Isabelle qu'allèrent les hommages du peuple. Comme en Marguerite d'Autriche, comme en Marie de Hongrie, il retrouvait en elle une vraie princesse du sang, une descendante directe et légitime de Charles- Quint et des ducs de Bourgogne. Héritière et souveraine du pays, elle y venait vivre et mourir avec la nation. Sa présence ranima subitement, dans les provinces catholiques, un loyalisme qui devait être bien robuste pour avoir survécu à Philippe II ! De Luxembourg à Bruxelles, ce ne fut qu'une suite ininterrompue d'ovations. La foule se pressait sur les routes, jonchées d'herbes et de fleurs, pour acclamer l'infante. C'était à qui toucherait son carrosse et ses chevaux. Des vieillards pleuraient d'attendrissement en la voyant passer (1). La capitale, où elle entra le 5 septembre 1599, lui fit une réception digne des anciens temps. Les représentations en plein air, les feux de joie, les illuminations se prolongèrent durant trois jours dans la ville décorée d'arcs de triomphe, tendue de tapisseries et regorgeant de curieux de toutes les provinces, flamandes et wallonnes. Ceux qui pouvaient apercevoir le visage de l'infante étaient frappés par l'air de majesté et de bonté empreint sur ses traits. Le cérémonial qui l'entourait, la pompe dont (Bruxelles, Musée communal.) Mort de Philippe 11 (13 septembre 1598). Exposition du corps du roi à l'Escuriai Tableau peint par un artiste inconnu; extrême fin du XVIe ou début du XVIIe siècle. (Cliché A.C.L.) cessa de témoigner à son mari, dont elle fut la conseillère et devant qui, en toutes circonstances, elle se plut à s'effacer, lui valurent le respect, non seulement de ses sujets, mais de toute l'Europe. Elle fit de la cour de Bruxelles quelque chose d'unique en son genre, où l'on était frappé tout ensemble de la pompe royale des cérémonies, de la rigidité de l'étiquette et de l'austérité de moeurs quasi monastiques, le tout tempéré par la bonté charmante d'une princesse qui, dans ses appartements privés, traitait ses filles d'honneur comme une mère, et, en temps de guerre, les réunissait autour d'elle pour faire de la charpie (2). A peine installés à Bruxelles, les archiducs se hâtèrent de prendre les mesures indispensables pour donner à leur gouvernement ces dehors d'apparence nationale qui devaient lui concilier l'opinion. Ils songèrent tout d'abord à satisfaire la noblesse. Le duc d'Arschot, le comte d'Aren-berg et le prince Philippe-Guillaume d'Orange, fils aîné du Taciturne qui, envoyé en Espagne par le duc d'Albe, en était revenu avec Albert en 1596, entrèrent au Conseil d'Etat. Le marquis d'Havré devint chef des finances; le comte d'Arenberg, amiral; le comte de Berlaymont, gouverneur de l'Artois, et le comte d'Egmont, gouverneur de Namur. Des colliers de la Toison d'Or furent attribués à Arschot, à Orange, à Havré, à Solre et à Egmont. Puis, malgré l'hiver, les princes n'hésitèrent point à se faire inaugurer comme seigneurs des diverses provinces. Il leur tardait visiblement de prêter et de recevoir les serments qui devaient, dans chacune d'elles, sanctionner aux yeux du peuple la souveraineté qu'ils ne tenaient encore que du roi. Dès le 25 novembre, ils juraient la Joyeuse-Entrée à Louvain, en qualité de ducs de Brabant, et répétaient la même cérémonie le 30 à Bruxelles et le 10 décembre à Anvers. Ce fut dès lors, jusqu'au 24 février, une succession ininterrompue de réceptions solennelles dans les villes principales, au milieu des acclamations, des chants du clergé, de la fumée des feux de joie et du fracas de l'artillerie; après quoi Albert et Isabelle rentrèrent à Bruxelles, dûment reconnus comme légitimes seigneurs par le duché de Brabant, la seigneurie de Malines, le comté de Flandre, les châtellenies de Lille-Douai-Orchies, Tournai et le Tournaisis, le comté d'Artois, Valenciennes et le comté de Hainaut. Ils crurent en avoir fait assez pour l'instant, et remirent à plus tard leurs visites au comté de Namur, au duché de Luxembourg et au duché de Gueldre. L'accueil qu'ils avaient reçu partout ne leur laissait aucune crainte sur les dispositions du pays. Ils lui donnèrent, le 20 mars 1600, une preuve de leur confiance en appelant les diverses provinces à se réunir à Bruxelles, au mois d'avril, en Etats généraux. La situation qu'ils avaient à leur exposer était des plus critiques. Les Provinces-Unies n'avaient pas daigné répondre aux avances qui leur avaient été faites en 1598. Et c'est inutilement que, le 9 février de l'année suivante, le cardinal André avait tenté de vaincre leur obstination en prohibant, au nom de l'infante, toute espèce de commerce avec elles. Cette mesure n'avait eu d'autre effet que de les pousser, le 22 mars, à appeler les Belges à la révolte et à publier, le 2 avril, un placard déclarant de bonne prise les Espagnols et leurs biens partout où on pourrait les saisir. Les opérations militaires, de leur côté, n'avaient abouti à aucun succès. Les efforts dirigés contre Zalt-bommel durant la campagne de 1599 avaient échoué: on (Madrid, Musée du Prado.) L'infante Isabelle-Claire-Eugénie, fille de Philippe II et d'Elisabeth de Valois, archiduchesse des Pays-Bas (bois de Ségovie, 12 août 1566-Bruxelles, 1er décembre 1633). Portrait peint par Jacinto Gomez (décédé en 1597). elle était environnée, le luxe inouï qui apparaissait sur ses vêtements frappaient l'imagination du peuple chez qui, en même temps que le calvinisme, avait disparu la simplicité républicaine. On se racontait avec admiration que les pierreries ornant la selle de son cheval valaient à elles seules 200,000 florins, et l'on se plaisait à voir dans cette fabuleuse richesse, la promesse de nouveaux jours de prospérité. Isabelle était née le 12 août de cette année 1566 où s'ouvrit la période de troubles civils et religieux qu'elle était destinée, croyait-on, à clôturer. Elle avait été l'enfant de prédilection de Philippe II. Pour elle surtout avaient fleuri dans l'âme du roi ces sentiments de tendresse paternelle qui différencient si profondément chez lui l'homme privé du souverain. Il avait rêvé de lui donner la couronne d'impératrice ou celle de reine de France. Il l'avait initiée à ses projets et c'est de lui qu'elle tenait cette ardeur au travail qui, jusqu'à la fin de sa douloureuse vieillesse, devait souvent l'immobiliser devant sa table à écrire jusqu'à quatre heures du matin. Son éducation lui avait communiqué un caractère tout à la fois foncièrement espagnol et foncièrement catholique. Pourtant, en dépit de la hauteur et de la gravité de son maintien comme des pratiques rigides de sa dévotion mystique, se révélait chez elle un naturel affectueux et gai qui lui donne un charme très particulier et explique sans doute la popularité qu'elle s'est acquise dans cette Belgique au milieu de laquelle elle demeura pourtant, toute sa vie, une étrangère. La dignité et la pureté de ses moeurs, l'affection et le dévouement qu'elle ne Miniature paginale de style italien sur laquelle Albert et Isabelle prêtèrent le serment de respecter les privilèges et les franchises de leurs sujets des Pays-Bas. Exécuté par un artiste florentin Attavante pour le roi de Hongrie Mathias Corvin entre 1485 et 1487, ce missel a été apporté dans les Pays-Bas par Marie de Hongrie, épouse d'un des successeurs de Mathias Corvin, Louis II. Jusqu'à la fin du XVIlIo siècle, les gouverneurs généraux des Pays-Bas prirent l'habitude de prêter serment sur ce missel, ainsi que l'attestent les déclarations manuscrites d'A. Miraeus pour les archiducs Albert et Isabelle (1599), de Nicolas de Brouchoven pour le marquis de Bedmar, gouverneur au nom de Philippe V (21 février 1702), de P. Francquen, conservateur de la Bibliothèque de Bourgogne, pour le marquis de Prié, gouverneur au nom de Charles VI (11 octobre 1717), du baron Lados, conservateur de la Bibliothèque de Bourgogne, pour Charles de Lorraine, gouverneur au nom de Marie-Thérèse (20 avril 1774), et du baron de Beelen Bertholff, secrétaire de Sa Majesté Impériale en Brabant, pour Albert-Casimir de Saxe-Teschen, gouverneur au nom de Marie-Thérèse puis de Joseph II (17 juillet 1781) (folios 7 v"-8r°). La miniature est légèrement détériorée par une tache, entre le corps du larron crucifié à la gauche du Christ et l'encadrement. D'après une tradition incontrôlable, elle aurait été provoquée par une goutte de pluie le jour de la prestation de serment d'Albert et Isabelle. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 9008 fol. 205 v".) avait dû se contenter de construire au confluent de la Meuse et du Waal, le fort Saint-André. Les archiducs n'avaient pas encore accompli leur tournée d'inauguration, que Maurice de Nassau reprenait l'offensive : le 22 janvier 1600, le fort de Crèvecœur (devant Bois-le- Duc) et, le 8 mai, celui de Saint-André, à peine achevé, lui ouvraient leurs portes. Pour comble de malheur, la pénurie du trésor faisait présager de nouvelles mutineries. La conduite de Philippe III avivait encore l'inquiétude des archiducs. Ils savaient que le nouveau roi désapprouvait la cession que son père lui avait faite. Ils avaient tout à craindre de son mécontentement s'ils ne parvenaient point, par quelque éclatant succès, à s'imposer à lui. Pour assurer leur jeune et fragile souveraineté, ils se sentaient obligés de s'en montrer dignes aux yeux de l'Espagne en pacifiant les Pays-Bas de gré ou de force. LES ETATS GENERAUX DE 1600. (Amsterdam, Rijksmi — C'est à la première de ces alternatives Navires de guerre qu'Albert, peu guerrier par nature, recourut tout d'abord. A la fin de l'année 1599, il obtint de son frère, l'empereur Rodolphe II, l'envoi d'une ambassade solennelle en Hollande. Le but ostensible en était d'exiger la restitution à l'Empire de certaines places fortes; en réalité elle devait amener les rebelles à négocier avec l'archiduc. Cette démarche échoua complètement et les tentatives faites pour détacher Elisabeth des Provinces-Unies ne réussirent pas mieux. Des conférences ouvertes à Boulogne se rompirent bientôt sous prétexte de questions de préséance. Bref, au moment où s'ouvrit la session des Etats généraux, la diplomatie ne laissait plus aucun espoir d'amener une entente. Les délégués des provinces étaient pourtant arrivés à Bruxelles résolus à obtenir enfin cette paix définitive que le pays épuisé appelait de tous ses vœux. Sauf quelques prélats, comme l'évêque d'Arras (3), décidés à tout souffrir plutôt que de déposer les armes devant des hérétiques, l'assemblée sollicita l'autorisation de négocier directement avec les Provinces-Unies soit un accord perpétuel, soit au moins une longue trêve. Mais comment les archiducs eussent-ils pu accepter cette proposition ? Elle révélait évidemment chez les Etats le désir de diriger eux-mêmes la politique du pays et de reprendre, dans le gouvernement, la place qu'ils y avaient occupée durant les troubles. Le malentendu qui s'était déjà manifesté en 1598 s'affirmait de nouveau (4). Quelques jours avaient suffi pour mettre aux prises les tendances parlementaires et le principe monarchique. Quand bien même, d'ailleurs, les archiducs eussent été disposés à céder au vœu des Etats, leur subordination à l'égard de l'Espagne les en aurait empêchés. Le roi n'eût point manqué de voir un acte de haute trahison dans une négociation à laquelle il n'eût point participé. Tout ce qu'obtinrent les Etats, ce fut de pouvoir se mettre en rapport avec les Hollandais afin de connaître leurs intentions (24 mai) (5). Encore Albert les blâma-t-il de s'être crus autorisés à :um.) Dllandats attaquant et coulant les galères espagnoles en vue de la côte flamande le 3 octobre 1602. Tableau peint par H.-C. Vroom (Harlem, vers 1566-1640). nommer des députés sans lui en avoir préalablement soumis la liste. Tandis que l'assemblée eût voulu se consacrer entièrement à la paix, le gouvernement, de son côté, l'avait avant tout convoquée pour lui demander des subsides grâce auxquels il pût renforcer l'armée et diminuer d'autant les dépenses militaires qui incombaient à l'Espagne. Mais ici encore surgirent des prétentions inattendues. Non seulement les Etats refusèrent de prendre à leur charge les frais de l'amirauté et la réparation des places frontières, mais ils voulurent être admis à vérifier les comptes du subside de 250,000 écus que le roi s'était engagé à fournir chaque mois aux archiducs. Ils exigèrent de même la suppression des tribunaux dits de la Hazienda et de la Visita, récemment établis pour connaître de la régularité des paiements assignés sur les deniers envoyés d'Espagne. Enfin, ils réclamaient avec instance une réforme profonde de la discipline et la suppression des abus intolérables dont les troupes étrangères accablaient les habitants (6). Au lieu de se borner à fortifier l'armée, ils entendaient donc la soumettre à leur contrôle, tout en rejetant sur l'Espagne le plus possible des dépenses d'une guerre qui ne se prolongeait que malgré eux. On eût pu s'entendre si les archiducs avaient été réellement des princes indépendants. Mais dans la situation qui leur était faite, pouvaient-ils balancer entre les désirs des Etats généraux et le service du roi ? Pour éviter un conflit périlleux avec l'assemblée, ils modifièrent aussitôt leurs propositions, promirent des réformes, abolirent le collège de la Visita et déclarèrent se contenter d'un subside mensuel de 100,285 florins pour l'entretien des garnisons ordinaires, de 128,000 pour la mise sur pied de 10,000 hommes et de 60,750 pour les 3,000 chevaux des bandes d'ordonnance. Il restait à faire accepter tout cela par les députés et, comme toujours, des débats interminables commencèrent. Le particularisme territorial qui, déjà durant les troubles, avait si souvent provoqué l'indignation du prince d'Orange, empêchait les provinces de s'entendre, chacune d'elles cherchant à diminuer son intervention dans les dépenses communes. Cependant le temps pressait : il fallait aboutir et les archiducs se décidèrent à brusquer le dénoûment. Le 2 octobre, Richardot parut devant les Etats et leur déclara que les princes considéraient comme votée une aide mensuelle de 300,000 florins à répartir entre les provinces suivant une quote dressée par le gouvernement. Il ne cacha point que les opposantes devaient s'attendre à être traitées avec rigueur et proclama là-dessus la dissolution de l'assemblée (7). Les Etats « furent unanimement esbahiz » (8), et on le comprend sans peine. C'était la première fois depuis leur institution qu'on les renvoyait chargés d'une « aide » sans qu'ils y eussent donné leur consentement ! Ils eurent très nettement l'impression qu'ils étaient victimes d'un coup d'Etat et ils ne se séparèrent pas sans protester. Ils rédigèrent en outre une remontrance qui peut passer pour un programme. A côté des moyens qu'elle signalait pour réprimer les excès des troupes, elle demandait la réduction des dépenses de la cour « sur le pied de celle des ducs de Bourgogne » et l'institution de diverses mesures qui eussent permis au pays de surveiller le maniement des finances. Elle proposait entre autres que tous les quatre mois une réunion de délégués des provinces se tînt à Bruxelles pour prendre connaissance de l'état de l'aide (9). Comme il fallait s'y attendre, les archiducs rejetèrent presque tous les points de cette requête. Us prirent congé des Etats avec de bonnes paroles, mais bien décidés à ne plus les assembler à l'avenir. L'expérience qu'ils venaient de faire avait été concluante. En somme, les Etats de 1600 s'étaient montrés pour eux ce que ceux de 1559 avaient été pour Philippe II. Ils les avaient convaincus de l'incompatibilité d'un gouvernement souverain et absolu avec une assemblée nationale qui, se considérant comme l'organe du pays et la gardienne de ses intérêts, agissait vis-à-vis du monarque comme s'il était « contable de ses actions » au lieu de ne dépendre que de Dieu « quy est le juge souverain des princes» (10). N'avaient-ils pas mis en avant des « conditions inacceptables » et voulu soumettre à leurs desseins la politique étrangère comme la politique intérieure des archiducs, au risque de les brouiller avec l'Espagne ? Cette attitude n'avait-elle pas clairement indiqué que, malgré leur retour au catholicisme, les provinces continuaient de répugner à la monarchie pure et de réclamer le partage du pouvoir avec le souverain ? Parmi les membres de l'assemblée, l'évêque d'Arras, Mathieu Moulart, s'était trouvé presque seul à s'indigner de ce que l'on voulût « ôter l'autorité à Leurs Altesses » ( 11 ). La grande majorité de l'assemblée croyait évidemment pouvoir traiter avec elles d'égal à égal. Plusieurs de ses membres avaient été cho- qués de voir les dames d'honneur de l'infante assister à la séance d'ouverture, et le président Richardot, en présence des archiducs, faire sa harangue « le genouil en terre » (12). On remarquait aussi que les députés avaient manifesté une susceptibilité fâcheuse touchant l'indépendance du pays. Ils avaient pris ombrage des termes d'une lettre de Philippe III les engageant à persévérer « dans son service », et ils avaient ordonné à leur greffier de répondre à l'ambassadeur espagnol en langue française « pour estre l'ordinaire de la maison de Bourgogne» (13). Aussi, malgré les promesses faites par Albert en 1598 (14), les Etats généraux cessèrent, à partir de 1600. de constituer encore une institution régulière de l'Etat. On les laissa tomber en désuétude, et ce n'est qu'à des circonstances extraordinaires qu'ils durent de reprendre, trente-deux ans plus tard, un éphémère semblant d'existence. Dans les Pays-Bas catholiques comme en France, le pouvoir monarchique leur réserva le même sort : il évita de les abolir et se contenta de se passer d'eux. INVASION DE MAURICE DE NASSAU. - Les Etats siégeaient encore lorsqu'on apprit à Bruxelles que Maurice de Nassau venait de passer le Hont et d'entrer en Flandre (19 juin 1600) à la tête d'une armée de 12,000 fantassins et de 3,000 cavaliers. Son objectif principal était, semble-t-il, de débloquer la garnison d'Ostende, puis d'agir de concert avec elle contre les ports de la côte et de mettre ainsi tout le rivage de la mer au pouvoir des Provinces-Unies. Les corsaires de Dunkerque et surtout une flottille de galères que Frédéric Spinola avait amenée à l'Ecluse l'année précédente inquiétaient gravement le commerce de (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Machine de guerre surnommée l'« Enfer », construite par un architecte italien pendant le siège d'Ostende commandé par Francisco de Mendoza, amiral d'Aragon, puis par Ambroise Spinola. L'infanterie espagnole monte à l'assaut des remparts de la ville sous la protection de l'Enfer dont le plan vertical, mobile (B), va s'abattre par delà les murs d'enceinte. Les fantassins escaladeront le plan incliné (D) et descendront le plan abaissé en franchissant sans encombre les fossés et les remparts. Gravure extraite d'une relation allemande anonyme et contemporaine du siège d'Ostende « d'après les écrits et les journaux les plus dignes de foi, provenant d'Ostende et d'autres endroits (nach die glaubwurdigste Schriften und Couranten auss Ostende und andere Orten) et imprimée en 1604 sous le titre Tagregister und eigent-liche beschreibung aller gedenckwurdigsten Sachen, handlungen und geschichte, so inner und ausserhalb der weithberûmhten und fast unûberwindlichen Statt Ostende in Flandern... Flessingue, et la Zélande exigeait qu'on la débarrassât de ce périlleux voisinage (15). L'entreprise était hasardeuse, les troupes risquant d'être prises entre la mer et l'armée espagnole. Mais Maurice espérait que les villes flamandes se soulèveraient à son approche ou lui garantiraient à tout le moins sa ligne de retraite. Il faisait écrire à Bruges et à Gand pour leur rappeler leur ancienne fédération avec les provinces du nord et pour les exhorter à se joindre aux libérateurs qui venaient les affranchir du joug de l'étranger. Il put bientôt se convaincre qu'il n'avait rien à attendre d'elles. Redevenues catholiques, elles ne voyaient plus dans les Hollandais que les persécuteurs de leur foi. Elles abhorraient comme un crime odieux toute alliance avec les protestants et elles ne songèrent qu'à expulser de leur sol ces hérétiques qui osaient se promettre leur concours. Pendant que les paysans couraient sus aux envahisseurs, elles se mirent en état de défense. Bruges, qui jusqu'alors n'avait jamais souffert de garnison dans ses murs, s'empressa d'en recevoir une. Cependant, en dépit des prévisions de Maurice, qui savait les troupes espagnoles en partie mutinées faute de paiement et en partie éparpillées sur la frontière de Gueldre, les archiducs parvinrent à rassembler autour de Gand environ 10,000 hommes. En présence de l'ennemi, les mutins étaient rentrés dans l'obéissance et demandaient à marcher au premier rang. Haranguée par Isabelle qui, portant les mains à ses pendants d'oreilles (16), promit de vendre ses joyaux s'il le fallait pour payer les soldats, l'armée se mit en marche pleine d'enthousiasme. Elle rabattit facilement devant elle les postes laissés par l'adversaire à Plasschendael, Bree-dene et Snaeskerke. Maurice n'avait pas compté sur ce coup de vigueur. Aventuré dans un pays hostile, et surpris par l'ennemi au milieu de villes fermées, sa position devenait des plus critique et en même temps celle de la République, dont il avait emmené les meilleures troupes. Il ne fallait plus songer à se retirer par la voie de terre. Il dirigea ses troupes vers la plage entre Ostende et Nieuport, pour les embarquer sur la flotte zélan-daise qui croisait le long de la côte. Ernest de Nassau était chargé de contenir les Espagnols à Leffinghe. Ils le repoussèrent après un combat acharné, et, sans s'arrêter, escomptant une victoire décisive, vinrent assaillir dans l'après-midi, au milieu des dunes, l'armée principale acculée à la mer (2 juillet). Mais fatigués par une longue marche, par la (Bruxelles, Musée de la Porte de Haï.) (Cliché Pichonnier.) Armure de parade de l'archiduc Albert. Acier noirci; fin du XVIe-début du XVIIe siècle. chaleur et par le combat du matin, ils ne purent venir à bout d'une résistance dirigée par l'un des plus grands capitaines du siècle et que l'imminence du danger rendait désespérée. La bataille se prolongea longtemps avec une fureur extraordinaire. Obstiné à remporter un succès qui eût peut-être contraint les rebelles à déposer les armes, Albert conduisit lui-même les bataillons de l'avant-garde et s'avança si avant qu'il fut blessé à la gorge d'un coup de hallebarde. L'amiral d'Aragon fut fait prisonnier en combattant. Enfin, dans la soirée, les assaillants épuisés commencèrent à fléchir et il fallut donner le signal de la retraite. On avait perdu plus de 3,000 hommes et on laissait aux mains de l'ennemi une centaine de drapeaux. Au reste, Maurice ne s'attarda point à poursuivre son avantage. Il lui suffisait d'avoir sauvé son armée, que tout le monde avait cru perdue. Il se hâta de l'embarquer, « ne remportant de cette fameuse journée d'autre fruit que la gloire d'avoir vaincu » (17). RUPTURE DES NEGOCIATIONS DE PAIX. - C'est sous l'impression de son triomphe que se rompirent quelques jours plus tard, à Berg-op-Zoom (21 juillet), les pourparlers entre les délégués des Etats généraux des provinces obéissantes et ceux des Etats généraux des Provinces-Unies. Tout n'était plus que contraste entre ces hommes qui, peu d'années auparavant, défendaient la même cause de commun accord. A l'antipathie confessionnelle qui les séparait, s'ajoutait encore le mépris que les républicains hollandais, enorgueillis par leur prospérité commerciale et par leurs victoires, laissaient paraître à leurs anciens compatriotes. Il n'était point jusqu'au personnel des dépu-tations par qui ne s'affirmât la scission définitive des dix-sept provinces. Un noble brabançon, le baron de Bassigny, conduisait l'ambassade belge; celle de la République avait pour chef l'un des plus célèbres politiques qu'ait produits le patriciat hollandais, le grand pensionnaire Oldenbarnevelt. Comment eût-il été possible de s'entendre à des gens dont les uns, rentrés dans la tradition, ne parlaient que d'obéissance au prince, et dont les autres, affirmant la souveraineté du peuple, légitimaient par elle leur indépendance ? D'ailleurs, les rebelles affectaient de ne voir dans les archiducs que des représentants du roi d'Espagne, et ils humiliaient les députés belges en leur rappelant qu'ils n'avaient point reçu pouvoir de traiter. Oldenbarnevelt « gonflé d'orgueil donnoit trop à cognoistre qu'ils n'estoyent intentionnez de subyr (Amsterdam, Rijksmuseum.) Plat d'argent commémorant la bataille de Nieuport (2 juillet 1600). Œuvre d'A. van Vianen (Utrecht, vers 1569-1627). juridiction, ains tendre du tout à se maintenyr en forme de république » (18). La journée de Nieuport ne justifiait que trop leur confiance en eux-mêmes. Albert, le 27 juillet, comprenait qu'il n'avait plus rien à espérer « que par la voye des armes, si Dieu y met la main ». Malheureux à la guerre et malheureux dans les négociations, les archiducs se trouvèrent dès l'entrée de leur règne, complètement discrédités à la cour de Madrid. Le roi et ses conseillers considérèrent désormais comme man-quée la dernière expérience de Philippe II pour pacifier les Pays-Bas. Les circonstances justifiaient la désapprobation qu'elle avait rencontrée parmi eux. Sans tenir compte des difficultés de la situation d'Albert, ils affectaient de ne voir en lui qu'un incapable. On ne lui tenait compte ni de l'hostilité de l'Angleterre, ni de l'appui que la France prêtait ouvertement aux rebelles, ni des ressources insuffisantes dont il disposait, ni de l'épuisement du pays. Déjà avant la bataille de Nieuport, il avait été question de l'induire, moyennant certaines compensations, à renoncer au gouvernement des provinces (19). Ce fut bien pis après la catastrophe. Depuis lors Philippe III ne conserva plus aucun ménagement. Il se conduit avec son beau-frère comme avec un simple gouverneur; il lui doflne des ordres, nomme des officiers sans prendre son avis, le fait surveiller par l'ambassadeur espagnol à Bruxelles, don Balthasar de Zuniga (20). Peut-être même, sans les supplications d'Isabelle, eût-il été jusqu'à le déposer. Une telle attitude ne pouvait naturellement que renforcer le scepticisme de l'Europe quant à la souveraineté des archiducs. En dépit de leurs protestations, on ne les traite dans les cours étrangères qu'en vassaux du roi d'Espagne. Henri IV et après lui Louis XIII exigent d'eux le titre de «Monseigneur» (21). En 1604, lors des négociations de paix avec l'Angleterre, les commissaires anglais voyant, dit Richardot, les Espagnols agir « comme si tout fût du roi et rien de Vos Altesses... ne laissent de rire soubs leur chapeau, et feroit ceci confirmer l'opinion... que le transport des Pays-Bas n'est qu'une chose simulée » (22). En 1606, comme Jacques Ier demande l'extradition d'un de ses sujets réfugié à Bruxelles, on a la maladresse de lui avouer qu'il faut d'abord la permission de Philippe III, sur quoi il déclare qu'il voit bien « qu'il n'a pas traité avec ung prince absolut comme estoient les ducs de Bourgogne » (23). D'ailleurs la subordination des archiducs n'allait pas tarder à s'affirmer officiellement. LE SIEGE D'OSTENDE. — Obligé de continuer la guerre, Albert avait résolu, en 1601, de s'emparer d'Ostende, qui, demeuré au pouvoir des Provinces-Unies, leur donnait une base navale sur la côte flamande et tenait toute la région voisine sous la menace permanente d'une invasion. Il avait confié la direction du siège à l'amiral d'Aragon. Animé d'une piété si ardente que les soldats l'avaient surnommé « el gran capitan del rosario » (24), cet officier jouissait de toute sa faveur. Il n'en fallut pas davantage pour lui assurer l'hostilité du gouvernement espagnol. On ne manqua pas d'exploiter contre lui, à Madrid, les lenteurs et les mécomptes d'une entreprise hé- fi .-#,*,»»* cflfluutu» yiem'-.i c^ ">-1 -t pf.-n:M.'.' r. V. ' . .... , (nni'..--' . r, t (t. - ... ... . .. - ..y r • Cf.- «•-' .t } i/lfa.Vn'O* » .s. ..*,.. „p„. iV 1 ' ■ ^V .. t „•,. Wflot.'ati'o»! ♦■«ict.S .'f -'I ^ ù ■ - miH.'.tt .1 "K i.'> .t; h(ni.Vf..t ,„' f.s-.„ ... .'» (.1.'..').■ ï.v 1.1.V . 1- J . ^ «r.fiWs«>v<.i,iO;t ^ ••(<.„'n>.vi..-À'•». „,iV- -.".-it-v. .-t tn..c.'|t'.V X' /r, n,- fr;- t1 f" ' . fV ' N' ','c< Sfl'lii C .liW.tum'i.WO'-- (V tf. > ... ,, - I o. IV t'»f fiû ...artcX" .1 .<■ ' /.• ïit.'frv» ' C hfUmt I fai'».-.1. h. t.-...'. ...'. {„;,.■ ■ Jfni«tf»y cpi.ti.lî.Sji'*. fcv ■]ï'\i0x'. r" w • Poitou*: --• < - W " (..[.•.f.'iV V1* ^ jiim-f e.'fil' fn'l «Xï.a^li.S f.'.' .1 .-'..'v* ' "> f- -il ■ r» -Vit.- fui <»r» r.*J...»o.' 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Car les galères de Frédéric Spinola ne pouvaient, malgré leur vigilance, empêcher la flotte hollandaise de ravitailler Ostende, et, d'autre part, Maurice de Nassau, par ses opérations sur la frontière, obligeait continuellement les assiégeants à détourner vers lui une partie de leurs forces. Le 20 septembre 1602, il s'emparait de Grave, l'un des meilleurs passages de la Meuse, et envoyait sa cavalerie opérer des razzias jusqu'au fond du Luxembourg. En même temps, les corps italiens chargés de couvrir le Brabant se mutinaient, et, installés à Hoog-straeten, promettaient à l'ennemi leur neutralité. La mort de Frédéric Spinola, le 25 mai 1603, dans un combat naval, augmentait encore la confusion. ARRIVEE D'AMBROISE SPINOLA. - La patience du roi ne se prolongea pas plus longtemps. Ambroise Spinola, le frère de Frédéric, était arrivé dans les Pays-Bas en 1602, chargé par Philippe III, au grand mécontentement de l'archiduc, d'y préparer une expédition contre l'Angleterre (25). Dès 1603, la tournure des opérations militaires avait poussé Albert à lui confier la direction du siège et tout de suite, sous l'impulsion de ce vigoureux génie militaire, les choses avaient changé de face. Concentrant toutes ses forces sur le but à atteindre, il laissa Maurice de Nassau s'emparer d'Ar-denbourg (12 mai 1604) et de l'Ecluse (20 août 1604), mais il réussit enfin, le 20 septembre 1604, à venir à bout de la « nouvelle Troie », réduite à un monceau de ruines. Si la perte de l'Ecluse diminuait beaucoup l'importance de ce succès, si même on pouvait considérer que les Provinces-Unies avaient plutôt gagné au change, leur nouvelle conquête compensant largement la perte qu'elles éprouvaient, la prise d'Ostende n'en produisit pas moins une sensation presque aussi grande que, vingt ans plus tôt, celle d'Anvers par Alexandre Farnèse. Ce triomphe dû à un étranger faisait mieux ressortir la médiocrité d'Albert comme général. Il permit à Philippe III de ne plus ménager le pauvre prince qui avait le tort d'être malheureux. En 1604, il lui enlevait la gérance de la Hazienda, c'est-à-dire l'administration des fonds envoyés par l'Espagne en Belgique. En 1605, il le soumettait à l'humiliation de céder à Spinola, qui reçut le titre de « mestre de camp général », la direction de l'armée. Dès lors, dans un pays où la guerre absorbait tout l'effort du gouvernement, l'archiduc, perdant le commandement des troupes, perdait le meilleur de son autorité et de son prestige. Il lui resta, pour dissimuler sa disgrâce, les pompes de la cour, les cérémonies officielles, les réceptions d'ambassades, au milieu desquelles il parvint, à force de dignité, à conserver les apparences du pouvoir. Son attitude trahit chez lui une véritable noblesse de caractère. On n'y trouve nulle trace de mesquine bouderie. Au contraire, loin de récriminer contre Spinola, il fut le premier à lui rendre hommage et sans la moindre rancune, s'inclina devant sa supériorité et lui donna toute sa confiance. Ce favori du roi devint bientôt son plus intime conseiller. Pourtant il ne pouvait ignorer les instructions secrètes que celui-ci avait rapportées de Madrid en 1606. Elles le chargeaient, à la mort d'Albert, d'assumer le gouvernement des provinces et de faire reconduire l'infante en Espagne. Si, contre toute attente, Isabelle mourait la première, Ambroise exigerait de l'archiduc un serment de fidélité au roi, et, en cas de refus ou d'hésitation, l'internerait dans la citadelle d'Anvers. Il lui était recommandé encore de s'assurer les sympathies de la maison de Croy, des principaux seigneurs et des magistrats des villes, et de veiller à la sûreté des places remises aux Espagnols (26). Bref, les « souverains » des Pays-Bas recevaient en sa personne un véritable maire du palais. S'ils (Cliché Oppenheim.) avaient encore, en 1604, au lendemain de la prise d'Ostende, fait figure de princes nationaux en chargeant le comte de Solre d'aller représenter au roi la misère et le mécontentement du pays (27), ils s'abandonnèrent depuis lors à la direction de leur tout-puissant ministre. Leur docilité eût sans doute été moins grande s'ils avaient conservé l'espoir de fonder une dynastie. Mais, dès 1601, on ne doutait plus que leur union ne restât stérile (28). Ils savaient qu'ils ne laisseraient d'eux dans les Pays-Bas que leurs tombeaux, et que leur règne sans lendemain n'aurait interrompu qu'un instant l'union de la Belgique à la monarchie espagnole. La naissance d'un enfant les eût attachés au pays sur lequel il aurait régné. Privés d'héritiers, ils ne s'enracinèrent point dans les provinces où les avait transplantés la volonté du roi d'Espagne et où ils n'avaient plus d'autre raison d'être que de lui obéir. Il était évident que Spinola dirigeait maintenant la guerre non plus pour eux, mais pour Philippe III. Comme Alexandre Farnèse, il prenait l'offensive contre les Provinces-Unies et Maurice de Nassau se trouvait enfin en présence d'un adversaire digne de lui. S'inspirant de la conception de Farnèse, Spinola avait résolu d'attaquer la République par sa frontièré la plus faible, c'est-à-dire par l'Yssel. En 1605, après avoir laissé en Flandre le comte Henri de Bergh pour contenir Maurice, qui venait de risquer une attaque malheureuse contre Anvers, il s'achemine rapidement vers l'Overyssel, où Oldenseel et Lingen tombent en son pouvoir (19 août). Mais ses forces sont insuffisantes pour pousser plus loin. Outre les subsides fournis par la Belgique, il lui faut par mois 300,000 ducats, et l'Espagne ne peut les lui procurer. C'est en vain qu'il •profite de l'hiver pour se rendre à Madrid et qu'il exhorte le roi aux sacrifices indispensables. Les ressources de la monarchie ne correspondent plus à ses prétentions, et si le point d'honneur l'empêche de capituler devant les rebelles, elle ne possède plus les moyens de les vaincre. Les brillantes manœuvres de Spinola pendant la célèbre campagne de 1606, ne purent nulle part lui assurer un avantage décisif. Faute des' effectifs nécessaires, il dut renoncer au projet qu'il avait conçu de franchir l'Yssel pendant que le comte de Bucquoy, son lieutenant, passerait le Waal. Il se contenta de prendre Grol, dans le comté de Zutphen, puis l'importante forteresse de Rheinberg. Mais la mutinerie de deux mille soldats permit à Maurice de Nassau de revenir à la charge. Il mit le siège devant Grol, et l'on admira comme l'un des plus beaux faits d'armes de l'époque la marche par laquelle Spinola, avec des troupes fatiguées et mécontentes, parvint à lui faire lâcher prise et à conserver une ville dont dépendaient toutes les positions acquises au delà du Rhin. Néanmoins, il ne se faisait plus d'illusions. Pour réussir, il eût fallu une reconstitution de l'armée, démoralisée, travaillée par les mutineries et dont la plupart des soldats, vieillis au service, étaient mariés, de sorte que le nombre des femmes surpassait dans les régiments celui des hommes (29). Mais comment espérer les remèdes nécessaires? Craignant de nouvelles demandes de renfort, le roi venait de défendre à Spinola de reparaître à Madrid. Dès lors, il ne restait qu'à conclure, aux meilleures conditions, soit une paix, soit une trêve. LA TREVE DE DOUZE ANS. — Les conjonctures ne paraissaient point défavorables. Après la mort d'Eli- sabeth (1603), un traité avait réconcilié, en 1604, l'Espagne et l'Angleterre (30). Du côté de la France, si Henri IV continuait de fournir des troupes et des subsides aux Hollandais, il ne se décidait point à déclarer, comme ils l'eussent voulu, la guerre à Philippe III. On parlait même du succès probable de mariages franco-espagnols auxquels le pape s'intéressait vivement et qui eussent rétabli l'harmonie entre les deux puissances occidentales. D'ailleurs, si dans la République, Maurice de Nassau et les négociants d'Amsterdam adonnés au commerce des Indes désiraient la continuation des hostilités, le peuple aspirait au repos et une grande partie de la haute bourgeoisie s'inquiétait de l'ascendant que ses fonctions de généralissime donnaient au prince d'Orange. Les archiducs et Spinola avaient, dès l'année 1606, mis à profit ces dispositions. Ils avaient député Wittenhorst à La Haye, et, le 24 avril 1607, un armistice de six mois avait été signé (31). Tout le monde sentait que ce n'était là que le prélude d'un arrangement plus ferme. Il semblait bien malaisé toutefois d'aboutir à une solution satisfaisante pour les deux parties (32). Sur la question religieuse, tout d'abord, aucune transaction n'était possible. En outre, les Provinces-Unies exigeaient leur reconnaissance formelle comme « Etats libres et indépendants », et si les archiducs se résignaient à céder sur ce point, on comprend l'émotion qu'il soulevait à Madrid. Plusieurs conseillers de la couronne déclaraient que le roi ne pouvait l'accepter sans perdre sa réputation et son honneur. Ils s'indignaient de voir Albert et Isabelle, de commun accord avec Spinola, continuer néanmoins les négociations par l'intermédiaire du franciscain Jean Neyen, et ils mettaient tout en œuvre pour les contrecarrer. Le marquis de Guadaleste, ambassadeur de Philippe III à Bruxelles, se montra heureusement plus coulant. Richardot, Verreyken et Juan Manci- ut1- ^ n-cS^- fwtfi/ ■nxASrS-n- fMU- ^ (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 7118-9, fol. 13 r°.) Contribution volontaire des membres du Conseil Privé à la levée d'un corps de troupes pour protéger le territoire des Pays-Bas contre les incursions des Hollandais : extrait du registre du marquis de Castel-Rodrigo (1646). A l'initiative d'un capucin, quelques * zéleux » proposèrent au marquis de Castel-Rodrigo une contribution volontaire pour la levée et l'entretien d'un corps de troupes destiné à protéger le territoire des Pays-Bas contre les incursions des Hollandais. Les souscriptions furent recueillies dans un registre. Le marquis de Castel-Rodrigo souscrivit dès le 3 février 1646 une somme de 7.200 florins pour l'entretien de cent fantassins; Jacques Boonen, archevêque de Malines, proposa d'entretenir à ses frais 60 soldats, l'abbé de Grimbergen 40, l'abbave de Diligem 25, le comte de Colonna 10, la princesse Claire-Eugénie d'Arenberg 8, ie prince Charles-Philippe de Rubempré 5, la princesse de Ligne 2. Pierre Roose, chef-président du Conseil Privé « signe pour la somme de deux mille quatre cent et quarante huict florins à l'entretenement de trente-quatre soldats, à l'advenant de septante-deux florins par teste » ; les autres conseillers, le Conseil de Brabant, la chambre des Comptes, la Justice militaire souscrivent pour 1, 2, 3, 5 ou 6 soldats. Le registre contient encore les noms d'autres souscripteurs parmi lesquels beaucoup de femmes. apaiser le mauvais vouloir de l'archevêque de Malines et de l'évêque de Gand, les intéressait à un projet de trêve, auquel s'employèrent en 1645 quantité d'officieux, un baron, un abbé, un capucin, une dame noble et l'évêque de Gand lui-même (32). LA PAIX DE MUNSTER. — Mais l'ouverture du congrès de Munster permit, en 1646, d'entamer sous le couvert de la paix générale, des délibérations régulières. Les commissaires des Etats généraux s'y abouchèrent, dès le mois de janvier, avec les ambassadeurs espagnols : le comte de Penaranda, l'archevêque de Cambrai, Joseph de Bergaigne, et l'habile franc-comtois Adolphe Brun. Au mois de juillet, on s'était mis d'accord sur soixante-dix articles provisoires et, le 8 janvier 1647, un traité préliminaire était arrêté. Les efforts de Mazarin à La Haye ne parvinrent qu'à retarder de quelques mois un dénouement désormais inévitable. La prétention des Hollandais à vouloir exclure formellement l'exercice du culte catholique dans la mairie de Bois-le-Duc et les autres territoires conquis par eux, souleva encore quelques difficultés. Enfin, le 16 janvier 1648, la paix de Munster était signée par les négociateurs et publiquement ratifiée le 15 mai suivant, au milieu du cérémonial dont le tableau de Ter-Burg, à la National Gallery de Londres, perpétue la vivante image (33). On peut considérer cette paix célèbre comme la mise au point définitive de la trêve de 1609. Toutes les stipulations essentielles de celle-ci se retrouvent dans celle-là, avec cette différence que, de provisoires, elles sont devenues perpétuelles. C'est pour toujours que le roi catholique reconnaît cette fois les Provinces-Unies comme « libres et souverains Estats, provinces et pays » sur lesquels « il ne prétend rien », et pour toujours qu'il leur abandonne les territoires conquis par elles. Il leur cède en toute propriété la mairie de Bois-le-Duc avec ses dépendances, la ville et le marquisat de Berg-op-Zoom, la ville et la baronnie de Bréda, la ville de Maestricht avec son ressort, le comté de Vroonhof, la ville de Grave, le pays de Cuyck, Hulst avec son bailliage et son « métier », le « métier » d'Axel, les forts « que les seigneurs Estats possèdent présentement au pays de Waes », et les trois quartiers d'Outre-Meuse, Fauquemont, Dalhem et Rolduc. Pour le « haut quartier de Gueldre », avec Venlo, Gueldre et Ruremonde, il doit être échangé contre un équivalent. Une chambre « mi-partie », composée de huit conseillers de chaque côté, statuera plus tard sur ce point, ainsi que sur tous les litiges que pourra soulever l'exécution du traité. La liberté de conscience est garantie aux sujets du roi d'Espagne dans la République (Bruxelles, Musée communal.) (Cliché A.C.L.) (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Proclamation du traité de Munster, conclu entre l'Espagne et les Provinces-Unies, à Anvers le 5 juin 1648. Eygentlycke Afbeeldinghe ende Maniéré van de publicatie van den Peys tusschen syne Mayesteit den Coninck van Spagnien ende de Heeren Staeten Generael van de Vereenichde Nederlanden op eene Heerlycke Stellagie voor het Stadthnys van Antwerpen, ter Presentie van de Heeren Scouteth, Amptman, Borghemeesters, Shepenen (pour : Schepenen), etc.; ende een groote menichte van toehorders, den 5 Juny 1648. — Gravure de Wenceslas von Prachna Hollar (Prague, 1607-Londres, 1677). L'archiduc Léopold-Guillaume, gouverneur général des Pays-Bas de 1647 à 1656. Portrait peint par J. Van den Hoeck (Anvers, 1611-Bruxelles ou Anvers, 1651). et aux habitants de celle-ci « ès terres de Sa Majesté », à condition de se comporter respectivement « en toute modestie, sans donner aucun scandale de parole ou de fait, ny proférer aucuns blasphèmes ». Enfin, le commerce se fera librement de part et d'autre; les nouveaux péages seront abolis ainsi que la saisie des navires ou des marchandises, si ce n'est pour dettes ou obligations valables. Toutefois, « les rivières de l'Escaut, comme aussi les canaux de Saz. Zwin et autres bouches de mer y aboutis-sans, seront tenues closes du costé des seigneurs Estatz », et « les navires et denrées sortant des havres de Flandre, seront chargés par le roi de toutes telles impositions qui sont levées sur les denrées allant au long de l'Escaut et autres canaux mentionnés ci-dessus ». Ainsi l'Espagne épuisée, afin de pouvoir rassembler contre la France ce qui lui reste de forces, renonce décidément à la politique de Philippe II. Le roi catholique capitule devant les protestants et les républicains qui lui ont tenu tête durant quatre-vingts ans. Les deux provinces que le despotisme du duc d'Albe et le calvinisme ont soulevées contre lui en 1572 sont devenues une grande puissance victorieuse de ses flottes et de ses armées. Le génie militaire de Farnèse et de Spinola n'a pu triompher de la République et, grâce aux territoires que ses marins lui ont conquis dans les Indes, elle peut dire à son tour que le soleil ne se couche jamais sur ses Etats. Pour échapper à l'étreinte de cette ennemie redoutable, Philippe IV se résigne à lui jeter en pâture le lambeau des Pays-Bas qu'il possède encore. Car c'est, en réalité, la Belgique qui, à Munster, a payé pour l'Espagne. Elle a constitué la rançon de la monarchie Soigneusement exclue des négociations, elle a été sacrifiée sans pitié par les commissaires espagnols aux exigences de la Hollande. Au sans-gêne avec lequel le roi l'a traitée, on reconnaît clairement qu'il ne la considère plus que comme une simple possession dont il peut disposer à son gré. Il foule aux pieds les intérêts les plus essentiels de ses habitants. Il consomme leur ruine en consentant à la fermeture de l'Escaut. Désormais, les Pays-Bas catholiques, jadis « terre commune à toutes les nations » (34) et marché du monde ne seront plus qu'un misérable cul-de-sac, qu'une impasse sans issue. Leurs canaux, leurs quais, leurs entrepôts, créés par l'industrieux génie des générations anciennes, ne feront plus qu'évoquer l'amer souvenir d'une prospérité évanouie. Au milieu des pires calamités de la guerre, quelques rayons d'espoir pouvaient luire encore. En face de la réconciliation définitive du roi et des Provinces-Unies, c'en est fait des dernières illusions. Inutile de compter sur l'avenir : il est clos, comme l'Escaut sous Anvers. S'il doit apporter quelques changements, ce ne seront que de nouvelles misères, puisque rivé à l'Espagne, le pays sera fatalement entraîné dans sa décadence et exposé à tous les coups que lui porteront ses ennemis. Privé de la libre disposition de lui-même, il ne sera plus qu'un corps sans âme, qu'une matière à traités, qu'une barrière, qu'un champ de bataille. Un résultat pourtant subsiste des efforts gigantesques dépensés par ses souverains : la restauration et la victoire définitive du catholicisme. Mais le mot du duc d'Albe à Philippe II s'est accompli : les provinces n'ont échappé à l'hérésie qu'au prix de la ruine (35). j.y '-jf-----.-„ .., ,/ StA'»<»Jr,; vr,s/.cr/:s " "'""''t IParis, Archives Nationales, J 925 n° 5. Cote du musée : AE III, 11.) (Cliché Gérard.I Texte du traité de Munster entre la France et l'Empire (24 octobre 1648). Exemplaire remis au gouvernement français. Au bas du texte est appendu le sceau de l'Empire. NOTES (1) Henrard, Marie de Médicis, etc., p. 366. (2) Gachard, Actes des Etats généraux de 1632, t. II, p. 649. (3) Waddington, La République des Provinces-Unies, etc., t. I, p. 212. (4) Henrard, Marie de Médicis, etc., pp. 424, 433. (5) Gachard, Actes des Etats généraux de 1632, t. II, p. 658. (6) Erycius Puteanus, pour rentrer en grâce, lui offrit, imprimée en encre rouge — galanterie de pédant de cour à un cardinal — sa Purpura Austriaca hierobasilica. Voy. Paquot, Mémoires littéraires, t. XIII, p. 414. (7) Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 489. (8) Waddington, La République des Provinces-Unies, etc., t. I, p. 253. (9) M. R. Dollot, Les origines de la neutralité de la Belgique, p. 58 et suiv. (Paris, 1902), va beaucoup trop loin en voyant dans le traité de 1635 la première apparition de la neutralité de la Belgique. (10) Placcaeten van Brabant, t. II, p. 356. (11) Pour l'emplacement exact de la bataille, voy. Lonchay, La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas, p. 72 (Bruxelles, 1896). (12) L. van der Essen, Charles de Wignacourt, docteur ès lois, capitaine des étudiants pendant le siège de Louvain en 1635. Bullet. de la Com. Roy. d'Histoire, t. LXXXVJII [1924], p. 205 et suiv. (131 Waddington, La République des Provinces-Unies, t. I, p. 272. (14) C. F. Waldack, Historia provinciae Flandro-Belgicae Societatis Jesu, p. XXXVIII (Gand, 1867). (15) M. G. de Boer, De Armada van 1639 (Groningue, 1911). Quelques navires qui s'étaient jetés à la côte anglaise, arrivèrent le 4 novembre à Dunkerque. (16) Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, pp. 205, 206. (17) Voy. J. Cuvelier, Biographie Nationale, t. XX, col. 49 et suiv. (18) Waddington, La République des Provinces-Unies, etc., t. II, p. 14. (19) Ibid., pp. 13 et suiv., 76; Lonchay, La rivalité de la France et de l'Espagne, p. 119. Cf. F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. II, p. 34 (Gand, 1860). (20) Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 236. (21) Ibid., p. 235. (22) Waddington, La République des Provinces-Unies, t. II, p. 145. (23) Gachard, Inventaire des archives des Chambres des Comptes, t. III, p. 105. (24) A. de Saint-Léger et L. Lemaire, Correspondance de Godefroi, comte d'Estrades, t. I, p. 206 (Paris, 1924). (25) Waddington, op. cit., t. II, p. 76. (26) Lonchay, La rivalité de la France et de l'Espagne, p. 103 et suiv. (27) J. Van den Gheyn, Le registre du marquis de Castel-Rodrigo pour la contribution volontaire de 1646, dans Mélanges G. Kurth, t. I, p. 331. (28) Journal du siège de la ville d'Armentières [Tournai, 1647], p. 24 de la réimpression (Lille, 1876). (29) Waddington, La République des Provinces-Unies, t. If, p. 115. Cf. Gossart, L'auberge des princes en exil. Anecdotes de la cour de Bruxelles au XVIIe siècle, p.' 188 (Bruxelles, 1905). Touchant son zèle pour les Jésuites, voir épisode caractéristique dans le Bulletin de la Commission royale d'Histoire, t. XI lro partie, p. 85. D'après le chroniqueur Losano, cité par Faider, Histoire du théâtre français en Belgique, t. I, p. 59, l'archiduc aurait interdit « les théâtres des halles et ces comédies où l'on ne parle que de Vénus et de Cupidon ». Le comte de Mérode d'Ongnies, Mémoires, p. 49, dit qu'il n'était bon que pour le cloître ou pour le collège. (30) Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 257. (31) Waddington, La République des Provinces-Unies, t. I, p. 345 et suiv. (32) Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 237. (33) Voir pour le récit des négociations, Waddington, La République des Provinces-Unies, t. II, p. 174 et suiv. (34) Histoire de Belgique, t. III (3e édit.), p. 219. (35) Voy. plus haut, p. 269. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Leodivm : Liège sous l'épiscopat de Gérard de Groesbeek (1563-1580). Gravure extraite de G. Braun, F. Hogenberg et G. Hoefnagel : Civitates orbis terrarum (6 tomes en 3 volumes in-folio, Cologne, 1572-1618), t. I, pl. 11. CHAPITRE V LE PAYS DE LIEGE flEGE ET LES PAYS-BAS AU XVIe SIECLE. — A travers tout le Moyen Age, l'histoire du pays de Liège se mêle intimement à l'histoire des autres territoires des Pays-Bas. La juridiction spirituelle de son évêque s'étend sur le Luxembourg, sur le Namurois, sur le Hainaut, sur le Brabant, sur le Limbourg et atteint jusqu'à la Gueldre. Elle met la principauté en rapport avec les régions thioises comme avec les régions wallonnes, et ces rapports sont d'autant plus intimes que, par sa population, romane au sud et flamande au nord, celle-ci appartient aux deux nationalités qui se partagent la Belgique. Sans doute, elle s'est trouvée fréquemment en conflit avec ses voisins, surtout avec le plus puissant d'entre eux, le duc de Brabant. Mais ces conflits, conséquence naturelle du morcellement féodal, n'ont été ni plus nombreux ni plus graves que ceux qui, durant la même période, ont mis si souvent aux prises le Brabant, la Flandre et le Hainaut. Le pays de Liège forme incontestablement avec ceux-ci une même famille. Malgré les différences provoquées par le caractère ecclésiastique de son prince, il s'est donné des institutions analogues aux leurs, a joui des libertés semblables, a connu la même prépondérance des bourgeoisies dans la vie politique. Depuis la fin du XIIe siècle, son commerce, qui se dirige de plus en plus vers les ports de Flandre, l'attache par des liens nouveaux au reste des Pays-Bas. On eût pu croire que l'époque bourguignonne amènerait sa fusion complète avec eux; ce fut le contraire qui arriva (1). Comme la Gueldre, Liège résista désespérément, grâce à l'appui de la France, aux efforts des ducs pour lui imposer un protectorat qui n'était qu'une annexion déguisée. En face du gouvernement monarchique de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire, la « cité » se posa en défenseur passionné des franchises municipales. Il fallut la livrer aux preuve d'une docilité exemplaire vis-à-vis du gouvernement de Bruxelles. Mais l'avènement de Philippe II marqua, pour le pays de Liège comme pour la Belgique, le début d'une ère nouvelle. Sans cesser d'entretenir avec celle-ci des relations très étroites, la principauté s'en distingue, dès lors, par des contrastes de plus en plus marqués. Au lieu d'être entraînées comme elle dans une guerre sans fin, elle se constitue en état de neutralité perpétuelle. Tandis que le système monarchique triomphe à Bruxelles, elle s'évertue à se transformer en république. Les deux ennemies principales des Pays-Bas catholiques, la France et les Provinces Unies, prennent ou affectent de prendre sa défense contre l'Espagne. Enfin, dans le même temps où s'accomplit le déclin économique des provinces belges, l'industrie liégeoise commence à manifester une vitalité surprenante. Bref, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, la principauté se distingue du reste de la Belgique par une individualité dont toutes les traces n'ont point disparu. Si le maintien de la communauté religieuse a empêché cette individualité de se manifester d'une manière aussi éclatante que celle qui oppose l'une à l'autre, en dépit de l'identité du langage, la Flandre catholique et la Hollande calviniste, elle a pourtant été assez puissante pour conserver aux Liégeois, au milieu des populations wallonnes, une physionomie nettement reconnaissable. Aujourd'hui encore, en passant du Namurois, par exemple, dans le Condroz, on peut s'apercevoir sans peine, au style des constructions comme à la tournure d'esprit des habitants, que l'on vient de traverser une frontière historique. LIEGE ET LES NOUVEAUX EVECHES. - L'une des premières et des plus importantes mesures de Philippe II, la création des nouveaux évêchés, peut être considérée comme le point de départ de l'évolution que l'on vient de signaler. Par l'érection des diocèses de Malines, d'Anvers, de Namur, de Ruremonde et de Bois-le-Duc, l'Eglise de Liège fut dépouillée de la juridiction spirituelle qu'elle exerçait depuis tant de siècles sur toute la partie des Pays-Bas jadis comprise dans les antiques limites de la Civitas Tungrorum. Elle ne la conserva que sur le territoire de la principauté ainsi que sur les duchés de Limbourg et de Luxembourg. L'indignation du Chapitre et de l'évêque fut d'autant plus grande qu'ils n'avaient pas même été consultés. L'indolent Robert de Berghes faillit avoir « un accès de rage » (3). Mais on eut beau implorer l'intervention du métropolitain de Cologne et députer à Rome Laevinus Torrentius, le pape ne pouvait naturellement sacrifier aux protestations intéressées du clergé liégeois, une réforme si utile à la défense du catholicisme. Le Chapitre s'obstina pourtant, durant plusieurs années, dans la résistance. En 1565 et en 1566, l'official de Liège inquiétait encore l'évêque de Bois-le-Duc et cherchait à soulever le peuple contre lui (4). Le temps eut raison à la longue de cette agitation stérile. L'Eglise de Liège dut se résigner à se voir exclue de l'organisation ecclésiastique des Pays-Bas. Elle n'eut pas même, comme celle de Cambrai, la consolation d'être érigée en siège métropolitain. Elle resta un simple suffragant de Cologne. Comme la principauté elle-même, elle se trouva rejetée vers l'Empire. En se débarrassant de son ingérence, Philippe II ne renonçait pas à exercer sur elle le protectorat auquel Charles-Quint l'avait soumise. Il ne se dissimulait pas le danger que pourrait faire courir à ses provinces bourgui- (Liège, Musée Curtius.) (Cliché Piron.) Monnaies de Gérard de Groesbeek. 1. Droit (légende : GERARDVS. A. GROISBEECK EPISC(OPVS). LEO(DIENSIS) et revers (légende : DVX. BVLLON(IENSIS). COMES. LOSSEN(SIS) d'un Sprenger. 2. Droit et revers d'un demi-Sprenger (mêmes légendes). 