DU MÊME AUTEUR Histoire de la constitution de la ville de Dinant au Moyen Age. Gand, 1889, in-8°. Histoire du meurtre de Charles le Bon, comte de Flandre, par Galbert de Bruges, publiée avec une introduction et des notes. Paris, 1891, in-8°. La version flamande et la version française de la bataille de Courtrai. Bruxelles, 1890, in-8° — Note supplémentaire. Bruxelles, 1892, in-8°. Le Livre de l'abbé Guillaume de Ryckel (1249-1272). Polyptyque et Comptes de l'abbaye de Saint-Trond au milieu du XIIIe siècle. Bruxelles, 1896, in-8°. La Hanse flamande de Londres. Bruxelles, 1899, in-8°. Le soulèvement de la Flandre maritime en 1323-1328. Bruxelles, 1900, in-8°. La nation belge, 4e édition. Bruxelles, 1917, in-8°. Chronique rimée des troubles de Flandre en 1379-1380, publiée avec une introduction et des notes. Gand, 1902, in-8°. Bibliographie de l'histoire de Belgique. 3e édition, avec la collaboration de MM. H. Nowé et H. Obreen. Bruxelles, 1931, in-8°. Recueil de documents relatifs à l'histoire de l'industrie drapière en Flandre (en collaboration avec M. Georges Espinas). Bruxelles, 1906-1924, 4 vol. in-4°. Les anciennes démocraties des Pays-Bas. Paris, 1910, in-8°. (Bibliothèque de philosophie scientifique.) Les périodes de l'histoire sociale du capitalisme. Bruxelles, 1914, in-8°. Le pangermanisme et la Belgique. Bruxelles, 1919, in-8°. Souvenirs de captivité en Allemagne. Bruxelles, 1920, in-8°. Les villes du Moyen Age. Essai d'histoire économique et sociale. Bruxelles, 1927, in-8°. Histoire de l'Europe des invasions au XVIe siècle. Bruxelles et Paris, 1936, in-8°. Mahomet et Charlemagne. Bruxelles, 1937, in-8°. Les villes et les institutions urbaines. 3e édition. Bruxelles, 1939. 2 vol. in-8°. HENRI PI RENN E PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE GAND HISTOIRE DE BELGIQUE DES ORIGINES A NOS JOURS L'iconographie de l'ouvrage a été rassemblée et commentée par FRANZ SCHAUWERS Conservateur à la Bibliothèque Royale de Belgique et JACQUES PAQUET Licencié en Philosophie et Lettres (Histoire) LA RENAISSANCE DU LIVRE 1 a, PLACE DU PETIT SABLON - BRUXELLES DE LA FIN DU RÉGIME ESPAGNOL A LA RÉVOLUTION BELGE (Florence, Galerie Pitti.) (Cliché Anderson.) « Les Conséquences de la Guerre. » Tableau allégorique de P.-P. Rubens (Siegen, 1577-Anvers, 1640). INTRODUCTION 'HISTOIRE ne fournit sans doute pas d'autre exemple d'une région aussi obstinément ravagée par la guerre que l'ont été les Pays-Bas catholiques depuis le règne de Philippe II jusqu'à la paix d'Utrecht. Guerre civile tout d'abord de 1566 à la prise d'Anvers par Alexandre Farnèse (1585), puis guerre au Nord contre la République des Provinces-Unies et, à partir de 1635 guerre au Sud contre la France. La première, enfin terminée à Munster en 1648, la seconde non seulement continue, mais comme une tragédie bien conduite, reprend avec un redoublement de fureur après chacun des entr'actes qu'y introduisent les traités des Pyrénées (1659-1667), d'Aix-la-Chapelle (1668-1674), deNimègue (1678-1683), de Ratisbonne (1684-1688) et de Ryswyk (1697-1702). Durant les soixante-cinq ans qui s'écoulent du traité de Munster à celui d'Utrecht (1713), la paix est un état exceptionnel et anormal. Jamais la Belgique n'a aussi complètement mérité qu'alors d'être appelée le champ de bataille de l'Europe. C'est que ce coin de terre, situé au point de contact de la France, de l'Angleterre, des Pro-vinces-Unies et de l'Empire, possède pour chacun d'eux une importance vitale. Que Louis XIV réussisse à le conquérir, et c'en est fait de l'équilibre européen. Par la réouverture de l'Escaut, le roi très chrétien ruinera Amsterdam, aura en face de Londres, sur les côtes de la mer du Nord, une position stratégique incomparable, en même temps qu'il menacera le Rhin, pourra prendre l'Allemagne à revers et la mettre à sa merci. Aussi toute l'Europe se ligue-t-elle pour conserver à l'Espagne ce que l'Espagne n'a plus la force de défendre. La guerre qui a commencé en Flandre comme un duel entre la maison de Habsbourg et la maison de Bourbon, se transforme bien vite en une guerre générale. Les champs de bataille de Neerwinden, de Ramillies, de Malplaquet ont été arrosés par le sang des soldats de toutes les grandes puissances de l'Occident. Mais l'Eu- rope ne déploie tant d'efforts en faveur du roi catholique que parce qu'il ne porte plus ombrage à personne et que la domination nominale dont il se contente équivaut presque à faire déjà de la Belgique un pays neutre. Si la Belgique a échappé à l'absorption française, elle ne le doit donc en rien à l'Espagne, ce « roseau cassé », comme disait Jean de Witt. Au surplus, depuis la mort de Philippe IV, l'Espagne ne tient plus aux Pays-Bas. Le temps est passé sans retour où leur possession l'avait mise en mesure d'imposer son hégémonie à l'Europe du Nord. Mais de quel prix n'avait-elle pas payé cette gloire? La révolte des provinces protestantes, après quatre-vingts ans d'une lutte grandiose, avait triomphé de tous ses efforts, et elle avait dû s'humilier enfin, en 1648, jusqu'à reconnaître leur indépendance. Quelle valeur présentaient désormais les provinces catholiques, condamnées par la fermeture de l'Escaut à végéter misérablement? Sans doute, elles constituaient encore une base d'opérations contre la France, et les armes de Philippe IV y semblèrent un moment sur le point de prendre leur revanche de la défaite de Rocroi. Mais après la bataille des Dunes, il n'est plus possible de se dissimuler la réalité. A la paix des Pyrénées, l'Espagne avoue enfin sa défaite 11 et cède à son adversaire un premier lambeau des Pays-Bas. Si elle s'obstine encore à conserver ce qui lui reste, c'est peut-être par point d'honneur, mais c'est surtout pour s'en servir comme d'une ~tri|HHHMHHB~rj réserve permettant de satisfaire l'ambition française et de garantir, en taillant dans ses « pays de par delà», l'intégrité de son propre territoire, de ■ ' Iiflf fjflf '"Tf 1 *» 1 ses possessions d'Italie ou de ses colonies d'Amé- ?.. rique. Et non seulement elle sacrifie, à chacune des paix qui lui sont imposées, son vieil héritage bourguignon, mais sauf en paroles, elle ne manifeste pas le moindre intérêt à ce malheureux pays sur lequel tombent tous les coups. Elle continue à refuser aux Belges l'autorisation de trafiquer dans les Indes et ne prend aucune mesure pour soutenir leur commerce languissant. A vrai dire, elle n'agit ainsi que parce qu'elle ne peut agir autrement, car consciente de sa faiblesse, c'est maintenant à ses alliés, c'est surtout à la République des Provinces-Unies, le plus intéressé de tous à écarter la France des Pays-Bas, qu'elle laisse le soin de les défendre. Contre la politique nationale de Louis XIV, elle cherche son refuge dans la politique mercantile de la Hollande. Elle se soumet à toutes ses exigences pour se conserver son concours. Or, ce que veut la Hollande, aussi bien sous le gouvernement de de Witt que sous le stadhoudérat de Guillaume III, c'est que la Belgique non seulement soit à jamais incapable de gêner son commerce, mais encore lui serve de rempart contre la France. Le rôle qu'elle lui assigne est celui d'un Etat tampon, d'une espèce de glacis destiné à recevoir les assauts qui seront dirigés contre elle. Avec une ténacité inlassable elle a poursuivi son dessein durant toute la seconde moitié du XVIIe siècle, et elle a fini par l'imposer à l'Europe et par lui faire donner comme corollaire au traité d'Utrecht, le traité de la Barrière. La Belgique est donc, au cours de la période par laquelle s'ouvre ce volume, la victime de la (Neder-Eename-lez-Audenarde.) (Cliché Devriese.) « La Belgique... accepte son sort, tout en conservant dans un avenir trop long à paraître, une confiance que rappellent encore, dans tant de villages flamands, ces enseignes d'auberge dont l'inscription naïve : « In de Hoop van Vrede » (« A l'espoir de la paix »), prolonge jusqu'à nos jours comme un soupir de résignation.» (Voyez le texte p. 11.) « In de Hoop van Vrede » — « A l'espoir de la paix ». Un certain nombre d'auberges rurales flamandes ont maintenu depuis plusieurs siècles le libellé de leurs anciennes enseignes rappelant le souvenir de grands personnages ou d'événements historiques. Ainsi la popularité du Cardinal-Infant (cf. t. II, p. 409) survit encore de nos jours par l'enseigne In den Prins Cardinael ou Au Prince Cardinal existant entre autres à Lierre et à Cortenberg. In de Hoop van Vrede rappelle l'aspiration profonde de voir renaître la paix et la prospérité souhaitées par une population meurtrie à la suite des nombreuses guerres et occupations militaires qu'elle dut subir au XVII» siècle. Cette enseigne se rencontre dans maints villages de la Flandre Occidentale et des environs d'Audenarde. politique d'équilibre conçue et inspirée par les Provinces-Unies. Elle supporte passivement les calamités qui s'abattent sur elle ; elle accepte son sort, tout en conservant dans un avenir trop long à paraître, une confiance que rappellent encore, dans tant de villages flamands, ces enseignes d'auberge dont l'inscription naïve : In de hoop van vrede, « à l'espoir de la paix », prolonge jusqu'à nos jours comme un soupir de résignation. Au commencement de chaque année, elle s'attend à voir la guerre revenir avec le printemps, trop heureuse si la conclusion d'un traité lui permet de respirer un instant et de panser ses plaies. Ballottée en tous sens par la volonté des puissances qui l'entourent, occupée et rançonnée successivement, quand ce n'est pas en même temps, par les armées de la France, des Provinces-Unies, de l'Angleterre, de l'Empire, elle ne peut que s'abandonner à la destinée. A Bruxelles, le gouvernement central ne subsiste plus guère que de nom. Chaque province se replie sur soi-même, uniquement attachée à sauvegarder ses intérêts, à s'arranger avec l'étranger qui la pressure, à chercher les moyens de satisfaire aux réquisitions qu'il lui impose. La nation se désagrège en un particularisme timide et quasi servile. Plus de vie politique et aussi plus d'art ni d'activité intellectuelle. Seul le sentiment religieux reste profond. L'unique mouvement qui agite encore les esprits est provoqué par le jansénisme. Si étonnant que cela paraisse, le peuple, au fond de ses malheurs, a conservé intact son attachement à la dynastie espagnole. Il ne cesse pas de voir en Philippe IV et en Charles II, ses souverains légitimes. Leur mauvaise fortune, dans laquelle il est entraîné, augmente plutôt son loyalisme. Il plaint ses rois, et il s'en faut de peu que cette pitié ne les rende populaires. Leur faiblesse, d'ailleurs, qui attire sur le pays la calamité des guerres, lui conserve par contre ses franchises et ses libertés locales. On peut dire que, depuis le milieu du XVIIe siècle, le roi d'Espagne règne dans la Belgique, mais ne la gouverne plus. Les gouverneurs envoyés de Madrid ne s'occupent que du commandement des armées. Toute l'administration civile est abandonnée aux nationaux. Partant, même au plus fort de la crise, l'organisation politique ne subit pas la moindre atteinte. Les Etats continuent à voter l'impôt, à gérer les affaires des provinces dans la plus large autonomie. Et cette autonomie tient si fort à cœur aux habitants, qu'elle les console au milieu de leurs misères et qu'elle laissera pendant longtemps subsister parmi eux le souvenir du « gouvernement paternel » de la maison d'Espagne. Aussi bien, la tourmente passée, la Belgique, qui a failli disparaître pendant la guerre de la succession d'Espagne, se retrouvera au commencement du XVIIIe siècle, telle qu'elle était au milieu du XVIIe. Elle reprendra sa place sur la carte de l'Europe avec ses institutions traditionnelles et ses mœurs propres. Les blessures qu'elle a reçues n'ont pas été mortelles. Elle reste vigoureuse et saine. Mais la crise qu'elle vient de traverser l'a mise en retard d'un demi-siècle. Elle se caractérise désormais et pour longtemps par un archaïsme et un conservatisme qui frappent tous les yeux. Durant la longue période (1648-1713) pendant laquelle elle n'a été qu'une épave flottant à tous les vents de la politique, son histoire se réduit à bien peu de chose. Elle reste étrangère aux grands événements qui la bouleversent. Ce n'est pas à Bruxelles, c'est à Paris, à Madrid, à Londres, à Vienne et surtout à La Haye et à Amsterdam qu'il faut en chercher les causes. Nous n'aurons donc à nous en occuper que dans la mesure où la Belgique en a ressenti le contre-coup, et la monotonie de leur récit répondra bien à cette époque de misère continue et de souffrances sans gloire. (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Ravages des milices françaises dans les Pays-Bas. Cette gravure de Romain de Hooghe (Amsterdam, 1645-Haarlem, 1708) fait partie d'une suite de planches destinées à l'illustration de l'Advis fidèle aux véritables hollandais touchant ce qui s'est passé dans les villages de Bodegrave et de Swammerdam, et les cruautés inouïes que les Français y ont exercées. Sans lieu, Edition à la Sphère, 1673, in-4°. Par Voltaire, nous savons que des gravures de ce genre étaient encore répandues de son temps en Hollande. CHAPITRE I JUSQU'A LA MORT DE CHARLES II A PAIX DES PYRENEES. - En signant la paix avec les Provinces-Unies, le 30 janvier 1648, l'Espagne n'avait voulu que les détacher de la France pour pouvoir se retourner contre celle-ci avec toutes ses forces. N'ayant plus à combattre qu'un seul adversaire, elle se berçait de l'espoir d'un retour de la fortune, et de terminer par une victoire son long duel avec la maison de Bourbon. D'ailleurs, l'orgueil dynastique n'explique pas seul la conduite de Philippe IV. Il était évident que, la France mise hors de combat, il serait facile de reprendre la lutte contre les Provinces du Nord qu'elle ne pourrait plus soutenir. Aussi, pendant que les négociations continuaient à Munster pour la paix générale, le comte de Fuensaldana débarquait à Ostende le 8 mars. Il était chargé d'assister comme lieutenant l'archiduc Léopold, et de commun accord avec lui, de préparer l'envahissement de la France. Ce beau projet se dissipa bientôt en fumée. Le 20 août, les « tercios » déjà si maltraités à Rocroi étaient taillés en pièces par Condé sous les murs de Lens, et rejetés en désordre sur la frontière. Cette sèvère leçon ne servit de rien. L'Espagne s'abstint, cinq mois plus tard (24 octobre 1648), de signer les traités de Westphalie. Il allait falloir dix ans de guerre pour la contraindre à déposer les armes. C'est qu'en réalité la situation n'était pas aussi mauvaise pour elle qu'il le peut sembler à première vue. Sans doute l'Empereur se réconciliant avec la France brisait officiellement l'alliance traditionnelle des cours de Vienne et de Madrid. Mais Philippe IV, s'il avait protesté solennellement contre la paix qui enlevait au Cercle de Bourgogne l'appui de l'Empire (1), n'en était pas moins confiant dans daient que le repos et se défiaient des velléités belliqueuses du prince d'Orange Guillaume II, qui, d'ailleurs, mourait le 6 novembre 1650, quelques semaines après avoir conclu un inutile traité d'alliance offensive avec le roi très chrétien. Enfin, et surtout, le mécontentement qui depuis longtemps travaillait la France contre la politique de Mazarin éclatait dans les troubles de la Fronde qui furent comme la fièvre de croissance du règne de Louis XIV. Pendant de longues années, le royaume allait être en proie à la guerre civile et, entre la faiblesse momentanée de son organisme vigoureux et la décrépitude de l'Espagne, les chances étant rétablies, la lutte se prolongea par suite même de l'impuissance des deux adversaires. Il fallut, pour que la balance penchât décidément en faveur du premier, que Cromwell, sollicité de part et d'autre, se fût enfin décidé contre les Habsbourg. Au printemps de 1649, l'archiduc Léopold, se fiant aux promesses des ennemis de Mazarin, entrait en France par Landrecies. Une « lettre circulaire » adressée à tous les gouverneurs, prévôts et échevins des villes et bourgs situés sur le chemin de son armée, les assurait que « ses troupes ne s'avançaient que pour avancer leur bonheur » et la paix générale (2). On aurait pu se croire revenu à l'époque de l'invasion d'Alexandre Farnèse en 1590. Mais la Fronde n'avait pas l'obstination fanatique de la Ligue. Au moment même où l'Espagne venait à leur aide, ses chefs se réconciliaient avec la Cour. Il n'était plus question pour l'archiduc de marcher sur Paris. Il se contenta de pousser quelques partis jusqu'en Picardie, pendant qu'il reprenait Saint-Venant, le fort de Knocke (3) et Ypres (25 avril-1 Omai), dont les Français s'étaient emparés l'année précédente, et forçait le comte de Harcourt à lever le siège de Cambrai (4). Heureusement pour Léopold, la Fronde reprenait avec une nouvelle vigueur avant même l'ouverture de la campagne suivante. Turenne, entraîné dans le mouvement, venait se joindre à l'armée espagnole au mois d'avril 1650. De concert avec lui, Léopold marcha par Guise dans la direction de Paris. Puis il fallut battre en retraite sans avoir rien fait. La défection de Turenne, qui, après avoir hiverné dans le pays de Liège, rentra en France pour faire sa soumission, fut bientôt compensée par l'alliance du prince de Condé. Le 6 novembre 1651, il traitait avec le roi catholique, qu'il ne devait plus abandonner jusqu'à la paix des Pyrénées. Le concours d'un tel homme ranimait aussitôt la vigueur des Espagnols. Bergues et Furnes furent reprises. Puis, tandis que, en 1652, Condé occupait Paris, Fuensal-dana contraignait le maréchal d'Estrades à capituler dans Dunkerque (16 septembre). En hiver, Condé forcé d'évacuer Paris se repliait vers le Nord, s'emparant en chemin de Château-Porcien, de Réthel, de Sainte-Menehould, de Bar-le-Duc, et venait joindre ses troupes à celles de Léopold. Mais ce Bourbon n'entendait point se subordonner au Habsbourg ni sacrifier ses intérêts à ceux du roi catholique. Dès la campagne de 1653, uniquement occupé de se tailler un « petit empire dans l'Argonne », il refuse de marcher sur Arras et force l'archiduc à coopérer avec lui à la prise de Rocroi, pendant que Turenne reconquiert Réthel, Mouson et Sainte-Menehould. Cependant, la Fronde est terminée. Pour la ranimer, il faudrait une éclatante victoire. Cette fois, Monsieur le Prince consent à se porter sur Arras avec les Espagnols. Mais Turenne les oblige à lâcher pied. Tout ce que Condé peut faire, c'est de protéger la retraite (août 1654). En la bienveillance de Ferdinand III. En fait, les vieilles bandes dont celui-ci n'avait plus besoin en Allemagne, vinrent grossir dans les Pays-Bas les rangs clairsemés des « Espagnols naturels ». Du côté des Provinces-Unies, à qui la diplomatie française cherchait à faire reprendre les armes, il n'y avait rien à craindre. Les marchands d'Amsterdam ne deman- (Bruxelles, Eglise SS. Michel-et-Gudule, Chapelle de Notre-Dame.) (Cliché A.C.L.) Portrait de l'archiduc Léopold-Guillaume, 1656. Vitrail exécuté par Jean de la Baer (Bois-le-Duc, 1603-Anvers, 1668) d'après ses propres dessins. Les autres vitraux de la chapelle de Notre-Dame furent exécutés par Jean de la Baer d'après les cartons de Théodore van Thulden (Bois-le-Duc, 1606-1669). même temps, il perd ce qui lui restait encore de ses positions en Argonne; les Français rentrent dans Stenay et dans Clermont. Ils avaient fait mine, durant l'hiver, de s'installer à Liège et, pour empêcher l'évêque Maximilien de Bavière de traiter avec eux, Léopold avait dû reconnaître, le 17 mars, la neutralité de la principauté. Les exactions du duc de Lorraine en Hesbaye exaspérant les Liégeois avaient largement contribué à les rapprocher de la France. Ce fut un motif de plus pour que l'archiduc se décidât à faire arrêter ce compromettant auxiliaire, dont l'attitude était depuis longtemps suspecte, et à l'envoyer tenir prison à Tolède (25 février) (5). L'année 1655 fut désastreuse. Turenne s'empare successivement de Landrecies, de Condé, de Saint-Ghislain. Les troupes lorraines passent à la France. Enfin, Cromwell dont le gouvernement de Madrid essaye depuis longtemps de gagner l'alliance, se rapproche de Mazarin (3 novembre), envoie une flotte ravager les Antilles, et contraint le roi catholique, en le poussant à bout, à lui déclarer la guerre. Philippe IV espéra rétablir ses affaires en faisant maison nette à Bruxelles. Le comte de Fuensaldana, odieux à Condé, fut rappelé. L'archiduc Léopold, malade et dégoûté d'une lutte stérile, reçut l'autorisation de partir pour l'Au- LETTRE CIRCVLAIRE ET VERITABLE DE L ARCHIDVC LEOPOLD ENVOYEE A TOVS LES GOVVERNEVRS, PREVOSTS, et Eschevims des Villes tTB JVRG» de France,fituez, fur le chemin & la route de Ton armée. M. DC. X LI X. AZK ?EZM l SSION), (Paris, Bibliothèque Nationale, Réserve.) « Lettre circulaire et véritable de l'archiduc Léopold envoyée à tous les gouverneurs, prévosts et eschevins des villes et bourgs de France, situez sur le chemin et la route de son armée. » Par cette proclamation, Léopold-Guillaume veut rassurer les villes situées sur l'itinéraire de son armée et déclare « que ses troupes ne s'avançaient que pour avancer leur, bonheur et la. paix générale » (Paris,.Claude Morlot, " 1649, in-4«). (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Giraudon.) Louis de Bourbon, prince de Condé, dit le Grand Condé (1626-1686). Buste de bronze exécuté par Coysevoix (1640-1720). triche. Au mois de mai 1656, don Juan, fils naturel du roi, venait le remplacer comme gouverneur et capitaine général, amenant avec lui, en qualité d'auxiliaire, le marquis de Caracena, gouverneur du Milanais. L'armée faisait encore assez bonne figure avec ses 11,000 fantassins et ses 12,000 hommes de cavalerie, et, sous ses nouveaux chefs, elle sembla tout d'abord devoir conjurer la mauvaise fortune. Au mois de juillet, elle forçait Turenne à lever précipitamment le siège de Valenciennes et à se replier sur Le Quesnoy. Elle n'osa, il est vrai, le poursuivre et se borna à reprendre la ville de Condé. Néanmoins, ce dernier succès releva les courages. Sanderus le chanta en vers latins comme un grand exploit. Il ne devait pas avoir de lendemain. L'alliance formelle de la France et de l'Angleterre, le 23 mars 1657, allait précipiter le dénouement. C'est en vain que les instructions de don Juan lui avaient prescrit de rechercher l'appui de l'Empire, de semer la mésintelligence entre les Provinces-Unies et Cromwell, d'exciter enfin contre celui-ci les partisans de Charles II. L'empereur Ferdinand III mourait le 2 avril 1657, et son successeur, Léopold Ier, promettait, sous la pression française, de ne pas intervenir aux Pays-Bas. En Hollande, Jean de Witt, qui venait de conclure la paix avec Cromwell (mai 1654) se renfermait dans la plus stricte neutralité. Les royalistes anglais découragés ne bougeaient pas. La campagne de 1657 s'annonçait donc sous les auspices d'autant plus tristes, qu'entre l'intraitable Condé et le « superbe bâtard » qu'était don Juan, une brouille ouverte s'était déclarée tout de suite. On parvint bien à reprendre Saint-Guislain (7 mars) et à refouler Turenne qui menaçait Cambrai, mais ces légers avantages ne compensèrent pas les pertes que la double attaque des Français infligea aux Espagnols. A l'Est, ils s'emparèrent de Montmédy (6 août) et à l'Ouest de Saint-Venant (27 août) et de Mardyck (3 octobre) qu'ils remirent à leurs alliés anglais en attendant de pouvoir leur donner Dunkerque, dont la (Cliché A.C.L.) Canon « Le Spantole » à Thuin. Une plaque moderne porte l'inscription : « Ce vieux canon, dit le Spantole (de l'espagnol : espantoso : épouvantable), vénérable palladium de la ville de Thuin, a été conquis sur le corps d'armée du prince de Condé assiégeant la place depuis quinze jours, par l'Intrépide phalange de la jeunesse thudinienne, dans sa sortie désespérée et à jamais mémorable, du 14 janvier 1654 exécutée sous les ordres du brave Simon Wolff, qui força l'ennemi, quoique plus de dix fois supérieur en nombre, à lever honteusement le siège de notre héroïque cité, au moment où celle-ci était à court de munitions. Détails extraits des Archives de la Ville. » cession avait été stipulée dans le traité signé avec Cromwell. Dès le printemps de 1658, Turenne investissait la place tandis qu'une flotte anglaise s'embossait dans sa rade. Don Juan était décidé à un suprême effort pour défendre ce port excellent, à peine reconquis et dont les intrépides corsaires valaient une flotte de guerre. Il demanda des subsides extraordinaires aux Etats des provinces, faisant appel, pour les décider, à leur foi catholique, leur montrant la France « conjoincte de forces et d'interestz avec les Anglais, enveloppant dans la guerre la seule et vraye religion... et préparant de concert avec eux des conquêtes qu'ils prétendent faire servir comme de trosne à l'hérésie » (6). La bataille qu'il vint offrir le 14 juin à Turenne dans les Dunes, tourna en une épouvantable débandade. Condé sauva les débris de l'armée. Mais la résistance était désormais impossible. Le 23 juin, Dunkerque ouvrait ses portes et recevait la garnison anglaise qui ne devait la quitter qu'en 1662. Puis Turenne poussant en avant entrait presque sans coup férir à Bergues (1er juillet), à Furnes (3 juillet), à Dixmude (6 juillet), à Gravelines (27 août), descendait la Lys, enlevait sur l'Escaut Gavere et Audenarde (9 septembre), se rabattait sur la Flandre maritime, faisait capituler Ypres (25 septembre) et achevait la campagne par la prise de Comines, de Grammont et de Ninove. en Flandre, de Landrecies, du Quesnoy, d'Aves-nes en Hainaut, de Thionville, de Montmédy, de Damvillers, d'Ivoy, de Chauvency et de Marville dans le Luxembourg, et enfin des deux places fortes de Philippeville et de Mariembourg, dont les noms rappelaient cruellement les glorieux souvenirs du temps de Marie de Hongrie et de Philippe II. INTERVENTION DES PROVINCES-UNIES. — En négociant la paix des Pyrénées avec don Louis de Haro, Mazarin avait évidemment sacrifié à l'avenir dynastique de la maison de Bourbon, l'avantage immédiat de la France. Jamais l'occasion ne devait se présenter aussi favorable pour celle-ci de faire son « pré carré », d'englober dans ses frontières les bassins de l'Escaut et de la Meuse, de mettre Paris à l'abri du rempart des Pays-Bas. Ni l'Angleterre, ni l'Empire n'auraient pu lui opposer d'obstacles puisqu'elle avait acheté l'alliance de la première au prix de Dunkerque et assuré la neutralité du second par la constitution de la ligue du Rhin (août 1658), qui gravitait dans l'orbite de Louis XIV. L'éclatante déroute de l'Espagne après la bataille des Dunes venait subitement de révéler sa faiblesse, qu'avaient dissimulée pendant longtemps des illusions entretenues par un glorieux passé. Et cette faiblesse faisait apparaître plus formidable encore la puissance de la France, unie maintenant autour de son jeune roi, exaltée par sa gloire et visiblement prête à seconder, avec un enthousiasme dans lequel se confondaient le sentiment dynastique et le LA PAIX DES PYRENEES. - La cause de l'Espagne était perdue. Les négociations pendantes entre les adversaires depuis plus de deux ans aboutirent enfin à la paix des Pyrénées, signée le 7 novembre 1659 (7). Louis XIV devenait le gendre de Philippe IV et l'éblouissante perspective de la succession d'Espagne s'ouvrait devant lui. Il pouvait provisoirement simuler la modération. La plupart des conquêtes faites aux Pays-Bas furent restituées. La France se contenta de rogner sur toute sa longueur la frontière demeurée intacte depuis Charles-Quint. Elle entra en possession de l'Artois — à l'exception de Saint-Omer et d'Aire — de Gravelines, de Saint-Venant et de Bourbourg (Cliché A.C.L.) Anciennes casernes de Philippeville, datant de l'époque de Louis XIV. sentiment national, les nouvelles entreprises qu'il s'assignerait. Mais un témoin attentif et vigilant, la république des Provinces-Unies, allait désormais surveiller son essor. Que deviendrait-elle si la France parvenait à lui imposer son redoutable voisinage ? N'était-il pas évident que le moindre mal serait aussitôt le déchirement du traité de Munster, la réouverture de l'Escaut et la disparition de la sécurité conquise après quatre-vingts ans d'une guerre dont la prospérité d'Amsterdam était la récompense, récompense qui apparaissait par surcroît aux calvinistes comme une bénédiction de Dieu aux vainqueurs du papisme ? Ç'avait été un bonheur inespéré que Louis XIV eût préféré à l'annexion des Pays-Bas, son mariage avec l'infante Marie-Thérèse. Mais il était trop évident que la paix des Pyrénées ne durerait que le temps d'un armistice, que le roi de France ne tiendrait aucun compte de la renonciation de sa femme à l'héritage espagnol, que la lutte reprendrait fatalement entre les Bourbon et les Habsbourg et qu'elle reprendrait dans les Pays-Bas, entamés et incapables de résister à une prochaine invasion. Il n'était personne qui ne pensât ainsi dans la République, et cette unanimité de l'opinion devait soutenir au pouvoir pendant vingt ans le grand pensionnaire Jean de Witt, dont le ferme et clair génie allait susciter les premiers obstacles sous les pas triomphants de Louis XIV. Ni la France, ni l'Espagne n'ignoraient ces dispositions. Elles savaient bien que la neutralité de la République pendant la guerre n'avait eu d'autre motif que son désir de les voir s'user l'une et l'autre à son plus grand avantage. De Witt s'était refusé, en 1653, à causer avec Mazarin d'un projet de partage des Pays-Bas. En 1656, il avait écouté sans s'engager l'ambassadeur espagnol à La Haye qui cherchait à l'intéresser à la défense de la Belgique, « ferme barrière » et rempart contre les vastes desseins de la France. Et pourtant, en parlant ainsi, don Esteban de Camarra exprimait la propre pensée du grand pensionnaire. Mais le moment n'était pas venu de songer à la réaliser. La lutte restait indécise et il était inutile de se compromettre à l'égard de la Fiance qui n'était pas encore redoutable. Elle le fut deux ans plus tard, et aussitôt de Witt s'inquiète. Cette fois, il prête l'oreille aux suggestions de Mazarin qui, reprenant le plan de Richelieu en 1635, parle de constituer les Pays-Bas en république neutre entre la France et les Provinces-Unies (8). Le point de départ de la combinaison devait être une insurrection provoquée dans les provinces belges contre l'Espagne. Et il n'est pas impossible que des troubles qui éclatèrent à Anvers au mois d'octobre 1658 et qui alarmèrent gravement Philippe IV, n'aient eu quelque rapport avec ce projet (9). Au reste, Mazarin ne voulait, en négociant, qu'endormir les craintes de la Hollande. La paix des Pyrénées le prouva l'année suivante. En face du péril, de Witt allait maintenant reprendre pour son compte et léguer à ses successeurs cette idée de la barrière dont l'avaient tour à tour sollicité l'Espagne et la France. En 1663, il entretenait l'ambassadeur de Louis XIV, le comte d'Estrades, de l'éventualité d'un « cantonnement » des Pays-Bas, ou de leur constitution en dot au profit de Marie-Thérèse, qui les gouvernerait en Etat distinct. Ce n'était là d'ailleurs, en ce moment, qu'un moyen de sonder les intentions du roi. Et c'est juste- ment pour les dissimuler que Versailles continua la conversation. L'ESPAGNE ET LES PROVINCES-UNIES. -A Bruxelles, cependant, le marquis de Caracena (10) gouverneur à la place de don Juan, rappelé après la bataille des Dunes, s'ingénie à chercher des appuis introuvables. La paix conclue par l'Espagne avec l'Angleterre en octobre 1660, n'a amélioré que pour bien peu de temps la situation, car en avril 1660, Charles II est remonté sur le trône des Stuarts et l'un de ses premiers actes a été de vendre Dunkerque à Louis XIV (30 octobre 1662), lui donnant ainsi une nouvelle et formidable position dans les Pays-Bas. Pour parer à un avenir menaçant, il n'y a rien à attendre de Madrid. Le trésor est si épuisé que Philippe IV a dû renoncer au projet de confier le gouvernement des Pays-Bas à l'archiduc Sigismond, dont la cour coûterait trop cher (11). Au lieu d'envoyer des troupes, il en demande, et il faut embarquer, en 1661, quelques régiments wallons destinés à l'interminable guerre du Portugal. Livré à ses propres forces ou plutôt à sa propre faiblesse. Caracena la fait apparaître plus évidente par les moyens mêmes ,, 1... J. } iw Ln! J r L*) ne àrJ. HfuAittlU au.rO j'^tf" Utàt" (xujjif ztvl «i kok rth^atauawi jk cij** T ' Jltutt f" tTe t^Ui^M J* — ,.yi .-»/ ttMt\j.' rl.fr.' J.v niaim .1 Aujfuuct-T- i.-ifa.'S.M C. yté ta » ./„,< /oiu a js Ja btU.- ii cual.fr.-X - J)uli'ttV»»ti< J,-yA f,atl .y,., .VJ yu, jr „,,«„ .) U. Xji^.-.h.Hj .,/.' f...,.-/, S ,ul/L. atitï A-S.A.' ~ S ■ L < ..jcj.wm.i,, • .v „«.„wtx ,»t ^ £ ^ __( • tmm. (Gand, cathédrale de Saint-Bavon.) (Cliché Barbalx.) Antoine Triest, cinquième évêque de Bruges (1617-1622) puis neuvième évêque de Gand (1622-1657). Né en 1576 dans une vieille famille gantoise, Antoine Triest est, avec Jansénius, la figure la plus remarquable de l'épiscopat belge au XVIIe siècle. Dans la controverse janséniste, il prit nettement parti pour l'évêque d'Ypres, allant jusqu'à refuser de publier la bulle condamnant l'Augustinus. Suspendu par Innocent X, il se soumit en 1653. Son épiscopat fut également marqué par son mécénat et sa charité à l'endroit des établissements de bienfaisance et de la cathédrale de Saint-Bavon. Détail du tombeau de l'évêque commandé à François Duquesnoy et achevé par le frère de ce dernier, Jérôme, en 1654. De France, ce nouveau jansénisme remonta tout de suite dans la patrie de ses origines. L'intensité même du catholicisme y inclinait les âmes à s'intéresser avec passion à une polémique qui désormais s'adressait aux laïques et, avec un incomparable éclat, se servait de la langue vulgaire pour les conduire à la voie du salut. Les Provinciales avaient à peine pris leur vol que l'archevêque de Malines, André Crusen, en 1657, se plaignait amèrement de les voir dans toutes les mains et en interdisait la lecture (74). Cette prohibition ne devait pas avoir plus de succès que celles qui furent opposées plus tard à Voltaire et à Rousseau. Malgré l'archevêque, malgré les internonces, le jansénisme se répandait plus largement d'année en année. Le départ de l'archiduc Léopold, en 1656, enlevait à la résistance son plus ferme appui. Don Juan avait beau, en 1658, ordonner au Grand Conseil de Malines et au Conseil de Brabant de poursuivre rigoureusement les novateurs, le roi, prescrire de Madrid, en 1659, de publier à nouveau la condamnation de Jansénius, et, adoptant le point de vue de Rome, affirmer que le placet n'était pas requis pour les bulles dogmatiques, rien n'y faisait. Absorbés par les affaires militaires, les gouverneurs espagnols qui succédèrent à don Juan s'abstinrent d'intervenir dans la querelle et de soutenir les internonces contre l'Uni- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Page de titre du journal édité à Anvers par Abraham Verhoevem, les « Nieuwe Tijdinghe ». Numéro 12 de janvier 1621. L'Imprimeur Abraham Verhoeven (Anvers, 1575-1652) obtint en 1605 des archiducs Albert et Isabelle le privilège de publier les nouvelles de la guerre entre les Pays-Bas et les Provinces-Unies (de 1605 à 1609). Ce privilège fut confirmé le 28 janvier 1620, après que Verhoeven eût publié une série d'informations relatives à la guerre de Trente ans. Ses Nieuwe Tijdinghe parurent d'abord à intervalles très Irréguliers. Hebdomadaire de juin 1629 à 1637, le journal prit le titre de Wekelijcke Tijdinghe. Son propriétaire ruiné, le journal passa entre les mains de Guillaume Verdussen qui lui donna le titre de Gazette Extraordinarisse Posttijdinghen. C'est par erreur que l'on a salué en la personne d'A. Verhoeven le premier éditeur de journaux en Europe. <&tur($ffrtt ter De ^uptfc&e fp;afer m oaft &f&frJatufcgt Cale. >'■ »tt,\mt av^i r.S .>-«*• |..m, turn apitd Bclgtts, tttm alias Nathncs jctm-prsdem ujitatum fttijfe ojfenditur, atque, attenta cjufdem'Pla-cïti Jcopo , ejns ufum ad riullam Jpecialcm Refcriptomm fpc-ciem fojf 'c rejlringi , clinique ufum (tue ulla Libertatis Eccle-Jîafticte aut 'Potejtatis Tontïficia violatioue aut infraEïwnc ad omnes indijfereuter Huilas , etiarn Dogmaticas , extendi. SUnjUNGITUR APPENDIX MONUMENTOPvUM, Qjix ad ndfbuendiim hune Placiti ufum in hoc Trn&atii impenfi fuerc, 5c in quorum phn ibus hoc Jus Placiti egreg c adllrui-tur, & ab AUvcrijiiorum objeûionibus vindicatur. 4mh»re ZEGERO BERNARDO VAN ESPEN Prvbjttn J. V. D.& SS. Canon, Prafcjf. in -deademia layanicnji. œ H p-' Y i rg Rcddite quie funt Cailinis E ! I >| CasPari, Se qu* funt Dci V --___S / ® Dco Manh. ZI. $ VllZÎ^' Vmdmtmr BRUXELLIS, Apud t'Serstevens Typogr.iphos jursuos. 17iï. Cam Jtfrohtiont Çtnjorii Rr>ii. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, V.B. 2410, in-8°.) « De l'université de Louvain, Van Espen lance... en 1712, son Tractatus de promulgatione legum ecclesiasticarum, dans lequel le jansénisme, passant du terrain théologique à celui du droit, attaque en face les prétentions de Rome. » (Voyez texte, p. 73.) Page de titre du Tractatus... de Z.B. Van Espen (Louvain, 1646-Amers-foort, 1728), édité à Bruxelles par t'Serstevens en 1712. L'ouvrage porte en exergue la parole évangélique : Reddite quae sunt Caesaris Caesari, et quae sunt Dei Deo (Matthieu, XXII, 21). Cet exemplaire provient de la bibliothèque des Etats de Brabant. (Anvers, Musée Royal des Beaux-Arts.) (Cliché A.C.L.) Maximilien-Emmanuel de Bavière, électeur d'Empire, gouverneur général des Pays-Bas, de 1692 à 1711. Buste de marbre sculpté en 1694 par Q. Kerrlckx (Termonde, 1652-Anvers, 1719). Hauteur : 1,17 m. nous reste à attendre du retour d'une heureuse et durable paix, se réduit à être remis en pouvoir de faire travailler avec soin à la culture de nos terres, et de jouir en repos des fruits qu'elles produisent» (27). FROISSEMENTS RELIGIEUX. - Aux préoccupations matérielles se joignent les inquiétudes religieuses. Si les alliés, en effet, imposent à leurs troupes protestantes le respect extérieur du culte catholique, il n'est bientôt que trop évident que leur domination fait courir à l'Eglise les plus graves périls. Il ne faut point attendre d'eux qu'ils prennent à cœur les intérêts de sa discipline. Il n'est plus pourvu aux nominations dans les évêchés vacants. Celui d'Anvers demeurera sans titulaire de 1706 à 1711, celui de Bruges de 1706 à 1710, puis de la fin de cette année à 1716, celui de Malines de 1711 à 1716. En 1710, l'évêque de Tournai s'étant retiré en France après la prise de la ville, les Etats-Généraux invoquent le droit de régale pour conférer à leur choix les bénéfices dépendant de la cathédrale (28). Ruth d'Ans, revenu d'exil, obtient, au grand scandale des fidèles, le poste de doyen du chapitre (29). Et ce n'est là qu'un des symptômes d'un retour menaçant du jansénisme, dont le « fatal poison » s'insinue de nouveau dans le pays grâce à la complaisance « d'une commerce de Bruxelles. On allait jusqu'à ouvrir les lettres des marchands (21). De leur côté, les Liégeois profitaient de la situation pour généraliser sur leur frontière la perception du soixantième (22). Les Anglais introduisaient leurs charbons en Flandre au détriment de ceux du Hainaut (23). D'ailleurs, dans le pays ainsi encerclé, l'insécurité générale rendait toute transaction impossible. En 1705, on enlevait journellement sur les grands chemins les malles de la poste (24). Il fallait ordonner de couper le long des routes les taillis devenus des réceptacles de brigands (25). Et à mesure que les recettes publiques diminuaient, les dépenses, gonflées par les exigences des alliés, augmentaient sans cesse. Dans Je duché du Brabant les premières fléchissaient, entre 1707 et 1708, de 1,591,121 florins à 1,350,000, tandis que les secondes montaient de 1,670,526 à 2,799,252 florins (26). «De mémoire d'homme, disaient les Etats de Brabant, le pays n'a été accablé de tant de charges à la fois. Le commerce qui autrefois le rendait si florissant et si considérable aux yeux de toute l'Europe, en ayant été banni par différentes voies, il est aujourd'hui le hideux théâtre de la guerre et tellement abattu de calamités, que tout l'avantage qu'il LA GUERRE DE LA SUCCESSION D'ESPAGNE régence qui voit avec plaisir la décadence de la religion » (30). Les conseils de justice, contraints au silence sous Philippe V, prennent leur revanche. Celui de Brabant censure, en 1708, un bref de Clément XI, approuvant la conduite de l'archevêque Précipiano (31). De l'université de Louvain, van Espen lance, en 1709, son traité des censures ecclésiastiques; en 1711, sa dissertation sur les donations pieuses; en 1712, son Tractatus de promut-gatione legum ecclesiasticarum, dans lequel le jansénisme passant du terrain théologique à celui du droit, attaque en face les prétentions de Rome. L'internonce ne peut obtenir, en 1713, la publication officielle de la bulle Unigenitus. Au milieu de ce désordre, les rares protestants qui se cachaient dans les villes, maintenant occupées par des soldats de leur foi, relèvent la tête. A Tournai, un échevin abjure publiquement le catholicisme et prétend néanmoins conserver ses fonctions (32). Les pasteurs qui ont suivi les garnisons hollandaises font de la propagande à Menin, à Armentières, à Bailleul, à Saint-Amand. On les voit avec horreur enterrer des hérétiques dans les cimetières, entraver l'administration des sacrements dans les hôpitaux militaires, célébrer des mariages mixtes (33), exercer librement leur culte pour les protestants limbourgeois (34). Les Belges étaient habitués depuis longtemps à la mi- sère et ils savaient s'y résigner. Mais ils ne pouvaient supporter la moindre atteinte à leur religion. C'est pour sa défense qu'ils avaient souffert sans interruption de la paix d'Arras à la paix de Munster. Elle était à la fois leur consolation et leur bonheur. Par les dangers qu'elle lui faisait courir, la domination anglo-hollandaise leur devint bientôt abominable. Les uns, oubliant la centralisation du régime « anjouin » pour ne se rappeler que son attachement à l'orthodoxie, regrettaient Philippe V. Les autres, et c'était la grande majorité, aspiraient à l'avènement de Charles III, qui devait les affranchir du joug des hérétiques. En 1709 et en 1711, les Etats de Brabant le suppliaient de se faire inaugurer. Et sans doute, il n'eût demandé qu'à se rendre à leurs vœux, s'il avait pu le faire sans se brouiller irrémédiablement avec les puissances maritimes. Mais elles lui imposaient de n'être qu'en expectative le souverain des Pays-Bas. Il devait se borner en attendant son heure, au gouvernement du duché de Limbourg. Comme ce dernier, le Hainaut, le Namurois et le Luxembourg échappaient à la tyrannie de la Conférence. Maximilien-Emmanuel s'était réfugié à Mons après la bataille de Ramillies, et, avant 1709, les puissances, dont l'effort s'absorbait dans la Flandre française, ne l'y avaient pas sérieusement inquiété. Paré, depuis 1704, du titre de m Û Osiende ' O Mlildelbo 1 ciwj' ; Ni Tupnhnift lr .AiJMh meg iVarnelon)^ I «MNicoia* J O Turnh^u -AixunjuiStMl y \Seigneurie * srfe malinesV me \ HM Br^enc^,,^^ j ^ vlirlcnunu .ml 4. Pays d'Outre ? Orras HAltïAur, NAMt/RO/Sl LUXEMBOURG (jouwnvpor tfajùmi/ien-ùnmawîëi. LIMBOURG: Qouvernè par C/tar/esM U/tesre DU t>m(moùula Prin Clpaute (te UtOCJ' Vr .,_„. _ v J: nivelles » ' ft ■• « Soignes t.,#% ÇΧemWouxÇ Mon£ . y* tffleuru» Ngmuri^ W XUJT3U1 - ^tTrond^ Iecffe iSS® ai. Jieerwljiden . BamlllieS ^ '«C Chnrler«1 Vfi ; ; |ll; - Jr t* j FoMetl): \\L i* ». ^Wnlroiirl • %S' 5 1 irtâubeujB; m«tp£,ue. • w^eoïn : O A» ^-^^V^.jW'HhiBppevllleJ le QweSnoy Beaumont « - - -----* ^ j Barbençon liillws I [Rofctuc > divla Ch«i>elIo \ Q J ' 'ComélimunSler ./Vv. juvlgneft Qouvernè par fa Conférence —rfngfo-Jlof&indaise. jt. y / /le b bençon » ^jjf v i*^ marche .Prlri rifxi utt- de Slai-elot ^^ ~Cronenbôù«-ff . S,VJ,h ^flAroîstèlaV> " A L.C.™,.!;', -, JF3SRÎT 9»Hubert' r M a c_/j e/tf/fW/ . ** JLuxembourg | IHontmedy Les Pays-Bas en 1711. Le Limbourg est gouverné, à cette date, par Charles !.., ro. d'Espagne (celui qu, deviendra empereur. sous^e nom de Char.es VI); MaxImi lien-Emma nue. de Bavière, ré.ugié à «««.gê. de Liege Ist Indépendante. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaies de Maximilien-Emmanuel frappées à Namur en 1712 et 1713. 1. : Droit de l'écu d'argent à l'effigie du prince. Légende : AIAX(IMILIANUS). EMANUEL. D(EI). G(RATIA) et la date 1713, U(TRIUSQUE). B(AVARIAE). S(UPERIORIS). P(ALATINATUS). B(RABANTIAE). L(IMBURGI). L(UXEM-BURGI). & G(ELDRIAE). DUX. 2. : Revers de l'écu d'argent aux armes du prince, sommées de la couronne et entourées du collier de la Toison d'Or. Légende : COM(ES). P(ALATINUS). R(HENI). S(ACRI). R(OMANl). I(MPE-RI1). AR(CHIDAPIFER). ELE(CTOR). L(ANDGRAVIUS). L(EUCHTENBER-GAE). COM(ES). F(LANDRIAE). H(ANNONIAE). N(AMURIENSIS). MAR-(CH10). S(ANCTI). R(OMANl). I(AIPERII). D(OMINUS). M(ECHLINIAE). 3. : Droit du liard de cuivre. Légende : MAX(IMILIANUS). EMANUEL. D(EI). G(RATIA). S(ANCTI). R(OMANl). I(MPERII). ARC ( H1D API FER). EL(EC-TOR) ET VIC(ARIUS). 4. Revers du liard de cuivre. Légende : U(TRIUSQUE). B(AVARIAE). B(RABANTIAE). L(IMBURGI). L(UXEMBURGI). ET G(EL-DRIAE). DUX. COM(ES). P(ALATINUS). R(HENI). F(LANDRIAE). H(AN-NONIAE). N(AMURIENSIS); et la date : 1712. Vicaire général de Philippe V, il continuait donc à maintenir le « régime anjouin » dans les trois provinces du Sud. Au reste, il s'occupait de tout autre chose que de ses fonctions et laissait couler l'eau, uniquement préoccupé de son ambition et de ses plaisirs. Mis au banc de l'Empire, voyant la Bavière conquise et les affaires de la France au plus bas, il avait songé, en 1706, à trahir Louis XIV et à s'arranger avec les alliés moyennant une combinaison qui lui eût procuré quelque dédommagement en Belgique (35). L'accueil qui fut fait à ses ouvertures, lui prouva qu'il n'avait rien à attendre que du roi très-chrétien. Faute de mieux, il lui resta fidèle. Il fit pour lui une dernière campagne en Allemagne en 1708, tenta au retour un coup de main inutile sur Bruxelles, puis vint se réinstaller à Mons, toujours gaillard et plus viveur que jamais. Il était dégoûté de la guerre et il se retira prudemment à Compiègne quand les alliés s'approchèrent de sa capitale improvisée. En attendant la paix, il y vécut des aumônes de la France, s'y divertissant au jeu, entouré «de dames de compagnie facile et médiocre» (36). Louis XIV, d'ailleurs, n'oubliait pas ce client inconstant, mais qui se targuait bien haut, d'avoir tout perdu à le servir. Il insistait en sa faveur auprès de Philippe V, et il parvint à lui faire céder enfin, en 1711, la souveraineté des Pays-Bas (37). Maximilien s'amusa de cette occasion de jouer au roi dans les deux provinces non encore conquises par la coalition. Il fit sa joyeuse entrée à Luxembourg, puis à Namur où il installa sa cour, établit un Conseil d'Etat et un Conseil des finances et fit frapper monnaie. Il savait fort bien que la paix qu'on commençait à négocier ne lui laisserait pas ses nouveaux Etats, mais il lui suffisait d'avoir en main un gage dont les plénipo- LA BELGIQUE BARRIERE DES PROVINCES-UNIES. — Le traité de la grande alliance contre la France, signé par les deux puissances maritimes et l'Autriche le 7 septembre 1701, stipulait que les contractants feraient les plus grands efforts « pour reprendre et conquérir les provinces des Pays-Bas espagnols, dans l'intention qu'elles servent de digue, de rempart et de barrière pour séparer et éloigner la France des Provinces-Unies comme par le passé, les dites provinces des Pays-Bas espagnols ayant fait la sûreté des Seigneurs Etats-Généraux jusqu'à ce que, depuis peu, Sa Majesté très-chrétienne s'en est emparée et les a fait occuper par ses troupes ». Cette rédaction, où il semble s'agir d'un polder à défendre contre les flots de la mer, ne faisait que préciser une conception politique qui, après l'échec des tentatives de Richelieu et des Provinces-Unies pour constituer la Belgique en Etat tampon (39), s'imposait de plus en plus à l'opinion hollandaise. Elle avait même déjà reçu un commencement d'exécution. Par la convention du 30 août 1673, la République avait reçu le droit d'occuper (La Haye, Archives Générales du Royaume, Staten-Generaal, n° 103 .Tractaten.) Signatures et cachets des diplomates anglais et hollandais au bas du texte original du second traité de la Barrière du 19 janvier 1713. Exemplaire remis au gouvernement hollandais. A gauche, signatures et cachets de J. Bristol et Strafford, au nom du roi d'Angleterre; à droite, signatures et cachets de J. van Randwijck, Willem Buys, B. van Dussen, F.-A. baron de Reede de Renswoude, S. van Gos-linga et du comte van Kniphulsen. tentiaires devraient tenir compte. Il reprit à Namur son existence de Compiègne, passant le temps à se promener en bateau sur la Meuse et la Sambre, à assister à des tournois d'échasses, à organiser un théâtre dans l'école dominicale, bref à s'accommoder une résidence unissant les plaisirs d'une ville de bains à ceux d'une ville de jeux (38). Sur le papier, la cession de Philippe V établissait pour la première fois, depuis Albert et Isabelle, un Etat distinct dans les Pays-Bas catholiques. En réalité, divisés entre les trois pouvoirs installés à Bruxelles, dans le Limbourg et à Namur, dont l'un était résolu à s'en faire une barrière et dont les deux autres ne les considéraient que comme objet d'échange ou de troc, leur situation n'avait jamais été plus humiliante et plus lamentable. les principaux points stratégiques du territoire (40), et, après la paix de Ryswyk, de 1698 à 1701, elle avait été autorisée par le roi catholique à mettre des garnisons à Courtrai, Nieuport, Audenarde, Mons, Charleroi, Namur et Luxembourg. C'étaient ces garanties, détruites par Louis XIV dès l'avènement de Philippe V, qu'il s'agissait de rétablir, de compléter et d'organiser à perpétuité. Le roi de France l'ignorait si peu que diverses combinaisons qu'il conçut depuis 1705 pour détacher les Provinces-Unies de l'alliance, admettaient toutes l'existence de « la barrière nécessaire à leur sûreté ». L'incurable défiance du gouvernement de La Haye à l'égard de celui de Versailles fit repousser ces avances. Il eût été absurde d'ailleurs de discuter, de commun accord avec l'ennemi contre lequel on voulait se défendre, la construction du rempart à lui opposer. La victoire de Ramillies permit enfin d'en jeter les fondements. Le 29 octobre 1709, les Etats-Généraux, à l'insu de l'Autriche, proposaient secrètement à la reine d'Angleterre et lui faisaient accepter, moyennant l'assurance de reconnaître les droits de l'électeur de Hanovre à sa succession, le premier traité de la Barrière. Il leur garantissait, pour le moment de la paix générale, le droit de tenir garnison à Nieuport, à Furnes, au fort de Knocke, à Ypres, Menin, Lille, Tournai, Condé, Va-lenciennes, Maubeuge, Charleroi, Namur, Haelen, Lierre, Damme, Gand, Termonde, ainsi que dans les forts Saint-Philippe et de la Perle et les places qu'on pourrait conquérir encore sur la France; leur permettait en cas de guerre, d'envoyer autant de troupes qu'ils le jugeraient nécessaire dans les Pays-Bas catholiques; stipulait que ces troupes ainsi que les garnisons seraient entretenues aux frais des Belges, enfin leur assurait l'appui de la Grande-Bretagne pour l'annexion de la haute Gueldre et pour l'occupation militaire de Liège, de Huy et de Bonn « afin que la barrière soit bien serrée d'un bout à l'autre et que la communication en soit bien liée ensemble » (41). PROTESTATION DES BELGES. - Si soigneuse- ment que le secret eût été gardé, on eut connaissance à Vienne de la monstrueuse hypothèque dont les puissances maritimes grevaient à l'avance les provinces qu'elles s'étaient engagées à reconquérir pour l'Autriche. Charles III s'indignait et menaçait de renoncer dans ces conditions à la possession des Pays-Bas (42). Heureusement pour lui, la communication du traité à la Chambre des Communes en 1712, le rendant public, souleva du même coup l'opinion contre l'outrecuidance et le cynisme qui s'y révélaient. Ces mêmes Provinces-Unies qui avaient solennellement promis de respecter les privilèges de la Belgique les violaient en leur point le plus essentiel, puisque, imposant l'entretien de leurs troupes aux provinces belges, elles niaient par cela même leur droit de refuser les impôts nécessaires à cet entretien ! Si bas que fût tombé le sentiment national, il n'en était cependant pas arrivé à ne point ressentir l'humiliation qui, par surcroît, était imposée au pays. Enfin on se voyait menacé d'une occupation permanente par ces Hollandais que leurs exactions et leur protestantisme rendaient plus odieux de jour en jour ! Les circonstances paraissaient favorables à une intervention auprès de la cour de Vienne. La mort récente de Joseph I" (17 avril 1711) faisant passer la couronne impériale à Sa Majesté catholique Charles III, désormais l'empereur Charles VI, venait de le mettre au premier rang des monarques européens. Les Etats de Brabant, donnant comme toujours le signal, lui adressèrent un mémoire, et envoyèrent le comte d'Ursel porter leurs doléances aux Etats-Généraux. Ils engagèrent la Flandre et le Hainaut à les appuyer, et, malgré la terreur qu'inspirait la Conférence, la ville de Gand dans celle-là, le tiers état et la noblesse chez celui-ci, résolurent de seconder leurs efforts. La députation arriva à Utrecht au mois de novembre. Elle était chargée d'insister auprès des plénipotentiaires pour obtenir « sans plus de délai » l'inauguration de l'empereur-roi comme prince souverain, avec les mêmes droits, hauteurs et indépendance qu'avaient possédés ses prédécesseurs espagnols. Mais que pouvaient, après de diplomates en train de remanier la carte de l'Europe, ces négociateurs incongrus d'un pays destiné d'avance à être sacrifié à la raison d'Etat ? Si les Autrichiens, le prince Eugène et Sinzendorff, leur montrèrent une bienveillance qu'explique sans peine l'intérêt de leur maître, ils furent éconduits partout ailleurs, comme des impertinents. « Souvenez-vous, Mes- <•'/ Ù* /edrrj tt'r, rwtÏKeatfie>ri t&enont drdvtxv/r rliLtrà L■ ftimt, Jt> itmJ Jlf n. , tiré/ im p/tlrf Jr ^wt* a compte* Ju jxrwr tiu % Jt 'qrt a/.'uxt,*. /fi jiyy i/sLtjtip/ fie C /^tetuprifr->Vlt \ii re/> tù û^miaïju'ieanrf fix-Hutrr^ftidirrà /„X PU/ttb, c/ùs tfèùjtteuxJ ftof-J ipcineTawHJ, on a'tj rc&pcattfe^ avons e-iH? nmv9 tApn^ crâ prcJettÀù) n'a nrl Jkt'r/ps ,rr!i;'t.ai«rJ «i. a iccttcJ, fy-ta/jpaJsr Ud iVphfrtJ mut au- tl- tytrec/*L LtitiÂzUnit, Unif. .•ni.t/tpf fuûe . ' . a'ft ? * ex**' gKL. J y/" m (La Haye, Archives Générales du Royaume, Staten-Generaal, n° 107, Tractaten.) Signatures et cachets des « Ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires de Sadite Majesté et des seigneurs Etats-Généraux » au bas du texte original du Traitée d'Utrecht (11 avril 1713) conclu entre la France et les Provinces-Unies. Exemplaire remis au gouvernement hollandais. A gauche, signatures et cachets de Huxelles et Mesnager au nom du roi de France; à droite, signatures et cachets de J van Randwyck Willem Buys, B van Dussen, C. van Gheel van Spanbroeck, F.-A. baron de Reede de Rens-woude, S. van Goslinga, et du comte van Kmphuisen, .au nom des Etats-Générâux. Le traité fut ratifié le 18 avril 1713 par Louis XIV à Versailles, et le 29 du même mois par le grand pensionnaire Fagel à La Haye. Qjfîaces de faffiarrière anxx M&J contre /a^nance frère* Luxembourg _____ ___ Places de guerre cédées aux Hollandais aux termes du Traité de la Barrière du 15 novembre 1715. Ces places fortifiées sont Furnes, le fort de Knocke, Ypres, Warneton, Menin, Tournai, Namur et Termonde (cette dernière, commune aux deux contractants). sieurs, leur dit brutalement le grand pensionnaire Heinsius en les congédiant, souvenez-vous que vous avez été conquis» (43). Ce droit du plus fort, dont il abusait à leur égard, l'Angleterre n'allait pas tarder à le lui faire sentir à son tour. L'outrance des avantages concédés aux Provinces-Unies par la reine Anne, tout entière à ses préoccupations dynastiques, indignait le Parlement. Il n'entendait pas laisser les Etats-Généraux dominer les Pays-Bas à leur guise, et s'en réserver le marché en même temps que les forteresses et les ports. Son mécontentement, joint à celui de l'empereur et de Louis XIV, contraignit leurs « Hautes Puissances » à une reculade. Le second traité de la Barrière, qu'elles durent se résigner à signer avec Sa Majesté britannique le 19 janvier 1713, supprimait leur droit de mettre garnison à Lille, Condé, Valenciennes et Maubeuge, ainsi qu'à Termonde, Nieuport, Lierre et Haelen; ne leur accordait la faculté d'envoyer des troupes en Belgique qu'en cas de guerre ou de rupture apparente avec la France, ne parlait plus d'annexions, mais d'une simple extension de limites, et stipulait enfin que rien ne serait changé au gouvernement des Pays-Bas « jusqu'à ce que le commerce et les intérêts des deux puissances contractantes y fussent réglés selon leurs intentions ». En attendant, les sujets de la reine y jouiraient des mêmes avantages que ceux des Etats-Généraux. En somme la République, qui avait compté se réserver la proie, se voyait obligée de la partager avec l'Angleterre (44). REVOCATION DU CONSEIL D'ETAT. - Mais ses concessions forcées à sa trop puissante rivale n'amélioraient pas la situation de la Belgique. Elles la réduisaient au contraire plus strictement que jamais au joug et à l'exploitation de la Conférence. C'en était trop ! Le 20 février, les députés des Etats de Brabant et de Flandre s'adressaient au Conseil d'Etat, lui déclarant sans ambages qu'ils étaient décidés à ne le reconnaître que comme gouvernant au nom de Sa Majesté impériale et catholique « sans que les deux puissances maritimes s'y soient réservé aucune autorité ni aucun pouvoir ». On ne pouvait se mettre plus nettement en opposition avec la politique anglo-hollandaise, et la netteté de cette attitude releva le courage du Conseil d'Etat. Il s'enhardit le 28 février à protester qu'il n'avait en vue que « les seuls intérêts de Sa Majesté et ceux de la patrie dans la situation malheureuse où elle se trouve ». Cette affirmation de loyalisme monarchique, mais surtout cette invocation de la patrie dans un pays qui semblait définitivement dissous dans le particularisme provincial, avaient de quoi alarmer la Conférence. Elle intima au Conseil, avec raideur, de signer une déclaration de subordination ou de se démettre. Se sentant soutenu par les Etats de Brabant, il répondit qu'il continuerait à siéger « tant que notre auguste maître trouvera à propos d'en disposer autrement ». Quelques jours plus tard, le 22 mars, ses membres étaient révoqués (45). LES PAIX D'UTRECHT ET DE RASTADT. -Cette rupture n'avait plus, à cette date, qu'une importance secondaire. Tout le monde savait que la paix générale était sur le point d'aboutir. Le 11 avril 1713, les traités d'Utrecht étaient signés. Après tant d'oscillations au gré de la guerre, l'Europe reprenait son équilibre en statuant sur le sort de la Belgique. Le traité conclu entre Louis XIV et les Provinces-Unies stipulait que le roi très-chrétien remettrait aux seigneurs Etats-Généraux tout ce que lui et son allié l'électeur de Bavière possédaient encore « des Pays-Bas communément appelés espagnols ». De leur côté, les Etats transporteraient l'ensemble du pays à la maison d'Autriche aussitôt « qu'ils seraient convenus avec elle de la manière dont il leur servirait de barrière et de sûreté ». Quelques modifications de frontière étaient décidées. Le haut quartier de Gueldre passait au roi de Prusse. La France restituait aux Pays-Bas Tournai et le Tournaisis ainsi que la Westflandre, c'est-à-dire Menin avec sa « verge », Furnes et le Furnes-Ambacht, le fort de Knocque et le pays des huit paroisses, Loo et Dixmude avec leurs dépendances, Ypres avec sa châtellenie, Poperinghe, Warneton, Comines, Wervicq, ces trois dernières places pour autant seulement qu'elles s'étendaient sur la rive gauche de la Lys. Par contre, les seigneurs Etats-Généraux rendaient à la France, Lille avec sa châtellenie, Orchies, le pays de l'Alleud, La Gorgue, Aire, Béthune et Saint-Venant. En attendant que l'électeur de Bavière rentre dans ses Etats d'Allemagne, il retiendra la souveraineté et les revenus du duché et de la ville de Luxembourg, de la ville et comté de Namur, de la ville de Charleroi et de leurs dépendances (46). Maximilien-Emmanuel traita lui-même avec les Provinces-Unies le 8 mai, et le 29 du même mois les dernières garnisons françaises évacuaient le pays. Il n'y avait plus qu'à le remettre à Charles VI, quand Charles VI se serait convaincu qu'il était incapable de continuer tout seul la guerre contre la France et se serait soumis au verdict européen prononcé à Utrecht. Il s'y résigna le 6 mars 1714 par le traité de Rastadt, auquel l'Empire accéda le 7 septembre à Bade en Argovie (47). Maximilien-Emmanuel revenant à son point de départ après tant d'agitations, rentrait en Bavière, trop heureux de conserver son bonnet d'électeur après avoir rêvé d'une couronne. Quant aux Pays-Bas, Louis XIV consentait à leur cession à l'empereur « pour jouir lui, ses héritiers et successeurs désormais et à toujours, pleinement et paisiblement selon l'ordre de succession établi dans la maison d'Autriche, sauf les conventions que l'empereur fera avec les Etats-Généraux touchant leurs barrières ». L'article 28, dont les conséquences ne devaient apparaître que plus tard en pleine lumière, soumettait encore à une autre restriction la souveraineté autrichienne. Il garantissait aux habitants des Pays-Bas la libre jouissance de tous les privilèges, prérogatives, coutumes, exemptions, droits, etc., existant sous Charles II, à la réserve des territoires restitués par la France où ils subsisteraient tels qu'ils s'étaient trouvés sous la domination du roi très-chrétien. Restait à Charles VI, pour être envoyé en possession, à s'entendre avec les deux puissances maritimes ! L'Angleterre paraissait de bonne composition. Le 28 août, ses dernières troupes d'occupation s'étaient embarquées à Ostende. Mais les garnisons hollandaises ne partaient (Rome, Galerie Borglièse.) (Cliché Anderson.) Ebauche de la statue équeslre de Louis XIV pour le parc de Versailles. Exécutée h la fin de sa vie par Giovanni Lorenzo Bernlnl (Naples, 1598-Rome, 1680). Bois. La statue de marbre du parc de Versailles fut exécutée en grande partie par des élèves de Bernin d'après cette ébauche. Une cabale de sculpteurs français, jaloux du talent du maître Italien, détermina Louis XIV, assure-t-on, à faire transformer la statue de marbre, qui le représentait, en Marcus Curtius. pas et ne devaient pas partir. Les Provinces-Unies attendaient, leur gage en main, que l'empereur entamât la discussion sur la barrière. Elles continuaient, avec les ministres britanniques, à administrer le pays par la Conférence. Par précaution, elles avaient, au mois de juillet 1713, de commun accord avec eux, imposé à la Belgique un nouveau système douanier qui avait visiblement pour objet d'y soumettre l'Autriche à leur domination économique comme elle l'était déjà à leur suprématie militaire. Ainsi l'empereur allait devoir manœuvrer sur un terrain miné à l'avance. On se flattait d'ailleurs à La Haye que, dans sa hâte d'en finir, il ne ferait pas une longue résistance. LE TRAITE DE LA BARRIERE. - Il se débattit pourtant pendant un an, et ce ne fut pas sans succès. Le 4 octobre s'ouvraient à Anvers des conférences entre le représentant de Charles VI, Lothaire comte de Kônig-segg, et les plénipotentiaires de l'Angleterre et de la République (48). Kônigsegg y avait fait venir des députés des provinces chargés de l'aider à « prendre des mesures convenables pour le service de l'empereur et pour le bien et l'intérêt de leur patrie ». Il savait combien la barrière leur était odieuse, était sûr qu'ils allaient protester et comptait bien, en bon diplomate viennois, obtenir pour son maître quelque avantage supplémentaire en se donnant l'air de sacrifier leurs réclamations ou en les mettant à prix. Il fallait s'attendre à des négociations ardues. Excitées sous main par la France, heureuse de faire pièce à l'Autriche, les Provinces-Unies laissaient voir que « sous le prétexte d'une barrière, elles voulaient étendre leur domination sur une partie des Pays-Bas et tenir le reste dans une entière dépendance ». Elles réclamaient toute la partie de la Gueldre non cédée à la Prusse, une extension considérable de leur frontière au sud de l'Escaut, des subsides perpétuels à fournir par la Flandre et le Brabant pour l'entretien des garnisons et enfin la liberté de conscience pour les habitants des Pays-Bas. Kônigsegg commença par tout rejeter afin de se faire accorder des concessions. En réalité, il n'était inébranlable que sur la question religieuse, l'empereur préférant, déclarait-il, renoncer aux provinces plutôt que de porter quelque atteinte à la religion catholique romaine. Pour le reste, il chicanait de son mieux, laissant voir que, moyennant des concessions territoriales, il céderait sur le point des subsides, qui aussi bien n'affectait que le pays et les privilèges. Grâce à lord Cadogan, ce barguignage d'argent, de terres et de point d'honneur fut enfin conclu, après cinquante-deux séances, le 15 novembre 1715 (49). L'empereur cédait aux Provinces-Unies dans le haut quartier de Gueldre : Venlo, le fort Saint-Michel, Stevensweert et l'ammanie de Monfort; en Flandre, le territoire situé au nord d'une ligne partant d'entre Blankenberghe et Heyst et passant par Saint-Donat, Doel et Kettenisse. L'armée d'occupation des Pays-Bas compterait 30 à 35,000 hommes dont l'Autriche fournirait les trois cinquièmes. La République aurait droit de garnison « privative » à Namur, Tournai, Menin, Fûmes, Warneton, Ypres et le fort de Knocque, la garnison de Termonde devant être commune aux deux contractants. Cinq cent mille écus (un million 200,000 florins de Hollande) hypothéqués sur les revenus des Pays-Bas seraient affectés annuellement à l'entretien des troupes. Le catholicisme demeurait la seule religion tolérée en Belgique, sauf pour les garnisons hollandaises. Quant aux intérêts économiques, la fermeture de l'Escaut était naturellement ratifiée : les droits d'entrée et de sortie resteraient provisoirement immuables, mais il était entendu qu'on conclurait le plus tôt possible un traité de commerce entre l'empereur, l'Angleterre et les Provinces-Unies. Enfin, les capitulations des villes ainsi que les décisions prises par le gouvernement provisoire depuis Ramillies étaient confirmées. Tel fut le troisième traité de la Barrière, moyennant lequel Charles VI obtenait enfin des Etats-Généraux « toutes les provinces et villes des Pays-Bas, tant celles qui ont été possédées par Charles II, que celles qui viennent d'être cédées par la France, pour ne former désormais qu'un seul, indivisible, inaltérable et incommutable domaine, inséparable des Etats de la maison d'Autriche en Allemagne ». L'empereur n'atteignait d'ailleurs à son but qu'en sacrifiant les intérêts les plus chers et les plus essentiels de ses nouveaux sujets. Il violait leurs privilèges, dont il avait promis le respect à Rastadt, en grevant les provinces, sans leur assentiment, d'un impôt perpétuel, et il les abandonnait à l'exploitation économique des puissances maritimes. Kônigsegg avait consenti en faveur de l'Angleterre à un abaissement des droits sur les draps et en faveur de la Hollande à la même mesure touchant les eaux-de-vie (50). Pour la vanité d'ajouter un Etat de plus à la bigarrure de ses domaines, Charles VI acceptait d'apposer sa signature à un acte qui consacrait la détresse et l'abaissement de cet Etat. Le traité, comme disait le comte de Mérode, était « l'huile qui devait servir à l'extrême-onction des Pays-Bas» (51). Et par la plus curieuse des ironies de l'histoire, cette barrière qu'il élevait sur leurs ruines n'était plus, dans la situation nouvelle de l'Europe, qu'un absurde archaïsme. L'Autriche avait à elle seule assez de force pour défendre à l'avenir la Belgique contre une France vaincue et affaiblie. L'occupation hollandaise dont elle acceptait l'humiliation se comprenait à l'époque des grandes conquêtes de Louis XIV. En 1715, elle n'avait plus de raison d'être et l'avenir devait le montrer à suffisance. La décadence des Provinces-Unies commence d'ailleurs à la date même où elles remportent ce dernier succès diplomatique. De plus en plus « faibles et corrompues », elles n'inspirent plus de craintes à personne. Les garnisons de la barrière ne servirent en rien à la défense de la République; elles ne firent que prouver par leur indiscipline et leur mollesse le déclin de sa puissance militaire. Elle s'obstina pourtant jusqu'au bout à les maintenir, moins sans doute parce qu'elle les considérait comme une survivance de son glorieux passé que parce qu'elle y voyait une occasion de subsides et un prétexte à combattre tout essai de renaissance économique dans les provinces belges. NOTES (1) Sur la participation des Anglais à la guerre, voy. J.-W. Fortescue, British campaigns in Flanders (Londres, 1918): F. Taylor, The wars of Marlborough, 1702-1709. (Oxford, 1921). (2) Gachard, Collection de documents inédits concernant l'histoire de la Belgique, t. III, p. 219. (3) Le 12 septembre 1703. (4) Gachard, Documents inédits, t. III, pp. 231, 235. (5) Ibid., p. 417. (6) Sur cette affaire, connue sous le nom de « fourberie de Louvain », voy. du Parc de Bellegarde, Vie de van Espen, p. 648 et suiv. Cf. Biographie nationale, t. V, vol. 736. (7) Gachard, Histoire de la Belgique au commencement du XVIII' siècle, p. 117 et suiv. (8) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. I, pp. 451, 617. (9) Gachard, Histoire de la Belgique au commencement du XVIII' siècle, p. 326. (10) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. II, p. 5. (11) Histoire de Belgique, t. IV, 2« édit., p. 263. (12) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. II, p. 49. (13) Ibid., t. I, p. 701. (14) Gachard, Documents inédits, t. III, p. 459. (15) J.-J. de Smet, Note sur les troubles, etc. Bull, de l'Acad. Roy. de Belgique, t. XIII, 2' partie [1846], p. 97 et suiv. (16) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. II, p. 193. (17) Gachard, Documents inédits, t. III, p. 274. (18) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. II, p. 385. (19) Gachard, Documents inédits, t. III, p. 288. (20) Ibid., p. 292. (21) M. Huisman, Histoire de la Compagnie d'Ostende, p. 47. (22) Gachard, Documents inédits, t. III, p. 446. (23) G. Arnould, Mémoire historique et descriptif du bassin houiller du Couchant de Mons, p. 89 (Mons, 1877). Pour la Chambre de commerce instituée pour le relèvement de la draperie à Bruxelles, voy. Gachard, Ordonnances, t. Il, p. 85. (24) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. II, pp. 154, 436, 437. (25) Ibid., p. 114. (26) Gachard, Documents inédits, t. III, p. 430, n. (27) Ibid., p. 431. (28) E. Hubert, Les garnisons de la Barrière dans les Pays-Bas autrichiens, p. 87 (Bruxelles, 1902). (29) Bull, de la Comm. roy. d'Hist., 3° série, t. V [1863], p. 238. (30) Gachard, Documents inédits, t. III, p. 455. (31) Du Parc de Bellegarde, Vie de van Espen, p. 464. (32) Van Kalken, La fin du régime espagnol, p. 226. (33) E. Cortyl, Conversion au protestantisme d'un certain nombre d'habitants de la Flandre maritime durant l'occupation hollandaise qui précéda la paix d'Utrecht. Bullet. du Comité flamand de France, 1911, p. 671 et suiv. (34) Eug. Hubert, Les Etats-Généraux des Provinces-Unies et les protestants du duché de Limbourg. Mém. in-4° de l'Acad. Roy. de Belgique, 1904. (35) E. de Borchgrave, Histoire des rapports de droit public, etc., p. 330 n. Cf. Van Kalken, op. cit., p. 241 et suiv. (36) Saint-Simon, Mémoires, t. V, p. 61. (37) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. II, p. 365. (38) Salnt-Bormans, Maximilien-Emmanuel de Bavière, comte de Namur. Bullet. de l'Acad. Roy. de Belgique, 2» série, t. XL [1875], Cf. Van Kalken, op. cit., p. 242 et suiv. M. Van Kalken me paraît attribuer à Maximilien à cette époque une sollicitude d'administrateur dont il ne semble pas s'être piqué. Les mesures qu'il fit prendre se bornent à l'administration courante. (39) Histoire de Belgique, t. IV, 2" édit., p. 275. (40) Dumont, Corps diplomatique, t. VII, 1™ partie, p. 240. (41) Gachard, Histoire de la Belgique au commencement du XVIII' siècle, p. 210 et suiv.; Dollot, Les origines de la neutralité de la Belgique, p. 367 et suiv. (42) H. von Srbik, Oesterreichische Staatsvertrûge, Niederlande, t. I, p. 436 (Vienne, 1912). (43) Gachard, Histoire de la Belgique au commencement du XVIII' siècle, p. 226. (44) Ibid., p. 228 et suiv. (45) Gachard, Documents inédits, t. III, pp. 323-349. (46) Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV, t. III, p. 141 et suiv. (47) Ibid., pp. 162, 188. (48) Gachard, Histoire de la Belgique au commencement du XVIII" siècle, p. 236 et suiv.; von Srbik, op. cit., p. 443 et suiv. (49) von Srbik, op. cit., p. 476. (50) Ibid., p. 463. (51) J.P. de Merode-Westerloo, Mémoires, t. II, p. 121 (Bruxelles, 1840). t. Porto dtjimboura F. S.'Hi.vlas " L. l'RvesJu' Q.Pottt deBavière X Porte ecPonrAuroij- n. .fï.7uliei. i. l'Hoffjitaï ' Q.le MontdePieie' XI- df Pierre. Apostre \\..S*lean l'Evaiujrliste Y- S?laques des Bénédictin s j.Porte Je Viqriy r .Q drN.D du Val HdaRiuelet/e N.X"Cr,>i.r S■S'E.rhen'ie Martir 7..tefJ)ominicaùis + PortrSfCutiard VS'Folian I Pottc de Mttise. o- d.'Mirhe! T. Arccnal V^Faiiabowy S'QiUes $ S1 Désir E. Pont S?S'i.vtaf R.lafathedr,de I' Pont Jt Msfc Triple V Porte erPontdesdouasses I• Paujeiiourcf S. t.ronaid 6' la AtiserwarJe 7-Pour et Pont Je Htgar, tes 8-Senunmrt. de. X. Mathieu q. S'Candolphe, uS' Walburjr il. la rhaptfle Jej < 'lerrj de la Cite.' iyJT£a/rAe/emy ij. la grande Halle a Mm se stfchristaphfe U Marche aux Boeujs iç Ancienne CiLt-Mls.i. i}-ln Boucherie 10 h Chartreuse 10- S? Thomas (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) Vue de Liège en 1693. Extraite du recueil : Plans, profils et vues de camps, places, sièges et batailles servant à l'histoire de Louis XIV, gravés d'après le chevalier de Beaulieu par Nicolas Cochin (Troyes, 1610-Parls, 1686), François Colignon, (Nancy, 1609-1657), Franz Ertinger (Weil (Souabe), 1640-Parls 1710) Paris chez l'auteur, s.l.n.d., 5 vol. in-folio (1662-1697), t. III. CHAPITRE III LE PAYS DE LIEGE fAXIMILIEN-HENRI DE BAVIERE. - Les guerres qui sévirent presque sans interruption dans les Pays-Bas durant la seconde moitié du XVIIe siècle, n'épargnèrent pas la principauté de Liège. Jetée à travers la Belgique, engagée, par l'extrême découpure de ses frontières, dans les terres du Luxembourg, du Namurois, du Hainaut, du Brabant et du Limbourg, il était impossible qu'elle ne se vît point foulée et rançonnée tour à tour et souvent à la fois par les belligérants. Aucun d'entre eux ne pouvait ni ne devait reconnaître la neutralité non défendue d'un pays traversé du Sud au Nord par le cours de la Meuse, et coupé de l'Est à l'Ouest par toutes les routes qui allaient des côtes de Flandre à la vallée du Rhin. Mais au lieu d'être comme la Belgique l'enjeu des opérations militaires qui se déroulaient sur son sol, ce pays n'en fut que la victime. Louis XIV ne prétendait pas le conquérir. Il se borna à entraîner ses princes dans l'orbite de la France et à les faire servir à ses desseins. Maximilien-Henri et Joseph-Clément de Bavière furent presque constamment ses alliés. Au reste, ce n'est point comme évêques de Liège, c'est comme électeurs de Cologne et plus encore comme membres d'une maison rivale dans l'Empire de celle de Habsbourg, qu'ils adoptèrent cette conduite. Ils se préoccupèrent aussi peu des intérêts liégeois que la cour de Madrid, à la même époque, de ceux des Pays-Bas catholiques. Leur politique s'absorbe tout entière dans des combi- naisons d'ambition personnelle ou des questions dynastiques. S'ils tiennent à leur principauté mosane, c'est que, depuis la fin du XVIe siècle, elle semble devenue un fief de leur famille, qu'elle augmente leur influence territoriale et grossit leurs revenus. A l'ordinaire, ils ne s'inquiètent de ses affaires que quand elle se révolte. Le vieux palais de Liège ne les abrite que très rarement; ils vivent le plus souvent aux bords du Rhin dans leur résidence de Briihl, qu'ils transforment sur le plan de Versailles. Car ces princes allemands sont aussi Français de goûts et de tendances personnelles qu'ils le sont en politique. Ils s'abstiennent de germaniser leurs sujets liégeois au point que ceux-ci ont pu ignorer que leurs évêques étaient en même temps princes d'Empire. Mais quel prestige l'Empire possède-t-il encore depuis que la paix de Westphalie en a fait un simple agrégat de souverains ? Sans doute les Cercles subsistent, et la Chambre impériale de Spire, puis celle de Wetzlar (1693) conservent un semblant d'unité au corps germanique. Il arrive encore que Liège paye « des mois romains » comme membre du Cercle de Westphalie, et les plaideurs ne s'y font pas faute de recourir à la juridiction de la Chambre, dont la compétence litigieuse et la lenteur pédantesque permettent d'éterniser les procès. A part cela, l'empereur n'est qu'un suzerain théorique. On le sait si bien qu'on ne songe même pas à l'appeler à l'aide au milieu des plus grands périls. On ne lui reconnaît qu'une sorte de magistère de droit public auquel il peut (Liège, ancienne collection de M. Puraye, actuellement léguée à ï'Evêché de Liège.) Maximilien-Heriri de Bavière, prince-évêque de Liège de 1650 à 1688. Portrait gravé en 1691 par Pierre van Schuppen (Anvers, 1627-Paris, 1702). Légende : MAXIMIL1ANVS HENRIC(VS). D(EI). G(RATIA). ARCH1EP(IS-COPVS). COLON (IENS1S). S(ANCTI). I(MPERII). R(OMANI). PRINCEPS ELECTOR. EPISCOPVS ET PRINCEPS LEOD(IENSIS). HILD(ESIENSIS). ETC. V(TRIVSQVE) BAVARIAE DVX. être utile de recourir quand on se trouve en conflit avec les évêques. En somme, sa Sacrée Majesté sert de moyen dilatoire, d'expédient de procédure, rien de plus. Pendant que son autorité achève de disparaître, celle des évêques grandit sans cesse. Leur victoire sur la « cité » en 1649 (1), constitue la démonstration éclatante de la réalité du jus territorii et superioritatis que la paix de West-phalie a reconnu à tous les princes d'Empire. C'en est fait désormais des tentatives de Liège pour s'organiser en « ville libre». Son dernier soulèvement aboutira, en 1684, à sa subordination définitive sous le pouvoir monarchique. Cependant, pas plus à Liège que dans les Pays-Bas, ce pouvoir n'est arrivé à l'absolutisme. Jusqu'au bout, les évêques ont eu à compter avec les Etats et le chapitre, comme les rois d'Espagne avec les Conseils de justice et les Etats. Ici et là l'absence continuelle du prince, l'attachement du peuple à ses privilèges, le goût invétéré et traditionnel de la liberté administrative ont eu les mêmes résultats. Entre la grande Belgique et la petite, l'identité des tendances nationales a maintenu la plus visible des parentés. Cela est d'autant plus frappant et significatif que de part et d'autre les intérêts vont sans cesse divergeant. Depuis le milieu du XVIIe siècle, les évêques, jusqu'alors alliés de l'Espagne, l'abandonnent pour s'orienter vers la France et l'aider à la conquête des Pays-Bas. Au lieu de soutenir la maison d'Autriche, ils s'acharnent à la combattre. Et bientôt, à l'opposition politique se joindra l'opposition économique. La frontière liégeoise, au milieu des terres belges entre lesquelles elle s'avance, se hérissera de bureaux de douane, établissant jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, entre des populations de même sang, de mêmes mœurs et de mêmes langues, les barrières artificielles de la fiscalité et du mercantilisme. Ferdinand de Bavière n'avait survécu que peu de mois à sa victoire sur Liège. Il mourut le 13 septembre 1650. Les mesures étaient prises pour assurer à son neveu la succession épiscopale, qu'il avait lui-même recueillie de son oncle Ernest. Le 19 octobre 1649, trois semaines après le châtiment de la « cité », il s'était fait donner par le chapitre, en qualité de coadjuteur, Maximilien-Henri, déjà co-adjuteur de Cologne depuis 1643. La situation que la maison de Wittelsbach s'était acquise sur le Rhin et sur la Meuse restait donc intacte. Quelques chanoines protestèrent à Rome contre cette mainmise d'une dynastie sur des terres et des dignités d'Eglise. Mais il y avait beau temps que les considérations politiques faisaient fléchir les décisions du Concile de Trente ! Le cumul bavarois devait subsister longtemps encore. Maximilien fut, comme son oncle, évêque de Liège, archevêque de Cologne et électeur d'Empire. Le 12 octobre, il prêtait serment au chapitre dans le choeur de Saint-Lambert. On fut étonné d'apprendre, tant on s'était accoutumé au régime des évêques laïques, qu'il demandait la prêtrise. La messe qu'il célébra l'année suivante dans la cathédrale fit sensation. Depuis la mort de Gérard de Groesbeek, en 1580, on n'avait plus assisté à semblable cérémonie. Le successeur, on pourrait presque dire l'héritier de Ferdinand, n'en possédait ni la vigueur ni l'énergie. De tempérament maladif et de caractère timide et nonchalant, il semble n'avoir eu aucun goût pour la politique et les affaires. Il leur préférait les recherches d'alchimie auxquelles il se consacrait dans son château de Bruhl. D'ailleurs, la mollesse de sa nature le livra tout de suite à l'ascendant de ses conseillers intimes, François et Guillaume de Fur-stenberg. Ces deux hommes furent aussi puissants auprès de lui que leur frère Hermann l'était de son côté à la cour de Munich. Avides, sans scrupules, doués du génie de l'intrigue, n'ayant en vue que leur intérêt et « portant partout la peste avec eux », comme disait le comte de Kônigsegg (2), ils eurent tôt fait de réduire Maximilien au rôle d'un simple instrument de leurs ambitions et de leurs convoitises. OPPOSITION AU PRINCE. - Le règne de l'évêque s'ouvrait à Liège au milieu de difficultés qui eussent requis une main ferme et un esprit résolu. Encore frémissante de sa dernière révolte, la « cité » supportait avec impatience la présence d'une garnison bavaroise, et voyait avec horreur s'ébaucher les travaux de la citadelle de Sainte-Wal-burge. La bourgeoisie, tenue en bride par les troupes, n'osait protester tout haut, mais un parti de nobles mécontents faisait grand bruit de l'illégalité d'une construction que les Etats n'avaient pas votée et qui allait compromettre la neutralité du pays. L'ancien bourgmestre Pierre Bex, réfugié en territoire hollandais, attisait cette opposition que la misère rendait de jour en jour plus périlleuse. Les mercenaires lorrains des Pays-Bas venaient, en effet, d'envahir la principauté pour y prendre leurs quartiers d'hiver, c'est-à-dire pour rançonner, piller et brûler le plat-pays jusqu'à l'ouverture de la prochaine campagne. Une partie de la noblesse pactisait avec eux, sollicitait leur appui contre l'évêque et leur ouvrait ses châteaux. Il fallut lever des milices pour courir sus aux pillards et étouffer les commencements d'une guerre civile. Et, pour comble d'infortune, l'empereur réclamait des subsides arriérés et la quote-part des Liégeois dans l'indemnité due par l'Empire au roi de Suède. La détresse était si grande que la « cité », à deux doigts de la banqueroute, devait supprimer le payement de ses rentes. Maximilien essaya tout d'abord de rétablir ses affaires par un coup de force. Le 22 février 1651, Bex, extradé à sa demande par les Hollandais, était décapité sur le marché de Liège. Puis la clémence succédant brusquement à la terreur, l'amnistie était promise à tous les suspects qui, dans le mois, imploreraient leur grâce. Le succès ne répondit point à ces mesures. L'assemblée des Etats, convoqués pour la première fois le 13 octobre 1651, refusa les sommes nécessaires à la solde des soldats bavarois : l'évêque fut contraint de les avancer sur sa cassette. Quant à la citadelle, il était inutile de songer à la faire accepter par les Etats. Maximilien obtint de l'empereur un diplôme qui en approuvait la construction et lui accordait, pour servir à l'entretien de la garnison, la levée d'un droit de soixantième sur les marchandises importées dans le pays ou exportées par lui (31 mars 1653) (3). Cependant, les ravages des troupes étrangères s'aggravaient sans cesse. Aux Lorrains se joignaient les régiments de Condé qui, dans l'hiver de 1653, mettaient à sac Cou-vin, Ciney et Fosses. Au commencement de 1654, prenant prétexte de cet envahissement de la principauté par leurs ennemis, les Français y envoyaient le corps du maréchal Fabert. Ecrasé entre les belligérants sans qu'il eût pris part à leur querelle, qu'allait faire Maximilien ? A Bruxelles, l'archiduc Léopold-Guillaume s'inquiétait. Il n'était pas sans savoir que depuis quelque temps Mazarin cherchait à se gagner l'évêque. La défection du duc de Lorraine augmenta encore ses appréhensions. D'ailleurs, l'empereur et le roi d'Espagne l'exhortaient à ne pas compromettre l'alliance qui avait subsisté si longtemps entre les électeurs de Cologne et les rois catholiques. Des négociations s'ouvrirent et aboutirent, le 17 mars 1654, au traité de Tirlemont (4). Pour la première fois, l'Espagne consentait à reconnaître nettement la neutralité liégeoise. Elle s'engageait à faire sortir ses troupes de la principauté et à ne plus permettre qu'elles y pénétrassent sans l'autorisation de l'évêque. Celles de Fabert devaient se retirer également. Pour achever de lier Maximilien à sa cause, Léopold lui offrit, en outre, les seigneuries de Kerpen et de Lommersum, vingt mille écus et la pension que la cour de Bruxelles avait servie à son prédécesseur Ferdinand. Enfin, l'année suivante, les droits du roi catholique sur la seigneurie de Herstal étaient cédés au pays de Liège, en compensation des terres remises à Charles-Quint en 1546 pour la construction de Mariembourg, et dont on avait vainement depuis lors réclamé l'équivalent. Aux yeux des Liégeois, la neutralité avait toujours paru le corollaire de l'autonomie, et, en fait, depuis un demi-siècle, ils ne l'avaient vue respecter par leur prince que quand il était impuissant. Son retour leur parut trahir un fléchissement de l'autorité épiscopale. Ils ne s'avisèrent pas que Léopold n'avait traité à Tirlemont, non pas même avec l'évêque de Liège, mais avec l'électeur de Cologne; que leurs intérêts n'avaient compté pour rien dans la négociation; que la neutralité même dont on était convenu, n existait qu'en apparence, puisqu'elle n'avait été qu'un moyen de conserver Maximilien dans la clientèle de l'Espagne. Appuyés par la fraction antibavaroise du chapitre de Saint-Lambert, les Etats crurent le moment venu de s'imposer à l'évêque. Les troupes qu'il avait levées leur avaient toujours paru menaçantes pour leur liberté. Ils prétendirent, maintenant que la neutralité était garantie, qu'il fallait les réduire. Maximilien s'obstina à les conserver. Le conflit s'envenimant, il fit arrêter le grand prévôt du chapitre, J.-P. de Groesbeck, un des principaux soutiens de l'opposition. Le chapitre répondit à cette violence en suspendant les offices religieux dans la cathédrale. Il fallut recourir à l'intervention du nonce de Cologne. Groesbeck, remis en liberté, rentra à Liège au milieu des feux de joie et des salves d'artillerie. Heureusement pour l'évêque, ses adversaires ne s'entendaient pas. Le tiers état reprochait au clergé et à la noblesse de faire peser sur lui la plus grande partie des tailles que l'on avait fini par voter pour l'entretien des troupes et les travaux de la citadelle. Mais la « cité » ne pouvait s'accoutumer à la vue des bastions dont la menace pesait sur elle du haut de la côte de Sainte-Walburge. Un complot pour s'en emparer fut découvert en 1658, et aboutit à des exécutions sanglantes. Au milieu de cette agitation, la sécurité relative dont on jouissait depuis le traité de Tirlemont faisait néanmoins sentir ses effets bienfaisants. En 1656, on achevait enfin à Liège la réédification du «pont des arches », enlevé par une crue de la Meuse en 1643. ALLIANCE DU PRINCE AVEC LOUIS XIV. - Cependant, la neutralité que l'on était si heureux d'avoir reconquise était sur le point de disparaître. A peine avait- (Saint-Trond, Petit Séminaire.) Médaille de Maximilien-Henri de Bavière gravée par Henri Flémalle (mort en 1685 ou 1686). I Vvpnnp «t représenté en buste, de profil. Légende : MAX(IMILIANVS). HENRHCVS ARCHIEPflSCOPVS . COL(ONIENSIS). S(ANCTI). R(OMANI). H MP E RII ) E L( E C TOR) E P ( I SCO P V S ) .E T PR(INCEPS) HiLD (ES1ENSIS) ET LEOD IENSIS) VTRI(VSQVE). BA(VARIAE). DVX. Or. Dtmens.ons : 45 x 38 mm. (Liège, Alusèe Curtius.) Monnaies de Maximilien-Henri de Bavière. 1. Droit et revers d'un ducaton. Au droit : buste du prince-évêque. Légende : MAX(IMILIANVS). HEN(RICVS). D(EI). G(RATIA), A (RCHIEPISCOPVS). C(OLONIENSIS). P(RINCEPS). E(LECTOR). EP(ISCOPVS). ET PRIN(CEPS). LEOD(IENSIS) avec la date 1668. Au revers : Ecusson orné et couronné, aux armes écartelées de l'évêque avec l'écu de Bouillon sur le tout. Légende : SVPR(EAIVS). BVLLONIE-NS1S. DVX. Argent. 2. Droit et revers d'un double ducat. Or. 3. Droit et revers d'un ducat. Or. 4. Droit et revers d'un escalin. Argent. min neuf » destiné à relier directement Sedan à Liège, sans passer par le sol des Pays-Bas, dont les marchands de la principauté éviteraient ainsi les nombreux péages. En réalité, ce chemin n'avait qu'une importance stratégique. Il permettait aux armées françaises d'atteindre en quelques marches les bords de la Meuse. Que pouvaient, pour détacher Maximilien d'un protecteur aussi puissant et aussi généreux que le Grand Roi, les sollicitations lamentables de Castel Rodrigo, dont les coffres étaient vides et les soldats en haillons ? A la veille de la guerre de dévolution, l'électeur raffermit par un nouveau traité (21 octobre 1666), son alliance avec la cour de Versailles. Il accorda le passage de ses Etats aux troupes françaises, tandis qu'il s'engageait à le refuser à celles que l'empereur pourrait être tenté de diriger au secours de l'Espagne. D'ailleurs, sauf quelques fourrages sans importance, la principauté ne souffrit guère de la foudroyante campagne de 1667, qui se déroula presque tout entière dans l'ouest des Pays-Bas. Il ne fut bientôt que trop visible qu'elle ne jouirait plus longtemps de cette tranquillité. Les plans de Louis XIV contre les Provinces-Unies, qu'il avait décidé d'attaquer par l'Yssel, devaient évidemment lui faire placer le long de la Meuse et du Rhin la base de ses opérations. Maximilien était tout acquis à ces projets. Dès le 11 juin 1671, il signait une convention secrète avec les rois de France et d'Angleterre, et, le 27 mai 1672, après avoir reçu un corps de troupes françaises, sous prétexte de réprimer une révolte de Cologne, il déclarait la guerre aux Etats-Généraux (5). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) François-Egon, prince de Furstenberg (1626-Cologne, 1682). Grand-prévôt du chapitre de Cologne, prévôt de Saint-Géréon à Cologne, grand-prévôt de Hildesheim, évêque de Strasbourg, prince-abbé de Murbach, de Luders en Alsace, Stavelot et Malmédy, il fut, ainsi que son frère Guillaume-Egon (1629-Paris, 1704), un des principaux conseillers de l'évêque Maximillen-Henrl. Portrait gravé par Corneille Meyssens (Bruxelles, 1612-Anvers, 1670) d'après Jean Meyssens (Anvers, av. 1640-Vienne, 1673). il, à l'exemple de ses prédécesseurs, renoué avec l'Espagne, Maximilien songeait à l'abandonner. Les retentissantes victoires de Louis XIV dans les Pays-Bas, l'orientation de plus en plus marquée de la dynastie bavaroise vers la France, les sollicitations des Furstenberg, achetés par l'or du roi très-chrétien, le poussaient à une volte-face qui devint publique quand, en 1658, on le vit entrer dans la clientèle française par son accession à la ligue du Rhin. L'année suivante, la paix des Pyrénées le mentionnait parmi les alliés de Louis XIV. C'en était fait de la politique suivie sans interruption depuis Erard de la Marck par les princes de Liège. A partir de l'avènement d'Ernest de Bavière d'ailleurs, cette politique, redisons-le encore, n'était plus liégeoise, mais bavaroise et électorale. C'est en tant qu'électeurs de Cologne et princes de Bavière, que l'oncle et le grand-oncle de Maximilien s'étaient prononcés pour la maison de Habsbourg; c'est en la même qualité que leur neveu passait maintenant à celle de Bourbon. Ses sujets de Liège n'eurent tout d'abord qu'à s'en féliciter. Les prévenances du cabinet de Versailles pour l'évêque ne furent pas sans leur procurer quelque avantage. Durant les conférences qui suivirent le traité des Pyrénées, la diplomatie française se montra pleine de bienveillance pour l'envoyé liégeois chargé d'obtenir de l'Espagne la restitution des territoires litigieux réclamés depuis plus d'un siècle. On fut enchanté aussi de voir le gouvernement français faire entreprendre les travaux du « che- \Cfiêné* Nanilft Wtif&.ya'iè Hamoiç ' .V *t * Bornai 'Barvaux tfohiiilh BouvianesctUtn,c>t{ tem, [c, ($tH , ,.n f/myi „t ^ ^ Il la îiiGcu iv, et ■Jkiian.'èc.-' pàrvcioje* ,et "ùyur>yecb \ ' « / ' " otfie rwetn: clettx , nicù? au?." iott? tico i7i'tfu - unu.x ,ci tauy ne: cffituvj et furtu'u i:' au r piyynettt ut par,'cv>>icnt :c/c i miel c'c IvG.ki /ter iUuiclaOUinCfVt et a tourfouw fàeiiu> tan? :c.> — ; pâtit' (t avitcUr, a eue 'fèci-tu? pu :eiicctti ,/ nar Lvpvettariea te tu:',et c< c:/ir pritte* t/fl Jne/o <-'( (cm.' ciiairp: ,office:,droit.1 etprercya/rm.>. — lieu: ir:eiuàu/ cKtAfOit?te-v,c/>n iiqxrou ùim lhucv ut pie'tut : c et U'tu eut ycc epit dcA-u.) U : pce t trente j cti.i le iu/t: et de: ctf/unw Dou: t von tu rew/: toiutttm bonite eriuo.'fre ([te'cle ^Vc/c» <3c lluuunGix Ct wbffxr s yJW*- f | \ (Liège, Archives de l'Etat.) (Cliché Piron.) Formules finales et signatures au bas de l'ordonnance du prince-évêque Maximilien-Henri de Bavière établissant un nouveau règlement pour l'administration de la ville de Liège (28 novembre 1684). (Voyez le commentaire de Pirenne, ci-contre.) Elaborée sans le concours des Etats, l'ordonnance fut lue le 6 décembre dans les « Chambres ». Chaque membre dut prêter le serment d'en respecter les stipulations, ce que tous firent « avec leurs très humbles remercîments », déclare le procès-verbal. Original sur vélin, signature et cachet du prince-évêque. la loi à la « cité » a si peu de ressources que c'est à un consortium de grands marchands qu'il faut s'adresser, au XVIIe siècle, pour rebâtir le pont des Arches. Toute sa politique s'affirme par ce cri qui marque à la fois sa faiblesse financière et son incapacité politique : « A bas les impôts ! » En réalité, si elle n'avait trouvé pour la soutenir les masses des ouvriers sans travail, les vagabonds de la campagne attirés par ses émeutes, toute cette populace enfin, que les progrès du capitalisme grossissaient sans cesse, elle aurait dû renoncer depuis longtemps aux avan-tures dans lesquelles elle se lança. Au reste, entre les petits bourgeois conservateurs qui prétendaient diriger le mouvement et leurs alliés prolétaires, l'entente était impossible. Elle ne se fit jamais que pour aboutir aux bagarres sanglantes dans la rumeur desquelles elle se rompait. On l'avait vu en 1649, on le revit, et pour la dernière fois, en 1684. La longue agonie de l'autonomie urbaine s'achève dans ce dernier soubresaut. Quand les Liégeois de 1789 se soulèveront contre le règlement de Maximilien-Henri, ce ne sera plus au nom des « franchises », ce sera au nom des droits de l'homme. LE REGLEMENT DE 1684. — Ce fameux règlement, sous lequel devait s'écouler paisiblement le dernier siècle d'une histoire si agitée, subordonne entièrement la ville au pouvoir du prince (17). Il anéantit la juridiction municipale, l'indépendance du conseil urbain et de ses bourgmestres. Ceux-ci n'auront plus désormais que des pouvoirs d'administration et de police et les mesures sont prises pour qu'ils échappent à toute influence populaire. Non seulement ils ne sont plus recrutés que parmi les rentiers, les anciens magistrats, les marchands notables, mais par surcroît de précautions, ils ne sont plus élus, mais désignés par une oligarchie soigneusement triée. Ainsi, plus rien à craindre « des esprits séditieux », de la « vile populace », des « gens sans aveu » ni de « l'ambition des prétendants qui a été l'origine des confusions et des maux dont cette ville a été accablée et réduite à un état déplorable ». Au lieu d'être renouvelé par les trente-deux métiers, au milieu des intrigues des politiciens et des clameurs de la foule, le magistrat sortira chaque année d'un scrutin compliqué, mais silencieux. Seize chambres, composées chacune de trente-six personnes à la nomination du prince, désigneront de concert avec lui les deux bourgmestres et les vingt conseillers de la « cité ». Si les métiers subsistent comme groupements industriels, ils perdent toutes leurs attributions politiques et passent sous le contrôle permanent du magistrat. Plus rien à craindre de celui-ci, puisque l'évêque crée directement une moitié de ses membres et que l'autre lui est présentée par les « chambres » qu'il constitue lui-même au sein de la bourgeoisie riche. La classe possédante et dirigeante est ainsi intéressée au maintien de son pouvoir et à la garantie de l'ordre dont elle profite comme lui. Elle n'ambitionne rien au delà. Les deux bourgmestres cessent d'être les représentants d'une république à demi indépendante. Ils ne sont plus que des commissaires respectueux de Son Altesse. Les clefs de la ville, qui jadis leur étaient remises tous les soirs, seront à l'avenir déposées au palais du prince. L'autonomie communale de la « cité » entraîna rapidement dans sa chute celle des bonnes villes. Wallonnes ou flamandes, elles reçurent tour à tour des règlements plus ou moins apparentés à celui de la capitale et leur imposant comme celui-ci « une forme d'élection et de gouvernement économique propres au temps ». Il en fut ainsi à Tongres en 1685, à Hasselt et à Huy en 1686, à Thuin en 1687, à Dinant en 1688, à Saint-Trond en 1691, à Looz en 1695 (18). Pourtant, la victoire du prince sur des constitutions urbaines archaïques ne devait pas le mener à l'absolutisme. Comme dans les provinces des Pays-Bas, les Etats continuèrent comme par le passé à représenter le pays, et il ne songea même pas à leur enlever le droit traditionnel de voter l'impôt et d'être consultés sur toutes les mesures d'intérêt général. La paix de Fexhe subsista dans la principauté de Liège comme la Joyeuse-Entrée subsistait en Brabant. Il eût fallu un coup d'Etat pour l'abolir et, quand bien même les évêques en auraient eu le désir, ils n'en avaient pas la force. Les Etats subirent d'ailleurs, dans une certaine mesure, le contre-coup des transformations qui venaient de s'accomplir dans les villes. Le plus important de leurs membres, le Tiers, exclusivement composé de magistrats de la « cité » et de bonnes villes, tomba plus ou moins sous la dépendance de l'évêque, qui intervenait maintenant dans sa nomination. De plus, il ne représenta plus que les intérêts de la classe aisée, dont il sortait. Mais en revanche, les députés de la « cité » renoncèrent à la prétention qu'ils avaient constamment élevée jusqu'en 1684, de ne reconnaître comme valables que les décisions des Etats qu'ils avaient votées. Le principe majoritaire, cette condition indispensable du bon fonctionnement de toute assemblée délibérante, s'introduisit ainsi dans la vie politique de la principauté comme dans celle des Pays-Bas, au même moment où disparut l'exclusivisme urbain. La catastrophe de la « cité » tourna tout à la fois à l'avantage du prince et à celui des Etats. La constitution du pays de Liège, après 1684, ne se réduit pas au double pouvoir de l'évêque d'une part et des Etats de l'autre. Le chapitre de Saint-Lambert y conserva (Cliché A.C.L.) Château de HermalIe-sous-Huy. Les origines du château remontent au XII« siècle. Il a appartenu aux familles Henri de Hermalle, de Rougrave, de Berlo, d'Ursel, de Moreau, de Louvrex. Saccagé en 1313 par les Hutois, il fut remanié à maintes reprises. L'aile reproduite ci-dessus date de 1640 environ. Une tour du château médiéval est reproduite au t. I, p. 277. longtemps une place très particulière et qui ne s'explique que par la nature à la fois spirituelle et temporelle du souverain. Electeur des évêques, le chapitre s'efforçait depuis longtemps de gouverner en partage avec eux. Leur politique monarchique s'était invariablement heurtée à son hostilité et on l'avait vu, en maintes circonstances, faire cause commune avec la « cité ». Maximilien-Henri ménagea cette puissante corporation, dont la richesse foncière, l'influence en cour de Rome, et les privilèges faisaient un adversaire redoutable. Il ne publia le règlement de 1684, qu'après s'être entendu avec elle. Le 24 novembre, pour rallier le chapitre à ses vues, il lui promettait de ne plus édicter à l'avenir sans son consentement. La place restée vacante dans la constitution liégeoise par l'abaissement du pouvoir municipal fut occupée dès lors par l'intervention grandissante du chapitre. De nouveaux conflits étaient en germe. (Liège, Musée Curtius.) Médaille commémorative de la prise de Cologne, Utrecht, Venlo, Ruremonde, Stevensweert et Liège en 1702, par les troupes alliées en lutte contre Louis XIV. Au droit (à gauche sur la planche) : portrait en buste de la reine Anne Stuart (1665-1714). Légende : ANNA. DEI. GRATIA. AIAG(NAE). BR(ITANNIAE). FRA(NCIAE). ET. HIB(ERNIAE). REGINA. Au revers (à droite sur la planche) : les troupes alliées attaquent une ville assiégée par les armées françaises. Légende : VIRES. ANIMVMQVE. MINISTRAT. Exergue : CAPTIS. COLONIA. TRAJANA. VENLOA. RVREMVNDA. STEPHANOVERDA. LEODIO. MDCCII. JEAN-LOUIS D'ELDEREN. - La rentrée de Maximilien-Henri dans le vasselage de Louis XIV ne permettait plus d'équivoquer sur la neutralité liégeoise. Pendant que la plupart de ses voisins d'Allemagne constituaient contre la France la ligue d'Augsbourg, il ouvrait au roi ses principautés de Liège et de Cologne, lui permettant en cas de guerre d'user de ses troupes et de ses forteresses. Il n'était plus que de nom un prince d'Empire et, s'abandonnant aux conseils de Guillaume de Furstenberg, que Louis XIV avait fait nommer, en 1682, à l'évêché de Strasbourg, se laissait dicter sa conduite par ce protégé de la France. L'état de plus en plus précaire de sa santé explique suffisamment cette apathie. Mais il faisait prévoir aussi que sa succession ne tarderait pas à s'ouvrir, et l'on s'en préoccupait à la fois à Vienne et à Versailles. La tension croissante des rapports entre l'Empire et la France obligeait celle-ci comme celui-là à veiller sur le sort de positions militaires aussi importantes dans une guerre future que le seraient Cologne et Liège. On n'ignorait pas que Louis XIV travaillait les chapitres des deux « cités » pour faire élire en qualité de coadjuteur cum jure successionis son féal Furstenberg. Mais Léopold Ier était trop intéressé à empêcher un client de la France de détenir les passages du Rhin et de la Meuse pour ne pas s'opposer à ces manœuvres. A Rome, le pape assailli de sollicitations en sens contraires, cherchait à gagner du temps. Il ne put cependant détourner les chanoines de Cologne de se laisser circonvenir par la France; le 7 janvier 1688, Furstenberg était nommé coadjuteur. Maximilien-Henri, angoissé par toutes ces intrigues, mourut peu après le 3 juin 1688, et le combat reprit avec une nouvelle ardeur. Comme il fallait s'y attendre, la maison de Bavière, qui considérait depuis si longtemps la métropole rhénane et son suffragant liégeois comme un bien de famille, entra aussitôt en scène. A la grande fureur de Louis XIV, l'empereur réussit, grâce à l'appui du pape, à faire monter Joseph-Clément de Bavière sur le siège de Cologne (20 septembre 1688). En revanche, ses efforts à Liège échouèrent. Le chapitre de Saint-Lambert était fermement décidé à profiter des promesses qui lui avaient été faites en 1684. Il sentait qu'il lui serait impossible d'en tirer parti sous un prince puissant. Il s'était empressé de prendre en main le gouvernement à la mort de Maximilien et, pour la première fois, on l'avait vu prétexter de la vacance du siège épisco-pal pour faire acte de souveraineté, frapper des monnaies et promulguer des édits. Louis XIV eut beau lui envoyer le baron d'Asfeld pour recommander très expressément « la personne de notre bien cher et bien-aimé cousin, le cardinal de Furstenberg» (19); Joseph-Clément, se faire soutenir auprès de lui par son frère Maximilien-Emmanuel, le nouveau gouverneur des Pays-Bas; l'empereur, lui députer le baron d'Eck et le solliciter soit en faveur du Bavarois, soit en faveur du comte palatin de Neubourg, ni leurs instances, ni leurs largesses ne réussirent auprès des chanoines, résolus à ne se donner qu'un prince incapable de résister à leurs prétentions. Leur choix se porta sur leur grand doyen, Jean-Louis d'Elderen, qui fut élu le 17 août 1688. Pour la première fois depuis la mort de Gérard de Groesbeck, en 1580, cette élection interrompait l'union tradi- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Le palais des princes-évêques à Liège au XVIIe siècle. Gravé par Fréd. de Witt (travailla vers 1650 à Amsterdam), en annexe au plan de la ville de Liège par Wenceslas Hollar (Prague, 1607-Londres, 1697). tionnelle des principautés de Liège et de Cologne sous un cadet de la maison de Bavière. Comme au moyen âge, l'initiative du chapitre semblait avoir rendu au pays le pouvoir de décider lui-même de ses destinées. On se flattait d'échapper, à l'avenir, aux catastrophes dans lesquelles on avait été entraîné par la politique personnelle de princes étrangers à la nation et la sacrifiant à leurs desseins. Ne devant rien à personne, Jean-Louis d'Elderen allait sans doute faire refleurir l'indépendance et l'autonomie, dont le souvenir restait dans les mémoires, par contraste avec le présent, comme celui d'un âge d'or. L'esprit municipal était si complètement éteint que la « cité » ne fit pas la moindre tentative pour reprendre ses franchises. Par contre, le chapitre eut soin de faire jurer à l'évêque, le 30 décembre 1688, une capitulation qui l'associait en fait au gouvernement. Jean-Louis promettait de résider perpétuellement à Liège, de traiter avec le chapitre de tous les intérêts du pays, de lui faire prêter serment par les membres du Conseil Privé et de la Chambre des comptes, qu'il s'engageait en outre à recruter en majorité parmi les chanoines de la cathédrale, enfin de conserver intacte, même dans les causes laïques, la juridiction de l'Official de Saint-Lambert. Très habilement d'ailleurs, le chapitre intéressait les Etats à sa cause, en faisant déclarer par le prince, qu'il ne s'engagerait dans aucune guerre sans leur consentement (20). GUERRE CONTRE LA FRANCE. - Ce point, le plus essentiel aux yeux des Liégeois, indiquait clairement un nouveau retour à la politique de neutralité si complètement abandonnée par les derniers évêques. Par malheur, la guerre venait d'éclater entre la France et l'Empire (24 septembre 1688), et déjà les troupes de Louis XIV s'étaient emparées de Huy et de Ciney. Comment d'ailleurs faisant partie de l'Empire, le pays pourrait-il se déclarer neutre dans un conflit où l'Empire était directement engagé ? Il l'essaya pourtant. Le 9 janvier 1689, un traité était conclu par lequel Louis XIV, moyennant une contribution annuelle de 150,000 livres et la démolition du fort de Huy et de la citadelle rebâtie par Maximilien, s'engageait à respecter la neutralité liégeoise aussi longtemps qu'elle serait respectée par ses ennemis. Pour avoir cru qu'une neutralité ainsi garantie serait acceptée par les belligérants, il fallait leur supposer naïvement, pour le repos de la principauté, la même sollicitude qui animait les Liégeois eux-mêmes. Aussi bien l'empereur avait-il déclaré, dès le 11 décembre précédent, que la neutralité était interdite à tout membre de l'Empire (21), et si l'on avait cru pouvoir passer outre à sa lointaine défense, tout espoir d'échapper au conflit disparut quand l'Espagne et les Provinces-Unies eurent, de leur côté, déclaré la guerre à la France. Si relâchés qu'ils fussent, les liens qui rattachaient la principauté à l'Empire, n'en subsistaient pas moins. Mis en demeure de se HISTOIRE DE BELGIQUE prononcer, les Etats déclarèrent, le 7 avril 1689, «vouloir se conformer et obéir au mandement de Sa Majesté Impériale » (22). Deux jours après, l'évêque prenait ouvertement parti contre la France et passait une convention militaire avec le comte de Flodorf, gouverneur de Maestricht pour les Etats-Généraux. Puis il fallut demander des impôts au pays, lever un régiment liégeois, mettre des garnisons dans les places fortes, consolider les travaux de défense de la citadelle. Les espérances qu'avait fait naître l'élection de Jean-Louis d'Elderen, aboutissaient donc à la plus amère des désillusions. Non seulement la neutralité ne s'était pas mieux rétablie sous ce prince national que sous ses prédécesseurs bavarois, mais par une cruelle ironie du sort, le pays se voyait entraîné à la violer lui-même; il perdait jusqu'à la consolation de protester contre la guerre, puisqu'il y prenait part. On s'était dit que le nouveau prince, ne portant ombrage à personne, serait respecté par tout le monde, et l'on s'apercevait avec amertume que sa faiblesse n'avait eu pour résultat que de l'asservir au parti pour lequel il avait été contraint de se prononcer. Depuis 1689, en effet, Liège est étroitement soumis au pouvoir des alliés. Le prince de Waldeck y commande en maître; le chapitre n'est plus consulté sur rien; l'un de ses membres, le chanoine de Bocholt, accusé de pactiser avec les Français, est arrêté et conduit à Maestricht. La petite armée liégeoise passe sous les ordres d'un général espagnol, le comte de T'Serclaes. D'Elderen n'est plus qu'un instrument aux mains du Conseil de guerre de la coalition. Et, par surcroît de malheur, cette guerre à laquelle le pays est contraint de participer, n'aboutit qu'à des revers. Les impériaux et les Hollandais ne parviennent point à refouler les troupes françaises au delà des frontières. Le 1er juin 1691, le maréchal de Boufflers pousse même jusque devant Liège, qu'il bombarde durant cinq jours des hauteurs de la Chartreuse. Lorsqu'il se retire devant le prince de Lippe, quinze cents maisons sont détruites, incendiées ou endommagées par les boulets (23). La campagne de 1692 fut moins désastreuse. Mais en 1693, le maréchal de Luxembourg s'empare de Huy, puis remporte dans les plaines de la Hes-baye, de nouveau ravagées par les armées, la sanglante victoire de Neerwinden. Jean-Louis d'Elderen mourut au commencement de l'année suivante, le 1er février 1694. Les vers que l'on grava sur sa tombe exhalent comme un soupir de résignation à la fatalité qui l'avait impliqué malgré lui dans le conflit de ses puissants voisins : Armis Gallorum vir quamvis pacis amator Restitit invictus, coelesti numine fultus. JOSEPH-CLEMENT DE BAVIERE. - Le siège qu'il laissait vacant en pleine guerre fut aussitôt âprement disputé par les belligérants. Il ne pouvait être question de permettre aux chanoines d'en disposer à leur guise. On allait voir se reproduire, cette fois sous la pression de l'Europe, les manoeuvres d'intimidation auxquelles le chapitre avait été si fréquemment soumis au XIIe siècle, de la part des comtes de Hainaut et des ducs de Brabant (24). Pendant que la France mettait en avant la candidature du (Liège, Musée Curtius.) Joseph-Clément de Bavière, prince-évêque de Liège de 1694 à 1723. Terre cuite par Arnold de Hontoir, sculpteur et architecte (Liège, vers 1630-1709). Hauteur : 0,915 m. cardinal de Bouillon, Théodore-Emmanuel de La Tour d'Auvergne, l'empereur, les Etats-Généraux et le nouveau gouverneur des Pays-Bas, Maximilien de Bavière, travaillaient de commun accord pour le frère de ce dernier, l'électeur de Cologne, Joseph-Clément. Après la courte éclipse du règne d'Elderen, la maison de Bavière étendait de nouveau la main vers Liège. Elle avait toutes les chances de l'emporter. Sans doute, il existait dans la « cité » un parti français, dont les désastres où la coalition venait d'entraîner le pays semblaient justifier la politique; sans doute aussi, les chanoines répugnaient à donner leurs suffrages à un Bavarois qui, trop puissant pour les ménager, ne tiendrait pas compte de leurs prétentions. Mais comment eussent-ils pu échapper à l'influence des alliés dont les troupes occupaient Liège et dont les agents les circonvenaient de menaces et de promesses ? Ne pouvant obtenir un passeport, le cardinal de Bouillon en était réduit à plaider de loin sa cause par des mémoires. Dans les conditions où elle allait se présenter, l'élection serait évidemment irrégulière. Le 20 avril, sur quarante-quatre électeurs présents au chapitre, vingt et un se retirèrent, laissant les vingt-trois autres donner leurs voix à Joseph-Clément. Le lendemain, les opposants, reconnaissant l'impossibilité de s'entendre sur le nom du cardinal, se prononçaient pour un troisième candidat agréable à l'empereur, Antoine-LIlric de Neubourg, grand maître de l'Ordre Teutonique, évêque de Worms et coadjuteur de Mayence. Les trois concurrents en appelèrent à Rome. La mort inopinée d'Antoine rendit la décision du pape plus facile. Le 18 septembre il reconnut Joseph-Clément pour évêque (25). C'était un succès pour les alliés; c'en était un surtout pour la maison de Bavière, dont le chef, établi aux Pays-Bas, avait désormais son frère, l'électeur de Cologne, comme voisin sur la Meuse et étendait ainsi son influence du Rhin à la mer. Maximilien-Emmanuel posséda, en effet, dans Joseph-Clément, un collaborateur tout dévoué de ses ambitions dynastiques. Le cadet s'associa d'autant plus étroitement à son aîné qu'il lui ressemblât davantage par les mœurs et le tempérament. Comme lui tout Français de goût et d'éducation, comme lui entreprenant, superficiel, mondain et galant, ce jeune prince de vingt-trois ans « blond avec une grosse perruque, cruellement laid, fort bossu par derrière, un peu par devant, mais point du tout embarrassé de sa personne, ni de ses discours » (26), avait aussi peu que possible le caractère et l'aspect d'un prélat. Il eut des maîtresses, il eut des bâtards, et il devait attendre jusqu'en 1707 pour recevoir la prêtrise. Rien d'étonnant s'il administra son nouveau diocèse comme il eût fait d'une principauté laïque, sans se préoccuper le moins du monde des prérogatives du chapitre. Il mit son point d'honneur à faire respecter son autorité et, dans ses rapports avec ses sujets, à imiter l'absolutisme de Louis XIV comme il en imitait la perruque. LE PRINCE ET LE CHAPITRE. - Le chapitre s'était attendu à ce retour du gouvernement monarchique. Pour sauvegarder sa situation, il avait eu soin de faire jurer par l'évêque, le 25 octobre 1694, une longue capitulation (27). Joseph-Clément s'y engageait, entre autres choses, à résider à Liège au moins six mois par an, à résister de toutes ses forces aux violences qui pourraient être faites aux chanoines de Saint-Lambert, à prendre parmi ceux-ci le plus grande nombre de membres de son Conseil Privé, à ne pas permettre, sans leur placet, la publication de bulles pontificales ou de mandements impériaux, enfin à ne signer de traités et à ne déclarer de guerres qu'avec l'autorisation du chapitre et des Etats. Mais quelle vraisemblance y avait-il qu'un des premiers princes de l'Allemagne se laissât ligoter comme l'avait fait un Jean-Louis d'Elderen ? Joseph-Clément savait fort bien que le chapitre ne l'avait nommé que sous la contrainte des alliés et il était décidé à ne tenir aucun compte de ses désirs. Electeur de l'Empire, duc en Bavière, pourvu des diocèses de Cologne et de Freisingen et des coadjutoreries de Ratisbonne et de Hil-desheim, le dessein de le ravaler à Liège au rôle humiliant d'un prélat en tutelle lui apparaissait comme une outrecuidance insupportable. Dès l'année 1695, le conflit éclate aigu entre lui et le chapitre qui, en son absence, s'est mis à gouverner le pays. De Munich, Joseph-Clément le rappelle à l'ordre et s'étonne d'une conduite « si préjudiciable à notre souveraineté ». Là-dessus éclate une tempête, car le mot de souveraineté est de ceux « dont les princes de Liège ne se servent pas » (28). Pour apaiser les esprits, l'évêque l'attribue à une distraction de secrétaire, mais il ne le désavoue pas et les choses s'aigrissent tellement que l'empereur, inquiet d'une querelle dont le parti français s'empresse de profiter, croit prudent d'intervenir et fait écrire aux chanoines qu'il faut « ôter toute sorte de sujets de plaintes au prince, s'abstenir de tout ce qu'il croit être contre ses droits » et surtout « ne point se fier à l'appui et à l'assistance étrangère » (29). Par bonheur, les armées françaises ne sont plus à la portée des mécontents. En 1694, les alliés les ont repoussées de Huy, le dernier point qu'elles occupaient aux environs de Liège, et depuis lors la guerre s'est transportée en Flandre. Seuls Dinant et Thuin restent au pouvoir de Louis XIV jusqu'aux traités de Ryswyk (1697). La paix n'apporta d'ailleurs aux Liégeois qu'une désillusion. Malgré les instances du chapitre et de l'évêque (30), Bouillon ne fut pas restitué à la principauté. Elle ne récupéra que Dinant, dont les Français, en se retirant, firent sauter les fortifications. L'année suivante, ses députés à la Conférence des limites n'eurent pas meilleur succès. Le partage des territoires contestés entre la France et l'Espagne (3 décembre 1699) ne tint aucun compte de leurs réclamations touchant Agimont, Givet et Charlemont, qui furent attribués à Louis XIV. Les quelques années de tranquillité dont on jouit jusqu'à la guerre de la succession d'Espagne virent naturellement renaître le débat à propos des droits du prince. La paix étant conclue, les Etats s'empressèrent de licencier l'armée liégeoise. Joseph-Clément aussitôt les accusa d'usurpation sur son autorité. Ils n'avaient, leur disait-il, que la faculté de lui faire des remontrances pour le bien du pays, dont il était le chef et dont ils représentaient les membres (31 ). Ils répliquèrent en lui opposant les libertés et privilèges qui limitaient le pouvoir princier, et en affirmant leur droit de délibérer et de conclure. Puisqu'ils avaient voté la levée de l'armée, ils se reconnaissaient compétents pour la dissoudre. Entre les affirmations contradictoires du prince ne voyant dans les Etats qu'un conseil consultatif, et celles des Etats réclamant le pouvoir de légiférer, se manifestait ainsi très nettement un conflit constitutionnel tout à fait analogue à celui qui, peu d'années auparavant, avait mis aux prises, en Angleterre, le Parlement et la Couronne. Aucun des deux adversaires ne voulant céder, on n'aboutit pas. Grâce à l'entremise de Maximilien-Emmanuel, les Etats tolérèrent pourtant le maintien d'un corps de mille piétons. Ils finirent même, pour donner satisfaction au prince, par inscrire sur leurs registres que le « recès » sur le licenciement des troupes n'avait pas été approuvé par Son Altesse, simple concession de forme qui laissait subsister intacte leur prétention de soumettre la levée d'une armée à leur consentement. JOSEPH-CLEMENT S'ALLIE A LOUIS XIV. - La guerre de la succession d'Espagne allait de nouveau soumettre à la fortune des armes ces contestations politiques que la paix ramenait toujours avec elle dans la turbulente principauté. Comme son frère Maximilien-Emmanuel, Joseph-Clément se lança, au grand scandale de l'Empire, dans l'alliance de Louis XIV. L'émotion que souleva à Liège le traité signé par l'évêque avec le roi, le 15 février 1701, fut plus vive encore (32). Profondément indifférents à l'égard de l'Empire, les Liégeois s'indignèrent de voir leur prince, une fois de plus, ne tenir aucun compte de leur neutralité et rappeler sur leur pays les misères dont on commençait à peine de se remettre. Le chapitre se fit aussitôt l'interprète de l'opinion publique. Il exigea que des négociations fussent ouvertes avec la France, l'Espagne et la Hollande, et le prince, sachant bien qu'elles ne pouvaient réussir, les laissa s'engager. Comme toujours, ce fut une comédie diplomatique. Louis XIV se déclara tout prêt à respecter la neutralité du pays si ses ennemis en faisaient autant. Mais ceux-ci ne pouvaient évidemment distinguer le prince, allié de la France, de ses sujets obstinés à se déclarer neutres. Joseph-Clément brusqua les choses. Le 22 novembre, il ouvrait la citadelle à une garnison française. Pour en finir avec le chapitre, le commandant des troupes d'occupation fit arrêter quelques chanoines. Les Etats refusant de voter l'impôt, leur session fut déclarée close (10 mars 1702). Les violences du prince devaient d'ailleurs être sans lendemain. Dès le 9 janvier, l'empereur avait délié ses sujets du serment de fidélité, et au mois d'octobre Marlborough et Coehoorn paraissaient devant Liège, bombardaient la citadelle et la prenaient d'assaut, pendant que l'évêque se réfugiait en France (23 octobre). Il ne devait revoir sa capitale qu'en 1715. Car, si durant les campagnes de 1703 à 1705, les Français et les alliés combattirent sur la Meuse avec des alternances de succès et de revers, prenant et reprenant tour à tour la ville de Huy, si au mois de juin 1705, Villeroy et Maximilien - Emmanuel parvinrent un moment à pénétrer à Liège, la victoire de Ramillies (23 mai 1706), mit définitivement la principauté à l'abri de nouvelles tentatives de Louis XIV. Joseph-Clément, imitant son frère, prit son parti de la mauvaise fortune et profita de l'hospitalité française en attendant la fin de la tourmente pendant que l'empereur chargeait le comte de Sinzendorff du gouvernement de Liège (33). En fait, ce furent les Provinces-Unies qui, ici comme dans les Pays-Bas, profitèrent le plus largement des succès de la coalition. Elles mirent garnison à Liège et a Huy, et il ne dépendit pas d'elles que ces deux places ne fussent réunies à leur « barrière ». Louis XIV s'était engagé à obtenir le consentement de l'évêque à ce projet. Mais le refus de l'empereur empêcha sa réalisation. La paix de Rastadt restitua à Joseph-Clément la principauté telle qu'elle existait avant la guerre. Toutefois, les Hollandais n'évacuèrent les deux forteresses qu'ils occupaient qu'au commencement de 1718 (34). En les quittant, ils en firent sauter les remparts : ils ne devaient plus être relevés avant la fin de l'Ancien Régime. RAPPORTS DE LIEGE AVEC L'EMPIRE. - Le retour de Joseph-Clément à Liège coïncida avec un raffermissement des liens si relâchés qui rattachaient le pays de Liège à l'Empire. Après de longues négociations, les Etats finirent par reconnaître leur appartenance au Cercle de Westphalie et à accepter une contribution de 826 florins dans les « mois romains » payés par ce Cercle. Une déclaration de l'évêque, le 14 décembre 1716, réserva les privilèges du pays et établit qu'en cas de guerre entre l'Empire et une puissance étrangère, les directeurs du Cercle prieraient l'empereur de permettre à la principauté, eu égard à sa situation excentrique, de se déclarer neutre ou de payer à l'ennemi des contributions (35). Voilà tout ce qui resta de la neutralité perpétuelle à laquelle les Liégeois avaient si longtemps prétendu et qui, en fait, équivalait à la négation de la suzeraineté impériale sur leur territoire. Ainsi, au même moment où l'empereur, comme représentant de la maison de Habsbourg, recueillait l'héritage des Pays-Pouv°ir de l'Empire se rétablissait —wtfltfrvt» jAlJl ar sur le pays de Liège. HHIQl^u'Y- 'MM ff On aurait pu croire ^M^y^C/XTW' que, comme au temps ^B^^VbF de Charles - Quint, l'identité du souverain allait rapprocher l'une de l'autre les deux parties de la Belgique. Il en devait être tout autrement. (Liège, Musée Curtius.) (Cliché Piron.) Clef de chambellan sous Joseph-Clément de Bavière, aux initiales couronnées du prince. NOTES (1) Histoire de Belgique, t. IV, 2« édit., p. 329. (2) Riezler, Geschichte Bayerns, t. VII, p. 70. (3) J.-G. Schoonbroodt, Inventaire des chartes du chapitre de Saint-Lam-bert à Liège, p. 405 (Liège, 1863). C'est là l'origine du fameux droit de soixantième qui provoqua plus tard tant de contestations avec les Pays-Bas. D'après le diplôme impérial, il ne devait frapper que les marchandises sortant de la principauté ou y entrant, mais non celles en transit. (4) H. Lonchay, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas au XVII' et au XVIII' siècle, p. 86 (Bruxelles, 1890). (5) Lonchay, op. cit., p. 92; M. Huisman, Essai sur le règne de Maximilien-Henri de Bavière, p. 60 et suiv. (Bruxelles, 1899). (6) T. Bouille, Histoire de la ville et pays de Liège, t. III, p. 364 (Liège, 1732). (7) T. Bouille, op. cit., p. 372. (8) Ibid., p. 379. (9) Il conseillait, en effet, à des Carrières de « feindre que l'on a trouvé dans les papiers du cardinal quelque lettre du ministre de l'empereur qui pût, étant répandue dans l'Allemagne et le pays de Liège, y décrier les affaires de S. M. impériale et de tout son parti ». Rousset, Histoire de Louvois, t. II, p. 144. (10) Voy. la curieuse brochure intitulée : Le voyage de Monsieur le cardinal de Baden et son séjour à Liège pendant les mois de décembre 1674, janvier, février et mars 1675 (s. I. n. d.). (11) Bouille, Histoire de Liège, t. III, p. 407. (12) Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV, t. II, p. 90. (13) Bouille, Histoire de Liège, t. III, p. 409. (14) Pour les détails de l'insurrection, voy. M. Huisman, Essai sur le règne de Maximilien-Henri de Bavière, p. 119 et suiv. (15) Voy. les Pamphlets politiques wallons au XVII' siècle, publiés par M. Hennen dans le Bulletin de la Société verviétoise d'archéologie et d'his- toire, t. XIII [1913], p. 173 et suiv. L'esprit petit-bourgeois s'y exprime d'une manière tout à fait hostile à la France et favorable à l'Empire. (16) Lonchay, La principauté de Liège, La France et les Pays-Bas au XVII' et au XVIII' siècle, p. 182 et suiv. (17) Voir son texte dans L. Polaln, Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, 3e série, t. I, p. I et suiv. (18) L. Polaln, Recueil des ordonnances, loc. cit., pp. 35, 42, 66, 102, 116, 176, 234. (19) J. Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant te XVII' siècle, t. II, p. 215. (20) L. Polaln, Recueil des ordonnances, loc. cit., p. 129. (21) Ibid., p. 128. (22) J. Daris, loc. cit., p. 223. (23) Th. Gobert, Histoire des rues de Liège, t. I, p. 240. (24) Histoire de Belgique, t. I, 3» édit., p. 205. (25) G.-F. Preuss, Kurfiirst Joseph Klemens von KSln. Forschungen zur Geschichte Bayerns, t. XI [1904], p. 237 et suiv. (26) Saint-Simon, Mémoires, t. III, p. 327. Cf. ibid., t. V, p. 383, l'anecdote extraordinaire du Poisson d'Avril qu'il donna, en 1709, à la cour de France. (27) L. Polain, Recueil des ordonnances, 3e série, t. I, p. 215. (28) Ibid., t. II, p. 96. (29) J. Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVII' siècle, t. II, p. 253. (30) Dumont, Corps diplomatique, t. VII, 2» partie, p. 433. (31) J. Daris, loc. cit., p. 261. (32) Legrelle, La diplomatie française, etc., t. IV, p. 388. (33) Bouille, Histoire de Liège, t. III, p. 514. (34) Huy, le 14 janvier, et Liège, le 4 avril. (35) Bouille, op. cit., t. III, p. 550. LIVRÉ III LE RÉGIME AUTRICHIEN s •• •• ■ . V INTRODUCTION E transfert des Pays-Bas catholiques à l'Autriche par les traités d'Utrecht et de Rastadt résulta beaucoup plus des circonstances du moment que d'un plan politique mûrement étudié. Puisque sous la pression des puissances maritimes, on avait décidé d'opposer une barrière à la France, il eût semblé naturel de leur en confier la garde et la dépense. Mais en reconnaissant les prétentions de Charles VI à l'héritage espagnol, l'Angleterre et les Provinces-Unies s'étaient interdit d'en disposer à leur avantage. Pour échapper au voisinage de l'empereur, Louis XIV, reprenant l'ancien projet de Richelieu, leur proposa vainement de constituer la Belgique en Etat indépendant, soit sous l'électeur de Bavière, soit sous le duc de Lorraine. Il ébaucha même l'idée, qu'un avenir encore lointain devait réaliser, de reconnaître la neutralité du pays (1). Il inspirait trop de défiance pour qu'on l'écoutât. Faute de mieux, on se rejeta donc sur une combinaison qui tenait compte à la fois des ambitions dynastiques de la maison de Habsbourg, en lui donnant la possession des Pays-Bas, et des intérêts de la Hollande, en lui octroyant le droit d'y entretenir des garnisons. L'Autriche ne s'était résignée qu'à contre-cœur à un expédient qui soumettait sa souveraineté à une restriction si humiliante. Au surplus, elle ne tenait aux Pays-Bas que par point d'honneur. Elle n'avait nul besoin de cette annexe lointaine, séparée du gros de ses territoires, difficile à défendre et dangereuse par la situation qu'elle occupait au point sensible de l'Europe occidentale. Elle eût pu, il est vrai, intéresser l'Empire à sa conservation. Théoriquement, les provinces belges continuaient à former le Cercle de Bourgogne, et l'occasion s'offrait de les faire rentrer dans le corps germanique et d'étendre celui-ci jusqu'aux rivages de la mer du Nord. Mais la politique autrichienne était trop complètement étrangère à tout idéal d'expansion germanique et les princes allemands trop divisés par leurs rivalités et le particularisme de leurs tendances, pour qu'un tel dessein pût germer à cette époque. Tandis que l'empereur faisait rentrer, en 1716, le pays de Liège, qui n'appartenait pas à sa maison, dans le Cercle de Westphalie, il eut bien soin de ne pas raviver la suzeraineté impériale dans les Pays-Bas, qui lui appartenaient. Il en fut d'elle sous son gouvernement comme il en avait été sous le gouvernement espagnol. Elle acheva de s'éteindre insensiblement. Une contribution matriculaire de 1,789 florins, 12 sous de Brabant, qui fut payée assez irrégulièrement jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la nomination intermittente d'un assesseur du Cercle de Bourgogne à ta Chambre Impériale furent tout ce qui en subsista désormais. En 1780, le Conseil Privé de Bruxelles pouvait déclarer que la Belgique ne faisait pas partie de l'Empire. Et on ne pensait pas autrement dans l'Empire lui-même. Aucun secours n'en vint aux provinces lors de l'invasion française de 1744, et Frédéric II affirmait, en 1745, que les Pays-Bas n'appartenaient pas au corps germanique. Moser avait raison de considérer, vers la même date, dans son « Teutsches Staatsrecht », que la question était des plus obscure et dépendait en réalité de la volonté de l'empereur (2). Or, celle-ci n'était pas douteuse. Depuis le règne de Charles VI, la Belgique, réunie aux « Etats héréditaires » de la maison d'Autriche, fut soigneusement maintenue par les empereurs en dehors des atteintes de l'Empire. S'ils entendaient se la réserver exclusivement, ce n'était d'ailleurs que pour se trouver mieux en état de l'échanger contre une possession plus à leur gré parce que plus profitable. Durant les quatre-vingt-cinq ans qu'elle leur appartint, ils furent constamment préoccupés du meilleur moyen de s'en débarrasser. Il ne dépendit pas d'eux de la troquer soit contre un duché d'Italie, soit contre la Bavière, et ils ne la conservèrent en définitive, jusqu'au jour où elle leur fut arrachée par la République française, que faute d'avoir pu en passer un marché avantageux. Le peu d'attachement qu'ils témoignèrent au pays n'eut d'égal que l'indifférence du pays à leur égard. La maison d'Espagne, héritière des ducs de Bourgogne et souveraine naturelle des provinces, avait été populaire; celle d'Autriche, imposée à la nation par les convenances de l'Europe, ne le fut jamais. Le souvenir de Marie-Thérèse qui, jusqu'à nos jours, a subsisté dans le peuple, ne doit pas faire illusion. L'impératrice a tout simplement profité des circonstances qui firent de son règne une époque de relèvement économique, du prestige habilement exploité qu'elle dut à son sexe, à sa beauté et à ses malheurs, et surtout des sympathies qui s'attachèrent à Charles de Lorraine, son représentant à Bruxelles. L'absence perpétuelle des souverains, à laquelle on s'était accoutumé sous le régime espagnol, se perpétua sous le régime autrichien, si l'on ne tient pas compte de la visite rapide et incognito de Joseph II, en 1786. Au lieu d'une infante ou d'un infant, une archiduchesse résida au palais de Bruxelles. A une cour espagnole, succéda une cour allemande, et ce fut tout. D'ailleurs, celle-ci disparut sans laisser plus de traces que celle-là. L'Autriche a moins encore germanisé les Pays-Bas que l'Espagne ne les avait espagnolisés. Et rien n'est plus aisé à comprendre. Assemblage hybride de nationalités distinctes et hostiles les unes aux autres, l'Autriche en effet ne possédait pas de civilisation propre. Elle n'était qu'un Etat ou pour mieux dire un gouvernement, se contentant d'administrer le mélange de peuples que les vicissitudes de la politique européenne permettait à la maison des Habsbourg de grouper sous son sceptre, indifférent aux nations qu'il régissait pourvu qu'il les régît. La Belgique, entrée à son tour dans cet ensemble incohérent, n'eut avec son chef que des rapports administratifs. Il ne lui demanda guère que des impôts et des emprunts. Mais de bonnes finances étant impossibles sans une police exacte, il se préoccupa de bonne heure de perfectionner l'organisation du pays. Il faut reconnaître que l'activité de Vienne contrasta singulièrement en ceci avec l'apathie de Madrid, et que les efforts décousus ou impuissants d'un Grana ou d'un Gastanaga font mieux ressortir l'intelligence et l'habileté d'un Nény, d'un Cobenzl ou d'un Botta Adorno. Ils ont incontestablement fait beaucoup pour relever la Belgique de la déchéance où elle était tombée en 1717, au point de prospérité où on la voit remontée une cinquantaine d'années plus tard. Si bienfaisante qu'elle ait été, on se tromperait pourtant en attribuant à leur intervention des progrès qui sont beaucoup plus le résultat des circonstances et de l'initiative de la nation. Autant les conjonctures politiques avaient nui au régime espagnol, autant elles favorisèrent le régime autrichien. De l'avènement de Philippe III à la mort de Charles II, la guerre avait ravagé les Pays-Bas avec autant de constance que la paix les protégea de Charles VI à Joseph II. A part l'invasion française de 1744 à 1748, le règne des empereurs s'est écoulé pour eux dans un long repos. L'alliance de la France et de l'Autriche, en 1756, leur a même donné une sécurité qu'ils n'avaient plus connue depuis la minorité de Charles-Quint. Désormais, sûr du lendemain, le peuple se remet au travail avec toute l'ardeur de son tempérament laborieux. En quelques années, les maux dont il a souffert sont oubliés; l'agriculture se développe, le commerce et l'industrie se raniment. Le gouvernement de Vienne collabora sans doute a une renaissance dont il fut le premier a ressentir les heureux effets, mais si fort qu'il l'ait encouragée et soutenue, elle reste au fond l'œuvre des populations. Les chaussées, les canaux, les travaux publics de tout genre qui se multiplièrent depuis le règne de Marie-Thérèse et qui constituent encore aujourd'hui les premières assises de l'outillage économique de la Belgique, témoignent avant tout de la bonne volonté et de l'esprit d'entreprise des Etats provinciaux. Sorti de la longue misère dans laquelle il avait végété depuis le milieu du XVIIe siècle, le pays ne tarda pas à reprendre conscience de lui-même. La paix de Rastadt avait forcé l'Autriche à respecter son autonomie et, à mesure que grandit la vigueur de la nation, cette autonomie parut plus précieuse et l'on veilla plus jalousement sur elle. Dans le même temps où, vers la fin du règne de Marie-Thérèse, le despotisme éclairé et centralisateur de la cour de Vienne cherche à étendre ses prises sur la Belgique, celle-ci commence à revendiquer son indépendance. Viennent les mesures hâtives et maladroites de Joseph II, et elle se soulèvera contre l'Etat autrichien comme elle s'est soulevée au XVIe siècle contre l'Etat espagnol. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Illumination et Jeu d'artifice à Gand à l'occasion de l'inauguration de Charles VI en qualité de comte de Flandre (18 octobre 1717). Gravure de J. Harrewyn (vers 1600-après 1732). CHAPITRE PREMIER L'ETABLISSEMENT DU REGIME fECONTENTEMENT GENERAL. - Rien ne fut plus maussade et moins encourageant que les débuts du règne de Charles VI dans les Pays-Bas. L'acceptation du traité de la Barrière anéantissait l'espoir dont on s'était flatté depuis tant d'années, d'échapper, par l'avènement de la maison d'Autriche, à l'oppression des Provinces-Unies. La nation se crut victime d'une fourberie en apprenant que son nouveau souverain, au lieu de lui apporter la libération, consentait à l'occupation de ses forteresses, à la cession du Nord de la Flandre, et, au mépris des privilèges, la chargeait du payement des subsides destinés à entretenir sur son territoire les troupes de l'étranger. Tel était l'état des esprits, que l'on se serait cru à la veille d'une révolution. Les ecclésiastiques gémissaient sur les dangers que la présence d'une armée hérétique allait faire courir à la religion, les marchands, sur l'anéantissement prochain « du petit reste infortuné de commerce » qui subsistait (3). Si les uns exhortaient l'empereur à secouer le joug de la Hollande et à tirer l'épée (4), la plupart ne cachaient pas la rancune et le mépris qu'il leur inspirait. Dans les barques et les voitures publiques, dans les cafés et les assemblées, gens de peuple et gens de qualité, fonctionnaires et magistrats parlaient de Sa Majesté impériale et royale « comme on ne parlerait pas d'un tambour» (5). On n'était pas sans ignorer que la France, inquiète du traité de la Barrière, proposait à La Haye d'y substituer une déclaration de neutralité perpétuelle au profit de la Belgique, « de manière que quelque événement qui arrive, ce même pays soit toujours exempt V«-t»Ioo" MlddelboinH Bruges Nicof <1.4 'Qrand p S ai gît ru rie \ 'Ida mallneft' Knoclie .ouvainf ^Courtroi^audejmerdeJ^ Warncionï "'■Stlzoadl HÉpp ) neecwlndfn Jtocour, Qcmblou* Bèlfiunc INoinur] 'bcnçonLji .ffaK .Cambrai [Marieiibour<|j Bltl/ourg, MézIèreslMBoûjnonl \ffeurchateau des malheurs de la guerre, et qu'elle ne puisse en aucun cas être portée de quelque part que ce soit, et qu'aucun autre pays ne puisse pareillement être attaqué par les Pays-Bas» (6). La réalisation de ce projet eût comblé les espoirs de la nation. Rien d'étonnant si le bruit qui en courut ramena aussitôt à la France d'ardentes sympathies. Elles allèrent si loin que les plus exaltés s'entretenaient ouvertement de l'éventualité d'une révolte, déclarant que si le régent voulait seulement leur envoyer 2,000 hommes et un chef, ils se faisaient fort de provoquer une prise d'armes et le massacre des troupes de Sa Majesté et de celles des Etats-Généraux. Les mauvais souvenirs du « régime anjouin » s'étaient évanouis. On allait jusqu'à préférer à la domination autrichienne un retour à la domination française. « L'esprit des Flamands, écrivait de Bruxelles le marquis de Rossi, serait de ne pas balancer un moment à éclater s'ils voyaient jour à être soutenus par la France... et il n'y a qu'une voix même publique sur ce chapitre, qui va jusques à marquer que la France perd la plus belle occasion qu'elle aura jamais d'acquérir ces provinces » (7). Le comte de Kônigsegg, ministre plénipotentiaire de l'empereur à Bruxelles, accoutumé au servilisme viennois, ne comprenait rien aux fureurs déchaînées autour de lui. Il se bornait à répondre « qu'il fallait s'accommoder et laisser l'exécution du traité (de la Barrière), selon la volonté du maître, n'étant pas permis aux sujets de pénétrer dans ses raisons » (8). Mais ils étaient si résolus à y pénétrer que, dès le mois de décembre, les Etats de Les Pays-Bas en février 1716. Au moment de la signature du traité d'Utrecht, quatre pouvoirs, on l'a vu, se les partageaient : l'Autriche administrait le Limbourg; la Conférence des puissances maritimes la Flandre, le Brabant et Malines, Maximilien-Emmanuel, le Namurois et le Luxembourg; les Provinces-Unies occupaient enfin le Hainaut, les pays cédés par Louis XIV, le Tournaisis et la Westflandre, ainsi que la Gueldre espagnole. (Voyez le texte de Pirenne, p. 102.) En décembre 1715, le comte de Kônigsegg prend possession du Namurois et du Luxembourg au nom de Charles VI. En février-mars 1716, le Brabant, la Flandre, Malines, le Hainaut, Ruremonde et la Oueldre sont cédés par les Hollandais. C'est cette situation qu'illustre la présente carte. Le Tournaisis et la Westflandre ne passeront aux mains de l'empereur qu'en août 1719. La principauté de Liège est indépendante. Une situation aussi embrouillée caractérise la carte politique des Pays-Bas en 1711 (celle-ci est reproduite plus haut, p. 73). Flandre et ceux de Brabant avaient décidé de porter leurs plaintes à Charles VI (9). Reçus par lui au mois de février 1716, ils durent l'étonner par leur langage. Pour la première fois, il se trouvait devant des gens qui opposaient leurs privilèges à sa souveraineté, leurs intérêts aux siens, lui déclaraient que, sans le consentement de leurs Etats, il n'avait pas le droit de démembrer leur pays, et se réclamaient enfin de la paix de Rastadt qui garantissait les libertés des Pays-Bas. Il eut le bon esprit de les écouter gracieusement, et la finesse de profiter de l'audience. Au lieu de leur répondre en maître, il se donna à eux comme un bon père. Il reconnut qu'il avait affaire aux délégués d'un peuple entêté de son autonomie, accoutumé depuis des siècles à distinguer ses droits de ceux du souverain, et auquel rien n'était plus odieux que la théorie de l'Etat-providence ou le régime du bon plaisir. POLITIQUE DE CHARLES VI. - Il devait s'en souvenir pendant tout son règne. Le programme qu'il s'imposa, et qui demeura longtemps en vigueur après lui, peut se définir assez exactement un monarchisme opportuniste. L'utilisation des Pays-Bas au profit de la maison d'Autriche, par l'accroissement constant des prérogatives de la couronne, tel est le but visé. Mais on ne tendra vers ce but, que par les détours d'une politique évitant soigneusement tout éclat, se gardant de froisser les susceptibilités nationales, cédant quand il le faut, pour revenir au bon moment sur les concessions, et toujours attentive sous le respect apparent des formes, à empiéter sur le fond. L'empereur n'entend pas se contenter du rôle des derniers rois d'Espagne, réduits par leur faiblesse à régner sans gouverner. S'il le pouvait, il rétablirait sans hésiter le « régime anjouin ». Mais la prudence le lui interdit. Il n'écoutera pas les conseils de Kônigsegg, qui ne voit d'autre moyen pour rétablir l'ordre dans les provinces, mettre fin au gaspillage des finances, étouffer le mécontentement et « l'esprit républicain », qu'un gouvernement capable « de se faire respecter et craindre » (10). En apparence, mais en apparence seulement, il reprendra la tradition espagnole. Rien de plus naturel que cette attitude puisque, jusqu'en 1725, il persiste à prétendre sous le nom de Charles III, au titre de roi d'Espagne (11), et que, pour être conséquent avec lui-même, il doit se donner à ses sujets des Pays-Bas comme le successeur des rois catholiques. Lorsqu'enfin il cessera de disputer à Philippe V une couronne que l'Europe refuse de lui accorder, personne en Belgique ne remarquera que le régime espagnol s'est mué en régime autrichien. Des deux souverains qu'il réunit en lui-même, le premier a ouvert les voies au second : Charles III a travaillé pour Charles VI; au moment où il s'absorbe en lui, la transition est faite. Dès le commencement du règne, toutes les précautions avaient été prises pour la préparer. Un Conseil Suprême des Pays-Bas avait été organisé à Vienne, le 1er avril 1717, sur le modèle de celui qui, pendant si longtemps, avait existé à Madrid (12). Il se composait de quatre ministres, dont deux choisis dans les Pays-Bas, d'un secrétaire et de cinq oficiales, chargés de dresser, en langue espagnole, les patentes qui en émanaient. Au reste, ce Conseil ne fut jamais qu'une simple façade derrière laquelle se dissimulait la réalité autrichienne. Aussi longtemps qu'il subsista, il dut se borner à exécuter et à dépêcher les résolutions arrêtées dans la chancellerie impériale. On ne s'aperçut de sa disparition, en 1757, que par l'économie des 120,000 florins qu'il coûtait annuellement (13), et par la disparition finale du castillan comme langue officielle dans les Pays-Bas. Le choix d'un gouverneur était chose plus importante et plus indispensable au maintien de la tradition. Dès 1709, Charles VI avait songé à désigner le prince Eugène. La régence des alliés l'obligea à attendre jusqu'au 25 juin 1716 pour expédier les lettres qui lui conféraient cette dignité, aux mêmes gages et avec les mêmes attributions qu'au temps « de nos glorieux prédécesseurs, les rois d'Espagne» (14). La nomination de l'illustre soldat ne fut d'ailleurs qu'une satisfaction platonique donnée à l'opinion. Jamais Eugène ne devait s'installer à Bruxelles. Il ne porta que le titre de ses fonctions, et ni lui ni l'empereur ne paraissent avoir songé qu'il en pouvait être autrement. Le vainqueur de la France et des Turcs n'était pas homme à discuter avec des mécontents, à parlementer avec des Etats, à distribuer des sourires à tout venant au profit de la maison d'Autriche. Il n'était pas du métal dont on fait les instruments politiques. On pouvait craindre également, s'il arrivait à Bruxelles, qu'il provoquât un éclat dangereux ou, ce qui eût été plus déplorable encore, qu'il voulût se faire le protecteur de ses administrés. Le meilleur service qu'il pût rendre à l'empereur était de lui abandonner son nom pour en flatter les provinces. A sa place, devait figurer un simple ministre plénipotentiaire. Le marquis de Prié, qui fut promu à ce poste (15), passait à Vienne pour un habile homme. Il appartenait à cette classe d'agents politiques qui n'ont de volonté que pour obéir, d'ambition que celle des récompenses, et dont le génie consiste à deviner les desseins de leur maître, certains d'être désavoués s'ils échouent, mais de faire profiter leur fortune du succès s'ils réussissent. Ce Savoyard entré au service de l'Autriche avait alors cinquante-huit ans. Le mérite qu'on lui attribuait d'avoir amené le pape, en 1709, à reconnaître Charles VI comme roi d'Espagne, lui valut sans doute la tâche délicate d'instaurer le nouveau régime dans les Pays-Bas. Mais il ne devait arriver (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) (Cliché Wolfrum.) Charles VI (1685-1740), second fils de Léopold Ier, empereur de 1711 à 1740. Portrait peint par Jean-Godefroid Auerbach (Mtilhausen (Thuringe), 1697-Vlenne, 1753). à Bruxelles qu'après avoir passé par La Haye. L'empereur avait résolu d'employer ses talents diplomatiques à une revision du traité de la Barrière. Il savait que rien ne contribuerait davantage à calmer les esprits en Belgique, et s'imaginait que si Prié réussissait à obtenir quelques concessions, on pourrait bien augurer de l'avenir. NEGOCIATIONS AVEC LA HOLLANDE. - Il eut bientôt la satisfaction d'apprendre que ses espoirs se réalisaient. Après des pourparlers menés avec adresse, le marquis parvint à obtenir l'adhésion des Etats-Généraux à une conférence qui s'ouvrit à Bruxelles à la fin de l'année 1716. Partagés entre le désir de ne pas céder et la crainte d'une rupture avec l'empereur, les Etats firent traîner les négociations durant deux ans. Enfin la ténacité de Prié triompha de leurs atermoiements. Le 22 décembre 1718, il put faire sa cour à Charles VI de la convention assez favorable qu'il finit par leur arracher (16). Elle réduisait des quatre cinquièmes environ EVACUATION DE LA BELGIQUE. - Il s'agissait, tout d'abord, de réunir les morceaux du pays que les événements des dernières années (Gand, Musée archéologique.) (Cliché Bijtebier.) Poignée d'épée de ville du XVIIIe siècle. (Amsterdam, Rijksmuseum.) Corps de garde d'oKiciers hollandais, première moitié du XVIIIe siècle. Gravure de Jean Punt (Amsterdam, 1711-1779) et de P. Tanjé (Bolsward, 1716-Amsterdam, 1761) le territoire cédé dans le Nord de la Flandre. Quant au subside affecté à l'entretien des garnisons, il était assigné désormais, jusqu'à concurrence de 500,000 écus, sur les pays rétrocédés par la France et pour le reste sur les bureaux des droits d'entrée et de sortie. Sans doute, la charge restait lourde, mais c'était beaucoup que d'avoir récupéré quelques lieues carrées sur les Provinces-Unies et rendu aux Etats de Flandre et de Brabant la liberté du vote de leurs subsides. Il eût été impossible d'exiger davantage dans les circonstances présentes. L'empereur se résigna donc à supporter l'humiliation de la Barrière et le pays à en subir les vexations. Jusqu'au milieu du règne de Marie-Thérèse, les troupes hollandaises ne se bornèrent pas à absorber le tiers des recettes du gouvernement, elles furent encore pour les villes qu'elles occupaient, une cause permanente de tracasseries et de conflits. Atteintes portées au sentiment catholique des populations, usurpations sur les prérogatives des magistrats et sur les privilèges des métiers, brutalité ou manque de tact des commandants, bagarres entre militaires et bourgeois, rien ne manque à la série des griefs mesquins mais irritants qu'elles accumulèrent contre elles comme à plaisir. Elles se contentèrent au surplus de se faire entretenir dans l'oisiveté, indolentes au point de laisser tomber en ruines les remparts des places. Leur incapacité ou pour mieux dire leur lâcheté lors de l'invasion française de 1744, acheva de les rendre tout à fait odieuses en les déshonorant. A tout prendre, le seul résultat de la Barrière fut d'augmenter encore l'hostilité que la différence des religions avait fait naître, depuis la fin du XVIe siècle, entre les Belges et les Hollandais (17). L'habileté dont le marquis de Prié venait de donner des preuves en négociant avec les Etats-Généraux ne devait pas se soutenir dans la partie la plus difficile de sa tâche, c'est-à-dire dans la reconstitution d'un gouvernement régulier aux Pays-Bas. Ce diplomate manquait de l'expérience, des connaissances et des qualités qui font le bon administrateur. C'était avant tout un homme de cabinet, s'absorbant dans la lecture et la rédaction de rapports ou de dépêches, assez bien doué, semble-t-il, pour les opérations de police, mais n'ayant ni la capacité, ni le goût d'étudier et de comprendre le maniement d'un Etat et moins encore celui d'un peuple. On doit reconnaître d'ailleurs qu'il avait à remplir une mission singulièrement ardue. avaient pour ainsi dire mis en pièces. Au moment de la signature de la paix d'Utrecht, quatre pouvoirs, on l'a vu, se les partageaient; l'Autriche administrait le Limbourg; la Conférence des puissances maritimes, la Flandre, le Brabant et Malines; Maximilien-Emmanuel, le Namurois et le Luxembourg; les Provinces - Unies occupaient enfin le Hainaut, les pays cédés par Louis XIV, le Tournaisis et la West-flandre, ainsi que la Gueldre espagnole. Dès le 2 novembre 1714, Charles VI avait chargé le comte de Kônigsegg de prendre possession en son nom de cet amalgame de territoires, aussitôt que le traité de la Barrière (15 novembre 1715) l'aurait mis à sa disposition. Maximilien-Emmanuel ne souleva aucune difficulté. Au mois de décembre, il déliait les habitants de ses deux provinces de leur serment de fidélité et en retirait ses troupes. Les Provinces-Unies ne furent pas d'aussi bonne composition. Elles abandonnèrent, il est vrai, au mois de février 1716, le Brabant, la Flandre, Malines et le Hainaut, et cédèrent Ruremonde, avec la partie de la Gueldre qu'elles détenaient, au mois de mars suivant. Mais il fallut attendre jusqu'au 22 août 1719 pour qu'elles se résignassent à quitter le Tournaisis et la Westflandre. maison L'empereur lui-même avait contribué par une mesure maladroite à compliquer encore les difficultés de son entrée en jouissance. Il avait eu la mauvaise idée de concéder secrètement en fief le Limbourg à son oncle l'électeur palatin Jean-Guillaume de Neubourg (18). C'était violer à la fois l'article 2 du traité de la Barrière, qui stipulait le maintien de l'intégrité des Pays-Bas, ainsi que la Joyeuse-Entrée, dont l'article 12 garantissait l'union perpétuelle du Limbourg et du Brabant. Devant les protestations des Etats-Généraux et de ceux du Brabant, Charles VI fut contraint d'obtenir, moyennant le payement d'un million de florins, le désistement de l'électeur. Le rassemblement des membra disjecta de la Belgique sous le sceptre autrichien se trouva enfin terminé dans le courant de 1719. Aux dix provinces anciennes (Brabant, Flandre, Hainaut, Namur, Luxembourg, Limbourg, Gueldre, Malines, Tournai et Tournaisis) dont elle se composait depuis la cession de l'Artois à Louis XIV, s'en ajouta, l'on verra pourquoi, une onzième, la Westflandre. Quant aux limites extérieures, elles ne devaient plus subir de modifications jusqu'aux conquêtes de la République française. Aujourd'hui encore, elles déterminent dans sa plus grande partie le dessin des frontières qui séparent le royaume de Belgique de la France et de la Hollande (19). Quelle organisation allait recevoir le territoire ainsi reconstitué ? Du gouvernement central que la d'Espagne avait respecté, tel à peu près que Charles-Quint l'avait établi, le « régime anjouin » puis la Conférence des alliés n'avaient rien laissé debout. Les institutions provinciales, garanties par les privilèges, subsistaient, il est vrai, mais on n'en était plus à compter les atteintes qui leur avaient été portées durant l'occupation étrangère. Si l'empereur avait écouté le marquis de Prié, il se fût empressé de leur porter le coup de grâce. En bon serviteur de l'absolutisme, son ministre s'efforçait de le persuader que « le pays devait perdre ses privilèges ou que ses privilèges le perdraient », qu'ils ne servaient qu'à entretenir l'agitation d'un « peuple bizarre et remuant porté naturellement à la nouveauté et au mouvement », qu'ils empêcheraient toujours la couronne de tirer aucune ressource des provinces. La Joyeuse-Entrée surtout lui faisait horreur. Il n'y voyait qu'une « constitution mauvaise et dangereuse », dont le maintien aurait l'abominable conséquence de donner au Brabant « autant de liberté et d'indépendance que le parlement et la chambre basse d'Angleterre» (20). lui avait montré le prix qu'ils y attachaient. Qu'arriverait-il s'ils s'adressaient à l'Europe pour le forcer à respecter sa parole ? Le plus sage était sûrement de s'exécuter, mais de s'exécuter en s'en tenant étroitement au texte des obligations prises. Or, celui-ci établissait une distinction entre les pays jadis possédés par l'Espagne et ceux qu'avait restitués Louis XIV. Dans les uns comme dans les autres, la jouissance des privilèges devait subsister aux conditions où elle existait avant la paix de Ryswyck. Dès lors, l'empereur n'était tenu qu'à conserver aux premiers ce que leur avait octroyé le roi d'Espagne, et à laisser les seconds dans la situation que leur avait faite le roi de France. Il se fit donc inaugurer suivant la coutume traditionnelle comportant la reconnaissance des privilèges, à Luxembourg, en Brabant et en Limbourg, en Flandre, dans le Namu-rois, en Hainaut et dans la seigneurie de Malines. Malgré l'avis de Prié, il dut bien agir de même à Tournai et dans le Tournaisis, auxquels Louis XIV avait garanti lors de la capitulation de 1667, le maintien de leurs institutions (22). Mais il se garda de toucher au régime que la conquête française avait imposé à la Westflandre. Malgré ses supplications, il eut soin de ne point rendre à Ypres, sa capitale, le rang et les prérogatives dont elle avait joui jadis comme quatrième membre de Flandre. Cette ville ne fut plus désormais que le chef-lieu d'une province aussi REFORME DU GOUVERNEMENT. — Au fond Charles VI pensait comme lui. Mais la prudence le retenait sur la voie où le « génie avantageux et audacieux » (21) du marquis voulait l'entraîner. Pouvait-il oublier qu'il s'était engagé par la paix de Rastadt à conserver les libertés existantes ? Son entrevue avec les députés des Etats de Brabant et de Flandre (Bruxelles, Hûtel de Ville.) (Cliché A.C.L.) Allégorie relative à l'inauguration de l'empereur Charles VI en qualité de duc de Lothier, de Brabant et de Limbourg (11 octobre 1717). L'inauguration eut lieu, selon le cérémonial d'usage, sur un théâtre dressé à la Cour, raconte l'abbé Mann. L'empereur est assis entre la Force et la Justice qui soutiennent la couronne. Devant lui, deux femmes lui présentent le Sceptre et la Croix, symboles des pouvoirs temporels et spirituels. Des guerriers à l'antique, des femmes et des enfants entourent l'estrade. Cette tapisserie, signée [Urbain] Leyniers (Bruxelles, 1674-1747) et [Henri II] Reydams (Bruxelles, 1650-1719), fut exécutée dans un laps de temps très court puisque l'accord conclu entre les deux tapissiers et les Etats de Brabant date du 19 octobre 1717 et l'ordonnance de payement, qui se chiffrait à 2.839 florins 8 sous en monnaie de change, du 10 mai 1718. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté III, 67293, C.) Frontispice du « Luyster van Brabant ». L'ouvrage s'intitule Den luyster ende glorie van het hertoghdom van Brabant (titre et préface également en français et en espagnol). Il a été publié à Bruxelles, sans date [1699]. Ce recueil, imprimé aux frais des neuf «nations » de la ville de Bruxelles, renferme les privilèges généraux du duché de Brabant et les privilèges particuliers de la ville de Bruxelles. Le livre se divise en trois parties à pagination indépendante : origines du duché (jusqu'à 1383), la maison de Bourgogne (1383-1476) et la maison d'Autriche (1477-1666). Sa rédaction fut en quelque sorte imposée aux « nations » par les circonstances : le bombardement de Bruxelles par Villeroy, en 1695, avait détruit la tour dépendant de la maison des orfèvres où étaient déposés les parchemins originaux des chartes et privilèges délivrés par les ducs à la ville. Un certain nombre furent retrouvés et les représentants des « nations » groupant tous les métiers de Bruxelles décidèrent de les faire imprimer. De cette façon, ils pouvaient prévenir tout abus du pouvoir central et transmettre à leurs successeurs les titres juridiques et les franchises du duché et de la ville. L'édition de ces textes est défectueuse en maints endroits. La gravure de frontispice représente les délégués des neuf « nations » faisant hommage du Luyster... au roi d'Espagne régnant, Charles II. Elle est l'œuvre de J. Har-rewyn (vers 1660-après 1732). étroitement subordonnée au gouvernement de Bruxelles qu'elle l'avait été depuis 1678 (paix de Nimègue) à l'intendant français de la Flandre Maritime. Aussi longtemps que dura le régime autrichien, ses habitants jurèrent fidélité à l'empereur sans en recevoir en retour aucun engagement. Ils ne récupérèrent point le droit de consentir aux impôts. Le sort qui leur fut fait montre bien que l'Autriche, libre d'agir à sa guise, eût été tout droit à l'absolutisme; mais elle s'était lié les mains à Rastadt, et force lui fut de ne l'implanter que dans un coin des Pays-Bas. L'augmentation du nombre des provinces n'eut d'autre cause que son désir de réduire le champ des privilèges. Restait la question du gouvernement central. Ici, l'empereur n'était tenu à rien, n'ayant pris aucun engagement. Par bonheur pour lui, les provinces, divisées par le particularisme que la Conférence des alliés avait laissé se développer dans chacune d'elles, étaient incapables de s'entendre pour exiger de leur nouveau souverain des garanties collectives. Personne ne songea à demander une réunion des Etats-Généraux. On laissa s'échapper l'occasion qui s'offrait d'unir la nation en un même effort, et Charles VI put sans obstacle combiner ses plans. Prié aurait voulu qu'il rétablît purement et simplement la centralisation de Philippe V. A ses yeux, le gouvernement ne devait être qu'un instrument docile, manié par des hommes nouveaux ayant tout à attendre du souverain, et dont l'intérêt garantirait la fidélité. Parvenu lui-même grâce à ses services, il se défiait de la grande noblesse, qu'il jalousait et dont il se sentait méprisé. C'était malgré lui que le duc d'Ursel, le prince de Rubempré, le comte de Lannoy étaient entrés dans la « junte provisionnelle de gouvernement » (junta del gobietno) qu'il avait reçu l'ordre d'établir le 11 janvier 1717. A l'en croire, les grands seigneurs du pays manquaient de « respect », cherchaient à se faire parmi le peuple une popularité dangereuse, et il allait jusqu'à insinuer qu'ils ne demandaient qu'à fomenter une nouvelle révolution à la mode du XVIe siècle, et qu'ils s'efforçaient de faire écarter les régiments allemands comme leurs ancêtres avaient fait écarter les régiments espagnols, pour être libres de comploter à l'aise en s'appuyant sur les Etats de Flandre et de Brabant (23). L'empereur crut habile cependant de donner des gages de confiance à la haute noblesse, qu'il se flattait de rallier ainsi à sa maison. Le système de gouvernement qu'il institua le 29 mars 1718 (24), apparaît comme une sorte de compromis entre le régime établi par les alliés en 1706, et le « régime anjouin». Du premier, il reprit le Conseil d'Etat unique où il appela, à côté des conseillers de robe longue, un certain nombre de grands seigneurs; au second, il emprunta l'essentiel de son organisation financière : un directeur général pris parmi les ministres du Conseil d'Etat, et assisté de trois intendants fixés à Bruxelles et de quatre subdélégués ou intendants de province, tous soumis à l'action directe du souverain. Cette construction bâtarde, qui cherchait à dissimuler l'intervention immédiate de la couronne par l'association de la noblesse nationale au gouvernement, révéla sa faiblesse dès le premier jour. Il était trop évident que l'indépendance et l'amour-propre des grands seigneurs ne leur permettraient jamais de se confiner dans le rôle de simples fonctionnaires. Entre eux et les hommes de robe longue, l'opposition était irréductible. Leurs traditions féodales leur faisaient un devoir de servir à l'armée, mais leur imposaient dans un conseil la plus incommode liberté d'allures. Aussi, les rois d'Espagne avaient-ils eu grand soin de réduire peu à peu le Conseil d'Etat, dont ils ne pouvaient les exclure, au rang d'une simple institution de parade, et de réserver l'autorité effective au Conseil privé et au Conseil des finances (25). En rappelant le premier à la vie et en l'y rappelant seul, Charles VI commettait une faute qu'il ne devait pas tarder à déplorer. Entre Prié et le Conseil d'Etat des froissements se produisirent dès le début, qui se transformèrent rapidement en lutte ouverte. Ils étaient déjà si graves au mois de janvier 1719, qu'il fallut enlever au Conseil toute juridic- tion, le contraindre à ne délibérer que sous la présidence du ministre et le borner à un pouvoir purement consultatif. Cette mesure n'eut d'autre résultat que d'exaspérer la noblesse. Plus que jamais le marquis se plaint du mauvais vouloir qu'elle lui montre; de ce que la pluralité de ses voix soit toujours opposée aux avis qu'il donne, des cabales et des intrigues dont il est victime. Il considère le comte de Mérode et le prince de Ligne comme ses ennemis personnels; il les accuse de méditer une conspiration; il se représente, au milieu des déboires dont on l'abreuve, « comme un vrai martyr de son devoir et de son zèle » (26). De son côté le Conseil d'Etat lui reproche aigrement son manque d'égards. Les seigneurs qui y siègent s'indignent « de n'avoir à traiter que de bagatelles de nulle conséquence, de n'être consultés que quand Prié ne veut rien faire ou quand il veut, étant sûr de leur avis » (27). Ils sont furieux encore de la méfiance qu'il affiche pour les gens du pays, dont aucun n'est employé ni dans sa chancellerie, ni dans la secrétairerie d'Etat et de guerre (28). Rien d'étonnant si, lors de la brouille qui éclata, en 1724, entre lui et cet extraordinaire comte de Bonneval, alors au service de l'empereur à Bruxelles, presque toute la noblesse ait soutenu passionnément ce dernier. Il fallut l'intervention du prince Eugène pour sauver Prié et le débarrasser de son ennemi, qui fut envoyé au Spiel-berg (29). C'en est assez pour montrer l'échec des projets gouvernementaux de Charles VI. En réalité, ils n'aboutirent qu'à une anarchie telle, qu'il fut impossible d'exécuter la réorganisation financière qu'ils comportaient. Les intendants, dont le nom était resté odieux depuis Philippe V, ne furent jamais nommés. Tout le poids de l'administration reposa sur Prié et ses secrétaires. Au lieu de collaborer à la réalisation des vues de l'empereur, le Conseil d'Etat se lança dans une opposition d'autant plus dangereuse qu'il se sentait soutenu par l'opinion publique. Peut-être même ne fut-il pas tout à fait étranger à la longueur et à la violence des troubles qui avaient éclaté à Bruxelles au mois d'avril 1717. IMPOPULARITE DE PRIE. — L'indignation générale contre le traité de la Barrière, la détresse économique, l'ébranlement de l'autorité à la suite des perturbations politiques si nombreuses qui s'étaient succédé depuis la mort de Charles II, furent autant de conditions favorables à ce dernier sursaut de la vie municipale. Il profita encore du petit nombre des troupes autrichiennes dans les Pays-Bas, et de la répugnance de l'empereur à inaugurer son règne par des mesures de rigueur. Comme d'habitude, ce fut une demande de subsides qui mit le feu aux poudres. Déjà sous l'administration du comte de Kônigsegg, des difficultés avaient surgi à ce sujet à Anvers et à Bruxelles. Kônigsegg, inquiet d'une résistance qu'il attribuait à « l'esprit républicain », avait cédé. Sa faiblesse avait naturellement enhardi la résistance. On s'en aperçut dès la première pétition d'impôts adressée par le marquis de Prié aux Etats de Brabant. Les « nations » de Bruxelles y opposèrent un refus inébranlable. Prié recourut alors à un expédient traditionnel dans ce genre de conflits : il renouvela le magistrat. Au lieu de remédier à la situation, cette mesure l'aggrava en rouvrant l'épineuse question des privilèges. Depuis la publication du Luyster van Brabant (1699), ceux-ci se trou- vaient dans toutes les mains, et leur lecture enthousiasmait les artisans, incapables de comprendre que le retour de l'autonomie communale, telle qu'elle avait existé au moyen âge, était impossible. Etonnés et ravis tout à la fois de l'importance politique dont leurs ancêtres avaient joui au XV0 siècle, ils se persuadaient naïvement que sa disparition n'était due qu'à la violence et à l'arbitraire, et ils ne doutaient point que le droit n'en exigeât le rétablissement. Ainsi disposés, les doyens des « nations » refusèrent de présenter au ministre la liste des candidats parmi lesquels devaient être choisis leurs successeurs, avant qu'un édit porté en 1704 sur l'administration économique de la ville n'eût été rapporté. Mais, lorsque Prié y eut consenti, les nouveaux doyens déclarèrent qu'ils ne prêteraient pas serment au règlement imposé à la ville par Maximilien-Emmanuel en 1700. Cette fois, il était impos- 12 a ij. . ^ -. û-muUHi y-*> iuuju^ fcf-yj/.t^ejto iauXC, Mx^ l'&Jtlli* Ou.^ (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Conseil de Brabant, n° 956.) Copie contemporaine du jugement condamnant François Anneessens à la peine capitale (9 septembre 1719). La copie est transcrite dans les registres du Conseil de Brabant qui condamna Anneessens comme criminel. HISTOIRE DE BELGIQUE (Musée de Mariemont.) Assiette aux armes du comté de « Nameur » importée d'Asie par une « Compagnie des Indes ». Porcelaine de Chine. L'on n'a pas acquis la preuve que cette assiette ait été importée par la Compagnie d'Ostende, mais le décor qui borde l'objet atteste un art typiquement chinois. Par contre, l'écu du comté de Namur, de facture grossière, a dû être décoré dans les Pays-Bas. Le musée de Mariemont en possédé quelques autres exemplaires et le musée de Croix à Namur conserve une assiette de même type. TROUBLES DE BRUXELLES. - Mais les quelques centaines d'honnêtes artisans qui croyaient sincèrement possible, au commencement du XVIII" siècle, la reconstitution du moyen âge, et auxquels le Luyster van Brabant montait la tête, s'aperçurent aussitôt que le mouvement qu'ils s'imaginaient diriger leur échappait et les débordait. Ce n'était pas devant eux que le marquis de Prié avait reculé, c'était devant la foule des apprentis, des ouvriers et des vagabonds qui, à Bruxelles comme à Liège, leur venaient à la rescousse. Complètement indifférents à la question des privilèges, ces pauvres gens n'en voulaient en réalité qu'au gouvernement, soutien d'un ordre social auquel ils reprochaient leur misère. Il n'y avait rien de commun entre leurs appétits, leurs aspirations à un sort meilleur, le mécontentement vague et redoutable enfin qui les soulevait, et l'archaïsme politique dans lequel se confinaient les « nations ». Depuis plusieurs mois déjà, ils (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Hercule-Joseph Turinetti, marquis de Prié, ministre plénipotentiaire dans les Pays-Bas de 1716 à 1724. Gravure anonyme extraite du recueil factice intitulé Princes, souverains et gouverneurs généraux des Pays-Bas, p. 63. sage d'accepter une dernière humiliation. Le 19 juillet 1718, il faisait proclamer sur la Grand'Place que, conformément à l'acte de 1481, les décrets du Conseil de Brabant étaient abolis. Le représentant de l'empereur capitulait donc devant les « nations ». Elles purent croire qu'il leur sacrifiait bénévolement les empiétements que depuis plus de deux siècles le prince avait opérés sur leurs franchises, et qu'il les ramenait au bon temps de Marie de Bourgogne et de Maximilien. sible de céder encore sans compromettre de façon irrémédiable le prestige du gouvernement. Le Conseil de Brabant fut saisi de l'affaire et condamna les doyens à s'exécuter. Tout s'était passé jusque-là suivant les formes légales. L'émeute se préparait pourtant au sein de la bourgeoisie. Elle éclata dès que le premier doyen, obéissant à la sentence du Conseil, eut prêté serment. Prié n'osa donner l'ordre à la garnison de tirer sur la foule. Le Conseil d'Etat et les Etats de Brabant lui recommandaient la patience, et il craignait d'être blâmé par l'empereur s'il faisait couler le sang. Des troubles qui venaient d'éclater à Anvers et à Malines achevèrent de le déconcerter. Il capitula de nouveau, et permit aux doyens de s'en tenir pour le serment à l'usage aboli en 1700. C'était donner raison aux « nations » contre le Conseil de Brabant. Et aussitôt elles exigèrent, avec l'impitoyable logique d'une opposition triomphante et sûre de son droit, l'annulation de l'arrêt rendu contre les doyens. Elles allèrent plus loin encore. Puisque le règlement de Maximilien-Emmanuel était aboli, pourquoi n'en serait-il pas de même de toutes les restrictions mises depuis la fin du XV" siècle aux franchises de la ville ? Le Luyster van Brabant renfermait une déclaration des Etats de Brabant défendant d'obéir à tous ordres contraires aux privilèges du pays (30). Cette déclaration remontait, il est vrai, à 1481, et l'on n'en avait jamais tenu compte. Mais comme les métiers de Liège, « les nations » de Bruxelles fondaient leurs prétentions sur le passé. Le vieux titre enfin échappé aux archives de la « tour bleue » ne leur laissait de doute ni sur la légitimité de leurs réclamations, ni sur la perfidie du pouvoir qui, durant si longtemps, avait violé ce qu'elles considéraient, avec une entière bonne foi, comme la légalité. Leur attitude paraissait si décidée que Prié crut emplissaient la ville de leur bruit et de leurs violences. Martène et Durand, qui passèrent par Bruxelles à cette époque, y avaient trouvé la bibliothèque des jésuites barricadée, crainte de pillage (31). La dernière reculade du ministre devant les « nations », au lieu d'apporter le calme à la ville, la livra à la populace. Le soir même, des bandes envahissaient la chancellerie de Brabant, plusieurs maisons d'échevins, les maisons du député ecclésiastique et du pensionnaire des Etats. Il fallut briser les roues des canons placés sur les remparts pour empêcher les révoltés de s'emparer de cette artillerie. Ce déchaînement de brutalité eut un double résultat. Il effraya les bourgeois aisés et permit à Prié d'agir avec énergie. Deux bataillons vinrent de Termonde et de Rure-monde grossir la garnison de Bruxelles. L'ordre se rétablit. Le 16 septembre 1718, les doyens accordaient l'impôt sans difficulté. Le moment de la répression allait sonner. L'empereur, indigné de l'obstination des bourgeois, exigeait maintenant que l'on poursuivît les coupables avec la dernière rigueur et qu'on y employât « le fer et le feu avec persévérance » (32). Ce ne fut pourtant qu'au mois de mars suivant que Prié fit arrêter les doyens les plus compromis. Le Conseil de Brabant instruisit lentement leur procès. La sentence qu'il rendit au mois de septembre, condamnait l'un d'entre eux, François Anneessens, à la peine capitale et les autres au bannissement. FRANÇOIS ANNEESSENS. — Avec Anneessens se clôt la sanglante série des bourgeois morts victimes de leur attachement aux libertés municipales. De même que dans aucun pays la civilisation urbaine ne s'est aussi largement épanouie qu'en Belgique, de même aussi elle ne présente nulle part ailleurs un martyrologe aussi abondant. Du bûcher du prêtre Ramihrdus au XI" siècle (33), jusqu'à l'échafaud du doyen de Bruxelles en 1719, s'al- longe une succession ininterrompue de héros populaires, de démagogues, de politiciens que la défense des privilèges a fait tomber sur les champs de bataille, massacrer dans les émeutes ou exécuter sur l'ordre du prince. A l'époque où les villes luttaient d'égal à égal avec les princes, presque tous leurs « capitaines » ont péri de mort violente. A partir du moment, au contraire, où l'Etat commence à triompher, et où sa puissance grandissante condamne à un échec certain leurs efforts désespérés, c'est l'appareil judiciaire qu'il met en mouvement pour faire tomber les têtes d'adversaires qui ne sont plus à ses yeux que des conspirateurs ou des perturbateurs du repos public. Comme Renardi et Macors à Liège en 1684, Anneessens a été condamné à Bruxelles en 1719 par un tribunal régulier, à titre de criminel. Pourtant personne ne fut moins révolutionnaire et moins violent que cet honnête fabricant de chaises, excellent père de famille, bourgeois honorable et respecté, doyen de sa « nation » et maître de la fabrique d'église de l'hôpital Saint-Jean. La conviction seule qu'il défendait les droits les plus sacrés de ses concitoyens lui fit prendre la direction de leur résistance. « Les réponses qu'il fit, écrit Prié, prouvent qu'il s'était figuré qu'il ne pouvait être condamné pour avoir soutenu les intérêts de la bourgeoisie» (34). Son courage et sa résignation devant la mort (17 septembre) font de cette dernière victime des agitations urbaines, l'une des plus sympathiques et des plus touchantes qu'ait suscitées la cause pour laquelle il versa son sang. Mais cette cause était irrémédiablement perdue. Ce fut l'anachronisme d'une politique rêvant de ressusciter l'indépendance urbaine du moyen âge en pleine époque monarchique, de reconstituer les privilèges urbains au détriment de l'Etat, de réduire un empereur au rôle d'un simple duc de Brabant obligé à se laisser dicter la loi par des corporations d'artisans, que les légistes du Conseil de Brabant considérèrent et devaient considérer comme un crime. (Gand, Bibliothèque de l'Université.) (Cliché De Wilde.) Dessin à la main des navires le « Concordia » et le « Marquis de Prié », de la Compagnie d'Ostende, en vue des côtes de l'île Fernando Noronha. Extrait du journal de bord de Pierre Valckenier, pilote du € Concordia », parti d'Ostende vers la Chine le 24 janvier 1727. Plus tard, lors de la Révolution Brabançonne, puis lors de la révolution de 1830, le peuple soulevé contre le despotisme politique s'est plu à considérer Anneessens comme un précurseur. Ce conservateur passionné et, pour employer le mot exact, ce réactionnaire intransigeant a passé pour un adepte de la liberté et de la démocratie. Par la plus étrange des confusions, ce sont des libéraux dont les principes lui eussent fait horreur, qui ont érigé sa statue en 1889, sur l'une des places de Bruxelles. L'impopularité du régime autrichien lui a valu en grande partie cette singulière fortune. Il a bénéficié de la répulsion que l'on éprouvait pour le marquis de Prié, comme le comte d'Egmont, de la haine qu'avait suscitée le duc d'Albe. Mais entre lui et le comte, le contraste est aussi grand qu'entre le marquis paperassier et le terrible duc, qu'entre la grandiose révolution du XVI" siècle et le soulèvement local des « nations » bruxelloises. La sentence du Conseil de Brabant contre les doyens excita chez Prié un vif dépit; il estimait que l'outrage fait à Sa Majesté impériale méritait un châtiment plus exemplaire qu'une seule condamnation capitale. Mais il se piqua de respecter la légalité et se contenta d'entourer l'exécution d'Anneessens d'un appareil militaire destiné à frapper de terreur la population de Bruxelles. Le 20 mars de l'année suivante, le décret extorqué en 1718 au Conseil de Brabant était annulé; le règlement de Maximilien-Emmanuel rentrait en vigueur. Quatre ans plus tard, le marquis constatait avec complaisance que « le peuple n'a peut-être jamais été si souple et si tranquille qu'il l'est à présent dans toutes les villes de ce pays et surtout dans celle de Bruxelles, où il a été de tous temps plus remuant et moins respectueux à l'égard du gouvernement » (35). • Mais s'il eut la satisfaction de réprimer la dernière des révoltes urbaines de Belgique, il n'eut pas celle de venir à bout de l'opposition de la noblesse. La haine qu'elle lui portait, attisée par l'arrogance qu'il affichait à son égard, devait enfin le conduire à sa chute. Il vivait entouré d'intrigues dont le réseau s'étendait jusque dans le Suprême Conseil de Flandre à Vienne. D'ailleurs, il donnait barre sur lui par les manoeuvres financières assez louches dans lesquelles il se compromit plus d'une fois (36). Tant qu'il put compter sur l'appui du prince Eugène, il lui fut facile de tenir tête à l'orage. Mais quand celui-ci, se sentant ébranlé dans la confiance de l'Empereur, eut remis à Charles VI, au mois de novembre 1724, sa démission de gouverneur général, le sort du marquis fut décidé. Tombé en disgrâce et suspect, il fut rappelé à Vienne le 23 décembre suivant. Les poursuites de ses créanciers l'empêchèrent de quitter Bruxelles avant le mois de mai 1725, au milieu de la joie insultante de la population. Sa mort subite, arrivée le 12 janvier 1726, lui épargna peut-être l'amertume d'être condamné par une « jointe » extraordinaire chargée de faire enquête sur sa gestion et sur les abus dont il était accusé. PROJETS ECONOMIQUES DE CHARLES VI. -Si, pour s'assurer les Pays-Bas, Charles VI n'avait pas hésité à sacrifier leurs intérêts économiques à l'Angleterre et aux Provinces-Unies, ses dispositions changèrent dès qu'il fut entré en possession. La prévoyance politique la plus élémentaire lui imposait, en effet, de tirer de la Belgique le meilleur parti possible. On a vu qu'il s'attacha, d'ailleurs sans succès, à y reformer l'administration des finances. Libre d'agir à sa guise, il n'eût probablement pas manqué d'y reprendre les plans de relèvement économique de Maximilien-Emmanuel et de Bergeyck, mais il était trop clair que toute velléité de retour au système protecteur se fut immédiatement butée à l'opposition des puissances maritimes, accoutumées à voir les Pays-Bas livrés sans défense à leur exploitation. Il ne leur suffisait pas que l'Escaut fût fermé, il fallait encore que les frontières belges fussent largement ouvertes à leurs produits. Tout ce que l'empereur avait pu obtenir en 1718, lors de la modération du traité de la Barrière, c'était la promesse d'un traité de commerce, que la Hollande était bien résolue à ne conclure jamais. Cependant était-il possible que la maison d'Autriche, devenue riveraine de la mer du Nord, ne formât point tôt ou tard des projets d'expansion commerciale ? Les velléités de Maximilien-Emmanuel de faire du petit port ensablé d'Ostende un succédané d'Anvers, et la fondation de l'éphémère Compagnie des Indes de 1698, n'indiquaient-elles point la voie dans laquelle une monarchie puissante devait s'engager quelque jour avec plus de succès ? Au surplus, l'initiative privée avait déjà pris les devants. Le retour de la paix avait vu se ranimer, dans la Belgique, cette énergie travailleuse que les pires catastrophes n'étaient jamais parvenues à abattre. Dès 1714, quelques particuliers entreprenants avaient sollicité et obtenu du Conseil d'Etat des patentes pour l'armement de navires en destination des Indes (37). On espérait, en effet, qu'entravé sous la domination espagnole, le commerce du Nouveau-Monde serait libre sous celle de l'Autriche, et l'on comptait bien que le pavillon impérial protégerait l'expédition. Les noms donnés à la plupart des bateaux étaient caractéristiques : L'Empereur Charles III (sic) Le Charles, le prince Eugène, La Flandre Impériale. Les résultats dépassèrent les espérances les plus ambitieuses. En 1716, les navires rentraient à Ostende, et la vente de leurs cargaisons donnait des gains de 10 p. c. Pourtant leurs voyages ne s'étaient pas écoulés sans encombres. L'un d'eux revenait au port sans son capitaine, tué près de Sainte-Hélène par un boulet anglais, et tous les équipages se plaignaient des mauvais traitements qu'ils avaient eu à subir des Anglais et des Hollandais. On ne pouvait se dissimuler que l'on venait d'exciter la jalousie des puissances maritimes. Les directeurs de la Compagnie des Indes écrivaient de Londres au consul britannique à Ostende : « Vous contribuerez tout ce que vous pouvez pour rompre et nuire au commerce de ce pays» (38). En 1717, les Provinces-Unies défendaient de leur côté aux marins de la République de s'embarquer pour le compte de toute compagnie étrangère trafiquant aux Indes. On découvrait que des Hollandais avaient eu la main dans une émeute provoquée à Anvers par les fabricants de soie, inquiets du débarquement à Ostende de soieries de la Chine. Le marquis de Prié s'inquiétait et recommandait la prudence. Au Conseil d'Etat, les membres appartenant à la noblesse prenaient le parti des mécontents anversois. Enfin il ne manquait pas de gens qui, actionnaires de grandes compagnies de Hollande, ne demandaient qu'à voir cesser une concurrence dangereuse pour leurs intérêts (39). Heureusement pour les armateurs, la cour de Vienne leur accorda son appui. Le traité de Passarowitz (juillet 1718) venait d'ouvrir à l'Autriche le commerce oriental, et l'alliance qu'elle concluait quelques jours plus tard (2 août 1718) contre l'Espagne avec la France, l'Angleterre et la Hollande, lui laissait entrevoir de brillantes perspectives d'entreprises maritimes. En 1719, l'empereur érigeait à Trieste une Compagnie du Levant. Il mandait au gouverneur d'Ostende d'assurer les navigateurs de sa protection contre « ceux qui voudraient injustement les interrompre » (40). Dès septembre 1718, on avait octroyé huit nouvelles lettres de mer. Vainement le gouvernement de Londres remontrait à celui de Vienne que le commerce maritime des Pays-Bas n'avait aucune chance d'avenir, qu'il n'enrichissait que quelques particuliers, que faute d'une industrie capable de fournir aux vaisseaux du fret de retour, il drainait sans compensation les métaux précieux, qu'il n'avait en somme d'autre résultat que de permettre à des aventuriers anglais et hollandais d'échapper au monopole des compagnies privilégiées de leur pays. Vainement aussi, un navire hollandais arrêtait sur les côtes de Guinée le vaisseau Le Marquis de Prié, battant pavillon impérial. Le gouvernement de Bruxelles ne se laissait pas intimider et faisait saisir par représailles un bateau des Provinces-Unies. Déjà des établissements se fondaient dans les Indes. Le Hollandais Cloots et l'Irlandais Jacques Tobin à Canton, le Français La Merveille à Sadatpatnam dans le Coromandel, venaient d'établir des factoreries sous le protectorat autrichien. LA COMPAGNIE D'OSTENDE. - La fièvre de spéculation que le fabuleux succès du « système » de Law à Paris répandait alors à travers toute l'Europe, ne fut point peut-être sans exercer quelque influence sur l'attitude de la cour de Vienne à l'égard de ces entreprises. Si à Bruxelles le marquis de Prié résistait à la tentation, le commandant des troupes, le comte de Vehlen, prêtait une oreille complaisante à toutes sortes de financiers interlopes et les recommandait aux ministres autrichiens. Dès 1719, ceux-ci conseillaient à l'empereur d'ériger dans les Pays-Bas une compagnie analogue à celle du Levant. La conclusion de la paix entre l'Autriche et l'Espagne, qui intervint l'année suivante, augmentait encore les chances de ce projet. Charles VI se décida en 1721. Le marquis de Prié reçut l'ordre de faire préparer un règlement. Il en chargea un de ses plus habiles collaborateurs, le réfugié irlandais Mac-Nény qui, aidé des avis de Cloots et des capitalistes anversois Proli et de Prêt, put soumettre son travail à la chancellerie dès l'année suivante. Le 19 décembre 1722, l'empereur le promulguait comme charte de la « Compagnie impériale et royale des Indes, établie dans les Pays-Bas Autrichiens sous la protection de Saint Charles », et qui fut plus simplement appelée, depuis lors, Compagnie d'Ostende (41). Sa constitution, très habilement imitée de celle des cé- , V V'- ^fyc Sbirectciinr ban Je pendra le Kaj.tei 'Itjche JnDivclie coniintimie, o/do/w/v/i iren luuinen ca-u-itrycaii.itaph-il tl'i/.7i /timo/; te ontjlincjen Xjan ■ XWc/- t rfet/v t n'O' < ft'( i tniUcytH --^ deSoiilnic Van Llvee'/iondeft en Vufttt.}li gtilden-i U'i.r.irf i/e/t ê Vc'cr het ee/:ftepayement tiytfber nette l-aiieeru)aij.rent y»/?cvm; m/te/ CapitadVaiukJl'Ire compa ante, op de coiihtltsiL in het Octrc tj bn<^erVerniclt,Slclleiu!eijiulaittie luerc)U>ei\ actuni m ClntrWerptn dei/liten Cln qtt.rtt Scvermxien'honTtert Jrt/ en _ tlvititiyh 2injeu l\m ^u) JCtl/r J^u/ra j (j'------- ,joniiiw Vctil tWivhciïilert ï'i//h\//i *rult)\ii r ) Vijjcl ycttVcer/i,'t eetïrtcpiii/tnuni — udy ^ (hù '/i ^ /{rt£ iwuir, J&nv tmtn a/f ____ // 1 v 'fcHiriPb '' fnA/ï uxmJ J (Anvers, Archives de la ville, Compagnie d'Ostende, n» 5931.) Quittance des sommes payées par Pierre Proli, l'un des principaux actionnaires de la Compagnie d'Ostende. Le capital de la Compagnie s'élevait à 6 millions de florins (6.000 actions de 1.000 florins). Pierre Proli effectua un premier versement de 250 florins le 13 août 1723. D'autres suivirent le 4 octobre et le 9 décembre de la même année, le 9 décembre 1724 et le 25 juin 1725 (ces deux derniers de 125 florins chacun). La quittance est ornée des armes de la Compagnie. Pierre Proli, banquier d'origine vénitienne, était un des sept directeurs de la Compagnie d'Ostende. lèbres compagnies privilégiées des Provinces-Unies, d'Angleterre et de France, lui abandonne pour trente ans, en vertu « du droit de souveraineté de l'empereur et de celui de la nature et des gens », le monopole du commerce dans les Indes occidentales et orientales ainsi que dans toute l'Afrique. Il est interdit aux sujets de l'Autriche dans les Pays-Bas de s'intéresser dans aucune autre compagnie. Elle jouit de l'exemption des droits de sortie. Elle a le pouvoir d'équiper des navires de guerre, de conclure des traités au nom de l'empereur et d'acquérir également en son nom, des terres, ports et havres, ainsi que d'établir des colonies, après avoir obtenu le consentement du gouverneur général des Pays-Bas, qui s'assurera qu'elle n'empiète pas sur les prérogatives des nations jouissant outremer d'un « commerce privatif ». Ses bateaux voyagent sous le pavillon impérial et royal, et Charles VI promet de « la protéger et défendre envers et contre tous qui l'attaqueront injustement, et même d'employer, en cas de besoin, la force de nos armes pour la soutenir et maintenir dans la liberté entière de son commerce et navigation ». Son capital consiste en 6 millions de florins, repré- sentés par 6,000 actions de 1,000 florins. Enfin elle est placée sous l'autorité de sept directeurs domiciliés dans les Pays-Bas, et dont l'un est à la nomination de l'empereur. Ainsi organisée, il apparaît clairement que si son siège est en Belgique et si ses chefs et ses capitaux sont également belges, c'est sur la puissance de son souverain autrichien que reposent ses chances de succès. Elle ne peut compter pour réussir que sur la force eit l'énergie de Charles VI. Mais s'il la soutient, comme il le promet, le plus brillant avenir s'ouvre devant elle. Par Ostende, les Pays-Bas retrouveront sur la mer le débouché dont les a privés la fermeture de l'Escaut. Ils cesseront d'étouffer dans leurs frontières; ils redeviendront comme jadis un pays de passage et de transit. Grâce à la renaissance du commerce, les aptitudes industrielles de la nation reprendront leur essor. Des manufactures se fonderont dans les villes; les capitaux endormis dans les coffres ou immobilisés dans la terre se mettront au service de l'esprit d'entreprise et se multiplieront à mesure qu'il se développera. Ne peut-on attirer vers la Belgique le mouvement commercial de l'Allemagne et de l'Autriche ? L'empereur ne conseille-t-il pas une entente entre la Compagnie d'Ostende et celle de Trieste ? Hambourg ne se montre-t-il pas animé des intentions les plus encourageantes ? (42) Sans doute, ces radieuses perspectives ne s'ouvrent encore qu'aux yeux de cette minorité de gens clairvoyants qui ont, vingt ans plus 'tôt, soutenu les tentatives de Bergeyck. L'affaissement économique, qui a toujours été s'ag-gravant depuis la fin du XVIe siècle, a engourdi presque complètement l'esprit capitaliste. Bien rares sont les hommes d'affaires qui, dans les circonstances désastreuses où l'on se 'trouve, ont conservé quelque chose de sa hardiesse et de sa mobilité. La vie économique se caractérise par les mêmes tendances conservatrices que la vie politique. Toute nouveauté semble périlleuse. Garder ce que l'on a, jouir de la situation dans laquelle on végète, voilà la vraie sagesse. Chaque particulier, chaque ville se cantonne, on pourrait presque dire se pelotonne dans le domaine étroit de ses intérêts immédiats et les défend avec d'autant plus d'ardeur qu'ils sont plus médiocres. Aussi ne peut-on s'étonner si la Compagnie, au lieu d'exciter l'enthousiasme, n'éveille tout d'abord que des inquiétudes et des soupçons. Les travaux projetés en faveur d'Ostende soulèvent un concert de récriminations. Les villes brabançonnes protestent contre l'idée de charger une société de l'approfondissement du Démer et de lui en abandonner le monopole de la navigation. Pour ne pas froisser les susceptibilités de Gand et de Bruges, on n'ose reprendre le plan d'unir Ostende à Anvers par un canal. Les Etats de Flandre se refusent à équiper des vaisseaux de convoi en faveur de la Compagnie, mais comme le droit de convoi, dont ils ont rejeté les charges, continue à leur rapporter des revenus, ils s'opposent à ce que la Compagnie en équipe elle-même. Heureusement, pour être générale l'apathie n'est pas universelle. Ce qui doit surprendre, ce n'est point le mauvais vouloir qu'a excité la Compagnie, c'est au contraire l'appui qu'elle a rencontré. Qui eût pu croire, lorsque les souscriptions s'ouvrirent le 11 août 1723, sous les galeries de la bourse d'Anvers, qu'elles atteindraient en deux jours le montant complet du capital ? A vrai dire, beaucoup d'actionnaires n'eurent en vue que de faire leur cour à l'empereur. Des personnages comme le duc d'Arenberg ou le prince de Ligne ne pouvaient décemment s'abstenir. Prié, malgré ses répugnances pour une entreprise dont l'attitude des puissances maritimes ne lui faisait présager que des déboires, s'exécuta galamment, sa souscription de cent cinquante actions dépassa toutes les autres. Le 10 février 1724, les trois premiers navires de la Compagnie sortaient du port d'Ostende au bruit de l'artillerie. On n'avait d'ailleurs pas attendu jusque-là pour affermir et étendre les établissements déjà créés dans les Indes. Le capitaine du Charles VI avait obtenu par traité, le 13 novembre 1723, une factorerie à Banki-Bazar dans le Bengale; celles de Sadatpatnam et de Canton se développaient heureusement. Il n'en fallait pas tant pour faire jeter les hauts crds à Londres et à Amsterdam. Quoi ! l'empereur, qui ne tenait les Pays-Bas que de la bienveillance des puissances maritimes, n'avait pas honte de les attaquer dans ce qu'elles avaient de plus cher — dans leur commerce ! Etait-il tolé-rable qu'à peine érigée, la barrière contre la France lui servît de base navale contre ses alliés d'hier ? L'Angleterre, consciente de sa force, envisageait la question de haut. La Compagnie d'Ostende ne l'inquiétait pas tant en elle-même que comme symptôme d'une orientation possible de l'Autriche vers une politique d'expansion maritime (43). Incapables de prétendre encore à l'empire des mers, les Provinces-Unies faisaient entendre des reproches plus mesquins mais auxquels elles ne donnaient que plus d'aigreur. Après tant de précautions prises pour étouffer le commerce de la Belgique, elles enrageaient à la pensée qu'il pouvait renaître et faire surgir sur la côte de Flandre une rivale d'Amsterdam. Elles avaient jadis revendiqué contre l'Espagne la liberté des mers. Elles prétendaient aujourd'hui la refuser à tous ceux qui ne lui paraissaient pas avoir la force de la conquérir. N'osant toutefois menacer en face, elles eurent recours tout d'abord à l'intrigue. Leur ambassadeur à Madrid s'efforçait d'exciter le jeune roi d'Espagne, Louis Ier, contre l'Autriche. On parlait de chasser « d'un coup de sifflet » (44) l'empereur des Pays-Bas, de partager les Flandres, de les donner à l'infant Ferdinand. Mais il eût fallu pouvoir compter sur la France, et la France ne voulait pas d'une nouvelle conflagration européenne. D'ailleurs, la mort inopinée de Louis Ier ramenait sur le trône d'Espagne Philippe V, qui sous l'influence de sa femme, Elisabeth Farnèse, se réconciliait définitivement avec Charles VI. Les traités qu'il conclut avec lui (30 avril-1er mai 1725) (45) non seulement établissaient l'alliance des deux couronnes, mais étendaient encore aux sujets de Charles « tous les droits et privilèges commerciaux sans exception dont la nation anglaise et hollandaise jouissent dans les Etats de la monarchie espagnole ». La Compagnie d'Ostende était même formellement mentionnée dans les conventions. Du coup, ses actions haussèrent de 18 p. c. (46). L'Angleterre intervint aussitôt. Elle était résolue à ne pas permettre que l'Autriche devînt, grâce à l'Espagne, une puissance maritime. Robert Walpole disait à Starhem-berg que s'attaquer au commerce britannique, c'était « sauter aux yeux de la nation anglaise » (47). En même temps, le cabinet de Londres se rapprochait de celui de Versailles, dont le traité austro-espagnol venait de ranimer l'hostilité traditionnelle pour la maison de Habsbourg; une alliance était signée entre eux le 3 septembre 1725. Les Provinces-Unies ne se décidèrent à y entrer que l'année suivante. Toutefois, dès le 31 juillet 1725, elles établissaient au mépris du traité de la Barrière, un nouveau tarif douanier destiné à donner le coup de mort au relèvement économique de la Belgique. Charles VI ne voulait pas la guerre et était incapable de l'entreprendre. L'Empire ne le soutenait pas. Sauf quelques professeurs d'université démontrant à grand renfort d'érudition que le droit des gens autorisait le Belgium Austriacum au commerce maritime, personne ne s'y intéressait, en dehors de Hambourg, à la Compagnie d'Ostende. D'ailleurs, les considérations dynastiques commençaient à déterminer la politique de l'empereur. Privé d'héritier mâle, il voulait passionnément assurer sa succession à sa fille Marie-Thérèse. Comment y arriver sans le consentement de l'Europe, et comment obtenir ce consentement s'il n'apaisait les défiances et les rancunes que ses projets commerciaux avaient fait naître ? Il n'était pas homme à compromettre la grandeur de sa maison au profit de l'expansion économique de ses Etats. Le 31 mai 1727, il accepta un ultimatum présenté par la France, la Hollande et l'Angleterre. Il consentait « pour le bien-être de l'Europe » à ce que l'octroi de la Compagnie des Pays-Bas, « qui avait causé des inquiétudes et des ombrages », fût suspendu pendant l'espace de sept ans (48). Ses intentions avaient été si bien cachées que personne ne se doutait en Belgique de la volte-face qu'il préparait. Les directeurs de la Compagnie, pleins de confiance dans sa parole, organisant au moment même où il allait les abandonner le départ de deux navires pour l'Extrême-Orient. Déjà les signes les plus encourageants d'un renouveau économique se manifestaient. A Ostende venait de s'ouvrir un chantier de constructions navales. Une société pour le développement de la pêche maritime se formait à Nieuport. Une autre association, installée à Bruges, envoyait des baleinières au Groenland. Des manufactures se fondaient à l'intérieur du pays. Les droits d'entrée et de transit sur les marchandises importées en 1726 de la (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) La ville, les fortifications et le port d'Ostende en 1727. Gravure de Georges-Balthazar Probst (Augsbourg, première moitié du XVIII' siècle). (Amsterdam, Rijksmuseum.) Navire de la Compagnie des Indes Orientales d'Amsterdam. Première moitié du XVIIIe siècle. Cette reproduction donne une idée de ce qu'était un navire des compagnies de commerce au début du XVIIIe siècle : arrimé pour le transport de la cargaison et armé de canons en vue de repousser toute agression de navires ennemis ou de corsaires. Poterie de Delft. Chine et de l'Indoustan atteignaient au chiffre de 1 million 985,315 florins. La reculade de l'empereur provoqua naturellement une panique épouvantable. Le cours des actions, qui était en mai de 1,228 florins, tombait à 470 le 1er juin. Pourtant, la Compagnie n'était que suspendue, elle n'était pas supprimée. Charles VI s'efforça durant quelque temps de la sauver; il n'avait pas encore toute honte bue et se préoccupait de conserver devant l'Europe un certain décorum. Mais il avait affaire à des gens déterminés à lui arracher une capitulation complète. Un ministre hollandais déclarait brutalement « qu'il se couperait plutôt la gorge que d'accorder à la Compagnie la moindre facilité» (49). La volte-face de l'Espagne qui, à la fin de 1729, rompait avec l'Autriche et la menaçait en Italie, brusqua le dénouement. Le cabinet de Vienne, obligé de se rapprocher des puissances maritimes, accepta de passer sous le joug. Suivant son habitude, il voulut du moins tirer profit de son HISTOIRE DE BELGIQUE (Bruxelles, collection baron P. Nothomb.) (Cliché Bijtebier.) Statuette de fabrication chinoise représentant Guillaume de Brouwer, commandant du « Marquis de Prié ». Né à Ostende le 15 février 1693 et inscrit sur les registres de bourgeoisie de sa ville natale le 5 août 1724, Guillaume-Philippe de Brouwer signe son premier engagement à la « Compagnie Impériale et Royale des Indes » dans le courant de 1724. Après avoir commandé en second le Keizerinne, il quitte Ostende le 23 janvier 1727 avec le grade de commandant du Marquis de Prié, ex Ville de Gand, frégate de 480 tonneaux. Du 21 juillet 1727 au 27 juillet 1728, il séjourne à Canton. Sur le chemin du retour, le Marquis de Prié est attaqué par des pirates chinois, mais la bravoure et le sang-froid de de Brouwer auraient tellement impressionné les assaillants que ceux-ci se seraient rendus au commandant de la frégate, de Brouwer leur aurait accordé la vie sauve et leur aurait demandé, pour prix de sa clémence, de modeler son portrait et de sculpter une reproduction de son navire. C'est le portrait de de Brouwer, exécuté en biscuit de pâte de riz, qui est photographié ci-dessus. Plus tard, de Brouwer passa au service de la Compagnie royale danoise; il s'embarqua sur le Schieswig et entreprit en 1738-1739 un tour du monde qui le mena à Macao, Nampoa, Canton et Sainte-Hélène. Consul de la nation danoise, il mourut à Bruges en 1767. humiliation. Il demanda qu'en retour de l'abolition de la Compagnie d'Ostende, les subsides mis à sa charge pour l'entretien des garnisons hollandaises en Belgique fussent abolis. L'Angleterre ne consentit (16 mars 1731) qu'à promettre la conclusion de l'arrangement commercial stipulé par le traité de la Barrière (50). Quant aux Provinces-Unies elles ne voulurent même point donner cette assurance (20 février 1732) (51). L'Autriche, qui avait suscité la Compagnie d'Ostende, se montra donc incapable de la soutenir et de la défendre. Réduite, pour sauvegarder sa grandeur artificielle, à la rouerie et aux marchandages de la politique dynastique, elle ne pouvait trouver en elle ni l'énergie, ni la décision, ni la persévérance que requièrent d'un Etat les grandes entre- prises économiques. Le marquis de Prié avait vu clair : l'échec final donnait raison à la défiance que le vieux diplomate avait toujours professée à l'endroit de la Compagnie. C'était en réalité une tâche impossible que de solliciter l'Europe de reconnaître les droits héréditaires de Marie-Thérèse, tout en alarmant dans leurs intérêts les plus essentiels l'Angleterre et les Provinces-Unies. L'ambition et l'incohérence de la cour de Vienne en cette affaire furent punies au détriment de la Belgique. La Compagnie d'Ostende usa encore du droit qui lui avait été laissé d'envoyer deux bateaux dans les Indes (1732), puis elle entra en liquidation. Elle végéta durant une cinquantaine d'années, prêtant des capitaux et participant à quelques entreprises commerciales jusqu'à sa disparition définitive en 1785, dans la faillite de la maison Proli à Anvers. Des espérances qu'elle avait fait naître, rien ne subsistait plus. Sa chute laissait même les Pays-Bas dans une situation plus lamentable que celle où ils se trouvaient lors de sa naissance. Ils étouffaient sous le tarif douanier de 1725. Les Hollandais, gonflés de leur victoire, se targuaient de ne les considérer plus que comme « un pays conquis, commis seulement à la protection de l'empereur» (52). Charles VI avouait que le commerce dépérissait à vue d'œil (53). Des conférences qu'il avait ouvertes en 1737 dans l'espoir d'aboutir à l'arrangement commercial promis par le traité de la Barrière, se traînaient dans la mauvaise foi et le mauvais vouloir des négociateurs députés par les puissances maritimes. L'opinion publique, qui s'était montrée indifférente lors de la création de la Compagnie, ne s'émut pas davantage lors de sa disparition. Il y eut bien quelques remontrances des Etats de Flandre et de Brabant, puis ce fut tout. L'entreprise n'avait pas duré assez longtemps pour secouer l'apathie invétérée du pays. L'ébranlement n'avait été que superficiel; l'immobilité coutumière se rétablit d'elle-même. On n'avait su aucun gré à l'empereur de son initiative, on ne lui en voulut pas de son échec. Lui-même, pourtant, dut y être plus sensible. Il avait espéré que la Compagnie, en relevant ses finances aux Pays-Bas, lui permettrait d'acquitter facilement les subsides de la Barrière, et les droits de douane, en 1740, rapportaient moins qu'en 1715 ! Et à cette désillusion s'ajoutait le souvenir cuisant de l'affront subi à la face de l'Europe. En somme, l'Autriche n'avait encore récolté dans les Pays-Bas que honte et déboires. Elle n'y avait triomphé que d'Anneessens. Elle trouvait sans doute que c'était peu, et que le pays ne valait pas ce qu'il coûtait. OPPORTUNISME DE CHARLES VI. - Le marquis de Prié avait séché les plâtres pour l'Autriche dans les Pays-Bas. Son administration s'était écoulée au milieu des tâtonnements, des épreuves et des expériences d'un régime qui s'essaye. Dès l'abord, elle lui avait valu la haine du peuple, qu'il dédaigna, puis la disgrâce de son maître, dont il mourut. Sur le terrain reconnu et préparé par lui, il était temps d'élever à présent une construction définitive, appropriée aux habitudes de la nation et aux exigences de l'empereur. A l'user, le système de gouvernement établi en 1715 avait montré clairement ses défauts. La preuve était faite que la haute noblesse n'apporterait point au souverain le concours sur lequel il avait compté. Mais il eût été dangereux de l'exclure brutalement du pouvoir. Tourner la difficulté était le meilleur moyen de la résoudre. Le Conseil d'Etat continua de subsister, mais il redevint ce qu'il n'avait cessé d'être sous les derniers rois d'Espagne, un simple conseil de parade. Dès patentes du 19 septembre 1725 rétablirent à côté de lui le Conseil privé et le Conseil des finances (54), exclusivement recrutés dans la robe. Ainsi, après tant d'innovations éphémères, on en revenait à l'antique organisation des Conseils collatéraux, telle qu'elle avait été créée par Charles-Quint. Toutefois, le maintien des intendants de finances et de leurs subdélégués apparaissait comme une annexe moderne au vieil édifice. Encore fallut-il se résoudre à laisser tomber cette institution, dernier souvenir du « régime an-jouin ». Les visées de centralisation fiscale qui la ren- avec tous ses inconvénients que de mécontenter par une réforme prématurée « un pays aussi délicat à gouverner que celui-ci, et où il n'y a pas 3,000 hommes de troupes réglées» (56). Charles VI se le tint pour dit. Il consentit à ne rien brusquer, tout en se réservant l'avenir. En 1735, il recommandait d'introduire les intendants petit à petit, avec toutes les précautions requises pour faire avaler « cette médecine très salutaire quoique au premier abord un peu amère » (57). Même offerte avec cette douceur, la drogue fut repoussée par le patient. Les intendants demeurèrent inconnus en Belgique jusqu'au règne de Joseph II. Des innovations de Philippe V, Charles VI ne réussit à sauvegarder, dans certaines provinces, que la mise à (Bruxelles, Musée communal.) (Cliché Bijtebier.) L'entrée à Bruxelles de la gouvernante Marie-Elisabeth (9 octobre 1725). Tableau peint par J.-B. Martin (Paris, 1659-1735). daient précieuse à l'empereur, excitaient contre elle une insurmontable antipathie chez un peuple accoutumé par une pratique immémoriale à voir dans sa liberté financière la plus ferme garantie de sa liberté politique. Tous les efforts échouèrent sur cet obstacle. En 1729 la Cour de Bruxelles conseillait à celle de Vienne de ne pas insister. Une nouvelle tentative, en 1734, n'eut pas meilleur succès. L'institution des intendants, disait le chancelier de Brabant, était un emprunt au gouvernement français « lequel pour être despotique, est très odieux dans ces pays et fait horreur à ces sujets, qui naissent avec l'esprit de la liberté dont ils jouissent par leurs privilèges, qu'ils chérissent autant que leur vie» (55). Le comte de Har-rach reconnaissait que, si l'administration des deniers publics était tatillonne et chicanière au point de se disputer « sur la queue d'une poire », il valait mieux l'accepter ferme du produit des impôts. Son opportunisme s'en contenta. L'essentiel était d'avoir mis la noblesse hors d'état de gêner encore le gouvernement. Heurter les privilèges, c'eût été lui donner une occasion de se faire une popularité dangereuse en la poussant à protester. Le mot d'ordre fut donc de les respecter « visiblement ». Au lieu de les attaquer de haute lutte, on employa contre eux la mine et la sape. Marie-Thérèse, après son père, continua cette tactique lente mais sûre. A sa mort, ce qui restait des libertés traditionnelles se trouvait serré de près sur tous les points. L'impatience et la maladresse de Joseph II devaient compromettre, en faisant éclater la Révolution Brabançonne, les résultats obtenus par un demi-siècle de persévérance. La Pragmatique Sanction ne faisait point partie de ces « médecines amères » que Charles VI versait d'une (Paris, Musée de Cluny.) (Cliché Giraudon.) Christ provenant d'un crucifix du XIIe ou du XIIIe siècle (art limousin) et remanié au XVIIe siècle pour le culte janséniste. Les bras, primitivement étendus en croix, à l'horizontale, ont été redressés au-dessus de la tête. main si prudente. Placés par l'Europe sous le sceptre de l'Autriche et résignés à leur nouveau souverain, qu'importait aux Belges la loi de succession qu'il plairait à celui-ci d'imposer à ses Etats ? Quoi qu'il arrivât, il était évident qu'ils continueraient d'appartenir à l'héritier de l'empereur, et ils n'avaient pas plus d'intérêts que de droits à intervenir dans la désignation de cet héritier. Avec Charles II s'était éteinte la lignée de leurs princes « naturels ». Le testament qu'il avait fait en faveur de Philippe V avait encore valu à ce Bourbon l'adhésion des légitimistes stricts. Mais la paix de 1725, par laquelle Philippe et Charles se réconciliaient, avait enlevé sa dernière raison d'être au «parti anjouin » (58). Les députés des provinces convoqués au palais de Bruxelles en une assemblée générale le 15 mai 1725, écoutèrent donc en silence la lecture de la Pragmatique que leur fit le comte de Daun. A quoi d'ailleurs leur eût-il servi de présenter des observations ? Ils savaient fort bien que ce n'était pas d'eux mais de l'Europe que dépendaient les droits de Marie-Thérèse à la succession de son père. Ils attachaient bien plus d'importance à l'arrivée prochaine de la gouvernante que Vienne allait leur envoyer. MARIE-ELISABETH. -— Après la démission du prince Eugène, en effet, l'empereur, ici encore fidèle à la tradition espagnole, avait décidé d'envoyer à Bruxelles, conformément aux stipulations du traité d'Arras (59), un représentant de sa maison. Maintenant que les difficultés du début étaient surmontées, il ne voyait plus d'inconvénients à supprimer le régime provisoire qu'il avait tout d'abord établi dans les Pays-Bas. Dès le 23 décembre 1724, il en attribuait le gouvernement à sa sœur Marie-Elisabeth. Jusqu'à son arrivée, le comte de Daun administrerait à sa place comme lieutenant-gouverneur et capitaine général par intérim (60). L'archiduchesse fit son entrée à Bruxelles le 9 octobre 1725. C'était une vieille demoiselle de quarante-cinq ans, fille du mariage de l'empereur Léopold avec Eléonore de Neubourg. Grande, robuste, sans beauté ni charme, mais assez majestueuse et surtout fière de son rang et de sa maison, elle était mieux faite pour en imposer à la nation que pour la séduire. Si elle n'était pas une femme politique, elle était une femme savante. Passant par Louvain, elle avait étonné l'université en répondant en latin au discours du recteur, et on lui faisait honneur de la composition d'une Chronologia Augustissimae domus Austricae qu'elle aurait rédigée à l'âge de dix-huit ans (61). Ainsi formée, il était impossible que, la piété et la dévotion de la cour de Vienne aidant, elle ne portât pas aux choses religieuses un intérêt que le désir, peut-être inconscient, de rappeler l'archiduchesse Isabelle, dut contribuer encore à développer. Toutefois, son catholicisme n'avait rien du mysticisme espagnol de celui d'Isabelle. C'était la religion autoritaire, gouvernementale et méthodique d'une Madame de Maintenon inférieure, mais aussi inféodée qu'elle à la Compagnie de Jésus. Elle fit de son confesseur français, le P. Amiot, son conseiller intime (62), et l'on s'amusait à Bruxelles de voir toujours dans sa loge quelque jésuite, quand elle daignait se montrer à l'Opéra. Mais le peuple l'admirait d'assister aux pèlerinages, aux processions, aux anniversaires célébrés dans les couvents, de descendre de son carrosse pour suivre le saint viatique et de laver elle-même, le jeudi saint, les pieds de douze pauvresses. Sa piété grave, froide et de tête plutôt que de cœur, s'alliait avec un impitoyable respect de l'étiquette. Jalouse de la majesté de son rang, elle s'isolait au milieu de la cour. Elle mangeait seule, servie par des dames, et ni l'électeur de Bavière, ni celui de Cologne, quand ils la visitèrent à Bruxelles, n'eurent l'honneur de s'asseoir à sa table. Il entrait dans les intentions de l'empereur qu'elle s'entourât d'une pompe quasi royale. Depuis son arrivée à Bruxelles, un subside annuel de 560,000 florins fut demandé aux provinces pour l'entretien de la cour (63). Elle eut une grande maîtresse, un grand maître, un grand écuyer, un grand échanson, un capitaine des gardes, désignés parmi les membres de la plus haute noblesse autrichienne et des premières familles de Belgique (64). Du reste, son entourage allemand n'exerça la moindre influence ni sur les idées, ni sur les mœurs de l'aristocratie nationale. Le prestige qu'exerçaient alors dans toutes les cours d'Allemagne la langue, la politesse et les modes françaises, s'accentuait encore à celle de Bruxelles par la proximité de Paris. Au temps d'Albert et d'Isabelle, sauf de rares exceptions, les courtisans espagnols et les courtisans belges avaient formé, en face l'un de l'autre, deux groupes imperméables et, si l'on peut ainsi dire, irréductibles. Ici, l'élément étranger s'assimila tout de suite à l'élément indigène dans la communauté d'une même imitation de la France. Au lieu de germaniser l'aristocratie, et, à travers elle, la nation, la cour autrichienne de Bruxelles contribua puissamment, au contraire, à les franciser de plus en plus. Les pouvoirs délégués par l'empereur à Marie-Elisabeth dépassaient ceux qu'avaient jamais exercés jusqu'alors les gouverneurs des Pays-Bas. Mais ils n'existaient que sur le parchemin de ses lettres patentes (65). En réalité, elle dut se contenter d'un rôle majestueux de comparse. Le comte Visconti, puis le comte Harrach exercèrent auprès d'elle, sous le nom de grands maîtres de la cour, l'office de ministres du cabinet de Vienne, et elle ne se permit de contrecarrer çà et là ces porte-parole du chef auguste de la « sacrée maison » de Habsbourg que sous l'influence de son confesseur. Son gouvernement de seize ans, le plus long qu'aient connu les Pays-Bas depuis Albert et Isabelle, vit s'implanter le régime autrichien, si impopulaire encore sous l'administration de Prié. A vrai dire, elle n'y fut pour rien et n'eut qu'à laisser agir les circonstances. EFFETS SALUTAIRES DE LA PAIX. — Le plus grand désir du pays était la paix et il en jouit sans interruption tant qu'elle vécut. Les Belges durent à peine croire à leur bonheur lorsqu'ils apprirent, quand éclata la succession de Pologne (1733-1735), qu'au lieu d'être envahis suivant la coutume, ils demeureraient neutres. Désireuses d'échapper aux obligations que leur imposait le traité de la Barrière, les Provinces-Unies s'empressèrent de signer avec la France (24 novembre 1733) une convention par laquelle le territoire des Pays-Bas était laissé en dehors des opérations militaires. Louis XV conserva même son chargé d'affaires à Bruxelles. L empereur crut que sa dignité l'empêchait de reconnaître un arrangement pris par des puissances étrangères au sujet d'un de ses Etats; mais il fut trop heureux d'en profiter, et se garda bien de mettre à exécution sa menace d'envahir la France par le Luxembourg. Sans avoir rien fait pour procurer aux provinces un repos que sa rareté faisait paraître plus précieux, l'Autriche en retira les bénéfices d'une reconnaissance qui ne lui était pas due. En 1735, Charles VI eut la satisfaction d'apprendre que toutes les provinces avaient voté sans difficulté un subside extraordinaire de 1,680,000 florins destinés à être employé contre ses ennemis (66). Cette première tentative avait trop bien réussi pour n'en pas provoquer d'autres. La garantie d'un emprunt de 4 millions pour la guerre contre les Turcs fut encore consentie en 1738. L'année suivante, l'empereur revenait à la charge avec une demande de 3 millions (67). Il ne put être surpris de trouver cette fois moins de promptitude à s'exécuter (68). Mais l'expérience qu'il venait de faire était concluante. La Belgique commençait à « rapporter ». Grâce à la paix, elle s'apprivoisait au nouveau régime. Si le commerce continuait à languir — il semble avoir atteint en 1740 le point le plus bas où il se soit jamais trouvé — l'agriculture se développait assez rapidement. Durant les quinze années qui s'écoulent de 1725 à 1740, les récoltes furent satisfaisantes plus de la moitié du temps, puisqu'on ne défendit que six fois l'exportation des grains (69). Au milieu de la sécurité générale, les défiances et les mécontentements de la première heure s'assoupissaient. La renonciation des Bourbons d'Espagne aux Pays-Bas enlevait aux grands seigneurs le moyen de justifier, par des prétextes de loyalisme dynastique, une opposition désormais sans objet. Le duc Léopold d'Arenberg acceptait en 1737, le commandement en chef des troupes des Pays-Bas, qu'aucun Belge n'avait encore exercé avant lui. Plus encourageantes encore étaient les dispositions de la petite noblesse. En Belgique comme partout, le gouvernement ne pouvait se passer de cette classe toute désignée par son aisance, par son instruction, par ses traditions, à lui fournir des agents qui considéraient comme un droit, mais aussi comme un devoir, de remplir les fonctions publiques, dont la situation de fortune modérait le plus souvent les exigences, et à qui la naissance procurait un prestige qui tournait à l'avantage de l'Etat. Dès 1736, il recommandait de préférer dans les Conseils de justice les candidats les plus nobles aux moins nobles (70), et il se réjouissait d'apprendre, trois ans plus tard, «que plusieurs nobles sont dans les emplois et que d'autres y aspirent» (71). Dans les villes tout était calme. L'amnistie accordée en 1725 pour les troubles de Bruxelles avait achevé d'en dissiper le souvenir. DISPARITION DU JANSENISME. — Pour jouir d'un repos complet, il ne restait qu'à étouffer la querelle janséniste. Depuis la persécution de Philippe V, le gouvernement ne s'en était plus occupé. L'administration complaisante des puissances maritimes avait permis aux novateurs de se (Musée de Mariemont.) Chasuble de drap doré et brodé qui aurait appartenu à Jansénius. XVIIe siècle. ressaisir. Ils étaient plus influents en 1713 qu'en 1706, et prêts, comme leurs coreligionnaires de France, à se lancer avec passion dans le conflit soulevé par la bulle Unigenitus (8 septembre 1713) qui condamnant comme hérétiques les Réflexions morales du Père Quesnel, ne leur permettait plus de demeurer dans l'Eglise, si l'Eglise en reconnaissait l'autorité. Le catholicisme dont ils faisaient profession les obligeait donc à contester au siège de Rome son pouvoir dogmatique. Le conflit déchaîné par la question de la grâce se transportait ainsi sur le terrain de la politique ecclésiastique. Contre le pape, les jansénistes n'en appelaient pas seulement au concile, ils invoquaient encore l'appui du pouvoir séculier, menacé par l'infaillibilité pontificale dans les prérogatives qu'il revendiquait sur le clergé. Ces croyants partis de l'Augustinus en arrivaient ainsi à mettre aux prises l'Eglise et la société laïque. HISTOIRE DE BELGIQUE Le recours aux « libertés gallicanes », qui leur fournit en France une arme si précieuse, n'existait point pour eux dans les Pays-Bas. Mais ils pouvaient y compter sur les Conseils de justice dont la vigilance à sauvegarder les droits du prince leur était déjà plus d'une fois venue en aide. Le canoniste Guillaume van Espen, qui jetait alors un dernier éclat sur la faculté de droit de Louvain leur apporta aussi le concours de sa science et de son ardeur. Comme tant d'autres à cette époque, l'austérité qu'il professait, après l'avoir soulevé contre la « morale relâchée » des jésuites, l'avait insensiblement amené à condamner la prépondérance romaine dont ils étaient les défenseurs attitrés. Il était convaincu que le catholicisme devait revenir à la pureté de ses origines, qu'il n'y reviendrait que par la résistance aux empiétements de Rome, et que l'Etat, en revendiquant ses droits contre ceux de l'Eglise, rendait en réalité à celle-ci le plus précieux service. C'est lui qui donna au jansénisme belge les principes anti-ultramontains dans lesquels se résume au XVIIIe siècle, le plus clair de sa doctrine. Cela est si vrai que ses adeptes cessèrent d'employer, comme sentant l'hérésie, l'appellation traditionnelle de jansénistes. Ils la considérèrent même comme une injure, et il arriva plus d'une fois que les tribunaux défendirent de leur donner ce « nom odieux » (72). Aux juristes, qui presque tous se rangèrent autour de van Espen, l'épiscopat opposa sous la direction du nouvel archevêque de Malines, Thomas-Philippe d'Alsace, nommé en 1718, une résistance unanime. A peine entré en fonctions, il imposait à tous les fidèles la bulle Unigenitus comme règle de foi, et ses suffragants imitèrent aussitôt son exemple. De son côté, la faculté de théologie de Louvain se prononçait pour la bulle. Partout, les jésuites et les moines mendiants prêchaient en sa faveur. La résistance éclata sans tarder. On n'ignorait pas que la bulle n'avait pas obtenu un placet régulier. Dès lors, pour les opposants, sa promulgation était illicite. Des curés envoyèrent une lettre de protestation au prince Eugène; d'autres, soutenus par les treize plus anciens professeurs de la faculté des arts, s'adressèrent à l'empereur et au marquis de Prié (73). (Poperinghe, église Saint-Bertln.) (Cliché A.C.L.) Reliure de missel. Début du XVIIIe siècle. Reliure de velours avec fermoirs et plaque d'argent. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Marie-Elisabeth-Lucie-Thérèse-Josèphe, archiduchesse d'Autriche, gouvernante générale des Pays-Bas de 1725 à 1741 (Lintz, 1680-Mariemont, 1741). Portrait en médaille par Jacques Roettiers (Londres, 1698-Bruxelles, 1772). Légende : P1ETATE MARIA ELIZABETH ELEEMOSYNA. M.DCC.XXXIIII. Diamètre : 57 mm. Cet orage inquiéta la cour de Vienne. Allait-on donc voir se déchaîner dans les Pays-Bas, déjà si troublés et si mécontents, les passions religieuses, qui en ce moment agitaient la France ? Le prince Eugène s'étonnait ouvertement de la conduite de l'archevêque (74). Prié cherchait à ne pas se compromettre dans une affaire aussi épineuse. Au fond, cet absolutiste approuvait sans doute les adversaires de l'infaillibilité et convenait avec eux qu'elle ne pouvait pas s'étendre jusqu'à permettre au pape de délier les sujets du serment de fidélité. La constitution Unigenitus ne devait pas lui paraître moins importune que le Luyster van Brabant. Ces dispositions venaient à point nommé pour les opposants. Le Conseil de Brabant citait à sa barre l'official de l'archevêque et se montrait empressé à inscrire à son rôle tous les appels qu'on lui présentait contre le for ecclésiastique (75). En 1719, van Espen publiait, en cause du pléban de Louvain, un mémoire démontrant la nullité du « fantôme de placet » (76) accordé à la bulle; il protestait au nom de M. de Bade, curé du diocèse de Tournai, contre la déposition dont il avait été frappé pour en avoir appelé au concile. Le Conseil ne lui cachait pas son approbation. Un de ses membres, M. de Tombeur, adressait un supplique au prince Eugène contre la conduite intolérable des partisans du pape (77). Cependant, le peuple, excité par les sermons commençait à s'agiter. A Wevelghem, des capucins et des jésuites avaient soulevé les paroissiens contre le curé, et le Conseil de Flandre avait dû intervenir pour rétablir l'ordre (78). A Mouscron et dans les villages voisins, une mission organisée par les^ jésuites provoquait des bagarres qui rappellent étrangement celles des meetings électoraux de notre temps (79). L'empereur ne se décida à intervenir qu'en 1723. Il déclara que la bulle ayant été légalement publiée, les évêques étaient fondés canoniquement à poursuivre ceux qui y résistaient « avec scandale », et que les tribunaux laïques devaient s'abstenir de les contrecarrer en recevant des « appels incompétents» (80). Il condamnait donc les opposants. Il ne les condamnait, il est vrai, qu'en les recommandant à la bienveillance de leurs vainqueurs, les évêques devant avoir soin d'agir « avec toute la modération convenable à la conservation de la tranquillité publique, sans exiger ni permettre que l'on exige de souscriptions à la bulle en question ». Les passions étaient trop montées pour s'apaiser. Des deux côtés elles se donnèrent carrière avec rage. Publiquement taxés d'hérésie, les adversaires de la bulle virent, dans les paroisses qu'ils administraient, le peuple refuser d'assister à leurs messes (81). Plusieurs d'entre eux, plutôt que de se soumettre, se prononçaient pour le schisme d'Utrecht, dont le chapitre venait de se mettre en révolte ouverte contre Rome. On apprenait que douze religieux d'Orval, fuyant leur monastère, avaient rejoint l'Eglise dissidente (82). Van Espen se prononçait pour elle avec fracas dans une dissertation qui fut déférée au Conseil d'Etat et publiquement lacérée sur son ordre. Ce changement d'attitude du Conseil ne s'explique pas seulement par la déclaration impériale de 1723, mais aussi par la démission du prince Eugène et le rappel de Prié en 1725. La tolérance qu'ils avaient témoignée à l'égard des novateurs fit place sous le comte de Daun, à une hostilité qui se manifesta plus nettement encore quand Marie-Elisabeth se fut installée à Bruxelles. Charles VI, désireux avant tout de sauvegarder la paix, lui avait pourtant recommandé la prudence. « La jalousie qui règne entre les jésuites et ceux qui ne suivent pas leur doctrine scolastique, disaient ses instructions, a pour effet ordinaire de troubler le jugement du public. En cette matière, Votre Altesse doit tâcher de discerner ce qui est vrai d'avec ce qui est l'effet de la passion, au moyen d'informations secrètes prises auprès de personnes à l'abri de tout soupçon. Il n'est pas juste que la méchanceté puisse discréditer des hommes savants et vertueux en leur donnant le nom de jansénistes» (83). Mais l'archiduchesse, livrée à la direction du P. Amiot, n'était pas femme à écouter ces conseils. Elle laissa l'arche- (Ypres, église Saint-Martin.) (Cliché Anthony.) Troisième pierre tombale de Jansénius (XVIIIe siècle, date indéterminée). La première pierre tombale fut apposée dans la collégiale de Saint-Martin à Ypres en 1638, année de la mort de Jansénius. Le 29 mai 1655, Jules Rospigliosi, archevêque de Tarse et secrétaire d'Etat d'Alexandre VII, ordonna à l'évêque d'Ypres, Jean de Robles, de retirer cette pierre de l'église, ce qui fut fait dans la nuit du 10 au 11 décembre 1655, avec l'appui de l'archiduc Léopold-Guillaume. Le mécontentement des chanoines et des fidèles obligea Alexandre VII à prendre des mesures préventives : un bref daté du 29 janvier 1656 défendit de remplacer la pierre enlevée sur son ordre. Onze ans plus tard, le 27 mars 1672, dimanche de la Lœtare, une nouvelle inscription fut secrètement apposée à l'endroit où Jansénius avait été enterré : le chanoine Maes avait fait ciseler une épitaphe sur le revers de la première pierre tombale. Aussitôt une enquête fut menée, sur l'ordre du gouverneur Monterey et à l'initiative de l'internonce Airoldi, par le procureur du Conseil de Flandre. Elle aboutit au retrait de la pierre tombale dans la nuit du 23 au 24 avril 1673. A partir de ce moment, on put croire l'affaire classée : le 9 juillet 1695, le chapitre de Salnt-Atartin consentit à échanger la pierre de Jansénius contre deux plaques de marbre destinées à recouvrir la tombe du prévôt Hugues et de l'écolâtre Pierre Cauwel. Alais, au XVIIIe siècle, une troisième pierre tombale fut apposée sur la tombe de Jansénius, dans des circonstances inconnues. Elle y figure encore. Elle consiste en une dalle de marbre blanc portant aux quatre coins les chiffres 1-6-3-8 (année de la mort de Jansénius) et une croix au centre. vêque de Malines entreprendre contre les novateurs une campagne d'autant plus décisive que la magistrature, placée sous l'autorité du Conseil Privé, dont le chef-président, M. de Baillet, brisait pour la première fois, par son adhésion sans réserve aux prétentions de la cour de Rome, la longue tradition d'indépendance civile (84), se trouvait désormais incapable de leur apporter son appui. Dès 1727, elle pouvait écrire à Vienne que le nombre des « novateurs a diminué considérablement... de même que ceux qui les favorisaient dans les cours supérieures de ce pays, qui tiennent à présent une conduite assez circonspecte ». Elle avait obtenu cet heureux résultat, à l'en croire, « grâce à des principes de douceur et de modération mêlés d'autorité » (85). En réalité, il n'en était rien. Depuis 1725, les opposants s'étaient vus abandonnés à une répression violente, tout à fait incompatible avec les avertissements de l'empereur. La gouvernante considérait la bulle Unigenitus « comme une règle de foi et d'Etat ». Au mépris des ordres de Charles VI, elle laissait les autorités ecclésiastiques l'imposer si strictement qu'un prêtre de Sainte-Gudule, pour avoir refusé de la reconnaître à son lit de mort, avait été privé de sépulture religieuse (86). L'archiduchesse avait défendu au Conseil de Brabant de recevoir l'appel des soeurs du défunt, et les avait envoyées devant l'official de Malines. Mais l'affaire avait fait grand bruit. L'empereur s'était ému et avait mandé à Bruxelles qu'il n'entendait pas que les mourants, après avoir reçu l'absolution, fussent encore contraints d'adhérer à la bulle. Tout ce qu'il avait été possible d'obtenir de lui, en l'effrayant d'un scandale public et d'un conflit avec Rome, ç'avait été la permission de ne pas publier sa lettre et de se borner à le communiquer secrètement aux évêques. Cet incident ne modéra point l'ardeur des poursuites contre les vaincus. En 1728, le vieux Ruth d'Ans mourut sans avoir pu obtenir les derniers sacrements. L'excommunication était prononcée contre des chanoines et des prêtres accusés de jansénisme (87). La congrégation de l'Oratoire, inquiétée par l'archevêque, abandonnait enfin l'opposition qu'elle n'avait cessé de soutenir depuis son introduction dans le pays par Boonen. A Louvain, van Espen était en butte aux attaques incessantes des théologiens. Le Conseil de Brabant n'osait le défendre et se bornait à adresser timidement à l'archiduchesse une requête en sa faveur, à laquelle elle ne daignait pas répondre. L'église d'Utrecht fut le dernier asile de l'indomptable octogénaire, comme elle l'avait été pour tant d'autres de ses compagnons de lutte, poussés ainsi que lui à un schisme qui compromettait définitivement leur cause. Le jansénisme belge s'éteignit à peu près en même temps que van Espen. L'Université de Louvain, qui lui avait fourni tant de défenseurs, décidait, le 28 novembre 1730, d'exiger à l'avenir, de tous les candidats aux grades académiques, l'adhésion pure et simple à la bulle Unigenitus. L'enseignement du droit s'imprégna depuis lors de la plus stricte orthodoxie et exposa suivant ses principes les rapports de l'Eglise et de l'Etat. De la faculté, la doctrine triomphante passa peu à peu à la magistrature et au barreau qui se recrutaient parmi ses élèves. Heureux de la fin d'une querelle qui avait si longtemps troublé le pays, le gouvernement apporta tous ses soins à l'empêcher de renaître. Marie-Thérèse obligera en 1750 l'évêque de Gand à retirer un mandement qui lui paraît dangereux pour la tranquillité des esprits (88). En 1752, l'agitation reprenant en France, les Conseils de justice recevront l'ordre d'empêcher la publication de « tous écrits indiscrets », et des mesures seront prises en 1755, pour que les jansénistes français réfugiés ne raniment point les discussions assoupies (89). Elles reprendront pourtant lorsque Febronius, en 1763, renouvellera les thèses de van Espen, mais parmi ses défenseurs, s'il se trouve encore quelques survivants attardés du vieux jansénisme, on rencontre surtout les jeunes adeptes de la philosophie, et, sous le couvert du conflit traditionnel, se dissimulent désormais des tendances toutes nouvelles. LES PROTESTANTS. — Il n'a pas dépendu de Marie-Elisabeth qu'à la chute du jansénisme n'ait succédé une persécution dirigée contre les protestants. L'archiduchesse désirait sans doute compléter la victoire de l'Eglise par l'anéantissement des petites communautés réformées qui subsistaient encore en Flandre à Hoorbeke-Sainte-Marie, dans le Tournaisis, à Dour en Hainaut, à Eupen et à Hodimont dans le Limbourg. Un édit, préparé en 1734, punissait de l'amende ou du bannissement tous ceux qui s'abstiendraient à l'avenir de la fréquentation des sacrements, liraient ou vendraient de mauvais livres, chanteraient des psaumes, fréquenteraient des conventi-cules ou contracteraient des mariages mixtes. La confiscation du corps et des biens frappait les « hérétiques opiniâtres », et la peine du feu, les hérétiques relaps (90). Le Conseil de Hainaut eut l'humanité et le bon sens de désapprouver ce retour aux féroces placards de Charles-Quint. Depuis 1598, on n'avait plus vu de bûchers s'élever sur les places publiques, et les paisibles dissidents de quelques villages ne justifiaient vraiment pas le fanatisme anachronique de la gouvernante. Le prosélytisme maladroit auquel s'étaient abandonnés pendant un certain temps les pasteurs des garnisons de la Barrière n'avait servi qu'à prouver par son impuissance la force du sentiment catholique des populations. En réalité, la Réforme n'était plus en Belgique qu'une bizarrerie, qu'une survivance dont la sagesse commandait de ne pas s'inquiéter. L'édit demeura donc enfoui dans les cartons du Conseil Privé, et les protestants continuèrent à vivre comme ils le faisaient depuis la fin du XVIe siècle, c'est-à-dire sans autorisation légale, mais tolérés en fait à condition qu'ils s'abstinssent de propagande (91). Aux environs de 1730, la tranquillité s'est donc rétablie en Belgique dans l'Eglise comme dans l'Etat. Anneessens et van Espen ont disparu; on n'invoque plus les privilèges, de même qu'on ne proteste plus contre la bulle. L'organisation ecclésiastique, si délabrée durant le gouvernement des alliés, fonctionne désormais avec une régularité parfaite. Les évêques, sous la présidence du métropolitain de Malines, collaborent avec ensemble à la tâche commune. A partir de 1725, la nonciature de Bruxelles, abandonnée à des internonces depuis la mort de l'archiduchesse Isabelle, est rétablie et semble le garant de l'alliance intime qui, sous la régence de Marie-Elisabeth, se noue entre l'Eglise et l'Etat. SITUATION DE L'EGLISE. — A y regarder de près cependant, on découvre que cette alliance est plus apparente que réelle. Sans doute la gouvernante y est tout acquise. Mais l'attitude qu'elle prend à Bruxelles ne peut faire illusion sur les dispositions de la cour de Vienne dont elle dépend. Or, ces dispositions sont exactement les mêmes à l'égard de l'Eglise qu'à l'égard des libertés nationales. La bienveillance affichée pour celles-ci est, comme pour celle-là, tout extérieure. C'est un provisoire, un pis-aller auquel on a recours en attendant mieux. Au fond, l'empereur, comme tous les princes du temps, n'admet point que sa souveraineté soit plus limitée dans le domaine ecclésiastique que dans le domaine laïque. Il a eu soin de recommander à l'archiduchesse d'agir « avec la moindre dépendance de Rome que possible sera » (92). Il ne veut pas qu'elle montre trop de déférence aux évêques : il l'avertit de ne pas accorder de siège au cardinal d'Alsace lors de la première visite qu'il lui fera, et le cardinal, prévenu sans doute, n'étant pas venu complimenter l'archiduchesse à son arrivée, sous prétexte qu'il était occupé à visiter son diocèse, reçoit de Vienne une sévère semonce (93). Les bulles du nonce ne sont « placetées » qu'après des réserves dont les Conseils de justice reçoivent communication (94). Ordre est donné, en 1730, de biffer dans les bréviaires l'office du pape Grégoire VII, comme choquant pour les souverains (95). Déjà, même l'Etat, au nom de son pouvoir supérieur de police, s'en prend directement aux prérogatives de l'Eglise. En 1732, l'empereur déclare aboli le droit d'asile, contre lequel, une trentaine d'années plus tôt, van Espen avait entamé une campagne énergique (96). Ce sont là autant de symptômes précurseurs d'une lutte inévitable. Personne cependant ne s'en inquiète encore. On sait Charles VI sincèrement acquis à la religion. N'a-t-il pas obstinément refusé aux Provinces-Unies de laisser inscrire la liberté de conscience dans le traité de la Barrière? La gouvernante, au surplus, dont la dévotion se scandalise des directions qu'elle reçoit, prend sur elle de ne les suivre qu'en partie. Elle ne publia jamais les lettres condamnant l'office du pape Grégoire, ni celles supprimant le droit d'asile. A sa mort, on les retrouva dans ses tiroirs (97). Heureux de leur victoire sur le jansénisme, les évêques ne virent pas ou ne voulurent pas voir que le gouvernement de Vienne s'inspirait visiblement des principes de van Espen. Il leur suffit d'avoir terrassé leurs adversaires dans les Pays-Bas, de savoir l'orthodoxie romaine solidement implantée dans l'université et de pouvoir compter désormais sur la déférence respectueuse des Conseils de justice. Ils administrent avec une tranquillité majestueuse leurs ouailles obéissantes. Presque tous, d'ailleurs, sont sérieusement attachés à leurs devoirs pastoraux. A l'exception du prince de Salm Reifferscheid à Tournai (1732-1770), type de prélat grand seigneur et mondain comme il s'en rencontre tant dans l'Eglise de France, ils résident au siège de leur diocèse, visitant leurs séminaires, surveillant la conduite des pasteurs protestants attachés aux garnisons de la Barrière, veillant à ce qu'il n'entre pas de mauvais livres dans le pays, rédigeant consciencieusement leurs mandements de carême. Aucun d'eux, il est vrai, ne s'est illustré par l'éclat de sa science ou de ses vertus, et l'histoire a oublié les noms de ces gouverneurs d'Eglise dont les longs règnes se caractérisent par une activité régulière et quasi bureaucratique. Ce que l'on révère en eux, c'est beaucoup moins leur personne que le rang qu'ils occupent et l'autorité dont ils sont revêtus. Ils sont désormais sans conteste les personnages principaux du pays, et ils ont soin d'entretenir un prestige qui dans chacun d'eux, honore l'Eglise romaine. Le cardinal d'Alsace se fait élever un palais à l'italienne; l'évêque d'Ypres abandonne la vieille maison de Jansénius pour s'établir dans un hôtel au goût du jour. Après leur mort, ils reposent sous des tombeaux de marbre, dont les statues symboliques gesticulent avec quelque étrangeté sous les voûtes gothiques des vieilles cathédrales. Nommés par l'empereur, ils professent d'ailleurs à son égard un respect sincère. Mais entre Vienne et Rome ils n'hésiteront pas quand sonnera l'heure encore lointaine du conflit. Et le pays n'hésitera pas plus qu'eux. En laissant abattre le jansénisme, le gouvernement s'est privé du seul allié qui eût pu lui venir en aide au moment du péril. Le peuple suivra ses pasteurs dès qu'ils l'appelleront à la rescousse contre l'Etat. Bien plus, il lui apparaîtra que leur cause se confond avec la sienne. L'absolutisme, qui menace à la fois les privilèges de la nation et ceux de l'Eglise, les unira contre lui dans une résistance commune. NOTES (1) R. Dollot, Les origines de la neutralité de la Belgique, p. 346. (2) E. de Borchgrave, Histoire des rapports de droit public, etc., p. 353 et suiv. (3) Gachard, Histoire de la Belgique au commencement du XVII' siècle, p. 464. (4) Voy., par exemple, le pamphlet Intitulé Discussion universelle de tous les articles du traité de la Barrière des Pays-Bas, etc. (Cologne, s. d.) (5) Gachard, op. cit., p. 449. (6) R. Dollot, Les origines de la neutralité de la Belgique, p. 415. (7) Gachard, op. cit., p. 449. (8) Gachard, op. cit., p. 448. (9) Ibid., p. 451 et suiv. Cf. Journal ofte dagregister van onze reijze naer de keyzerlijcke stadt van Weenen ten jare 1716 (Gand, 1850). (10) Gachard, Collection de documents inédits, t. III, p. 464. (11) Dès 1718, Charles VI avait déjà renoncé, mais provisoirement et sous conditions, à la couronne d'Espagne. Il y renonça de nouveau le 25 septembre 1721 et enfin, définitivement, le 30 avril 1725. (12) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. III, p. 48. (13) Mérode-Westerloo, Mémoires, t. 11, p. 177. (14) Gachard, Ordonnances, t. III, p. 28. (15) Ses patentes sont du 30 juin 1716. Ibid., p. 30. (16) Srbik, Oesterreichische Staatsvertriige, p. 553. Sur l'administration de Prié, l'article de A. Reumont, Il marcheze di Prié nel Belgio. Archivio storico ltaliano, 4e série, t. XVII (1886), n'ajoute rien à Gachard. On trouvera dans le tome III, du Prinz Eugen von Savoyen, de von Arneth (Vienne, 1858), une appréciation du marquis au point de vue autrichien. (17) Sur le séjour des garnisons hollandaises dans le pays, voy. le minutieux mémoire d'Eug. Hubert, Les Garnisons de la Barrière dans les Pays-Bas autrichiens (Bruxelles, 1902). Add. du même Notice sur l'église wallonne [de la garnison] de Namur au XVIII' siècle. Bulletin de l'histoire des églises wallonnes (1909). (18) Gachard, Histoire de la Belgique au commencement du XVIII' siècle, p. 409. (19) Sauf dans les territoires de Mariembourg, de Philippeville et de Bouillon, qui ne furent détachés de la France qu'en 1815-1816 au profit du royaume des Pays-Bas. (20) Gachard, Documents concernant les troubles de la Belgique sous le règne de Charles VI, t. I, pp. 135, 147, 246, 316. Pour le sans gêne de Prié à l'égard des privilèges, voir J.J. Altmeyer, Du droit d'asile en Brabant au commencement du XVIII' siècle, 2« édit. (Bruxelles, 1852). (21) Expressions de Saint-Simon, Mémoires, t. IV, p. 283. (22) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, t. VIII [1856], p. 230. (23) Ibid., 3» série, t. VII [1865], pp. 156, 199. (24) Gachard, Ordonnances, t. III, p. 97. (25) Histoire de Belgique, t. IV, 2» édit., p. 398. (26) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 3» série, t. VII [1865], p. 204. (27) Mérode-Westerloo, Mémoires, t. II, p. 121. (28) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 3» série, t. XI [1869], p. 433. (29) Pour cette affaire, voy. ibid., 3« série, t. VII, p. 122. (30) Luyster van Brabant, 3« partie, p. 42. (31) Martène et Durand, Voyage littéraire, p. 113 (Paris, 1724). En janvier 1718 il avait déjà fallu prendre un édit contre les vagabonds qui Infestaient la ville. Gachard, Ordonnances, t. III, p. 92. (32) Gachard, Documents concernant les troubles sous Charles VI, t. II, p. 334. (33) Histoire de Belgique, t. I, 4« édit., p. 191. (34) Gachard, Troubles, t. II, p. 164. (35) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 3» série, t. VII [1865], p. 206. (36) M. Huisman. La Belgique commerciale sous l'empereur Charles VI, p. 310. (37) M. Huisman, op. cit., p. 83. Le livre très fouillé de M. Huisman est à consulter pour tout ce qui concerne le relèvement économique tenté par le gouvernement de Charles VI. Je n'ai guère eu qu'à lui emprunter. Pour les conflits politiques que l'établissement de la Compagnie entraîna entre l'Autriche, l'Angleterre et les Provinces-Unies, cf. A. Goslinga, Slingeland's efforts towards European peace (La Haye, 1915). (38) Huisman, op. cit., p. 102, n. 2. (39) Gachard, Documents concernant les troubles sous Charles VI, t. I, p. 167. (40) Huisman, op. cit., p. 117. (41) Voy. sa charte dans Gachard, Ordonnances, t. III, p. 322. (42) E. Baasch, Hambourg und die Compagnie von Ostende. Zeitschrift fUr Social- and Wirtschaftsgeschichte, t. V, [1897], p. 309 et suiv. (43) Gerald B. Herz, England and the Ostend Company. English Historical Review, 1907, p. 255 et suiv. (44) Huisman, op. cit., p. 321. (45) Dumont, Corps diplomatique, t. VIII, 2« partie, p. 106 et suiv. Cf. L. Bittner, Chronologisches Verzeichniss der ôsterreichischen Staatsver-trûge, t. I, p. 142 (Vienne, 1903). (46) G. Syveton, Le baron de Ripperda, p. 75 et suiv. (Paris, 1896). (47) Huisman, op. cit., p. 331. (48) Dumont, Corps diplomatique, t. VIII, 2® partie, p. 146; Bittner, op. cit., p. 146. (49) Huisman, op. cit., p. 440. (50) Dumont, op. cit., p. 213; Bittner, op. cit., pp. 149, 151. (51) Huisman, op. cit., p. 482. (52) Huisman, op. cit., p. 525. (53) Gachard, Ordonnances, t. V, p. 110. (54) Ibid., t. III, p. 515. (55) Ibid., t. III, p. LVII. (56) Ibid., p. LVIII-LX. (57) Ibid., p. LXI. (58) Le 22 juin 1720, Philippe V avait déjà signé une première renonciation en faveur de Charles VI aux Pays-Bas. Il la reproduisit dans le traité du 30 avril 1725, qui rétablissait la paix entre l'Espagne et l'Autriche. Dumont, Corps diplomatique, t. VIII, 2e partie, p. 106 et suiv. (59) Histoire de Belgique, t. IV, 2' édit., p. 155. (60) Voy. ses patentes du 27 janvier 1725 dans Gachard, Ordonnances, t. III, p. 472. (61) Bull, de la Comm. roy. d'Histoire, 3« série, t. V [1863], p. 369. (62) Ibid., p. 375 et suiv. (63) G. Bigwood, Les impôts généraux dans les Pays-Bas autrichiens, p. 44 (Louvain, 1900). (64) Le personnel de la cour comprenait au total 258 personnes. Voy. Gachard, Ordonnances, t. IV, p. 33. Cf. M. Huisman. Quelques documents inédits sur la cour de l'archiduchesse Marie-Elisabeth. Annales de la Soc. d'Archéologie de Bruxelles, t. XV (1901). (65) Gachard, Ordonnances, t. III, p. 512. (66) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 2" série, t. I [1851], p. 475. (67) G. Bigwood. Les origines de la dette belge. Annales de la Soc. d'archéologie de Bruxelles, t. XX (1906). (68) Bull, de la Comm. roy. d'Histoire, 2° série, t. I [1851], p. 503. (69) En 1725, 1726, 1729, 1731, 1739 et 1740. (70) Gachard, Ordonnances, t. V, p. 119. (71) Bull, de ta Comm. roy. d'Hist., 2» série, t. I [1851], p. 505. (72) Gachard, Ordonnances, t. IV, p. 7; Gaillard, Archives du Conseil de Flandre, p. 429. (73) Mémoires historiques sur l'affaire de la bulle Unigenitus, t. I, p. 41 et suiv. (74) A. von Arneth, Prinz Eugen von Savoyen, t. III, p. 136 (Vienne, 1858). (75) Gachard, Ordonnances, t. III, p. 347, n. (76) Mémoires historiques, etc., t. I, p. 41. (77) Du Parc de Bellegarde, Vie de van Espen, p. 340 et suiv. (78) Mémoires historiques, etc., t. I, p. 489; Gaillard, Archives du Conseil de Flandre, p. 427 et suiv. (79) Du Parc de Bellegarde, Vie de van Espen, p. 341. (80) Gachard, Ordonnances, t. III, p. 346. (81) Mémoires historiques, t. II, p. 57. (82) W. Tillière, Histoire de l'abbaye d'Orval (Namur, 1897). (83) Gachard, Ordonnances, t. IV, p. 7. (84) Du Parc de Bellegarde, Vie de van Espen, p. 616. (85) Gachard, Ordonnances, t. IV, p. 18, n. (86) Ibid., p. 16. (87) Bull, de la Comm. roy. d'Hist., 3« série, t. V [1863], p. 381 et suiv. (88) Gachard, Ordonnances, t. VI, p. 528. (89) Mémoires Historiques, etc., t. III, p. 183. (90) E. Hubert, Etude sur la condition des protestants en Belgique depuis Charles-Quint jusqu'à Joseph II, p. 74 (Bruxelles, 1882). (91) On consultera, pour la connaissance de la condition des protestants en Belgique à la fin de l'ancien régime, les nombreux travaux de M. Eug. Hubert, spécialement : Le protestantisme à Tournai pendant le XVIII' siècle. Mém. in-4« de l'Acad. Roy. de Belgique, 1903; Une page de l'histoire religieuse de la Flandre au XVIII" siècle; ibid.; Les églises protestantes du duché de Limbourg pendant le XVIII' siècle, ibid., 1908. (92) Gachard, Ordonnances, t. IV, p. 3. (93) Ibid., p. 9. (94) Ibid., t. V, p. 298; cf. t. III, p. 435. (95) Ibid., t. VI, p. 566. (96) Gachard, Ordonnances, t. V, p. 50; cf. du Parc de Bellegarde, Vie de van Espen, p. 124 et suiv. (97) Du Parc de Bellegarde, Vie de van Espen, p. 160. (Versailles, Grand Trianon. ) (Cliché Archives Photographiques.) L'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780) et l'empereur Joseph II (1741-1790). Tapisserie de la manufacture des Gobelins, exécutée en 1779 pour la chambre de Marie-Antoinette à Versailles par Michel-Henri Cozette fils (Paris, 1744- 1822), d'après Joseph Ducreux (Genève, 1702-1780). ET CHAPITRE II LA POLITIQUE AUTRICHIENNE LA BELGIQUE SOUS MARIE-THERESE ET JOSEPH II |/m\UERRE DE LA SUCCESSION D'AUTRI-I^Jw / g] CHE. —- Les diplomates du congrès d'Utrecht \~7tfH^J avaient à peine achevé leur œuvre, qu'elle ne X^/ répondait plus à l'état de l'Europe. Ils avaient réglé le sort de la Belgique comme si la France, momentanément vaincue, se proposait de reprendre bientôt sa politique d'annexion dans les Flandres, et comme si les Provinces-Unies, qui avaient si largement contribué à la défaite de Louis XIV, devaient conserver la force de résister à ses successeurs. Ni l'une ni l'autre de ces hypothèses ne se réalisa. Les gouvernements de Louis XV et de Louis XVI n'ambitionnèrent point la conquête de la Belgique, laissant à la Révolution la tâche de renouer, de ce côté, la tradition séculaire de la monarchie. Quant à la Hollande, l'affaissement de sa vigueur, encore dissimulé au commencement du XVIIIe siècle par ses succès diplomatiques, se révéla bientôt au grand jour. Engourdie dans la paix et dans la richesse, s'abandonnant à la direction d'un patriciat égoïste et timide, dont l'ambition se bornait à ne pas compromettre une prospérité qu'il tenait d'ancêtres dont il avait perdu l'énergie, elle ne chercha qu'à rejeter le far- deau des obligations qu'elle avait assumées par le traité de la Barrière. Elle déçut la confiance que l'Europe lui avait témoignée, dans le même temps où la France prouvait l'inanité des préventions dont elle-même était l'objet, si bien que tous les calculs établis pour fixer la situation des Pays-Bas se trouvèrent déjoués. L'Autriche ne manqua pas de tirer parti de ce curieux tournant des circonstances. Sa politique à l'égard de la Belgique, encore flottante et hésitante sous Charles VI, se précise et s'affirme sous Marie-Thérèse et Joseph II. Dès après la paix d'Aix-la-Chapelle, elle dévoile ses intentions. Elle ne se contente plus de posséder la Belgique comme un simple dépositaire, au nom de l'Europe. Elle entend y revendiquer la souveraineté et sortir de lisières. Profitant de la faiblesse croissante des Provinces-Unies, elle cesse de respecter le traité de la Barrière, le viole ouvertement et enfin le déchire. Bien plus ! S'illusionnant sur ses forces réelles, elle ira jusqu'à prétendre s'affranchir de la paix de Munster et s'abandonnera un instant à l'audacieux espoir de rouvrir l'Escaut. Cependant, et par une conséquence nécessaire, à me- sure qu'elle rompt avec la Hollande, elle se rapproche de la France. Le traité de Versailles, en 1756, consacre le renversement de ses alliances et l'unit en une entente cordiale avec sa rivale. Dès lors, son pouvoir sur la Belgique, débarrassé de toute sujétion à l'égard des Provinces-Unies et à l'abri de toute hostilité du côté du Sud, se trouve doublement assuré. Il n'a été menacé que pendant les dernières années de la guerre de la succession d'Autriche. A part cela, le demi-siècle qui s'écoule de la mort de Charles VI à la bataille de Jemappes, est pour le pays une période de sécurité si longue et si complète qu'il faut, pour en trouver le pendant, remonter jusqu'au règne de Philippe le Bon ou descendre jusqu'aux heureuses années qui vont de la Révolution de 1830 à l'attentat brutal de 1914. Ni la guerre de Sept Ans, ni la guerre maritime n'ont troublé le repos des provinces. Elles n'ont fait, au contraire, par la répercussion salutaire qu'elles ont exercée sur elles, que rendre plus actif et plus rapide le mouvement de renaissance qui s'y est manifesté dans tous les domaines. Aussi ne faut-il point s'étonner si le peuple a conservé jusqu'à nos jours un souvenir reconnaissant au règne de Marie-Thérèse, dans lequel s'absorbe la plus grande partie de cette époque bienfaisante. Mais l'histoire ne peut partager la naïveté qui lui a fait envisager son bonheur comme une preuve de la sympathie spéciale de l'impératrice. En réalité, Marie-Thérèse a été aussi autrichienne que Philippe II avait été espagnol. Sa sollicitude s'est concentrée sur ses Etats allemands, sur la Bohême, sur la Hongrie, sur ce groupe disparate de territoires et de nations qui se groupaient autour de Vienne et la protégeaient contre la Prusse et la Turquie. Jetés en flèche à l'ouest de l'Europe et isolés de ses domaines héréditaires, les Pays-Bas n'ont occupé dans sa pensée et dans celle de Joseph II que la place d'un appoint qu'il ne faut pas négliger tant qu'on le possède, mais que l'on ne doit point hésiter à troquer avantageusement, dès que l'occasion s'en présente. Comme son fils, elle n'a jamais songé qu'à les échanger au mieux des intérêts autrichiens. L'un et l'autre les ont considérés comme un propriétaire intelligent considère une maison à vendre, dont le prix sera d'autant plus élevé qu'on l'aura entretenue avec plus de soin. Les Etats des Provinces avaient unanimement approuvé en 1725, la Pragmatique Sanction de Charles VI. A la mort de l'empereur (20 octobre 1740), chacun d'eux s'empressa d'envoyer à Marie-Thérèse l'expression de ses vœux et de sa fidélité. Elle les avait assurés, en leur annonçant son avènement qu'elle respecterait leurs privilèges, et tous, dans les lettres qu'ils lui adressèrent, eurent soin d'insister sur cette promesse. Le règne qui finissait n'avait rien fait pour fortifier leur attachement à une dynastie encore récente. Ils ne pensaient qu'à eux-mêmes, inquiets des menaces que faisait peser sur leur pays le déchaînement de la guerre de la succession d'Autriche, et envisageant avec indifférence un « changement de domination ». Ils durent s'étonner de n'être pas tout de suite entraînés dans le conflit. Le cabinet de Versailles, poussé à la guerre par l'opinion parisienne qui en espérait une revanche sur l'Autriche, la menait sans entrain, et se donnait bien garde de fournir aux puissances maritimes, en menaçant la Belgique, un prétexte de lui tomber sur les bras. Soucieuses avant tout de ne pas tirer l'épée, les Provinces-Unies montraient des sentiments tout aussi rassurants; elles n'eussent (Château d'Artstett (Niederdonau), collection Max von Hohenberg.) L'impératrice Marie-Thérèse (1717-1780). Pastel de Jean-Etienne Liotard (Gand, 1702-1789) exécuté vers 1743. demandé qu'à convenir de nouveau avec la France, comme en 1733, de la neutralité des Pays-Bas. Il ne tint pas à Marie-Thérèse que le « changement de domination », auquel s'attendaient les Belges, ne se réalisât aussitôt. Se sentant incapable de résister à la fois à tous ses ennemis, elle projeta successivement d'acheter la paix à la Bavière, puis à la France, au prix de l'abandon des Pays-Bas (1). Elle avait bien répondu à Frédéric II, à propos de la Silésie, « qu'elle défendait ses sujets et ne les vendait pas », mais les provinces belges étaient trop éloignées de Vienne pour ne pas l'être aussi de son cœur. Elle ne les conserva que par suite du refus de ses adversaires d'accepter le marché qu'elle leur offrait. Il ne restait qu'à en tirer le meilleur parti possible. Malheureusement rien n'y était préparé pour la guerre. Par économie, Charles VI n'y avait pas même porté l'effectif de l'armée au chiffre de 18,000 hommes exigé par le traité de la Barrière. Le généralissime d'Arenberg n'y disposait que de huit régiments de ligne et de deux régiments de cavalerie, d'un total d'environ 10,000 combattants. On ne pouvait, avec des forces aussi insignifiantes, exercer sur la France une pression assez efficace pour contraindre Louis XV au rappel de ses troupes qui opéraient en Allemagne et en Bohême. Ordre fut donc donné d'armer sans retard. Le comte Harrach et le comte de Kônigsegg qui, après la mort de Marie- ltiry,/legen>h*l elt Vienne ute eLt'ne*n/>tiP^'c n^uc leJSrë | ' pUu et*- 00.1*. te* Xyrttrf | /tytr*{t.ct-frjcncphe etyfus I detvxùj antc jouepereiu.îo.Jit**t* rttn fuif-ete Che^ le (omtïdt-(o6t*>itJL pirJieJlJutzJ*,m „ Sotm* • c/wete-S * '9™ flXl m*bxy'crïpcarr tepnryiiel PM fo*lie cUilevt àvnnt 1 ûciinpn! noue (Li'mpl eft< a.n a/vj, ûerv.ehu A'pl put* fait itrb.clutlh (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Secrétariat d'Etat et de Guerre, n° 2598.) Pages autographes du journal intime de Charles de Lorraine (du 7 au 16 mars 1767), tome I. Charles de Lorraine consigne dans son journal toutes les occupations qui ont rempli ses journées, les plus menues comme les plus importantes. Par exemple, le 7 mars, je donne 2 ducats pour faire une plaques pour ma jambe; donne à une chanteuse Nomi de Fois, 50 louis, et 25 louis pour le penceur. j'ay donné cela à Oamond. Le 8, réception d'une lettre de l'impératrice et réponse; (j'ai) été à la redoutte; le 9, pris le jus derbe (= d'herbe); été at l'assemble, perdu 52 ducats; le 10, tenus la jointe de l'ordre...; été à lassemble. Gagné 26 ducats, donné 2 ducats et 8 gros écus... Le 12, il a été au spectacle et il a fait ajuster mon imprimerie de poche; le 13, jour de gala; il a perdu 30 ducats au jeu; le 14, rien fait; été chez le comte de Cobentzel...; le 16, donné à Gamont pour des emplettes à Paris, 600 ducats... Révolution Brabançonne acheva dans la haine cette période autrichienne qui, pendant quarante ans, s'était écoulée dans une inaltérable tranquillité. D'ailleurs, en dépit de ce dénouement qui, on le verra plus loin, était fatal, elle reste depuis le milieu du XVII" siècle l'époque la plus féconde et la plus active que le pays ait traversée. Elle l'a modernisé par l'action de l'Etat, et il est frappant de constater que les monuments les plus considérables qu'elle lui a laissés, ce sont les ministères de Bruxelles. CHARLES DE LORRAINE. - Charles de Lorraine fut le plus populaire ou, pour parler plus exactement, le seul populaire des gouverneurs de la Belgique. Ce sont probablement de simples considérations de famille et de sentiments qui poussèrent Marie-Thérèse à signer, le 8 janvier 1744, la nomination de ce prince, doublement son beau-frère et comme frère cadet de François Ier, l'époux bien-aimé de l'impératrice, et comme mari de l'archiduchesse Marie-Anne, sœur de celle-ci (1). Mais la politique la plus subtile n'aurait pu inspirer un meilleur choix. La sympathie dont le nouveau régent fut entouré, s'étendit naturellement à la souveraine qui l'avait désigné et au régime qu'il servait. Sa popularité a fait celle de Marie-Thérèse et gagné l'opinion, jusqu'alors inquiète ou indifférente, à la maison d'Autriche. La durée même de son administration (1744-1780), la plus longue qu'aient jamais connue les Pays-Bas, fut un bonheur pour la dynastie. Il n'était pourtant ni un grand homme, ni même un homme remarquable (2). Mais la chance voulut qu'il fût justement l'homme qui convenait pour sa place. Après tant d'Espagnols, d'Italiens et d'Allemands, ce Lorrain apparut aux Belges comme une manière de compatriote. Pour la première fois depuis Marguerite de Parme, on avait un gouverneur dont la langue naturelle était le français. Nul exotisme non plus dans l'aspect et la manière de vivre de ce prince élevé à la cour ducale de Nancy. Par politesse et pour plaire à l'impératrice, on lui faisait honneur de talents militaires. En somme, il n'avait montré que de la bravoure pendant la guerre de la succession d'Autriche. Les troupes l'estimaient peu; il s'en consolait facilement, n'ayant aucun goût pour la guerre (3). Son manque absolu d'ambition ne le laissait guère moins indifférent à la politique. Amoureux d'une vie large et facile, que son veuvage lui rendait plus facile encore, il pratiquait bonnement la philosophie épicurienne à la mode de son époque. Il est grand amateur de table et de boisson, peu distingué d'allures, mais brave homme et même bon garçon, bienfaisant, affable et souriant. Le prince de Ligne évoquait dans sa vieillesse, avec un soupir de regret, sa « jolie cour, gaie, sûre, agréable, polissonne, buvante, déjeunante et chassante» (4). Nulle étiquette. L'incendie du vieux palais, en 1731, lui a donné l'occasion de s'installer à l'hôtel de Nassau, payé sur sa cassette, meublé à sa guise, et où il ne se sent gêné ni par la tradition, ni par le souvenir de la dévote et majestueuse Marie-Elisabeth. Au reste, il préfère encore à cette résidence les pavillons de chasse, comme LES MINISTRES PLENIPOTENTIAIRES. - Il lui arrive naturellement par amour - propre, par bonté d'âme, mais surtout par désir de conserver l'affection du peuple, de protester de loin en loin contre les desseins de la cour de Vienne. « Si le prince Charles, dit encore aigrement Joseph II, s'est jamais mêlé à quelque chose, c'est pour être du parti de l'opposition» (7). Opposition légère, au surplus, et toute de surface. Marie-Thé-rèse, qui connaissait son beau-frère, ne s'en inquiéta jamais. Elle savait bien qu'elle n'avait qu'à insister pour qu'il obéît, ou, s'il le fallait, qu'à le menacer de ne pas payer ses dettes. Elle n'eut jamais à craindre qu'il refusât rien au gouvernement et qu'il oubliât dans ses tiroirs, comme Marie-Elisabeth, les ordres qu'elle lui envoyait. Elle était trop fine pour ne pas comprendre que « l'opposition » du gouverneur servait sa politique, puisqu'elle contenait l'opinion sans rien entraver, et puisque, dissimulé par Charles, dont la présence rassurait la nation, le ministre plénipotentiaire, les yeux fixés sur la boussole de Vienne, tenait la barre et conduisait le navire. Car on peut dire du gouverneur qu'il règne, mais qu'il ne gouverne pas. Réduit à des fonctions d'apparat, dont son caractère facile se contente et s'amuse, il s'abandonne à la direction du ministre. L'origine de cet acolyte ou, pour mieux dire, de ce surveillant dont il est flanqué, remonte au régime espagnol. Granvelle auprès de Marguerite de Parme, d'Aytona auprès de l'Archiduchesse Isabelle, plus tard les ambassadeurs du roi catholique à (Cliché A.C.L.) de Lorraine et de Bar (Lunéville, 1712-Tervueren, 1780), gouverneur général des Pays-Bas de 1741 à 1780. Portrait peint par Matthieu de Visch (Remingen, 1702-Bruges, 1765). (Château de Belœll.) Charles-Alexandre, duc Auprès du gouverneur représentant la personne même du souverain, figure désormais le ministre plénipotentiaire, homme de confiance de ce même souverain, choisi par lui, ne dépendant que de lui, exécuteur de ses volontés, confident de ses projets, témoin attentif et rapporteur professionnel de ce qu'il voit et de ce qu'il entend. S'il n'a pas l'apparence, il a, et il a de plus en plus, la réalité du pouvoir. Aussi le choisit-on avec soin parmi la fine fleur du personnel diplomatique. Les ministres plénipotentiaires que Vienne a envoyés à Bruxelles de 1749 à 1791, le marquis de Botta-Adorno, le comte de Cobenzl, le prince de Starhemberg, les comtes de Belgiojoso, de Trautmans-dorff, de Mercy-Argenteau et de Metternich (8), se sont également distingués par leur zèle, sinon toujours par leurs talents. C'est eux qui ont été les vrais organisateurs du régime autrichien en Belgique. Ministre du souverain près le gouverneur, le plénipotentiaire est en fait indépendant de celui-ci, quoique pour la forme, il soit placé sous ses ordres. Il correspond avec les représentants des puissances étrangères accrédités à Bruxelles, avec le Conseil Suprême des Pays-Bas à Vienne, puis plus tard avec le chancelier de la Cour et d'Etat, et même, « en droiture », avec l'impératrice ou l'empereur. Toute l'administration est soumise à son contrôle et reçoit son impulsion. Le gouverneur s'absente-t—il, il le remplace, et c'est justement à cette éventualité que se rapporte son titre de plénipotentiaire. Où que l'on regarde, c'est lui qui fait tout, et Charles de Lorraine ne celui de Tervueren, son oeuvre personnelle, où il peut s'entourer à l'aise des danseuses et des actrices qui se partagent ses faveurs avec les maîtresses en titre. Avec cela, quoique son instruction ait été déplorablement négligée et qu'il ne sache pas l'orthographe, il éprouve la passion de son temps pour les porcelaines, les tapisseries, les mécaniques et les sciences naturelles. Il se ruine en achat de bibelots et protège les inventeurs (5). Tout le monde a accès auprès de lui, car autant il déteste le travail, autant il aime la popularité, et sa bonhomie le porte naturellement à la bienveillance. S'il fait quelque peu scandale par le débraillé de ses moeurs, on pardonne tout à ce prince si simple, si naturel, si dépourvu de morgue et de pose. Joseph II, qui n'a jamais pu le souffrir, et pour cause, constate avec amertume qu'il inspire une « espèce de fanatisme aux habitants» (6). En faut-il d'autres preuves que la statue que les Etats de Brabant lui firent ériger de son vivant en 1775 ? La Haye, chargés de contrôler et d'inspirer le gouvernement de Bruxelles, en ont déjà, dans une certaine mesure, rempli les fonctions. Mais l'institution ne s'est nettement dégagée que sous le régime autrichien. Le nom de ministre plénipotentiaire apparaît sous Charles VI, où il fut porté par Sinzendorf et après lui par Prié. L'absence d'un gouverneur résident à cette époque rendait indispensable la nomination de ces agents de l'empereur. Pendant la régence de Marie-Elisabeth, qui eût pu s'en offusquer, le nom disparut, mais la chose subsista. Les grands maîtres de l'archiduchesse, le comte Harrach, puis le comte Visconti, furent en somme à ses côtés des instruments de la cour de Vienne. Entre sa mort et l'arrivée de Charles de Lorraine, on en revint aux ministres plénipotentiaires gouvernant par intérim : Harrach, Kônigsegg, Kau-nitz-Rietberg, Bathyani. Enfin, à partir de l'établissement du duc à Bruxelles, s'organisa l'ordre des choses qui devait subsister jusqu'au bout. laisse point parfois de s'en impatienter : « Je n'ai rien fait, écrit-il à Kaunitz, qui puisse inspirer des inquiétudes, et si je demande des pouvoirs plus étendus, c'est dans l'intérêt du service royal» (9). Plus tard, sous Cobenzl, il se plaindra d'être refoulé et ligotté par le ministre, dont on préfère toujours le sentiment au sien propre. Au fond cependant, il n'est pas fâché de pouvoir chasser et souper à l'aise, pendant que le ministre travaille. « Depuis six heures du matin, soupire Botta, jusqu'à six heures du soir, je ne trouve pas une heure de reste ou vide de quelque occupation, excepté celle du dîner» (10). Pour Cobenzl, les mémoires de son neveu Philippe nous le montrent sur pied dès cinq heures et expédiant les affaires tout le long du jour. Ce labeur est aussi discret qu'il est opiniâtre. Le ministre s'efface pour réserver au gouverneur « toutes les résolutions éclatantes qui peuvent illustrer son gouvernement » ( 11 ). Il ne se met en avant que s'il s'agit de prendre des mesures désagréables « pour ne pas commettre la bonté et la douceur de notre prince gouverneur général » (12). Ainsi faisant, il couvre par surcroît Vienne, dont il reçoit et exécute les ordres. L'INTERVENTION DE VIENNE. - Ceux-ci lui parviennent de moins en moins par l'intermédiaire du Conseil Suprême de Flandre. Ce vieux rouage de la lente administration espagnole, conservé tout d'abord par Charles VI, n'eut plus de raison d'être du jour où l'empereur eut renoncé définitivement au titre de roi catholique. Il compliquait inutilement les affaires, et la tradition qui y donnait accès à des conseillers belges et y faisait employer la langue castillane dans la correspondance avec les provinces, reconnaissait aux Pays-Bas une autonomie fâcheuse. On le laissa donc peu à peu s'engourdir. Il conserva quelque importance jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle, puis déclina pour s'éteindre sans bruit en 1757. Ce qui lui restait d'attributions fut reporté à la chancellerie de Cour et d'Etat. Désormais, les affaires des Pays-Bas, au lieu d'être traitées à part, relevèrent comme l'ensemble de la monarchie, de la « Conférence ministérielle » présidée par le chancelier, et Starhemberg vantera en 1781 les effets surprenants et glorieux qui ont suivi cette transformation » (13). Le chancelier, auquel tout aboutit, est en rapports constants avec le ministre de Bruxelles. Dès 1758, Kaunitz exposait ainsi à Marie-Thérèse l'organisation nouvelle : « Tout objet susceptible de direction préparatoire, toutes vues (Gand, Musée archéologique.) (Cliché Bijtebier.) Arbalète et flèche dont se servit Charles de Lorraine au Kouter lors de sa visite à Gand, en 1752. La scène représentant Charles de Lorraine au Kouter en 1752 a été peinte par P. Van Reysschoot dont le tableau est également conservé au Musée archéologique de Gand. nouvelles, projets, idées, plans, j'en charge ma correspondance particulière avec le comte de Cobenzl qui en rend compte à Son Altesse Royale. Si nous convenons des principes, si nous nous accordons sur le choix des moyens, on en fait une relation à Votre Majesté, et les matières sont portées toutes préparées à sa décision» (14). La liaison est donc parfaite entre Vienne et Bruxelles, la roue motrice mord bien dans l'engrenage et l'entraîne avec elle dans le mouvement qui l'anime. L'impulsion qu'il reçoit du chancelier de Cour et d'Etat, le ministre la transmet lui-même aux rouages supérieurs du gouvernement local, c'est-à-dire aux Conseils collatéraux. Le premier d'entre eux, le Conseil d'Etat, s'il subsiste encore pour la forme, ne rend plus aucun service. Mais les deux autres, remaniés et rajeunis, n'en sont que plus actifs. Déjà sous Charles VI, le Conseil Privé a été allégé de ses attributions judiciaires, qu'il a dû abandonner aux cours de justice. D'après l'instruction qu'il reçoit en 1725, (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) «Joseph II, qui n'a jamais pu le (= Charles de Lorraine) souffrir, ..., constate avec amertume qu'il inspire une « espèce de fanatisme aux habitants ». En faut-il d'autres preuves que la statue que les Etats de Brabant lui firent ériger de son vivant en 1775 ? (Voyez le texte p. 135.) Gravure de la statue élevée à Charles de Lorraine en 1775. Elle figure en regard de la page de titre du Discours sur l'inauguration de la statue de Son Altesse Royale... Charles-Alexandre de Lorraine... Bruxelles, 1774. Gravure d'Antoine-Alexandre Cardon (Bruxelles, 1739-1822). La statue de bronze, fondue à Alannheim d'après le modèle du sculpteur gantois Pierre Verschaffelt, fut placée au centre de l'actuelle place Royale (ancienne place des Bailles) le 17 janvier 1775. Fondue par les révolutionnaires français, elle fut momentanément remplacée par un arbre de la Liberté. il ne doit être qu'un « Conseil consultatif du gouvernement ». Il ne s'y habitua pas tout de suite. Durant une vingtaine d'années encore, les légistes dont il se composait continuèrent à le regarder comme « Conseil exerçant le pouvoir royal ». Sortis des tribunaux supérieurs du pays, ils répugnaient à l'idée de changer leur indépendance de magistrats contre une subordination de fonctionnaires. Le gouvernement leur reprochait leur « ton rogue et pédantesque », et de ne pas parvenir à se défaire « de l'air et des maximes du barreau ». Aussi, s'efforçait-il de les consulter le moins possible, ou de ne les consulter que pour la forme. Après la paix d'Aix-la-Chapelle, il prit l'habitude de leur envoyer de Vienne des ordonnances toutes faites (15). (Bruges, Musée communal.) LA NOUVELLE BUREAUCRATIE. — La nomination de Patrice-François de Nény, le fils du rédacteur de la charte de la Compagnie d'Ostende comme adjoint du vieux président Steenhaut en 1757, l'année même de la suppression du Conseil Suprême de Flandre, introduisit parmi eux une vie nouvelle. Nény, en effet, n'est pas un juriste, mais un homme d'affaires, d'administration et de progrès. De son passage à l'Université de Louvain, il n'a conservé que le dégoût du pédantisme et de la routine. Nulle trace chez lui de cet esprit conservateur, invétéré depuis si longtemps dans la nation, et qui condamne une nouveauté parce qu'elle est une nouveauté. Il appartient à cette génération nouvelle d'hommes politiques qui cherchent non plus seulement, comme on l'avait fait au XVIIe siècle, à organiser l'Etat, mais, par l'Etat, à administrer la société conformément à la raison. Il est un adepte convaincu de ce « despotisme éclairé », administratif et policier que la cour de Vienne a emprunté à Frédéric II, et que cherchent à réaliser Kaunitz, la conférence ministérielle et les ministres plénipotentiaires. Par lui, leurs tendances vont se communiquer aux Conseils, toujours fidèles à la tradition de l'Etat judiciaire, attentifs au respect des formes et des droits, mais étrangers aux nécessités et aux réalités de la vie. De même que les jurisconsultes du temps de Charles-Quint ont remanié et élargi, en s'inspirant du droit romain, la notion et l'étendue de la souveraineté, de même il s'applique à soumettre toutes les manifestations de l'existence nationale à la police envahissante et novatrice du pouvoir civil, « C'est la meilleure tête que nous avons ici », dit Charles de Lorraine (16). Et bientôt son influence grandissante introduit dans les Conseils tout un personnel nouveau, formé à la même école que lui, aussi dédaigneux d'un passé suranné, aussi jaloux des prérogatives de l'Etat laïque, et aussi persuadé de leur bienfaisance : les Aguilar, (Cliché A.C.L.) Marché et beffroi de Bruges au XVIIIe siècle. Tableau non signé, première moitié Le couronnement du beffroi a été anéanti par un incendie le 30 avril 1741 du XVIII» siècle. les de Kulberg, les de Limpens, les Leclercq, les Patyn, les de Stassart. Dès 1758, Kaunitz constate déjà avec satisfaction que les Conseils collatéraux secondent maintenant les initiatives du gouvernement au lieu de les contrecarrer. « Plus de détours, plus de souterrains; tout se fait au grand jour. Le ministre (plénipotentiaire) lié par les instructions et par l'organisation même du gouvernement aux avis des Conseils, les consulte; ceux-ci peuvent s'expliquer librement, et on a mis dans leurs opérations tout l'ordre et toute l'activité que le génie des nationaux comporte» (17). Comme le Conseil Privé, le Conseil des finances, réorganisé en 1733 (18), a perdu cette lourdeur d'allures et cette procédure minutieuse qui lui faisaient gérer les affaires financières comme on instruit un procès civil. Lui aussi s'est assoupli, rajeuni, rénové et apporte le plus utile concours au gouvernement. Et l'activité de celui-ci se multiplie si rapidement que bientôt, à côté des Conseils, il institue, pour certains services spéciaux, des « jointes » ou commissions analogues à nos modernes « directions » ministérielles. Telles sont par exemple, en 1753, la jointe des amortissements, en 1763, la jointe des terres contestées (19), en 1764, la jointe des administrations et des subsides (20), en 1772, la jointe pour les affaires concernant l'écoulement des eaux, etc. (21). Ainsi la bureaucratie s'installe à Bruxelles et s'y étend à mesure que le personnel administratif s'imprègne davantage des principes du « despotisme éclairé ». Remplie d'ardeur et persuadée de l'excellence et de la supériorité de ses vues, elle entame contre les préjugés, comme contre les privilèges politiques et ecclésiastiques qui s'opposent à son action, une lutte incessante, anonyme et un peu sournoise. Elle est antiautonomiste et anticléricale. Elle étudie des projets sur l'abolition de la torture (22), la restriction de la mainmorte (23), la subordination des provinces au pouvoir central, en même temps qu'elle s'occupe d'organiser l'enseignement, de vulgariser l'hygiène, d'améliorer l'agriculture et de perfectionner les moyens de transport. Au reste, elle est habile et s'insinue plutôt qu'elle ne s'impose. Elle se pénètre de cette maxime de Kaunitz que « la politique est aux Pays-Bas l'art de mettre les droits de la couronne à l'abri des incursions des Etats et d'en reculer les limites, sans empiéter sur les privilèges de la nation» (24). Elle s'en inspire même si bien que le chancelier la trouve trop prudente et déplore que « la crainte de désobliger les Etats arrête souvent les dispositions les plus utiles et fait supprimer les vues les plus salutaires » (25). L'AUTONOMIE PROVINCIALE. - C'est que justement sa compétence s'arrête au point où commence celle des Etats. Le mouvement qui, de Vienne, se transmet jusqu'à elle ne peut s'étendre plus loin qu'elle. Les rouages de la machine ne vont point au delà. Passé les Conseils collatéraux et les « jointes » qui les entourent, on entre dans le domaine des autonomies provinciales. Ici le gouvernement n'a plus de prises légales, sa police est impuissante et conséquemment, d'après lui, c'est le chaos. Les Etats des provinces et leurs députations permanentes constituent autant de pouvoirs qui lui échappent. L'incapacité où il se trouve de les soumettre à son contrôle lui est insupportable. On parle à Vienne des « mystères de leur ténébreuse administration» (26). On leur reproche de ne pas rendre de comptes, de lever les impôts d'après des matricules surannées, d'exclure les officiers de Sa Majesté de toute participation à leurs faits et gestes. En Flandre, « Gand et Bruges ne paient depuis longues années pas un sol dans les subsides... Tout est obscur dans leur gestion », et l'on n'est pas « plus instruit de celles du Franc de Bruges, dont les finances sont également fort dérangées ». En Hainaut, les députés des Etats rendent compte au grand-bailli. Mais le désordre est si grand qu'après la guerre de la succession « leurs rentes étaient fort arriérées et la province sans crédit, et cela dans le moment que, sans le savoir, ils avaient plus de 700,000 livres éparpillées entre les mains de plusieurs receveurs ». Dans le Luxembourg, la « répartition des charges publiques est plus vicieuse et injuste que dans (Bruges, Musée Gruuthuse.) Trousseau de clés présenté aux souverains ou à leurs représentants à Bruges en qualité de comtes de Flandre au XVIII toutes les autres provinces des Pays-Bas. La noblesse et surtout le clergé trouvent constamment moyen d'en imposer tout le fardeau au pauvre peuple; d'ailleurs, les Etats n'ont, depuis longtemps, pas rendu compte de l'excédent de leurs moyens, et, en général, il y a des désordres de toute espèce dans cette province ». Quant au Limbourg, « on connaît malheureusement très peu de choses sur la comptabilité de ses administrations ». Ces reproches peuvent être excessifs, mais ils sont fondés. Dans le pays, les meilleurs esprits en conviennent. Le comte Vilain XIIII condamne très nettement comme mauvais et routinier le système financier des Etats de Flandre. Il constate que de 1712 à 1743, en pleine paix, on n'a pas amorti les dettes, que les impôts mal répartis gênent le commerce et les manufactures, que l'intérêt de 5 p. c. payé pour les sommes empruntées est trop élevé et détourne fâcheusement les capitaux de l'agriculture et de l'industrie (27). Il est trop visible que la constitution même des Etats les soumet à une clique aristocratique qui confond ses intérêts particuliers avec ceux du public. Durant l'atonie politique du XVII" siècle, ils se sont racornis et atrophiés. On ne peut plus dire qu'ils représentent encore les trois ordres privilégiés, car chacun d'eux n'y figure plus que par un fort petit nombre de personnes désignées, non par l'élection, mais par une usurpation passée en coutume. Dans chaque province, les soi-disant mandataires du clergé se réduisent aux prélats de quelques abbayes, toujours les mêmes, ceux de la noblesse aux chefs de quelques familles, ceux du tiers (bourgeoisie) aux bourgmestres des villes principales. En Brabant, Louvain, Bruxelles et Anvers, en Hainaut, Mons, dans le Namurois, Namur ont seuls le droit d'y députer au nom de la bourgeoisie. En Flandre, Gand et Bruges jouissent du même monopole, qu'ils partagent avec les délégués du Franc de Bruges et ceux du clergé. La noblesse comme telle est exclue et malgré ses protestations, dont le mémoire de Zaman, en 1711, nous fournit la justification, elle ne peut récupérer son droit périmé (28). LES ETATS DES PROVINCES. - En réalité, les Etats qui continuent à parler au nom des provinces, ne correspondent donc plus du tout aux populations qu'ils prétendent représenter. Mais c'est là justement ce qui assure leur indépendance vis-à-vis du pouvoir central. Que peut-il contre les prélats et les nobles inamovibles qui y siègent ? Les bourgmestres des villes, bien qu'ils changent chaque année, ne se montrent pas plus maniables, car ils ne sont que les porte-parole des bourgeoisies qu'ils administrent et qui leur dictent leurs résolutions. Les Etats, organes et défenseurs des autonomies provinciales, échappent donc à la tutelle de l'Etat. Et ils n'y échappent pas seulement en fait, mais en droit, puisque le souverain, lors de son inauguration, jure de respecter les franchises du pays. Kaunitz lui-même doit bien reconnaître que les dépouiller de leurs prérogatives, dont (Cliché Brusseiie.) le vote de l'impôt est la plus pré- lors de leur inauguration cieuse- « serait blesser la foit d'Un siècle. serment solennel» (29). Ils le sa- TSitiiiii i Si gin. (Bruxelles, Musée communal.) Le château de Tervueren à l'époque de Charles de Lorraine. Première moitié du XVIIIe siècle. Gravure de Séraphin J. Huylbroeck (travaillait à Bruges vers 1730). (Cliché Bijtebier.) vent en profitent, « se soutenant par ce système dans une offensive perpétuelle » (30). Les plus instruits d'entre leurs membres commencent au surplus, vers le milieu du siècle, à se réclamer d'une théorie politique. Ils ont lu l'Esprit des lois de Montesquieu (1748) et y ont découvert l'importance des « corps intermédiaires » dans une monarchie tempérée. Les Etats constituent en Belgique de ces corps intermédiaires. Dès lors, de quel droit l'Etat prétendrait-il les étouffer sous son absolutisme ? A sa doctrine ils en opposent une autre, et il se fait ainsi que l'antique conflit du prince et des privilégiés commence à se transformer en un conflit de principes. Du reste, aussi longtemps que régna Marie-Thérèse, tout éclat fut facilement évité. Le bon Charles de Lorraine modérait les impatiences de la cour de Vienne et lui conseillait la douceur. « Il est vrai, écrivait-il à l'impératrice, que ces pays sont très attachés à leurs privilèges, et même j'ose dire qu'ils poussent cela jusqu'à la folie. Mais ils sont tous élevés dans ce préjugé et il serait fort dangereux de toucher cette corde... En examinant bien les points, rien n'est plus facile que de concilier l'autorité souveraine et le service de Votre Majesté ». Et encore : « Je dois dire que cette nation n'est pas comme bien d'autres, car avec de bonnes façons l'on peut faire tout ce que Votre Majesté voudrait. Mais je ne voudrais pas en répondre si l'on voulait y aller avec trop de rigueur » (31). Il avait raison d'insister, car il savait que sa belle-sœur, qui émaillait ses ordonnances d'effusions de trendresse, s'y apitoyant sur « le pauvre peuple, cette portion précieuse de l'Etat » (32), et promettant de ne suivre que « la voie d'équité et commisération », ne voulait point entendre parler du droit des Etats de refuser l'impôt. « Je dois, lui faisait-elle écrire en 1776, protection et justice à mes sujets; ils me doivent obéissance et contributions. Voilà les droits primordiaux de la souveraineté; voilà les droits sacrés, réciproques, inviolables qui forment des liens indissolubles entre le souverain et le sujet. Refuser les subsides, ce serait blesser l'obéissance, renoncer à ma protection. Jamais les Etats... ne doivent en avoir pesé les conséquences, et ce serait peu connaître les véritables intérêts de leur patrie que de nourrir dans les Etats, par des ménagements hors de saison, les fausses idées qu'ils pourraient avoir sur les devoirs essentiels de leur être civil... La faculté de consentir... ne donne pas le droit de refus, inséparable de la monstrueuse idée d'une obéissance précaire » (33). Charles se gardait bien de dévoiler aux Etats ces belles doctrines. Il leur laissait leurs « idées fausses » et continuait de les « ménager », se contentant, en homme pratique, de les voir voter l'impôt chaque année. LE GOUVERNEMENT ET LES PROVINCES. — Tant qu'ils ne se sentaient pas menacés, ils se montraient, en somme, de bonne composition. Depuis 1752, ceux de Brabant laissèrent tomber en désuétude le vieux principe qui exigeait l'unanimité du tiers Etat pour toute résolution (34); ceux du Hainaut et du Namurois ne protestèrent pas quand les gouverneurs de leurs provinces furent privés des derniers vestiges de leur ancienne indépendance (35). Nulle part on ne voit qu'ils aient sérieusement contrecarré l'intervention des « jointes » dans les affaires provinciales et, presque toujours, ils fournirent au gouvernement les subsides nécessaires pour l'exécution des travaux publics. Ces corps oligarchiques sentaient bien, au fond, qu'il eût été dangereux de s'opposer avec trop d'obstination à toutes les réformes (36). En froissant l'opinion, ils l'eussent retournée contre eux et rejetée vers le gouvernement. La mésaventure des Etats de Flandre, en 1754, leur fut à cet égard une leçon salutaire. Depuis longtemps, les châtellenies et les villes secondaires aspiraient à y être représentées à côté de Gand, de Bruges et du Franc. Tous leurs efforts ayant échoué, elles s'adressèrent à l'impératrice, offrant, si leur demande était accueillie, de consentir un subside annuel et permanent. On s'empressa naturellement de leur donner satisfaction. A partir de cette date, le principe de l'impôt perpétuel fut introduit en Flandre. L'égoïsme à courte vue des privilégiés y avait fait le jeu du pouvoir souverain. Il est certain qu'en présence des oligarchies régnantes celui-ci défendait l'intérêt général. Mais le peuple se défiait de sa bureaucratie et, à tout prendre, préférait encore, malgré ses abus, l'administration à laquelle il était accoutumé et dont il connaissait les agents de père en fils, à celle des fonctionnaires anonymes, obéissant à la consigne du gouvernement et n'ayant rien des allures familières et presque familiales qui faisaient pardonner bien des choses à la routine conservatrice des Etats. Il observa donc une attitude passive, ne réclamant pas de réformes, mais acceptant celles qui lui arrivaient. La créa- tion, en 1764, de la «jointe des administrations et des subsides », qui remit de l'ordre dans la comptabilité si embrouillée des villes et des provinces, fut incontestablement un progrès dont il dut ressentir les effets bienfaisants. En somme, les Etats en étaient réduits à défendre leurs prérogatives; ils ne pouvaient plus songer à les étendre. Leur politique était, si l'on peut ainsi dire, essentiellement négative. « Ils font moins de mal, disait Kaunitz, qu'ils n'empêchent de bien» (37). SITUATION PRIVILEGIEE DU BRABANT. -Dans une province toutefois, et justement dans la plus importante, le Brabant, leur opposition était plus énergique et plus gênante. C'est qu'à la différence de ses voisines, le Brabant possédait une constitution écrite. Le prince ne s'y engageait pas seulement, par un serment général, à respecter les privilèges, il ratifiait tous les points de la Joyeuse-Entrée, qui lui était lue au moment de l'inauguration, et Dieu sait ce qu'il était possible de découvrir d'arguments contre lui dans ce vieux texte, rédigé en 1356, et qui n'avait plus été remanié depuis Philippe II ! (38) Son article 5 défendait au duc de rien innover en matière de justice et d'administration sans l'avis du Conseil de Brabant. Cette clause était restée lettre morte pendant les troubles du XVIe siècle et durant l'administration d'Albert et d'Isabelle. Mais, à partir du milieu du XVIIe siècle, on avait commencé à l'invoquer, et la coutume s'était introduite de ne considérer comme applicables en Brabant que les édits approuvés par le Conseil et scellés par le chancelier, chef de celui-ci (39). Peut-être l'attitude du Parlement de Paris vis-à-vis de la royauté n'avait-elle pas été sans exercer quelque influence sur cette collaboration du Conseil au pouvoir législatif. En tout cas, la situation du souverain était plus défavorable en Brabant qu'elle ne l'était en France, car il n'y possédait pas la ressource suprême des « lits de justice ». Il lui fallut donc, bon gré mal gré, s'accommoder d'un état de choses qu'il n'aurait pu changer sans provoquer de graves difficultés. Kaunitz s'en indignait, mais Charles de Lorraine et Nény parvinrent à le contenir. Les Etats de Brabant, appuyés sur le Conseil, se trouvèrent donc à même de traiter avec le gouvernement de puissance à puissance, et il fallut faire preuve, à leur égard, d'une modération exceptionnelle. C'était d'autant plus regrettable que les progrès de la centralisation attirant de plus en plus l'attention vers la capitale, les Etats de Brabant, qui y siégeaient, en recevaient un prestige qui manquait aux autres Etats provinciaux. Par un curieux concours de circonstances, il se fit que l'opposition au gouvernement ne fut nulle part plus apparente et plus efficace que dans la résidence même du gouvernement. Bruxelles n'avait été jusqu'alors qu'une capitale administrative; il devint peu à peu le centre de la vie politique du pays. Les discussions des Etats de Brabant intéressèrent tout le monde et poussèrent les autres Etats à se conformer à leur exemple. Les résistances provinciales s'unirent ainsi en une résistance nationale. La révolution qui éclata sous Joseph II portera à juste titre le nom de Révolution Brabançonne. Ce sont les couleurs du Brabant qu'elle adoptera et qui resteront depuis lors les couleurs de la Belgique. NOTES (1) Déjà le 4 mai 1736, Charles VI avait promis le gouvernement des Pays-Bas au duc François III de Lorraine, qui l'aurait exercé en attendant son entrée en possession du duché de Toscane. L. Bittner, Chronologisches Verzeichnis der Bsterreichischen Staatsvertrtige, t. I, p. 158 (Vienne, 1903). La nomination de Charles par Marie-Thérèse se rattache évidemment à ce projet. (2) Sur sa personnalité, voy. le livre surtout anecdotique de L. Perey, Charles de Lorraine et la cour de Bruxelles sous le règne de Marie-Thérèse (Paris, 1903). Cf. M. Huisman, Un prince populaire : Charles de Lorraine. Revue de l'Université de Bruxelles, juin-juillet 1903. Voy. aussi A. von Arneth, Maria Theresias letzte Regierunszeit, t. IV, p. 232 (Vienne, 1879). (3) Voy. ce que dit de lui Podewils, Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2» série, t. II [1851], p. 254. (4) Mémoires, p. 123 (Bruxelles, 1860). (5) O. Cumont, Manufactures établies à Tervueren par Charles de Lorraine. Annales de la Soc. d'Archéologie de Bruxelles, t. XII [1898]. Ed. Laloire, Recherches de mines dans les Ardennes pour le compte de Charles de Lorraine. Bullet. de la Soc. d'Art, et d'Hist. du dioc. de Liège, t. X [1896]. (6) A. von Arneth, Josef II. und Maria Theresia, t. III, p. 314. (7) H. Schlitter, Geheime Correspondenz fosefs II. mit seinen Minister in den Oesterreichischen Niederlanden Ferdinand Grafen Trautmansdorff, p. 793 (Vienne, 1902). (8) Voici leurs titres complets accompagnés des dates de leurs lettres de nomination : Antoine-Otton, marquis de Botta-Adorno, chevalier de Malte, conseiller d'Etat, du Conseil Aulique de guerre, général d'artillerie, 19 avril 1749. — Charles comte du Saint-Empire Romain et de Cobenzl, grand échanson héréditaire du duché de Carniole, grand fauconnier et grand porte-plats héréditaire du comté de Ooritz, chambellan de l'impératrice, conseiller d'Etat, 19 mai 1753. — Georges-Adam, prince du Saint-Empire Romain et de Starhemberg, chevalier de la Toison d'Or, grand'croix de l'ordre de Saint-Etienne, conseiller d'Etat, ministre des conférences et d'Etat, 31 mars 1770. — Louis de Barbiano de Belgiojoso, chevalier de Malte, chambellan, conseiller d'Etat, lieutenant-général des armées de l'Empereur, colonel propriétaire d'un régiment d'infanterie, ex-envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à la cour d'Angleterre, 9 mai 1783. — Ferdinand, comte du Saint-Empire Romain et de Trautmansdorff-Weinberg, chambellan, conseiller d'Etat, ex-ministre plénipotentiaire près l'électeur de Mayence et les Cercles du Haut-Rhin et de Franconie, 12 octobre 1787. — Florimond, comte de Mercy-Argenteau, chevalier de la Toison d'Or, grand-croix de l'ordre de Saint-Etienne, chambellan, conseiller d'Etat, ambassadeur à la cour de France, 30 novembre 1790. — François-Georges, comte de Metternich-Winnebourg, grand'croix de l'ordre de Saint-Etienne, chambellan, conseiller d'Etat, ministre plénipotentiaire près des cours électorales de Trêves et de Cologne et le Cercle de Westphalie. 17 juin 1791. (9) Gachard, Ordonnances, t. VI, p. XIII, Cf. ibid., t. XI, p. XIV n. (10) J. Laenen, Botta-Adorno, p. 33. (11) Ibid., p. 34. (12) Ibid., p. 35. (13) Bull, de la Comm. roy. d'Hist., 5« série, t. IX [1899], p. 447. (14) Gachard, Analectes belgiques, p. 461. (15) P. Alexandre, Histoire du Conseil Privé dans les Anciens Pays-Bas. Mémoires in-8° de l'Acad. roy. de Belgique, t. LII [1895], p. 145 et suiv. (16) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2» série, t. V [1853], p. 352. (17) Gachard, Analectes, p. 460. (18) Gachard, Ordonnances, t. IV, p. 471. (19) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2» série, t. VIII [1856], p. 194. (20) Gachard, Ordonnances, t. IX, p. 152. (21) Ibid., t. X, p. 286. (22) E. Hubert, Un chapitre de l'histoire du droit criminel dans les Pays-Bas Autrichiens au XVIII' siècle. Les mémoires de Goswin de Fierlant (1771). Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 5° série, t. V [1895], p. 154 et suiv. (23) R. Koerperich, Les lois sur la mainmorte dans les Pays-Bas catholiques, p. 79 et suiv. (24) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3» série, t. X [1869], p. 405. Cf. Schlitter, Trautmansdorff, p. 97. (25) Bull, de la Comm. roy. d'Hist., 3" série, t. X [1869], p. 406. (26) Gachard, Analectes, p. 405 et suiv. (27) Mémoires sur les finances de la Flandre (Gand, 1755). (28) Exposition des trois états du pais et comté de Flandres, du clergé, de la noblesse et des communes (s. L, 1711). (29) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3« série, t. X [1869], p. 407. (30) Ibid., p. 406. (31) Gachard, Ordonnances, t. XI, p. XI n, XIV. (32) Ibid., t. VII, p. 126. (33) Gachard, Collection de documents inédits, t. I, p. 69. (34) J. Laenen, Botta-Adorno, p. 97. (35) Pour le Hainaut, voy. Gachard, Ordonnances, t. VII, p. 356; pour le Namurois, Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2° série, t. V [1853], p. 355. (36) Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, t. IV, p. 265 et suiv. [Amsterdam, 1783], expose très clairement la réforme. Elle a été étudiée par Gachard, Sur le changement apporté à ta constitution de la Flandre en 1754. Bullet. de l'Acad. roy. de Belgique, t. VII, I" partie [1840], et par J.-J. de Smet, ibid., t. XI, 2« partie. (37) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3» série, t. X [1869], p. 407. (38) Ed. Poullet, Histoire de la Joyeuse-Entrée de Brabant, p. 339 (Bruxelles, 1863). Le dernier état du texte se trouve dans Gachard, Ordonnances, t. I, p. 128. (39) A. Gaillard, Le Conseil de Brabant, t. I, p. 221 et suiv. (Bruxelles, 1898). Alexandre, Le Conseil Privé, p. 296 et suiv. (Oand, Veldstraat.) (Cliché A.C.L.) « A Gand, le bel hôtel du manufacturier Josse Clemmen rappelle encore l'opulence de ce précurseur de la puissante industrie cotonnière qui constitue aujourd'hui l'une des sources de la prospérité de la ville. » (Voyez le texte p. 149.) Salon de l'hôtel de Josse Clemmen à Gand; salon d'époque Louis XVI aux parois couvertes de papier peint à décor chinois. Ce mode de décoration avait été mis à la mode à l'époque de la Compagnie d'Ostende. Construit en 1770, l'hôtel a été occupé par Wellington qui y logea avant la bataille de Waterloo. Il appartient aujourd'hui à la baronne van der Haeghen. CHAPITRE IV LE MOUVEMENT ECONOMIQUE E RELEVEMENT ECONOMIQUE. - On peut affirmer que du commencement du moyen âge au milieu du XVIe siècle, aucune contrée de l'Europe occidentale n'a fait preuve d'une vitalité économique comparable à celle de la Belgique. De Çharlemagne à Charles-Quint, à quelque point de vue qu'on l'envisage, le travail humain y est plus intense et plus varié que partout ailleurs. A tous les moments de l'économie, elle est en progrès sur ses voisines. Elle l'est à l'époque des grands domaines comme à l'époque des villes, à l'époque des villes comme à celle de la Renaissance. Ses polders depuis le XIe siècle, son industrie dra- pière, sa dinanderie et ses charbonnages depuis le XIIIe siècle, son port de Bruges, sa Bourse d'Anvers, pour ne citer que ces exemples, lui assurent dans l'histoire économique une place aussi haute que celle qu'elle doit à ses peintres et à ses sculpteurs dans l'histoire de l'art. Mais la période de guerres civiles, puis de guerres étrangères qui s'ouvre pour elle presque en même temps que le règne de Philippe II, interrompt, après sept siècles de développement continu, cette extraordinaire activité. Elle lutte désespérément pour conserver une prospérité qu'il n'est plus en son pouvoir de retenir et qui, pendant environ deux cents ans, va déclinant de plus en plus, sans _«u,'JWeàt'êck< /vw /750-//âd 45.OOO/aiil'lori.. ^ 48.409 3//t(>ek> 1755 57. 854 /7S3 74.42 7 17-55-17S4 37.304 48.^65 Mouvement ascensionnel du nombre des habitants de Bruxelles, Gand, Anvers, Mons et Namur au XVIIIe siècle. Echelle dressée d'après les chiffres fournis par le texte ci-contre. qu'elle en perde jamais la mémoire. Aucune accalmie, durant la longue tempête, n'est assez durable pour lui permettre de se ressaisir. La mauvaise fortune s'acharne contre elle. Après la fermeture de l'Escaut (1648) et surtout après le traité de la Barrière (1715), il semble qu'elle doive renoncer à tout espoir et que les destins soient accomplis. Et pourtant, contre toute attente, elle se relève. A partir du milieu du XVIIIe siècle, la paix rétablie, la sécurité revenue, elle se remet à l'œuvre, et c'est un spectacle touchant de la voir se redresser peu à peu et s'attacher à l'industrieux labeur qui fait sa vie. En quelques années, des progrès étonnants sont réalisés. Sans doute, elle ne remonte pas au rang qu'elle avait occupé jadis, mais son ascension est pourtant si rapide et si énergique qu'elle surprend tout le monde. Dès 1766, Kaunitz constate que « la prospérité de la nation a commencé une nouvelle période depuis la paix d'Aix-la-Chapelle» (l). D'après Dérivai, qui écrit en 1782, les Pays-Bas sont plus heureux que les pays voisins, ils n'ont jamais été mieux cultivés et les transformations qui s'y sont accomplies sont si grandes, qu'on ne les reconnaît plus (2). Leur air d'aisance, de propreté, de santé frappe tous les voyageurs. Ils décrivent à l'envi leurs belles chaussées, leurs canaux bordés de grands arbres et animés par le passage des chalands et des coches d'eau, dont le confortable est proverbial. Ils s'étonnent de la densité de la population, plus nombreuse, affirme Shaw, que celle de toute autre partie de l'Europe (3). Le règne de Marie-Thérèse a donc mis fin à leur longue décadence. On doit le considérer comme le point de départ d'une nouvelle marche en avant qui, un instant entravée par les brutalités de l'annexion française, reprendra sous l'empire de Napoléon Ier, pour s'accélérer sans cesse depuis lors et aboutir enfin à cette exubérance de travail et de richesses où le guet-apens de 1914 devait surprendre les Belges et les appeler aux armes. Il faut faire honneur de ce relèvement au peuple tout d'abord qui l'a rendu possible par son amour du travail et son énergie demeurée intacte après des calamités inouïes, à l'heureuse situation du pays ensuite et à la richesse du sol, au gouvernement enfin, dont la politique seconda avec autant de zèle que d'intelligence les efforts de la nation. CHIFFRE DE LA POPULATION. — Le premier symptôme et le plus caractéristique du réveil de la vigueur nationale, c'est, à partir du milieu du XVIIIe siècle, le relèvement continu de la population. L'absence de dénombrements exacts ne permet malheureusement de l'apprécier que par des évaluations assez grossières (4). Il semble bien que le chiffre des habitants n'ait jamais été aussi bas, depuis le XVIe siècle, que durant la guerre de la succession d'Espagne, la dernière des grandes catastrophes militaires traversées par le pays avant la fin de l'Ancien Régime (5). Depuis lors jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle (1748), il reste, à peu de chose près, stationnaire. Mais après le bienfaisant traité, il se relève tout à coup et son mouvement ascensionnel ne s'arrête plus. Bruxelles passe de 57,854 habitants en 1755, à 74,427 en 1783 (6), Gand de 45,000 environ vers 1750, à 48,409 en 1786 (7), Anvers de 37,304 en 1755, à 48,665 en 1784 (8), Mons de 15,296 en 1695, à 20,131 en 1786 (9), Namur de 13,257 en 1745, à 14,728 en 1784 (10). D'après des calculs sans doute trop optimistes, la population de la Flandre, entre 1771 et 1784, aurait augmenté d'à peu près 50 p. c. (11). Quant à celle de l'ensemble du pays, le Conseil Privé l'estimait en 1784 à 2,272,892 âmes (12). Kaunitz, en chiffres ronds, la porte à deux millions en 1787 (13), et si Publicola Chaussard, en 1793, l'élève jusqu'à deux millions et demi, c'est qu'il envisage à la fois le pays de Liège et les Pays-Bas (14). Toutes les vraisemblances permettent donc d'admettre pour ces derniers, à la fin du XVIIIe siècle, une population totale d'un peu plus de deux millions d'habitants, chiffre supérieur à ceux qu'ils présentent, pour le même territoire, à n'importe quelle période antérieure (15). Dès cette époque, la densité de la population belge dépasse celle de toutes les autres contrées de l'Europe. La fécondité naturelle de la nation n'est pas seulement favorisée par l'aisance générale, mais aussi par les efforts de l'administration pour améliorer l'hygiène. Des écoles d'accouchement sont fondées dans le Hainaut et à Gand en 1776 et en 1778. A partir de 1768, le grand fléau du temps, la variole, commence à être combattu par l'introduction de la vaccine (16). PROGRES DE L'AGRICULTURE. - Le relèvement de la population s'est surtout manifesté rapide et vigoureux dans les campagnes. De 1709 à 1784, le nombre des habitants a plus que doublé dans quantité de villages brabançons et flamands (17). A Saint-Nicolas, centre du pays de Waes, il monte, entre ces deux dates, de 6,429 à 10,107 (18). C'est que la restauration économique a débuté et s'est manifestée par excellence dans le domaine de l'agriculture. Si nombreuses et si cruelles qu'elles aient été, les guerres du XVIIe siècle n'avaient pas anéanti l'or- ganisation rurale de la Flandre. Malgré l'incendie des villages, les inondations, les contributions forcées, les réquisitions et les fourrages, non seulement elle se maintint, mais elle continua d'être considérée comme un modèle. Elle le dut sans doute à la répartition traditionnelle du sol entre une multitude de petits fermiers. Après un pillage ou un incendie, il suffisait que le propriétaire consentît de légères avances au paysan pour que celui-ci relevât sa chaumière, se procurât les quelques instruments indispensables et se remît au travail. La nature capitaliste de l'agriculture flamande et le système des petites exploitations lui permirent donc de traverser des crises qui eussent ruiné pour longtemps un pays de grandes fermes, trop coûteuses pour être rebâties sans retard, ou de paysans propriétaires, trop pauvres pour se relever par leurs propres forces. Le retour de la sécurité après la paix d'Aix-la-Chapelle rendit l'essor à une activité demeurée intacte et robuste en son fond. En quelques années, grâce à la puissante natalité propre aux pays de petite exploitation, où les enfants collaborent au travail du père, les terres inondées ou abandonnées furent remises en culture et les procédés traditionnels de la technique rurale se perfectionnèrent. L'usage déjà si répandu des engrais fit des progrès nouveaux. Il suffit de lire un acte de bail pour admirer la minutie des stipulations qui le concernent et en répartissent les dépenses entre le propriétaire et le fermier. La chaux s'ajoute aux engrais naturels vers le milieu du siècle; en 1768, son emploi se répand, des châ-tellenies d'Ypres, de Courtrai et d'Audenarde, dans le Franc de Bruges (19). La variété des cultures grandit encore. A côté des céréales, des légumes, du lin, du houblon apparaissent la pomme de terre (20), puis le tabac, dont la production est déjà si abondante en 1783, qu'on n'a plus besoin de recourir au tabac d'Amérique (21). Et, à mesure que la terre donne une plus grande diversité de fruits, sa fécondité va croissant, une application plus rationnelle et plus savante de l'alternance des moissons lui restituant sans cesse les forces qu'elle perd et la faisant produire sans relâche. Le pays de Waes, particulièrement, où pas un pied carré ne demeure stérile et qui apparaît comme un immense jardin de céréales, frappe d'admiration tous les voyageurs qui le traversent. Un si bel exemple devait susciter l'imitation des provinces voisines. La région limoneuse du pays, dont le sol plus compact se prêtait plus malaisément que celui de la Flandre à la culture intensive et dont la population moins dense requérait moins de la terre, ne s'était point dégagée encore, au milieu du XVIIIe siècle, d'une routine que les progrès de la Flandre faisaient paraître plus choquante. L'assolement triennal, où la jachère se repose une année sur trois, subsistait dans les grandes fermes du Brabant wallon comme dans les villages d'une partie du Hainaut, du Na-murois et du Luxembourg (22). Dans quantité d'endroits on rencontrait presque intacte la communauté rurale du moyen âge, avec sa forêt, ses pâtures et ses prés communaux, et l'enchevêtrement de ses champs, que l'obligation de les cultiver en commun empêchait de clôturer. Ces vieux usages faisaient vivre le pauvre, qui conduisait sa vache ou ses chèvres paître sur le « waret » et s'approvisionner gratuitement de combustible et de litières de fougères dans le bois banal; mais, aux yeux des agronomes, leurs avantages sociaux ne pouvaient compenser leurs défectuosités économiques. Quel misérable rendement; que de terres perdues ! La science de la richesse, qui commençait à se développer, ne tenait aucun compte de l'homme. Les physiocrates, alors dans la prime nouveauté de leurs débuts, ne voyaient que la nature, ne s'occupaient que d'elle et d'en multiplier la production. Le gouvernement et les administrations applaudissaient à leur doctrine et se réglaient sur elle. En 1770, une ordonnance, dans le Luxembourg, autorise la clôture des terres afin de les faire échapper à la vaine pâture (23). Avant 1766, un édit permet aux Etats du Hainaut et du Namurois de louer pour un terme de trente-six à quarante ans les terres communales (24). Un autre, en 1773, ordonne de répartir les terrains vagues entre les chefs de famille et de les mettre à la charrue dans les deux ans (25). D'autres encore permettent aux communes de la Campine de vendre leurs bruyères, à condition que l'acheteur s'engage à les défricher; restreignent le nombre des bonniers destinés à demeurer en jachère; transforment les « prés à warlo » en pacages ou en terre de labour; exemptent de l'impôt pour dix ans les acquéreurs de terres incultes; mettent des bornes au droit de pâturage (26). Toute une littérature technique se développe. J.-B. Mandez expose à ses compatriotes du Hainaut les principes salutaires de l'agriculture flamande (27); vers 1775, l'abbé de Marci recherche les moyens de perfectionner celle de l'Ardenne et étudie les engrais artificiels (28); l'abbé Mann et le marquis de Chasteler discutent les avantages et les inconvénients des grandes fermes (29). Les physiocrates en prônent l'excellence, mais l'exemple de la Flandre est trop concluant pour que l'on ne préfère pas sa 256 657 1 220 Ctwûd/m, fie (a (P(*/uifa/i(His à IfagutaCJxfcenAaU.()iv//V//'. zfaSffuùte- fflatu. c, —1 enttc 17020 1764-—' Mouvement ascensionnel du nombre des habitants de quelques villages du Brabant wallon entre 1709 et 1784 : Virginal, Rixensart, Genval, La Hulpe, Ohain et Lasne. Echelle dressée d'après les chiffres fournis par le texte (voyez la note 17). pratique à leur théorie. Le système des petites exploitations se généralise dès le milieu du siècle. En 1755, l'étendue des fermes en Hainaut est fixée à 60 bonniers au maximum (30). F.-X. Burtin, en 1784, condamne les « grosses censes » comme « meurtrières » de la population, de l'agriculture et même de l'industrie, dont les « gros censiers » cherchent à empêcher l'établissement à la campagne pour éviter le renchérissement de la main-d'œuvre (31). En même temps qu'ils poussent à la diffusion de la petite culture, les pouvoirs publics et les seigneurs terriens se préoccupent de généraliser la pratique des engrais à la mode flamande. Le gouvernement prescrit en 1764 au magistrat de Namur d'interdire que les immondices de la ville soient jetées dans la Sambre; il faut les tenir à la disposition des laboureurs (32). Le prince de Ligne fait rédiger pour ses tenanciers un règlement détaillé sur la fumure des terres (33). D'autres mesures encore, et en grand nombre, visent à supprimer les obstacles qui entravent le travail des champs. C'est ainsi, par exemple, que, dans le Namurois, afin de favoriser les moissonneurs, l'ouverture de la chasse est reportée du 20 juillet au 20 août (34). Avec une meilleure utilisation du sol va de pair l'introduction de cultures nouvelles. La pomme de terre, qui ne servait encore au commencement du siècle qu'à l'alimentation de « quelques soldats et de quelques pauvres », se généralise au point que, vers 1750, dans le Luxembourg « le peuple ne pourrait plus subsister sans ce fruit» (35). En 1754 et en 1763, sa culture dans le Namurois est soumise à la dîme (36). LES PETITES FERMES. — L'élevage du bétail progresse parallèlement. La Flandre, vers 1775, au dire de l'abbé Mann, vend de 50 à 60,000 bœufs par an dans les provinces voisines. En Hainaut, le gouvernement envoie des jeunes gens suivre à Paris les cours de l'école vétérinaire (37). Dans le sud du Limbourg et dans le pays de Herve, le sol se couvre de prairies artificielles et donne à cette région l'aspect d'un tapis de verdure quadrillé en damier par les haies des pâturages. Les grandes fermes y sont morcelées en parcelles louées aux « censiers » «g (Eynatten, canton d'Eupen.) La ferme Stester à Eynatten, construite vers 1760. fabricants de beurre et de fromage. Nulle part peut-être l'aisance n'apparaît plus répandue que dans ce coin de terre, véritable « jardin prolongé », à travers lequel s'éparpillent des maisons toutes neuves en briques et charpente, et dont les innombrables clôtures attestent plus visiblement que partout ailleurs la victoire de l'économie individualiste sur le vieux système corporatif et communal du moyen âge (38). Ainsi la constitution rurale commence à prendre, sous le régime autrichien, quelques-uns des caractères qu'elle a conservés jusqu'aujourd'hui. Entre l'Angleterre du XVIIIe siècle, où la grande propriété augmente sans cesse et s'organise sous la forme de l'entreprise capitaliste, et la France, où elle s'émiette pour une bonne partie aux mains des paysans, la Belgique représente un type qui tient à la fois de l'une et de l'autre. La grande propriété y demeure intacte, si même elle ne s'agrandit, mais c'est sous la forme de la petite exploitation qu'elle est mise en valeur. Autant la petite propriété abonde en France, autant la petite ferme est fréquente dans les Pays-Bas. Le principe du « faire valoir direct » est manifestement en recul. Les détenteurs du sol le répartissent entre une quantité de tenanciers, et la rente foncière qu'ils perçoivent hausse à mesure que la culture devient plus intensive. Le prix des terres s'élève sans cesse. De 1721 à 1765, par exemple, dans le pays de Waes, le taux des fermages s'accroît d'environ 50 p. c. (39). Aussi les capitalistes commencent-ils à rechercher des terrains à exploiter. Vers 1782, le comte Proli, le baron de Beelen, M. Foulle font entreprendre des défrichements aux environs d'Anvers (40). En 1791, le baron de Heer offre 200,000 florins pour la lande du Bulscampveld (41). De 1785 à 1786, le duc d'Arenberg endigue des polders au nord de la Flandre pour 600,000 florins (42). Le gouvernement lui-même s'intéresse à la mise en culture de la Campine (43). Les droits féodaux, si lourds en France, ne gênent pas sérieusement le paysan. Si, en Hainaut, la petite noblesse cherche à maintenir dans toute sa vigueur le droit du meilleur catel, les grands seigneurs commencent à le remplacer par une simple redevance (44). Dans beaucoup d'endroits, en 1741, on trouve qu'il est presque anéanti. En 1782, Joseph II ordonne son abolition dans les domaines de l'Etat. La dîme est plus gênante, et la prétention des abbayes de l'étendre aux « fruits nouveaux » donne lieu, vers 1780, à d'âpres polémiques où, sous prétexte de droit, on s'en prend aux prérogatives du clergé (45). Au reste, si exigeante qu'elle soit, la dîme n'apparaît pas comme trop oppressive. De l'avis général, les baux dans les terres monastiques sont d'un tiers moins élevés qu'ailleurs (46). Les progrès agricoles ont évidemment profité avant tout aux grands propriétaires. L'accroissement de la population augmentant, la demande de terres leur permettait d'élever les fermages sans courir le risque de manquer de preneurs. Il est certain que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, leurs revenus dépassent de (Cliché a.c.l.) beaucoup leurs dépenses courantes. Il n'en faut d'autre preuve que les construc- (Cliché A.C.L.) « ... Résidence royale. Cette épithète conviendrait mieux encore à l'admirable parc que le prince de Ligne dispose autour de Belceil. » (Voyez le texte ci-dessous.) I.e parc français de Belceil a été créé en 1711 par le prince Claude-Lamoral II de Ligne (1685-1766) qui fit appel pour l'exécution de certains dessins à Jean-Michel Chevotet (1698-1772), architecte du roi de France. La participation de Le Nôtre à la création des jardins de Belœil paraît très improbable puisque le prince Claude-Lamoral II de Ligne n'avait pas quinze ans à la mort du célèbre architecte décédé en 1700, presque nonagénaire. Les divers jardins recouvrent une superficie totale de soixante hectares environ. La noblesse et la régularité de style des jardins de Belœil leur ont valu les dénominations de « Versailles belge » et de « jardins de l'intelligence ». tions qu'ils font élever. En 1758, les moines d'Orval rebâtissent leur abbaye qui ressemble, dit-on, à une « résidence royale ». Cette épithète conviendrait mieux encore à l'admirable parc que le prince de Ligne dispose autour de Belceil. En Flandre, en Brabant, en Hainaut, nobles et riches bourgeois font remplacer leurs vieux manoirs aux silhouettes pittoresques par ces châteaux à colonnes et à frontons, dont tant de spécimens se sont conservés jusqu'à nos jours, mirant leur façade dans l'eau tranquille des étangs qu'ombragent les arbres séculaires plantés au temps de Marie-Thérèse et de Charles de Lorraine. DECADENCE DES COMMUNAUTES RURALES. — Si les propriétaires perçoivent la plus grande partie de la rente du sol, la situation des fermiers n'en est pas moins très satisfaisante. L'augmentation des baux est compensée pour eux par l'augmentation correspondante du prix des récoltes. Tous les voyageurs sont d'accord pour vanter leur bien-être, la propreté et le confortable de leurs demeures (47). Les plus importants envoient leurs fils à l'université ou au séminaire et donnent de grosses dots à leurs filles, qui épousent quelque bourgeois (48). Beaucoup moins bonne est la condition des paysans propriétaires tels qu'on en rencontre dans certaines parties du Hainaut, dans le Namurois et en Ardenne. Au lieu de profiter des innovations agricoles, ils en pâtissent. Ils se plaignent de la restriction du droit de vaine pâture et de la vente des terres communales, dont leurs ancêtres avaient joui librement durant tant de siècles. Mais les vieilles communautés agraires ont fait leur temps. Elles doivent se résigner à la même décadence où tombent, dans les villes, les corporations de métiers. On ne les considère plus comme les vestiges incommodes et absurdes d'une époque d'ignorance. Le gouvernement ne leur témoigne qu'hostilité et dédain. Il supprime, vers la fin du XVIIIe siècle, ce qui subsistait encore dans le sud du Luxembourg, de l'antique autonomie des villages affranchis à la loi de Beaumont (49). La disparition des vieux usages, et plus encore la hausse constante du loyer des terres ont eu pour conséquence nécessaire l'augmentation de ce prolétariat rural qui, à toutes les époques, a constitué à la société un réservoir plus ou moins abondant de forces d'emploi. L'industrie y pourra puiser à l'aise. Les déshérités de l'agriculture savante lui fournissent, à point nommé, un personnel dont le nombre restreindra les exigences et lui garantira le précieux avantage du bon marché de la main-d'œuvre. LA LEGISLATION DES GRAINS. - On ne s'étonnera point que les produits du sol aient largement pourvu, en temps normal, à la subsistance de la nation. L'année 1740 est la dernière où se soit produite une véritable disette. En Hainaut, vers 1774, on estime qu'une bonne récolte suffit pour plusieurs années (50), et un mémoire de la fin du siècle va jusqu'à prétendre que le pays fournit trois fois plus de blé que sa consommation n'en exige (51). Trauttmansdorff dit, en 1789, qu'il n'y a pas d'exemple qu'il se soit jamais trouvé à court de seigle (52). Aussi l'exportation des céréales alimente-t-elle un trafic important. La Hollande, « pays pécunieux » et la France, où les moments de pénurie ont été assez fréquents pendant le règne de Louis XVI, lui assurent sur ses frontières deux ! \ : wm^mmvs pauaw-'nypovR nàmuk 1 ^MOTr ë| imm^y RAKtANï im &W5ÏÏ ' NAMUR ARÎV/iNT V ' amow m^mi' T" C OSSELUE' EST iVJ.R\ ^.W'fETïT'VOÎTW ?\VDEV/ liberté illimitée nous épuise ou qu'une prohibition sévère nous avilit» (54). Joseph II prétendit vainement couper court à ces fluctuations incessantes. L'édit perpétuel du 11 décembre 1786, promulguant solennellement la liberté du commerce des grains, ne fut appliqué que durant quelques mois. Dès l'année suivante, les blés s'écoulaient vers la France d'un flot si rapide qu'il fallut au plus tôt en revenir à la défense d'exporter (55). ROUTES ET CANAUX. - La sollicitude du gouvernement veilla plus encore sur le commerce et l'industrie que sur l'agriculture. C'est tout d'abord que leur nature plus complexe, plus sensible et à tout prendre plus artificielle, requiert nécessairement l'intervention des pouvoirs publics, mais c'est aussi que l'Autriche se promettait de leur développement les plus heureuses conséquences. Le relèvement des droits d'entrée et de sortie assurait de nouvelles ressources au trésor, tandis que l'augmentation de la richesse nationale affermissant le crédit des Etats, les mettait à même de consentir au souverain, en sus des subsides ordinaires, des dons gratuits et des emprunts. Jamais le marasme économique n'avait été aussi complet qu'au moment de la paix d'Aix-la-Chapelle. Quels moyens employer pour en retirer le pays ? L'échec retentissant de la Compagnie d'Ostende ne permettait plus de songer au commerce des Indes. On se contenta de projets moins ambitieux, mais plus pratiques. A les envisager de haut, on observe qu'ils se ramènent à une double tendance, dans laquelle se combinent l'imitation de la Hollande et celle de la France. Pour relever le commerce, on s'efforça de suivre l'exemple que donnait la première par son organisation du transit, tandis que l'on s'inspira, en faveur de l'industrie, du mercantilisme protectionniste de la seconde. Deux séries de mesures se prolongent ainsi côte à côte à travers le règne de Marie-Thérèse. Le gouvernement renonce à l'unité de vues pour se contenter d'une politique de circonstances. Il ne se réclame d'aucune méthode ni d'aucune doctrine. Il se propose de développer à la fois la circulation et la production, désireux, avant tout, de résultats rapides, et pressé de regagner le temps perdu. Aussi lui arrive-t-il de s'embarrasser dans les intérêts contradictoires qu'il prétend favoriser, de flotter de l'un à l'autre, d'hésiter sur la voie à suivre, et, dans son désir de faire marcher de front les progrès du transit avec ceux de l'industrie, de ne pousser énergiquement ni celui-là, ni celle-ci, de s'arrêter à mi-chemin, et de se résigner aux expédients et aux repentirs de l'empirisme. Il faut reconnaître que, même après la paix d'Aix-la-Chapelle et le traité de Versailles, sa tâche demeurait singulièrement ardue. De quelque côté qu'il se tournât, des obstacles se présentaient : au sud, la France défendue par le solide rempart de ses droits prohibitifs; à l'ouest, l'Angleterre dont les manufactures conquérantes s'entouraient d'un protectionnisme rigide et hautain; au nord, les Provinces-Unies envieuses et attentives, à l'est, enfin, le pays de Liège armé de son impitoyable droit de soixantième. Mais le pays possédait un sol d'une fécondité rare; il touchait à la mer; sa population était dense, laborieuse, patiente et économe, et il suffisait de lui donner un peu d'air et de liberté pour qu'il pût tirer parti de la situation centrale qu'il occupait et s'affranchir de l'encerclement auquel la politique l'avait condamné au mépris de la nature. On se mit à l'œuvre dès les premières années de la ré- marchés rémunérateurs. De 1759 à 1791, alors que l'importation ne consiste qu'en 32,910 « lasts » de froment, on en exporte 195,107 (53). La législation des grains, ce cauchemar des gouvernements du XVIIIe siècle, ne présente donc point en Belgique, grâce à l'abondance de la production, de problèmes bien compliqués. Sauf en temps de mauvaise récolte, la sortie est habituellement libre. On se contente en cette matière d'un empirisme de circonstance. Le gouvernement ou les Etats provinciaux ne se réclament d'aucun système. Ils ferment la frontière quand le prix des céréales annonce une hausse inquiétante, pour la rouvrir quand la baisse se manifeste. Naturellement, on n'arrive jamais à contenter tout le monde. Les bourgeois consommateurs demandent la prohibition en faveur du bon marché des vivres, tandis que les paysans producteurs réclament la liberté qui en augmente le prix. Entre les deux, les autorités vacillent et tâtonnent. Les mesures qu'elles prennent sont « d'une variété dangereuse... nous voyons continuellement qu'une (Mons, Maison Jean Lescarts.) (Cliché A.C.L.) Boîte aux lettres du XVIIIe siècle pour le courrier Mons-Namur. Une inscription porte : Cy est logé le mesager (sic) de Mons à Namur, partant tout le jeudy pour Namur, arrivant tout te vendredy, est (et) partant tout lundy de Namur, arivant (sic) tout le mardy à Mons, posant (sic) par Cossellie (Oosselies) est (et) Fluru (Fleurus) avec un petit voitur (sic) au devas (devant). L'ORGANISATION DU TRANSIT. En revanche, des difficultés politiques retardèrent pendant de longues années la construction de la chaussée qui devait relier ce système de canaux à la région rhénane (57). Elle devait nécessairement, entre le Brabant et le Limbourg, traverser le pays de Liège. Or, les Liégeois s'inquiétaient du tort que l'établissement d'un transit rapide entre l'Allemagne et les Pays-Bas pourrait causer à leur commerce. Excités par les Hollandais, dont la malveillance ingénieuse profitait de toutes les occasions, ils mirent à une rude épreuve par leurs chicanes et l'évidence de leur mauvais vouloir, la patience du gouvernement de Bruxelles. Dès 1750, les Etats du Limbourg avaient fait ouvrir le tronçon de la route qui rattachait Herve à Aix-la-Chapelle. Il ne fallait que l'allonger de quelques kilomètres, pour la conduire jusqu'à la chaussée partant de Liège vers Louvain. On discuta plus de trente ans avant d'obtenir le consentement des Etats de la principauté. Enfin, en 1783, ils consentirent à ouvrir le passage et à percer l'obstacle qui avait si longtemps obligé les chariots à de longs et coûteux détours. Cependant, le réseau des chaussées avait continué de se compléter. En 1754, une route pavée était construite de Namur à Louvain, qui fut prolongée jusqu'à Luxembourg en 1770. De ces grandes artères se détachèrent de plus en plus nombreux des chemins de pénétration vers l'intérieur. Les Etats provinciaux apportaient tous leurs soins à entretenir les chaussées, pour lesquelles les carriè- res du pays wallon fournissaient des pierres excellentes, et dont les rangées de beaux arbres s'allongent encore aujourd'hui à perte de vue par les campagnes. « De toutes les nations modernes, écrivait Voltaire en 1750, la France et le petit pays des Belges sont les seuls qui aient des chemins dignes de l'antiquité » (58). On estime qu'en 1715, le territoire actuel de la Belgique ne comptait guère plus de 61 kilomètres de routes; ce chiffre s'était élevé en 1795 à 925 kilomètres (59). Facilité par la création de grands chemins pavés, le transit le fut encore par la promulgation de tarifs modérés sur l'entrée et le passage des marchandises. Les droits établis en 1755, à la grande fureur des Hollandais, ne tardèrent pas à produire les plus heureux effets (60). Des édits de 1751, de 1755, de 1759 établirent et réglementèrent les entrepôts d'Ostende, de Nieuport et de Bruges. En 1763, ce qui restait encore du vieux monopole auquel les bateliers de Gand prétendaient sur la Lys et sur l'Escaut, fut supprimé (61). Des capitalistes, comme les frères Romberg, avaient installé, en 1780, des comptoirs d'expédition à Louvain et à Bruxelles, qui détournaient de la Hollande une partie du transit de la mer du Nord (62). A la fin du XVIIIe siècle, par exemple, les laines travaillées à Verviers et dans le Limbourg n'arrivaient plus par Amsterdam, mais par Ostende. En 1778, l'ensemble des mesures destinées à activer le travail fut remanié, et l'on constatait l'année suivante qu'elles rapportaient au trésor un revenu supérieur à celui des droits de sortie qui jusqu'alors l'avait constamment dépassé (63). (Bruges, Musée communal.) (Cliché Brusselle.) Creusement du canal Bruges-Gand (1753). Les travaux furent entrepris sur l'ordre du ministre plénipotentiaire Cobenzl en 1753. Jean-Antoine Garemyn (Bruges, 1712-1799) a consacré deux tableaux à cet événement. L'un d eux est reproduit ci-dessus. gence de Charles de Lorraine, sous le ministère de Botta-Adorno (1749-1753) (56). S'inspirant peut-être des tentatives de Bergeyck à la fin du XVIIe siècle, cet habile administrateur conçut le plan de faire passer, grâce à de grandes voies commerciales, le transit de l'Allemagne, de la Lorraine et de la Suisse, à travers les Pays-Bas. Louvain, par sa situation à l'extrémité de la basse Belgique, fut choisi comme centre du système. Les canaux partant d'Ostende devaient y rejoindre les chaussées filant vers Aix-la-Chapelle et Luxembourg. Il ne fut pas difficile d'intéresser à ce projet les Etats provinciaux; dès 1750, les travaux étaient entrepris. Malgré les obstacles suscités par les Provinces-Unies qui, l'année suivante, interdisaient à leurs sujets de s'y employer, ils avancèrent rapidement. En 1751, on avait approfondi le canal de Bruges à Gand et creusé à travers cette dernière ville la « coupure » (1751-1753) qui le relie, par la Lys, au cours de l'Escaut. Le canal du Rupel à Louvain était terminé en 1752, et, en 1758, on posait la dernière pierre des fameuses écluses de Slykens par lesquelles les eaux intérieures communiquaient avec le port d'Ostende. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Revers d'un jeton à l'effigie de Charles de Lorraine commémorant la construction de nouvelles routes et la réfection d'anciennes (1766). Un champ sépare une route ombragée d'arbres d'un nouveau canal auquel travaillent des terrassiers. Légende : UT1-LITATI POPULORUM. A l'exergue : EXTRUCT^E ET REPARAT/E VI^E. M.DCC.LXVI. Argent. Diamètre : 34 mm. Il existe un autre modèle de bronze. L'ORGANISATION DOUANIERE. - En même temps qu'il organisait le transit, le gouvernement s'appliquait à reviser les droits de douane (64). Les puissances maritimes, on l'a vu, avaient forcé Charles VI à conserver le tarif qu'elles avaient imposé au pays au temps de la Conférence. On commença, vers 1750, à réagir contre cette sujétion. Il ne pouvait naturellement être question d'adopter un système prohibitif analogue à ceux de la France ou de l'Angleterre. Le résultat inévitable en aurait été à l'extérieur la guerre économique avec les voisins et à l'intérieur un renchérissement immédiat de la vie qui eût exaspéré l'opinion. On se borna donc à des retouches de détail sur la base des vieux tarifs de 1670 et de 1680. Peu à peu, les matières premières indispensables aux industries que l'on voulait protéger ou acclimater furent dégrevées à l'entrée, tandis que l'on surtaxait les produits de l'étranger et qu'on laissait les fabricatSj nationaux sortir en franchise. Dès 1749, la raffinerie du sel, que les Hollandais, par d'habiles combinaisons douanières, avaient réussi à ruiner, se ranimait sous l'influence de droits protecteurs (65). Les protestations des Etats - Généraux à Vienne ne purent faire revenir le gouvernement sur sa résolution. C'était un premier succès et qui devait en entraîner d'autres. En 1751, une ordonnance accordait la libre entrée aux bois du Nord, et aussitôt des moulins à scier le bois suivant les procédés pratiqués à Amsterdam et (Musée de Mariemont.) à Zaandam s'établissaient à Ostende. Cette fois, les remontrances hollandaises furent si vives qu'elles faillirent l'emporter. Heureusement, Botta-Adorno tint bon. Les moulins subsistèrent, et Charles de Lorraine voulut en poser de ses mains la première pierre (66). La voie était ouverte et l'on s'y engagea toujours plus avant. De nouveaux remaniements de tarifs favorisèrent successivement la fonderie de fer, la verrerie, la papeterie, l'industrie linière et celle du drap. La pêche maritime, écrasée par la concurrence hollandaise depuis la suppression de la Compagnie d'Ostende, leur doit incontestablement sa renaissance. Les mesures prises contre l'introduction du poisson étranger la ranimèrent bientôt, et la grande ordonnance de 1767 consacra et assura ses progrès. De 1767 à 1773, le nombre de barques passa de onze à vingt-trois. Dix ans plus tard, il était de cent vingt-deux (67). A tout prendre cependant, l'organisation douanière demeura défectueuse. L'intérêt du fisc y empêcha bien des innovations salutaires. D'autre part, la multiplicité et la complication des tarifs entravaient le commerce en le soumettant à une inquisition perpétuelle. Les bureaux des droits étaient trop nombreux. On en trouvait non seulement sur les frontières, mais même dans l'intérieur du pays. Ajoutez à cela que l'on ne parvint pas à supprimer quantité de tonlieux de péages, de barrières et d'octrois, les uns datant du moyen âge, d'autres établis lors de la construction des routes et des canaux, et qui s'opposaient comme autant d'obstacles à la circulation (68). Du moins celle-ci était-elle libre de province à province. Au point de vue économique, les Pays-Bas présentaient beaucoup plus d'unité qu'au point de vue politique. C'était un principe généralement observé que les productions d'une province pouvaient passer dans les autres sans devoir acquitter de droits spéciaux du chef de leur provenance. Il n'en est pas moins vrai que les intérêts locaux, naturellement différents suivant les territoires, les industries et les populations, soulevaient des difficultés incessantes. Les tisseurs de toile exigeaient l'interdiction de la sortie du lin, dont les propriétaires fonciers réclamaient la libre exportation; les bourgeois s'indignaient contre toute taxe imposée à l'entrée des denrées comestibles; la prohibition du poisson étranger, par exemple, promulguée au profit de la pêche nationale, fut plus d'une fois sur le point d'exciter des troubles. Les Flamands demandaient le dégrèvement des charbons anglais arrivant par Ostende, et les Hennuyers insistaient pour qu'ils fussent prohibés. Enfin, les commissionnaires en marchandises condamnaient le protectionnisme, tandis que les manufacturiers y voyaient la garantie de leur existence (69). Entre toutes ces oppositions, le gouvernement hésitait, balançait, remaniait ses ordonnances au gré des circonstances, allégeait les droits dans certains bureaux, les aggravait dans d'autres, et, en cherchant à satisfaire tout le monde, n'aboutissait souvent qu'à ne contenter personne. LES MANUFACTURES NOUVELLES. - Il ne lui suffit pas d'ailleurs de combiner des tarifs : il s'efforce encore de stimuler l'industrie par des moyens plus directs. Depuis le commencement du XVIIe siècle, le souverain, les provinces et les villes avaient eu recours à l'octroi de privilèges ou de monopoles pour susciter des manufactures nouvelles (70). Le régime autrichien généralisa ce système Assiette « Au Paon » du service « Aux Oiseaux de Buffon ». Porcelaine de Tournai (vers 1782). d'immunités industrielles en le perfectionnant à l'imitation du colbertisme, dont les résultats se manifestaient si heureusement en France sous le règne de Louis XV. Des avantages de toutes sortes furent assurés aux nouvelles fabriques : garantie de fabrication exclusive pour un certain nombre d'années, liberté complète à l'égard des corporations de métiers, exemption des droits de sortie sur les produits achevés, suppression des droits de barrière, obligation pour les ouvriers employés par l'entrepreneur de demeurer à son service, parfois même constitution d'une sorte de tribunal d'arbitrage pour trancher les différends qui viendraient à s'élever entre eux et lui (71). Les inventeurs des perfectionnements techniques sont encouragés. Charles de Lorraine leur permet de monter des mécaniques au château de Tervueren et invite les Etats provinciaux à en venir admirer le fonctionnement. Beaucoup d'établissements obtiennent licence de s'intituler « Manufacture impériale et royale ». Aussi dans la plupart des villes, voit-on, à partir de 1750, se multiplier des ateliers de toute sorte : il y en a pour la confection des cotonnettes, des flanelles, des camelots, des couvertures, des cuirs dorés, des papiers peints, des voitures, des toiles peintes et imprimées, des tapis, des porcelaines, des faïences, etc. Quelques-uns d'entre eux ont joui longtemps d'une réputation méritée, comme, par exemple, à Bruxelles, la carrosserie de Simon (72). Les tapis et les porcelaines de Tournai, dont la fabrication fut introduite dans cette ville par Piat Lefebvre et François Peterinck, restèrent célèbres jusque dans les derniers temps, et continuent à fournir des modèles à l'industrie contemporaine (73). A Gand, le bel hôtel du manufacturier Josse Clemmen rappelle encore l'opulence de ce précurseur de la puissante industrie cotonnière qui constitue aujourd'hui l'une des sources de la prospérité de la ville. Pourtant les fabriques privilégiées n'eurent pas le succès sur lequel on avait compté. Beaucoup d'entre elles disparurent après quelques années; d'autres ne se soutinrent que par l'appui du gouvernement. L'ingénieux et actif Peterinck, même à l'époque de sa plus grande vogue, ne réalisa jamais de bénéfices. Les seuls établissements prospères que l'on puisse citer, et encore sont-ils rares, ne se rencontrent que dans l'industrie des textiles. C'est que les circonstances étaient particulièrement défavorables au développement des manufactures nouvelles. Les tarifs de l'étranger gênaient leur exportation, et l'administration n'osa se lancer en leur faveur dans une guerre de tarifs, crainte de représailles et crainte surtout du mécontentement que la hausse des prix eût provoqué. Il faut constater encore que les capitaux employés furent généralement insuffisants et que, dans bien des cas, l'éducation technique des patrons et des ouvriers était défectueuse. Les anciennes industries d'art avaient disparu; la tapisserie bruxelloise, à la fin du XVIIIe siècle, n'était plus guère représentée que par un seul atelier (74), et les artisans qui avaient fait sa réputation avaient émigré depuis longtemps vers la France. La décadence de celle d'Audenarde était plus profonde encore. Il est caractéristique que l'on n'ait pas même tenté de les ranimer. Les succédanés que l'on chercha à introduire à leur place, toiles imprimées et papiers-peints, étaient des emprunts faits à l'étranger, et l'étranger mieux outillé, mieux fourni d'argent et mieux protégé, leur fit constamment une concurrence désastreuse. ■ —^ (Gand, Atusée archéologique.) (Cliché De Wilde.) Pièce de maîtrise en fer forgé, signée « Jan de Breu » (XVIIIe siècle). Bien que datant du XVIIIe siècle, la pièce porte le millésime 1513. Au XVIII» siècle encore, l'admission à la maîtrise est subordonnée, comme aux siècles précédents, à l'exécution d'un « chef-d'œuvre » par tous les candidats. Alais les corporations de métier forment des milieux fermés, oligarchiques, dont l'accès devient très difficile. LES CORPORATIONS DE METIERS. - Enfin, les corporations de métiers ne négligeaient rien pour entraver la prospérité des fabriques. Elles prétendaient les soumettre à leur juridiction et les empêchaient jalousement d'empiéter sur leur domaine. Elles protestaient au nom de leurs vieux privilèges contre ces privilégiés récents, au nom de leur monopole traditionnel contre la concurrence intolérable de ces rivaux. Leurs protestations, il est vrai, demeuraient sans écho. Il y avait beau temps que le (Malines, Musée communal.) (Cliché Van Kesbeeck.) Pièce de dentelle de Malines (XVIIIe siècle). L'INDUSTRIE LINIERE. ~ Depuis que les conquêtes de Louis XIV ont annexé à la France la région drapière d'Armentières, d'Hondschoote et de Tourcoing, la toilerie, déjà si active au XVIIe siècle, constitue par excellence l'industrie caractéristique de la Flandre. C'est l'agriculture régionale qui l'alimente, et les milliers de travailleurs qu'elle emploie appartiennent presque tous à la classe rurale. Ses progrès sont inséparables de ceux de la culture ment les ouvriers de « l'affranchissement au métier et supprimé pour eux la nécessité de l'apprentissage» (75). Les maîtres n'avaient plus désormais à compter qu'avec de simples salariés, que la juridiction corporative, exclusivement exercée par eux, mettait complètement à leur merci. Bref, sous la lutte des métiers contre les manufactures, ce qui est en jeu, ce n'est pas l'opposition de l'artisan contre le capitaliste, mais celle du petit capitaliste routinier contre le grand capitaliste novateur. Entre les deux, les préférences du gouvernement n'étaient pas douteuses, mais la prudence l'empêchait d'agir avec énergie. Il se contenta de réformes assez timides. On a vu plus haut qu'il limita les privilèges corporatifs en faveur des manufactures. En 1755, il autorisait les entrepreneurs travaillant pour son compte à embaucher librement leurs ouvriers (76), et en 1773, il affranchissait les propriétaires de houillères dans le Namurois de l'obligation de s'adresser aux chaudronniers de Namur pour la réparation de leurs machines (77). Si, en effet, les maîtres n'étaient pas redoutables sur le terrain économique, ils restaient au moins incommodes sur le terrain politique. L'assentiment des corporations, qu'ils représentaient seuls, était requis dans les villes pour le vote des impôts, et il eût été dangereux de les pousser à bout en favorisant trop visiblement contre elles la concurrence des fabricants. Cette crainte salutaire empêchait l'administration de se laisser aller aux principes libéraux que prêchaient les économistes, que lui recommandaient ses propres agents (78), et auxquels une partie de l'opinion était acquise. Elle attendit, pour s'enhardir, l'abolition des maîtrises et des jurandes en France sous le ministère de Turgot en 1776. Depuis lors, ses intentions ne sont plus douteuses. Dès 1777, la question de la suppression des métiers est délibérée au Conseil Privé. Le conseiller de Gryspere affirme, en 1783, que le pays restera en arrière des autres nations « tant et si longtemps qu'on n'établira et n'étendra pas une bonne fois le principe de la concurrence, le seul moyen qui puisse le faire sortir de l'état de léthargie dans lequel il est à tant d'égards, malgré que, du côté de la position, on ait dans ce pays-ci tous les avantages désirables» (79). Un projet d'édit fut même préparé en 1784. Toutefois, la réforme ne s'accomplit que trois ans plus tard (80). Malgré leurs défauts et leurs abus, les métiers parvinrent à traverser sans trop d'accrocs le règne novateur mais circonspect de Marie-Thérèse. D'ailleurs, ces organes atrophiés de la vie municipale n'étaient gênants que dans les villes, et c'est à la campagne qu'existaient les industries les plus prospères. Ici, le gouvernement n'eut rien à créer; son rôle se restreignit à celui d'un protecteur vigilant. La dépression économique du commencement du siècle n'avait pas desséché les branches les plus vivaces du travail national, celles qu'alimentaient les produits du sol belge et qui répondaient aux aptitudes traditionnelles de sa population. consommateur supportait avec impatience leur tyrannie économique. Les compagnons eux-mêmes, de plus en plus refoulés à l'écart par les « maîtres », demeuraient indifférents. En réalité, la lutte était circonscrite entre les entrepreneurs des grands ateliers et les patrons qui avaient réussi, dans chaque métier, à restreindre à leur seul profit la protection et les avantages que !e régime corporatif avait assurés jadis à tous les travailleurs. Il ne subsistait plus aucune différence appréciable entre les ouvriers du métier et ceux de la manufacture. C'en était fait depuis longtemps déjà de la vieille organisation familiale et fraternelle du moyen âge, qui unissait en une étroite communauté de sentiments, de mœurs et d'intérêts le maître et le compagnon. Le métier n'existait plus qu'en apparence; il n'avait plus d'autre utilité que celle de restreindre dans chaque industrie, à un nombre limité de personnes, le nombre des patrons, et de leur permettre ainsi de rançonner à leur gré la clientèle urbaine. Cela est si vrai que divers édits avaient, au milieu du siècle, exclu formelle- du lin dont elle est une conséquence, et qui se développe en même temps qu'elle. Le spectacle qu'elle présente est celui de l'industrie à domicile sous la forme la plus simple. En règle générale, le tisserand de lin se pourvoit de fil à ses frais. La toile tissée est immédiatement portée au marché, et sa vente permet de se procurer une nouvelle quantité de fil. Le tisserand, en effet, vit au jour le jour et ne se soutient que par un labeur sans trêve. La densité de la population fournissant en surabondance des bras au travail, l'oblige à se contenter de la plus faible rémunération. Sa journée, qui commence en été à 4 heures du matin pour s'achever à 9 heures du soir, lui rapporte à grand'peine sept à huit sous. C'est tout au plus si, à la fin de l'année, il dispose de six écus comptant. « Il n'y a pas de gens plus misérables au monde. » En temps de chômage, il n'a d'autres ressources que de se louer comme ouvrier agricole ou de solliciter le secours de la bienfaisance. Rien de plus pauvre que sa chaumière louée à l'année, ainsi que les deux ou trois parcelles de terre qui l'entourent et sur lesquelles, dans ses moments de loisir, il cultive quelques légumes. L'existence des fileuses, dont le salaire ne dépasse guère cinq sous par jour, est peut-être plus lamentable encore. Elles sont si pauvres, que la plupart d'entre elles sont condamnées au célibat, et, par économie, se groupent sous un même toit, en petites communautés (81). Tisserands et fileuses abondent dans toutes les contrées où se récolte le lin : dans le pays de Waes, dans la châtellenie de Gand, dans celle de Courtrai. On peut estimer que, vers la fin du siècle, le nombre des premiers devait atteindre environ 40,000 hommes, pour lesquels travaillaient à peu près 200,000 fileuses (82). En somme, la moitié de la population rurale de la Flandre vivait de la toilerie, et il continua d'en être ainsi jusqu'à l'introduction des mécaniques à vapeur vers 1848, qui, centralisant l'industrie dans les villes, déchaîna sur les campagnes une catastrophe plus horrible que celles des guerres du XVIIe siècle, et en quelques années imposa au pays la transformation la plus profonde qu'il ait connue depuis la fin du moyen âge. En attendant l'heure encore lointaine où les villes aspireront dans leurs murs le prolétariat industriel, c'est vers elles que s'oriente toute son activité. Les toiles brutes tissées au dehors sont mises en vente aux marchés de Gand et de Bruges et acquises par les marchands de toile, qui leur font donner les derniers apprêts par des « blanchisseurs » manufacturiers. Si le capitalisme s'abstient encore d'intervenir dans l'organisation du travail, c'est lui qui en absorbe toute la production. Au lieu de se procurer directement la matière première et d'en diriger l'élaboration, les « marchands » se bornent à garnir leurs magasins d'objets tout fabriqués. Ils sont les intermédiaires obligatoires et indispensables entre le producteur salarié qu'ils font vivre et le consommateur dont ils tirent leurs bénéfices. Presque toujours ils s'adonnent au commerce d'exportation, car le marché local n'absorbe qu'une partie des toiles de Flandre. Déjà connues et appréciées en Espagne à l'époque où les rois catholiques régnaient sur les Pays-Bas, elles ont conservé, par la clientèle traditionnelle de ce pays et de ses colonies, un débouché toujours ouvert et si large que la production peut indéfiniment s'accroître sans crainte de l'engorger (83). Aussi, dans la seconde (Gand, Musée archéologique.) (Cliché A.C.L.) Torchère de la corporation des tisserands gantois (vers 1720-1725). Le musée archéologique de Gand possède quelques torchères en bois colorié de corporations gantoises. L'ensemble, unique peut-être en Belgique, illustre avec précision la technique des métiers de la ville au XVIIIe siècle. moitié du siècle, la voit-on grandir sans interruption. Le nombre des pièces de toile exposées annuellement au marché de Gand passe de 61,000 environ en 1735-1750, à 80,000 de 1750 à 1765. Pour l'ensemble de la Belgique, on estime que l'exportation, qui était en 1762 de 177,360 pièces, atteint en 1785, 291,548 pièces de 70 aunes (84). Pendant que la fabrication des toiles se développe, la confection des dentelles, cette autre industrie traditionnelle des populations flamandes, traverse une période de déclin. Les modes du XVIIIe siècle n'employant plus la dentelle avec la même profusion que celles du siècle précédent (85), la demande se ralentit et, comme il arrive toujours, la restriction du débit a pour conséquence un affaissement correspondant de la technique. Les pièces d'art disparaissent : on ne rencontre plus guère que des (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Conseil des Finances, carton 1761.) Echantillons de tissus de Gand et de Dison joints au mémoire adressé au Conseil des Finances par les fabricants de « queues et pennes » de Dison (février 1766). L'on donnait le nom de « queues et pennes » aux draps fabriqués au moyen de bouts de fil et de résidus des laines. Cette industrie fit l'objet de discussions et de conflits dans le duché de Limbourg entre les habitants de Dison, d'une part, ceux d'Hodimont et d'Eupen, de l'autre. Les fabricants de drap fin d'Hodimont et d'Eupen menèrent une campagne pour obtenir la suppression des manufactures de « queues et pennes » dans le territoire de la baronnie de Petit-Rechain. Le 20 mai 1765, Marie-Thérèse en prohibait la fabrication à peine de deux cents écus d'amende et, en cas d'insolvence, à peine d'être emprisonné au pain et à l'eau pendant six mois. Plusieurs requêtes furent remises au Conseil des Finances par les intéressés. L'une d'elles, datée de février 1766, réfutait l'accusation de mauvaise fabrication et prenait pour comparaison la qualité des draps gantois, ... cette fabrication n'est point à beaucoup près à comparaître à celle de Dison; le drap qu'elle produit est un drap grossier qui n'a rien de beau ni d'agréable. Pour mieux en juger, on a joint à ce mémoire des échantillons de ces deux fabriques avec annotations des prix respectifs, et cependant on protège tant celle de Gand que le gouvernement a émané un règlement en 1763 qui astreint touts (sic) marchands de la ditte ville d'en prendre chacun deux cent (sic) aunes par année... Pourquoi cela se fait-il ? Parce que cette fabrique, toute mauvaise qu'elle soit, procure du bien à la ville de Ghnd; ce bien prévaut au mal qui résulte de son espèce, ainsi cette fabrique doit subsister. Le tableau auquel la requête fait allusion est joint au dossier de l'affaire et reproduit ci-dessus. Il comprend six échantillons gantois dont les prix varient entre 7 1/2 et 12 escalins l'aune, et huit échantillons de drap de Dison mis en vente au prix de 6 1/2, 7 et 7 1/2 escalins l'aune. Finalement, l'industrie des « queues et pennes » fut tolérée. modèles destinés à la vente courante, que les ouvrières reproduisent machinalement pour les marchands de Bruxelles, de Malines ou de Bruges. LA DRAPERIE. — Si la draperie a presque complètement abandonné la plaine flamande, en revanche, à l'autre extrémité du pays, elle anime d'une activité croissante, la vallée torrentueuse de la Vesdre. Ce sont probablement des drapiers d'Aix-la-Chapelle qui, dans le courant du XVe siècle, l'ont suscitée au bord de cette rivière, dont l'eau calcaire est excellente pour le dégraissage et le lavage de la laine. Elle s'y développa sans contrainte, sous les formes libres de l'industrie rurale, qui assurèrent au XVIe siècle, la prospérité de Hondschoote et d'Armentières (86). Mais trop éloignée des grandes voies commerciales et des ports de la côte où arrivait la laine espagnole, elle n'eut à ses débuts qu'une existence ignorée et un débit fort modeste. Le centre principal s'en trouvait d'ailleurs de l'autre côté de la frontière, à Ver-viers, dans le pays de Liège, et il semble que durant longtemps les tisserands et les foulons du Limbourg travaillèrent surtout pour les drapiers de cette ville (87). La situation commença à se modifier vers le milieu du XVIIe siècle. En 1660, le gouvernement de Bruxelles, pour favoriser la manufacture limbourgeoise, taxa d'un droit d'entrée les draps de Verviers, ouvrant ainsi avec le pays de Liège, un conflit économique qui devait se prolonger jusqu'à la fin de l'Ancien Régime (88). La perception maladroite du 60e sur les frontières liégeoises frappant la laine et les drogues de teinture, fit émigrer dans le Limbourg, au commencement du XVIIIe siècle, bon nombre de fabricants verviétois (89). Depuis lors, Hodimont et Eupen commencent à faire connaître leurs noms sur les marchés. Un peu plus tard, vers 1735, l'utilisation des « queues et pennes » permet aux tisserands de Dison d'inaugurer un nouveau genre d'étoffes légères et à bon marché qui, malgré les défenses et les règlements qu'on lui opposa tout d'abord, en arriva rapidement à s'imposer (90). La sollicitude du gouvernement autrichien, à partir du milieu du XVIIIe siècle, acheva d'assurer l'avenir d'une industrie si ingénieuse. Il la débarrassa des droits d'entrée sur les matières premières, lui procura des débouchés vers l'Autriche, la Hongrie et le Levant, lui réserva l'habillement des troupes cantonnées aux Pays-Bas et la mit en rapport, par le percement d'une route nouvelle, avec la grande chaussée d'Aix-la-Chapelle. Le plus beau succès répondit à ses mesures. Vers 1780, la manufacture limbourgeoise était certainement, à côté de la toilerie flamande, l'industrie la plus prospère de la Belgique. Stimulés par la concurrence toute proche de Verviers, les drapiers du Limbourg font preuve, au surplus, d'un esprit novateur que l'on chercherait vainement chez les toiliers de Flandre. Tandis que ceux-ci, assurés du marché espagnol, ne changent rien à l'organisation industrielle dont ils se contentent d'exporter fructueusement les produits (91), on voit très nettement, aux bords de la Vesdre, s'ébaucher, sous l'influence du capitalisme, une centralisation du travail. Sans doute, la grande majorité des tisserands sont encore des travailleurs à domicile (92). Mais déjà des fabriques apparaissent, groupant sous un seul toit les divers ouvriers nécessaires à la confection du drap, et chez lesquelles la force hydraulique prise à la rivière et qui met en mouvement les machines à fouler et à tondre, décuple le rendement du travail, en attendant la révolution prochaine, qu'amènera l'utilisation de la vapeur (93). L'industrie limbourgeoise se distingue donc par son esprit d'entreprise et de progrès; elle sait profiter de l'appui que lui donne le gouvernement et celui-ci la traite de son côté avec une bienveillance particulière. C'est sans doute en partie à cela qu'il faut attribuer l'attachement de la population du Limbourg au régime autrichien, et la sym- pathie caractéristique dont elle est l'objet chez les partisans de ce régime comme chez les « amis des lumières », qui louent à l'envi sa vivacité, son entrain et son énergie intelligente. LES INDUSTRIES DU METAL. - Les industries métallurgiques et extractives n'ont point joui de la même fortune que celle des textiles. Il paraît bien que ni quant au nombre, ni quant à l'importance, les hauts fourneaux et les forges n'ont guère dépassé le niveau où ils se trouvaient à la fin du XVIIe siècle. La plupart sont concentrées dans l'Entre-Sambre-et Meuse et dans le Luxembourg méridional, dont le sol leur fournit le minerai et les grands bois, le combustible. De la région de Chimay, où ils étaient particulièrement nombreux à la fin du régime espagnol, ils ont une tendance à se transporter dans celle de Charleroi, où la Sambre leur constitue une excellente voie d'exportation. Presque tous appartiennent à de grands propriétaires fonciers, abbayes ou seigneurs laïcs. Mais l'esprit d'entreprise manque à ces capitalistes ruraux. Ils ne cherchent ni à développer, ni à perfectionner leurs établissements qu'ils font exploiter par des « facteurs ». Comme cent ans auparavant, les hauts fourneaux n'ont encore qu'une vingtaine de pieds de hauteur; c'est tout au plus si chacun d'eux occupe une dizaine d'ouvriers, auxquels il faut ajouter une centaine de bûcherons et de charbonniers chargés de fournir le combustible. Quant aux forges, une quarantaine de travailleurs à l'atelier et deux cents environ dans la forêt voisine constituent le personnel des plus importantes (94). Le fer qu'elles produisent suffit d'ailleurs surabondamment à l'approvisionnement du marché national, dont les exigences ne sont pas excitées comme en Angleterre et en France par les besoins d'une marine puissante et d'une armée nombreuse. La plus grande partie s'en exporte vers le pays de Liège, où il alimente la fabrique d'armes, et même les clouteries, dont celles du Hainaut et du Namu-rois soutiennent malaisément la concurrence. Comparée à la métallurgie dont rien ne permet encore de prévoir le brillant avenir, la verrerie trahit une activité plus encourageante. Presque toutes les fabriques de verre fondées çà et là dans les villes au XVIe et au XVIIe siècle sur le modèle de celles de Venise, ont disparu. On ne s'attache plus qu'à la fabrication courante, et cette fabrication se concentre très nettement autour de Namur et de Charleroi, grâce aux facilités que lui procure dans ces régions l'abondance du combustible et des matières premières. Dans la seconde moitié du siècle, des verreries s'installent à Ghlin, à Jumet, à Seneffe, etc. Ce ne sont encore là sans doute que des ateliers assez peu importants à chacun desquels suffit en moyenne une vingtaine d'ouvriers. Malgré les octrois et les tarifs douaniers de faveur que leur accorde le gouvernement, ils ne parviennent guère à répandre leurs produits au delà des frontières et se contentent de fournir le marché interne (95). Mais déjà, sous leurs modestes hangars, les « souffleurs » et les « tiseurs » préludent à cette habileté technique qui fera au siècle suivant, de la verrerie belge, une industrie mondiale. LES CHARBONNAGES. — Sous toutes ces petites usines dont les fours se chauffent au charbon de bois, la houille est accumulée pourtant dans les profondeurs du sol où dort sa formidable énergie. Dès le moyen âge, on l'utilisait dans la région pour l'usage domestique, et peu à peu, elle s'est répandue dans les contrées voisines. Au XVIIe siècle, elle est devenue dans tout le pays un objet de consommation indispensable. On s'en sert non seulement pour chauffer les appartements, mais pour approvisionner les fourneaux des maréchaux ferrants, ceux des brasseurs, des teinturiers, des blanchisseurs, des raffineurs de sel, des sucriers, des savonniers, des briquetiers, etc. (96). Si superficiel qu'il soit encore à nos yeux habitués à ses prodiges de léviathan, son emploi, dès la fin du XVIIIe siècle, est tellement nécessaire à l'industrie qu'à Gand, les troubles de la Révolution Brabançonne, en suspendant l'arrivage de la houille, forceront au chômage quantité d'ateliers (97). A Bruxelles, les brasseurs voudraient, pour pouvoir se la procurer à meilleur compte, qu'on en interdise l'exportation. Car malgré la concurrence de l'Angleterre, celle-ci est déjà assez active : elle se pratique avec la France, avec la Hollande (98); en 1777, il est question de « charbons de terre belgiques » expédiées vers les ports autrichiens et hongrois (99). Rien d'étonnant, dès lors, si vers cette époque l'extraction du charbon de terre prend un essor qui frappe de surprise les contemporains. A la fin du XVIIe siècle, elle se restreignait presque entièrement à un espace de sept lieues de long sur deux lieues de large, entre Quiévrain et Mariemont, et les bures les plus profondes ne descen- (Château de Noisy, collection comte H. de Lledekerke Beaufort. ) (Cliché Bureau d'Iconographie de l'Association de la Noblesse de Belgique.) jean-Théodore-François Desandrouin (Lodelinsart, 1743-Hardinghen, 1802), petit-fils de Gédéon (1640-1735) et neveu de Jean-Jacques Desandrouin (1681-1761), industriels et propriétaires de forges. Chevalier de justice de l'Ordre de Malte (1782), chambellan de l'empereur (1770-1794), puis député du bailliage de Calais et d'Ardres aux Etats Généraux de Versailles en 1789, Jean Desandrouin sera l'un des premiers à se joindre au tiers-état. 11 adoptera les principes de la révolution française et fera partie des Jacobins de Paris. Ses associés, les citoyens Cazin, obtiendront du département du Nord la concession du droit d'exploiter pendant cinquante ans les mines d'Hardinghen, Réty et Elinghen (11 nivôse an VIII = 1er janvier 1800). Portrait peint par un artiste inconnu. daient pas plus bas que 150 toises (environ 200 mètres) (100). Mais après la paix d'Aix-la-Chapelle, des veines nouvelles sont mises partout en exploitation dans le Hainaut, dans le Namurois, dans le pays de Herve. Le bassin de Charleroi, vers 1774, commence à révéler sa richesse. Des sociétés, espérant découvrir de nouveaux gisements carbonifères, se constituent par octroi du gouvernement pour opérer des sondages, en 1765, à Ninove, à Leeuwergem et à Gavre, en 1766, en Brabant, en 1771, à Harlebeke et à Avelghem, en 1775, aux environs de Louvain, en 1777, autour de Nivelles, à Bouvignes en 1779 (101). En même temps, grâce à l'intervention croissante du capital, la technique minière se perfectionne et augmente la production. A la fin du XVIIe siècle, la plupart des mines n'étaient encore exploitées que par des associations d'ouvriers et de marchands de charbon ne disposant pas des ressources suffisantes pour les outiller convenablement sur le modèle de celles du pays de Liège (102). On citait comme une exception la compagnie de Wasmes, qui, en 1689, avait pu réunir les 25,000 écus nécessaires à l'établissement d'une pompe d'épuisement mue par la force hydraulique. Trente-cinq ans plus tard, en 1725, un riche propriétaire de forges et de verreries, le vicomte Dësan-drouin, faisait construire pour le charbonnage du Fayat, la première pompe à feu du système Newcommen qui ait fonctionné dans la région, et qui y travailla sans interruption jusqu'en 1834 (103). Il trouva naturellement des imitateurs. S'il faut en croire des renseignements d'ailleurs assez peu sûrs, douze machines Newcommen auraient été en activité dans le « Couchant de Mons » en 1766, et dix-neuf, dix ans plus tard. Les dépenses nécessitées par l'érection de ces machines dépassaient de trop loin l'épargne des anciennes associations d'exploitants pour que celles-ci ne dussent pas, peu à peu, se subordonner ou céder la place à des entrepreneurs de fortune et de crédit solides. Dès 1778, le duc d'Arenberg et le seigneur de Châtelineau fondent, pour l'exploitation de la veine du Gouffre, une société qui est l'origine de la société actuelle de Couillet. En 1787, les principaux actionnaires de celle de Chapelle-lez-Herlai-mont sont le prince de Grimberghe et le marquis de Chas-teler (104). Ailleurs, les bailleurs de fonds auxquels on a eu recours pour l'établissement des pompes à feu, se réservent un « droit d'exhaure » qui comprend du onzième au quatorzième de tout le charbon extrait. Vers le milieu du siècle, l'extraction est déjà si active que l'on réclame le creusement des canaux de Mons à Condé et de Charleroi à Bruxelles, dont le premier ne devait être commencé qu'en 1807 et le second en 1826. Néanmoins, malgré la défectuosité des voies de transport et les tarifs désavantageux de la frontière française, l'exportation réalise des progrès considérables. De 1762 à 1785, elle décuple, passant de 2,400 tonnes à 21,000 environ (105). Elle est aujourd'hui trois cents fois plus grande, et cette simple constatation montre d'une manière frappante qu'il est impossible de ramener à une commune mesure le mouvement économique de notre époque et celui de l'Ancien Régime finissant. Cependant, il existe incontestablement entre eux un lien de filiation. Dès le règne de Marie-Thérèse, non seulement la Belgique possède déjà presque toutes ses industries caractéristiques, mais on les y rencontre dans les mêmes régions où elles fleurissent encore : les textiles en Flandre et dans la vallée de la Vesdre, la métallurgie, la verrerie et les charbonnages dans le Hainaut et le Namurois. En dépit de la malveillance de la Hollande et du protectionnisme de la France et de l'Angleterre, elles ont réussi, grâce à la paix tout d'abord, mais grâce aussi aux mesures prises par le gouvernement, à se faire leur place au soleil. Elles ont su tirer parti des circonstances favorables que leur offraient l'énergie d'une population travailleuse, l'abondance et le bon marché de la main-d'œuvre, la position centrale du pays, les marchés enfin que fournissaient à certaines d'entre elles l'Espagne, la Hollande et l'Allemagne. Il est certain qu'elles ont contribué pour une large part à l'augmentation des revenus du trésor qui se manifeste durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les droits de douane étaient de 1,609,220 florins en 1740 : ils sont de 4,013,930 florins en 1787 (106). Pareillement, l'ensemble des recettes de l'Etat monte de 1749 à 1779 de 5 millions et demi à 15 millions (107). Le bien-être général grandit. L'usage du thé se généralise, et plus encore celui du café. Il en entrait en 1762, 196,180 livres; en 1785, son importation atteint le chiffre de 4,730,573 livres (108). Pourtant, si l'industrie se relève, il s'en faut de beaucoup qu'elle ait atteint au niveau où elle pourrait prétendre. Sur ce point, tous les observateurs sont d'accord. Si encourageants que paraissent les progrès accomplis, il reste encore énormément à faire. L'organisation économique devrait être rajeunie et complétée. En l'absence de tribunaux de commerce, la lenteur et les frais des procédures civiles alourdissent déplorablement la marche des affaires. Bruges, depuis 1665, Gand depuis 1729, possèdent chacun une Chambre de commerce (109), mais le gouvernement, malgré ses efforts, ne parvient pas à en créer une dont l'action s'étende à tout le pays. Les experts les plus clairvoyants déplorent l'apathie et la routine des négociants « habitués à faire le commerce passivement et manquant d'activité, d'habileté et des connaissances pour des spéculations neuves et combinées» (110). En 1765, le conseiller Nicolas Bacon voudrait qu'un certain nombre de jeunes gens fussent envoyés à l'étranger pour s'y initier à la pratique moderne des affaires, et qu'une « faculté commerciale» fût érigée à l'Université de Louvain (111). C'est sans doute à ses projets que se rattache la fondation à Gand, en 1781, d'une académie de commerce. INSUFFISANCE DU CREDIT. — Plus encore que le manque d'instruction technique, l'insuffisance des institutions de crédit se faisait déplorablement sentir. Quelques banques privées escomptaient péniblement à grands frais et à trop courts termes les effets en circulation; le change sur les pays voisins était constamment défavorable (112). Mais le grand mal résidait dans l'insuffisance de la circulation des capitaux. Ce n'est pas que ceux-ci fussent en trop petit nombre. On peut constater, au contraire, que la richesse accumulée était considérable. Il n'en faut pour preuve que la quantité de souscripteurs fournis par la Belgique aux emprunts étrangers, et le fait que de 1753 à 1792, le gouvernement autrichien y contracta des prêts dont le total monte à 111 millions (113). Malheureusement, les grandes fortunes appartenaient presque exclusivement aux établissements religieux ou à la noblesse. Fondées sur la propriété foncière et entretenues par elle, elles demeuraient étrangères au monde des affaires, timides et même timorées à l'égard de l'entreprise et de la spéculation. Quelque grand seigneur, quelque monastère s'intéressait bien çà et là à l'ouverture d'un charbonnage ou à la construction, sur ses terres, d'une verrerie ou d'une forge, mais il ne fallait point lui demander davantage (114). L'esprit d'épargne était aussi répandu dans la nation que l'esprit capitaliste l'était peu. Seuls de rares hommes nouveaux, un Clemmen à Gand, par exemple, ou certains usiniers de la vallée de la Vesdre, possédaient la hardiesse et l'initiative nécessaires pour risquer tous leurs biens dans leurs entreprises et employer leurs profits à réaliser sans trêve de nouveaux profits. Encore plusieurs d'entre eux, arrivés à la richesse, n'aspiraient-ils qu'à renoncer à la roture et à acquérir un titre de noblesse. La prospérité de l'agriculture favorisait encore la prédilection des capitaux pour la sécurité des placements fonciers et les détournait invinciblement des risques inhérents au commerce et à l'industrie. Aussi ni l'un ni l'autre ne jouirent-ils jamais des ressources qui leur eussent permis de prendre un vigoureux essor. Leur développement resta toujours bien inférieur à ce qu'il aurait pu être si le crédit leur avait été largement ouvert. Ce ne furent guère, on l'a vu, que les industries traditionnelles, déterminées par les produits du sol, qui présentèrent une activité satisfaisante. La plupart des manufactures nouvelles végétèrent dans une demi-indigence. LE PAUPERISME. — Le peu de développement de l'activité manufacturière contraignit au paupérisme cette partie des populations urbaines qui devait, au XIXe siècle, trouver son emploi dans les fabriques. On estime qu'à la fin du règne de Marie-Thérèse, un quart à peu près des habitants des villes était à la charge de la charité publique (115). C'est pour combattre le vagabondage que les Etats de Flandre érigèrent en 1772 la maison de force de Gand, et en 1779, les Etats de Brabant, celle deVilvorde (116). La misère était moins grande dans les campagnes, et cette constatation achève de montrer que, dans son ensemble, la situation économique des Pays-Bas Autrichien fut bien plus celle d'un Etat agricole que celle d'un Etat industriel. (Louvain, Musée communal.) (Cliché A.C.L.) Brouette utilisée pour l'inauguration du creusement du canal de Louvain. Exécutée à Louvain par Joseph Bovesse au prix de 34 florins. Chêne. L'octroi autorisant le creusement d'un canal joignant Louvain aux « grandes eaux entre Malines et Willebroek » fut expédié au nom de Marie-Thérèse le 29 janvier 1750. Charles de Lorraine inaugura les travaux le 9 février de la même année. Le 11 avril, le baron d'Eynatten posait la première pierre du bassin. Le canal était achevé à la fin de 1752 : cinq cents paysans ardennais en avaient creusé le lit. NOTES (1) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3« série, t. X [1869], p. 375. (2) Le voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, t. I, p. 5, t. II, p. 16 et suiv. Cf. P. Anot et F. Malfillâtre, Les deux voyageurs ou lettres sur la Belgique, la Hollande, etc., t. I, p. 60 et suiv. (Reims, 1802). (3) Essai sur les Pays-Bas Autrichiens, p. 3 (Londres, 1788). (4) Pour quelques tentatives avortées de dénombrement, voy. Quetelet, Bullet. de la Comm. centrale de statistique, t. III [1847], p. 23, et Ch. Piot, Le règne de Marie-Thérèse dans les Pays-Bas Autrichiens, p. 213 (Louvain, 1874). (5) C'est du moins l'impression que donne l'observation des chiffres, malheureusement assez peu sûrs, fournis pour le Brabant par Tarlier et Wauters, Histoire et géographie des communes belges. (6) N. Briavoinne, Mémoire sur l'état de la population des fabriques, des manufactures et du commerce dans les provinces des Pays-Bas depuis Albert et Isabelle jusqu'à la fin du siècle dernier. Mém. in-4° de l'Acad. roy. de Belgique, t. XIV [1840], p. 188; Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, t. II, p. 296. (7) Briavoinne, op. cit., p. 195; F. de Potter, Gent van den oudsten tijd tôt heden, t. I, p. 588. (8) Briavoinne, op. cit., p. 196; Gachard, Analectes belgiques, p. 420. (9) Briavoinne, op. cit., p. 198. (10) Ibid., p. 200; St. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur, t. I, p. LUI n. (Namur, 1876). (11) P. C. van der Meersch, De l'état de la mendicité et de la bienfaisance dans la province de la Flandre Orientale, p. 177 (Bruxelles, 1852). (12) Gachard, Analectes, p. 420. (13) H. Schlitter, Die Regierung Josefs IL, p. 248 n. 12. (14) Mémoires historiques et politiques, p. 247 (Paris, 1793). (15) Les Pays-Bas présentaient le même chiffre d'habitants au commencement du XVII® siècle. Voy. Histoire de Belgique, t. IV, 2« édit., p. 438. Mais Il importe de remarquer que leur territoire à cette époque, antérieure aux conquêtes de Louis XIV, était notablement plus étendu. (16) Sur les ravages de la variole au XVIII" siècle, voy. le curieux travail de M. J. Cuvelier, Avant Jenner. Rev. de l'Instruction publique, t. L [1907], p. 361 et suiv. La pratique de l'inoculation semble s'être introduite en Belgique un peu avant 1768. Voy. Gachard, Ordonnances, t. IX, p. 432. Pour les écoles d'accouchement, voy. Ordonnances, t. XI, p. 123, 253. (17) Pour le Brabant, voy. les chiffres de Tarlier et Wauters, op. cit.; pour la Flandre, le dénombrement de la châtelleine d'Audenarde dans van der Meersch, op. cit., p. 46. Voici quelques chiffres pour le Brabant : Virginal : 228 habitants (1709), 681 h. (1784); Rlxensart : 286 h. (1709), 634 h. (1784); Genval : 318 h. (1709), 590 h. (1784); La Hulpe : 345 h. (1709), 890 h (1784); Ohain : 505 h. (1709), 1220 h. (1789); Lasne : 256 h. (1709), 657 h. (1784). (18) G. Willemsen, Etude sur la démographie d'une commune du plat pays de Flandre aux XVII' et XVIII' siècles. Annales de l'Acad. d'Archéol. de Belgique, 5» série, t. VI [1904]. (19) Gachard, Ordonnances, t. IX, p. 398. — Pour un exemple des stipu- lations locatives sur l'engrais, voy. Berten, Coutume du vieux bourg de Gand, p. 410 et suiv. (Bruxelles, 1903). En 1764, le chef collège de Termonde établit que la seule paroisse de Zele achète annuellement pour 30,000 florins d'engrais. Blanchard, La Flandre, p. 345. (20) Elle aurait été introduite en Flandre en 1709 par les Anglais. Van der Meersch, op. cit., p. 186. En 1765, elle est cultivée dans tous les villages du pays de Waes comme aliment de consommation courante. Willemsen, Notes statistiques sur le pays de Waes au XVIII' siècle. Ann. du Cercle archéol. du pays de Waes t. XXVIII [1910], p. 197. (21) H. van Houtte, Contribution à l'histoire commerciale des Etats de l'empereur Joseph II. Vierteljahrschrift fur Social- und Wirtscliaftsgeschichte, t. VIII [1910], p. 371. L'usage du tabac s'est tellement généralise au commencement du XVIII» siècle que l'on constate en 1727 « dat men bijnae nlet en siet eenigen werkman of buijten man sonder de pijpe in den inond ». Gachard, Ordonnances, t. IV, p. 86. En 1740, il y a des débits de tabac dans tous les villages du pays de Waes. Willemsen, loc. cit., p. 163 et suiv. (22) Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, t. III, p. 114. (23) Gachard, Ordonnances, t. X, p. 73. (24) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3« série, t. X [1869], p. 403. (25) Gachard, Ordonnances, t. X, p. 412. (26) Gachard, Ordonnances, t. X, p. 285, t. VI, p. 561, t. VIII, p. 453, t. IV, p. 417. (27) Notes sur l'abolition des jachères et les avantages de la culture flamande (Mons, 1811). Quatre-vingt-trois cultivateurs publièrent une brochure pour attaquer ses conclusions. Biographie Nationale, t. XV, col. 99. (28) Mémoire sur l'utilité des engrais artificiels, etc. Mém. de l'Acad. de Bruxelles, t. III [1780]. Quels sont les obstacles qui s'opposent à une meilleure culture des Ardennes et comment y remédier ? Ibid., t. V [1788]. (29) Mann, Mémoire sur les moyens d'augmenter ta population et de perfectionner ta culture dans les Pays-Bas autrichiens. Mém. de l'Acad. de Bruxelles, t. IV [1783]; le même, Dans un pays fertile et bien peuplé, les grandes fermes sont-elles utiles ou nuisibles à l'Etat en général ? Ibid., Cf. pour le développement de la petite culture au XVIIIe siècle, H. van Houtte, Avant Malthus. La théorie de la population et le mouvement en faveur de la petite culture dans les Pays-Bas à la fin de l'ancien régime, dans Mélanges Ch. Moeller, t. II, p. 420. (30) Gachard, Ordonnances, t. VII, p. 537. (31) Voyages et observations minéralogiques depuis Bruxelles par Wavre jusqu'à Court-Saint-Etienne. Mém. de l'Acad. de Bruxelles, t. V [1783]. (32) L. Lahaye, Inventaire de la correspondance du Conseil provincial de Namur, p. 326. (33) Règlement manuscrit du 7 juillet 1775, à la bibliothèque de l'Université de Gand. (34) Lahaye, Inventaire, etc., p. 327. (35) Gachard, Ordonnances, t. VII, p. 397 n. (36) Ibid., t. IX, p. 2. Cf. Gachard, Sur l'introduction de la culture des pommes de terre en Belgique, dans Essais et notices, t. II, p. 434. (37) L. Devillers, Inventaire des archives des Etats du Hainaut, t. III, p. 99. — D'après Savary, Dictionnaire de commerce, t. I, p. 221 (2e édition, Paris, 1748), les châtellenies de Flandre sujettes à la France avant la paix d'Utrecht nourrissaient annuellement 88,000 à 99,000 bœufs et vaches au-dessus de deux ans. Pour l'exploitation du beurre de Dixmude, dit beurre de Dixl-mus, à Paris, voy. ibid., p. 930. (38) G. Fôrster, Voyage philosophique sur les rives du Rhin, etc., t. I, p. 282 (Paris, An III). Cf. Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas autrichiens, t. VI, p. 332. (39) H. van Houtte, Histoire économique de la Belgique à la fin de 1 Ancien Régime, p. 408 (Gand, 1920). Cf. G. Willemsen, Contribution à l'histoire de l'industrie linière en Flandre au XVIII' siècle. Ann. de la Soc. d'Hist. et d'Archéot. de Gand, t. VII [1907], p. 224. Pour d'autres renseignements sur l'augmentation du prix des terres, voy. E. Discailles, Les Pays-Bas sous le règne de Marie-Thérèse, p. 168 (Bruxelles, 1872); Ch. Piot, Le règne de Marie-Thérèse dans les Pays-Bas autrichiens, p. 252. (40) Dérivai, op. cit., t. III, p. 404. (41) P. Errera, Les masuirs, p. 258 (Bruxelles, 1891). (42) F. De Potter et J. Broeckaert, Geschiedenis van den boerenstand, p. 284. En 1792, Is. Thys, chanoine de Tongerloo, publie à Malines un Memo-rie over het uytgeven en tôt culture brengen der vage ende inculte gronden in de meyerye van 's Hertogenbosch. (43) Gachard, Ordonnances, t. X, p. 275, 352. Cf. Fruin, Dépêches de Thu-lemeyer, p. 227. (44) L. Verriest, Le servage dans le comté de Hainaut, t. I, p. 341, 353, 368 (Bruxelles, 1909). Cf. du même, Le régime seigneurial dans le comté de Hainaut du XI' siècle à la Révolution (Bruxelles, 1916-1917). (45) D'Outrepont, Essai historique sur l'origine des dixmes (s. 1., 1780); le même, Défense de l'Essai historique sur l'origine des dixmes (Liège, 1785). la première de ces brochures fut interdite, le 15 mars 1781, à la demande de l'archevêque de Malines. Gachard, Ordonnances, t. XII, p. 21. (46) Dérivai, op. cit., t. I, p. 91. La dîme rapportait pourtant énormément. D'après Trautmansdorff, elle fournissait six fois plus que ne l'exigeaient les services religieux auxquels elle était canoniquement destinée à subvenir. Schlitter, Geheime Correspondenz Josefs II mit Ferdinand Trauttmansdorf, p. 301. (47) P. Anot et F. Malfillâtre, Les deux voyageurs, etc., t. I, p. 60. (48) Dérivai, op. cit., t. I, p. 10. Les ressources des fermiers leur permettent d'acheter des parcelles de terre qu'ils se disputent âprement. Voy. Alann, Mémoire sur les grandes fermes, p. 217. (49) G. Kurth, La loi de Beaumont en Belgique. Mém. in-8" de l'Acad. Roy. de Belgique, t. XXXI, [1881]. (50) Essai abrégé sur les lois, le commerce et les avantages d'un canal dans le Hainaut Autrichien, p. 25 (Maestricht, 1774). (51) Mémoires sur le projet de l'abolition des douanes dans les Pays-Bas Autrichiens, n» 1, p. 7 (Bruxelles, 1788). En revanche, un mémoire de 1781 dit que l'excédent de la consommation interne se réduit à peu de chose. Hubert, Voyage de josefs 11, p. 412. Les deux chiffres sont exagérés en faveur de la thèse qu'ils servent à défendre. (52) Schlitter, Trauttmansdorff, p. 266. (53) Gachard, Sur la législation des grains en Belgique au XVIII' siècle. Bullet. de l'Acad. Roy. de Belgique, t. XVII, 1" partie [1850], p. 48-49. (54) Essai abrégé sur les lois, etc., p. 36. (55) Outre le travail de Gachard cité plus taut, p. 272 n 5, voy. la législation des grains de Belgique, G. Bigwood. Joseph 1! et la liberté du commerce des grains. Ann. de la Fédération archéol. et histor. de Belgique, t. XXI [1909]; H. van Houtte, La législation annonaire des Pays-Bas à la fin de l'Ancien Régime et la disette de 1789 en France. Vierteljahrschrift fur Social-und Wirtschaftsgeschichte, t. X [1912], p. 96 et suiv., 384 et suiv. (56) J. Laenen, Le ministère de Botta-Adorno, p. 164 et suiv. Pour la situation antérieure et le détail de l'organisation douanière, voy. G. Bigwood, Les impôts généraux dans les Pays-Bas Autrichiens, p. 219 et suiv. (57) E. Fairon, La chaussée de Liège à Aix-la-Chapelle et les autres voies de communication des Pays-Bas vers l'Allemagne au XVIII' siècle. Bullet. de la Soc. verviétoise d'Archéol. et d'Hist., t. XII [1912], p. 21 et suiv. (58) Voyage à Berlin, dans les Œuvres complètes, édition de Paris (1859), t. VI, p. 86. (59) Appréciation de M.C. Jansens, conducteur des Ponts et Chaussées, à Ypres. Pour le réseau routier du pays à la fin du XVIIIe siècle, voy. la Nouvelle carte chorographique des Pays-Bas, par J.-B. de Bouge, exécutée d'après l'atlas de Ferraris, et où se trouve un intéressant tableau des relais de postes. Parmi les efforts du gouvernement pour améliorer la circulation générale, il faut citer la création, en 1774, d'une Ecole hydraulique et d'un Corps hydraulique. Gachard, Ordonnances, t. X, p. 460, t. XII, p. 541. (60) H. Van Houtte, op. cit., p. 356 et suiv.; Fairon, op. cit., p. 83, 89. Sur les droits de transit, dont on ne peut donner naturellement ici qu'un aperçu rapide, voy. G. Bigwood, Les impôts généraux dans les Pays-Bas Autrichiens, p. 245 et suiv. (61) Gachard, Ordonnances, t. IX, p. 19, 53. (62) Thulemeyer, Dépêches, p. 159. (63) Bigwood, op. cit., p. 293. (04) Van Houtte, op. cit., p. 301 et suiv. (65) Laenen, Le ministère de Botta-Adorno, p. 202. (66) Ibid., p. 208 et suiv. (67) Vilain XIIII, Mémoires sur les moyens de corriger les malfaiteurs, etc., p. 127 (Gand, 1775); Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, t. V, p. 34. Voy. aussi le Mémoire des négociants et armateurs d'Ostende pour la pêche nationale, présenté aux Etats de Flandre le 12 juin 1787, dans Feller, Recueil des représentations faites à S. M. impériale, 3e recueil, p. 275 et suiv., 4e recueil, p. 51 et suiv. (1788). (68) Dérivai, op. cit., t. IV, p. 36 et suiv. En 1767, la ville d'Anvers acheta l'exemption du tonlieu dans toute l'étendue du pays pour 600,000 florins, qu'elle versa à la caisse des domaines. Ibid., p. II. Cf. encore M. Sabbe, In-en uitvoerrechten op boeken en papier gedurende de XVII' en de XVIII' eeuw in Zuid-Nederland, dans Het Boek, 1921. (69) Voy., entre autres mémoires provoqués sous le règne de Joseph II par le projet de supprimer les douanes : Réflexions sur la nécessité de l'existence des douanes dans les Pays-Bas Autrichiens (Bruxelles, 1788); Veydt, Essai sur les douanes et sur l'intérêt national du commerce des Pays-Bas Autrichiens (Bruxelles, 1788); Recueil de divers mémoires sur les douanes, le numéraire et le transit (Bruxelles, 1791). (70) Histoire de Belgique, t. IV, 2» édit., p. 435. (71) H. Van Houtte, op. cit., p. 116 et suiv.; A. Julin, Les grandes fabriques en Belgique vers le milieu du XVIII' siècle. Mém. in-8° de l'Acad. Roy. de Belgique, t. LXIII [1902], donne à cet égard quantité de détails intéressants. (72) Voy. sa description dans Fôrster, Voyage philosophique, etc., t. II, p. 123, et dans Dérivai, Le voyageur, etc., t. I, p. 373. (73) E.-J. Soil, Recherches sur les anciennes porcelaines de Tournai; le même, Les tapisseries de Tournai. La fabrique de tapis de Piat-Lefebre occupait, en 1783, huit cents ouvriers. (74) Celui de van der Borgt, dont Dérivai parle avec éloge. (75) Gachard, Ordonnances, t. VIII, p. 389. Cf. t. XII, p. 239, 314, 330, 585. Déjà en 1726, le procureur général de Namur accuse les métiers de ne tendre qu'à « resserrer le peuple dans des bornes plus étroites et plus rigoureuses, et à l'introduction de grand nombre de nouveautés, qui choquent tant les droits du souverain que ceux des sujets et vassaux ». J.-B. Goetstouwers, Les métiers de Namur sous l'Ancien Régime, p. 202 (Louvain, 1908) (76) Gachard, Ordonnances, t. VII, p. 467. (77) Ibid., t. X, p. 399. (78) En 1771, les tribunaux proposaient de supprimer la plus grande partie des corporations de métiers, à cause de leurs abus. E. Hubert, Voyage de Joseph II, p. 193. Sur les tendances réformistes, voy. les travaux de G. Crut-zen dans la Revue de VInstruction publique, t. XXX et XXXI, le Messager des Sciences historiques, 1887, et les Mém. de la Soc. des Sciences du Hainaut, 1890. Les monographies que l'on possède sont nombreuses et en général favorables au régime corporatif. Outre celle de Goetstouwers pour Namur, citée plus haut, voy., pour Mons, P.-A. Wins, La connétablie des boulangers de Mons. Mém. de la Soc. des Sciences du Hainaut, 1894, et, pour Anvers, E. Geudens, Het hoofdambacht der merceniers (Anvers, 1891-1901). Pour l'ensemble de la question, voy. H. Van Houtte, op. cit., p. 60 et suiv. (79) Mém. in-8» de l'Acad. Roy. de Belgique, Classe des lettres, t. X [1912], p. 35. (80) Voy. l'édlt. du 17 mars 1787. Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 29. (81) G. Willemsen, Contribution à l'histoire de l'industrie linière en Flandre au XVII' siècle. Ann. de la Soc. d'Hist. et d'Archéol. de Gand, t. VII [1907], p. 227 et suiv. Cf. Neelemans, Geschiedenis van Lembeke, p. 292. (82) Faipoult, Mémoire statistique du département de l'Escaut (Paris, an XIII), p. 128, estime qu'il y a, en 1800, dans ce département, correspondant à peu près à la Flandre Orientale, 21,812 tisserands, et 110,033 personnes, surtout des femmes, occupées au filage. A la même époque, dans le département de la Lys (Flandre Occidentale), Il y a 23,133 tisserands. E. Dubois, L'industrie du tissage du lin dans les Flandres, p. 16 (Bruxelles, 1900). (83) J. Lefèvre, Etude sur le commerce de la Belgique avec l'Espagne au XVIII' siècle, p. 123 et suiv. Mém. in-8", Acad. Roy. de Belgique (1921). (84) Van der Meersch, Mémoires sur la mendicité, etc., p. 212 et suiv.; Briavolnne, Mémoires sur te commerce, etc., p. 176. Pour l'Espagne, M. Lefe-vre, op. cit., p. 128, donne les chiffres suivants : 147,256 pièces en 1777; 171,137 en 1782; 170,290 en 1785; 186,697 en 1788. (85) Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, t. IV, p. 158. Cf. P. Verliaegen, La dentelle (Bruxelles, 1902). (86) Histoire de Belgique, t. III, 2e édit., p. 245, t. IV, 2e édit., p. 302. (87) Voy. plus loin chapitre VI. (88) Placcaeten van Brabant, t. VI, p. 116 et suiv., 357. Pour l'acuité du conflit en 1714, voy. de curieux détails dans un mémoire des Etats du Limbourg publié par D.-D. Brouwers : Contribution à l'histoire des Etats du duché de Limbourg au XVIII' siècle. Bullet. de l'Institut archéol. liégeois, t. XXXIV [1904], p. 364. (89) Gachard, Ordonnances, t. V, p. 2. (90) D.-D. Brouwers, La fabrique des queues et pennes dans le duché de Limbourg. Bullet. de la Soc. verviétoise d'Archéol. et d'Histoire, t. IV [1903], p. 275 et suiv. (91) Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, t. VI, p. 55. (92) Sliaw, Essai sur les Pays-Bas Autrichiens, p. 61; L. Thomassln, Mémoire statistique du département de l'Ourthe, p. 479 (Liège, 1879). (93) Julin, Les grandes fabriques en Belgique vers le milieu du XVIII' siècle, loc. cit., p. 29; H. Angenot, Inventaire raisonné du fonds de Thier déposé à la Bibliothèque communale de Verviers. Bullet. de la Soc. verviétoise d'Archéol. et d'Hist., t. XIII [1913], p. 47 et suiv. En 1767, un certain Thys, Luxembourgeois, établit à Trieste une fabrique de draps. F. Rapedlus de Berg, Mémoires et documents pour servir à l'histoire de la Révolution Brabançonne, publiés par P.-A.-F. Gérard, t. I, p. 55 (Bruxelles, 1842). (94) Julin, Les grandes fabriques au commencement du XVIII' siècle, loc. cit., p. 19; H. de Nimal, La métallurgie à l'exposition de Charleroi en 1911, dans G. Drèze, Le livre d'or de l'exposition de Charleroi (Bruxelles, 1913); A. Warzée, Exposé historique et statistique de l'industrie métallurgique dans le Hainaut. Mém. de la Soc. des Sciences du Hainaut, 1863. (95) Julin, op. cit., p. 49. (96) Voy. par exemple Gachard, Ordonnances, t. IX, p. 21, 197, 208. (97) Gachard, Documents sur la révolution belge de 1790, p. 159 n. (Bruxelles, 1834). (98) E. Hubert, Voyage de Joseph II, p. 109. (99) Gachard, Ordonnances, t. XI, p. 222. (100) Mémoire de l'intendant du Hainaut en 1691, p. 41. Blbl. Roy. de Bruxelles, manuscrit 40-47. Cf. M. Rouff, Les mines de charbon en France au XVIIIe siècle (Paris, 1922). (101) Gachard, Ordonnances, t. IX, p. 197, 260, t. X, p. 98, t. XI, p. 58, 372. (102) G. Decamps, Mémoire historique sur l'origine de l'industrie houillère dans le bassin du Couchant de Mons. Mém. de la Soc. des Sciences du Hainaut, 1880, p. 190. (103) H. de Nimal, op. cit., p. 41. (104) J. Monnoyer, Mémoire sur l'origine et le développement de l'industrie houillère dans le bassin du Centre, p. 42 (Mons, 1873); Gachard-Verhaegen, Ordonnances, t. XIII, p. 110. (105) Briavoinne, Mémoire sur le commerce, etc., p. 176. (106) G. Bigwood, Les impôts généraux dans les Pays-Bas Autrichiens, annexe O et p. 293. (107) Piot, Marie-Thérèse, p. 92. (108) Briavoinne, op. cit., p. 176. (109) H. van Houtte, Chambres de commerce et tribunaux de commerce de Belgique au XVIII' siècle. Ann. de la Soc. d'Hist. et d'Archéol. de Gand, t. X [1910]. (110) Paroles du conseiller des finances Delplancq en 1783, citées par van Houtte, Contribution à l'histoire commerciale des Etats de l'empereur Joseph II. Vierteljahrschrift fur Social- und Wirtschaftsgeschichte, t. VIII [1910], p. 359. (111) H. Vander Llnden, Un projet de création d'une faculté commerciale au XV11I" siècle. Revue de l'Instruction publique, t. XLVIII [1905], p. 96 et suiv. Pour l'Académie de commerce de Gand, voy. Dérivai, Le voyageur, etc., t. V, p. 8. (112) Dérivai, Le voyageur, etc., t. V, p. 142. Voy., en 1783, un édit pour favoriser l'érection de banques. Gachard, Ordonnances, t. XII, p. 301. (113) Bullet. de la Comm. Roy. d'Hist., 2« série, t. XII [1859], p. 509. Cf. G. Bigwood, Les emprunts à lots aux Pays-Bas Autrichiens. Ann. de la Soc. d'Archéol. de Bruxelles, t. XX [1906], p. 439 et suiv.; le même, Les origines de la dette belge, ibid.; le même, La loterie aux Pays-Bas Autrichiens, ibid., t. XXVI [1912], p. 53 et suiv. En 1793, Nelis constate qu'il y a énormément de capitaux belges dans des fonds étrangers par tout le Nord, en France et même en Amérique. Bullet. de la Comm. Roy. d'Hist., 2e série, t. VIII [1856], p. 265. Sur la timidité des capitalistes d'Anvers, très riches, mais se bornant à thésauriser leurs revenus, voy. Dumouriez, Mémoires, t. II, p. 18 (Londres, 1794). (114) Voy., par exemple, Dérivai, Le voyageur, etc., t. IV, p. 315. Trautmansdorff constate que le capitaliste anversois est entièrement «dominé par les prêtres et les moines ». Schlitter, Correspondenz, p. 628. Sur l'absence d'esprit capitaliste, cf. Lewlnski, L'évolution industrielle de la Belgique, p. 131 et suiv. (Bruxelles, 1911). (115) Van der Meersch, Mémoire sur la mendicité, etc., p. 48. (116) Gachard, Ordonnances, t. X, p. 220, 395, t. XI, p. 326. Pour les considérations qui poussèrent à l'érection de la maison de force de Gand, voy. Vilain XIIII, Mémoire sur les moyens de corriger les malfaiteurs et fainéants à leur propre avantage et les rendre utiles (Gand, 1775). (Liège, Bibliothèque du Conservatoire Royal de Musique, coté 429 - LL - VIII.) (Cliché Daniel.) Page de «Judith Triumphans », oratorio de Jean-Noël Hamal (Liège, 1709-1778) daté de 1756. Partition manuscrite originale (p. 26). CHAPITRE V LE MOUVEMENT INTELLECTUEL NFLUENCE DE L'EGLISE. - Depuis le triomphe du catholicisme sur la Réforme à la fin du XVI° siècle, toute la vie intellectuelle de la Belgique s'était concentrée dans l'Eglise. De la Renaissance, elle conservait les traditions littéraires et les méthodes, mais sous ce vêtement moderne elle obéissait, comme au moyen âge, aux directions de la théologie. La scolastique régnait de nouveau sur la philosophie, et le latin, langue sacrée et langue savante, avait si complètement repris son rôle d'instrument de la pensée que les langues nationales, méprisées et réduites à des besognes subalternes de vulgarisation, d'enseignement ou d'amusement, ne possédaient plus aucune perspective de développement littéraire. Le discrédit qui les frappait s'étendait à toute la société laïque. Le clergé la dominait de haut, lui imposait les voies à suivre, réglementait toutes ses activités, l'inspirait de son esprit, non seulement par l'ardeur de son prosélytisme, mais par l'instruction qui lui appartenait entièrement et par l'influence qu'il exerçait sur le gouvernement et les pouvoirs publics. Deux foyers distincts et fort différents l'un de l'autre entretenaient cette puissante énergie : la Compagnie de Jésus et l'Université de Louvain. La première, jeune, hardie, dévorée de zèle, assouplie à une discipline quasi militaire et faite pour l'action, consacrait ses forces à lutter contre l'hérésie et à soumettre l'Eglise, dans sa hiérarchie comme dans ses dogmes, à la primauté de Rome. La seconde, avec des convictions catholiques aussi sincères, présentait, par ses traditions et sa nature d'école scientifique, plus d'indépendance et de curiosité en face des problèmes religieux. Pour avoir combattu Erasme et adhéré solennellement à l'orthodoxie dès 1545 (1), ses professeurs ne s'en reconnaissaient pas moins le droit d'interpréter et de commenter l'Ecriture et les Pères, dans tous les domaines que l'absence de décision doctrinale abandonnait à la recherche. De bonne heure, cette différence de tendances l'avait mise aux prises avec les jésuites. Dès le milieu du XVI* siècle, les idées de Baius sur la grâce allumaient la querelle sans cesse renaissante qui aboutit, une centaine d'années plus tard, à la guerre déchaînée par la publication de l'Augustinus. On a vu, comment, après des péripéties entre lesquelles la victoire balança longtemps, elle se prononça enfin pour les ennemis du jansénisme. Vers 1730. la Compagnie de Jésus a décidément vaincu l'Université, mais cette victoire fut également fatale aux deux adversaires. Toutes leurs forces s'étaient absorbées dans leur long conflit; dès qu'il cessa, le vainqueur n'ayant plus rien à combattre et le vaincu acceptant sa défaite, ils tombèrent l'un et l'autre dans l'apathie. La disparition des partis qui avaient divisé l'Eglise et passionné l'opinion ne leur rendit le calme que pour les y endormir. Tandis que, vers la même époque, la paix ranimait la vie économique, elle engourdit la vie intellectuelle. Reçue comme règle de foi et loi d'Etat, la bulle Unigenitus s'imposa dans le silence universel des consciences et par la complicité des intérêts. Que l'on voulût faire carrière dans la société religieuse ou dans la société civile, il était indispensable d'y adhérer. Ses opposants irréconciliables émigrèrent en Hollande et se joignirent au schisme d'Utrecht; les autres se turent ou s'inclinèrent. C'en fut HISTOIRE DE BELGIQUE (Héverlé, abbaye de Parc.) (Cliché Raeymaekers.) Tableau commémoratif de la promotion de huit chanoines de l'abbaye de Parc au grade de licenciés en théologie à l'Université de Louvain. Les huit chanoines furent promus licenciés en théologie le 5 octobre 1698. C'est pour commémorer cet événement que l'abbé de Parc, Philippe van Tuycum (1682-1702), commanda au peintre louvaniste Blendeff un tableau représentant saint Norbert, fondateur de l'ordre, entouré d'anges portant les armoiries et les devises des chanoines licenciés. Dans le fond, à droite, vue de l'abbaye. fait, chez les catholiques belges, des dernières velléités d'indépendance à l'égard de Rome. Nulle part peut-être, la soumission à la papauté ne fut aussi complète que chez eux, et c'est à bon droit que les Pays-Bas passèrent, depuis le commencement du XVIIIe siècle, pour la citadelle de l'« ultramontanisme ». Cette transformation ne s'y accomplit pas sans faire perdre au sentiment religieux quelque chose de sa profondeur et de son intimité. Ce n'est point que la crise janséniste ait eu pour résultat, comme en France, de détourner, par ses violences et ses excès, bon nombre d'esprits vers le scepticisme et la libre pensée. Au contraire, la foi et la piété demeurèrent intactes; mais il paraît bien qu'elles se soutiennent désormais plutôt par les pratiques extérieures que par les besoins du cœur et de l'esprit. L'Eglise, attentive à éloigner de son sein de nouveaux périls, s'occupe surtout, si l'on peut ainsi dire, de la police spirituelle des âmes; elle gouverne plus qu'elle n'instruit et qu'elle n'édifie. Défiante de toute nouveauté, elle se contente de veiller strictement au maintien de l'orthodoxie. Elle croit avoir tout fait en se bornant à entretenir la dévotion et le respect de ses commandements. On ne rencontre plus de saints parmi ses prélats, d'ascètes ou de mystiques parmi ses moines, de savants parmi ses professeurs. Elle exécute ponctuellement les ordres qu'elle reçoit de Rome et se contente pour le reste de maintenir la discipline parmi ses ouailles et de les écarter d'une exégèse trop approfondie ou d'une science trop audacieuse. On se tromperait en croyant que cette situation soit propre à la Belgique. Partout l'Eglise catholique présente au XVIIIe siècle, la même atonie et le même manque d'élan et d'ardeur. Mais tandis qu'en France, par exemple, quantité d'esprits lui échappent et passent au camp des « philo- DECADENCE DE L'UNIVERSITE. -Que dire de l'Université après l'exil de van Espen ? La vie scientifique s'y éteint. Seul, Réga conserve encore jusqu'à sa mort en 1754, quelque prestige à la faculté de médecine (2). Lui disparu, elle s'enlise dans le même marasme où les facultés de droit et de théologie sont tombées après celle des arts. Si la vieille école conserve quelque énergie, c'est pour veiller sur ses privilèges, sur ses bénéfices, sur son monopole d'enseignement, avec autant d'obstination qu'une corporation de métier. Et en effet, ses professeurs, par l'étroitesse de leurs vues, l'archaïsme de leurs méthodes, leur méfiance du progrès, la vulgarité de leurs mœurs, ressemblent-ils d'une manière frappante aux artisans têtus et conservateurs qui, dans les villes, s'opposent aussi obstinément aux nouvelles industries qu'eux-mêmes résistent aux idées nouvelles. La constitution Unigenitus interprétée dans le sens le plus strict, leur tient lieu de charte. Aucune innovation n'est tolérée. L'institution d'une chaire de droit public, érigée en 1723 à la demande des Etats de Brabant, soulève tout de suite l'hostilité des théologiens. Ils s'inquiètent des dangers que peut produire l'étude du pouvoir de l'Eglise et du pouvoir de l'Etat. Ce sont là des questions sou- __uimi_i_ levées par l'hérésie et qui ne peuvent que zS^SwHNjS^1 corrompre les étu- H||: diants d'une univer- jB sité catholique. « On n'a pas assez réfléchi » lorsqu'on les a introduites à Louvain (3). Aussi le titulaire du cours étant mort, on se garde bien de lui donner un successeur. Une telle attitude révèle à suffisance la conception que l'Université se fait de sa mission. Au lieu de défendre l'orthodoxie en combattant les théories de ses adversaires, elle préfère les ignorer et les laisser ignorer à ses élèves. Par prudence et par principe, elle laisse s'engourdir en eux la curiosité scientifique elle ravale son ensei- (Louvain, Archives de la ville, n" 3963'".) (Cliché Arnou.) Sceau de la Faculté de Droit de l'Université de Louvain. Sceau de cire rouge de type hagiologique : sous un dais gothique, un saint, les bras étendus, tient un livre dans chaque main. Au pied de la niche, l'écu de Jean IV, duc de Brabant, fondateur de l'université de Louvain (écartelé aux 1 et 4 de Bourgogne moderne, au 2 de Brabant, au 3 de Limbourg) et l'écu de la ville de Louvain. Légende : S(IGILLVM) PRIORIS Z (= et) COLLEGII VTRIVSQ(VE) JURIS VNIVERSITAT1S LOVAN(IENSIS). Dimensions : 76 X 49 mm. Ce sceau est appendu au bas du diplôme de licencié utriusque juris délivré le 5 octobre 1705 à Jacques J.F. De Vlaminck. II est déposé dans une boîte de forme ovale et traversé de part en part par un ruban. sophes », personne ne songe ici à secouer son magistère, si bien que l'activité intellectuelle, qu'elle est seule à alimenter et à qui elle ne fournit qu'une substance insuffisante, dépérit et s'étiole. gnement à n'être plus guère qu'une simple préparation d'examens. La plus haute distinction accordée par la faculté des arts est le grade de primas, décerné à l'élève qui, à la fin de ses études, a le mieux répondu aux interrogatoires et dont l'effort de mémoire est si bien considéré comme le suprême mérite, que sa ville natale lui décerne, au retour, les honneurs d'un cortège triomphal. Rien de plus misérable naturellement, que l'outillage scientifique d'un établissement animé de telles tendances. Les ressources matérielles ne font pas défaut, puisque plusieurs « pédagogies » et collèges sont reconstruits au cours du XVIII0 siècle, et qu'en 1723, les Etats de Brabant ont élevé pour la bibliothèque le beau bâtiment qu'anéantit la furie allemande de 1914. Mais cette bibliothèque, léguée en sa plus grande partie par le chanoine janséniste D. Snellaert (4), ne dispose d'aucun fonds pour achat de livres et ne constitue guère qu'un ornement à montrer aux visiteurs. Il n'y a ni jardin botanique, ni amphithéâtre de dissection digne de ce nom, ni laboratoire de chimie. La philosophie se confine dans une scolastique surannée (5); en mathématique, on ignore les théories de Newton et de Leibniz, que leur protestantisme rend suspects. L'enseignement du droit se borne à la dictée de résumés des Institutes et du Digeste (6), et l'on se plaint du grand nombre des avocats incapables que l'Université déverse chaque année dans le public (7). « La littérature grecque et latine ne sont que très faiblement cultivées : il n'y a plus personne qui sache le grec... Le professeur d'hébreu ne connaît pas davantage la langue qu'il doit enseigner... La grande leçon, qui avait pour objet la pureté et l'élégance de la langue latine... ne se donne plus. On y a substitué l'explication du catéchisme, qu'on a décorée du titre pompeux de leçon d'éloquence chrétienne» (8). Le zèle des professeurs s'est naturellement affaissé dans la même mesure que leur science. Bien rares sont ceux d'entre eux qui s'intéressent à la besogne mesquine où s'absorbent leurs fonctions. On leur reproche d'allonger leurs vacances, d'abuser des congés, de traiter plusieurs années de suite la même « matière », de donner des répétitions payantes aux étudiants (9). Les examens ont perdu tout sérieux : on les prépare au moyen de « cahiers de questions » composés de demandes et de réponses. Seuls, les jeunes gens aisés peuvent prétendre au doctorat, dont les frais montent à 3,000 florins, mais pour lequel on se contente en revanche d'une thèse souvent achetée à prix d'argent et dont la soutenance n'est plus qu'une simnle formalité. Toute l'organisation universitaire fourmille d'abus analogues. Les bourses, détournées de leur destination, servent à l'entretien de professeurs; on permet aux élèves de s'inscrire aux cours pendant qu'ils sont encore sur les bancs du collèqe, et d'abréaer d'autant le nombre d'années requis pour les études (10). La discipline est dénlora-ble; les étudiants affectent une malpropreté et une orrossiè-reté qui leur paraissent le privilècie de la liberté académique. Les « philosophes » se promènent fièrement en costume de Diogène, c'est-à-dire en manteau déchiré, rapiécé et tout couvert d'encre, d'huile et de boue. Bien entendu, ces Diogène fréquentent assidûment l'estaminet et mettent leur point d'honneur à molester les bourgeois (11). Les moeurs de l'Université répondent donc à sa science. Rien d'étonnant si l'étranger s'en est définitivement détourné. Les quelques catholiques hollandais qui la fréquentaient encore au commencement du XVIII9 siècle, l'ont abandonnée. Mais elle (Anvers, église Saint-Paul.) (Cliché Lammens.) Chasuble donnée par l'impératrice Marie-Thérèse à l'église Sainte-Walburge, à Anvers. Chasuble de soie blanche décorée de fleurs multicolores; fils d'or et d'argent. recrute dans les provinces belges une clientèle forcée, de sorte que, comme les métiers privilégiés, elle se maintient, en dépit de sa décrépitude, par l'absence de toute concurrence. La décadence de l'enseignement universitaire, ce mal commun à tous les pays catholiques au XVIIIe siècle, est d'autant plus lamentable qu'elle ne constitue qu'une des manifestations de l'engourdissement général de l'activité intellectuelle au sein de l'Eglise. Sa production scientifique, si vigoureuse à l'époque d'Albert et d'Isabelle, s'est déplorablement amoindrie, aux environs de 1750, en quantité et en qualité. On s'étonne de la stérilité d'un clergé si nombreux et disposant des ressources de tant de chapitres, de monastères et de collèges. Les abbayes bénédictines, si actives en France, ne profitent des loisirs et des richesses que la paix leur a rendus que pour s'orner de bâtiments somptueux. Parmi les jésuites, les Bollandistes, successeurs médiocres de Henschen et de Papebroch, continuent laborieusement la publication des Acta Sanctorum. De loin en loin, un travail d'érudition atteste la persistance du goût traditionnel du pays pour les études historiques : la consciencieuse histoire des archevêques de Malines du chanoine van Gestel (1725), les compilations du dominicain de Jonghe (1674-1749) et de J.-F. Foppens (1689-1761), la médiocre histoire du Luxembourg du P. Bertholet (1741-1747), et la courte mais remarquable histoire du comté de Namur du P. de Marne (1754). Que l'on ajoute à cela quelques poèmes latins à la mode du XVI' siècle, quelques traités de théologie, quelques manuels de grammaire ou de rhétorique, et l'on n'aura plus rien à citer. (12). ETAT DE L'ENSEIGNEMENT. — A ce ralentissement de la vie scientifique correspond, dans les collèges destinés à l'instruction de la jeunesse, la fidélité routinière à des méthodes surannées. La pédagogie des jésuites, si remarquablement formulée au XVIe siècle par la Ratio Studiorum, subsiste immuable dans la Compagnie et se répand chez les Oratoriens, les Augustins, les Récollets. On croirait, à envisager les programmes, que le monde n'a pas changé depuis la Renaissance, et que l'étude du latin soit l'unique moyen de former les esprits. Encore l'instruction secondaire ne s'adresse-t-elle qu'aux jeunes gens des classes supérieures ou à ceux qui se proposent d'entrer dans le clergé ou d'embrasser les professions libérales. Elle néglige et dédaigne les besoins de la masse. Dans les villes, des maîtres d'écoles agréés par l'éco-lâtre, dans les campagnes, des instituteurs privés ou le sacristain du village, sous l'inspection du curé, enseignent tant bien que mal les rudiments de l'écriture, de la lecture et du calcul. Les localités les plus importantes seulement possèdent des écoles de filles. Nulle formation pour les (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté V.B. 10563, ln-4».) Page de titre de l'« Histoire du Comté de Namur » du jésuite J.-B. de Marne (Liège-Bruxelles, 1754, in-4°). Une note manuscrite indique que cet exemplaire a été donné par l'auteur au collège de la Compagnie de Jésus à Tournai. maîtres ou les maîtresses. Ce sont trop souvent de pauvres diables, à demi illettrés, vivant misérablement de la rétribution modique qu'ils exigent de leurs élèves. Des fondations charitables fournissent pourtant, dans les villes, l'enseignement gratuit et l'apprentissage professionnel à des pauvres ou à des orphelins. A côté d'elles, les écoles dominicales, obligatoires en principe et surveillées par les évêques, se bornent à l'explication du catéchisme. Dans son ensemble, l'enseignement primaire est donc aussi défectueux que négligé. On continue à appliquer sans changement les quelques règlements dont il a fait l'objet au XVII" siècle. A la campagne, on rencontre en moyenne une école pour trois communes (13). En 1772, le Conseil de Namur déclare que le nombre des personne lettrées dans la province est si minime qu'il est impossible d'exiger de tous les « sergents de justice » qu'ils sachent lire et écrire (14). En 1789 encore, il n'y a guère en Flandre que 3 p. c. des habitants qui aient fréquenté une école (15). Les petits bourgeois ne sont pas beaucoup plus savants que les gens du peuple. Les illettrés abondent parmi eux et, d'après les déclarations de succession, la bibliothèque de ceux qui savent lire se réduit souvent à un livre de messe (16). L'apathie intellectuelle est aussi générale parmi les classes supérieures que l'ignorance au sein du peuple. Les étrangers s'étonnent de trouver Bruxelles à peu près dépourvu de librairies. En 1718, un libraire y confie à Martène et Durand, que personne n'ose acheter de livres parce que c'est se rendre suspect de jansénisme que de se livrer à l'étude (17). La censure, confiée exclusivement au clergé, veille d'ailleurs à écarter du pays les productions suspectes qui pourraient s'y introduire de France ou de Hollande, et les autorités laïques la secondent avec zèle. Les échevins de Mons prohibent en 1736 les « Lettres persanes » comme un ouvrage « impie et blasphématoire » (18). Ni dans l'aristocratie, ni dans la magistrature, ni dans le barreau, on ne surprend la moindre trace de curiosité littéraire. Voltaire, passant par Bruxelles en 1739, l'appelle le «séjour de l'ignorance» et « l'étei-gnoir de l'imagination ». « Une vie douce et retirée y est le partage de presque tous les particuliers, mais cette vie douce ressemble si fort à l'ennui qu'on s'y méprend très aisément» (19). Il faudrait, d'après le prince de Ligne, y envoyer, pour les punir, les gens trop savants (20). Personne ne comprend à Paris que Jean-Baptiste Rousseau exilé ait pu choisir une telle retraite. Aussi bien y a-t-il passé complètement inaperçu et sans exercer aucune influence. Les gens du monde ne connaissent d'autres plaisirs que ceux d'interminables banquets, d'« assemblées » en grande toilette, de bals de gala. Aucune conversation, aucune réception intime, où le charme d'échanger des idées suffise à intéresser les convives (21 ). Le théâtre seul, ou pour mieux dire l'Opéra, mis à la mode par Maximilien de Bavière, pourvoit, du moins à Bruxelles, aux besoins des plus raffinés. Du mouvement d'idées si puissant qui se manifeste à l'étranger, on ne remarque que çà et là une atteinte superficielle. Les loges maçonniques, fondées vers 1740 dans quelques villes, à l'imitation de l'Angleterre, se bornent au rôle de sociétés d'agrément et de philanthropie pour gens du monde (22). Quant à l'influence française, elle ne s'exerce guère que sur quelques grands seigneurs. Le duc d'Arenberg figure parmi les innombrables correspondants de Voltaire, et l'on HISTOIRE 'rTn aii Celiy* ~Q/,Uut comme au temps de l'Espagne (2). Marie-Thérèse n'agit pas autrement. Elle déclare, en 1751, qu'elle veut écarter tout ce qui peut troubler la bonne harmonie entre ses provinces et les Liégeois (3). On ne se fit pas faute d'abuser à Liège d'une situation aussi nouvelle. Depuis la fermeture de l'Escaut en 1648, le mouvement économique de la principauté avait cessé de s'orienter vers Anvers. Il suivait désormais la direction que lui indiquait le cours de la Meuse et se portait vers les ports des Provinces-Unies. Autant les relations de celles-ci avec la Belgique furent empreintes d'aigreur depuis le traité de la Barrière, autant elles furent cordiales avec les Liégeois. Le résident des Etats-Généraux dans la « cité » ne manqua pas d'entretenir la défiance qu'y faisait naître la politique économique des gouverneurs autrichiens de Bruxelles. Leurs moindres tentatives pour améliorer le transit des Pays-Bas et y ranimer l'industrie furent suivies d'un regard soupçonneux. On ne répondit que par le mauvais vouloir le plus évident à leurs propositions d'entente. On les força, en s'obstinant à frapper les exportations belges du droit de soixantième, de déclarer à la principauté une guerre de tarifs également désavantageuse aux deux adversaires (4). Pourtant le XVIIIe siècle fut pour le pays de Liège comme pour les Pays-Bas, une époque de repos bienfaisant et de restauration économique. De 1713 à 1789, la principauté jouit d'une paix profonde. Sa remuante population trouva dans l'industrie l'emploi de l'activité nerveuse qu'elle avait dépensée si largement, au milieu des troubles des derniers siècles, dans les guerres civiles et les émeutes. Liège devient alors l'atelier bourdonnant et fumant qu'il est resté jusqu'à nos jours. En amont de la ville, les bords de la Meuse commencent à se peupler d'usines. La vallée de la Vesdre s'anime du mouvement des fabriques verviétoises, tandis que Spa attire vers ses fontaines, les malades, les neurasthéniques, les mondains et les aventuriers de toute l'Eu- rope. Au reste l'énergie nationale ne s'absorbe pas tout entière dans l'industrie. Si depuis 1684, l'ère des révoltes municipales est close, la vie politique n'en reste pas moins singulièrement active. Désormais, sauf l'interruption du règne de Jean-Théodore de Bavière (1744-1763), tous les évêques résident à demeure dans la capitale et ne sont plus que des princes de Liège. Le pays cesse d'être traité comme une sorte d'apanage dynastique, comme une annexe à laquelle ses détenteurs ne s'intéressent que parce qu'il leur assure une situation plus éminente et plus influente dans l'Empire et en Europe. Georges-Louis de Ber-ghes, Charles d'Oultremont, François de Vel-bruck, Constantin de Hoensbroek ne sont que des nobles d'importance secondaire dont les intérêts se confinent dans la principauté. Leur faiblesse ne leur permit pas d'imposer à leurs sujets cet « absolutisme éclairé » que nous avons vu implanter par l'Autriche à Bruxelles. Ils furent contraints de partager le pouvoir avec le chapitre qui les nommait et les Etats qui, en face d'eux, représentaient le pays. La constitution liégeoise que les guerres du XVIIe siècle et la puissance des évêques bavarois avaient paralysée ou faussée, rentra en vigueur sous leur gouvernement paisible. Laissée en repos par ses voisins, la principauté, en reprenant possession de soi-même, reprit en même temps son organisation politique traditionnelle. Sous de petits princes appropriés à sa taille, ce petit pays put enfin vivre sa vie et s'administrer à sa guise. La paix lui permit d'atteindre, à partir de 1724, à cette autonomie et à ce self government qu'il s'était vainement promis, en 1688, du règne de Jean-Louis d'El-deren. Tel qu'il fonctionna jusqu'à la Révolution de 1789, son gouvernement est beaucoup plus proche de la république que la monarchie (5). Un sénat ecclésiastique, le chapitre, nomme le prince dans son sein, et lui impose à son avènement une capitulation qui circonscrit soigneusement son pouvoir. Elle l'oblige non seulement à respecter les prérogatives du 'chapitre, mais à gouverner conformément à la paix de Fexhe, c'est-à-dire d'accord avec le « sens du pays » s'exprimant par l'assemblée des Etats. Tandis que, dans les Pays-Bas, la cérémonie de l'inauguration ne fait qu'établir entre un souverain héréditaire et ses sujets un pacte confirmé par des serments réciproques et déterminant l'étendue de leurs droits respectifs, le prince de Liège, en montant sur le trône, est soumis à la constitution nationale. Elle n'est point un contrat par lequel il se lie au peuple en même temps que le peuple se lie à lui. Comme dans nos modernes La Violette, ancien hôtel de ville de Liège, détruite en 1691. L'origine du nom est incertaine. La maison « la Violette » est déjà citée à la fin du XIIIe siècle. Louée à la Cité par son propriétaire, le chapitre de Saint-Lambert, elle devient le local de réunion du magistrat : en 1344, les échevins de Liège délivrent un acte... fait, donneit et octroyeit en la maison condist (qu'on dit) delle Violette séant sous le Marchiet. Située près de la place du Marché, adossée à la halle des tanneurs et à la boucherie, elle servit à l'élection du magistrat, à la publication des règlements communaux et aux adjudications publiques, jusqu'à sa destruction définitive. La maison primitive fut reconstruite au début du XVe siècle. Détruite en 1468 par les troupes de Charles le Téméraire, elle fut rebâtie à nouveau à la fin du siècle. En 1564, l'autorité communale fit sculpter au fronton les emblèmes des trente-deux métiers, les blasons des divers quartiers de la principauté et des bonnes villes avec le perron, en dessous de l'aigle impérial. Les rampes et le perron de cuivre furent posés en 1610. La Violette a été détruite en iuin 1691 lors du bombardement de la ville par le maréchal Boufflers. C'est à la suite de cet incident que fut décidée la construction d'un nouvel hôtel de ville (voyez plus bas, livre IV, chap. III). Dessin à la plume, reconstitution par l'architecte C. Bourgault en 1915. Exposé à l'hôtel de ville de Liège, 11 a été détruit par fait de guerre le 10 mai 1944. monarchies parlementaires, elle est la loi suprême et primordiale, et son pouvoir n'est légitime que pour autant qu'il la respecte. LE PRINCE ET LES ETATS. - Au surplus, il s'en accommode sans trop de peine. Depuis 1684, en effet, le plus influent des trois Etats du pays, le Tiers, est soumis directement à son action. Car, intervenant dans la nomination des magistrats qui représentent les villes (Liège, Cloître du Grand Séminaire.) (Cliché A.C.L.) « Vue et perspective de la ville de Liège et ses environs prise de hauteur entre Saint-Gilles et sur Avroy » en 1737. Gravure exécutée en 1737 par Remacle Le Loup de Spa (Spa, 1708-1746 ?). aux Etats, le prince détermine nécessairement la composition de ce Tiers. C'est même sur lui qu'il s'appuie en général pour résister aux prétentions des deux autres ordres : la noblesse et surtout le chapitre. Ce dernier seul est pour lui un rival incommode. Non seulement par son droit d'élire l'évêque, mais par son immense richesse foncière et par la prérogative exorbitante qu'il possède de siéger aux Etats au nom de tout le clergé, il jouit d'un ascendant qui serait sans bornes s'il était populaire. Heureusement, la grandeur même de ses privilèges les fait paraître insupportables à tous les autres et les allie à l'évêque dans la lutte qu'il entame contre eux. La noblesse est trop peu puissante pour l'y aider activement. Mais le Tiers s'y emploie de toutes ses forces. Ainsi le prince et la bourgeoisie aisée, aux mains de laquelle, depuis 1684, se concentrent le pouvoir municipal et la représentation des villes aux Etats, agissent de commun accord contre le chapitre. Et par une conséquence nécessaire, le gouvernement de cette principauté administrée par un prélat, s'empreint d'un caractère tout laïque. Quoique, depuis Georges-Louis de Berghes, tous les évêques aient reçu la prêtrise, ils abandonnent les affaires ecclésiastiques à des coadjuteurs pour s'adonner presque exclusivement aux soins de leur pouvoir temporel. Ce n'est plus que dans des circonstances solennelles qu'ils officient personnellement dans le chœur de Saint-Lambert. Le prince l'emporte chez eux sur l'évêque; les intérêts de l'Etat les occupent bien plus que les intérêts de l'Eglise. Obligés de gouverner en partage avec les Etats et surtout avec le Tiers, aucun d'eux n'a pu exercer sur le pays une influence personnelle vraiment profonde. Ils ont présidé à l'administration de la principauté plutôt qu'il ne l'ont dirigée. Leur Conseil Privé n'a jamais revêtu l'importance que présentent à la même époque à Bruxelles les Conseils et les « jointes » du gouvernement. C'est que l'esprit républicain de la constitution liégeoise se défie du pouvoir central et réduit son rôle à l'excès. L'autonomie nationale s'oppose irrésistiblement à l'absolutisme. Mais par cela même, elle renonce à appliquer les réformes que propagent ailleurs l'action de l'Etat et la centralisation monarchique. A cet égard, le contraste est éclatant entre Liège et Bruxelles. Ici, les « lumières du siècle » inspirent la conduite du gouvernement central et suscitent son initiative dans tous les domaines; là, on ne les voit provoquer aucune réforme. Les Etats refusent de se courber sous la police et la discipline de l'Etat. Ils abandonnent le progrès social à l'initiative individuelle; la conception qu'ils ont de la liberté est une conception surtout négative, se réduisant au respect des intérêts et des traditions de groupe ou de classe que représente chacun d'eux et qui les met presque constamment en conflit les uns avec les autres. Ces conflits sont d'autant plus nombreux et plus variés que leurs attributions ne se bornent pas, comme dans les Pays-Bas, à voter l'impôt. L'évêque ne peut prendre aucune mesure de quelque importance sans qu'ils l'aient tout d'abord approuvée. Leur consentement lui est aussi indispensable que celui du Parlement l'est au roi d'Angleterre. A vrai dire, les Etats liégeois, composés de trois ordres délibérant à part et dont chacun peut s'opposer à son veto aux décisions prises par les deux autres, diffèrent autant que ceux du Brabant, par exemple, d'une véritable assemblée nationale. Mais l'étendue de leur pouvoir, la variété des objets dont ils ont à traiter, l'importance accordée à la députation qui les représente entre leurs sessions bisannuelles et leur collaboration à la nomination des membres des XXI, l'antique tribunal dont relèvent, en cas d'abus, les officiers du prince, leur communiquent une vitalité qui manque à ceux-ci. S'ils accomplissent peu de chose, ils s'agitent beaucoup, et cette agitation, qui paraît stérile à première vue, a le mérite de conserver dans la nation le goût des affaires publiques avec le sentiment de la liberté politique. Le Liégeois ne se considère pas comme un sujet, mais comme un citoyen. La politique « éclairée » du gouvernement de Bruxelles lui répugne, parce qu'elle lui paraît inséparable de l'absolutisme. Mais ses traditions nationales le préparent à merveille à adhérer avec enthousiasme au dogme de la souveraineté nationale que l'Amérique, puis la France proclameront vers la fin du siècle. GEORGES-LOUIS DE BERGHES. — A la mort de Joseph-Clément de Bavière (12 novembre 1723) les grandes puissances, qui s'étaient si activement remuées pour ou contre son élection, se désintéressèrent de celle de son successeur. La paix régnait entre elles, et le pays de Liège, se trouvant dès lors dépourvu de l'importance stratégique que lui valait sa situation entre la France et l'Allemagne, eut la bonne fortune de ne point attirer leur attention. Le chapitre, étonné sans doute de la liberté qui lui était laissée, prit l'administration du pays en attendant de procéder à la nomination du nouvel évêque. L'électeur de Cologne, Clément-Auguste Bavière, neveu de Joseph-Clément, fidèle à la tradition séculaire qui rattachait Liège à sa maison, ne manqua pas de poser sa candidature. Mais le chapitre n'avait jamais nommé les évêques bavarois que par contrainte. Cette fois, il était libre et bien décidé à le montrer. Clément-Auguste fut écarté. Deux autres solliciteurs, étrangers comme lui et comme lui suspects d'une puissance dangereuse par leurs alliances de familles, le prince de la Tour d'Auvergne et le cardinal de Saxe-Zeil, n'eurent pas plus de succès. Le 7 février 1724, les suffrages se portèrent sur Georges-Louis de Berghes. Ce qui poussa le chapitre à se prononcer pour lui, ce fut certainement l'espoir de récupérer sous son règne le prestige et l'influence dont le dernier prince l'avait si hautainement dépouillé. Ancien officier entré dans l'Eglise, Georges-Louis était animé d'une piété qui attestait son manque d'ambition. De plus, sa qualité de dernier représentant d'une vieille race noble qui devait disparaître avec lui, était la meilleure des garanties contre l'influence néfaste que les intérêts de famille auraient pu exercer sur sa conduite. La décision du chapitre fut favorablement accueillie par le peuple. On se réjouissait de posséder enfin un prince national, qui résiderait dans la « cité », ne s'entourerait que de Liégeois, auprès duquel on aurait accès en tout temps et qui accepterait sans arrière-pensée la constitution du pays. L'AFFAIRE DE HERSTAL. — Les petites nations ne s'intéressent, en général, qu'à leur politique intérieure. Mettant leur orgueil non dans l'esprit de conquête et de domination, mais dans l'esprit civique, elles supportent facilement des mésaventures que de grands Etats considéreraient comme des humiliations intolérables. Elles sentent confusément que la violation du droit n'est une honte que pour le violateur. Les brutalités qu'on leur inflige ne font que les relever à leurs propres yeux et, loin d'en vouloir à leurs princes d'avoir souffert pour le droit, elles ne les en estiment que plus haut. L'affaire de Herstal, par laquelle Frédéric II, à peine monté sur le trône, voulut affirmer devant l'Europe l'ambition et la puissance de la Prusse, ne déshonora que lui; elle laissa subsister intacte, si elle ne l'augmenta, la popularité de Georges-Louis de Berghes (6). Herstal avait été cédé par l'Espagne au pays de Liège en 1655 en compensation de Mariembourg. Les Nassau réclamaient des droits sur cette terre et avaient protesté contre la cession. En 1732, leurs prétentions ayant passé par héritage au roi de Prusse Frédéric-Guillaume, il avait exigé des habitants un serment de fidélité, que l'évêque avait considéré comme non avenu. Les choses en étaient restées là jusqu'à l'avènement de Frédéric II (31 mai 1740). Mais quelques semaines plus tard, le 4 septembre, le nouveau roi adressait à Liège une sommation insultante et ironique, et le 11, sans attendre de réponse, faisait entrer ses troupes à Maeseyck. C'est par cette brutalité cynique et sans gloire qu'il débuta dans la politique et dans la guerre. L'issue du conflit était certaine. L'empereur n'osant prêter l'oreille aux appels de l'évêque, il ne restait à celui-ci qu'à accepter la loi du plus fort. Le 20 octobre, le roi consentit à céder ses droits sur Herstal moyennant 240,000 florins, plus 60,000 florins servant à l'indemniser de dépenses militaires faites par la Prusse, de 1688 à 1695, dans l'archevêché de Cologne ! (7) Ce brigandage, toléré par l'empereur au profit du futur conquérant de la Silésie, montra aux Liégeois qu'ils n'avaient rien à attendre pour l'avenir de leur rentrée dans le Saint-Empire. Au surplus, Herstal leur restant, ils ne s'en préoccupèrent pas davantage. Ils ne cherchèrent à l'étranger ni alliés ni protecteurs. Ils acceptèrent d'autant plus facilement la faiblesse de leur prince, qu'avec le temps ils en appréciaient mieux les avantages. Cette faiblesse, voulue par le chapitre qui, sous un prince impuissant avait compté régner à sa place, eut un résultat bien différent. Pour échapper à la tutelle de ses électeurs, l'évêque se retourna vers la noblesse et la bourgeoisie. Elles ne demandaient qu'à le seconder, car elles avaient autant d'intérêt que lui à résister aux prétentions exorbitantes d'un corps qui exigeait, durant les absences du prince, de gouverner en son nom, réclamait le droit de soumettre à son approbation la publication des édits du pape et de l'empereur, voulait assujettir à son contrôle le Conseil Privé et la Chambre des comptes, et soutenait enfin les empiétements de la juridiction de l'offi-cial sur celle des échevins (8). La question religieuse, il importe de le remarquer, n'est en rien impliquée dans le conflit. Le jansénisme semble n'y avoir joué aucun rôle. On ne voit pas que les rigueurs du prince à l'égard de cette secte aient déterminé le moins du monde la conduite du chapitre. Il ne luttait que pour la prépondérance et, furieux de la résistance de (Berlin, Hohenzollernmuseum.) Masque mortuaire de Frédéric II le Grand (Berlin, 1712-Sans-Souci, 1786), roi de Prusse de 1740 à 1786. l'évêque, l'accusait de « buter à la souveraineté despotique » (9). En réalité, pour échapper au joug qu'il voulait lui imposer, Georges-Louis de Berghes lia tout simplement sa cause à celle du pays. L'opinion publique, à laquelle il appela en faisant imprimer et répandre un mémoire contre ses adversaires, se prononça pour lui. C'est sous son règne que s'élabora le système de gouvernement qui devait rester en vigueur jusqu'à la fin du siècle et qui partageait le pouvoir entre le prince et les Etats. Mais ce partage profita surtout au Tiers. Non seulement il possédait plus de représentants que les deux autres ordres parmi les députés permanents des Etats et dans le conseil des XXII, mais le relèvement de l'industrie liégeoise, en augmentant sa fortune, augmentait d'autant son ascendant social et politique. JEAN-THEODORE DE BAVIERE. - Georges-Louis de Berghes mourut le 6 décembre 1743, en léguant toute sa fortune aux pauvres de la « cité ». Cette fois, les circonstances politiques ne permirent plus au chapitre de procéder librement à l'élection de son successeur. La guerre de la succession d'Autriche troublait l'Europe, et l'intérêt des adversaires de Marie-Thérèse leur imposait de l'inquiéter sur les frontières des Pays-Bas en introduisant à Liège un de leurs partisans. La France et la Bavière intervinrent aussitôt en faveur de la candidature de Jean-Théodore de Bavière, frère de l'empereur Charles VII et de l'électeur-archevêque de Cologne. L'or et des moyens de séduction « que la modestie, la bienséance et le respect » ne permirent pas à l'agent de Marie-Thérèse de lui révéler (10), vinrent enfin à bout de la résistance des chanoines à passer de nouveau sous l'autorité de la dynastie bavaroise. Jean-Théodore fut élu le 13 janvier 1744. Heureusement pour le pays, la mort de Charles VII (20 janvier 1745) et la réconciliation de la Bavière avec l'Autriche le dispensèrent de se lancer (Munich, Altéré Pinakothek en 1908.) (Photo transmise par M. O. de Froldcourt.) Jean-Théodore de Bavière entouré de sa cour sur la terrasse du château de Seraing. Le prince-évêque porte l'habit pourpre des cardinaux. 11 assiste i un concert en compagnie des membres de sa cour parmi lesquels on remarque plusieurs femmes. Tableau peint par Paul-Joseph Delcloche (Namur 1716 Liège, 1755). dans la lutte qui avait provoqué son élection. On eut bien à souffrir des réquisitions et des pillages de l'armée du maréchal de Saxe pendant ses opérations autour de Maestricht, mais ce fut tout. L'évêque, qui cumulait avec le diocèse de Liège, ceux de Freisingen et de Halberstadt, ne résida d'ailleurs que par intermittences aux bords de la Meuse et laissa son Conseil Privé gouverner à sa place de concert avec les Etats. En vain, le chapitre chercha-t-il à profiter de ses absences pour réaliser ses prétentions au partage du pouvoir souverain. Une remontrance qu'il se permit d'adresser au prince en 1747 fut écartée par celui-ci « comme une atteinte ouverte et intolérable à son autorité principale et à ses régaux », et taxée de « nulle, indécente, hasardée, attentoire et tendant au bouleversement du bon ordre, du gouvernement politique et de l'obéissance » (11). Jean-Théodore fut le dernier évêque imposé par la politique étrangère. Sans doute la France et l'Autriche ne laissèrent pas de s'intéresser aux élections de ses successeurs, mais l'alliance qu'elles avaient conclue en 1756 ne leur permettait pas de s'opposer directement l'une à l'autre, et la politique générale ne leur fournissant aucun motif grave de se disputer l'influence prépondérante dans la principauté, le chapitre put désormais faire librement usage de son droit électoral. L'intervention de Louis XV et de Marie-Thérèse à la mort de Jean-Théodore, le 27 janvier 1763, ne put décider la majorité des chanoines à se prononcer en faveur de Clément de Saxe, fils du roi de Pologne, Frédéric-Auguste. Les « patriotes » étaient fermement résolus à ne donner leurs suffrages qu'à un évêque résident, et que l'illustration de sa naissance ou la puissance de sa famille ne portassent point à les traiter de haut et à leur parler en maître. Après des discussions si orageuses qu'il fallut faire appel à la garde pour empêcher les électeurs de s'assommer à coups de chandeliers (12), ils l'emportèrent, et par 31 voix contre 19, Charles d'Oultre-mont fut élu le 20 avril 1763. La capitulation qu'il jura rendait au chapitre toutes les prérogatives dont il s'était vu dépouillé sous les deux règnes précédents. Mais ce ne fut pour celui-ci qu'une satisfaction platonique. L'hostilité de la noblesse et du Tiers-Etat ne lui permit point de récupérer une influence qui les eût soumis l'une et l'autre à son bon plaisir. D'ailleurs, la situation du chapitre n'était pas seulement ébranlée par cette hostilité, elle l'était davantage encore par les idées nouvelles qui commençaient à se répandre dans le pays et qui y propageaient avec les « lumières du siècle » l'« anticléricalisme » dont elles étaient inséparables. Le gouvernement resta donc sous Charles d'Oui- (Château d'Hex, collection comtesse d'Ansembourg.) (Cliché Moors.) François-Charles, comte de Velbrùck (près de Dusseldorf, 1719-Hex, 1784), prince-évêque de Liège de 1772 à 1784. Le prince-évêque tient dans la main gauche son livre préféré : L'Ami des Hommes du marquis de Mirabeau. Le visage a été retouché. Portrait peint par le Liégeois A. Dupont (?), cadre sculpté par Nicolas-François Dewan-dre (1730-1806) et doré par Jean Kinable (milieu du XVIII» siècle). tremont ce qu'il avait été avant lui. L'évêque et son Conseil Privé d'une part, les Etats de l'autre, continuèrent à administrer de commun accord. La prépondérance du Tiers aux Etats fit même de nouveaux progrès par la diminution du nombre des représentants de la noblesse. L'obligation de faire preuve désormais de seize quartiers pour pouvoir être député de l'Etat noble, réduisit la représentation de celui-ci à une clique de quelques familles, incapables d'exercer à l'avenir une action politique de réelle importance (13). VELBRUCK. — Durant le règne de Charles d'Oul-tremont, les relations du pays de Liège avec les Pays-Bas avaient été sans cesse en empirant. Contestations à propos de droits de douane et contestations à propos de territoires litigieux avaient d'ailleurs tourné au détriment des Liégeois (14). Le désir d'améliorer cette situation ne fut peut-être pas étranger à l'élection du nouvel évêque François-Charles de Velbriick (16 janvier 1772), qui passait pour agréable à l'Autriche et à la France. Il réussit, en effet, à conclure avec le gouvernement de Bruxelles des conventions avantageuses et qui atténuèrent une hostilité dont l'industrie avait gravement à souffrir. Mais ce qui donne au règne de Velbruck sa nuance particulière, c'est qu'avec lui la « politique éclairée » s'installe au palais épiscopal. Bien différent de ses prédécesseurs qu'inquiétaient les progrès de la philosophie nouvelle, il se réclame hautement de ses principes. Ce noble westphalien a puisé aux universités d'Allemagne et à la cour de Vienne, où il a été page durant sa jeunesse, les doctrines de l'Aufklàrung. C'est une sorte de Cobenzl mitré, un prélat suivant les idées du siècle, un réformateur, un ennemi des préjugés condamnés par la « raison ». Laissé libre d'agir comme il l'entendait, il eût sans doute régi la principauté suivant le programme de cet absolutisme éclairé qui dirigeait le gouvernement de Bruxelles. Contraint à Liège de ménager la constitution du pays, il se posa en défenseur des droits de son peuple contre les privilégiés, en partisan de l'égalité de tous devant l'impôt. Cette conduite, qui provoqua aussitôt le recours du chapitre et de la noblesse à la Chambre de Wetzlar, lui valut en revanche l'adhésion enthousiaste du Tiers-Etat et plus encore du groupe déjà nombreux dans la « cité » des hommes de lettres et des publicistes qui menaient campagne contre les abus du passé et pour le dogme nouveau de la souveraineté nationale. La Société d'Emulation, fondée sous le patronage de l'évêque en 1779, ajouta encore à son prestige de prince bienfaisant, vertueux et philosophe. Toutes les tendances dont devait sortir quelques années plus tard la Révolution liégeoise, s'unirent en un concert de louanges en son honneur. La verve républicaine de Bassenge et de Henkart, jeunes encore, le célébrait, avec plus de chaleur que de génie, comme l'opprobre des tyrans et le protecteur de la liberté, de l'égalité et des droits de l'homme. Heureux, s'écriait Henkart, ... heureux le chef que de ses plus beaux droits Un peuple libre et juste a fait dépositaire ! Heureux le peuple encor qu'il sait régir en père ! Ici, la liberté réside sous l'abri D'un ipasteur révéré par son troupeau chéri ; Des marches de l'autel, digne émule de Pierre, Il règne en citoyen sur la patrie entière ; Pontife et souverain, il préside à la fois Aux sciences, aux arts, aux cultes, aux mœurs et aux lois. luste, modeste, humain, affable et généreux, Il éclaira son peuple et le rendit heureux (15). CARACTERE INDUSTRIEL DU PAYS. - Si différents qu'ils soient l'un de l'autre au point de vue politique, le pays de Liège et les Pays-Bas contrastent bien plus fortement encore quand on envisage l'organisation et le développement de leur économie nationale. La richesse principale de ceux-ci, on l'a vu, consiste essentiellement dans leur agriculture; celui-là ne possède de terres fertiles que dans la Hesbaye. Au nord, les landes stériles de la Campine, au sud et à l'est les bois et les bruyères de l'Ardenne et de l'Entre-Sambre-et-Meuse occupent la plus grande partie de son territoire. Nul progrès dans l'exploitation du sol. La noblesse et surtout le clergé qui possèdent presque exclusivement la région hesbignonne, restént fidèles jusqu'à la fin du siècle, au système des grandes fermes et de la jachère (16). Sur la rive droite de la Meuse, l'organisation des villages se conserve intacte, avec la routine traditionnelle de l'assolement triennal, l'enchevêtrement des champs non clôturés, la vaine pâture et la Vaste étendue inculte des « communaux ». Cet état stationnaire de l'agriculture fait apparaître plus frappante la progression constante de l'industrie. C'est vers elle que se porte toute l'énergie du pays, c'est d'elle qu'il tire sa prospérité, reçoit sa physionomie propre et la place à part qu'il occupe dans l'histoire économique de l'époque. Elle présente, en effet, si on la compare à celle des contrées voisines, un caractère singulier et du plus haut intérêt. Presque partout, au XVIII' siècle, l'industrie s'est développée sous la protection de l'Etat. Les Dalheni HenriC/tof. HerstaL Salve t /KtHtnii Eupen Herve Verviers ôtouwont Chevron* i/m Château Hebronvok niaeslrichl Aix-la Chapelle Cfja liSSeeS construites datjS l'a partie oriçtitule de ta 0 {Principauté dejjége ait XWStcc/e. 5> m Routes de la partie orientale de la principauté de Liège au XVIIIe siècle. En 1712, les Etats de Liège avaient approuvé un plan de quatre chausées qui devaient aboutir à Saint-Trond, Tongres et Hasselt, Verviers et Dinant par le Condroz. Quant à la jonction de Liège et d'Aix-la-Chapelle, qui devait emprunter le duché de Limbourg, son tracé fit l'obiet de multiples contestations entre les Pays-Bas et la principauté. L'on essaya en vain de relier Liège à Verviers par le nord de la Vesdre sans toucher au Limbourg. En 1744, on avait atteint la limite du duché de Limbourg entre la Clef et Battice. Le ministre plénipotentiaire Botta-Adorno, de son côté, proposa de relier Liège à Aix-la-Chapelle par une grande chaussée, mais son projet n'aboutit pas. Vers 1733, les Etats de Liège décidèrent de continuer jusqu'à Banneux la route Llège-Beaufays. Peu après, les Etats du Limbourg faisaient construire la chaussée depuis le bois d'Aix-la-Chapelle jusqu'à Herve : les pourparlers aboutirent à une convention conclue le 12 octobre 1750. La seconde moitié du siècle vit s'achever plusieurs routes : la branche de Battice à Hodimont (octroi en 1750), le tracé de Banneway (Banway) à Theux et de Theux à Spa par le Marteau (voté en septembre 1767), le pavé entre Theux et Verviers par Oneux; en 1772, Liège est enfin réunie à Verviers; Eupen décide de se relier à la chaussée d'Aix; l'octroi de la chaussée de Herve à Rafhay est délivré le 16 août 1783; entre 1785 et 1787, la chaussée de Hodimont à Dison et de Dison à Petit-Rechain était construite en même temps que l'on abandonnait le « thler » de Hodimont. — Carte dessinée d'après celle d'E. Fairon : La chaussée de Liège à Aix-la-Chapelle (Bulletin de la Société Verviétoise d'Archéologie et d'Histoire, 1912, t. XII, p. 178-179, hors-texte). poser à l'activité économique. Non par principe, mais par impuissance, il l'abandonne à elle-même, la laisse se développer spontanément, ne la soumet à aucune contrainte. Il est physiocrate sans le savoir, et les Quesnay et les Gournay auraient pu citer son exemple à l'appui de leurs théories. LA POLITIQUE ECONOMIQUE. - Le droit de soixantième qu'il prélève sur toutes les marchandises franchissant ses frontières n'a rien d'un droit protecteur; c'est une simple taxe fiscale, maladroitement conçue et aussi insupportable, aussi odieuse aux étrangers qu'elle l'est aux nationaux. On ne la laisse subsister que parce que son produit subvient aux charges principales de la principauté et permet de réduire presque à rien les impôts directs (17). La haine de l'impôt est, en effet, pour les Etats de Liège comme pour ceux des Pays-Bas, le principe suprême, et l'autonomie qu'ils possèdent leur permet de s'y abandonner en toute liberté. Ni le clergé ni la noblesse, étrangers aux intérêts de l'industrie, ne consentiront aux dépenses qu'elle réclame, et il n'en va guère autrement des délégués du Tiers, presque tous recrutés parmi les hommes de loi et les rentiers, insensibles ou indifférents aux réclamations des quelques manufacturiers qui siègent à côté d'eux. Il est impossible de les convaincre de l'absurdité du soixantième. Leur obstination à le maintenir malgré les protestations, puis les menaces du gouvernement autrichien, les lance, à partir de 1740, dans un conflit, où ils doivent nécessairement succomber contre un adversaire plus puissant, mieux organisé et dont les territoires enserrent de toutes parts les pointes avancées que la principauté pousse dans le Luxembourg, le Hainaut et le Namurois. pouvoirs publics l'entourent d'une sollicitude toujours en éveil, la comblent de faveurs et de privilèges, lui procurent des débouchés, lui réservent exclusivement, à force de protectionnisme, le marché national. Malgré la critique à laquelle, vers 1760, les physiocrates soumettent le mercantilisme, les gouvernements lui restent fidèles, et nous avons constaté plus haut que celui de Bruxelles n'a pas fait exception à la règle. Or, cette règle, la principauté de Liège l'ignore et la viole. La liberté qui se trouve à la base de sa constitution politique se rencontre également dans son organisation industrielle. Paralysé par l'intervention constante des Etats, le pouvoir central est à Liège trop dépourvu de moyens d'action, trop soumis au contrôle de l'opinion, trop accessible à l'influence ou au conflit des intérêts qui s'agitent autour de lui pour s'im- Mais les Etats « aussi peu politiques que fins chicaneurs» (18) mettent leur amour-propre à ne pas céder; ils ne veulent pas reconnaître que leur intérêt le plus évident serait de conclure une entente avec la Belgique et de se rattacher intimement à son système de transit. Les Provinces-Unies, dont ils font le jeu, encouragent leur résistance. Ils ont beau voir la cour de Bruxelles, poussée à bout, édicter contre eux des tarifs renforcés, les empêcher, en leur contestant le territoire de Saint-Hubert, de réaliser le projet de conduire jusqu'en France une route n'abandonnant pas les terres liégeoises, favoriser de tout son pouvoir la draperie limbourgeoise contre celle de Verviers, entraver le développement de la clouterie dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, etc., ce n'est que vers 1780 qu'ils s'apercevront enfin de leur erreur et qu'ils renonceront à une lutte contre nature et dont ils sont les premières victimes. Par parcimonie, ils ne se décident que de loin en loin, et après des réunions interminables, à décréter les travaux publics les plus urgents. S'ils ont consenti, en 1739, à ouvrir une route vers Bois-le-Duc, ils ne se résigneront qu'en 1767 à joindre Verviers et Spa à la capitale par un chemin pavé, auquel des raisons d'économie et plus encore leur entêtement à ne pas demander au gouvernement autrichien l'autorisation de passer sur les terres limbourgeoises, imposent un tracé bizarre et des montées inutiles (19). Le Conseil Privé, dépositaire de la puissance limitée que la constitution laisse au pouvoir central, est mieux disposé. On surprend chez lui quelques velléités de « colbertisme », se manifestant par des octrois accordés à des fabriques de tapisseries ou d'indiennes, qui, insuffisamment protégées, ne peuvent d'ailleurs que végéter (20). C'est à cela que se réduit, en somme, la politique économique du pays; il ne possède ni Chambre de commerce, ni enseignement commercial, ni inspecteurs de manufactures, ni statistique. A la fin du siècle seulement, il prendra quelques mesures vraiment utiles : la conclusion, le 24 mai 1772, d'un traité de commerce avec la France, et, en 1780, l'arrangement avec les Pays-Bas à propos de la route d'Aix-la-Chapelle à Louvain. LIBERTE DE L'INDUSTRIE. — L'initiative privée a donc été abandonnée à elle-même et elle s'est brillamment acquittée de la tâche qui lui incombait. Sous sa direction, l'industrie liégeoise a atteint un développement extraordinaire, bien supérieure à celui qu'elle présente dans les Pays-Bas. C'est que diverses circonstances favorables ont compensé l'inertie des pouvoirs publics. Tout d'abord, le prix de la main-d'œuvre est singulièrement modéré (21). L'absence presque complète d'impôts et l'afflux vers les villes de la population rurale, que l'état rudimentaire de l'agriculture ne suffit pas à occuper tout entière, permettent de maintenir les salaires à un taux très bas. Il faut ajouter à cela que les corporations de métiers, ayant perdu toute vigueur depuis la réforme de 1684, ne sont plus capables de résister aux entrepreneurs capitalistes. Enfin et surtout, les industries liégeoises enracinées dans le peuple par une habitude séculaire ou alimentées par les ressources mêmes du sol national, résistent facilement à la concurrence. Le travail du fer et la fabrication des armes sont pratiqués dans la cité et sa banlieue; l'eau de la Vesdre assouplit et dégraisse merveilleusement les laines, en même temps que son courant rapide communique son énergie aux mécaniciens des ateliers, et par-dessus tout la houille, qui abondant le long moyen âge avait établie entre les populations rurales et aux forgerons, aux armuriers, aux cloutiers et aux teinturiers un combustible excellent et à bon compte. Aussi tout le mouvement industriel se concentre-t-il dans la région wallonne proche des houillères, autour de Liège et de Verviers et plus loin, dans le pays de Thuin et de Châtelet. La plaine flamande du Nord, que la draperie du moyen âge animait jadis, n'en ressent pas l'influence et échappe aux transformations sociales qu'elle provoque. L'industrie liégeoise est déjà si puissante au XVIIIe siècle qu'elle imprime aux villes qu'elle atteint un caractère nouveau. Sous sa pression, achève de disparaître l'opposition si nette que la structure économique du moyen âge avait établie entre les populations rurales et les bourgeoisies. L'extinction de l'ancien esprit municipal, attestée par le succès du règlement de 1684, n'est au fond qu'une conséquence de la substitution de l'entreprise libre et capitaliste au petit atelier urbain réglementé et privilégié. La chute des métiers, qui barraient aux « forains » le libre accès de la « cité », la laisse ouverte devant eux. Désormais, d'un courant ininterrompu, ils y affluent. La banlieue qui s'étend autour de l'enceinte municipale se transforme en faubourgs ouvriers et perd son ancienne physionomie agricole. Le long de toutes ses routes se pressent les maisons et les fabriques. La ville n'est plus une immunité juridique et économique fermée par la ceinture de ses remparts et faisant le vide autour d'elle; elle devient un foyer d'activité rayonnant largement au dehors et empiétant de plus en plus sur la campagne. Ce n'est plus comme au moyen âge le droit spécial sous lequel ils vivent qui distingue ses habitants : les privilèges du bourgeois se dissolvent dans le droit commun. Entre le paysan et le citadin, il n'y a plus guère d'autres différences que celles qui résultent de la différence même de leurs occupations, de leurs habitudes et de leurs intérêts. Partout où l'industrie pénètre, elle fait craquer les cloisons que le passé avait établies entre les hommes. Mais si elle ne tient plus compte des anciennes distinctions juridiques, elle renforce les distinctions sociales. Dans la même mesure où elle atténue le contraste entre le paysan et le bourgeois, elle augmente entre le riche et le pauvre, entre le capitaliste et le prolétaire. L'égalité qu elle favorise n'est que l'égalité des droits civils, et les (Liège, Musée Curtius.) (Cliché Dessart.) Bouteille à eau de Spa du XVIII'' siècle. Le support est en bois de Spa. — Les débuts du commerce des eaux de Spa paraissent dater de la seconde moitié du XVIe siècle. Vers 1632, 100.000 bouteilles étaient exportées chaque année, malgré l'impftt du cachet. Le XVIIIe siècle marque l'apogée du commerce des eaux médicinales : elles sont distribuées dans les Pays-Bas et exportées en Hollande, en France et en Angleterre. La révolution française entrava momentanément le mouvement : vers 1800, le nombre des bouteilles exportées ne dépassait pas 20.000, souvent même il était inférieur à 10.000. espoirs qu'elle fait naître ne s'attachent qu'à la conquête de l'égalité politique. Depuis le règlement de 1684, dans lequel des appréciations superficielles ne voient qu'une œuvre de despotisme et de réaction, Liège est en train de se transformer en une ville moderne, en une grande agglomération de citadins entre qui la résidence, soit intra muros, soit dans les faubourgs, n'établit plus de démarcation sensible. En 1790, avec ses 83,224 habitants dont 32,964 se groupent dans la vieille enceinte du moyen âge, tandis que 50,260 occupent les faubourgs et la banlieue (22), elle dépasse la population des plus grandes villes de la Belgique, sans excepter Bruxelles. Aucune d'elles ne présente cet aspect de cité manufacturière qui la distingue et frappe tous ceux qui la traversent. En 1738, le baron de Pôllnitz parle avec un dédain aristocratique de la malpropreté de ses rues et des fumées de charbon qui l'empestent et font penser aux brouillards de Londres (23). Une cinquantaine d'années plus tard, le démocrate Forster prend plaisir au brùit continuel qu'on y entend, et s'amuse d'y être coudoyé à chaque pas par « des charbonniers, des armuriers et des miroitiers, gens peu polis, peu maniérés », mais dont il admire en souriant la vivacité et l'activité (24). Moins important par sa population, Verviers présente un spectacle plus frappant encore par sa nouveauté. C'est qu'ici la poussée industrielle a été si soudaine que, du premier coup, elle a rompu tous les liens de la tradition et tous les vestiges du passé. Erigé en ville en 1651 seulement, Verviers n'a connu ni privilèges, ni corporations de métiers. Dès le début, il s'est développé dans la liberté du travail et de la concurrence. Sauf la vieille église à demi rurale qui s'élève sur le « Vieux Cimetière », rien n'y rappelle le passé. Il ne possède plus d'enceinte de murailles et pousse librement le long de la Vesdre et du canal des fabriques, ses longues rues irrégulières où s'accostent en désordre les hôtels flambant neufs de ses fabricants (25) et les façades à petites fenêtres de ses usines, au coin desquelles débouchent les ruelles étroites qu'habitent, dans de grandes masures sans air et sans lumière, les tisserands, les foulons et les tondeurs. LES CHARBONNAGES. — Le caractère moderne de l'essor industriel dans le pays de Liège se manifeste encore par le grand rôle qu'y joue le charbon. Sans doute, comparée à ce qu'elle est de nos jours, son exploitation apparaît bien misérable, et son emploi semble singulièrement restreint. Il n'empêche que l'un et l'autre, si on les envisage au point de vue du XVIII" siècle, ne trouveraient guère d'égaux sur le continent. Confinée au moyen âge aux environs immédiats de la ville de Liège, l'extraction du charbon s'est propagée dès le XVI" siècle à la lisière méridionale du pays de Herve et le long de la vallée de la Meuse. Vers 1800, on ne compte pas moins de quarante-trois communes, dans le territoire limité par Cheratte au nord, Seraing à l'ouest, Chênée au sud et Xhendelesse à l'est, dont le sol ne soit percé de houillères. On en estime le nombre à 140, employant environ 7,000 ouvriers (26). La plupart d'entre elles sont naturellement d'importance médiocre. Un treuil manœuvré par deux hommes pour monter les paniers de charbons, une échelle adossée aux flancs de la bure, une cheminée d'aérage alimentée par un foyer : voilà à quoi se réduit souvent leur outillage. Les « parçonniers » qui en ont obtenu la concession ne peuvent, en effet, se permettre davantage. Ce sont des seigneurs locaux, des propriétaires, des fonctionnaires de fortune médiocre. Mais la perfection de la technique supplée à la modicité de leur ressource. L'expérience qui, depuis le XIII" siècle, s'est transmise de génération en génération a perfectionné sans cesse le travail si complexe de la mine. Les ingénieurs de nos jours admirent la sagesse des règlements édictés par les « voir-jurés des charbonnages », lointains ancêtres du corps des mines, et chez qui la pratique tenait lieu de science. Aujourd'hui encore, les « arènes » percées sous leur surveillance pour l'écoulement des eaux souterraines, continuent à rendre d'utiles services, et leurs décisions, trop peu étudiées, comptent au nombre des productions les plus remarquables de la juridiction industrielle. D'après les spécialistes, le système liégeois des « concessions verticales » est de beaucoup préférable à celui des « concessions par couches » en usage dans le Hainaut (27). Si le capital avait été plus abondant, nul doute que les progrès de la houillerie n'eussent rivalisé dans le pays de Liège avec ceux qui furent accomplis en Angleterre à partir des environs de 1750. Malheureusement, l'étroi-tesse de vue des propriétaires fonciers, ici plus encore que dans les Pays-Bas, se fait déplorablement sentir. Le plus important d'entre eux, le chapitre cathédral, ne porte aucun intérêt à l'industrie, et quant à la noblesse, elle ne compte guère de familles assez opulentes pour risquer d'y compromettre de grosses sommes. Néanmoins, partout où se rencontre quelque actionnaire ou quelque bailleur de fonds audacieux, l'ingéniosité des inventeurs se met aussitôt en campagne. Déjà au XVII" siècle, les appareils hydrauliques employés à l'extraction ou à l'épuisement sont si perfectionnés que c'est à un Liégeois, Renkin Sualem, que Louis XIV confie la construction des fameuses machines destinées à alimenter les étangs de Marly. En 1693, 1696, 1747, 1754, 1761, des octrois sont accordés à des fabricants de mécaniques servant à monter les houilles ou à pomper les eaux (28). En l'absence de rivières ou de ruisseaux, on emploie, comme force motrice, la traction animale, et l'on construit des cabestans actionnés par 32 à 40 chevaux (29). Hubert Sarton invente, en 1775, un système d'échelles mouvantes pour la remonte des mineurs (30). Les pompes à feu sont en usage depuis la fin du premier quart du XVIII" siècle. Plus on va, plus leur usage se répand et plus aussi l'importance des grandes entreprises s'affirme. A la fin du siècle, plusieurs d'entre elles n'occupent pas moins de 600 ouvriers, 400 au fond et 200 à la surface (31). Le tiers environ du charbon extrait s'exporte vers la Hollande (32); le reste sert à la consommation du pays. Malheureusement le moyen n'est pas trouvé encore de remplacer le bois par la houille dans la fonte du fer. Mais le problème se pose devant les esprits et les sollicite. « Que ne puis-je voir, écrit le chevalier de Heusy, en 1768, la réussite de fondre la mine avec de la houille !» (33) Et l'évêque d'Oultremont, vers la même date, fait étudier la question par le docteur de Limbourg, et obtient des Etats de prendre à leur charge les dépenses entraînées par ses essais. Un peu plus tard, en 1782-1783, des expériences sont entreprises pour épurer la houille et « la rendre propre pour les fourneaux et forges» (34). On entrevoit l'avenir... Le charbon est la principale richesse de la principauté, I "MWÈÊMWÊ ' »" s' " \ % f "'. C. N .Cochin. Hl ocw./y// s,__^ -----------7--- .La France témoigné /on affection à la^VïIIe de lâege . ________' Z1 '«._____________- _ A i V*,/tf'/ V '..