3. Droit (légende : SAN(C)TVS. LAMBERTVS. EPISCOPVS.) et revers (légende : GE(RARDVS). A. G(ROISBEECK). EP(ISCOPVS). LE(ODIENSIS). DV(X). B(VLLONIENSIS). M(AMBVRNVS). F(RANCHIMONTENSIS). CO(MES). L(OSSENSIS). d'un florin d'or. flammes pour vaincre son héroïque obstination. Mais la catastrophe de son vainqueur lui rendit l'indépendance. Elle profita de la crise qui, en 1477, faillit disloquer l'Etat bourguignon, pour se détacher de lui. Peu après, sous le règne de Maximilien, la division de l'Empire en Cercles consacrait cette restauration de son autonomie. Au lieu d'être assignée au Cercle de Bourgogne, elle fut rangée dans celui de Westphalie. Dès lors, sa rentrée dans la communauté des Pays-Bas devenait légalement impossible. Son caractère impérial s'affirmait de nouveau et la garantissait contre de futures velléités d'absorption. Tandis que, par la Pragmatique Sanction et la Convention d'Augsbourg, Charles-Quint soustrayait en fait le Cercle de Bourgogne au pouvoir de l'Empire, elle demeura, comme membre du Cercle de Westphalie, soumise aux Chambres de Spire et de Wetzlar et tenue de pays les « mois romains ». Si le corps solennel, vénérable et impuissant du Saint-Empire se montra toujours incapable de protéger la principauté liégeoise, il lui conféra du moins, à l'égard des Pays-Bas, une immunité qui fut sa sauvegarde. L'aigle à double tête qu'elle prodigua jusqu'à la fin du XVIIIe siècle à la façade et sur les toits de ses monuments, devint le symbole de son indépendance. Charles-Quint réussit pourtant, grâce au traité d'alliance de 1518, à rendre cette indépendance plus apparente que réelle (2). Les successeurs d'Erard de La Marck ne furent guère que les « chapelains » de Marie de Hongrie et firent (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Archives Pholographiques.) Dalle funéraire de Jean Cromois (Joannes Curvimosanus), trente-huitième abbé de Saint-Jacques à Liège. Dalle de marbre provenant de l'église Saint-Jacques à Liège. XVI» siècle. Son avènement coïncide avec l'ouverture dans les Pays-Bas de l'ère d'agitation politique dont le protestantisme devait s'empresser de tirer parti. Il était impossible que la principauté ne subît point le contre-coup de cette crise. LA LUTTE CONTRE L'HERESIE A LIEGE. - La situation religieuse y était, à vrai dire, assez différente de celle des provinces bourguignonnes. Le luthéranisme s'y était infiltré moins largement et les Anabaptistes qui, en 1531, participèrent à l'émeute des Rivageois et, en 1534, provoquèrent des troubles à Maestricht et dans les environs, n'y firent plus parler d'eux après cette date (6). Suivant l'exemple de Charles-Quint, Erard de La Marck aurait voulu agir énergiquement contre l'hérésie, mais il en avait été empêché par l'opposition des Etats du pays et surtout par celle de la « cité ». L'empereur avait pu passer outre à la répugnance que le seul nom d'inquisition soulevait parmi ses sujets; l'évêque dut en tenir compte chez les siens. Presque unanimement catholiques, les Liégeois étaient cependant bien décidés à ne pas tolérer que, par l'introduction d'une procédure exceptionnelle en matière de foi, leur prince portât atteinte aux garanties consacrées par l'organisation traditionnelle de la justice (7). En 1523, les Etats l'avaient empêché de promulguer l'Edit de Worms et ils n'en autorisèrent la publication, en 1527, qu'en la (Extrait du Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme français, 1907, t. LVI, pp. 222-223.) Portrait présumé d'Idelette de Bure, tille du citoyen liégeois Jean Stordeur, seconde épouse de Jean Calvin. D'après les biographes de Calvin, Bèze et Colladon, le réformateur épousa en secondes noces, en 1539, « Odilette ou bien Idelette de Bure », « femme grave et honneste », fille de Jean Stordeur, « natif de Liège ». Peut-être était-elle parente de cet autre liégeois, Lambert de Bure, banni à perpétuité avec six autres bourgeois pour avoir embrassé la religion hérétique. L'identification du tableau a été rendue possible par une indiscrétion manuscrite figurant au verso du panneau de bois, mais ce n'est pas un argument décisif. Peint par un artiste anonyme au XVIe siècle, ce portrait, autrefois conservé au Musée de Douai, a été détruit en 1914. Château de Saint-Georges-sur-Meuse [province de Liège], collection privée du comte d'Andignée de Croix.) (Photo obligeamment communiquée par M. Jean Puraye.) Gérard de Groesbeek, quarante-cinquième prince-évêque de Liège (1563-1580). Portrait peint à une date indéterminée par un auteur inconnu. Toile endommagée. gnonnes un renouveau d'influence française dans la principauté ou l'accession au siège de Saint-Lambert d'un évêque allemand qui, « sous l'autorité de l'Empire, mettrait le pays de par deçà en travail» (5), et peut-être même se convertirait au luthéranisme et l'imposerait à ses sujets, conformément aux stipulations de la paix de Religion d'Augsbourg. La santé chancelante de Robert de Berghes présageant sa fin prochaine, le roi chargea Marguerite de Parme de le pousser à résigner ses fonctions et de provoquer l'élection d'un coadjuteur qui fût ami de l'Espagne. Mécontent de Robert, qu'il soupçonnait à tort d'avoir trempé dans l'institution des nouveaux évêchés, le Chapitre se laissa facilement tourner contre lui. Le 1er mai 1562, Gérard de Groesbeek devenait coadjuteur et, avant même que son prédécesseur eût consenti à abdiquer ( 11 avril 1564), était élu évêque (6 mars 1563). Ce n'était pas, il est vrai, le candidat que le roi eût souhaité. Mais comme il n'éprouvait du moins aucune crainte à son égard, il affecta une entière satisfaction et s'empressa de le féliciter. Bien différent des prélats grands seigneurs nommés à l'intervention de Charles-Quint, Groesbeek sortait d'une médiocre famille de barons gueldrois qui l'avait, de bonne heure, destiné à faire carrière dans l'Eglise. Il était devenu peu à peu doyen du Chapitre, et son élection prouvait que celui-ci, tout en évitant de porter ombrage à l'Espagne, voulait cependant empêcher Philippe II de déterminer le choix des évêques. rendant illusoire par l'adjonction des mots « sauf loi et franchise ». Les tentatives de l'inquisiteur apostolique, Jamolet, pour s'emparer de l'instruction des affaires d'hérésie, se heurtèrent à la résistance obstinée des trente-deux métiers de Liège. L'édit du 9 juin 1533 régla finalement, suivant leur vœu, la procédure à suivre. Désormais, avant de pouvoir arrêter un bourgeois suspect, il fallut avoir « preuve bastante » (8) et cette preuve devait être fournie devant la « loi », représentée par huit échevins, et devant la « franchise », c'est-à-dire devant les deux « maîtres » et quatorze des jurés de la cité. Le prévenu était-il étranger, la « loi » intervenait seule. Le tribunal ecclésiastique de l'official n'entrait en scène que s'il s'agissait de juger un clerc (9). Ainsi, le crime d'hérésie restait soumis, en somme, aux principes du droit commun. Le terrible système répressif imposé aux Pays-Bas par les placards de Charles-Quint, s'arrêtait aux frontières de la principauté. Ici, le laïque inquiété pour sa foi se défendait devant les tribunaux ordinaires et, pour le bourgeois du moins, la culpabilité devait être bien évidente pour que la « franchise » consentît à condamner. D'ailleurs, la condamnation n'entraînait la mort que si l'hérésie s'aggravait d'un attentat contre la sécurité publique, comme ce fut le cas en 1534-1535 pour les Anabaptistes de Maestricht. En règle générale, on se contentait de l'abjuration du coupable; s'il la refusait, il était banni, mais en conservant la faculté de réaliser ses biens, qui ne pouvaient être confisqués sous aucun prétexte. Le rôle des inquisiteurs épiscopaux se bornait à rechercher les protestants et à les citer en justice. Les quelques efforts des évêques pour obliger les fonctionnaires laïques à leur prêter main-forte n'eurent aucun succès (10). A partir de 1555, la paix de Religion d'Augsbourg ne laissa plus subsister d'ailleurs aucune chance d'importer dans le pays de Liège, terre d'Empire, les placards de Charles-Quint. Mais si elle abolissait la peine de mort pour les hérétiques, elle les obligeait à l'exil, et cette contrainte parut encore trop rigoureuse aux Liégeois. Gérard de Groesbeek n'osa pas la proclamer. LE CALVINISME AU PAYS DE LIEGE. - Pourtant, la foi catholique ne fut jamais plus sérieusement menacée dans le pays de Liège qu'au début de son épiscopat. Des Pays-Bas, le calvinisme s'était bientôt répandu dans la principauté où, dès 1560, on découvre ses premiers adhérents (11). Leur ardent prosélytisme ne tarda point à se révéler. Partout où ils se trouvent, ils affichent hardiment leur mépris pour l'Eglise et se livrent à la plus active propagande. Dans le Franchimont, où ils sont venus du pays de Limbourg, la multiplication des « cris du perron » défendant d'injurier les prêtres, de troubler la célébration de la messe, de confier les enfants à des maîtres non approuvés par l'autorité religieuse, atteste tout de suite leur audace et l'étendue de leurs progrès. A Liège, en 1561 et en 1562, plusieurs artisans réclament la liberté de religion. A mesure que le calvinisme va croissant dans les Pays-Bas. il s'affirme davantage aux bords de la Meuse. Le Compromis des Nobles, préparé en terre liégeoise, à Spa puis à Saint-Trond, obtient l'adhésion de plusieurs gentilshommes du comté de Looz et de la Hesbaye. Le prince d Orange compte des partisans parmi la haute bourgeoisie de la « cité» (12.) En 1566, lorsque Marguerite de Parme, épouvantée par l'insurrection des Iconoclastes, consent à tolérer provisoirement les prêches, Maestricht devient un des foyers de la Réforme. Appartenant en commun aux Pays-Bas et au pays de Liège, cette ville bénéficie, en effet, de la mesure prise par la gouvernante. Le ministre Herman Modet y organise les calvinistes et les anime si bien de sa fougueuse énergie, qu'au bout de quelques semaines ils se sont imposés à la majorité catholique de la bourgeoisie. De là le mouvement se répand dans le comté de Looz, à Maeseyck et à Hasselt, et y produit le même résultat. Il semble que le protestantisme soit sur le point de s'emparer de toute la principauté. D'Anvers et du Pala-tinat arrivent de nouveaux pasteurs; le bruit se répand (Liège, Musée Curtius.) Dalle funéraire d'Arnould de Berlo (décédé en 1538) et de son épouse, Marie de Coutreaux (décédée en 1555). Dalle de marbre noir de Theux. que certains d'entre eux ont secrètement pénétré dans Liège. A Verviers, des bandes armées jettent l'alarme dans les rues en criant : « Vivent les Gueux ! Vive Bréderode ! » Tout le Franchimont est travaillé par les novateurs. Ils ouvrent des écoles, non seulement à Verviers, mais à Ensival et à Stembert, et les curés constatent avec stupeur la diminution du nombre des communiants (13). Surpris par la soudaineté des événements et craignant de provoquer une révolte, l'évêque n'osa tout d'abord faire preuve de vigueur. Comme à Marguerite de Parme, la décision et l'entrain des Réformés lui donnaient le change sur leurs forces réelles. Il n'essaya point d'appliquer les édits promulgués par le Cercle de Westphalie contre les hérétiques. Pour entraver leur propagande, il se borna à faire venir quelques jésuites de Cologne et de Nimègue (14). Mais la réaction catholique qui s'accomplit bientôt dans les Pays-Bas lui rendit courage. Après la rupture de la gouvernante avec les nobles du Compromis, l'entrée de Noircarmes à Tournai, le commencement du siège de Valenciennes, il reconnut le caractère superficiel de l'agitation protestante et comprit que, n'ayant point entamé (Liège, Quai de Maestricht.) (Cliché A.C.L.l L'hôtel de Curtius à Liège. Construit pendant les dix premières années du XVIIQ siècle pour Jean Curtius (Liège, 1551-Leganez, 1628), munitionnaire des armées de Philippe II dans les Pays-Bas et richissime banquier de la Cité de Liège, l'hôtel resta la propriété de la famille Curtius jusqu'au début du XVIIIe siècle, mais une partie servit de Mont-de-Piété de 1627 à 1795. Acquis par la ville de Liège en 1901 et restauré en 1904 et 1905. il sert aujourd'hui de musée archéologique et de siège à l'Institut archéologique liégeois. encore, les masses profondes du peuple, elle ne devait ses succès qu'au désarroi des autorités constituées. Il appela aux armes la noblesse du pays, demanda des secours au Cercle de Westphalie, qui chargea le duc de Juliers de lui donner son appui et, tandis que les troupes de Marguerite de Parme rétablissaient l'ordre à Maestricht ( 11 avril 1567), il se faisait ouvrir, après un court blocus, les portes de Maeseyck et de Hasselt. Il suffit de cette rapide campagne pour dissiper un péril qui avait, de prime abord, paru si effrayant. Les calvinistes les plus compromis ou les plus remuants quittèrent le pays et allèrent grossir en Flandre, les bandes des Gueux des Bois ou les équipages des Gueux de Mer (15). C'est un d'entre eux, le trop fameux Lumey, qui devait provoquer, en 1572, par la prise de La Brielle, le soulèvement des Pays-Bas. Il y eut encore çà et là, en 1567, quelques émeutes et quelques pillages d'églises dans le Franchimont. L'année suivante, lorsque l'armée du prince d'Orange traversa le pays de Liège, une partie de la bourgeoisie lui eût livré la « cité », n'eût été l'attitude du magistrat. Néanmoins, si la victoire du catholicisme était complète, elle n'amena point avec elle les horribles violences qui, dès l'arrivée du duc d'Albe, ensanglantèrent les Pays-Bas. L'évêque se contenta de faire citer les suspects devant des enquêteurs; ceux qui ne consentirent point à se rétracter furent frappés de bannissement. Quelques exécutions eurent lieu en 1567 et en 1568, mais pour motif de sédition et non pour cause d'hérésie. On ne viola point le droit commun; la « loi » et la « franchise » ne cessèrent pas de protéger les prévenus; il n'y eut aucune tentative pour instituer dans la principauté ne fût-ce qu'une pâle copie du Conseil des Troubles. Cette modération, qui indignait les Espagnols (16), se comprend pourtant sans la moindre peine, pour peu qu'on tienne compte de la situation politique et religieuse de la principauté. Morillon se trompait du tout au tout lorsqu'il accusait Gérard de Groesbeek de tiédeur et de mollesse (17). Sincèrement pieux et complètement rallié aux décisions du Concile de Trente auquel il avait assisté, l'évêque n'eût demandé qu'à propager autour de lui la ferveur catholique qui l'animait. Les Jésuites n'eurent point de protecteur plus déclaré : il alla jusqu'à dépenser en leur faveur une grande partie de ses modiques ressources (18). Il travailla de tout son pouvoir à améliorer les mœurs et la discipline dans son diocèse, et s'il échoua, ce ne fut point faute de bonne volonté. LE CLERGE LIEGEOIS. — Mais l'Eglise liégeoise, comblée de privilèges et accoutumée à une liberté incompatible avec les principes proclamés à Trente, demeura sourde à ses exhortations. Presque seul, le grand vicaire Laevinus Torrentius, théologien de l'école nouvelle, amené à Liège par Robert de Berghes et dont les Poëmata sacra, imprimés à Anvers en 1594, renferment une ode en l'honneur de Balthasar Gérard, lui accorda un appui qui fit mieux ressortir l'apathie avec laquelle le chapitre de Saint-Lambert accueillit toutes les tentatives de réforme. Les chanoines, nobles pour la plupart, considéraient leurs prébendes comme des fiefs plutôt que comme des dignités ecclésiastiques. Bien rares étaient ceux d'entre eux qui avaient pris leurs grades dans une faculté (19), et l'abondance de leurs revenus les avait habitués depuis longtemps à des moeurs faciles et à demi mondaines (20). L'intérêt et le point d'honneur leur inspiraient une répugnance insurmontable à l'égard des innovations du Concile. Ils apportèrent à défendre contre lui leurs prérogatives le même particularisme et le même attachement à la coutume, dont les villes avaient fait preuve jadis en luttant contre l'Etat pour le maintien de leurs privilèges. En 1566, ils avaient empêché l'évêque de faire proclamer les nouveaux canons dans le diocèse (21). Le clergé secondaire, ayant cet exemple sous les yeux, montrait les mêmes dispositions. Il faisait avorter, en 1561, le projet d'ériger à Liège une université (22), refusait, en 1567, de contribuer à l'établissement d'un séminaire (23), et il était impossible à Gérard de Groesbeek de l'amener à fournir quelques subsides en vue de la de leurs frontières renforçait encore leur attachement traditionnel à une autonomie politique qui leur paraissait menacée par la sympathie de Groesbeek pour le gouvernement de Bruxelles. Les excès de celui-ci compromettaient à leurs yeux le pouvoir épiscopal, et ils considéraient que l'augmentation des prérogatives de leur prince les pousserait infailliblement dans la voie de la servitude. (Liège, Grand Séminaire.) Ernest de Bavière, quarante-sixième prince-évêque de Liège (1581-1612). Copie du XVIIIe siècle; auteur inconnu. propagation de la Compagnie de Jésus dans la principauté. Devant une telle indifférence, les catholiques zélés se laissaient envahir par le découragement. Le nonce du pape se demandait, en 1583, si elle ne finirait point par amener la perte du diocèse (24). L'attitude du pays était plus inquiétante encore que celle du clergé. En face d'un évêque comme Groesbeek, il avait repris tout de suite, sous l'impulsion de la « cité », cette indépendance d'allures à laquelle il avait été obligé de mettre une sourdine au temps des prélats imposés par Charles-Quint. L'alliance de 1518 avait bien été renouvelée le 24 août 1569, mais il était évident que le prince seul en désirait le maintien. Pour assurer son autorité, il se fût volontiers appuyé sur le duc d'Albe et, si le Chapitre et les Etats l'avaient laissé faire, il lui aurait permis, lors de l'expédition du prince d'Orange, de placer des garnisons dans la principauté (25). Par considération politique comme par motif religieux, il se montrait nettement « espa-gnoliste ». Mais il se mettait ainsi en opposition avec le voeu général de ses sujets; il constatait tristement lui-même, en 1576, qu'il avait payé de la désaffection de son peuple son dévouement au roi catholique (26). Le despotisme du duc d'Albe inspirait, en effet, aux Liégeois une aversion et une terreur qui se comprennent d'autant mieux que leurs franchises politiques s'étaient conservées plus intactes. Ils n'avaient cessé de témoigner la plus ardente sympathie aux victimes du terrible duc. Les comtes d'Egmont et de Hornes n'étaient pas moins populaires chez eux, ni les Espagnols moins abhorrés que dans les Pays-Bas (27). L'absolutisme brutal qui sévissait au delà OPPOSITION DU PAYS A L'EVEQUE. - La prospérité croissante de la principauté contribua aussi pour sa part, à compliquer les rapports de l'évêque avec ses sujets. Grâce au repos dont elle jouissait depuis le règne bienfaisant d'Erard de La Marck, Liège était devenu un centre industriel d'une activité peut-être unique dans l'occident de l'Europe. Ses houillères poussaient déjà si loin leurs galeries souterraines qu'en 1573 on les accusait de tarir les sources alimentant les fontaines de la ville (28). Le nombre de ses forgerons et de ses armuriers se multipliait d'année en année (29). Une foule de réfugiés venus des Pays-Bas augmentaient encore sa population. En 1577, Marguerite de Valois la mettait au-dessus de Lyon pour l'étendue et le chiffre des habitants (30) et, en 1601, on projetait de porter de cinq à neuf le nombre de ses quartiers (31). Par ses faubourgs ouvriers de Sainte-Marguerite, de Sainte-Walburge, de Sainte-Véronique, de Saint-Vincent, de Sainte-Foi, de Saint-Remacle, elle débordait tout autour de son enceinte, se répandant à la fois le long de la Meuse et escaladant les collines qui bordent le fleuve. Sa banlieue était parsemée d'usines à forer les arquebuses, de charbonnages et de hauts fourneaux. On en rencontrait d'autres dans l'Entre-Sambre-et-Meuse. A l'est, le Fran-chimont retentissait du travail des marteaux à fer. La renommée grandissante des fontaines de Spa attirait les (Saint-Trond, Petit Séminaire.) Ernest de Bavière. Médaille d'argent doré gravée par G. Libert. Cet artiste, graveur de coins monétaires, travailla pour les ateliers de Bouillon, Maestricht et Liège (1611-1615) et fournit la monnaie d'Hasselt (1614). Légende : ERNEST(VS). ELECT(VS). COLON(IENSIS). BAVA(RIVS) D(VX). buveurs de toutes les contrées de l'Europe; dès le début du XVIIe siècle, on commençait à en exporter l'eau en bouteilles (32), et ce commerce nouveau favorisait le développement des verreries récemment installées. Dans la vallée de la Vesdre, la manufacture verviétoise prenait un essor de plus en plus rapide. Tout ce mouvement gravitait vers la « cité », d'où les produits manufacturés amenés de l'intérieur gagnaient par la Meuse les ports de Hollande. Des régions thioises du comté de Looz, tant de gens venaient chercher du travail à Liège qu'il avait fallu organiser pour eux des sermons flamands à Saint-Lambert (33). Tandis que la Belgique se dépeuplait et s'appauvrissait, la principauté de Liège présentait donc le spectacle d'un petit peuple laborieux, dont les étrangers admiraient l'ardeur. Et ils s'étonnaient, en même temps, de son humeur querelleuse, ce reproche ne faisait qu'attester, à sa manière, la surabondance de son énergie (34). PROSPERITE ECONOMIQUE DU PAYS. - La vigueur de l'industrie liégeoise suffit à prouver qu'elle a rompu avec les traditions économiques du Moyen Age. C'est seulement dans les localités où n'a point pénétré la nouvelle activité manufacturière que se conservent le particularisme municipal et le protectionnisme corporatif. Dinant, dont la batterie avait été si florissante jusqu'au XVe siècle, les villes lossaines, qui avaient participé jadis à la prospérité de la draperie brabançonne, ne parviennent point à s'affranchir d'une organisation invétérée chez elles par une coutume séculaire. Leurs métiers continuent à enserrer le travail dans l'armature rigide de leurs règlements et le condamnent, en dépit des efforts de quelques novateurs, à s'immobiliser dans la routine et à perdre peu à peu ses débouchés au profit de concurrents mieux adaptés aux nécessités présentes. Le contraste que nous avons déjà constaté en Flandre entre la jeune industrie rurale et la vieille industrie urbaine (35) se retrouve dans la principauté. La manufacture verviétoise, par exemple, ne ressemble pas seulement à la draperie de Hondschoote ou d'Armentières par le genre de ses étoffes légères, elle s'en rapproche encore par sa constitution interne. Comme ses émules flamandes, en effet, elle n'a jamais connu le système des métiers. Elle apparaît, dès le commencement du XVe siècle, comme exercée par de petits entrepreneurs indépendants, propriétaires de fouleries dont les eaux de la Vesdre font mouvoir les marteaux (36). L'organisation très simple qui a pu se réaliser sans peine dans ce bourg ardennais sans passé et sans traditions, ne se rencontre point à Liège, où une longue évolution historique devait nécessairement agir sur les tendances nouvelles. Les trente-deux métiers qui, durant le Moyen Age. s'étaient organisés dans la « cité », ne disparurent point à l'époque où le puissant développement des charbonnages, de l'armurerie et de la métallurgie transforma la physionomie de la ville. Mais s'ils subsistèrent quant à la forme, ils se modifièrent complètement quant à l'esprit. Ils perdirent presque toute influence économique pour se transformer en collèges politiques. Déjà, dès la fin du XIVe siècle, il fallait appartenir à un métier pour jouir complètement des privilèges de la bourgeoisie. Chacune des trente-deux corporations comprenait ainsi, à côté d'artisans proprement dits, quantité de patriciens, de marchands et de rentiers, étrangers à la (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, collection des moulages, n° 13966.) Moulage du sceau « aux Causes r> de la Cité de Liège. Début du XVIIe siècle. Ecu à un perron surmonté du buste de saint Lambert. Légende : SEEL DE LA CITE DE LIEGE AVX CAVSES. Des exemplaires originaux de ce sceau pendent, entre autres, au bas d'actes du 7 décembre 1634, du 29 mars 1637 et du 20 août 1643. aux Archives de l'Etat à Liège; d'autres au bas d'actes du 22 octobre 1641. du 3 iuin 1646 et du 13 mai 1665, aux Archives de l'Etat à Mons. spécialité industrielle dont elle portait le nom. Cet état de choses ne fit que s'accentuer depuis lors, et les métiers cessèrent de plus en plus de dominer l'organisation du travail. Au lieu de prétendre, comme à Bruges, par exemple, la soumettre à leurs règlements, ils se plièrent sans peine à ses exigences. On ne remarque point chez eux cet exclusivisme inhérent au système corporatif. La « rate » du métier s'obtient avec une facilité singulière; on l'accorde libéralement à tous ceux qui la demandent, étrangers aussi bien que bourgeois. Les nouvelles branches d'industrie n'entraînent point la création de nouveaux corps d'artisans. Elles se répartissent entre ceux qui existent, sans devoir pour cela se soumettre à leur ingérence. C'est ainsi que les armuriers, suivant qu'ils s'occupent de la confection des bois ou des canons d'arquebuses, sont classés parmi les menuisiers ou parmi les « febvres », et cette situation ne lèse en rien leurs intérêts propres. C'est, qu'en fait, la juridiction corporative a perdu sa vigueur première. Le conseil de la ville en a peu à peu dépouillé les métiers; les maîtres et les jurés de ceux-ci n'apparaissent plus comme les organes de groupes professionnels distincts, mais comme les représentants des trente-deux collèges qui renferment toute la bourgeoisie. En somme, la puissante vitalité économique de la « cité » a rejeté l'organisation médiévale, faite pour la petite industrie locale et incapable de contenir la productivité décuplée des industries d'exportation. Le salariat provoqué par le caractère capitaliste de celle-ci s'est déversé dans les vieux métiers, comme un vin nouveau dans des outres anciennes. Le « régiment » de Heinsberg, rétabli à la fin du XVe siècle, avait enlevé aux trente-deux métiers l'élection directe de leurs maîtres et de leurs jurés en la confiant à vingt-deux commissaires (37). Mais pour contenir la poussée démocratique des masses ouvrières, il eût fallu que le prince possédât une force qu'il n'avait pas. En réalité, depuis l'avènement de Gérard de Groesbeek, les métiers avaient repris peu à peu leur ancienne liberté d'allures. Au mépris de la légalité, ils s'arrogeaient le droit de nommer par « sieultes » (38) leurs mandataires au conseil de la ville, et celui-ci tombait désormais au pouvoir du petit peuple turbulent et actif qui composait la plus grande partie de la population. Aucune décision importante ne pouvait plus être prise sans le consentement des métiers et, pour que ce consentement fût valable, il devait être unanime. Comme jadis dans les villes flamandes, la minorité refusait de s'incliner devant la majorité : il suffisait du refus d'un seul des trente-deux collèges pour suspendre l'exécution d'une mesure approuvée par les autres. LA CONSTITUTION DE LA « CITE ». - Ce réveil de la démocratie ne transforma point seulement les institutions municipales de Liège, il entraîna les plus graves conséquences pour la vie politique de la principauté. Les Etats du pays eurent, en effet, à compter depuis lors avec les métiers de la capitale. Ceux-ci déclaraient hautement que le vote d'un impôt n'était légal que s'ils y avaient donné leur assentiment. Leur opposition suffisait à annuler l'accord du Chapitre, de la noblesse et des petites villes. Ces dernières ne manquaient pas d'ailleurs de s'en référer, le plus souvent, à l'avis de la « cité », qui, sinon en droit, du moins en fait, prit la direction du Tiers-Etat. Ses deux bourgmestres devinrent ainsi les personnages les plus importants de la principauté. De là, les luttes de plus en plus ardentes qui se livrèrent presque chaque année autour de leur élection. Privée des garanties conservatrices que lui avait données le « régiment » de Heinsberg. la bourgeoisie riche se constitua en un parti antidémocratique et se rejeta du côté du prince. Mais plus elle considéra le respect de l'autorité souveraine comme la condition indispensable de l'ordre public, plus la masse du peuple se grisa d'aspirations républicaines. Comme les patriotes des Pays-Bas, elle s'abandonna à la direction d'avocats gagnés aux théories nouvelles des monarchomaques. Cependant, tandis qu'en Flandre et en Brabant l'intervention du calvinisme vint bientôt superposer la question religieuse à la question politique, celle-ci occupa seule les esprits dans le pays de Liège, l'absence de graves différends confessionnels laissant s'y dérouler, dans toute sa rigueur et en pleine clarté, le long conflit du parti du prince et du parti populaire. LA DEMOCRATIE LIEGEOISE. - Tout se réunissait pour favoriser ce dernier. Non seulement il entraînait derrière lui la plus grande partie de la petite bourgeoisie et les masses ouvrières, mais le mécontentement provoqué au sein du clergé et de la noblesse par les sympathies espagnoles de l'évêque et par ses tendances réformatrices, mettait Gérard de Groesbeek en bien mauvaise posture pour lui disputer le terrain. Aussi ne fallut-il que peu de temps pour anéantir les progrès réalisés, sous Erard de La Marck, par le pouvoir princier. C'en fut fait, depuis 1563, de la bonne entente de l'évêque et du pays. Les démocrates de la « cité » ne se contentèrent point de faire rejeter par les Etats les subsides et surtout les contingents militaires sollicités par le prince, ils manifestèrent nettement l'intention de s'affranchir de son autorité. Pendant les troubles de 1566, pour l'empêcher d'introduire à Liège une garnison espagnole, ils lui refusent la garde des clefs de la ville et la confient aux deux bourgmestres. Un édit impérial condamnant leurs prétentions (39) n'a d'autre résultat que de provoquer leur appel à la Chambre de Spire, où s'engage un interminable procès qui durait encore au XVIIIe siècle. Autre querelle et autre procès en 1571. Cette fois, les métiers décident que les fonctions de bourgmestre ne pourront plus être confiées aux échevins épis-copaux (40), et Groesbeek se plaint des innovations qu'ils introduisent « au fait de la police et régiment de nostre cité », par exemple en s'arrogeant le droit de faire convoquer le conseil urbain tous les quinze jours (41). Aux mémoires qu'il adresse à Spire pour établir « son vrai et plein domaine », leurs juristes répondent en affirmant la supériorité du peuple sur les princes, et en revendiquant pour Liège le titre de ville libre et impériale, autant dire de république souveraine (42). .Les événements qui se déroulèrent dans les Pays-Bas après la mort de Requésens, aggravèrent encore la situation. Alors que la « cité » et la majeure partie du pays affirmaient leur sympathie pour la cause des Etats, Groesbeek travaillait de tout son pouvoir en faveur de don Juan. Ses efforts contribuèrent largement à la conclusion de la paix éphémère de Marche et, lors de la joyeuse entrée du nouveau gouverneur à Bruxelles, on le vit figurer dans son cortège. Après s'être si ouvertement affiché comme « Joan-niste », rien d'étonnant s'il fut victime de l'indignation provoquée dans la principauté comme en Belgique par la surprise de Namur. Marguerite de Valois, qui vint à Liège quelques mois plus tard, nous a laissé le pittoresque tableau de la surexcitation du pays à cette époque. Partout où elle passe, elle relève les turbulents témoignages de l'impopularité du prince. Il suffit qu'elle soit accompagnée du grand- U - ► , . « a «_ AB. _ ' " l ^ I , /f 1 / —' ^ -v- V. J" ui vw* iflu jZ% «y jv^vC, O*4' (Liège, Archives de l'Etat, registre 122.) Blâme infligé au marlier de la cathédrale Saint-Lambert pour avoir sonné la cloche de l'église à l'occasion d'une victoire des Espagnols sur les Hollandais, ce qui était considéré comme une infraction à la neutralité de la principauté. Extrait des Conclusions capitulaires de Saint-Lambert, séance du 7 juillet 1600. maître de l'évêque, pour que les bourgeois de Huy courent aux armes à son approche et pour que ceux de Dinant fassent pleuvoir les arquebusades sur la maison où elle est descendue (43). LA NEUTRALITE LIEGEOISE. - Au milieu d'une population ainsi disposée, il eût suffi de la moindre imprudence pour amener une catastrophe. Groesbeek voyait les Etats généraux de Bruxelles solliciter l'alliance de ses sujets (44), et il savait que parmi les métiers de la « cité », le nombre était considérable de ceux qui n'eussent demandé qu'à embrasser ouvertement leur cause (45). Pour ne pas les pousser à bout, il s'abstint de toute nouvelle manifestation d'espagnolisme. Il laissa l'alliance de 1518 tomber en désuétude, malgré son renouvellement de 1569. Bien plus, il n'osa empêcher le pays de proclamer à nouveau, en 1577, sa neutralité perpétuelle (46). La principauté rompait ainsi les liens qui, depuis Charles-Quint, l'attachaient aux Pays-Bas. Par haine des Espagnols, par crainte de voir l'évêque recourir à la protection du gouvernement de Bruxelles, par désir aussi de n'être point entraînée dans la guerre qui sévissait en Belgique, elle en revenait à la situation qu'elle s'était faite après la mort de Charles le Téméraire, et que lui avait garantie, en 1493, la paix de Senlis (47). Mais il ne lui suffisait point de se déclarer neutre pour être reconnue comme telle par l'étranger, et de rejeter l'alliance de 1518 pour y faire renoncer le roi d'Espagne. En réalité, celui-ci ne devait se résigner qu'en 1654 à reconnaître la neutralité liégeoise. Jusqu'alors, il n'en tint aucun compte, et don Juan, dès 1578, déclarait la considérer comme non avenue (48). Pour l'imposer à ses voisins, il aurait fallu que le pays pût la faire respecter par les armes. Or, ses forces ne lui permettaient point de résister aux puissances qui l'entouraient, et quand même il en eût été autrement, la situation fût restée la même. Le parti populaire ne consentit jamais à accorder à l'évêque une armée dont celui-ci eût pu se servir pour le courber sous son autorité. Il préféra souffrir les pillages des troupes étrangères plutôt que de mettre en péril la réalisation de son idéal républicain. La neutralité ne lui servit point à échapper aux désastres des guerres; elle le mit seulement à même de tenir longtemps en échec les desseins monarchiques de ses princes. Ces derniers, d'ailleurs, ne s'y rallièrent jamais sincèrement. Ils la subirent faute de ne pouvoir la violer sans péril. Durant tout son règne, Groesbeek demeura incontestablement favorable à une entente avec les Espagnols (49). Il les laissa sans protester établir une puissante garnison à Maestricht, et leur rendit plus d'un service dont il fut récompensé, en février 1578, par l'octroi du chapeau de cardinal. En revanche, le Chapitre s'empressa d'accepter une situation qui assurait son autonomie et le mettait à l'abri des réformes ecclésiastiques dont le gouvernement de Philippe II se montrait l'ardent propagateur. Il veilla soigneusement à ne pas se compromettre dans la querelle de l'Espagne et des Provinces-Unies, et le registre de ses délibérations contient encore le texte d'une réprimande qu'il adressa au sonneur de Saint-Lambert, pour avoir fait tinter les cloches, au mépris de la neutralité, lors d'une victoire du roi catholique (50). ERNEST DE BAVIERE. - Envisagé dans son ensemble, le règne de Gérard de Groesbeek se caractérise, au point de vue religieux, par l'échec des tentatives réformatrices de l'évêque, au point de vue temporel, par le retour à la neutralité et par la subordination croissante de l'autorité princière aux tendances républicaines du parti populaire conduit par la « cité ». Mais la papauté et l'Espagne avaient un égal intérêt à ne pas laisser s'invétérer un état de choses si dangereux pour la foi et pour la politique catholique. Dès 1577, Philippe II s'était préoccupé d'assurer à Groesbeek un successeur sur l'alliance duquel il pût compter. Il avait chargé don Juan de recommander au Chapitre, pour les fonctions de coadjuteur, le jeune Ernest de Bavière (51). Troisième fils du duc Albert V, Ernest appartenait à cette dynastie bavaroise qui figurait en Allemagne au premier rang des champions du catholicisme. Dès son en- —j r -y— llli rf monde C* ........-ù ^My £s ï fS) Louvain \ BMaaSlrichl StTro#n.l J^J. (...•••:-..., £ ^ •Tongrea V„. A ''< Liège— \\ {"WarlUsée* Qr' ï i ) '"'.i"., v ^ J ï Bornes | S».!'», \ V s y ^ !*v .... ,Spa VI...'- ...................S ■s * Lihaveloi • i J' g»'"* V MarcliccnFamenne Vit ( C'"""; Luxembouru f © Carte sommaire de la principauté ecclésiastique de Liège au XVIe siècle. fance, il avait été décidé de lui faire dans l'Eglise une situation qui le mît à même d'y seconder les efforts de sa maison et d'y étendre son prestige. Il n'avait pas atteint sa treizième année qu'il portait déjà le titre de chanoine de Salzbourg, de Cologne et de Wurz-bourg, et que le pape lui donnait, en décembre 1566, l'évêché de Freising. Il y fut confié par son père au Liégeois André Fabricius, ancien professeur à l'Université de Louvain, puis agent politique à Rome et à Munich, qui lui communiqua ses ardentes convictions catholiques. La vacance prochaine du siège de Liège, présagée par le grand âge de Groesbeek, lui ouvrit bientôt de nouvelles perspectives. Déjà, en 1575, son oncle, le duc de Juliers, avait travaillé Gérard et, moyennant la promesse de l'incorporation de l'abbaye de Stavelot à la mense épiscopale, l'avait facilement gagné à ses projets (52). Pourtant, ni ces pratiques, ni les instances de Philippe II et de don Juan n'avaient encore amené de résultats décisifs, lorsque Groesbeek mourut le 29 décembre 1580. Les Etats généraux des Pays-Bas et le duc d'Anjou cherchèrent aussitôt à traverser les menées des patrons d'Ernest auprès du Chapitre, en agissant sur la « cité ». Les premiers lui recommandèrent l'archiduc Mathias, dont ils n'avaient plus que faire et qui eût été pour eux un voisin de tout repos (53), le second, sans se proposer formellement lui-même, insistait sur la nécessité de n'accepter qu'un évêque résolu à maintenir la neutralité du pays (54). Tandis que leurs pamphlets remuaient l'opinion publique, Alexandre Farnèse, sachant n'avoir rien à attendre d'un peuple chez lequel il venait de soulever, par la prise récente de Maestricht, des craintes et une indignation nouvelles contre l'Espagne, s'adressait directement aux chanoines de Saint-Lambert. A côté d'Ernest, il mettait en avant Granvelle et Louis de Berlaymont, archevêque de Cambrai, dont le succès lui eût été, peut-être, plus agréable. Mais il n'y avait aucune chance d'obtenir la nomination de gens aussi notoirement dévoués à Philippe II. Au contraire, le prince bavarois rallia facilement tous les suffrages. Le zèle catholique de sa maison lui acquit les votes de la minorité du Chapitre; sa puissance et sa fortune lui valurent ceux de la majorité. Le 25 janvier 1581, à peine arrivé à Liège, il était admis au nombre de chanoines de la cathédrale; quatre jours plus tard, le 29 janvier, il était élu évêque. Il n'eut qu'à se montrer pour désillusionner d'abord tout le monde. Il y avait loin, en effet, de ce jeune prélat de vingt-sept ans, bien doué et d'intelligence cultivée, corres- (Verviers, Musée communal.) (Cliché A.C.L.) Tableau héraldique des évêques de Liège, depuis saint Lambert (660) jusqu'à Maximilien-Henri de Bavière (1650). La valeur historique de ce tableau est nulle pour le haut Moyen Age. D'après E. Poncelet : Les sceaux et les chancelleries des princes-évéques de Liège (Société des Bibliophiles Liégeois, s.l. 1938. in-4°, p. 170, n° 22.) Jean de Flandre (1282-1291) aurait été le premier prince-évêque à faire usage de ses armes sur son contre-sceau. La comparaison des sources authentiques et des écus peints pour la période postérieure à Jean de Flandre montre que l'auteur de ce tableau n'est pas à l'abri d'inexactitudes et de représentations fantaisistes. pondant de Juste Lipse, curieux de chimie, d'astronomie et même de magie, au restaurateur austère des mœurs et de la discipline ecclésiastique que Torrentius et ses rares partisans avaient espéré. Pour comble de malheur, sa conduite était déplorable. Ses excès de bonne chère et plus encore ses nombreuses maîtresses faisaient scandale (55). En 1583, le bruit courait qu'il songeait à se marier, et le légat du pape ne cachait pas qu'il le considérait comme un grand pêcheur (56). Ceux qui avaient pensé trouver en lui un énergique défenseur de la neutralité liégeoise contre l'Espagne étaient encore plus loin de compte. Constamment attiré en Allemagne par l'administration de ses nombreux diocèses et par la politique de sa maison, Ernest ne fit jamais au bord de la Meuse que des séjours intermittents et ne chercha point à se concilier les sympathies d'un pays où il n'avait brigué le gouvernement que pour aug- II - 28 (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Ferdinand de Bavière, quarante-septième prince-évêque de Liège (1612-1650). Légende bordant le cartouche : FERDINANDVS. D(EI). G(RATIA). ARCHIEP1SCOPVS. COLONIENS1S. COMES. PALATINVS. VTRIVSQVE. BAVAR(IAE). D(VX). S(ANCTI). R(OMANI). IMP(ERI). ARCHIC(ANCELLARIVS), etc. Gravure de Crispin de Pas. menter son influence dans l'Empire. C'est à peine s'il parlait français (57), et ses partisans les plus résolus eux-mêmes étaient choqués par sa « fierté barbare» (58). Devenu, en 1583, archevêque de Cologne et électeur, presque toute son activité fut absorbée depuis lors par la lutte contre Gérard Truchsess et contre les protestants des contrées rhénanes. Obligé pour leur tenir tête d'implorer le secours de Farnèse, il se montra, plus encore que Groesbeek, fidèlement dévoué à l'Espagne. Il ne protesta point contre le passage continuel des troupes royales à travers la principauté ni contre les pillages des mutins de Tirlemont, qui ruinèrent quantité de villages de la Hesbaye et du comté de Looz. En 1590, les Provinces-Unies l'accusaient de montrer à leur égard une hostilité manifeste (59) et, en 1595, après la surprise de Huy par un corps hollandais, il garantissait le libre passage de cette ville aux armées espagnoles et permettait à son gouverneur de prêter serment au roi catholique (60). Il n'alla point cependant jusqu'à rétablir l'alliance de 1518. Il contraria même, en 1592, les agissements d'un groupe de catholiques qui souhaitaient la dénonciation de la neutralité du pays (61), et Philippe.II se plaignait, l'année suivante, qu'il n'eût point répondu à son attente (62). Mais Ernest savait qu'un rapprochement officiel avec l'Espagne n'eût pas manqué de jeter la « cité » et le parti populaire du côté des hérétiques de Hollande, il eut assez de prudence pour ne point les pousser à bout, et laissa la neutralité subsister tant bien que mal comme le seul expédient qui pût empêcher l'incompatibilité entre sa politique et celle du pays de provoquer une guerre civile. LA RESTAURATION CATHOLIQUE. - Désavantageuse pour les intérêts espagnols, sa conduite en ces circonstances lui fut imposée, sans doute, par le souci des intérêts religieux. Par tradition de famille et par conviction personnelle, Ernest de Bavière devait être et fut, en effet, dans le pays de Liège, l'auteur de cette restauration catholique à laquelle Groesbeek avait vainement consacré ses efforts. Il appartenait à ce groupe de prélats chez lesquels la légèreté des mœurs n'excluait ni une foi profonde, ni un dévouement absolu à la réforme de l'Eglise. Si complètement soumis à la direction des Jésuites qu'on lui reprocha parfois l'empire qu'ils exerçaient sur lui (63), il leur témoigna sa faveur dès la première année de son administration. En 1581, il leur faisait céder comme résidence le couvent des Hiéronymites, où ils ouvrirent un collège, et il appelait les Capucins dans le diocèse. Il vint à bout des résistances que le Chapitre et le clergé secondaire avaient opposées aux desseins de son prédécesseur. Il aida le nonce Bonomi à publier, en 1585, les canons du concile de Trente (64); en 1589, un petit séminaire était établi à Saint-Trond; en 1592, s'ouvrit le séminaire de Liège et, en 1605, un collège destiné à la formation des prêtres du diocèse était fondé à l'Université de Louvain. Les établissements charitables que la fortune d'Ernest lui permit de créer rendirent populaires les tendances réformatrices dont il s'inspirait. Il fonda dans la cité un Mont-de-Piété et cet Hôpital de Bavière qui existe encore aujourd'hui et qui a sauvé son nom de l'oubli. Quant aux protestants qui subsistaient çà et là, il prétendit leur imposer les stipulations de la paix d'Augs-bourg. Un certain nombre de bannissements furent prononcés à Hasselt et à Maeseyck. Mais les réclamations de la « cité » et celles des Provinces-Unies empêchèrent l'évêque de manifester à l'égard de ces dissidents peu nombreux une rigueur qui eût pu faire naître des troubles et compromettre son œuvre. Les mêmes motifs qui l'engagèrent à ne pas violer la neutralité liégeoise le détournèrent d'encourir le péril d'une persécution religieuse. Il ne manqua point de lancer des édits contre les hérétiques, mais il ferma les yeux sur leur application (65). Il se contenta de soumettre étroitement les écoles et la librairie au contrôle de l'Eglise et de seconder l'action de la Compagnie de Jésus et des Capucins. D'ailleurs, le commerce très actif que Liège entretenait avec les Provinces-Unies ne permettait pas d'y pourchasser les protestants sans nuire gravement à sa prospérité. En réalité, ceux-ci ne cessèrent point de jouir en fait d'une tolérance aussi large qu'il était possible dans une ville épiscopale. L'exercice public du culte réformé y était interdit, mais du moins « y parloit-on aussi librement du fait de la religion que l'on feroit en Allemagne et en Hollande» (66). ERNEST DE BAVIERE ET LA « CITE ». - Si Ernest de Bavière ménagea les susceptibilités de la « cité » en matière religieuse, on ne s'étonnera point qu'il ait fait preuve d'une modération plus grande encore dans le domaine politique. Il n'eût évidemment demandé qu'à restreindre l'influence que les métiers et les bourgmestres de Liège exerçaient sur les Etats du pays. Il essaya vainement, en 1583, de substituer dans les délibérations de ceux-ci le vote majoritaire au vote de l'unanimité (67). Mais peu autocrate par caractère, il renonça bientôt à ressaisir une autorité qu'il aurait fallu imposer par la force. Il ne s'occupa guère que d'améliorer la gestion de la mense épis-copale. Il réorganisa, en 1598, la Chambre des comptes (68), et s'appliqua à développer ses revenus en provoquant l'ouverture de mines nouvelles dans ses domaines et en accordant libéralement des octrois de « coups d'eau » aux usines qui s'établissaient au bord des petites rivières torrentueuses de la rive droite de la Meuse. Pour le reste, il se résigna à laisser la « cité » conserver et même accroître encore son autonomie. Les empiétements de celle-ci sur le pouvoir princier furent facilités par l'absence presque continuelle de l'évêque. Depuis 1595, le Conseil Ordinaire cessa de rendre la justice (69). Les trente-deux métiers s'opposèrent plus hardiment que jamais aux résolutions et aux impôts votés par les Etats sans leur assentiment. Le « régiment » de Heins-berg acheva de tomber en désuétude, et les « élections magistrales » devinrent de plus en plus tumultueuses. Débordés par la foule turbulente des ouvriers, des apprentis, voire même des immigrants auxquels la bourgeoisie était si facilement accordée, injuriés et menacés aux « sieultes » des métiers, les gens aisés, rentiers, négociants et capitalistes, se retirèrent bientôt de la vie politique qu'ils abandonnèrent au parti populaire et aux avocats (70). Une émeute terrible qui éclata en décembre 1602 à l'occasion d'un impôt, décida enfin le prince à intervenir. Il accourut de Westphalie et, les 21 février et 15 avril 1603, il promulguait deux édits remplaçant par des règles précises l'arbitraire et le désordre qui avaient régné jusque-là dans les élections (71). Soit qu'il voulût se concilier les métiers, soit qu'il les considérât comme trop redoutables pour les attaquer de front, il leur reconnut la possession légale du pouvoir qu'ils s'étaient arrogé de nommer le conseil de la ville. Il s'efforça seulement d'atténuer leurs tendances démagogiques. A cet effet, il ordonna que tous les bourgeois chefs de famille, auraient, dans les huit jours, à se faire inscrire au sein d'une des trente-deux corporations de la cité, et il rendit obligatoire l'assistance aux réunions de celles-ci. Chaque année, à l'époque de la rénovation du magistrat, le sort désignerait dans chaque métier trois électeurs nommant eux-mêmes trois candidats, dont l'un serait membre du conseil et les deux autres jurés, au choix des vingt-deux commissaires institués par le « régiment » de Heinsberg. Afin de remédier aux interminables conflits des Etats et des métiers, il était décidé, en outre, que ces derniers n'auraient plus, à l'avenir, que deux semaines pour se prononcer sur les décisions des Etats. En somme, cette constitution consacrait la victoire du parti populaire. Le prince lui sacrifiait le « régiment » de Heinsberg et, lui abandonnant le gouvernement de la «cité», lui donnait par cela même la direction du pays. L'infériorité numérique de la bourgeoisie riche rendait illusoires les garanties conservatrices qu'il avait entremêlées à ses concessions. On ne voit point qu'elles aient produit le moindre effet. Depuis 1603, les travailleurs, qui possédaient la majorité au sein de tous les métiers, se trouvèrent aussi posséder à titre légal, l'administration de la ville. On ne peut s'étonner qu'ils l'aient dirigée dans leur intérêt. La sédition provoquée en 1612 par la demande d'un impôt sur les portes et les fenêtres, qui eût nécessairement atteint de la même manière les riches et les pauvres, fournit une preuve significative de leurs dispositions (72). Conscient kl Imi ■ V, tÈt ^^-a* rhyïfr- r - (Munich, Bayerische Staatsgemaldesammlungen.) Jean T'Serclaes, comte de Tilly, commandant les troupes de la Ligue Catholique pendant la guerre dite de Trente Ans (Bruxelles ou Tilly, 1559-lngolstadt, 1632). Il intéresse l'histoire de Liège parce qu'il voulut forcer la principauté à adhérer à la Ligue catholique. — Portrait peint par Antoine Van Dyck (Anvers, 1599-Londres, 1641). de sa force, le petit peuple énergique et actif qui dominait dans la ville s'accoutuma rapidement à ne plus tenir compte du pouvoir de l'évêque. L'autorité princière en était réduite à si peu de chose dès le commencement du XVIIe siècle, qu'aux yeux des observateurs étrangers, Liège passait, dès lors, pour une quasi-république (73). FERDINAND DE BAVIERE. - Tandis qu'Ernest de Bavière, satisfait d'avoir dirigé la principauté dans la voie de la réforme catholique, y fit assez facilement bon marché de ses prérogatives temporelles, il attachait au contraire la plus grande importance à maintenir Liège, ainsi que ses autres diocèses, dans la sphère d'influence de sa maison. En 1595, il s'était fait donner à Cologne son neveu Ferdinand comme coadjuteur, c'est-à-dire comme successeur désigné, et il ne lui fut pas difficile de l'imposer également au chapitre de Saint-Lambert. Le 22 février 1601, Ferdinand, bien que n'ayant pas encore reçu la prêtrise, était nommé chanoine et, le lendemain, coadjuteur. Il succéda à son oncle le 12 mars 1612. Comme lui électeur de l'Empire en qualité d'archevêque de Cologne, et cumulant avec l'évêché de Liège ceux de Munster, de Hildesheim et de Paderborn, il conservait à la maison de Bavière le premier rang dans l'Eglise allemande. L'indifférence nonchalante que son prédécesseur avait apportée aux soins du gouvernement fit place, sous ce prélat essentiellement politique, à une vigueur que les Liégeois s'étaient désaccoutumés depuis longtemps de rencontrer chez leurs princes. Aussi étranger qu'Ernest à ses sujets et aussi souvent absent de sa capitale, il n'en manifesta pas moins l'intention bien arrêtée de rétablir ses prérogatives dans leur intégrité. Dès le début de son gouvernement, il rendit l'administration du pays au Conseil privé, auprès duquel il plaça un ministre allemand, Valère Zorn, que la population ne tarda pas à considérer comme un ennemi (74). Il n'était pas difficile de comprendre que l'autorité prin-cière serait tenue en échec tant que durerait le régime démocratique de la « cité ». Aussi, dès le 8 octobre 1613, Ferdinand obtenait-il de l'empereur l'abolition des édits de 1603 et une modification profonde du droit électoral (75). Ne pourraient plus, à l'avenir, faire partie du conseil urbain que les personnes nées dans le pays, mariées et sachant lire. Les trente-deux métiers continueraient à fournir chacun un conseiller, mais la désignation en serait confiée aux vingt-deux commissaires de la « cité ». Les élections non conformes à ces décisions seraient réputées non avenues et l'évêque aurait la connaissance et le châtiment de toutes les irrégularités et de tous les abus. Quant au •1 " i \ 'il ntuw £ 'S n , f i/ ■' • - ciy Us -t ' tâ %/t&fSi t ecmtctfi if ■■! .i ■ rit U- r-tj JX ' 7" C/l' S' 'r' 771 :es?"- ' /nertrs:) /„,( A,^,; — <■"■' -yyp SeTc/*J -ctsfâ rrrf " — l/> j 'rl y,. fap/Unt «i // /•£,_.. -V ,/Jfc. fz.^-lcM 1 JJ /"' J„ fo'-te*! Xttvr-K'Ji iti Qrtn» 7.....1......;>r d ' i ■./..' ... ,xt>crsf A *>t (il SVnfeJ i c r'cM ^ "" ' y r . .. f*» "y*"! A c.' i A D SAC RATI S SI MAM C jESAREAM M AI E STAT E M- (2. 0 ^ J^or /a-A/ V /u x eWn v^j * INCLYTA CIVITATIS LEODIENSIS- DELEGATIO M| L EO DII, I Typis Christiani Ouwerx Iun. pt;opl: S. DionyGna» fub figno Patieatiz. Anoo M. DC. XXIX, r^Or? r. J D Z)ï MANDATO ÈXJRESSO, Amplifîimcrum Domirttrum meorum Cw/ntum, Jurtttrum, & Confilij Ciuici, (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Papiers d'Etat et de l'Audience, n° 645.) Lettre adressée par de Fléron à l'avocat de Marche touchant l'activité des calvinistes dans la Principauté de Liège (19 mars 1634). L'auteur signale l'activité d'un agent des Provinces du Nord dans la principauté; il conseille à l'empereur d'en faire autant en Hollande, d'établir à Liège trois ou quatre pensionnaires investis des mêmes pouvoirs que ceux de Hollande et d'intercepter la correspondance secrète échangée entre le roi de France et ses agents dans la principauté de Liège. Source utilisée par Pirenne (voyez la note 92). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Page de titre de l'« Ad sacratissimam Caesarem Maiestatem inclytae civitatis leodiensis delegatio » d'Et. Rausin. L'auteur, jurisconsulte liégeois, avait été envoyé à Vienne par ses concitoyens pour défendre les prétentions de Liège au titre de ville libre. En vain. Dans sa Delegatio, il s'efforce, en plus, de démontrer que Liège est affranchie au temporel de la souveraineté de l'évêque. Imprimé à Liège par Christian Ouwerx en 1629, cet exemplaire provient du collège des Jésuites de Luxembourg. reste, les stipulations du « régiment » de Heinsberg étaient remises en vigueur. Pour le parti populaire, cette réforme était doublement intolérable. Elle ne se contentait pas de lui enlever le pouvoir au profit de la bourgeoisie résidante, lettrée et aisée, elle consacrait de nouveau ce principe du merum dominium épiscopal qui, depuis le XVe siècle, avait provoqué tant de conflits (76). Pour peu qu'elle triomphât, les républicains allaient être déçus aussi complètement dans le pays de Liège qu'ils l'étaient déjà en Belgique. Ils s'empressèrent de la stigmatiser comme un attentat du despotisme sur le droit naturel du peuple et sur le droit historique de la « cité ». Appel fut interjeté devant la Chambre impériale de Spire et, provisoirement, la constitution de 1613 ne fut point appliquée. Les métiers se montrèrent même plus intransigeants que jamais. Ils continuèrent à entraver l'action des Etats et à s'opposer aux impôts proposés par le prince. En 1619, Ferdinand était obligé, pour se procurer les ressources nécessaires, d'engager une multitude de domaines (77). INTERVENTION DE LA FRANCE ET DES PROVINCES UNIES. — La France et les Provinces-Unies ne devaient pas tarder à profiter de ces événements. Le pays de Liège occupait une case trop avantageuse dans l'échiquier des Pays-Bas pour qu'elles ne fissent point tous leurs efforts afin de l'assurer à leur jeu. Nul meilleur moyen d'affaiblir Ferdinand de Bavière, partisan naturel de la maison d'Autriche, que de soutenir contre lui l'opposition de ses sujets. La situation n'était-elle pas exactement la même qu'à l'époque où Charles VII et Louis XI s'étaient si adroitement insinués dans les affaires de la principauté et n'était-il pas certain que la démocratie liégeoise répondrait avec autant d'empressement qu'alors aux avances qui lui seraient faites ? Le souvenir des catastrophes où la France avait jadis entraîné le pays s'était dissipé; le parti populaire se rappelait seulement l'appui que les rois lui avaient prêté contre la maison de Bourgogne. Quant aux Provinces-Unies, la différence des religions ne pouvait empêcher la petite république mosane de se sentir entraînée vers cette puissante république à qui l'attachaient par surcroît les intérêts de son commerce et de son industrie (78). En 1618, les esprits avaient été violemment agités par la révélation d'un soi-disant complot tramé pour livrer la ville aux Hollandais. On découvrit bientôt l'imposture, mais il est caractéristique qu'elle ait rencontré tant de créance et produit une si vive sensation (79). Les menées de l'étranger commencèrent à s'étaler au grand jour dès les premières années de la guerre de Trente Ans. Un agent français, l'abbé de Mouzon (80), apparut à Liège en 1623, s'y fit recevoir dans la bourgeoisie et se mit bientôt à tenir table ouverte et à représenter Louis XIII à ses invités comme le protecteur de la neutralité et des franchises du pays. L'année suivante, il augmentait encore les craintes des partisans de l'évêque en semant l'or à pleines mains et en entretenant des conciliabules suspects avec les principaux chefs du peuple, parmi lesquels figurait au premier rang le bourgmestre Guillaume Beeck-man (81). Cependant, ces premières intrigues n'aboutirent pas. Les succès de l'empereur et des catholiques en Allemagne, au début de la guerre de Trente Ans, affermirent la position de Ferdinand de Bavière. En 1626, il faisait publier de nouveau le règlement de 1613, et, en 1628, il édictait cinquante-huit articles présentés par lui à la Chambre de Spire et où s'affirmait nettement son droit de souveraineté (82). La vigueur du prince enhardit les échevins; ils décrétèrent d'accusation Beeckman et plusieurs de ses amis. Le jurisconsulte Rausin, que la « cité » avait envoyé à Vienne pour réclamer de l'empereur le titre de ville libre et l'observation de ses privilèges, échouait dans sa mission (83). Une incursion de Tilly, qui aurait voulu forcer la principauté à adhérer à la ligue catholique (84), n'intimida pas le peuple. Le 25 juillet 1629, il empêchait violemment l'exercice du nouveau système électoral et acclamait Beeckman comme bourgmestre. Grâce à l'intervention du Chapitre, l'évêque consentit à arrêter la marche de Tilly contre la << cité ». Les troupes de la Ligue ^ Bibliothèque de ,, évacuèrent la principauté au mois ji . i r Reliure du livre de prix d octobre, mais ce ne fut que pour y être remplacées par les Espagnols du comte de Bergh, qui vinrent y prendre à leur tour leurs quartiers d'hiver. Cette nouvelle violation de la neutralité liégeoise porta l'anarchie à son comble. La foule envahit le Chapitre qu'elle accusait de complicité avec les étrangers, et courut tumultueusement assaillir les soldats (85). Au milieu de cette exaspération, les partisans de la France redoublent d'efforts. On répand dans le public des lettres de Zorn à Ferdinand, les montrant tous deux décidés à appeler les impériaux à la rescousse (86). Dès lors, le parti populaire n'hésite plus. Cédant aux instigations de l'abbé de Mouzon, il implore le secours de Louis XIII. Le 12 février 1630, celui-ci s'offre à prendre en mains la défense de la neutralité du pays (87), et envoie le même jour le sieur de Cadenet représenter officiellement la France près de la « cité ». BEECKMAN ET LA RUELLE. - Cette assurance suffit à soutenir les courages. De nouveau, les élections de 1630 amènent Beeckman au pouvoir en même temps qu'un avocat célèbre par ses sentiments républicains et son dévouement à la France, Sébastien La Ruelle. Il s'en faut de rien que la guerre civile n'éclate aussitôt. Les gens de métier, reprenant à la fois le nom et les traditions des « Vrais Liégeois » du XVe siècle, emplissent les rues du cri de « Vive le roi ! ». Leurs adversaires tentent vainement d'opposer la force à la force. La Ruelle fait emprisonner des chanoines qui ont introduit secrètement dans la ville des paysans'armés tirés des milices rurales de la Hesbaye. Un capitaine, chargé de recruter des soldats pour le prince, est massacré. Pour isoler la « cité », Ferdinand convoque les Etats de Huy. Un nouveau diplôme impérial casse les élections de 1630 et ordonne, une fois de plus, l'observation du règlement de 1613. Cependant, la mort de Beeckman, que le peuple attribue naturellement au poison, déconcerte la résistance. Malgré ses promesses, le roi de France n'intervient pas. L'agitation fébrile au milieu de laquelle on vit ne peut durer plus longtemps. De part et d'autre, on Université.) obtenu par Sébastien de La Ruelle à sa sortie de rhétorique du collège des Jésuites de Liège (1608). Type de reliure jésuite. (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Walcourt au début du XVIIe siècle. Miniature extraite d'un album de miniatures de localités du comté de Namur composé pour le prince Charles de Croy en 1604. se résigne enfin à des concessions. Grâce à l'intervention du Chapitre et des Etats, La Ruelle se décide à faire amende honorable, et l'évêque consent à proclamer une amnistie. L'édit de 1603 reste en vigueur moyennant une addition, datée du 20 juin 1631, d'après laquelle on ne pourra prendre part aux élections avant l'âge de vingt-deux ans, devenir bourgmestre avant trente-cinq ans, siéger au conseil de la ville sans être marié ou gradué (88). Quelques jours plus tard, le 7 juillet, la publication solennelle de la neutralité liégeoise achevait de replâtrer momentanément les rapports du prince et du pays (89). Peut-être le calme se fût-il prolongé à Liège s'il avait régné au dehors. Mais la principauté ne pouvait manquer d'être entraînée par les événements qui se déroulaient autour de ses frontières. Les brillants succès des Hollandais dans la vallée de la Meuse durant la campagne de 1632, avaient exalté le parti populaire. Il avait toujours considéré Maestricht au pouvoir de l'Espagne comme une menace permanente et il vit avec joie Frédéric-Henri mettre le siège devant cette place. Rien ne fut épargné pour ravitailler son armée. Suivant le cardinal-infant, elle ne serait jamais venue à bout de son entreprise sans les secours que les Liégeois ne cessèrent de lui fournir (90). Au reste, la neutralité qu'ils violèrent sans scrupules en cette circonstance ne fut pas mieux respectée par l'évêque. Il avait autant de motifs de souhaiter le maintien des Espagnols à Maestricht que la « cité » de désirer leur départ. C'est grâce à ses instances que les impériaux de Pappenheim vinrent unir leurs efforts à ceux du marquis d'Aytona contre les lignes inébranlables du prince d'Orange (91). REVEIL DU PROTESTANTISME. - La conquête de Maestricht et des petites places voisines par les Provinces-Unies fut pour Ferdinand de Bavière un coup d'autant plus dangereux, qu'elle ranima dans le pays de Liège l'ardeur des protestants (92). Rassurés par le voisinage de la République, encouragés par les pasteurs venus du nord pour organiser le culte réformé dans la région annexée, ils se mirent à réclamer la liberté de religion et cessèrent de cacher des croyances qu'ils avaient dissimulées jusque-là. Dès l'année 1633, une propagande s'organise; des libelles circulent par la ville et une ordonnance constate que la « cité » renferme un grand nombre de bourgeois protestants (93). Le péril s'aggrave encore des dispositions anticléricales d'une partie même des catholiques. Depuis le règne d'Ernest de Bavière, quantité de nouveaux couvents s'étaient installés à Liège. En 1614, y étaient arrivés les Jésuites anglais et les Ursulines séculières; en 1617, les Minimes et les Carmes déchaussés; en 1619, les Ursulines régulières; en 1624, les Sépulchrines; en 1626, (Liège, Hôtel de M. van der Heyden à Hauzeur.) Sébastien de La Ruelle (7-1637), bourgmestre de Liège en 1630 et en 1635. Portrait peint par un auteur inconnu (attribué à Gérard Doufflet (Liège, 1594-entre 1661 et 1665). eurent vite fait de soulever contre eux la défiance et l'envie du petit peuple. Le bâtiment massif que les Minimes s'étaient construit sur les hauteurs de Pierreuse, ressemblait, disait-on, à une forteresse plutôt qu'à un monastère (94), et l'épaisseur suspecte de ses murs inspirait à la foule de vagues inquiétudes. L'impopularité du prince rejaillissait sur les ordres religieux auxquels il témoignait sa bienveillance. Les Jésuites surtout étaient compromis par l'estime qu'il leur montrait; on les accusait de préparer de concert avec lui la ruine des libertés publiques. Ainsi, comme jadis dans les Pays-Bas, les passions politiques s'en prenaient au clergé, tout au moins au clergé régulier, et tournaient à l'avantage de la minorité protestante. Cette immixtion des querelles religieuses dans les troubles civils de la principauté communiqua à ceux-ci une gravité qu'ils n'avaient pas encore présentée. Les sobriquets injurieux que les partis se donnèrent mutuellement depuis 1633 attestent WT"? à eux seuls la violence de leur an-tagonisme. Les « Chiroux », c'est- sa ^ffs^' . à-dire les défenseurs du prince, dé- H signèrent sous le nom de « Gri- jA . v---—^ gnoux » (95) la masse du peuple, ; ___ la « petite canaille mutine », la « ra- . caille », les « gens mécaniques », les étrangers venus à Liège pour y trou- / ver de l'ouvrage, les partisans de la liberté de conscience, les ennemis i J_ r des couvents et les protestants, tous animés de tendances plus ou moins républicaines et s'appuyant, pour arriver à leurs fins, sur la France et les Provinces-Unies. Plus ils se sentaient impuissants à leur résister, plus ils les haïssaient. Riches pour la plupart, ils se voyaient à la merci d'une foule qui, n'ayant rien à perdre, ne craignait pas de risquer le tout pour le tout. Les intrigues des agents de Richelieu et du duc de Bouillon, gouverneur de Maestricht pour lés Provinces-Unies, attisaient, en revanche, l'audace des « Gri-gnoux ». Mouzon conseillait ouvertement à ses commensaux de prendre Louis XIII pour protecteur. Sous prétexte d'affaires, des commerçants français, la bourse bien garnie, discutaient dans les tavernes à coups d'arguments sonnants (96). L'assassinat d'un capitaine soupçonné de rassembler des troupes pour le prince, fut célébré comme une fête publique, par des feux de joie (97). Malgré la corruption, le vin prodigué à la populace, les intrigues de leurs adversaires, les élections de gagné au projet de la faire entrer dans l'alliance du roi très chrétien et de la République (98). Le cardinal-infant chercha vainement à le réconcilier avec Ferdinand de Bavière. Les troupes allemandes qu'il envoya en 1636 au secours de celui-ci, et qui ne firent d ailleurs que piller horriblement les environs de Liège, discréditèrent davantage encore la cause de l'évêque. Leur brutalité poussa le Chapitre à se plaindre auprès du pape, pendant qu'elle provoquait une alliance des bonnes villes avec la « cité » et qu'elle fournissait à La Ruelle l'occasion d'appeler Richelieu à l'aide de « la liberté et neutralité » (99). Des agents secrets tenaient le gouvernement de Bruxelles au courant d'une situation plus menaçante de jour en jour pour les intérêts de l'Espagne. Le cardinal-infant voyait bien que les progrès de la démocratie affermis- _- t^fifi •fi'^'ï} (La Haye, Archives Générales du Royaume, Etais généraux, Secrete Kas Lopende, Loket E.) (Cliché Oppenheim.) Signature de Gérard de Groesbeek au bas du traité en forme d'édit perpétuel conclu entre Philippe II et les Etats généraux le 17 février 1577. Signé par Don Juan le 12 février 1577 (voyez p. 313), l'Edit perpétuel fut ratifié par un délégué du Conseil d'Etat, un délégué des Etats généraux, le Prince-Evêque de Liège et les ambassadeurs de l'empereur germanique le 17 du même mois. les Capucins; en 1627, les Bénédictines, les Célestines et les Carmélites déchaussées; en 1632, les Récollectines. La faveur dont ils jouissaient auprès de l'évêque, des chanoines, de la noblesse, des familles les plus opulentes de la bourgeoisie, ainsi que les biens souvent très considérables qu'ils tenaient de la générosité de leurs protecteurs. 