//.tm^ .».'.-•.-»r.J.'.* M.,r . r*,» Alxm I/OUIS, pol bon I/ambiet ji Paris cfirlr Demarteau Jraveur .lu Itjî et Pensionnaire Je J"a Ma/este. rue de la Pellerie a la Clûçft' 265 (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) «A la fin du siècle seulement», le Pays de Liège «prendra quelques mesures vraiment utiles : la conclusion, le 24 mai 1772, d'un traité de commerce avec la France...» (Voyez le texte, p. 183.) «L'accent du terroir, la verve wallonne restent très marqués. A Paris, le graveur Demarteau s'amuse à inscrire des vers wallons sous la composition symbolique qu'il consacre à rappeler le traité de commerce de 1772.» (Voyez le texte, p. 191.) « La France témoigne son affection à la Ville de Liège. Cette estampe a été faite en reconnaissance de l'exemption du droit d'aubaine accordée par Sa Majesté très Chrétienne aux Citoyens de la Ville de Liège. » Et les quatre vers wallons : Seche etho binamaye France, Les denn zefan kis rafiet, Dit mostrè to leu ricnohance, A bon Louis, pol bon Lambiet. C'est-à-dire : « Sache aussi, blen-aimée France, Les dignes (?) enfants qui se réjouissent de montrer toute leur reconnaissance au bon Louis pour le (au nom du) bon Lambert. » Gravure de Gilles Demarteau (Liège, 1722-Parls, 1776), d après un dessin de Nicolas Cochin (Paris, 1715-1790) exécuté en 1771. mais il n'en est pas la seule. L'Entre-Sambre-et-Meuse renferme des gisements de minerai de fer de qualité excellente. Malheureusement cette région, enclavée dans des territoires français et autrichiens, n'a pas de communication directe avec Liège, et les mesures douanières des deux grands Etats qui l'entourent et contre lesquelles le gouvernement liégeois ne peut se défendre, imposent comme débouchés, à la fonte qu'elle produit, le Hainaut et la région de Valenciennes (35). En revanche, c'est vers Liège que se dirige l'alun que l'on exploite depuis le XVI0 siècle le long de la Meuse, de Huy à Flémalle-Haute. Il atteint de là le marché d'Amsterdam où, au XVIIe siècle, il rivalise avec l'alun d'Angleterre. Au siècle suivant, son extraction et sa préparation, à laquelle on n'a pas encore réussi à appliquer le charbon, occupe quinze sociétés et 1,199 ouvriers. Les cinq sixièmes de la production s'exportent à l'étranger (36). L'ARMURERIE. — Si dès la fin du moyen âge les houilleurs du pays de Liège se sont acquis une réputation universelle, ses armuriers devaient devenir célèbres encore durant les temps modernes. L'industrie des armes à feu semble être la seule qui, avant l'apparition du machinisme, ait présenté le spectacle, auquel nous sommes accoutumés aujourd'hui, d'un perfectionnement continuel. L'ingéniosité humaine s'est bien plus passionnément appliquée à l'invention des instruments de meurtre qu'à celle des paisibles outils de la vie journalière. Tandis que le métier à tisser est resté jusqu'à l'époque de Jacquart (1806) ce qu'il était dans l'antiquité romaine, quelle série de progrès ininterrompus entre l'arbalète du XVe siècle et le fusil à pierre et à baïonnette du XVIIIe siècle, pour ne rien dire des transformations si rapides du pistolet et du fusil de chasse ! Aussi la profession de l'armurier le tient-elle sans cesse en haleine. La technique changeante de (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse.) « ... C'est à un Liégeois, Renkin Sualem, que Louis XIV confie la construction des fameuses machines destinées à alimenter les étangs de Marly. » (Voyez le texte, p. 184.) Quatorze roues d'un diamètre de 12 mètres actionnent 64 pompes qui puisent l'eau dans la Seine et la refoulent dans un réservoir situé à 48 m. 45 au-dessus du niveau du fleuve. Elles mettent en mouvement deux séries de tringles : la première actionne 49 pompes qui élèvent l'eau à une hauteur de 56 m. 53 iusqu'à un second réservoir; la seconde aboutit au réservoir; elle actionne 30 autres pompes qui élèvent l'eau à une hauteur de 57 m. 17 jusqu'au sommet de l'aqueduc de Louveciennes. De là, l'eau s'écoule en direction des réservoirs de Louveciennes et de Marly situés à 37 mètres au-dessus du niveau des bassins de la terrasse du château de Versailles. Par trois montées successives, l'eau est donc amenée à 162 m. 15 au-dessus du niveau de la Seine. La roue reproduite ci-dessus est extraite du Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts mécaniques avec leur explication (4° livraison, Paris, 1767, folio) destiné à illustrer l'Encyclopédie. son métier ne lui permet point de se confiner dans une routine traditionnelle. Elle requiert autant d'activité de son intelligence que de ses mains. Il est obligé de varier continuellement ses procédés, d'employer ou d'inventer des outils nouveaux, de faire toujours mieux et de se renouveler sans cesse sous peine de déchéance. De là sans doute cette vivacité d'esprit, cette promptitude à l'action, cette mobilité d'aptitude dont sa profession essentielle a doué la population liégeoise. De là aussi, dans l'organisation même de l'industrie des armes, une rupture nécessaire et brusque avec les traditions du moyen âge. L'armurerie est trop souple et trop novatrice pour s'accommoder du joug rigide de la corporation. Née, suivant toute apparence, au sein du métier des forgerons, elle s'en échappe bientôt, non pour constituer à son tour un métier, mais pour se lancer librement dans la voie de la spécialisation du travail. Des groupes d'ouvriers, appliqués chacun à un genre distinct de la besogne, collaborent, en une chaîne ininterrompue, à l'achèvement du produit. Les marchands d'armes, entrepreneurs capitalistes, donnent le branle à toute l'organisation. Le fer, qu'ils confient aux « canonniers », leur revient, sous forme de canons bruts, pour passer ensuite aux mains des « garnisseurs », des « platineurs », des « équipeurs », des « ciseleurs », des « faiseurs de bois », des « monteurs », qui, de processus en processus, le transforment en arme parfaite destinée à la vente (37). Le travail s'exécute partie en ville, partie dans la banlieue. C'est surtout dans la vallée de la Vesdre, à Chênée, à Trooz, et le long des ruisseaux qui descendent vers elle des hauteurs du pays de Herve et du Franchi-mont, que se groupent les forges des « canonniers » et des « platineurs ». Plus délicates, les opérations subséquentes sont confiées aux ouvriers urbains. Si quelques-uns de ceux-ci sont encore, pour la forme, rattachés à certaines corporations de métiers, en réalité, tous les artisans de l'armurerie vivent sous le régime du salariat. Ce sont des travailleurs à domicile, et si les plus expérimentés ou les plus inventifs sont protégés contre le capital par leur habileté même, certains n'ont d'autre recours contre son exploitation, que celui de la grève. Quant aux patrons, plusieurs d'entre eux, à la fin du XVIIIe siècle, apparaissent comme de grands manufacturiers. Tel, par exemple, ce Gossuin, dont les ouvriers se comptent par centaines, et que nous verrons plus tard en déchaîner la violence au profit de la Révolution. La perfection de l'industrie liégeoise lui a assuré, dès le XVIIe siècle, un marché de plus en plus étendu. L'institution du « banc d'épreuve », établi par la ville en 1672 (38), garantit la solidité de ses fabricats, qui recommandent d'autre part leur élégance et leur bon marché. Dès le commencement du XVIIIe siècle, elle approvisionne de fusils et de baïonnettes, les troupes de l'électeur de Bavière, celles de l'empereur, celles du roi de Prusse. Ce sont des armuriers liégeois que Frédéric-Guillaume appelle à la fabrique d'armes fondée par lui à Span-dau (39). En 1788, les fabricants d'armes de Saint-Etienne reconnaissant la supério- rité de Liège, l'attribuaient à la liberté dont y jouissait l'organisation industrielle (40). LA CLOUTERIE. — Beaucoup moins ancienne que l'armurerie, la clouterie s'est largement développée à côté d'elle depuis le XVI" siècle. Elle possède deux foyers principaux : l'un dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, l'autre autour de Liège. Le premier, encerclé par les douanes autrichiennes et françaises qui imposent à ses produits, depuis le commencement du XVIII0 siècle, des droits prohibitifs, n'a pu, malgré quelques édits rendus en sa faveur et l'excellence de la fonte provenant des hauts fourneaux de la région, soutenir son activité. Le second, au contraire, auquel les chantiers maritimes de la Hollande fournissent un marché rémunérateur, s'est développé sans interruption. Il absorbe presque tout le fer du Luxembourg. Son organisation, comme pour l'armurerie, est strictement celle que le capitalisme fait à l'industrie à domicile. Des intermédiaires, appelés « marchottais », contractent à forfait avec les marchands, en reçoivent la matière première et la répartissent entre les ouvriers. La condition de ceux-ci, qu'ils soient maîtres de forges ou compagnons, apparaît aussi misérable que celle des tisserands de toile flamands. Leur salaire n'est pas seulement avili par la nécessité de réduire les frais de la main-d'œuvre au minimum pour pouvoir lutter contre la concurrence de l'étranger, il l'est encore par la concurrence des marchands entre eux. La liberté illimitée de l'industrie entraîne de telles conséquences que, dès avant le milieu du XVIII0 siècle, il faut prendre des mesures pour la restreindre. Des ordonnances suppriment l'embauchage obligatoire par les « marchottais », prohibent l'emploi d'ouvriers étrangers et interdisent les abus les plus criants auxquels donne lieu le régime des salaires (41). Plus intéressant encore est, en 1743, un essai de mettre en rapports directs et, s'il se peut, en harmonie le groupe des capitalistes et celui des travailleurs, en organisant les premiers en société et en constituant la masse prolétarienne des seconds en une « compagnie » ou « métier » s'étendant à la cité comme aux villages des alentours (42). Il semble bien du reste que ces tentatives n'aient pas abouti. La misère dans laquelle végètent, en dépit d'un labeur acharné, les cloutiers à domicile qui subsistent encore de nos jours dans la vallée de la Vesdre, permet d'apprécier celle de leurs ancêtres d'il y a cent cinquante ans. LA DRAPERIE VERVIETOISE. - En passant de la région de Liège à celle de Verviers, on aborde le domaine d'une industrie qui, si différente qu'elle soit de celles que l'on vient de passer en revue, s'y apparente pourtant de très près par ses caractères sociaux. Les origines obscures de la draperie verviétoise remontent au XV" siècle. Contrarié durant longtemps par la jalousie des drapiers privilégiés de la capitale, elle a dû attendre pour s'épanouir que la décadence de l'économie urbaine, paralysant l'influence des métiers, cessât de restreindre sa liberté. Dès le commencement du XVII° siècle, elle ne se contente plus de mettre en œuvre les toiles grossières des moutons ardennais. Ses marchands vont s'approvisionner de laine d'Espagne aux ports des Provinces-Unies et aussitôt cherchent à rivaliser avec les manufacturiers de Leyde dans la fabrication des draps fins. Les apprentis qu'ils y envoient s'y former y apprennent l'art des apprêts et l'acclimatent aux bords de la Vesdre (43). En quelques (Jemeppe-sur-Meuse, château d'Ordange, collection Mm,! A. Gevaert-Tixhon.) (Cliché Jo.) René (ou Renkin, Rennekin) Sualem (Liège, 1645-Borgival, 1708). Il s'est rendu célèbre par la construction d'une machine hydraulique destinée à élever l'eau dans le parc de Versailles (voyez l'illustration ci-dessus, p. 186). Portrait peint par un artiste inconnu. années les Verviétois rivalisent avec leurs maîtres au point de les effrayer et leur faire réclamer des mesures protectrices contre cette concurrence inattendue (44). Mais le mouvement commencé ne s'arrête plus. Si son éloignement de la mer et l'absence de bonnes routes obligent Verviers à se procurer la laine à grands frais, il rachète cet inconvénient par de précieux avantages : les propriétés calcaires des eaux de la Vesdre, l'abondance du combustible grâce à la proximité des houillères et surtout le bon marché de la main-d'œuvre. Le bourg prend une telle importance qu'il est érigé en ville en 1651. Sa population grandit sans cesse, et à mesure qu'elle augmente elle répand plus largement son activité au dehors. Toute la contrée qui l'entoure s'industrialise. Des deux côtés de la frontière qui toute proche sépare le pays de Liège du Limbourg, les femmes filent la laine, et le battement des métiers à tisser se fait entendre toujours plus loin dans le silence de la campagne (45). Pour la ville, c'est un fouillis d'ateliers, de fouleries, de fonderies, de teintureries, de magasins. Sa jeune bourgeoisie ne se compose que de manufacturiers, dont toutes les ressources sont absorbées dans leurs entreprises et ne possédant ni rentes, ni bien-fonds (46). Sous elle, peine du matin au soir un prolétariat industriel spécialisé dans les opérations multiples exigées par la préparation de la laine et l'apprêt des étoffes. Rien ici qui rappelle les (Liège, Musée de la Vie wallonne.) (Cliché Maes.) Détail d'un vieux métier à tisser liégeois. Il daterait du début du XIX® siècle mais le procédé de fabrication reste le même qu'au siècle précédent. corporations de métiers qui se survivent dans les vieux centres urbains. Si, en 1685, on a songé, sans résultat, à répartir les travailleurs en quatorze collèges, c'est tout simplement par des considérations de police et sans le moindre dessein de fournir aux employés une protection contre les employeurs (47). L'originalité de l'industrie verviétoise consiste précisément dans son indépendance complète à l'égard du régime corporatif. Elle est née et elle s'est développée dans la liberté la plus entière (48). C'est d'elle qu'elle tient la vigueur nécessaire pour vaincre les obstacles que le mercantilisme du gouvernement de Bruxelles et la maladresse du gouvernement liégeois lui ont suscités. Le premier, en effet, s'efforce de développer contre elle la draperie du Limbourg (49), et le second ne renonce qu'en 1753 à la perception du soixantième qui, taxant à la fois la matière première et les produits, constitue une charge si lourde que, pour y échapper, nombre de fabricants vont s'établir à Hodimont, de l'autre côté de la frontière (50). Les débouchés que le protectionnisme lui ferme vers la France et les Pays-Bas, elle les cherche et les trouve du côté de l'Allemagne. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, et même au delà, ses marchands fréquentent assidûment la foire de Francfort. En 1715, ils justifient la demande d'obtenir pour leur ville la publication d'un journal, en insistant sur l'intérêt que les nouvelles de l'étranger présentent pour eux, leurs affaires s'étendent à la Hollande, à la Lorraine, à la Westphalie, au Danemark, au Brandebourg, à la Suisse et jusqu'à la Pologne (51). LE PROLETARIAT INDUSTRIEL. - La suppression du soixantième, puis, à partir de 1756, la paix que le pays de Liège conserva au milieu des troubles de la guerre de Sept ans, augmentèrent encore la prospérité industrielle. Depuis 1763, les étoffes verviétoises paraissent sur les marchés d'Orient et y font concurrence aux draps du Languedoc (52). L'avenir apparaît d'autant plus brillant que les moyens de transport se sont améliorés. La ville, rattachée à Liège par une route pavée en 1767 est reliée en 1780 au transit autrichien (53), ce qui lui permet de se procurer par Ostende la laine qu'elle était forcée jadis de faire venir à grands frais des ports de la Hollande. De grandes fortunes s'y sont constituées. Les hôtels des riches fabricants sont « dignes d'une capitale » ( 54 ). La population, en progrès constant, atteint environ 15,000 habitants (55). L'intensité croissante de la production en centralise de bonne heure les organes. A l'origine, les fabricants n'étaient que de petits entrepreneurs confectionnant annuellement quelques dizaines de pièces de drap. A la campagne, des centaines de tisserands en chambre travaillaient pour le compte des marchands exportateurs. Les apprêts étaient donnés dans des ateliers ou, comme on disait alors, dans des « boutiques » de foulage, de tondage ou de teinture qui apparaissent comme des embryons de fabrique à côté du travail en chambre. Dans le courant du XVIIIe siècle, le capitalisme est devenu assez puissant pour achever l'évolution commencée. Le marchand se transforme en fabricant. Il groupe dans de vastes bâtiments toutes les mécaniques et tous les travailleurs servant à l'élaboration complète du drap, depuis le lavage de la laine jusqu'à la « toilette » de l'étoffe (56). La fabrique moderne apparaît et commence à aspirer vers ses ateliers hiérarchisés et à discipliner sous sa direction les travailleurs à domicile. En 1789, on cite un fabricant n'occupant pas moins de 1,000 personnes (57). A mesure qu'elle se développe, l'influence patronale devient plus oppressive. Privés, on l'a vu, de toute organisation, les ouvriers que la ville attire vers elle de plus en plus nombreux, en sont réduits à vivre sous un régime de contrats individuels, libres en apparence, déterminés en réalité par les intérêts de l'employeur. L'abondance des bras permet de réduire à un taux infime le salaire d'une journée de travail qui commence à 5 heures du matin pour cesser à 8 heures du soir (58). Encore ce misérable salaire est-il soumis à quantité d'abus, dont le plus criant est le droit que les patrons se réservent de fixer eux-mêmes la valeur des monnaies servant au paiement (59). Aussi, la misère des ouvriers est-elle lamentable. Ils habitent de sordides logements, où il n'est pas rare de rencontrer jusqu'à six personnes dans une seule chambre (60). Une semblable détresse n'amasse pas seulement la colère au fond de leurs cœurs; bientôt elle les pousse à la protestation, puis à la résistance. Pour se protéger contre la concurrence des nouveaux venus qui sur le marché du travail leur disputent les moyens de vivre, ils prétendent imposer aux patrons soit interdiction d'embaucher des étrangers, soit l'obligation de les soumettre tout d'abord aux formalités de l'apprentissage. Ils se groupent en compagnonnages, unissant tous les membres d'un même métier sans distinction d'ateliers, correspondant avec les « frères » des localités dra-pières du Limbourg, exigeant de leurs membres des cotisations destinées à secourir les plus pauvres d'entre eux ou à subvenir aux frais des procès qu'ils intentent ou qui leur sont intentés (61). Mais leur arme la plus redoutable et le plus fréquemment employée est la grève. Celle des tondeurs en 1759, jette une lumière crue sur l'antagonisme qui oppose, dès lors, l'un à l'autre, le capital et le travail. Soigneusement préparée, elle ne durera pas moins de quarante jours. Aux grévistes, dirigés par d'anciens soldats, les fabricants répondirent par un lock-out, le plus ancien sans doute que connaisse l'histoire industrielle de la Belgique. Vingt-quatre d'entre eux s'engagèrent, sous peine d'amende, à ne rouvrir leurs ateliers que de commun accord (62). La gravité de ces conflits attira nécessairement l'attention des pouvoirs publics. Le Conseil Privé de l'évêque interpose son arbitrage entre les parties. Il ne cache pas sa sollicitude pour les ouvriers souffrant d'abus trop réels (63). L'influence des patrons, toutefois, était trop grande et lui-même trop dépourvu d'autorité pour que ses tentatives aboutissent. Il ne parvint pas à imposer à Verviers, comme Marie-Thérèse le fit à Hodimont, dès 1743, un conseil d'arbitrage composé de marchands et de «garçons» (64). La liberté industrielle demeura intacte, et avec elle se perpétua l'état de guerre entre les contractants qu'elle se bornait à mettre en présence en s'inter-disant de protéger le plus faible contre le plus fort (65). Toutefois, les « classes dirigeantes » se préoccupèrent d'atténuer ce qu'elles considéraient comme un mal nécessaire. Sans toucher à l'organisation économique, elles (Liège, Musée d'Armes.) (Cliché A.C.L.) Salle des « pas perdus » de l'hôtel de ville de Verviers. Au cours de ses séances des 10 et 27 septembre 1773, le conseil communal de Verviers avait décidé la démolition de l'ancien hfltel de ville, « très impropre et malséant ». Le prince-évêque, Velbriick, ayant accordé l'autorisation de bâtir le 19 juin 1774, la construction de la nouvelle maison communale fut confiée à l'architecte liégeois Jacques-Barthélemy Renoz (Liège, 1729-1786). La première pierre fut posée le 13 septembre 1775 et l'édifice était achevé au début de l'année 1780. cherchèrent dans des mesures de philanthropie administrative à améliorer une situation dont elles souffraient elles-mêmes. La question de l'habitation attira tout d'abord leur sollicitude. En 1794, le conseil communal de Verviers étudiait un plan de construction de « cité ouvrière », qui est sans doute un des premiers que l'Europe ait connus (66). LA VIE INTELLECTUELLE. - A l'époque de la Renaissance, la vie intellectuelle, dans la principauté de Liège, se confond avec celle des Pays-Bas. Sous Erard de la Marck, sous Georges d'Autriche, sous Robert de Berghes, les rapports sont aussi étroits, de part et d'autre, entre les savants et les artistes, qu'entre les gouvernements. Un collège liégeois est fondé à l'université de Louvain, et de même qu'Anvers attire les marchands de la vallée de la Meuse, il en attire aussi les artistes. Mais l'engourdissement où tombe peu à peu la Belgique dans le courant du XVII' siècle, laisse graduellement se relâcher des liens que la divergence des politiques contribue en même temps à desserrer. A mesure que le rayonnement de l'école flamande diminue, les Liégeois s'engagent de plus en plus nombreux sur la route de l'Italie. Tout les y portait. Non seulement la tendance générale de l'époque, mais aussi les rapports constants que le clergé de la « cité » entretenait avec la capitale du monde chrétien. Peintres et sculpteurs accompagnaient en pèlerinage d'art les jeunes clercs poussés vers la ville éternelle par le désir de faire carrière dans les secrétaireries ponti- (Cliché Maes.) Fusil silex à un coup. Signé « Florkin, Liège » (1700-1745). son exemple les derniers représentants de l'école hollandaise dans l'imitation de Lebrun et de Poussin. (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Médailles.) « L'attraction de Paris s'impose... irrésistible à ces Liégeois... La fortune que la protection de Richelieu a value à leur compatriote, le fameux graveur de médailles Jean Varin ("t" 1672), les attire aussi vers la grande ville.» (Voyez le texte ci-dessous.) Droit et revers de la médaille de Mazarin, œuvre de Jean Varln. Au droit, portrait en buste de Mazarin; légende : IVLIVS. CARD1NALIS. MAZARINVS. Au revers, Mazarin s'élance à cheval entre deux camps de cavaliers devant Cazals; légende : NVNC. ORBI. SERVIRE. LABOR. Diamètre : 49 mm. ficales, et dont on lit encore les noms sur tant de tombeaux de l'église Santa-Maria-dell'-Anima (67). En 1699, Lambert d'Archis fondait à Rome, pour leur entretien, un « hospice » auquel, dira plus tard Grétry, « la ville de Liège doit presque tous les bons artistes qu'elle a possédés et qu'elle possède encore ». On a vu plus haut avec quel succès le scuplteur Jean Delcour (1627-1707) s'est inspiré de l'exemple du Bernin. Et l'italianisme des peintres, ses compatriotes, n'est pas moins frappant. Il s'impose au talent de Bernard Douffet (1594-1660), qui pourtant se rattache encore à la tradition anversoise et a travaillé dans l'atelier de Rubens, et plus encore à celui de ses successeurs, Bertholet Flémalle (1614-1675), Walter Da-mery (1610-1672), Jean-G. Carlier (1638-1675) et Gérard de Lairesse (1640-1711). Mais de bonne heure l'influence de la France se combine chez eux avec celle de l'Italie. L'attraction de Paris s'impose d'autant plus irrésistible à ces Liégeois que leurs princes se lancent plus décidément dans l'alliance de Louis XIV. La fortune que la protection de Richelieu a value à leur compatriote, le fameux graveur de médailles Jean Varin (f 1672), les attire aussi vers la grande ville. Déjà vers 1640, Da-mery y peint la voûte de l'église des Carmes de Vau-girard. En 1670, Flémalle est associé à l'Académie royale de sculpture et de peinture. On peut dire que vers cette date, l'art liégeois devient une branche de l'art français. Le graveur Jean Duvi-vier (1687-1761), obtient un logement au Louvre et entre à l'Académie des Beaux-Arts en 1718. Gérard de Lairesse, que son destin a conduit à Amsterdam, y lancera par L'action de la France ne s'exerce pas moins sur les écrivains que sur les artistes. Après la génération à laquelle Liège doit ses historiens, les jésuites Fisen (1591-1649) et Foullon (1609-1668), ses savants cessent d'écrire en latin et, par un contraste très marqué avec les Pays-Bas, ne se rencontrent plus qu'exceptionnellement parmi le clergé. Ils appartiennent presque tous au groupe des juristes administrateurs où le prince recrute les membres de son Conseil Privé, et, comme les parlementaires français de leur temps, ils consacrent à la science les loisirs que leur laissent le droit ou la politique. Tels, par exemple, le mathématicien René de Sluse (1622-1685), les jurisconsultes Charles de Méan (1604-1674) et M.-G. de Louvrex (1665-1734) ou encore le baron de Crassier (1662-1751), antiquaire, érudit collectionneur, en correspondance avec les principaux érudits de son temps. Dans ce milieu d'hommes graves et doctes, les belles-lettres sont peu en honneur. Si toutefois l'un d'eux les cultive, c'est comme le baron de Walef (f 1734) pour imiter Boileau ou pasticher Racine. Il n'est pas jusqu'au jansénisme liégeois qui, associé d'abord à celui des Pays-Bas, ne finisse par prendre une teinte toute française. Les aberrations du cimetière de Saint-Médard ont eu leur répercussion dans la « cité », où le jésuite Bougeant s'évertue, en 1731-1732. à ridiculiser, dans des comédies dignes de leur sujet, les fidèles du diacre Pâris (68). A partir du règne de Georges-Louis de Berghes, Liège, où désormais la cour épiscopale réside et qu'enrichit et anime la prospérité du pays, s'essaie à prendre les allures de capitale. Si son activité intellectuelle et artistique ne vaut pas son activité économique, elle n'en est pas moins frappante par sa variété et son abondance. La ville s'orne (Liège, Musée de la Loge maçonnique «La Parfaite Intelligence et l'Etoile réunies».) « ... Les lumières... trouvent de nouveaux foyers dans les loges maçonniques... auxquelles le chanoine de Paix consacra un poème dans le genre sensible et humanitaire. » (Voyez le texte p. 193.) Pages d'épreuves d'imprimerie de VEloge de la Franche-Maçonnerie, Poème Héroïque par Monsieur de PAIX, Cha-noine-Tréfoncier de la Cathédrale de Liège. Dans les marges, corrections autographes de l'auteur. HISTOIRE DE BELGIQUE (Liège, rue Féronstrée.) Salon de l'hôtel d'Aï Vers 1730, l'hôtel était la propriété de Michel de Willems dont une fille épous à 1849 et fut acquis par la ville de Liège le 2 mars 1903. Il présente le type du XVIII de constructions nouvelles : l'hôtel de ville (1714), la façade du palais épiscopal (1735-1838); une bibliothèque publique y est instituée en 1724 (69), une Académie de peinture en 1775, un cours public de physique en 1769. Les progrès du luxe s'y trahissent par l'élégance de ces meubles délicatement sculptés, si recherchés aujourd'hui. Depuis 1751, Liège possède un théâtre permanent. C'est à cette époque aussi que remontent les débuts de son école de musique. Grétry naît en 1741 et se développe sous la direction des virtuoses groupés autour de J.-N. Hamal (1709-1778). L'accent du terroir, la verve wallonne restent très marqués. Les Liégeois sont fiers d'eux-mêmes, et leur patriotisme se manifeste par la sollicitude qu'ils portent à leur patois national si énergique et si savoureux. Hamal compose ses opéras sur des paroles wallonnes, et le plus populaire d'entre eux, Li voyèdge di Chaudfontaine (1757), met en scène un « fransquillon », ancien caporal, qui cherche à éblouir la belle Tonton par son français de caserne. A Paris, le graveur Demarteau s'amuse à inscrire des vers wallons sous la composition symbolique qu'il consacre à rappeler le traité de commerce de 1772. PROPAGATION DES IDEES NOUVELLES. - Si Liège tient sincèrement à son indépendance et se glorifie de former le centre d'une nation libre, elle se francise (Cliché Institut archéologique liégeois.) isembourg à Liège. a un comte d'Ansembourg. Il resta dans la famille d'Ansembourg de 1788 le mieux conservé et le plus remarquable de la demeure patricienne liégeoise siècle. en même temps qu'elle s'affine. Plus elle est vivante, plus elle recueille avec ardeur les enseignements de Paris. Comment cette petite république romane échapperait-elle d'ailleurs à une influence qu'elle subit depuis longtemps déjà, qui se répand de plus en plus largement sur le monde et semble devenue la condition indispensable de tout progrès ? Tandis que l'Italie continue d'attirer ses musiciens, c'est à Paris que se forment maintenant ses peintres, ses sculpteurs, ses ornemanistes, ses architectes. Elle se décore joyeusement d'une livrée en style Louis XVI. Les constructions que Renoz (1729-1786) a semées par toute la principauté, à Liège même les églises Saint-Jean, Saint-Augustin, Saint-André, à Verviers l'hôtel de ville, à Spa l'ancien Waux-Hall, constituent encore l'un des traits les plus intéressants de sa physionomie si contrastée par le travail des siècles. Avec son art, ses modes et ses goûts, Paris va lui donner les idées de ses « philosophies », et l'« éclairer » dans le même temps où elle s'embellit. A partir des environs de 1750, la «cité», jusqu'alors «peu philosophique», s'ouvre à la propagande de Voltaire, de Rousseau, des encyclopédistes (70). Les lettres ne s'y confinent plus dans le cabinet de quelques savants et de quelques amateurs. Elles entreprennent de combattre les préjugés, de populariser la science, d'instruire et de transformer les HISTOIRE DE BELGIQUE hommes suivant les principes de la raison. Et leur action est irrésistible, car aucun obstacle ne s'y oppose. Le gouvernement, tenu de court par la constitution, est incapable de maîtriser l'opinion publique. La liberté de parole, au surplus, est traditionnelle à Liège, et ce que n'a pu faire l'autorité au XVIe siècle, contre le protestantisme (71), quelle apparence qu'elle le puisse au XVIIIe contre les philosophes ? L'Eglise, de son côté, est plus impuissante encore. L'assemblée générale du clergé, le synode, se réunit trop rarement et ne jouit pas d'une organisation assez ferme pour exercer avec vigilance la police intellectuelle. L'évêque, tout entier, aux soins du gouvernement et inquiet d'ébranler son pouvoir, n'ose le plus souvent intervenir. Le chapitre, absorbé par ses intérêts temporels, en lutte avec le prince, la noblesse, le Tiers-Etat, ne s'occupe que fort peu de la religion. Il la compromet, au contraire, en identifiant sa cause avec celle des privilèges qu'il défend obstinément contre la société civile. La vieille lutte des échevins contre l'official, les protestations soulevées par les exemptions d'impôt dont jouissent les chanoines ont fait naître depuis longtemps chez le peuple un sentiment anticlérical qu'il ne faudra pas grands efforts pour transformer en un sentiment antireligieux. Au surplus, l'apathie du clergé, dans cette ville où les prêtres sont innombrables et qui compte sept collégiales, quarante-six couvents, trente-deux paroisses, lui enlève le prestige indispensable à la résistance. Les vieilles abbayes végètent; le nombre de leurs novices décroît sans cesse, et d'autant plus rapidement que l'initiative des jeunes gens trouve plus largement à s'employer dans l'industrie. (Liège, église Saint-Jacques.) (Cliché A.C.L.) Saint Benoît. Statue de bois sculptée par Jean Delcour (Hamoir, 1627-Liège, 1707.) Aux très - yenerables Maîtres; Surveillants, Officiers dignitaires, & Membres des jujies & parfaites Loges des Francs-Maçons, établies fur la fur face de la terre, salut, avec tous les honneurs par le nombre connu. Ertifions, & fhifons Içavoir à tous nos légitimes Freres dilperiës fur la furfeee de la terre, que le très-digne Frcre xT. '.ium.-- &fjt>" ■ //,.-. i'"- aétèâùrtes de notre pleine autorité & puiflànee, dans notre Loge de la parfaite intelligence, en qualité de ' ' /,!„,„/,/. /.tr fous les aufpiees du très-Vénérable Maître (t. >-. •■/.«•/, a.m .th..t, .><.$,'/ms, t/ il. t'S.i l A,../\ A,,.,/ M . ■/. '.. /W-V'/./ ,.!«/,)•,./..'• /,._>. I .,*„•>! in.- t' «am/ln.A r.KMeti A- - que ledit Frcre a affilié à nos travaux avec zélé d'un bon Maçon. A fa réquifition, nous lui avons volontiers accordé les préfentes Lettres, fignées de notre très-Vénérable Maître, Surveillants, & autres Officiers dignitaires, & de lui-même, {ne varietur) & fcellées de notre feeau ordinaire; le recommandant à la garde du grand Architede de l'Univers, & à la bienveillance de tous les Frères Maçons, le la terre : car tel cib notre pouvoir. Donné de l'Erré ' J Un. (I, J. hïr t'en/ ,■/(',■ t' * /."tl.rt/M» (. tnm tir*?- '.S?"' L'antique monastère de Saint-Jac-ques tombe dans une décadence si profonde que ses moines sollicitent et obtiennent leur sécularisation en 1785, et, trois ans plus tard, vendent à l'encan leur bibliothèque (72). l'orient d'un endroit éclairé où regne la sages&e, l'union et la paix. (Liège, Musée de la Loge maçonnique «La Parfaite Intelligence et l'Etoile réunies».) Diplôme de franc-maçon liégeois du XVIIIe siècle (21 mars 1773). Sous un frontispice décoré d'insignes maçonniques, la légende : « A l'Orient d'un endroit éclairé où règne (sic) la Sagesse, l'Union et la Paix. » Le diplôme est adressé « Aux très Vénérables Maîtres, Surveillants, Officiers dignitaires, et Membres des justes et parfaites Loges des Francs-Maçons, établies sur la surface de la terre, Salut, avec tous les honneurs par le nombre connu ». François-Joseph Desoer, imprimeur et libraire du prince-évêque, est admis dans la loge de la Parfaite Intelligence en qualité de Chevalier de l'Orient. Donné de l'Erré Maçonne, à Liège, le vingt et un Mars Cinq Mil Sept Cent et Vingt, de l'Erré Vulgaire Mil Sept Cent et Septante Trois. Cachet de la loge, signatures de Desoer et de divers dignitaires. Toutes les conditions s'unissent donc pour faire de Liège, en dépit de sa qualité de capitale d'une principauté ecclésiastique et même en partie à cause de cela, un milieu singulièrement favorable à la propagande philosophique. Tandis qu'à Bruxelles, l'Etat préside par voie administrative à la diffusion des lumières, ici, c'est le peuple lui-même qui, spontanément, se porte aux idées nouvelles. Jusqu'au règne de Vel-bruck, l'autorité qu'elles effrayent cherche autant qu'elle le peut — et elle ne le peut guère ■— à les combattre. La liberté qui imprègne cette petite nation liégeoise et que nous avons constatée dans sa constitution comme dans son organisation économique, laisse le gouvernement impuissant en face de l'ennemi. Cette impuissance fut pour beaucoup sans doute dans le développement rapide que l'imprimerie prit bientôt à Liège. Grâce à la faiblesse de la police et à l'absence d'une censure sérieusement organisée, typographes et éditeurs trouvèrent dans la « cité » un régime aussi favorable à leurs entreprises que celui qu'Amsterdam leur fournissait depuis la fin du XVIe siècle. En 1725, à côté d'une gazette locale paraissant trois fois par semaine, on imprime deux fois par semaine « le corps de celle de Hollande» (73). Puis ce sont les productions les plus libres, les plus scandaleuses de la littérature secrète que les presses se mettent à répandre. Dès 1749, puis en 1764 et 1766, des édits sont vainement promulgués contre le pullulement de ces mauvais livres. Le plus grave, c'est qu'avec la propagation de l'obscénité marche de pair celle de l'incrédulité. L'évêque gémit en constatant combien se multiplient les oeuvres perverses « pires que celles des hérétiques et toutes pleines du poison du déisme ou plutôt de l'athéisme» (74). Mais l'élan est donné et ne s'arrête plus. Les presses liégeoises ne se confinent pas dans le domaine de la littérature suspecte. Le succès les rend entreprenantes et elles abordent bientôt les genres les plus divers. Vers 1770, Nélis constate qu'elles ont porté le dernier coup à la maison Plantin, en lui enlevant la fourniture des livres rituels et des bréviaires destinés au clergé des Pays-Bas (75). Bien entendu, c'est la contrefaçon qui leur fournit les bénéfices les plus assurés. A peine le succès a-t-il consacré un ouvrage, elles en jettent sur le marché une édition à bas prix. Des ateliers sortent, bien plus nombreux que les livres de messe, ceux des philosophes, des encyclopédistes, des politiques, des naturalistes qui à Paris mènent leur brillante campagne contre la tradition sociale et la tradition religieuse. Bien plus! En 1750, l'un des leurs, Pierre Rousseau, de Toulouse, vient s'établir à Liège et y lance son Journal Encyclopédique. A cette époque, les idées nouvelles ont déjà pris parmi l'aristocratie lettrée, la place qu'y occupaient, une cinquantaine d'années auparavant, les recherches d'érudition et l'étude du droit. On compte déjà quelques « philosophes » dans l'entourage de l'évêque, chez les membres du Conseil Privé et jusque dans le sein du chapitre. Le grand prévôt de celui-ci, le comte de Horion, en ami des lumières, s'empressa d'exempter Rousseau de l'obligation de la censure. Mais la masse du clergé ne tarda pas à s'indigner de la hardiesse rationaliste de ce bel esprit. En 1759, malgré les instances du grand maître de la cour épiscopale, le chanoine Velbruck, le synode déférait le Journal Encyclopédique au jugement de la faculté de théologie de Louvain et le faisait condamner. Rousseau dut quitter Liège et, après s'être vu refuser le séjour de Bruxelles, il alla s'installer à Bouillon pour y continuer sa publication. Les échevins de la « cité », prenant le parti du clergé, firent brû- ler par la main du bourreau sa Réponse aux Louvanistes. Cette victoire des conservateurs n'eut pas de lendemain. Elle n'arrêta point l'essor des presses liégeoises, et le bruit qu'elle souleva n'eut d'autres conséquences que d'attirer l'attention sur les novateurs et d'augmenter, par le prestige de la persécution, l'influence de leurs principes. L'avènement de Velbruck au trône épiscopal, en 1772, en leur assurant l'appui du gouvernement, acheva de retourner l'opinion en leur faveur. L'année même où s'ouvrait le nouveau règne, une revue consacrée à la propagande philosophique, l'Esprit des Journaux, commence à paraître. Sept ans plus tard, en 1779, l'évêque seconde les travaux de la Société de l'Emulation, s'en constitue le protecteur et la consacre à la culture des lettres, des arts et des sciences. Comment il comprend celle-ci, on n'en peut douter en le voyant inviter à sa table le fameux Raynal que l'Eglise considère à bon droit comme un de ses ennemis les plus dangereux. Et il ne se borne pas à accueillir les philosophes; il ne cache pas son mépris pour leurs adversaires. L'ex-jésuite Feller qui, profitant de la liberté d'opinion dont on jouit à Liège, vient de s'y installer pour y mener campagne contre les novateurs, est taxé par lui de fauteur d'intrigues; il l'accuse de vouloir ressusciter les vieilles querelles du moli-nisme et du jansénisme et déclare qu'il ferait interdire par la censure son Journal historique et littéraire, s'il était assez hardi pour le lui soumettre (76). Par contre, le synode ayant rendu une sentence contre Bassenge, dont les vers exaltent tour à tour le génie de Raynal et les réformes de Joseph II, il l'empêche d'inquiéter le poète (77). Rien d'étonnant si, sous un tel règne, «les lumières font chaque jour des progrès» (78). De la cour épiscopale comme de l'Emulation, elles se répandent de plus en plus largement parmi la noblesse, le haut clergé, la bourgeoisie. Elles trouvent de nouveaux foyers dans les loges maçonniques qui s'établissent à un an d'intervalle en 1774, 1775, 1776, et auxquelles le chanoine de Paix consacra un poème dans le genre sensible et humanitaire (79). Mais à mesure que l'enthousiasme grandit pour la raison, la lutte contre les préjugés se fait plus violente et ne craint plus de s'en prendre directement à l'Eglise. En 1781, le chevalier de Heeswijk publie, sans être inquiété, de furieuses brochures contre les moines (80). Ceux qui attendent « des progrès des sciences et des lettres, la liberté et le bonheur » ont hâte de secouer les entraves où le « pouvoir sacerdotal » les retient. On parle de l'organisation d'un enseignement purement laïque, débarrassé de la tradition latine comme de la tradition religieuse, et s'ou-vrant gratuitement aux garçons et aux filles (81). En 1785, Pierre Lebrun (82) lance son Journal général de l'Europe, physiocratique, égali-taire et joséphiste. Velbruck vient de mourir. Mais son règne a suffi pour que Liège soit désormais orientée, par la révolution dans les idées, vers la révolution politique. (Huy, Atusée communal.) (Cliché Delboeuf.) Ancienne lampe à huile, appendue autrefois à la porte Saint-Germain à Huy. NOTES (1) Lettres, t. III, p. 167. (2) Gachard, Ordonnances, t. V, p. XXII. (3) Ibid., t. VII, p. 3. (4) E. Fairon, La chaussée de Liège à Aix-la-Chapelle, loc. cit., p. 38, 45, etc. (5) En 1783, M. N. Jolivet, secrétaire du résident français à Liège, dit que le gouvernement du pays est « aristo-démocratique républicain ». Cercle hutois des sciences et des beaux-arts, t. XI [1897], p. 201. En 1772, Michel Deschamps, Essai sur le pays de Liège, p. 11, dit plus nettement que « la constitution de Liège est républicaine ». II la compare un peu plus loin, p. 20, à celle de l'Angleterre. (6) Pour la popularité du prince, voy. Pôllnitz, Lettres, t. III, p. 164. (7) Sur cette affaire, voy. Gachard, Le prince-évêque de Liège et Frédéric le Grand, dans Etudes et notices, t. II, p. 88 et suiv. (8) Ce conflit, qui dura jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, avait une importance particulière pour la bourgeoisie. Il arrivait, en effet, que des marchands menacés par leurs créanciers, achetaient des « offices de chorallté », c'est-à-dire se faisaient affilier comme suppôts à l'un des nombreux chapitres de la ville et dès lors, ne relevant plus en tant que « clercs » que de l'official, échappaient aux juridictions laïques. Voy. L. Polain, Ordonnances de la principauté de Liège, 3° série, t. II, p. 47. (9) J. Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège (1724-1852), t. I, p. 125. (10) H. Schlitter, Aus der Zeit Maria-Theresias. Tagebuch des FUrsten Johann Jozef KhevenhUller-Metsch, t. I, p. 299 (Vienne, 1907). (11) Daris, loc. cit., p. 190, 191. (12) Pli. Cobenzl, Memoiren, p. 84. Sur l'élection, cf. Lettre à un ami ou Précis de l'élection et des contestations suscitées en cour de Rome contre Mgr Charles-Nicolas-Alexandre, comte d'Oultremont (Liège, 1764). (13) De Villenfagne, Recherches historiques sur l'ordre équestre de la principauté de Liège, p. 43 et suiv. (Liège, 1792). (14) De Nény, Mémoires historiques et politiques sur les Pays-Bas Autrichiens, t. Il, p. 52 et suiv. (3e édit., Bruxelles, 1785). (15) La liberté nationale, poème (Liège, 1782). (16) Thomassin, Mémoire statistique sur le département de l'Ourthe, p. 350. (17) Sur les abus du soixantième, voy. Nény, Mémoires historiques et politiques, t. II, p. 79; Polain, Ordonnances, 3» série, t. II, p. 260. Joseph II l'appelait « l'horrible soixantième ». Fairon, La chaussée de Liège à Aix-la-Chapelle, p. 126. (18) E. Fairon, loc. cit., p. 118. Cf. le jugement de Kaunitz sur ces « voisins incommodes » auxquels il faut « en opposant tarif à tarif, faire redresser ce qu'ils établissent au préjudice de notre commerce ». Bullet. de la Comm. Roy. d'Histoire, 3e série, t. X [1869], p. 391. Add. H. Lonchay, La principauté de Liège, la France et les Pays-Bas au XVII' et au XVIII' siècle, p. 155. (19) E. Fairon, La chaussée de Liège à Aix-la-Chapelle. (20) A. Hansay, Contribution à l'histoire de la politique mercantile au XVII' siècle en France et dans le pays de Liège, dans Mélanges Paul Frede-ricq, p. 338 et suiv. (21) Elle est à meilleur compte que dans les Pays-Bas, où pourtant les salaires sont relativement très modiques. Voy. Huisman, La Compagnie d'Ostende, p. 299. (22) Thomassin, Mémoire statistique sur le département de l'Ourthe, p. 195; J. Servais, La population de Liège autrefois, dans Wallonia, 1908, p. 69 et suiv. (23) Lettres, t. III, p. 164. (24) Voyage philosophique, t. I, p. 276. (25) Thomassin, Mémoire statistique sur le département de l'Ourthe, p. 142. (26) Thomassin, op. cit., p. 416. (27) Arnould, Mémoire historique et descriptif du bassin houiller du couchant de Mons, p. 29. (28) A. Hansay, loc. cit., Cf. Chronique archéologique du Pays de Liège, t. XIII [1922], p. 98. (29) Thomassin, Mémoire statistique, p. 417. G. Jars, Voyages métallurgiques, p. 186 (1764), dit que les machines à feu sont connues à Liège depuis quarante ans. Add. Arnould, Mémoire, p. 103. (30) F. Hénaux, La houillerie du pays de Liège, p. 67 (Liège, 1861). (31 ) Thomassin, op. cit., p. 414. (32) Ibid., p. 417. (33) E. Fairon, La chaussée de Liège à Aix-la-Chapelle, p. 103. (34) Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège (1724-1852), t. I, p. 243; A. Hansay, Bullet. de l'Institut archéologique liegeois, t. XXIX [1900], p. 16. L'Académie de Bruxelles s'occupa aussi de la question. En 1788, l'abbé Needham lui présenta un mémoire touchant les moyens de fondre et d'affiner le fer avec les braises du charbon de terre. Voy. Mémoires de l'Académie impériale, etc., t. V, p. XX. (35) A. Hansay, Contribution, etc., Mélanges Paul Fredericq, p. 388 et suiv. (36) Savary, Dictionnaire du Commerce, t. I, p. 640; Thomassin, Mémoire statistique, p. 419; L. Jeunehomme, Flémalle-Haute, p. 35 (Bruxelles, 1908). (37) L. Polain, Ordonnances, 3« série, t. I, p. 292, 296, 297. Cf. Gobert, Les rues de Liège, t. I, p. 55; t. II, p. 275, 545. (38) L. Polain, Ordonnances, 2' série, t. III, p. 365; A. Polain, Recherches historiques sur l'épreuve des armes à feu au pays de Liège (2e édit., Liège, 1891). (39) D.-D. Brouwers, Bullet. de l'Institut archéologique liégeois, t. XXXV (1905). (40) R. Masson, Un type de réglementation commerciale au XVII' siècle. Vierteljahrschrift fur Social und Wirtschaftsgeschichte, t. VII [1909], p. 291. (41) L. Polain, Ordonnances, t. I, p. 525, 660, 730. (42) Ibid., t. I, p. 798. (43) Les sayes et « rosettes » que l'on envoye de Liège à Leyde en 1618, pour y recevoir les apprêts, sont évidemment des produits verviétois. N.-W. Posthumus, Bronnen tôt de geschiedenis van de Leidsche Textielnijverheid, t. IV, p. 91 et suiv. (La Haye, 1914). En 1638, on cite des draps de Verviers tissés en laine de Ségovie, entrant dans les Provinces-Unies (Ibid., p. 349). En 1636 et en 1637 des enfants « liégeois », c'est-à-dire du pays de Liège et certainement verviétois, sont en apprentissage à Leyde (Ibid., p. 37, 325). Sur les rapports des drapiers verviétois avec la Hollande, voy. encore Delcour van Crimpen, De familie Delcour (1917). (44) Voy. une supplique des drapiers de Leyde en 1647, constatant que Verviers, ainsi qu'Eupen, Borcette, Dalem, etc., qui ne fabriquaient jadis que des « grove Iakenen » font maintenant des draps fins avec de la laine d'Espagne qu'ils achètent en Hollande et les envoyent dans la République, où Ils les font teindre et les vendent sous le nom de draps de Leyde. Posthu- mus, loc. cit., p. 462. Il est Intéressant de.constater, à l'appui de l'influence de Leyde sur le développement de la draperie verviétoise, que, jusqu'à la fin du XVIII» siècle, certains fabricants de Verviers appendaient à leurs draps destinés à l'exportation, des plombs portant le mot Leyde. J.-S. Renier, Histoire de l'industrie drapière au pays de Liège et particulièrement dans l'arrondissement de Verviers, p. 38 n. (Liège, 1881). (45) Shaw, Essai sur les Pays-Bas autrichiens, p. 61; Renier, op. cit., p. 284. (46) Une supplique de 1658 constate que « tous les bourgeois sont drapiers et n'ont pas de fonds ni de revenus pour subsister autrement que par cette draperie ». M. Huisman, Bullet. de l'Institut archéologique liégeois, t. XXIX (1900). (47) L. Polain, Ordonnances de la principauté de Liège, 3« série, t. I, p. 24. (48) En 1659, P. de la Court, dans son plaidoyer en faveur de la liberté Industrielle, Het welvaren van Leiden, p. 73 (La Haye, 1911), cite justement comme exemple Verviers avec d'autres centres drapiers de formation nouvelle comme Eupen et Tilbourg. (49) Voy. plus haut, p. 152. (50) J.-S. Renier, Histoire de l'industrie drapière, p. 59, 62, 284. Cf. Gachard, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. V, p. II. Sur des troubles provoqués par le soixantième auquel les fabricants résistent à main armée en 1722, voy. Detrooz, Histoire du marquisat de Franchimont et particulièrement de la ville de Verviers et de ses fabriques, t. II, p. 62 (Liège, 1809). (51) M. Huisman, Bullet. de l'Institut archéologique liégeois, t. XXIX (1900). (52) Ch. Schmidt, Napoléon et les routes balkaniques. Revue de Paris, 15 novembre 1912. (53) E. Fairon, La chaussée de Liège à Aix-la-Chapelle, toc. cit. Depuis le milieu du XVIII" siècle, le gouvernement liégeois prit quelques mesures douanières en faveur de l'Industrie verviétoise. Citons, à côté de l'abolition du soixantième en 1753, la libre entrée des laines d'Espagne en 1754. Renier, op. cit., p. 299. (54) Thomassin, Mémoire statistique, p. 142. (55) Dès 1657, on parle du grand nombre d'étrangers qui viennent s'établir à Verviers. (Polain, Ordonnances, 2° série, t. III, p. 25). Même constatation en 1663 pour Ensival (Ibid., p. 298). D'après des renseignements puisés aux archives de Verviers, la population était en 1794 de 13,897 habitants. Mais le nombre des habitants ayant fortement diminué pendant les premiers temps de l'occupation française, on peut poser comme certain aue vers 1789, il devait dépasser le chiffre de 15,000. D'après Thomassin (Mémoire statistique, p. 471), on fabriquait annuellement, avant 1789, environ 23,000 pièces de drap de 20 mètres de longueur. Mais ce chiffre paraît beaucoup trop bas et 11 est en contradiction avec les données que le même auteur fournit p. 479 sur la production des métiers. (56) Un intéressant mémoire de 1760 signale comme un des principaux avantages de la non existence des corporations de métier que « le marchand a la liberté d'avoir les ouvriers chez lui sous ses yeux, pour faire apprêter les draps à son goût » (Renier, Histoire de l'industrie drapière, p. 67). Les fabricants ne possédaient pas tous des fabriques. Ceux que l'on appelait « marchands jnanufacturiers » se bornaient à faire mettre leur laine en œuvre par des « façonneurs ». (57) H. Schlitter, Korresp. Josefs II mit Trauttmansdorff, p. 369. (58) Renier, op. cit., p. 296. (59) Renier, op. cit., p. 61, 64, 65; G. N[autet], Notices historiques sur le pays de Liège, t. III, p. 126 (Verviers, 1859). (60) Archives de Verviers. Registres des délibérations du Conseil en 1794; Moyens d'encourager la construction de maisons d'ouvriers proposés au magistrat par M. G. Godard, bourgmestre-régent. (61) Voy. dans Renier, op. cit., p. 304 et suiv., le règlement de la «confraternité » des tondeurs de Verviers, Ensival, Hodimont et Francorchamps. Elle est associée aux «frères» de Néau (Eupen). (62) Voir sur cette grève, Detrooz, Histoire du marquisat de Franchimont et particulièrement de la ville de Verviers et de ses fabriques, t. II, p. 69 (Liège, 1809); G. N[autet], Notices historiques sur te pays de Liège, t. III, p. 124 et suiv. Sur une autre grève en 1746, cf. ibid., p. 44; sur une autre en 1781, Renier, op. cit., p. 70. (63) Polain, Ordonnances, 3e série, t. II, p. 314, abolition du truck-system. (64) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. V, p. 573. (65) Le 3 septembre 1739, l'évêque déclare «que les marchands fabricants ont la liberté de convenir avec les tondeurs et les ouvriers et respectivement ceux-ci avec ceux-là, du prix de leur journée ». Polain, Ordonnances, loc. cit., p. 415. Cf. L. Dechesne, L'avènement du régime syndical à Verviers, p. 51 et suiv. (Paris, 1908). (66) Voy. le texte cité plus haut, n. 60, p. 188. (67) M. Vaes, Les fondations hospitalières flamandes à Rome, du XV' au XVIII' siècle (Rome, 1914). (68) Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège (1724-1852), t. I, p. 66. (69) Th. Gobert, Origine de la bibliothèque publique de Liège. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. XXXVII (1907). (70) J. Klintziger, Essai historique sur la propagande des encyclopédistes français en Belgique dans la seconde moitié du XVIII« siècle. Mém. in-80 de l'Acad. roy. de Belgique, t. XXX [1880] ; H. Francotte, Essai historique sur la propagande des encyclopédistes français dans la principauté de Liège, Ibid. (71) Histoire de Belgique, t. IV, 2° édition, p. 294. (72) S. Balau, La bibliothèque de Saint-Jacques à Liège. Bullet. de la Com. roy. d'Histoire, t. LXXI [1902J, p. 41 et suiv. (73) St. Bormans, La Chambre des finances des évêques de Liège, p. 81. (74) L. Polain, Ordonnances de la principauté de Liège, 3° série, t. II, p. 122. Cf. Ibid., p. 509, 528. (75) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 2« série, t. II [1851], p. 104, 110. Cf. Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas Autrichiens, t. I, p. 221. (76) Lettre de 1783 publiée dans Leodium, t. X [1911], p. 134. (77) Sur cette curieuse affaire, voy. Daris, Histoire, etc., t. I, p. 301 et suiv.; Ktintziger, op. cit., p. 83 et suiv.; Francotte, op. cit., p. 108 et suiv. (78) F. Magnette, Un poème sur Liège à la fin du XVIII' siècle, dans Wallonia, t. XIX [1911], p. 297. (79) H. Francotte, op. cit., p. 103. Cf. P. Dechaine, La franc-maçonnerie belge au XVIII' siècle, p. 115 et suiv. (80) H. Francotte, op. cit., p. 106, 107. (81) Mémoire en réponse à cette question : Pourquoi le pays de Liège, qui a produit un si grand nombre de savants et d'artistes célèbres en tous genres, n'a-t-il vu naître que rarement dans son sein des hommes également distingués dans la littérature française ? Et quel serait le moyen d'exciter et de perfectionner le goût dans une langue qui doit être celle du pays, etc. ? (Liège, 1780). (82) Son vrai nom était Tondu. C'était un ecclésiastique français réfugié à Liège. LIVRE IV LA RÉVOLUTION BRABANÇONNE ET LA RÉVOLUTION LIÉGEOISE Kl MI il ? la ffl 3| 11 • S lii 11 II;'!: I H.iiP IIIH ni 11 î I " . •lin I i m 1111 ■ ■ ffojf ■» : INTRODUCTION A prise de la Bastille est du 14 juillet 1789. Un mois après, le 18 août, éclate la Révolution liégeoise : trois mois plus tard, le 24 octobre, la Révolution brabançonne. Il y a là autre chose qu'un simple rapprochement de dates. A toute évidence, Liège et Bruxelles ont été entraînés par l'exemple de Paris. Ce qui n'était encore qu'une lutte de partis, qu'un mouvement d'opposition, s'y est transformé soudain, par l'action de la France, en une révolution. Les principes que Paris vient de proclamer à la face du monde ne gagnent pas seulement les Liégeois. Les Belges aussi, dans les premiers jours, se soulèvent en leur nom. Il ne faut pas oublier que si van der Noot l'a finalement emporté chez eux, c'est Vonck qui, au début, leur a fait prendre les armes. A Liège comme dans les Pays-Bas autrichiens, la crise provoquée par la démocratie française ne dut sa durée et sa gravité qu'aux rivalités et aux jalousies de l'Europe monarchique. La Prusse ne manqua pas de l'entretenir tant qu'elle lui fut utile pour faire pièce à Joseph II. C'est elle qui empêcha l'empereur de l'étouffer à Bruxelles en même temps qu'elle paralysait les mesures d'exécution ordonnées contre les Liégeois par le Cercle de Westphalie. Cette intervention de l'étranger dans la Révolution du XVIIIe siècle la rapproche singulièrement de celle du XVIe. Frédéric-Guillaume II joue dans la première, et pour des motifs analogues, le même rôle qu'Elisabeth et Henri III dans la seconde. Au surplus, à deux siècles de distance, les événements se ressemblent d'une manière frappante. Des deux côtés, mêmes péripéties et mêmes méthodes. L'invasion de van der Mersch en Brabant est une réplique de celle de Louis de Nassau en Frise en 1566; le duc d'Arenberg et le duc d'Ursel, au début, semblent s'inspirer de la conduite des comtes d'Eg-mont et de Hornes; entre la déposition de Joseph II et celle de Philippe II, le parallélisme est évident; après l'une comme après l'autre, le gouvernement tombe aux mains des Etats-Généraux, et il n'est pas jusqu'à la proclamation in extremis de l'archiduc Charles comme souverain qui ne fasse penser à celle du duc d'Anjou. Ici et là, ce sont encore les mêmes négociations avec les puissances dont on escompte l'appui, les mêmes tentatives d'alliances entre Belges et Liégeois. Enfin, le conflit qui se manifeste bientôt et s'exaspère au cours des événements entre les « statistes » et les « patriotes » semble calqué sur celui qui, en 1579, provoque la rupture entre les catholiques aristocrates et les protestants démagogues. Sans doute, l'énergie, le dévouement, l'héroïsme et l'intelligence qui surabondent chez les révolutionnaires du XVIe siècle font lamentablement défaut à leurs épigones. Ils leur ressemblent comme une toile de Lens ressemble à un tableau de Rubens : la copie est si mauvaise qu'à première vue, elle paraît grotesque. Pourtant, la parenté est visible. Elle est si grande que les contemporains eux-mêmes l'ont remarquée, et elle ne pouvait pas ne pas l'être. C'est qu'au milieu du formidable ébranlement provoqué ici par le protestantisme et là par la Révolution française, les Pays-Bas se trouvèrent dans une situation identique. L'Autriche sous Joseph II, fait visiblement effort, comme l'Espagne sous Philippe II, pour les absorber, pour substituer sa centralisation despotique à leurs traditions nationales et leur enlever leur autonomie séculaire. Si grand que soit le contraste entre le duc d'Albe et Belgiojoso ou Trauttmansdorff, la mission dont ils sont chargés est la même. Et contre ceux-ci comme contre celui-là, la nation se soulève, sinon avec le même élan, du moins pour les mêmes motifs. Si elle ne possède pas encore de conscience collective, elle forme une communauté politique attachée héréditairement à ses libertés, à ses institutions, à son self-government. Ce qu'il y a de plus profond chez les hommes, l'idée qu'ils se font de la vie publique, unit en une résistance commune Flamands et Wallons. Formés de même au cours des siècles, ils réagissent de même, et l'unanimité de leur résistance crée entre eux ce lien nouveau qui, en dépit des différences de langue et des nuances de folklore, unissent en un faisceau indissoluble tous ceux qui ont fraternisé dans l'insurrection au nom des mêmes principes. Envisagée sous cet angle, la Révolution brabançonne, bien différente en ceci de la Révolution française et de la Révolution liégeoise, est une révolution défensive et par cela même une révolution conservatrice. Elle l'est même devenue de plus en plus; on la voit bientôt, après avoir tout d'abord combattu avec l'Eglise contre l'Etat autrichien, évoluer peu à peu en se laissant absorber par elle, vers la lutte contre l'Etat moderne. Elle finit dans la réaction et le « cléricalisme ». Pourtant les « patriotes » qui, tout d'abord, ont exercé sur elle une si grande influence, étaient des novateurs et des progressistes. Les réformes de Joseph II répondaient à leurs aspirations, et plus d'un avait commencé par applaudir l'empereur philosophe. Mais, d'accord avec lui sur la nécessité d'une transformation politique et sociale, ils s'en séparaient quant au choix des moyens à employer pour atteindre au but. Au despotisme par lequel Joseph prétend faire le bonheur des hommes, ils opposent le dogme de la souveraineté nationale. Comme aux révolutionnaires français, la liberté leur apparaît le premier des biens, et la nécessité de la défendre les pousse vers les conservateurs. La haine de la tyrannie est commune aux deux partis. Sur tout le reste, ils diffèrent, ceux-ci n'entendant par liberté que le respect de ces privilèges, de ces traditions, de ces distinctions et de ces prééminences de classes, que ceux-là précisément considèrent comme incompatibles avec elle. Ainsi, dans la Révolution du XVIIIe siècle comme dans celle du XVIe, l'oppression de l'étranger rapproche momentanément les groupes que leurs principes et leurs tendances mettront aux prises dès qu'il s'agira de fonder un régime nouveau sur les ruines de celui qu'ils viennent d'abattre. Les « statistes » et les « patriotes » seront aussi incapables de s'entendre que les protestants et les catholiques l'ont été deux siècles auparavant. Dès que l'enthousiasme des premiers jours a disparu, la Révolution brabançonne se précipite dans l'anarchie. Son histoire fournit un curieux épisode du conflit grandiose au milieu duquel a disparu l'Ancien Régime. Pour la compréhension de la Belgique moderne, elle est plus intéressante encore. C'est au milieu de ses déchirements que s'ébauchent, en effet, les partis qui, depuis lors, jusque bien avant dans le XIXe siècle, détermineront la vie politique de la nation. La question des Etats, qui semble avant toutes autres les avoir mis aux prises, a été balayée, il est vrai, par la conquête française et par les transformations politiques quelle a introduites dans le pays. Mais, à vrai dire, elle était secondaire. Ce qu'elle dissimulait, c'était ce vieux conflit de l'Eglise et de l'Etat qui, de l'entourage des monarques et des bureaux du gouvernement, est descendu dans le peuple et y divise les opinions. Au fond, les libéraux et les catholiques de 1815 et de 1830 se rattachent par un lien direct aux sectateurs de Vonck et de van der Noot. Les Vonckistes n'étaient qu'une minorité dans les Pays-Bas. Leurs tendances, au contraire, dominaient dans le pays de Liège, et c'est ainsi que le retour de celui-ci au sein de la Belgique moderne devait avoir pour conséquence directe d'y établir entre les partis un équilibre qui subsista aussi longtemps que le maintien du régime censitaire. (Bruges, Musée Oruuthuse.) (Cliché Pichonnier.) Drapeau allégorique exaltant la fidélité de la ville de Bruges à l'Autriche. La ville, personnifiée sous les traits d'une jeune fille, brandit un rameau d'olivier. A sa droite, deux panoplies, l'une représentant les armes Impériales, l'autre symbolisant l'Eglise et surmontée de la tiare et des deux clés. A ses pieds, un lion, l'écu aux armes de la ville, l'épée de la Justice et un Wet Boeck. Légende : brUgoe Leeft Lang Met kerCk, Wet, en UWen Vorst, In borgerLYken VreDe. L'auteur de ce drapeau est inconnu. La date d'exécution ne peut être précisée mais elle est très probablement antérieure à la Révolution brabançonne. (Vienne, Weltliche Schatzkammer.) (Cliché A.C.L.) Cotte de héraut d'armes aux couleurs du Limbourg (d'argent au lion de gueules). XVIIe ou XVIIIe siècle. CHAPITRE PREMIER LES REFORMES DE JOSEPH II fES IDEES DE JOSEPH II. - Elu empereur le 27 mars 1764, Joseph II avait été associé l'année suivante par sa mère au gouvernement des Etats héréditaires de la maison d'Autriche. Au reste, Marie-Thérèse garda en main la direction du pouvoir et le cours des affaires continua, jusqu'à sa mort, comme par le passé. Sauf ceux qui connaissaient la cour de Vienne, personne ne sut que l'héritier du trône rongeait son frein en attendant le moment de s'affirmer. La vieille impératrice eut encore le temps de régler à sa guise la succession de Charles de Lorraine, mort le 4 juillet 1780. Le 20 août, elle désigna comme lieutenants-gouverneurs des Pays-Bas sa fille favorite, l'archiduchesse Marie-Christine, et Albert-Casimir de Saxe-Teschen, mari de celle-ci. Quelques semaines plus tard, le 29 novembre, son décès permettait enfin à son successeur d'inaugurer un règne qui devait étonner l'Europe par une activité fébrile et des désillusions sans nombre. Le contraste qui oppose Joseph II à Marie-Thérèse reporte invinciblement l'esprit à celui que présentèrent au XVe siècle Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Des deux côtés, c'est l'impatience succédant à la sagesse, l'ambition déchaînée à la prudence, l'idéalisme et l'utopie au sens exact des réalités, la théorie à la pratique. Entre les deux Bourguignons comme entre les deux Habsbourg, la différence ne consiste d'ailleurs que dans la diversité des tempéraments et dans la divergence des méthodes : sur le but à atteindre, ils sont d'accord. Charles a voulu comme Philippe l'unification des Pays-Bas et l'affermissement du pouvoir princier. Joseph a voulu comme Marie-Thérèse l'expansion de la monarchie autrichienne et sa réforme par le despotisme éclairé. Ce n'est que par la hâte qu'ils ont mise à achever l'oeuvre commencée, par la rigueur et la raideur de leurs procédés, par leur obstination à se briser sur les obstacles, que les deux successeurs ont compromis les résultats acquis par leurs devan- Il en néglige tout ce qui n'a pas rapport à la pratique et au gouvernement. La campagne menée en France contre le christianisme semble n'avoir eu sur lui aucune atteinte. Son rationalisme se circonscrit dans les limites de la société civile où il doit agir et qu'il veut mener au bonheur. L'Etat n'étant créé que pour « le bien du plus grand nombre » aura tout d'abord à extirper les « préjugés enracinés et les anciens usages qui s'y opposent ». Il exigera de tous, du souverain au dernier de ses agents, un dévouement absolu au but suprême. Quiconque ambitionne l'honneur de servir ne doit plaindre « ni les heures, ni les jours, ni les pages d'écriture ». Il ne faut avoir en vue que l'utile et y sacrifier les formalités vaines et les politesses stériles. Un homme raisonnable ne s'inquiète pas que les affaires soient faites « par gens en bottes, peignés ou non peignés ». Son souci s'absorbe dans la lutte contre les abus et dans la recherche du bien-être de ses semblables « au service desquels nous sommes tous appelés ». L'intérêt de la généralité doit s'imposer à tout le peuple. « Les provinces de la monarchie ne font qu'un corps, et il faut faire cesser toutes jalousies de province à province, de nation à nation, de religion à religion. Tous les citoyens doivent s'efforcer comme frères à se devenir réciproquement utiles. » Il importe que leurs âmes soient « embrasées de zèle pour le bien général » (3). Certes, la sienne l'était. Jamais homme ne fut plus sincère et moins politique. Chez lui, les convictions intimes et les principes de gouvernement, que Marie-Thérèse avait grand soin de ne pas mêler les uns aux autres, ne font qu'une seule et même chose. Il se confond avec l'Etat, et il ne vit qu'en lui, n'a pas d'autre passion ni d'autre amour ni d'autre religion (4). Ce n'est plus un homme, ce n'est qu'un souverain. Il se sent comptable non devant Dieu mais « devant chaque individu ». Sa conception du pouvoir suprême est ascétique. « Dans la gestion des fonds publics, qui ne lui appartiennent pas, il ne peut ni écouter sa prédilection pour personne, ni accorder ses libéralités même aux nécessiteux ». Il ne veut pas que les fonctionnaires s'occupent du bien du souverain « en tant qu'il est considéré comme un seul homme» (5). S'il ne croit pas comme Louis XIV que le prince, propriétaire de l'Etat par décret providentiel, règne sur ses sujets en vertu d'un droit analogue à celui du père de famille sur ses enfants, il ne lui suffit pas non plus de se reconnaître, avec Frédéric II, comme le premier serviteur de l'Etat. Cette formule réaliste qui pose l'Etat en dehors et en face du souverain, est trop étroite pour son mysticisme politique. Son idée de l'Etat est tout abstraite. Il y voit la forme supérieure par laquelle se manifeste le bien public, l'organisation parfaite de l'humanité, parce qu'elle est la raison même s'appliquant à la société. En dehors de la raison, en effet, il n'existe rien. Et ici son tempérament personnel s'accorde admirablement avec ses principes. Utilitaire et prosaïque, il est aussi fermé qu'il se peut au sentiment et aux besoins du cœur. Pas un sourire sur ce visage, pas un moment de détente chez ce travailleur morose et obstiné. A Luxembourg, comme on lui propose une fête, il répond qu'il n'est pas venu « pour manger, boire ou danser, mais pour exécuter des affaires sérieuses» (6). A Gand, devant le tableau des van Eyck, il ne remarque que la nudité d'Adam et d'Eve, qu'il trouve indécents et ordonne de l'enlever. Le catholi- ciers et provoqué comme à plaisir la catastrophe finale. L'un et l'autre, d'ailleurs, restent attachants et respectables par leur sincérité, la noblesse de leurs intentions et le dévouement absolu à leur tâche qui en a fait les plus grands travailleurs de leur époque. Joseph II n'est pas un homme de génie. C'est avant tout un monarque autrichien en même temps qu'un homme moderne, pour autant que puisse l'être un souverain absolu. Son ambition se consacre à agrandir et à consolider ses Etats héréditaires. Tour à tour ou tout à la fois, il entreprend de les arrondir de la Bavière, de les allonger le long du Danube, d'en faire la plus grande puissance de l'Europe. De là sa politique dans les Pays-Bas, son alliance avec la Russie, ses froissements avec la France et les Provinces-Unies, sa rivalité avec la Prusse. Mais en même temps et plus encore, il met sa gloire à faire de la monarchie un Etat florissant et solide, ou pour mieux dire, à y réaliser le type de l'Etat parfait suivant les idées de son temps. Et c'est ici qu'apparaît en lui l'homme moderne, l'« empereur philosophe » qu'avant l'échec de ses entreprises, les amis des lumières ont tant célébré. Il est l'un d'entre eux, en effet, bien plus complètement et surtout bien plus naïvement que Frédéric II, car chez celui-ci le génie et le scepticisme s'opposent à la doctrine (1). Joseph, au contraire, se laisse dominer par elle. L'Aufklàrung trouve en lui un disciple aussi ardent que docile et sérieux. Il a lu Voltaire, qui l'a dégoûté par sa raillerie, et s'il a lu Rousseau, il ne l'a pas compris. Ses maîtres préférés sont de doctes et graves professeurs allemands, théoriciens du droit naturel, un Wolf, un Rieger, un Martini (2). Ajoutez à cela des économistes de la lignée de Turgot et des théologiens dans le genre de Fébronius. De la production intellectuelle de son temps, il n'a donc approfondi que les parties qui intéressent l'homme d'Etat. (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique.) Joseph II (Vienne, 1741-1790), empereur de 1780 à 1790. Auteur inconnu. Peut-être s'agit-il d'une copie. cisme qu'il professe se décolore en un pâle et vague déisme, en une sorte de morale décharnée convenant à tous les hommes, quels que soient les dogmes auxquels ils se rattachent. Aussi est-il tolérant, et fait-il même de la tolérance un des fondements de l'ordre social. Que l'on décrète la liberté de croire, « et il n'y aura plus qu'une religion qui sera celle de guider également tous les habitants au bien de l'Etat» (7). Au fond, l'Etat et la Religion ne se distinguent pas l'un de l'autre, ou plutôt, le premier englobe la seconde (8). Il ne peut comprendre que le clergé s'obstine à défendre l'Eglise. « Dès que le service de l'Etat se fait, que les lois de la nature et de la société s'observent que votre Etre suprême n'est point déshonoré, mais respecté et adoré, qu'avez-vous à entrer en autre chose? » (9) Rien ne lui est plus intolérable que la prétention de mettre la vie religieuse en dehors des atteintes de la police. Ayant le monopole de la raison et appelé à faire par elle le bonheur du genre humain, l'Etat sera nécessairement tout-puissant. La seule forme de gouvernement qui puisse réaliser le bien public est l'absolutisme. Tous les hommes étant égaux en vertu du droit naturel, jouiront tous de la même liberté civile, mais seront également dépourvus de liberté politique. « Le gouvernement d'un seul individu, même médiocre, vaudra toujours mieux que le gouvernement de plusieurs, même éminents » (10). Donc plus de participation des sujets au pouvoir, plus d'autonomie, plus de ces « corps intermédiaires » que Montesquieu veut placer entre le peuple et le souverain (11). Le souverain sait mieux que ses sujets ce qui leur convient. Sa mission est de les diriger au bien, fût-ce malgré eux (12). Plus il est éclairé et rationnel, plus il sera despotique. Par là l'idéalisme utilitaire de Joseph aboutit dans la pratique à l'Etat policier, au Polizeistaat, enserrant le citoyen dans un réseau aux mailles étroites, le surveillant de près, l'épiant dans sa conduite et jusque dans ses idées, lui imposant une inquisition moins cruelle sans doute mais plus envahissante que ne le fut jamais l'inquisition religieuse (13). Et le caractère du prince le portera encore à renforcer le strict du régime auquel le pousse sa théorie. Car il est par nature aussi absolu dans ses idées que dans sa politique. Le sérieux qu'il apporte à tout ce qu'il fait, l'étroitesse de son intelligence et la pureté de ses intentions l'amènent à se croire infaillible (14). Jamais il n'a douté qu'il n'eût raison, jamais non plus il n'a écouté aucun conseil. Marie-Thérèse, qui le connaissait bien, s'est vainement acharnée à le corriger. « Vous ne suivez que vos idées et volonté... vous croyez que tous les autres ont tort ou qu'ils ne méritent pas d'attention» (15). Vaines semonces ! Il ne devait se convaincre de leur justesse que quand il fut trop tard. JOSEPH II EN BELGIQUE. - Durant les longues années pendant lesquelles il attendit le moment de régner, Joseph II avait parcouru toutes les parties de la monarchie, sauf une seule, les Pays-Bas. Il n'avait pu se résoudre à les visiter tant que Charles de Lorraine avait vécu. Il éprouvait pour ce brave homme populaire, qui n'agissait pas par principes et rendait les peuples heureux sans le secours de la raison, une antipathie insurmontable. Il se plaisait à lui témoigner son mépris, à lui reprocher des «anicroches et des dérangements de tout genre» (16). Il enrageait de la confiance de sa mère pour cet incapable, et sans doute jalousait-il secrètement l'amour qu'on lui portait à Bruxelles. A peine fut-il mort, il s'empressa d'en tirer une mesquine vengeance en débaptisant le régiment qui portait son nom (17). Puis il songea à partir pour la Belgique afin d'étudier sur place ce pays, dont la présence du prince Charles ne lui avait pas permis jusqu'alors, écrivait-il, « d'entreprendre l'étude sérieuse et approfondie » (18). Il allait y arriver plein d'idées préconçues. Depuis longtemps, il s'indignait de la longanimité de Marie-Thérèse pour les absurdes libertés des provinces. S'il n'eût tenu qu'à lui, elles eussent disparu depuis longtemps et il ne s'en cachait pas. Sa mère avait beau lui recommander la douceur, lui rappeler que la Belgique était « le seul pays heureux de la monarchie », lui prêcher la patience pour les « anciens et même ridicules préjugés de ces peuples... dont on n'en a déjà que trop raclé» (19), pour lui, tout était à refaire. Il le savait avant d'avoir vu les Belges, et, les ayant vus, il ne fit que se confirmer davantage dans son opinion. Il arriva à Luxembourg le 31 mai 1781, sûr de n'être gêné par personne dans l'enquête qu'il allait entreprendre (20). Les nouveaux gouverneurs, Marie-Christine et Albert, n'étaient pas encore à Bruxelles, où le prince de Starhem-berg administrait par intérim. C'était la première fois, depuis le règne de Philippe II, qu'un souverain des Pays-Bas se donnait la peine d'y paraître. Pour tout autre, l'occasion eût été excellente de rehausser son prestige aux yeux du peuple par l'éclat d'une entrée triomphale, et de se faire une popularité facile en prodiguant à la nation quelques-uns de ces gestes cordiaux dont le souvenir continuait à entretenir chez elle, après un si long passé, la mémoire de Charles-Quint. On eût pleuré de joie en voyant l'empereur assister à des « ommegangs », présider des banquets, tirer à l'arc. Son affectation à s'afficher (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Médaille anonyme frappée à l'occasion du voyage de Joseph II dans les Pays-Bas (1781). Buste de l'empereur. Légende : IL VOYAOEOIT INCONNU, MAIS SES VERTUS L'ONT FAIT CONNOITRE. Biscuit. Diamètre : 209 mm. sous l'incognito du comte de Falkenstein, sa redingote et son cabriolet déçurent tout le monde. Il en avait peut-être espéré le succès qu'ils avaient eu à Paris lors de sa visite à Louis XVI et à Marie-Antoinette en 1777. Le peuple belge était malheureusement trop peu « philosophe » pour les goûter, et lui-même était, sans qu'il s'en doutât, trop accessible encore aux mesquineries de l'espèce humaine, pour n'en pas éprouver quelque dépit. Son austérité était sensible à l'admiration. Il fut vexé de ne paraître qu'étrange. Le souvenir de sa déconvenue, bien des années plus tard, lui échappera encore en aigreurs contre ses sujets des Pays-Bas. Ce ne sont, dira-t-il, que des « têtes francisées, et dont le fond est la bière» (21). Il a découvert que « la pâte de la nation est hollandaise avec un mauvais vernis français par dessus » (22). Mais, à vrai dire, il en parle sans la connaître. Il n'a pas daigné prendre contact avec,elle, et il était incapable de s'intéresser à sa nature et plus encore de la comprendre. A quoi bon, au surplus, perdre un temps précieux à ausculter un malade quand on connaît à l'avance le moyen de le guérir ? Sous prétexte d'étudier les Pays-Bas, il n'y vient, en effet, que pour y préparer les fonctionnaires au programme de ses futures réformes. Tout au plus jette-t-il un coup d'œil rapide sur les troupes, les travaux publics, les institutions de bienfaisance. La plus grande partie de son temps se passe dans les bureaux du gouvernement, où, naturellement, personne n'ose le contredire. De parti pris, il évite tout ce qu'il croit suspect de ne pas adhérer à ses principes. Il n'a aucun contact avec les Etats des provinces; il parle à peine à l'archevêque de Malines, il s'abstient de voir le nonce. Dans ce pays d'ardent catholicisme, il ne parvint pas à dissimuler son antipathie pour le .clergé. « L'empereur, dit un contemporain, était fort poli; il saluait tout le monde, mais on s'apercevait qu'il avait une certaine froideur pour les ecclésiastiques» (23). Il n'en affichait que plus ouvertement son respect pour la religion. A Gand, au passage d'une procession, on le vit s'agenouiller en pleine rue. En somme, après un séjour de six semaines, il quitta la Belgique avec la même impression qu'il y avait apportée. Tout ce qu'il y avait vu lui déplut ou le choqua, et il (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) « Plan d'élévation du théâtre construit à Mons pour l'inauguration de S. M. l'Empereur et Roy Joseph 2me, le 27 aoust 1781. » Des statues à l'antique décorent les travées; au centre, le fauteuil réservé d'un baldaquin sur lequel est fixé son portrait. Copie exécutée le 20 François Ouvertus (Mons, 1759-1820). était sûr d'avoir bien vu. Le peuple était arriéré, le gouvernement absurde. L'ayant ainsi jugé, il le « condamna pour toujours» (24). Sans nul doute son voyage lui fut fatal. Les intentions excellentes qui le lui firent entreprendre l'abusèrent sur le profit qu'il en retira. Au vrai, il n'y apprit rien (25). Trop infatué de sa personne et trop convaincu de la vérité de ses principes pour pouvoir sortir de lui-même, il se persuada seulement, en reprenant le chemin de Vienne, qu'il connaissait désormais les Belges et les vrais remèdes à leur appliquer. Hélas ! Ces « vrais remèdes » valaient ceux que Philippe II s'était flatté jadis de leur fournir (26). Mais les conseillers de l'empereur devaient vainement chercher à lui déciller les yeux. Il croyait avoir vu, il croyait savoir, et son obstination naturelle n'en résista que plus fortement à leurs avis. Le moment de son voyage était d'ailleurs aussi mal choisi que possible pour lui permettre de se faire une idée exacte du pays et de la nation. La Belgique traversait alors une crise de prospérité factice. L'entrée de la Hollande, en 1780, dans la guerre franco-anglaise, venait de faire affluer vers Ostende tout le commerce des neutres avec le nord de l'Europe. Le nombre des navires entrés au port passait de 400 environ à 1,560; il atteignit en 1781 le chiffre de 2,892 (27). Des maisons anglaises et hollandaises s'établissaient en quantité dans la ville; il fallut agrandir les bassins et les déclarer port franc (juin 1781 ). Cette activité momentanée se communiqua naturellement à l'intérieur du pays. L'animation du transit vers l'Allemagne et la France prit un développement extraordinaire. Les commerçants les plus considérables du pays, les Rom-berg, les Proli, les Walkiers, les Gamerage équipèrent des vaisseaux, se mirent à pratiquer la traite des nègres sur les côtes de l'Afrique (28). Les esprits les plus entreprenants songeaient à fournir à l'industrie nationale des débouchés outre-mer en nouant des relations commerciales avec la jeune République américaine (29). Une « compagnie asiatique » se proposait de rétablir, par Trieste, des relations avec les Indes (30). Rien d'étonnant si l'empereur, témoin de cet essor passager, se laissa prendre aux apparences. Les hommes nouveaux, capitalistes, industriels, négociants, qui menaient le mouvement et apparaissaient au premier rang, l'empêchèrent sans doute de reconnaître que, dans son fond, l'organisation économique du pays reposait sur l'agriculture. Il dut trouver d'autant plus choquante l'influence exclusive dont jouissaient aux Etats provinciaux les grands propriétaires fonciers ; le clergé et la noblesse. Il dut croire de bonne foi que les critiques formulées par le petit groupe des parvenus, des hommes d'affaires et des fabricants contre la routine traditionaliste des corps privilégiés et en faveur d'une réforme énergique et profonde des institutions, correspondaient au vœu général. Ce qu'il vit, ce qu'il lut, ce qu'il entendit le renforça dans la croyance que ses principes correspondaient aux désirs de la nation. Il n'en laissa pourtant rien pa- à l'empereur et surmonté juillet 1782 par Charles- y [Bruxelles, abbaye de la Cambre. Propriété de l'Institut Géographique militaire belge. En dépôt à la Bibliothèque Royale de Bruxelles, Cabinet de Chalcographie.) Cuivre n° VI de la « carte chorographique des Pays-Bas autrichiens » de Ferraris. Les remarquables travaux de Casslni sur la topographie de la France incitèrent Marie-Thérèse puis le colonel baron de Bon à faire dresser une carte topographique des Pays-Bas. Les deux projets ne furent pas mis à exécution. En 1769, le général-major Joseph comte de Ferraris (1726-1814), commandant du corps d artillerie des Pays-Bas autrichiens, présente à son tour un projet de carte chorographique des Pays-Bas : il demande un personnel de 105 personnes et évalue le coût de l'entreprise à 27.648 florins. L'appui de Charles de Lorraine décide l'impératrice Marie-Thérèse à prendre en charge l'exécution des travaux, malgré les réticences de Kaunitz (1770). Ferraris, qui s'est déjà signalé par ses cartes de la forêt de Soignes et du parc de Mariemont, entame la carte du Brabant et de la seigneurie de Alalines (1770), puis celle de la Flandre et du Hainaut (1771); en 1772, le Namurois et les enclaves i-n RrinciPauté de Liège, en 1774, les principautés de Liège, de Stavelot et de Thorn et le comté de Reckheim sont parcourus en tous sens par les artilleristes de Ferraris, c'est-à-dire par les élèves de l'école des mathématiques, qui travaillent au moyen de la planchette. En 1777, les gravures exécutées à Alalines sont achevées, et une série de commissions vérifient sur le terrain l'exactitude de la carte. A la fin d'avril 1778, les 25 feuilles de a carte chorographique sont livrées au public. Le 17 août 1780, Ferraris dépose à la Secrétairerie d'Etat et de Guerre à Bruxelles les 275 feuilles de |a carte de cabinet dressées à l'échelle de 1 : 11520, dessinées, écrites et coloriées à la main; la grandeur de chaque feuille est de 850 X 1360 mm. Il y ?i petits tableaux pour 1' « arrangement », 12 volumes de mémoires et 7 tableaux historiques et chronologiques des camps, champs de bataille, sièges et événements militaires. Trois exemplaires de la carte de cabinet ont été tirés : le premier pour l'empereur (aujourd'hui à Vienne), le deuxième pour le gouvernement des Pays-Bas, le troisième pour la Chancellerie de Cour et d'Etat à Vienne (aux Archives Générales du Royaume des Pays-Bas a La Haye). La carte de cabinet réservée au gouvernement de Bruxelles avait été acheminée vers l'Allemagne puis vers l'Autriche en 1793, à la veille de la seconde invasion française. Elle a été restituée à la Belgique par le gouvernement autrichien, en application des stipulations du traité de Saint-Germain-en-Laye (10septembre 1919), et repose aujourd'hui au cabinet des cartes et plans de la Bibliothèque Royale à Bruxelles. Quant aux cuivres originaux, lis furent confisqués par les révolutionnaires français et expédiés à Paris. En 1816, la comtesse Zichy-Ferraris, fille et héritière du général, rentra en possession des cuivres qu'elle vendit l'année suivante au gouvernement des Pays-Bas. Dans le courant du mois d'août 1949, le gouvernement hollandais a fait don à l'Institut Géographique militaire belge des 24 cuivres conservés (le 25e, celui de la région d'Aix-la-Chapelle, est perdu). — La carte chorographique est levée à l'échelle d'1 : 86.400. Le format des feuilles est de 450 X 1380 ou de 900 X 1500 mm. Elle indique, avec une précision extraordinaire, pour chaque région levée, la nature du terrain, les voles de communication, les agglomérations, les bâtiments, les établissements industriels, les limites politiques et administratives, les enclaves, « franchises » et « terres contestées », les champs de bataille, les collines, dunes et ravins, ainsi que quelques caractéristiques agricoles, par exemple les assolements. L'ensemble constitue une source de premier ordre pour l'histoire et la géographie des Pays-Bas à la fin du XVIIIe siècle. — Le cuivre n° VI, reproduit ci-dessus, représente la Flandre Occidentale et la région de Dunkerque. II a été endommagé au cours des nombreuses manipulations dont il a été l'objet. raître au dehors, et le public, dans les premiers temps, ne put deviner ses intentions. Tout au plus dut-on trouver bizarre l'affectation qu'il mit à quitter Bruxelles le 6 juillet, quatre jours avant l'arrivée des nouveaux gouverneurs. Officiellement, on expliqua son attitude par le désir de ne point détourner vers sa personne les hommages qui allaient leur être rendus. LE GOUVERNEMENT DE CABINET. - En fait, il en faut sûrement chercher le motif dans sa résolution bien arrêtée de ne pas leur donner aux yeux du peuple une importance intempestive. Il était fermement décidé à les réduire au rang de simples personnages décoratifs. Jamais ni sa sœur, ni son beau-frère n'eurent accès à sa pensée. Bon gré mal gré ils durent se contenter de jouer un rôle de vice-rois fainéants qu'ils supportèrent avec impatience (31). Le gouvernement effectif se renferma aussi strictement dans le cabinet de l'empereur, à la Hofburg de Vienne, qu'il s'était, deux siècles auparavant, confiné dans la sombre cellule de Philippe II à l'Escurial (32). Les ministres plénipotentiaires, le prince JUSTINI FEBRONII JCti DE STATU ecclesij: ET LEGITIMA POTESTATE ROMANI PONTIFICIS LIBER SINGULARIS, AD REUNIENDOS DISSIDENTES IN RELIGIONE CHRISTIANOS COMPOSITUS. BULLIONI apud GUILLELMUM EVRARDI. MDCCLXIII. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté V.B. 1549, in-4».) « L'empereur... ne faisait en cela que suivre la voie où Marie-Thérèse s'était engagée avant lui. Mais il s'y avança bien plus loin et avec une impatience visible d'arriver au but, c'est-à-dire à la subordination complète de l'Eglise à l'Etat dans tout ce qui ne touche pas aux matières dogmatiques. Le « De statu Ecciesiae » de Fébronius venait de paraître à point nommé (1763) pour favoriser ses desseins. » (Voyez le texte ci-contre.) Page de titre du De statu Ecclesiœ et légitima potestate romani pontifieis... de J. Fébronius, pseudonyme de Jean-Nicolas von Honthelm, coadjuteur de l'archevêque de Trêves (Trêves, 1701-Montquentin (Luxembourg), 1790). L'édition originale fut publiée en 1763 à Francfort-sur-le-Main. La même année, Guillaume Evrard rééditait le De statu... à Bouillon. Sur le contenu de la doctrine de Fébronius, voyez le commentaire de Pirenne ci-contre. de Starhemberg, le comte de Belgiojoso, le comte de Trauttmansdorff, ne furent plus que de simples agents transmetteurs de la volonté souveraine. Chapitrés jusque sur les moindres détails par l'infatigable correspondance du maître, tenus de court, jaloux de conserver une confiance qui se mesurait à la promptitude et à la ponctualité à obéir aux ordres reçus, ils se gardèrent de donner des avis qui ne leur valaient que d'aigres réprimandes, et s'accoutumèrent à exécuter sans réplique les mesures les plus maladroites. En ne leur laissant ni responsabilité personnelle, ni aucune initiative, en les paralysant et en les humiliant par sa certitude de tout savoir mieux qu'eux-mêmes, Joseph les rendit incapables par avance de prévenir la crise vers laquelle ils se voyaient précipités, et, quand elle eut éclaté, de prendre les mesures indispensables pour y mettre fin. Mais de tout cela la nation ne devait s'apercevoir qu'à la longue. Pour elle le nouveau règne commençait comme tous les précédents. Dès le 30 novembre 1780, l'empereur avait annoncé qu'il respecterait les privilèges du pays. A peine installés à Bruxelles, les gouverneurs avaient prêté serment en son nom à la Joyeuse-Entrée, puis les « inaugurations » s'étaient succédé, suivant la tradition, dans toutes les provinces. Seul le personnel des ministères entrevoyait que l'on allait se lancer dans un nouveau cours et envisageait l'avenir avec crainte. Le vieux Nény profitait, en 1783, du rappel de Starhemberg pour donner sa démission. LE FEBRONIANISME. — Si l'empereur, occupé pendant les premières années par l'abolition de ce qui subsistait du traité de la Barrière, et par les soucis que lui causèrent ses velléités de rouvrir l'Escaut et de troquer les Pays-Bas contre la Bavière, attendit quelque temps avant de remanier le gouvernement civil de la Belgique, il se hâta d'intervenir dans les affaires de l'Eglise. Il ne faisait en cela que suivre la voie où Marie-Thérèse s'était engagée avant lui. Mais il s'y avança bien plus loin et avec une impatience visible d'arriver au but, c'est-à-dire à la subordination complète de l'Eglise à l'Etat dans tout ce qui ne touche pas aux matières dogmatiques. Le De statu Ecciesiae de Fébronius venait de paraître à point nommé ( 1763) pour favoriser ses desseins. Elève de van Espen, Fébronius s'est imprégné par lui de la théorie janséniste sur les usurpations de la papauté. Pour rendre aux évêques les pouvoirs dont ils jouissaient dans l'Eglise primitive, il réduit le siège de saint Pierre à n'exercer sur eux que des droits de primauté (33). Rome s'était naturellement empressée de condamner cette doctrine (27 février 1764). Mais l'« épiscopalisme » de Fébronius s'harmonisait trop bien avec les intérêts de l'Etat pour ne pas jouir de sa protection. Marie-Thérèse avait interdit de promulguer en Autriche comme dans les Pays-Bas la sentence qui l'avait frappé. En Allemagne, quantité d'évêques soutenaient chaleureusement un système qui non seulement rehaussait la situation de chacun d'eux, mais permettait encore à l'Eglise germanique de secouer le joug de Rome et de se constituer en Eglise nationale. C'étaient là des conjonctures dont Joseph II devait se hâter de tirer parti (34). Tout ce que Fébronius enlevait au pape passait nécessairement au souverain. Dans ses Etats héréditaires celui-ci n'avait pas à redouter l'accrois- sement du pouvoir des évêques, puisqu'il les nommait. Fébronius, au surplus, ne confiait-il pas au prince la mission de défendre l'Eglise contre les abus de l'ultramon-tanisme ? Ne lui faisait-il pas un devoir de veiller à l'instruction du clergé ? Ne rétablissait-il pas les prérogatives de l'autorité civile dans toutes les matières mixtes ? N'exi-geait-il pas le placet pour toutes les décisions de Rome ? Ne condamnait-il pas le ressort exercé sur les ordres religieux par des supérieurs étrangers, c'est-à-dire par des supérieurs romains ? Son Eglise épiscopaliste se prêtait donc merveilleusement à devenir cette Eglise d'Etat à l'érection de laquelle Marie-Thérèse avait consacré quelques mesures isolées qui, sous son fils, allaient se développer en une entreprise systématique. Entre le point de vue de l'impératrice et celui de l'empereur, on surprend par surcroît une distinction très nette. La première reste fidèle à la religion d'Etat. Si elle prétend régenter l'Eglise, ce n'est pas seulement en vertu de la plénitude de sa souveraineté, c'est aussi qu'elle considère la religion, ou pour mieux dire la religion catholique, comme indispensable au maintien du gouvernement et de la société. Pour Joseph, au contraire, le domaine spirituel et le domaine temporel n'ont rien de commun. L'un relève de la conscience, l'autre de la puissance publique. En conséquence, la religion n'a pas plus à intervenir dans les affaires civiles que l'Etat n'a à prendre parti en matière confessionnelle. L'EDIT DE TOLERANCE. - L'attitude du prince vis-à-vis des dogmes sera donc celle de l'abstention. Il les tolérera tous, pour autant qu'ils soient compatibles avec l'ordre, parce qu'il se reconnaît incompétent pour décider entre eux. Et la tolérance que lui impose la théorie lui est imposée en même temps par le souci du bien général en vertu duquel il existe. Il ne peut admettre qu'un citoyen utile soit privé de ses droits, entravé dans son action et dans les services qu'il peut rendre à la communauté à cause de la foi qu'il professe. « Tolérance pour moi, écrit Joseph II, veut seulement dire que, dans les affaires uniquement temporelles, sans égard à la religion, j'emploierais, je laisserais avoir des terres, des métiers, être bourgeois, ceux qui en seraient capables et qui porteraient de l'avantage ou de l'industrie dans les Etats » (35). Ainsi la tolérance qu'il proclame n'est plus cette tolérance provisoire du XVIe siècle, cet expédient auquel on a recours faute de mieux et en attendant qu'on puisse imposer à tous la vérité religieuse (36). C'est la tolérance érigée en principe fondamental de la société civile, reconnue non pas, à vrai dire, comme un droit inhérent à l'homme, mais comme une condition indispensable à la réalisation des fins de l'Etat. En Autriche, où la multitude des confessions est presque aussi grande que celle des langues et des nationalités, où des protestants, des orthodoxes, des juifs et jusqu'à des musulmans vivent côte à côte avec les catholiques sous le sceptre des Habsbourg, rien de plus séduisant et d'ailleurs de plus rationnel que de faire disparaître la barrière qui, durant des siècles, a empêché la masse bariolée des dissidents ou des infidèles de participer sans restriction aux bienfaits de la monarchie et de collaborer sans réserve à sa prospérité. La promulgation de l'édit de tolérance, le 13 octobre 1781, la fit tomber d'un trait de plume. Le catholicisme cessait d'être la religion de l'Etat; les droits civils, dont seuls ses adeptes avaient joui jusqu'alors, .■/Tri.- c/6s~- i- utlc iiAr/ut^ AtHf- faut Y/J ifut, y. firff a e/ aj&cZa—. aucc M*4ntirc.fï fruvvn X J^X MtuJe/K Uïuy<>i>t%. 1 ' X y- -friÀmcCru /- y ■f- fiuAim VX s _ I /a e/ I&u CuMi ~ jéf/eJ fut ^fut&fue. - e/ yut Yeu itcfcc/&rueu/~. g/ au- y Sft'tuJt* £ dyt&j ptHu— Âuttuf à £ /7 Mf Su OK^ rWUKUJ-J dtu À ttattc âa ytUft c^Ll o' S» (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Conseil Privé n° 708.) Minute de l'édit de tolérance applicable aux Pays-Bas (12 novembre 1781). Dans la marge, le rédacteur de la minute a transcrit la liste des Conseils provinciaux et des villes auxquels un exemplaire original de l'édit de tolérance devait être délivré. L'original destiné au Conseil de Brabant et revêtu de la signature des gouverneurs généraux, Albert-Casimir de Saxe-Teschen et Marie-Christine, est conservé aux Archives Générales du Royaume de Belgique, Conseil de Brabant, A 239. devenaient le bien commun de tous les citoyens. Un mois plus tard, le 12 novembre, la réforme était rendue applicable aux Pays-Bas (37). Ici pourtant on ne pouvait alléguer la variété des confessions religieuses. Depuis l'époque d'Albert et d'Isabelle, le catholicisme s'était si bien incorporé à la nation qu'il en était devenu pour ainsi dire la matière d'être. Les îlots protestants qui subsistaient en Flandre, à Hoorebeke-Sainte-Marie, à Rongy près de Tournai, à Dour en Hainaut, à Nessonvaux, à Hodimont, à Eupen dans le Limbourg, n'étaient plus que des simples « témoins » d'une époque révolue, et leur exiguïté faisait mieux ressortir par contraste la puissance compacte de l'Eglise. L'esprit de dissidence avait si bien disparu dans le pays que le séjour même des garnisons calvinistes de la Barrière, non seulement ne l'avait pas ranimé, mais avait eu plutôt pour conséquence de lui porter les derniers coups. Le gouvernement n'avait pas manqué de rappeler à l'ordre les quel- ques pasteurs qui, ça et là, s'étaient permis de faire du zèle ou s'étaient rendus suspects de propagande. Quant au peuple, comment n'eût-il pas étendu au culte des soldats étrangers l'animadversion qu'il éprouvait à l'égard de ces hôtes forcés et insupportables ? Mais si impopulaire que fût devenu le protestantisme, personne ne songeait à inquiéter les petites communautés qui continuaient à le professer. Le public les ignorait, et depuis la tentative avortée de persécution qui avait hanté un instant la dévotion revêche de Marie-Elisabeth (38), le gouvernement empêchait qu'on troublât leur innocente liberté. Plus il s'ouvrait aux « lumières du siècle » et plus il réprouvait tout accès de zèle intempestif à leur détriment. En 1762, le Conseil Privé recommandait aux vicaires généraux de l'évêché d'Ypres de ne point user contre eux de « moyens bruyants ». A Rongy, il permettait aux protestants, en 1771, d'acquérir un cimetière, l'obligation où ils s'étaient trouvés jusque-là d'enterrer leurs morts dans des jardins étant « très incommode pour leurs voisins et révoltante pour eux-mêmes ». Il les autorisait même à tenir des assemblées dans leurs maisons. « Le scandale, disait-il avec quelque ironie, qui peut résulter de la différence de leur religion, paraît ne devoir plus faire grande impression sur les catholiques de cet endroit, accoutumés depuis mémoire d'homme à voir ces hérétiques parmi eux, et n'est en tout cas qu'un scandale théologique » (39). Au surplus, le repos qu'on leur laissait ne leur reconnaissait aucun droit. Il n'était fondé que sur la longanimité du pouvoir. Si le Conseil leur passait facilement le « scandale théologique », il veillait avec soin à leur interdire tout scandale public, c'est-à-dire toute manifestation culturelle. « C'est un point sur lequel il n'y a jamais eu de doute, affirmait-il en 1770, que leur tranquillité n'est fondée uniquement que sur la tolérance» (40). A cette tolérance de fait, l'édit impérial substituait brusquement une tolérance de principe. Désormais les protestants seraient aussi libres que les catholiques. Comme eux, ils pourraient non seulement pratiquer publiquement leur culte, mais jouir de la plénitude des droits civils, se marier, tester, fonder légalement des familles et aspirer à tous les emplois. C'étaient là des conséquences qui eussent mérité d'autant plus d'attention qu'elles heurtaient une tradition longuement enracinée et que la minorité appelée à en profiter était plus infime. Le Conseil Privé, mis au courant des projets de Joseph durant son voyage, avait risqué de timides objections (41). Les scrupules politiques n'avaient eu aucune prise sur un souverain dirigé par la raison abstraite et hors d'état de sacrifier l'uniformité du bien à un misérable opportunisme. Ce qui était utile en Autriche devait l'être aussi en Belgique. Dès lors, pourquoi différer ? La rapidité dans l'exécution du bien et du vrai ne désarme-t-elle pas d'avance l'opposition des préjugés ? « Il faut faire les grandes choses tout d'un coup. Tout changement fait parler un jour. Il faut mieux instruire le public de ses intentions à la fois, et après l'avoir décidé, n'écouter rien contre et persister inviolablement dans l'exécution de ce qu'on aura trouvé bon» (42). D'ailleurs l'empereur ne connaissait-il pas la Belgique ? N'avait-il pas constaté lui-même qu'une foule d'Anglais et de Hollandais protestants étaient établis à Ostende ? N'était-il pas certain que la proclamation de la tolérance allait en attirer une quantité d'autres, pour le plus grand bien du pays et de l'Etat ? En fait, elle n'en attira pas un seul (43). La fin de la guerre maritime fut aussi la fin de l'attraction que le port d'Ostende avait exercée un instant sur les étrangers. A la paix, ils reprirent le chemin de leur patrie. L'édit du 12 novembre n'eut donc aucune action sur la situation économique du pays. On ne voit pas non plus que les protestants, qui ne l'avaient pas réclamé, en aient reçu plus d'importance. Ils étaient si insignifiants par leur nombre que personne n'en pouvait rien redouter. La gravité de la mesure prise par l'empereur ne consistait point dans les avantages qu'elle faisait à l'hérésie, mais dans le coup qu'elle portait au catholicisme. Il avait été jusqu'alors la religion, il n'était plus maintenant qu'une religion. L'Etat divorçait d'avec l'Eglise. La profession de foi dont dépendait depuis Constantin la jouissance des droits politiques n'avait plus d'effet que dans la conscience individuelle. Ne fallait-il pas craindre que la rupture si brusque d'une tradition millénaire ne mît en péril tout l'ordre social ? Ce n'était pas la liberté de culte accordée aux protestants qui effrayait. L'évêque d'Anvers déclarait au contraire professer « une estime cordiale pour tout protestant qui, restant attaché à sa secte par principe d'éducation et des préjugés invétérés, mène cependant une vie sans reproche et pleine de vertus morales, comme il s'en trouve un grand nombre d'entre eux qui nous pourraient servir d'exemple» (44). Mais l'indifférence affichée par l'Etat en matière religieuse allait mettre en péril la religion elle-même; la liberté de croire aurait pour conséquence la liberté de ne pas croire et la liberté plus abominable encore d'attaquer les croyances d'autrui. La philosophie ne manquerait pas de profiter de la tolérance religieuse pour se déguiser sous le masque du protestantisme et attaquer traîtreusement l'Eglise. « Ses disciples pour la plupart se cachent encore; ils observent une décence extérieure parce qu'ils voient que la religion catholique est jusqu'ici la seule respectée et autorisée, et il leur en coûterait de se déclarer apostats publiquement; mais cette déclaration se fera dès le moment que les sectes protestantes seront autorisées et que l'on pourra, dans ces communions, jouir de tous les avantages temporels de pair avec les catholiques; dès ce moment, ces malheureux se joindront aux protestants, non point qu'ils croient comme eux... mais parce qu'ils pourront alors, sous ce voile, sans crainte, secouer le joug, vomir tous les blasphèmes qu'ils ont dans le cœur et tourner en ridicule l'Eglise romaine... Cette engeance de vipères, dont la doctrine favorite tend à détruire les rois aussi bien que les prêtres, quelles révolutions ne prépare-t-elle pas à l'Eglise et à l'Etat dès qu'elle sera une fois libre, et qu'elle aura trouvé un voile dont elle peut se couvrir!» (45). Ces appréhensions ne se manifestèrent pourtant que par des remontrances assez clairsemées et assez timides. Dans son ensemble, le public ne jugea l'édit que par ses effets immédiats. Comme ils étaient nuls, il ne s'émut point. Le petit groupe des « hommes éclairés » y applaudit. Il s'en rencontrait jusque dans le clergé. Seuls les évêques d'Anvers, de Namur et de Ruremonde protestèrent respectueusement. Celui de Tournai, le prince de Salm-Salm. reçut la décision impériale en prélat de cour, y saluant « le zèle le mieux étendu pour faire respecter et chérir la religion catholique et ses ministres par les protestants, en édifiant ceux-ci par le bon exemple et l'exercice de la charité chrétienne » (46). Au surplus, le pape n'avait rien dit. Dès 1782, l'archevêque de Malines, le cardinal de Franckenberg, acceptait le fait accompli et traçait dans son mandement de carême la ligne de conduite à suivre par les catholiques « en un temps où la tolérance civile accordée aux différentes sectes de protestants par notre auguste souverain, dont nous devons respecter les vues, mettra peut-être notre amour pour la religion, notre zèle et notre charité à l'épreuve » (47). SUPPRESSION DES COUVENTS. - Après avoir séparé la religion de l'Etat, il restait à la soumettre à la police de l'Etat. En Autriche comme en Belgique, Joseph II fit passer le fébronianisme dans la loi. Le 28 novembre 1781, la juridiction des supérieurs étrangers sur les ordres monastiques était abolie. Le 5 décembre, le droit d'accorder des dispenses de mariage était donné aux évêques. Le prince de Kaunitz communiquait au nonce la volonté bien arrêtée du gouvernement de réduire le pouvoir ecclésiastique « uniquement aux matières dogmatiques et de pure spiritualité » (48). On apprenait que quantité de couvents venaient d'être supprimés dans les Etats héréditaires. Ballotté entre son dévouement pour Rome et son respect pour l'empereur, l'archevêque cherchait à obéir tout en sauvant les principes. Il suppliait le pape de l'autoriser à donner des dispenses de mariage, se permettait de lui rappeler que l'obligation de demander des dispenses à Rome avait souvent entraîné de graves abus, lui représentait enfin que Joseph II serait inébranlable. Il s'exé- (Namur, Musée de Croix.) cutait comme on bat en retraite, en escarmouchant, et se réservait l'avenir. Dans un mémoire adressé aux gouverneurs généraux, il critiquait les principes de Kaunitz, qui n'allaient « qu'à mettre sans cesse les deux puissances en contradiction entre elles et à confondre les justes bornes de l'une et de l'autre ». Espérant encore détourner le coup suspendu sur les couvents, il les adjurait de ne pas croire « que les ordres religieux soient tout à fait étrangers à l'essentiel de la foi et de la religion », et il implorait leur protection « en faveur des monastères affligés de ce pays qui, menacés encore toujours du même malheur que plusieurs couvents des autres pays héréditaires ont déjà essuyé, se reposent cependant avec confiance sur la religion et la pitié de Sa Majesté qui leur a si solennellement assuré leur état et leurs possessions» (49). Mais le siège de l'empereur était fait. Le 17 mars 1783, parut un édit, promulgué « dans l'intérêt de la religion et de l'humanité », qui supprimait « les couvents de l'un et de l'autre sexe où l'on ne mène qu'une vie purement contemplative et parfaitement inutile à la religion, à l'Etat et au prochain » (50). Le 2 juillet, les ermites des bois et de la campagne cessaient également d'exister « à cause des inconvénients qui en résultent ». Les « philosophes » exultèrent. « La propagation des sciences, écrivait Shaw, a préparé le renversement de l'institution monastique, qui n'a dû son agrandissement qu'aux âges d'ignorance, et la conduite du souverain des Pays-Bas a donné un bel exemple à suivre aux autres princes catholiques... Cette grande réformation a été accomplie sans résistance. La voix de la raison si longtemps étouffée par la fausse religion, s'est fait enfin entendre, et la dissolution des monastères, qui ne put pas s'opérer en Angleterre dans le XV" siècle sans tumulte et sans rébellion, vient de s'effectuer dans un pays catholique sans violence et sans opposition» (51). On peut douter que la « voix de la raison » eût tant d'empire sur les Belges, mais il est exact que la suppression des couvents ne révolta pas le sentiment populaire (52). Les cent soixante-trois maisons abolies, appartenant presque toutes à des ordres de femmes, étaient d'importance médiocre. La vie contemplative de leurs membres les empêchait d'exercer quelque action au dehors. Presque partout d'ailleurs, les victimes de l'édit obéirent sans murmurer et acceptèrent la pension qui leur permettait de rentrer dans la société. Sauf à Gand, où les Carmélites émigrèrent avec ostentation, il n'y eut guère de scandale (53). Dans le groupe des (Cliché Piron.) capitalistes, on vit même avec satisfaction les biens monastiques rentrer dans le patrimoine national. Le comte de Beaufort déclarait aux Etats du Hainaut que si leur intervention lui procurait quelques-uns des bâtiments désaffectés, il y établirait des manufactures (54). La facilité avec laquelle s'étaient réalisés ses premiers projets dut naturellement confirmer l'empereur dans la conviction qu'il n'avait qu'à commander pour être obéi. La nomination à l'évêché d'Anvers, en 1785, de l'abbé Nélis, prêtre « éclairé » protégé de Cobenzl et de Nény, lui permettait de compter sur un ferme appui dans l'épis-copat, au demeurant si accommodant. De nouvelles ordonnances continuèrent donc l'encerclement méthodique de l'Eglise. Le mariage était proclamé, le 28 septembre 1784, un contrat purement civil, et enlevé comme tel à la juridiction des tribunaux ecclésiastiques. Le 26 septembre 1785, les curés recevaient l'ordre de publier désormais au prône les édits du souverain. C'était là le point de départ d'une série de mesures destinées non plus seu- Paul-Godefroid de Berlo de Franc-Douaire (château de Franc-Douaire (près de Liège), 1701-NiveIles, 1771), treizième évêque de Namur de 1741 à 1771. Portrait peint par un artiste inconnu. HISTOIRE DE BELGIQUE (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Estampe satirique anonyme relative à la confiscation des biens ecclésiastiques par Joseph II (probablement 1787). Le lion belgique s'agrippe au vautour chargé de châsses, de ciboires, de crucifix, d'ostensoirs, de reliquaires et d'ornements liturgiques. Au fronton d'un temple, la parole évangélique : « Rendez à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Légende : « Les Biens d'autruy tu ne désireras pour les avoir injustement », et les deux vers : « Un indigne Vautour pillant nos Temples saints — Un Lion furieux l'arrête et change nos destins. » La légende, qui figure sur l'original, n'a pas été reproduite ci-dessus. lement à tracer au pouvoir ecclésiastique les limites de sa compétence, mais à le soumettre, dans ses rapports avec le clergé et les fidèles, aux principes de la « vraie religion ». L'Etat va intervenir directement dans le domaine de la discipline, se faire théologien, moraliste et canoniste. Durant les premiers mois de l'année 1786, les ordonnances arrivent de Vienne coup sur coup, raides, tranchantes ou cassantes. Le cabinet impérial paraît s'être transformé en synode. Le 23 janvier, les sermons, quels qu'ils soient, sont soumis aux règles ordinaires de la censure. Le 11 février, dans toutes les communes du pays, les kermesses sont fixées au même jour, afin d'éviter des dépenses et des distractions inutiles (55). Le 8 avril, les innombrables confréries qui pullulent en ville comme à la campagne sont centralisées en une seule, celle de « l'amour actif du prochain, ayant pour patron le Sauveur Jésus-Christ». Le 10 mai, sont abolis tous les «pèlerinages en troupes » et jubilés, en même temps que le nombre des processions est ramené à deux par paroisse et qu'il est interdit, par décence, d'y faire de la musique et d'y porter des statues, enseignes de métier ou autres « bigarrures » semblables. Le 22 mai, ordre est donné de faire un dénombrement général des biens du clergé séculier ou régulier. Le 29 mai, des mesures sont prises pour une répartition plus pratique et plus rationnelle des paroisses. Le 16 juin, toutes les cures du pays sont soumises au concours. LES SEMINAIRES D'ETAT. - Enfin, le 16 octobre, l'édifice si fiévreusement élevé reçoit son couronnement. L'Etat s'empare de la formation du clergé. A quoi lui servirait, en effet, d'avoir modernisé la discipline et de l'avoir soumise à son contrôle, si le personnel chargé de l'appliquer restait infecté de « préjugés ultramontains », fermé aux lumières, grossier de mœurs et ignorant de la véritable charité chrétienne ? Lui seul est capable de le préparer à sa tâche, ou, pour mieux dire, à la tâche qu'il le charge de remplir (56). En conséquence, il décrète la fermeture des séminaires épiscopaux, refuges d'erreurs et d'abus invétérés. A partir du mois de novembre 1786, tous les étudiants en théologie seront versés dans deux établissements d'Etat : le séminaire général de Louvain et le séminaire filial de Luxembourg (57). Naturellement, la doctrine qu'ils y recevront sera celle du plus pur fébronianisme. Un plan d'études a été soigneusement préparé. L'Autrichien Stôger, qui ne sait pas le français, veillera à son application, et des professeurs bien choisis l'aideront dans sa tâche. Désormais, l'œuvre est accomplie. Au lieu de contrecarrer l'apostolat intellectuel et social de l'Etat, le clergé, dressé par lui, va y collaborer. L'Eglise, si longtemps indépendante et envahissante, se trouve enfin dans la main du prince « comme l'argile entre les mains du potier » (58). Il n'était plus permis désormais de s'abuser sur les intentions de l'empereur. Personne ne le soupçonnait sérieusement d'avoir abandonné la foi catholique. On savait qu'il montrait à Vienne une piété sincère et affirmait à tout propos son respect pour la religion. Mais pour le catholique, la foi est inséparable de l'Eglise. Dieu qui donne la première a établi la seconde, et son origine divine est le fondement même de la liberté qu'elle revendique pour mener les hommes à leurs fins dernières. Si croyant qu'il se flattât d'être, Joseph, en la soumettant à sa tutelle, en l'obligeant à se détourner du ciel pour concentrer son effort sur la terre, en se permettant de réformer sa discipline, d'interpréter sa parole, d'instruire ses ministres, s'écartait du droit chemin bien plus que ne l'avaient fait naguère les jansénistes. Ne voyait-on pas d'ailleurs se ranimer autour de lui les restes mal éteints de cette abominable hérésie ? N'était-ce pas un janséniste que Fébronius ? N'en n'était-ce pas un autre que l'abbé Mann, ancien favori de Cobenzl et mauvais génie de l'Académie de Bruxelles; que l'abbé Marant, pour lequel un cours d'histoire ecclésiastique avait été créé en 1783 à l'Université de Louvain, et qui y avait scandalisé ses auditeurs en niant l'assomption corporelle de la Vierge ? Une ordonnance impériale n'avait-elle pas enjoint, le 19 août 1782, de ne plus mentionner la bulle Unigenitus dans l'enseignement ? (59) Et les applaudissements par lesquels les esprits forts, les libres penseurs, les « philosophes », déistes à tout le moins quand ils n'étaient pas athées, accueillaient les réformes impériales, pouvaient-ils laisser subsister le moindre doute sur les tendances de celles-ci? Depuis 1785, le Journal général de l'Europe, que Pierre Lebrun écrit à Liège et édite à Herve « avec permission du gouvernement général des Pays-Bas Autrichiens », les prône comme autant de vic- toires sur le fanatisme et la superstition. Un parti nettement anticlérical commence à se former, qui couvre l'Eglise de sarcasmes et cherche par tous les moyens à la perdre dans l'opinion. Le chevalier de Heeswijk, d'autres encore, se glorifient de mériter le sobriquet « d'antimoines ». On répand dans le peuple, en français et en flamand, le récit d'un assassinat commis à Verviers par le vicaire Pierlot, avec les commentaires que l'on devine (60). Si l'on n'ose encore s'en prendre aux dogmes eux-mêmes, les traditions, la discipline, la hiérarchie de l'Eglise sont attaquées avec autant de fougue et de passion par les « philosophes » qu'elles l'avaient été au XVIe siècle par les protestants. Il n'en fallait pas tant pour justifier les appréhensions que l'édit de tolérance, en 1782, avait suggérées aux évêques. Et pourtant, le prestige que l'empereur conserve sur eux est tel que devant l'imminence du péril, c'est à peine s'ils osent élever la voix. Ils obéissent avec une résignation douloureuse, mais enfin ils obéissent. L'évêque de Namur seul a l'énergie de défendre aux étudiants de son diocèse de se rendre au séminaire général : il en est puni aussitôt par la saisie de son temporel et l'ordre de se retirer dans une abbaye (61). AGITATION DANS LE CLERGE. - Cependant, si accoutumé qu'il soit à respecter ses chefs, le clergé s'étonne, puis bientôt s'indigne de leur faiblesse. Parmi les moines, exaspérés par la suppression des couvents, parmi les curés des paroisses, humiliés par la censure, irrités par l'abolition des processions et des confréries, inquiets des projets futurs du gouvernement, le mécontentement que fomentent les considérations de l'intérêt et les tourments de la conscience ne parvient plus à se contenir et s'échappe en manifestations publiques ou suscite une campagne secrète contre les mesures impériales. Les Capucins se signalent par leur audace. Dans quantité d'églises les sermons excitent les fidèles à la résistance. Des prêtres profitent des édits sur le mariage pour soulever devant les parents l'angoissante question de la légitimité de leurs enfants. L'agitation se propage si rapidement qu'au mois de décembre 1786, le gouvernement croit prudent d'ordonner à ses fonctionnaires de surveiller de près « les discours, sermons et démarches des curés », tant dans les villes que dans les campagnes (62). Et pour mieux résister à l'adversaire, elle va lui emprunter ses armes et, comme lui, se servir de la presse pour remuer l'opinion. Quelques ex-jésuites retirés à Liège, le P. Dedoyar, le P. Brosius, le P. Feller surtout, mettront à défendre l'Eglise autant de zèle, de fougue, de partialité et de véhémence que Pierre Lebrun à l'attaquer. Dès 1787, Brosius consacre le Journal historique et politique à critiquer les vues et les réformes de l'empereur avec une violence qui va jusqu'à la diffamation. Plus passionné encore, plus injuste, plus outrageant, Feller transforme le Journal historique et littéraire en un organe de combat qui, dès 1788, est devenu si redoutable que le gouvernement en interdit la publication. REFORMES CIVILES. - Protestations, inquiétudes et clameurs seraient restées impuissantes si elles n'avaient agité que l'Eglise. Mais la nation, qui avait recueilli avec tant de calme, sinon avec tant d'indifférence, les premières mesures impériales, n'allait pas tarder à se laisser entraîner dans le mouvement. Le réformateur qui l'avait d'abord épargnée va l'atteindre à son tour et, avec autant d'imprudence que de confiance en son infaillibilité, l'unir au clergé dans une même opposition, confondre en un seul deux ennemis redoutables et, attirant sur soi leurs efforts combinés, tomber enfin victime de la catastrophe qu'il a déchaînée. Il est incontestable qu'au moment où Joseph II monta sur le trône, l'organisation politique et administrative des Pays-Bas ne pouvait demeurer plus longtemps ce qu'elle était. Elle faisait penser à un bâtiment en voie de reconstruction, disparaissant sous les échafaudages, ici à moitié démoli, ailleurs approprié tant bien que mal aux nécessités modernes, étançonné dans ses parties les plus branlantes, et offrant partout l'aspect du provisoire ou de l'improvisé. Il était trop tard pour arrêter l'oeuvre commencée; la maison fût devenue inhabitable. Ceux qui l'occupaient se rendaient à l'évidence. Ils sentaient bien qu'elle était archaïque, incommode et d'entretien trop coûteux. Mais ils prétendaient ne point s'en remettre à l'architecte, et, aussi bien, puisqu'il travaillait pour eux, avoir leur mot à dire et être consultés sur les plans et les devis. Il les avait écoutés ou du moins s'en était donné l'apparence aussi longtemps que Marie-Thérèse avait vécu. Mais voilà que brusquement son humeur changeait. Impatienté des lenteurs de sa besogne, il décidait d'en finir et n'entendait plus personne. Tout au plus se bornait-il à répondre aux observations qu'il connaissait son métier, qu'il avait longuement étudié sa tâche, et que le modèle viennois suivant lequel il allait remanier la vieille masure ravirait tout le monde. Sa bonne foi était aussi évidente que sa prétention. Depuis longtemps, et bien avant son voyage en Belgique, Joseph II avait reconnu toutes les défectuosités d'une (Oand, Kapittel- et Blezenstraat.) (Cliché A.C.L.) Façade donnant sur la cour intérieure de l'ancien séminaire épiscopal de Gand. Style Louis XV. Les bâtiments actuels du côté nord et du côté est datent du milieu du XVIII» siècle. Ouvert aux séminaristes en 1623, il fut desservi par les Jésuites de 1704 à 1772. constitution où le pouvoir central et les pouvoirs locaux ne s'agençaient pas, où les autonomies provinciales opposaient à tout progrès des lenteurs insupportables, où des Etats composés de quelques privilégiés prétendaient représenter la nation, où le bien particulier l'emportait partout sur le « bien général ». Sans doute on avait supprimé les abus les plus criants. Mais ce n'étaient là que des palliatifs : une refonte totale s'imposait. Il fallait que rien ne pût résister plus longtemps à la bienfaisance de l'Etat en résistant à sa toute-puissance. Il fallait extirper les traditions et les préjugés qui entravaient le progrès social. La Belgique ne pouvait prétendre échapper, à son propre détriment, aux réformes qui transformaient l'Autriche. (Bruges, Musée Qruuthuse.) (CHché Pichonnler.) Assiette à l'inscription « Vive la Nation » datant de l'époque de la révolution brabançonne (vers 1790). Les fleurs de lys attestent une origine française, mais le cri de ralliement est le même dans les Pays-Bas et en France : « Vive la Nation. » Dans la conception « patriotique » (63) de l'empereur, tous les pays de la couronne n'étaient que les membres d'un même corps, les parties constituantes d'un même Etat. L'intérêt personnel, qui n'avait aucune prise sur le souverain, ne devait pas en avoir davantage sur ses sujets. Le devoir et la raison leur commandaient de se laisser conduire au bonheur par ses voies, qui étaient les vraies. Ainsi, et tout d'abord, l'antique autonomie de la Belgique se trouvait condamnée à disparaître. Elle allait être noyée dans ce mélange hybride de peuples et de nationalités que Joseph croyait n'avoir qu'à verser dans le même moule pour le lier indissolublement en un seul tout. Les Pays-Bas fondus avec l'Autriche seraient donc en même temps confondus dans l'Autriche. Par intérêt politique, Philippe II avait voulu les espagnoliser au XVI0 siècle; Joseph II, par considération du bien général, menaçait maintenant de les « austriaciser » ( 64 ). La nation le comprit tout de suite, et, l'ayant compris, se prépara à la résistance. Il n'y manquait pas de gens qui ne se dissimulaient pas plus que l'empereur les défauts et les abus dont elle souffrait, et qui eussent travaillé de bon cœur à des réformes graduelles, compatibles avec les sentiments et les mœurs du peuple. Du moment où ils s'aperçurent que l'absolutisme entendait les contraindre, ils se reportèrent sans hésiter du côté de ceux qui, sincèrement ou par intérêt, s'obstinaient à conserver l'ordre établi et condamnaient toute nouveauté parce qu'elle était une nouveauté. Les partisans que l'empereur eût pu avoir, il les poussa par la rigueur et l'uniformité de ses méthodes, dans les rangs de ses adversaires. Il n'eut en face de lui qu'une opposition. Elle fut d'autant plus redoutable qu'elle apparut, dès le premier jour, comme le défenseur du droit contre l'arbitraire. Dans la partie qui allait s'engager, Joseph, en effet, devait nécessairement attirer sur lui tout l'odieux du (Arlon, noviciat de la Compagnie de Jésus.) (Photo transmise par le R.P. M. le Maire S.J.) « Quelques ex-jésuites retirés à Liège..., le P. Feller surtout, mettront à défendre l'Eglise autant de zèle, de fougue, de partialité et de véhémence que Pierre Lebrun à l'attaquer. » (Voyez le texte, p. 209.) Portrait du Père Feller par André-Bernard de Quertenmont (Anvers, 1750-1835). Né à Bruxelles le 18 août 1735, mort en exil à Ratisbonne le 23 mai 1802, François-Xavier de Feller entra dans la Compagnie de Jésus en 1754 (dans la province gallo-belge), séjourna en Hongrie de 1765 à 1769 tout en voyageant en Europe centrale et en Italie. Rentré aux Pays-Bas en 1769, il fut, peu après sa profession solennelle (1770), affecté à la prédication à Marche, puis à Mons, à Liège enfin où il se fixa définitivement lors de la suppression de son ordre en 1773. Il se consacra dès lors exclusivement à l'apostolat par la plume. Esprit encyclopédique, ouvert à toutes les connaissances humaines — philosophie, histoire, littérature, sciences exactes, théologie — il utilisa les ressources de sa prodigieuse érudition pour la défense des intérêts de l'Eglise catholique battus en brèche par les Philosophes et Encyclopédistes français. Vingt ans durant, il lutta avec plus de passion que d'intelligente clairvoyance contre les idées hostiles à la religion et à la morale traditionnelles. Il s'y employa principalement par le truchement du Journal Historique et Littéraire (Luxembourg, 1773-1794), périodique bl-mensuel dont il assumait seul la rédaction. Partisan convaincu de l'origine divine du pouvoir, il se dressa cependant contre Joseph II dont les réformes lui paraissaient néfastes à l'Eglise et contraires aux antiques privilèges des provinces belges. Il applaudit à la Révolution brabançonne, soutenant avec véhémence la politique du parti statiste, critiquant Vonck et les adeptes des idées de la Révolution française. Son intransigeance lui attira de nombreux ennemis qui ne surent pas toujours rendre hommage à la droiture de ses intentions. Chassé des Pays-Bas par les troupes de la Convention (1794), 11 se réfugia dans les principautés ecclésiastiques de l'Allemagne de l'ouest, dans l'espoir toujours déçu de revenir dans sa patrie. Outre son Journal, il publia de très nombreuses œuvres d'où la polémique n'est jamais absente, entre autres le Catéchisme philosophique (Liège, 1772, 3 vol.), le Dictionnaire Historique (Liège, 1781-1784, 6 vol.), le Dictionnaire géographique (Paris, 1778, 2 vol.), le Recueil des représentations, protestations et réclamations... belgiques (s. 1., 1787-1790, 17 vol. et un suppl.), son Itinéraire (Liège-Paris, 1820, 2 vol.). (Gand, Château des Contes, musée.) despote foulant aux pieds la légalité et les engagements les plus solennels. Il lui était impossible d'introduire ses réformes sans violer les privilèges du pays. Or, ces privilèges, il en avait solennellement juré le maintien par la bouche des gouverneurs. En y portant atteinte, ne se rendait-il donc pas coupable du plus odieux des crimes, du parjure ? Si fréquente, si tenace, si fatale qu'elle ait été, cette accusation, cependant, il ne la mérite pas. Il a cru, sans le moindre doute, et très sincèrement, que les privilèges ne pouvaient être pris à la lettre, et qu'une interprétation raisonnable ne les rendait pas incompatibles avec ses projets. Et sûrement, dans le fond, il ne se trompait pas. Il eût été impossible, sans ramener le Brabant au XVIe siècle, d'appliquer strictement la Joyeuse-Entrée. En fait, quantité de ses articles étaient tombés en désuétude; d'autres avaient été tournés sans protestation. Elle était « ténébreuse, incompréhensible et même, à bien des égards, inexécutable» (65). L'empereur n'a pas formé le propos de la violer. Tout ce qu'il demandait, c'est qu'on n'en fît pas une machine de guerre contre ces réformes, qu'on ne prétendît pas donner au serment qu'il y avait prêté une rigueur inadmissible en droit naturel. Il s'indignait de la voir servir à soulever contre lui des griefs constitutionnels que l'on n'avait pas opposés à ses devanciers. C'est que les griefs constitutionnels naissent bien moins des textes que des circonstances. On en découvre au moment où on en a besoin, et ceux que l'on invoqua contre l'empereur, c'est lui-même qui, par sa hâte, son intempérance et son pédantisme, les a fait surgir quand il l'a fallu. Dès le courant de 1783, il prend ses premières mesures. A peine les a-t-il dévoilées à ses agents, elles les effrayent. Starhemberg lui conseille une « marche gradative », et appelle son attention sur le « préjugé invétéré et enraciné ici contre toute nouveauté» (66). Le mauvais accueil qu'il reçoit lui fait demander son rappel. Belgiojoso lui succède comme ministre plénipotentiaire (67), en même temps à peu près que la retraite du vieux Nény soumet les bureaux à l'influence des deux Crumpipen, fils d'un fonctionnaire allemand arrivé à Bruxelles sous le règne de Marie-Thérèse. Aussitôt une grêle d'ordonnances part de Vienne, frappant à coups pressés toutes les branches de l'administration et de la police et brisant à tort et à travers abus, coutumes et traditions. Un édit du 9 février 1784 détraque le régime des corporations de métiers, en autorisant les maîtres à employer autant d'ouvriers qu'ils veulent, sans tenir compte des règlements anciens (68); un autre (3 février 1784) défend aux Conseils de justice d'appliquer la torture sans autorisation préalable du Conseil Privé (69); un autre encore (26 juin 1784) interdit d'enterrer dans les églises et prescrit d'établir les cimetières hors des villes (70). Deux instruments de torture. (Cliché De Wilde.) A gauche, un collier à pointes passé au cou des suppliciés aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. A droite, un dlla-teur destiné à ouvrir de force la bouche du condamné au supplice de l'eau. II était employé aux XVII» et XVIII» siècles. Sans doute, ces innovations sont excellentes. Mais, surgissant sans préparation, elles troublent et elles inquiètent tout le monde. Que veut l'empereur ? Où s'arrêtera-t-il ? Le bouleversement qu'il inflige à la constitution ecclésiastique ne menace-t-il pas du même sort les institutions politiques ? Les gens en place s'alarment. Les conservateurs gémissent. L'opinion s'agite, et ceux qui ont intérêt à la troubler tout à fait profitent de l'occasion. Des « libelles diffamatoires » commencent à circuler et produisent de si mauvais effets qu'il faut renforcer la censure et promettre aux dénonciateurs 1,000 florins d'amende (71). Le bruit se répand que l'on prépare un impôt de 40 p. c. sur les terres. Et pour comble de malheur, le journal de Lebrun qui prône, conformément aux doctrines physiocratiques, l'impôt unique sur le sol, semble justifier ce racontar et met en émoi tous les propriétaires, les grands propriétaires surtout, si influents en politique puisqu'ils représentent aux Etats provinciaux la noblesse et le clergé (72). Dès la fin de 1784, le ministre de France à Bruxelles constate que l'on parle « avec' la licence la plus affreuse de la personne auguste de l'empereur ». A Gand, le monument élevé à l'endroit où il s'est agenouillé en 1781 au passage d'une procession, est maintenant souillé des plus viles ordures (73). Mais Joseph méprise trop le vulgaire pour s'embarrasser de son humeur. Ni la haine ni l'amour n'atteignent à la hauteur de l'idéalisme noble et froid dans lequel il se confine. La série des réformes, interrompue par les événements politiques de 1785, reprend son cours en 1786. Les administrations provinciales sont mises sous tutelle par l'interdiction qui leur est faite d'entreprendre, sans autorisation du corps du génie créé récemment, des travaux publics entraînant des dépenses supérieures à 200 florins (74). La Chambre des Comptes de Bruxelles est réorganisée sur le modèle de la Chambre des Comptes de Vienne (75). Le baron de Martini est envoyé dans les Pays-Bas pour y introduire un nouveau système judiciaire « sur le pied que nous avons trouvé bon d'établir dans nos autres Etats héréditaires» (76). Les loges maçonniques, dont le pullulement intempestif préoccupe l'empereur, sont réduites à une seule établie à Bruxelles, « sous HISTOIRE DE BELGIQUE les yeux du gouvernement général» (77). Dans ce pêle-mêle d'ordonnances, le commerce des grains n'est pas oublié. Liberté entière lui est accordée le 11 décembre 1786 (78). On ne pouvait choisir plus mal le temps d'innover. L'année même, en effet, où la libre exportation des grains va leur permettre de fuir du pays, est la première d'une série de trois années de mauvaises récoltes. Par surcroît, le ralentissement économique qui devait nécessairement suivre la prospérité momentanée provoquée par la guerre maritime, commence à s'affirmer. En quelques mois, le port d'Ostende se vide des bateaux qui l'encombraient; le travail s'anémie; les manufactures subissent une crise, dont la faillite de la maison Proli (1785) est un des symptômes les plus inquiétants (79). Pour récupérer les recettes du transit et apaiser les plaintes des fabricants, il a fallu, dès 1785, alourdir les droits de douane. Mais aussitôt le prix de la vie renchérit et le peuple proteste avec d'autant plus d'énergie que le travail se fait plus rare. Naturellement c'est le gouvernement que l'on rend responsable du malaise dont on souffre, que l'on accuse d'avoir amené par imprévoyance ou impéritie une situation qui résulte de la situation même de l'Europe, qu'il avait prévu et à laquelle il a cherché à remédier en envoyant dès 1783 le baron de Behlen étudier le moyen d'ouvrir en Amérique de nouveaux débouchés à l'industrie nationale (80). DEBUTS DE L'OPPOSITION. — Sous le coup de la crise qui s'annonce, les esprits s'aigrissent et en même temps s'enhardissent. Le 17 novembre 1786, le Conseil de Flandre adresse à Joseph II une longue remontrance (81). Après avoir décrit les bienfaits dont le pays a joui sous les anciens princes nationaux, il rappelle que Philippe II « fut le premier qui fixa sa résidence à Madrid, à trois cents lieues d'ici et qui... occupé des soins d'une vaste monarchie se régla sur des avis étrangers dictés par un esprit de prédilection pour le gouvernement des terres de sa résidence ». L'allusion est trop transparente pour que l'empereur ne la saisisse pas. Il est impossible de lui montrer plus clairement où son système, s'il y persiste, doit nécessairement aboutir. Il est temps qu'il se fasse une (Gand, Musée archéologique.) (Cliché De Wilde.) « Les loges maçonniques, dont le pullulement intempestif préoccupe l'empereur, sont réduites à une seule établie à Bruxelles...» (Voyez le texte, p. 211.) Plats en étain d'une loge maçonnique montoise. A gauche, plat portant l'inscription : « Parfaite Union. » A droite, plat portant l'inscription : « La Grande Loge des Pays-Bas Autrichiens à l'Orient de Mons » et la date 5768. c'est-à-dire 1768 de l'ère chrétienne. plus juste idée de son pouvoir. « Le titre qui a porté la souveraineté de la Flandre dans l'auguste maison d'Autriche n'a rien de commun avec ceux de ses autres Etats : ce titre est un pur droit de succession aux anciens comtes de Flandre... La réunion de plusieurs couronnes sur une même tête n'est pas un moyen légitime pour confondre les droits de leurs différents habitants. Votre Majesté a pris des engagements particuliers avec ses sujets de Flandre, ils sont consacrés par le serment solennel qu'elle a prêté lors de son inauguration entre les mains des Représentants du Peuple. C'est cette déclaration solennelle à laquelle nous appelons qui est le Palladium de nos droits et de nos libertés ». Dans la bouche de magistrats nommés par la couronne et chargés de rendre la justice en son nom, un tel langage était significatif. Au reste, il ne parvint pas jusqu'à l'empereur. Les gouverneurs généraux, indignés de tant d'audace, écrivirent au Conseil qu'ils ne pouvaient envisager sa remontrance que comme « l'effet d'un délire », et lui signifièrent l'ordre de la biffer aussitôt dans leurs registres (82). En parlant comme il l'avait fait, le Conseil n'avait pourtant que fidèlement exprimé l'opinion de tous. Pour elle, ce que l'empereur appelait le « bien général » n'était que le joug autrichien. Les intérêts lésés, les préjugés heurtés de face, les traditions bouleversées soulevaient au fond des âmes le sentiment national. Les provinces belges n'étaient pas une simple possession du monarque. Les droits qu'il y exerçait ne lui venaient que des princes bourguignons auxquels il avait succédé, et il était tenu de les régir comme ils l'avaient fait eux-mêmes, c'est-à-dire conformément aux privilèges qu'il s'était engagé à respecter. A l'absolutisme de l'Etat moderne, on opposait le vieux régime dualiste du moyen âge, dans lequel le prince et le pays possèdent chacun leurs droits propres, et où la souveraineté ne consiste que dans un ensemble de pouvoirs hétérogènes qu'elle n'a pu dépasser sans contracter avec ses sujets. Mais naturellement, sous l'influence des idées de l'époque, la conception primitive a évolué. On l'adapte aux doctrines de Montesquieu, voire même à celles de Jean-Jacques Rousseau. Déjà, en 1778, le magistrat de Bruxelles, en conflit avec le gouvernement, avait osé prétendre que « le peuple a transmis au souverain le pouvoir de prescrire des règles à l'administration » (83). Or, ce peuple, qui le représente et parle en son nom ? Evidemment, ce sont les Etats. Dans chaque province, ils sont les délégués naturels de la nation. Ils y constituent ces « corps intermédiaires » dans lesquels Montesquieu voit la plus sûre garantie de la liberté (84). Leur recrutement dans les classes privilégiées empêche à la fois la tyrannie d'en bas et celle d'en haut. Ils doivent donc, dans une monarchie bien réglée, partager la souveraineté avec le prince. Au surplus, eux seuls connaissent ce qui convient au génie du peuple, et c'est là un nouveau fondement de leur droit. « La civilisation et la législation des peuples, disent les Etats du Hainaut, (Oand, Musée des Beaux-Arts.) (Cliché A.C.L.) Vue de la Lys à Gand au XVIIIe siècle. Tableau peint par un artiste inconnu. marchent d'un pas égal et elles ne se forment que progressivement. Toute législation, toute forme de gouvernement sous lequel une nation s'est maintenue longtemps dans un état de prospérité, est décidément la meilleure législation et la meilleure forme de gouvernement possible pour cette nation » ( 85 ). Et cela encore est du Montesquieu. Mais d'autres vont plus loin et voient dans le « pacte inaugural » que le souverain noue avec son peuple à son avènement, un véritable « contrat social ». Pour eux, ses pouvoirs ne découlent que de ce contrat. S'il le viole, il les perd, et ils reviennent alors à la nation qui les lui avait transmis. Interprétation hardie, et qui place assez inopinément la Joyeuse-Entrée et tous les privilèges des provinces sous le patronage de Jean-Jacques Rousseau (86). Entre l'empereur et la Belgique, le conflit n'est donc pas seulement celui d'un souverain éclairé avec un peuple arriéré, demeuré fidèle à une constitution archaïque; on y retrouve l'opposition des deux conceptions politiques qui se partagent alors les esprits : l'absolutisme et la souveraineté nationale. Toutes deux invoquent en leur faveur le droit naturel, et toutes deux se prétendent appelées à faire le bonheur du peuple. Mais elles s'y dirigent par des voies si divergentes qu'elles perdent aussitôt le contact l'une avec l'autre. Il ne peut y avoir entre elles ni conciliation pi compromis. L'organisation de l'Etat apparaît plus importante que sa mission. Ceux-là mêmes qui aspirent aux réformes civiles et sociales sont empêchés d'agir en commun par l'incompatibilité de leurs aspirations politiques. Voilà pourquoi la minorité des hommes éclairés qui, sur quantité de points pensaient comme Joseph II, ont été s'adjoindre aux conservateurs et aux défenseurs quand même du passé. Ils se sont flattés, en s'unissant à eux dans une même réaction nationale contre le despote étranger, de les convertir à leurs idées de progrès, de les amener à réformer la société, en fondant avec eux l'Etat moderne sur la liberté. Ils ne se sont pas aperçus que leurs alliés abominaient autant leur idéal de souveraineté populaire qu'ils détestaient l'absolutisme autrichien. Sous l'influence du mécontentement général, des craintes pour l'avenir, du malaise religieux et du malaise économique, un cartel s'est conclu, inconsciemment, entre des tendances ou si l'on veut entre des partis qui, après avoir lutté côte à côte, étaient forcément destinés à se combattre. Mais la communauté des griefs fait disparaître momentanément tout le reste. Dès la fin de 1786, le pays n'attend plus qu'une occasion pour se soulever. Et avec une maladresse étonnante, l'empereur la lui donne. REFORME GENERALE DE L'ADMINISTRATION. — Le 1er janvier 1787, deux édits abolissaient en quelques lignes et rétablissaient sur un plan nouveau toute l'organisation administrative et judiciaire. Au centre, un Conseil Général du gouvernement, dont le ministre plénipotentiaire est chef et président; autour de lui, neuf «Cercles» confiés à autant d'intendants et divisés en « Arrondissements » dirigés par des « Commissaires », tout cela placé directement sous les ordres du Conseil Général, voilà pour l'administration. Quant à la justice, elle est exercée par un Conseil Souverain de Justice établi à Bruxelles, par un autre à Luxembourg, et par soixante-trois tribunaux de première instance : dix en Brabant, quinze en Flandre, six en Hainaut, six en Limbourg, vingt-quatre en Luxembourg, deux en Namurois. Une courte phrase déclare que la réforme s'impose « pour la prompte expédition des affaires » et « est conforme à ce qui se fait dans les autres Etats et provinces de notre domination » (87). En réalité, ce n'était pas une réforme, mais un coup d'Etat. D'un trait de plume et sans avoir consulté personne, l'empereur anéantissait l'autonomie séculaire de la Belgique. Il l'absorbait dans l'Etat autrichien. Il en « raclait à la fois impitoyablement les institutions traditionnelles : Conseils Collatéraux, Conseils de justice, juridictions urbaines, cours ecclésiastiques, justices seigneuriales, députations des Etats, gouverneurs de province. Du passé, plus rien ne subsiste. Le pays n'est plus qu'une table rase. Les noms mêmes des anciennes provinces, ces noms si intimement mêlés à toute sa vie nationale, disparaissent. Les neuf Cercles ne sont plus désignés, suivant la froide logique administrative, que par les noms de leurs chefs-lieux : Bruxelles, Anvers, Gand, Bruges, Tournai, Mons, Namur, Limbourg, Luxembourg. Sur les ruines de l'Etat historique, le Polizei-staat s'installe en maître. L'absolutisme brise toutes les barrières qui protégeaient encore contre lui les administrations locales. Des bureaux de Bruxelles, son action toute-puissante va pouvoir s'étendre, grâce à la subordination rationnelle de ses fonctionnaires, à tous les points du pays. Sur un mot parti de Vienne, le Conseil Général entrera en mouvement, et aussitôt la consigne se transmettra de lui aux intendants des Cercles et des intendants aux commissaires d'arrondissements. Il ne sera plus besoin d'entamer à tous propos des discussions interminables avec les Etats, de se soumettre à l'humiliation de les convaincre et de ménager leurs préjugés. Une mesure décidée sera désormais une mesure appliquée. La possibilité de s'opposer au « bien général » n'existe plus. L'obéissance aux intendants est de rigueur « quand même leurs ordres paraîtraient excéder les bornes de leur autorité » ( 88 ). Contre eux, il n'y a de recours qu'à leur chef, le gouvernement. Quant aux commissaires, ils sont chargés de percer les « ténèbres » dans lesquelles s'enveloppent les administrations locales et de les ouvrir enfin aux « lumières » de l'Etat. Enquêteurs professionnels, leur inquisition policière s'étend à tous les domaines : population, milice, religion, éducation, morale, hygiène, sûreté publique et privée, Uiliy Pnrpehiellsileut : JurolLï de noovesiu itêlre Kdiîlu.s a la F n frit j nui ijii'iL mib-'e 5uuvta'aul « DfjKVWiulmmlileîii^nt a jiiecl.T l.anrÙTJ ipie U Liberté vienr denouj donner. Ne artiigiiotu pan de siTnUms, toureli dcfovRt.Comlutttimf Jtuqn!«- la. mort plutôt tjue ttftl" troorgéspar une paix. jînxulee ■ Crin li-ymiu-.iiriVun.M-ai Sraban^on. . Oarfliage inAimibat- /eutundifif l<4-aûjue, > /Riiin. eut Aaii&Fatius j un fx, utatutuPclc couvcMaih pmi S?evùfo/> ttàt/p'jui/ /Le CHpnutoto cmMtuJ~c)t^JtUt c*vcuAt^)ynt/i j'iuit.. Qjt, ' jLkZaf ^/ttyi/uJ faejÂt é£ /eu avtc ,Qr A- £actlUr tact/jriti «aScEAt^. t_______ (Vienne, Staatsarchiv, Abt. Belgien, D.D. B.146-48.) Extrait de la minute de la lettre adressée par Joseph II aux députés des Etats de Brabant (Vienne, le 1er juillet 1787), avec corrections autographes de l'empereur qui invite les députés à lui exposer leurs griefs à Vienne. L'empereur justifie les réformes introduites dans les Pays-Bas et ajoute : « Quoiqu'il (sic) en soit, tout doit rester présentement en suspens de mes ordonnances dernières jusqu'à ce que selon les intentions que j'ai fait con-noitre à leurs Altesses Royales mes Lieutenants, Gouverneurs Généraux, ils se soient rendus avec les députés des difèrents (sic) états à Vienne pour me représenter de vive voix leurs désirs et entendre mes intentions qu'ils trouveront toujours calquées d'après les principes de l'équité ta plus parfaite et uniquement tendantes au bien-être de mes sujets et du grand nombre; mais si, contre toute attente, cette dernière démarche de ma bonté envers vous fut méconue (sic) au point que, me soubçonant (sic) de misérable subterfuge ou moyens, vous vous refusiez à me venir porter vos plaintes, vos craintes, vos doutes, et à m'entendre, ou que vous continuiez vos excès honteux et démarches inexcusables, alors vous en tirerez vous-mêmes toutes les malheureuses conséquences. Le texte reproduit en italique est de la main de l'empereur. Aussi, dès le 28 août, les Etats de Brabant déclarent-ils à Murray qu'ils protestent contre les « préalables » et persistent conformément à la Joyeuse-Entrée, à refuser la continuation des impôts. Dans les villes, les volontaires désobéissent ouvertement aux ordres qui leur prescrivent de déposer les armes. Personne n'abandonne les cocardes patriotiques. Et la misère des ouvriers sans travail, dont le nombre augmente toujours, peut, au moindre prétexte, les pousser à la révolte. Que faire ? Murray ne dispose que de 22,000 soldats (124), presque tous recrutés dans le pays et dont la fidélité est suspecte. Il sait que l'imminence de la guerre entre l'Autriche et la Turquie ne permet pas à son maître de détacher des forces importantes vers les Pays-Bas. Il n'ose prendre sur lui de déchaîner une guerre civile. Visiblement il hésite et ses hésitations fortifient la résistance. Le 20 septembre, une bagarre éclate à Bruxelles entre les volontaires et la troupe. Et alors, au lieu de faire tirer, le gouverneur perdant la tête, déclare le lendemain, au nom de l'empereur, que les constitutions V o) yC Cm/ ékinm" t '■W^St Jatii, a ' ^-jf' nbj^mi.i^ùsnl^', A, éW A bm % QLhU, SU Qunjriprn @>*titllu3 Jli/fir'û' ' -iftîlutiJL CK-mrnl ttî'primui Su Jttvtlv* ■^ft: ILa /fâ^J&fijti'Xipumy tiïjiMr yu- M A hvtnfrJy*, ■ A,* JIUXI , Qrftt'ailtà ■ t!M & JHmolf (tvçi b— , 'V^cJUi ^ «vff-ynrurn ■fhMar HuAi totM.i .yf***' t-f^Lsi** Mntf iOçdîtB» . a m ujJu* ptiMlJf. gîi- (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Chancellerie autrichienne des Pays-Bas n° 192, fol. 178.) Réaction de Joseph II aux mesures prises par Trauttmansdorff. Dans la marge de la lettre par laquelle Kaunitz lui annonce la réinstallation du chancelier du Crumpipen et de deux conseillers (Vienne, le 16 novembre 1787), Joseph II note : Quoique toutes ces protestations soient des insolences atroces et en même temps des farces avec lesquelles on entretient les sociétés d'esprit patriotique, j'aprouve (sic) ce que le Comte de Trautmanstorf a fait, mais il est de toute nécessité de faire séparer partout les états et d'y metre (sic) à cella (sic) la persuasion et la force s'il le faut. Autrement, chaque minutie (sic) sera épluché et disputé. Joseph. « sont et resteront intactes en conformité des actes de l'inauguration de Sa Majesté tant pour le clergé que pour l'ordre civil », et que les édits du 1er janvier sont abolis (125). Pour la seconde fois la nation l'emporte donc. Après Albert et Marie-Christine, Murray a cédé devant elle, et cette seconde victoire, plus complète encore que la première, lui fait croire que tout lui est permis. On illumine, on chante des Te Deum. Au lieu de se dissoudre, les volontaires, par bravade, se font passer en revue par leurs chefs. Les pamphlets sortent des presses de plus en plus nombreux et arrogants. Le « catéchisme constitutionnel à l'usage de la nation belgique » est dans toutes les mains. Si cruelle qu'elle ait dû être pour l'empereur, la reculade de Murray ne le poussa pourtant pas aux extrémités dont il parlait au mois d'août. Sur le point de prendre le commandement de l'armée qui allait marcher contre Belgrade, il ne pouvait songer à paraître à cheval sur la Grand'Place de Bruxelles. Il se contenta de casser son lieutenant (8 octobre) et de confier le commandement des troupes au général d'Alton. Trauttmansdorff arrivait d'ailleurs en Belgique le 27 octobre. Toujours confiant dans son infaillibilité, Joseph lui avait remis des instructions secrètes qui ne pouvaient manquer de rétablir l'ordre. Il restait convaincu que l'opposition n'était le fait que de quelques meneurs. Lui seul, de Vienne, « avait vu et apprécié dans tout ce qui s'était passé, le mauvais fond qui en était le mobile » (126). Le ministre devait mettre « toute la douceur possible dans ses procédés vis-à-vis de la nation ». L'empereur abandonnait, provisoirement du moins, l'institution des intendants et des nouveaux tribunaux » (127). Au moment d'entrer en campagne, il ne voulait pas de troubles dans les Pays-Bas. S'il en éclatait, contre toute attente, ce serait à d'Alton de les réprimer. Pour être plus sûr de l'exécution de ses ordres, il plaçait le ministre plénipotentiaire et le général sous sa direction personnelle. Ainsi dans sa manie de tout diriger par lui-même, il mettait d'avance en conflit ses deux subalternes et leur rendait impossible l'action en commun. Chacun d'eux ne relevant que du maître, contrecarrerait, pour se faire valoir, les plans ou les intentions de l'autre. Et leur hostilité serait d'autant plus fatale que les gouverneurs allaient se trouver plus complètement qu'ils ne l'avaient jamais été, confinés dans un rôle de parade et privés de toute initiative (128). L'OPPOSITION ET LES GRIEFS RELIGIEUX. — Si l'empereur se résignait à composer provisoirement avec l'opposition politique, il maintenait par contre, et avec d'autant plus de rigueur, le programme de ses réformes ecclésiastiques. En somme, elles s'étaient toutes accomplies avec une facilité inespérée. Qu'importaient les « manigances » et les « criailleries » des moines et du bas clergé puisque les évêques obéissaient ? Désavoués par leurs chefs, ces protestataires en étaient réduits aux clameurs furibondes d'une impuissante colère. Tout cela s'apaiserait bientôt d'ailleurs grâce à l'institution du séminaire général, clef de voûte du nouveau système et condition indispensable de la soumission de l'Eglise belgique aux principes de l'Etat. Quelques troubles y avaient bien éclaté parmi les étudiants dès 1781. On avait brisé des vitres, hué des professeurs, manifesté tout à la fois contre la mauvaise nourriture, la mauvaise bière et le mauvais enseignement. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Le parc de Bruxelles et le palais du Conseil souverain de Brabant (après 1783). Le 10 mai 1776, une convention fut signée entre le gouvernement et la ville de Bruxelles : celle-ci s'engageait  niveler le parc, la rue Royale, la rue de Brabant (rue de la Loi actuelle) et la rue Ducale. Le tracé du parc actuel fut confié à Zimmer, inspecteur de la forêt de Soignes. Au fond, le palais érigé de 1779 à 1783 pour le chancelier et pour le Conseil souverain de Brabant. La gravure originale, œuvre de B.-F. Leizel (seconde moitié du XVIIIe siècle) d'après B.-C. Ridderbosch, est une vue d'optique, par conséquent inversée. Il avait fallu envoyer des soldats mettre à la raison ces séminaristes échauffés. Sans doute leur mauvaise humeur persistait. Raison de plus pour tenir bon et se montrer inébranlable. Vis-à-vis de l'Eglise, la manière forte était la seule bonne. L'expulsion du nonce Zondadari (14 février 1787), qui avait publié sans autorisation le bref de Pie VI condamnant le Quid est papa d'Eybel, avait montré que Joseph était décidé à aller jusqu'au bout et à n'épargner personne (129). La nation était trop profondément catholique pour n'avoir pas compati douloureusement aux humiliations infligées à un clergé qu'elle aimait et qu'elle vénérait. Bien rares étaient les « philosophes », plus rares encore les prêtres « éclairés » qui ne considéraient pas les innovations impériales comme autant d'atteintes à la religion. Les lois sur le mariage inquiétaient les consciences; les édits réglementant les processions et supprimant les confréries heurtaient des habitudes invétérées de piété et de charité. Les familles nombreuses gémissaient sur la sécularisation des couvents, asiles sûrs, économiques et respectables pour tant de jeunes filles et de jeunes gens. En secret, on s'étonnait, on s'indignait même de l'apathie des évêques. Mais ce n'était pas aux fidèles à leur en remontrer. Puisqu'ils s'inclinaient, force était bien de faire comme eux. L'Eglise paraissait donc abandonnée sans ressources au « joséphisme » lors-qu'éclata l'agitation déchaînée par les édits du 1er janvier 1787. Aussitôt, à l'opposition politique se joint l'opposition cléricale. Les Etats, protagonistes des droits de la nation, seront aussi les sauveurs du catholicisme persécuté. Les griefs religieux s'ajouteront aux griefs constitutionnels, feront masse avec eux et entraîneront. comme une avalanche, réformes et nouveautés. Déjà le discours du comte de Limminghe et le mémoire de van der Noot agglomèrent les unes aux autres les infractions aux privilèges et les infractions à la foi. Les étudiants du séminaire, « abandonnés par leurs évêques », s'adressent aux représentants de la nation et les supplient de les arracher au joug de l'hérésie que l'on veut leur imposer (130). Leur audace anime les courages. Le supérieur des Capucins refuse de laisser partir les novices de son ordre pour le séminaire, dont il déclare la doctrine schismatique. L'Université s'ébranle aussi. Le 24 mai, elle envoie un mémoire aux Etats de Brabant, se réclamant de sa qualité de « corps brabançon » pour rejeter toutes les innovations qui y ont été introduites dans les dernières années. Désormais, la voie est ouverte, et de toutes parts on s'y engage. Ce ne sont plus seulement les Etats de Brabant, de Flandre, de Hainaut qui sont assiégés de solliciteurs. Les Ursulines de Bruxelles portent leurs plaintes aux « nations »; le chapitre de Malines, au Conseil de Brabant; le clergé de la West-Flandre va jusqu'à adresser ses doléances directement à l'empereur. La faiblesse du pouvoir, la reculade des gouverneurs puis celle de Murray achèvent de confondre la question constitutionnelle avec la question religieuse. Le 28 juin, le Conseil de Brabant suspend l'exécution de toutes les nouveautés introduites à l'Université. Le 20 septembre, les Etats de Brabant écrivent à ceux des autres provinces que les difficultés soulevées par eux le 28 août contre les « préalables » s'étendent au séminaire général, qu'ils considèrent comme subversif des droits de la province et comme tendant à introduire une nouvelle doctrine en matière de foi. Ils les engagent à se joindre à eux, et là-dessus (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Combat de rue entre les volontaires brabançons et les soldats autrichiens à Bruxelles, le 20 septembre 1787. Gravure anonyme du temps. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) « Messire Henri Charles Van der Noot, Avocat au Conseil Souverain de Brabant et des Estats » (Bruxelles, 1731-Strombeek, 1827). Portrait gravé par F. Bartolozzi (Florence, 1727-Lisbonne, 1815) d'après P. de Glimes (seconde moitié du XVIIIe siècle) et publié à Londres en 1787. Extrait du recueil factice intitulé Princes, souverains et gouverneurs généraux des Pays-Bas, p. 72. Au bas de la gravure, non visibles sur l'Illustration, les armoiries de Van der Noot et sa devise : RESPICE FINEM. Murray déclare, le même jour, l'ouverture du séminaire, que les étudiants ont abandonné, remise au 1" novembre. A cette concession répondent naturellement de nouvelles exigences. Les Etats protestent maintenant à l'envi contre les réformes religieuses et en demandent l'abolition : ceux de Tournai le 16 octobre, ceux de Flandre le 19, ceux de Malines le 5 novembre, deux du Hainaut le 8 décembre. En présence d'un mouvement politique soutenu et exaspéré par la passion religieuse, la tâche de Trautt-mansdorff était singulièrement ardue. Il s'y trouvait, au surplus, aussi peu préparé qu'il est possible. Diplomate de cour formé dans la chancellerie viennoise, il ignorait tout, non seulement du peuple qu'il était appelé à gouverner, mais de tout peuple en général (131). Pour lui, comme pour tous les agents de l'absolutisme, la nation n'était que l'objet ou, pour mieux dire, que le contenu de l'Etat. Que la liberté politique fût réclamée au nom des droits de l'homme ou au nom des privilèges, elle lui paraissait également subversive et incongrue, songe-creux de philosophes utopistes ou idéal archaïque de réactionnaires. L'obéissance au souverain est la seule garantie de l'ordre et du progrès. Seuls les préjugés ou le « fanatisme » peuvent nier une vérité aussi élémentaire. Malheureusement on avait composé avec eux et force était bien d'en tenir compte. La déclaration du 21 septembre avait restauré les constitutions. « Chaque femme, chaque enfant sait par coeur » la Joyeuse-Entrée, qui « avait été presque oubliée auparavant » (132). Impossible de revenir sur les concessions faites. Mais la diplomatie est abondante en ressources. Trauttmansdorff ne l'a pas pratiquée en vain. Il interprétera les constitutions comme on interprète un traité désavantageux. Les respecter dans la forme, en prenant leur texte à la lettre, et les tourner dans l'application, telle est la conduite qu'il se propose. Elle semble d'autant plus aisée que les privilèges ne contiennent pas un système de gouvernement. Ils se contentent de limiter le pouvoir souverain sans en réglementer l'exercice. Rien de plus simple, en conséquence, que d'étendre ce pouvoir à tous les domaines qu'ils ne lui interdisent pas, de recourir, pour le consolider, à toutes les ressources qui n'excluent pas formellement, d'introduire l'absolutisme dans tous les services, dans toutes les questions que les vieilles chartes du XIVe siècle n'ont pas prévus, si bien qu'à la longue, les franchises qu'elles consacrent se trouveront réduites à l'impuissance, inapplicables, ridicules et finiront par disparaître. Dès le mois de décembre, le ministre annonce au Conseil de Brabant « que les Etats avaient réclamé leur constitution... qu'elle leur serait maintenue, mais qu'on ne permettrait pas qu'ils en abusent pour y ramener chaque objet, et que Sa Majesté entendait qu'elle fût généralement observée avec la plus stricte exactitude en tous les points favorables à son autorité; qu'on ne passerait jamais cette ligne de démarcation, mais qu'on n'en reculerait pas d'un pas, et que le temps prouverait si la nation avait beaucoup gagné en obligeant Sa Majesté à exercer ses droits dans toute l'étendue que lui attribuait cette loi fondamentale dont on avait espéré profiter pour s'y soustraire» (133). TACTIQUE DE TRAUTTMANSDORFF. - Cette tactique déconcerta tout d'abord l'opposition. Plus elle avait évoqué la légalité, plus elle se trouvait désemparée devant une politique qui, tout en travaillant à substituer la puissance souveraine à l'autonomie nationale, se targuait ironiquement de respecter les formes. Que pouvait-elle objecter à la réintégration du chancelier Crumpipen au Conseil de Brabant, au projet d'y créer une troisième chambre, afin d'y former une majorité dévouée aux vues de l'empereur, à la défense faite au Conseil de correspondre avec les Etats, à la révocation de l'édit accordant aux Conseils de justice le droit de présenter des candidats aux places vacantes dans leur sein ? C'étaient là autant de points sur lesquels la Joyeuse-Entrée était muette. La manoeuvre de Trauttmansdorff réussissait. Engoncée dans la pesante armure de ses constitutions, la nation s'étonnait et s'indignait d'avoir affaire à un adversaire qui évitait subtilement de l'attaquer en face et la frappait, sans qu'elle pût parer le coup, au défaut de la cuirasse. Peu à peu le gouvernement reprend « le style accoutumé d'autorité qu'on n'osait plus risquer ». « La tournure des affaires, écrit le ministre, a sensiblement changé. Les représentations infinies qu'on se permettait jusques ici, semblent devoir cesser; la vue de supplication vient déjà d'y être substituée. On n'ose plus me parler d'un refus de subsides, d'émeutes et de tout plein d'autres objets qu'on cherchait à me faire craindre.» Le 1" décembre, les Etats de Brabant, n'ayant plus d'échappatoires à invoquer, se sont résignés à voter l'impôt et à se séparer (134). Et de loin Joseph II applaudit. Il ne songe plus qu'à la revanche qu'il va prendre sur la désobéissance de ses sujets. Il ne parle plus de « bien général ». Il sait qu'il est haï par la nation, qu'il « faudra une génération » pour effacer le souvenir de ce qui s'est passé, et il ne cache pas l'antipathie qu'il ressent désormais pour la Belgique. « Ne croyez pas, dit-il à Trauttmansdorff. à l'enthousiasme ni à l'attachement non plus qu'à l'amour que cette nation ou ses porte-parole vous témoigneront pour moi et aussi pour vous... Que sic volo, sic jubeo soit votre devise» (135). Il lui recommande de ne pas «rompre des lances sur chaque misère », de remettre en vigueur « tous les droits sur lesquels on a osé empiéter, en les soutenant avec du canon et des baïonnettes », de « faire punir sévèrement les auteurs des libelles, et fouetter en place publique les hueurs et ceux qui menacent » (136). MALADRESSE DU GOUVERNEMENT. - Cette impatience, cette rigueur de despote aigri ne sont pas sans embarrasser Bruxelles. Le ministre s'effraye du ressentiment qu'il constate autour de lui. Il ne cache pas que le mal lui paraît incurable. Il voudrait que l'empereur se défît des Pays-Bas. « Ce sont de superbes provinces, mais qui ne connaissent plus le prix de vous appartenir et ne méritent plus le bonheur de vous avoir pour maître, tout comme Votre Majesté ne pourra plus guère leur être aussi attachée qu'à celles qui lui ont en tout temps et en toute occasion donné des témoignages de fidélité. Leur éloignement du corps de la monarchie m'en faisait toujours désirer l'échange en politique et en bon patriote, mais aujourd'hui je le souhaite doublement sous un point de vue philosophique et comme sujet aussi zélé que personnellement dévoué à mon maître, prévoyant que ce lien d'intérêt si nécessaire entre le souverain et son peuple pour le contentement de l'un et la prospérité de l'autre, restera toujours altéré par les événements malheureux que bien des causes ont fait naître » (137). Pourtant il est si satisfait des résultats qu'il a obtenus, qu'il ordonne, le 17 décembre, de remettre l'administration du pays dans l'état où elle se trouvait le 1er avril, et que, le 28, il prescrit la réouverture du séminaire général et signifie à l'Université de Louvain qu'elle n'est pas un « corps brabançon » et n'a comme juge que Sa Majesté (138). Ainsi la question politique et la question religieuse sont rouvertes à la fois. Il eût été prudent de résoudre la première avant de s'atta- cher à la seconde. Trauttmansdorff constatait lui-même que le rétablissement du séminaire était indifférent à beaucoup de monde; la noblesse ne s'y intéressait pas. Il ne tenait guère à coeur, disait-il, qu'à la « prêtraille » et aux moines (139). Peut-être, en agissant avec prudence, le gouvernement se fût-il rallié les novateurs et les « philosophes », ennemis du « fanatisme » et de la « superstition ». Mais trop pressé d'arriver au but et jetant le masque trop tôt, il reconstitua contre lui le bloc de la résistance, au lieu de le désagréger. L'ordre du 17 décembre réveillait le conflit constitutionnel. Il ramenait sur l'eau les édits du 1" janvier et les « préalables » dont Murray avait annoncé l'annulation au nom de l'empereur. Comme les Etats n'étant pas assemblés en ce moment, ne pouvaient agir, Trauttmansdorff se croyait assuré du succès. Mais les Conseils de justice intervinrent à leur place. L'exemple du Parlement de Paris, qui venait de soutenir contre Louis XVI une lutte victorieuse, les excitait à frapper, eux aussi, un grand coup et à se poser, en face de la nation, comme les protecteurs des lois fondamentales. Le 21 janvier 1788, le Conseil du Hainaut refusait de publier la déclaration ministérielle, et le lendemain celui de Brabant suivait son exemple. Le moment était décisif. Trauttmansdorff s'était avancé trop loin pour pouvoir reculer. Il fit défendre aux conseillers de se séparer avant d'avoir publié l'édit. Aussitôt la nouvelle s'ébruite. Des rassemblements tumultueux se forment devant l'hôtel du Conseil et acclament les magistrats. D'Alton envoie des patrouilles pour les disperser. Elles sont accueillies par des huées; on leur lance des pommes de terre et des cailloux. Poussée à bout, l'une d'elles fait feu et sa décharge couche par terre six à sept (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) d'Alton et Trauttmansdorff enfermés dans deux cages et exposés à la risée publique. Gravure satirique anonyme (1787-1789). A voir pour six deniers dans une cage — Deux Monstres enchaînés, la fureur et la rage Au-dessus de la cage de d'Alton, l'inscription • Le grand Tigre d'Hibernie; au-dessus de celle de Trauttmansdorff : Le Léopard d Allemagne, touiours altéré de sang. Un père montre les deux « bêtes » à son enfant : Vois-tu, Pierrot, là-haut chanter — La cruauté de deux bêtes féroces ? — C'est Trauttmansdorf, d'Alton, et leurs crimes atroces — Qu'il doit de ville en ville en cage transporter — O vous qui sentîtes leur rage, Vous qu'ils avoient juré tous deux d exterminer — Belges, venes (sic) leur rendre outrage pour outrage. — S'ils vous ont épargnés, ils n'ont pu vous tuer. Ces derniers vers ne sont pas reproduits ci-dessus. Sur la gravure originale, ils figurent au bas de l'illustration. spectateurs. Ce fut une consternation générale. Depuis si longtemps le peuple était accoutumé à mépriser les troupes, que leur vigueur inattendue le stupéfia plus encore qu'elle ne l'effraya. Rien n'était préparé pour une émeute : on avait cru qu'il suffirait comme jadis de pousser des cris pour l'emporter. Le mouvement sombra dans le désarroi. En un instant les rues se vidèrent et les conseillers, aussi désorientés que le peuple, donnèrent enfin leur consentement après une séance de quinze heures. « C'est une victoire très conséquente pour les suites », écrivait la nuit même Trauttmansdorff (140). Et rien n'était plus exact, mais non pas dans le sens où il l'entendait. Le sang qui venait de couler, le premier qui eût rougi le pavé de Bruxelles depuis l'exécution d'An-neessens, éclaboussait l'empereur. Entre lui et la nation, la rupture désormais était irréparable. Malgré tout, le loyalisme jusqu'alors s'était maintenu intact. On discutait les droits du souverain, on ne discutait pas sa personne; beaucoup même de ses plus ardents adversaires rendaient hommage à ses intentions. Les coups de fusil des « assassins enrégimentés » (141) de d'Alton dissipèrent ces derniers vestiges de respect. Le philosophe de Vienne ne fut plus pour la Belgique qu'un tyran et qu'un ennemi. GRAVITE DE LA SITUATION. - Trauttmansdorff s'aperçut bientôt du changement. Sans doute aucun mouvement n'était à craindre. Il n'y avait plus de volontaires, et les soldats, occupant toutes les villes principales, répondaient de l'ordre. Mais justement ce déploiement de forces, ce régime d'état de siège, inconnu de tout temps dans le pays depuis l'époque du duc d'Albe, y attisait au fond des âmes une haine sourde et d'autant plus menaçante qu'elle était forcée de se contraindre. D'Alton était devenu l'homme de la situation et, couvert par l'empereur, ne s'embarrassait pas des objections du ministre. Le militaire l'emportait décidément sur le civil, enchanté de lui prouver sa supériorité et comment la force bien conduite sait mettre un peuple à la raison. Il était si confiant en lui-même qu'au mois de juin il renvoyait en Autriche le régiment de Bender. Pourtant des symptômes graves se manifestaient. L'emprunt ouvert pour la guerre de Turquie ne trouvait pas un seul souscripteur (142). Des pamphlets recommençaient à circuler de main en main « après une très longue pause ». (Bruxelles, Musée communal.) Christ autrefois appendu dans la salle du tribunal des écnevins à de ville de Bruxelles. Plâtre. Date indéterminée. Le premier d'entre eux, le « Guide fidèle pour le Brabant », qui fut brûlé par la main du bourreau (143), « contient plus de mauvais principes, plus de venin et excite plus à la sédition que toutes les platitudes qui ont paru depuis les dix-huit mois de folie de ces pays : car il reconnaît les Etats comme partageant la souveraineté avec le prince, associe même à cette souveraineté le Conseil de Brabant, et dit que les Etats ont le droit de déposer le souverain et d'en choisir un autre; enfin il provoque ouvertement à la révolte en présentant aux imbéciles, incapables d'en juger, un tableau absurde de l'état actuel de l'Europe » (144). Cet état, en effet, ne se prêtait que trop bien à fomenter les espoirs que la colère entretenait dans les cœurs. L'empereur était à Semlin, malade et menant contre les Turcs une campagne malheureuse. La Prusse surveillait jalousement les mouvements de l'Autriche. L'échec du soulèvement des « patriotes » hollandais avait fait affluer à Bruxelles quantité de réfugiés dont l'exaspération était contagieuse. Et la France, d'où les gazettes apportaient de jour en jour la nouvelle des épisodes dramatiques et enthousiastes qui précédèrent la convocation des Etats-Géné-raux, « troupes obligées de se retirer, inexécution d'ordres par des officiers nationaux qui refusaient de servir contre leur patrie, gouverneurs de provinces demandant à genoux grâce pour leur vie, troupes forcées à quitter leurs armes en présence d'un peuple innombrable qui les assaille, ne faisait que montrer davantage encore les esprits et occasionnait une sorte de fanatisme toujours dangereux, mais plus redoutable encore au moment où il en régnait déjà tant ici, qu'il ne fallait rien de plus pour l'augmenter» (145). Pour surcroît de difficultés, il fallait, afin d'obéir à l'empereur, mettre au pas l'Université et l'Eglise. La première s'était montrée si intraitable dans la revendication de ses privilèges, que force avait été de faire occuper ses locaux par la troupe, de casser le recteur, d'ordonner le transfert des facultés à Bruxelles (146) et de faire venir de Vienne quelques professeurs pour remplacer ceux qui, en masse, s'exilaient volontairement. Quant au séminaire, l'agitation qu'il provoquait empirait de jour en jour. Ce n'était plus seulement la « prêtraille » qui menait campagne contre lui. Les évêques venaient enfin d'élever la voix, d'invoquer des scrupules d'orthodoxie et de se rallier (Cliché Bijtebier.) 'hôtel ainsi la nation, qui n'attendait qu'un mot de leur bouche pour donner carrière à son indignation trop longtemps contenue contre les réformes religieuses. Pour elle, tout est maintenant possible et croyable. On répand le bruit que Joseph II a abjuré le catholicisme. La fermeture des séminaires diocésains, d'où il faut expulser les étudiants manu militari, provoque des bagarres à Anvers, à Louvain et à Malines. Naturellement le séminaire général n'en devient que plus odieux. Au mois de juin, il ne renferme que dix-huit élèves. OBSTINATION DE L'EMPEREUR. - Trauttmansdorff commence à comprendre que l'on n'arrivera à rien par la rigueur. Il voit bien que la surexcitation religieuse entretient la surexcitation politique. Il voudrait que l'on gagnât les évêques par quelques concessions, car l'apaisement du peuple, le succès des emprunts, la reprise même des affaires et du commerce « plongés dans une stagnation complète » sont à ce prix. Il insinue timidement qu'au lieu d'avoir toujours à la bouche les mots de « résistance » et de « désobéissance », il serait prudent de composer avec les « préjugés » comme on le faisait sous le ministère de Cobenzl. « Je ne saurais dissimuler à Votre Majesté que les coeurs ne sont pas ramenés encore comme je le désirerais, pour n'avoir plus à s'attendre à l'égarement des faibles esprits de ces pays-ci, où on attache plus de valeur à une procession, à une bannière ou à un petit habit de gala dont on décorait un saint (Louvain, place de l'Université.) (Cliché A.C.L.) Façade du « Collège du pape » à Louvain, siège du séminaire général fondé par Joseph II. Ses origines remontent à 1523. Le 8 septembre de cette année, l'ancien professeur à l'université de Louvain et précepteur de Charles-Quint, le pape Adrien VI, fonda le collège par testament. Rebâti en partie en 1660, il fut complètement reconstruit par l'architecte du gouvernement autrichien, Mon-toyer, et achevé en 1778. En 1786, Joseph II y installa le séminaire général. Par la suite, le collège servit de local de réunion à un club républicain francophile (1792), de siège d'une succursale de l'Hôtel des Invalides de Paris (1800), de collège philosophique sous Guillaume I" (1825-1829), de magasin de fourrage et de caserne (après 1830), avant de redevenir pédagogie de l'université (1835). (Anvers, église Notre-Dame.) Corneille-François de Nélis (Malines, 1736-Campo Maduli, près de Florence, 1798), dix-neuvième et dernier évêque d'Anvers, de 1785 à 1789. Rallié aux idées de Joseph II, il prit cependant position aux cûtés des Etats contre les réformes de l'empereur et devint le premier président des Etats généraux des Etats belgiques unis. Après avoir vainement essayé de se réconcilier avec Léopold II et François II, il s'exila en Italie. — Dessin colorié anonyme de la fin du XVIII' siècle extrait du Livre d'or de la « Broederschap van de XlVdaagse Berechting ». destiné à être exposé à la vénération du public dans de certains jours, qu'aux affaires les plus conséquentes pour le bien total du pays... Votre Majesté ne croirait jamais que la mauvaise humeur que les ordonnances émanées à ce sujet ont causée, nous prive de bien des millions qui seraient en circulation, mais qui, appartenant à des moines ou à des femmes béguines et autres personnes dirigées par eux, restent enfouis par opiniâtreté, dans le vain espoir de voir revenir ces anciennes coutumes, ce qu'ils appelaient rétablir la constitution; et j'oserais être garant que la ville d'Anvers fournirait à elle seule trois à quatre millions de dons gratuits et plus que cela encore en fonds publics si on la satisfaisait sur ces intéressants objets de leurs désirs, et que la prêtraille fût tranquillisée sur celui du séminaire général qu'elle a en horreur, comme devant être le tombeau de son existence » (147). Mais l'empereur n'entend à rien. Si les jeunes gens refusent d'aller au séminaire, qu'on les « enrôle » et qu'on les envoie à Vienne pour y faire leurs études. Il vaut mieux « laisser venir les choses à toute extrémité plutôt que de céder ». L'émotion causée par les événements de France n'a aucune importance. « Le patriotisme paraît se réduire dans ce pays-là à faire chasser des ministres pour prendre leur place et voler l'Etat. Tout ce qui s'écrit, tout ce qui se fait dans ses provinces sont de ces phrases, de ces actes sentimentaux auxquels je n'attribue pas grande valeur. Il dépendra de savoir si le Roi aura la volonté et la fermeté de soutenir ce qu'il a ordonné, et s'il l'a, il fera tout ce que bon lui semblera, parce qu'il tient l'intérêt. £mtjç//à?AiïiLJÎin-tiierott& tciitjjfiiuct Jtyjirttttotu, anecc)tpr/ut ejtrxtjjt a c/mcttu de JeAc < u,àicJ ^enctcu,,ynr.6 /îi icyitiat Dt Jlaiujitejttt/UÏtjtâti/^attcutt.ÛcU- -& à-%nutl ou^aij.c,ci^iaut ck rfbamtwuumtpct^n-hn / /hmj £^c)TeX>ùcSe'iottc tyotiiii tuijt àcry/C côtt.G. c Jùotttiou.Cet Oh)etittttti,Ca &c*i.( L'cuj att 'ifanriatttimhavbe Je tty/ït etcôujïïiutn Je/en ce. Car amjfVi'ou.t) j iL\d il .Ou £v///tnift/,ryc dépitai Ai'uJ atnu.CJtMe Lé %rcjr/ttc.C.ri lHoat>yawtt.<-tncttlc\ Sa/tcfînuù 'otute a JitJctméoMy fe/f!jttttt. /'tltiDcificict ttî/jeyit^utt Or / cvct/Jtiej fboutùth tt j Dee'io/êttte tittcùmvtui■ .t (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Musée.) Dispositif et formules finales du diplôme par lequel Joseph II casse le Conseil de Brabant (16 juin 1789). [Le] Conseil de Notre Province de Brabant venant d'ajouter la désobéissance la plus marquée aux excès scandaleux qu'il s'est permis en 1787, Nous le cassons et supprimons, avec défense expresse à chacun de ses Membres d'exercer, après ta réception de Notre présent Diplôme, aucun acte d'autorité, de Jurisdiction (sic) ou fonction quelconque du chef de leurs ci-devant Employs, à peine de Bannissement perpétuel hors des Terres de Notre Domination aux Pays-Bas. Mandons et Ordonnons à Tous Ceux qu'il appartiendra, de se régler et conformer selon ce. Car ainsi Nous plait-il. En Témoignage de quoi Nous avons signé les Présentes, et Nous y avons fait mettre Notre Grand Scel. Donné à Luxembourg le 6 juin, l'An de grâce Mil sept cent quatre vingt neuf, et de Nos Règnes, de l'Empire Romain le vingt cinquième, de Hongrie et de Bohême le neuvième. — Signature autographe de l'empereur. Au bas du diplôme est appendu le grand sceau de majesté, de cire rouge, de Joseph 11. l'existence pour ainsi dire de toutes les familles entre ses mains, et le désir de toutes les autres» (148). A ces prophéties venues de Semlin, la réalité ne répond guère. D'inquiétants symptômes dévoilent que l'influence de la France, après avoir enthousiasmé les esprits, commence à les pousser à l'action. Trauttmansdorff reçoit des lettres le menaçant de mort. Les agitateurs reprennent courage et recommencent leurs menées. Des billets se répandent excitant à la révolte, disant qu'il est temps de s'armer et qu'il ne faut pas laisser échapper le moment de défendre la constitution, les privilèges et la religion. La police se met aux trousses des suspects; on multiplie les perquisitions et les visites domiciliaires. L'avocat van der Hoop, réfugié à Liège, y est arrêté. On cherche à découvrir contre les principaux membres de l'Etat de Brabant, le comte de Limminghe, le baron de Hove, l'abbé de Parc, des preuves permettant de les «envoyer coucher à la citadelle d'Anvers» (149). Van der Noot, menacé de prise de corps, s'enfuit à l'étranger le 6 août, et Trauttmansdorff envoie son signalement aux commandants de place, leur décrivant « ses larges épaules, son visage large, d'ailleurs marqué de la petite vérole, sa physionomie funeste, ses yeux égarés, son teint plombé, sa démarche lourde et pesante, son ton très brusque », sans oublier de décrire sa perruque assez mal arrangée, le plus souvent ronde avec une seule boucle, et de les avertir « qu'il tient assez régulièrement la tête de travers » (150). Cependant, l'audace du clergé grandit sans cesse. A Anvers, le nouvel évêque, Nélis, jadis tout autrichien, « mais qui n'a pas plutôt coiffé sa mitre, qu'il a changé de système» (151), dirige adroitement la résistance. Il exhorte les nobles à ne plus fréquenter les bals et les spectacles, « pour n'être pas obligés de se trouver dans ces endroits publics avec les officiers qu'ils appellent leurs bourreaux » (152). Au commencement de septembre, les nouvelles qui arrivent de Flandre semblent annoncer que, comme en France, l'anarchie va s'emparer des campagnes. Des bandes armées de paysans se forment dans la châtellenie d'Audenarde. Ils arborent, il est vrai, la cocarde noire et crient : Vive l'Empereur ! « mais se permettant au reste tout ce qu'un peuple effréné ose au moment de l'émeute la plus caractérisée... jusqu'au point de tirer sur les huissiers et officiaux » (153). Il se commet tant d'« indécences » de toutes parts qu'il faudrait une armée de « fiscaux » pour en venir à bout. La brutalité des troupes justifie au surplus, jus- qu'à un certain point, l'effervescence du pays, « dont on a en général traité les habitants un peu rondement depuis quelque temps » (154). REFUS DES IMPOTS. - Et voici qu'avec l'automne arrive l'époque de la réunion des Etats. Il faut éviter à tout prix qu'ils refusent l'impôt. Or, les dispositions de ceux de Brabant permettent de tout craindre. Habituellement on les assemble les premiers, et leur conduite détermine presque toujours les résolutions des autres provinces. Cette fois, par prudence, le ministre s'écarte de la règle et se décide à ne les convoquer qu'en dernier lieu. Il se tient assuré que de cette façon « les autres, de la part desquels il n'y a nulle difficulté à attendre, ne seront pas pervertis par le mauvais exemple» (155). En effet, les Etats de Namur et de Limbourg s'exécutèrent, mais le 18 novembre, ceux du Hainaut rejetaient le subside. Et le 29, le Tiers-Etat du Brabant les imitait ! Ainsi, en dépit des efforts du ministre, après tant d'assurances données au maître de l'obéissance du pays on se retrouvait au même point qu'un an auparavant. Trauttmansdorff désorienté, ne sait plus que devenir. Recourir à la force, « à laquelle il faudra toujours en venir un jour », la guerre en Turquie s'y oppose en ce moment. Rétablir les constitutions au vœu des Etats, ce serait « subordonner la volonté du souverain à celle de la nation et se mettre pour ainsi dire sous la tutelle du peuple ». Tout bien réfléchi : le mieux est encore « de ne rien faire» (156). SUPPRESSION DES CONSTITUTIONS. - Joseph II dut bondir à l'idée de cette solution piteuse. L'ère des ménagements était finie. Le refus du subside équivalait à une rébellion. En violant le serment de fidélité qu'ils lui avaient prêté, les Etats le relevaient de celui qu'il avait prêté lui-même à leurs constitutions. Le 7 janvier 1789, de Vienne où il vient de rentrer, épuisé de corps, mais toujours aussi ardent au travail et à la lutte, il signifie aux Etats de Hainaut et de Brabant qu'il n'est plus lié ni par leurs privilèges ni par la Joyeuse-Entrée. Les habitants des deux provinces sont mis hors la loi; aucun d'eux ne sera pourvu à l'avenir de fonctions quelconques, civiles ou ecclésiastiques, et une enquête sévère sera entreprise contre les plus coupables (157). Ce coup d'Etat terrorisa tout d'abord l'opinion. « C'est une victoire complète », écrit Trauttmansdorff, réconforté par l'énergie du maître : « tout est fini » (158). Les excuses des Etats de Brabant sont si complètes qu'il les laisse provisoirement en jouissance de la Joyeuse-Entrée. Mais il s'apprête à faire un exemple en Hainaut pour le plus grand bien des autres provinces. L'administration par les Etats y est anéantie, le subside permanent va y être introduit. Il prend le silence qui accueille ces mesures pour un acquiescement. Il se persuade que le peuple est enchanté «de voir annuler l'influence des Etats» (159). Chacune de ses lettres est une fanfare de triomphe. Sa Majesté peut désormais «tout se permettre... tout est à ses pieds». Mais il faut profiter de l'occasion pour établir une organi- (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Pichonnier.) Porte-étendard des volontaires brabançons de Turnhout (1785). Tableau à l'huile d'A.-J. Van Imschoot (1821-1854) d'après une source contemporaine. sation nouvelle. Le Tiers-Etat du Brabant doit être remanié et soustrait à l'influence des « nations » de Bruxelles et des métiers d'Anvers et de Louvain. L'introduction de délégués du plat pays le rendra plus maniable. N'est-ce pas le moyen qui a été employé en Flandre en 1754 pour briser la résistance des « trois membres » et obtenir l'impôt perpétuel? Dès le 1" février, le ministre s'occupe de ce projet. Il fait « agir sous main dans les petites villes et dans les bourgs » pour les gagner à ses vues, et l'empereur récompense une si belle ardeur en lui envoyant la Toison d'Or. La réforme du Tiers-Etat de Brabant ne prêtait à aucune objection constitutionnelle. La Joyeuse-Entrée ne spécifiait pas la composition des Etats, et c'était la tradition seule qui avait restreint aux trois chefs-villes, Bruxelles, Louvain et Anvers, la représentation des bourgeoisies de tout le duché. Mais il était grave de toucher à leurs prérogatives avant d'y avoir préparé l'opinion. Il aurait suffi de la consulter pour être certain du succès. Les partisans sincères du régime représentatif réclamaient depuis longtemps une représentation complète du Tiers. Les paysans et la population des petites villes se fussent aussitôt ralliés à eux par intérêt. Avec un peu de patience, on réussissait : la précipitation gâta tout. Le 29 avril, un diplôme impérial décidait que le Tiers-Etat de Brabant serait représenté désormais par cinquante» cinq députés des villes de Louvain, Bruxelles, Anvers, Tir-lemont, Léau, Nivelles, Lierre, Vilvorde, Hannut, Genappe, Hoogstraeten, Turnhout, Gheel, Aerschot et Wavre, les trois premières nommant respectivement six, quinze et dix députés, et chacune des autres deux (160). La majorité était donc acquise aux grandes communes. Néanmoins, la faculté qu'elles s'étaient arrogée jusqu'alors de faire dépendre de leur consentement les résolutions des Etats, était anéantie. L'article 14 de l'ordonnance stipulait, en effet, qu'à l'avenir les décisions du Tiers devaient être prises en même temps que celles des deux autres ordres et sans qu'ils pussent se séparer. C'était abolir la vieille coutume qui faisait de Louvain, de Bruxelles et d'Anvers les arbitres des Etats, en permettant à chacune d'elles de déterminer le vote de ses députés et en leur reconnaissant le droit de veto à tout consentement auquel elles n'adhéraient point. En d'autres temps et sous un autre prince, cette survivance du moyen âge n'eût trouvé sans doute, à part ceux qu'elle intéressait directement, que de bien rares défenseurs. Mais survenant au milieu des passions déchaînées et portant la signature de Joseph II, la réforme, si raisonnable qu'elle fût, passa pour une nouvelle machine de guerre du despotisme. Le Conseil de Brabant refusa de l'enregistrer, et il n'était pas douteux que les Etats la rejetteraient unanimement. L'énergie avait d'ailleurs trop bien réussi à l'empereur quelques mois plus tôt pour qu'il ne fût pas décidé à aller jusqu'au bout. Le 6 juin, il édictait la nouvelle organisation en même temps qu'il déclarait pour l'avenir les subsides payés par le Brabant fixes et permanents. Que si, dans leur aveuglement, les Etats ne saisissaient pas cette occasion de « sauver la constitution », il donnerait plein et entier effet à sa dépêche du 7 janvier, et « n'étant plus alors arrêté par aucune gêne que la constitution lui faisait éprouver, il saurait rentrer dans toute l'étendue de ses droits de souveraineté» (161). Il avait donné l'ordre «de tout finir d'une façon ou de l'autre ». ABOLITION DE LA JOYEUSE-ENTREE. — Le 18 juin, Trauttmansdorff somme les Etats d'obéir. Les troupes étaient sous les armes et prêtes à marcher. On pouvait s'attendre à tout. Pourtant l'assemblée ne fléchit pas. Deux jours auparavant, et la coïncidence des dates n'est sans doute pas fortuite, le cardinal de Franc-kenberg s'était enfin décidé, après bien des angoisses, à déclarer non orthodoxe l'enseignement du séminaire. La crise religieuse et la crise politique arrivaient donc en même temps au paroxysme. La conscience et la foi s'unissaient pour exiger la résistance. Après une séance de huit heures, les Etats firent parvenir leur refus au gouvernement. « J'en suis fâché, Messieurs », répondit froidement Trauttmansdorff à la députation qui l'apportait (162). Elle l'avait à peine quitté que les soldats occupaient la ville, et qu'un commissaire venait annoncer aux Etats l'abolition de la Joyeuse-Entrée, et saisissait leurs greffes et leurs caisses. Le Conseil de Brabant fut dissous en même temps que les Etats. Quelques instants avaient suffi pour briser la constitution qui, depuis bientôt cinq siècles, avait été consacrée par tant de serments et avait résisté à tant d'entreprises. Les vainqueurs s'attendaient sans doute à une explosion de fureur. Ils furent étonnés du calme qui accueillit leur triomphe. D'Alton ne voyait pas au delà et félicitait rondement l'empereur d'un succès qui valait celui de la bataille de Colin, gagnée le même jour (163). Sa grosse joie agaçait Trauttmansdorff, plus défiant et qui craignait « des démarches de désespoir qui pourraient toujours embarrasser ». Il cherchait les motifs d'une tranquillité si extraordinaire après tant d'orages et, pour se rassurer, l'attribuait à « l'insouciance naturelle de cette nation dès que l'intérêt personnel n'est point blessé, et au peu d'énergie qu'elle a dans son caractère... Qu'est-ce que c'est qu'une révolte de poltrons ? Quelle peut être la tenue d'une nation de cette trempe ? Ennuyé du rôle qu'on lui a fait jouer, elle est contente de revenir à Votre Majesté. Si les choses avaient tourné autrement, elle l'aurait été d'appartenir aux Etats; et si elle y trouvait du profit, elle le serait de passer au Grand Turc » (164). En réalité, elle se recueillait. Si étrange que cela puisse paraître à première vue, la plupart de ceux qui avaient réclamé le maintien des constitutions n'en regrettaient pas la perte. Elles ne leur avaient servi que d'armes contre l'absolutisme. Mais, à part les réactionnaires à la van der Noot, les privilégiés qui siégeaient aux Etats et les artisans des trois grandes villes brabançonnes qui disposaient à leur gré des résolutions du Tiers, personne ne se faisait illusion sur leur valeur. Il était trop évident qu'elles n'étaient plus adaptées aux nécessités du temps. Seuls les admirateurs du passé nourrissaient pour elles un respect religieux. Les novateurs, les esprits éclairés, les philosophes, beaucoup même parmi les paysans et les habitants des petites villes qu'elles excluaient de toute participation au pouvoir politique, les appréciaient au fond de la même manière que l'empereur. Comme lui, ils en condamnaient l'étroitesse et l'archaïsme, et c'est là ce qui faisait illusion à Trauttmansdorff. Il ne voyait pas que leur accord avec Joseph II dans la critique, au lieu d'impliquer leur adhésion au souverain, ne venait que de cet idéal de liberté politique et de gouvernement parlementaire qui entraînait en ce moment la France vers la Révolution. La veille même du jour où la Joyeuse-Entrée avait été cassée, les Etats-Généraux de Versailles s'étaient proclamés Assemblée Nationale. Le 20 juin avait eu lieu le serment du Jeu de paume, et l'on avait appris avec enthousiasme que les privilégiés renonçaient à leurs privilèges, que les ordres étaient abolis, que la nation tout entière, incorporée dans ses représentants, faisait corps en face du roi et partageait sa souveraineté. De si grandes, de si profondes, de si nobles nouveautés ravissaient tout le monde. On admirait l'adhésion du clergé et de la noblesse aux vœux du peuple. Entraîné par ce spectacle grandiose, on ne voyait plus que lui. Personne ne pensait plus au passé. Toutes les âmes frémissaient d'impatience et de désir. On entrevoyait enfin la disparition du despotisme qui écrasait la liberté en même temps qu'il violentait la religion. Comme en France, pendant cette courte aurore de la Révolution, le clergé et les « philosophes » fraternisaient dans les mêmes espoirs. SOULEVEMENT DU PAYS. - La nouvelle de la prise de la Bastille (14 juillet) tombant au milieu de cette fiévreuse attente provoqua une exaltation générale. Dès le 18 juillet, les «poltrons» dont Trauttmansdorff parlait si dédaigneusement quelques jours auparavant, ont pris une attitude menaçante. Ils l'effrayent si fort qu'il laisse percer sa terreur jusque dans la lettre où il affirme à Joseph II que « la crainte ne lui fera pas changer de conduite» (165). Pour s'enhardir, il ricane. «Les Français sont bien plus sages que les gens d'ici : ce n'est pas pour en revenir à deux cents ans en arrière qu'ils s'agitent; ils en reviennent à Adam, puisque le premier objet dont va s'occuper l'Assemblée pour former une nouvelle constitution, est l'examen des droits de l'homme» (166). Pourtant son désarroi augmente de jour en jour. Le 20 juillet, il espère encore n'avoir pas à redouter une « explosion pareille à celle de nos voisins ». Le 24, il avoue que « si le courage répondait au vertige qui tourne toutes les têtes, la fermentation générale, mais sourde encore, serait bientôt suivie d'une explosion subite et violente à laquelle il faut s'attendre dès qu'on croira pouvoir le faire sans risque ». Le 27 enfin, il ne doute plus de cette « explosion » (167). C'est qu'il vient d'apprendre que la perception des impôts a soulevé le peuple à Tirlemont. La troupe a fait feu; il y a eu beaucoup de morts et de blessés. Et bientôt, des épisodes aussi alarmants sont mentionnés à Diest, à Tournai, à Louvain. A Bruxelles, il se répand « des milliers de billets qui disent : Ici comme à Paris ». Les casernes sont inondées d'imprimés exhortant les troupes à imiter leurs camarades de France. Des personnages suspects se glissent dans le public, parlant d'une alliance avec la France, faisant espérer la protection du roi de Prusse. La nouvelle de la Révolution liégeoise, le 18 août, rapproche encore le péril. Visiblement on se prépare à la lutte. A Hasselt, un Comité patriotique appelle à lui des volontaires, et des quantités de jeunes gens courent s'y enrôler. « On déclare hautement que, quoique Votre Majesté puisse offrir, on ne se prêtera jamais à autre chose qu'à une constitution absolument pareille à celle que vient d'obtenir la France » (168). Peut-être serait-il prudent d'accéder à ce vœu et de profiter des circonstances « pour rendre une constitution à ce pays, sans qu'il soit question de près ni de loin de cette ennuyeuse Joyeuse-Entrée, et de la rendre uniforme en même temps pour toutes les provinces en se rapprochant du plan de Votre Majesté» (169). Mais Joseph II sent bien que l'heure est passée pour lui de réorganiser les Pays-Bas. Tout au plus se demande-t-il si l'on ne pourrait « tirer parti de ce qui se passe en France... pour faire comprendre qu'une grande partie de ces choses avait été imaginée et introduite par moi pour le bien public » (170). (Namur, Musée archéologique.) (Cliché Nels.) Le jeu d'échasses à Namur au XVIIIe siècle. Tableau non signé. Ainsi l'absolutisme débordé en est réduit à se justifier en invoquant les décisions de la volonté nationale. Il ne comprend pas que ce que l'on réprouve, ce sont moins ses actes que son principe même, et il s'étonne naïvement de voir applaudir, venant de la liberté, ce qu'on répudiait venant du despotisme. En attendant, il cherche à se maintenir, et il ne le peut plus que par la contrainte. Trauttmansdorff impuissant et désemparé, d'Alton saisit avec empressement le moment d'agir. Il n'a confiance que dans la force, et il en est toujours à croire que l'on dompte un peuple comme une mutinerie de caserne. Ce ne sont plus qu'arrestations arbitraires, visites domiciliaires, sommations et fusillades. « Il n'y a pas de jour où on ne tue ou blesse grièvement des citoyens» (171). On agit comme dans un pays « parfaitement révolté », et cela fait croire au public que le nouveau système de gouvernement, c'est l'arbitraire. Aussi la fureur croit-elle dans la même mesure que la répression. La propagande révolutionnaire s'allie à l'agitation que le clergé, quittant toute rete-nue, mène dans le bas peuple. Le bruit court, et la foule y croit, que l'empereur « veut absolument bouleverser la religion et a déjà défendu la confession auriculaire, les messes, l'oraison dominicale et réformé cinq sacrements» (172). Les pamphlets ne se comptent plus : il en paraît autant qu'à Paris. Trauttmansdorff et d'Alton y sont traités de tyrans sanguinaires, de monstres, de cannibales. L'outrance catholique du journal de Feller se monte au même diapason. Ajoutez que la cherté des vivres et la crise industrielle exaspèrent les masses. Comme en France, des histoires d'accaparement de blés commencent à circuler parmi la foule. Le 19 septembre, une émeute éclate dans le Limbourg, où l'on réclame l'abaissement du prix des denrées et celui des contributions. Cependant, sur les. frontières, les rassemblements de volontaires augmentent toujours. Il faut que, le 10 octobre, le général Schroeder viole la neutralité du pays de Liège pour en expulser leurs bandes, qui se replient sur le territoire des Provinces-Unies. On est à un doigt de la guerre civile. A Bruxelles, on a découvert chez Philippe Secrétan, l'homme d'affaires de la duchesse d'Ursel, un manifeste révolutionnaire contenant le plan d'une conspiration organisée. Il n'est que temps de désarmer tout le monde, de « risquer le tout pour le tout et de porter le coup décisif » (173). Mais le 24 octobre, Trauttmansdorff apprend que « mille insensés » viennent de pénétrer dans la Cam-pine. Au point où l'on se trouve, c'est un soulagement. « Je suis charmé, écrit-il que cette comédie finisse. C'est un dernier effort qui doit décider la chose d'une façon ou de l'autre. Si elle tourne bien, comme on n'en saurait douter, elle doit nous valoir une soumission complète » (174). C'était en réalité le début de la révolution inévitable. (Bruges, Musée Oruuthuse.) (Cliché Brusselle.) Sabre d'un officier volontaire de l'armée des Etats belgiques unis (1790). NOTES (1) Sur la différence entre Frédéric et Joseph, voy. A. Sorel, L'Europe et la Révolution française, t. I, p. 117 et suiv., 3e édit. (Paris, 1893). (2) Von Voltelini, Die naturrechtlichen Lehren und die Reformen im XVIII. Jahrhundert. Historische Zeitschrift, 3« Folge, t. IX [1910], p. 65 et suiv. (3) Voyez les dispositions rédigées par lui sur la manière de traiter les affaires publiques. Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 334, 338. (4) Il écrit en 1768 à son frère Léopold : « L'amour de la patrie, le bien-être de la monarchie, voilà la seule passion que je ressens et qui me ferait tout entreprendre. Je me sens tellement lié à elle que mon âme ne peut être tranquille ni mon corps bien portant, si je ne puis être convaincu de son bien-être et de la bonté des arrangements que nous prenons ». Von Arneth, Maria Theresia und Josef II. Ihre Correspondenz, t. I, p. 225 (Vienne, 1867). (5) Gachard, Ordonnances, t. XII, p. 336. (6) Récit du voyage de l'empereur, etc., p. 9 (Malines, 1781). (7) Von Arneth, Maria Theresia und Josef II. Ihre Correspondenz, t. II, p. 141. (8) « Le service de Dieu est inséparable de celui de l'Etat ». Ibid., t. III, p. 352. (9) Ibid., p. 142. (10) F. von Mitrofanow, Josef II. Seine politische und kulturelle Ttttigkeit, t. I, p. 235 et suiv. (11) En ce point les idées de Joseph II sont exactement les mêmes que celles des révolutionnaires français. Voy. Ph. Sagnac, La législation civile de la Révolution française, p. 38 et suiv. (Paris, 1908). (12) Il écrira aux Etats de Brabant en 1789 : « Il ne me faut pas votre consentement pour faire le bien, et je regarde comme mon principal devoir de vous sauver, même malgré vous, du danger auquel vous vous exposeriez peut-être si j'attendais votre consentement ». Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 2« série, t. i, [1851], p. 558. (13) H. Gnau, Die Zensur unter Josef II. (Strasbourg, 1911). (14) « Vous savez, écrit-il lui-même à sa mère, combien je suis sec et positif dans mes raisonnements. » Von Arneth, Maria Theresia und Joseph II, t. 1, p. 54. Voir surtout, pour sa confiance imperturbable en lui-même, ses conseils à Marie-Antoinette : « Enfin, ma chère sœur, prenez-moi comme exemple ! » Von Arneth, Marie-Antoinette, Josef II. und Léopold II. Ihr Brief-wechsel, p. 12 (Leipzig, 1866). (15) Von Arneth, Maria Theresia und Josef 11., t. II, p. IL (16) Ibid., t. III, p. 276. (17) Ibid., p. 289. (18) H. Schlitter, Die Regierung Joseph 11. in den Oesterreichischen Nieder-landen, p. 148 n. 11. (19) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 5" série, t. IX [1881], p. 138, 139. (20) Sur les détails du voyage, voy. les matériaux considérables rassemblés dans E. Hubert, Le voyage de l'empereur Joseph II (Bruxelles, 1900). (21) Schlitter, Korrespondenz Josef s 11. mit Trauttmansdorff, p. 611. (22) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, t. LXXXI [1921], p. 260. (23) E. Malingré, Le livre des jours, t. I, p. 111. Bibl. Univ. Gand, ms. n» 11201. (24) Schlitter, Korrespondenz Joseff II. mit Trauttmansdorff, p. 379. (25) Marie-Thérèse lui disait déjà en 1773 à propos de ses pérégrinations : « Il n'est pas possible, nonobstant votre sagacité, votre application, que dans ces voyages de deux ou trois mois vous pouviez tout voir et en tirer les conséquences. » Von Arneth, Maria Theresia und Josef 11., t. Il, p. 9. (26) Histoire de Belgique, t. IV, 2' édit., p. 62. (27) H. van Houtte, Contribution à l'histoire commerciale des Etats de l'empereur Joseph II. Vierteljahrsschrift fur Social- und Wirtschaftsgeschichte, t. VIII 910], p. 352. Cf. Shaw, Essai historique, p. 45; Thulemeyer, Dépêches, p. 269; Hubert, Voyage de Joseph 11, p. 47, 202; Gachard, Ordonnances, t. XII, p. 31, 32, 42, 70, 136. (28) Dérivai, Le voyageur dans les Pays-Bas autrichiens, t. I, p. 31, 38, 58, 76; t. IV, p. 102; P. Verhaegen, Le commerce des esclaves en Belgique et à la fin du XVIII" siècle.1 Annales de la Soc. d'archéologie de Bruxelles, t. XV [1901], p. 254 et suiv. (29) H. van Houtte, American commercial conditions and négociations with Austria. American Historical Review, t. XVI [1911], p. 567 et suiv.; le même, Contribution, etc., loc. cit., p. 370 et suiv. Cf. Dérivai, Le voyageur, etc., t. I, p. 69; t. IV, p. 103. (30) E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. I, p. 110. Cette compagnie fit faillite en 1785. (31) «Il est conforme aux principes du souverain, écrit Belgiojoso, de ne point mêler les princes du sang dans les affaires, hors celles de la représentation. » H. Schlitter, Briefe und Denkschriften zur Vorgeschichte der Bel-gischen Révolution, p. 28 (Vienne, 1900). Cf. ibid., p. 17, 18, 36, 44, 59. (32) La police tenait l'empereur au courant de tout ce qui se passait dans le pays, au point qu'il en était mieux informé, prétend Belgiojoso, que le ministre plénipotentiaire lui-même. Schlitter, toc. cit., p. 48. (33) Cf. plus haut, p. 209. Add. J. Zillich, Fébronius (Halle, 1906). (34) Pour l'ensemble de la politique de l'empereur, voy. F. von Mitrofanow, Josef II, p. 673 et suiv. (35) Von Arneth, Maria Theresia und josef II., t. II, p. 152. (36) Histoire de Belgique, t. IV, 2e édition, p. 81. (37) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 89. Pour la réforme en Autriche, voy. G. Losche, Von der Duldung zur Oleichberechti-gung (Vienne, 1911). L'empereur suscita tout de suite des imitateurs en Allemagne. En 1783, l'archevêque de Trêves promulguait un édit de tolérance pour rendre la religion plus respectable en supprimant la persécution et pour attirer des fabricants dans ses terres. A. Sorel, L'Europe et la Révolution française, t. 1, p. 116. (38) Voy. plus haut, p. 214. (39) E. Hubert, Etude sur la condition des protestants en Belgique, p. 199, 206, 210. (40) Ibid., p. 202. (41) Ibid., p. 110. Nény, si hostille au «fanatisme» désapprouvait l'édit. Gachard, Ordonnances, t. XII, p. 89 n. (42) Von Arneth, Maria Theresia und Josef II., t. III, p. 360. (43) Les quelques protestants suisses et hollandais qui vinrent plus tard se fixer sporadiquement dans le pays (Hubert, op. cit., p. 155) n'étaient que des réfugiés qu'y poussaient des persécutions locales ou des troubles politiques. Ils n'y turent en rien attirés par l'édit. (44) Feller, Recueil des représentations, etc. Partie ecclésiastique, 3e partie du 2e recueil, p. 164. (45) Ibid-, p. 146. (46) E. Hubert, Etude sur la condition des protestants, p. 134. (47) Ibid., p. 150. (48) Feller, Recueil, loc. cit., p. 290. (49) Ibid., p. 290, 292. (50) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 255, 282. (51) Shaw, Essai sur les Pays-Bas autrichiens, p. 118. Pour les détails de l'opération, voir Ch. Piot, Les tableaux enlevés à la Belgique en 1785. Bullet. de l'Acad. roy. de Belgique, 1877, p. 757; F. Magnette, L'édit du 17 mars 1783 supprimant des couvents aux Pays-Bas, et la cour de France. Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 5' série, t. V [1895], p. 273 et suiv.; J. Laenen, Etude sur la suppression des couvents. Annales de l'Acad. d'archéologique de Belgique, t. LVII [1905], p. 419 et suiv.; van Zuylen van Nievelt, Annales de la Soc. d'Emulation pour l'histoire de la Flandre, t. LVI [1906], p. 310 et suiv.; A. van Werveke, Bullet. de la Soc. d'histoire de Gand, 1914, p. 50 et suiv. Les biens des couvents supprimés furent administrés par une commission spéciale. R. Gits, L'établissement de la commission ecclésiastique et de la commission des fondations pieuses. Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. XXXVII (1911). (52) Mallngié, Le livre des jours, t. 1, p. 167, le constate avec dépit. (53) Elie Harel, Histoire de l'émigration des religieuses supprimées dans les Pays-Bas (Bruxelles, 1785). Cf. pour des troubles parmi les paysans lors de la suppression des prieurés de Groenendael et du Rouge-Cloître dans la forêt de Soignes, E. Hubert, Correspondance des ministres de France accrédités à Bruxelles de 1780-1790, t. I [1920], p. 63. (54) Archives de l'Etat, à Mons, Etats du Hainaut, n» 927. (55) Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 470. Cette innovation, dont on fit grand grief à I empereur, avait déjà été tentée par Charles-Quint. Voy. Histoire de Belgique, t. III, 2' édit., p. 208. (56) En 1787, joseph écrivait à Murray qu'il voulait «que les ecclésiastiques soient réduits au point de devenir vraiment des employés de l'Etat, et qu'ils ne fassent plus le métier de paresse et de gaspillage en entretenant le peuple dans l'ignorance et dans la dévotion purement matérielle ». H. Schlitter, Briefe und Denkschriften, p. 88. (57) Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 544. (58) Expression de d'Outrepont, Sur l'origine des dixmes, p. 61. (59) Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 196. (60) On répandit aussi en 1779, en français et en flamand, le récit du meurtre d'une demoiselle Warrimont par le chanoine Sartorius (A. Dubois, Les frères Sartorius, dans la Belgique judiciaire, t. XIX, p. 29 et suiv.). Dès 1780, l'archevêque de Malines se plaint de l'invasion des mauvais livres dans le pays. A. Verhaegen, Le cardinal de Franckenberg, p. 95 [Bruges, 1889], II déplore que l'on place des statues nues dans le parc de Bruxelles, que l'on danse en carême, que l'on donne des représentations théâtrales pendant la semaine sainte. Ibid., p. 127, 128, 132. (61) L. Lahave, Inventaire de ' la correspondance du Conseil Provincial de Namur, p. 199. Le décret fut rapporté quelques mois après. Ibid., p. 339. (62) Ibid., p. 198. (63) Il parle lui-même de son « cœur patriotique » pour désigner son dévou-ment à l'Etat. Von Arneth, Maria Theresia und Josef II, t. Il, p. 5. (64) O. Lorenz, Josef II und die Belgische Révolution, p. 3 et suiv. (65) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2" série, t. I [1851], p. 551. (66) Alexandre, Histoire du Conseil Privé, p. 178, 180. (67) Voy. ses lettres patentes du 9 mai 1783 dans Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XII, p. 274. (68) Gachard, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 330. Des mesures plus radicales étaient à l'étude. On a conservé le projet d'un édit abolissant les corporations de métiers. (Mémoires in-80 de l'Acad. roy. de Belgique, 1912, p. 49.) Le 17 mars 1787, un édit supprime, en la soumettant à l'autorisation du gouvernement, la liberté pour les corporations de gérer leurs biens. Ordonnances, t. XII, p. 29. (69) Gachard, Ordonnances, t. XII, p. 326. (70) Ibid., p. 358. Marie-Thérèse avait déjà pris une mesure analogue en 1778. Ibid., t. XI, p. 313. (71) Ibid., t. XII, p. 369. (72) P. von Mltrofanow, Josef II, p. 466 n. 1. (73) Eug. Hubert, Correspondance des ministres de France à Bruxelles, t. I, p. 88. (74) Gachard, Ordonnances, t. XII, p. 484. (75) Ibid., p. 601. (76) Ibid., p. 509. Le 3 novembre il y avait déjà eu un nouveau règlement sur la procédure civile. Ibid., p. 582. Cf. Le code civil de l'empereur Joseph ou règlement de la procédure civile pour les Pays-Bas autrichiens (Bruxelles, 1787). Pour ces réformes, voy. l'intéressant rapport de Martini à Kaunitz le 17 mai 1787. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2° série, t. VIII [1856], p. 200 et suiv. Il est certain que l'organisation judiciaire appelait de profondes modifications. En 1724, on estimait qu'il y avait 4,905 procès en souffrance au seul Conseil de Brabant. M. Huisman, Journal des tribunaux du 27 janvier 1901. (77) P. Dechaine, La franc-maçonnerie belge au XVIII' siècle, p. 258 et suiv. (78) Ordonnances, t. XII, p. 608. (79) Voy. des renseignements intéressants sur cette crise dans E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. I, p. 165 et suiv. (80) H. van Houtte, Contribution à l'histoire commerciale des Etats de l'empereur Joseph II. Vierteljahrschrift fur Social- und Wirtschaftsgeschichte, t- VII [1910], p. 353 et suiv. (81) Feller, Recueil des représentations, etc. Partie civile, 5« recueil, p. 146 et suiv. (82) Feller, Recueil des représentations, etc. Partie civile, 3e recueil, p. 102. (83) Gachard, Collection de documents inédits concernant l'histoire de la Belgique, t. III, p. 18. (84) Esprit des lois, 1. II, ch. 4. (85) Feller, Recueil des représentations, lre partie, 4e recueil, p. 46. (86) Ibid., 2e recueil, p. 66; cf. supplément, p. 61 : « Un peuple qui a l'honneur de contracter avec son souverain conserve des droits qui modifient et qui tempèrent le pouvoir du monarque; ... la fixation des bornes du pouvoir n'est pas de la part du peuple une acquisition nouvelle de quelque droit, mais une réserve, une retenue de ses droits primitifs ». (87) Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XII, p. 1. Pour les détails de la réorganisation judiciaire, voir Gérard, Rapédius de Berg, p. 345 et suiv. (88) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 20 : Ordonnance sur l'organisation des intendances, du 12 mars 1787. (89) Ibid., p. 21 : Instruction pour les Intendants. (90) Il faut mentionner aussi comme une concession de l'empereur, l'admission dans le Conseil Général de gouvernement de cinq représentants choisis par les Etats desi provinces parmi ceux de leurs membres qui « seront préalablement reconnus capables par le gouvernement ». Ordonnances, loc. cit., p. 2. (91) H. Schlitter, Briefe und Denkschriften zur Vorgeschichte der Belgischen Révolution, p. 69. (92) Feller, Recueil des représentations, 2« partie du 1er recueil, p. 155 et suiv. (93) Feller, Recueil des représentations, 1" partie du 1er recueil, p. 74 et suiv. (94) Feller, Recueil des représentations, 3e partie du 1er recueil, p. 26. (95) Ibid., lre partie du Ie' recueil, p. 108. Cf. E. Hubert, Correspondance des Ministres de France, t. I, p. 166 et suiv. (96) A.-J. Paridaens, Journal historique, éd. A. Wins, t. I, p. 14 (Mons, 1903). (97) Feller, Recueil des représentations, 2» partie du 1" recueil, p. 99. Cf. Ibid., p. 72, 81, et 1" partie, p. 3, 118, 199; 4° partie, p. 187 et suiv. (98) Ibid., 1" partie du 1" recueil, p. XVII. (99) Feller, Recueil des représentations, 4° partie du 1er recueil, p. 129. (100) La vulgarité de van der Noot apparaît aussi bien dans sa vie intime que dans sa conduite politique. Sur sa Jiaison avec une vieille femme galante de Bruxelles, voy. F. van Kalken, Madame de Bellem. La Pompadour des Pays-Bas (Bruxelles, 1923). (101) Feller, Recueil des représentations, Irc partie du 1er recueil, p. 120. Ce mépris pour l'Autriche se manifeste continuellement dans les remontrances et les pamphlets de l'époque. Il est intéressant d'en rapprocher le jugement de Lorenz en 1862, Josef II. und die Belgische Révolution, p. 62, qui, après avoir constaté que les réformes de Joseph tuèrent en Autriche les libertés politiques qui s'insurgèrent contre elles en Belgique, conclut : « und was ist aus diesem kleinen Lande geworden, und wie weit steht Oesterreich zuriick ! » (102) Ibid., p. : 140. (103) Feller, Recueil des représentations, lre partie du 1er recueil, p. 158 et suiv. (104) Belgiojoso écrit que l'opinion générale est « que le nouveau système tendant à rendre les habitants esclaves, il faut préférer de verser tout son sang plutôt que de s'y soumettre ». Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, t. LXXXI [1912], p. 250. (105) Feller, Recueil des représentations, 1™ partie du 1er recueil, p. 173. (106) Feller, Recueil des représentations, 2« partie du 1er recueil, p. 26. (107) E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. I, p. 177, 208, 235, 245. (108) Feller, Recueil des représentations, 2e partie du 1er recueil, p. 74. (109) Sur leur organisation à Bruxelles, voy. Gérard, Rapédius de Berg, t. I, p. 255, 362 et suiv. Cf. ; E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. I, p. 204. (110) Delplace, Révolution brabançonne, p. 100, et Schlitter, Die Regierung Josefs II., p. 259, n. 83, trompés par une faute d'impression du Recueil des représentations (14e recueil, p. 177), datent leur lettre du 11 juillet et la considèrent comme une conséquence de la lettre de l'empereur du 3 juillet. Elle est en réalité du II juin, comme son texte le marque en propres termes. (111) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, 3« série, t. XIV [1872], p. 10. (112) Schlitter, Briefe und Denkschriften, p. 22. (113) Schlitter, Die Regierung Josefs II., p. 103. (114) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, loc. cit., p. 9. (115) Schlitter, Die Regierung, etc., p. 258, n. 68. (116) Bull, de la Comm. roy. d'Hist, loc. cit., p. 9. (117) Schlitter, Briefe und Denkschriften, p. 65. Les patentes de Murray sont du 3 juillet. (Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 98.) Le 23 juin, l'empereur avait déjà arrêté son plan. (Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, t. LXXXI [1912], p. 264.) Le 3 juin, dominé par la colère, il écrivait qu'il faudrait bien se résigner à une « saignée ». S'il y a des troubles, ce sera une excellente occasion de supprimer la Joyeuse-Entrée et de traiter les provinces comme une «nouvelle conquête». (Ibid., p. 255, 256.) (118) Schlitter, Briefe und- Denkschriften, p. 69. (119) Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, t. LXXXI [1912], p. 257. (120) Voy. le texte de cette lettre, avec les modifications autographes de l'empereur, dans Schlitter, Die Regierung Josefs II., p. 256. Les phrases que je cite ont été ajoutées par Joseph pour donner plus de vigueur à la rédaction préparée par la chancellerie. (121) Bull, de la Comm. roy. d'Histoire, t. LXXXI [1912], p. 266. (122) Voy. plus haut, p. 174. (123) Schlitter, Die Regierung Josefs II., p. 268, n. 152. (124) Schlitter, Briefe und Denkschriften, p. 49. (125) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 114. (126) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 16. (127) Voy. les instructions secrètes de Trauttmansdorff dans Schlitter, op. cit., p. 551 et suiv. Ses patentes, datées du 11 octobre, se trouvent dans Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 119. (128) Ils rentrèrent à Bruxelles le 29 janvier 1788. (129) Sur cet épisode, voy. Eug. Hubert, La mission et les papiers du nonce Zondadari. Bullet. de la Comm roy. d'Histoire, t. LXXXIV (1920). (130) Feller, Recueil des représentations, 3e partie du 2e recueil, p. 138 et suiv. Les protestations, pamphlets, etc., provoqués par la fondation du séminaire sont innombrables. Voir quelques échantillons dans le Recueilli, 1™ partie, t. I, p. 87, 185, 193, 208. L'un d'eux (ibid., p. 80) traite Socrate d'hypocrite, de garnement, de pédéraste. On pourra parcourir, pour se faire une idée de la grossièreté du ton et de l'illustration de beaucoup d'entre eux, la Versameiing van verscheydene stukken waer onder men vind den oog-slag op de goddeloosheden bedreven in de Nederlandsche kerken sedert 1783, etc. (Bruxelles, 1790). (131) Belgiojoso qui, il est vrai, n'avait que trop de motifs de n en pas faire l'éloge, dit qu il est honnête homme, mais « n'a ni grands talents, ni aucune idée des affaires de gouvernement, moins encore de commerce, navigation, économie, politique, etc. ». Schlitter, Briefe und Denkschriften, p. 36. (132) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 8, 9. (133) Ibid., p. 34. (134) Ibid., p. 12, 13. (135) Ibid., p. 16, 17. (136) Ibid., p. 29, 30. (137) Ibid., p. 24. (138) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 132, 135. (139) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 10. (140) Ibid., p. 55. (141) Expression du pamphlet, Guide fidèle pour te Brabant, p. 25 (Bruxelles, 1788). (142) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 103. (143) Gérard, Rapédius de Berg, t. II, p. 73. (144) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 114. (145) Ibid., p. 106. (146) A l'exception de la faculté de théologie. (147) H. Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 96. (148) Ibid., p. 91, 99, 100. (149) Ibid., p. 122. (150) Ibid., p. 632. (151) F.-G. de Bray, Considérations politiques sur la révolte des Provinces belges, p. 12 (Bruxelles, 1908). D'après les Autrichiens, c'est Nélis qui pousse le cardinal Franckenberg. (152) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 136. (153) Ibid., p. 134. (154) Ibid., p. 141. (155) Ibid., p. 140. (156) Ibid., p. 174, 175, 182. (157) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XIII, p. 239. (158) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 197. (159) Ibid., p. 205. (160) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 273. (161) Ibid., p. 300. (162) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 273. (163) Ibid., p. 275. (164) Ibid., p. 290. (165) Ibid., p. 313. (166) Ibid., p. 314. (167) Ibid., p. 314, 316, 324. (168) Ibid., p. 360. (169) Ibid., p. 363. (170) Ibid., p. 362. Le gouvernement fit publier en septembre 1789, une brochure intitulée : La Vérité ou tableau comparatif des changements projetés par l'empereur et des points arrêtés par l'Assemblée nationale de France. (171) Ibid., p. 399. (172) Ibid., p. 369. (173) Ibid., p. 430. (174) Ibid., p. 437. (Gand, Musée archéologique.) (Cliché Bijtebier.) Escarpin géant aux couleurs de la révolution brabançonne. C'est dans cet escarpin que la corporation des cordonniers gantois offrit son don patriotique aux Etats de Flandre le 17 octobre 1790. De cuir noir, jaune et rouge (couleurs de la révolution brabançonne), il est l'œuvre de P.L. Dujardeyn. Longueur : 47 cm.; hauteur, talon compris : 21 cm. CHAPITRE II LA REVOLUTION BRABANÇONNE fE PARTI DES ETATS. — En transmettant les Pays-Bas à la maison d'Autriche, les traités d'Utrecht et de Rastadt avaient stipulé que tous les privilèges et coutumes des provinces seraient respectés (1). Ce n'était pas — est-il nécessaire de le dire ? — le bien du pays qui avait inspiré cette clause aux puissances maritimes et à la France. Son but était tout simplement d'empêcher le nouveau possesseur de la Belgique de la gouverner à son gré et d'y affermir sa souveraineté au point de la rendre dangereuse pour ses voisins. Elle était, dans le domaine de la politique interne, une façon de barrière dressée devant lui. De bonne heure, on l'a vu, il l'avait franchie et personne, tout d'abord, n'avait protesté. Il n'en fut plus ainsi sous Joseph II. Au cours de la crise de 1787, les Etats de Brabant avaient déjà proposé à ceux des autres provinces d'invoquer, contre les entreprises de l'empereur, la ga- rantie qui protégeait leurs droits. Et ce qui n'était encore en ce moment qu'une velléité assez vague, allait devenir bientôt une réalité. Les circonstances se prêtaient merveilleusement, en effet, à diriger vers la cause des Belges, non sans doute les sympathies, mais l'attention des cabinets européens. L'ambition nerveuse et maladroite de Joseph l'avait rendu suspect à tout le monde. Brouillé tout à fait avec la Hollande et presque avec la France depuis l'affaire de l'Escaut, il inquiétait l'Angleterre par son rapprochement avec la Russie, et soulevait la jalousie vigilante de la Prusse par ses projets d'annexion de la Bavière et ses visées sur la Pologne et les contrées danubiennes. Ses adversaires s'étaient bientôt ligués contre lui. Une alliance menaçante pour l'Autriche avait été conclue le 13 août 1788 entre la Prusse, l'Angleterre et les Provinces-Unies. HISTOIRE DE BELGIQUE Dès 1788, van der Noot et ses partisans étudient les mesures à prendre (2). S'adresser à la France, il n'y faut pas songer. Si les Français entrent en Belgique, ils n'en sortiront plus. Au reste, les idées qui les passionnent sont justement celles dont les conservateurs ont horreur. La Hollande, l'Angleterre et la Prusse présentent, au contraire, toutes garanties. La première surtout semble facile à gagner. Pourquoi ne lui demanderait-on pas, en lui faisant espérer le rétablissement de la Barrière, d'envoyer quelques troupes au secours des Brabançons ? Ce beau plan qui, par amour des privilèges, n'allait à rien moins qu'à replonger le pays dans l'abjection qui l'avait humilié pendant tant d'années, en dit assez sur l'état d'esprit de ses inventeurs. Imaginé par un professeur de Louvain réfugié à Liège, van Leempoel, il fut remanié par van der Noot. Au printemps de 1789, celui-ci exposait à Vonck qu'aussitôt le pays occupé par les Hollandais, le second fils du prince L'idée de mettre à profit des circonstances si favorables devait se présenter d'elle-même au parti des conservateurs brabançons dont van der Noot était le porte-parole. Défenseurs obtus des privilèges surannés consacrés par la Joyeuse-Entrée, ils n'étaient pas aveugles au point de méconnaître le danger d'une révolution populaire. Il était évident que si l'on soulevait la nation, il faudrait compter avec elle et, comme en France, lui céder le pouvoir qu'elle aurait conquis de haute lutte. Que deviendraient alors les prérogatives des Etats, les prétentions des « nations », toute la vieille mécanique gouvernementale qui réservait à quelques nobles et aux artisans des trois chefs-villes, le gouvernement du Brabant ? N'était-il pas bien plus prudent, au lieu de déchaîner les masses, de s'entendre avec l'étranger et de lui confier le soin dont il profiterait sans doute avec empressement, d'humilier l'empereur en lui imposant le respect des constitutions ? Sans coup férir et sans exposer à de périlleuses aventures un régime vénérable, on en assurerait ainsi la longévité. Sans doute, une telle conduite n'avait rien d'héroïque. Mais, ni l'héroïsme ni la générosité n'exerçaient aucune séduction sur des gens qui avaient autant de mépris pour les droits de l'homme que de respect pour les droits acquis, et dont l'admiration pour le passé, si sincère qu'elle fût, n'était pas sans compter avec leurs intérêts de classe ou de groupe. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Insignes de la révolution brabançonne. 1 : Portrait de van der Noot; 2 : Ecussons du Tournaisis, d'Anvers, du Brabant, de Namur, de Luxembourg, du Limbourg, de la Oueldre, du Hainaut, de la Flandre et de la seigneurie de Malines. Revers du n" 1 : Médaillon sous verre, nacre. Dimensions : 41 X 50 mm.; 3 : Symbole de l'unité belge : la Renommée, la Justice et la Liberté; le lion belgique brise ses chaînes, et la devise des patriotes : L'UNION FAIT LA FORCE — 1789; 4 : Ecussons des provinces énumérées au n» 2. Revers du n° 3 : Médaillon sous verre, nacre. Dimensions : 46 X 55 mm. MANIFESTE (Mons, Archives de l'Etat, Etats de Hainaut n° 366.) (Cliché Lefrancq.) « Manifeste du Pays et Comté de Hainau » (21 décembre 1789). Le manifeste proclame que « la nation est libre, indépendante et déliée du serment de fidélité prêté à l'empereur Joseph II comme comte de Hainau... et le dit empereur... déchu de la souveraineté de ce pays et comté de Hainau ». L'acte est scellé des trois sceaux des Etats (clergé, noblesse, villes) qui, en 1578, prirent la place des sceaux multiples. Ils pendent sur un cordon tricolore rouge, jaune et noir. L'empreinte des matrices en argent du sceau des trois membres des Etats de 1578 est reproduite au tome II, p. 343. d'Orange serait proclamé Stadhouder. L'Angleterre et la Prusse appuyeraient la combinaison, et, pour reconnaître les bons offices des trois puissances, le Brabant s'engageait à payer annuellement à chacune d'elles, 2 millions de florins (3). La naïveté le dispute au cynisme dans ces rêveries. Pourtant, elles parurent mirifiques aux Etats. Ils envoyèrent à van der Noot après sa fuite, une procuration qui le déclarait agent plénipotentiaire du peuple brabançon, et aussitôt il se mit en campagne. Il vit à La Haye le grand pensionnaire van de Spiegel (10 mars) (4), fut présenté par lui aux ministres de Prusse et d'Angleterre, courut à Berlin, courut à Londres, et crut avoir fait merveille en revenant abondamment pourvu d'eau bénite de cour. Ni van de Spiegel, ni Hertz-berg, ni Pitt ne prirent un moment au sérieux le singulier négociateur qui leur parlait, comme de la chose la plus simple du monde, de provoquer une guerre européenne pour le maintien de la Joyeuse-Entrée. Mais ils se gardèrent bien de le rebuter. Ils souriaient à la perspective d'une révolution qui affaiblirait l'empereur. Ils se montrèrent prodigues de promesses qui ne les engageaient à rien, et la Prusse du moins, qui venait d'écraser le mouvement des patriotes en Hollande, laissa entendre qu'elle soutiendrait en Belgique une insurrection contre Joseph II. LE PARTI DES PATRIOTES. — Pendant que van der Noot et les siens mendiaient le secours de l'étranger, un groupe d'hommes plus modernes et partant plus confiants en leurs idées, n'attendaient le salut du pays que du pays lui-même. Partisans d'un gouvernement national et libéral, ils s'apparentaient de très près à la fraction modérée de l'Assemblée Nationale de France. Comme elle, ils s'intitulaient patriotes. Leur chef, l'avocat bruxellois Jean-François Vonck, correspondait avec Mirabeau; d'autres, avec les amis du duc d'Orléans (5), et avec Lafayette. Convaincus que «la nation devait par son courage secouer le joug despotique sous lequel elle gémissait » (6), ils croyaient cependant impossible de la constituer en république. Ils conservaient donc la monarchie; ils allaient même jusqu'à la conserver à la maison d'Autriche. Sans doute, Joseph II était un despote. Mais que gagnerait-on à le remplacer par un prince étranger ? « Les vexations que nous avons essuyées, tout odieuses qu'elles sont, n'approchent pas de celles qui ont rendu la princesse d'Orange exécrable aux patriotes hollandais; elles n'approchent pas du joug militaire que MANIFESTE D U PEUPLE BRABANÇON, Se vend h GAND chez Pi F. de Goejtn, rue Hatl-> te-porte No. 1129., & dans toutes les Villes Belgiques. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté II, 8122, vol. 72 n» 12.) « ... et cette élucubration bizarre, dans laquelle se coudoyaient les principes révolutionnaires et le traditionalisme médiéval, fut intitulé : Manifeste du peuple brabançon. (Voyez le texte p. 239.) Page de titre du Manifeste... édité à Gand par P.F. de Goesin, s.d. (1789). les Prussiens supportent» (7). Ce qu'il fallait, c'était mettre le souverain hors d'état de nuire, en le réduisant à l'exercice du pouvoir exécutif, qui serait délégué aux gouverneurs. Quant à la puissance législative, elle appartiendrait à une assemblée élue par toutes les provinces et organe de la souveraineté mondiale. On y laissait subsister les trois ordres, mais en les élargissant par l'élection. Le clergé, la noblesse et le Tiers-Etat nommeraient chacun leurs délégués. Ceux du Tiers, désignés par cinq électeurs dans les paroisses rurales, par quinze électeurs dans les paroisses urbaines, représenteraient le peuple tout entier, le plat pays comme la bourgeoisie. De plus, en donnant au Tiers-Etat autant de représentants qu'aux deux autres ordres et en imposant à l'assemblée, pour la plupart de ses résolutions, le vote par tête, on ramenait les classes privilégiées au niveau commun. Mais si l'assemblée ainsi constituée était nationale, elle n'était pas démocratique. Pour être électeur aussi bien que pour être éligible dans le Tiers-Etat, il fallait posséder un revenu d'au moins deux cents florins. Visiblement, ce que veulent les patriotes, c'est donner le gouvernement du pays aux citoyens instruits et aisés. Ils suppriment les privilèges au profit de la nation, mais de la nation « censitaire »; leurs vues sont celles d'hommes libéraux, « éclairés » et prudents. Et, en effet, c'est parmi les avocats, les curés, les industriels, les négociants et les gens d'affaires, bref, au sein de la classe lettrée et active que la composition archaïque des Etats prive de toute influence politique, qu'on les rencontre (8). Quelques enrichis, comme le banquier Walckiers, et quelques grands seigneurs, le duc et la duchesse d'Ursel, le duc d'Arenberg, le comte de La Marck, s'intéressent à leurs efforts et les encouragent. C'est que leur modération est rassurante. De l'idéal « philosophique » de leur temps, ils ne retiennent que les parties compatibles avec les aspirations de la bourgeoisie. S'ils parlent des droits de l'homme, ils ont bien soin de ne pas les définir, de ne pas « déchirer le voile » qui les cache aux yeux du peuple. Et ils sont aussi peu libres penseurs qu'ils sont peu démocrates. Les mesures que l'on commence à prendre en France contre le clergé les effrayent. Sincèrement catholiques, ils ne veulent pas que l'on dépouille les églises, et ils exigent même que les biens des couvents sécularisés soient restitués. LES PATRIOTES. — Aussi le bas clergé mène-t-il activement campagne à leur côté. Dans quantités de paroisses, les curés leur sont tout acquis et s'emploient à HISTOIRE DE BELGIQUE (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté V.B. 10317"'1.) Plan de la bataille de Turnhout, le 27 octobre 1789. Après avoir pénétré dans la ville, van der Mersch y fait dresser des barricades, poste des soldats aux fenêtres des maisons et dépêche des patrouilles dans les environs. Mille six cents hommes environ, disposés autour du cimetière en bataillon carré, constituent la réserve de sa petite armée : c'est eux qui décideront de l'issue du combat. Le 27 au matin, les Autrichiens pénètrent dans la ville, refoulent les Brabançons jusqu'à la rue de l'Hôpital puis jusqu'aux environs du cimetière où s'engagent des corps à corps meurtriers. Mais, après cinq heures de combat, les Autrichiens se retirent et la victoire est acquise à van der Mersch. Le général brabançon a perdu quatre-vingt-sept hommes, blessés ou tués, parmi lesquels vingt-trois habitants de Turnhout. — Plan extrait du Mémoire historique... pour M. Vander Mersch, d'E.j. Dinne (Lille, 1791, 3 volumes in-8°), tome I, p. 14-15. Le plan a été gravé en 1791 à Malines par J. Hunin (Malines, 1770-1851). LE MANIFESTE DU PEUPLE BRABANÇON. — Or, ce joug, l'empereur ne consentirait jamais à le retirer. Il fallait donc ^renverser l'empereur, et partant la nécessité s'imposait de travailler de commun accord avec les patriotes. Le programme des patriotes, il est vrai, comportait le maintien du souverain. Mais ce n'était là qu'un point accessoire, une concession d'opportunisme qu'il leur serait d'autant plus facile de sacrifier que la brutalité de d'Alton excitait plus de haines contre Joseph II. Et, en effet, l'entente s'établit sans peine entre les prélats et Vonck qui, le 18 octobre, arrivait à Bréda déguisé en prêtre. Sous peine de disparaître devant son rival, van der Noot était obligé de lui tendre la main. Un cartel se conclut donc entre les partis. Défenseurs de l'Eglise et fanatiques de la Joyeuse-Entrée se rallièrent à la révolution préparer de concert avec eux l'insurrection qui doit fonder la liberté. Çà et là, des dignitaires ecclésiastiques soutiennent le mouvement. Un des amis les plus dévoués de Vonck est un chanoine de Malines, Alexandre de Brou (9). On peut même compter sur l'adhésion de certains prélats. L'abbé de Tongerloo envoie 10,000 florins pour les frais de la propagande. Dès le mois de mai 1789, elle s'organise. La société secrète Pro arts et [ocis, que l'avocat Verlooy a établie à Bruxelles, groupe les patriotes les plus convaincus et pousse bientôt des ramifications dans toutes les provinces (10). On publie des pamphlets, on recueille des souscriptions, on sème l'argent dans les casernes, on recrute des volontaires, on amasse à la campagne, dans des fermes reculées, de la poudre, des munitions et des armes. La duchesse d'Ursel promet les canons de son château de Hingene. On cherche à se concilier l'évêque d'Anvers. L'avocat Torfs est chargé de s'assurer à Paris l'appui de l'Assemblée Nationale. Mais pour réussir, une collaboration avec le parti des Etats est indispensable. Ses principes ont beau s'opposer à ceux des patriotes; sur le but prochain, l'affranchissement de la patrie, il est d'accord avec eux et il accueillera sans doute leurs avances. Au mois d'août, une députation se présentait à Bréda chez van der Noot. Le plénipotentiaire du peuple brabançon, bouffi de son importance, repoussa dédaigneusement ces « vauriens ». Il le prit de très haut avec eux, leur déclara qu'il refusait de « faire couler le sang de ses compatriotes », et qu'il était sûr des puissances (11). Force fut bien de l'abandonner à ses illusions et de chercher ailleurs un appui. Les révolutionnaires liégeois consentirent avec empressement à laisser les volontaires se réunir sur leur territoire. Pour les équiper, on eut recours à un Hutois, M. de Loye, « qui prenait à cœur les affaires du pays comme s'il eût été né parmi nous » (12). Il ne restait qu'à leur trouver un chef. Grâce au chanoine de Brou, on découvrit, dans sa retraite de Menin, un ancien officier vieilli au service de la France, puis de l'Autriche, le colonel van der Mersch, « qui avait toujours été l'ennemi juré de la tyrannie et du despotisme» (13). Il accepta, le 30 août, le commandement de l'armée patriotique. Cependant, les puissances ne bougeaient pas, et l'assurance de van der Noot commençait à n'en plus imposer. Parmi les réfugiés qui, en nombre croissant, venaient le rejoindre à Bréda, la conviction que le moment d'agir allait sonner était générale. Les plus ardents d'entre eux, les abbés de Tongerloo et de Saint-Bernard et le péniten-tier du diocèse d'Anvers, van Eupen, étaient pourtant très loin des Vonckistes. Pour eux, la question politique était secondaire; elle ne les intéressait que dans la mesure où elle se confondait avec la question religieuse. Ce qu'ils voulaient, c'étaient la ruine des réformes impériales, la fermeture du séminaire, la restauration des privilèges de l'Université, le rétablissement des couvents supprimés; bref, l'affranchissement de l'Eglise courbée sous le joug de l'Etat. conçue et préparée par les gens de Pro ans et focis. Van der Noot avait en portefeuille un lourd mémoire démontrant, à grand renfort de privilèges et de soi-disant précédents historiques, que la constitution brabançonne imposait la destitution du duc. On se borna, pour satisfaire les patriotes, à lui accoler un préambule grandiloquent sur la souveraineté nationale, et cette élucubration bizarre, dans laquelle se coudoyaient les principes révolutionnaires et le traditionalisme médiéval, fut intitulée : Manifeste du peuple brabançon (14). Expulsés du pays de Liège par le « trac » de Schroeder, les volontaires patriotes venaient de refluer sur Bréda. D'Alton se persuadait que c'en était fait de cette « armée de la lune ». Il ne surveillait pas même la frontière et s'attendait si peu à devoir combattre qu'il n'avait tiré de l'arsenal de Luxembourg ni grosse artillerie, ni munitions de guerre. A l'en croire, il suffisait de terroriser Bruxelles pour maintenir l'ordre en Belgique. Sauf les garnisons ces bandes dont il avait si facilement nettoyé le pays de Liège quelques semaines auparavant. Ni lui, ni le gouvernement ne doutaient qu'il n'eût qu'à se montrer pour les mettre en fuite. Mais la promenade militaire à laquelle on s'attendait aboutit à un combat. Sous la fusillade qui partait de toutes les maisons, les soldats lâchèrent pied si précipitamment qu'ils abandonnèrent trois pièces de canon. En si piteuse posture qu'il mît l'armée autrichienne, cet échec, à tout prendre, n'était qu'une déconvenue facilement réparable. Avec de la décision, du sang-froid, quelques mouvements bien combinés, on pouvait tout rétablir. Par bonheur, d'Alton perdit la tête. Les sourires ironiques de Trauttmansdorff l'exaspéraient. Il se sentait humilié, ridicule; il lui fallait à tout prix une revanche immédiate, et, sans réfléchir aux conséquences, il lança 7,000 hommes sur les 3,000 francs-tireurs de van der Mersch. La partie était trop inégale; les Belges se replièrent prudemment sur la Hollande. Mais le succès les a enhardis. Le jeune prince (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Etats belgiques unis n° 112.) « Pour intimider la population, d'Arberg ordonne de bombarder la ville (de Gand) puis, après avoir allumé sans résultat quelques incendies, fait cesser le feu. » (Voyez le texte, p. 240.) Vue du quartier de la paroisse de Saint-Jacques à Gand. Ruiné par la soldatesque meurtrière des troupes autrichiennes du 13 au 17 novembre 1789-A gauche, Saint-Bavon, le beffroi et Saint-Nicolas; au fond, Saint-Jean; à droite, Saint-Jacques; à l'extrême droite, Baudeloo. Vue dessinée par Waghemans et gravée à l'eau-forte par A. Cardon (Bruxelles, 1739-1822). d'Anvers, de Mons et de Namur, les 16 à 18,000 hommes dont il disposait (15) avaient été massés dans la capitale. Il était imperturbablement convaincu qu'il n'avait à s'acquitter que d'une opération de police, et, plein du mépris traditionnel du militaire pour le civil, s'applaudissait de voir les bourgeois apporter docilement leurs armes à la « commandantur ». Cette belle assurance le perdit. Suivant le plan des patriotes, l'invasion du pays ne devait s'effectuer qu'au moment où toutes les mesures auraient été prises afin qu'elle coïncidât avec un soulèvement général. Mais l'hiver approchait. L'ennemi ne se doutait de rien. On résolut de brusquer les choses. Le 24 octobre, le manifeste du peuple brabançon était lu aux volontaires et 3,000 hommes, sous le commandement de van der Mersch, marchaient sur Turnhout et s'y installaient. L'abbé de Saint-Bernard avait affirmé que l'archange Raphaël, dont l'Eglise célèbre la fête ce jour-là, protégeait l'entreprise (16). En tout cas, elle réussit à miracle. Le général Schroeder fut envoyé aussitôt contre de Ligne, qui sert dans les armées françaises, cédant à une brusque poussée d'enthousiasme patriotique, vient d'ailleurs d'arriver à Bréda et demande à combattre pour la cause nationale. SUCCES DES REVOLUTIONNAIRES. - Un nouveau plan d'attaque est combiné : on envahira le pays de Waes et l'on marchera sur Gand. La garnison de la ville ne comprend que 300 hommes, et, grâce à la maladresse de d'Alton, qui a détourné vers la Campine le meilleur de ses forces, il sera impossible de lui envoyer des renforts suffisants. Le 13 novembre, une colonne dirigée par le prince de Ligne et le major Devaux se présente à l'impro-viste devant les portes de Bruges et du Sas. Ses 600 hommes, après quelques coups de fusil, dispersent les postes autrichiens et entrent dans la place. La garnison est refoulée jusqu'aux casernes de Saint-Pierre, isolée au milieu d'une ville en révolte. La nuit, d'Arberg et Schroeder, arrivés de Bruxelles à marches forcées, se jettent avec 3,800 hommes dans le château des Espagnols; mais les insurgés reçoivent à leur tour l'appui d'une bande de 400 Courtraisiens. Sans communication les uns avec les autres, se défiant de leurs soldats, dont la plupart sont nés dans le pays et que travaille depuis longtemps la propagande patriotique, les commandants autrichiens ne savent que faire. Pour intimider la population, d'Arberg ordonne de bombarder la .ville, puis après avoir allumé sans résultat quelques incendies, fait cesser le feu. Les troupes envoyées dans les rues se dispersent et reculent sous les coups de fusil. Le 16, le colonel Lunden capitule à Saint-Pierre, tandis que le château des Espagnols est évacué par d'Arberg et Schroeder. Cette fois, ce n'est plus un échec, mais une défaite — une défaite militaire et plus encore une défaite morale. C'en est fait du prestige des régiments qui, par deux fois, ont plié devant les volontaires. Une secousse révolutionnaire ébranle tout le pays. Le Hainaut, le Namurois, le Limbourg commencent à se soulever. Partout, les cocardes rouges, jaunes et noires reparaissent aux chapeaux. Dès le 17, les gouverneurs quittent Bruxelles et aussitôt commencent la débandade des autorités, la fuite des fonctionnaires, l'émigration des rares partisans du joséphisme. Dans les troupes, la désertion augmente de jour en jour. D'Alton, éperdu, furieux, grotesque, ne sait plus que faire et les mesures qu'il prend annoncent la déroute. Le 21 novembre, il ordonne à la garnison de Mons de battre en retraite sur Namur, et voilà le Hainaut en insurrection. Il concentre ce qui lui reste de forces disponibles autour de Bruxelles, et pendant qu'il les occupe à couvrir les faubourgs de barricades et de chevaux de frise, van der Mersch envahit pour la seconde fois la Campine et pousse ses avant-postes jusqu'à Tirlemont. De toutes parts, les recrues affluent à son quartier général, armées à la diable, mais pleines d'élan. La consternation de d'Alton lui fait prendre cette cohue pour une armée formidable. D'ailleurs, van der Mersch lui cache habilement sa faiblesse. Il fait si bonne figure que, le 2 décembre, le colonel de Brou, envoyé auprès de lui en parlementaire, en revient annoncer « avec une joie pareille à celle d'une victoire remportée» (17), qu'il a obtenu une suspension d'armes de deux mois. Trauttmansdorff, naturellement, rejette la responsabilité de la catastrophe sur « l'ineptie extrême avec laquelle ont été dirigées les opérations militaires ». Pour rétablir l'ordre, il n'y a plus à ses yeux que « la voie de la conquête ». Tout ce que l'on pourrait essayer, dit-il, ne ferait qu'empirer l'état des chosei, « parce qu'on le regarderait comme une marque infaillible d'embarras et de (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) La victoire du clergé en 1790. Dans le ciel, une croix et l'invocation IN HOC SIGNO (sous-entendu VINCAM). Au centre, une stèle portant l'inscription Belgis catholicis vietoribus liberis, et, sur la pierre, l'inscription Exactis tyrannis, Aris restitutis, Civibus sospitatis — MDCCXC. A gauche, des séminaristes désertent le séminaire général fondé par Joseph II et jettent à la rue les traités des auteurs imposés par le gouvernement (Fébronius. Le Plat, décisions du Congrès d'Ems, etc.); la foudre (Perdam Babylonis nomen) s'abat sur le bâtiment. A droite, des pillards et ravisseurs de biens d'Eglise sont frappés par un éclair (Reddite quœ sunt Dei Deo). — Gravure exécutée par C F. Latour d'après Joseph Dreppe (Liège, 1737-1810). foujours le pénétra,- ses guides sort des Aristidcs; (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Jean-François Vonck (Baerdegem, 1743-Lille, 1792). Gravure anonyme. Elle porte les vers suivants L'Amour de son Pays toujours le pénétra; — La raison, l'Equité furent toujours ses guides. — Il éprouve à présent le sort des Aristides (allusion à l'exil de Vonck); — La vérité sentie (= entendue), un jour le vengera. crainte» (18). Il supplie l'empereur d'envoyer des troupes, comme si l'empereur, empêtré dans son expédition d'Orient et menacé par la Prusse, pouvait disposer d'un seul régiment. Mais dès le lendemain, il s'abandonne. Le 20 novembre, il supprime le séminaire; le 21, il rend au Hainaut sa constitution; le 25, il rétablit la Joyeuse-Entrée et promet une amnistie générale. Durant quelques jours, il espère encore éviter ou du moins retarder le soulèvement de Bruxelles. Pourtant, à mesure que la désertion fait fondre les troupes, le peuple prend une attitude plus menaçante. Le 10 décembre, du choeur de Sainte-Gudule, des « messieurs » jettent à la foule qui emplit l'église des milliers de cocardes. En un instant, toute la ville en porte. Cent cinquante grenadiers sortent de leur caserne, criant : Vivent les patriotes ! débauchent les sentinelles et les hommes de poste, les entraînent avec eux et livrent leurs armes aux bourgeois. Le lendemain, les gardes qui tiennent encore la ville basse, fusillés des fenêtres et du haut des toits, se replient vers le gros des troupes massées dans le parc. Vers le soir, la bataille bat son plein. Au bruit du canon, au son du tocsin sonné dans toutes les églises, les paysans des villages voisins s'arment et tirent sur tout ce qui se montre en dehors des portes. Enfin, le matin du 12, d'Alton affolé commande la retraite. LA CHUTE DU REGIME AUTRICHIEN. - La précipitation et la panique furent telles que Trauttmansdorff n'eut pas même le temps de prendre congé des membres du corps diplomatique. On abandonna l'artillerie, les bagages, les munitions et jusqu'au trésor. L'avant-garde réussit à grand'peine à se frayer passage sous les coups de fusil, à travers les abattis d'arbres qui obstruaient les routes. Derrière elle, l'armée n'était plus qu'une cohue en pleine débandade. Des compagnies entières désertaient, quelques-unes allèrent jusqu'à massacrer leurs officiers. Les débris des régiments s'arrêtèrent enfin derrière les murailles du Luxembourg. Le drapeau impérial ne flottait plus en Belgique que sur la citadelle d'Anvers, dont la garnison se rendit le 29 mars suivant. Le régime autrichien avait duré soixante-quatorze ans. Il s'était installé dans les Pays-Bas au prix de l'humiliation des traités de la Barrière; il s'en retirait sous la colère et le mépris de la nation, dans la honte d'une fuite éperdue. ATTITUDE DU CLERGE. - Le 18 décembre 1789, les membres du Comité de Bréda faisaient leur entrée dans Bruxelles pavoisée aux trois couleurs et délirant d'enthousiasme. Les « nations » donnaient le branle. Leurs acclamations saluaient surtout van der Noot, le défenseur de leurs privilèges, le restaurateur de la Joyeuse-Entrée, « le père du peuple brabançon ». Le soir, au théâtre de la Monnaie, dans la loge des gouverneurs, il était couronné de lauriers. Ce n'était pas à un tel lendemain de victoire que les patriotes vonckistes s'étaient attendus. La chute du gouvernement autrichien était leur oeuvre. C'étaient eux qui avaient préparé l'insurrection du pays, formé l'armée, combattu à Turnhout, pris Gand de haute lutte, et la capitale décernait les honneurs du triomphe à l'homme qui, peu de semaines auparavant, les traitait de vauriens et qui ne s'était rallié à leurs projets qu'au dernier moment et, parce qu'il le fallait bien ! L'affranchissement de la nation, tel qu'ils le voulaient, ne comportait pas seulement la chute de l'empereur, mais la suppression des privilèges, l'union des provinces en un seul corps et la souveraineté du peuple s'af-firmant par la création d'une assemblée nationale. N'avait-on secoué le joug de Joseph II que pour retomber sous celui des Etats ? Les volontaires n'avaient-ils pris les armes que pour rétablir dans chaque province les prérogatives surannées des quelques prélats et des quelques nobles qui se targuaient d'y représenter le clergé et la noblesse, que pour conserver à quelques villes, ou pour mieux dire, aux « nations » ou aux métiers de quelques villes, l'exorbitante prétention de parler au nom du Tiers-Etat tout entier ? N'avait-on que par duperie invoqué la souveraineté nationale dans le manifeste du peuple brabançon ? Les conservateurs, les « statistes », les « aristocrates » allaient-ils enfin confisquer la Révolution à leur profit ? Ils l'essayaient, en effet, et, par un brusque retour des choses, ils avaient toutes les chances de l'emporter. Au début du mouvement, le clergé, faisant flèche de tout bois pour combattre l'empereur, avait également soutenu contre lui les deux factions de l'opposition. Entre Vonck et van der Noot, il n'avait pas pris parti. Si la plupart des prélats encourageaient plutôt celui-ci, quantité de curés avaient énergiquement travaillé pour celui-là. Il semble bien que le rapprochement éphémère des deux « leaders » à Bréda ait été l'œuvre de van Eupen. Pourtant, à ce moment déjà, les tendances des patriotes commençaient à inquiéter l'Eglise. L'immense majorité d'entre eux a beau professer sincèrement le catholicisme, leur admiration pour l'Assemblée Nationale de France les compromet, car, depuis le mois de septembre, on ne peut plus se dissimuler que l'Assemblée médite et prépare contre l'autorité ecclésiastique des réformes plus profondes encore et partant plus abominables que celles de Joseph II. On y proclame ouvertement que la propriété des biens d'Eglise appartient à la nation; on y étudie la suppression des dîmes; on y pose en principe que le clergé, en tant que corps, ne tient son existence et ses possessions que de la loi. La modération des patriotes belges, il est vrai, ne permet pas de leur attribuer de semblables desseins. Mais on peut craindre qu'entraînés par l'exemple de Paris et par Les Pays-Bas pendant la révolution brabançonne. Les Autrichiens tiennent encore le Luxembourg et le Limbourg. mais le reste du pays s'est soulevé. La principauté de Liège est indépendante. (Malines, Musée communal; Mons, Archives de l'Etat.) (Clichés A.C.L. et Lefrancq.) Drapeaux des volontaires malinois et hennuyers (1789). A gauche, drapeau des volontaires malinois portant un lion soutenant l'écu de la seigneurie (d'or à trois pals de gueules), et la devise de la ville : IN FIDE CONSTANS. Légende de la bordure : SILUIT TERRA IN CONSPECTU EJUS, MDCCLXXXIX. A droite, drapeau des volontaires hennuyers, de sole blanche; il porte les armoiries du Hainaut entourées de celles des quatorze villes du comté. la logique même de leur doctrine, ils n'y aboutissent tôt ou tard. Il faut s'opposer au mal puisqu'il en est temps encore. Aussi bien, maintenant que l'empereur est renversé, la collaboration des Vonckistes n'est-elle plus nécessaire. On peut, on doit même les arrêter sur le bord de l'abîme où ils menacent de précipiter la nation. Et pour cela, il n'est qu'un moyen : l'alliance de l'Eglise avec les privilèges. De ceux-ci rien n'est à craindre. Leur attachement au passé est pour le clergé la plus sûre des garanties. En restaurant les vieilles institutions, ils restaureront du même coup les prérogatives et les franchises que l'Eglise considère comme indispensables à l'accomplissement de sa mission et au maintien de la foi. La religion lui fait un devoir de se prononcer pour eux, de les prendre sous son égide, de mettre à leur service l'énorme ascendant moral dont elle dispose, et, pour sauver les âmes du peuple, de le persuader qu'il doit se consacrer à la défense de ces Etats qui lui refusent le pouvoir politique. Dès le mois de novembre, la polémique et la propagande cléricales sont organisées. Il n'est plus question de contrat social, ni de souveraineté de la nation. Feller et Brosius déversent le sarcasme et l'injure sur Joseph II et sur la France. « S'il fallait, s'écrie Feller, opter entre ces deux extrémités terribles, ou d'établir parmi nous le règne de la cohue nationale française ou de rentrer sous le pouvoir du souverain dépossédé, la nation n'hésiterait pas dans la détermination du choix. J'irais moi-même rappeler d'Alton avec tout ce qu'il y a de bourreaux dans la milice autrichienne, et nous préparerions, en attendant, nos rues pour les voir joncher comme ci-devant, des cadavres de nos concitoyens» (19). Or, cette cohue nationale française, les patriotes en sont partisans, et les coups qu'on lui porte s'abattent en même temps sur eux. En la discréditant, on les discrédite. Pour les empêcher d'imiter la France, nul meilleur moyen que de montrer cette France, à l'exemple de laquelle on s'est soulevé, se ruant dans l'impiété et dans l'anarchie. LES STATISTES. — Mais si l'on repousse la constitution d'une assemblée nationale, qui donc exercera le gou- vernement ? Les Etats ? A vrai dire, il est malaisé de justifier cette thèse, dès que l'on rejette avec horreur le dogme de la souveraineté nationale que l'on invoquait naguère encore en sa faveur. D'où viendrait, en effet, aux Etats le droit de se substituer au prince, si le peuple ne leur a délégué le pouvoir primordial qu'il possède, et dont dérive, pour les partisans du contrat social, toute autorité légitime ? Ce ne peut être des constitutions provinciales, non pas même de la Joyeuse-Entrée. Toutes abandonnent au prince le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, se bornant à lui prescrire des limites qu'il ne peut franchir et dont les Etats sont les gardiens. Impossible d'aller au delà sans se mettre en contradiction avec les textes ou la coutume. On se tirera d'affaire par un coup d'Etat. Ne trouvant pas en eux-mêmes la souveraineté à laquelle ils prétendent, les Etats déclareront qu'ils la possèdent. Puis, s'étant mis ainsi, par un acte de simple volonté, à la place du prince, ils affirmeront qu'il ne leur appartient pas de se dépouiller de la souveraineté dont ils sont revêtus. Ils régneront donc en vertu d'une sorte de droit divin, et leur gouvernement s'exercera sur la nation sans dépendre d'elle. L'absolutisme d'un seul sera remplacé par l'absolutisme de quelques corps privilégiés. La Révolution n'aura abattu le despotisme éclairé, persécuteur de l'Eglise, qu'au profit d'une oligarchie qui, pour se maintenir, sera forcée de s'appuyer sur l'Eglise. Telles sont les idées qui, au moment même de leur alliance avec les Vonckistes, unissent en un seul parti les conservateurs et les prélats réfugiés à Bréda. Ils ne se dissimulent pas d'ailleurs qu'ils ne sont pas populaires. Le temps n'est plus où la nation se groupait docilement tout entière autour des Etats. Nul doute que si on la consulte, elle n'exige sa participation à la vie politique. Plusieurs provinces ont déjà révélé des dispositions dangereuses. Dans le Limbourg, le peuple s'est soulevé contre les ordres privilégiés; en Hainaut, il est manifestement hostile à leur administration; en Flandre, où les Etats ont tant perdu de leur importance depuis 1754, il sera évidemment impossible de leur rendre leur ancienne influence. Par bonheur, les trois grandes villes brabançonnes, Bruxelles, Anvers et Louvain, leur restent inébranlablement fidèles. Les « nations » et les métiers qui y dominent ne se laisseront pas arracher le privilège de représenter le Tiers-Etat du duché. La liberté politique que le pays réclame, ils la possèdent et cela suffit. Ils n'ont ni assez d'ouverture d'esprit, ni assez de générosité de cœur pour la partager avec leurs compatriotes et pour se sacrifier au vœu général dans une nouvelle nuit du 4 août. Ils ne songent qu'à eux, ne voient qu'eux et s'obstinent à confondre leur bien particulier avec le bien public. La crise formidable que l'on traverse paraît, aux yeux des petits patrons et des boutiquiers qui mènent la foule, l'occasion de rétablir leurs monopoles et leurs privilèges (Bruxelles, Musée communal.) « Victoria ». Groupe de patriotes brabançons. Groupe de plâtre sculpté et colorié. Auteur inconnu. Hauteur : 24 cm. (Cliché Bljtebier.) (Vienne, Kaiserliche und Konigliche Familien Fideikommission Bibliothek en 1911.) Léopold II (Vienne, 1747-1792), empereur de 1790 à 1792. Buste de cire et cheveux de soie. Fin du XVIIIe siècle. Extrait du jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen des allerhBchsten Kaiserhauses, 1910-1911, t. XXIX, p. 224-225, pl. XIX. corporatifs, de prendre une éclatante revanche sur la grande industrie et le grand commerce. Le malaise économique aidant, il leur sera facile d'entraîner derrière eux les ouvriers sans ouvrage et de les ameuter contre les avocats, les lettrés, les gros négociants qui réclament la convocation d'une assemblée nationale. L'esprit municipal reparaît chez eux aussi intransigeant, aussi étroit qu'au temps d'Anneessens. Et c'est, en effet, le souvenir de cet honnête homme qui ennoblit à leurs yeux la politique cauteleuse et roublarde de van der Noot. A peine la débâcle du régime autrichien est-elle connue, il s'empresse d'agir. Dès le 14 décembre, il députe à Bruxelles, à Louvain et à Anvers, « au nom des Etats du Brabant et Etats-Unis », des émissaires auxquels il enjoint d'afficher le manifeste du peuple brabançon, de réunir « ceux qui doivent être convoqués, et de les charger de veiller à l'exécution de son contenu et à la tranquillité publique ». Ils s'informeront en outre de « ceux qui exercent ces fonctions (sic), et surtout si, dans la ville de Bruxelles, l'assemblée des Etats peut se faire sans s'exposer à quelque danger» (20). En ce moment de triomphe inespéré, on aurait pu s'attendre à une proclamation enthousiaste, tout au moins à une de ces effusions sentimentales et vertueuses dans le goût du jour. On ne rencontre que la préparation d'un coup de parti. Car c'est bien de cela qu'il est question. La victoire obtenue, le Comité de Bréda ne songe qu'à prévenir l'intervention des Vonckistes, grâce à la complicité des trois chef-villes dont il est sûr, et, par une convocation immédiate des Etats, à les placer devant le fait accompli. La tactique réussit à merveille. Le peuple apprit le 27 décembre que les Etats de Brabant venaient de se réunir à Bruxelles. Pour s'assurer complètement de l'adhésion des trois villes, quelques concessions leur furent faites. On décida que la députation du Tiers-Etat qu'elles représentaient serait « renforcée » et composée « sans l'influence des deux premiers ordres »; il était entendu de plus que, conformément à l'ancien usage, ceux-ci ne pourraient rien décider sans le consentement du Tiers. Après avoir ainsi lié leur cause les gens des « nations » et des métiers, les Etats se constituèrent. Prêter serment au peuple, c'eût été reconnaître qu'ils tenaient de lui leur pouvoir. Pour tourner la difficulté, on prit possession de la souveraineté à huis clos. Chacun des trois ordres prêta serment aux deux autres et l'on y ajouta un serment surérogatoire aux Eglises de Brabant et à la foi catholique «suivant le formulaire de Pie IV (31 décembre) » (21). L'alliance était ainsi solennellement conclue entre les Etats et le clergé. Au reste, la petite bourgeoisie bruxelloise n'en remarqua rien. Enthousiasmée d'être associée à la souveraineté, elle s'acclamait elle-même en van der Noot. Il ne pouvait paraître au théâtre sans soulever des ovations; son portrait était partout; on le portait en épingles de cravate, en broches, en médaillons; on le peignait sur les éventails, on en décorait les vases et les pendules. Pourtant le héros populaire qui disposait de la foule, était lui-même dirigé par le pénitentier van Eupen. C'était un de ces prêtres formés pendant la réaction antijanséniste et pour qui la foi semblait dépendre de la bulle Unigenitus. Dans la Révolution, il ne voyait que la destruction providentielle de l'œuvre de Joseph II, des doctrines abominables de Fébronius, de la tolérance et de la philosophie. Comme il l'écrivait le 28 décembre au Journal général de l'Europe, il se « riait chrétiennement de la folie philosophique du jour» (22). Sans connaissance du monde d'ailleurs, sans le moindre sens des affaires et des réalités sociales, il prévoyait, dès le 22 novembre, la chute imminente de l'Assemblée Nationale de France, « qui n'était qu'un fantôme à ses yeux » (23). Il avait rempli, dans le Comité de Bréda, les fonctions de secrétaire. Il devait les conserver à Bruxelles, aux côtés de van der Noot, avec qui l'appariaient les circonstances et l'étroitesse commune de leurs vues. L'exemple du Brabant fut aussitôt suivi à Malines et à Namur. Les Etats de Malines s'engageaient, le 31 décembre, « à protéger notre sainte religion catholique, apostolique et romaine et à n'avoir aucun égard aux propositions qui tendraient à faire des changements quelconques aux lois fondamentales et privilèges de cette province » (24). Le lendemain, ceux de Namur interdisaient de « proposer pour le moment actuel des innovations dans la constitution, dont nous regardons à juste titre la conservation intacte comme le seul moyen de maintenir la paix et de parvenir à couronner le grand ouvrage de notre liberté », et ils déclaraient les contrevenants « ennemis de la patrie» (25). Mais il ne suffisait pas de proclamer dans chaque province la souveraineté des Etats locaux (26). Il fallait pourvoir au gouvernement central et empêcher surtout qu'une assemblée nationale ne s'en emparât. Ici encore les Etats de Brabant prirent l'initiative. Le 20 décembre, avant même leur première assemblée, ils invitaient les autres Etats à s'unir à eux et, le 27, van Eupen, en qualité de « secrétaire d'Etat des Etats-Unis » convoquait leurs députés à Bruxelles pour le 7 janvier. C'était la première fois qu'ils se réunissaient depuis 1630. Mais en 1630 ils avaient été convoqués par le prince. Cette fois, comme à la veille de la Pacification de Gand, en 1576, ils s'assemblaient spontanément et se substituaient au souverain (27). Sauf le Luxembourg, occupé pour la plus grande partie par les troupes autrichiennes, toutes les provinces y étaient représentées. Pourtant, ces Etats-Généraux de 1790 ne ressemblaient en rien à une assemblée nationale. Le peuple n'avait eu aucune part à leur constitution. Leurs membres, désignés par les Etats provinciaux, ne tenaient que de ceux-ci leurs mandats et leurs pouvoirs. Leur décision de siéger à porte close, suivant la vieille coutume, affirmait à sa manière qu'ils n'avaient aucun compte à rendre à la nation. LE CONGRES. ■— Dès le 11 janvier, ils promulguaient l'acte de constitution des Etats-Belgiques Unis. A l'Etat centralisateur contre lequel le particularisme provincial luttait depuis le XVIe siècle, il substitue l'Etat fédératif. Chaque province conserve sa souveraineté, mais elle en délègue l'exercice, pour tout ce qui touche les intérêts collectifs, à un Congrès souverain composé d'ailleurs des mêmes personnes que les Etats-Généraux et renouvelable tous les trois ans. Les intérêts collectifs, abandonnés au Congrès, comprennent l'organisation et l'entretien de l'armée, les relations avec les puissances étrangères, la frappe de la monnaie. Nul doute que l'on ait pris pour modèle en ceci les Etats-Unis d'Amérique. Le terme même de Congrès leur est emprunté. Mais on ne s'inspire de leur exemple que dans la lettre et non dans l'esprit. La constitution américaine, dominée par la déclaration des droits, a fondé la première démocratie moderne. Celle des Etats-Belgiques, au contraire, orientée vers le passé, n'accorde de droits qu'aux ordres privilégiés. Au lieu d'innover, elle restaure, sans tenir compte des transformations sociales, des besoins et des idées du temps : elle ne fait, en somme, qu'habiller à la mode du XVIIIe siècle le grand privilège de Marie de Bourgogne. Entre elle et la constitution américaine rien n'est commun que les apparences. Encore le principe fédératif qu'elles proclament toutes deux, est-il entouré en Belgique, par égard pour le particularisme provincial, de restrictions qui le paralysent. Nulle décision ne pourra être prise à moins de cinquante-six voix sur quatre-vingt-dix, de manière que « les petites provinces ne pourront jamais être survotées par les grandes, et que celles-ci ne pourront empêcher le veto au détriment des petites provinces» (28). Le président de l'assemblée, étant renouvelé de semaine en semaine, sera privé de toute influence. Ainsi fait, ce Congrès est condamné d'avance à la même impuissance qui, au XVIe siècle, a conduit la « Généralité » à l'anarchie. Afin de rester maître chez eux, les privilégiés parmi lesquels il se recrute, lui ont enlevé tout moyen de gouverner. Par crainte de la centralisation, on a supprimé les corps administratifs qui pourraient l'aider dans sa besogne : Conseil privé, Conseil des finances, Chambre des comptes. Personne n'a songé que pour assu- (Bruxelles, collection Mme Poupart van der Meersch.) Jean-André van der Mersch (Menin, 1734-Dadizele 1792), commandant en chef de l'armée des Etats Belgiques Unis. Portrait original non signé donné après la bataille de Turnhout par le commandant à son frère François-Jean. Van der Mersch porte la Croix de chevalier de saint Louis que lui avait value en 1762 sa brillante conduite au service du roi de France pendant la guerre de Sept Ans. Le 14 octobre, Louis XV annonçait à Monsieur Jean-André de Vandermersch que le prince de Soubise avait reçu commission de l'admettre à la dignité de chevalier de saint Louis. Le Roi rappelait au nouveau chevalier qu'il devait porter la croix sur l'estomac, attachée d'un petit ruban couleur de feu. — L'orthographe courante du nom est inexacte : en réalité, les pièces d'état civil portent toutes Van der Meersch. La graphie van der Mersch s'est introduite du vivant de l'intéressé. rer le salut de la jeune République, il faut un pouvoir fort et quasi dictatorial. Par un aveuglement incroyable, les vainqueurs ne prennent aucune -mesure pour garantir leurs conquêtes. Ils ne voient que leur intérêt immédiat, et, ne pensant qu'à rétablir le passé, ne regardent pas l'avenir, ne prévoient rien, ne consentent à aucun sacrifice et surtout se gardent bien, pour ne pas devoir compter avec la nation, de lui demander son concours. Ils s'illusionnent d'ailleurs de l'espoir que les puissances leur viendront en aide, et la seule excuse que l'on puisse invoquer en leur faveur, c'est que le pays, privé depuis le XVIe siècle de toute participation à la politique extérieure, ne renferme pas un homme au courant des affaires et de la diplomatie européennes. Un Guillaume d'Orange aurait pu, malgré tout, sauver la situation à force de courage et de génie. Mais le Congrès ne devait avoir à sa tête que des chefs proportionnés à sa clairvoyance et à sa générosité : un van der Noot et un van Eupen. Au lieu de songer à l'ennemi extérieur, c'est à combattre l'ennemi du dedans qu'il va consacrer ce qu'il a de force. Car à peine est-il constitué que les Vonckistes entament contre lui une campagne acharnée. Ils n'y voient, en effet, et avec raison, qu'une machine de guerre braquée sur eux. S'il subsiste, tous leurs projets sont anéantis; le provincialisme l'emporte sur l'Etat national, les privilèges, sur la liberté politique, la noblesse, le clergé, la petite bourgeoisie réactionnaire des corporations de métier, sur la bourgeoisie aisée et éclairée. Les Etats en s'attribuant la souveraineté, « s'arrogent des titres monstrueux, incompatibles avec un peuple libre », et menacent le pays d'une nouvelle tyrannie» (29). Celle de l'empereur, au moins, si brutale qu'elle ait été, tendait au bien public; celle des Etats n'aboutira qu'à l'hégémonie d'une clique égoïste et réactionnaire. Au surplus, elle n'est qu'une usurpation. Le peuple a le droit de revendiquer sa souveraineté; sa bonne foi a été surprise; il est victime d'un guet-apens aristocratique. OPPOSITION DES PATRIOTES. - Contre leurs adversaires, les Vonckistes peuvent compter tout d'abord sur l'appui de l'armée, puisque van der Mersch est des leurs. Il ne leur serait pas difficile de se concilier les gens des petites villes, ni même peut-être ceux des campagnes. En Limbourg, la population reste si hostile aux Etats qu'ils n'osent y proclamer leur souveraineté (30), et en Hainaut une émeute éclate à Celles-Molembaix, dont les habitants refusent de leur prêter serment (31). En Flandre, la plus grande partie de la bourgeoisie paraît ralliée aux idées démocratiques (32). Dans les grandes villes, même en Brabant et surtout à Bruxelles, si les novateurs n'ont pas l'avantage du nombre, ils ont celui de l'instruction et de la fortune. Quantité d'avocats et d'adeptes des professions libérales leur appartiennent. Plus précieux encore est l'appui que leur apportent les industriels, les entrepreneurs, les capitalistes, impatients de s'affranchir des privilèges corporatifs et de la prépondérance des grands seigneurs qui dominent aux Etats. La divergence des intérêts économiques a certainement exercé une action considérable sur la formation des partis politiques. Cela est si vrai que la Société patriotique fondée à Bruxelles par Vonck et ses amis, est désignée dans le peuple sous le nom de « club marchand» (33). Du mois d'octobre 1789 au mois de janvier 1790, le (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Insignes de la révolution brabançonne. A gauche : lion belgique tenant une hampe coiffée du chapeau de la liberté. Cuivre doré. Dimensions : 39 X 44 mm. A droite : clef de montre patriotique à trois pierres (noire, jaune et rouge) soutenant le lion belgique. Vermeil. Dimensions : 48 X 59 mm. programme des patriotes n'a pas changé. Les Considérations impartiales de Vonck réservent le droit de vote aux seuls propriétaires (34). Un autre projet de constitution donne le gouvernement de la nation à un « Grand conseil » de deux cents personnes, désignant un « Conseil exécutif » de vingt-cinq membres. Le grand conseil sera nommé par une élection à deux degrés. Tout homme payant cinq florins de charges réelles sera électeur primaire, et cent de ces électeurs choisiront un électeur du second degré. Ce que les patriotes entendent par la nation, c'est évidemment la nation instruite et possédante, seule capable à leurs yeux de jouir des droits de l'homme, dont les privilégiés des Etats leur refusent la jouissance. Leur idéal consiste dans l'organisation d'un gouvernement constitutionnel et parlementaire de forme libérale et d'esprit modéré, et Nélis caractérise assez exactement les Vonckistes en les comparant aux whigs d'Angleterre (35). Mais il était inévitable que les « royalistes », partisans du régime autrichien, et les « philosophes », ennemis de l'Eglise, fissent cause commune avec eux, les uns pour affaiblir la Révolution, les autres pour attaquer, sous prétexte de servir la liberté, les « préjugés » et la superstition, le Journal général de l'Europe jette feu et flamme contre leurs adversaires. Des anticléricaux se glissent dans la Société patriotique. Et il n'en faut pas davantage pour permettre aux conservateurs et au clergé de dépeindre les patriotes, compromis par ces alliés, comme des ennemis de de la religion. Dès lors, la lutte des partis s'empreint de l'acrimonie haineuse que revêtent toujours les conflits confessionnels. Le bleu, que les Vonckistes et les ennemis des Etats ont adopté, devient une couleur séditieuse qu'il est interdit de mêler à celles de la cocarde (36). Les artisans bruxellois considèrent le « club marchand » comme un foyer de complots contre le peuple et contre la foi. Un pamphlet demande que l'on expulse de la ville tout ce qui n'est pas «des Etats», des métiers ou du clergé (37). Le 29 janvier, la situation paraît si grave que l'on ordonne des prières publiques « pour prévenir les funestes effets des divisions intestines ». Pour beaucoup de prêtres, les patriotes ne cherchent qu'à ranimer le jansénisme. Le mandement de carême de l'archevêque les attaque « comme ennemis de la Religion et de l'Etat ». Dès la fin de janvier, le clergé fait signer par les villageois une pétition assurant les Etats de l'appui de la population, et les priant de déclarer « qu'il n'est pas en leur pouvoir de toucher à la constitution ou à la forme de représentation » (38). C'est désormais s'exposer à passer pour mauvais catholique que de réclamer la convocation d'une assemblée nationale. Le Journal philosophique et chrétien de Brosius, où Feller et ses acolytes se déchaînent contre la philosophie et les réformes politiques, est officiellement approuvé par les Etats-Généraux (39). C'est donc au milieu du déchaînement des passions que fut inaugurée la République belge. A toute évidence, il eût fallu, pour en assurer l'avenir, que le pouvoir qui en assumait la direction fût accepté par les deux partis. Or, quel espoir y avait-il de rallier les Vonckistes aux Etats-Généraux et au Congrès ? Les rares députés du Tiers qui partageaient leurs idées y étaient si peu nombreux, qu'il ne fallait même pas s'attendre à leur voir jouer le rôle d'une minorité d'opposition. Il était certain que van der Noot et van Eupen domineraient l'assemblée. Au surplus, les « nations » de Bruxelles la surveillaient et se chargeaient de la rappeler à l'ordre à la moindre velléité d'indépendance. Mais elle était si peu préparée à sa tâche, si dépourvue d'hommes de talent et d'hommes spéciaux, si peu sûre d'elle-même, si inquiète de l'hostilité à laquelle elle se voyait en butte, qu'elle chercha tout de suite à s'assurer le concours de personnes que leur capacité lui rendait indispensables en même temps que leurs idées donneraient, du moins en apparence, quelques gages de modération à ses adversaires. Elle pria Cornet de Grez, partisan notoire de la convocation d'une assemblée nationale, de « l'aider de ses lumières », surtout dans le maniement des finances. Le 25 janvier, elle donnait la présidence du département général de la guerre au duc d'Ursel. Pas plus que Cornet de Grez, ce grand seigneur n'approuvait la politique réactionnaire et particulariste des Etats. Ses tendances étaient les mêmes que celles de ce petit groupe de la haute aristocratie française qui rêvait alors d'un gouvernement constitutionnel et libéral. Ses beaux-frères, le duc d'Arenberg et le fameux ami de Mirabeau, le comte de La Marck, qui, de Paris, venait d'accourir à Bruxelles, pensaient de même et d'accord avec lui affichaient publiquement leurs sympathies pour les Vonckistes. Elevés au-dessus des querelles de partis par l'éclat de leur naissance et leur ascendant social, ils semblent avoir caressé le projet de réconcilier les adversaires, et de les amener, par des concessions réciproques, à fonder ensemble et à assurer l'indépendance de la nation. D'anciens griefs contre l'empereur et le souvenir aussi de la part prise par la ndblesse à la Révolution du XVIe siècle, peuvent n'avoir pas été sans influer sur leur conduite. Elle indignait les rares fidèles de l'Autriche qui accusaient la maison d'Arenberg d'ambitionner le pouvoir suprême et peut-être même la couronne ! Le succès de cette opposition eût précipité van der Noot du pouvoir et ruiné ses plans de la coalition du clergé et des conservateurs brabançons. Pour écarter ce péril, la nécessité d'un protecteur s'imposait à eux, de jour en jour plus pressante, et ils multipliaient les démarches pour obtenir enfin des cours étrangères une déclaration formelle en leur faveur. Toutes avaient intérêt à les soutenir contre les Vonckistes. Les sympathies françaises de ces derniers les inquiétaient, et plus encore, peut-être, leurs aspirations vers une Belgique unifiée sous une constitution nationale. Elles préféraient de beaucoup, tant par raison économique que par raison politique, la continuation du provincialisme conservateur qui, en éparpillant et en paralysant les forces du pays, leur garantissait son impuissance. L'Angleterre, à vrai dire, qui commençait à se rapprocher de l'Autriche, prenait peu d'intérêt à la question. Les Provinces-Unies s'en préoccupaient davantage. Elles n'auraient demandé, qu'à profiter des circonstances pour étouffer l'industrie et le commerce belges et restaurer autant que possible le traité de la Barrière (40). Au surplus, les hommes d'Etat de La Haye n'eussent pas été fâchés de mater les patriotes (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Portraits en médaillon de van der Noot et de van Eupen. Au droit (à gauche sur la planche), portrait de van der Noot; au revers (à droite sur la planche), portrait de Pierre van Eupen (Anvers, 1744-Zuutphaas, 1804). belges pour enlever aux patriotes hollandais, mal remis de l'échec de leur soulèvement de 1787, toute velléité de recommencer cette aventure. Seulement, les Provinces-Unies, qui jadis avaient conduit la politique européenne, ne faisaient plus que la subir, et, ne pouvant rien par elles-mêmes, n'osaient s'engager et attendaient le mot d'ordre de leurs alliés. INTERVENTION DE LA PRUSSE. - La Prusse se montrait, par bonheur, plus encourageante. A mesure que son hostilité contre l'Autriche s'accentuait, Hertzberg appréciait toute la valeur, pour la réussite de ses desseins, de l'insurrection des Pays-Bas. Sans doute, la Prusse ne pouvait songer à les conquérir. Ce qu'elle voulait, c'était y entretenir l'agitation et la résistance jusqu'à ce que l'empereur eût cédé devant elle en Pologne. Elle consentirait alors à le laisser rentrer en Belgique « sous une constitution tellement limitée qu'il ne la posséderait plus que comme un gentilhomme» (41), et cela encore serait un avantage considérable. Ce plan venait déjà de recevoir, dans le pays de Liège, un commencement d'exécution. Là aussi la Révolution servait les desseins de Frédéric-Guillaume. Sous prétexte de médiation, mais en réalité pour y rendre impossible l'intervention impériale, les troupes prussiennes étaient entrées à Liège le 30 novembre 1789. Peut-être la crainte de voir se conclure une alliance entre les Belges et les Liégeois n'avait-elle pas été étrangère à cet événement. La bureaucratie absolutiste de Berlin n'entendait soutenir les révolutionnaires qu'à la condition de les utiliser au mieux de ses intérêts. Divisés, ils lui étaient utiles; unis, ils fussent devenus dangereux, ou tout au moins embarrassants et compromettants. En s'intro-duisant à Liège, la Prusse parait à cet inconvénient. Elle ne demandait qu'à s'assurer à Bruxelles une situation également favorable. Peu lui importait que les Liégeois fussent aussi novateurs que van der Noot et les siens étaient réactionnaires. Au fond, elle les méprisait les uns et les autres et ne voyait en eux que des instruments que l'on rejette après usage. Tout de suite, le général Schlieffen, commandant à Liège, s'était mis en rapport avec van der Noot. L'agent diplomatique du peuple brabançon se laissa naturellement (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) L'armée de la lune : estampe satirique. Les Autrichiens recherchent l'armée des patriotes dans la lune, à l'aide de longue-vues. Le lion belgique se jette sur un soldat autrichien et le fait culbuter. Estampe anonyme contemporaine. de ses adversaires, et l'arrivée de Schoenfeldt le rendait certain. Il était impossible, en effet, de ne pas confier au général prussien la direction de l'armée. N'avait-il pas été formé à l'école du grand Frédéric, et son maître Frédéric-Guillaume ne manifestait-il pas pour les Belges, les sentiments les plus sincères — en apparence ? Or, lui soumettre l'armée, c'était l'enlever à l'influence de van der Mersch et du duc d'Ursel, partant à l'influence des « novateurs ». Dès le 8 février, van der Noot faisait charger Schoenfeldt par les Etats-Généraux d'inspecter les régiments. Le département de la guerre était réduit à la nomination des bas officiers. Il était évident qu'après avoir LE MANIFESTE DE LEOPOLD II. - Son frère Léopold, grand-duc de Toscane, qui devait lui succéder, n'attendit pas sa mort pour se composer une attitude à l'égard de la Belgique. Aussi fervent adepte du despotisme éclairé que Joseph l'avait été lui-même, il possédait en revanche au degré le plus éminent, le tact politique, l'entregent, l'habileté et le., souplesse qui faisaient si complètement défaut à l'empereur. C'était un praticien et non un philosophe de l'absolutisme, convaincu que l'on gouverne les hommes avec des hommes et non pas avec des idées. Si la douceur, l'accoutumance à la servitude et l'insouciance des Toscans expliquent en partie la facilité avec laquelle ils avaient accepté de Léopold les mêmes réformes qui mirent les Belges en insurrection contre Joseph, la différence des méthodes d'application n'en a pas moins sa part dans cet heureux succès. C'est tout au plus si le bruit du soulèvement de Bruxelles produisit à Florence un léger écho parmi les moines. La traduction italienne d'un « drame historique » bafouant van der Noot (43) dut faire sourire le grand-duc. Mais ce van der Noot qu'il méprisait étant puissant en Belgique, il importait de le ménager. Ne tenant à ses convictions personnelles que dans la mesure où elles ne pouvaient gêner les intérêts de la couronne, Léopold était décidé à les sacrifier pour se rallier les révoltés des Pays-Bas. Son frère n'avait pas encore fermé usurpé le pouvoir politique, le parti des Etats, encouragé par l'illusion de l'alliance prussienne, visait à s'emparer de la force militaire. MORT DE JOSEPH II. — On en était là, c'est-à-dire à la veille de la guerre civile, quand on apprit à Bruxelles la mort de Joseph II, arrivée le 20 février 1790. Depuis des mois, la maladie ne semblait épargner ce prince usé par le travail et les soucis que pour le faire assister à la ruine de toutes ses ambitions, à la faillite de ses intentions les plus droites. Au moment même où la retraite de ses troupes en Belgique le portait au « comble du malheur et de l'ignominie» (42), l'échec de son expédition contre les Turcs l'humiliait devant l'Europe et enhardissait la Prusse à le menacer ouvertement. L'Etat, dont il avait sincèrement confondu les intérêts avec ceux du bien public et de l'humanité, semblait s'effondrer sous lui. Empoisonné d'amertume, sentant venir la fin d'une vie dont il avait tant espéré et qui s'achevait si cruellement, il s'épuisait sur son lit de douleurs à veiller au salut de la monarchie. Dès le 28 novembre 1789, il chargeait son vice-chancelier Philippe Cobenzl de partir pour la Belgique et de prendre toutes les mesures que nécessiteraient les circonstances. A l'avance, il consentait à tout pour conserver ce pays, que la situation de ses affaires ne lui permettait pas de reconquérir de vive force. Indifférent désormais au point d'honneur, il mendiait le concours de l'Eglise. Il suppliait le pape d'intervenir; il chargeait Kaunitz d'implorer la médiation de l'archevêque de Malines, à qui il avait brutalement, quelques mois plus tôt, enlevé le collier de l'ordre de Saint-Etienne. Mais ces efforts désespérés, cette humiliation suprême avaient d'autant moins de chance d'aboutir que personne n'ignorait qu'ils ne lui étaient imposés que par l'impuissance. Il avait donné aux Belges, non sans doute par hypocrisie, mais par maladresse, le droit de se défier de sa parole. Ses tentatives de moribond ne furent accueillies que par une haine muette. mener où l'on voulait. Il accepta tous les prétextes allégués par Schlieffen pour éluder l'envoi d'un corps de troupes, qui eût provoqué une rupture irrémédiable entre Berlin et Vienne. Il se contenta des bonnes paroles et des promesses abondantes que lui apportaient les agents et les officiers prussiens. Il se vit au comble de ses vœux lorsque, le 29 janvier, un camarade de Schlieffen, le général Schoenfeldt, se fut mis au service des Etats-Généraux. Désormais, il crut avoir lié la Prusse à sa cause. En réalité, il en devenait le jouet. Mais comment s'en fût-il aperçu ? Pour lui, la question essentielle était l'écrasement les yeux, qu'il soumettait à Albert et à Marie-Christine, réfugiés à Bonn, un projet de manifeste. On y trouvait, entremêlée de protestations de dévoû-ment, d'éloges pour le peuple, d'effusions de libéralisme et de générosité, une capitulation formelle du souverain devant la nation. Il y affirmait qu'il avait « constamment désapprouvé en son particulier » les mesures prises par Sa Majesté l'empereur, qu'il avait toujours considéré la Belgique « comme la partie la plus respectable et la plus intéressante de la maison d'Autriche », et sa constitution « comme parfaite et devant servir de modèle à celle des autres provinces de la monarchie ». En déclarant déchu le monarque qui avait rompu le « pacte inaugural », les Etats n'avaient fait qu'user de leurs droits. Lui-même se proclamait convaincu comme eux que le prince, « élu et constitué par les peuples, ne doit et ne peut régner que par la lloi, et conformément aux constitutions fondamentales ». En conséquence « il ne peut y faire aucun changement quelconque que du libre consentement des Etats ». Il promet de leur soumettre le vote de tous les impôts, de leur faire rendre compte par ses ministres, d'obliger les troupes à leur prêter serment. Par surcroît, la Joyeuse-Entrée et les privilèges de toutes les provinces seront scrupuleusement respectés. L'armée ne comprendra plus que des régiments nationaux levés dans le pays et commandés par des officiers indigènes. Quant à l'Eglise, elle jouira de la liberté la plus complète. Plus de séminaire général, plus de suppressions de couvents, plus de caisse de religion. Les évêques assemblés en synode régleront seuls les affaires ecclésiastiques. D'ailleurs, aucune loi nouvelle ne sera portée qu'après avoir été acceptée par les Etats-Généraux. Et si cela ne suffit pas, Son Altesse Royale les laisse maîtres « d'y ajouter toutes les autres clauses et articles qu'ils croiront avantageux et convenables pour assurer la tranquillité constante, le bien-être de leur pays et rendre pour toujours, même aux souverains futurs, impossibles l'infraction de leurs privilèges et l'altération de leur constitution et liberté, pour laquelle ils ont témoigné un si respectable courage » (44). C'était trop, et si impatients qu'ils fussent de rentrer à Bruxelles, si critique que leur apparût la situation de la monarchie et si urgente la nécessité d'amadouer les Belges, les gouverneurs ne purent s'empêcher de mettre quelque sourdine à l'enthousiasme constitutionnel que Léopold, vraiment, exagérait. Ils trouvèrent inutile de parler du « respectable courage » des révoltés, et surtout d'affirmer que le prince tenait d'eux son pouvoir. Quelle imprudence de se lier ainsi les mains devant des gens que l'on devrait bien ramener à l'obéis- sance dès que la fortune le permettrait ! Ne leur faisait-on pas d'assez belles concessions en les associant provisoirement à la souveraineté ? Le manifeste ne fut donc envoyé, le 2 mars, qu'après quelques retouches qui en laissaient subsister d'ailleurs toutes les mirifiques promesses (45). Contre toute attente, les Etats-Généraux ne l'honorèrent pas même d'une réponse ! Sans doute ils se défiaient, et avec raison, de Léopold. Comment ne s'empressèrent-ils pas cependant de prendre au mot un souverain si visiblement prêt à tout céder ? Comment ne saisirent-ils pas cette occasion inespérée de procurer au pays une autonomie tellement étendue qu'elle équivalait presque à l'indépendance ? Il est absolument certain que le pays se fût prononcé sans hésitation pour la réconciliation qui lui était offerte. Déjà les Etats de Gueldre demandaient que l'on se mît en rapport avec Léopold. Gendebien, le représentant du Tiers hennuyer, trouvait ses propositions aussi favorables que la paix d'Arras l'avait été en 1579. Les « consti-tutionalistes » du groupe de Cornet de Grez, les Vonckistes, les patriotes voulaient que l'on négociât sans retard. Car si le manifeste ne parlait pas d'assemblée nationale, il traçait pourtant, dans ses lignes essentielles, le programme d'un véritable régime parlementaire. Il ne serait pas difficile sans doute, avec le concours de l'opinion publique, d'amener le prince à faire un pas de plus et à admettre à la place des Etats-Généraux et du Congrès, un Corps représentatif élu par la nation et exerçant en son nom le pouvoir législatif. C'en fut assez pour décider irrévocablement van der Noot, van Eupen et leurs partisans à repousser la main qui leur était tendue. Ils ne virent plus, dans une entente avec l'Autriche, qu'une manœuvre de leurs adversaires pour les précipiter du pouvoir et pour substi- (Bruxelles, Archives communales n° 2956.) (Cliché Bijtebier.) «Mais la populace était lancée : elle se rua. Le 16, les capons du rivage l'entraînent derrière eux. Ils pillent, arrêtent les patriotes, les maltraitent et les insultent. » (Voyez le texte, p. 250.) Inscription explicative au bas de cette gravure anonyme contemporaine : Le 16 avril 1790 à 9 heures du soir, Vandervel fils, orfèvre demeurant sur le Tersine à Bruxelles, à la tête d'une bande de la compagnie sécrette (sic) du Congrès aux ordres de Vander Noot, et accompagné des pillards commandés par — ici une demi-ligne a été effacée - enfoncent la porte de la maison du sieur De la Rue avec une poutre d environ 12 pieds de long à l'effet d'y commettre les horreurs dont il était chargé. Le texte figurant au bas de la gravure n est pas reproduit. tuer à leur conservatisme politico-religieux les innovations et les expériences démocratiques dont ils avaient horreur. Une fois de plus, l'intérêt de parti l'emporta sur l'intérêt national. La confiance qu'ils accordaient à la Prusse empêchait d'ailleurs les conservateurs de s'effrayer d'une rupture avec l'Autriche. Leur inexpérience diplomatique les excuse de n'avoir point vu que l'heure était décisive et de s'être laissé dominer par leurs passions. EXASPERATION DES PATRIOTES. - Leur attitude porta à son comble l'exaspération des patriotes. Elle les poussa à préparer contre les Etats une de ces « journées » dont la Commune de Paris avait, dans les derniers mois, donné tant d'exemples. Si leurs ennemis disposaient à Bruxelles des « nations », du bas peuple, des bras et des poings redoutables de ces débardeurs du canal que l'on désignait sous le sobriquet de « capons du rivage », ils pouvaient compter, de leur côté, sur l'appui des compagnies de volontaires, recrutées parmi les gens capables de s'équiper à leurs frais et par conséquent presque exclusivement composés de bourgeois. Le duc d'Ursel en avait accepté le commandement. Le duc d'Arenberg et le comte de La Marck y étaient « doyens ». Le 9 mars, ils refusèrent avec leurs compagnies de prêter serment de fidélité aux Etats. Des têtes chaudes parlaient d'envahir la salle de leurs séances et d'en jeter les membres par les fenêtres. La populace de Bruxelles fit échouer le mouvement. Artisans envieux des « messieurs » de la bourgeoisie, compagnons et capons du rivage excités par les déclamations furibondes des moines dénonçant les patriotes comme des persécuteurs de la foi et des séides du despotisme autrichien, vinrent à la rescousse des Etats. Des affiches placardées dans les rues exhortaient le peuple à accrocher à la lanterne les ennemis des métiers et de la religion. Leurs maisons étaient marquées pour le pillage. Devant ce débordement de haine, ils hésitèrent. Leur chef Vonck, quinquagénaire timide et placide, sans aucun talent de parole, était mieux fait pour les déconcerter que pour les soutenir. Les grands seigneurs qu'ils avaient mis à leur tête ne voulaient pas se compromettre dans une lutte sanglante avec la foule. Au lieu d'un combat de rues, on n'organisa qu'un pétitionnement. Le 15 mars, les volontaires remirent aux Etats une adresse réclamant la consultation de la nation sur la forme du gouvernement à établir. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté G 508.) Amusette liégeoise : projet d'un petit canon d'accompagnement pour l'armée brabançonne. Le canon est monté sur un affût en forme de brouette et protégé par un man-telet de bois servant de bouclier. Le colonel Koehler, ancien aide de camp du général Elliot au siège de Gibraltar, avait inventé ce système de canon rayé dit « à pression » mais le projet ne fut jamais mis à exécution dans l'armée brabançonne. — Dessin extrait des Mémoires militaires sur la campagne de l'armée belgique dans les Pays-Bas autrichiens pendant la Révolution de 1790. par un officier de l'armée (Vilain XIIII, ancien aide de camp de Koehler) (Londres, 1791, ln-8°), p. 230-231. Mais la populace était lancée; elle se rua. Le 16, les capons du rivage l'entraînent derrière eux. Ils pillent, arrêtent les patriotes, les maltraitent et les insultent aux applaudissements des membres des Etats qui les encouragent du haut des fenêtres de l'hôtel de ville. Les volontaires n'osent se servir de leurs armes pour rétablir l'ordre. La ville est livrée à l'émeute, et le Conseil de Brabant en profite, sous couleur d'interdire les rassemblements, pour supprimer la Société patriotique. Le lendemain, quelques coups de fusil tirés par la compagnie du vicomte Walckiers, déchaînent à tel point la brutalité des bandes, que van der Noot, leur idole, s'inquiète et se décide à intervenir pour les calmer. Aussi bien sa victoire est-elle complète. Les chefs de ses adversaires ont pris la fuite. Les Etats, un moment menacés, voient leur domination affermie. Le 19 mars, n'ayant plus rien à craindre, ils donnent l'ordre de cesser les pillages et autorisent les personnes attaquées à repousser la force par la force. MOUVEMENT DANS L'ARMEE. - La capitale enlevée aux patriotes, l'armée de van der Mersch leur restait. Faute de ressources, peut-être aussi par méfiance et mauvais vouloir, les Etats la laissaient croupir à Namur dans un dénuement lamentable. Ses quatre mille hommes ne pouvaient suffire, comme on l'aurait voulu à Bruxelles, à bloquer les huit à dix mille Autrichiens commandés par Bender, qui s'appuyaient sur Luxembourg. Un échec qu'elle venait de subir l'avait forcée à replier ses avant-postes de Nassogne sur Assesse. La nouvelle de l'entrée du Prussien Schoenfeldt au service de la République transforma son mécontentement en indignation; celle des journées de mars la poussa à bout. Avec la complicité de leur général, les officiers se décident à une démonstration militaire. Ils font signer par les troupes une pétition exigeant le maintien de van der Mersch à la tête de l'armée, le commandement en second pour le comte de La Marck et la confirmation du duc d'Ursel comme chef du département de la guerre (1er avril). Des députés du Congrès, envoyés pour parlementer avec eux, furent arrêtés par les soldats. Si les Etats cédaient devant ce pronunciamiento, c'en était fait de leur pouvoir. Ils venaient d'apprendre que Vonck, d'Ursel et La Marck avaient rejoint le quartier général de Namur. L'opposition politique se plaçait donc sous la protection de l'armée insurgée. Suivant leur cours avec une logique imperturbable, les événements, dirigés par la passion des partis, acculaient la République à la guerre civile. Schoenfeldt, qui, à la tête des nouvelles recrues levées dans les provinces, venait de recevoir la capitulation de la garnison autrichienne d'Anvers, fut chargé de marcher contre van der Mersch. Plus jeune, plus ardent, plus hardi, celui-ci eût sans doute accepté le combat qu'on lui offrait. Mais le vieux militaire pensionné avait, comme Vonck, dépassé l'âge où la volonté aboutit spontanément à l'action. Le sentiment de sa responsabilité l'arrêta. Le 6 avril, il partait sur la route de Bruxelles à la rencontre de Schoenfeldt, discutait avec lui, justifiait sa conduite, et, moyennant une promesse d'amnistie pour ses troupes, consentait à s'expliquer avec les Etats. Le drame qui s'annonçait s'acheva en comédie bourgeoise jouée par des acteurs médiocres. Les Etats se montrèrent aussi débonnaires envers le vaincu, qu'il avait été lui-même conspirateur inoffensif. Ils se bornèrent à l'envoyer tenir les arrêts à la citadelle d'Anvers. Au lieu de sang répandu, il n'y eut, après des péripéties si menaçantes, qu'un nouveau déchaînement de la populace. Le peuple de Namur se souleva contre les officiers patriotes et désarma la garnison. Vonck se réfugia en France; d'Ursel alla demander asile à son oncle, le prince Lobkowitz, évêque de Gand, au château de Loo-christy. Cette fois, la victoire des Etats et du Congrès était définitive. Du groupe de Vonck et des novateurs, il ne subsistait que des débris. Tous ses chefs, tous ses partisans les plus ardents et les plus convaincus émigraient. Incapables de s'entendre, les partis s'étaient entre-déchirés. Et, au cours de la lutte, leurs tendances, en s'exaspérant, s'étaient transformées. A partir du printemps de 1790, il n'est plus guère question ni de Joyeuse-Entrée ni d'assemblée nationale. Les appellations de Vandernootistes et de Vonckistes commencent à disparaître. Des noms nouveaux les remplacent, ne laissant plus apercevoir que l'opposition essentielle des principes en présence : ici les aristocrates, là les démocrates (46). La Révolution belge, analogue à ses débuts à la révolution française, aboutissait à une restauration complète de l'Ancien Régime. IMPUISSANCE DU CONGRES. - Mais l'Ancien Régime était bien mort, et l'impuissance des Etats, après leur triomphe, en est la preuve éclatante. Ils ne comprenaient pas que la vigueur dont ils avaient fait preuve sous Joseph II ne leur avait été donnée que par la nation, groupée autour d'eux contre le despotisme de l'empereur. En perdant le contact avec elle, ils perdaient la force qu'elle leur avait communiquée. Ils n'étaient plus que des corps privilégiés, isolés dans leur égoïsme, et que leur attachement même aux constitutions surannées dont ils se réclamaient, rendait incapables de gouverner. On les voit s'épuiser inutilement aux services publics les plus indispensables. Tout se détraque sous eux. Les comités organisés en mai par le Congrès, comité des finances, comité politique, comité de guerre, s'agitent dans le vide. Nulle initiative, nul courage, nulle compétence. On craint trop le peuple, dont on a confisqué le pouvoir politique, pour oser frapper les impôts que les circonstances exigeraient. Les Etats-Généraux savent qu'ils ne peuvent se maintenir que par sa tolérance, et les flatteries qu'ils lui prodiguent prouvent qu'ils ont conscience de leur faiblesse. « Nous devons nous mettre en état de défense, disent-ils le 1er février, et ménager l'intérêt de nos frères, surtout de cette classe si utile à l'Etat quoique la moins aisée, et ne pas leur imposer de charges nouvelles; bien au contraire, notre étude doit être, comme c'est notre désir, de les décharger autant que possible (47). Dès lors, les voilà réduits, pour parer au déficit du trésor, à ouvrir pathétiquement des souscriptions patriotiques. Malheureusement, les privilégiés qu'ils représentent ne les soutiennent que par intérêt, et l'intérêt ne porte pas au sacrifice. Malgré la propagande du clergé, les souscriptions ne produisent que des sommes ridiculement insuffisantes, et le trésor reste à sec. Pourtant, il faudrait profiter du moment pour chasser de Luxembourg les Autrichiens qui n'attendent que des renforts pour prendre l'offensive. On pourrait les bouter dehors par un coup de force. Mais sans argent, comment organiser une armée ? On fait bien appel aux volontaires dont les engagements sont assez nombreux. Le généralissime Schoenfeldt voudrait les rompre à la discipline avant de les envoyer à l'ennemi. Par prudence, on n'ose obéir à (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Hussard volontaire de Tirlemont. Dolman et pelisse noirs à liserés, brandebourgs rouges, culotte jaune à bande rouge, shako à bandes noires, jaunes et rouges, plumet aux mêmes couleurs, schabrake et fontes rouges bordées de jaune. — Estampe coloriée anonyme. ses conseils pour ne pas mécontenter les recrues. Aussi, en dépit de leur bonne volonté, manquent-elles totalement de cohésion. L'armée n'est qu'une cohue multicolore de contingents locaux armés à la diable, vêtus à leur guise, et où les hommes de chaque paroisse cherchent surtout à éclipser leurs voisins par la rutilance d'un uniforme mirifique. Le règlement qu'on lui a donné le 24 mars paraît mieux fait pour un collège que pour une armée : pas de châtiments corporels, les officiers déclarés responsables des soldats qui ne payeraient pas l'habitant, appel de toutes les condamnations prononcées par le conseil de guerre, billet de confession obligatoire (48). On n'ose refuser des congés aux hommes qui désirent visiter leurs parents. Bref, on pourrait peut-être employer de telles troupes dans les combats de rue; il ne faut pas espérer leur faire affronter une bataille. Schoenfeldt essaya cependant de les aguerrir par des escarmouches. La première tentative, à Beauraing (23 mai) fut déplorable. Dès qu'ils entendirent le canon, les soldats se jetèrent à plat ventre et refusèrent d'avancer. On réussit un peu mieux le 17 juin, dans un petit engagement à Freyr, où l'on captura une pièce d'artillerie. Toutefois, il était évident qu'il fallait renoncer à l'offensive. Avec l'aide de son compatriote Kôhler, Schoenfeldt disposa les troupes le long de la Meuse et attendit avec désintéressement la fin de la campagne. Son rôle n'était-il pas d'inspirer aux Etats, dans l'intérêt du roi de Prusse, une confiance dont il connaissait mieux que personne toute l'inanité ? La situation était d'autant plus critique qu'à Lille, dont ils avaient fait leur centre d'action, les démocrates, au lieu de renoncer à la lutte, déployaient une activité menaçante. Jamais encore les partis n'avaient travaillé l'opinion publique avec autant d'acharnement et de cynisme. Le nombre des pamphlets, des caricatures, des chansons que le flot fangeux des passions politiques emporte des presses clandestines de Lille et de Bruxelles, rivalise, du moins en quantité, avec la littérature polémique de Paris (49). Aristocrates et démocrates font assaut de grossièreté, de platitude, d'obscénité, parfois même d'infamie, et le ton auquel ils s'abaissent témoigne autant du déchaînement de leurs passions que de l'état moral et intellectuel de leurs lecteurs. Il n'est pas de calomnies qu'ils n'emploient contre leurs adversaires. Les plus cultivés d'entre eux ne rougissent pas de justifier les pires violences. Feller se croit spirituel en félicitant les capons du rivage de n'avoir fait qu'exercer les droits de l'homme en pillant et en rossant les démocrates. Au reste, si cette littérature est répugnante, elle n'est pas atroce. Elle se contente de l'injure et de la calomnie : elle ne va pas jusqu'à exciter au massacre, et quand elle parle d'accrocher les gens à la lanterne, ce n'est que pour suivre la mode parisienne. Si la Révolution brabançonne a fait couler des torrents de boue, la débonnaireté des moeurs nationales y a fait reculer presque toujours, même les plus acharnés, devant l'effusion du sang. INSURRECTION DES DEMOCRATES. - Cependant les démocrates de Lille ne se bornent pas à écrire. Pour arracher le pouvoir à leurs ennemis, que la Prusse favorise, ils comptent sur la France. Les plus avancés d'entre eux sollicitent leurs correspondants de l'Assemblée Constituante d'intervenir. La Fayette, qui, dès le mois de février, leur envoyait des émissaires, s'intéresse à leur cause et les encourage. Mais au milieu du tragique enfantement de la Révolution, comment la France pourrait-elle s'occuper des Pays-Bas ? Au surplus, personne ne craint cette nation que les Cours considèrent dédaigneusement comme « devenue dans ce moment-ci tout à fait nulle pour le reste de l'Europe » (50). Elle ne pouvait répondre et elle ne répondit pas à l'appel des démocrates. En même temps qu'ils s'adressent à elle, ceux-ci complotent en outre à l'intérieur du pays. Ils savent que le gouvernement des Etats ne possède d'adhérents convaincus que parmi le clergé, les classes privilégiées et les métiers des villes brabançonnes. A Mons, la bourgeoisie lui est hostile. A Tournai, il a fallu, par crainte du peuple, lui donner une plus large représentation dans les « bannières ». A Gand, la « collace » vient de se constituer suivant les principes démocratiques et a forcé le magistrat à lui prêter serment. Dans le Limbourg, les Etats se sentent tellement impopulaires, qu'ils n'osent proclamer leur indépendance et que le Congrès a dû envoyer des troupes pour les protéger. Dans la Flandre occidentale, l'arrestation de van der Mersch, né dans la province et qui y compte de nombreux amis, a produit la plus pénible sensation. Ce sont là autant de chances favorables à une insurrection et bientôt, instiguée par le comité de Lille, elle éclate (fin mai). A Menin, à Courtrai, des bandes s'assemblent, et, sous la direction de quelques émigrés, se préparent à marcher sur Gand, puis sur Anvers pour délivrer van der Mersch. Déjà leurs affidés font sonner le tocsin dans les villages des châtellenies d'Alost et d'Audenarde. Mais le Congrès avait eu le temps de prendre des mesures et le mouvement échoua. Il ne servit qu'à provoquer une réaction furibonde contre les démocrates. Durant quelques jours, il sembla que l'on fût sur le point d'organiser la terreur. Les Etats de Flandre firent enlever le duc d'Ursel à Loochristy, arrêter des suspects, condamner deux des meneurs à la potence. Ceux de Brabant décrétèrent l'emprisonnement de quantité de leurs adversaires. A Mons, les magistrats faisaient fouiller les maisons pour y découvrir les armes cachées. Dans des écrits furibonds, Feller exigeait que l'on refusât aux suspects toutes les garanties judiciaires. Le Congrès lui-même répandit une proclamation accusant les démocrates de préparer le retour des Autrichiens en vue d'assouvir, grâce à eux, leur rage contre la religion. Il cherchait en même temps à rassurer l'opinion inquiétée par le bruit, qui commençait à circuler, d'un rapprochement entre l'Autriche et la Prusse. Rien n'était plus fondé que ces rumeurs, et le Congrès, qui les démentait, le savait mieux que personne. L'habileté de Léopold avait réussi à lui concilier l'Angleterre. L'Angleterre ne bougeant pas assurait l'immobilité de la Hollande. Des puissances sur lesquelles on avait compté, la Prusse restait donc seule. Mais la Prusse continuait à ne donner que des paroles, et il devenait évident que sa mollesse présageait un abandon futur et peut-être prochain. Si elle ne se dérobait pas encore, on ne pouvait plus douter que ce fût uniquement pour peser sur l'empereur au cours des négociations entamées entre Vienne et Berlin. Or, qu'adviendrait-il du Congrès le jour où le secours de la Prusse, dont il avait si longtemps leurré l'opinion, lui ferait défaut ? Comment tenir tête à l'Autriche, dans un pays travaillé par une opposition irréconciliable ? Le salut n'était-il pas dans un rapprochement des partis ? En somme, les démocrates restaient partisans de l'indépendance nationale. Quelques concessions pourraient les rallier et reconstituer l'union qui, au début de la Révolution, avait si heureusement triomphé de Joseph II. Depuis toujours, c'était là le vœu secret de Cornet de Grez. Il parvint à y rallier van Eupen, et des conférences s'ouvrirent à Douai, au mois de juin. Van Eupen allait jusqu'à consentir à une collaboration de la France à la défense de la Belgique. Des avances furent faites à La Fayette. Dans l'impossibilité d'agir, il les déclina sous prétexte « qu'ayant donné des preuves et en Amérique et dans ces derniers temps en Europe de son attachement pour le système populaire» (51), il ne pourrait s'entendre avec van der Noot et van Eupen; « qu'une conduite pareille le compromettrait et l'exposerait même à être soupçonné d'approuver le gouvernement actuel des Etats si opposé à celui de la France ». Entre les aristocrates et les démocrates les haines et les rancunes en étaient d'ailleurs arrivées au point de rendre tout raccommodement impossible. Les conférences de Douai n'aboutirent pas. MOUVEMENTS DEMAGOGIQUES. - Leur échec abandonna le Congrès à la direction des fanatiques qu'il désapprouvait sans avoir ni l'énergie de le montrer ni la force de les contenir. Il est désormais débordé par les moines et les curés qui, pour sauver la religion des attentats qu'ils accusent l'Autriche et les démocrates de préparer contre elle, prêchant la guerre sainte aux paysans. Ils proclament du haut de la chaire que les impies complotent l'assassinat de l'archevêque et des citoyens attachés aux Etats. Des gravures montrent Dieu foudroyant les incrédules en même temps que l'aigle autrichienne. Il semble que l'on en soit revenu aux plus mauvais jours des guerres de religion. Il n'est pas d'invention absurde qui ne trouve créance. Un libelle raconte qu'un capitaine autrichien a promis à ses soldats de leur donner des hosties consacrées comme pain de munition (52). Le torrent des passions religieuses emporte les sympathies que les paysans avaient tout d'abord manifestées çà et là aux réformes de l'empereur ou aux promesses des démocrates (53). Et les Etats qui, jusqu'alors, n'avaient pris en considération que la population des villes, s'adressent à leur tour aux masses rurales. Le 26 juin, ceux de Flandre les appellent aux armes contre un ennemi qui projette le pillage de la province, l'incendie des fermes et l'anéantissement de de la liberté séculaire du peuple flamand (54). Sous la direction du clergé, une levée en masse s'organise dans le plat pays. Les hommes de chaque village, armés de vieux fusils, de sabres, de fourches, de bâtons, les bannières de leurs confréries en tête et conduits par leur curé ou quelque moine chevauchant au premier rang le sabre ceint sur la soutane ou le froc, se mettent en marche vers la capitale de leur province, pour y faire hommage aux Etats. De la fin de juin à la fin de juillet, ces manifestations se suivent presque de jour en jour, avec accompagnement de revues, de messes solennelles, de harangues patriotiques. Commencé aux environs de Bruxelles, le mouvement a bientôt gagné tout le pays. Après les habitants de la prévôté de Binche, qui défilent à Mons le 30 juin, on voit arriver successivement, ceux des environs de Soignies, ceux du Borinage, ceux des alentours de Braine-le-Comte, de Leuze, d'Ath, d'Enghien, de Hal, de Beaumont. Le chapitre de Soignies offre" quatre canons de six livres, et quelques abbayes se signalent comme lui par des dons volontaires en argent et en nature (55). Au milieu de tout ce tumulte, le Congrès cherche désespérément des ressources. L'entretien de l'armée exige 400,000 florins par semaine et, plus que jamais, le trésor est à sec. Le 31 juillet, il supplie les Etats des provinces de lui envoyer des fonds. Mais partout ils ont arrêté la perception des subsides ordinaires, ils n'osent la remettre en vigueur, et « ils abhorrent de créer des impôts qui seraient à charge des habitants peu moyennés » (56). Force est bien de leur proposer le 15 août un emprunt forcé de 10 millions de florins. Vains efforts ! L'évidence et l'imminence du péril ne peuvent avoir raison de leur particularisme. Ils n'entendent pas abdiquer leur souveraineté au profit du Congrès et se laisser conduire par lui. Au mois d'octobre, sauf les souscriptions de quelques nobles, membres du Congrès, aucune somme n'a encore été fournie. ANARCHIE. - Non seulement l'impuissance du pou- voir central et l'impéritie des pouvoirs locaux rendent impossibles toutes mesures de défense, mais elles abandonnent encore le pays à l'anarchie. A Gand, le 22 juillet, les démocrates envahissent l'hôtel de ville au cri de : Vive le Tiers-Etat ! et forcent les Etats à approuver un nouveau règlement municipal affirmant que tout pouvoir réside dans la nation. Pour réagir, les aristocrates s'appuient sur les corporations de métiers. Aussitôt celles-ci réclament la restitution de tous leurs privilèges. Les bateliers exigent leur ancien monopole de navigation sur la Lys et l'Escaut; en attendant, ils empêchent le déchargement des barques venant du Hainaut, si bien que, privés de charbon, quantité d'ateliers sont réduits au chômage. Leurs prétentions exaspèrent en outre leurs collègues de Tournai, qui, pour y résister, parlent de barrer le cours du fleuve (57). On se croirait revenu à cinq siècles en arrière, au temps de la politique urbaine du moyen âge. La catastrophe finale n'est plus désormais qu'une question de temps. Déchirée et épuisée par ses luttes intestines, la République ne subsiste évidemment que parce que l'empereur ne se décide pas encore à l'attaquer. Mais il n'est pas douteux qu'elle s'effondrera au moindre choc. Dès que la situation de l'Europe se sera débrouillée, rien ne pourra plus empêcher une restauration autrichienne. Du-mouriez qui, lors des pourparlers avec La Fayette, a visité Bruxelles au mois de juin, l'a clairement constaté, et les plus clairvoyants des démocrates le prévoient depuis longtemps. Dégoûtés et désabusés, ils seraient prêts à reconnaître l'empereur moyennant la promesse de donner au pays une constitution libérale qui écarterait pour toujours la tyrannie aristocratique des Etats. Walckiers, à la fin du mois d'avril, cherche à gagner les gouverneurs à ce projet. Puis le comte de La Marck et les d'Arenberg s'y rallient. Dans le courant de juillet, ils se mettent en rapport à Paris avec l'ambassadeur autrichien, comte de Mercy-Argenteau, et de commun accord avec lui, s'efforcent de convaincre Vonck et ses amis de Lille de recourir à Léopold II (58). Mais celui-ci peut se passer de leur concours. Le 27 juillet, ses laborieuses négociations avec la Prusse aboutissent enfin à la convention de Reichenbach. Frédéric-Guillaume n'ayant plus besoin des Belges, les abandonne. Le pouvoir impérial sera rétabli dans les Pays-Bas à la seule condition d'en respecter, conformément aux traités d'Utrecht et de Ra-stadt, les privilèges et les constitutions. L'ordre part immédiatement de Vienne de diriger des régiments vers le Luxembourg. « Enfin, cher frère, je respire, écrit Marie-Christine, en apprenant la bonne nouvelle; voilà donc l'armée tant désirée en marche et le retour des Pays-Bas à votre maison bien assuré » (59). (Bruxelles, Concert noble, rue d'Arlon.) (Cliché A.C.L.) Armoiries d'Albert-Casimir de Saxe-Teschen et de Marie-Christine, gouverneurs généraux des Pays-Bas autrichiens. Bois. NOTES (!) Voy. plus haut, p. 177. (2) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 648. (3) Ibid., p. 701. (4) L.-P.-J. van de Splegel, Résumé des négociations qui accompagnèrent la révolution des Pays-Bas autrichiens, p. 51 et suiv. (Amsterdam, 1841). Pour l'exposé des négociations avec la Prusse, voy. le travail malheureusement très mal composé et très court de vues de F.-C. Wittichen, Preussen und die Revolutionen in Belgien und Luttich (Goettingen, 1906). Ajoutez, pour les rapports avec les Provinces-Unies, H.-T. Colenbrander, Gedenkstukken der algemeene geschiedenis van Nederland van 1765 tôt 1840, t. I, p. 137 et suiv. (La Haye, 1905); E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. I, p. 480, t. II, p. 2. (5) Sur les intrigues de Philippe d'Orléans pour acquérir, sans la moindre chance d'ailleurs, la couronne de Belgique, voy. H. Carton de Wiart, La candidature de Philippe d'Orléans à la souveraineté des provinces belgiques en 1789 et 1790 (Mém. in-4« de l'Acad. roy. de Belgique, 1924). (6) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 705. (7) Ibid., p. 757. Ce programme est exposé dans des mémoires secrets et anonymes qu'un espion procura à Trauttmansdorff au mois d'octobre 1789. (8) Tels sont par exemple à Bruxelles les avocats Verlooy, Torfs, Willems, Libotton, Brouwer, Fonck, de Lausnay, T'Kint, Lehardi, l'imprimeur de Haeze, le notaire Emmerechts, l'ingénieur Fisco; les négociants Weemaels et d'Aubre-mez. Le fameux carrossier Simon était aussi des leurs. Voy. Fôrster, Voyage, t. II, p. 128. Marie-Christine constate que le parti renferme « les gens les plus éclairés et les plus riches du pays ». Schlitter, Briefe der ErzherzOgin Marie-Christine an Léopold 11, p. 111 (Vienne, 1896). Cf. aussi E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. II, p. 261. A côté de cette bourgeoisie, comme en France en 1789, les curés sont très nombreux. Vonck, dans son mémoire sur l'organisation de la propagande (Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 699 et suiv.), en cite une quantité. Le banquier Walckiers avança les fonds. D'après Fôrster, op. cit., t. II, p. 129, il aurait dépensé un demi-million de florins. (9) Sur ce personnage, voy. E. Discailles, Un chanoine démocrate. Revue de Belgique, t. LVI, p. 33l; t. LVII, p. 66 et 196 [1887], (10) Voy. Fôrster, Voyage, t. II, p. 56 et suiv., et surtout le très curieux mémoire publié par Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 699 et suiv. (11) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 703. (12) Ibid., p. 706. (13) Ibid., p. 704. Il était né en 1734. (14) Supplément aux réclamations belgiques, p. 258. Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 357. On dit que le prologue de ce manifeste est emprunté à d'Holbach. Je n'ai pas réussi à retrouver le passage qu'il lui aurait pris. Il est certain, en tout cas, que le préambule où la nation est reconnue comme la source de l'autorité politique n'a rien de commun avec la suite du texte, lequel constitue un mémoire sur le droit constitutionnel brabançon. Il est curieux de constater qu'il n'y est pas fait la moindre allusion à la religion. Voulait-on éviter de donner ombrage aux puissances protestantes dont van der Noot escomptait l'appui ? (15) Le régiment de Bender avait été renvoyé récemment en Autriche. Sur la composition des troupes, presque toutes levées dans le pays, voy. Gérard, Rapédius de Berg, t. I, p. 325 et suiv. (16) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 714. (17) Ibid., p. 521. (18) Ibid., p. 489. (19) Fuite de la nouveauté ou réponse à une brochure ayant pour titre : « Considérations impartiales sur la position actuelle du Brabant », p. 4 (Bruxelles, 1790). (20) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XIII, p. 389. (21) Ibid., t. XIII, p. 413 et suiv. p. 413 et suiv. (22) Gachard, Documents sur la révolution belge de 1790, p. 18 n. (Bruxelles, 1834). (23) Arch. des Etats belgiques-Unis, n0 30. Archives Générales du Royaume. Lettre de van Eupen au chevalier de Rode, représentant du Comité de Bréda à Londres. (24) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XIII, p. 399. (25) Ibid., p. 400. (26) Le 30 novembre 1789, la Flandre s'associa au Brabant dans la proclamation de son indépendance (Ordonnances, t. XIII, p. 384). Le Hainaut proclama la sienne le 21 décembre (Ibid., p. 391), le Namurois le 23 (Ibid., p. 391), Tournai le 26 (Ibid., p. 394). Les autres provinces furent plus lentes. Le Limbourg hésita. Sa déclaration d'indépendance datée du 9 mars 1790, ne fut proclamée que le 25 juin (Ibid., p. 463), sous la pression armée du Congrès. (27) Histoire de Belgique, t. IV, 2® édit., p. 75. (28) Gachard, Documents sur la révolution belge, p. 35. (29) Lettres de la comtesse d'Yves. Archives Générales du Royaume. Arch. des Etats-Belgiques-Unis n° 26, lettres du chanoine de Brou des 10 et 14 janvier 1790. (30) Voy. plus haut, p. 244. (31 ) Paridaens, Journal historique, t. 1, p. 226. (32) G. Fôrster, Voyage, t. II, p. 208. (33) Dewez, Histoire générale de Belgique, t. VII, p. 257. (34) Considérations impartiales sur la position actuelle du Brabant. Plus tard, en 1792, Vonck a fait paraître à Lille des Onzeidige aenmerkingen, écrites avant mai 1791, et où il précise et défend ses Idées. Il se place à un point de vue d'opportunisme libéral. Il laisse subsister les Etats, nommant chacun leurs députés. Il élargit la représentation du clergé en y adjoignant des députés du clergé séculier et compose le Tiers de représentants des villes et des campagnes. Les deux premiers ordres auraient deux voix et le Tiers, trois voix. Dans VEssai d'institutions politiques par demandes et réponses à l'usage du Brabant pour servir d'introduction à la brochure intitulée : Considérations impartiales, etc., Vonck invoque à l'appui de ses idées Montesquieu et Bur-lamaqui. Il combat à la fois la démocratie et l'aristocratie exclusive des corps privilégiés. Ce qu'il veut, c'est une « aristocratie élective » excluant les Incapables d'élire et d'être élus. (35) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 2° série, t. VIII [1856], p. 264. (36) Paridaens, Journal historique, édit. A. Wins, t. I, p. 233. (37) Borgnet, op. cit., t. I, p. 174. (38) Ibid., p. 152. (39) Gachard, Documents sur la révolution belge de 1790, p. 21. (40) Voy. les instructions du négociateur hollandais envoyé à Bruxelles le 4 janvier 1790, dans H.-T. Colenbrander, Gedenkstukken der algemeene geschiedenis van Nederland van 1795 tôt 1840, t. I, p. 141 (La Haye, 1905). (41) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 789. Cf. E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. II, p. 205 et suiv., 214. (42) Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., 3° série, t. XIV [1872], p. 20. (43) Storia segreta ed aneddotica dell'insurrezione Belgica ossia Vander-noot. Dramma storica. Trad. del Fiammingo di von SchOn-Swartz (Coire, 1791). L'auteur de ce pamphlet est le folliculaire de Roblneau (dit vicomte de Beaunoir). (44) Voy. le texte de ce manifeste envoyé aux gouverneurs pour être communiqué aux Etats des Pays-Bas « dès le moment de la mort de l'empereur », dans Schlitter, Briefe der ErzherzOgin Marie-Christine, p. 276 et suiv. (45) Schlitter, op. cit., p. 4 et suiv. Le texte officiel de ce manifeste tel qu'il fut envoyé aux Etats est dans Gachard, Documents sur la révolution belge de 1790, p. 130. (46) Le sobriquet de « figues » donné à ces derniers par leurs adversaires est emprunté, semble-t-il, à un texte de Jérémie, où les mauvais citoyens sont comparés à des figues pourries. Voy. A. Bergman, Geschiedenis der stad Lier, p. 873. (47) Gachard, Documents sur la révolution belge de 1790, p. 202. (48) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XIII, p. 473. (49) Fôrster, Voyage philosophique, t. II, p. 73. (50) Schlitter, Briefe von Marie-Christine, p. 37. — Au début de la Révolution française, les constitutionnels s'étaient fort intéressés au soulèvement belge qu'ils croyaient de même nature que le leur. Camille Desmoulins donnait à son journal le nom de Les Révolutions de France et de Brabant. La Fayette espérait que les Belges se donneraient une constitution à la française. Sur ses relations avec les Vonckistes, par l'intermédiaire de l'avocat Torfs, voy. A. Chuquet, Jemappes et la conquête de la Belgique, p. 46 et suiv. (Paris, 1890). Le tome II de la Correspondance des ministres de France à Bruxelles, publiée par M. E. Hubert, comprend aussi plusieurs renseignements à ce sujet. Voy. surtout p. 976 et suiv. (51) Schlitter, Briefe der ErzherzOgin Marie-Christine, p. 291. (52) Borgnet, Histoire des Belges à la fin du XVIII' siècle, t. I, p. 183. (53) Au commencement de la Révolution, les paysans, du moins en Flandre, étaient, grâce à l'état florissant de l'agriculture, favorables au gouvernement. C'est pour les convertir que l'avocat Serlippens composa Den bekeerden boer of samensprake tusschen eenen patriot ende eenen boer (Gand, 1790), dont, d'après un renseignement contemporain (Bibl. de l'Université de Gand, G. 12773), on vendit environ 6,000 exemplaires. (54) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. XIII, p. 541. (55) Paridaens, Journal, t. I, p. 245 et suiv. (56) Gachard, Documents, p. 241. (57) Ibid., p. 159, 163, 168. (58) Schlitter, Briefe der Erzherzôgin Marie-Christine, p. 39, 298. (59) Ibid., p. 79. Sur la conversion du comte de La Marck, voy. de Pradt, De la Belgique de 1789 jusqu'en 1794, p. 63 et suiv. (Paris, 1820). (Cliché A.C.L.) Façade postérieure de l'hôtel de ville de Liège où les Liégeois installèrent des magistrats révolutionnaires et forcèrent le prince-évêque Hoensbroech à abolir le règlement de 1684, le 18 août 1789. Trois jours après la destruction de la Violette (reproduite plus haut, p. 177), le prince-évêque Jean-Louis d'Elderen prenait des dispositions pour faire construire une nouvelle maison communale, mais la pose de la première pierre de l'hôtel de ville actuel ne date que du 14 août 1714. Les ressources nécessaires à sa construction furent trouvées en partie grâce à l'organisation d'une loterie. L'édifice a été restauré en 1852. 