1633 furent un triomphe pour les « Grignoux » En devenant bourgmestre, La Ruelle devint le véritable maître de Liège, et quand, en 1635, les armées de Louis XIII envahirent la Belgique pour rejoindre celles de Frédéric-Henri, on s'attendit à le voir proclamer l'annexion de la « cité » à la France. Tout au moins est-il vraisemblable qu'il était saient constamment dans la principauté le prestige de la France et des Provinces-Unies, que la neutralité dont se targuait le parti populaire n'était plus qu'un vain mot, et que le seul moyen de rompre l'entente des Liégeois avec les ennemis du roi catholique serait de les soumettre à l'absolutisme d'un évêque aussi 'dévoué à l'Eglise et à la maison d'Autriche que l'était Ferdinand de Bavière (100). Mais il savait qu'ils ne céderaient qu'à la force et, outre qu'il répugnait à se poser vis-à-vis d'eux en agresseur, son armée, obligée de tenir tête à la fois aux Français et aux Hollandais, avait assez à faire pour qu'il ne pût sans danger lui imposer de nouvelles fatigues. ASSASSINAT DE LA RUELLE. - Le complice du comte de Bergh en 1632, le comte de Warfusée, qui s'était réfugié à Liège, n'ignorait point ces dispositions. Pour cet aventurier sans scrupules, elles pouvaient fournir un excellent moyen de rentrer en grâce. Une trahison l'avait fait fuir de Bruxelles; une autre trahison lui en rouvrirait les portes. L'assassinat de La Ruelle, le chef incontesté des « Grignoux » et le principal obstacle que les desseins de l'Espagne rencontraient à Liège, lui vaudrait sans doute la reconnaissance de l'infant. Celui-ci fut certainement averti de ses projets et s'il ne l'encouragea pas, du moins ne fit-il rien pour le retenir (101). Le 16 avril 1637, des soldats espagnols introduits en secret dans la ville massacraient lâchement le bourgmestre, que Warfusée avait invité à un banquet. Le peuple ne laissa pas aux coupables le temps de fuir. Le crime à peine commis, la foule assouvit fiévreusement sa soif de vengeance. Les domestiques du traître, les soldats, un échevin, d'autres suspects encore furent mis en pièces. On traîna jusqu'au marché le cadavre de Warfusée et on l'accrocha par les pieds à une potence. Accusés de complicité dans le guet-apens, les Carmes s'empressèrent (Florence, Galerie des Offices.) Une forge et une mine au XVIe siècle. Tableau peint par Henri Met de Blés (né vers 1510 à Bouvignes). de quitter la ville (102); le couvent des Jésuites fut pillé de fond en comble, leur recteur poignardé (103). Le corps du bourgmestre, veillé par des prêtres, resta pendant trois jours exposé à Saint-Lambert devant un défilé ininterrompu, dans lequel on vit jusqu'à de « petits enfants » venir pleurer «leur père» (104). La Ruelle mort, toutes les tendances qui s'étaient personnifiées en lui s'exaltèrent jusqu'au paroxysme. Durant quelque temps, Liège présenta un spectacle semblable à celui de Gand sous le gouvernement de Ryhove et d'Hembyze. La surexcitation des esprits poussa aux résolutions extrêmes et laissa les plus décidés s'emparer du pouvoir. Un protestant, le capitaine des arbalétriers Bartel Roland, organisa une « guemine » de guerre et soumit la population à un véritable état de siège (105). Sous l'administration du bourgmestre Bex et de ses amis, la « cité » se conduisit tout de bon en république indépendante, et, par l'intermédiaire de Mouzon, resserra encore ses liens avec la France. Des pamphlets enflammés affirmèrent l'omnipotence du peuple, représenté par ses bourgmestres, et déversèrent la haine et le mépris sur le despotisme épiscopal, accusé de faire appel aux Espagnols et aux assassins. LA PAIX DE TONGRES. - Ferdinand de Bavière sollicitait cependant les secours de l'empereur et du cardinal-infant. Sauf l'envoi d'une garnison espagnole à Huy. il n'en obtint autre chose que des exhortations à ne pas céder. Mais le pays ne pouvait se consumer indéfiniment dans l'anarchie. Le 26 avril 1640, la paix de Tongres réconcilia pour la seconde fois l'évêque et la « cité ». La neutralité de la principauté et de toutes ses forteresses, y compris la place de Huy, fut de nouveau confirmée. On profita même de l'occasion pour déclarer que, tout en demeurant sous les « ailes, fidélité et obéissance due au Saint-Empire », les Liégeois seraient exempts, à l'avenir, de toute contribution aux Cercles et aux princes d'Allemagne, sauf en cas de guerre contre le Turc. Le règlement électoral de 1603, retouché en 1631, demeura en vigueur (106). En somme, l'évêque capitulait une fois de plus sur le terrain politique. Il semble s'être préoccupé surtout, en signant la paix, de mettre fin à l'agitation protestante qui, à la faveur des troubles, s'était manifestée dans la « cité ». Le traité reconnut le catholicisme comme le seul culte de la ville, et les réformés les plus compromis se réfugièrent à Maestricht. Le calme ne se rétablit d'ailleurs qu'à la surface. Les partis étaient trop montés l'un contre l'autre pour pouvoir se contenter d'une transaction. Les ordonnances qui, durant les années suivantes, défendent d'exhiber des insignes, de se servir encore des termes de (Liège, Musée Curtius.) (Cliché Piron.) Monnaies de Ferdinand de Bavière. 1. Ecu d'or. Droit (légende : FERDINANDVS. D(EI) G(RATIA). EPIS-COPVS. LEODIE(NSIS) et revers (légende : SVPREMVS. DVX. BVL-LONIENSIS. 1613). 2. Double écu d'or. Droit (légende : FERDINANDVS. D(EI). G(RATIA). EPISCOPVS. LEOD(IENSIS) et revers (légende : SVPREMVS. DVX. BVILLONIENSIS. 16(13). 3. Teston d'argent de Bouillon. Droit (légende : FERDINANDVS DEI G(RATIA). EPISCOPVS. LEODI(ENSIS) et revers (légende : DVX. BVLLONIENSIS 16-1Z.XV). 4. Florin d'or de Bouillon. Droit (légende : FERDINANDVS. D(EI). G(RATIA). EPISCOPVS. LEODIE(NSIS) et revers (légende : DVX. BVLLONIENSIS 16-1Z). « Chiroux » et de « Grignoux », de porter des armes, de faire entrer des vagabonds étrangers dans la bourgeoisie (107), attestent la persistance de rancunes et de colères qui n'attendaient que le moment d'éclater. Les protestants provoquaient de nouvelles inquiétudes puisque, en 1643, il fallut imposer à tous les habitants l'obligation de faire profession de catholicisme. La surprise de Walcourt par les Français en 1646 rendit le parti populaire incapable de se contenir plus longtemps. Après une véritable bataille, dans laquelle deux cents hommes restèrent sur le carreau (108), les élections donnèrent le pouvoir aux « Grignoux ». Sous l'impulsion de Bex et de Bartel Roland, la « cité » brava l'évêque plus audacieusement que jamais. Le chancelier de Ferdinand fut assassiné, les échevins bannis. La commune substitua sa juridiction à celle des tribunaux ordinaires. On leva des impôts sur le clergé; on arrêta et on pilla les barques passant sur la Meuse. Mais la démocratie liégeoise n'allait pas tarder (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Ferdinand de Bavière. Ferdinand de Bavière, par la Grâce de Dieu, Archevesque et Prince de Cologne, Archichancelier de l'empire en Italie, Evesque de Paderborn, de Liège et de Monster (Munster). — Gravure de B. Moncornet (Rouen ? vers 1600-Paris, 1668). à voir se dissiper les illusions au milieu desquelles elle vivait depuis trente ans. Elle n'avait pas compris qu'elle ne devait ses succès qu'à l'appui de la France et des Provinces-Unies, en même temps qu'à l'impossibilité où s'était trouvé Ferdinand de Bavière, impliqué dans les guerres d'Allemagne, d'agir énergiquement contre elle. Confinés dans le cercle étroit de la politique locale et aveuglés par leurs passions, ses chefs ne voyaient point qu'elle ne puisait sa puissance que dans la force de ses protecteurs et dans les embarras de son prince. En réalité, elle se retrouvait dans la même situation qu'elle avait traversée au XVe siècle, lorsque, profitant des rivalités des maisons de France et de Bourgogne et de l'alliance de Louis XI, elle s'était crue capable de résister à Charles le Téméraire. Mais, cette fois comme alors, la politique étrangère ne l'avait encouragée et poussée en avant que par intérêt. Le moment était venu où les gouvernements de Paris et de La Haye, n'ayant plus que faire de ses services, allaient la laisser seule aux prises avec son évêque, comme Louis XI l'avait abandonnée jadis en face du terrible duc. Les traités de Munster et de Westphalie, en rétablissant la paix entre les Provinces-Unies et l'Espagne, entre l'empereur et le roi de France, ôtaient à ses patrons tout motif d'entretenir ses perpétuelles agitations et permettaient à l'évêque de tourner contre elle son armée jusqu'alors retenue aux bords du Rhin. C'en fut fait aussitôt de sa patience, qui avait si longtemps enhardi les « Grignoux ». Dès le 10 novembre 1648, Ferdinand déclara nulles toutes les décisions des cours de justice demeurées à Liège. En mai de l'année suivante, il interdit d'obéir aux « récès » de la « cité » et, le 28 juin, ces démonstrations n'ayant produit aucun effet, il se déclara prêt à recourir à la force. Au Un Sic hiunw tûigizs ibL.V: i*El)a/tla.ai Je Lz'R.veLU Excoss LeJieiv. 7p HiccXtXieiJS'XV] /4PR. , , -W.BfWKwi . IwdKttc tpû-h, InuidiH fLiège, Bibliothèque Publique, ms 137, frontispice.) Sébastien de La Ruelle sur son lit de mort. L'auteur de ce dessin a représenté par quelques traits à la fois naïfs et de facture grossière les coups de poignard dont fut percée la poitrine de La Ruelle. Dessin extrait de la Morte (sic) ou Assassinat très crue) de La Ruelle, en son temps Bourguemaitre de la Noble Cité de Liège. A(nno) 1637 D(omini). mois d'août, son neveu Maximilien-Henri paraît devant les remparts à la tête des troupes électorales (109). SOUMISSION DE LA « CITE ». - Les métiers durent bien constater alors la naïveté et l'imprévoyance de leur politique. Absorbés par leurs luttes civiles, ils n'avaient pas songé que la force ne cède qu'à la force et qu'il ne suffisait point de se déclarer neutres pour être perpétuellement à l'abri, ni de compter sur les secours de l'étranger pour les obtenir. Désarmés en face de leur prince dont ils avaient jusque-là, dans leur ignorance, méprisé l'apparente faiblesse, ils n'avaient plus qu'à accepter sa loi. Le 23 septembre 1649, le régime électoral de la « cité » était réformé de toutes pièces. Les métiers, comme incapables de songer au « bien et repos public », ne participèrent plus, depuis lors, à la nomination du magistrat. Les deux bourgmestres et les trente jurés de la ville furent choisis dans une liste de quarante-quatre personnes désignées en nombre égal par l'évêque et les commissaires de la « cité ». La juridiction du conseil fut abolie au profit des échevins. Les trente-deux métiers perdirent le droit de s'assembler, même à l'occasion des demandes d'impôts, et perdirent, en conséquence, la faculté de faire dépendre de leurs déci- sions la levée des subsides votés par les Etats du pays (110). Ainsi la liberté républicaine que les Liégeois, favorisés par les circonstances, avaient pu conserver si longtemps au milieu des troubles civils, s'affaissait sous le pouvoir supérieur du prince. Les forces de la « cité » étaient trop disproportionnées à celles d'un Ferdinand de Bavière. Elle eût pu se défendre sans doute contre un évêque local réduit à lutter au moyen de ses propres ressources, et peut-être même fût-elle parvenue à se faire reconnaître par lui comme ville libre impériale. Mais les combinaisons de la politique européenne, qui lui avaient donné pour prélat le puissant électeur de Cologne, avaient en même temps décidé de son sort. Elle ne parvint à le retarder que grâce aux péripéties des conflits internationaux qui lui fournirent l'assistance intéressée des ennemis de la maison d'Autriche. Hors d'état de s'imposer à son prince, cette petite démocratie ne pouvait en réalité subsister que dans l'anarchie et le désordre. Elle vécut au jour le jour, emportée par sa turbulente énergie, s'usant dans la lutte des partis sans rien fonder de stable ni de durable. Au milieu des violences perpétuelles d'une foule incapable de se maîtriser, l'existence d'un gouvernement normal était devenue impossible. Les « Gri-gnoux » ne vivaient pas seulement en insurrection permanente contre le prince : en prétendant dicter la loi aux Etats, ils se mettaient en opposition avec la principauté elle-même. La prolongation d'un tel état de choses eût amené à la longue la ruine du pays ou son démembrement. Le triomphe de Ferdinand de Bavière lui épargna l'une et l'autre. Le rétablissement de l'autorité princière ne fut, en somme, que la restauration de l'autorité de l'Etat. Au reste, l'évêque n'abusa pas de sa facile victoire. Il laissa subsister les privilèges de la « cité » et ceux du pays et se garda de bouleverser les institutions traditionnelles au profit de l'absolutisme. Néanmoins, il en fut, depuis lors, de la constitution liégeoise comme de celle de la Belgique. Tout en conservant ses vieilles formes, elle s'imprégna d'un esprit de plus en plus monarchique. Elle fut dominée par le pouvoir du prince, comme la ville de Liège elle-même fut désormais tenue en respect par la citadelle que Ferdinand ordonna de construire, en 1650, sur les hauteurs de Sainte-Walburge. NOTES (1) Histoire de Belgique, t. II (3e édit.), p. 270 ei suiv. (2) Ibid., t. III, (3® édit.), p. 159. (3) Weiss, Papiers d'Etat de Granvelle, t. VI, p. 330. (4) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. VII, [1870], p. 101. Cf. St. Bormons, Répertoire chronologique des conclusions capitulaires du Chapitre cathédral de Saint-Lambert, pp. 147, 149, 162, etc. (Liège, 1869-1875). (5) H. Lonchay, De l'attitude des souverains des Pays-Bas à l'égard du pays de Liège au XVI" siècle, p. 135 (Bruxelles, 1888). (6) L'un d'entre eux, Jean Stordeur de Liège, réfugié, à Bâle, y fut converti par Calvin qui, en 1540, épousa sa veuve, Idelette de Bure. (7) Lonchay, Les édits des princes-évéques de Liège en matière d'hérésie au XVIe siècle, dans Travaux du cours pratique d'histoire nationale de P. Fredericq, t. I, p. 25 et suiv. (Liège, 1883). (8) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3» série, t. III [1862], p. 400. (9) Dans ce cas, la peine de mort était parfois prononcée. Voy. J. Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVIe siècle, pp. 55, 61 (Liège, 1884). (10) Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVIe siècle, p 140. (11) Ibid., p. 206. (12) Par exemple André Bourlette, cité devant les échevins dès 1560, pour calvinisme. Sur ce curieux orangiste liégeois, voy. Bakhuizen van den Brink, Studiën en Schetsen, t. I [1863], p. 283 et suiv. (13) Mon exposé repose sur les faits fournis par Daris, op. cit., Thisquen, Histoire de la ville de Limbourg (Verviers, 1909), Rahlenbeck, L'Eglise de Liège et la Révo-' lution (Bruxelles, 1884), et sur d'intéressantes communications que je dois à la bien-veilllance de M. Fairon, conservateur adjoint du dépôt des archives de l'Etat à Liège. (14) J. Hansen, Rheinische Akten zur Geschichte des lesuitenordens, pp. 526, 533, 538, 552 (Bonn, 1896). (15) Voy. plus haut, p. 280. On peut citer à côté de Lumey, parmi les bourreaux de Gorcum, Jean d'Oumal, qui avait été chanoine à Liège. Voy. Paquot, Mémoires littéraires, t. VI, p. 4. (16) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3e série, t. III [1862], p. 395 et suiv. (17) Ed. Poullet, Correspondance de Granvelle, t. III, p. 7. (18) Bull, de la Comm roy. d'Hist., 3® série, t. III (1862), p. 402. (19) D'après M. L. Halkin, un tiers environ des chanoines, au XVI° siècle, étaient gradués. (20) Voy. une lettre de Laevinus Torrentius. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3e série, t. VII [1865], p. 246 et suiv. Cf. Bormans, Conclusions capitulaires, pp. 153, 263. On peut citer à côté de Torrentius, comme appartenant aux mêmes tendances et possédant la même culture littéraire, Charles Langius, appelé à Liège par Georges d'Autriche et qui y mourut en 1573. Il était lié avec Juste Lipse. Philologue et poète, il a laissé entre autres un poème sur la bataille de Lépante. (21) Hansen, Rheinische Akten, p. 552; Bormans, Conclusions capitulaires. p. 151. (22) Ce n'est pas d'une université, mais d'un séminaire qui eût été confié à des Jésuites, qu'il fut question alors. Voy. L. Halkin, Les Origines du Collège des lésuites et du Séminaire de Liège. Butletin de l'Institut Archéologique liégeois, t. LI (1927); p. 83 et suiv. (23) Gobert, Histoire des rues de Liège, t. III, p. 307 (Liège, 1895) ; Bormans, Conclusions capitulaires, p. 152. (24) R. Maere, Les origines de la nonciature de Flandre. Revue d'Histoire Ecclésiastique, t. VII [1906], p. 575. (25) B. de Mendoça, Commentaires, éd. Guillaume, t. I, p. 176 (Bruxelles, 1860). (26) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p. 224. (27) Marguerite de Valois, Mémoires, pp. 165, 170 (Paris, 1881). (28) Bormans, Conclusions capitulaires, p. 166. Voy. surtout Th. Gobert, Eaux et fontaines publiques à Liège, p. 70 et suiv. (Liège, 1910). (29) D'après Cunningham, Alien immigrants to England, p. 179 (Londres, 1897), ce serait un Liégeois, Godefroid Box, qui, vers 1590, aurait introduit la tréfilerie en Angleterre. On peut rappeler encore comme une preuve de l'influence de la métallurgie liégeoise dans ce pays le nom de « Jacques de Liège knife » donné à une espèce de couteau à ressort. Ibid., p. 180. (30) Mémoires, p. 150. (31) Bormans, Conclusions capitulaires, p. 283. Cf. J. Brassine, La population de Liège en 1650. Bullet. de l'Institut Archéolog. liégeois, t. XXXIII [1903], p. 232 et suiv. (32) Bullet. de la Soc. Verviétoise d'Archéologie et d'Histoire, t. VIII [1907-1909], pp. 65, 66, 69. (33) Bormans,Conclusions capitulaires, pp. 120, 137, 386, 516, 517, 534. (34) Languet, cité par M. Lossen, Der KSlnische Krieg. t. I, p. 717 n. (Gotha, 1882) ; Grotius, Annales, pp. 248, 250. (35) Histoire de Belgique, t. III (3° édit.), p. 234 et suiv. (36) E. Fairon, L'origine de l'industrie drapière verviétoise. Chronique de la Société Verviétoise d'Archéologie et d'Histoire, an. 1906, p. 77 et suiv. (37) Histoire de Belgique, t. II (3« édit.), p. 287. (38) On entendait par vote par sieulte (sequela) dans le pays de Liège, ce que l'on entend ailleurs par vote par « recès », c'est-à-dire un système de vote dans lequel on suppute les oui et les non en comptant le nombre des personnes qui sortent à la file de la salle des délibérations au moment du vote. (39) L. Polain, Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, 2» série, t. I, p. 307 (Bruxelles, 1869). (40) Chapeaville, Gesta episcop. Leod., t. III, p. 460. (41) Polain, loc. cit., p. 311. (42) Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVIe s. p. 325; Hénaux, Histoire du pays de Liège, t. II, p. 125 (Liège, 1856). (43) Mémoires, pp. 165, 166. Cf. encore Kervyn de Lettenhove, Relations politiques, etc., t. VIII, p. 476. (44) Lonchay, De l'attitude des souverains des Pays-Bas, etc., p. 164. (45) Mémoires de Metsius, dans Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p 763. (46) Ch. Defrecheux, Histoire de la neutralité liégeoise. Bullet. de l'Instit. Archéologique liégeois, t. XXXVII [1907], p. 159 et suiv. — Je ne puis croire avec M. Lonchay, De l'attitude, etc., p. 163 et suiv., que Groesbeek ait jamais été en principe partisan de la neutralité. Il s'y résigna faute de mieux. (47) Histoire de Belgique, t. III (3e édit.), p. 156. (48) Lonchay, De l'attitude des souverains des Pays-Bas, etc., p. 173. (49) Voy. Gachard, Correspondance de Philippe II, t. IV, p. 224. (50) Bormans, Conclusions capitulaires, p. 279. (51) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. V, p. 389. (52) Lossen, Der Kôlnische Krieg, t. I, p. 720. (53) Van Meteren, Histoires, fol. 202. (54) Bormans, Conclusions capitulaires, p. 187. (55) Les continuateurs de Foullon, Historia Leodiensis, t. III, p. 79 (Liège, 1737), mentionnent un de ses enfants naturels. Cf. sur les scandales de sa conduite. Lonchay La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas au XVIIe et au XVIIIe siècle, p. 27 (Bruxelles, 1890). Voy. aussi le joli portrait que Lossen (Der Kôlnische Krieg, t. I, p. 112) fait de lui. (56) Bezold, Briefe des Pfalzgrafen lohann-Casimir, t. II, p. 54 (Munich, 1884). (57) Lossen, Der Kôlnische Krieg, t. I, p. 741. — A Liège, il apostillait en italien les suppliques qui lui étaient remises. Daris, Histoire du diocèse de Liège pendant le XVIe sècle, p. 507. (58) Piot, Correspondance de Granvelle, t. VIII, p. 404. (59) Grotius, Annales, p. 179. Cf. en 1593 des reproches analogues dans Chapeaville, Gesta episcop Leod., t. fil, p. 578. (60) Lonchay, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas, p. 23. (61) Chapeaville, Gesta episcop. Leod., t. III, p. 570. (62) Lonchay, De l'attitude, etc., p. 225. (63) Duhr, Geschichte der fesuiten in den Lândern deutscher Zunge, t. I, p. 861 (Fribourg en Br., 1907). Cf. ibid., pp. 114, 140, 146, 417, 418, 766. (64) Chapeaville, Gesta episcoporum Leod., t. III, p. 536; Bormans, Conclusions capitulaires, p. 220; Polain, Ordonnances, 2e série, t. II, p. 99 (Bruxelles, 1871); A. Van Hove, Les statuts synodaux liégeois de 1585. Analectes pour l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. XXXIII, p. 5 et suiv. Cf. Daris, Histoire du diocèse de Liège pendant le XVIe siècle, p. 577 et suiv. (65) Lonchay, Les édits des princes-évêques de Liège, etc., loc. cif. — En 1595, le seigneur de Hollogne-aux-Pierres et sa femme sont accusés d'hérésie et cependant on ne les inquiète pas. Voy. L. Jeunehomme, Hollogne-aux-Pierres, p. 96 (Liège, 1912). A Liège même, le peintre Taulier, mort vers 1635, quoique protestant, travaille pour les couvents et jouit de la considération générale. J. Helbig, L'Art mosan, t. II, p. 32. (66) Philippe de Hurges, Voyage i Liège et à Maestricht en 1615, p. 65 (Liège, 1872). (67) Hénaux, Histoire du pays de Liège, t. II, p. 137. (68) St. Bormans, Chambre des finances des princes de Liège. Table des registres aux octrois, p. 4 (Liège, 1865). (69) Daris, Histoire du diocèse de Liège pendant le XVIe siècle, p. 504. (70) Ils étaient extrêmement nombreux à Liège où, vers 1622, on en comptait environ 205. Daris, Histoire du diocèse de Liège pendant le XVIe siècle, t. II, p. 425. (71) Polain, Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, 2e série, t. II, p. 246 et suiv. (72) Continuation de Foullon, Historia Leodiensis, t. III, p. 5. (73) Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, éd. de Robaulx de Soumoy, t. I, p. 220 (Bruxelles, 1872). Cf. Mémoire concernant les négociations de la France relatives à la neutralité du pays de Liège en 1630, éd. J. Helbig, p. 13 (Liège. 1875) : * Les bourgmestres sont plus souverains que le prince ». (74) Il est l'auteur de la Refutatio per modum informations dumtaxat pro parte serenissimi electoris Coloniensis, principis Leodiensis, etc., o ppositionum civitatis suae Leodiensis (Ingolstadt, 1630). (75) Polain, Ordonnances de la principauté de Liège, 2e série, t. II, p. 350. (76) Histoire de Belgique, t. III (3* édit.), p. 150. (77) Bormans, Chambre des finances, p. 47 et suiv. — La même année, le jurisconsulte Laurent Bertholet rédigeait, contre les prétentions du prince, son Concilium juris que la « cité » fit publier en 1644. (78) En 1640, un agent de Richelieu écrit que les Liégeois « se laissent entendre de faire une huitième province des Estats [des Provinces-Unies] pourveu que l'on attaque à mesme temps leur prince ». Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., lre série, t. XIII [1847], p. 345. (79) Continuation de Foullon, Historia Leodiensis, t. III, p. 31. (80) Il s'appelait en réalité Louis René de Ficquelmont et était proche parent du comte de Grandpré, abbé séculier de l'abbaye de Mouzon, charge dont il hérita et sous l'appellation de laquelle il fut connu dans le pays de Liège. Cf. Th. Gobert, Le rôle de la France dans le pays de Liège durant le second quart du XVIIe siècle. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. XLI [1911], p. 1 et suiv., voy. l'article de M. Paul Harsin, Esquisse de la politique de la France à l'égard de la principauté de Liège particulièrement au XVIIe siècle. Revue d'histoire moderne. 1927, n" 8. (81) Lonchay, La principauté de Liège, la France et tes Pays-Bas, p. 37. (82) Polain et Bormans, Ordonnances de la principauté de Liège, 2e série, t. III, p. 80 (Bruxelles, 1872). (83) St. Rausinus, Ad sacratissimam Caesaream Majestatem inclytae civitatis Leodiensis delegatio (Liège, 1629). L'auteur s'efforce de prouver que Liège est une ville libre d'Empire affranchie au temporel de la souveraineté de l'évêque. (84) Bormans, Conclusions capitulaires, p. 392. (85) Ibid., pp. 397, 398. (86) Lonchay, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas, p. 38. (87) Mémoires, etc., éd. Helbig, p. 24. Cf. Lonchay, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas, p. 44 et suiv. Un agent de Richelieu, Fancan, proposait dans un Mémoire sur les Affaires d'Allemagne, de «pratiquer avec la ville de Liège à ce qu'elle requière du roi une ligue en forme de protection afin de la retirer peu à peu d'avec l'Espagne». Revue Historique, t. CVII [1911], p. 77. (88) Polain et Bormans, Ordonnances de la principauté de Liège, 2e série, t. III, p. 98 (Bruxelles, 1872). (89) Ibid., p. 99. (90) Lonchay, La principauté de Liège, etc., p. 175. Cf. M. G. de Boer, Die Friedensunterhandlungen zwischen Spanien und den Niederlanden in den Jahren 1632 und 1633, p. 23 (Groningue, 1898), et Waldack, Historia provinciae Flandro-Belgicae Societatis Jésus, p. xix. (91) Waddington, La République des Provinces-Unies, etc., t. I, p. 120. — Ferdinand chercha d'ailleurs à se disculper. Dans une lettre que M. Th. Gobert veut bien me faire connaître, il déclare n'avoir rien omis auprès de Pappenheim a pour divertir son armée du passage du Rhin et avoir toujours voulu observer la plénière neutralité du pays ». (92) Cette influence des protestants dans les événements liégeois depuis 1632 a échappé aux historiens. Elle a pourtant été fort sensible. Tout d'abord, la liberté religieuse dont on jouissait en fait à Liège (voy. p. 314) y permettait la présence de bien des dissidents. C'était un protestant que le fameux Louis de Geer qui quitta la « cité » en 1615 pour aller fonder à Amsterdam son étonnante fortune et, parmi les ouvriers qu'il embaucha pour les mines de Suède durant les années suivantes, un grand nombre appartenaient aussi à la Réforme. Cf. P. Perhrsson, De till sverige inflyttade Vallonernas religiôsa fôrhallanden (Upsala, 1905). Depuis 1632, on multiplie les édits contre les hérétiques, preuve évidente de la surexcitation de ceux-ci. Il en est ainsi en 1632, 1633, 1641. Voy. Bormans, Conclusions capitulaires, pp. 418, 420, 422, 424, 425, 496. En 1633, il est question (ibid., p. 430) d'un agent du prince d'Orange qui cherche à agiter les protestants liégeois contre ces édits. La correspondance de l'avocat de Marche aux Archives Générales du Royaume (Pap. d'Etat et de l'Audience, n° 645), fait bien apparaître l'importance de ce mouvement. Pour un épisode curieux de l'histoire de ce protestantisme liégeois encore si mal connu, voy. l'étude récente de E. Fairon, L'Affaire Blanjean. Bullet. de la Soc. Verviétoise d'Hist. et d'Archéolog., t. XI [1910], p. 115 et suiv. On consultera aussi sur ce point : La famille Del Court van Krimpen, réfugiés de Verviers, leur rôle dans l'industrie drapière en Hollande au XVII° et au XVIIIe siècle, etc., p. 52 et suiv. (Arnhem, 1916). (93) Polain et Bormans,Ordonnances de la principauté de Liège, 2° série, t. III, pp. 114, 116. (94) Continuation de Foullon, Historia Leodiensis, t. III, p. 52. (95) L'appellation de « Chiroux » viendrait du nom d'une espèce d'hirondelle. « Grignoux » est synonyme de grognon. (96) Lettre de de Marche du 26 juin 1634. (97) Lettre du même du 7 mai 1634. (98) Lonchay, La principauté de Liège, etc., p. 53 et suiv. M. Lonchay ne parle que des rapports de La Ruelle et de ses partisans avec la France, mais ils agissaient aussi d'accord avec les Provinces-Unies. La correspondance de de Marche ne cesse de l'affirmer. (99) Lonchay, op. cit., p. 179. (100) Il aurait voulu le voir dueno obsoluto, Lonchay, op. cit., p. 175. Cf. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2c série, t. III [1852], p. 154, 155. (101) E. Gachet, L'assassinat du bourgmestre de Liège Sébastien La Ruelle, Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2e série, t. III [1852], p. 132 et suiv. (102) Ernst, Tableau historique des suffragants de Liège, p. 192 (Liège, 1806). (103) Pour l'innocence des Jésuites dans l'événement, voy. A. Poncelet, La Ruelle et les Jésuites de Liège. Bullet. de la Soc. des Bibliophiles liégeois, t. VIII, 1910. (104) Bullet. de la Commiss. royale d'hist., 2® série, t. III [1852], p. 168. (105) Ibid., p. 183; Lonchay, La principauté de Liège, etc., p. 69. (106) Polain et Bormans, Ordonnances de la principauté de Liège, 2e série, t. III, p. 131. (107) Ibid., pp. 136, 137, 142. (108) Hénaux, Histoire du Pays de Liège, t. II, p. 200. (109) M. Huisman, Essai sur le règne du prince-évêque de Liège Maximilien-Henri de Bavière, p. 36 et suiv. (Bruxelles, 1899). (110) Polain et Bormans, Ordonnances de la principauté de Liège, 2® série, t. III, p. 169. LIVRE VII LA CIVILISATION PAYS-BAS CATHOLIQUES (Florence, Galerie des Offices.) (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) Rubens peint par lui-même à l'âge de cinquante-quatre ans (1624). Rembrandt peint par lui-même à l'âge de quarante-six ans (1652). Rubens et Rembrandt : « Le rapprochement de ces deux grands noms fait ressortir à merveille le contraste des Pays-Bas du sud avec ceux du nord » (voyez texte ci-dessous). INTRODUCTION 'EST durant le long repos de la Trêve de Douze ans que les Provinces-Unies et la Belgique catholique achevèrent de devenir deux nations distinctes et de prendre leur physionomie caractéristique. Les tendances opposées qui les travaillaient et dont la guerre avait contrarié jusqu'alors le plein épanouissement s'expriment désormais d'une manière irrécusable dans la civilisation de chacune d'elles. Tandis que la République manifeste son ardeur protestante par la lutte des Arminiens et des Gomaristes et son activité politique par le conflit du prince d'Orange et des Etats généraux, sa vie économique s'épanche avec une force incomparable. Et en même temps quelle devient la première puissance maritime et la première puissance capitaliste du monde, ses énergies spirituelles, excitées par l'essor général de la société et par l'exemple de la brillante pléiade des calvinistes belges qui sont venus chercher un asile sur son sol hospitalier, s'affirment glorieusement par une efflo-rescence scientifique et littéraire que surpassera bientôt celle de l'art. Rembrandt naît à Leyde en 1606, deux ans avant l'établissement de Rubens à Anvers, et le rapprochement de ces deux grands noms fait ressortir à merveille le contraste des Pays-Bas du sud avec ceux du nord. Comme la peinture de Rubens, en effet, la Belgique du XVIP siècle est catholique et monarchique. L'Eglise, étroitement alliée au prince, la domine tout entière et la marque profondément de son empreinte. Elle met à profit les années de la Trêve pour s'organiser et elle déploie autant de vigueur à multiplier ses ordres religieux, ses fondations charitables, ses institutions d'enseignement, que les marchands d'Amsterdam à équiper des flottes et à créer des comptoirs. La construction de nouveaux couvents et de rutilantes églises en style baroque transforme l'aspect des villes. Les Universités de Lou- vain et de Douai s'inspirent d'une stricte orthodoxie et manifestent une obéissance absolue à l'égard de la papauté; les Jésuites ouvrent leurs collèges aux fils de la bourgeoisie et de la noblesse, tandis que les écoles dominicales dispensent aux enfants du peuple l'instruction religieuse. Nulle part, l'union de l'Eglise et de l'Etat n'apparaît aussi intime, aussi confiante qu'à la cour d'Albert et d'Isabelle. Et cette étroite entente ne s'explique pas seulement par la conviction personnelle des princes; elle correspond encore à leur intérêt. Car la restauration catholique, en faisant disparaître le calvinisme, a fait disparaître du même coup les idées républicaines qui s'étaient répandues avec lui. Partout où elle triomphe, elle s'en prend à la doctrine des monarchomaques. Au lieu de placer dans le peuple l'autorité souveraine; elle la fait dériver de Dieu, qui la confie aux souverains. Dès lors, les progrès de l'orthodoxie coïncident nécessairement avec ceux du pouvoir monarchique. Le prince ne dépend plus de ses sujets et se trouve placé hors de leurs atteintes. Ils doivent lui obéir comme lui-même doit obéir à Dieu, c'est-à-dire à l'Eglise qui le représente ici-bas. Ce n'est que s'il désobéit aux ordres de Dieu, soit en tombant dans l'hérésie, soit en se livrant à une tyrannie incompatible avec la justice et la charité chrétiennes, qu'il peut être légitimement déposé. Le seul contrôle qui s'exerce sur lui est celui du pape, vicaire de Jésus-Christ sur la terre, et il en résulte que l'absolutisme, tempéré seulement par les préceptes de la religion, devient la règle de l'Etat catholique. Cet absolutisme, Albert et Isabelle l'ont revendiqué aussi nettement que les autres souverains de leur temps, mais il s'en faut qu'ils l'aient réalisé dans toute son étendue. Sous eux, comme sous les gouverneurs espagnols qui leur ont succédé, la constitution du pays a présenté un mélange, à doses d'ailleurs fort inégales, de monarchie pure et de libertés traditionnelles. Le pouvoir souverain s'est emparé complètement de l'administration centrale, mais il a respecté, dans les provinces, des franchises qui ne pouvaient plus lui porter ombrage et qui, peu à peu, se sont laissées adapter aux conditions du nouveau régime. Comparé à celui de la France ou de l'Espagne, le système politique qui s'est établi en Belgique durant la première moitié du XVIIe siècle, peut être désigné avec exactitude comme un absolutisme modéré (1). En dépit de l'autonomie qui lui a été laissée, la nation n'a point tardé cependant à tomber dans l'inertie. Le sentiment civique, si vivant au XVIe siècle et qui continue à s'épanouir avec tant de vigueur dans les Provinces-Unies, s'atténue rapidement, puis disparaît dès la fin des guerres de religion. C'est que, soumis à la suzeraineté et, depuis la mort de l'archiduc Albert, à la souveraineté de l Espagne, le gouvernement des Pays-Bas catholiques est abandonné à la direction d'une puissance étrangère et qu'il lui manque par cela même la liberté d'allures indispensable à un gouvernement national. Dans toutes les questions essentielles, il ne fait qu'exécuter les ordres qu'il reçoit de Madrid et, plus on va, plus sa subordination s'accentue. Aussi évite-t-il soigneusement de se mettre en rapport avec l'opinion publique, qui ne manquerait point d'exiger de lui, comme l'ont prouvé les Etats généraux de 1598, de 1600 et de 1632, des actes incompatibles avec les intérêts espagnols. Par nécessité, il s'isole du peuple, s'efforce de lui dérober ses desseins, le confine dans la monotonie de l'administration provinciale. Si désireux qu'ils aient été du bien de leurs sujets, Albert et Isabelle ont vécu pourtant en étrangers au milieu d'eux, se contentant de représenter Philippe III à Bruxelles comme ils l'eussent fait à Lisbonne, à Naples ou à Milan. Plus tard, les gouverneurs espagnols n'ont guère été que des généraux campés au milieu des provinces et sans le moindre contact avec elles. Perpétuellement absent, le roi ne révélait sa lointaine existence que par les « mercèdes », les pensions et les titres de noblesse qui entretenaient, en excitant l'appétit de l'argent ou des honneurs, le loyalisme de Varistocratie et le dévouement des fonctionnaires. Ailleurs, les sentiments dynastiques tiennent lieu de patriotisme et le roi passe pour l'incarnation de son peuple. En Belgique, la fidélité passive que l'on porte à un Philippe III ou à un Philippe IV ne s'explique que par la tradition historique, l'habitude prise, la résignation à l'inévitable. Et l'indifférence de la nation pour le souverain n'a d'égale que l'indifférence du souverain pour la nation. Il suffit au roi d'avoir ramené le pays au catholicisme et à l'obéissance. Pourvu que les provinces paient régulièrement l'impôt, il se désintéresse de leurs affaires. Il ne demande à ses gouverneurs que de veiller au ravitaillement des troupes et à l'entretien des forteresses. L'acharnement qu'il met à défendre dans le nord les débris du prestige et de la puissance espagnols contraste avec son apathie et son incurie dans tout le reste. Depuis la mort d'Albert, plus une réforme administrative, pas un effort sérieux pour relever le commerce et l'industrie, pas la moindre marque de bienveillance à l'égard des malheureuses populations condamnées à une guerre perpétuelle et de plus en plus désastreuse. Chose inouïe ! Le trafic avec les Indes restera même jusqu'en 1640 interdit aux Belges. Le peu de traces qu'a laissées « par deçà » la domination espagnole suffit d'ailleurs à en prouver la stérilité. Quelques noms de famille, quelques inscriptions funéraires, quelques correspondances dans les archives, c'est à peu près tout ce qu'il en subsiste (2). De la civilisation qu'ont si brillamment exprimée Vélasquez et Cervantès, les Pays-Bas n'ont rien entrevu ! L'affaissement de l'énergie nationale n'apparaît d'ailleurs en pleine lumière qu'à partir du milieu du XVIIe siècle. Sous le règne des archiducs, l'éclat des arts, l'activité déployée par l'Eglise dans tous les domaines de la vie sociale, les efforts tentés grâce à la Trêve pour ranimer le commerce et l'industrie dissimulèrent les premiers symptômes de la décadence économique et politique. Mais durant les années suivantes, le déclin est aussi général que lamentable. L'appauvrissement, l'incertitude du lendemain, les désastres des guerres tarissent toutes les sources de la vitalité du pays. Sous le coup des malheurs qui l'accablent, il se réfugie dans la religion. L'Eglise absorbe ses meilleurs esprits et seule entretient encore un mouvement intellectuel qui finira bientôt par s'arrêter lui-même au milieu de l'atonie universelle. (Bruxelles, Musée communal.) (Cliché A.C.L.) L'archiduchesse Isabelle assistant à la procession de Notre-Dame de Laeken. Des religieuses, la tête recouverte d'un voile blanc, escortent la statue de Notre-Dame de Laeken. Isabelle, en habit de Clarisse, a pris place derrière la statue, suivie de hallebardiers et des seigneurs de sa cour. Tableau peint par N. Van der Horst (Anvers, 1587 ou 1598-Bruxelles, 1646). CHAPITRE PREMIER LA SITUATION RELIGIEUSE fECLIN RAPIDE DU PROTESTANTISME. — Les capitulations imposées par Alexandre Farnèse aux villes reconquises décidèrent du sort du protestantisme en Belgique. La foi nouvelle n'avait pas jeté de profondes racines dans le plat-pays. Tout au plus s'était-elle introduite çà et là, à la faveur de circonstances qui nous échappent, dans quelque village reculé. Il en fut ainsi, par exemple, à Dour dans le Hainaut, à Hoorebeke-Sainte-Marie, à Maeter, à Etichove et à Estaires en Flandre, à Hodimont dans le Limbourg, qui ont conservé jusqu'à nos jours leurs vieilles communautés réformées. Mais en somme le calvinisme n'eut point le temps de se répandre dans les campagnes. Si, dans les environs des grandes agglomérations, le culte catholique fut désorganisé soit de parti pris, soit le plus souvent par suite de la guerre, qui entraîna la dévastation de quantité d'églises, il apparut, dès le retour des Espagnols, qu'il avait gardé tout son empire sur les masses rurales. Le calvinisme ne fut donc, comme le christianisme lui-même à ses origines, qu'une religion de citadins. Encore VIN D EX BELG11. Jspice quaâruptàm D OM.INVM cmsi/lfrr ceh& Mole fui, magnas^ pedum HBrare columms : Huie turpes Musca rndynum ; ransq loquaces . Intentant, ran< Radios,jet spicula musc*. Stat Léoy dtffugiunt ilù, louis aies ab alto Despicit, atç jugam vulgi deridet inertis. Be\gica terra Léo r/ï, nuper cui vmit ah oris Hesperij's Ryale decus, pretiumq Coron*. Turba moleAa ruunt; pertes, quç castra Tonantts Dereruert, tu* coémt Hollandia, Ran*A Quascfr breui repetent, audent liqairse lacunar. Stat Recjina auium, praûo cum Ctsaris amis Esse cupit; rerum prohibet sed cura suarum : At uidet imbelles, aawletcb {marier ho/les. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) VINDEX BELGII : Le Lion Belgique, ceint de la couronne d'Isabelle, écrase les rebelles. Aux pieds du lion, sommé de l'aigle impériale, les Rebelles; les hérétiques (Varii heretici) s'agitent autour de lui sous forme de mouches et de moustiques. — Gravure éditée par Sadeieer en 1599. se trouvait-il bien loin, au moment où il dut céder à la force, de posséder la majorité des populations urbaines. Si exclusive qu'ait été sa domination dans la plupart des villes de la Flandre et du Brabant, il n'y pouvait compter que sur un nombre fort restreint d'adeptes sincèrement convaincus. S'appuyant sur les patriotes, un petit groupe de vrais croyants étaient parvenus, grâce à leur énergie et à leur audace, à s'emparer du pouvoir. Leur ascendant politique s'était transformé bientôt en un ascendant religieux. Par haine de l'Espagne, les catholiques avaient d'abord fermé les yeux. Lorsqu'ils voulurent protester, il était trop tard. Ils durent assister impuissants à la dispersion de leur clergé, à la fermeture de leurs sanctuaires, à la proscription de leur culte. Les plus riches ou les plus fervents d'entre eux émigrèrent. Les autres, et ce furent naturellement les plus nombreux, se résignèrent à l'inévitable. Beaucoup même donnèrent des gages à la religion triomphante. Les pauvres surtout, pour n'être point exclus des secours de la bienfaisance publique, se mirent à fréquenter les prêches et à envoyer leurs enfants aux écoles réformées. Mais cet état de choses ne dura point assez longtemps pour pouvoir substituer en Belgique, comme il le fit en Hollande, la religion nouvelle à l'ancienne. Il ne suffit pas de sept ou huit ans pour transformer la foi d'un peuple. Sauf à Anvers, où s'étaient réfugiés les calvinistes expulsés des autres villes du pays, la plus grande partie des bourgeoisies était encore catholique au fond du cœur au moment des victoires de Farnèse. Tous ceux qui, par prudence, par intérêt ou par nécessité avaient feint de se convertir, se réconcilièrent avec l'Eglise. A Nieuport, avant le siège, on estimait à trois mille le nombre des protestants; après la capitulation, il ne s'en trouva plus que trois (3). Partout les évêques se félicitent de la ferveur des populations. En 1585, à Bruges et à Gand, les églises sont tellement encombrées de Réformés demandant la confession que les prêtres ont à peine le temps de dire la messe (4). A Anvers même, dès 1588, Laevinus Torren-tius constate que le catholicisme, presque éteint deux ans auparavant, se ranime de jour en jour (5). A cette date, il est vrai, presque tous les dissidents à qui l'ardeur de leur foi interdisait une abjuration avaient vendu leurs biens et émigré en Hollande et en Zélande. En 1585, la seule communauté calviniste de Middelbourg s'enrichit (Cliché Lichtbeeldeninstituut.) Temple calviniste à coupole : la Marekerk à Leide. Construit par l'architecte A. van 's Gravesande de 1639 à 1649. Ce type de l'architecture religieuse calviniste des Pays-Bas du Nord a été invoqué par Pirenne (voyez p. 258 et p. 264 n. 129). de onze mille cent cinquante-cinq nouveaux membres (6). L'année suivante, le duc de Leicester autorisait cent trente-six familles wallonnes, déjà réfugiées à Anvers, à s'établir dans les Provinces-Unies (7). A Gand, le bruit courait que neuf mille passeports avaient été demandés après la prise de la ville, et pendant longtemps un tiers des maisons y demeurèrent vacantes (8). Ce ne sont là que des indications bien incomplètes et qui ne permettent point d'établir avec quelque approximation le chiffre des protestants qui quittèrent le pays. On l'a porté sans preuves suffisantes à plus de cent mille personnes, et cette évaluation est d'autant moins admissible qu'un nombre considérable d'émigrés rentrèrent en Belgique durant les dernières années du XVIe siècle (9). Mais si l'exode ne semble point avoir été très important en quantité, il le fut, en revanche, en qualité. La plupart des calvinistes convaincus appartenaient à la bourgeoisie lettrée, au grand commerce ou à l'élite des artisans. Leur départ appauvrit le pays d'une bonne partie de ses éléments les plus instruits et les plus actifs. Il suffit pour s'en convaincre de songer aux services que rendirent à la Hollande, soit dans la politique, soit dans les arts, soit dans le commerce ou la navigation, des réfugiés tels que le Bruxellois Frans van Aerssen, le Gantois Daniel Heinsius, les Tournaisiens Jacques et Isaac Lemaire, le Brugeois Simon Stévin, les Anversois W. Usse-lincx, G. van Coninxloo et combien d'autres! (10). LE PROTESTANTISME ET LA TREVE DE DOUZE ANS. - Naturellement, tous les Réformés ne préférèrent point l'exil à l'obligation d'assister impuissants au triomphe de l'Eglise. Beaucoup d'entre eux agirent comme la majorité des catholiques l'avait fait durant la période calviniste. Ils abjurèrent en apparence tout en conservant secrètement leur foi (11). La trêve de 1609, en rétablissant la liberté des communications entre la Belgique et les Provinces-Unies, permit même à ceux des villes proches de la frontière, de reprendre contact avec leurs coreligionnaires du Nord. Sous prétexte de commerce, de marché, de visites ou de promenades, ils se rendaient de Gand et d'Anvers à Lillo ou à Ardenbourg, y assistaient aux prêches, y faisaient baptiser leurs enfants par les pasteurs ou s'enhardissaient jusqu'à y acheter la bourgeoisie pour pouvoir revendiquer le droit de pratiquer leur culte (12). En 1610, le troisième synode du diocèse d'Anvers constatait qu'il était devenu impossible d'empêcher les rapports de la population avec les hérétiques (13). Les consistoires de Hollande et de Zélande ne manquèrent point de profiter des circonstances. En dépit du traité (Bruges, église Notre-Dame.) (Cliché Pichonnier.) La procession du Saint-Sacrement à Bruges en 1599. Le Saint-Sacrement est escorté de treize seigneurs : Gaspard de Reulz, Henri Van Zandycke, Clément de Moor, Philippe Dongnies, Paul Van Praet, Olivier Revlof, Quentin Criol, Adrien Codde, Frans Van Thienen, Jean De Smet, Jean de Tollenaere, Josse Yzenbaert, Nicolas Van Thienen. Tableau peint par Antoine Claeissins (Bruges, vers 1536-1613). ils entretinrent une propagande assez active en Flandre et en Brabant, et l'on reprochait aux autorités de la République de soutenir, dans les doyennés de Bréda et de Berg-op-Zoom, une véritable campagne contre le catholicisme (14). Le gouvernement ne pouvait fermer la frontière aux ministres calvinistes, et il était bien difficile de surveiller leur conduite dès qu'ils étaient arrivés dans les provinces. Un placard de 1617, leur ordonnant de se faire connaître au magistrat des villes par lesquelles ils passaient, montre à quelle défiance ils étaient en butte (15). C'est en vain qu'un autre placard, dès la première année de la Trêve, avait défendu les discussions religieuses (16); en vain que l'on cherchait à empêcher des brochures attaquant l'Eglise de s'infiltrer parmi le peuple (17); en vain que l'on interdisait, sous peine d'amende arbitraire et de bannissement perpétuel, de tenir des prêches ou d'y prendre part (18). La recrudescence du protestantisme allait jusqu'à se trahir par la diminution du nombre des enfants fréquentant le catéchisme. A Gand, en 1620, dans certaines paroisses, on constatait que plus des deux tiers des élèves s'absentaient des écoles dominicales (19). On put (Anvers, Eglise Notre-Dame.) (Cliché Lammens.) Crucifix de bronze fondu vers 1635 par Jean Goethals de Malines et exposé autrefois sur la place du Meir à Anvers. Ce crucifix aurait été fondu à l'aide des restes de la statue que le duc d'Albe s'était fait ériger sur la citadelle d'Anvers (reproduite p. 273). même craindre, pendant un moment, de dangereux désordres. En 1609, on avait surpris des prêches anabaptistes tenus pendant la nuit entre Meerendré et Lovendegem, et, l'année suivante, le Conseil de Flandre faisait appréhender un individu coupable d'avoir insulté les images dans l'église de Gontrode (20). DISPARITION DU PROTESTANTISME. - La reprise de la guerre isola de nouveau le protestantisme belge et mit fin à la fermentation qui s'était emparée de lui. Cependant, en 1627, le promoteur d'Ypres se plaignait encore de ce que l'hérésie pullulât le long de la mer et dans les villes maritimes (21). L'exagération de ces paroles est manifeste. Il est certain toutefois, que, jusqu'au delà du milieu du XVIIe siècle, les restes des anciennes communautés réformées continuèrent à végéter à Tournai, à Valenciennes, à Gand, à Bruxelles et à Anvers et dans quelques autres localités flamandes et brabançonnes. La prise de Maestricht et des places voisines par Frédéric-Henri, en 1632, eut pour résultat un mouvement protestant assez actif, mais passager, dans le pays de Liège et dans le Limbourg. Enfin, après la paix de Munster, le gouvernement dut consentir à laisser les Hollandais séjournant en Belgique vivre conformément à leur religion, pourvu qu'ils s'abstinssent de scandale (22). Quelques protestants de Tournai et de Valenciennes espérèrent vainement pouvoir bénéficier de la même tolérance en se faisant affilier à la bourgeoisie de l'une ou l'autre ville hollandaise (23). Mais la modération que la politique imposait à l'égard de la République ne fut point étendue aux nationaux. Si, par crainte de soulever des protestations à La Haye, on laissa subsister les petites communautés évangéliques de Dour et de Hoo-rebeke, et s'il fut permis aux dissidents du duché de Limbourg de partager avec les catholiques les cimetières d'Eupen et de Hodimont malgré les remontrances des curés (24), partout ailleurs on continua de proscrire de façon absolue tout culte non orthodoxe. En 1655, un placard expulsait encore du pays les ministres qui s'y glissaient de loin en loin pour entretenir la foi solitaire des derniers descendants des Gueux (25). La rareté même de ces débris atteste à quel point le protestantisme avait succombé en Belgique sous le principe de la religion d'Etat. Les difficultés qu'il devait encore par la suite susciter au gouvernement n'eurent pour cause que l'intervention des Provinces-Unies en faveur de leurs sujets. A une époque où la religion du prince déterminait celle du peuple, sa disparition était fatale du jour où le pays était rentré sous la domination du roi d'Espagne. A la fin du XVIe siècle, l'Eglise et la Réforme ayant pris position en face l'une de l'autre, ce n'est plus par la propagande personnelle, mais par les armes et par la politique que la lutte continuait entre elles. Dès lors, la répression terrible par laquelle on avait cherché jadis à défendre l'unité religieuse n'était plus qu'une barbarie inutile et une cause de désordres. L'Etat se borna à imposer son culte en même temps que sa souveraineté, et par les mêmes moyens. Il renonça à faire périr les dissidents; il se contenta de les frapper de mort civile et d'aider l'Eglise à les convertir. MESURES PRISES CONTRE L'HERESIE. - Au reste, les sanglants placards de Charles-Quint ne furent point abolis : on les laissa tomber en désuétude. Durant les dernières années du XVIe siècle, la terreur que les Anabaptistes continuaient à inspirer provoqua encore quelques supplices. En 1588, le Conseil de Flandre ordonnait de poursuivre rigoureusement les membres de la secte subsistant dans les environs de Hondschoote (26); l'année suivante, deux d'entre eux ayant été arrêtés par les échevins de Gand, il n'hésita pas à prescrire de les mettre à mort (27); enfin, en 1597, une anabaptiste, Anna Hove, était enterrée vive à Bruxelles (28). Avec cette exécution se clôt le long martyrologe du protestantisme belge. Peu à peu même les tribunaux cessèrent de poursuivre les dissi- Horrenda inhumanitatis çenera àGeufijs Belgicis pera&a. En(è fatigatîs y cibles mutât ht in ignés, Nec fatis eft, numéro c&dis laboY obruitidem. Vertmtuv leti ïfecies, ne temperet iras Laffki, emeritui froducat jmevtt liftor. Hic fY&ceps animam rapt dis exfyirat in candis, file (ho cywus eompomtfitœ Jefrdcro._ (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Supplices infligés par les « gueux belges » à des moines catholiques. Pieds et mains liés, les uns sont jetés vivants dans un cours d'eau. D'autres moines sont enterrés vivants ; leurs têtes servent de point de mire aux gueux jouant au jeu de boules. Planche extraite de R. Versteganus : Theatrum crudelitatum haereticorum nostri temporis (Anvers, 1592, in-4°), p. 63. dents inoffensifs; ils n'intervinrent plus que dans le cas de manifestations d'hostilité au catholicisme, lesquelles, en qualité de délits contre la tranquillité publique, furent punies d'amendes ou de châtiments corporels tels que la fustigation (29). Leur zèle devint même bientôt si tiède à cet égard qu'un placard dut leur enjoindre, en 1614, de montrer plus de sévérité. De leur côté, les juges ecclésiastiques manifestaient leur mécontentement du peu d'assistance que leur prêtaient les fonctionnaires civils (30). En fait, depuis le commencement du XVIIe siècle, l'Etat réduisit presque exclusivement son rôle à celui d'un simple auxiliaire de l'Eglise pour la conversion des hérétiques. Déjà en 1585, Farnèse avait convoqué à Louvain une assemblée de Jésuites et de représentants des ordres mendiants en vue d'étudier avec eux les meilleurs moyens de ramener à la foi les protestants de Valenciennes, de Tournai, de Gand et d'Anvers (31). Le triomphe du catholicisme et l'établissement de son organisation conformément aux réformes promulguées à Trente fournirent d'ailleurs presque aussitôt des moyens excellents de police et de propagande religieuses. Les synodes diocésains imposent aux parents l'obligation d'envoyer leurs enfants aux écoles dominicales sous peine d'être privés des secours distribués par les tables du Saint-Esprit (32); recommandent de n'admettre comme sages-femmes que des catholiques éprouvées et de leur faire prêter serment de veiller à ce que les enfants qu'elles aideront à mettre au monde soient baptisés; rappellent aux curés l'obligation qui leur incombe de dénoncer aux évê-ques leurs paroissiens infectés d'hérésie ou s'abstenant de participer aux cérémonies du culte; soumettent l'imprimerie et la librairie au contrôle rigoureux (Londres, Public Record Office, Colonial Office, General Sériés (CO I), Vol. 1, n° 54 A.) Signatures de pétitionnaires calvinistes hennuyers sollicitant du gouvernement anglais l'autorisation de fonder une colonie wallonne en Virginie sous la direction de Jesse de Forest (juillet 1621). A côté de la signature de Jesse de Forest, teinturier, père de cinq enfants, l'on dénombre celles de cinquante-cinq pétitionnaires originaires du Hainaut, pour la plupart, mariés ou célibataires, pères de famille ou non, appartenant à toutes les professions : Martin Framerie, musicien, père d'un enfant; Grégoire Le Jeune, cordonnier, père de quatre enfants; Martin Carpentier, fondeur de cuivre; Philippe Campion, drapier, père d'un enfant; Jean Le Roux, imprimeur, père de six enfants; Jacques de Lecheilles, brasseur, «homme à marier; P. Gantois, étudiant en théologie, «jeune fils»; Gillain Broquoy, laboureur; M. de la Montagne, étudiant en médecine; Claude Ghiselin, tailleur, «jeune fils»; Adrien Barba, teinturier, père de quatre enfants; E. Catoir, peigneur, père de quatre enfants, etc... Beaucoup d'entre eux, ne sachant pas écrire, ont signé soit d'une croix, soit d'un signe quelconque. La pétition est remise â l'ambassadeur d'Angleterre à La Haye avec cette adresse : « Nous promettons à Monseigneur l'Ambassadeur du Sérénissime Roy de la Grande Bretagne de nous aller habituer (établir) en Virginie, terre de l'obéissance de Sa Majesté, le plus tost que faire se pourra et ce soubs les conditions portées aux articles que nous avons communiqués à mondict seigneur l'Ambassadeur et non autrement. En foy de quoi nous avons signé ceste présente promesse unanimement de nos seins manuels. » Les signataires obtinrent l'autorisation sollicitée et un navire hollandais débarqua quelque trois cents colons wallons, hommes, femmes et enfants, dans l'Ile de Manhattan, à l'embouchure de l'Hudson, en 1623. Les immigrants y fondèrent « Neuf-Avesnes ». En 1626, un autre Wallon, Pierre Minuit, acheta l'île aux Indiens pour la somme de 26 dollars. Neuf ans plus tard, la colonie wallonne fut grossie d'un contingent hollandais qui, supérieur en nombre, baptisa l'endroit « Nieuw Amsterdam ». En 1674, les Anglais, maîtres de la Virginie, débaptisèrent « Nleuw Amsterdam » au profit de « New York ». Bois le Duc BnxtrJ »r/r ° -yOedenrodc Breda JBergvnop-Zoom Hooçxtraeten [SfraeJen Middeibourh S Hclmçnd Tumhouf sSVoslhurq Damme Boucha^ Ostende Hnrenthak lurèfT\onde £ Ah vers lierre?' Assenéde Beveron anrvmiraeo Eeclooo Termonde MALINES^r o Vihànic fartaib'rg oBnixclles . j Dunkerque oTbielt Dixwude Boulers. .o Bergves COLOGNE irnanir. Grnvr.linez oBourhourg Courtrai y Casse] nmenticres Wavrp Orr /'Ji /nerouanne o Tournai Orchie: 'V* jfrémnnt. \ & Tlux'î- vî /BraineYr. crimie te oMons Bmche o Maubetigc sorn^e Béûiune BOULOGNE S ffesdtn c Marduenne's' Stave]nt.{ Bouvigncs^ Arras* Beàumorilv \of-1,ro / tPhihpprvjllQ T J \ Chimay \ i CAMBRAI leCateaS /maroilles n rt5 o oAvesnes '.andrec/es Mille Bittburg S'iïubtjt.o Bastngne Graide oûiekirch Echiernach Amiens MersrJi Vïrion Etait1 \ o \ Buzjrq1.. Verdun^ çfètil/oi, ' Brity/ ■oiaPnmlle '.■ffannônviÏÏc DIOCESES DES PAYS-BAS (BELGIQUE) en 1570 Légende .. Archevêchés + tysches ........limites de Diocèses ----- d" -de Territoires civils •-...........an tien CATECHISMVS Vyrchcaheucn voor de Catholijckc Ionckhcyt van deproutneie des ÀRTSBISCHD OMS van me c h e l e n Door iydo7i0vm makebliide Pricfter der Sodcteyt Icfu. *r' ha n d* t>v' e! r p t k ®P 3ïûacl)tm Xrogticftu& m. n c x. ÇffUe cxiûc pnuiiegici (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Page de titre du premier catéchisme de l'archidiocèse de Malines, publié par le jésuite Louis Maekeblijde (1610). Den Schat der christelicker leeringhe lot verklaringhe van den Catechismus... Imprimé à Anvers par Joachim Trognesius en 1610. L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE. - Mais c'est l'enseignement religieux et particulièrement celui des enfants qui fait l'objet des prescriptions les plus abondantes. Après le terrible assaut de la Réforme, on a compris combien il importe d'imprégner les jeunes âmes de catholicisme, d'y imprimer d'une manière indélébile les dogmes essentiels de la foi. Déjà le premier synode de Malines avait édicté à cet égard une foule de mesures que les troubles politiques et confessionnels empêchèrent presque partout de porter leurs fruits. En 1570, l'évêque de Rure-monde, Lindanus, déplorait l'ignorance des fidèles en matière religieuse « alors pourtant qu'il n'est personne qui ne sache des fables ou des chants populaires» (79). Vingt ans plus tard, son collègue d'Anvers, Torrentius, ne faisait qu'exprimer l'avis unanime de l'épiscopat, en affirmant que « le principal et même l'unique fondement de la restauration de la foi est le catéchisme » (80). Aussi le synode de 1607 eut-il soin de décider la publication d'un catéchisme propre à la Belgique, où l'on ne s'était servi jusqu'alors que de celui de Canisius, spécialement rédigé pour l'Allemagne. Le Jésuite Louis Maekeblijde se mit aussitôt à l'œuvre. Dès 1609, le premier catéchisme de Malines paraissait à Anvers (81). C'est à son explication et à sa récitation ainsi qu'à celle des prières quotidiennes que se bornait presque exclusivement, sauf un peu de lecture et d'écriture, l'enseignement des « écoles dominicales ». Elles se faisaient le dimanche dans toutes les paroisses et s'adressaient aux enfants pauvres difficilement libres pendant la semaine et ne fréquentant pas d'autres écoles. Le rapport de l'évêque Torrentius sur la situation du diocèse d'Anvers en 1591 montre l'importance qu'on leur accordait en même temps qu'il fournit une idée très exacte de leur fonctionnement dans la ville (82). Elles étaient, dès cette époque, au nombre de six ou sept placées sous la direction de quatre superintendants, deux ecclésiastiques nommés par l'évêque et deux laïques désignés par le magistrat parmi les principaux bourgeois. Vers l'heure des leçons, des bedeaux (ministri) rassemblaient les enfants des divers quartiers barbe; renonceront aijx vêtements de couleur, aux anneaux d'or, etc. L'administration des sacrements et la prédication sont minutieusement réglementées. En vertu de la stricte application du ministère de la pénitence, il est prescrit aux curés de pourvoir leurs églises de confessionnaux, et, pour satisfaire aux nouvelles exigences du droit canonique, de tenir des registres de baptêmes, de mariages et de décès. Quant aux ordres religieux, la clôture leur est sévèrement imposée; toutes les coutumes dérogeant au vœu de pauvreté sont abolies; les moines se voient obligés de suivre des leçons de théologie. En même temps que l'on veille à relever la dignité, la science et le zèle des clercs, on se préoccupe d'augmenter aussi le respect des fidèles pour les sanctuaires et les cérémonies du culte. L'Eglise cesse d'être, comme au Moyen Age, une sorte de maison commune où le peuple se réunit à tout propos et qu'il partage familièrement avec Dieu : elle n'est plus qu'un lieu de prière et d'adoration. Non seulement il est défendu de s'y livrer à de vaines conversations, à des amusements futiles, à la pratique des affaires, mais au dehors, on s'abstiendra par révérence de fréquenter les cabarets durant la messe et de troubler l'office par des cris et des chansons (78). (Malines, cathédrale Saint-Rombaut, Trésor.) (Cliché A.C.L.) Ostensoir en argent doré. XVIe-XVIIe siècle. et les conduisaient à l'école, où filles et garçons étaient instruits à part. La fréquentation était obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans, et les parents ou tuteurs étaient requis d'y tenir exactement la main. Comme on le voit, le pouvoir civil prêtait ici son concours à l'autorité religieuse. Les archiducs ne firent donc que généraliser une coutume déjà existante lorsqu'ils imposèrent à tous les officiers civils, par leur édit de 1608, d'aider les évêques à ériger des écoles dominicales et à trouver les ressources nécessaires à cet effet (83). La misère des élèves fournissait, d'ailleurs, une garantie excellente d'assiduité. En 1610, le synode d'Anvers déclarait le catéchisme obligatoire pour tous les enfants de six à quinze ans, sous peine, pour les parents, de ne recevoir aucun secours des (Bruxelles, Gesu, bureau du Père provincial des Jésuites flamands.) (Cliché Lannoo.) Saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus (Loyola, 1491-Rome, 1556). Portrait peint en décembre 1600 par un artiste flamand inconnu. De l'avis des contemporains de saint Ignace et de l'auteur de ce tableau, ce portrait est supérieur à ceux de Jacopino del Conte (1556) et d'Alonso Sanchez Coello (1585) par la précision et l'exactitude des traits du visage. tables du Saint-Esprit (84). En 1622, l'évêque de Gand, Antoine Triest, demandait aux « maîtres des pauvres » de prendre des mesures analogues (85). La distribution de vêtements et de prix aux élèves les plus zélés ne contribuait pas moins à attirer aux écoles dominicales les bandes déguenillées des petits apprentis et des jeunes vagabonds (86). Les autres écoles étaient aussi strictement soumises à la surveillance des évêques. Nul ne pouvait y enseigner sans avoir fourni la preuve de son orthodoxie (87). Tous les livres employés devaient être approuvés par l'autorité religieuse, qui bannissait non seulement les-ouvrages suspects par leur doctrine, mais encore tous les auteurs qui eussent pu corrompre la jeunesse per gentilitatem aut turpes amores (88). Le contrôle qu'elle exerçait sur l'enseignement, l'Eglise le revendiqua, pour les mêmes motifs, sur la bienfaisance publique. Ici encore, le pouvoir souverain la soutint dans ses prétentions et les fit triompher. Les magistrats locaux, qui s'étaient prêtés spontanément à seconder les évêques dans l'organisation des écoles, se montrèrent beaucoup moins disposés à tolérer leur ingérence dans les institutions charitables. Mais un placard de 1606, puis, plus énergique-ment encore, l'édit de 1608 ordonnèrent qu'un représentant de l'évêque assisterait désormais à la reddition des comptes de tous les établissements de ce genre (89). Malgré les résistances de quelques villes, comme Bruxelles et Bois-le-Duc, et les hésitations du Conseil de Brabant, le gouvernement tint bon et il fallut s'incliner (90). ETABLISSEMENT DES JESUITES. - La profondeur et l'intensité du sentiment catholique en Belgique dès le commencement du XVIIe siècle ne se comprendraient pas si, à côté de l'action officielle des évêques, on ne tenait compte de l'intervention spontanée des ordres religieux. Parmi ceux-ci, comme dans tous les autres pays conservés à l'Eglise, les Jésuites se sont fait une place singulière. Nulle part, peut-être, cette infatigable milice de Rome n'a plus vaillamment combattu pour la Contre-Réforme et joui d'une semblable influence. Elle s'est mêlée avec une ardeur joyeuse à la grande lutte confessionnelle qui se déroulait sur le sol des Pays-Bas. Elle a fait de cette contrée, menacée de tous côtés par l'hérésie, une véritable place de guerre spirituelle. Elle l'a choisie comme base de l'armée de missionnaires qu'elle envoyait à l'assaut du protestantisme en Angleterre et en Hollande. Son activité combative s'y est développée au milieu du mouvement des troupes et du bruit des batailles, et il n'est pas jusqu'à l'internationalisme de ses tendances qui ne l'ait attirée vers ces provinces si ébranlées par tous les mouvements de la politique européenne et sur lesquelles amis et ennemis de l'Eglise et de la maison d'Autriche fixaient leurs regards avec la même attention. C'est le hasard qui l'y amena tout d'abord, et ses débuts, contrastant avec le rôle qu'elle devait jouer plus tard, y furent modestes et difficiles (91). En 1542, la déclaration de guerre de François Ier à Charles-Quint avait obligé quelques Jésuites espagnols étudiant à Paris de quitter la France et de chercher asile dans les Pays-Bas. Ils n'étaient qu'au nombre de huit, parmi lesquels Ribadeneira, et le neveu du fondateur de la compagnie, Emilien de Loyola. C'est naturellement vers l'Université de Louvain qu'ils se dirigèrent. Le chapelain Corneille Vishaven (92) les recueillit dans sa maison, et, au bout de très peu de temps, l'ardeur inaccoutumée de leur zèle leur valut la protection du chancelier de l'Université, Ruard Tapper, et du pieux abbé de Liessies, Louis de Blois. La population ne tarda pas à s'intéresser, elle aussi, à ces étrangers dès qu'ils eurent commencé, tout en suivant les cours, à prêcher dans les églises de la ville. Quoique leur ignorance du flamand et du français les obligeât à s'exprimer en latin, leur sincérité, leur conviction, leur énergie, la nouveauté de leurs discours, l'imprévu de leur éloquence étonnaient et subjuguaient leurs auditoires. Lorsque Pierre Lefè--vre:(93), de passage à Louvain, eut organisé leur petit groupe, de nouvelles recrues se firent très rapidement. On en comptait déjà dix-neuf en 1547, année où les compagnons se procurèrent une demeure commune qui peut être considérée comme le premier établissement de l'Ordre en Belgique (94). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Exclusion d'Anvers de quatorze Jésuites et de quinze frères mineurs qui avaient refusé de prêter le serment de fidélité à la « Pacification de Gand » (18 mai 1578). Aufzugk XIIII. Jesuweiten und XV. Minnen Broder Munck auss Antorff, das sexe nit haben wollten schweren auf die Pacification von Gendt. — Gravure de François Hogenberg (Malines, avant 1540-Cologne, 1590). Sur le contenu et la valeur de l'œuvre d'Hogenberg, voyez p. 250. LES JESUITES ET LE GOUVERNEMENT. - Les succès des nouveaux venus leur suscitèrent naturellement des ennemis. Troublée par l'indépendance de leurs allures et par leur envahissante activité, l'Université leur montra bientôt une très vive défiance. La gouvernante Marie de Hongrie, prévenue contre eux, leur refusa l'autorisation de posséder. Un de leurs premiers recteurs, Adrianus Adriani, calomnié par un magister louvaniste, fut jeté en prison. Pourtant, cette même fougue d'apostolat qui rendait les Jésuites odieux à la majorité du clergé, leur assurait l'appui de ceux qui prévoyaient quelles forces ils allaient déployer au service de l'Eglise. A peine Adriani était-il remis en liberté, Pierre Curtius, le futur évêque de Bruges, l'installait comme confesseur à Saint-Pierre de Louvain. La vogue inouïe qu'il y obtint presque aussitôt, surtout auprès des pénitentes, ne manqua pas de surexciter encore la malveillance. Mais déjà, la Compagnie avait pris racine dans le pays. Tenu au courant de ses premiers progrès, Loyola avait envoyé, en 1552-53, deux de ses disciples jeter les fondements d'une nouvelle résidence à Tournai (95). En 1553, le chancelier de l'évêque de Liège, Guillaume de Poitiers, cherchait à attirer les Jésuites aux bords de la Meuse (96). Pourtant l'hostilité qu'ils rencontraient allait croissant. Leur détachement de toute autorité, sauf celle de leurs supérieurs, inquiétait les évêques et les pouvoirs publics. L'austère discipline de leur vie et la rigidité de leur piété s'opposaient trop ouvertement à la tiédeur confortable des mœurs courantes dans l'Eglise pour ne point faire scandale. Leur influence auprès des fidèles les faisait accuser d'attirer à eux les jeunes gens et de détourner les femmes de leur ménage par toutes sortes de dévotions et de pratiques nouvelles. A Nimègue, en 1555, le magistrat les avait expulsés (97). Ils devenaient de plus en plus suspects à la gouvernante, et le vieux Viglius leur reprochait « de troubler la république » (98). En somme, jusqu'à la fin du règne de Charles-Quint, ils inspirèrent des craintes et provoquèrent des récriminations presque générales. Mais Philippe II était à peine monté sur le trône que Loyola envoyait à Bruxelles le Père Ribadeneira afin d'obtenir l'autorisation officielle pour la Compagnie de s'établir dans les provinces. Elle ne fut point accordée sans peine. Viglius et même Granvelle (99) faisaient craindre au roi le mécontentement du peuple et la réprobation des évêques et des curés. Ses conseillers espagnols, Ruy Gomez et le comte de Féria, vinrent enfin à bout de ses hésitations. Le 15 août 1556, il permit aux Jésuites de résider aux Pays-Bas à condition de ne s'ingérer dans les fonctions pastorales que du consentement des autorités diocésaines, et de ne rien acquérir sans autorisation. Désormais, la situation de l'Ordre dans les pays bourguignons était assurée. Provisoirement, les résidences qu'il y possédait furent rattachées à la Province rhénane. L'érec- (Cliché A.C L.) Détail de la façade de l'église des jésuites d'Anvers (Saint-Charles Borromée). L'église Saint-Charles Borromée (anciennement Saint-Ignace) fut construite de 1614 à 1624 par l'architecte jésuite Pierre Huyssens (1577-1637) initiateur du style baroque en Belgique, à l'initiative du père François Aguilon, recteur du collège d'Anvers (1566-1677). Ce chef-d'œuvre de l'architecture baroque en Belgique valut à son auteur deux suspensions successives, le luxe et la munificence de l'édifice ayant choqué le Père provincial. On a cru reconnaître dans la façade, de type italien, l'influence sinon la collaboration immédiate de Rubens. L'intérieur a été détruit par un incendie en 1718. Or» Çro malt conjunclis S. GTJMMARUS CONF. Ionganimitiu crgtt nobis moUftos. IDcus qui S. G vmm a r vm, manfuctudi-ine&lohganimitatc mirabilem,mir3-tulismirabiliorcmdemonftraftijpre-ftanobis,per ejus mérita fupplicanti-bus.uteum imitari, & falutis aeternx portumtencre valcamus. ukuut qui' c -km âtl&^fc îM ( T^rmu^inior J^CtiUl %/l'ifr , {xiicviiS . Ti^/CraAur' 1 '(jtsul " I Z nsitl-L 1 ptcitor 2 PrAtor I Scnator i'^cniitor 3' iJtiiator <1 ScnAtcr niuc\iLu; j het J£i(om.m mm. ■ v Vyfp) 4% J)17m, Qv.tftiui 'ilimui . > Cl Ut M J^urcntij. 'f(tri r : tif-ij . Jïit/^luj. Su'na- Aï-nu nus . " ' ■ rS ■ Lf m lit JPcty Jlurunicutf. h iiiicvi jj3m-: 16111- Evolution du recrutement des cadres de la Compagnie de Jésus en Belgique de 1595 à 1626. En 1595, le nombre des jésuites s'élevait à 420, en 1596 à 441, en I5D7 à 445, en 1611 à 788, en 1S26 à 1.574. Ces chiffres sont fournis par les rapports des Pères Provinciaux, aux Archives Générales du Royaume de Belgique, et par l'Imago primi saeculi Societatis Jesu (Anvers, Plantin-Moretus, 1640, in-foliol, p. 238. Références citées par Pirenne : voyez les notes 117 et 118. APOSTOLAT DES JESUITES. - A côté de l'aide qu'elle apporte ou, si l'on veut, de la concurrence qu'elle fait au clergé séculier, la Compagnie subvient à des œuvres qui lui sont exclusivement réservées. Par sa mission des camps (missio castrensis). organisée en 1587, grâce à Alexandre Farnèse, et défrayée par le gouvernement, elle pourvoit au service de l'aumônerie militaire (140); par sa mission navale (missio navalis), instituée par Isabelle en 1623 à la demande de Spinola, elle s'acquitte des mêmes fonctions à bord des corsaires de Dunkerque (141). Enfin, sa mission de Hollande (missio hollandica), établie en 1592, et approuvée par Clément VIII, a pour tâche d'entretenir la foi catholique dans les Provinces-Unies, où des Pères pénètrent secrètement chaque année au péril de leur liberté (142). Car les protestants les tiennent avec raison pour leurs plus dangereux ennemis et les croient capables de tout. C'est eux qu'ils considèrent, en 1595, comme les instigateurs de la tentative de meurtre perpétrée par Pierre Pannins sur Maurice de Nassau (143). Après cela est-il nécessaire encore de parler de tant de travaux et de fatigues, lutte contre les épidémies, apostolat en Chine, dans les Indes, en Amérique, pour justifier cette fière parole des jésuites belges : « C'est à peine s'il y a des vieillards dans notre Ordre»? (144). Cependant, on ne donnerait point une idée complète de leur rôle si on ne relevait encore leur ingérence constante dans toutes les manifestations de la vie sociale. Car ce n'est point assez pour eux d'enseigner, de prêcher, d'administrer les sacrements, d'accompagner dans les batailles les soldats et les marins, il faut encore que, se faisant « tout ____à tous », ils interviennent ad majorem Dei gloriam dans les affaires privées comme dans les affaires publiques et achèvent d'assurer leur empire et par lui l'empire de l'Eglise, en se rendant indispensables « à tous les hommes, en tous lieux et en tous temps» (145). Dans la bourgeoisie et dans la noblesse, ils deviennent les conseillers de quantité de familles. Ils réconcilient les époux, cherchent une carrière aux enfants, empêchent les duels (146), négocient des mariages et font régulariser les unions illicites. Les magistrats des villes demandent leur avis et se conduisent suivant leurs instructions. A peine sont-ils installés à Gand que les Etats de Zélande constatent un redoublement de sévérité à l'égard des calvinistes (147). Farnèse, l'archiduc Ernest, Spinola leur témoignent la plus entière iiifftftffii gieuse et le respect de l'Eglise. Lessius va jusqu'à invoquer des considérations politiques en faveur de la religion, élément d'ordre et de domination indispensable à la conservation de la société (151). Les succès des Jésuites tournent ainsi nécessairement au profit du pouvoir souverain. Dans leurs collèges, ils forment en même temps à la piété et à l'obéissance les jeunes gens des classes supérieures. Ils font disparaître, avec les derniers vestiges du calvinisme et de la libre-pensée, ce qui subsistait encore, dans certains esprits, des doctrines républicaines du XVIe siècle. Chez leurs élèves, le royalisme est aussi complet que l'orthodoxie, la soumission à l'Etat absolutiste aussi spontanée que la soumission à l'Eglise. Aussi, lorsqu'éclatera la querelle janséniste, ne faut-il point s'étonner de voir le gouvernement prendre sans hésiter le parti de la Compagnie. Il ne peut abandonner une alliée aussi précieuse. La politique lui commande de descendre à côté d'elle dans l'arène théologique, et de lui prêter des armes pour combattre l'Augustinus et la théorie de la justification par la grâce. A partir du commencement du XVIIe siècle, les Jésuites sont trop ouvertement protégés par l'Etat et favorisés par les classes dirigeantes pour que les adversaires qu'ils pourraient rencontrer encore parmi les laïques ne se trouvent pas réduits au silence. Mais leur prépondérance ne laisse Jxn.in.6ti 9 C LAjnjâe^, ban itiicP fttâ 'àj&a^n. tàï (jSrfWfriKShfint tnxàs&r o«V

    L° cfa&ij\c -ff "TLcnxfh&C/ \>coxM /rtttiju off rfonf^t'vc lai? tfertihûi li7 4of OGcV, HÛSaJbc oocF f^^TWs 5# lini * en <**riMcour îm- ♦ n^^'Jtlrrpt»• end.icn i.â.n om t!«!» «mwt cc)k> du S»inM,li la Tn&tom M Ititife. ♦ f* Wmk.obriV-ei.Tyn tri. fcffrrtoc. C. fO^-T (1 Wi,w7 fc i. Dj ■♦ "wt- * 14WV<* ùj ivlm„ j rh. * Tvfnm m rjtfmhftlm tl\ummmlim'a mjjnrt. MANUEL OI*ALO«V' pas de susciter contre eux, au sein du clergé, un mouvement d'opposition assez vif. Ils se plaignent d'être accusés d'avarice, de cupidité, d'ambition, et de ce que l'on s'efforce de détourner par des calomnies la foule toujours grandissante de leurs pénitents (152). Sans la résistance de Spinola, leur mission des camps aurait succombé sous les intrigues de leurs ennemis (153). Les évêques et les curés n'assistaient pas sans dépit à leurs succès, et s'inquiétaient de les voir s'immiscer davantage d'année en Ktp« Ui année dans le ministère sacerdotal (154). A Gand. en 1643, l'évêque Triest s'efforce de les dépouiller de l'enseignement du catéchisme pour le rendre aux prêtres des paroisses (155). Plus d'un membre du haut clergé blâme le caractère trop mondain de leurs collèges, où l'on accorde à la danse et à la musique une importance exagérée (156). L'archevêque de Malines. Jacques Boonen. leur est nettement hostile et, poussé par Jansenius. fait venir de France, en 1625, pour contrebalancer leurs progrès. des Pères de l'Oratoire (157). L'LIniversité de Louvain s'oppose obstinément, en 1566. 1588, 1594, à les laisser organiser des leçons publiques de philosophie (158). La sentence que le pape rend en sa faveur en 1596, ne met pas fin aux difficultés. En 1624 et en 1626, il faut que Corneille Jansenius soit envoyé en Espagne et obtienne du roi l'interdiction formelle pour la Compagnie de conférer, dans ses collèges, des grades académiques. Do* JtTAM H»WU«L-GI»*LB& J riocioif rictl 1 f. M 4 liintSr]?ju7çr (Bruxelles, Collège Saint-Michel, Bibliothèque des Pères Bollandistes.i (Cliché Bijtebier.) Décret de l'Inquisition de Tolède condamnant les « Acta Sanctorum » et leurs auteurs, les pères Godelroid Henschenius et Daniel Papebrochius, sous l'inculpation d'hérésie (14 novembre 1695). Le décret, rédigé en espagnol, en latin, en français et en flamand, condamne les premiers volumes des Acta Sanctorum — édition critique des Vies des Saints du Moyen Age — « parce qu'ils contiennent des propositions erronées, hérétiques, goûtantes l'hérésie, dangereuses en la fov, scandaleuses, impies, offensives de pieuses oreilles, schismatiques, séditieuses, téméraires, hardies, présomptueuses, grièvement offensives à plusieurs Souverains Pontifs (sic), à la Chaire Apostolique, à la Sacrée Congrégation des Rites, au Bréviaire et Martyrologe romain, et trop abaissants des excellences des quelques saints, des plusieurs écrits et clauses irrévérentes à plusieurs Saints Pères et très graves théologiens ecclésiastiques ; et aussi pour contenir des propositions offensives à Testât religieux, à plusieurs religions, et spécialement à celle des Carmes, et à ces graves escrivains, à plusieurs nations, et en particulier à l'Espagnolle ; et détrac-tives des (sic) plusieurs autheurs véritables dans la commune estimation (estime) ; et finalement parce qu'en ces dites œuvres sont enserrés plusieurs éloges d'hérétiques et de doctrines d'autres autheurs de mauvaise notte, défendues et condamnées par les Souverains Pontifs (sic) et par l'Eglise, se prévalant de ces doctrines pour impugner (combattre) celles des Saints et les traditions de l'Eglise. » Le décret interdit, sous peine d'excommunication majeure et d'une amende de deux cents ducats, la lecture, l'achat, la vente et la propriété de ces livres. A la partie supérieure de la deuxième colonne, un des deux auteurs visés par l'Inquisition a écrit d'une plume ironique : Legi (J'ai lu). MOUVE-II y a autre LES JESUITES ET LE MENT SCIENTIFIQUE, chose en jeu. dans ces démêlés, que les privilèges universitaires. Dès 1570, les doctrines augustiennes professées par Michel Baius avaient été combattues par le Père Bellarmin, durant son séjour en Belgique (159). Condamnées par le pape en 1567, 1579, elles n'avaient point puis en cesse pourtant de conserver dans les facultés de Louvain et de Douai de nombreux partisans, et d'inquiéter tous ceux que frappait leur analogie avec le dogme protestant de la prédestination (160). C'est à réfuter ces prodromes du Jansénisme que 4e Père Lessius a consacré la plus grande partie de sa carrière, et c'est pour pouvoir imposer sa théorie du libre arbitre à l'université que la Compagnie y voulut s'introduire. Du moins, par l'institution du « Musée Bellarmin », se constitua-t-elle un centre d'études et de propagande d'où elle put la surveiller. Au reste, dès le commencement du XVIIe siècle, son activité intellectuelle éclipse de plus en plus complètement celle des universités. Après la mort de Juste Lipse, Louvain ne compte plus un seul savant de renommée européenne. Ses facultés, comme celles de Douai, ne sont plus guère que des écoles professionnelles de théologie, de droit et de médecine. Ce n'est plus chez elles, mais dans les collèges et les résidences des Jésuites que se réfugie le culte de la science. Non seulement ils fournissent les théologiens les plus éminents et dont les ouvrages déterminent maintenant la formation du clergé (161), mais on rencontre encore parmi eux des mathématiciens comme d'Aiguillon et Grégoire de Saint-Vincent, des philologues comme André Schott, des érudits comme Bollan-dus, Henschen, Papebroch. C'est de leur Antoine Triest, neuvième évêque de Gand de 1622 à 1657. Portrait peint par P.-P. Rubens vers 1625. Exposé à New-York en 1927 par la New Yorker Gallery P. Jackson Higgs à l'occasion du trois cent cinquantième anniversaire de la naissance de Rubens, ce tableau doit appartenir aujourd'hui soit à un musée, soit à un particulier américain que l'on n'est pas parvenu à identifier. (Extrait de Der Cicerone, 1927, t. XIX, p. 411.) la religion. Aussi, tous s'établissent-ils aux centres mêmes du mouvement social, c'est-à-dire dans les villes. Ils font pénétrer jusqu'aux couches les plus basses et les plus misérables des populations urbaines la stricte orthodoxie et la dévotion dont les Jésuites imprègnent de leur côté la noblesse et la bourgeoisie. On pourrait dire assez exactement de beaucoup d'entre eux, particulièrement des Capucins et des Récollets, qu'ils sont les Jésuites du pauvre. Ils ne s'occupent pas seulement de prêcher, de confesser, d'organiser des processions, de diriger des neuvaines ou des « prières de quarante heures », ils se consacrent encore à visiter les prisonniers, à soigner les malades, à hospitaliser les fous, à enseigner les enfants du peuple. Il en est qui vont jusqu'à se charger de quelque service public, comme par exemple les capucins, auxquels est réservé, dans certaines villes, le soin d'éteindre les incendies (164). Dans cette armée de religieux recrutée par la ferveur catholique, les femmes ne sont guère moins nombreuses que les hommes. A côté des vieux béguinages, les couvents des Carmélites, des Thérésiennes, des Brigittines, des An-nonciades, des Ursulines, des Franciscaines, des Clarisses offrent leur asile à la piété féminine, l'excitent à un mysticisme plus ardent, l'appellent à des tâches nouvelles. Sans distinction de sexes, de professions, de classes sociales, la société tout entière est travaillée et, pour ainsi dire, pétrie par la religion. La considération, l'influence, les largesses que la renaissance du savoir avait jadis values aux humanistes, la renaissance du catholicisme les assure aujourd'hui, et bien plus largement, aux couvents. Naturellement, la cour donne l'exemple. Les archiducs appellent d'Espagne les Carmes déchaussés et les Carmélites, auxquels ils prodiguent les marques de leur respect. sein que sort l'œuvre historique la plus considérable du XVII" siècle, la collection des Acta Sanctorum. La variété des aptitudes de leurs membres se manifeste même dans les arts, avec des peintres tels que Daniel Seghers et des architectes aussi remarquables que Huyssens. Il n'est donc point jusqu'aux manifestations les plus hautes de l'intelligence qui ne portent, dans la Belgique du XVIIe siècle, l'empreinte des Jésuites. Plus nombreux dans ce pays que partout ailleurs, nulle part ils n'ont agi aussi profondément sur la nation. Au milieu de l'affaissement de l'esprit public, au milieu de la décadence économique, ils y ont attiré vers eux les esprits les plus puissants et les plus énergiques en leur proposant un idéal et des motifs d'agir. La lutte contre l'hérésie, l'exaltation du catholicisme par l'enseignement, la prédication, les missions lointaines, leur ont gagné l'élite de la jeunesse. Et l'on s'explique sans peine qu'en 1640, au moment où s'achève le premier siècle d'existence de la Compagnie, Ylmago primi saeculi, où s'affirment avec tant d'orgueil sa gloire et ses triomphes, ait eu pour auteurs des Jésuites belges (162). MULTIPLICATION DES ORDRES RELIGIEUX. — Depuis la fin du XVIe siècle, autour de la Compagnie de Jésus, instrument le plus puissant et expression la plus haute de la rénovation catholique, les ordres religieux essaiment largement par le pays (163). Ils se rattachent pour la plupart à cette tendance de piété active et d'apostolat populaire inaugurée par les Frères Mineurs du Moyen Age. Mais ils l'ajustent à la vie moderne, aux besoins nouveaux de la société, à la situation présente de (Copenhague, Statens Muséum for Kunst.) Mathias Yrseluis, trente-neuvième abbé de l'abbaye de Saint-Michel, de l'ordre de Prémonté, à Anvers (1541-1629). Portrait peint vers I630 par P.-P. Rubens (Siegen, 1577-Anvers, 1640). Lorsque l'une des compagnes de sainte Thérèse, la mère Anne de Saint-Barthélemy, arrive en Belgique, l'infante court à Mons lui souhaiter la bienvenue; le confident de la sainte, le P. Jérôme Gracian, passant par les Pays-Bas, se fixe à Bruxelles à la demande d'Albert (165). Isabelle, en 1623, fait transporter à Gand dans ses propres carrosses les Annonciades qui vont s'établir dans cette ville (166). Avec son époux, elle visite les couvents, pose la première pierre de leurs églises, leur envoie des reliquaires ou des ornements d'autel, les recommande à la bienveillance des échevinages, leur accorde des subsides sur le trésor ou des aumônes sur sa cassette. Les plus grands seigneurs, soit par conviction, soit pour plaire aux princes, rivalisent de générosité envers les maisons religieuses. C'est une mode que de leur faire des cadeaux. Le Carmel surtout doit à la faveur des archiducs une vogue sans rivale. Anne de Saint-Barthélemy provoque parmi la haute noblesse tant de prises de voile que les mères craignent de lui montrer leurs filles (167). Les Clarisses. arrivées dans le pays au commencement du XVIIe siècle, y exercent bientôt une telle attirance que seize des dames d'honneur d'Isabelle y prononcent leurs vœux. Lamberte de Croy entre aux Ursulines. En 1626, Florent de Berlaymont et sa femme Marguerite de Lalaing fondent le monastère de Berlaymont, où les chanoinesses de Saint-Augustin s'occupent de l'éducation des filles (168). Le frère du duc d'Arschot, Charles d'Arenberg, comte de Seveghem, se fait recevoir parmi les Capucins et refuse de changer sa robe de bure contre la pourpre cardinalice Nicolas de Montmorency, chef des finances des archiducs et conseiller d'Etat, dote l'abbaye des Brigittines à Lille, institue à Gand, à Lille et ailleurs des confréries en l'honneur de saint Joseph et publie des manuels d'édification (169). Les dispositions de la noblesse se retrouvent dans la bourgeoisie. Un négociant italien installe les Minimes à Anvers en 1614, et quantité de rentiers et de marchands soutiennent et propagent dans les villes des institutions pieuses ou charitables. L'intervention des magistrats est plus efficace encore. En 1617, les échevins de Bruges affectent 12,000 livres à la construction de l'église des Capucins. En 1619, ceux du Franc fournissent des subsides aux Capucins d'Ostende et aux Annonciades de Bruges, et l'on n'en finirait point si l'on voulait rassembler les faits du même genre qui se rencontrent dans l'histoire de chaque ville. LES CATHOLIQUES ANGLAIS EN BELGIQUE. — De même que l'émigration des protestants des Pays-Bas avait introduit en Angleterre, au siècle précédent, tant d'industries nouvelles, de même l'exode des catholiques anglais et irlandais depuis la persécution d'Elisabeth, en 1559, augmenta d'un fort supplément de maisons étrangères le nombre déjà si considérable des couvents de Belgique. Le futur cardinal William Allen a ouvert, dès 1568, à Douai, un séminaire anglais; en 1592, les jésuites anglais s'établissent à Saint-Omer; bientôt après ils installent une résidence à Watten et, en 1613, un collège à Liège. En 1607, l'abbé de Saint-Vaast fait élever à ses frais l'église des Bénédictines anglaises à Douai; en 1613. sur la recommandation de l'archiduc Albert, les Récollets anglais sont reçus dans la même ville. Anvers renferme au commencement du XVIIe siècle un collège irlandais et un couvent de Thérésiennes anglaises; Louvain, un séminaire irlandais; Bruxelles, un monastère de Bénédictines anglaises; on retrouve ces dernières à Cambrai et à Dunkerque; Ypres reçoit pour sa part des Bénédictines irlandaises; il y a des Jésuites écossais à Douai, des « prieurés d'Hiber-nois » à Douai encore et à Lille, des Clarisses anglaises à Gravelines, etc. (170). On ne possède malheureusement presque aucune donnée certaine quant au nombre et quant à la richesse des religieux que le règne d'Albert et d'Isabelle vit pulluler sur tous les points du pays. A Louvain, entre 1597 et 1631, la population des couvents et des collèges de l'université passe de 1,600 à 2,180 individus (171). A Ypres, en 1689, on relève, parmi les 13,247 habitants de la ville, 535 moines des deux sexes plus 93 prêtres séculiers (172). On ne peut accorder que la valeur d'une simple indication aux évaluations de Gramaye portant à 60,000, en 1622, le nombre des religieux de la Belgique, qu'il répartit entre 88 collégiales, 240 monastères et couvents et 173 abbayes. D'après le même auteur, l'Eglise aurait possédé à cette date les trois quarts du sol dans le Cambrésis, la moitié dans le Namurois, le tiers dans le Hainaut, le quart dans l'Artois, le huitième dans le Brabant et le dixième en Flandre (173). LA QUESTION DE LA MAIN-MORTE. - Ce qui est sûr. à tout le moins, c'est que ses propriétés avaient atteint, vers la fin du premier quart du XVIIe siècle, une telle importance que les populations et le gouvernement lui-même commençaient à s'inquiéter. Un octroi royal était indispensable à la fondation de tout couvent nouveau, mais en fait on s'en passait la plupart du temps. Dès 1630, un placard, renouvelé en 1636, ordonné de mettre fin à cet abus « à cause de la grande multiplication des maisons religieuses en tous endroits du pays, à la surcharge de nos sujets» (174). Un autre édit rappelle, en 1658, que l'on doit « tenir pour une loi et règle d'Estat qu'il n'est et n'a jamais été loisible d'ériger aucun cloître sans consentement du souverain» (175). Philippe IV, dans ses instructions au cardinal-infant, signale le grand nombre de moines venant illégalement s'établir de France dans les provinces, et l'augmentation constante du nombre des couvents « qui s'estouffent et meurent comme les arbres dans un jardin où il y en a trop » (176). En 1638, il est défendu de constituer des biens de main-morte en faveur des églises, auxquelles on prescrit de faire connaître tous leurs acquêts depuis trente ans (177). Ces mesures correspondent aux plaintes du public. Les Louvanistes, en 1629, remontrent que les communautés régulières de leurs villes incorporent tant d'immeubles qu'il n'en restera bientôt plus pour les bourgeois (178). Gand, en 1628, possédant déjà vingt monastères de femmes, n'en veut plus recevoir (179). Au pays de Liège, les habitants du quartier d'Entre-Sambre-et-Meuse s'opposent à l'entrée des Brigittines sur leur territoire qui n'est, disent-ils, que trop surchargé d'ordres mendiants (180). Mêmes plaintes à Namur en 1622 (181). En 1633, les Etats généraux protestent, au nom du pays, contre l'envahissement de la main-morte (182). Enfin, il n'est pas jusqu'aux couvents, du moins parmi les ordres mendiants, qui ne cherchent à empêcher, dans la crainte de voir di- - LA CIVILISATION DES PAYS-BAS CATHOLIQUES minuer les aumônes dont ils vivent, l'établissement de nouvelles communautés (183). La surpopulation monacale n'est pas sans péril pour l'Eglise elle-même. Bien des gens n'entrent en religion que pour jouir d'une existence tranquille et assurée (184). On peut s'en convaincre en observant que les prises d'habit sont particulièrement fréquentes aux époques de dépression économique. Il est incontestable qu'il se glisse dans le clergé régulier nombre d'individus sans vocation et se souciant fort peu de la discipline. Les évêques, en 1631, constatent que beaucoup de monastères de femmes n'observent point strictement la clôture (185). Ils accusent, en 1645, les Capucins et les Récollets d'abuser des collectes, de jouer et de boire avec les paysans, d organiser des prières de quarante heures et des processions sans autorisation de l'ordinaire (186). Beaucoup de moines confondent certainement la piété avec ses manifestations extérieures, et Mabillon constatera plus tard (1672) que les habitants des Pays-Bas sont « portés à la dévotion jusqu'à la superstition (187). LE ROLE DES ARCHIDUCS. - La cour des archiducs contribue largement, de son côté, à acclimater dans le pays les pratiques par lesquelles le catholicisme méridional appelle les sens à concourir à l'exaltation du sentiment religieux. A vrai dire, le caractère national est resté réfractaire aux cérémonies tragiques dont la sombre piété des Espagnols a parfois donné le spectacle pendant les premiers temps du règne : processions de flagellants, pénitents écrasés sous le fardeau de croix gigantesques, moines prêchant en extase et le front déchiré par une couronne d'épines (188). Mais l'exemple des princes n'a pas tardé à provoquer l'imitation de la noblesse pour descendre ensuite jusqu'au fond du peuple. Albert et Isabelle consacrent journellement plusieurs heures à la prière et vont faire chaque année une neuvaine à Notre-Dame de Montaigu, dont la basilique, construite à leurs frais, devient bientôt un des sanctuaires les plus célèbres du pays. Le jeudi-saint, ils lavent les pieds à des pauvres dans la chapelle du palais (189). Lorsque la châsse de saint Albert arrive de Reims, l'archiduc la porte lui-même sur ses épaules à travers les rues de Mons jusqu'à l'église des Carmélites (190). Il suit avec un intérêt passionné la mission dont Gramaye s'est chargé en Hollande et en Allemagne pour recueillir les reliques échappées à la dévastation des églises, se laisse extorquer par lui des subsides de plus en plus importants, ordonne de sonner les cloches et de recevoir processionnellement les ossements, parfois bien suspects, que son peu scrupuleux émissaire expédie dissimulés dans des tonneaux de fromage (191). Isabelle surpasse encore son mari par l'intensité de sa dévotion. Elle en a donné la preuve, dès son arrivée à Luxembourg, en descendant de carrosse devant la croix de la procession venue à sa rencontre, à la grande surprise des seigneurs de son escorte qui étaient restés en selle (192). Rubens la considère comme une sainte. Elle ne commence point une lettre sans tracer d'abord le signe de la croix sur le papier (193). Le jeune prince d'Espagne est-il malade, elle lui envoie des poudres miraculeuses (194). Depuis son veuvage, elle ne se montre plus en public qu'en robe de franciscaine, s'épuise à suivre les processions, se livre à des retraites pendant lesquelles elle couche sur la dure et observe le jeûne le plus strict. Rien (Cliché A.C.L.i Basilique de Montaigu construite aux frais des archiducs par Wenceslas Coebergher. Wenceslas Coebergher (Bruxelles, vers 1561-1634), beau-frère de l'architecte Jacques Hrancart, fondateur des Monts-de-Piété, peintre, ingénieur, archéologue et numismate, commença en 1609 la construction de la basilique de Montaigu d'après les projets de l'architecte italien Serlio. ne la réjouit plus profondément que les progrès de la dévotion dans le pays. Elle croit naïvement tout ce qu'on lui raconte sur un sujet qui lui tient tant à cœur. Elle écrit, en 1603. au duc de Lerme que 1,830,000 personnes ont pris part au jubilé! (195). PROFONDEUR DU SENTIMENT RELIGIEUX. — Il lui suffit d'ailleurs de jeter les yeux autour d'elle pour recueillir des témoignages de la religiosité du peuple. La Vierge de Hal attire les pèlerins en nombre presque aussi considérable que celle de Montaigu. En 1615, en temps de peste, les Montois font venir de Gand le corps de saint Macaire et donnent un abbé comme garant de sa restitution (196). En 1634, le magistrat de Lille dédie la ville à Notre-Dame de la Treille pour la remercier de l'avoir protégée contre l'hérésie (197). Il n'est pas de ville où l'on ne rencontre à chaque carrefour quelque image pieuse devant laquelle brûle une lampe entretenue aux frais des habitants du quartier. La campagne se couvre de chapelles, de calvaires, de chemins de la croix. Toutes les classes de la population se confondent dans la foule qui vient prier au pied des autels miraculeux, tout brillants de leur jeune et exubérante parure d'ex-voto. Les sermons, les jubilés, les neuvaines remplacent les distractions profanes qui fournissaient jadis les chambres de rhétorique. Les tragédies scolaires des collèges de Jésuites tiennent presque exclusivement lieu de théâtre. La littérature ne traite plus guère que des sujets édifiants; le vieux Juste Lipse lui-même consacre sa plume à célébrer en vers latins la Diva Virgo Hallensis. Il est bien peu de familles qui ne comptent parmi leurs membres quelques religieux. Tandis que la population des villes reste sta-tionnaire ou diminue, celle des béguinages, cités mystiques grandies dans la cité laïque, ne cesse d'augmenter. Et au sein de la bourgeoisie abondent les « filles dévotes », les kwezels. les « sœurs fileuses », qui se vouent volontairement à l'entretien et à l'ornementation des églises, à l'enseignement du catéchisme, au soin des malades, à l'ensevelissement des morts. Comme au Moyen Age, le mysticisme s'exalte parfois jusqu'à un degré extraordinaire. Des ascètes, des réformateurs, des zélateurs tels que Jeanne Deleloe, Françoise Taffin, Antoinette Bourignon, Servais Lairuels. Jean Berchmans, font penser aux Marie d'Oignies et aux Lambert le Bègue du XIIe et du XIIIe siècle et, comme eux, acquièrent de leur vivant une réputation de sainteté. En même temps, la vie mondaine s'imprègne de cette dévotion pratique et tendre dont l'« Introduction à la vie dévote » de saint François de Sales reste le modèle achevé. Gilbert Masius, évêque de Bois-le-Duc (1594-1614), est un des amis de François et un propagateur de ses idées. En 1630, le synode de la province de Malines fait traduire en latin pour l'usage des prédicateurs, les principaux traités de l'évêque de Genève (198). NOTES (1) On en avait parfaitement conscience dans le pays. Voy. par exemple dans Henrard, Marie de Médicis, p. 242, un curieux pamphlet où le gouvernement de la Belgique est comparé à celui de la France. (2) L'espagnol n'est appris que par quelques fonctionnaires et quelques grands seigneurs. En 1642, c'est un moine espagnol qui publie en sa langue l'oraison funèbre de Charles-Philippe de Crov, duc d'Havré. Voy. Paquot, Mémoires littéraires, t. XIII, p. 188. (3) Gossart, La domination espagnole, p. 147. (4) Piot, Correspondance de Granvelle, t. XII, p. 249. (5) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3e série, t. XI [1869], p. 216. II y avait pourtant encore un assez grand nombre de protestants dans le diocèse en 1607. Analectes pour servir l'hist. ecclés., t. IX, p. 437. (6) F. Nagtglas, De algemeene kerkeraad der Nederduitsch-hervormde gemeente te Middelburg, p. 9 (Middelbourg, 1860). (7) Kronijk van het Historisch Genootschap te Utrecht, t. VIII [1852], p. 27 et suiv. (8) Van den Vyvere, Chronycke van Ghendt, éd. F. de Potter, p. 375 (Gand, 1885). Cf. A. van Schelven, Omvang en invloed der Zuid-Nederlandsche immigratie van het laatste kwaart der XVIe eeuw (La Haye, 1918). (9) Van den Vyvere, loc. cit., p. 384; F. de Potter, Second cartulaire de Gand, p. 239. (10) Il faut remarquer que ce ne furent pas seulement des calvinistes qui émigrè-rent. Le siège d'Anvers poussa aussi des hommes d'affaires catholiques à s'établir en Hollande. Tel fut, vers 1583, J. van der Veken, de Malines, qui d'Anvers se transporta à Rotterdam où il acquit une telle importance qu'il servit plus tard de banquier pour les subsides envoyés par la France aux Provinces-Unies. Voy. E. Wiersum, lohan van der Veken, koopman en bankier te Rotterdam, 1583-1616. Versl. der Maat-schappij der Nederl. Letterkunde, 1912. (11) En 1616, dans les environs de Tournai, à Rosult et à Celles, le peuple est indevotissimus, et on signale des protestants à Saint-Amand. Bulletin d'études de la province de Cambrai, 1908, p. 173. Cf. Lonchay-Cuvelier, Correspondance de la cour d'Espagne, t. I, p. 347. Add. H. Elias, De Ketterij in de Zuidelijke Nederlanden onder Albrecht en Isabella. Annales de la Société d'Emulation de Bruges, t. LXIX [1926], p. 367 et suiv. (12) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 508, t. III, p. 369, t. IV, p. 282; Chapeaville, Gesta episcoporum Leodiensium, t. III, p. 670; Van Meteren, Histoire, fol. 663; Analectes pour servir à l'hist. ecclés. de la Belgique, t. I, [1864], p. 101. (13) De Ram, Synodicon Belgicum, t. III, p. 120. (14) Analectes, loc. cit. Cf. Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 30. (15) De Potter, Petit Cartulaire de Gand, pp. 179, 183. (16) Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 30. Cf. A. Pasture, Le placard d'hérésie du 31 décembre 1609, dans Mélanges Charles Moeller, t. II, p. 301. (17) Ibid., II, p. 17. (18) Ibid.. II, p. 30. (19) De Ram, Synodicon Belgicum, t. IV, p. 281. (20) V. Gaillard, Archives du Conseil de Flandre, pp. 448, 450. (21) Correspondance du Conseil de Flandre, liasse 135, aux Archives de l'Etat à Gand. (22) Sur la situation des protestants après cette date voy. E. Hubert, Le protestantisme à Tournai pendant le XVIIIp siècle (Bruxelles, 1903) ; Une page de l'histoire religieuse de la Flandre au XVIIIe siècle. Le protestantisme à Donlieu-Estaires (Bruxelles, 1903); Les Etats généraux des Provinces-Unies et les protestants du duché de Limbourg (Bruxelles, 1904); Les Pays-Bas Espagnols et la République des Provinces-Unies depuis la paix de Munster (Bruxelles, 1907); Les Eglises protestantes du duché de Limbourg pendant le XVIIIe- siècle (Bruxelles, 1908). (23) Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 15. (24) Hubert,Les Eglises protestantes du duché de Limbourg, pp. 40 et suiv., 50. (25) Placcaeten van Brabant, t. III, p. 34; F. de Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 235. (26) Inventaire sommaire des Archives municipales de Hondschoote, G. G. p. 7 (Lille, 1876). (27) De Potter,Petit cartulaire de Gand. p. 111. (28) Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. II, p. 7. Van Meteren place le fait en 1589, Grotius ,en 1597. (29) Gaillard, Archives du Conseil de Flandre, pp. 448, 450. — On ne peut considérer comme rentrant dans la répression de l'hérésie la pendaison, vers 1589, d'un habitant de Hondschoote coupable d'avoir logé chez lui un émissaire des réfugiés protestants d'Angleterre. Inventaire des Archives de Hondschoote, F. F. p. 2. (30) Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 3; Correspondance du Conseil de Flandre. liasse 135, aux Archives de l'Etat de Gand; Cauchie et Maere, Recueil des instructions aux nonces de Flandre, p. 108. Le nonce se plaint de ce qu'Albert, malgré sa piété, n'inquiète pas les hérétiques afin de s'assurer la faveur du peuple. (31) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. IX, p. 336. (32) Déjà le premier synode de Malines, en 1570, avait décidé « quia pauperes plerumque negligentiores sunt circa suarum prolium institutionem, debent et illi per substractionem eleemosynarum mensae pauperum cogi ut quas habent proies ad has scholas mittant ». De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 122. Cf. ibid., t. IV, p. 285. (33) En 1608, les archiducs rendent obligatoires la plupart des décisions du troisième synode provincial de Malines tenu en 1607. Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 125. (34) Placcaeten van Vlaenderen, II. pp. 17, 19. Ces placards ne font guère que renouveler celui de 1570. Ibid., p. 8. — Cf. De Ram, Synodicon Belgicum, t. III, p. 122. (35) Je ne fais allusion ici qu'aux pamphlets populaires, dont les premiers remontent à la fin du XVIe siècle. Voy. entre autres ceux du bénédictin Corneille Vrancx (Bibliotheca Belgica, n° 165). On trouvera une liste intéressante des ouvrages de ce genre, qui mériteraient d'être étudiés, dans la Bibliographie Gantoise de F. van der Haeghen. (36) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. III, p. 79. (37) Il y eut certainement un rapport assez confus, entre la répression de l'hérésie et celle de la sorcellerie. En 1600, le controversiste Thomas Stapleton publiait à Anvers une dissertation intitulée Cur Magia pariter cum Haeresi hodie creverit. Voy. le placard de 1592, ordonnant de sévir impitoyablement contre les sorciers, magiciens, etc., dont le nombre augmente sans cesse « procédant cecy en grande partie de la suyte et effect de tant d'hérésies et faulses doctrines ». (Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 35; De Ram, Synodicon Belgicum, t. III, p. 172.) L'ordonnance fut remise en vigueur en 1606. La même année un mandement au duc d'Arschot, grand bailli de Hainaut, prescrit de sévir impitoyablement contre le crime de sorcellerie « qui s'en va accroissant ». Invent, des Archives du dép. du Nord, t. VI, p. 31). Le 22 janvier 1608, le Conseil de Flandre adopte un nouveau règlement sur les sorciers et la magie (V. Brants, Ordonnances des Pays-Bas, Règne d'Albert et d'Isabelle, t. I, p. 374). On ne possède pas encore d'enquête scientifique sur les procès des sorcières en Belgique. On pourra consulter à ce sujet Cannaert, Bijdragen tôt de kennis van het onde strafrecht in Vlaenderen, pp. 193 et suiv. et 459 et suiv. (Gand, 1835). Cf. Ch. de Villermont, Les procès de sorcellerie dans la baronnie de Vierves au XVIb' siècle. Annales du Cercle Archéologique de Namur, t. XXIX [1910], p. 153 et suiv. Le plus récent aperçu d'ensemble est celui de A. Pasture, La restauration religieuse aux Pays-Bas catholiques, p. 45 et suiv. — L'ordonnance d'Ernest de Bavière dans le pays de Liège, en 1608 (Recueil des Ordonnances, 2e série, t. II, p. 290) dit que l'on ne poursuit pas assez activement les sorcières à cause des frais de justice, et prescrit en conséquence une procédure sommaire à leur égard. Le nombre des poursuites est impossible à évaluer. En 1614, le lieutenant-civil de Bouchain avait poursuivi, en dix-neuf ans, cent quatre-vingt-trois personnes suspectes de sorcellerie (Invent. des Arch. du dép. du Nord, t. VI, p. 71). Dans le Luxembourg, N. van Werveke, Kurze Geschichte des Luxemburger Landes, p. 335 [Luxembourg, 1909] admet, pour la période de 1450 à 1700 environ, 30,000 procès de sorcellerie, dont 20,000 à peu près ont abouti à la peine capitale. Pour effroyables qu'ils soient, ces chiffres sont loin d'ailleurs de dépasser ceux que nous connaissons pour les autres pays. Ils ne permettent donc point d'affirmer que la répression fut particulièrement meurtrière en Belgique. Cf. H. Lonchay, Quelques procès de possession démoniaque dans les Pays-Bas au XVIIe siècle. Annuaire de la Société pour le progrès des études philologiques et historiques, 1912, p. 41 et suiv. (38) Voy. plus haut, p. 200. (39) Ibid., p. 231. (40) A. Marx, Studien zur Geschichte des Niederlàndischen Aufstandes, p. 206 (Leipzig, 1902). (41) A. Erens, Tongerloo en 's Hertogenbosch. De dotatie der nieuwe bisdommen in Brabant, 1559-1596. (Tongerloo. 1925). (42) Sur tout ceci voir Marx, Studien, etc., pp. 367, 379, 383, 396, 405, 419, et F. Rachfahl, Wilhelm von Oranien und der Niederlàndische Aufstand, t. III, p. 129 et suiv. (Halle, 1907). (43) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. II, p. 19. (44) Ibid.. t. Il, p. 163. (45) Marx, Studien, etc., p. 45. (46) Voy. plus haut, pp. 182, 190. (47) Weiss, Papiers d'Etat de Granvelle, t. VI, p. 412. (48) Miraeus, Opéra diplomatica, t. I, p. 238. (49) G. Cardon, La fondation de l'Université de Douai, p. 166 (Paris, 1892). (50) Gachard, Correspondance de Marguerite d'Autriche, duchesse de Parme, t. III, p. 61. (51) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 328. (52) Gachard, Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. III, pp. 368, 370. (53) Voy. leurs réponses dans Le Plat. Monumenta ad historiam Concilii Tridentini spectantia, t. VII, ire partie (Louvain, 1787). Add. le ms fr. 9021 de la Bibliothèque Nationale de Paris, provenant du conseiller Wynants et constituant un intéressant recueil d'actes sur l'introduction du Concile dans les Pays-Bas. (54) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. I, p. 315. (55) Gachard, Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. III, p. 527. (56) Ibid., p. 384. (57) Ibid., p. 564. (58) Ms. fr 9021 de la Bibl. Nat. de Paris, fol. 103. (59) Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 1357. (60) Ibid., II, p. 49. (61) Voy. Claessens, Revue Catholique, t. XLVII [1879], p. 127; De Schrevel, Rémi Drieux, p. 597 (Bruges, 1896). Cf. Marx, Studien, p. 371. (62) Voy. plus haut, p. 275. (63) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 306. (64) Ibid., p. 350. (65) Ibid., p. 307. — Cf. De Schrevel, Rémi Drieux. p. 414. (66) Gachard, ibid., p. 306. (67) Voy. plus haut, p. 292. (68) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. III, p. 587; De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 206. (69) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. III, p. 272. (70) De Ram, Synodicon Belgicum, t. III, pp xxxn, 135. — En 1598, on demande à Rome la permission d'admettre aux charges ecclésiastiques les fils convertis d'hérétiques. A. Pasture, dans Annuaire de l'Université catholique de Louvain, 1908, p. 344. (71) De Ram, Synodicon Belgicum. t. III, p. 192. (72) Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 91. Cf. ibid., II, p. 37 (ann. 1613). (73) Le livre de A. Pasture, La restauration religieuse aux Pays-Bas catholiques sous les archiducs Albert et Isabelle (Louvain, 1925), fournit une étude détaillée du sujet envisagé du point de vue ecclésiastique. (74) R. Maere, Les origines de la nonciature de Flandre, Revue d'Histoire Ecclésiastique, t. VII [1906], p. 565 et suiv. — Après la mort de l'archiduchesse Isabelle, en 1633, il n'y eut plus à Bruxelles que des internonces. La nonciature ne fut rétablie qu'en 1725 sous le gouvernement de Marie-Elisabeth. (75) V. L. Goemans, Het belgisch gezantschap te Rome onder de regeering der aartshertogen Albrecht en Isabella. Bijdragen tôt de geschiedenis van het hertogdom Brabant, t. VII, [1907], p. 3 et suiv. (76) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 365. — Ce synode fut le dernier qui se soit tenu dans le pays. En dépit des stipulations du concile de Trente, l'Etat ne permit plus dans la suite que des congrégations d'évêques. (77) Brants, Ordonnances d'Albrecht et d'Isabelle, t. I, p. 390 (Bruxelles, 1909). Cf. en 1587 un placard analogue relatif au concile de Cambrai de 1586. Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 88. (78) Pour tout ceci voy. le texte du synode de Cambrai de 1586 (Th. Gousset, Les actes de la province ecclésiastique de Reims, t. III, p. 542 et suiv. [Reims, 1844]), et du synode de Malines de 1607 (De Ram, Synodicon, t. I, p. 365 et suiv.). (79) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 63. (80) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. XV, p. 386. (81) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 381. (82) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. XV, p. 387 et suiv. (83) Brants, Ordonnances, t. I, p. 393. Cf. une ordonnance d'Isabelle en 1630. De Ram, Synodicon Belgicum, t. IV, p. 158. (84) De Ram, Synodicon Belgicum, t. III, p. 119. (85) Ibid., t. IV, p. 285. (86) Ibid., p. 161. (87) Brants, Ordonnances, t. I, p. 391 ; De Ram, Synodicon Belgicum, t. IV, p. 284. (88) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 121. (89) Brants, Ordonnances, t. I, pp. 285, 393. (90) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 424 et suiv. (91) On consultera désormais pour l'histoire des Jésuites en Belgique, le livre fondamental du P. Alfred Poncelet, Histoire de la Compagnie de Jésus dans les anciens Pays-Bas. Première partie (Bruxelles, 1927). Il faut y ajouter le récit de l'Imago primi saeculi Societatis Jesu, p. 723 et suiv. (Anvers, 1640). (92) Sur lui voy. H. Vanderspeeten, Corneille Vishaven, premier Jésuite belge, dans Précis Historiques, 1862, p. 457 et suiv. (93) L'introducteur de la Compagnie en Allemagne. (94) J. Hansen, Rheinische Akten zur Geschichte des Jesuiten Ordens, p. 73. (95) P. Debuchy, Un Apôtre du pays wallon au temps de la Réforme. Le P. Bernard Olivier, 1523-1556 (Antoing, 1911). (96) Hansen, Rheinische Akten zur Geschichte des Jesuiten Ordens, p. 240. (97) Hansen, Rheinische Akten, 254. (98) Piot, Correspondance de Granvelle, t. IV, p. 155. — D'après une lettre de Ribadeneira aux Arch. de l'Etat à Rome (voy. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 5e série, t. II [1892], p. 160), dont M. A. Fayen a bien voulu m'envoyer une copie, on reprochait surtout aux Jésuites un prosélytisme excessif. (99) A partir 1561, Granvelle apparaît d'ailleurs parmi les protecteurs de la Compagnie. Hansen, Rheinische Akten, p. 396. (100) Imago primi saeculi, p. 745. — Les Jésuites, d'ailleurs, le mécontentèrent gravement en prêchant contre le 10e denier. Voy. Piot, Correspondance de Granvelle. t. IV, p. 155, n. (101) Hansen, Rheinische Akten. p. 326. (102) Ibid., p. 358. (103) Ibid., p. 395. (104) Ph. de Hurges, Mémoires d'eschevin de Tournai, p. 219. Mém. de la Soc. Hist. de Tournai, t. V [1855]. (105) Imago primi saeculi, p. 745. (106) L. Lahaye, Cartulaire de la commune de Dinant, t. IV, p. 34 (Namur, 1891). (107) Voy. plus haut, p. 424. (108) Marc van Vaernewyck, Van die beroerlicke tijden, t. II, p. 122. IV, p. 28; Ph. van Campene, Dagboek. pp. 90, 107, 124, 126, 147, 199, 225, 247. Cf. De Schrevel, Annales de la Soc. d'Emulation de Bruges. t. XLVI [1896], p. 330. (109) Poullet, Correspondance de Granvelle, t. III, p. 604. (110) Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 21. (111) Ibid., p. 21. (112) Ibid., p. 351. (113) Piot, Correspondance de Granvelle, t. V, p. 331. (114) Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 43. L'édit de 1584 restreint pourtant en quelques points, conformément à l'avis donné à Farnèse par le Grand-Conseil de Malines le 20 avril 1583, les franchises judiciaires et financières accordées par les papes à la Compagnie. Voy. Gachard, Analecte, p. 373. (115) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. XIX, pp. 43, 44, 58. (116) Rapport du P. Provincial en 1586. Archives jésuitiques aux Archives générales du Royaume, n° 990. (117) Chiffres fournis par les rapports des PP. Provinciaux aux Archives générales du Royaume. (118) Imago primi saeculi, p. 238. (119) Ibid., p. 241. (120) « Hoc tamen eos meritissimo elogio non defraudabor, solos paene dignos videri qui juventutem doceant ». A. van Buchel, Diarium, éd. G. Brom et L. A. Van Langeraad, p. 99 (Amsterdam, 1907). — Voir des programmes intéressants des cours faits aux collèges de Bruges et de Dinant, publiés par De Schrevel, Annales de la Société d'Emulation de Bruges, 1896, p. 350. (121) « Nec facile aliquem admittunt, nisi perspecto prius ingenio aut magnae parentelae favore ». Van Buchel, loc. cit. Requésens dit en 1575 que les trois cents élèves des Jésuites d'Anvers appartiennent à la classe la plus distinguée de la population. Gachard, Correspondance de Philippe II, t. III, p. 351. (122) Voy. De Potter, Petit cartulaire de Gand. p. 132. (123) Exemples pour Bruges (Priem, Précis analytique des Archives de la Flandre Occidentale, 2e série, t. IV, pp. 174, 180, 189, 210); pour Gand (V. van der Haeghen, Inventaire des Archives de la ville de Gand, p. 21 et suiv.) ; pour Malines (Gaillard, Mémoriaux du Grand Conseil, t. II, p. 108) ; pour Audenarde (Van Lerberghe et Ronsse, Audenaerdsche Mengelingen, t. IV, p. 112); pour Namur (Lahaye, Correspondance du Conseil provincial de Namur, p. 222); pour Ypres (Annales de la Soc. d'Emulat. de Bruges, t. LUI [1903], p. 53); pour Luxembourg (Duhr, Geschichte der Jesuiten in den Làndern deutscher Zunge, t. I, p. 418), etc. (124) A Arras, par exemple, le collège communal laïque, fondé en 1561 et confié à la direction d'Antoine Meyer, neveu de l'historien, est repris par les Jésuites. A. Guesnon, La surprise d'Arras, pp. 10-11. Pour leurs difficultés à Mons avec le collège de Houdeng, voy. J. Becker, Un établissement d'enseignement moyen à Mons depuis 1545 (Mons, 1913). (125) [A. Poncelet], La Compagnie de Jésus en Belgique, p. 18 (Bruxelles, 1908). (126) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. XIX, p. 51. (127) [A. Poncelet], op. cit., p. 17. (128) V. van der Haeghen, Inventaire des Archives de Gand, p. 48. (129) Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. VIII, p. 101. (130) [A. Poncelet], La Compagnie de Jésus en Belgique, p. 26. (131) C'est sous le nom de gulden ou gilden qu'elles sont habituellement désignées en Flandre. (132) Imago primi saeculi, p. 774. (133) Ibid., p. 783. (134) Ibid., p. 785. (135) Ibid., p. 781. (136) Voy. Paquot, Mémoires littéraires, t. XII, p. 288. Cf. Ibid., t. XV, p. 227 et suiv. la liste des « tracts » composés ou traduits par le P. François de Smidt (1577-1659). A l'en croire, on aurait imprimé de l'un d'eux, en diverses langues, 150,000 exemplaires. (137) [A. Poncelet], La Compagnie de Jésus en Belgique, p. 23. (138) Cf. C. Cappliez, L'école dominicale de Valenciennes au XVI* siècle (Valenciennes 1883) ; G. Marc, Institution et économie de l'école dominicale de Valenciennes, dans Bull, d'études de la Province de Cambrai, 1910, p. 256 et suiv. (139) [A. Poncelet], La Compagnie de Jésus en Belgique, p. 25. (140) Imago primi saeculi, p. 804. (141) Ibid., p. 817. (142) Ibid., p. 797. (143) Ibid.. p. 831. (144) Ibid., p. 826. (145) « Omnium hominum, locorum, temporum, horarum sumus, omnibus omnia facti, ut omnes Chisto lucri faciamus. » Ibid.. p. 767. (146) Voy. par exemple, Gilliodts van Severen, Un drame judiciaire, etc., Annales de la Soc. d'Emulation, 1911, p. 9. — La coutume du duel a été introduite dans le pays par les troupes espagnoles et italiennes. Voy. Gachard, Bullet. de l'Acad. royale de Belgique, 2* série, t. XXXVIII [1874], p. 202. II y eut déjà une ordonnance contre lui en 1567 (Poullet. Corresp. de Granvelle. t. III, p. 41). D'autres suivirent en 1589, 1596, 1610 et 1636. (147) F. de Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 147. (148) Imago primi saeculi, p. 888. (149) Voy. plus haut, pp. 412 et 413. (150) En 1647, ils font représenter à Gand : Marie, la puissante guerrière de la maison d'Autriche. (F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. II, p. 138.) A Louvain, en 1645, c'est la France qui est prise à partie dans la tragédie intitulée : Perfidia gallica cujus insigne documentum Guido... Dampetra cornes Flandriae. (151) F. Strowski, Pascal et son temps, p. 209 (Paris, 1907). (152) Imago primi saeculi, p. 852. (153) Ibid., p. 810. (154) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, pp. 470, 476, 501, 513, 530. (155) V. van der Haeghen, Inventaire des Archives de Gand, p. 48. (156) De Ram, loc. cit., p. 544. (157) C. van Merris, Jansenius et la fondation de l'Oratoire en Belgique, dans Mélanges Charles Moeller, t. II, p. 322 et suiv. (158) Valerius Andréas, Fasti academici, pp. 372-387. (159) L. Bachelet, Bellarmin avant son cardinalat (Paris, 1911). (160) En 1588, Torrentius écrit d'Anvers à leur propos ces lignes caractéristiques : a Nec quid liberum tollentibus arbitrium commode respondere possim invenio, si Lovaniensium opinioni locus esse debeat. Ipsis haud dubie sua constat ratio : verum ego et plurimi mecum boni non tam subtiles sumus ingenio, ut haec assequamur ». Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3© série, t. XI [1870], p. 219. (161) Le troisième synode d'Anvers, en 1610, ordonne que les curés aient dans leur bibliothèque outre le catéchisme de Canisius : « Catholicum Stapletoni, sermones Costeri ejusque libellos sodalitatis et de controversiis horum temporum, Lessii consultatio nupera quae religio sit capessenda, directorium Polanci ejusque libellus ob frequenti communione », c'est-à-dire tous ouvrages de Jésuites De Ram, Synodicon Belgicum, t. III, p. 135. (162) Il est caractéristique aussi que ce soit un Belge, le jésuite tournaisien Philippe Alegambe, qui publie, en 1643, la Bibliotheca scriptorum Societatis jesu. (163) Cf. A. Pasture, op. cit., p. 247 et suiv. (164) Gobert, Les rues de Liège, t. I,. p. 202; Rembrv-Barth. Histoire de Menin, t. I, p. 285 (Bruges, 1881). (165) M. de Villermont, Le duc et la duchesse de Bournonville, p. 97 et suiv. (Bruxelles, 1904). (166) F. de Potter, Second cartulaire de Gand, p. 283. (167) M. de Villermont, Bournonville, p. 98. (168) Quantité de monastères de Récollets sont fondés par des membres de la noblesse, par exemple ceux de Florennes Barbençon, Bastogne, Waremme, Verviers, Trois-Vierges, etc. Voy. J. Grob, Publications de la Section Historique de l'Institut de Luxembourg, t. LIV [1909], p. 93 et suiv. (169) Paquot, Mémoires littéraires ,t. III, p. 165 et suiv. (170) Voy. Husenbeth, Notices of the english collèges and convents established on the continent after the dissolution of the religious houses in England (Norwich, 1849) ; C. J. Destombes, Mémoire sur les séminaires et collèges anglais fondés à la fin du XVIe siècle dans le Nord de la France (Cambrai, 1854); J. J. Proost, Les réfugiés anglais et irlandais en Belgique à la suite de la réforme religieuse sous Elisabeth et Jacques Ier, dans Messager des Sciences historiques, 1865, p. 276 et suiv. ; L. Dan-coisne, Histoire des établissements religieux britanniques fondés à Douai (Douai, 1880); P. Nolan, The irish dames of Ypres (Dublin, 1909); P. Guilday, The english catholic Refugees at Louvain 1559-1575, dans Mélanges Charles Moeller, t. II, p. 175 et suiv.; Le même, The english catholic refugees on the continent (1530-1795). The english catholic collèges and convents in the catholic Low Countries (Louvain, 1914); L. Willaert, Le collège anglais de Saint-Omer, dans Mélanges Moeller, t. II, p. 282 et suiv. ; R. Lechat, Une communauté anglaise réfugiée à Malines au XVIe siècle. Annales du Congrès archéologique de Malines, t. II, p. 243 et suiv. Le même, Les réfugiés anglais dans les Pays-Bas espagnols durant le règne d'Elisabeth (Louvain, 1914). (171) J. Cuvelier, La population de Louvain aux XVIe et XVIIe siècles. Annales de la Soc. archéologique de Bruxelles, t. XXII [1908], p. 351. (172) Dénombrement manuscrit jadis aux Archives d'Ypres. (173) Gramaye donne ces renseignements, certainement imaginaires, pour établir le coefficient que pourraient fournir les religieux belges à une armée dirigée contre l'islam. Voy. son Africa illustratu, p. 113 et suiv. (Tournai, 1622). (174) Placcaeten van Brabant, t. III, p. 172. (175) Ibid., p. 174. (176) J. Cuvelier, Population de Louvain, loc. cit., p. 352 n. (177) Placcaeten van Brabant, t. III, p. 173. Cf. R. Koerperich, Les lois sur la main-morte dans les Pays-Bas catholiques, p. 46 et suiv. (Louvain, 1922). (178) Arch. de Louvain, Cuypers, I, fol. 160 v°. (179) V. van der Haeghen, Inventaire des Archives de la ville de Gand, p. 278. (180) Bormans, Conclusions capitulaires du Chapitre de Saint-Lambert, p. 525. (181) D.-D. Brouwers, Cartulaire de Namur, t. V, p. 2 (Namur, 1922). (182) Gachard, Actes des Etats généraux de 1632, t. II, pp. 164, 165. (183) De Schrevel, Etablissement et débuts des Carmes déchaussés à Bruges (Bruges, 1910); J. Grob, Recueil d'actes et documents concernant les Frères Mineurs dans l'ancien duché de Luxembourg. Publications de la Section historique de l'Institut de Luxembourg, t. LIV [1909], pp. lxv, 199, 208; t. LVI [1909] ,pp. 257, 273. (184) V. van der Haeghen, Inventaire des Archives de Gand, p. 65. (185) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 515. (186) Ibid., pp. 545, 547. (187) U. Berlière, Mabillon et la Belgique dans Revue Mabillon, t. IV [1908], p. 22. (188) Rodriguez Villa, Correspondent de la infanta archiduquesa dona Isabel Clara Eugenia con el duque de Lerma, p. 37. Add. Thonissen, dans Biographie Nationale. t. I, col. 402. En 1587, les religieux d'Anvers demandent la suppression de la « Procession des Disciplinaires », introduite par les Capucins à l'imitation de l'Espagne. Paquot, Mémoires littéraires, t. XII, p. 376. (189) Bibl. Royale de Bruxelles, ms. 16136-16137, fol. 21. (190) Vinchant, Annales du Hainaut, t. V, p. 358 et suiv. (191) J'emprunte ces détails à un curieux dossier que Ch. Duvivier avait rassemblé sur la mission de Gramaye et dont il a bien voulu me permettre de prendre connaissance. Sur cette mission, cf. Schoengen, Neerlandica in belgische Archieven, dans Nederlandsch Archievenblad, t. XVII [1908-1909], p. 211. (192) Rodriguez-Villa, Correspondancia de la infanta archiduquesa dona Isabel Clara Eugenia con el duque de Lerma, p. 332. (193) Rodriguez-Villa, op. cit., p. v. (194) Ibid., p. 217. (195) Rodriguez-Villa, op. cit., p. 86. (196) Philippe de Hurges, Voyage à Liège et à Maestricht, éd. H. Michelant, p. 15 (Liège, 1872). (197) A. de Saint-Léger, Lille au moyen âge, p. 10 (Lille, 1908). (198) De Ram, Synodicon Belgicum, t. I, p. 510. CHAPITRE II L'ORGANISATION POLITIQUE ) (Bruxelles, collégiale des SS. Michel et Gudule.) (Cliché A.C.L.I Mausolée de l'archiduc Ernest (décédé en 1595). Œuvre de Robert Colyns de Noie (Utrecht, entre 1560 et 1570-Anvers, entre 1631 et 1636), « maitre sculpteur de l'hostel de leurs altesses », d'après les dessins de Josse de Beckberghe. Un registre de la Chambre des Comptes des Archives du Nord, à Lille, signale : «A Robert Noie, maistre sculpteur, la somme de 1.225 livres de 40 gros pour le partage de 2.200 livres pour lesquelles il avait emprins de faire asseoir en l'église de Sainte-Gudule en la ville de Bruxelles, endéant le temps et terme de 10 mois, une sépulture de pierre de touche et allebastre avec la représentation de feu l'archiducq Ernest d'Autriche, suivant l'accord fait avec lui le 12e jour de mars 1600 et ung, et pour le séjour qu'il avait faict avecq ses ouvriers en ladite ville de Bruxelles, attandant que l'on avait serré la sépulture à son arrivée trouvée ouverte, sans pouvoir asseoir ladite tombe. » ROGRES DU POUVOIR MONARCHIQUE. — Parties du même point, les institutions des Pays-Bas catholiques et celles de la République des Provinces-Unies ont suivi des voies de plus en plus divergentes depuis la fin du XVIe siècle. Leur opposition — on peut l'observer au premier coup d'oeil — se ramène à l'opposition même des deux principes qui se juxtaposaient sans s'allier dans la constitution de l'Etat bourguignon : la souveraineté du prince et l'autonomie territoriale. De la première, il n'est naturellement rien demeuré dans la République. Après l'échec de la malheureuse tentative de Guillaume d'Orange pour conserver au moins, grâce au duc d'Anjou, les apparences du pouvoir monarchique, l'Union d'Utrecht ne consiste plus qu'en une fédération de provinces indépendantes. Sans doute, l'unité d'action (Abbaye d'Averbode.) (Cliché Lammens.) Portrait équestre de Ferdinand d'Autriche dit le cardinal-infant. Plat de cuivre aux armes du royaume d'Espagne provenant de l'ancienne abbaye norbertine de Saint-Michel à Anvers. Daté de 1655. Diamètre : 0 m. 95. Ans la fera s'effondrer au milieu des discordes civiles. C'est en définitive la seule Hollande qui, par sa puissance économique, l'énergie et l'esprit d'entreprise de ses habitants, leur ferveur calviniste, leur fierté nationale et leur confiance en eux-mêmes, a sauvé l'Union et lui a assuré sa place parmi les grandes puissances de l'Europe. Infiniment plus riche et plus peuplée que ses associées, elle les a soumises à sa prépondérance et a su, aux heures de péril, maintenir leur cohésion. Elle a remédié par sa propre vigueur à la faiblesse de la constitution générale. Grâce à elle, le principe de l'autonomie territoriale n'a point développé toutes ses conséquences et finalement abîmé l'Union dans l'anarchie. Tout à l'inverse, dans les Pays-Bas catholiques, la faiblesse de la nation va de pair avec l'ordre et la régularité des institutions. Le principe monarchique garantit ici l'unité qui manque à la République. Les provinces continuent bien, en théorie, à former des Etats distincts, mais, en fait, leur appartenance au même prince et leur égale subordination au gouvernement central en restreint largement l'autonomie. Le pouvoir souverain l'emporte chez elles en même temps qu'il disparaît chez leurs voisines du nord. Ce n'est point volontairement, à vrai dire, qu'elles ont accepté cette situation. Lorsque les provinces wallonnes, en 1579, rentrèrent sous l'autorité de Philippe II, elles ne visaient, on l'a vu, qu'une restauration catholique et point du tout une restauration de l'absolutisme. Le traité d'Arras restreignait au contraire, autant qu'il était possible, les droits du prince à l'avantage de ceux du pays (2). On revenait au roi, mais on le voulait impuissant et désarmé. La place qu'on lui réservait dans la constitution ne lui laissait guère plus d'autorité que n'en devait exercer le duc d'Anjou suivant les stipulations du Plessis. LE ROI ET LA NATION. — Mais en supposant même, contre l'évidence, que le roi fût disposé à se tenir modes- y est garantie par l'assemblée des Etats généraux, devenue permanente depuis 1593, et par quelques institutions centrales calquées sur celles de l'Etat bourguignon : le Raad van Staat, YOnvanger Generaal, la Rekenkamer. Sans doute aussi, les fils du Taciturne, stadhouders de la plupart des provinces, membres du Conseil d'Etat, commandants en chef des troupes de terre et de mer, jouissent d'une influence qui, sous Maurice et surtout sous Frédéric-Henri, ressemble de bien près à celle d'un souverain. Il n'en reste pas moins vrai, cependant, que chacune des sept provinces de l'Union constitue, en droit, un Etat à part, une petite république dans la grande. Chacune d'elles a voix égale dans l'assemblée des Etats généraux et l'unanimité, requise pour toutes les décisions importantes, combinée avec le mandat impératif des députés, fournit la meilleure des sauvegardes au particularisme politique. La « généralité » ne subsiste en somme que par le libre consentement de ses membres, les avantages qu'elle leur dispense, la protection qu'elle leur assure, mais à travers combien de difficultés, de crises et de conflits ! Elle paraît si mal agencée, elle fonctionne avec tant de peine que les étrangers s'attendent sans cesse à la voir se dissoudre, soit spontanément, soit par un coup de force du prince d'Orange. D'après les Espagnols, elle ne se maintient que par la guerre, et beaucoup d'entre eux sont convaincus que la Trêve de Douze (Pepinghen Iprovince de Brabant], château de Puttenberg, collection du chevalier Camberlyn d'Amongies.) (Cliché Bureau d'Iconographie de la Noblesse de Belgiquel. Jean Grusset dit Richardot (Champlitte, 1540-Arras, 1609), chef-président du Conseil privé de 1597 à 1609. Buste d'albâtre exécuté par un sculpteur inconnu au début du XVIl'' siècle. tement à la place que lui assignaient ses sujets, il ne pouvait plus s'en contenter du jour où ceux-ci l'appelaient à leur aide. La paix n'était pas signée depuis trois ans que les catholiques, incapables de venir à bout des provinces protestantes, autorisaient Farnèse à rappeler les troupes espagnoles (3). Dès lors, l'article le plus important des conventions d'Arras disparaissant, le reste du traité devait infailliblement subir le même sort. Si quelques naïfs purent croire un instant qu'en rendant la force au roi et à son lieutenant, ils ne replaçaient pas en même temps le pouvoir en leurs mains, ils furent bientôt détrompés. D'ailleurs, la paix d'Arras ne s'étendait point à la Flandre et au Brabant. Ces provinces reconquises, il ne subsista bientôt plus rien du traité, que Farnèse, au surplus, n'aurait point accepté s'il avait cru à sa durée. Les motifs religieux qui amenèrent la restauration de la monarchie expliquent aussi la rapidité de ses progrès. En face du calvinisme belliqueux des provinces du nord, le maintien de l'Eglise dépendait évidemment de la force du pouvoir royal. Et ce n'était pas seulement par devoir de conscience que les évêques enfin rétablis sur leurs sièges, apportaient au prince un dévouement absolu. Nommés par lui, ils se trouvaient nécessairement dans sa dépendance. Les avantages politiques que Granvelle se promettait dès 1559 de la création des nouveaux diocèses (4) et dont les troubles civils avaient retardé si longtemps la réalisation, apparaissaient maintenant en pleine lumière. Dans les assemblées d'Etats de toutes les provinces, le roi pouvait compter désormais sur la respectueuse déférence de l'ordre ecclésiastique, sur les bancs duquel siégeaient les évêques (5). Plus l'autorité épiscopale s'imposait au clergé, plus les députés de celui-ci s'accoutumaient à considérer comme des ordres les désirs du souverain. C'en fut fait, depuis la fin du XVIe siècle, de cette indépendance frondeuse que les abbés avaient si souvent manifestée sous Charles-Quint et qui, sous Philippe II, avait même poussé plusieurs d'entre eux dans la révolution. Quant à la noblesse et à la bourgeoisie, elles ne cherchèrent point à défendre le système politique qu'elles avaient fait inscrire dans la paix d'Arras. Elles continuèrent bien, durant toute la première moitié du XVIIe siècle, à le considérer comme un idéal, et l'on a vu que les Etats généraux de 1600 et dé 1632 eurent quelques velléités d'y revenir. Mais ce ne furent là que de vaines tentatives. Dans cette Belgique que la présence continuelle des armées royales faisait ressembler à un camp, quelle chance subsistait-il de s'opposer à la volonté du souverain ? Le lamentable échec de la conspiration des nobles en 1633, dessilla les yeux aux plus crédules. Pour imposer au roi le respect de l'autonomie nationale, il eût fallu une révolution. Mais celle-ci n'eût pu se faire qu'avec la coopération du peuple, et les classes dirigeantes avaient conservé de trop cuisants souvenirs des démocraties calvinistes du XVIe siècle pour ne pas envisager avec horreur semblable éventualité. Elles se résignèrent donc à accepter un état de choses qui garantissait au moins la situation sociale qu'elles occupaient. L'influence croissante' du catholicisme et celle des Jésuites finirent même par les y rallier sincèrement (6). Elles s'accoutumèrent à considérer le gouvernement comme l'affaire du prince. Elles ne songèrent plus à le partager avec lui, et c'est tout au plus si elles se permirent encore, de loin en loin, de lui adresser de respectueuses requêtes. Il faut remarquer d'ailleurs que la transition de l'ancien régime bourguignon au nouveau régime espagnol fut facilitée par l'habileté d'Alexandre Farnèse. On ne cassa point le traité d'Arras; il tomba de lui-même en désuétude. Les membres de la grande noblesse qui siégeaient au Conseil d'Etat, conservèrent l'illusion de jouer un rôle politique. Le duc se garda soigneusement de s'entourer de ministres espagnols, et s'en fut assez pour lui concilier l'opinion. Mais, en réalité, il ne gouverna qu'à sa guise. C'est avec le Conseil Privé, composé d'hommes de robe longue comme Richardot, Pameele ou Assonleville, c'est surtout avec ses familiers italiens, Cosimo Masi ou Paolo Rinaldi, qu'il dirigea l'administration centrale et correspondit avec la cour de Madrid. Il évita, bien entendu, de convoquer les Etats généraux. Au surplus, les nécessités de la guerre le contraignirent à laisser l'administration militaire empiéter dans tous les domaines sur l'administration civile. Les commandants de place usurpèrent les fonctions qui avaient appartenu jusque-là aux gouverneurs provinciaux; les impôts échappèrent au contrôle du Conseil des finances. Tout fut sacrifié à l'armée, insuffisamment entretenue par le roi, et les règles traditionnelles du gouvernement se trouvèrent bientôt complètement bouleversées. (Londres. National Gallery.t Philippe IV, roi d'Espagne de 1621 à 1665. Ponrait peint par Diego Rodrigue* de Silva y Velasquez (Sévilie, 1599-.Madrid, 166(1.1 La brutalité du comte de Fuentès augmenta encore le désordre (7). Dès 1595, l'archiduc Ernest recourait, pour mettre fin à l'anarchie de tous les services publics, aux conseils d'une assemblée des chevaliers de la Toison d'Or et des membres du Conseil d'Etat et du Conseil Privé. Elle s'empressa de lui proposer le retour à l'administration bourguignonne, c'est-à-dire le rétablissement des Conseils collatéraux dans leurs anciennes attributions, la remise en vigueur des prérogatives des gouverneurs de province, l'installation dans tous les emplois de fonctionnaires nationaux, « maniant toutes les affaires dans la langue du pays ». Elle se permit même de faire allusion à l'urgence d'une assemblée des Etats généraux. Elle rappela « le traité de réconciliation des provinces wallonnes rafreischi et promis par Sa Majesté », et, par contraste avec les misères de l'heure présente, vanta pompeusement l'excellence de la constitution traditionnelle « par où les Estats sont tant accrus en piété et religion vers Dieu, en affection et obéissance vers leurs princes, en concorde et union entre eulx, encoires qu'ilz fussent de diverses langues, et en abondance lBruxelles, Musée de la Porte de Haï, série VI n" 51.) (Cliché Pichonnier.l Main gauche espagnole, arme de duel. Fin du XVIe ou début du XVII® siècle. de tous biens et repos, qu'ilz sembloyent avoir reçeu la principale bénédiction par dessus tous les autres quartiers du monde, tellement que pour le bon gouvernement, justice et police, les aultres roys, potentatz et Estatz vernoyent admirer ceste conduite et prendre leur fourme et manière de vivre et gouverner» (8). MONARCHIE ET AUTONOMIE. - Il était évidemment impossible d'exaucer des vœux dont la réalisation eût été la ruine des progrès accomplis depuis un siècle par le pouvoir monarchique. La constitution qui s'établit sous Albert et Isabelle et qui devait persister après eux dans ses traits principaux, ne conserva de l'ancienne constitution bourguignonne que les apparences. Tous les membres essentiels de l'édifice des institutions furent remaniés; l'extérieur seul subsista. Le caractère fédératif de l'Etat se maintint et avec lui l'indépendance territoriale de chaque province. Mais le gouvernement central dépendit exclusivement du prince et ses attributions furent si largement étendues qu'en réalité il absorba presque toute la puissance politique. On pourrait définir la Belgique, à partir du commencement du XVIIe siècle, une monarchie absolue tempérée par des autonomies locales. Le pouvoir souverain ne s'y heurte plus qu'à des coutumes et à des traditions enracinées par l'usage et différant suivant les provinces. Mais si l'isolement, la multiplicité, l'incohérence de ces résistances ne les empêchent pas d'être gênantes, ils les empêchent d'être dangereuses. Au besoin, on peut toujours s'en débarrasser par un coup de force. En cessant de convoquer les Etats généraux, le prince s'est affranchi du seul organe central d'opposition par lequel le pays pouvait faire obstacle à ses volontés, traiter avec lui d'égal à égal et l'amener enfin à s'accorder, tant bien que mal, avec la nation. SUPREMATIE DE L'ESPAGNE. - Un semblable accord est désormais d'autant plus impossible que le prince est étranger. Ses conseillers intimes sont tous espagnols ou, à tout le moins, espagnolisés. Sous Albert et Isabelle, les questions les plus importantes de la politique générale sont réservées à des « juntes » de cabinet où siègent Spinola, le comte d'Anover, le confesseur fra Inigo de Brizuela, Juan de Villela, Juan Mancicidor, Pedro de San Juan, etc. Sauf le président du Conseil Privé, les ministres belges n'ont pas voix au chapitre. Le Conseil d'Etat n'est plus qu'une institution de façade faite pour donner satisfaction à la haute noblesse (9). On réserve également à celle-ci quelques ambassades, quelques missions extraordinaires, quelques charges honorifiques. On distribue à ses principaux représentants des colliers de la Toison d'Or; on assure ou on achète par des « mercèdes » son obéissance et sa fidélité; mais on la prive soigneusement de toute influence politique. Même à la cour, elle est supplantée par les Espagnols (10). Le palais des archiducs, en effet, ressemble bien plus à celui de Madrid qu'à celui des ducs de Bourgogne. On y trouve un mayordomo mayor, des menins et des menines. Les confesseurs d'Albert et d'Isabelle sont espagnols, espagnols aussi leurs chapelains et leurs prédicateurs. Parmi les gentilshommes de la Chambre comme parmi les dames d'honneur, les Espagnols occupent encore les premières places. L'apparence correspond exactement ici à la réalité. Il est évident que le prince n'est, au milieu du pays, qu'un représentant de l'Espagne. Après la mort d'Albert, Isabelle, surveillée et conseillée par Bedmar et par Aytona, ne joue plus qu'un rôle de parade, et les gouverneurs qui lui succèdent n'ont d'autre mission que d'exécuter les ordres venus de Madrid. Si le cardinal-infant appartient encore à la famille royale, on n'a plus guère tenu compte, dans la suite, de la promesse insérée au traité d'Arras de confier les provinces à l'administration d'un prince du sang. Depuis 1641, tous les gouverneurs, à l'exception de don Juan et de l'archiduc Léopold, sont recrutés dans la noblesse espagnole. On en est revenu, à cet égard, au point où l'on en était à l'époque d'Albe et de Requésens. Plus on va et plus s'accentue la subordination des Pays-Bas. L'institution à Madrid par Philippe II en 1588 d'un Conseil Suprême de Flandre composé, du moins en partie, de ministres belges et consulté sur les principales affaires concernant les provinces, reconnaît encore à celles-ci, dans l'ensemble de la monarchie, quelque individualité politique (11). Sous Albert et Isabelle, cette individualité se rapproche même de l'indépendance. Mais elle disparaît rapidement après eux. Dès la fin du règne de Philippe IV, le Conseil de Flandre n'est plus que l'ombre de ce qu'il avait été au début : le Conseil du roi a absorbé ses fonctions. Il ne constitue plus guère qu'une retraite honorable pour d'anciens -fonctionnaires, surtout pour les anciens gouverneurs des Pays-Bas. Sa mission principale consiste à donner son avis sur les concessions de noblesse et de « mercèdes ». D'autre part, à Bruxelles même, l'institution des secré-taireries d'Etat et de guerre (Secretarias de Estado y guerra del gobierno de Flandes), dont les origines remontent à l'époque du duc d'Albe, mais qui semblent ne s'être constituées complètement que sous l'archiduc Ernest, met hors des atteintes du pays le contrôle de l'organisation militaire ainsi que la correspondance avec Madrid et avec les puissances étrangères. Toujours espagnol et nommé par le roi, le secrétaire d'Etat et de guerre est, par excellence, l'agent du souverain dans les Pays-Bas. Il n'est pas seulement chargé de seconder le gouverneur général, il doit aussi contrôler sa conduite. Il est l'homme de confiance du cabinet de Madrid; il traite avec lui, au nom du gouverneur. (Mons, Archives de la ville, n° 880.) (Cliché Lefrancq.) Signatures des archiducs Albert et Isabelle apposées au bas du serment prêté à la ville de Mons et au comté de Hainaut le jour de leur entrée à Mons (24 février 1600). L'acte n'est pas scellé. L'ARMEE. — Par sa puissance militaire, le roi d'Espagne achève de s'assurer la subordination de la Belgique. Les troupes nationales auxquelles le traité d'Arras avait voulu réserver exclusivement la défense du pays, sont réduites, sous Albert et Isabelle, à quelques compagnies d'ordonnance commandées par des grands seigneurs (13) et formant un effectif de dix-huit cents hommes. Quant à l'armée de guerre, même au temps des archiducs, elle est aussi complètement dans la main du roi qu'elle l'était sous le duc d'Albe. Elle n'obéit qu'à ses ordres, et si son rôle (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Hauts fonctionnaires au service du roi d'Espagne et des archiducs. Au premier rang, de gauche à droite : Ambroise Spinola, Jean de Mancicidor, le récollet Jean de Ney(en) (employé par les archiducs comme négociateur auprès des Provinces-Unies; Anvers, vers 1560-1609 ou 1612); au deuxième rang, de gauche à droite : Jean Richardot et Louis Verreycken (premier secrétaire de l'Audience décédé au plus tôt en 1620). (Gravure de J. Hondius.) de toutes les affaires d'importance. Sa correspondance, rédigée en espagnol et non en « langue bourguignonne », n'est communiquée ni aux ministres belges ni aux Conseils collatéraux. Etranger dans les provinces où on le connaît à peine parce qu'il ne joue ostensiblement aucun rôle, le secrétaire d'Etat n'en est pas moins le personnage le plus important du gouvernement. Aucun fonds d'archives n'est aussi précieux pour la connaissance de la politique espagnole du XVIIe siècle en Belgique que l'ensemble des papiers qu'il nous a laissés (12). Il - 31 IBruxclles. Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaies d'Albert et Isabelle. 1. Droit d'un ducaton d'argent; atelier d'Anvers; légende : ALBERTVS. ET. ELISABET. DEI. GRATIA. 1618. 2. Revers d'un demi-ducaton d'argent; atelier d'Anvers; légende : ARCHID(VCES). AVST(RIAE). DVCES. BURG(VNDIAE). BRAB(ANTIAE). ETC. 3. Patagon d'argent, 1616; atelier d'Anvers (même légende que le droit du ducaton d'argent). 4. Double souverain d'or; atelier d'Anvers; légende : ALBERTVS. ET. ELISABET. DEI. GRATIA. ARCHIDVCES. principal consiste à lutter contre l'ennemi de l'extérieur, il est trop évident qu'à la moindre tentative de rébellion, elle serait employée contre les provinces. Toute son organisation, surveillée par le secrétaire d'Etat et de guerre, reste, jusqu'au bout, purement espagnole. Non seulement ses officiers sont commissionnés par le roi, mais elle possède encore, pour le maniement des subsides qu'elle reçoit d'Espagne, une administration à elle et recrutée dans son propre sein : une junta de hazienda, un veedor, un contador, un pagador. Ces subsides, d'ailleurs, ne couvrent qu'une partie de ses dépenses. C'est à la Belgique à parfaire le reste, et ce reste, à mesure que le trésor royal s'épuise, devient de plus en plus absorbant. Non seulement les « aides ordinaires » sont consumées par l'entretien des troupes et des forteresses, mais le pays doit constamment faire des avances à la caisse de Yexercito et tout moyen de surveiller leur destination lui est enlevé, car cette caisse ne relève que de la comptabilité militaire (14). Un Etat privé de la direction de sa politique extérieure et de celle de ses moyens de défense n'est pas un Etat indépendant, et telle est bien, depuis la fin du XVIe siècle, la condition de la Belgique (15). Sans doute, dans toutes les monarchies absolues des temps modernes, la nation abandonne au souverain le soin de ses destinées et le laisse se constituer i'arbitre de la paix et de la guerre. Mais elle sent aussi que son roi lui appartient et, se reconnaissant en lui, elle se soumet avec confiance à son autorité. Rien de tel dans les Pays-Bas catholiques. Ici, entre le peuple et les descendants de Philippe le Beau que la politique dynastique a appelé à recueillir l'héritage espagnol, l'opposition des intérêts, des mœurs, des idées est devenue aussi complète qu'il est possible. Leurs devoirs de rois d'Espagne ont obligé Philippe II et ses successeurs à sacrifier à l'Espagne leurs vieilles provinces bourguignonnes du nord, et à leur imposer une sujétion qu'elles se sont résignées à subir, après avoir vainement tenté de la secouer. Satisfaits d'ailleurs de les avoir mises dans l'impuissance de contrarier leur politique, ils se sont sagement abstenus d'y provoquer de nouveaux troubles en intervenant dans leurs affaires. Au lieu de reprendre le projet, auquel il avait songé un instant, de constituer les Pays-Bas en un royaume (Gand, Musée Archéologique.) (Cliché De Wilde.) Cotte de Philippe Borluut, héraut d'armes d'Albert et Isabelle. Début du XVIIe siècle. unifié, Philippe II, à la fin de son règne, leur abandonne au contraire, en leur assignant des princes particuliers, autant d'autonomie qu'en pouvait comporter l'intérêt général de sa monarchie. Sous Albert et Isabelle et depuis eux, l'administration intérieure fut exclusivement réservée aux nationaux. Il semblerait même, à première vue, que rien n'ait été changé aux institutions centrales telles qu'elles avaient été constituées par Charles-Quint. Mais on s'aperçoit bientôt qu'une transformation constante entraîne de plus en plus le régime dans la voie de l'absolutisme. Des trois Conseils collatéraux, on l'a déjà vu, le Conseil d'Etat a perdu toute autorité. Créé en vue d'associer le pays, par l'organe des principaux représentants de la haute noblesse, à la politique du prince, il ne subsiste plus que pour la forme du jour où cette politique relève exclusivement de la cour de Madrid. Il subit le même sort que le traité d'Arras qui avait si soigneusement stipulé son main- tien et renforcé ses attributions; au lieu de l'abolir, on se contenta de le réduire à l'impuissance. LE CONSEIL PRIVE. - En revanche, le Conseil Privé, composé de gens de « robe longue » et simple instrument du pouvoir souverain, devient le rouage le plus important de l'administration. Son président est le premier ministre du prince pour les affaires intérieures, et de Richardot à Pecquius, de Pecquius à Roose, de Roose à Hovines, il se consacre sans relâche à soumettre la constitution du pays au principe de la monarchie pure. Il suffira de rappeler ici la conduite de Richardot aux Etats généraux de 1598 et de 1600, et celle de Roose à l'assemblée de 1632 (16). Pour les juristes du Conseil Privé, toute puissance découle du prince qui représente et incarne l'Etat. Dépositaire et organe de la souveraineté, il ne peut ni la partager avec ses sujets, ni en entraver l'exercice sous prétexte de respecter des usages ou des privilèges qui ne sont, au fond, que des abus incompatibles avec le fonctionnement normal de la « république ». A l'unité du pouvoir souverain doivent correspondre l'ordre et la régularité (Bruxelles, collection du comte d'Arschot.) (Photo obligeamment communiquée par M. J. Boisée, conservateur conservateur aux Archives Générales du Royaume de Belgique.) Carte héraldique de la noblesse du Brabant. Gravée en 1600 par Jean-Baptiste Zangrius. Le premier, Zangrius adopte les hachures encore employées de nos jours en héraldique. des institutions. La centralisation marche donc de pair avec la monarchie, et le Conseil Privé s'attache également à développer l'une et l'autre. Dès le commencement du règne d'Albert et d'Isabelle, on le voit travailler sans relâche à se subordonner toute l'organisation judiciaire. Le Grand Conseil de Malines cherche vainement à s'opposer à ses empiétements et à conserver des prérogatives qui lui paraissent inséparables de la dignité et de l'indépendance de la magistrature. Sa lutte contre les légistes du prince fait songer à la résistance des Parlements de France aux progrès de la monarchie, et elle se termine, comme celle-ci, par la défaite. Les Conseils provinciaux s'accoutument à demander l'avis du Conseil Privé dans toutes les questions difficiles, et il leur indique par des « décrets » la solution à adopter. Son ingérence constante dans les procès diminue l'impartialité de la justice, mais elle établit dans la jurisprudence une uniformité remarquable (17). Gardien vigilant de la souveraineté de l'Etat, le Conseil Privé n'hésite pas à l'imposer à l'Eglise. D'après lui, et en ce point toute la haute magistrature partage sa manière de voir, seul, le prince possède, en vertu du pouvoir qu'il tient de Dieu, le droit de légiférer, et il en résulte que les décrets de l'autorité ecclésiastique ne peuvent être promulgués sans son autorisation. Aussi, combat-il sans relâche pour les soumettre à l'obligation du placet (18). En 1621-1624, il soutient énergiquement le Conseil de Flandre en lutte à ce sujet avec 1 évêque de Gand, et il faut, pour mettre fin à la querelle, que l'archiduchesse Isabelle, plus dévouée aux prétentions de l'Eglise qu'à celles de l'Etat, termine le conflit en faveur de l'évêque (19). En 1627, on le voit déférer au même Conseil, comme dangereuse pour le pouvoir royal, la Monomachia de Jean Bécard (20). Il s'attache surtout à imprégner le droit national de cette régularité et de cette uniformité qui ont commencé à s'y introduire sous le règne de Charles-Quint et que les troubles civils ont entravées peu de temps après la promulgation des grandes ordonnances criminelles de 1570. L'homologation des coutumes, décrétée en 1531 et en 1540, et à laquelle le particularisme judiciaire avait opposé tant de lenteur et de mauvais vouloir (21), fut reprise à l'époque des archiducs et rigoureusement conduite. Le 31 août 1606, un édit prescrivait d'y procéder. On songea même un instant, reprenant une idée émise en 1595, à substituer un code unique à la multiplicité des coutumes locales. Dans le courant de 1611, une commission de membres du Conseil Privé, de magistrats et de juristes, reçut mission de refondre le droit civil et criminel de toutes les provinces, de manière à le soumettre dans son ensemble aux mêmes principes généraux. Mais c'était là, comme toutes les tentatives de ce genre qui se firent jour en France, par exemple, à la même époque, une entreprise irréalisable. La commission y renonça, après avoir établi quarante-sept dispositions qui formèrent l'Edit perpétuel, rendu obligatoire dans tout le pays, le 12 juillet 1611 (22). LA LEGISLATION. — On peut considérer cet Edit comme le point de départ du mouvement d'unification qui s'imposa de plus en plus, depuis lors, au droit national. C'est à lui que l'on doit la rédaction de la plupart des coutumes à laquelle il ordonnait de procéder sans retard, « à peine que commissaire s'envoyera pour faire les devoirs à ce requis». De 1611 à 1632, le Conseil Privé ne décréta pas moins de trente-six coutumes (23). Il mena encore à bien une foule de mesures excellentes, telles que l'ordonnance du 19 juillet 1603 sur les attributions des officiers fiscaux (24), l'édit général sur la chasse du 31 août 1613 (25), la réforme de la procédure du Conseil de Brabant en 1604 et en 1612 (26), celle de la cour du Hainaut en 1611 et en 1619 (27), l'édit réglant la législation forestière du Luxembourg en 1617, etc. Elaborée par des juristes patients, consciencieux, instruits, toute cette législation, à défaut d'originalité, n'en constitue pas moins une œuvre fort remarquable et l'un des résultats les plus bienfaisants du règne des archiducs. Après son interruption par les guerres qui désolèrent le pays à partir du second tiers du XVII" siècle, il faudra Lfiffjiem feiilsfi 8$09&SS® iwsiviv* attendre jusqu'au règne de Marie-Thérèse pour en retrouver le pendant. Le régime financier trahit aussi clairement que les réformes judiciaires les progrès accomplis, dès le début du XVII'' siècle, par le pouvoir monarchique (28). En pratique sinon en principe, la permanence de l'impôt qui, sous le duc d'Albe, avait rencontré une opposition si passionnée, a triomphé. Depuis la dissolution des Etats généraux de 1600, l'aide annuelle de 3,600,000 florins acceptée par le prince sans qu'elle eût été consentie, n'a plus cessé d'être levée suivant la cote fixée à chaque province (29). A vrai dire, le gouvernement qui a imposé cette nouveauté, s'est bien gardé d'afficher ouvertement sa victoire. Il a continué à demander l'aide chaque année à chaque province, mais, en réalité, ce n'a plus guère été là qu'une simple formalité. Les provinces votaient l'impôt, mais il était bien entendu qu'elles n'avaient pas le droit de le refuser sans se rendre coupables d'atteinte à la souveraineté du prince. Pour leur permettre cependant de discuter, sans danger pour lui, le gouvernement leur demandait habituellement une somme supérieure à la cote traditionnelle et consentait ensuite à la « modérer » conformément à l'import de celle-ci (30). LES FINANCES. - L'aide permanente ou, comme on disait, l'aide ordinaire ne suffisait pas d'ailleurs à couvrir les dépenses incombant à l'Etat. On y suppléait par l'aide extraordinaire ou subside, dont l'importance variait suivant les circonstances et qui, sauf durant les années de la Trêve, fut régulièrement demandée aux provinces. Chacune d'elles conservait intégralement ici son droit de consentir à l'impôt ou de le rejeter. Les Etats de Brabant soulevèrent même de nombreuses difficultés et s'opposèrent toujours obstinément à admettre que le prince pût leur imposer par «compréhension» (vervanghenis) des charges votées à la simple majorité de leurs trois ordres. On finissait d'ailleurs presque toujours par s'entendre grâce aux « moyens d'induction » suggérés par le Conseil des finances. Le retrait d'une mesure impopulaire ou quelque concession avantageuse à la province récalcitrante l'amenaient finalement à résipiscence. Au besoin, une démonstration militaire suffisait à vaincre une résistance trop obstinée. A côté des aides, le domaine ne subvient que pour une part assez faible aux besoins de l'Etat. A la fin du XVIe siècle, il était presque complètement aliéné, et si les archiducs parvinrent à le reconstituer en partie durant la Trêve, le résultat de leurs efforts fut bientôt anéanti. A partir (Bruxelles. Musée Royal d'An ancien.) Ferdinand de Boisschot, comte d'Erps, vingt-troisième chancelier de Brabant (Bruxelles, seconde moitié du XVIe siècle - 1649). Le chancelier porte le manteau de chevalier de l'ordre de Saint-Jacques. — Portrait peint par un artiste inconnu. première moitié du XVIIe siècle. de 1622, le gouvernement se vit obligé, pour faire face à l'augmentation croissante des dépenses militaires, de vendre ou d'engager ses terres et ses revenus. Il dut également renoncer, par suite de la décadence du marché financier d'Anvers et de la dépression économique du pays, aux ressources abondantes que l'emprunt lui avait fournies sous le règne de Charles-Quint. Spinola employa plus d'une fois son crédit personnel pour se procurer l'argent nécessaire à la. subsistance des troupes, et l'on a vu plus haut qu'en 1632, Isabelle fut contrainte d'affecter au paiement de l'armée les sommes déposées aux Monts-de-Piété (31). Différents expédients remédièrent quelque peu à la situation. Tels furent entre autres l'érection de quantité de terres en seigneuries et l'octroi de plus en plus abondant de titres de noblesse. On eut même parfois recours à la vénalité des offices, mais cette pratique, formellement interdite par la Joyeuse-Entrée, souleva toujours d'énergiques protestations et l'on ne s'y résigna que de loin en loin (32). Les « licentes » subvinrent d'une manière plus efficace à la pénurie constante du trésor. Leur institution remonte la civilisation des pays-bas catholiques Cemmingem_ ÛIAmoor Ha r rem. MunAler tfi46 • ! Rotterdam i ?n7îf»y PROVMËRÏDÎÔNÂn ou PAyS BAS ESPAGNOLS-____ yv/'et/fiort X 7600 Juller* O 3 Calais1 a/ost* '•OffUghem *Ju!emont S.'crr'crh Ofo Broinrfr, Chîêvres tiens J" NKellei^' Zembhué laÏre Sfvenorit liiirt • Guinegate Bèthunç* 'tloriembour Clair faux Couvin, Rocroy 104.1 5'Quenti/hlS5/ •Vervins 1596 Thion ville.v laon ^cferrUoircs dètaciiÂS desfavsjlas 0PRE5 LE TRAITE DE MUNSTER 1648 ■ PAR LES TRAITES A VECIA FRANCE cjt. limite Septentrionale delaBelgique .. /Fixée par le Traité de Munster 1648/ Jy, ÏÏH»aUES7PROVmCE5-LJNlE2 1 ' L I appies ^^yi-UNtOND UTRECHT '579- Limite méridionale de fa Belgique — 'après tes Traités de 1/t4/ Les Pays-Bas sous le règne des archiducs Albert et Isabelle. au gouvernement du duc d'Albe. Sentant l'impossibilité d'interdire complètement le commerce avec les provinces rebelles, le duc l'avait subordonné à la perception d'une taxe payée à la sortie et à l'entrée des marchandises. Les Hollandais ne manquèrent pas de s'approprier aussitôt cette mesure. Transitoire à l'origine, elle devint permanente grâce à la continuation de la guerre. On peut la considérer comme le point de départ de l'organisation douanière, tant dans les Provinces-Unies que dans les Pays-Bas catholiques. En 1622, on estimait le produit des « licentes » à 5 ou 600,000 florins annuellement (33). On ne les envisagea du reste pendant longtemps que comme un sim- ple supplément de ressources fiscales. Elles furent abolies après la paix de Munster, mais les Hollandais les ayant conservées, il fallut bientôt les rétablir et c'est depuis lors qu'on commença petit à petit à les transformer en un instrument de protectionnisme (34). Tout bien considéré, les impôts de toute nature payés par la Belgique durant la première moitié du XVII'" siècle, ne furent point aussi écrasants qu'il pourrait sembler à première vue. Les comptes de la recette générale des finances montrent que l'encaisse annuelle du trésor n'atteignit que très rarement le chiffre de 5 millions de florins; en général, elle ne dépassa guère celui de 3 millions, auxquels elle se tint constamment pendant les années de la Trêve. Néanmoins, sauf durant ces douze années, la situation financière fut déplorable. Les ressources du gouvernement ne parvinrent presque jamais à couvrir ses dépenses. L'assignation de pensions et de « mercè-des » sur le produit des aides ordinaires, par suite de l'épuisement du domaine, détournait celles-ci de leur destination. Les avances faites par le trésor à la caisse de l'exercifo rendaient impossible une comptabilité régulière. On se débattait au milieu du désordre, vivant au jour le jour, laissant s'accumuler les dettes et attendant avec angoisse l'arrivée des subsides espagnols. Vainement, les Etats généraux de 1600 avaient demandé à pouvoir exercer un contrôle sur l'emploi des impôts. Non seulement le gouvernement continua à les dépenser à sa guise, mais de l'argent levé sur le pays rien ne revenait, en temps de guerre, à la nation. Aide ordinaire et extraordinaire, licentes, revenus (Lille, Archives du Nord, Fonds de la cathédrale de Cambrai.) (Cliché Saint-Aubin.t Sceau rond de la cour souveraine de Hainaut. Ecu aux quatre lions de Hainaut. Légende : + SIGILLVM NOBILIS. ET SVPREMAE. CVRIAE. COMITATVS. HANNON1AE. Sceau pendant au bas d'un acte du 8 juillet 1628. Diamètre : 50 mm. plique strictement qu'aux institutions brabançonnes, les seules qu'il ait connues. Pour mieux échapper aux prises de la centralisation, les Brabançons affectent de ne voir dans le roi que leur duc héréditaire. Le Conseil de Brabant proteste sans cesse contre l'ingérence du Conseil Privé dans ses affaires (39). Le chancelier de Brabant revendique et conserve le droit de contresigner tous les édits applicables au duché. Les Etats de Brabant, enfin, discutent âprement chaque demande d'impôt et, comme au temps de la révolution, persistent à faire lever les aides et subsides par leurs propres officiers et à n'en point rendre compte, « de façon que, dit la Cham-, bre des Comptes de Bruxelles en 1625, depuis ledit temps l'autorité souveraine est demeurée comme divisée et répartie entre le prince et les Estats, chose jamais auparavant cognue ny praticquée en Estât de prince souverain » (40). Pour les monarchistes purs, ces Etats constituent « un corps tout à fait déréglé et plein de confusion, d'abus et d'erreurs » (41). La cause principale de ces « erreurs » réside dans le régime municipal des villes brabançonnes et particulièrement de Bruxelles. Comme les métiers liégeois, leurs « nations » ont retenu la prérogative de consentir l'impôt et, fidèles à la tradition médiévale, elles ne reconnaissent comme légitime qu'un vote émis à l'unanimité. Il suffit donc du refus d'une seule d'entre elles pour paralyser l'action des Etats. Mais tandis qu'à Liège la faiblesse militaire de l'évêque l'oblige à tolérer ces prétentions, le prince est ici trop bien armé pour qu'il puisse céder devant elles. Le plus souvent, il est vrai, il patiente et consent à parlementer (42). Il lui arrive pourtant de faire un exemple. En 1619, l'opposition des « nations » de Bruxelles à la perception de l'aide, finit par lasser la longanimité de l'archiduc. Ordre fut donné aux troupes espagnoles de marcher sur la ville, et il n'en de toutes sortes s'abîmaient également dans le gouffre insatiable des dépenses militaires. FIN DES ETATS GENERAUX. - «Les Etats généraux sont pernicieux en tout temps et dans tous les pays monarchiques sans exception » (35). Cette déclaration de Philippe IV peut être considérée comme la maxime politique qui, depuis le retour de la Belgique à l'Espagne, détermina la conduite du gouvernement de Bruxelles. L'expérience tentée en 1600 par les archiducs avait trop mal réussi pour qu'on fût tenté de la recommencer. On ne peut considérer comme une assemblée d'Etats généraux la réunion des délégués des provinces qui furent appelés, en 1619, à chercher les moyens d'éteindre les dettes contractées envers l'Angleterre à l'époque de la révolution contre Philippe II (36). Et il fallut des circonstances exceptionnelles pour qu'Isabelle, en 1632, eût encore recours à une institution condamnée et qu'elle s'était arrangée d'ailleurs pour réduire à l'impuissance (37). Mais les Etats généraux disparus, les Etats provinciaux subsistèrent. L'absolutisme se contenta de la conquête du gouvernement central. Les archiducs tinrent le serment qu'ils avaient prêté à chaque province de respecter ses usages et ses privilèges et, après eux, les rois d'Espagne chargèrent les gouverneurs de faire en leur nom le même serment, et ils le tinrent aussi (38). LES AUTONOMIES PROVINCIALES. - D'ailleurs, l'autonomie provinciale ne se conserva vigoureuse que dans le Brabant. Seul, en effet, parmi tous les territoires de la Belgique, à l'exception du pays de Liège, le Brabant possédait une constitution écrite : la Joyeuse-Entrée. Chez lui seul, les droits du prince étaient exactement délimités en face de ceux du pays. Il eût fallu un véritable coup d'Etat pour abolir des garanties solennellement ratifiées, au début de chaque règne, par le serment du souverain, et les légistes eux-mêmes durent tenir compte, tout en la déplorant, d'une situation si anormale et si contraire à leur conception de l'Etat. Lorsque le nonce Bentivoglio définit, en 1613, le régime politique des Pays-Bas comme un alliage de monarchie, d'aristocratie et de gouvernement populaire, il étend à l'ensemble du pays une observation qui ne s'ap- IBruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Droit et revers d'une médaille monétiforme des Etats de Brabant (1584). Médaille d'argent. Légende du droit : MONETA. DVCATVS BRABANTIAE SYMBO-LVM. INTERREGNI. Légende du revers : ANTIQVA. VIRTVTE. ET F IDE ORDI-NIBVS. iVBENTIBVS. 1584. Diamètre : 44 mm. fallut pas davantage pour obtenir le consentement demandé et mettre fin à cette « guerre du gigot », parodie presque ridicule, tant l'écart était devenu considérable entre les forces du prince et celles des communes, des anciennes révoltes urbaines (43). Le Hainaut a gardé aussi une indépendance assez prononcée. La haute noblesse y était largement représentée, et il importait de la ménager. Le « grand-bailli », toujours choisi dans son sein, s'opposait par point d'honneur à laisser « rogner » par le gouvernement central les prérogatives attachées à ses fonctions (44). Les «lois» (échevinages) du comté, renouvelées par lui sans l'intervention du prince, ne se montaient pas toujours aussi dociles qu'on l'eût souhaité à Bruxelles. Il fallut renoncer, à la suite des réclamations qu'elle souleva, à la réforme de la Cour du Hainaut édictée en 1611. Le magistrat de Mons qui représentait le Tiers-Etat aux Etats de la province, manifesta parfois aussi quelques velléités d'opposition. On en vint à bout en modifiant, en 1624, le mode traditionnel de son recrutement, trop favorable, aux yeux du gouvernement, à l'élément populaire (45). Partout ailleurs, les provinces se montrèrent pleines de déférence pour le souverain, et leur autonomie fut toujours singulièrement maniable. On eut soin de ne pas rendre de gouverneur à la Flandre, la plus considérable d'entre elles; le président du Conseil de Flandre y fut placé à la tête de l'administration. Le Limbourg, le Luxembourg, l'Artois, le Namu-rois, la Flandre wallonne et la Gueldre conservèrent des gouverneurs. Mais leurs pouvoirs furent strictement limités et ne leur laissèrent aucune attribution militaire. rGand. Musée Archéologique.) Les commandants des places fortes échappaient entièrement à leur influence et ne relevaient que des chefs de l'armée. Enfin, les Conseils provinciaux de justice, nommés par le gouvernement central, les surveillaient de près. En 1604. les instructions données au comte de Berlaymont. pourvu de la lieutenance en Luxembourg, lui prescrivent de prendre en toutes les matières importantes l'avis du Conseil provincial « présupposant qu'ils sont nos conseillers et ministres, et non les vostres » (46). Quant au Tiers-Etat, sa soumission était assurée par la composition du magistrat des villes, recruté dans la haute bourgeoisie sous le contrôle du gouvernement. L'organisation municipale fut soumise, en effet, presque partout, aux principes de la Concession Caroline de 1540. Les Gantois eux-mêmes avaient si bien oublié leurs « privilèges », qu'ils érigèrent sur le Marché du Vendredi, une statue à Charles-Quint. L'ancienne démocratie urbaine ne survécut partieî-lement que dans les « nations » des villes brabançonnes; ailleurs, il ne subsista des vieilles franchises municipales, que ce qui ne pouvait point porter ombrage au gouvernement. Les métiers ne furent plus que des corporations industrielles dépouillées de toute intervention politique et surtout de toutes prérogatives militaires. Le droit de porter les armes n'appartint plus qu'aux «serments» et aux compagnies bourgeoises choisies dans les classes aisées. Celles-ci eurent bien soin, d'ailleurs, de ne jamais inquiéter l'autorité centrale qui garantissait leur situation. Aussi le Conseil Privé ne manqua-t-il pas de profiter de leurs dispositions pour augmenter encore l'ingérence du prince dans l'administration urbaine. En 1592, il déclarait que le bailli de Gand aurait à l'avenir la première voix au collège du magistrat et pourrait y entrer à toute occasion, de manière à former avec les échevins « un corps entier et parfait, ayant devant les yeux le service de Dieu de Sa Majesté, bien et repos de la dicte ville» (47). Assuré de l'obéissance du Tiers-Etat, le prince l'était davantage encore, aux Etats provinciaux, de celle des deux autres ordres : le clergé et la noblesse. Ne nommait-il point, en effet, les membres du premier, et ne tenait-il point la seconde par l'appât des fonctions et des titres ? Les Etats firent souvent entendre des doléances, chicanèrent plus souvent encore à propos des aides extraordinaires qui leur étaient demandées, mais (Cliché Bijtebien. ne pourrait citer d'exemples de conflits entre eux et le pouvoir central. Le conseiller, Marc de Hertoghe, en Flandre, avait raison d'affirmer, dès 1598, qu'ils ne se composaient que de « créatures et bons subjectz de Sa Majesté, qui ont donné plain tesmoignage de leur fidélité, desquelz il n'y a occasion d'avoir arrière-pensée qu'ils feront ou proposeront quelque chose contraire au service de Dieu, de Sa Majesté et bien publicq » (48). Leur obéissance fut la garantie de l'autonomie qu'ils conservèrent. Le prince n'eût point manqué de la leur retirer s'ils en avaient fait une arme contre lui, de sorte que la modération du régime monarchique dans les Pays-Bas catholiques, s'explique par la modération même dont la nation fit preuve dans l'exercice de ses privilèges. Masses d'armes du XVIe et du XVII<- siècle. A gauche, masse d'armes d'un huissier-audiencier du Conseil de Flandre (XVJI® sièclel ; à droite, masse d'armes du roi des ribauds de Gand (XVI« siècle). NOTES (1) Le lecteur voudra bien remarquer que ce chapitre n'a pas pour but de donner une description, même sommaire, des institutions de la Belgique au XVIIe siècle, mais seulement de signaler la portée des principales transformations qu'elles ont subies à cette époque. (2) Voy. plus haut, p. 345. (3) Voy. plus haut, p. 362. (4) Voy. plus haut, pp. 233-234. (5) Ils y avaient droit de séance en général, non comme évêques, mais comme abbés des monastères qui avaient été annexés à leur mense lors de la constitution des nouveaux évêchés. L'archevêque de Malines et l'évêque d'Anvers faisaient partie des Etats de Brabant à titre d'abbés d'Afflighem et de Saint-Bernard; l'évêque de Namur siégeait aux Etats de la province en tant qu'abbé de Brogne. En Flandre, les évêques de Bruges et de Gand fondaient plutôt leur droit de séance sur leur qualité de chefs de l'ordre ecclésiastique. En Hainaut, il n'y avait pas d'évêque aux Etats. En revanche, le clergé séculier, exclu de ceux du Brabant et qui n'avait pour organe en Flandre que les deux évêques, y était représenté par les doyens ruraux. (6) Voy. plus haut, p. 465. (7) Voy. Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial. p. 70. (81 Gachard, Actes des Etats généraux de 1600, p. 439. (9) L'auteur des Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, édit. Robaulx de Soumoy, t. II, p. 68 (Bruxelles, 1872), dit qu'on ne le consulte plus que sur des « choses triviales et de peu de conséquence ». La conspiration de la noblesse acheva d'ailleurs de le discréditer. A la fin du gouvernement d'Isabelle, il ne comprenait plus que deux membres. (10) Voy. un état très complet de la cour en 1612 dans le Registre 1837 fol. 37 et suiv. du fonds des Chambres des Comptes aux Archives générales du Royaume. Les deux plus hauts dignitaires de la cour, la dama de onor de l'infante et le mayordomo mayor, sont la comtesse de la Fera et don Fr. de Mendoza, amiral d'Aragon. Sur les huit autres majordomes, trois sont espagnols. On relève douze Espagnoles parmi les vingt-cinq dames d'honneur de l'infante; des vingt-trois gentilshommes de la Chambre, trois sont espagnols et, des quinze menins, neuf appartiennent à la même nationalité. Il faut remarquer de plus que les comptes de la cassette des archiducs, renfermés dans le registre cité plus haut ainsi que dans le registre suivant, sont tenus en espagnol. (11) Sur ce Conseil, voy. H. Lonchav, Bullet. de la Comm. roy. d'Hist.. t. LXXVI [1907], p. xlvii et suiv. Supprimé en 1598, lors de la cession des Pays-Bas aux archiducs, il fut rétabli en 1628. (12) On ne possède pas encore de monographie sur la secrétairerie d'Etat et de guerre. On pourra consulter'à ce sujet l'introduction de A. Gaillard à l'Inventaire sommaire des archives de la secrétairerie d'Etat et de guerre. Inventaires sommaires des archives des anciens gouvernements des Pays-Bas, I (Bruxelles. 1906). Sous les archiducs, il n'y eut plus qu'un secrétaire de guerre espagnol, l'armée demeurant sous le pouvoir du roi. Mais après la mort d'Albert, Philippe IV envoya à Bruxelles un de ses secrétaires, pour y servir de secrétaire d'Etat et de guerre. (13) Les privilèges de leurs membres furent renouvelés en 1597 et 1632. Placcaeten van Brabant. t. I, pp. 252, 254. — En 1635 et 1639 on convoqua toute la noblesse de l'armée. Ibid., t. II, 360. (14) Sur l'organisation militaire, voy. le bon exposé de H. Lonchav, La rivalité de la France et de l'Espagne, p. 33 et suiv. (15) Th. Overburv, Observations in his travels upon the state of the XVII provinces as they stood anno 1609, the treatice of peace being then on foote (s. 1., 1626), observe très justement que : « there is no Spaniard of the counsell of State, nor governor of anv province, but of the counsell of warre, which is onlv active : there they onlv are and have in their hands ail the strong towns and castles of those provinces of which the governors have but onlv the title ». (16) Voy. plus haut, pp. 382, 387. 405. (17) Pour les empiétements du Conseil Privé sur les hautes cours de justice, voy. J. Simon, Les Recueils d'arrêts du grand Conseil de Malines. Bullet. de la Commission pour la publication des anciennes lois et ordonnances. 1908, p. 201 et suiv. Add. A. Gaillard, Le Conseil de Brabant. t. I, p. 132 (Bruxelles, 1898). (18) Simon, Les recueils d'arrêts, loc. cit.. p. 168 et suiv. (19) Voy. les actes de ce curieux conflit, où s'exprime très nettement l'opposition du point de vue des légistes et de celui des théologiens, dans De Ram, Synodicon Belgicum, t. IV, p. 302 et suiv. (20) Voy. Biographie Nationale, t. II, col. 75. — Le Conseil de Brabant intervient lui aussi plus d'une fois pour faire respecter l'obligation du placet. Voy. Gaillard, Le Conseil de Brabant. t. II, p. 89 (Bruxelles, 1901), et Placcaeten van Brabant. t. III. pp. 34, 35. (21) Voy. Histoire de Belgique, t. III, (3e édit.), p. 208. (22) Placcaeten van Vlaenderen, II, pp. 739, 753. (23) Liste dans Defacqz, Ancien droit belgique. t. I, p. 141 et suiv. (Bruxelles, 1846). (24) V. Brants, Ordonnances, t. i, p. 217. (25) Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 194. (26) V. Brants, Ordonnances, t. I, p. 240. (27) Faider, Coutumes du Hainaut, t. I, p. 402. (28) Voyez pour l'ensemble de l'organisation financière, encore très mal connue. Brants, Albert et Isabelle, p. 109 et suiv. (29) En réalité l'aide n'était que de 275,833 florins par mois, c'est-à-dire de 3,309,996 florins par an. Voy. les cotes des provinces dans Gachard, Etats généraux de 1600, p. cxxiv. Plus tard, elle diminua encore, mais la proportion dans laquelle chaque province intervenait au paiement resta fixe. (30) Voy. le mémoire de Sanchez de Aguilar sur les Aides et subsides de la province de Malines. Bullet. de la Comm. Roy. d'Hist., 4° série, t. VI [1879], p. 288 et suiv. Naturellement ce n'était pas là le point de vue des provinces. Elles affirmèrent en toutes circonstances le droit de rejeter l'impôt, mais, sauf en Brabant, elles ne firent jamais usage de cette prérogative. (31) Nous n'avons pas à nous occuper des emprunts contractés par le gouvernement espagnol pour fournir à l'armée un budget qui se monta assez régulièrement à trois millions d'écus par an. C'est Gênes qui fut, depuis la fin du XVIe siècle, la banque des rois d'Espagne. La place d'Anvers ne servait plus qu'à négocier les lettres de change envoyées de Madrid. Voir l'intéressant travail de H. Lonchay, Etude sur les emprunts des souverains belges au XVIe et au XVIIe siècle. Bulletin de l'Acad. roy. de Belgique. Classe des Lettres, 1907, p. 923 et suiv. (32) Elle est formellement interdite par des édits de 1626 et de 1649. Placcaeten van Brabant, t. I, p. 522, IV, p. 165. En 1658, le Grand Conseil de Malines la condamne comme un abus qui tend à s'introduire. (A Gaillard, Mémoriaux du Grand Conseil, t. II, p. 108). Cf. encore F. De Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 250. (33) Bibliothèque communale de Boulogne, ms n° 157, fol. 159. (34) Avant 1648, on tenta plus d'une fois de les supprimer, mais il fallut toujours les rétablir tant parce que les Hollandais laissaient subsister les leurs que parce que les Etats refusaient de compenser la perte qui résultait, pour le gouvernement, de leur suppression. Les fraudes étaient d'ailleurs constantes. Voy. Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, t. III, p. 138; V. Gaillard, Archives du Conseil de Flandre. p. 363. (35) Waddington, La République des Provinces-Unies, etc., t. I, p. 182. — Sur les idées politiques relatives aux Etats généraux au XVII® siècle, voy. V. Brants, Albert et Isabelle, p. 46 et suiv. (36) Voy. plus haut, p. 406, n. 40. (37) Voy. plus haut, p. 405. (38) En 1632, les Etats généraux déclarent à Marie de Médicis, qui a fait arrêter sans jugement un de ses courtisans et refuse de le mettre en liberté, que « le roy mesme estant par dega ne pourroit procéder de la sorte, eu égard à son serment ». Henrard, Marie de Médicis, p. 288. (39) A. Gaillard, Le Conseil de Brabant. t. I, p. 133. (40) Gachard, Inventaire des Archives des Chambres des Comptes, t. III. p. vt (Bruxelles, 1851). (41) Bref mémoire sur la forme du gouvernement des provinces obéissantes des Pays-Bas. Ms. fr. 12. 118 de la Bibliothèque Nationale de Paris. (42) Voy. un curieux exemple dans Brants, Une page de l'histoire de l'impôt dans les Pays-Bas au XVIIe siècle. Mélanges G. Kurth. t. I, p. 317. — Cependant le prince prétend que le non-consentement des « nations » ne peut empêcher le vote de l'aide, et il se réserve formellement, en cas de refus de leur part, le droit de « compréhension, cy-devant accoustumée en tel cas pour le bien commun du pays ». Arch. comm. de Louvain. Cuvpers, VII, f. 6 et suiv. (43) Sur cette affaire, dont l'importance est fort exagérée, voy. Henne et Wauters. Histoire de Bruxelles, t. II, p. 24 et suiv.; Gachard, Documents inédits concernant les troubles de la Belgique sous le règne de l'empereur Charles VI. t. I (Bruxelles, 1838) ; Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3e série, t. IV [1863], p. 555; L. Galesloot, Troubles de Bruxelles en 1619 (Bruxelles, 1868). Le nom de « guerre du gigot » vient du nom populaire de la monnaie dont les échevins de Bruxelles avaient décidé la perception sur chaque brassin de bière, au moment où commencèrent les troubles. (44) Bref mémoire cité plus haut, note 41. Pour l'indépendance du grand-bailli dès le commencement du XVIe siècle, voy. A. Walther, Die Anfange Karls V. p. 4 (Leipzig, 1911). Le gouvernement tâcha, en 1613, de restreindre l'indépendance du grand-bailli et il fut question de supprimer sa charge en 1625. V. Brants. Albert et Isabelle, pp. 79, 80. (45) Voy. Gouvernement du pays d'Haynnau depuis le trépas de l'archiduc Albert. p. 19 et suiv. (Mons, 1835). (46) V. Brants, Albert et Isabelle, p. 79. Add. E. Poullet, Les gouverneurs de province. Bullet. de l'Acad. roy. de Belgique. 2e série, t. XXXV [1873], p. 362. (47) Placcaeten van Vlaenderen. III, p. 252. (48) V. Brants. Albert et Isabelle, p. 51. (Bruxelles, Musée Royal d'Art ancien.) La rade d'Anvers en 1631. Tableau peint par Jean Wildens (Anvers, 1584-1653». CHAPITRE 111 LA SITUATION ECONOMIQUE ET SOCIALE ISERE DU PAYS A LA FIN DU XVI« SIECLE. -— Une médaille gravée en 1587 représente d'une manière frappante l'état économique des Pays-Bas tel qu'il devait apparaîtra alors aux calvinistes fervents (1). Autour d'emblèmes qui symbolisent, au droit, la misère des régions catholiques et, au revers, la prospérité des territoires protestants, court une double légende donnant la première comme le châtiment réservé par Dieu aux impies et la seconde comme la récompense qu'il accorde à ses fidèles. Et en effet, au moment où Farnèse a reconquis à l'Eglise la Flandre et le Brabant, ces deux territoires épuisés par des années de guerre, présentent le spectacle d'une désolation si complète qu'elle fait songer les Réformés des Provinces-Unies aux terribles catastrophes dont Jéhovah, dans l'Ancien Testament, accable ses ennemis. Au nord, les digues ont été percées et les eaux ont repris possession des polders que le travail acharné de tant de siècles avait gagnés sur elles (2). Des ports de Houcke et de Monikereede, aux bords du Zwin, il ne reste, en 1594, que des ruines (3). A l'intérieur de la Flandre, quantité de champs, revenus à la sauvagerie, sont couverts de ronces et de taillis. Le chroniqueur gantois Jan van den Vyvere raconte qu'on ne pouvait s'aventurer en 1585 à un mille hors de la ville sans risquer d'être attaqué par les loups (4), et, quinze ans plus tard, ceux-ci pullulaient encore dans la châtellenie de Furnes (5). Des bandes de pillards infestaient la campagne au point qu'il fallut ordonner, en 1589, de couper les bois sur une largeur de sept cents .pieds le long des routes et des rivières, parce qu'ils servaient de repaires à des voleurs et à des assassins (6). Les courses de la garnison hollandaise d'Ostende à travers le plat-pays achevaient d'en bannir toute sécurité. En 1604, les Etats de Flandre écrivent que les « foules, concussions, désordres et mangeries sont si grandes et si énormes que la clameur du pauvre paysan en crie vengeance à Dieu, se désespérant du tout pour la continuation d'iceulx et le peu de chastoy que l'on en faict » (7). Aussi, jusque dans la banlieue de Gand, estime-t-on que le dixième à peine des terres est ensemencé, et, en 1592, on permet au premier venu de cultiver à son profit les champs laissés à l'abandon par leurs propriétaires (8). La situation n'est pas meilleure en Brabant. Une enquête entreprise à la fin du XVIe siècle nous fournit des renseignements lamentables sur la dévastation du pays (9). En vingt ans, le nombre des maisons a passé à Lubbeek, de 86 à 45. à Thiélt-Notre-Dame, de 177 à 39. à Haecht, de 120 à 77, à Molenbeek près de Sichem, de 58 à 24, à Meerhout, de 204 à 104, à Hauwaert, de 89 à 17, à Ra- cour, de 52 à 19, à Dormael, de 73 à 42, à Landen, de 90 à 48, à Wesemael, de 94 à 17, et ainsi de suite. A Linden, le maire affirme que le village n'existe plus, toutes les maisons ayant été brûlées par les soldats de la garnison de Louvain. Dans une foule de localités, la plupart des habitants se sont enfuis ou sont morts de misère. Presque partout, les enquêteurs constatent que les prairies sont inondées, les brasseries et les moulins détruits, les troupeaux anéantis. Les fermes ne trouvent plus de locataires, et, en beaucoup d'endroits, les terres ne sont cultivées que par des fuyards venus de la Campine. Car dans cette contrée frontière, parcourue sans cesse par les armées, le désordre est plus effroyable encore. Les fourrageurs hollandais (vrij buiters) rançonnent le pays, et les habitants sont obligés, pour échapper au pillage, de payer des contributions à l'armée ennemie. Ajoutez à cela celles que lèvent sur eux, depuis la mort de Farnèse, les mutins espagnols ou italiens campés à Tirlemont et à Sichem. La misère des villes égale celle des campagnes. A Grammont, en 1581, il ne reste debout que le quart des maisons, et les cinq sixièmes des bourgeois ont émigré (10). Gembloux n'a plus, à l'intérieur de l'enceinte, en 1594, que 70 maisons habitées sur 170, et, dans les faubourgs, que 26 sur 157. La pauvreté y est si grande qu'il a fallu vendre les cloches et mettre en gage jusqu'au saint ciboire de l'église paroissiale (11). Le renchérissement des vivres et la cessation du travail poussent le bas peuple au dernier degré de la souffrance. Van den Vyvere nous le décrit à Gand se nourrissant de choses innommables, fouillant les tas d'ordures pour y découvrir des aliments, dévorant les entrailles des poissons jetées à la voirie (12). Dans les villes de garnison, les soldats, mal payés, vivent sur l'habitant, réquisitionnent tous les moyens de subsistance, et, en hiver, brûlent pour se chauffer le mobilier des maisons et jusqu'à leurs charpentes (13). Les provinces wallonnes, épargnées par la guerre, ne ressentirent que le contre-coup des calamités auxquelles la Flandre et le Brabant étaient en proie. Sans doute l'émigration des Réformés qui, après la victoire du catholicisme, IBruxelles, Musées Royaux d'An et d'Histoire.) Couvre-lit de dentelle brabançonne ayant probablement appartenu aux archiducs Albert et Isabelle. Extrême (in du XVI'' siècle. Ce couvre-lit est lormé de cent vingt pièces 18x9 cm.l de travail aux fuseaux représentant divers sujets. Au centre, un amour ailé réunit les couronnes d'Autriche et d'Espagne au moyen d'une branche de laurier; des cieurs enflammés, percés de flèches, sont surmontés des monogrammes A(LBERT) et ELIS(ABETH). et les deux époux sont agenouillés l'un à côté de l'autre, entourés des écus de Brabant, d'Espaghe, d'Angleterre et d'Autriche. Albert et Isabelle sont encore représentés aux quatre angles de In bordure en costume d'apparat, ceints de la couronne, tenant le sceptre et revêtus de manteaux de la cour. La plupart des autres scènes correspondent aux épisodes communément représentés à l'occasion des Ommegangen : Adam et Eve, Agar répudiée par Abraham, le Jugement de Salomon, Suzanne et les Vieillards, l'Annonciation, la Visitation, l'Adoration des Mages, la Résurrection, les quatre fils Aymon et le cheval Bavard, la baleine portant Orion qui joue de la cistre, une galère guidée par l'archiduc Albert et qui évite les embûches de la guerre et de l'hérésie, etc. Soixante-deux personnages désignés par leur nom ornent l'encadrement. — Cette magnifique pièce de dentelle a vraisemblablement été offerte aux archiducs à l'occasion de leur mariage (30 novembre 1598). On n'a pu établir avec certitude de quel atelier brabançon elle était sortie. Dimensions : I m. 71x1 m. 31; largeur de l'encadrement : 0 m. 12. quittèrent Tournai, Valencien-nés, Lille, Arras, Armentières, pour se retirer dans le Nord, porta un coup sensible à leur industrie. Elles souffrirent aussi très cruellement de la décadence du marché d Anvers et de la fermeture de l'Escaut. Cependant, elles continuèrent à jouir d'une prospérité relative. L'intervention de Philippe II dans les affaires de France leur fit bien connaître, depuis 1592, le fléau des passages de troupes et des mutineries. Mais la paix de Ver-vins (1598) leur rendit bientôt un repos qui ne devait plus être' sérieusement troublé durant une quarantaine d'années. Six ans plus tard, la prise d'Ostende permettait à la Flandre de respirer. L'ennemi était chassé du réduit qu'il y avait si longuement occupé et d'où il la terrorisait par ses razzias et par la menace constante d'une invasion au cœur même du territoire. A vrai dire, le séjour de l'armée assiégeante dans le pays durant quatre ans y avait accumulé des ruines nouvelles. Mais Spinola profitait de sa victoire pour diriger ses opérations sur la région lointaine de l'Yssel. Désormais, jusqu'à l'époque des guerres avec la France, le comté cessa d'être un champ de bataille : les efforts des belligérants durant les années suivantes s'y bornèrent à prendre et à reprendre les petites places voisines de l'Escaut, dans les Quatre-Métiers et le pays de Waes. Néanmoins, au moment où fut conclue la Trêve de Douze Ans (1609), les provinces du sud présentaient encore l'aspect le plus affligeant. L'Anglais Overbury, qui les parcourut à cette date, trouve, dès qu'il a dépassé Lillo, « un pays dévasté, des habitants découragés et plus mécontents de leur gouvernement que furieux contre l'ennemi, la noblesse et les marchands en décadence, les paysans labourant uniquement pour vivre et sans espoir d'améliorer leur sort, les villes à demi ruinées, et, pour tout dire, une pauvreté générale en dépit d'impôts beaucoup moins lourds que ceux des Provinces-Unies» (14). Les années d'accalmie que procura la Trêve furent courageusement employées à la restauration économique. Mais si honorables pour l'énergie du peuple et pour l'activité du gouvernement qu'aient été les résultats obtenus, les conditions dans lesquelles se trouvait désormais la Belgique ne permettaient plus d'espérer le retour de l'étonnante prospérité dont les vieillards conservaient encore le radieux souvenir. Ils attestent du moins que la vitalité de la nation restait intacte. Il n'en faut d'autre preuve que sa rapidité à panser les blessures faites par la guerre, à remettre les champs en culture, à relever les digues, à réparer les routes et les canaux, à ranimer le commerce et à chercher à l'industrie de nouveaux débouchés. Tout ce qui pouvait être fait, on le fit, et c'est en raison de circons- I Bruges, Gruulhusemuseum. ) (Cliché Pichonnier.l Détail de la carte du Franc de Bruges dessinée par P. Pourbus entre 1561 et 1571. Entre 1596 et 1601, Pierre Claeissins en a exécuté une copie conservée aux archives de la ville de Bruges. tances inéluctables que le pays ne parvint point à reprendre la place qu'il avait occupée jadis dans le monde économique. DECADENCE D'ANVERS. — Durant la terrible lutte dont on sortait, les Provinces-Unies, grâce à leur flotte de guerre, avaient tenu close l'embouchure de l'Escaut et bloqué les ports de la côte. Flessingue, Middelbourg, Amsterdam accaparèrent dès lors le transit d'Anvers. Après sa conquête par Farnèse, cette place, déjà si gravement atteinte, reçoit le coup mortel. Les maisons étrangères qui y existaient encore en 1584 ne tardent pas à se transporter dans le nord ou s'abîment dans la banqueroute (15). En 1609, la ville ne renferme plus que deux marchands de Gênes, un seul de Lucques, plus aucun de Florence, et les quelques Portugais et Anglais qui lui restent fidèles la quitteront bientôt pour ses heureuses rivales (16). Pour la ranimer, Farnèse compte vainement sur l'appui de la Hanse, elle-même à son déclin (17). Les magistrats forment l'inutile projet d'y reconstituer l'étape de la draperie anglaise (18). Mais comment espérer réussir alors que la fermeture de son fleuve a fait d'elle, au lieu d'une place maritime, une cité « méditerranéenne »? (19). La solitude règne sous les galeries de la Bourse où ont retenti si longtemps tous les idiomes de l'Europe : on y transportera, en 1648, la bibliothèque de la ville; on permettra à des fabricants d'y installer plus tard des métiers à tapisseries (20). Seuls des bateaux hollandais viennent encore accoster les quais à demi déserts pour y décharger des grains ou y prendre des cargaisons de produits manufacturés que la Belgique, manquant de flotte, ne peut exporter elle-même. Les Provinces-Unies, qui ont fermé aux autres nations le port de l'Escaut, ont soin de se le réserver; re- (Anvers, Musée de la Boucherie.» Buffet de chêne. XVII« siècle. poussé par elles du trafic international, il reste le débouché de leur commerce avec les Pays-Bas catholiques. Ce n'était pas à cela que l'on s'était attendu, en 1609. La Trêve proclamait nettement qu'entre les deux parties des Pays-Bas la liberté commerciale serait rétablie et que les habitants de chacune d'elles jouiraient dans l'autre du traitement de la nation la plus favorisée. Mais comment croire que les exportateurs d'Amsterdam et les marins de Zélande renonceraient bénévolement, au moment même où l'Espagne capitulait devant les Provinces-Unies, aux précieux avantages que la guerre leur avait valus ? Rétablir la libre navigation de l'Escaut n'eût-ce pas été, en effet, ranimer au profit du roi catholique la vitalité d'Anvers, y faire refluer les marchands et les industriels qui l'avaient quitté pour s'établir dans le Nord, susciter enfin aux ports de la République une concurrence désastreuse? (21). En réalité, la fermeture du fleuve ne fut guère moins complète pendant les années de la Trêve qu'elle ne l'avait été et qu'elle ne devait l'être durant la guerre. Les navires qui se dirigeaient vers la Belgique durent rompre charge en Zélande et confier leur cargaison à des bateaux d'intérieur qui la transportaient au but. Les retards et les frais qui en résultaient suffirent à empêcher la renaissance d'Anvers. L'expiration de la Trêve en 1621 aggrava à peine la situation, et lorsque la paix de Munster, en 1648, proclama la clôture définitive de l'Escaut, elle ne fit en somme que reconnaître officiellement l'état de choses qui n'avait cessé d'exister depuis le retour de la ville sous l'autorité de Philippe II. CAUSES POLITIQUES DU DECLIN ECONOMIQUE. — Le déclin économique de la Belgique depuis la fin du XVIe siècle lui a donc été imposé par les Provinces-Unies. Il n'en faut point chercher la cause dans l'affaissement de l'énergie nationale. Sans doute, au milieu des troubles religieux, une foule d'artisans, de capitalistes, d'hommes d'affaires émigrèrent vers le Nord et contribuèrent largement à porter la prospérité de la Hollande à ce degré de splendeur qui devait faire, au XVIIe siècle, l'admiration du monde. Mais il convient de ne point exagérer les effets de cette émigration. Si salutaire qu'elle ait été pour les provinces septentrionales, elle n'a fait qu'y hâter l'épanouissement du commerce et de l'industrie : elle ne (Cliché A.C.L.I les y a pas introduits. Guichardin nous les montre déjà florissants avant l'explosion des troubles, et le port d'Amsterdam n'attendit point, pour se développer, l'afflux des marchands d'Anvers. D'autre part, la Belgique eût facilement réparé les conséquences de l'exode économique si, les luttes confessionnelles terminées, elle avait encore offert, comme jadis, un champ d'action incomparable aux hommes d'entreprise. Dans l'éternel combat pour la fortune, rien ne se comble plus rapidement que les places vacantes — à condition qu'elles soient de bonnes places. Mais justement, celles que les provinces catholiques pouvaient encore offrir, à la fin du XVIe siècle, n'étaient plus propres à tenter personne. En retombant sous le joug espagnol, la Belgique avait perdu la libre disposition des fleuves qui l'arrosent et de la mer qui bat ses dunes. Dotée par la nature d'admirables moyens de communication et de transit, elle devait renoncer à s'en servir. La politique triomphante des Provinces-Unies lui enlevait tous les avantages de son admirable position géographique, et l'activité qui avait durant si longtemps convergé vers elle se portait maintenant vers la République, dont sa voisine catholique n'avait plus qu'à subir la loi. Déjà Requésens avait fort bien vu que pour venir à bout de la Hollande, il eût fallu la ruiner en lui fermant la mer, et cette idée se retrouve constamment exprimée jusqu'au milieu du XVIIe siècle dans les rapports et les pamphlets qui s'occupent de la situation des Pays-Bas (22). Mais Philippe II n'employa sa flotte que contre l'Angleterre, et la catastrophe de l'invincible Armada porta à la marine espagnole un coup qui l'empêcha pendant longtemps de tenter dans le Nord une nouvelle entreprise. Cependant, durant le règne de Philippe III, on s'efforça du moins de harceler sans relâche les bateaux marchands de l'adversaire. Les galères amenées à l'Ecluse par Frédéric Spinola inquiétèrent gravement, jusqu'à la prise de cette ville par Maurice de Nassau en 1604, la navigation zélandaise. Plus redoutables encore, les pirates de Dun-kerque furent durant toute la première moitié du XVIIe siècle, le cauchemar des armateurs et l'effroi des pêcheurs des Provinces-Unies (23). Mais ce qu'il eût fallu et ce que le pays ne cessait de réclamer, c'eût été l'organisation d'une force navale capable d'affronter celle de l'ennemi et de rompre le blocus qu'il maintenait devant les ports de Flandre. ABSENCE D'UNE MARINE. - Malheureusement l'Espagne ne disposait point des ressources colossales qu'eût exigées la réalisation de ce dessein. Elle se borna à faire renouveler les statuts de l'amirauté (24), mais elle ne lui envoya jamais que des subsides insuffisants, et dont la plupart étaient d'ailleurs détournés pour l'entretien des troupes de terre (25). Quelques vieilles frégates pour^ rissant dans les bassins d'Ostende et de Dunkerque consti--tuèrent toute sa flotte. C'est, en vain que la charte de YAlmirantazgo. conçue en 1624, prévit la formation d'une escadre destinée à protéger le commerce des provinces obéissantes (26); en vain que les Etats généraux de 1632 exhortèrent Philippe IV à constituer à Ostende une compagnie des Indes en vue de rivaliser avec les vaisseaux hollandais (27); en vain que ministres belges et faiseurs de projets ne se lassèrent point de soumettre à la cour de Madrid des moyens plus ou moins pratiques de créer une marine flamande. Incapable d'agir, l'Espagne persista dans une inertie qui la fit accuser de ne point vouloir ouvrir la mer à ses sujets de Belgique (28). Pourtant, lorsque le comte-duc d'Olivarès eut réorganisé ses flottes, elle n'hésita point à les tourner contre les Provinces-Unies. Mais il était trop tard pour venir à bout d'un adversaire auquel elle n'en imposait plus, et la défaite qu'elle subit à la bataille des Downs (1639) consacra définitivement la domination hollandaise sur la mer du Nord. Si les bateaux de guerre embossés par la République dans les rades d'Ostende et de Dunkerque ne pouvaient empêcher les corsaires de prendre hardiment le large en se glissant à travers les hauts fonds, leur garde permanente devant ces ports en interdisait l'accès à tout commerce régulier, et les condamnait à un «embouteillage» définitif (29). Impuissant sur mer, le gouvernement espéra porter un coup sensible aux rebelles en fermant les frontières à leur commerce. Déjà le duc d'Albe s'était servi de cet expédient, et après lui on y revint à diverses reprises, notamment au début du règne d'Albert et d'Isabelle, chaque fois avec un égal succès (30). C'est qu'entre la Belgique et les Provinces-Unies la partie n'était pas égale. Le trafic mondial de celles-ci leur permettait de supporter sans peine la perte d'un de leurs débouchés; celle-là, au contraire, ne pouvait se passer, sans se condamner à la disette, des blés qu'elle achetait à la République (31). Aussi ne parvint-on jamais à rendre effectives les prohibitions commerciales. Le duc d'Albe se vit forcé de tolérer le transit en le soumettant au paiement de « licentes » qui restèrent en vigueur après lui et qu'il faut considérer comme le point de départ de l'organisation douanière du pays. Les Belges n'ignoraient pas, d'ailleurs, que les marins de Hollande et de Zélande fréquentaient librement les ports espagnols, et cette tolérance à l'égard de l'ennemi leur fournit un grief dont ils ne cessèrent de se plaindre. On s'occupa bien à Madrid d'atténuer leur mécontentement en prenant quelques mesures en faveur de leurs exportations dans la péninsule. En 1603, on leur promit le monopole de la vente de tous les genres de produits fabriqués par eux (32); en 1605, le roi interdit le trafic des Provinces-Unies dans ses Etats, et, en 1606, le veedor Antonio de Jauregui fut envoyé à Dunkerque pour y établir un bureau chargé de délivrer des certificats aux marchandises originaires des provinces et expédiées vers l'Espagne, afin que l'on pût les distinguer des marchandises hollandaises (33). En 1624, on résolut d'organiser à Sé-ville, sous le nom d' Almirantazgo. une sorte de compagnie privilégiée, formée des Belges résidant en Espagne et (Anvers, Musée Royal des Beaux-Arts.) Le banquier. Tableau peint par Marinus van Roymerswaele dit Marinus le Zélandais (Rovmerswaele. vers 1493-après 1567). appartenant à la confrérie commerciale de Saint-André, et qui aurait dirigé le commerce avec les provinces obéissantes (34). La compagnie, placée sous la surveillance d'un fonctionnaire royal, devait percevoir un droit de 1 p. c. sur la valeur de toutes ses exportations et entretenir une flotte de vingt-quatre navires de guerre montés par six à sept mille hommes pour protéger son trafic. On chercha même, en 1628, à associer la Hanse à cette entreprise, qui d'ailleurs ne paraît point avoir été mise en vigueur. Au surplus, l'Espagne ne s'intéressa jamais au relèvement matériel de ses provinces des Pays-Bas. Tandis qu'elle était forcée de laisser les Hollandais trafiquer aux Indes, ce n'est qu'en 1640 que fut abolie pour les Belges l'interdiction d'y faire le commerce, et cette concession, à l'époque et dans les circonstances où elle fut octroyée, pouvait passer à bon droit pour une ironie (35). RELEVEMENT DE L'INDUSTRIE. - On peut s'étonner de ce qu'au milieu de conjonctures si défavorables, l'industrie de la Belgique n'ait pas disparu complètement dès la fin du XVIe siècle. A peine le calme est-il rétabli dans les provinces, on la voit, comme une plante vigoureuse, abattue mais non déracinée par la tempête, se ranimer, puiser dans le sol natal les éléments d'une vigueur nouvelle et se parer encore d'une floraison inattendue. Durant toute la première moitié du XVIIe siècle, elle fait en somme bonne figure dans le monde économique. La Trêve de Douze Ans permet au pays de se reprendre, de (Cliché A.C.L.I La brasserie « De Wereld » à Diest construite au XVIe siècle. se remettre au travail et de restaurer en quelques années les ruines accumulées durant les troubles et la guerre civile. Si sa prospérité ne peut soutenir la comparaison avec ce qu'elle avait été un demi-siècle auparavant, si elle paraît bien insignifiante dès qu'on l'oppose à l'admirable épanouissement commercial des Provinces-Unies, elle n'en présente pas moins, pour peu que l'on songe à la détresse de la fin du XVIe siècle, un spectacle surprenant. Même après l'expiration de la Trêve, elle s'est maintenue pendant plusieurs années, et ce n'est qu'à partir des invasions françaises dont la Belgique eut à souffrir depuis le milieu du XVIIe siècle, qu'elle a sombré dans une nouvelle crise. De ce réveil de l'activité économique sous le règne des archiducs, on peut facilement indiquer les causes : l'accoutumance séculaire de la population aux travaux industriels, le bon marché de la main-d'œuvre, les produits ou les richesses naturelles du sol national — le lin en Flandre, le fer et le charbon dans les régions wallonnes — l'absence de frontières douanières entre les diverses provinces qui, en dépit de leur particularisme local, constituent au point de vue de la circulation un seul territoire économique, et enfin les efforts du gouvernement central, des villes et des provinces en faveur de l'industrie. La reprise des hostilités, à partir de 1621, n'entraîna pas les suites fatales auxquelles on aurait pu s'attendre. Les opérations militaires n'affectèrent en général que les frontières. Les contrées proches de celles-ci, le nord de la Flandre et du Brabant, pour échapper aux pillages de l'ennemi, s'astreignirent à lui payer des contributions volontaires qui leur permirent de vivre dans une sécurité relative. Il faut constater de plus que les mutineries de troupes cessèrent à peu près complètement à partir de 1620, et que la construction de casernes, entreprise vers la même époque, soit aux frais des villes soit aux frais du gouvernement, mit fin aux abus et aux désordres de toutes espèces que les logements militaires avaient provoqués antérieurement. Il importe d'ailleurs de répéter que les provinces wallonnes, superficiellement atteintes par les troubles du XVIe siècle, échappèrent à la crise formidable que déchaînèrent en Flandre et en Brabant la domination calviniste et les campagnes d'Alexandre Farnèse. Malgré l'exode de quantité d'ouvriers lors de la réaction catholique de 1579, la sayetterie, la bourgetterie, la draperie légère ne cessèrent point d'être activement pratiquées à Valencien-nes, dans le Tournaisis, dans la châtellenie de Lille, à Ar-mentières et à Hondschoote. La laine, que l'on ne pouvait plus faire venir de Bruges ou d'Anvers tant que ces villes furent aux mains des rebelles, arrivait par Rouen. Philippe II en plaça même, durant les troubles, l'étape à Saint-Omer (36). Lille jouit à cette époque d'une prospérité extraordinaire. Un poème composé en 1597 vante sa richesse et son activité et lui décerne le surnom de « petit Anvers » (37). Ainsi, la région wallonne demeura, pendant les plus mauvais jours du XVIe siècle, une pépinière d'artisans, de marchands, de capitalistes qui, dès la reconquête des provinces flamandes, contribuèrent largement à y ranimer l'industrie. Nous voyons, en effet, au IBruxelles, Musée Royal d'An ancien.) Jour de marché sur le Meir à Anvers, à la (in du XVIe siècle. Tableau peint par un maitre flamand anonyme de la fin du XVIe siècle. commencement du XVIIe siècle, les villes du Nord attirer dans leurs murs des ouvriers et des entrepreneurs wallons (38). LES DIVERSES BRANCHES D'INDUSTRIE. - Il ne faut point exagérer cependant l'influence exercée par les provinces du Sud sur leurs voisines. En réalité, dès que la prise d'Anvers par Farnèse a mis fin aux guerres de religion, les diverses spécialités industrielles commencent à refleurir aux endroits mêmes où elles s'étaient développées durant le XVIe siècle. Le tissage du lin se répand de nouveau dans les campagnes flamandes. La teinturerie se ranime à Anvers. Audenarde et Bruxelles se remettent à la fabrication des tapisseries, Malines à la fonderie du cuivre, quantité de villes à la confection des rubans, des cuirs imprimés, de la bimbeloterie. Dans le Hainaut, dans le Namurois et jusque dans le Luxembourg, l'extraction du charbon, la fonderie du fer, l'exploitation des forges se développent sous l'influence du réveil économique général. On voit même, au cours du XVIIe siècle, certaines fabrications, dont le siècle précédent n'avait connu que les débuts, parvenir à une activité inattendue. Il en est ainsi, par exemple, de la manufacture des étoffes de soie, qui s'introduit à Anvers et y fournit de l'ouvrage à des centaines d'artisans, et surtout de la confection des dentelles dont les progrès, depuis le règne des archiducs, s accentuent d'année en année, et dans laquelle le pays trouve une de ses branches principales d'exportation. De ce que l'industrie belge du XVIIe siècle, envisagée dans son ensemble, apparaît comme la continuation, on dirait volontiers comme la reprise, de l'industrie du XVIe siècle, il résulte qu'elle présente les mêmes caractères que celle-ci. Comme elle, en effet, elle se développe sous la direction du capitalisme. Elle ne se soutient que grâce aux marchands en gros qui exportent ses produits et sans lesquels elle ne pourrait subsister. Sans doute, le particularisme économique n'a pas disparu. Les villes n'abandonnent point l'antique tradition médiévale. Elles conservent leurs corporations de métiers avec un soin jaloux, veillent au maintien de leurs monopoles industriels, s'efforcent de les protéger contre la concurrence extérieure. On peut même observer, dans certaines d'entre elles, une recrudescence de protectionnisme. A Anvers, par exemple, les professions de courtiers et de débardeurs, qui avaient été librement accessibles à tous durant les glorieuses années du XVIe siècle, se constituent, lors de la décadence du port, en corporations privilégiées (39). Incontestablement, chaque ville ne se préoccupe que de l'intérêt de ses bourgeois. Les magistrats locaux sont incapables de comprendre que la prospérité générale de la nation doit nécessairement influer sur la prospérité particulière de chacun de ses membres. Etroitement conserva- teurs, ils ne voient de salut que dans l'ordre établi, se persuadent que « la nouveauté est toujours odieuse» (40), qu'elle ne peut servir qu'à enrichir quelques particuliers au détriment du public et s'obstinent dans un protectionnisme suranné. Leur idéal est le maintien de cette classe d'artisans indépendants dans laquelle avait consisté jadis la puissance des communes médiévales. Mais ils ne peuvent ou ils ne veulent pas voir que leur conduite tourne en définitive au détriment de la bourgeoisie. Car, dans les industries locales, elle a pour résultat de laisser quelques dizaines de maîtres rançonner à leur gré, grâce au monopole dont ils jouissent, l'ensemble des consommateurs urbains, et, dans l'industrie d'exportation, les entraves qu'elle met à la liberté de la production n'empêchent pas les artisans de vivoter misérablement, incapable qu'elle est de les soustraire à la domination du marchand « qui ordonne, qui achète et qui fait le négoce » (41). LES METIERS. — L'esprit corporatif a d'ailleurs complètement disparu dans les métiers si soigneusement protégés par l'autorité municipale. Si, par point d'honneur et par fidélité aux traditions anciennes, ils continuent à posséder chacun leur « maison » et à se réserver une chapelle dans quelque église, on ne rencontre plus chez eux ces sentiments de camaraderie et de solidarité qui avaient fait leur force au Moyen Age. Entre les maîtres et les compagnons, une séparation définitive s'est accomplie. Les premiers, devenus héréditaires en fait, se sont emparés de la direction du métier; les seconds ne constituent plus qu'une classe de salariés, encore faiblement protégés contre la concurrence des ouvriers étrangers, mais soumis pour le reste à l'autorité des maîtres qui les emploient. En réalité, ils n'exercent plus de droits dans la corporation qui, vis-à-vis d'eux, revêt l'apparence d'un syndicat d'employeurs. Non seulement ils ne prennent aucune part à ses délibérations, mais ils sont encore exclus de ce qui subsiste de ses anciennes fondations charitables, lesquelles ne profitent plus qu'aux maîtres et aux apprentis (42). L'apprentissage, en effet, n'est plus imposé qu'aux futurs maîtres, et les frais qu'il entraîne en excluent les simples ouvriers. Ceux-ci, presque toujours entrés à l'atelier dès l'enfance (43), s'y forment tout simplement par la pratique. Ils se trouvent réduits au rôle d'instruments de travail, et le pouvoir public vient en aide aux maîtres-artisans pour empêcher entre les compagnons toute entente et tout effort collectif. La grève est considérée comme un délit et si, çà et là, les ouvriers parviennent à constituer un compagnonnage, c'est à l'insu de l'autorité et en s'en-tourant d'un mystère qui donne à leur groupement des allures de société secrète (44). Ainsi le régime corporatif ne favorise plus qu'une minorité de petits patrons auxquels il sacrifie à la fois la masse des consommateurs et la classe ouvrière. La protection dont jouissent ces privilégiés ne fait qu'exaspérer leur exclusivisme. Entre les divers métiers, ce ne sont que disputes incessantes sur la portée et l'étendue de leurs monopoles respectifs, et il faut que le magistrat intervienne La halle aux viandes de Namur construite en 1588. Actuellement, local du Musée archéologique. (Cliché Nels.) constamment pour les apaiser par des « accords » et des « transactions ». Il arrive même que les intéressés refusent d'accepter les ordonnances de l'autorité, et il n'existe alors qu'un moyen de les amener à résipiscence, c'est la menace, à laquelle l'échevinage bruxellois s'est vu forcé, par exemple, de recourir en 1647 à l'égard des brasseurs, de proclamer le libre exercice de la profession (45). Un tel expédient laisse suffisamment apparaître la fragilité d'un régime qui ne subsiste que grâce au privilège, et pourtant telle est la puissance de la tradition, que le gouvernement central lui-même ne se fait point faute d'intervenir en sa faveur. Sans doute il ne songe pas à le renforcer, mais du moins n'ose-t-il lui enlever des avantages qu'il considère comme des droits acquis. Quels que soient les inconvénients qui en résultent pour la prospérité générale, il respecte à Gand l'étape des grains (46), et, en 1590, replace à Bruges l'étape des laines, obligeant ainsi les régions drapières du sud de la Flandre à ne s'approvisionner de matières premières qu'au prix d'inutiles et coûteux charrois (47). Il ratifie les chartes de quantité de métiers. A l'occasion, il prohibe dans leur intérêt l'emploi de procédés mécaniques désastreux pour le travail à la main. En 1664, on le voit, à la demande des passementiers de Bruxelles, d'Anvers et de Gand, interdire l'emploi de nouveaux métiers grâce auxquels un seul ouvrier peut accomplir en un jour la besogne de seize personnes (48). L'INDUSTRIE RURALE. - Les artisans privilégiés des grandes villes — est-il besoin de le dire ? — ne participent plus à la vie économique que dans une mesure dont l'insignifiance contraste étrangement avec la sollicitude dont ils sont entourés. S'ils parviennent à conserver le monopole des professions destinées à satisfaire aux besoins courants des bourgeoisies, la grande industrie d'exportation leur échappe. La draperie urbaine achève de 'mourir en Flandre durant les premières années du XVIIe siècle. Elle a si bien disparu en 1613, que Gand cède à cette date sa halle aux draps à la confrérie des escrimeurs de Saint-Michel. Semblablement, malgré la ratification de leur charte, les batteurs de Dinant, de Bouvignes et de Namur sont « entièrement ruinés » en 1643 (49). On ne rencontre d'exception à la règle générale que pour la fabrication des produits de luxe, tels que les tapisseries de Bruxelles et les soieries d'Anvers, ou pour une spécialité industrielle très particulière comme la fonderie des canons et des cloches à Malines (50). A part cela, il n'est guère au XVIIe siècle qu'une seule industrie de consommation courante qui ait pu conserver, sous le régime urbain, une réelle vigueur : la sayetterie de Lille. L'évolution commencée au XVIe siècle sous l'influence du-capitalisme et de la liberté commerciale s'est achevée dans le courant du XVIIe siècle. Presque tout entier, le mouvement industriel, dont le particularisme et le protectionnisme urbains gênent la libre expansion, s'est largement répandu dans les campagnes. C'est là seulement qu'affranchi des règlements de métiers, de la tutelle des pouvoirs publics, de la limitation de la production, de la routine traditionaliste le travail peut se plier aux exigences du marché, suivre les fluctuations du goût, adapter ses prix aux nécessités du moment. Au lieu d'être opprimé comme dans les villes par des syndicats de petits bourgeois à courtes vues, il obéit à la direction hardie d'entrepreneurs-négociants qui exportent ses produits à travers l'Europe. L'esprit qui le mène est purement capitaliste. Bien loin de se contenter, comme l'artisan urbain, d'une vente restreinte au plus haut prix possible, le capitaliste sait qu'on ne peut s'enrichir « qu'en vendant à bon marché une grande quantité de marchandises» (51). L'un et l'autre, sans doute, visent la fortune. Mais tandis que le premier s'efforce d'y atteindre en épargnant sou par sou les bénéfices qu'il retire de son petit atelier, le second prétend y arriver à coups de vastes opérations, dont chacune doit reproduire, avec une plus-value, le capital engagé. L'un est essentiellement un travailleur manuel, un technicien spécialisé dans un art mécanique; l'autre apparaît comme un directeur d'entreprise, comme un spéculateur, uniquement occupé de conclure des contrats de travail et des contrats de vente. Ce qui domine chez lui. (Cologne, archives de la ville. Hanse IV 106".) La maison des marchands de la Hanse (« Oosterlingen ») à Bruges au début du XVIIe siècle. Dessin anonyme exécuté en 1602. c'est l'intelligence et l'entente des affaires, comme ce qui domine chez l'artisan, c'est l'habileté professionnelle. Enfin, l'artisan est étroitement attaché à sa résidence; il ne se conçoit point en dehors de la bourgeoisie qui garantit sa situation. L'entrepreneur capitaliste, au contraire, échappe à toute emprise locale; l'intérêt de ses affaires décide seul de son établissement dans un endroit ou dans un autre; c'est un étranger, un « déraciné », un coureur d'aventures économiques, également inaccessible à l'exclusivisme urbain et au patriotisme de clocher. SUPERIORITE DE L'INDUSTRIE RURALE. - Et c'est là justement ce qui le rend odieux aux artisans des villes. Ils sentent bien que le système économique nouveau dont il est l'organe menace de détruire leurs privilèges et de les transformer eux-mêmes « en ouvriers et esclaves » (52). Ce qu'ils craignent, en effet, ils le voient réalisé dans le plat-pays. Là, nulle trace de cette indépendance que le métier a pour mission de garantir au groupe des maîtres. Le travailleur rural dépend complètement de l'entrepreneur qui l'emploie. Il ne produit que pour le grand marchand, soit qu'il s'y engage par contrat et qu'il en reçoive directement la matière première, soit qu'il se procure lui-même à crédit cette matière première afin d'en confectionner des fabricats qu'il s'empresse d'écouler aux mains des marchands. Tel est le spectacle que nous présentent très clairement la sayetterie et la draperie rurale de la Flandre wallonne et du Hainaut, ainsi que la manufacture des toiles de lin. Paysans ne s'adonnant au labeur industriel que durant les loisirs que leur fait l'hiver, ou simples manouvriers peinant toute l'année sur leur métier à tisser, les travailleurs de la campagne n'ont d'autre clientèle que celle des exportateurs. Et il en va de même des dentellières, dont la plupart ne travaillent que sur commande et reçoivent des marchands le fil qu'elles utilisent et les modèles qu'elles s'épuisent à reproduire. Ainsi toute la fabrication du plat-pays vient s'engouffrer dans les magasins des capitalistes. C'est pour eux que les métiers, du matin au soir, battent dans les villages, c'est pour eux que chaque semaine des centaines de pièces de toile sont apportées en vente à Gand, au Marché du Vendredi, c'est grâce à eux enfin, que tant de bourgades sans importance, Armentières, Hondschoote, Roubaix, Tourcoing, Verviers, se transforment en centres manufacturiers. Contre la concurrence de la campagne, que le bas prix de la main-d'œuvre rend redoutable, la plupart des villes au XVIIe siècle, renoncent à la lutte. Lille presque seule s'acharne encore à conserver intact, au milieu de sa châtellenie, le monopole de ses sayetteurs. Mais le gouvernement auquel elle s'adresse, n'entend point lui sacrifier l'industrie du plat-pays. S'il lui garantit en 1609, la fabrication exclusive de certaines étoffes de qualité supérieure, il autorise en revanche les villages à confectionner des ouvrages de tripes, des bouras et des futaines. Grâce à la liberté, la manufacture rurale parvient bientôt d'ailleurs à produire de nouveaux tissus inconnus aux Lillois, tels que les satinets damassés. II - 32 (Amsterdam, Nederlandsch Historisch Scheepvaartmuseum.) (Cliché Oppenheim.l Girouette en forme de navire provenant de la maison de la gilde des bateliers de Dordrecht. Plomb, seconde moitié du XVIe siècle. Largeur : 35 cm. et, malgré les efforts combinés de Lille et de Tournai, le gouvernement la maintient en possession de cette fabrication (53). Dès lors, l'indépendance économique que les règlements de métiers s'efforcent de conserver aux maîtres sayetteurs de la ville n'existe bientôt plus que de nom. En réalité, la plupart d'entre eux en sont réduits à une existence singulièrement précaire. Dès 1603, ils constatent eux-mêmes que « bien souvent les povres et honnestes sayeteurs sont contraints, à faulte de demande de leurs marchandises, d'engager leurs accoustrements et ceulx de leurs femmes et enfants à ceulx tenans la table de prêt audict Lille, mesmes aulcuns aller mendier leur pain: d'aultant que la plupart desdits sayeteurs sont si nécessiteux que s'ils ne vendent leur marchandise le lendemain qu'elle est fabriquée, ils n'ont le moyen de acheter filets pour construire nouveaux changeants et, par ce, leur convient estre sans ouvrier et ainsi vivre misérablement » (54). Les règlements de leur métier ne leur permettent donc pas d'échapper à la situation qui s'impose à toutes les industries d'exportation. Bon gré mal gré, ils sont forcés, eux aussi, de s'adresser aux marchands et de passer par leurs exigences. Le phénomène de l'exode industriel des villes vers les campagnes apparaît d'une manière aussi frappante dans la métallurgie que dans le travail des textiles. Pendant que la batterie urbaine achève de mourir, les forges, les marteaux à fer, les hauts fourneaux qui avaient déjà commencé au XVIe siècle de se répandre dans le plat-pays du Hainaut, du Namurois, de la principauté de Liège et dans le sud du Luxembourg, se multiplient sans cesse durant la première moitié du XVIIe siècle. Depuis la paix de Vervins, le pays de Chimay se couvre de forges et de clouteries (55), et les ateliers pour le forage des canons de fusil se répandent du pays de Liège dans le Namurois (56). Les grandes forêts de ces régions fournissent le combustible, et leurs cours d'eau torrentueux donnent la force motrice. Déjà, en 1625, on constate que les exigences croissantes de l'industrie provoquent un sérieux renchérissement du bois (57). Elles attirent aussi des contrées voisines une foule si considérable d'ouvriers que, dès 1624, beaucoup d'entre eux, souffrant de l'avilissement des salaires et du manque de travail, se laissent embaucher par des « facteurs » hollandais aux gages de la Suède, qui commence à exploiter ses richesses minérales (58). LA METALLURGIE ET LES HOUILLERES. -L'extraction du charbon de terre, que la Sambre et la Meuse permettent d'exporter facilement vers la France et surtout vers les Provinces-Unies, prend une importance croissante. Il faut construire des moulins pour activer les pompes d'épuisement, dont la puissance augmente à mesure que les travaux pénètrent à une plus grande profondeur (59). De toutes parts on recherche de nouveaux gisements de houille (60), en même temps que s'accroît le nombre des mines de fer et de plomb, des alunières et des carrières de marbre. Comme l'industrie rurale des textiles, toutes ces exploitations minières ou métallurgiques présentent très nettement un caractère capitaliste (61). Car les frais d'établissement qu'elles nécessitent, comme le nombre des ouvriers qu'elles emploient, sont considérables, et il faut noter en outre que toute installation de coup d'eau, toute ouverture de mine entraîne le paiement d'un droit au gouvernement et souvent des redevances fort onéreuses. On estimait en 1632, avec une certaine exagération, il est vrai, que les houillères des environs de Maestricht rapportaient annuellement trois cent mille livres à l'Etat (62). Sans doute, il ne faut point considérer les usiniers de la région wallonne comme de grands industriels. La plupart d'entre eux sortent des rangs de la bourgeoisie aisée, et nous savons que, très fréquemment, ils avaient recours à l'association pour pouvoir fonder leurs établissements (63). Ce n'est guère que dans l'industrie de la clouterie que l'on rencontre le petit atelier familial dirigé par le chef de ménage aidé de sa femme et de ses enfants. Encore ces industriels minuscules subissent-ils la domination du capital. Le fer en barres qu'ils travaillent leur est livré par des marchands vis-à-vis desquels ils occupent exactement la même situation que les tisserands ruraux de la Flandre vis-à-vis des entrepreneurs dont ils reçoivent la matière première. C'est d'ailleurs ces marchands en gros qui assurent l'écoulement des produits de la métallurgie et des (Cliché A.C.L.) La ferme « Ten Boomgaerde » à Coxyde. Les moines de l'abbaye des Dunes, incendiée par les iconoclastes en 1566 et par les calvinistes en 1577, vinrent s'établir dans la ferme Ten Boomgaerde en 1601 sous l'abbatiat de Laurent van den Berghe; ils y séjournèrent jusqu'en 1627. De cette époque date la construction de plusieurs bâtiments. Mais la grange de la ferme fut bâtie dès le XIII" siècle : elle mesure 67 m. 50 de longueur, 22 m. 15 de largeur et 15 m. 50 de hauteur en façade. mines. Beaucoup d'entre eux même sont engagés dans l'exploitation d'usines ou d'entreprises d'extraction (64). Intéressés au bas prix de la fabrication, les capitalistes-entrepreneurs ont suscité les perfectionnements industriels qui se rencontrent si nombreux, au XVIIe siècle, dans la métallurgie et la font contraster d'une manière frappante avec la technique traditionaliste des métiers urbains. Dès 1616, le laminage du fer s'effectue, dans le pays de Liège, suivant des procédés mécaniques inconnus ailleurs (65); en 1627, une invention appliquée à la fabrication des pistolets augmente le débit de l'armurerie liégeoise (66). En 1608 et en 1620, des méthodes allemandes et anglaises sont introduites dans le Namurois pour la confection des ouvrages de cuivre et des armes (67). (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) (Cliché A.C.L.) Paysage montagneux avec une mine et une fonderie. Tableau peint par Lucas van Valckenborch (Louvain ou Malines, avant 1535-Francfort, 1597). LES INDUSTRIES NOUVELLES. - L'esprit d'initiative des entrepreneurs se manifeste encore par l'établissement d'une foule d'industries nouvelles dans toutes les régions du pays. Des fourneaux à verre sont créés à Gand, à Anvers, à Liège, dans le Hainaut, dans le Namurois. La papeterie s'installe dans la région de Huy. La fabrication des chaudrons de fer, qui se substituent rapidement aux pots de cuivre, se répand au pays de Liège. Des ouvriers allemands introduisent dans le Namurois la poterie de grès (68). La manufacture du fer-blanc est également empruntée à l'Allemagne (69). Enfin, des savonneries, des fabriques de potasse, des distilleries de brandevin s'ouvrent de tous côtés, et l'usage du tabac, qui commence à se propager, a pour résultat l'apparition de nombreuses fabriques de pipes (70). Les industries nouvelles ne restent pas confinées à la campagne. Beaucoup d'entre elles, au contraire, s'établissent dans les villes, d'où les métiers n'ont pornt intérêt à les bannir parce qu'ils n'ont à craindre aucune concurrence d'usines adonnées à des spécialités qu'ils ne pratiquent pas eux-mêmes. Ainsi, une brèche s'ouvre dans l'antique économie urbaine. Les corporations continuent à posséder exclusivement le domaine des industries traditionnelles mais, à côté d'elles, la manufacture capitaliste et le travail libre commencent à se faire place. Deux formes opposées d'exploitation économique se juxtaposent dès lors dans les enceintes urbaines. L'organisation moderne s'y développe parallèlement à l'organisation médiévale, mais elle ne la pénètre point. Tandis que les corporations continuent à limiter la production de leurs membres, à leur imposer le nombre et la nature de leurs instruments de travail, les capitalistes commencent déjà à fonder de véritables fabriques, c'est-à-dire des établissements où la matière première et les mécaniques servant à la mettre en oeuvre appartiennent également au chef de l'entreprise. Ce sont de véritables fabriques, en effet, que les verreries, les tissages de soie, de velours, de damassés, etc., dont quantité de villes favorisent la fondation dans leurs murs par des avantages de toutes sortes, exemption d'impôts, octroi de subsides, etc. (71). C'est encore dans les villes que se trouvent les magasins des entrepreneurs pour qui travaillent les tisserands ruraux. Les apprêts qu'exigent les pièces de saie ou de toile, teinture, foulage, blanchiment, s'exécutent dans des ateliers appartenant soit à des entrepreneurs soit aux marchands eux-mêmes, qui prennent ainsi un caractère industriel et se rapprochent des fabricants. LA POLITIQUE ECONOMIQUE. - Le gouvernement, comme les provinces et les villes, n'a pas manqué de seconder les progrès de l'industrie nationale. Durant la Trêve de Douze Ans, les archiducs font procéder à des enquêtes sur les moyens de relever la manufacture des draps (72) et d'empêcher les désordres dont souffre la circulation monétaire (73). Ils s'efforcent de régulariser le cours des espèces et d'empêcher l'écoulement des métaux précieux à l'étranger. S'inspirant des idées d'Olivier de Serres, ils tâchent d'introduire en Flandre la culture du mûrier, afin de favoriser la fabrication des tissus de soie (74). Ils interdisent l'exportation des fils de laine et de lin dans l'intérêt de la manufacture nationale (75). En 1618, ils prohibent l'entrée des soieries françaises (76). Néanmoins, la répugnance générale des habitants pour toutes les mesures susceptibles de faire hausser le prix des denrées a empêché l'Etat d'entrer résolument dans la voie du protectionnisme (77). Il a plutôt cherché à attirer par des octrois de toutes sortes de nouvelles industries dans le pays (78). Il s'est aussi préoccupé d'atténuer, en créant des moyens de communication avec l'étranger, les effets désastreux de la fermeture de l'Escaut et du blocus des ports. Déjà en 1581, Alexandre Farnèse s'était montré favorable au projet du comte-palatin Georges Hans de réunir par un canal le Rhin et l'Escaut (79). Sous le gouvernement d'Isabelle, ce plan fut repris et l'on commença même des travaux que l'opposition des Liégeois et surtout celle des iGand, Archives de l'Etat, Cartes et Plans n" 97.1 Détail du plan du canal de Gand à Ostende creusé en 1613. Carte et description figurative du nouveau canal commencé te troisième de septembre 1613, avec la vraie situation des chemins, terres, prés, rivières, etc., de la ville de Gand jusqu'à Hansbeke, lait et fossoyê en nouveau fond et de là suii'anf la haute Cale jusques à Nieuwe Damme. et de là suivant la Zuydlede (jadis commencée en 13791 jusqu'à la ville de Bruges, et de là suivant la Yperlede jusqu'à la ville d'Ostendé. — carte gravée et collée sur toile sur laquelle figurent les villages, abbayes, châteaux, etc., situés près du canal. Creusé aux frais de la province de Flandre en 1613, il fut prolongé jusqu'à la Lys en 1758. Un octroi daté du 7 janvier 1751 autorise les Etats de Flandre à approfondir le canal, permet la construction de bassins (sassen). d'écluses et de ponts, et en fait la propriété de la province. Hauteur : 0 m. 52: largeur : 1 m. 58. Hollandais ainsi que la détresse financière de l'Etat empêchèrent bientôt de continuer (80). De leur côté, les Etats provinciaux firent procéder au creusement ou à l'approfondissement de nombreuses voies d'eau. Ceux de Flandre entreprirent en 1614 le canal de Bruges à Gand, en faveur duquel ils votèrent, l'année suivante, une aide de deux cent mille livres (81). Celui de Bruges à Ostende. commencé en 1624, ne fut achevé qu'en 1666 par la construction des célèbres écluses de Slykens. De 1635 à 1639, on travaillait au canal de Bruges à Ypres (82). On s occupa, vers la même époque, d'améliorer le cours de la Dendre (83), et, en 1656, on projetait d'unir Bruxelles au Hainaut par un canal à sas qui ne devait être exécuté qu'au XVIIIe siècle (84). On le voit donc, la Belgique, durant la première moitié du XVII1' siècle, fit encore preuve d'une remarquable activité. Mais il eût fallu, pour garantir la prospérité du pays, que le gouvernement fût en mesure de le protéger contre ses deux puissantes voisines : la République des Provinces-Unies et la France. Or, on a déjà vu son impuissance à l'égard de la première, et, à partir du milieu du XVIIe siècle, il se montra également incapable de lutter contre la seconde, aussi bien sur les champs de bataille que dans le domaine économique. Les tarifs protecteurs de la France portèrent, dès le milieu du siècle, un coup sensible à l'industrie nationale. D'autre part, la guerre de Trente Ans, en ruinant l'Allemagne, mit fin aux exportations assez considérables que l'on dirigeait vers ce pays (85). Du moins, le marché espagnol demeura-t-il constamment ouvert aux principales spécialités industrielles des provinces. Les toiles particulièrement s'y écoulaient en si grande quantité que, même dans le commerce indigène, c'étaient des mots espagnols qui en désignaient les espèces. On comprend d'ailleurs à quel point l'absence d'une marine nationale gêna ce trafic lointain, et combien lourd dut être le tribut prélevé sur les producteurs belges par les armateurs hollandais auxquels ils étaient obligés de recourir. L'AGRICULTURE. — Le relèvement de l'agriculture marcha de pair avec celui du commerce et de l'industrie et augmenta d'une manière plus durable la richesse nationale. Dès la première moitié du XVIIe siècle, l'exploitation des terres en Flandre et en Brabant est considérée à l'étranger comme un modèle (86). La petite culture et le fermage, universellement répandus dans ces régions, forcent le paysan à un labeur d'une intensité extraordinaire. Les engrais lui arrivent facilement par les nombreux cours d'eau qui sillonnent le pays. Ils lui permettent de restituer sa vigueur au sol et d'en obtenir, après la moisson d'été, une récolte de navets destinée à l'élevage du bétail (87) Les besoins de l'industrie nationale stimulent l'industrie du lin, à laquelle l'étranger fournit de son côté un marché toujours avide si la production arrive à dépasser la demande des manufactures de l'intérieur. Le houblon du pays d'Alost passe pour le meilleur du monde et s'exporte en quantités considérables vers les Provinces-Unies (88). L'augmentation constante de la rente foncière attire le capital et provoque des entreprises de défrichement ou d'assèchement. En 1617, Wenceslas Coeberger fonde une compagnie pour l'épuisement des moeren, vastes lagunes étendues de Furnes à Dunkerque, et dès 1632, on ne compte pas moins de cent quarante fermes sur les grasses alluvions enlevées aux flots (89). Enfin, la culture des céréales, froment et seigle, se développe largement dans l'Artois et le Hainaut, favorisée par la liberté de la circulation des grains de province à province. LE CHIFFRE DE LA POPULATION. - Le coup d'oeil que nous venons de jeter sur l'état économique de la Belgique pendant la première moitié du XVIIe siècle suffit à attester l'existence d'une population considérable. Le développement de l'industrie et celui de l'agriculture supposent l'un et l'autre un nombre élevé d'habitants. Dans un pays dépeuplé, les entreprises capitalistes n'auraient pas trouvé une main-d'œuvre suffisante, et surtout les campagnards n'eussent point été poussés à ce labeur acharné qui leur a fait arracher au sol natal deux récoltes par année. Incontestablement, dès la fin des troubles religieux, la nation a comblé, par une puissante natalité, les vides créés dans son sein par l'émigration et la misère. Il est malheureusement impossible, dans l'état actuel de nos connaissances, d'établir le nombre des habitants avec une exactitude suffisante. Don Jorge de Henin, en 1628, évalue la population des provinces rebelles à un million 300,000 âmes et celle des provinces obéissantes à trois millions 800,000 (90). Ce dernier chiffre, tout au moins, paraît singulièrement exagéré. On pourra considérer comme plus vraisemblable une autre estimation de la même année, laquelle donne à l'ensemble du Belgium 800,000 familles, dont 500,000 auraient appartenu au Belgium regium (91). Il en résulterait, sous toutes réserves, un chiffre de 2,000,000 à 2,500,000 d'habitants. Ce qui est plus certain, c'est que l'accroissement de la population s'est accompli surtout au profit des campagnes, phénomène très compréhensible si l'on tient compte des progrès de l'agriculture et du caractère surtout rural de la grande industrie. Malgré l'établissement dans leurs murs d'ateliers d'apprêts et de quelques fabriques, malgré la multiplication de leurs communautés religieuses, malgré la présence de garnisons importantes dans beaucoup d'entre elles et enfin malgré l'augmentation du nombre des personnes adonnées aux professions libérales ou occupées par les administrations publiques, la plupart des villes demeurent stationnaires ou n'atteignent plus au chiffre d'habitants qu'elles avaient connu au XVIe siècle. Celui d'Anvers tombe de 100,000 environ à 56,948 en 1645 (92). Ce n'est que grâce à des conjonctures économiques ou politiques très spéciales que certains centres, tels que Lille, au beau temps de la sayetterie durant les premières années du XVIIe siècle, Bruxelles, sous le règne d'Albert et d'Isabelle, Liège çnfin, ont réalisé des progrès qui, sauf à Liège, ne durèrent d'ailleurs que peu de temps. Ces exceptions ne font que mieux ressortir le déficit des autres villes. Il était inévitable que la décadence d'Anvers se répercutât sur elles et y entraînât un déclin correspondant. Chez toutes, le mouvement commercial s'est ralenti. Chez toutes aussi, le protectionnisme des métiers a certainement produit une émigration considérable de la classe ouvrière vers le plat-pays. Les chiffres mêmes de la population de Lille et de (La Haye, Mauritshuis.) Bal à la Cour d'Albert et Isabelle. Tableau peint en 1615 par Fr. Francken (1542-16161. /'^;3132 3,3 34 35 36 37 3,8 42 43 4,4 45 4,6 47 48 4? 4 400:.......I 36 0 0- 3400 Evolution de la population à Saint-Nicolas-Waes de 1631 à 1650 La courbe suit une ascension continuelle. En 1631, la population était de 3.404 habitants; en 1635, de 3.612 h.; en 1640, de 3.872 h.; en 1645, de 4.132 h.; en 1650, de 4.392 h. D'après les renseignements fournis par G. Willemsen : Etude sur la démographie d'une commune du plat pays de Flandre aux XVIIe et XVIIIe siècles (1631-1795) (Annales de l'Académie Royale d'Archéologie de Belgique. 1904, t. LVI [5e série t. VI), pp. 189-222), travail utilisé par Pirenne (voir note 95). Liège, 32,604 habitants en 1617 (93) pour la première et une quarantaine de mille pour la seconde en 1650 (94), montrent le niveau relativement assez bas de la population urbaine dans les milieux considérés comme les plus actifs. En revanche, tous les renseignements que nous possédons sur les campagnes témoignent d'une hausse constante du nombre des habitants. Dans le pays de Waes, la population de Saint-Nicolas passe de 2,000 âmes environ en 1604, à 5,017 en 1662 (95). En Brabant, la plupart des villages sont en progrès depuis le début de la Trêve de Douze Ans jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Enfin, si l'on compare en Flandre le Transport de 1517 à celui de 1631 (96), on constatera une diminution générale de la cote des grandes villes et un relèvement caractéristique de celle de la plupart des districts ruraux. Tandis que Gand descend de 14.2 à 6.14, Bruges de 14.8 à 5, Ypres de 7 à 2, la châtellenie du Vieux-Bourg monte de 2.8 à 6, le pays de Waes de 3 à 5, celui d'Alost de 8 à 10, la châtellenie d'Ypres de 2.6 à 4.9 et celle de Courtrai de 5.4 à 8.17. L'importance de la campagne au point de vue économique se répercute dans l'ordre social, où elle correspond à l'influence prédominante de la noblesse. C'est celle-ci, en effet, qui bénéficie en dernière analyse de l'augmentation de la rente foncière. Composée tout entière de grands et de moyens propriétaires, sa solidité et son influence s'affer- missent dans la mesure même où se développent la valeur du sol et l'intensité du travail agricole. LA NOBLESSE. -Le mouvement démocratique que le calvinisme avait déchaîné dans les grandes villes vers la fin du XVIe siècle s'était tourné contre la noblesse en même temps que contre l'Eglise, et dès lors, la victoire du catholicisme et le retour des provinces sous l'obéissance du roi donnèrent à cette classe une situation qu'elle n'avait jamais occupée auparavant. Elle apparut comme la garantie indispensable du nouvel ordre des choses, comme chargée de maintenir la nation sous la double autorité de l'Eglise et de la monarchie. Le roi se montra aussi prodigue de récompenses à son égard qu'elle-même fut ardente à réclamer le prix des services qu'elle lui avait rendus. Des titres, des « mercèdes », des faveurs de toutes espèces payèrent les seigneurs qui avaient instigué ou soutenu la défection des provinces wallonnes, et, durant les années suivantes, l'Etat ne cessa pas de faire entrer constamment de nouvelles familles dans les rangs de la haute noblesse. De 1602 à 1638, on ne relève pas moins de quarante et une érections de terres en comtés, marquisats, principautés (97), et, vers 1640, on se plaint de ce que « l'on fasse maintenant plus de nobles en un an qu'on en souloit faire anciennement en cent ans» (98). Sans doute, cette quantité d'anoblissements s'explique en partie par les ressources abondantes qu'ils procuraient au trésor (99), mais on ne peut douter qu'ils ne répondent surtout à un principe de gouvernement. Si l'absolutisme refuse de plus en plus complètement à la noblesse toute intervention dans la politique, il sait, d'autre part, combien la perspective d'obtenir un titre entretient, parmi les classes dirigeantes de la nation, la fidélité et le dévouement à la monarchie. Telle qu'elle se constitue au XVIIe siècle, la noblesse est donc essentiellement un groupe d'anoblis. Bien rares sont chez elle les familles qui lui appartiennent par possession d'état depuis de longues générations. Elle se recrute constamment parmi les hommes nouveaux; elle est, en réalité, comme la gentry anglaise de la même époque, une classes sociale ouverte, dans laquelle peuvent espérer d'entrer, s'il plaît au roi, tous ceux que leur travail a élevés au-dessus du niveau commun ou qui se sont consacrés au service de l'Etat. Jadis, la nation se divisait en catégories juxtaposées les unes aux autres, possédant chacune ses droits propres, ses privilèges particuliers, ses coutumes spéciales. La bourgeoisie occupait au-dessous de la noblesse une place d'où elle ne cherchait point à sortir. Mais l'Etat monarchique, en nivelant les autonomies sociales, établit de l'une à l'autre un rapprochement qu'avaient préparé déjà au XVIe siècle les transformations économiques et les transformations morales qui accompagnèrent la Renaissance. C'en fut fait de l'ancien esprit ou, si l'on veut, de l'ancien honneur de classe. L'ambition du parvenu fut désormais de monter jusqu'à cette noblesse dont la monarchie entretenait le prestige, et qui, seule, consacrait d'une manière définitive toute supériorité sociale. Patriciens des villes, anciens fonctionnaires, marchands enrichis, tous désormais aspirèrent à se parer d'un titre. La fortune ne fut plus considérée que comme l'échelon indispensable pour se hausser à la noblesse. On vit les fils des manufacturiers et des entrepreneurs heureux se hâter d'abandonner le commerce de leurs pères (100), acheter des seigneuries, ajouter à leur nom des noms de terre et prendre du messire en attendant que des lettres patentes en due forme, ou tout simplement l'habitude, leur eussent assigné le rang qu'ils brûlaient d'obtenir (101). Il suffit, pour se faire une idée de cette poussée universelle vers la noblesse, de parcourir les édits sans cesse renouvelés et toujours impuis sants contre le port illégal des titres. Et pourtant les anoblissements s'obtenaient avec une facilité singulière. Il arrivait souvent qu'ils fussent accordés à des gens de (Malines, Musée communal.) (Cliché Van Kesbeeck.) Ancien guichet du Mont-de-Piété de Malines. Grillage fermé. fortune fragile et qui se trouvaient bientôt incapables de vivre conformément aux exigences de la classe dans laquelle ils étaient entrés. Il fallut décider, en 1664, que l'on ne créerait plus de nouveaux barons s'ils ne justifiaient d'un revenu d'au moins 6,000 florins en terres féodales, et cette somme fut portée pour les comtes et les marquis à 12,000 florins et à 24,000 pour les princes et les ducs. L'aliénation des fiefs produisant ces revenus devait avoir pour conséquence la perte du titre octroyé (102). (Landen, Eglise Sainte-Gertrude.) (Cliché A.C.L.) Scène de repas au XVIIe siècle. Détail d'une chasuble du XVIIe siècle. IMPORTANCE SOCIALE DE LA NOBLESSE. - On ne peut montrer d'une manière plus frappante que la nouvelle noblesse constitue essentiellement une classe de riches ou d'enrichis. De ses origines militaires, elle ne conserve que les apparences : le droit de porter l'épée et de posséder des armoiries. Au reste, récente ou ancienne, elle ne garde de ses anciens privilèges que bien peu de chose. Elle relève des juridictions ordinaires et est soumise à l'impôt, ou elle n'y échappe, en certaines provinces, comme l'Artois et le Namurois, que dans une mesure très restreinte. De plus, elle ne devient pas, comme en France, une noblesse de cour, abandonnant ses terres pour vivre dans la capitale autour du souverain, puisque, après la mort des archiducs, il n'y a plus à Bruxelles ni cour ni souverain. Grande ou petite, elle réside à la campagne, soit toute l'année, soit au moins jusqu'à la mauvaise sai- son, que ses membres les plus fortunés passent dans les hôtels qu'ils possèdent en ville (103). Ainsi, elle ne s'isole pas de la nation. Elle s'intéresse directement à l'administration de ses domaines et à la juridiction que les baillis qu'elle nomme rendent dans ses seigneuries. Elle s'acquitte d'ailleurs de toutes sortes de fonctions locales ou régionales. Elle siège aux Etats provinciaux, dans les échevinages urbains, dans les commissions chargées de répartir les aides, de surveiller les travaux publics, d'administrer les établissements de bienfaisance, etc. De même qu'elle sert dans les armées du roi et lui fournit quantité de fonctionnaires, c'est elle encore qui est l'organe principal de tous les pouvoirs autonomes que le gouvernement central a laissé subsister. Bref, ce que la bourgeoisie censitaire devait être dans les Etats parlementaires du XIXe siècle, elle l'est dans l'Etat monarchique du XVIIe. Bénéficiant de la stabilité que procure la fortune foncière, constamment renforcée par l'accession des éléments les plus actifs et les plus riches de la nation, qu'elle s'assimile sans peine, possédant à la fois l'ascendant social et l'autorité, elle est directement intéressée au maintien de l'état de choses qui lui garantit de si précieux avantages. L'esprit qui l'anime est ardemment conservateur, et l'on peut mesurer son ascendant sur le peuple par l'attachement extraordinaire que celui-ci a manifesté, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, au régime aristocratique sous lequel il a vécu. Dans l'Etat absolutiste et confessionnel des temps modernes, elle constitue le sommet de la hiérarchie sociale comme le roi constitue lui-même le sommet de la hiérarchie politique. L'un et l'autre ont été les deux facteurs essentiels de l'équilibre qui, dès le commencement du XVIIe siècle, s'est substitué à l'activité exubérante et novatrice de la Renaissance. La haute bourgeoisie, nous l'avons dit, n'est que l'antichambre de la noblesse. Il faut passer par elle pour arriver plus loin. Les hommes nouveaux s'y introduisent par la fortune; les fils de famille s'y adonnent aux professions libérales et particulièrement à la carrière juridique, pépinière des futurs fonctionnaires qui obtiendront plus tard la noblesse de robe. Dès le milieu du XVIIe siècle, le pays fourmille d'avocats : c'est une poussée générale vers le barreau, qui enlève aux professions lucratives une foule de jeunes gens (104). Mais depuis la fin des troubles, ces jurisconsultes surabondants ne songent plus à bouleverser la société : ils ambitionnent avant tout de couronner leur carrière par l'anoblissement qui récompensera leurs services ou leurs talents. Plus bas, la petite bourgeoisie et les paysans constituent une catégorie sociale privée de toute participation à l'administration de l'Etat, de tout espoir de s'élever à une condition supérieure. Gens de métier et gens de labour acceptent d'ailleurs la tutelle sous laquelle ils vivent. Les premiers se sentent protégés par les échevinages aristocratiques qui désormais gouvernent les villes; les autres cultivent les terres des propriétaires établis au milieu d'eux et qui s'intéressent à leur sort. Contents de vivre au jour le jour des gains modestes de leur travail, ils n'en demandent pas davantage. Ils ne rêvent d'aucune nouveauté et ne réclament point d'autre place que celle que leur assignent la tradition et les mœurs. LE PROLETARIAT. — Plus bas encore, on rencontre (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) La mode à la fin du XVIe siècle : costumes de gentilshommes et robes de dames. Gravure d'Abraham De Bruyn (Anvers, 1540-vraisemblablement Cologne, 1587). (Londres, Victoria and Albert Muséum.) L'« Ommegang » de 1615 défilant sur la Grand'Place de Bruxelles en présence des archiducs. Les origines du célèbre Ommegang bruxellois, qui tenait à la fois de la procession religieuse et de la cavalcade populaire, remontent au XlVe siècle : chaque dimanche après la Pentecôte, le clergé, les autorités communales, les métiers et la population bruxelloise prenaient une part active aux festivités organisées en l'honneur de la statue légendaire de Notre-Dame du Sablon. L'Ommegang de 1549, de loin le plus célèbre par sa richesse, sa fantaisie et le nombre des participants, se déroula en présence de Charles-Quint et du futur Philippe il. Après une longue interruption provoquée par les troubles du XVIe siècle, les Bruxellois renouèrent avec la tradition sous le règne des archiducs et organisèrent en 1615 un prestigieux cortège dont le peintre Denis Van Alsloot (décédé vers 1628) a saisi un instantané. D'intéressantes sources iconographiques concernant l'Ommegang de 1615 sont conservées au Victoria and Albert Muséum à Londres, au Prado à Madrid (tableaux originaux) et au Musée Royal d'Art Ancien à Bruxelles (copie). enfin, dans les villes comme à la campagne, ce prolétariat inorganique composé de vagabonds, de mendiants professionnels, d'ouvriers sans travail, d'enfants abandonnés, qui, depuis la fin du XVe siècle, préoccupe les pouvoirs publics et suscite les institutions de bienfaisance. Nul doute que cette masse misérable et souffrante ne se soit largement développée au XVIIe siècle : les nombreux édits portés contre le vagabondage le témoignent à suffisance (105). Après chaque campagne, à chaque moment de crise industrielle, elle s'augmente d'éléments nouveaux : déserteurs, soldats invalides, travailleurs sans ressources. Dès la première moitié du XVIIe siècle, les provinces et les villes sont obligées de prendre des mesures pour parer au danger. Les Etats du Hainaut projettent, en 1617, l'établissement d'une maison de force où seront enfermés et contraints au travail les individus privés de moyens de subsistance (106) et, quelques années plus tard, Gand construit à leur intention le Rasphuis, moitié prison et moitié atelier (107). D'autres fondations ont pour but de recueillir les enfants et les orphelins pauvres et de leur apprendre un métier : l'école Bogaerde à Bruges, le Blauwe school (1623), l'école des Blauw meisjes (1623), le Kulder- school (1628) à Gand, et une foule d'autres semblables dans toutes les villes du pays. Ajoutez à cela quantité de bourses et de fondations privées dont témoignent encore aujourd'hui, dans les églises épargnées par les restaurations contemporaines, tant d'épitaphes de nobles et de patriciens où se manifeste un esprit de classe soucieux de ses devoirs et désireux qu'on le sache (108). Au milieu de toutes les œuvres de bienfaisance de ce temps, la plus intéressante comme la plus neuve est celle des Monts-de-Piété. C'est le gouvernement qui prit ici l'initiative. Les tables de prêts dont des compagnies dites de Lombards (109) avaient la concession dans la plupart des grandes villes, exigeaient des emprunteurs un intérêt de 33 à 42 p. c. (110). Marguerite de Parme avait déjà songé à remédier à cette exploitation de la misère. Elle aurait voulu introduire dans les Pays-Bas les Monti di Pietà institués en Italie et où les pauvres pouvaient contracter des emprunts gratuits. En 1561, elle pressait le magistrat d'Anvers de fonder un banco del refugio (111). L'idée fut reprise sous la régence d'Alexandre Farnèse. Silvestre Scarini avait présenté au duc un plan (112) que celui-ci avait approuvé et qu'il ordonnait en 1588 de met- tre en pratique à Gand « pour soulager la pauvre commune » (113). Vers la même époque, Laevinus Torrentius cherchait à réaliser à Liège un dessein analogue (114). Les Jésuites, de leur côté, se déclaraient en faveur de la réforme (115). Elle s'accomplit sous les archiducs. En 1618, les tables de prêt furent supprimées et Wenceslas Coeberger reçut la charge de surintendant général des Monts-de-Piété (116). Les fonds nécessaires furent fournis par les abbayes et les béguinages, moyennant la constitution de rentes au taux de 6 34 p. c. (117). Dès lors, obligés de rémunérer ce capital, les Monts se trouvèrent dans l'impossibilité de prêter sans intérêt. Du moins n'exigèrent-ils que 15 p. c. des sommes avancées par eux. Malgré les scrupules que le maintien du prêt à intérêt inspira à quelques théologiens, l'institution jouit d'un succès extraordinaire. De 1618 à 1633, elle se répandit à Bruxelles, Anvers, Gand, Malines, Arras, Tournai, Mons, Valenciennes, Cambrai, Bruges, Lille, Douai, Courtrai et Bergues (118). L'évêque de Liège l'introduisit dans sa capitale en 1622, d'où elle gagna rapidement Huy, Saint-Trond et Tongres. LES MONTS-DE-PIETE. — Malheureusement, elle ne répondit pas aux espérances qu'elle avait fait naître. Le capital qui la soutenait était insuffisant et Coeberger eut recours pour l'augmenter à des procédés dangereux. On l'accusa de l'avoir affecté en partie au dessèchement des moeren, et il semble qu'il y ait eu dans cette accusation une bonne part de vérité (119). La détresse financière du gouvernement l'obligea à emprunter lui-même les fonds qui auraient dû servir au soulagement des pauvres. L'infante Isabelle engagea ses bijoux aux Monts-de-Piété en garantie d'avances qui montèrent à 566,514 florins. Cette énorme emprise sur une caisse déjà insuffisamment fournie eut les résultats les plus déplorables. Les Monts ne firent plus, depuis lors, que végéter misérablement. La vente des bijoux de l'infante, en 1643, laissa un (Gand, 15, rue Abraham.) (Cliché A.C.L.) Façade de l'ancien Mont-de-Piété à Gand (1621). Le 13 mai 1621, les archiducs accordèrent un octroi autorisant l'ouverture d'un Mont-de-Piété à Gand, le quatrième dont fut dotée la Belgique après Bruxelles, Anvers et Malines. Wenceslas Coeberger fit démolir l'hôtel den Dondersteen acheté à Antoine Triest, avocat au Conseil de Flandre, et construisit en 1621 un Mont-de-Piété qui fut ouvert au public le 29 novembre 1622. Le bâtiment abrite aujourd'hui les archives de la ville de Gand. déficit considérable que l'on ne parvint jamais à combler. Au milieu de circonstances si défavorables, le caractère des Monts s'altéra peu à peu. On leur reprochait, au XVIIIe siècle, de s'être transformés en banques de prêt fonctionnant au profit des rentiers dont ils maniaient les fonds. D'établissements charitables à l'origine, ils étaient devenus à la longue de simples établissements de crédit. Pourtant, durant les premières années de leur existence, ils rendirent des services très réels. On estime que depuis leur fondation jusqu'en 1649, en retour de 18,230,637 gages, ils avaient mis en circulation la somme de 130,403,151 florins. la civilisation des pays-bas catholiques NOTES (1) G. van Loon, Histoire métallique des XVII provinces des Pays Bas, t. I, p. 379 (La Haye, 1732). (2) R. Blanchard, La Flandre, p. 188 (Dunkerque, 1906). (3) Inventaire des Archives des Chambres des Comptes, t. V, p. 80. (4) Chronijcke van Cent, p. 375. (5) Gilliodts van Severen, Coutumes de Furnes, t. III, p. 418 (Bruxelles. 1897). (6) F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. I, p 244. (7) Correspondance des Etats de Flandre, n<> 540, aux Archives de l'Etat à Gand. (8) F. van der Haeghen, loc. cit., p. 250. (9) Je dois la connaissance de cette enquête, appartenant aux Archives communales de Louvain, à l'obligeance de M. J. Cuvelier. (10) A. de Portemont, Recherches sur la ville de Grammont, t. I, p. 130 (Gand, 1870); V. Fris, Geschiedenis van Geeraardsbergen, p. 184 et suiv. (Gand, 1911). (11) Enquête citée plus haut, p. 412. (12) Chronijcke van Gent, p. 374. (13) Piot, Correspondance de Granvelle, t. VII, p. 298. (14) Th. Overbury, Observations in his travels upon the state of the XVII Provinces, p. 9. (15) Gachard, Etats généraux de 1600, p. lvii n. (16) Bullet. de la Commiss. royale d'Hist., 2e série, t. VIII [1856], p. 310. (17) Ibid., 5e série, t. V [1895], p. 65 et suiv. (18) Ibid., 3e série, t. VIII [1856], p. 298. (19) Ibid., p. 297. (20) F.-J. van den Branden, Geschiedenis der Stadsbibliotheek van Antwerpen, pp. 21, 27 (Anvers, 1908). (21) En 1600, F. van Aerssen. voudrait que le roi de France fermât le port de Calais aux provinces catholiques afin que « les archiducs dénués de vivres et leurs prétendus subjets, de commerce, fussent contraints les prendre et exercer chez nous en payant les licences ». J. Nouaillac, Lettres inédites de François d'Aerssens, p. 67 (Paris, 1908). (22) Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, t. III, p. 103 et suiv.; Bibl. roy., ms. 12441-42, projet d'organisation d'une flotte en 1637. (23) H. Malo, Les Corsaires dunkerquois et Jean Bart, t. I, p. 256 et suiv. (24) Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 346 (A° 1590), 367 (A° 1624). (25) Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, t. .III, p. 114. (26) Placcaeten van Brabant, t. III, p. 254. (27) Gachard, Actes des Etats généraux de 1632, t. II, pp. 214, 230, 235, 239, 240, 247, 446. Cf. Considérations, etc., t. III, p. 131. (28) Considérations, etc., t. III, p. 106. (29) La République avait à demeure devant Ostende deux navires de guerre, trois devant Nieuport et dix-huit devant Dunkerque. Considérations, etc., t. III, p. 97. Cf. H. Malo, Les Corsaires dunkerquois, t. I, pp. 241, 280. (30) Placcaeten van Brabant, t. I, pp. 290, 308. (31) L'archiduchesse Isabelle le constate en 1606. Voy. Rodriguez-Villa, Correspon-dencia, etc., con el duque de Lerma, p. 157. Cf. encore P. J. Blok, Relazioni Veneziane, p. 190 (La Haye, J909). (32) V. Brants, Ordonnances, t. I, p. 205. (33) Ibid., pp. 262, 280. Cf. pour des mesures analogues en 1632, Placcaeten vdn Brabant, t. I, p. 322. (34) Cf. M. Huisman, La Compagnie d'Ostende, p. 13 (Bruxelles, 1902). (35) Placcaeten van Brabant, t. I, p. 322. (36) Gilliodts van Severen, Cartulaire du Consulat d'Espagne, p. 526 (Bruges, 1902). (37) Annales de la Société d'Emulation pour l'étude de l'histoire de la Flandre, 2e série, t. XII [1862-63], pp. 41-57. (38) Van den Branden, Geschiedenis der Stadtsbibliotheek van Antwerpen, p. 20. (39) E. Dilis, Les courtiers anversois sous l'Ancien Régime. Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique, 1910, p. 334 et suiv. (40) Paroles du magistrat de Gand au Conseil privé qui avait envoyé à son examen, en 1637, un projet de voitures publiques pour voyageurs et marchandises. F. de Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 222. (41) M. Vanhaeck, Histoire de la sayetterie à Lille, t. I, p. 110 (Lille, 1910). (42) Ibid., p. 189. (43) Il n'est pas rare de voir des enfants de six ans mis au travail. Voy. Bulletin d'études de la province de Cambrai, 1910, p. 276. Cf. Vanhaeck, Sayetterie de Lille, t. I, p. 40. (44) G. Des Marez, Le compagnonnage des chapeliers bruxellois (Bruxelles, 1909). Ce compagnonnage est le seul sur lequel on ait des renseignements précis. II semble bien qu'il soit, en Belgique, un phénomène assez exceptionnel. Le compagnonnage, beaucoup plus répandu en France, y était au surplus particulièrement important dans la chapellerie. (45) Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. II, p. 65. (46) G. Bigwood, Gand et la circulation des grains en Flandre. Vierteljahrschrift fiir Social- und Wirtschaftsgeschichte, 1906, p. 457. (47) Gilliods van Severen, Cartulaire du consulat d'Espagne, pp. 535, 550. Pour les conséquences, voy. le même, Cartulaire de l'Estaple de Bruges, t. III, p. 581 (Bruges, 1905). (48) Placcaeten van Brabant, t. IV, p. 146. (49) Ibid., p. 120. (50) G. Van Doorslaer, L'ancienne industrie du cuivre à Malines (Malines, 1910). L'établissement dans cette ville d'une fonderie royale de canons en 1631, explique la conservation de son industrie. (51) Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, t. III, p. 140. (52) M. Vanhaeck, Sayetterie de Lille, t. I, pp. 85, 111. (53) A. de Saint-Léger, La rivalité industrielle entre la ville de Lille et le plat-pays. Annales de l'Est et du Nord, 1906, p. 381. (54) M. Vanhaeck, Sayetterie de Lille, t. I, p. 82. (55) E. Dony, Dénombrement de Chimay en 1616. Bullet. de la Com. roy. d'Hist., 1907, p. 182; le même, L'ancienne industrie du fer au pays de Chimay. Mélanges G. Kurth, t. I, p. 223; Add. M. Bourguignon, Histoire de la sidérurgie luxembourgeoise. Les Usines du bassin de la Rulles (Arlon, 1926). (56) L. Lahaye, Correspondance du procureur-général de Namur, pp. 8, 10, 16, 23; Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3e série, t. V [1863], p. 153. (57) A. Gaillard, Mémoriaux du Grand Conseil de Malines, t. II, p. 54. (58) Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 580; L. Lahaye, Correspondance du procureur-général de Namur, p. 11 Cf. plus haut, p. 322, n. 3. (59) De Potter et Broeckaert, Geschiedenis van den belgischen boerenstand, p. 291 (Bruxelles, 1881); Th. Gobert, Machine de Marly et anciennes machines d'exhaure au pays de Liège (Liège, 1906). (60) L. Lahaye, Correspondance du procureur-général de Namur, pp. 30, 31 ; Inventaire des Archives du département du Nord, t. II, p. 313. (61) Un méreau du charbonnage de Sainte-Marguerite à Liège, en 1595, portant le nom de deux maîtres exploitants permet de voir en eux des entrepreneurs d'importance. (Voy. V. Tourneur, Chronique archéologique du pays de Liège, 1911, p. 70). Un Liégeois, fabricant de canons, en 1575, associé à plusieurs marchands, possède différentes usines à fer. Lui-même s'intitule « marchand bourgeois ». Une fourniture faite au roi d'Espagne comprend 300 pièces de canon. Voy. E. Fairon, Notice sur la fabrication des canons à Liège. Bull, de l'Institut archéologique liégeois, t. XL [1910], p. 47 et suiv. — Pour les « marchands de charbon » qui fournissaient les fonds aux « bandes » exploitant les charbonnages du Couchant de Mons, voy. G. Decamps, Mémoire sur l'origine et les développements de l'industrie houillère dans le bassin du Couchant de Mons. Mém. de la Soc. des Sciences du Hainaut, 1880, p. 190. (62) M. G. de Boer, Die Friedensunterhandlungen zwischen Spanien und den Niederlanden in den Jahren 1632 und 1633, p. 33. (63) Bullet. de la Comm. roy. d'hist., 3e série, t. V [1863], pp. 150, 153, 154, 155, 156, 159, 172. Les maîtres-ouvriers et mineurs qu'ils emploient sont aussi parfois membres de l'association, et on y rencontre également de grands seigneurs comme la comtesse de Berlaymont et le duc d'Arschot (p. 176). (64) En 1595, les alunières de Flémalle-Haute sont exploitées par un groupe de capitalistes parmi lesquels on rencontre le fameux financier Curtius, enrichi par ses fournitures militaires à l'armée espagnole. (L. Jeunehomme, Mon Village [Flémalle-Haute], p. 35, [Bruxelles, 1908]). Le même Curtius intervient, un peu plus tard, dans l'assèchement de plusieurs houillères. Voy. D. van de Casteele, Bullet. de l'Institut archéologique liégeois, t. XV [1880], p. 132 et suivantes; J. Petit de Thosée, Jean Curtius. Bullet. de l'Inst. archéologique liégeois, t. XL. [1910], p. 74 et suiv. (65) Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. XVIII [1885], p. 415. (66) Placcaeten van Brabant, t. II, p. 184. (67) Bull, de la Comm. roy. d'Histoire, 3e série, t. V [1863], pp. 143, 155. Cf. encore S. Bormans, Inventaire de la Chambre des finances des évêques de Liège. p 46; F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. I, p. 352; Inventaire des Archives du département du Nord, t. II, p. 347. (68) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 3e série, t. V [1863], pp. 174, 175. (69) En 1630, Pierre Meybosch, maître ingénieur, et ses associés reçoivent, pour dix ans, le monopole de la fabrication du a fer estaigné, invention qui jamais ès pays de son (du roi) obéyssance n'a esté cognue ». Bull, de la Comm. roy. d'Histoire, 3e série, t. V [1863], p. 168. (70) L. Lahaye, Correspondance du procureur-général de Namur, p. 229; de Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 203. (71) Voy. l'octroi pour l'établissement à Gand, vers 1634, d'une fabrique de damassé, par L. Lefebure de Tourcoing. De Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 353. Pour la verrerie, cf. les renseignements rassemblés par Fl. Pholien, La verrerie au pays de Liège, p. 68 et suiv. (Liège, 1900). (72) Deschamps de Pas, Enquête industrielle sur l'état de la manufacture dans les Pays-Bas au commencement du XVIIe siècle. Mémoires de l'Académie d'Arras, t. XXXV [1863], p. 303 et suiv. (73) V. Brants, La politique monétaire aux Pays-Bas sous Albert et Isabelle. Revue Belge de Numismatique, 1909, p. 262 et suiv. (74) V. Brants, Ordonnances, t. I, p. 323. (75) V. Brants, Ordonnances, t. I, p. 95; Placcaeten van Brabant, t. I, p. 403; Gachard, Inventaires des Archives de la Chambre des Comptes, t. III, p. 102. Cf. pour des mesures analogues à la fin du XVIe siècle, Placcaeten van Vlaenderen, t. II, pp. 525, 527, 531, 536. (76) Sur une guerre de tarifs avec la France en 1604, provoquée par l'Espagne, voy. Pigeonneau, Histoire du commerce de la France, t. II, p. 323 (Paris, 1889). (77) En 1632, Philippe IV recommande au cardinal-infant de modérer les droits de licence sur l'importation des matières premières et de les augmenter sur l'entrée des produits manufacturés. Voy. Briavoine, Sur l'état de la population des manufacturs et du commerce dans les provinces des Pays-Bas depuis Albert et Isabelle jusqu'à la fin du siècle dernier, p. 31 (Bruxelles, 1841). (78) Le préambule d'un octroi de 1643 pour les batteurs du Namurois dit qu'il importe au bien de l'Etat que les manufactures y soient florissantes « par dessus celles des estrangiers et provinces voisines », vu que l'importation des produits étrangers « traîne l'espuissement des meilleures espèces de monnoyes ». Placcaeten van Brabant, t. IV, p. 120. (79) Wolfram, Pfalzgraf Georg Hans. Korrespondenz-Blatt des Gesamt-Vereins der deutschen Geschichts- und Alterthums-Vereine, 1908, nos 5-6. (80) Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, t. III, p. 153; Gachard, Inventaire des Archives des Chambres des Comptes, t. IV, p. 342; Cauchie-Maere, Recueil des instructions aux nonces de Flandre, p. 145. (81) Gachard, Inventaire des Archives des Chambres des Comptes, t. III, p. 103. (82) Ibid., t. IV, p. 343. (83) De Portemont, Recherches sur Grammont, t. I, p. 7. (84) Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. II, p. 75. (85) Inventaire des Archives du département du Nord, t. VI. p. 100. (86) S. Hartlieb, A discourse of husbandry used in Brabant and Flanders (Londres, 1650). (87)Berten, Coutume du Vieux-Bourg de Gand, p. 417 (Bruxelles, 1903). (88) Placcaeten van Brabant, t. I, p. 493. (89) Pour l'assèchement du pays d'Axel, voy. Van Lokeren, Cartulaire de Saint-Pierre de Gand, t. II, p. 461. En 1612, constitua, par acte des archiducs, VAlbertus Polder (Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 471). Cf. ibid., p. 444 et suiv. beaucoup d'autres actes relatifs à la reconstitution de polders. En 1600, une ordonnance prescrit au dyckgrave de Flandre de faire réparer les digues du Franc de Bruges. V. Brants, Ordonnances, t. I, p. 106. Cf. encore en 1615, la mise en culture de VUpstal de Gand. Berten, Coutumes du Vieux-Bourg, t. II, p. 163. (90) Description de los Païses Baxos. Biblioth. Royale. Fonds Van Hulthem, n° 15819. (91) Civilium apud Belgas bellorum initia, progressus, finis optatus : in quam rem remedia a ferro et pace praescripta, fidei, patriœ, orbis bono, p. 96 (s. 1., 1627). (92) Renseignement fourni par M. J. Cuvelier. (93) A. de Saint-Léger, Lille sous les dominations autrichienne et espagnole, p. 126 (Lille, 1910). En 1603, il avait déjà fallu agrandir la ville. Inventaire des Arch. du dép. du Nord, t. VI, p. 16. (94) J. Brassine, La population de Liège en 1650. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. XXXIII [1903], p. 232 et suiv. — Gand, à la même date, devait avoir à peu près la même population. Voy. de Potter, Cent, t. I, p. 173. (95) G. Willemseri, Etude sur la démographie d'une commune du plat-pays de Flandre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Annales de l'Académie d'Archéologie de Belgique, 1904, p. 195. (96) Placcaeten van Vlaenderen, I, p. 543 (1517) et III, p. 378 (1631). (97) Gachard, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, p. 397. — Cf. Paz et Lonchay, Inventaire des requêtes privées du Conseil suprême de Flandre et de Bourgogne. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 1907, p. 281 et suiv. (98) Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, t. II, p. 151. (99) Voy. dans Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 4e série, t. V. [1863], p. 140 et suiv. de nombreux actes relatifs au prix très élevé des anoblissements. (100) Texte très intéressant dans Vanhaeck, Histoire de la sayetterie de Lille, t. I, p. 112. (101) Une ordonnance de 1617 défend d'usurper des titres et des armoiries et menace d'amende les notaires qui, dans les actes dressés par eux, donneraient indûment aux parties le prédicat de noble. Placcaeten van Brabant, t. II, p. 414. Cf. L. Lahaye, Correspondance du procureur-général de Namur, pp. 10, 20, etc. (102) Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 1405. (103) Pour se faire une idée du genre de vie de la petite noblesse au XVIIe siècle, voir J. Capelle, La famille de Gaiffier. Annales de la Soc. archéolog. de Namur, t. XXVI [1905], p. 21 et suiv. On consultera aussi avec intérêt, pour connaître l'existence journalière d'un grand seigneur au XVIIe siècle : V. Brants, Quelques notes des comptes d'un gentilhomme au XVIIe siècle. Bullet. de l'Acad. roy. de Belgique. Classe des Lettres, 1904, p. 527 et suiv. (104) Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, t. I, p. 55 et suiv. (105) Voy. Placcaeten van Brabant, t. II, pp. 446, 448, 453, 459, 460, 463. Le roi faisait parfois envoyer les vagabonds en Espagne pour les faire ramer sur les galères, ou bien on les enrôlait dans les tercios. L. Lahaye, Corresp. du procureur-général de Namur, p. 234. (106) L. Devillers, Inventaire des Archives des Etats du Hainaut, t. II, p. 33 (Mons, 1902). (107) F. de Potter, Gent, t. IV, p. 568. (108) Les épitaphes de la collégiale de Saint-Omer et celles de l'église de Saint-Piat à Tournai sont particulièrement intéressantes à ce point de vue. (109) F. Morel, Les Lombards dans la Flandre française et le Hainaut (Lille, 1908). (110) A Dinant cet intérêt était même de 43 1/3%. L. Lahaye, Cartulaire de Dinant, t. V, p. 4 (Namur, 1899). (111) A. Cauchie et L. van der Essen, Inventaire des Archives farnésiennes de Naples, p. 139 (Bruxelles, 1911). (112) Voy. son Discours sur l'érection des Monts-de-Piété avec déclaration des œuvres charitables qui en proviendront (Douai, 1585; édition flamande à Anvers en 1586). (113) De Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 102. En 1586, le Conseil Privé engage la ville de Malines à établir un Mont-de-Piété. Gaillard, Mémoriaux du Grand Conseil, t. I, p. 259. (114) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 3e série, t. VI [1864], p. 467. (115) Lessius, De jure et justicia, p. 248. La nouvelle édition de cet ouvrage (1626) contient un appendice sur les Monts. (116) Placcaeten van Brabant, t. III, pp. 175, 179. (117) J'emprunte ces détails ainsi que les suivants à P. de Decker, Etudes historiques et critiques sur les Monts-de-Piété en Belgique (Bruxelles, 1844). Cf. Cauchie-Maere, Recueil des instructions générales aux nonces de Flandre p. 164 et suiv. (118) Les Monts de Bruges, Ypres et Lille sont antérieurs à l'édit de 1618. On y prêtait sans intérêt. Un capital donné au Mont de Gand par l'évêque Triest servit aussi à faire des avances gratuites. (119) De Decker, Etudes sur les Monts-de-Piété, p. 126, cherche à l'innocenter, mais les renseignements qu'il fournit sur sa gestion prouvent qu'elle fut, à tout le moins, fort imprudente. CHAPITRE IV LE MOUVEMENT INTELLECTUEL (Cliché A.C.L.i Hôtel de ville et palais de justice de Fumes. L'hôtel de ville, construit en briques jaunes du pays, se compose d'une façade reliant deux pignons datant de 1596 et 1612. Le palais de justice est le prototype de l'architecture civile baroque dans les Pays-Bas. La première pierre fut posée le 7 novembre 1613 et l'édifice fut construit d'après les plans de trois architectes brugeois : Sylvain Boulain, Ferry Aerts et surtout Jérôme Stalpaert (Bruges, 1589-1659). Les façades principale et latérale étaient terminées en 1616; le beffroi fut construit de 1616 à 1618 et la tour reconstruite en 1628. Restauré par l'architecte Vinck de 1866 à 1894. une partie de la construction intérieure s'est effondrée en 1948. ISPARITION DE L'ESPRIT DE LA RENAISSANCE. - La grande crise du XVI* siècle avait surpris et dérouté les humanistes. Rien n'était plus opposé, en effet, à l'exclusivisme confessionnel que l'idéal de la Renaissance tel qu'Erasme l'avait compris et exprimé. Les adeptes de la sagesse antique, de la tolérance et d'un christianisme compatible avec la liberté de la pensée et de la science se trouvèrent bientôt entraînés par le torrent des passions religieuses. Entourés d'hommes combattant pour leur foi, il leur fut impossible de se réfugier dans la neutralité. Bon gré mal gré, ils durent se classer soit dans le camp de l'Eglise, soit dans celui de la Réforme. Novateurs et patriotes, la plupart d'entre eux se prononcèrent pour le parti qui prétendait tout à la fois épurer le dogme et défendre le pays contre l'étranger. Ils adhérèrent, de bouche tout au moins, au calvinisme, et le triomphe de la réaction catholique dans les provinces du sud fit émigrer vers la Hollande les Simon Stévin, les Juste Lipse, les Pierre Plancius et tant d'autres. Pourtant, ils ne quittèrent pas tous la Belgique. Il en était parmi eux qui rêvaient d'une conciliation entre les plus nobles doctrines philosophiques de l'antiquité et le catholicisme rajeuni et épuré par le concile de Trente. La lecture de Sénèque et d'Epictète ne faillit-elle pas pousser van Helmont, dans sa jeunesse, à se faire capucin ? D'autres ne demandaient qu'à reconnaître la victoire de l'Eglise, pourvu qu'elle leur permît de continuer leurs recherches savantes ou leurs travaux littéraires. Mais la réalité devait cruellement anéantir ces illusions. Ce n'était pas seulement l'obéissance extérieure, c'était l'adhésion complète de l'esprit que l'Eglise et l'Etat exigeaient désormais. L'orthodoxie triomphante devait s'imposer à l'art comme à la science et les absorber en les faisant servir à ses fins. La Renaissance avait voulu le miles christianus; il n'était plus question que du miles catholicus. Toute activité intellectuelle se manifestant en dehors du catholicisme passait nécessairement pour suspecte. Les humanistes indifférents au dogme furent considérés comme des « libertins » suspects et dangereux. En lutte contre l'hérésie, l'Eglise comme une armée en face de l'ennemi, imposa à ses fidèles la plus stricte des disciplines. Elle ne permit à aucun d'eux de s'écarter du rang, et elle se réserva exclusivement la direction des troupes qu'elle conduisait à la guerre sainte. A la spontanéité, à l'exubérance, à la hardiesse de la Renaissance, elle substitua bientôt une unité majestueuse. Le principe d'ordre et d'autorité s'affirma chez elle avec plus de force encore que dans l'Etat monarchique. Les deux puissances qui, dans le gouvernement de la société, se prêtaient un mutuel appui, se montrèrent plus défiantes encore pour la liberté de la pensée que pour la liberté politique. TRA CTATVS TEfCTiVf DÉ ECCLES1A MILITANTE y J " -Y' 1 V , /\S\ A 1 .1 J /fo 7 n 1. t r.Lo rTn/f a.tIiii .1/ , ■<.(■!' ; •/ f c< xA-'tyj ypf A* M I t —, .0 . r^Av/v, ; /W ; * ,, u o v^ A « SiV i - ' ' »-> n • *^ ^ /*v ' ' yw 0 " j. r - , m*. / - ' ' ^ 4.» crA , T.-V rt^ ' A o x U r-' v / VI a -9 n-s» >1 «Tn .9 7 Jt c^ ' (X ,^-r-r Stt <• ' ^Vfr ^P-Lo*"' -Js f r > (Liège, Bibliothèque de l'Université, ms C 17 fol. 348 v«.| Notes du cours de Commentaires sur les Actes des Apôtres professé à la Faculté de théologie de l'Université de Louvain par Libert Fromont vers 1630-1635. l-iberti Fromnndi Haccuriani. in Academia Lovaniensi Sacrae Theologiae Dnctor et Prnfessnr, Commentant in Actus Apostolorum. Libert Fromont (Fromondus, Froidmont), né à Haceourt-sous-Liège en 1587 et décédé à Louvain en 1653, fut une des personnalités les plus en vue de l'Université de Louvain ù la lin de la première moitié du XVII» siècle. Philologue hébraïsant et helléniste, mathématicien, physicien et surtout théologien, il enseigna la rhétorique puis la philosophie au collège du Faucon avant de devenir docteur (1628), puis professeur de théologie appelé à remplacer son ami C. Jansenius ù la chaire de commentateur de l'Ecriture Sainte. Adversaire des théories de Descartes, il entretint des relations ù la fois amicales et scientifiques avec le philosophe français qui le tenait en grande estime. Charles-Quint s'était borné à poursuivre l'hérésie comme un crime de lèse-majesté divine et humaine; il n'avait pas apporté la moindre entrave aux progrès de l'humanisme. Mais une telle situation ne pouvait durer. Il était trop évident qu'entre les deux confessions dont le conflit allait s'aggravant de jour en jour, il n'y avait plus place ni pour la liberté scientifique ni pour la tolérance. Elles furent également odieuses aux protestants et aux catholiques, et si les premiers leur portèrent des coups moins sensibles que les seconds, c'est tout simplement grâce à la constitution moins développée de leurs Eglises, à la moindre rigueur de leurs dogmes et à la multiplicité de leurs sectes. Le règne de Philippe II vit s'accomplir dans les Pays-Bas les premières mesures de police intellectuelle destinées à sauvegarder l'orthodoxie. C'est nettement ce caractère que présente, en 1570, l'interdiction faite aux étudiants de fréquenter les écoles de l'étranger (1). Les deux universités nationales jouirent du monopole de leur dispenser la science, et l'Etat veilla rigoureusement à ce qu'aucune doctrine suspecte ne se glissât dans leur enseignement. Dès 1568, le duc d'Albe, sur l'ordre du roi, écrivait au recteur de l'Université de Louvain pour savoir comment « l'on se conduit et si les professeurs chacun... fait le devoir tel qu'il convient » (2). La réponse qu'il reçut dut le satisfaire entièrement. Elle prouvait qu'au milieu des controverses religieuses, Louvain, répudiant l'esprit qu'Erasme et ses amis avaient essayé quarante ans plus tôt de lui insuffler, devenait un des boulevards les plus solides de la Contre-Réforme. Une chaire de catéchisme avait été créée à la faculté de théologie; un cours y était consacré à la réfutation des hérétiques, tandis qu'à la faculté de droit, Jean Moli-naeus avait, de sa propre autorité, substitué l'explication des décrets du concile de Trente à celle du decret de Gratien. La faculté des arts, de son côté, avait introduit dans chacune de ses pédagogies un cours de religion. La guerre civile qui éclata peu de temps après désorganisa l'Université et dispersa en partie les maîtres et les élèves. Mais, dès le commencement du XVII'' siècle, l'un des premiers soins du gouvernement fut de la restaurer et, en même temps, de lui imposer une constitution qui la prémunît à tout jamais contre l'infiltration de l'hérésie. Les nouveaux statuts qu'il lui donna en 1617, de commun accord avec le pape Paul V, lui enlevèrent l'autonomie dont elle avait joui jusqu'alors (3). Un programme officiel fut imposé aux facultés, la liberté des études disparut et la libre expansion de l'initiation scientifique disparut avec elle. Le collège des Trois Langues abandonna ses traditions érasmiennes. Il déserta le domaine de la haute philologie, et la culture des idiomes antiques s'y subordonna à des considérations d'utilité pratique ou de vain agrément littéraire. 11 fjfi C v. r* n-N1 jr ^ t ( JUSTE LIPSE. — Juste Lipse vieillissant et revenu au catholicisme lui donna, il est vrai, depuis 1592, un dernier éclat, lueur suprême de la Renaissance sur le point de s'éteindre. Car, en dépit de sa conversion, Lipse appartient bien encore à la lignée des humanistes. Il prétend ne s'asservir à aucune doctrine, à aucun parti. Il prend pour devise ce mot de Sénèque : « Non me cuiquam mancipavi, nullius nomen fero » (4). Il n'admet point, au moment même où le thomisme tend à devenir la philosophie classique de l'université (5), qu'une école puisse revendiquer le monopole de la science. Eclectique en théorie, ses préférences personnelles vont au stoïcisme. Sa grande oeuvre philologique est une édition de Tacite, l'historien stoïcien, et il consacre ses dernières années à l'étude et au commentaire de Sénèque. Son stoïcisme, tel qu'il l'a formulé dans sa Manuductio ad philoso-phiam stoïcam (1604), dont l'influence fut si profonde sur ses contemporains, s'allie naturellement au christianisme. Et c'est par ce mélange de la sagesse antique et de la morale chrétienne qu'il apparaît bien comme une dernière manifestation de la Renaissance et se rattache à la tradition éras-mienne. Comme chez tant de stoïciens, d'ailleurs, le caractère n'était pas, chez Lipse, à la hauteur de l'intelligence et du talent. Il sentait bien que ses idées, dans le milieu où il vivait, n'étaient point sans détonner et sans faire scandale. Sa célébrité et, il faut le dire aussi, ses palinodies les lui firent pardonner. Ce disciple de Zénon et d'Epictète célébra en vers les Vierges de Hal et de Montaigu et nia, contre toute évidence, la paternité des œuvres protestantes de sa jeunesse. Ce défenseur de l'individualisme et dû respect de la conscience introduisit dans sa « Politique établissant le devoir pour l'Etat de poursuivre les hérétiques (6). Ces contradictions, qui sauvegardèrent la liberté de son enseignement, prouvent combien celle-ci était précaire. Juste Lipse mort, l'étude de l'antiquité ne se conserva à Louvain que pour la forme. On ne lui demanda plus des idées, mais des modèles de bien dire. Erycius Puteanus (1574-1646), le successeur de Lipse, n'est qu'un rhéteur quintessencié, affectant, par recherche d'originalité, un épicurisme frivole, thème commode de déclamations et de lieux communs aussi dénués de conviction que de profondeur (7). Sans doute Louvain et Douai possédèrent longtemps encore des maîtres distingués. Mais, dans les conditions qui leur étaient faites, comment leur enseignement eût-il pu se permettre la moindre hardiesse ? La tutelle qui pesait sur les facultés les confinait et elle les engourdit à la longue dans une science officielle. Dès le commencement du XVIIe siècle, Heinsius constatait les premiers symptômes de la décadence des hautes études à Louvain. La réputation dont l'Université avait joui pendant si longtemps s'obscurcissait rapidement. Tandis que Leyde, sa rivale cal- lAnvers, Musée Plantin-Moretus.) Juste Lipse (Overyssche, 1547-Louvain, 1606). Portrait peint par P.-P. Rubens entre 1613 et 1618 d'après une gravure de Pierre de Jode. un chapitre viniste, attire de toutes les contrées de l'Europe professeurs et étudiants, elle ne se recrute plus qu'à l'intérieur des provinces belges. Elle déploie d'ailleurs une énergie croissante à retenir cette clientèle restreinte. Elle prétend interdire aux Jésuites l'enseignement de la philosophie (8), et elle empêche l'érection à Liège d'une université rivale. Seule, la faculté de théologie conserve encore quelque indépendance. L'esprit de Baius n'y a pas disparu. Il se manifestera bruyamment, en 1640, par la publication de l'Augustinus et déchaînera le dernier conflit d'idées qui, avant la fin du XVIIIe siècle, ait passionné le pays. En dehors des universités, le milieu était plus défavorable encore à l'expansion de l'activité scientifique. La censure exercée par l'Etat et l'Eglise sur les travaux de l'esprit, le régime inquisitorial imposé à l'imprimerie et à la librairie décourageaient toute initiative intellectuelle (9). La prudence qui s'imposait aux recherches scientifiques ne tarda pas à les étouffer. On sait combien il en coûta à van Hel-mont pour avoir publié, en 1621, des observations sur le magnétisme animal. Dénoncé comme hérétique à la cour épiscopale de Malines par le Jésuite Roberti, il fut obligé Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.I (Cliché Bijtebier.t Dessin du sceau et du contre-sceau du roi d'Espagne Philippe IV par O. Vredius. Les Sigilliu cumitum Flandriae (Bruges, 1639, in-folio) d'O. Vredius .dont cette planche est extraite (p. 300), constituent un recueil de sceaux de princes belges depuis le Moyen Age jusqu'au XVII® siècle. Ce travail, remarquable pour l'époque, reste précieux aujourd'hui encore parce que l'auteur a vu et décrit des sceaux aujourd'hui perdus (voir, par exemple, ici même, t. 1, p. 76), mais la précision et l'exactitude des gravures, ne sont pas à l'abri de tout reproche. à une rétractation solennelle, et ce n'est que deux ans après sa mort que sa famille réussit à le faire réhabiliter. LE MECENAT DES ARCHIDUCS. - On se tromperait d'ailleurs si l'on croyait que les archiducs fussent en principe hostiles à la science et au développement des hautes études. Ils ne pensaient pas, comme le jurisconsulte Pérez, que l'ignorance du peuple soit favorable à l'autorité du prince (10). On les voit, au contraire, prodiguer aux écrivains et aux érudits, comme aux artistes, des preuves de leur bienveillance (11). Mais il était trop périlleux d'aborder l'examen des questions les plus hautes qui, en religion, en philosophie, en histoire, tentent la curiosité des hommes, pour que la science, en dépit de la bonne volonté du gouvernement, ne s'étiolât point dans le domaine étroit où elle se trouvait confinée. L'histoire alimente bien encore, durant la première moitié du XVIIe siècle, une production remarquable. Pour peu qu'on l'observe de près cependant, on remarque qu'elle témoigne d'une timidité caractéristique. Richardot et Pecquius ont beau souhaiter la voir s'attacher aux temps contemporains (12), elle s'en détourne prudemment. Van der Haer, Burgundus, Pontus-Heuterus conduisent le récit des guerres des Pays-Bas jusqu'à la fin du XVIe siècle ou même jusqu'au début de la Trêve de Douze Ans : ils n'ont pas de continuateurs. Tous les historiens se replient vers le passé. Ils se cantonnent dans l'étude des antiquités nationales. Ce sont des éditeurs de textes comme Miraeus ou Sweertius, des antiquaires comme Mal-brancq, des sigillographes comme Vredius, des chercheurs de manuscrits ou des archéologues comme Sanderus. Si attachés qu'ils soient au nouveau régime, ils sentent qu'ils n'en pourraient parler qu'avec des réserves dangereuses. Aucun d'eux n'ose se risquer en deçà du Moyen Age. Ils ont abandonné à un Italien, Bentivoglio, le soin de retracer le tableau de ce règne d'Albert et d'Isabelle pendant lequel ils ont vécu ( 13). Il faut remarquer de plus que presque tous appartiennent à l'Eglise. Et ceci encore est caractéristique. Dans l'Etat strictement confessionnel du XVIIe siècle, l'Eglise, en effet, attire vers elle toutes les forces spirituelles de la nation. Son triomphe lui donne la confiance en soi et l'optimisme indispensables au développement de l'activité scientifique. Elle se meut librement dans l'orthodoxie, que le laïque craint constamment d'outrepasser. Intimement alliée à l'Etat, elle n'a rien à redouter de lui. Et, enfin, elle est à l'abri de la censure puisqu'elle l'exerce elle-même. Aussi, dans la Belgique du XVIIe siècle, reprend-elle, en matière intellectuelle, une situation presque analogue à celle dont elle avait joui au Moyen Age. D'ailleurs, dominant l'enseignement tout entier, comment ne dominerait-elle point, du même coup, le champ des hautes études ? INFLUENCE DES JESUITES. - L'activité littéraire de l'Eglise n'est pas également intense dans toutes les parties de ce grand corps. On ne l'apprécierait point exactement si l'on ne constatait tout de suite que l'influence des Jésuites la pénètre tout entière et que c'est dans le sein de la Compagnie qu'elle a trouvé sa suprême expression. Il est inutile de revenir sur ce que nous avons déjà dit à ce sujet. De même que les Jésuites ont été les grands éducateurs des Pays-Bas catholiques, ils y ont aussi dirigé le mouvement littéraire et scientifique (14). De la Renaissance, dont ils ont si énergiquement combattu les principes, ils se sont en revanche assimilé le décor extérieur et les méthodes. Pendant que, dans leurs collèges, ils expliquent les auteurs païens à leurs élèves, ils appliquent, dans leur grandiose entreprise des Acta Sanctorum, la critique des textes à l'histoire des saints, qu'ils dépouillent de la végétation parasite des légendes pour les dresser plus purs et plus imposants sur les autels. Il n'est point de branches du savoir qu'ils n'abordent : la morale et le droit avec Les-sius, la politique avec Scribani, l'histoire avec les Bollan-distes, la physique avec d'Aiguillon, les mathématiques avec Grégoire de Saint-Vincent et ses élèves, Sarasa, Ayns-com, Hesius, A. Tacquet. Et ce ne sont là que les chefs d'une véritable armée de théologiens, de polémistes, de pédagogues, de sermonnaires, de grammairiens et d'érudits de toute sorte. La production littéraire des Jésuites belges de 1600 à 1650 environ a réellement de quoi surprendre l'imagination. Elle rappelle par son abondance celle des humanistes du XVIe siècle, et elle s'explique en somme par les mêmes causes. L'enthousiasme pour l'idéal de la Renaissance comme l'enthousiasme pour l'idéal catholique ont développé, de part et d'autre, la même ardeur et le même besoin d'action et de propagande. L'extrême fécondité des Jésuites fait ressortir d'autant mieux l'indigence lamentable de la littérature profane. Et rien ne se comprend plus aisément que le déclin des lettres flamandes et des lettres françaises en Belgique dès la fin des troubles du XVIe siècle. Il est désormais interdit aux laïques de s'occuper encore de la seule question qui les passionne : la question religieuse. Le domaine de la foi est réservé, mais réservé est aussi le domaine de la politique. Les calvinistes et les républicains qui depuis tant d'années avaient inondé le pays de ces pamphlets, de ces « apologies », de ces manifestes, au-dessus desquels émergent encore aujourd'hui les œuvres de Marnix, sont maintenant refoulés dans le nord. C'est là qu'au milieu des querelles confessionnelles et des conflits politiques, de la prospérité du commerce, de l'orgueil national surexcité par les victoires et la richesse, la littérature néerlandaise, largement alimentée par les réfugiés protestants de Belgique, va connaître son âge d'or. Dans le sud, au contraire, le silence se fait. La nation s'abandonne à la direction spirituelle de l'Eglise et à la direction temporelle de l'Etat monarchique. Elle se résigne, elle n'éprouve plus le besoin de faire entendre sa voix. Sans doute, l'activité intellectuelle reste vigoureuse au sein du clergé. Mais c'est là justement ce qui achève d'étouffer la littérature profane Car l'Eglise ne se sert que du latin. Par elle se perpétue et s'aggrave encore le discrédit que les Erasmiens et les humanistes avaient déjà jeté sur la langue populaire. Le latin seul, universel comme la religion et comme la raison, paraît digne de la majesté de la pensée. Il domine aussi dans la poésie. Jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, les lettrés publieront à l'envi, pour un petit cercle d'amateurs pédantesques, des vers latins imités de Jean Second et de ses émules. En 1653, Geulinx, dans un dialogue entre Latium et Flandria, fera déclarer dédaigneusement par le premier que le flamand doit se contenter de se faire entendre « à la cuisine et à l'estaminet » (15). Ainsi, les idiomes nationaux sont bannis de la haute littérature. Celle-ci ne se confine point seulement presque tout entière dans l'Eglise, elle porte encore, si l'on peut ainsi dire, le vêtement romain de l'Eglise. Elle reste fidèle à la tradition savante du XVIe siècle, et les laïques qui s'y adonnent, professeurs d'université ou magistrats, acceptent docilement l'usage reçu. DECADENCE DE LA LITTERATURE FLAMANDE. — Le divorce accompli entre la pensée et les (Bruxelles, Musée Royal d'Art ancien.) Albert et Isabelle visitant l'atelier de Rubens. Tableau peint par Henri Stalen (1578-Paris, 1658). II - 33 langues nationales, que reste-t-il à celles-ci ? Les genres de pur agrément et les travaux d'édification populaire. Encore le régime qui pèse sur elles ne peut-il manquer d'énerver bientôt leur spontanéité et leur verve créatrice. Les Chambres de rhétorique, ces clubs littéraires dans lesquels s'étaient réfugiés au XVIe siècle le franc parler et la robuste gaîté des écrivains flamands, passent maintenant pour dangereuses, tant au point de vue de la foi qu'au point de vue des mœurs. On renouvelle contre elles les mesures dont Marguerite de Parme les avait frappées lors du premier soulèvement calviniste. Un placard de 1593 ordonne de ne point tolérer qu'elles se reconstituent en Flandre « vu que leurs représentations offusquent les chastes oreilles » (16). En 1601, un autre édit soumet à la censure toutes les pièces de théâtre afin d'empêcher que les choses sacrées n'y soient traitées légèrement (17). Isabelle, en 1631, l'évêque de Gand, Triest, en 1650, condamnent encore la licence des Chambres (18). On ne parvint point cependant à les faire disparaître. Leur nombre, au contraire, demeure considérable au XVIIe siècle. Mais leur répertoire ne peut réellement plus porter ombrage à personne. Tout au plus, les gens délicats s'offusquent-ils de la vulgarité de leur kluchtspelen auxquels ne s'intéressent plus que le peuple et la petite bourgeoisie. Dans le genre sérieux, des ecclésiastiques leur fournissent de copieuses tragédies où la piété s'allie à une rhétorique de collège (19). Des directions nouvelles que l'art dramatique a prises en Hollande, elles ignorent tout, car la scission religieuse qui s'est produite entre le nord et le sud des Pays-Bas rend désormais impossible, de l'un à l'autre, tout échange intellectuel. De là, l'archaïsme dans lequel végète la littérature flamande. Elle produit jusqu'en 1670, comme au Moyen Age, des passions et des mystères (20). L'imitation des poètes français commence à s'imposer à elle vers cette date : son représentant le plus distingué (Anvers, Musée de la Boucherie.) (Cliché A.C.L.) Détail du collier du roi du Serment de Saint-Sébastien d'Eindhoven (1607). (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Conseil de Brabant, 269 A fol. 105 r°.) Réprimande du Conseil de Brabant aux magistrats de la ville de Bruxelles qui, contrairement à l'usage, avaient adressé un rapport rédigé en langue française à l'archiduc Léopold-Guillaume (8 novembre 1651). Cette manière d'agir a été taxée d'inconvenance, d'irrespect et de mépris des anciens usages. Le Conseil invite les responsables à rédiger la correspondance officielle en flamand, comme par le passé : Soo ordonneren wij u midts dezen u deshalven te reguleren gelijc ghij van oudts gewoon sijt te doen depe-scheren uwe brieven in duytsche taele met ordinarisse termijnen van eerbiedinghe gelijck tôt noch toe gebruyckt hebt... > v t..\-> Vv^V ÇlJStiJ- L. jJ^t-rS Cl l Cl o I • J p-y' quement dans leurs collèges, le jour de la distribution des prix ou aux fêtes principales de l'année (23). Au moment où Corneille débute en France, c'est à cette littérature scolaire, composée par des moines-professeurs, que la scène en est réduite en Belgique ! Et ce n'est point seulement par le drame que l'influence ecclésiastique se répand dans les lettres profanes. La poésie n'offre-t-elle pas à la religion le meilleur moyen d'édification et de prosélytisme ? Aussi un type nouveau apparaît-il, celui du prêtre-poète, prêchant en vers les délices de l'amour-divin, l'abomination du vice et de l'hérésie, cherchant à attirer les âmes au mysticisme « par l'agrément de la sauce qu'il verse sur les plats et le sucre dont il les saupoudre ». C'est là, au fond, le même procédé que celui de François de Sales égayant l'éloquence sacrée des fleurs de son style « comme on fait des champignons pour relever l'appétit ». Mais François de Sales écrit surtout pour les gens du monde. C'est, au contraire, au peuple et à la bourgeoisie que s'adresse, une vingtaine d'années après lui, le Jésuite Poirters (1605-1674) qui apporte, au service de la foi, la verve, la vigueur et tout ensemble la bonhomie de son tempérament flamand. En dépit de leurs fautes de goût, ses œuvres constituent ce que la littérature néerlandaise a produit à cette époque de plus original et de plus vivant. Elles s'élèvent autant au-dessus de la banalité, de la platitude, de la monotonie inhérente aux productions de la poésie pieuse de l'époque, que les traités de Marnix dominent le fourré touffu et agité des pamphlétaires du XVIe siècle (24). Si, en dépit de quelques œuvres vigoureuses, la littérature flamande du XVIIe siècle est déjà sur la pente d'une décadence qui ira en s'accentuant sans cesse depuis la Des troupes d'acteurs étrangers, d'acteurs français surtout, entreprirent bien des tournées dans le pays et y firent connaître un art dramatique plus relevé que les bouffonneries des kluchtspelen. Mais, ici encore, l'autorité ecclésiastique intervint au nom de la pureté des mœurs. L'évêque de Gand conseille au magistrat, en 1611, de ne point donner l'autorisation de jouer en ville à une compagnie de comédiens anglais qui se sont fait entendre à Héverlé chez le duc d'Arenberg (21). Il s'oppose, en 1670, à un spectacle que veulent donner des acteurs français (22). Bref, national ou étranger, le théâtre est soumis à une censure impitoyable, et les « honnêtes gens » doivent se contenter, faute de mieux, des tragédies que les élèves des Jésuites représentent périodi- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde (Bruxelles, 1538-Leide, 1598). Gravure au burin de Jean Wiericx, datée de 1581. dans la seconde moitié du siècle, Michel de Swaene (1654-1707), a traduit le Cid et Cinna de Corneille. On y rencontre pourtant encore quelques esprits primesautiers et originaux, observateurs sagaces des mœurs populaires et que leur goût pour la grosse farce ne rend point incapables d'un comique de bon aloi, tel Guillaume Ogier (1618-1689), dont le talent se fût sans doute épanoui dans une atmosphère moins renfermée et devant un public plus distingué et plus exigeant que ceux dont il dut se contenter dans l'Anvers du XVIIe siècle. Deux vues de Dunkerque extraites de la « Flandria illustrata » d'A. Sanderus. La Flandria illustrata (2 volumes in-folio, Cologne, 1641-1645) dont cette planche est extraite (t. II, pp. 632-633) renferme une description et des vues très précieuses pour l'histoire de la Flandre au XVIIe siècle. Il n'est pas certain que le livre ait été édité à Cologne. On a fait remarquer que septante planches de Flandria illustrata figuraient dans l'atlas de Blaeu. Or, en 1634, Sanderus se mit en rapport avec Hondius pour l'édition du livre et, en 1641, Hondius céda ses droits à Blaeu. Si cette hypothèse s'avérait exacte, l'indication du lieu d'édition se justifierait uniquement par l'obligation où se trouvait Sanderus de laisser croire que son ouvrage avait été édité dans une ville catholique après avoir reçu l'imprimatur. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) (Cliché Bijtebier.) p LA MAGDELEINE | i DE F. REMI J k DE BEAVVAIsSff »CAPVCIN>a | M|j|DE LA^Wi v ■sRoVINCE 1 \ KÊÊ DES Uj 1 «Rais-BAS. 1 ATOVRNAY T Chez CharUs Martin 1 Imprimeur iurr I au S.Efrrrt.i6l7 j mort de Poirters, à côté d'elle, la littérature française apparaît comme plus anémiée encore. On pourrait s'en étonner à première vue, car l'usage du français a réalisé durant notre période de nouveaux progrès. Ce n'est point qu'il ait pénétré plus profondément au sein des masses populaires ou qu'il ait occupé une place plus large dans l'administration du pays. La petite bourgeoisie, confinée dans l'exercice des métiers locaux, n'éprouve guère, en Flandre, (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Page de titre de « La Magdeleine » de « Frère Remi de Beauvais, capucin de la province des Païs-Bas ». Livre édité à Tournai en 1617 par Charles Martin. le besoin de l'apprendre, et il est à peine besoin de dire que les écoles dominicales ne l'enseignent pas à leurs pauvres élèves. D'autre part, en pays flamand, les administrations communales, les Etats provinciaux et les Conseils de justice délibèrent et correspondent en flamand (25). On y plaide en flamand devant les tribunaux; c'est en flamand que les notaires y rédigent leurs actes (26), et en flamand qu'y sont publiés les édits et les placards de tout genre. Le français n'est la langue officielle que du gouvernement central, du Grand Conseil de Malines, des Chambres des Comptes, lesquelles, d'ailleurs, n'ont aucun rapport avec le public. Quant à l'armée, elle ne se sert du français qu'à défaut de l'espagnol. Enfin, avant la fin de la seconde moitié du XVIIe siècle, le roi n'a pas rompu avec la tradition de ne nommer, dans les diocèses flamands, que des évêques d'origine flamande (27). PROGRES DE LA LANGUE FRANÇAISE. -Néanmoins, le français étant la langue du gouvernement central, on comprend que la connaissance en soit requise de tous ceux qui aspirent aux fonctions publiques (28). Mais surtout il fait des progrès constants dans la noblesse et par là même chez toutes les familles parvenues qui aspirent à la noblesse. La hiérarchie sociale qui s'impose à la nation lui assigne le rang de langue aristocratique. Il appartient désormais, comme l'épée et les armoiries, aux signes distinctifs du gentilhomme. L'éclat de la littérature et de la civilisation françaises à partir du règne de Henri IV favorise puissamment d'ailleurs son expansion. De plus, tandis que la séparation religieuse a provoqué la séparation intellectuelle de la Belgique et de la Hollande et dès lors condamné le flamand au rôle d'une langue provinciale, la France catholique impose aisément son influence aux Pays-Bas catholiques. Pourtant, elle n'y est pas populaire. Depuis 1637 surtout, on se reprend à la considérer comme l'ennemie héréditaire. Le cas de Jansenius, plus qu'à demi francisé et qui écrit contre elle son Marc Gallicus, a été celui de quantité de ses contemporains. Mais comment résister à l'ascendant séculaire qu'elle exerce ? Des princes aussi purement espagnols de mœurs et de sentiments que l'ont été Albert et Isabelle, sont obligés de respecter la tradition et de laisser la langue de Henri IV se parler à la cour. D'ailleurs, cette langue n'est-elle pas l'idiome maternel de la noblesse wallonne qui a tant contribué à ramener le pays à Philippe II et à l'orthodoxie ? Et surtout ne passe-t-elle pas officiellement pour la « langue bourguignonne », et ne contribue-t-elle pas, en cette qualité, à faire ressortir, en face de l'Espagne, l'indépendance du pays (29) ? Ainsi, même au plus fort de la lutte entre la maison de France et la maison d'Autriche, le français achève de conquérir, dans la Belgique flamande, et la classe noble et la classe riche qui se rattache à elle (30). Sweertius déplore, en 1620, le dédain de ses compatriotes pour leur propre langue (31). La vogue du français ne cesse de grandir dans la même mesure que l'importance de l'aristocratie. Les femmes, surtout, se montrent avides de l'apprendre. C'est parce que les Ursulines viennent de France que leurs écoles attirent bientôt toutes les jeunes filles de la bourgeoisie (32). Sans doute, tout le monde dans les provinces flamandes, continue à parler le flamand; mais on ne le lit plus guère et, pour peu que l'on se trouve en représentation, on a plus bien besoin de s'exprimer en français. Quelques « snobs » poussent même la francisation au point de feindre d'ignorer la langue populaire (33). Si dans les bibliothèques privées, on rencontre, à côté des livres de piété ou des ouvrages professionnels, quelques œuvres littéraires, ce sont des œuvres françaises (34). A la barre, on entend les avocats invoquer le droit français, les juristes français, les lois françaises (35). Des Flamands enseignent le français à Cassel et à Cologne (36). LES LETTRES FRANÇAISES. - Pourtant, cette francisation des classes dirigeantes ne s'est manifestée par aucune activité littéraire digne de ce nom. Quelques mémoires informes (37), quelques tragédies grotesques (38), quelques élucubrations désolantes de Jésuites, de Capucins ou de curés écrivant pour le beau monde, telles que La pieuse alouette avec son tirelire, du P. de la Chaussée; La Magdeleine, du P. Remi; Les Apanages d'un chevalier chrétien, du P. Martin, suffisent à marquer le niveau des lettres françaises de Belgique pendant la première moitié du XVIIe siècle. Le Banc des Muses, du baron du Cuincy, à la fin du XVIe siècle, Y Académie de Flémalle, fondée vers 1641 par le curé français Breuché de la Croix; la Triomphante bande de M"e de Vignacourt en Hainaut (39); enfin, en pleine Flandre, au château de Ronsele, la Cour d'amour du roi de Lindre d'Adrien-Opice Adornes (40) attestent de leur côté quelques velléités naïves d'acclimater les raffinements de l'Italie, l'esprit de l'hôtel de Rambouillet ou le goût académique. Et au fond, cette misère et cette puérilité ne peuvent surprendre, car tout empêche la noblesse de participer à la vie littéraire ou même de constituer un public pour de véritables écrivains. Ecartée des grandes affaires, elle ne collabore plus à la direction politique du pays et s'en désintéresse. La cour d'Albert et d'Isabelle l'a bien groupée durant quelques années, mais quelle action profonde cette cour, assemblée autour de princes étrangers, pouvait-elle exercer ? En réalité, et par un contraste éclatant avec la cour de Paris, elle n'en a exercé aucune. Elle a ébloui les yeux par des fêtes somptueuses (41); elle n'a pas eu la moindre action sur les esprits. D'ailleurs, elle se disperse après la mort des archiducs et les courtisans retournent mener, au fond de leurs provinces, une existence calme et monotone, partagée entre le soin de leurs terres et celui de l'administration locale. Ils n'y trouvent guère d'autre distraction que la chasse. Presque tous se contentent de la culture littéraire qu'ils ont acquise dans quelque collège de Jésuites. Les plus curieux la complètent par un voyage en Italie, et beaucoup d'entre eux collectionnent, au retour, des antiquités, des tableaux et des monnaies. Ils lisent ou parcourent encore des livres d'érudition; mais dans l'engourdissement intellectuel où ils sont plongés, la littérature n'est et ne peut être pour eux qu'un délassement agréable, qu'un passe-temps mondain et distingué, qu'un prétexte à galantes assemblées, qu'un moyen de plaire aux dames. L'EGLISE ET L'ART DE LA RENAISSANCE. -C'est une règle constante, depuis la fin du Moyen Age que les arts plastiques ont toujours été, dans les Pays-Bas, incomparablement plus brillants que les lettres. On le remarque à l'époque bourguignonne comme à l'époque de la Renaissance, et le XVIIe siècle n'a pas fait exception. Au contraire, jamais le contraste n'y a été plus éclatant. Dès que l'on se tourne vers Rubens, on ne voit plus que lui. C'est un éblouissement qui fait rentrer dans l'ombre tout ce qui l'entoure. Et pourtant, si violente qu'apparaisse tout d'abord leur opposition, il existe entre la littérature et l'art de cette époque un caractère commun. L'influence de l'Eglise les domine également. Ils sont intimement associés au triomphe de la Contre-Réforme et du catholicisme. Il est facile de comprendre comment, soumis l'un et l'autre à la même direction, ils ont eu des destinées si différentes. La raison doit en être cherchée dans leur nature. Le fond et la forme, facilement séparables dans les œuvres littéraires, se trouvent, au contraire, indissolublement unis dans celles du génie plastique. Ici, il est impossible de faire le départ entre le sentiment qui a inspiré l'artiste et ses moyens d'expression. Le sujet d'un tableau n'est qu'un prétexte, qu'une occasion de réaliser par le dessin, le coloris, l'éclairage, un certain idéal de beauté, une certaine compréhension de l'homme ou de la nature. La philosophie et la religion du peintre ne se projettent point sur la toile. C'est sa personnalité même qui s'y exprime dans le langage muet et universel des formes et des couleurs. On voit tout de suite les conséquences qui en découlent pour la conduite de l'Eglise vis-à-vis de la Renaissance. Tandis qu'elle rejeta la pensée des humanistes, tout en s'appropriant leur style, leur langue et leurs méthodes, pour les artistes, au contraire, elle dut les accepter tels qu'ils étaient, et les mesures qu'elle prit à leur égard n'entravèrent en rien d'essentiel leur liberté ou leur fantaisie. Bref, si elle put étouffer, en littérature, l'esprit de la Renaissance, elle ne le put point dans les arts. Les architectes, les peintres ou les sculpteurs qu'elle appela à édifier ou à orner ses sanctuaires se rattachent directement à ceux qui les ont précédés et en continuent la tradition. Ce n'est point d'ailleurs que, leur confiant le soin de sa parure, elle n'ait exigé d'eux le respect de ses dogmes et de sa morale. Dès 1570, un professeur de l'Université de Louvain, Jean Molanus, formulait, dans son De picturis et imaginibus sacris (42), une sorte de programme de l'art chrétien conforme aux décisions du concile de Trente. Son but est de soumettre entièrement la décoration des églises à la théologie. Sans doute, il en bannit les nudités et les indécences, mais ce qu'il en bannit surtout, c'est cette poésie intime, cette représentation de légendes touchantes et gracieuses nées de la foi naïve des siècles passés. On a appelé très justement ce livre « un long réquisitoire contre l'art du Moyen Age ». Et, en effet, Molanus ne comprend plus rien ni au symbolisme, ni à la poésie, ni à la piété si profonde, si ingénue des van Eyck et de leurs successeurs. Il ne veut plus du contact de l'homme avec les choses divines. Il faut que le ciel cesse de s'ouvrir et de communiquer avec la terre, pour s'isoler dans une majesté inaccessible. Le peintre aura désormais à se conformer strictement au texte des livres saints. Défense lui est faite de représenter encore saint Joseph sous l'aspect d'un vieillard, de mettre dans un vase, à côté de la Vierge, le lys que l'ange annonciateur doit porter dans sa main, de faire s'évanouir la mère du Sauveur au moment de la crucifixion. Le mysticisme tendre et familier qui, durant si longtemps, avait inspiré la peinture nationale ne trouve pas grâce devant la rigueur du théologien. Il le condamne comme attentatoire à la majesté de la religion. Et c'est aux modèles italiens, plus respectueux de la dignité des personnages sacrés, et qu'il ne connaît d'ailleurs que par ses conversations avec le Jésuite Jean Gravius, qu'il renvoie les artistes de son pays. Mais à quoi aboutit cette conclusion, sinon à les engager, pour des motifs tirés de l'orthodoxie et de la discipline ecclésiastique, à persévérer dans la voie où, depuis le commencement du siècle déjà, ils étaient entrés spontanément ? Ainsi, au moment où il rompt avec la philosophie et les idées de la Renaissance, le catholicisme, par une apparente contradiction, se met, dans le domaine de l'art, au service de cette même Renaissance. Italianisme et Renaissance se confondent, en effet, à la fin du XVIe siècle, et qui recommande l'un agit en faveur de l'autre. Au lieu de faire dévier le mouvement artistique comme elle a fait dévier les mouvements des idées, l'orthodoxie, par la discipline même à laquelle elle veut le soumettre, ne fait que l'orienter davantage vers le but auquel il tend. Molanus semble ne point s'être douté, en écrivant, que la tradition du Moyen Age était abandonnée depuis longtemps dans les ateliers et que l'italianisme y triomphait. Le Raphaël et le Michel-Ange flamands, Michel Coxie et Frans Floris sont des contemporains. Presque seul Brueghel résiste encore au courant. L'italianisme auquel poussaient la mode et le goût régnant arriva donc à son apogée grâce à la restauration catholique. Celle-ci donna aux beaux-arts, en même temps et dans tous les domaines, une activité qu'ils n'avaient pas connue depuis longtemps. Avec elle s'ouvre une nouvelle période de grandes constructions religieuses. Jamais, depuis l'époque des ducs de Bourgogne, on n'a autant bâti que sous le règne d'Albert et d'Isabelle et durant les quinze années suivantes. A côté des grands temples gothiques, dont le dernier, Sainte-Waudru de Mons, s'achève en 1582, le style «baroque» triomphe dans les sanctuaires que les villes voient s'élever de toutes parts. Tandis que l'architecture civile reste encore fidèle, comme dans le (Audenarde, cour de l'hôpital.) (Cliché A.C.L.) Façade du pavillon des évêques (« Bisschoppenhof ») à Audenarde. Le pavillon des évêques fut construit de 1599 à 1600, d'après les plans de l'architecte Gilles-Simon de Pape. C'est probablement là que logèrent Albert et Isabelle le jour de leur Joyeuse-Entrée à Audenarde (24 août 1600). (Cliché A.C.L.) Voûte de l'église Saint-Loup à Namur, construite à partir de 1621 d'après les plans de l'architecte jésuite Pierre Huyssens (1577-1637). Nieuwerk d'Ypres, la façade orientale de l'hôtel de ville de Gand, le palais de justice de Furnes, la halle aux draps de Tournai, à un style que caractérisent plus au moins heureusement l'élégance et la légèreté de l'école brabançonne, les monuments religieux s'inspirent directement des modèles romains. LE STYLE BAROQUE. — C'est surtout dans les églises si nombreuses édifiées par les Jésuites que les tendances nouvelles s'affirment le plus résolument et avec le plus d'éclat. La nouveauté de leur aspect a même fait croire pendant longtemps à l'existence d'un « style jésuite ». Mais, en réalité, les Jésuites n'ont ici rien inventé (43). Ils se sont bornés à adopter le style que les épigones de Michel-Ange venaient de révéler à l'Italie, ce style « baroque » où tout est sacrifié à la recherche de l'expression, où le sentiment l'emporte sur la raison et qui, par son emphase et la fougue de sa décoration, se prêtait si admirablement à magnifier la confiance triomphante de l'Eglise victorieuse. Dès 1583, ils l'appliquent à la construction de leur église de Douai, dont les plans, venus de Rome, sont imités de ceux du Gesù. Ce fut le premier monument de ce genre qui s'éleva sur le sol de la Belgique, et les Pères semblent même avoir craint que sa nouveauté ne causât quelque surprise. La représentation qu'ils firent donner par leurs élèves le jour de l'installation de la première pierre fut consacrée à expliquer au public les idées qui avaient présidé à l'édification du temple (44). Ces idées, ils furent d'ailleurs très loin de les réaliser partout. Nombreuses sont les églises 'IET DE OENADj IvyT IONSTEN VBRSAtMTj OOVERDIGHE' DE iTEVEN HG0FT-50NDË s PEELS-GHEWTS". VERMAKELVCK. ENDE LEER5AEM. VOOR-ÔESTELT, DOOR G. OGIER, l'an Antivtrffen. y K vys H Ey D' ^ramschkp ques des Pays-Bas ne soient que de simples pastiches de celles de l'Italie. Elles présentent, au contraire, un caractère nettement reconnaissable. Sous l'influence du goût national, le style étranger se modifie, s'adapte au milieu, s'acclimate dans sa nouvelle patrie. La plupart du temps, il conserve, pour le plan des édifices, la disposition générale des églises gothiques. En même temps, il se caractérise par la richesse, la fantaisie, le pittoresque de sa décoration. On a remarqué depuis longtemps qu'il recherche avant tout les effets de couleur, qu'il apparaît comme plus pictural que constructif. On peut y retrouver sans peine la prédilection de l'école brabançonne pour l'exubérance ornementale. Il est intéressant de constater que les Jésuites ne se contentèrent pas d'introduire le style baroque en Belgique. Plusieurs d'entre eux se distinguèrent comme architectes. Les églises de l'Ordre, à Tournai et à Mons, construites par les PP. Henri Hoeimaker (1559-1623) et Jean du Blocq (1583-1656) ne présentent encore rien de bien remarquable. Mais François d'Aiguillon (1566-1617), Pierre Huyssens (1577-1637), et Guillaume Hésius (1601-1690) sont de véritables artistes. Saint-Loup de Namur, Sainte-Walburge de Bruges, Saint-Pierre de Gand nous conservent encore des spécimens du souple et fécond talent de Huyssens, et nous savons que c'est lui qui, avec la collaboration d'Aiguillon, conçut et exécuta la fameuse église des Jésuites d'Anvers dont le luxe éblouissant ne laissa pas de soulever les scrupules du général de l'Ordre (45). Quant à Hésius, il est l'auteur des plans, d'ailleurs assez sensiblement modifiés après lui, de l'église des Jésuites de Louvain. RUBENS. — Plus célèbre et plus remarquable encore apparaît, à côté de ces moines constructeurs, le Bruxellois Jacques Francquart (1577-1651) dont le Livre d'architecture, publié en 1616, acheva de répandre en Belgique les principes nouveaux du baroque. La façade du temple des Augustins de Bruxelles suffit à justifier sa renommée et la faveur que lui témoignèrent Albert et Isabelle. Son œuvre la plus admirée, l'église des Jésuites de Bruxelles (1606-1620), a malheureusement disparu. Elle passa de son temps pour un chef-d'œuvre et servit de modèle au P. Huyssens pour les monuments qu'il éleva à Bruges et à Namur. Francquart, comme son contemporain Wenceslas Coeberger, avait commencé par s'adonner à la peinture et il lui dut sans doute de communiquer à ses œuvres cet aspect particulier qui assura leur influence et qui contribua si largement à affranchir l'architecture belge de la domination de l'Italie. Son successeur, Luc Faidherbe de Malines (1617-1697) acheva l'évolution, et le style baroque atteignit avec lui à cette vigueur et à cette richesse d'expression qui caractérisent l'église du Béguinage de Bruxelles (1657-1676) et celle de Notre-Dame de Hans-wyk à Malines (1663-1678). Mais c'est que Faidherbe est un élève de Rubens, un des innombrables instruments du génie dominateur qui, de proche en proche, s'est imposé à toute l'activité artistique du pays. Rubens avait trente et un ans lorsque, formé à l'école de l'Italie, il revint à Anvers en 1608. Il jouissait d'une réputation honorable et, dès l'année suivante, Albert et Isabelle le nommaient leur peintre de cour au salaire de 500 florins. C'était le moment où s'ouvrait la Trêve de Douze Ans. De toutes parts, on s'empressait de profiter de ce long repos pour rendre ou pour donner aux églises (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Page de titre der « Seven Hooft-Sonden » de G. Ogier. Les médaillons gravés par Gaspard Bouttats (Anvers, 1640-avant 1696) illustrent les sept péchés capitaux : l'orgueil (Hooverdigheyt), l'impureté (Onkuisheydt), la gourmandise (Gulsigheydt), la colère (Gramschap), la paresse (TragheydtJ, la haine et l'envie (Haedt en Nydt) et l'avarice (Gierigheydt). Les Seven Hooft-Sonden ont été édités à Amsterdam par Michel De Groot en 1682. où, faute de ressources ou, du moins, par esprit d'économie, ils se conformèrent au type très simple des églises nationales, se bornant à ne développer les pompes du baroque qu'à la façade et au portail. Mais, partout où ils le purent, ils transformèrent suivant les principes de l'art nouveau, devenu l'art orthodoxe, les formes traditionnelles de l'architecture religieuse. Le sanctuaire ne sera plus désormais une maison de prière largement accueillante, fourmillant de chapelles et d'oratoires, asile délicieux de dévotion mystique. Ce sera une salle de palais, toute brillante de couleurs et de dorures et où s'élèvent, aux regards de tous l'autel du Tout-Puissant et la chaire d'où retentit sa parole. L'art s'y adresse à la fois à l'imagination et aux sens pour faire ressortir la majesté divine et pour venir en aide à la prédication. Les statues parlent, agissent, discutent, menacent, bénissent. Ce sont des missionnaires, des apologistes, des confesseurs qui haranguent le peuple pour le confirmer dans sa foi et le défendre contre l'hérésie. A travers les fumées de l'encens, on entrevoit, dans leurs cadres d'or, de gigantesques peintures glorifiant le martyre des saints ou quelque épisode de l'histoire sacrée et, se dressant, toute rutilante de ses pierres neuves, la façade du temple avec ses colonnes, ses volutes, ses obélisques, ses moulures saillantes supportant des urnes d'où jaillissent des flammes, ses niches abritant des statues colossales, semble un arc de triomphe. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, que les églises baro- une parure triomphale. Les commandes affluaient dans les ateliers d'artistes, le champ du travail s'annonçait illimité. Rubens s'y lança et, dès 1612, il se révélait, dans la Descente de croix, comme le premier peintre de son temps. Il ne nous appartient pas de décrire ici ce prestigieux créateur, ce poète de l'énergie et de la couleur qui, transportant sous le ciel du nord la peinture anémiée de l'Italie, lui rend une vigueur nouvelle et la transforme en lui insufflant son génie. Nous n'avons qu'à indiquer brièvement par quoi il se rattache à la civilisation générale de l'époque qu'il a illustrée. C'est tout d'abord un homme de la Renaissance. Il en a la curiosité universelle, la soif de connaissances, la vénération passionnée pour l'antiquité. Il est tout à la fois peintre, architecte, numismate, archéologue, philologue et, comme chez les plus grands des Italiens du XVIe siècle, l'artiste chez lui s'unit à l'homme d'action. Au milieu de son écrasant labeur, il trouve le temps de s'acquitter de délicates missions diplomatiques en Angleterre et en Hollande. Catholique convaincu, le sentiment religieux ne l'entraîne point à ce rigorisme de moeurs et de pensée qui se répand de plus en plus chez ses contemporains. Il aime la vie d'un amour sain et robuste; il l'accepte tout entière avec ses devoirs, mais également avec ses joies. Son pinceau, qui a donné une expression si admirable aux scènes les plus pathétiques de l'Evangile, et si magnifiquement retracé l'histoire des saints et des martyrs, se plaît aussi à reproduire l'éclat de la nudité féminine au milieu de la soie d'or des chevelures blondes, dans le jaillissement des eaux ou la somptuosité des sombres fourrures. Sans doute, c'est avec raison qu'on l'a appelé le peintre par excellence de la Contre-Réforme. Il est le plus grand des décorateurs de l'Eglise catholique, mais on ne peut le considérer exclusivement comme un peintre religieux. Si, à quelques lieues des temples calvinistes hollandais blanchis au lait de chaux, il couvre l'église des Jésuites d'Anvers de ses rutilantes compositions et produit sans relâche cette multitude de tableaux d'autel qui, dans tous les grands sanctuaires de Belgique, magnifient la victoire du catholicisme sur l'hérésie, c'est d'un décor tout païen qu'il entoure, sur les murs du Luxembourg, l'histoire de Marie de Médicis. Son génie universel s'adapte sans peine à toutes les manifestations de la société de son époque, comme il s'étend à toutes les formes d'art. Ses élèves sont presque aussi nombreux que ses chefs-d'œuvre, aussi variés que ses aptitudes. Ce sont des peintres admirables comme van Dyck, comme Jordaens, comme Snyders, comme Corneille de Vos, comme Teniers. Mais ce sont aussi des architectes comme Faidherbe, des graveurs comme Soutman et Vosterman. Tout l'art de la Belgique porte son empreinte et semble sortir de son atelier. Après la mort du maître, il ne fournira plus aucun grand nom. Suscité par Rubens, il s'éteint avec ses disciples; la génération qui les suit ne fera plus que les répéter. Et l'on ne peut s'empêcher de trouver entre cette floraison si rapide et si courte de l'école d'Anvers et l'histoire même du pays au XVIIe siècle, une concordance significative. Le plein épanouissement du génie de Rubens n'appartient-il point, en effet, à cette époque brillante du règne d'Albert et d'Isabelle, où la cour de Bruxelles, alliée à l'Eglise et à la puissance espagnole, constitue encore un des centres politiques les plus en vue de l'Europe ? Non seulement le grand peintre a joui de la protection des archiducs et de Spinola, les a aimés, a partagé leurs espoirs et leurs ambitions, mais aussi il a vécu assez longtemps pour assister à l'écroulement de ses rêves et pour voir sa patrie entraînée dans la décadence de l'Espagne, abandonnée à des gouverneurs étrangers incapables de la défendre, mécontente à la fois et résignée, tomber peu à peu dans un engourdissement au milieu duquel devaient bientôt s'obscurcir puis s'éteindre les dernières lueurs de l'art national. (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) (Cliché Biitebier.) Fête dans un parc : tableau peint par P.-P. Rubens vers 1632-1638. A l'avant-plan, des seigneurs et des dames parmi lesquels on a cru reconnaître Rubens et sa femme. Le fond du tableau est occupé par un château que certains identifient avec la propriété (Le Steen) que Rubens possédait à Elewijt, près de Malines. NOTES (1) Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 1. La défense fut rééditée en 1582 et 1587. Ibid., pp. 3, 5. (2) H. Vander Linden, L'Université de Louvain et le duc d'Albe. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 1908, p. 10. (3) Ils furent promulgués à la suite d'une enquête (visite de l'Université) ordonnée en 1617. Voy. V. Brants, La faculté de droit de l'Université de Louvain à travers cinq siècles, p. 19 (Louvain, 1906). — L'université de Douai avait été, en 1616, l'objet d'une « visite » analogue. (4) F. Strowski, Pascal et son temps, p. 62 (Paris, 1907). (5) V. Brants, La création de la chaire de théologie scolastique et la nomination de Malderus à l'Université de Louvain. Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique, t.. XXXIV [1908], p. 46 et suiv.; H. de Jongh, Substitution de la somme de Saint-Thomas aux sentences de Pierre Lombard dans l'enseignement de la théologie à Louvain en 1596. Ibid., t. XXXV [1909], p. 370 et suiv. (6) Dans l'édition de 1592. Voy. F. van der Haeghen, Arnold et Vanden Berghe, Bibliographie Lipsienne, t. II, p. 351 (Gand, 1886). (7) Th. Simar, Etude sur Erycius Puteanus (Louvain, 1909). (8) Placcaeten van Brabant, t. III, p. 84. (9) Le régime de la presse fut soumis à des censeurs nommés de commun accord par le gouvernement et l'évêque du lieu. Voy. le placard du 20 février 1616 (Placcaeten van Vlaenderen, II, p. 19), qui resta en vigueur jusqu'au régime autrichien. En 1636, l'archevêque de Cambrai fait refuser par le Conseil Privé une patente de libraire à François de Vervel, de Mons, dont le père a été libraire pendant cinquante ans, non parce qu'il est hérétique, mais parce qu'il paraît suspect. E. Poncelet et E. Mathieu, Les imprimeurs montois, p. VI (Mons, 1913). (10) « Ingeniorum et scientiarum mediocritas, sed cum sinceritate conjuncta, reipublicae stabilitas est ». A. Perez, Jus Publicum, p. 313 (Amsterdam, 1657). L'auteur fut professeur à Louvain depuis 1619 et mourut en 1672. (11) J. Finot, Les subventions accordées aux littérateurs, aux savants et aux artistes par le gouvernement des Pays-Bas au XVIIe siècle. Annales du Comité flamand de France, t. XIX [1891]. (12) Voy. à cet égard une lettre de Mîraeus, dans le Messager des Sciences Historiques, 1849, p. 444. (13) Adrien van Meerbeeck, d'Anvers, composa pourtant en flamand une chronique allant de Charles-Quint à 1620, et dans laquelle il prétend réfuter les historiens protestants van Meteren, Baudaert, Le Petit, etc. Mais ce n'est là qu'une compilation sans valeur de maître d'école et à laquelle les beaux portraits gravés dont elle est ornée donnent seuls quelque intérêt. (14) A Namur, leur établissement ayant fait augmenter dans la ville « le nombre des lettrés et des écoliers », a pour conséquence l'introduction de l'imprimerie. J. Borgnet, Recherches sur les imprimeurs de Namur. Bulletin du Bibliophile belge, t. VI [1849]. (15) Questiones quodlibeticae, p. 53 (Anvers, 1653). (16) Placcaeten van Vlaenderen, III, p. 76. (17) V. Brants, Ordonnances, t. I, p. 146. (18) De Ram, Synodicon Belgicum, t. IV, pp. 166, 185. (19) Exemples dans Paquot, Mémoires littéraires, t. IX, p. 221, XII, p. 68. (20) H. J. A. Ruys, Duytkens ende Willemynkens pelgrimage, p. 41 (Utrecht, 1910). (21) F. de Potter, Petit cartulaire de Gand, p. 175. — Intervention analogue de l'évêque de Tournai en 1610. Ph. de Hurges, Mémoires d'eschevin de Tournai. Mém. de la Soc. Hist. de Tournai, t. V [1855], p. 265. (22) F. de Potter, op. cit., p. 255. Sur les tournées très fréquentes de troupes françaises, voy. H. Liebrecht, Les Comédiens de campagne à Bruxelles au XVIIe siècle. Revue Belge de philologie et d'histoire, t. I [1922], p. 265 et suiv. (23) Paquot, Mémoires littéraires, t. IX, p. 221 et suiv., XV, p. 73 et suiv.; F. Faber, Histoire du théâtre français en Belgique, t. I, p. 39 et suiv. (Bruxelles, 1872); de Béthune, Le théâtre dans les anciens collèges de Belgique. Mélanges G. Kurth, t. II, p. 251 et suiv. ; le même, Contribution à l'histoire du théâtre dans les anciens collèges de Belgique, spécialement à Courtrai. "Mém. du Cercle hist. de Courtrai, t III [1910]; F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. II, pp. 31, 33, 34, 35; D. D. Brouwers, Les fêtes publiques à Dinant, p. 62 (Namur, 1909) ; L. Lefebvre, Le théâtre des Jésuites et des Augustins dans leurs collèges de Lille du XVIe au XVIIIe siècle. Annales de l'Est et du Nord, t. III [1907], p. 1 et suiv. (24) Voy. H. J. A. Ruys, Duytkens ende Willemynkens pelgrimage, p. 41 et suiv. (25) Le Conseil de Brabant, en 1651, réprimande le magistrat de Bruxelles qui lui a envoyé un rapport en français. A. Gaillard, Histoire du Conseil de Brabant, t. II, p. 85. (26) Sauf quand les parties désirent qu'ils soient dressés en français. Sur l'emploi des langues dans l'administration et la justice, voy. J. Des Cressonnières, Essai sur la question des langues dans l'histoire de Belgique, p. 274 et suiv. (Bruxelles, 1920). (27) Voy. à cet égard une curieuse pétition des quatre membres de Flandre au duc de Villa-Hermosa dans Annales de la Soc. hist. de la ville d'Y près, t. VI, [1873], p. 223. (28) En 1663, une supplique adressée au magistrat de Saint-Trond parle de la nécessité d'apprendre le français pour pouvoir obtenir des fonctions honorables. G. Simenon, L'instruction populaire à Saint-Trond pendant l'Ancien Régime. Bullet. de la Soc. scientifique et littéraire du Limbourg, t. XXIII [1905], p. 176. Pour l'enseignement du français à Termonde à la même époque, voy. J. Broeckaert, Dendermondensia. Annales du Cercle archéologique de Termonde, 1893, p. 376. (29) Voy. plus haut p. 387. Cf. G. Kurth, Notre nom national, p. 16 (Bruxelles, 1910), et L. Van der Essen dans Revue Belge de philologie et d'histoire, t. IV [1925], p. 128. (30) Voici quelques exemples. A Bruxelles, en 1638, les Jésuites prêchent trois fois par semaine en flamand, et deux fois en français. A Courtrai, à la même date, assistent aux prêches français o totius urbis honestiores ». Waldack, Historia Provin-ciae Flandro-Belgicae Societatis Jesu, pp. ix, 24. Il existe à Anvers, au XVII® siècle, une Gallica sodalitas. Imago primi saeculi, p. 774. (31) Rerum Belgicarum Annales, préface, p. 2 (Francfort, 1620). (32) V. van der Haeghen, Inventaire des Archives de Gand, p. 295. (33) « Dans le pays où nous sommes, les personnes de qualité en font [du français] une étude particulière jusqu'à négliger tout à fait leur langue naturelle et à se faire honneur de ne l'avoir jamais apprise. Les dames de Bruxelles ne sont pas moins curieuses de nos livres que de nos modes ; le peuple mesme, tout peuple qu'il est, est en celà du goût des honnestes gens ; il apprend notre langue presque aussi tost que la sienne ». Le P. Bouhours, Les entretiens d'Ariste et d'Eugène, p. 37 (Paris, 1671). Je dois ce texte à l'obligeance de M. G. Cohen. Pour d'autres preuves de l'usage du français à cette date dans les régions flamandes, voy. F. Brunot, Histoire de la langue française, t. V, p. 213 et suiv. (Paris, 1917). (34) A. de Poorter, Een inventaris van 1632, dans la Revue Biekorf, 1905; J. A. Goris, De bibliotheek van een Antwerpsch koopman te Keulen in 1651, dans De Gulden Passer, 1924, p. 150 et suiv. (35) Voy. la préface d'Anselmo au t. I des Placcaeten van Brabant. (36) F. Brunot, loc. cit., pp. 281, 284. (37) Par exemple les Mémoires guerriers de C. A. de Croy (Anvers, 1642), ou ceux du comte de Mérode d'Ongnies (Mons, 1840). (38) F. Faber, Histoire du théâtre français en Belgique, t. I, p. 17 et suiv. (39) Annales du Cercle archéologique de Mons, t. V [1864], p. 173. (40) T. de Limburg-Stirum, La cour du roi de Lindre. Messager des Sciences Historiques, 1892, p. 17 et suiv. (41) E. Gossart, L'auberge des princes en exil. Anecdotes de la cour de Bruxelles au XVIIe siècle, p. 37 et suiv. (Bruxelles, 1905) ; le même, Un divertissement à la cour des archiducs, dans La Belgique artistique et littéraire, oct. 1909. (42) La première édition en parut à Louvain en 1570, la seconde en 1594. Sur cet ouvrage, voy. E. Mâle, L'art religieux de la fin du moyen âge, p. 534 et suiv. (Paris, 1908). (43) J. Braun, Die belgischen Jesuitenkirchen (Fribourg en Br., 1907). (44) Ibid., p. 117. (45) F. Donnet, L'architecture de l'église des Jésuites à Anvers. Bullet. des Comm. roy. d'Art et d'Archéologie, 1910, p. 25 et suiv., pense que Rubens a pris une part prépondérante à la décoration de cet édifice. TABLE GENERALE DES MATIERES DE LA MORT DE CHARLES LE TEMERAIRE A LA PAIX DE MUNSTER Avant-propos .............................................................................. page 10 LIVRE PREMIER La restauration et l'achèvement de l'Etat Bourguignon. I. — La crise de 1477 .................................................................. page 13 Les projets de Louis XI. — Les Gantois. .— Les Etats généraux. — Le grand privilège. — Les soulèvements urbains. — Les négociations avec Louis XI. — Supplice d'Hugonet et d'Humbercourt. — L'invasion française. — Mariage de Marie et de Maximilien. — Conséquences du mariage autrichien. — Maximilien et Louis XI. — La bataille de Guinegate. — Mort de Marie de Bourgogne. — Notes. II. — La régence de Maximilien............................................................ page 29 La politique de Maximilien. —'La paix d'Arras. — Les Etats généraux de 1482. — Les Gantois et Maximilien. — Intervention de la France. — Maximilien attaque la France. — Charles VIII s'allie aux Flamands. — Maximilien prisonnier à Bruges. — Le traité de 1488. — Philippe de Clèves. — La guerre en Flandre. — Rétablissement de la paix. — Notes. III. — Philippe le Beau.................................................................. page 43 La restauration de l'Etat. — La politique nationale. — Le mariage espagnol. — Les héritages espagnols. — Philippe le Beau et Louis XII. — Mort de Philippe le Beau. — Notes. IV. — Charles-Quint et Marguerite d'Autriche................................................... page 53 Personnalité de Marguerite d'Autriche. .— Les débuts de Marguerite d'Autriche. — La paix de Cambrai. — Chièvres et Marguerite d'Autriche. — Emancipation de Charles-Quint. — Charles sous l'influence de Chièvres. — La succession espagnole. — Charles-Quint roi d'Espagne. — Le loyalisme des Pays-Bas. — Les Pays-Bas et la monarchie habsbourgeoise. — La conquête de Tournai. — Marguerite d'Autriche depuis 1522. .— La politique de Marguerite d'Autriche. — Annexion de la Frise et d'Utrecht. — La paix de Cambrai. — Mort de Marguerite d'Autriche. — Notes. V. — Charles-Quint et Marie de Hongrie...................................................... page 73 Personnalité de Marie de Hongrie. — Charles-Quint dans les Pays-Bas en 1531. — Difficultés avec le Danemark. — Nouvelle guerre avec la France. — Le soulèvement des Anabaptistes. — Ecrasement des Anabaptistes. — La révolte de Gand. — La concession Caroline. — L'annexion de la Gueldre. — L'achèvement des Pays-Bas. — Les Pays-Bas et l'empire. — Le cercle de Bourgogne. — La pragmatique sanction. — Reprise de la guerre avec la France. — Abdication de Charles-Quint. — Conclusion. — Notes. VI. — Le pays de Liège ............................................................... page 97 Guillaume de La Marck. .— Fin de Louis de Bourbon. — Jean de Hornes. — Erard de La Marck. — Alliance de Liège et des Pays-Bas. — Le gouvernement d'Erard de La Marck. — Prospérité du pays. — Les successeurs d'Erard de La Marck. — Notes. LIVRE II La civilisation des Pays-Bas au XVIe siècle. I. — L'organisation politique ............................................................ page 109 Rétablissement de l'autorité du prince. — Le conseil ducal. — Les trois conseils collatéraux. — Les gouvernantes. — L'administration provinciale. .— Les gouverneurs de province. — L'opportunisme monarchique. — Les villes. — Le clergé et la noblesse. — La noblesse. — Les Etats généraux. — Le nouveau fonctionnarisme. — L'armée. — Les finances. — Unification croissante des Pays-Bas. — Notes. II. — Le mouvement économique et les transformations sociales....................................... page 133 La renaissance économique. .— Le déclin de Bruges. — Draperie flamande et draperie anglaise. — Décadence de la draperie urbaine. Le conservatisme industriel. — La nouvelle draperie. — L'industrie linière. --- La tapisserie. — Les forges. — Les houillères. — Industries diverses. — Les métiers urbains. — Les nouveaux riches. — La navigation. — Les campagnes. — Anvers. — Transformations sociales. — La mendicité. — Réforme de la bienfaisance. — Le chiffre de la population. — Notes. m. — La Renaissance .................................................................. page 173 Caractères de la Renaissance en Belgique. — Débuts de la Renaissance. — Erasme. — Le collège des Trois Langues. — L'Humanisme avec Erasme. — Le mouvement artistique. — La peinture. — L'architecture. — La sculpture. — La musique. — La littérature flamande. — La littérature française. — L'emploi et l'enseignement des langues. — Notes. IV. — La réforme ..................................................................... page 193 Etat du clergé. — Impopularité du clergé. — Attitude des Humanistes. — Premiers symptômes de la Réforme. — Attitude du gouvernement. — L'Edit de Worms. — Répression de l'hérésie. — Les premiers supplices. — Progrès du luthéranisme. — Les placards de 1529-1531. — Les anabaptistes. — Le protestantisme après 1535. — Nouvelles mesures répressives. — Les inquisiteurs. — Les placards inexécutables. — Notes. LIVRE III Les commencements de l'insurrection contre Philippe II. I. — Philippe II dans les Pays-Bas......................................................... page 215 La situation au début du règne. — Malentendu entre le roi et le pays. — Impopularité des Espagnols. — Le roi et les Etats généraux. — Le message de 1559. — Le roi et la noblesse. — Le départ du roi. — Notes. II. — Marguerite de Parme et Granvelle. Les nouveaux évêchés .................................... page 225 Marguerite de Parme. .— Granvelle. — Le comte d'Egmont. — le prince d'Orange. .— Attitude de la noblesse. .— Les nouveaux évêchés. — L'opposition se tourne vers l'empire. — Marguerite abandonne Granvelle. — Le roi et les seigneurs. — Départ de Granvelle. — Notes. III. — Les Calvinistes et les Gueux ......................................................... page 239 Propagation du calvinisme. — Tiédeur des catholiques. .— Le calvinisme et les transformations sociales. — Explosion du calvinisme. — Les émeutes de Valenciennes. — Indifférence des seigneurs. — Le gouvernement aux mains des seigneurs. .— Les réfugiés et l'Angleterre. — Opposition aux placards. — Les dépêches du bois de Ségovie — Projets du prince d'Orange. — Influence des Huguenots — Le compromis des Nobles. — Le banquet des Gueux. — Hardiesse des calvinistes. — Les prêches. — Désarroi du gouvernement. — Fermentation populaire. — Les iconoclastes. — Impuissance de Marguerite de Parme. — Les paix de religion. — Formation de partis confessionnels. — Le gouvernement résiste aux calvinistes. .— Le siège de Valenciennes. — Triomphe du gouvernement. — L'envoi du duc d'Albe aux Pays-Bas. — Notes. LIVRE IV Le régime espagnol. I. — Le Duc d'Albe .................................................................. page 267 Le plan de Philippe II. — Caractère du duc d'Albe. — Organisation de la terreur. — Le Conseil des Troubles. — Première campagne du prince d'Orange. — Echec du prince d'Orange. — Les premières réformes — Le duc et les institutions nationales. — Les nouveaux impôts. — La résistance du Xe denier. — Le prince d'Orange et les Huguenots. — La prise de La Brielle. — La prise de Mons par Louis de Nassau. — Le prince d'Orange en Hollande. — Notes. II. — La lutte contre les rebelles jusqu'à la Pacification de Gand .................................... page 283 Politique du prince d'Orange en 1572. — Les ressources de la Hollande. — Popularité du prince d'Orange. — Campagne du duc d'Albe dans le Nord. — Le siège de Harlem. — Le départ du duc d'Albe. — Philippe II et les Pays-Bas en 1573. — Don Louis de Requesens. — Progrès du mécontentement. — La levée du siège de Leyde. .— Les conférences de Bréda. — Découragement de Requesens. — Notes. III. — La Pacification de Gand............................................................ page 297 La régence du Conseil d'Etat. — Philippe II fait appel à Don Juan. — Mutinerie des troupes espagnoles. — Intervention du prince d'Orange. .— Influence des Monarchomaques. — Arrestation du Conseil d'Etat. — Réunion des Etats généraux. — La furie espagnole à Anvers. — Conclusion de la pacification. — Caractère de la Pacification. — Notes. IV. — Don Juan ..................................................................... page 309 La mission de Don Juan. — Premiers dissentiments. — L'union de Bruxelles. — Don Juan gouverneur. — Retraite de Don Juan à Namur. — Notes. LIVRE V La guerre de religion. I. — La politique orangiste................................................... ............ page 319 Tendances démocratiques des patriotes. — Arrivée d'Orange à Bruxelles. — Mécontentement des catholiques. — L'archiduc Mathias. -- Les «bons bourgeois de Bruxelles». — Orange, lieutenant général de Mathias. — La bataille de Gembloux. — Conduite de l'empereur et d'Elisabeth. — Le palatin Jean-Casimir. — Le duc d'Anjou. — Mort de Don Juan. — Notes. II. — La paix de religion ............................................................... page 331 Etat d'esprit des catholiques. — Les calvinistes de Gand. — Politique de tolérance du prince d'Orange. — La tolérance au XVIe siècle. — Intolérance des calvinistes gantois. — Notes. III. — La réconciliation des provinces wallonnes avec l'Espagne....................................... page 337 Griefs des catholiques wallons. — Les patriotes en Wallonie. — Les johannistes et les protestants. — Mécontentement des troupes wallonnes. Les «malcontents». — Projet d'une confédération catholique. Chute des calvinistes wallons. — L'union d'Arras et l'union d'Utrecht. — La défection de Montigny. — La paix d'Arras. — Echec du congrès de Cologne. — Notes. IV. — Le déchirement des Pays-Bas......................................................... page 349 Restauration du gouvernement royal. — Partis confessionnels et partis sociaux. Attitude nouvelle du prince d'Orange. .— Alliance d'Orange et du duc d'Anjou. — Le traité du Pies sis. — Duplicité du duc d'Anjou. — La déchéance de Philippe II. — La politique d'Alexandre Farnèse. .— Farnèse gouverneur des Pays-Bas. — La capitulation de Tournai. — La trahison du duc d'Anjou. .— Opérations de Farnèse en Flandre. — La capitulation de Gand. — Le siège d'Anvers. — Capitulation d'Anvers. — Farnèse en face des Provinces-Unies. .— Farnèse sur le Rhin et la Meuse. — L'invincible Armada. — Farnèse en France. — Disgrâce de Farnèse. — Le comte de Fuentes. — L'archiduc Ernest. — Notes. LIVRE VI La restauration catholique de l'arrivée de l'archiduc Albert à la paix de Munster. I. — La cession des Pays-Bas............................................................ page 377 L'archiduc Albert. .— La paix de Vervins. — Les conditions de la cession. — Les Etats généraux de 1598. — Notes. II. — Le règne des archiducs ............................................................ page 383 L'archiduchesse Isabelle. — Les Etats généraux de 1600. -- Invasion de Maurice de Nassau. — Rupture des négociations de paix. — Le siège d'Ostende. — Arrivée d'Ambroise Spinola. — La trêve de douze ans. — Politique catholique des archiducs. — Les archiducs et les catholiques anglais. Les archiducs et Henri IV. — Mort d'Albert. — Notes. III. — Jusqu'à la mort d'Isabelle............................................................ page 397 Succès militaires. — Perte de Bois-le-Duc. — Perte de Maestricht. — Le cardinal de la Cueva. — Le marquis d'Aytona. — Mécontentement du pays. — La conspiration de la noblesse. •— Echec des conspirateurs. .— Les Etats généraux de 1632. — Notes. IV. — Jusqu'à la paix de Munster ......................................................... page 407 La situation politique en 1633-1634. .— Le cardinal-infant. — L'envahissement de la Belgique. — Succès et revers du cardinal-infant. .— Le marquis de Castel-Rodrigo. .— L'archiduc Léopold. — Tendances pacifiques dans les Provinces-Unies. — La paix de Munster. — Notes. V. — Le pays de Liège.................................................................. page 419 Liège et les Pays-Bas au XVIe siècle. .— Liège et les nouveaux évêchés. — La lutte contre l'hérésie à Liège. — Le calvinisme au pays de Liège. — Le clergé liégeois. — Opposition du pays à l'évêque. — Prospérité économique du pays. — La constitution de la «Cité». — La démocratie liégeoise. — La neutralité liégeoise. .— Ernest de Bavière. — La restauration catholique. — Ernest de Bavière et la «Cité». — Ferdinand de Bavière. — Intervention de la France et des Provinces-Unies. — Beeckman et La Ruelle. — Réveil du protestantisme. — Assassinat de La Ruelle. — La paix de Tongres. — Soumission de la « Cité ». — Notes. LIVRE VII La civilisation des Pays-Bas catholiques. Introduction ........................................................................... page 443 I. —i La situation religieuse ............................................................... » 445 Déclin rapide du protestantisme. — Le protestantisme et la trêve de douze ans. — Disparition du protestantisme. — Mesures prises contre l'hérésie. .— Condition des dissidents au XVIIe siècle. — Les nouveaux évêchés. — Fondation de l'Université de Douai. — Proclamation du Concile de Trente. .— Exécution défectueuse des réformes. — L'Eglise et les archiducs. — L'enseignement catholique. — Etablissement des Jésuites. — Les Jésuites et le gouvernement. — Les Jésuites et le calvinisme. — L'enseignement des Jésuites. — Action des Jésuites sur la piété. — Apostolat des Jésuites. — Influence sociale des Jésuites. — Les Jésuites et le mouvement scientifique. — Multiplication des ordres religieux. — Les Catholiques anglais en Belgique. — La question de la Main-morte. .— Le rôle des archiducs. — Profondeur du sen timent religieux. — Notes. II. — III. L'organisation politique ......................................................... Progrès du pouvoir monarchique. — Le roi et la nation. — Monarchie et autonomie. — Suprématie de l'Espagne. Le conseil privé. — La législation. — Les finances. — Les autonomies, provinciales. — Notes. page 473 — L'armée. — page 485 La situation économique et sociale................................................... Misère du pays à la fin du XVIe siècle. — Décadence d'Anvers. — Causes politiques du déclin économique. — Absence d'une marine. — Relèvement de l'industrie. — Les diverses branches d'industrie. — Les métiers. — L'industrie rurale. — Supériorité de l'industrie rurale. — Les métallurgies et les houillères. — Les industries nouvelles. — La politique économique. — L'agriculture. ~ Le chiffre de la population. — La noblesse. — Importance sociale de la noblesse. — Le prolétariat. — Les monts-de-piété. — Notes. IV. Le mouvement intellectuel .................. Disparition de l'esprit de la Renaissance. — Juste Lipse. la littérature flamande. — Progrès de la langue française, style baroque. — Rubens. — Notes. Table générale des matières.......................... Le mécénat des archiducs. — Influence des Jésuites. page 505 Décadence de Les lettres françaises. — L'Eglise et l'art de la Renaissance. — Le page 519 COMPOSITION ET TIRAGE DU TEXTE ET DES HELIOGRAVURES PAR LES IMPRIMERIES C. VAN CORTENBERGH 12, RUE DE L'EMPEREUR BRUXELLES O >3 •A fî % I t