1899 et 1922. CHAPITRE III LA REVOLUTION LIEGEOISE fARACTERE DE SES TENDANCES. - Ce que la Révolution française et la politique prussienne furent pour la Révolution brabançonne, elles le furent aussi pour la Révolution liégeoise ( 1 ). Elle éclate à la nouvelle de la prise de la Bastille et elle dure grâce à l'appui du cabinet de Berlin. Pourtant, en dépit de la similitude extérieure, les événements de Liège diffèrent totalement de ceux de Bruxelles. Ici, le soulèvement provoqué par le despotisme ne devait amener qu'une restauration de l'Ancien Régime, tant en politique qu'en religion; là, au contraire, du commencement à la fin, l'insurrection reste fidèle aux mêmes principes : les droits de l'homme, et aux mêmes chefs : les démocrates. Déterminée par la grande commotion parisienne, elle en suit toutes les phases, comme un satellite détaché d'une planète et entraîné dans son mouvement. Le même heurt qui a ébranlé les Belges et les Liégeois a ramené les premiers en arrière, tandis qu'il poussait les seconds en avant. D'où vient cette différence ? L'attribuer à la race, c'est ne rien dire. L'instinct ethnique a précisément en histoire la même valeur que la vis dormitiva, par quoi le médecin de Molière explique le sommeil. Comment d'ailleurs opposer l'un à l'autre le conservatisme flamand et le libéralisme wallon, quand on voit les Wallons du Hainaut et du Na-murois, au cours de la Révolution brabançonne, bien plus éloignés des tendances liégeoises que les Flamands de Flandre, qui ont fourni au Vonckisme la plupart de ses partisans ? C'est dans la constitution politique et dans l'état social des populations qu'il faut chercher la solution du problème, et elle apparaît dès lors assez simple. Remarquons tout d'abord que la question religieuse qui, (Cliché G. de Froidcourt.) Plomb contenant le cœur du prince-évêque Velbriick (mort le 30 août 1784) aujourd'hui inhumé dans l'église d'Hex (prov. Limbourg). Le corps de Velbriick fut inhumé dans le chœur de la cathédrale Saint-Lambert. Lorsque la destruction de la collégiale eût été décidée, le cercueil du prince-évêque fut confié au citoyen Graillet, engagé volontaire dans les armées de la République française, qui le conserva dans son hôtel particulier, près du pont Maghin, jusqu'en 1799. A la mort de Graillet, le cercueil fut déposé dans le cabinet de travail de l'accusateur public près le tribunal criminel de Liège, Etienne-Joseph Regnier, puis dans le local des archives liégeoises, aux soins de Pierre-Joseph Henkart. De 1800 à 1938, les carmélites du Potay conservèrent les restes du prince-évêque. Dans l'entretemps, en 1910, le cercueil avait été déplacé et déposé dans un four fermé par une dalle cimentée. En novembre 1938, la dalle fut enlevée et le cercueil retrouvé; à ses côtés reposait une boîte de plomb de quelque 10 centimètres de hauteur renfermant le cœur du prince-évêque. Le cercueil de plomb fut donné au musée Curtius, tandis que le cœur de Velbruck était déposé dans un nouveau cercueil de plomb et inhumé dans l'église d'Hex. à la fin du XVIIIe siècle, se pose avec tant d'âpreté dans les Pays-Bas, n'existe pas dans le pays de Liège. Ici, l'Etat n'inquiète ni la piété des masses, ni les intérêts de l'Eglise. Le peuple n'est pas menacé dans sa foi et le clergé n'a aucun motif de le soulever contre le gouvernement. D'ailleurs, le chapitre, par sa richesse, ses privilèges et le monopole qu'il possède de représenter seul aux Etats le clergé de la principauté, au lieu d'attirer à lui l'opinion publique, est en butte à une impopularité qui l'empêchera d'agir sur elle au moment du péril. L'Eglise n'a donc à Liège ni l'occasion ni les moyens de diriger un mouvement qui éclate sans qu'elle y soit pour rien. Partant, elle laissera libres d'agir les « philosophes » et les démocrates, auxquels, dans les Pays-Bas, elle s'est opposée dès le premier jour, et quand, effrayée de leurs progrès, elle voudra les arrêter, l'avance qu'ils auront prise sur elle les aura mis hors de sa portée. Si du moins elle pouvait compter sur la noblesse ! Mais outre que la noblesse lui est hostile par rivalité d'intérêts et jalousie de prépondérance, l'ordre équestre ne compte à Liège que quelques familles de fortune médiocre. Son ascendant sur le peuple est nul. Vis-à-vis du Tiers-Etat, auquel il s'unira un moment contre le chapitre, il se sentira bientôt tellement impuissant qu'il lui abandonnera la place sans chercher à rivaliser avec lui. Ce Tiers-Etat lui-même, par sa composition et en conséquence par ses tendances, présente le plus éclatant contraste avec celui du Brabant. Depuis que le règlement de 1684 a supprimé les métiers comme corporations politiques, il ne se recrute plus que dans cette bourgeoisie aisée et lettrée, où s'infiltrent si facilement les idées nouvelles. Le prince, en y étouffant le particularisme économique et les privilèges corporatifs, qui restent si vivants dans les « nations » de Bruxelles et expliquent leur enthousiasme pour van der Noot, l'a préparé lui-même à subir l'action des principes libéraux dont les Vonckistes brabançons se sont faits les impuissants interprètes. Au fond, dans les deux révolutions de Belgique, on rencontre les mêmes partis. Le dosage seul en est différent. Toutes les circonstances qui d'un côté travaillent au succès des conservateurs, se retournent de l'autre en faveur des démocrates. Au lieu d'être formé d'artisans conservateurs et privilégiés ou de grands propriétaires que leurs idées comme leurs intérêts attachent au régime établi, le Tiers-Etat liégeois abonde en hommes dont les intérêts et les idées sont également favorables à une transformation de la société. N'oublions pas que le caractère essentiellement industriel de la principauté y a fait pénétrer dans la bourgeoisie quantité de parvenus et d'hommes nouveaux, aussi ennemis des privilèges, aussi impatients des vieilles traditions sociales, aussi amateurs de progrès et d'égalité, que les avocats et les hommes de lettres qui, aux séances de l'Emulation, sous la présidence d'honneur de Velbruck, applaudissent les « philosophes » de Paris, et comme eux s'enthousiasment pour la réforme de l'humanité et la confusion des préjugés et du « fanatisme » devant les lumières de la raison. Ainsi, le contraste de la Révolution brabançonne et de la Révolution liégeoise correspond au contraste même des deux sociétés qu'elles ont agitées. Il n'est pas jusqu'à la différence de leur structure économique qui ne s'y manifeste. La prépondérance de la grande propriété foncière dans les Pays-Bas a autant favorisé les conservateurs que celle de l'industrie a aidé les novateurs dans le pays de Liège. HOENSBROECH. — Velbruck était mort le 30 avril 1784, au milieu du calme le plus profond. On ne voit pas que le pays se soit intéressé le moins du monde à l'élection de son successeur (2). La France et l'Autriche se la disputèrent pourtant avec une certaine âpreté. Rien n'eût été plus agréable à Joseph II, au moment où il préparait le troc des Pays-Bas et la réouverture de l'Escaut, que de pouvoir compter sur le prince de Liège. La nomination de son frère, l'archiduc Maximilien, comme coad-juteur de Cologne en 1780, assurait déjà son influence aux bords du Rhin et le poussait à l'étendre également sur la vallée de la Meuse. D'ailleurs, à défaut de tout cela, les considérations économiques eussent suffi à éveiller son attention. « Les Liégeois, disait Belgiojoso, pourraient couper notre transit et nous faire plus de mal que tous nos autres voisins », et il déclarait que la nomination du nouvel évêque « touchait nos intérêts les plus essentiels ». On ne pensait pas autrement à Versailles. Inquiet des projets de l'empereur, le gouvernement de Louis XVI ne pouvait négliger l'occasion de le tenir en échec et de l'empêcher de prendre pied dans la principauté. Deux candidats étaient en présence, tous deux étrangers : le prince de Salm-Salm, évêque de Tournai, et le prince de Rohan-Guémenée, archevêque de Cambrai, qui avait déjà brigué le diocèse en 1772. L'Autriche soutenait le premier. La France abandonna bientôt le second. Vergennes n'ignorait pas que le chapitre souhaitait nommer l'un des siens, le comte Con-stantin-François de Hoensbroech, et, pour se le gagner, il lui accorda son patronage. Les chanoines « susceptibles de grâces » furent sollicités avec munificence; l'un d'eux. le baron de Sluse, obtint pour sa part 10,000 livres de pension. De tels arguments étaient irrésistibles. Hoens-broech fut élu à l'unanimité le 21 juillet. Par précaution, Sa Majesté très chrétienne lui fit signer l'engagement, « pour reconnaître la part qu'elle a prise à son élection », de ne pas s'adjoindre de coadjuteur sans s'être entendu avec elle. Hoensbroech fut accueilli sans la moindre défaveur. Les « philosophes » ne retrouvaient point en lui, il est vrai, un second Velbruck, mais il n'avait rien pourtant qui pût leur déplaire. Sans manifester pour les « lumières » la prédilection de son prédécesseur, il était fort loin d'être le bigot fanatique pour qui on a voulu le faire passer plus tard. Il avait étudié à Heidelberg, et ses tendances religieuses étaient, comme celles des prélats allemands de son temps, très éloignées de l'ultramontanisme. Il ne protesta pas publiquement contre les édits de Joseph II et les laissa appliquer dans les territoires autrichiens du diocèse (3). Trauttmansdorff le louait de ne pas considérer l'enseignement de la théologie comme une prérogative exclusive de l'épiscopat. En 1788, il interdisait à Liège l'impression de libelles dirigés contre l'empereur (4). Somme toute, c'était un esprit médiocre, assez faible, soumis à l'influence de ses conseillers. Il laissa aller le cours des choses sans rien y changer. Il jura la même capitulation que Velbruck, administra de la même manière, montra, lui aussi, de la sollicitude pour le progrès des lettres et des sciences. Il paraît avoir songé à l'érection d'une Université dans sa capitale, il resta protecteur de l'Emulation, il s'intéressa aux écoles gratuites. Pas plus que le caractère et la conduite de l'évêque, la situation du pays ne présageait une révolution. Tout marchait à l'ordinaire. L'industrie ne se ressentait pas de la crise qui s'annonçait dans les Pays-Bas; aucun conflit politique n'était à craindre, aucune mesure exceptionnelle à prendre; comme toujours, l'état financier se trouvait en équilibre; bref, on n'aperçoit pas le moindre motif de mécontentement. Ni le gouvernement, comme en France, ne se débattait contre le déficit, ni le peuple, comme dans les Pays-Bas, ne s'irritait contre le gouvernement. Et pourtant, à peine Hoensbroech est-il monté sur le trône, l'opinion, naguère si satisfaite, devient critique, mordante et hargneuse. Elle surveille avec malveillance tous les actes du prince, l'accuse de comploter contre la liberté du peuple, de violer la constitution, et crie sans cesse à la tyrannie. Les jeunes « philosophes » qui, avec Bassenge, avaient applaudi sous Velbruck au despotisme éclairé de Joseph II, n'ont plus à la bouche que les droits de l'homme. La constitution liégeoise, dans laquelle ils saluaient deux ou trois ans auparavant l'harmonieux équilibre des droits du souverain et des droits du peuple, ne leur apparaît plus aujourd'hui que comme un « contrat social » réservant au peuple le pouvoir législatif et faisant du prince un simple agent d'exécution. Le pouvoir souverain, qu'ils louaient jadis de combattre l'intolérance et la superstition, est devenu leur ennemi, parce qu'il est le pouvoir. Des théories de Rousseau, qu'ils connaissent surtout à travers les déclamations de Raynal, il semblait tout d'abord n'avoir retenu que l'anticléricalisme. On s'aperçoit maintenant qu ils se les sont assimilées en entier. Ils étaient « antimoines », et les voilà démocrates et « régénérateurs ». Comme leurs maîtres, ils professent que le gouvernement n'a de droits que ceux qu'il tient de la souveraineté natio- (Liège, Evêché.) (Cliché Alaes.) Constantin-François de Hoensbroech (château d'Oost, à Buers, 1724-Liège, 1792), prince-évêque de Liège de 1784 à 1792. Portrait non signé. nale, que ses lois artificielles violentent les lois de la nature, que la société tout entière, pour parvenir au bonheur et à la justice, doit secouer le joug de la « tyrannie », et, qu'après avoir anéanti les prêtres et les princes, elle réalisera l'égalité primitive dans l'innocence et la paix, sous l'œil de l'Etre suprême (5). Evidemment, il faut faire dans tout cela la part de la mode et de l'imitation. Les « philosophes » de Liège répètent les leçons qui leur viennent de Paris et ils s'en imprègnent d'autant plus facilement qu'autour d'eux les presses liégeoises les répandent à l'envi. Mais l'agitation que les réformes de Joseph II soulèvent dans les Pays-Bas, ne manque pas d'agir sur eux. Ils se laissent entraîner dans la campagne qui, sur leurs frontières, se déchaîne contre l'ordre établi. Ils ne cherchent qu'une occasion de prendre part aussi au bon combat et de « régénérer » leurs concitoyens. L'affaire des jeux de Spa la leur fournit à point nommé. L'AFFAIRE DES JEUX DE SPA. - Depuis le commencement du XVIIIe siècle, Spa était devenu, par excellence, la ville d'eaux de l'Europe. Ses fontaines n'attiraient pas seulement les malades. La société élégante, et à sa suite, les aventuriers, les oisifs, les travailleurs surmenés par l'étude ou les affaires venaient y chercher la distraction, le plaisir, l'intrigue ou le repos, dans l'air pur et vivifiant qui souffle des hautes Fagnes. Encore bien rustique quelques années auparavant, le petit bourg ardennais se mettait à la mode du bel air. Un club anglais y organisait des courses de chevaux. On y bâtissait des hôtels dont les noms indiquent leur clientèle cosmopolite : hôtel d'Angleterre, de France, de l'Aigle noir, de Prusse, etc. Le jardin des Capucins ouvert au public devenait la « Promenade de sept heures ». Renoz construisait le Waux-Hall en 1774. A partir de 1768, la grand'route qui aboutit aux superbes ombrages de la promenade du Marteau, permettait aux voyageurs d'atteindre la ville sans risquer de se rompre le cou dans les mauvais chemins de la montagne. Naturellement, une villégiature aussi fréquentée par des gens riches ou faisant semblant de l'être ne pouvait se passer de salle de jeu. On en avait installé une, en 1763, dans la salle de la Redoute et une autre en 1774, dans les locaux du Waux-Hall. Toutes deux avaient reçu en bonne forme un octroi du prince et étaient administrées par la même société. Plus abondants d'année en année, leurs bénéfices suscitèrent naturellement la concurrence. En 1785, un certain Levoz, commandité par un groupe d'étrangers, fondait pour les joueurs un nouveau club. La société fermière protesta, et le Conseil Privé de l'évêque étant intervenu en sa faveur, Levoz interjeta appel à la chambre impériale de Wetzlar. Puis, sans attendre la sentence et en dépit d'un mandement du prince interdisant le jeu en dehors des deux maisons précitées, il inaugura son établissement. Le procureur-général Fréron reçut l'ordre de mettre fin à une insubordination d'autant plus grave qu'elle enhardissait tous les teneurs de tripots. L'un d'eux ayant été arrêté dans son domicile et condamné à l'amende, assigna le procureur, du chef de violence illégale, devant le tribunal des XXII (6). A son tour, Fréron sollicita de Wetzlar un arrêt défendant aux XXII de recevoir la plainte. Quelques jours plus tard, en vertu d'un nouvel édit de l'évêque, il faisait occuper par des soldats le club de Levoz. Cependant, les XXII, ayant décidé de juger malgré la Chambre impériale, étaient cités devant elle (24 novembre). Au lieu d'obéir, ils saisirent les Etats du conflit. Il était évident que s'il suffisait d'en appeler à Wetzlar pour arrêter leur juridiction, c'en était fait de celle-ci, et avec elle de la garantie séculaire que la constitution liégeoise accordait aux habitants contre les officiers du prince. Les Etats blâmèrent unanimement la conduite du procureur-général. Le chapitre, heureux de se poser en protecteur des droits de la nation, alla jusqu'à critiquer les termes employés par l'évêque dans son dernier édit et jusqu'à lui rappeler la stipulation de la paix de Fexhe qui autorisait les chanoines à résister au prince de commun accord avec le pays, s'il agissait contre elle. Hoensbroech céda; le malencontreux édit fut retiré. Mais l'affaire qui, en d'autres temps, eût été close par cette capitulation, ne faisait que commencer. CONFLIT CONSTITUTIONNEL. - Levoz et ses conseils s'étaient hâtés d'en saisir le public. L'appel du cabaretier Bovy aux XXII avait été imprimé. L'impopularité de Fréron aidant, il ne fallait pas grand effort pour apitoyer l'opinion sur cette victime des privilèges et de la « tyrannie ». On s'indignait vertueusement du monopole accordé par le prince — un prince d'Eglise ! — à des tenanciers de maisons de jeu. N'était-il pas évident, d'ailleurs, que l'évêque, en rendant des édits sans le consentement des Etats, avait outrageusement violé la constitution ? Un édit n'était-il pas une loi, et le pouvoir législatif, de par la paix de Fexhe et plus encore de par le droit naturel, n'appartenait-il pas à la nation ? Vainement, l'avocat Piret cherchait à justifier la souveraineté du prince et son pouvoir de police. Ses arguments de juriste se défendaient mal contre la verve et la rhétorique de Bassenge, qui les pourfendait, au nom des droits de l'homme, dans ses Lettres à l'abbé de P. Dans un factum aussi mal écrit que mal pensé, Le cri général du peuple liégeois, le peintre Defrance s'adressait aux passions populaires et dénonçait « des citoyens destinés à passer à la postérité avec l'anathème de la nation ». La conduite de Hoensbroech fut aussi brutale que maladroite. Il destitua le mayeur de Liège, Hyacinthe Fabry, partisan notoire des idées nouvelles. Le journaliste Lebrun reçut l'ordre de quitter la ville. Un déséquilibré, l'abbé Jehin, qui avait distribué des exemplaires du Cri général, fut décrété d'accusation et arrêté dans le duché de Limbourg, où il s'était réfugié. Ces violences ne servirent que l'opposition. Les seize « chambres » de la cité s'empressèrent de manifester en faveur de Fabry, dont elles firent leur « rentier ». Lebrun mena, de Herve, dans le Journal Général de l'Europe, une campagne acharnée contre l'évêque. Quant à Jehin, il fallut piteusement le remettre en liberté sur les réclamations du gouvernement de Bruxelles, et destituer le procureur-général qui l'avait fait saisir en territoire autrichien. Levoz avait profité de tout ce tapage pour rouvrir son club de Spa. Une nouvelle tentative de le fermer aboutit à une nouvelle citation de l'officier du prince devant les XXII. Il fut condamné à l'amende comme coupable de «foule», c'est-à-dire de violation de domicile (5 décembre 1786). Cette sentence prouvait évidemment que les XXII considéraient comme nul l'édit épiscopal en vertu duquel il était intervenu. Le pouvoir judiciaire tranchait donc dans le sens de l'opposition la question de la souveraineté. Le conflit constitutionnel devenait aigu. Hoensbroech aurait pu prendre son recours à Wetzlar. Soit prudence, soit crainte d'augmenter le mécontentement, soit défiance pour la manière forte dont l'essai lui avait si mal réussi, il prit pour juges les Etats. C'était les reconnaître comme les interprètes de la constitution du pays et leur permettre de tracer les limites de son pouvoir. On ne pouvait être moins despotique ! En consultant les Etats, il faisait précisément à Liège ce que l'on s'indignait à Bruxelles que Joseph II ne fît pas. Au reste, l'évêque devait s'attendre à une réponse favorable. Le règlement de 1684, constamment respecté depuis son origine, lui reconnaissait formellement le droit d'édic-ter. Suivant la coutume établie, le consentement des Etats n'était requis que pour les mesures législatives entraînant des dépenses publiques. Aucun texte ne définissait au surplus ce qu'il fallait entendre par « édit » ni en quoi consistait une « loi ». Mais ce que les textes ne disaient pas, les doctrines nouvelles le disaient très nettement. Hoensbroech allait s'en apercevoir à ses dépens. Les Etats furent d'accord pour affirmer que les XXII ne pouvaient juger qu'en vertu des lois, sans connaître de ces lois elles-mêmes. Le chapitre et le Tiers-Etat n'allèrent pas au delà. La noblesse fut plus hardie. Elle ajouta que pour appliquer une loi, il fallait savoir si elle existe, qu'une loi n'existe que si elle est portée par le prince du consentement unanime de ses trois Etats, conformément à la constitution, et que les édits sur les jeux n'ayant été portés que par le prince ne constituaient donc pas une loï. Cette déclaration « patriotique » de la noblesse fut accueillie avec enthousiasme par les novateurs. Il n'en fallut pas davantage pour qu'aussitôt le règlement de 1684 fût proclamé illégal, inconstitutionnel et despotique. Œuvre personnelle de Maximilien de Bavière, il n'avait été ni soumis aux Etats, ni approuvé par eux. Ce n'était donc que le résultat d'un coup de force, le monstrueux attentat d'un tyran. N'y reconnaissait-on pas, d'ailleurs, l'intention hypocrite de fausser la représentation du peuple au profit du pouvoir ? Ne restreignait-il pas, dans chaque ville, le droit électoral à une minorité de bourgeois, et n'y laissait-il pas à l'évêque la désignation de l'un des deux bourgmestres ? Or, les bourgmestres étant les délégués des villes aux Etats, l'évêque disposait donc à son gré de la moitié des représentants du Tiers. Il violentait donc la souveraineté nationale dont il ne devait être que le « commis ». La platitude avec laquelle le Tiers-Etat venait d'approuver le bon plaisir du prince ne prouvait-elle pas son indignité et la nécessité d'une réforme qui en ferait ce qu'il devait être, l'organe de la volonté populaire ? Cette réforme d'ailleurs ne serait qu'un retour à la tradition nationale. La paix de Fexhe en soumettant le prince au « sens du pays » faisait de celui-ci le véritable souverain (7). Le droit naturel et le droit historique s'unissaient pour condamner l'odieuse usurpation de 1684. Il n'était que temps de rentrer sous le règne de la raison et de la légalité. PROGRES DE L'OPPOSITION. - Bien entendu, Bassenge, Fabry et leurs partisans n'invoquaient la paix de Fexhe que comme les Vonckistes, la Joyeuse-Entrée. Elle n'était pour eux qu'une arme, dont l'évêque, qui y avait prêté serment, ne pouvait parer les coups. Tout dépendait de son interprétation. S'il eût existé à Liège un van der Noot, si la vie corporative et les privilèges des métiers s'y étaient conservés comme à Bruxelles, nul doute que des réclamations se fussent élevées en faveur d'un retour au passé. Mais le règlement de 1684, ayant aboli tous les antiques organes de l'autonomie urbaine, ne pouvait, en disparaissant, que céder la place à une organisation conforme aux désirs des démocrates. Et cela était d'autant plus inévitable, que le prolétariat industriel, à Liège comme à Verviers, commençait à s'agiter et, du fond de sa misère, à prêter l'oreille aux apôtres de la souveraineté du peuple et de la liberté du citoyen. L'ardeur de l'opposition croissait encore sous l'excitation des événements extérieurs. La convocation des notables en France, l'insurrection des patriotes hollandais, la résistance des Belges aux édits politiques de Joseph II lui donnaient à la fois des exemples à suivre et des motifs d'espoir. Le 28 avril 1787, une Société patriotique était fondée « pour aider la veuve, l'orphelin et le faible qui pourrait être accablé par le fort ». Mirabeau, revenant de Berlin, était reçu à Liège avec transport. On y acclamait la liberté américaine aux récits du colonel Ran-sonnet, qui venait mettre au service de ses compatriotes son prestige d'ancien officier de Washington. Un journal démocratique, le Furet politique et littéraire, plus tard l'Avant-Coureur, commençait à paraître à Herve. La fièvre de la capitale ne tarda pas à se communiquer aux bonnes villes. Plusieurs d'entre elles désavouaient la conduite de leurs bourgmestres aux Etats. A Verviers, deux clans bourgeois qui depuis longtemps se disputaient la régence, se transformaient en partis politiques et leurs querelles semaient l'agitation au sein des ouvriers des fabriques. A Spa, le tenancier du club de Levoz, un certain Redouté, comptait sur l'appui des politiciens liégeois et, peut-être encouragé par quelques-uns d'entre eux, se préparait à repousser par la force une nouvelle intervention judiciaire. La police apprenait que des armes lui étaient secrètement envoyées et qu'il recrutait des défenseurs de bonne volonté. RESISTANCE DE HOENSBROECH. - L'évêque ne pouvait évidemment tolérer une telle attitude. Pourtant, sa situation était embarrassante. Les réponses contradictoires des Etats avait déçu son espoir. Enhardie par la faveur populaire, la noblesse se montrait décidée à lui tenir tête; elle constituait illégalement une « jointe » chargée de veiller au maintien de la constitution. Le Tiers, intimidé par l'indignation que son avis avait provoquée, refuserait évidemment de se compromettre davantage. Dans le chapitre lui-même existait une minorité favorable à l'opposition. Si le prince agissait, il engagerait donc sa (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Quatre fontaines de Spa au XVIIIe siècle. Vue du marché de Spa, de la fontaine du Pouhon et des façades de maisons spadoises; t„ c-------. a . fontaine du Au-dessus, à gauche .....Ine d. _______ Tonnelet. Gravure de Remacle à droite : fontaine" de Géronster. Au-dessous, à gauche fontaine de la Sauveniére; à droite Loup (Spa, 1708-1746 7) datée de 1743. responsabilité personnelle et attirerait sur lui l'indignation des démocrates. Il s'y résigna. Le 14 mai, un nouvel édit ordonnait la fermeture du club de Levoz. Quelques jours plus tard, il était occupé militairement. Il n'y eut pas de résistance, mais on y découvrit, comme on s'y attendait, des fusils et des munitions. C'en était assez pour rendre au moins probable un projet de complot et aussitôt, au milieu de la stupeur des uns et de la fureur des autres, une enquête fut ouverte. Le 1er août, un décret de prise de corps était lancé contre douze personnes parmi lesquelles quelques-uns des chefs du mouvement. Le gouvernement triomphait. Bassenge et plusieurs de ses amis fuyaient à l'étranger. Le procureur-général Fréron était remis en charge, et désormais tout démocrate pouvait à bon droit se considérer comme suspect. Mais le recours à la vigueur ne devait pas mieux servir le pouvoir à Liège qu'à Bruxelles. Pour que l'ordre soit assuré dans la rue, il faut qu'il règne dans les esprits, et la conduite du prince tout en déconcertant l'opposition, n'aboutissait qu'à la rendre plus acharnée et plus générale. On s'indignait, dans un pays où la liberté individuelle était entourée depuis des siècles d'un respect sacro-saint et où chaque bourgeois se glorifiait d'être « roi en sa maison », de voir les échevins s'obstiner à menacer de la prison des accusés contre la plupart desquels on ne découvrait aucune charge sérieuse. La Chambre de Wetzlar elle-même, à laquelle les prévenus s'étaient adressés, ordonnait vainement de les élargir sous caution (1er février 1788). C'étaient maintenant les échevins qui invoquaient contre elle la constitution du pays. Une situation aussi tendue devait aboutir à un éclat. De son refuge en Hollande, Ransonnet cherchait à gagner ses amis à l'idée d'un coup de force. Qu'on le laissât faire, et il répondait d'enlever le prince au château de Seraing, à la tête de quelques hommes déterminés. Ces rodomontades n'étaient pas bien dangereuses. Mais pourquoi ne pas recourir, dans la détresse où l'on se débattait, aux bons offices de la Prusse? Depuis le mois de mai 1787, son agent auprès du Cercle de Westphalie, Christian de Dohm, s'était mis, de sa résidence d'Aix-la-Chapelle, en rapport avec Jean-Jacques Fabry, ancien bourgmestre de Liège, le plus instruit, le plus expérimenté et le plus clairvoyant des chefs de ce groupe démocratique dont Bassenge était, de son côté, le bruyant propagandiste. Par Dohm, Fabry (Liège, Atusée Curtius.) (Cliché Piron.) Matrice en cuivre du petit sceau du prince-évêque Hoensbroech. Matrice aux armes du prince-évêque. Diamètre : 79 mm. était parvenu jusqu'à Hertzberg. Il avait très bien compris l'intérêt politique qui, par opposition à l'Autriche, poussait la Prusse à intervenir aux Pays-Bas et à y soutenir les mécontents. Sans s'illusionner, comme van der Noot, sur la sympathie qu'elle leur portait, il ne voyait d'autre moyen pour « régénérer » le pays, que de profiter de son concours. Les traditions de la Chambre de Wetzlar la rangerait toujours du côté du prince. Pourquoi ses adversaires se résigneraient-ils plus longtemps à discuter contre lui devant ce pédantesque et formaliste dicastère d'Empire, au lieu de saisir la main nerveuse et puissante de Sa Majesté prussienne ? Les premiers pourparlers aboutirent sans peine à une entente. Au mois de février 1788, la Prusse, qui n'avait jamais eu de résident à Liège, y accréditait le baron Senfft de Pilsach, en apparence auprès de l'évêque, en réalité auprès des démocrates. INTERVENTION DU PEUPLE. — Désormais, ceux-ci envisagent l'avenir avec confiance. Ils se sentent soutenus et peuvent à l'aise combiner leurs plans. L'agitation fiévreuse dans laquelle ils s'étaient débattus tout d'abord, s'apaise pour faire place à une action plus réglée, plus cachée aussi et d'autant plus pénétrante. La pensée de Fabry se substitue dès lors dans leur direction aux clameurs de Bassenge. On ne brandit plus seulement devant le peuple des principes constitutionnels, on lui présente des réformes. L'organisation financière de la principauté ne s'alimentant que de contributions indirectes, pèse surtout sur les classes pauvres. Qu'on lui substitue l'impôt territorial unique, proportionnel au revenu des biens-fonds, et du même coup, non seulement les revenus publics devenus plus abondants permettront d'entreprendre quantité de travaux utiles, mais les privilégiés subviendront aux charges de l'Etat après en avoir si longtemps confisqué les avantages à leur profit, et la masse de la nation sera soulagée. Si la campagne menée par Fabry en faveur de ce projet lui aliéna les sympathies des grands propriétaires et refroidit le zèle patriotique de la noblesse, elle lui assura par contre l'appui des industriels, de la petite bourgeoisie et surtout du prolétariat ouvrier. Pour ces pauvres gens réduits à des salaires de famine, l'espérance de vivre à bon marché dévoilait tout à coup l'essentiel de ces droits de l'homme dont on leur prêchait depuis quelque temps les vertus mystérieuses. Cette fois, ils voyaient s'approcher après tant de discours, une amélioration de leur sort. Et ils l'attendaient avec d'autant plus d'impatience que la mauvaise récolte de l'année, faisant renchérir le pain, aggravait leur misère habituelle. De France filtraient d'ailleurs de confuses rumeurs de victoires populaires, d'exécutions d'accapareurs de grains, de foules affranchies brûlant les châteaux et se partageant les terres des nobles. Puis ce fut tout à coup la nouvelle de la prise de la Bastille, arrivant comme un cri de réveil et d'appel, et l'on n'y tint plus. Depuis des semaines, l'évêque et ses conseillers sentaient venir l'orage et laissaient passer les jours sans oser rien faire. Avant même d'avoir éclaté, la Révolution était victorieuse par le désarroi moral du pouvoir et la conscience qu'il avait de n'exister plus que grâce à un régime condamné par l'opinion et défendu seulement par la police. Trois mois auparavant, Hoensbroech avait rejeté une demande de convocation des Etats présentée par la noblesse. Le 13 août, espérant détourner le choc, il alla lui-même au- LA REVOLUTION BRABANÇONNE ET LA REVOLUTION LIEGEOISE mmmnmmm Quo<) Zkinna , \7\gxq. JajàcLtàtc.. JuCrvkÙtfc JruùeiiHâ., XXII Viroj ijîii, tA^yncwtriL ÈecrtucàX- MCCCXLÏÏi (Liège, Musée Curtius.) (Photo communiquée par M. J. Puraye.) Le prince-évêque Charles d'Oultremont (1763-1771) jurant la paix de Fexhe de 1316. A son avènement, tout prince-évêque de Liège devait jurer de respecter les stipulations de la Paix de Fexhe-le-Haut-CIocher (1316) et de la Paix des XXII (1373) (voyez le texte, t. I, p. 333-335). Le personnage qui porte une clé à la boutonnière de son habit a été identifié avec Georges-Albert de Goer de Herve, bourgmestre de Liège; l'officier vu de dos serait Théodore-Antoine, comte de Berlaymont, gouverneur de la citadelle et second bourgmestre de Liège, et l'ecclésiastique tenant un livre avec couverture ornée d'armoiries, Maximilien, baron de Geyr de Schweppenbourg, abbé de Visé et chanoine de Saint-Lambert. — Plaque de cuivre repoussé exécutée en 1790 par Jacques Dartois (Liège, 1754-1848) qui la dédia au comte d'Oultremont de Wégimont, neveu du prince-évêque. Hauteur : 42 cm.; largeur : 50 cm. devant des réformes. Il proposait au chapitre de renoncer à ses privilèges pécuniaires, en même temps qu'il publiait son intention de réunir les Etats « pour s'occuper à chercher les moyens les plus propres à soulager la plus pauvre et la plus nombreuse partie de mes fidèles sujets » (8). Il était trop tard. Comme s'ils avaient attendu le mot d'ordre de Paris, des avocats, des industriels libéraux s'étaient déjà adressés à ce pauvre peuple. Ils ne lui parlaient pas de le secourir : ils l'exhortaient à revendiquer ses droits. La cherté des vivres ne se prêtait que trop bien à aigrir les masses contre le gouvernement. N'en était-il pas responsable ? Ne laissait-il pas subsister l'impôt des 40 patars, si lourd aux pauvres gens ? Qu'on suivît l'exemple de la France, que l'on exigeât, comme elle, la jouissance des droits de l'homme, et l'on atteindrait par surcroît «à la félicité terrestre» (9). On comprend sans peine l'exaltation du prolétariat industriel devant de telles perspectives. Dès les premiers jours du mois d'août, à Verviers, il vit dans une attente fiévreuse. Un fabricant, J.-J. Fyon, bien connu pour ses sentiments populaires, devient son idole. A Theux, où siège la haute cour du Franchimont, des gens de loi mènent la propagande parmi les paysans. La vente récente de terrains communaux a indisposé, dans cette contrée où se maintenait encore l'antique organisation rurale, la plupart des chefs de ménage. On répand parmi eux les « Commandements de notre mère la Patrie à chaque fidèle citoyen ». Et ils y apprennent que, s'ils souffrent, c'est qu'ils sont exclus de la vie politique, et qu'il ne dépend que d'eux d'améliorer leur sort et de refuser, en attendant, de gémir sous une autorité qui les opprime. Plus d'impôts tu ne donneras Si tu n'as des représentants (10). Le 15 août, la régence de Theux convoque au surplus les Franchimontois à envoyer des délégués à un congrès qui se réunira le 26 à Polleur, pour délibérer « sur les moyens les plus efficaces et les plus constitutionnels de faire redresser nos griefs » (11). Déjà, en signe d'union, se groupait autour de van der Noot, mais la bourgeoisie nouvelle, lettrée, active, travailleuse, optimiste et confiante dans le progrès, qui, sortie du peuple, se croyait le peuple lui-même et se figurait qu'en s'affranchissant, elle affranchissait l'humanité. (Liège, Musée de la vie wallonne.) Le faubourg d'Amercœur à Liège en 1788. Gravure d'après un dessin d'Etienne Fayn (Liège, 1712-après 1790). tous les patriotes se parent de la cocarde verte et blanche. A Liège aussi la fermentation est générale. Les cocardes rouges et jaunes, aux couleurs de la ville, se multiplient de jour en jour. On acclame Fabry, on acclame Bassenge. Un de leurs amis, le chevalier de Chestret, arrivant de Wetzlar, est porté en triomphe par la foule. Le peuple n'attend plus qu'un signal. Le 18, en même temps que celui de Verviers, et sûrement en vertu d'un plan arrêté d'avance, il entre en scène. LE 18 AOUT. — Pendant que le colonel Ransonnet se fait ouvrir les portes de la citadelle par la garnison, des bandes de bourgeois et d'ouvriers conduits par l'avocat Lyon et le fabricant d'armes Gossuin, montent à l'hôtel de ville, déclarent au magistrat que le peuple lui retire le pouvoir, acclament comme bourgmestres Fabry et de Chestret et installent tumultueusement un nouveau conseil. Puis on marche sur le château de Seraing où le prince s'est confiné. On l'entraîne à Liège et, dans une salle envahie par la foule, à la lueur des chandelles, au milieu des clameurs de victoire, il signe d'une main tremblante l'abolition du règlement de 1684 et la ratification des magistrats révolutionnaires de la cité. Huit jours après, dans la nuit du 26 au 27, il disparaissait. Un bout de papier laissé sur sa table déclarait qu'il s'absentait pour motif de santé. Ainsi, sans résistance et sans effusion de sang, l'Ancien Régime était tombé. Il avait suffi aux « philosophes » et aux libéraux d'appeler à la rescousse quelques bandes de prolétaires, fileurs et tisseurs verviétois, armuriers, forgerons et houilleurs de Liège, pour qu'il s'effondrât. Dans ce pays essentiellement industriel, ce n'était pas le Tiers, c'était le quatrième Etat qui l'avait renversé, apportant à la Révolution ses forces qu'il n'avait encore essayées que dans des émeutes. Mais cette révolution qu'il avait faite, c'était la bourgeoisie qui allait en recueillir les fruits, non la bourgeoisie privilégiée et rétrograde qui, à Bruxelles, ASSEMBLEE DES ETATS. - La journée du 18 août avait été instiguée par les partisans des droits de l'homme et les admirateurs de l'Assemblée Nationale de France. Victorieux, qu'allaient-ils faire ? Il semble qu'ils ne le savaient pas très bien. Fabry, poussé par Bassenge, «entraîné par le torrent» (12), n'avait pas eu le temps d'arrêter un plan de conduite. Il regrettait qu'on fût parti trop tôt et se défiait de l'impatience des têtes chaudes qui l'entouraient. « L'histoire de Liège, écrivait dédaigneusement Joseph II à Trauttmansdorff, est une singulière farce, et nous n'en ferions que rire si nous n'étions si proches voisins » (13). Avant tout, il fallait rassurer le chapitre et la noblesse. Depuis la fin du XVIIe siècle, l'un et l'autre supportaient avec impatience l'extension constante que la collaboration du Tiers avec les évêques avait donnée au pouvoir princier. La rupture des deux alliés pouvait tourner à leur avantage et leur rendre dans l'Etat la situation qu'ils avaient perdue. Il suffisait pour cela d'en revenir à l'ancienne constitution et de remettre en vigueur la paix de Fexhe. Ce texte « sacré » ne faisait-il pas des chanoines de Saint-Lambert, des nobles et des villes, les organes attitrés du « sens du pays » ? En se plaçant sous son égide, comme les Brabançons sous celui de la Joyeuse-Entrée, les deux premiers ordres recouvraient leurs antiques prérogatives et la Révolution aboutissait, pour eux, à n'être qu'une restauration. Or, les démocrates pouvaient, eux aussi, sans rien sacrifier de leur programme, se réclamer de la paix de Fexhe. Car bien différente de la Joyeuse-Entrée, elle ne consacrait aucun privilège, et le vague même de ses termes se prêtait merveilleusement à l'interpréter en faveur de la souveraineté nationale. C'était elle, pensaient les « philosophes », que ses auteurs, éclairés par un miracle de la raison au milieu des ténèbres du moyen âge, avaient opposée, sous le nom de « sens du pays », à la « tyrannie » de l'évêque. Ces hommes simples et droits n'avaient eu qu'à imiter la nature pour apprendre la vérité. Ils savaient évidemment, comme Raynal, qu'au peuple seul appartient le pouvoir législatif et que le prince n'en est que le mandataire et l'agent. Ainsi, le vieux compromis du XIVe siècle était acceptable pour tous les partis. Les uns l'invoquaient pour rétablir le passé, les autres pour organiser l'avenir. Mais c'était assez que momentanément il ralliât tous les suffrages. On verrait plus tard à le commenter par la pratique. En attendant, on professait à son égard une vénération unanime. D'ingénieux ébénistes mettaient en vente des pendules qui en portaient le texte gravé sur leur gaine (14). Avant son départ, Hoensbroech avait convoqué les Etats. Il était urgent de les réunir sans tarder. Eux seuls pou- doute, dans cette heureuse union. Le 4 septembre, parvenait â Liège un décret par lequel elle ordonnait de rétablir l'ancien ordre de choses, sous peine d'exécution militaire par les trois directeurs du Cercle de Westphalie. Elle se solidarisait donc avec le prince. Mais ni les deux premiers ordres n'étaient disposés à lui sacrifier la situation qu'ils venaient de conquérir, ni le troisième, celle qu'il ambitionnait d'occuper. Une députation fut chargée d'exposer à la Chambre qu'au lieu d'innover, le pays n'avait fait que rétablir son antique constitution, en même temps que l'on priait respectueusement l'évêque, retiré à Trêves, de rentrer au milieu de son peuple. Hoensbroech se garda bien d'accueillir ces instances. Tout en protestant de la bénignité de ses intentions, il persista dans l'exil volontaire qui le posait en victime et lui permettait d'agir au moment opportun. Il ne lui fallait pas une grande perspicacité pour comprendre que son retour eût signifié son adhésion au nouveau régime. En prolongeant son (Liège, Alusée Curtius.) (Cliché Dessart.) «La paix de Fexhe, ce texte «sacré»... D'ingénieux ébénistes mettaient en vente des pendules qui en portaient le texte gravé sur leur gaine. » (Voyez le texte, page 262.) Baromètre surmonté du perron soutenant un cartel à l'inscription : PAIX DE FEX XXII, allusion à la paix de Fexhe du 17 juin 1316 (voyez le t. I, p. 333) et à la paix des XXII du 2 décembre 1373 (voyez le t. I, p. 334-335). Le cartel est entouré d'un trophée constitué par une flèche, un arc, un carquois et une hache de licteur; le tout est encadré de deux rameaux croisés, l'un de chêne, l'autre de laurier. Baromètre de bois peint en blanc, doré en jaune et vert, de style Louis XVI. Œuvre de Michel Herman (Goé, 1766-Liège, 1819). absence, il le désavouait implicitement, prolongeait à Liège une situation révolutionnaire ou à tout le moins équivoque, inquiétait enfin et déconcertait le chapitre et la noblesse qui, rentrés en possession de leurs anciennes prérogatives et n'en demandant pas davantage, eussent été ravis de modérer, de concert avec lui, les impatiences du Tiers-Etat. Les plus avisés des démocrates avaient sûrement deviné son attitude et elle ne les prenait pas au dépourvu. Des trois directeurs du Cercle de Westphalie, le seul puissant, le roi de Prusse, qui lui appartenait en qualité de duc de Clèves, à côté de l'électeur de Cologne, évêque de Munster, et de l'électeur palatin, duc de Juliers, ne pouvait manquer de leur venir en aide. Laisser écraser la révolution de Liège, c'eût été, pour le cabinet de Berlin, se priver d'un moyen précieux d'entretenir les troubles des Pays-Bas et d'y porter la main. Il fit savoir qu'il était prêt à s'interposer comme médiateur entre les Etats et l'évêque (16). Le Tiers pria aussitôt les deux autres ordres d'accepter les avances de S. M. prussienne. La noblesse se ran- vaient, en effet, parler au nom du pays, légaliser l'émeute du 18 août et procéder à la « régénération » de la nation. Dès le 23, la cité mandait aux « bonnes vil,les » de désigner leurs députés. Bien entendu, le règlement de 1684 ayant cessé d'exister, elles auraient soin qu'ils fussent librement élus par leurs concitoyens, « la base de la régénération nationale étant la vraie représentation du peuple» (15). Quant au chapitre et à la noblesse, on s'abstenait de leur donner des directions. A côté du Tiers-Etat renouvelé, ils se constituèrent suivant la coutume. Ainsi, dans l'assemblée des Etats, qui s'ouvrit le 31 août, la tradition et le progrès se superposaient sans se confondre. Mais comme des liquides de densité différente que vient d'agiter une même secousse et qui se pénètrent un moment avant de reprendre leur équilibre, ils parurent tout d'abord devoir s'associer et agir de concert. Le 2 septembre, l'Etat noble renonçait à ses privilèges financiers, le chapitre faisait de même deux jours plus tard, puis l'un et l'autre proposèrent au Tiers de confectionner une «paix » nouvelle qui ferait disparaître tous les abus du gouvernement, conformément à la paix de Fexhe et à celles des XXII. Un comité recruté dans les trois ordres fut constitué à cet effet. La bonne volonté et la bonne entente étaient donc générales. Tout au plus, quelques « aristocrates » purent-ils prendre ombrage de la résolution du Tiers tendant à introduire un système d'impositions « qui oblige chacun en proportion de ses facultés ». EXIGENCES DU TIERS-ETAT. - L'intervention de la Chambre de Wetzlar fut pour beaucoup sans (Liège, Musée Curtius.) (Cliché Plron.) Cocarde de soie brodée commémorant la journée du 18 août 1789 et portée par les patriotes liégeois. (Liège, Musée des Beaux-Arts.) (Cliché Daniel.) Jean-Pierre de Ransonnet-Bosfort (Liège, 1744-Moutiers-en-Tarentaise [Savoie], 1796), lieutenant-colonel des armées de la République française. Type de l'aventurier, Ransonnet servit l'Autriche et les colonies révoltées d'Amérique avant de prendre une part prépondérante aux événements du 18 août 1789 à Liège et avant de collaborer avec les patriotes brabançons. Exilé à Paris en 1790, il participa à la campagne de l'Argonne (1792) et servit sous les ordres de Kellermann dans l'armée de la Moselle, avec le grade de lieutenant-colonel. A partir de ce moment (1793), son sort est lié à celui des armées de la République. Tour à tour suspect puis commandant provisoire de la division de la Basse-Sambre qui pénètre dans Mons, Louvain et Liège (27 juillet 1794), il est à nouveau destitué puis remis en fonction. Il mourut dans la nuit du 2 au 3 mars 1796 au cours de la campagne d'Italie, des suites d'une attaque d'apoplexie. — Portrait peint par un peintre inconnu. gea de son avis, mais il n'en fut pas de même du chapitre. Visiblement il commençait à se repentir de l'aventure où il se voyait compromis. Il ne s'y était lancé que pour redevenir, comme il l'avait été au moyen âge, le tout-puissant conseil de l'évêque et le modérateur de la principauté. Il entendait partager la souveraineté avec le prince, tandis que le Tiers resterait confiné dans son droit de voter l'impôt. Or, il était visible que ce Tiers, sous la conduite des démocrates, aspirait à se transformer lui-même en souverain. Pour lui tenir tête, l'appui de la Chambre de Wetz-lar était le seul recours. C'eût été un marché de dupe que de se brouiller avec elle au profit du roi de Prusse. Les chanoines déclarèrent que par respect pour la neutralité et déférence pour les deux autres directeurs du Cercle de Westphalie, il leur était impossible de profiter de la médiation de Frédéric-Guillaume. Le jour même où ils prenaient cette résolution, le Tiers arrêtait la liste des « points fondamentaux » à introduire dans la réforme constitutionnelle. C'était un simple décalque des décisions prises durant les derniers mois par l'Assemblée Constituante de Paris. On y rencontrait l'égalité de tous les citoyens devant l'impôt et devant la loi, la suppression, moyennant rachat, des droits féodaux nuisibles au peuple, l'élaboration d'un code criminel, l'assujettissement de la dîme à toutes les charges qu'elle devait supporter conformément aux canons du concile de Trente. C'était donc à une transformation complète de l'ordre établi qu'aboutissait l'innocente prétention de restaurer la paix de Fexhe (17). Manifestement, le Tiers s'inspirait du mot de Sieyès, et sans tenir compte des privilèges séculaires de la noblesse et du clergé, s'identifiait avec la nation tout entière. L'égalité qu'il réclamait foulait aux pieds les prérogatives que les deux premiers ordres considéraient comme la garantie de leur liberté. Ils n'osèrent pourtant protester formellement contre des prétentions auxquelles plus d'un des leurs avait applaudi tant qu'elles n'avaient été développées que par d'inof-fensifs théoriciens. Ils se bornèrent à rappeler que, suivant la paix de Fexhe, le consentement unanime des trois Etats permettait seul de modifier la constitution. Contre le Tiers, ils recouraient ainsi à ce vieux principe de l'unanimité que le Tiers avait lui-même si souvent invoqué contre le prince. Le chapitre, au surplus, ne crut pas pouvoir s'abstenir de proclamer que l'égalité de tous devant la loi « serait contraire aux paix les plus solennelles du pays, et aux lois et usages du Saint-Empire » (18). Mais, pendant qu'au sein des Etats la bourgeoisie stupéfiait les privilèges par sa hardiesse, le peuple, qui l'avait portée au pouvoir, s'exaspérait de ne point jouir encore du bonheur qu'elle lui avait promis. Non seulement les impôts continuaient à être perçus comme avant l'« heureuse révolution » du 18 août, mais le prix du pain haussait sans cesse. La misère attisait l'impatience : elle y joignit bientôt le soupçon. La création d'un corps de volontaires, la garde patricienne, recrutée parmi les fils des bourgeois aisés et chargée de maintenir l'ordre dans la « cité », ne cachait-elle pas un complot contre les pauvres ? Déjà, dans certaines paroisses, la foule exigeait que les curés lui rendissent compte de l'emploi des fondations charitables. Çà et là, on commençait à signaler des violences. Le 23 août, dans les quartiers ouvriers de Sainte-Marguerite et d'Outre-Meuse, des rassemblements tumultueux réclamaient l'abolition des impôts. Devant ces dispositions de ceux-là même qui l'avaient introduit à l'hôtel de ville quelques jours plus tôt, le nouveau Conseil municipal capitula. EMEUTES POPULAIRES. — Toutes les taxes communales furent supprimées le 25. Et cette faiblesse, naturellement, n'eut d'autre résultat que d'enhardir les pauvres gens et d'augmenter tout ensemble leur confiance dans la justice de leur cause et dans leurs forces. Ils savaient qu'en 1743, le prince Georges-Louis de Berghes avait légué sa fortune aux pauvres de Liège (19). On avait pu, grâce à la « tyrannie », les en frustrer jusqu'alors, mais maintenant qu'ils étaient libres, le moment était venu de leur partager ce bien qui leur appartenait. Ils ne répondirent que par des menaces et des brutalités aux curés qui cherchèrent à leur faire comprendre le testament de l'évêque. Distinguer entre un capital et son revenu passait les capacités financières de gens vivant au jour le jour, poussés par l'aiguillon de la faim et les excitations des meneurs que suscitent toujours les émotions populaires. Le 6 octobre, la foule, se croyant victime d'une machination des riches, exigeait, en même temps que son argent, la dissolution de la garde patricienne. Le lendemain, des bandes envahissaient l'hôtel de ville, en brisaient les portes à coups de hache et, pour la seconde fois, le Conseil, terrorisé, cédait devant elles. Le bourgmestre de Chestret avait failli être assassiné, et les gardes, menacés de mort, un de leurs camarades tué, n'avaient pu disperser l'émeute qu'à coups de fusil. En dehors, la situation n'était guère plus rassurante. A Verviers, vers la fin de septembre, les tisserands prennent les armes et obligent les fabricants à hausser leur salaire d'un sou par aune et à leur abandonner les « queues et pennes ». Comme de Chestret à Liège, le bourgmestre Fyon est rudoyé et échappe avec peine aux émeutiers (20). La Révolution semble tourner à l'anarchie. Déjà la panique s'empare des conservateurs. Des nobles, des propriétaires, des industriels se retirent à l'étranger. Les revendications politiques de la bourgeoisie se sont transformées dans les esprits populaires en convoitises sociales; l'égalité des droits semble entraîner nécessairement l'égalité des biens. Au reste, dans la bourgeoisie elle-même, des tendances démocratiques se révèlent qui inquiètent les représentants du Tiers aux Etats. Le Conseil de la cité demande, au nom de la souveraineté nationale et des droits de l'homme, que le plat pays soit admis à désigner, comme les villes, les délégués de l'Assemblée. Le Congrès Franchimontois est plus pressant encore. Le 5 octobre, il décide de suspendre la perception des impôts aussi longtemps que justice n'aura pas été rendue aux habitants des campagnes. Le même jour, et sans doute d'accord avec lui, les capitaines des faubourgs de Liège viennent déposer le même vœu à l'hôtel de ville. Dans la principauté de Stavelot, les paysans, à l'exemple de leurs voisins du Franchimont, réclament du prince-abbé une constitution populaire. En revanche, plusieurs villes, notamment dans le pays de Looz, où l'absence d'industrie laisse la tradition dominer les idées, s'effrayent de voir les populations rurales participer au pouvoir politique. Il n'en faut pas davantage pour faire sortir l'évêque de l'expectative prudente dans laquelle il s'est confiné jusqu'alors. Il demande l'appui des directeurs du Cercle, tandis qu'il refuse de ratifier la conduite des Etats « aussi longtemps qu'on n'aura pas rétabli l'ordre, la constitution et la paix » (21 ). INTERVENTION DE LA PRUSSE. - C'est donc la rupture entre lui et le peuple. Pour Hoensbroech, au lieu d'avoir restauré la constitution, on l'a violée. Et le plus grave est que le chapitre, terrorisé et rudoyé par les démocrates, se rejette maintenant du côté du prince. Sa défection accentue les dissentiments qui travaillent le Tiers. Les modérés, se flattant de l'illusion d'un replâtrage, s'accrochent plus obstinément à la paix de Fexhe; les avancés, au contraire, ne gardent plus de .nénagement et parlent de se constituer en république. L'évêque, dépouillé de son pouvoir temporel, ne serait plus, comme ses collè- . e c* jj y i : IL C+tl; :^^ tr y.. Y; |<1 fan* 'i*- n^j S ' ' et.TstûÂ- y % - - - rjHsit /7 or Je)*"' , - , TXtuZi- rrtiCc_ y*.' J^S-RL etfttUM* 't. <"•- ^••T^it^Ur cv^V^c.' / y.. • /' il**- (Namur, Archives de l'Etat, fonds de la commune de Baronviile.) Première page du « cahier de doléances » présenté par les habitants de la commune de Baronviile aux députés des Etats de Liège, le 12 septembre 1789. Mêmoir (sic) et Reprèsantation (sic) très humble des habitants de Baronviile en Famêne à Nos seigneurs des trois états du pais (pays) de Liège et Comté de Looz. Le cahier est rédigé par Henri-Auguste-Joseph, baron de Wal, seigneur de Baronviile, Vyle, Trognée, Finevaux, etc., membre de l'Etat noble. Il porte les signatures des membres des cours de justice et l'acte d'adhésion du curé de Baronviile. Les principales questions traitées sont les suivantes : répartition des impûts, perception des dîmes, représentation aux Etats des délégués du plat-pays, proposition de fonder des écoles gratuites, dont l'entretien serait à la charge des Jésuites supprimés, établissement d'une maréchaussée à cheval pour maintenir l'ordre dans le plat-pays, et d'un hOpital, réforme des frais de justice criminelle. L'on sait que des centaines de « cahiers de doléances » furent remis en 1789 aux députés de la dernière assemblée des Etats-Généraux du royaume de France sous l'ancien régime. — Baronviile est située dans la province de Namur, arrondissement de Dinant, canton de Beauraing. gues des Pays-Bas, qu'un simple dignitaire ecclésiastique réduit à l'administration du diocèse. Les uns et les autres, d'ailleurs, fondent leurs espoirs sur l'intervention de la Prusse. Les plus ardents voudraient en obtenir la promesse d'une «protection illimitée» (22), comme si le cabinet de Berlin était aussi enthousiaste qu'eux-mêmes des droits de l'homme et de la souveraineté nationale. Fabry, qui lui fut envoyé en mission le 17 octobre, se contenta de lui rappeler sa promesse de médiation. II eût désiré que le roi pesât sur Hoensbroech pour lui arracher des concessions, en même temps que, par son influence dans la direction du Cercle, il empêcherait l'exécution militaire dont le pays était menacé. Hertzberg et Finkenstein lui firent le meilleur accueil. Ils se montrèrent pleins de sympathie pour les patriotes. Le projet que l'on prêtait à Hoensbroech de prendre comme coadjuteur l'archevêque de Cologne, frère de Joseph II, était pour les ministres prussiens un nouveau motif de désirer réduire l'évêque à l'impuissance. D'autre part, les événements du Brabant, où van der Mersch venait d'envahir la Campine, attiraient plus vivement que jamais leur attention vers la Belgique. « Je ne me serais jamais prêté, écrivait Frédéric-Guillaume, à exciter ou fomenter pareille révolte, mais je me garderais bien de déranger par de fausses démarches une révolution qui tend à affaiblir si essentiellement mon ennemi naturel» (23). Or, pour éviter ces « fausses démarches», rien de mieux que de s'introduire à Liège, de l'occuper en douceur et de s'y affirmer comme le protecteur des droits du peuple contre la « tyrannie » épiscopale et partant contre la tyrannie autrichienne. Il ne fut pas difficile à Hertzberg de gagner Fabry à ses desseins. Il lui garantit que la Prusse, en prenant part, avec les deux autres directeurs du Cercle, à l'occupation militaire de la principauté, procéderait avec tous les ménagements possibles. La consti- (Llège, Musée Curtius.) Insignes de la révolution liégeoise (1789). Sauf les deux médailles célébrant la paix de Fexhe, Fabry et de Chestret, tous les autres Insignes représentent le perron entouré d'emblèmes et de légendes célébrant la révolution. tution serait mise à l'abri des empiétements du prince. Le ministre prenait l'engagement de faire abolir définitivement le règlement de 1684. En attendant, le Conseil révolutionnaire de la cité serait remplacé par un Conseil intérimaire de «gens sages et respectables» (24). Fabry rentra à Liège le 16 novembre. Il croyait avoir assuré l'avenir de la révolution. L'appui de la Prusse la protégeait, en effet, et contre les menaces du Cercle, et contre les tentatives de l'évêque, et contre les impatiences et les témérités des « extravagants ». Ceux-ci se sentant joués, ne parlaient de rien moins que de courir aux armes et d'empêcher de vive force l'intervention prussienne. Les Etats eux-mêmes n'envisageaient pas sans appréhension l'arrivée de l'armée exécutrice. Ils proposèrent d'ouvrir des conférences à Aix-la-Chapelle avec les directeurs du Cercle. Cependant, les succès de la révolution brabançonne poussaient la Prusse à agir vite. Le 3 novembre, van der Noot avait sollicité l'alliance du Conseil de la cité « pour défendre la religion de nos pères, nos droits et notre liberté». Il lui rappelait qu'en 1347 un traité avait été conclu entre Liégeois et Brabançons, et il réclamait, le plus promptement possible, « l'aide et l'assistance promises » (25). Ni ce pieux langage, ni cet archaïsme n'étaient pour plaire aux démocrates du groupe de Bas-senge. D'ailleurs, le 3 novembre, rien ne présageait encore la chute du gouvernement autrichien, et il eût été imprudent de se lancer dans une aventure si étrangement patronnée. Mais quelques jours plus tard, Gand tombait, les gouverneurs étaient en fuite et d'Alton aux abois. Des bandes de volontaires vonckistes traversaient la principauté, et aussitôt les têtes s'échauffèrent. Unis par les mêmes principes, patriotes liégeois et patriotes belges fraternisaient. Déjà, dans l'enthousiasme général, s'ébauchait l'idée d'une république embrassant les deux peuples et les dressant côte à côte contre leurs princes. Mettant leurs forces en commun, ils seraient irrésistibles. Dès le 24 novembre, des gardes patriciennes et des patriotes brabançons juraient, « le verre à la main », de se défendre réciproquement » (26). Cette belle ardeur éveilla tout de suite les défiances de la Prusse. Les ministres de Berlin n'entendaient pas laisser les révolutionnaires des Pays-Bas se passer de leur appui. Rien ne serait plus préjudiciable « aux vues de Sa Majesté » que leur union en un seul corps (27). Car, exaltés par l'adhésion des démocrates liégeois, les Vonckistes l'emporteraient sûrement dans la nouvelle république, et il y avait tout lieu de craindre qu'ils ne fissent ensuite cause commune avec la France. Dès la fin de novembre, le plan de (Cliché Piron.) Voltrt!- v(ro|?rffin-Àirlt iwt.tmî^diirtt' ,5luM luthcb oiiii Hertzberg est arrêté. Le 24, il écrit au général Schlieffen, gouverneur de Wesel, de prendre ses mesures pour entrer à Liège « avant que les Liégeois ne tiennent trop fortement avec les Brabançons » (28). Il importe de séparer « ces gens-là » avant qu'ils ne se soutiennent. Dohm jouera habilement, pour amener Hoensbroech à un accommodement avec ses sujets, du péril que lui ferait courir leur liaison avec les Belges. « Si l'évêque y souscrit, comme on peut l'attendre, écrit-il au roi le 30, les troupes de Votre Majesté peuvent rester dans le pays de Liège sous un prétexte aisé à trouver, comme celui de conserver la tranquillité, et elles seraient ainsi à portée de donner de la jalousie à l'empereur et'd'assister même les Brabançons en cas qu'Elle vienne à se brouiller avec ce prince ». Ainsi la Prusse sera l'arbitre de la situation. L'impuissance de ses protégés les obligera de recourir à son aide, et, leurrés par son libéralisme de commande, ils feront son jeu contre l'Autriche. La Chambre de Wetzlar, il est vrai, a bien chargé Frédéric-Guillaume de rétablir, de commun accord avec les deux autres directeurs du Cercle de Westphalie, le pouvoir de l'évêque sur ses sujets. Sous prétexte de lui obéir, il va donc trahir le mandat qu'il en a reçu. Il sait que l'électeur de Cologne et l'électeur palatin prennent au sérieux leur mission et sont aussi favorables à l'évêque qu'il lui est hostile. Mais il sait aussi que leurs forces sont insignifiantes. Les contingents impériaux qu'ils s'occupent à mettre sur pied, empêtrés dans une organisation archaïque, sont aussi lents, aussi lourds, aussi engoncés, que l'armée prussienne est prompte, alerte et disciplinée. Rien de plus aisé que de les gagner de vitesse, d'être prêt au bon moment, et, étant seul capable d'agir, d'agir seul et de ne pas s'ocGuper de collaborateurs qui sont méprisables puisqu'ils sont faibles. Le 24 novembre, tous les ordres donnés sont exécutés, et 5,000 hommes, concentrés dans le pays de Clèves, attendent le moment de se mettre en marche. L'imminence de l'occupation a jeté Liège dans le désarroi. La Prusse n'ayant lancé aucune proclamation officielle, on peut, on doit croire qu'elle vient exécuter la sentence de Wetzlar. Fabry lui-même ne sait plus que penser. Les démocrates s'abandonnent au désespoir ou à la fureur. On se croirait revenu au moment où Charles le Téméraire apparaissait devant la cité, et comme alors l'excès de la colère et de l'angoisse porte aux résolutions extrêmes. Les plus acharnés parlent de « mettre en flammes cette ville qu'on menace d'accabler par la force» (29). Au moment où ils s'agitaient ainsi, à quelques lieues plus loin, à Aix-la-Chapelle, Dohm dévoilait confidentiellement à Donceel, leur délégué, les plans de Berlin. Le roi se proposait tout simplement de duper ses co-directeurs pour le bien du peuple. On s'était attendu à une tragédie : on aboutissait au dénouement d'une fine comédie politique. « Tenez ferme, disait Dohm. Etourdissez de vos plaintes les Munstériens et les Palatins. De la fermeté, même jusqu'à l'excès, et ayez confiance dans l'amitié du roi. » Il n'est question « d'opprimer ni la nation, ni les individus, (Bruxelles, collection A. Verbouwe.) Les Prussiens à Liège le 30 novembre 1789. Wahrer Prospect der Fiirst-Bischdflichen grossen volckreichen Haupt und Residenz Stadt Luttich an der Maas, welche 1789 den 30. November durch Westphtilische Kreijss Directionsclie Executions Truppen besetzt wurde. Gravure sur bois extraite, de la Oeschichte der merkwurdigsten Volks-Aufstand und Staets-Umanderungen gegenwdrtigen Zeit, besonders zu Liittich, den Nieder-landen und Frankreich. Zittau, éd. Jacob-Friedrich Neumann, 1790. mais de rétablir l'harmonie nécessaire au bien-être de tout Etat par des moyens de conciliation équitables ». Des conférences devaient avoir lieu le 26 novembre au chapitre de Sainte-Elisabeth à Aldenghoor entre les ministres directoriaux et les députés liégeois. Mis au courant de la situation, ceux-ci jouèrent leur rôle à merveille. Ils acceptèrent de se soumettre pourvu qu'on leur promît de n'inquiéter personne et de ne pas rétablir un régime incompatible avec leur constitution. Ils offraient la démission du magistrat nommé le 18 août; à sa place on établirait un Conseil intérimaire; le règlement de 1684 serait abrogé et l'on pourvoirait ensuite à loisir à son remplacement. LES PRUSSIENS A LIEGE. — Les choses se passèrent comme si elles avaient été réglées d'avance. Les ministres de Munster et de Juliers exigèrent une obéissance sans condition. Mais la Prusse, par la voix de Dohm et de Schlieffen, s'indigna de tant d'intransigeance et déclara qu'elle acceptait les avances des Liégeois. Le tour était joué. La générosité prussienne écrasait les sombres desseins de la « tyrannie » et lui gagnait les coeurs des démocrates. Mais elle lui permettait surtout de s'installer seule à Liège et d'y agir à sa guise contre l'Autriche. La cité illumina; des sérénades furent données au baron de Senfft; le 29, l'adjudant du général Schlieffen qui venait préparer le logement des troupes, fut accueilli par les acclamations de la foule. Le lendemain, 4,000 Prussiens, auxquels s'étaient joints 1,000 Palatins, occupaient le pays. Deux bataillons s'installèrent dans la capitale, l'un dans la citadelle, l'autre au faubourg de Vivegnis. La popularité de la Prusse était à son comble. On ne parlait de M. de Dohm qu'avec « des expressions de respect et d'amour ». Dans les rues « il avait peine à se dérober aux embrassements des charbonniers» (30). Pour l'évêque, pour le chapitre, l'occupation prussienne était une catastrophe. En confisquant à son profit l'intervention du Cercle, la diplomatie de Berlin dissipait leurs espoirs de restauration. Assurés de l'appui de Frédéric-Guillaume, quelle apparence y avait-il encore que les démocrates consentissent à céder ? Il ne restait qu'à protester en attendant un retour des choses. Hoensbroech encou- ragé par ses conseillers, rejeta toutes les propositions d'entente. Il déclarait le 8 décembre qu'il ne reconnaîtrait jamais le nouveau régime. Pourtant, faute de mieux, les conservateurs jadis si malmenés par la foule, bénéficiaient aujourd'hui de l'ordre maintenu par les troupes. Ils en profitèrent pour fonder un comité aristocratique et organiser la propagande contre leurs adversaires. Les polémiques de presse, les pamphlets substituèrent à l'agitation de la rue, l'agitation des esprits. Foerster, qui visita Liège vers cette époque, s'étonne de l'intérêt passionné qu'y excite la politique. « On voit partout dans les auberges, dans les cafés, dans les plus chétives tavernes, d'habiles commentateurs de gazettes; l'homme même le moins instruit, le moins lettré en apparence, disserte, assis vis-à-vis un pot de bière, tant sur les droits de l'homme que sur les autres questions de morale publique, en un mot, sur les grands principes de liberté qui, dans l'espace de dix-huit mois, ont pénétré jusqu'ici » (31). Et à mesure que les passions s'échauffent, la colère grandit contre l'évêque qui s'obstine dans son attitude de « tyran », et contre les princes de l'Empire qui le soutiennent. « Leur rage, car il est impossible de donner un autre nom au sentiment qui les anime, leur rage est telle qu'ils ne parlent de lui qu'en l'accablant des épithètes les plus injurieuses et qu'ils le traitent comme le plus scélérat des hommes couronnés. Leur fureur va jusqu'à envelopper dans la même proscription la Chambre de Wetzlar, ainsi (Bruxelles, Bibliothèque du ministère de la Défense Nationale, plaquette cotée 1/1771.) (Cliché Bijtebier.) Grenadier du régiment royal liégeois (1787). Une convention conclue le 18 novembre 1787 entre Louis XVI et Constantin de Hoensbroech permettait au roi de France de lever à Liège deux bataillons de soldats Incorporés dans l'armée française sous la dénomination de régiment royal liégeois. Le dessin colorié reproduit ci-dessus représente un grenadier liégeois au service du roi de France. Il porte le pompon et les épaulettes rouges et les baudriers croisés; les retroussis sont ornés de fleurs de lys et non pas de grenades. L'habit est de couleur bleu clair, ce qui est une erreur du coloriste, les grenadiers du régiment royal liégeois portant l'uniforme bleu foncé. Ce dessin, dont le visage a été noirci au crayon, fait face à la page de titre de la Convention faites (sic) entre Sa Majesté très-chrétienne et Monseigneur le Prince-Evêque de Liège, relativement à l'établissement du Régiment Royal-Liégeois (Liège, chez Lemarié, 1788). Entre autres sources iconographiques illustrant l'histoire de ce régiment, on peut encore citer un dessin aquarellé de la collection Millot à la bibliothèque de la Sabretache, un tableau à la gouache du musée de Nancy, un manuscrit de Johann-Helnrich Brecht à la Deutsche Heeresbùcherein de Berlin, et des planches extraites des histoires militaires de Susane-Lienbart-Humbert, et de Nolrmont-de Marbot. que les princes allemands qui regardaient leur résistance à l'oppression comme une révolte» (32). Mais elle se tourne aussi contre le chapitre, et, du chapitre, s'étend à l'Eglise qu'il représente. Chez plusieurs même, l'anticléricalisme s'en prend à la religion, et le mépris qui frappe le clergé commence à atteindre aussi les dogmes qu'il enseigne. Cette exaspération s'explique sans peine. On ne pouvait plus se dissimuler, en effet, le péril auquel l'obstination de l'évêque à ne pas céder exposait la révolution. Le roi de Prusse avait déclaré ne venir à Liège au nom du Cercle de Westphalie que pour réconcilier Hoensbroech avec son peuple. En s'obstinant à y demeurer, toute chance d'aboutir ayant disparu, il courait risque de se compromettre irrémédiablement aux yeux de l'Empire et de donner barre sur lui à ses adversaires. Aussi bien les événements de mars le rassuraient-ils sur la situation de la Belgique. Le vonckisme y était définitivement écrasé et avec lui disparaissaient les chances d'une coopération des Belges avec la France. D'ailleurs Schoenfeldt dirigeait l'armée des Etats. Un plus long sé- ^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ jour des troupes prussiennes à Liège devenait donc inutile. Dès le commencement du printemps, leur départ ne faisait plus mystère pour personne. Elles évacuèrent le pays le 16 avril, et Dohm s'em- pressa de publier, pour '"^ll calmer les princes aile- mands, mémoire rlB justifiant la conduite M de son maître (33). On exactement au même IsIm point que cinq mois ^LM^k auparavant. Car, si t ^fl l'occupation prussienne ^/■ avait donné un temps IB^^^^^H de répit aux patriotes, K^.J^^^^K^Wb elle ^Mftfl^^^^^^^^^ha^ La sentence de Wetzlar suspendue sur eux, et les deux directeurs du Cercle que le roi avait dupés, ^^^B le Colonais et le Pa-latin, attendaient le moment de prendre leur revanche. ^^^H PROGRES DES ^^H I DEMOCRATES. - ^^^Ê V Loin de les découra-ger, ce péril enhardit et exalte les patriotes. Sachant qu'ils n'ont (Potsdanii Stadtschl0sz.) plus rien à attendre du r- j- j i j r grenadier prussien de la garde prince, ils ne gardent de Potsdam au XVIIIe siècle. plus aucun ménaqe- Portrait d'un lange Kerl du roi de Prusse r-., . ., peint par Frédéric-Guillaume 1", roi de 1713 gement. Désormais, il à 1740. n'est plus question de paix de Fexhe, ni de constitution nationale. On ne cherche plus à moderniser le passé, on en fait table rase. C'est l'Assemblée Constituante de Paris que l'on prend comme modèle. Le moment est venu de « régénérer » enfin la nation sans tenir compte davantage des prétentions surannées de ses ennemis. Dès le 11 avril, le Conseil de la cité exige du peuple un serment de fidélité à la révolution. Le soir, une émeute éclate contre le chapitre et les aristocrates. Presque tous quittent la ville ou émi-grent. C'est à peine si une dizaine de chanoines et autant de membres de l'Etat noble restent à leur poste. Mais il est clair que ces quelques débris des deux premiers ordres ne peuvent plus jouer aucun rôle aux Etats. Sous la pression des événements, la vieille assemblée s'est dissoute ou, pour mieux dire, s'est transformée. La place que la tradition y réservait aux privilégiés reste vide. A quel titre le clergé et la noblesse y revendiqueraient-ils encore des prérogatives condamnées par les droits de l'homme ? Ils doivent o.u disparaître ou accepter de se confondre dans l'ensemble des citoyens. Le Tiers seul compte encore, mais il faut que lui-même, pour devenir l'organe de la souveraineté nationale, s'élargisse et brise le moule que lui a imposé une constitution sociale disparue. Car lui aussi repose en réalité sur le privilège, puisqu'il ne comprend que les délégués des villes, comme si les gens des campagnes ne participaient pas aux droits de la nation. Et en effet, au mois de mai, les représentants du plat pays viennent y prendre séance. Ainsi l'égalité politique est réalisée. En fait, les « ordres » sont anéantis et le Tiers lui-même, dont le nom rappelait l'antique subordination, a vécu comme les deux autres. En même temps, le régime municipal est réformé suivant les principes français. Au mois de juillet, la ville de Liège est répartie en soixante sections renfermant tous les citoyens « actifs », c'est-à-dire tous les électeurs. Est électeur tout Liégeois âgé de vingt-cinq ans et payant 3 florins de contribution. Comme la majorité de l'Assemblée Constituante, les révolutionnaires liégeois ne vont donc pas jusqu'au bout dans l'application des droits de l'homme. S'ils estiment que l'égalité civile est le bien commun de tous les citoyens, ils croient avec Sieyès que ceux-là seuls qui contribuent à l'établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale» (34). Leur libéralisme, si démocratique qu'il soit, s'arrête aux limites du prolétariat. Au reste, ce prolétariat qui leur a donné le pouvoir n'en demande pas davantage et continue à les soutenir. C'est grâce à lui qu'ils se maintiennent, car, dans son ensemble, la nation qu'ils prétendent affranchir se laisse mener sans enthousiasme. Sans doute, elle ne résiste pas. Mais les changements trop brusques qu'on lui inflige la déconcertent. Elle ne les réclamait nullement. Elle n'était pas mécontente, et bien des gens s'étonnaient parmi elle d'apprendre tout à coup qu'ils n'avaient été jusqu'alors « que les esclaves du despotisme ». Evidemment, la « liberté comme en France » n'est l'idéal que d'une minorité de « régénérateurs » bourgeois, de libéraux idéalistes, que les masses ouvrières de Liège et de Verviers suivent d'enthousiasme, grisées par l'espoir d'un meilleur sort. Les « com- Clé-insigne en argent de la révolution liégeoise. Portée par le patriote Don-ceel, membre du tribunal des XXII. La tige est à l'image du perron, elle porte un écusson au nombre XXII et une guirlande dorée l'entoure. Le panneton ajouré porte la date du 18 août 1789. mandements du patriote » que l'on répand parmi elles les emplissent d'un enthousiasme naïf et sincère parce qu'elles y croient «la justice attachée» (35). Elles se sentent rehaussées à leurs propres yeux et la qualité de citoyen, même de « citoyen passif » suffit momentanément à les satisfaire. Quant à la petite bourgeoisie, visiblement, elle est embarrassée du pouvoir politique dont brusquement elle est gratifiée sans l'avoir demandé. A Liège, aux élections municipales de juillet, on comptait sur 10,000 à 15,000 électeurs; il ne s'en présenta que 1,081. MESURES DE DEFENSE. — En même temps qu'ils réforment la constitution, les patriotes se préparent à la défendre. Une alliance avec les Belges serait une précieuse garantie de succès, mais comment agir en commun avec le parti qui, à Bruxelles, vient d'expulser les Vonckistes et affiche pour l'aristocratie et l'Eglise autant d'attachement qu'elles excitent à Liège de répulsion ? On négocie pourtant et l'identité des intérêts rapproche les uns des autres, quoi qu'ils en aient, les partisans de van der Noot et ceux de Fabry. Van Eupen lui-même cherche un terrain d'entente. Il recommande aux Liégeois le programme de Vonck et leur prêche naïvement la réconciliation avec le chapitre. Il était naturellement impossible de se comprendre, et si l'on continua les pourparlers, on ne parvint pas à combiner une action commune. La divergence des principes, disait Lebrun, avait élevé entre les' Belges et les Liégeois «un mur de séparation impénétrable» (36). Mais plus les chefs du mouvement tenaient à leurs principes, plus ils étaient résolus à tout risquer pour eux. Ils travaillent de toutes leurs forces à se constituer une armée et, tant bien que mal, ils y parviennent. S'il leur est impossible de contracter un emprunt, ils se constituent des ressources, grâce aux revenus de la mense épiscopale, à des contributions frappées sur les terres du clergé, à des souscriptions patriotiques, à la confiscation des biens des chanoines émigrés. Deux régiments sont mis sur pied, et autour de cette petite force les volontaires affluent, désordonnés, indisciplinés, mais pleins d'ardeur. Les gens de Franchimont, sur lesquels s'exerce depuis le mois d'août la propagande du congrès de Polleur, se lèvent en masse. Au mois de mai, à la nouvelle que l'armée du Cercle s'avance vers Maeseyck, les troupes liégeoises marchent à sa rencontre. Il eût suffi, pour les tailler en pièces, de quelque vigueur. Mais les impériaux n'avaient d'énergie que pour le pillage, et la lâcheté de leurs officiers répondait à celle des soldats. Ils furent piteusement refoulés sur la Meuse le 27 mai, après une démonstration contre Hasselt, dont toute l'artillerie consistait en deux couleuvrines. Une nouvelle tentative qu'ils firent au commencement d'août, après avoir reçu des renforts, ne réussit pas mieux. Un combat indécis dans la bruyère de Genck les décida à se replier sur Maeseyck, et ils n'en bougèrent plus (9 août). Mais la convention de Reichenbach venait d'être signée. L'Autriche allait se substituer à l'Empire et étouffer en même temps la révolution de Liège et celle de la Belgique. NOTES (1) On possède sur la Révolution liégeoise deux travaux d'Inégale valeur, mais riches tous deux en renseignements puisés aux sources et parus presque en même temps. Le premier et le plus important est celui d'Ad. Borgnet, Histoire de la Révolution liégeoise (Liège, 1865, 2 vol.). L'auteur y a mis en œuvre, en un récit malheureusement confus et embarrassé, une quantité extraordinaire de documents inédits. Son point de vue, dont il avertit franchement le lecteur, est celui des démocrates modérés. Mais s'il prend parti pour eux, il fournit partout les moyens de contrôler ses jugements. Pour J. Daris, au contraire, qui a consacré à la Révolution le tome II de son Histoire du diocèse et de la principauté de Liège de 1724 à 1852 (Liège, 1872), les révolutionnaires liégeois sont des « déistes » ennemis de l'Eglise et toute leur conduite s'explique par leur anticléricalisme. La violence avec laquelle il prend parti contre eux fait penser à celle des pamphlets du temps. Mais 11 a mis en œuvre beaucoup de documents, surtout d'origine ecclésiastique, qui complètent l'information fournie par Borgnet. (2) Sur celle-ci, voy. F. Magnette, Les dessous d'une élection épiscopale sous l'Ancien régime. Bullet. de l'Acad. roy. de Belgique, 3e série, t. XXXI [1896], p. 163 et suiv.; P. Doyon, Marie-Louis d'Escorches, marquis de Sainte-Croix, sa mission diplomatique à Liège. Revue d'histoire diplomatique, t. XXXVII (1923). (3) E. Hubert, Les princes-évêques de Liège et les édits de Joseph II en manière eucharistique. Bullet. de la Comm. roy. d'Histoire, t. LXXXVII [1923], p. 109 et suiv. (4) Voy. Verhaegen, Le cardinal de Franckenberg, p. 204; Cf. Daris, op. cit., p. 427, 430. (5) Pour apprécier leurs tendances, il suffit de parcourir le Journal patriotique (Liège, 2 vol., 1789) ou de lire l'Adresse à S. M. l'Empereur [Léopold] au nom des Liégeois, rédigée par M. Bassenge (Sedan, 1791). Voy. encore V.-J. Levoz, Recherches sur la constitution du pays de Liège (Liège, 1788). Le point de vue des conservateurs est défendu entre autres par J.-J. Plret, De la souveraineté du prince-évêque de Liège et du pouvoir de ses Etats (Liège, 1787). (6) Sur la juridiction de ce tribunal, voy. Histoire de Belgique, t. II, 2® édit., p. 153. (7) Voir l'interprétation du texte suivant les idées du temps dans l'Adresse à S. M. l'Empereur, p. 59. (8) Daris, op. cit., p. 90. (9) Code de droit public des pays réunis de Franchimont, Stavelot et Logne, t. I, l™ partie, p. 19 (Verviers, an IV). (10) Ibid., p. 12. (11) Ibid., p. 4. Pour les événements de Franchimont, voy. l'Intéressant recueil de Lettres et mémoires pour servir à l'histoire de la Révolution liégeoise, publié par Ph. de Limbourg (Verviers, 1919). (12) Borgnet, op. cit., t. I, p. 118. (13) Schlitter, Geheime Correspondenz Josefs II mit Trauttmansdorff, p. 370. (14) Chronique archéologique du pays de Liège, 1914, p. 5. (15) Journal patriotique, t. I, p. XXXVII. (16) Dès le 10 septembre, une lettre écrite à de Chestret par un de ses correspondants de Wetzlar, dit que le roi a déclaré qu'il ne ferait pas entrer ses troupes dans le pays en cas d'exécution de celui-ci par l'armée du Cercle de Westphalie. Papiers de Jean-Remi de Chestret, t. Il, p. 23 (Liège, 1882). (17) Cf. D.-D. Brouwers, Un cahier de doléances liégeois de 1789, dans la revue La Vie wallonne, 1921, p. 564 et suiv. C'est une pétition des habitants de Baronville, contresignée par le seigneur et le curé, demandant l'amélioration des Impôts, la réforme des dîmes, l'institution d'écoles gratuites, l'organisation d'une maréchaussée et la représentation des campagnes au sein des Etats. (18) Journal patriotique, t. I, p. 31. (19) Voy. plus haut, p. 179. (20) J'emprunte ces détails à la correspondance Inédite du fabricant Pierre Dethier, conservée à la Bibliothèque communale de Verviers. (21) Journal patriotique, t. 1, p. 109. (22) Borgnet, op. cit., t. I, p. 157. (23) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 755. (24) Borgnet, op. cit., t. I, p. 158. (25) Ibid., t. I, p. 174. (26) Schlitter, Geheime Correspondenz, p. 788. (27) F.-C. Wlttichen, Preussen und die Revolutionen in Belgien und LUttich, p. 49. En revanche, il semble que des agents autrichiens aient poussé à l'union des révolutionnaires belges et liégeois « afin de pouvoir faire regarder l'insurrection comme une, et d'obliger, selon la constitution de l'Empire, les princes qui le composent à s'armer pour l'apaiser ». Sur ces démarches peu connues, voy. de Bray, Considérations, p. 17. (28) Schlitter, loc. cit., p. 789. (29) Borgnet, op. cit., t. I, p. 173. (30) G. Fdrster, Voyage, t. I,p. 287. Fabry n'appelait Schlieffen que l'adorable général et Hertzberg, le grand Hertzberg. En février, on célébra avec enthousiasme la Saint-Guillaume à Liège. Un transparent représentait la Prusse protégeant le perron. Papiers de J.-R. de Chestret, t. II, p. 73, 75, 79. (31) Voyage, t. I, p. 289. (32) Ibid., p. 288. Fabry qualifie les membres du chapitre de « tartufes »; il appelle l'évêque « le vilain mltré ». II n'est pas loin d'approuver ceux qui parlent de « réverbérlser » les ennemis de la patrie. Papiers de J.-R. de Chestret, t. II, p. 80, 83. (33) Exposé de la révolution de Liège en 1789, par M. de Dohm, traduit par M. Reynier (Liège, 1790). Voy. aussi dans de Bray (Considérations, etc., p. 42 et suiv.) une justification de la Prusse, que l'on déclare n'avoir eu en vue, en intervenant dans la principauté, que de la conserver à l'Empire. (34) A. Aulard, Histoire politique de la Révolution française, p. 61 (Paris, 1901). (35) J'emprunte cette expression à une lettre curieuse de Melchlor Fyon, qui, le 19 mars 1790, écrit à ses maîtres qu'il est devenu patriote, et leur envoie le texte des quinze commandements du patriote, pour justifier ses opinions. Je dois la communication de cette pièce à l'obligeance de M. le chevalier de Limbourg, à Theux. (36) Borgnet, op. cit., p. 292. 'S/Y.S;/ , • •■•. v f\ CHAPITRE IV LA RESTAURATION ^ ■i m- -m ■ /tdML « / OrV v K : mmmË m-rM&m (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Etats belgiques unis n° 112.) « Départ du Souverain Congrès des Provinces-Belgiques unies. » Estampe satirique non datée [1790] d'inspiration anticléricale. L'aigle impérial, armé du glaive, s'apprête à frapper le lion belgique aux cfltés duquel un prélat est accroupi. Un évêque, une femme, un prélat portant un coffret (« Joyeuse Entrée, Billets de Banque pour 2 millions »), un autre ecclésiastique et un membre laTque du Congrès tenant sous le bras le trésor du Congrès, s'éloignent prudemment. A leurs pieds, divers traités, parmi lesquels les Mandements de l'Archevêque, l'Histoire du Fanatisme, la Révolution Belgique ou Histoire de la dèmance (sic) de l'Esprit humain, Y Histoire des Fourbes et Imposteurs ou Monachale (sic), etc. — r rience » d'après « Respic(e) Flnem ». Estampe gravée par « Expé- fE CONGRES RENFORCE. - En 1713, l'Autriche avait acquis les Pays-Bas en s'hu-miliant devant les Provinces-Unies; ce n'est qu'au prix de son humiliation devant la Prusse qu'elle les récupéra en 1790. Elle dut même consentir à laisser les deux alliés de Frédéric-Guillaume, l'Angleterre et la Hollande, surveiller l'exécution des engagements qu'elle venait de prendre. Aussi bien la question belge était-elle plus que jamais une question européenne. Les deux puissances maritimes avaient le même intérêt que la Prusse à empêcher l'empereur de reconstituer trop complètement sa puissance en Belgique, et la Belgique elle-même, qu'elles abandonnaient, de se jeter, par un coup de désespoir, dans les bras de la France. Leur intervention entre Léopold et ses sujets visait à garantir à ceux-ci une autonomie assez large pour para- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaies des Etats belgiques unis (1790). I : Lion d'argent armé du glaive tenant un écu à la devise LIBERTAS. Légende : DOMINI EST REGNUM. 1790. — 2 : Droit d'un florin. Argent. Deux mains jointes soutiennent un faisceau de flèches, symbole de l'union des provinces fédérées. Légende : IN UN10NE SALUS. I. FLOR[ENUS]. Le choix de cette devise suscita de nombreuses discussions parmi les membres du Congrès, le mot UNIO signifiant perle ou oignon, dans le latin classique. Ce ieu de mots donna prise aux critiques ironiques de Dewez et du P. Feller. — 3 : Revers du florin d'argent. Légende : MONjETAj. NOVjAj. ARG[ENTI]. PR0V[1NCIARUM]. FOEDjERATARUMj. BELG[ICARUM]. et la date 1790. La tête d'ange entre les chiffres 7 et 9 est la marque distinctive de l'atelier monétaire de Bruxelles. lyser à l'avenir le pouvoir de celui-là. En manœuvrant avec habileté, le Congrès eût réussi sans doute à obtenir des conditions qui eussent réduit l'Autriche à n'exercer sur le pays qu'une souveraineté quasi nominale. Les chances d'en arriver là étaient d'autant plus grandes qu'après avoir abusé de sa naïveté, les cabinets de Berlin, de Londres et de La Haye devaient éprouver quelque pudeur et être prêts à lui montrer autant de générosité qu'en peuvent posséder des diplomates. Mais ce Congrès, qui n'avait rien su prévoir, était incapable de rien réparer. Il avait trop longtemps abusé le peuple de fallacieux espoirs pour oser envisager la situation en face et la dévoiler au public. Dans son désarroi, il ne cherchait qu'à gagner du temps, s'illusionnant lui-même et s'efforçant d'illusionner la nation sur l'irrévocable. Le 8 août, il faisait encore démentir l'existence du traité de Reichenbach et affirmait solennellement qu'il repoussait toute idée d'entente avec Vienne ou avec aucune autre puissance « aux dépens de l'indépendance et de la liberté des provinces » (2). Il n'allait pourtant pas jusqu'à s'abuser sur sa faiblesse. Il savait bien que son prestige était aussi nul en Belgique même qu'à l'étranger, et, au moment où allait peser sur lui toute la responsabilité de la politique extérieure, il tenta de raffermir son autorité chancelante. II engageait « instamment », le 19 août, les Etats des provinces de l'union à lui envoyer « pour quelques jours » des députés extraordinaires. « La nation, disait-il, dont l'énergie semble se ralentir, a besoin d'être animée par des dispositions qui lui rendent le sentiment de sa force. Nous nous confions que le concours des lumières et de la sagesse, les sentiments réunis de toutes les provinces et l'énergie que développent toujours la pensée d'une grande cause et l'image de grandes circonstances, déploieront des vues et des ressources propres à fortifier la confiance et l'énergie de la nation et à consolider son indépendance » (3). Ce « Congrès renforcé » s'ouvrit le 23 août. A huis clos comme toujours, la situation lui fut exposée. Peut-être les « puissances médiatrices » se laisseraient-elles attendrir. Peut-être la France s'intéresserait-elle au sort du pays. On résolut donc d'envoyer à la fois des ambassadeurs à Berlin, à Londres, à La Haye et à Paris, sans s'aviser qu'en sollicitant en même temps la France et les puissances du Nord, on s'exposait à se rendre également suspect à celles-ci et à celle-là. Avec une naïveté touchante, on se flattait que la France, à qui on n'avait adressé jusqu'alors que des injures, allait intervenir « pour écarter le despotisme de nos provinces et surtout pour en bannir la domination autrichienne» (4). On espérait gagner les sympathies des puissances maritimes en se faisant humble, en promettant de ne gêner personne, en dissipant la crainte qu'elles « pourraient concevoir du mode de gouvernement que nous pourrions adopter et de nos entreprises commerciales ou de nos alliances ». Aveuglé par la haine de l'Autriche, le Congrès, à condition de lui échapper, était prêt à accepter « un état de liberté qui n'inquiétât aucune puissance voisine ». Il se résignait à vivre en tutelle, pourvu que ce ne fût pas sous celle de Léopold. IMPUISSANCE DU CONGRES. - Si du moins les pourparlers contradictoires dans lesquels il compromettait la dignité du pays (5) avaient été soutenues par une énergique action militaire, si, avant l'arrivée de leurs renforts, les Autrichiens avaient été refoulés, peut-être tout espoir n'eût pas été perdu. Mais le Congrès avait montré autant d'impéritie dans la conduite de la guerre que dans celle de la diplomatie. Dumouriez, qui avait vu l'armée des Etats au mois de juin, l'avait trouvée « remplie de courage mais manquant d'armes, d'habits, de munitions, d'argent, d'officiers et de discipline» (6). Il ne se trompait pas en reconnaissant dans Schoenfeldt « un fourbe » qui abusait de la crédulité du Congrès. Avec de l'énergie, de bons chefs et des finances, on aurait pourtant pu mettre sur pied une force respectable. Il était difficile sans doute, mais non impossible d'utiliser le peuple des campagnes soulevé par le clergé. Mais un projet de règlement ébauché le 3 juillet pour l'organisation d'une levée en masse, était resté lettre morte. Il était évidemment trop tard pour regagner le temps perdu et faire le grand effort qui, accompli quelques mois plus tôt, eût peut-être réussi. Malgré leur infériorité numérique, les Autrichiens venaient de remporter un succès dans le Limbourg. Le 13 août, les patriotes étaient chassés de Herve. Le succès qu'ils obtinrent le 3 septembre à Coutisse, près d'Andenne, n'eut pas de lendemain. Le Congrès se laissa pourtant entraîner par l'assurance affectée de van der Noot et de van Eupen à risquer un grand coup. Il décréta un emprunt forcé de 10 millions et appela aux armes les volontaires. L'engagement était limité à trois semaines, avec une solde de huit sous par jour. Du haut de toutes les chaires, les prêtres et les moines prêchaient la guerre sainte. On imprima un cantique pour les troupes. Vers le milieu de septembre, 15,000 hommes environ étaient venus se grouper autour des débris de l'armée patriotique. Leur bonne volonté était évidente et pas un ne doutait du succès. Schoenfeldt consentit avec indifférence à les mettre en mouvement. Son plan fut ce qu'il devait être. D'Andoy, où se trouvait son quartier général, il marcherait sur les Autrichiens, tandis que Kôhler, partant de Bouvignes, les attaquerait sur leur gauche. L'action, entreprise le 22 septembre, n'aboutit qu'à un échec lamentable. L'élan des troupes s'usa bientôt contre la résistance méthodique des vieux bataillons de Bender. Elles furent rejetées en désordre sur la Meuse. Quelques jours plus tard, dépités et découragés, arrivés d'ailleurs au terme de leurs trois semaines de service, les volontaires se dispersaient. La sortie torrentielle, cet éternel expédient des politiciens aux abois, avait échoué. Pour résister aux régiments qui marchaient du Danube vers la Belgique, il restait, allongé de Huy à Dinant, un mince cordon de quelques milliers d'hommes. La défaite était d'autant plus désastreuse qu'elle mettait le Congrès en mauvaise posture auprès des puissances. Le 17, leurs ministres, réunis en conférence à La Haye, lui avaient proposé un armistice. Au lieu de saisir cette occasion de se concilier leur bienveillance, il avait risqué l'aventure. Il n'avait voulu ou plutôt il n'avait osé écouter ni la voix des sages qui conseillaient de profiter du moment pour amener Léopold à ériger la Belgique en protectorat ou en vice-royauté, ni celle des généraux qui déclaraient indispensable une suspension d'armes. C'est que terrorisé par la populace bruxelloise, le Congrès ne délibère plus librement. La ville est en proie au délire religieux. Tous les jours des processions la parcourent, où l'on porte le portrait de van der Noot entre les images des saints. L'exaltation patriotique s'est muée en un mysticisme brutal. Le 6 octobre, un malheureux qui, au passage du cortège escortant Notre-Dame de Laeken, a risqué quelques plaisanteries, est mis en pièces par la foule. Dans les esprits troublés et fanatisés, la haine de l'Autriche, plus encore qu'il y a quelques mois celle des démocrates, se confond avec la foi. D'ailleurs le peuple est gorgé de mensonges par les journaux et les libelles qui lui font croire les puissances prêtes à reconnaître son indépendance. Il est clair que la moindre concession à l'empereur exposera le Congrès aux fureurs de la foule. Déjà il a entendu des paroles menaçantes, et il n'a pas assez de courage civique pour les mépriser. Ses délégués à La Haye ont beau lui écrire (5 octobre) que les puissances déclarent unanimement le retour de l'Autriche indispensable, qu'elles offrent toutefois de l'entourer de garanties telles « que nous serons plus libres que les Anglais », et qu'elles demandent l'envoi d'une députation qui puisse les mettre au courant des constitutions nationales, dont elles avouent « n'avoir quelques notions que par l'ouvrage de M. le comte de Nény », on ne répond qu'en offrant de discuter, maintenant qu'il est trop tard, les conditions d'un armistice « propre à calmer les inquiétudes du peuple à l'égard d'une religion et d'une liberté qu'il chérit trop pour les compromettre» (20 octobre) (7). MARCHE DES AUTRICHIENS. -Si évident que soit le péril, on ne veut pas le voir. On laisse van Eupen déclamer « qu'il ne croit rien de la marche des troupes autrichiennes et qu'il y a tout à espérer d'une alliance prochaine entre la Prusse et la France ». Et pourtant les résidents du Congrès à Paris font savoir que le comité diplomatique de l'Assemblée Nationale leur a affirmé que la France « souffrira pour le moment, n'étant pas prête, la descente des troupes autrichiennes» (8). Pendant que l'on perd ainsi un temps que l'on croit gagner, Léopold, sûr du succès, prend méthodiquement ses mesures. On a laissé passer l'instant où, grâce à la bonne volonté des puissances, on eût pu lui poser des conditions. Désormais il dicte sa volonté. De l'ardent libéralisme qui s'exprimait si largement dans son manifeste du mois de mars, plus la moindre trace dans la « déclaration » qu'il publie le 14 octobre. C'est qu'alors il n'était encore que grand-duc de Toscane et héritier présomptif d'une monarchie chancelante. Aujourd'hui, réconcilié avec la Prusse et tout fraîchement ceint de la couronne impériale (30 septembre 1790), il s'adresse en souverain magnanime à ses sujets révoltés. Il leur rappelle que la divine providence les a placés sous son gouvernement héréditaire, il les somme de reconnaître son autorité légitime. Qu'ils cessent de couvrir « du prestige d'une liberté chimérique l'affreuse licence sous laquelle tous les bons citoyens gémissent en silence ». Pour lui « persuadé que c'est de l'amour des peuples que les trônes reçoivent leur plus grand éclat et leur plus solide appui, il se propose de ne rien négliger pour en devenir l'objet ». Il s'engage de la manière la plus solennelle, et sous la garantie des cours de Londres et de Berlin et de la République des Provinces-Unies, à gouverner ses provinces belgiques conformément au régime des constitutions qui étaient en vigueur pendant le règne de feu S. M. Marie-Thérèse. Il promet une amnistie générale à tous ceux qui déposeront les armes avant le 21 novembre. Mais à cette date 30,000 hommes de troupes entreront dans les Pays-Bas. C'est là le dernier terme qu'il impose à sa clémence, et il conjure les Etats des provinces de ne pas repousser la main qu'il leur tend (Bruxelles, collection A. Verbouwe.) La bataille de Falmagne (28 septembre 1790). Bataille von Fallmagne zwischen denen K[ôniglichen]. K[aiserlichen]. Truppen und denen Bellgischen Kreutzfahrern am 28 Sept. 1790. Gravure sur bols extraite de la Geschichte der merkwiirdiesten Volks-Aufstand und Staets-Umanderungen gegenwûrtigen Zeit, besonders zu LUttich den Niederlanden und Frankreich. Zittau, éd. Jacob-Friedrich Neumann, 1790. Cet exemplaire doit avoir été endommagé à l'époque : le visage de l'abbé de Tongerloo, ainsi que celui du religieux, à sa gauche, ont été grattés. en « bon père », et de mettre fin par une prompte soumission aux calamités qui les affligent (9). LEOPOLD II. — Cette déclaration parvint au Congrès le 1" novembre. Presque en même temps il recevait une lettre de la Conférence des puissances l'engageant à lui faire connaître ses dispositions. C'était donc à une restauration pure et simple du régime autrichien que l'on était acculé ! Et quand même le Congrès se fût résigné à tomber du haut de ses illusions dans cette trop amère réalité, quelle apparence qu'il osât se risquer à le faire paraître ? Car le peuple de Bruxelles semble pris de folie. La police débordée ou complice laisse brûler sur la grand'place la déclaration impériale. Des libelles, des pamphlets, des lettres anonymes déversent l'injure ou la menace sur les députés suspects de tiédeur, si bien que plusieurs d'entre eux n'osent plus venir aux séances. Il faut, pour satisfaire les forcenés qui l'entourent, que le Congrès, qui ne possède pas un sol, ordonne le 10 novembre de lever pour quatre ans 20,000 recrues et, le 15, appelle toute la nation sous les armes. Manifestement, il n'agit que pour la galerie, par crainte d'être massacré. Il n'a plus la force de prendre aucune décision. Le 16, cinq jours avant le terme fatal marqué par Léopold, tout ce qu'il trouve à faire, c'est de demander à La Haye un nouveau délai « afin que la nation qui ne calcule pas comme un individu, puisse peser, réfléchir et exprimer son vœu» (10). Mais déjà l'avant-garde des troupes autrichiennes touche Luxembourg, et le comte de Mercy-Argenteau, le plénipotentiaire de l'empereur à la Conférence, se montre inexorable. Que faire ? L'armée patriotique se dissout dans la désertion (11). Schoenfeldt écrit, le 20, que l'ennemi sera aux portes de Bruxelles « avant qu'il soit trois jours », et demande d'être dispensé « de mener davantage une barque qui, vu les circonstances, surpasse absolument ses forces» (12). Alors, doublement épouvanté et par l'invasion autrichienne s'il ne se soumet pas, et par la fureur du peuple, s'il se soumet, le Congrès aux abois se raccroche à un expédient désespéré. Le 21, au soir, à la lueur des lampes, au bruit des vociférations qui font rage sous ses fenêtres, il proclame le troisième fils de l'empereur, l'archiduc Charles, grand-duc héréditaire de Belgique ! Cette improvisation saugrenue d'un souverain, en fin de séance, fait unique ( fume cCu/t CorJo/itt forfc /ïfenJare/ t/c ùirnuv fr,u.m\r Rcifï/ii trfou v/j-cst trouve ir tel flatai//c c/c fa/nwj/u /■ zft .i'c/'A//i/'t\ irejo .4 r*rù cAri zlt/lee rue ' , . (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Etats beiglques unis n° 112.) « Costume d'un Cordelier Porte Etendard de l'Armée des Croisées (sic) Belgiques tel qu'il s'est trouvé à la Bataille de Falmagne, le 28 septembre 1790. A Paris, chez Basset, rue St-Jacques. » sans doute dans l'histoire, achève en une bouffonnerie lugubre les agitations du Congrès. Elle ne suspendit pas même un moment, comme on l'avait espéré, la marche des troupes impériales. Au jour fixé, Bender les mit en mouvement. Dès le 24 novembre, elles entraient à Namur sans coup férir. Le 26, Schoenfeldt, coupé de Kôhler rejeté sur Mons, se repliait sans tirer un coup de fusil dans la direction de Bruxelles. L'armée se débandait, fondait, s'absorbait dans la population et disparaissait. Le Congrès disparut comme elle. Le 27, il se réunit pour la dernière fois. Il ne songeait plus qu'à préparer sa fuite et à tromper par une indigne comédie le peuple qu'il n'avait pas eu le courage de désabuser. Il écrivit aux Etats de Brabant pour leur dénoncer la « conduite félonne » des Namurois et les vouer à une « honte éternelle» (13). Quant à ses membres, leurs efforts et leur zèle « s'animaient à mesure du danger », et ils étaient « prêts à en être les premières victimes ». Mais leurs valises étaient bouclées et les plus compromis, au sortir de la séance, s'empressèrent de fuir, derrière van der Noot et van Eupen, dans le Brabant hollandais. Le peuple, comme au sortir d'un accès de convulsion, demeurait stu-pide. Bender n'eut qu'à se présenter devant Bruxelles pour recevoir la soumission des Etats de Brabant. La ville fut occupée le 2 décembre, Malines le 4, Anvers le 6, Gand le 7. Mons l'était depuis le 30 novembre. Kôhler avait conduit en Flandre les derniers débris de l'armée patriotique. Ils furent licenciés à Alost. Le pays s'était abandonné à tel point que l'empereur eût pu le traiter en province conquise. Sa déclaration du 14 octobre ne le liait plus, puisqu'on n'en avait tenu aucun compte. Mais il n'était pas dans sa manière d'employer la rigueur. D'ailleurs il s'était engagé envers les puissances à respecter les constitutions. Il s'exécuta le 10 décembre. Allant plus loin même qu'il ne l'avait fait tout d'abord, il ne garantit pas seulement l'exercice du gouvernement tel qu'il avait été pratiqué sous Marie-Thérèse et le maintien des institutions nationales, il promit encore de ne jamais introduire en Bel' gique la conscription militaire, de consulter les Etats et les tribunaux sur toutes les lois d'un intérêt général et notamment sur celles qui pourraient contenir des modifications aux tarifs des douanes, de replacer sous les ordres et la dépendance des gouverneurs généraux le ministre plénipotentiaire i iïcjc/ttecjl\ (tcj-/loitoucQ)auu elïttcu,de brj-cf/outujo9/lfuiouo,'cHau.C ïf/ouX. Jomutcj ^eJuuuuuJ eu Ut, cutOcJ de /'avù %UaetJ Q.iftrJjcj /&cyaft.C,\ i/'o/rc/uJuc/teM ÏJ/taxie QÂùftiui 3 '(hUttc/ie. IZxumJJe. /leyafeftk.' j Vfmyttc cl % JSofutue^itioib. tru-cÂM. et htj ai) lire Joou,et(t3)uc i jt» #//mtf3ïiuà /Loya/deTo/oyie et ffedoialde o/âfe^duedet/êjcAtu,j \flatte -ah e/a et tùj-cume (&eatintât, et.: Soujiu, "floj J.uuicuaut | ■éattry t/>cuiyli)e (juetSrcJ'àt cJiuït!$tijrtii//tir,rr ioa/aJrtttkc&>"< :'••/•. Vcnt^àtl| Ir/rV "(otJcÂatfiuHtiik^Jtt.tiettdeCMur/vt'// • O.w/ltflr. J yl.ti.ifaciiy'de e'ttattdi&'àù ^tfou^r Cyro/'à, J/it"(ttu.,ùc- 1 L Vvnttr,oc7k>Çonce.etA-Çrtiàtjnr, . Ka/j'uj'cl't | LJattU onyiirc CAomatn^àccté vtty.-ei,\dcfct/tatde U fas/c.S itluict'.dc 'iouJ-à-'ftltifiJhvt tt, V i / 'treraj:l'tttàlijntiie à'ffùtf l'unie dr^Tot'e/irc'ce0}uidc.'HOiu',(>e JSlamJnt,tt^htjj/ienlde;| yQ/it>eA)e/i'c)e c /afin et t)c '.fafr/fr/u/tm.c >njncurc)c/a'/Hu>cAc j î) C\Ici,wmuo. 9/v Ùoi t.-/Taon .de o/aOnJ et t>t e '/La/mcJ---!J 'ciuij ^'t Sou tu/1) '(Stal *c)u. Œequetde /eu . Jeta, uuj jia fou. vtej I , &onjei/^tuve Jeta, coutnoïc c) 'tut 2%JtàeuL,yui cuua cotui' a °ècvatit & tùte ck <2/itf tt ÇfuJïÙculL.etS) 'autant d^&MJuJ&Jtj, cÇtMfaitij, et aufoej cJa/xiAttucA tjut. TlouJ ttouverenu tteùJjcuteJ ytoux /a-jrtotup tt d^cpcèùtou affiuuZ.qui joui du te/jau- ..s.rC, (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Musée.) Intitulé, exposé des motifs et début du dispositif de l'édit impérial aux termes duquel Léopold II rétablit les trois conseils collatéraux (10 décembre 1790). A la fin de l'édit est appendu le sceau de majesté de cire rouge de Léopold II, non visible sur la photo. Ce sceau est Identique à celui de Joseph II; seul le premier mot de la légende est changé : LEOPOLD au lieu de JOSEPH. et le commandant général des troupes, enfin, s'il se présentait dans l'exécution des stipulations constitutionnelles « des cas douteux, sujets à des interprétations difficiles », de s en rapporter à la décision d'arbitres nommés par lui et les Etats (14). Des concessions si étendues ne s'expliquent évidemment pas toutes par le désir de redevenir « l'objet de l'amour des Belges ». En s'engageant à ne jamais recourir à la conscription militaire et en limitant son droit de fixer les nouveaux tarifs des douanes, l'empereur obéissait certainement à la nécessité de rassurer les puissances. Il se résignait à n'être pour elles dans les Pays-Bas qu'un voisin inoffensif. Il se liait les mains et rétablissait en somme, à son détriment, les clauses essentielles du traité de la Barrière. Avec un manque de perspicacité vraiment étonnant, ses partenaires, fidèles à la conception traditionnelle de l'équilibre européen, n'avaient songé qu'aux intérêts égoïstes de leurs cours. Pas un d'eux n'avait prévu que quelques mois plus tard, la France, qu'ils considéraient dédaigneusement comme mise hors de cause par ses agitations politiques, allait jeter le gant aux monarchies et commencer, par l'invasion des Pays-Bas, où ils s'ingéniaient à paralyser les forces de l'Autriche, son assaut triomphant contre l'Ancien Régime. Ne pouvant plus songer à amalgamer la Belgique à l'Etat autrichien, comme Joseph II l'avait rêvé, Léopold devait renoncer facilement à y étendre ses droits de souverain. L'absolutisme de son frère avait visé tout ensemble à faire le bonheur des hommes et à consolider la puissance de la monarchie. Indifférent au premier point et hors d'état de réaliser le second, Léopold n'ambitionna que de rendre le calme à un pays dont il ne savait plus guère que faire. De là ses étonnantes concessions, et l'établissement d'un régime qui, replaçant le ministre plénipotentiaire sous les ordres des gouverneurs généraux, brisait le ressort essentiel du pouvoir central et transformait les provinces en une sorte de vice-royaume soumis à un simple protectorat. De là encore, la douceur d'une restauration qui n'inquiéta quasi personne, remit en liberté le général van der Mersch, s'abstint soigneusement de poursuites et ne tira d'autre vengeance du cardinal de Franckenberg que la satisfaction de lui faire célébrer à Sainte-Gudule un service solennel d'actions de grâces pour le retour de LES DEUX PAILLARDS DE L'ARMÉE « D E SCHŒIFELB En bonne fortune & propos variés avec la faute DyCHESSE DE BRABANT & fon Adultérine, le 50 Août 1790, jour du départ de VAN DER NOOT pour les camps de Bou-vigne , d'Andcnne &c. ou il alloit organifer la fameure Croifade Villageoiie. Si vtlles vellcm &C.\ OVID. de Arte amand. 1791. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, coté II, 4742, vol. 52, ln-8°.) Pamphlet dirigé contre le Prussien Schoenfeld, commandant les troupes du Congrès. Les deux paillards de l'armée de Schoenfeld... s.l. 1791. l'empereur. De là enfin, le renvoi à Bruxelles, en attendant le retour des gouverneurs, du comte de Mercy-Argenteau, grand seigneur humain, libéral, éclairé et, par surcroît, d'origine liégeoise. Léopold espérait sans doute que le long séjour de ce diplomate à Paris, où il avait vu poindre la Révolution, lui faciliterait la tâche d'apaiser un peuple encore grisé d'idées de liberté et secoué par les convulsions des partis. Et sans doute, si cette tâche eût été réalisable, le tact et la finesse de Mercy en fussent venus à bout. Mais au moment et dans les circonstances où elle s'accomplissait, une restauration pacifique du régime autrichien était impossible. Les rancunes des « statistes » aristocrates étaient trop cuisantes, les défiances du clergé restaient trop vives pour qu'il fût permis d'espérer de ce côté une réconciliation indispensable (15). Restaient les Vonckistes-démocrates qui, par haine de leurs adversaires, se rapprocheraient peut-être du pouvoir moyennant quelques avances. Mercy essaya, en effet, de les gagner. Les plus distingués d'entre eux, le comte de La Marck, le vicomte Walckiers, repentants et un peu gênés de leur participation à une révolte qui avait si mal tourné, se montraient pleins de bonne volonté et prêts à aider le ministre à diriger le gouvernement dans les voies d'un libéralisme sage et d'un constitutionnalisme bourgeois et moderne. A la fin de février 1791, Walckiers fondait à Bruxelles la société des Amis du Bien public, sur le modèle des clubs parisiens. Malheureusement, il fallut bientôt se rendre à l'évidence et constater que, là aussi, l'entente ne se ferait pas. Pour gagner les démocrates, il ne suffisait pas de témoigner une sympathie platonique aux droits de l'homme : il fallait les appliquer, et tout d'abord substituer aux Etats l'assemblée nationale qu'ils exigeaient depuis si longtemps et avec tant d'énergie. Or, c'est justement à quoi le gouvernement ne pouvait ni ne voulait consentir, et cela moins encore par principe que par nécessité. Ne venait-il pas, en effet, de garantir solennellement le maintien des constitutions nationales et, par conséquent, de s'interdire toute nouveauté? Mercy avait beau trouver les Etats grotesques et nuisibles, bon gré mal gré, il devait les conserver tels qu'ils étaient. Mais dès lors, par impuissance de les satisfaire, il se brouilla avec les démocrates comme avec les conservateurs. Les deux partis qui s'étaient déchirés si cruellement pendant la Révolution brabançonne allaient de nouveau s'unir contre l'ennemi commun, l'Autriche. MECONTENTEMENT GENERAL. - Le retour des gouverneurs, le 15 juin, la nomination du comte de Metternich-Winneburg comme ministre plénipotentiaire, l'inauguration de Léopold et la proclamation d'une amnistie générale ne pouvaient rien changer à la situation. A part les évêques, qui cherchaient à rentrer en faveur, presque tout le monde était mécontent. Seuls, quelques impérialistes, anciens fonctionnaires ou pamphlétaires à gages, s'acharnaient à défendre le gouvernement. Mais leur zèle ne faisait que le discréditer davantage. Ils se flattaient de ramener les démocrates, auxquels on ne pouvait offrir de satisfactions politiques, en les entraînant dans une campagne anticléricale. Ils leur montraient en Léopold un souverain éclairé, ennemi du fanatisme et protecteur de la liberté civile. Pourquoi ne pas se grouper autour de lui ? Pourquoi ne pas s'allier contre les moines et les fauteurs d'une nouvelle tyrannie théocratique ? « Royalistes, Vonckistes, s'écriait l'un d'eux, c'est-à-dire bons citoyens, ne souffrez pas davantage qu'on vous insulte ! Si on réitère, prouvez à l'instant que vous êtes les vrais amateurs de la liberté et du souverain. Redonnez-vous le baiser de paix civique. Que l'offense d'un seul devienne celle de tous» (16). Le vent emportait ces déclamations. Sans doute, l'ardeur avec laquelle le clergé les avait combattues avait profondément ulcéré les démocrates. Sans doute, beaucoup d'entre eux ne cachaient plus à l'Eglise une hostilité qu'elle avait elle-même fomentée en leurs esprits (17). Mais sous la pesanteur du joug retombé, on ne sentait plus la morsure de ces rancunes. D'avoir joui un instant de l'indépendance, la nation conservait un souvenir si cher qu'elle en oubliait ses vieilles querelles (18). Elle prenait conscience d'elle-même et, souffrant des mêmes maux, s'apercevait maintenant que ses luttes intestines de l'année précédente n'avaient été au fond que les manifestations d'un même amour de la liberté et de l'autonomie. Elle préférait encore, à la morne régularité autrichienne, l'intempérance, le bruit et la chaleur des discussions des partis. Elle voulait gérer ses affaires elle-même, sûre de se trouver plus heureuse en se conduisant à sa guise qu'en s'abandonnant docilement à la direction de l'autorité. Ce n'était pas en vain qu'en dépit du particularisme, de la divergence des intérêts et de la différence des langues, depuis tant de siècles, à travers tant de péripéties et tant de régimes, sous les princes du moyen âge, sous les ducs de Bourgogne, sous Charles-Quint, sous Philippe II et sous Joseph II, elle avait toujours disputé à ses souverains le droit de disposer d'elle et de la traiter en sujette. Ce qu'il y avait en elle de plus profond, l'instinct social, confusément élaboré par l'histoire au fond des âmes wallonnes comme au fond des âmes flamandes, l'unissait en une même communauté, pleine de variété sans doute et même de contrastes, mais vivant de la même vie (19). Deux fois, tout entière, sous la pression du patriotisme, elle s'était soulevée. La Révolution dont elle était encore frémissante avait ravivé chez elle le souvenir glorieux de sa révolution du XVI" siècle. Et voilà que, sur sa frontière du sud, elle voyait une nouvelle révolution appeler le monde à la liberté ! Comment n'eût-elle pas suivi, avec le plus passionné des intérêts, le drame grandiose qui se jouait en France ? Elle n'en recevait pas seulement les .échos, déjà elle y était entraînée. (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Office fiscal du Brabant n° 1262.) (Cliché Bijtebier.) Cocarde aux couleurs françaises (bleu-blanc-rouge) trouvée sur un certain François Brancart. Cet Individu aux allures louches a été arrêté à Rebecq et incarcéré à la Porte de Hal. Au moment de son arrestation, il a été trouvé porteur de cette cocarde bien qu'il tînt des propos pro-autrlchlens. L'Instrument du délit est joint au dossier de l'affaire (lettre du comte van der Stegen en date du 13 février 1791). jactance, la confiance qu'ils affichaient d'être bientôt soutenus par Léopold embarrassaient autant les gouverneurs qu'elles irritaient le peuple. On ne parlait que des affaires de France. Elles tournaient toutes les têtes. « Tous nos mal-intentionnés, écrit Marie-Christine le 3 août, se flattent de la possibilité d'une nouvelle révolution» (21). Et tout le monde, à l'en croire, — et elle n'a que trop raison, — est mal-intentionné. Les Etats font maintenant cause commune contre le gouvernement avec les démocrates. « Le clergé est si aveugle, que loin de sentir le danger qu'il court en se détachant du souverain, il ne pèse pas même celui dont le système français le menace» (22). Sans la présence des troupes, qui maintiennent dans les villes une soumission au moins apparente, il faudrait s'attendre au pire. La police n'ose sévir contre les émissaires qui viennent de Paris travailler et exciter les masses. Au mois de décembre, Théroigne de Méricourt, arrivant de Vienne, soulève à Bruxelles un tapage déplorable par ses allures d'amazone révolutionnaire, et se vante d'avoir vu l'empereur et de l'avoir converti « à ses principes et sentiments » (23). Mais le plus grave est que dans la Flandre française, à Lille, d'anciens Vonckistes et des démocrates, associés à des patriotes liégeois, fondent des clubs, recrutent des partisans et, sous la protection de l'Assemblée Législative de Paris, se vantent d'envahir bientôt la Belgique et d'en chasser les Autrichiens. Ce ne sont pas là de simples rodomontades de politiciens exaspérés. Car, de jour en jour, l'attitude de la France se fait plus belliqueuse. Dès le mois de décembre, elle se prépare visiblement à la guerre. Et c'est ce moment que les Etats choisissent pour refuser les impôts et subsides ! INFLUENCE DE LA FRANCE. - L'émigration qui, depuis la fuite de Louis XVI à Varennes grandissait de jour en jour, emplissait toutes les villes belges de nobles, d'officiers et de belles dames (20). Leur frivolité, leur (Liège, Musée Curtius.) (Cliché A.C.L.) Poignée de sabre de la révolution liégeoise (1789-1790). Un sabre analogue est conservé au musée de la Vie wallonne à Liège. On ne peut plus se le dissimuler — et les gouverneurs ne le cachent pas à Vienne — les tentatives de conciliation de Léopold ont lamentablement échoué. Il doit s'attendre à une nouvelle révolution ou dompter le peuple par la force. Sa mort inopinée, le 1er mars, laissa son successeur François II devant cette alternative. Au reste, il n'eut pas à la résoudre. Le 20 avril 1792, la déclaration de guerre de la France à l'Autriche la supprimait. LES LIEGEOIS ET LA FRANCE. - Presque au même moment où le régime autrichien était rétabli dans les Pays-Bas, Hoensbroech se réinstallait à Liège. Des deux côtés, la restauration ne fut pas seulement simultanée : elle passa par des phases identiques. Les démocrates liégeois firent preuve d'autant de maladresse dans les pourparlers, d'autant d'obstination dans l'illusion, d'autant d'intransigeance dans l'impossible, que les aristocrates brabançons. Si éclatant que soit le contraste de leurs principes, les uns et les autres, dans la crise qu'ils traversent, semblent atteints de la même folie, parce qu'ils s'abandonnent aux mêmes passions. Après la convention de Reichenbach qui réconciliait l'empereur et le roi de Prusse, il n'était plus permis de compter sur la protection de Berlin. Les Liégeois se trouvaient à peu près dans la même situation où ils s'étaient vus trois siècles auparavant lorsque Louis XI et Charles le Téméraire avaient conclu le traité de Péronne (24). Aujourd'hui comme alors, ils agirent de même. Au lieu d'accepter l'inévitable, ils se laissèrent entraîner par les violents à s'insurger contre lui. Aveuglés par la haine qu'ils portaient à Hoensbroech comme le Congrès de Bruxelles l'était par sa rancune contre l'Autriche, ils ne songèrent qu'à empêcher à tout prix son retour. En 1465, pour échapper à Louis de Bourbon, ils avaient élu un mambourg, Marc de Bade. Ce vieux souvenir de l'époque la plus tragique de leur histoire remonta aux cerveaux. Le 7 septembre, le Conseil de la cité proposait de confier la régence au prince de Rohan (25). Le Tiers-Etat se rallia aussitôt à cette décision, et ce qui restait du chapitre et de la noblesse fut contraint d'approuver son vote. En choisissant Rohan comme mambourg, on n'avait pas seulement voulu braver la Chambre de Wetzlar et l'Empire. Cet ambitieux vulgaire et sans consistance était Français, et l'on espérait l'appui de la France. Tout y (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Archives Photographiques.) Influence de la France : Constitution de l'Assemblée Nationale (17 juin 1789). Dessin original de Jean-Louis Prieur (le Jeune; Paris, 1759-1795). Le musée du Louvre possède une importante collection de dessins de Prieur illustrant 1 histoire de la révolution française et gravés par P.G. Berthault pour les Tableaux historiques de la Révolution française. engageait le peuple : et la longue influence que la France exerçait sur lui, et surtout la communauté des aspirations et des principes. Déjà au mois de décembre 1789, le Congrès de Polleur avait laissé entendre qu'il demanderait la réunion à la France s'il n'était pas possible de « régénérer » la constitution, et, au mois de juillet, il avait envoyé des délégués à Paris pour s'associer à la « fête sublime » de la fédération (26). Au même moment, le Tiers-Etat et le Conseil de la cité, sous prétexte de réclamer une vieille créance de fournitures militaires, chargeaient Reynier de sonder les dispositions de l'Assemblée Nationale. On lui adjoignit bientôt Henkart, et tous deux, le 18 septembre, au milieu des protestations de la droite et des applaudisements de la gauche, lurent devant l'Assemblée, qui les admit aux honneurs de la séance, une note où l'on sollicitait clairement l'appui de la France contre l'oppression. Mais la France n'était pas prête. Il fallait se contenter provisoirement de sa sympathie. Si résolu que l'on fût à ne pas rentrer sous le pouvoir de Hoensbroech, on négociait à Francfort, où les ministres directoriaux du Cercle de Westphalie s'étaient transportés à l'occasion du prochain couronnement de Léopold II comme empereur. Quoique le roi de Prusse ne pût et ne voulût plus intervenir seul en faveur des Liégeois, il continuait à leur montrer de la bienveillance. Il promettait d'obtenir du prince l'abolition des points essentiels du règlement de 1684. Le Tiers-Etat rejeta avec mépris de telles bases de négociations. Il y répondit en offrant de payer une pension à Hoensbroech pour prix de son abdication, et en exigeant que le peuple fût libre de décider souverainement de la forme de ses institutions. Il était certain désormais que toute entente serait impossible. D'ailleurs, quand la députation liégeoise arriva à Francfort, elle se trouva en face d'une décision prise. Les cours intéressées s'étaient mises d'accord sur le retour du prince moyennant la proclamation d'une amnistie, après quoi on s'occuperait du redressement des griefs. L'analogie ou plutôt l'identité est frappante entre ces conditions imposées aux Liégeois à Francfort et celles que, vers la même date, la Conférence de La Haye dictait aux Belges. Elle se continua de part et d'autre avec une étonnante rigueur. A Liège comme à Bruxelles, le peuple se jeta aussitôt en travers des négociations. Elles échappent aux Etats pour suivre la direction que leur imposent les fureurs de la foule. La Société des Amis de la Liberté et la plupart des membres du Conseil municipal prennent la direction de la résistance. Le 4 octobre, les soixante sections de la ville rejettent à l'unanimité les propositions de Francfort. Les compagnies bourgeoises formées en carrés pour en entendre la lecture, les repoussent également. Leurs décisions sont rédigées dans un style de forcenés. On y traite d'imbéciles, d'infâmes, de traîtres à la patrie, (Liège. Musée des Beaux-Arts.) Un révolutionnaire liégeois : Pierre-Joseph Henkart (Liège, 1761-1815). Membre de la Société d'Emulation de Liège, membre et secrétaire du conseil provisoire de régence institué par le Tiers-Etat pour remplacer le Conseil privé, proscrit lors de la restauration du prince-évêque Hoensbroech, il rentra à Liège avec les Français, siégea au conseil municipal puis entra dans la magistrature. — Portrait peint par Léonard Defrance (Liège, 1735-1805). les partisans de la conciliation; d'absurdes, d'injustes, de déraisonnables, les propositions des directeurs du Cercle. Dohm, accouru à Liège, recommande vainement le calme et la claire appréciation des choses. Il suggère d'offrir à la Conférence de se rallier à ses vues, moyennant l'engagement « que la nation sera représentée par les députés librement élus et choisis par elle, sans aucune influence ni concurrence de l'évêque-prince, et que ce sera dans les Etats qui, de cette façon, représenteront le sens du pays, que le pouvoir législatif résidera» (27). Il assure que S. M. prussienne fera passer cet amendement qui, en fait, établit la souveraineté nationale. Les meneurs ne l'écoutent qu'avec ironie, et il se désole en reconnaissant « que le peuple liégeois, si capable de ne soutenir que la raison quand il est bien instruit, l'ait été si mal dans un moment si important» (28). Rohan et la plupart des membres du Tiers laissés libres d'agir, adopteraient sans doute la conduite qu'il leur propose. Mais le peuple les terrorise absolument comme il terrorise le Congrès de Bruxelles, et devant l'émeute qui gronde dans la rue, ils n'ont pas le courage de se décider (11 octobre). (Cliché A.C.L.) (Liège, Palais de Justice.) Salon des Gobelins, de style Régence, dans le palais des princes-évêques de Liège. XVIIIe siècle, INTRANSIGEANCE DES LIEGEOIS. - Cependant, et tandis que les « aristocrates » se félicitent de l'aveuglement de leurs ennemis, de nouveaux députés partent pour Francfort. Sous la pression de la Prusse et loin de celle de la foule, ils acceptent les propositions du Cercle, à condition que leurs commettants les ratifient. Délai leur est laissé jusqu'au 1er novembre. Mais, acculés à ce terme fatal, les Etats, toujours comme à Bruxelles, au lieu de se résoudre, se flattent de gagner du temps. Aussi bien informés que van Eupen de la situation de l'Europe, plusieurs de leurs membres prédisent une conflagration générale qui va tout remettre en question. La veille du terme fixé, le 31 octobre, on délègue une mission à Berlin ! Cette fois, le roi en avait assez. Aux obstinés auxquels ses agents s'évertuaient à ouvrir les yeux depuis si longtemps, il ne répondit que par un refus net de s'intéresser encore à leur cause. Le lendemain, 1er novembre, la Commission exécutrice chargée par le Cercle de terminer l'affaire, sommait les Liégeois de déclarer leur soumission avant le 3. Elle ne reçut aucune réponse. Bien que l'armée patriotique ne comptât plus que 2,000 hommes, les exaltés n'hésitèrent pas à répondre à la force par la force. Les troupes du Cercle, toujours cantonnées à Maeseyck, rongées par la désertion et l'indiscipline, n'étaient guère plus nom- breuses que celles des patriotes et elles avaient achevé de se démoraliser dans l'oisiveté. Il suffit de l'approche d'un corps de volontaires pour les rejeter, le 9 décembre, devant Visé, sur la rive droite de la Meuse. Pour la troisième fois, le Saint-Empire Romain reculait devant une poignée de révolutionnaires. La Chambre impériale, après avoir lancé tant de sentences solennelles et de « déhorta-toires » menaçants, se serait trouvée grotesque si elle avait eu le sens du ridicule. Pour les Liégeois, l'Empire leur inspirait tant de mépris qu'ils ne songèrent pas même à se glorifier de leur victoire. Mais ils apprenaient que Wetzlar, abdiquant tout amour-propre et infligeant aux princes exécuteurs un affront dont ils ne semblèrent pas même s'apercevoir, venait de leur adjoindre l'empereur Léopold en sa qualité de directeur du Cercle de Bourgogne (20 décembre). Il y avait beau temps que le Cercle de Bourgogne n'était plus qu'un souvenir archaïque. Mais la Chambre connaissait mieux le passé que le présent. Ici du moins son pédan-tisme conservateur la servait à propos (29). Les troupes autrichiennes venaient d'accomplir la facile restauration de la Belgique. Un simple mouvement sur la droite suffirait à accabler les Liégeois, et l'Empire pourrait se vanter d'avoir mis ces insolents à la raison, puisque, voilant son impuissance par une subtilité juridique, Wetzlar affectait de ne voir que des troupes de Cercle dans les beaux régiments de Bender, et les assimilait ainsi aux tristes et cocasses milices de Westphalie. FIN DE LA REVOLUTION LIEGEOISE. - Si lamentable qu'il fût, cet expédient mettait fin à la révolution liégeoise. Il était trop évident que l'armée autrichienne écraserait au premier choc tout ce qu'on pourrait lui opposer. A la nouvelle de l'intervention de l'empereur, personne, sauf quelques forcenés, ne parla plus de résistance. Pourtant tout espoir n'était pas perdu. On savait Léopold éclairé; on avait applaudi jadis à ses réformes en Toscane, à la protection qu'il avait accordée à l'évêque de Pistoie, Scipion Ricci, dans sa lutte contre l'ultramontanisme. Sa longanimité à l'égard des Belges semblait aussi de bon augure. Peut-être ne serait-il pas impossible de le gagner à la cause de la liberté et de l'amener, comme jadis le roi de Prusse, à interposer sa médiation entre un peuple revendiquant ses droits et un évêque têtu et réactionnaire. Dès le 23, les Etats et le Conseil de la cité écrivaient à Met-ternich qu'ils s'en remettaient « à la volonté suprême de l'empereur ». Ils envoyaient des députés à Vienne et à Bruxelles. Mais Léopold refusait de les recevoir, et ils n'obtenaient de Mercy et de Bender, avec de bonnes paroles, que le conseil de se soumettre. On apprenait qu'un corps autrichien sous le commandement du général Al-vinzy se mettait en mouvement. A son approche les plus compromis vidèrent la place. Dès le 10 janvier, le mambourg Rohan s'éclipsait. Le 12, les membres du Conseil municipal et leurs amis, accompagnés des débris de l'armée patriotique, prenaient la route de France. Le même jour, les Autrichiens s'installaient tranquillement à Liège. Une « Commission impériale » assuma l'administration du pays en attendant le retour de l'évêque, qui s'effectua le 12 février 1791. La maladie avait achevé de paralyser chez Hoensbroech une volonté qui n'avait jamais été bien forte. Il s'abandonna à la direction de cette partie du chapitre qui, dès les premiers jours, avait rompu avec les Etats, et il n'eut pas l'énergie de contenir ses rancunes. Bien différente de celle des Pays-Bas, si bénigne et si oublieuse du passé, la restauration liégeoise fut revêche et soupçonneuse. Malgré les instances de l'Autriche, on ne proclama pas d'amnistie. Un « Edit fondamental » publié le 10 août remania la constitution en faveur des prérogatives princières. Il reconnut à l'évêque le pouvoir législatif dans les limites des lois de l'Empire et des « paix » du pays. Les Etats qui, à l'avenir comme par le passé, se réuniraient au moins une fois par an, conservaient le droit de voter l'impôt et de donner des avis au prince. C'était donc à ce replâtrage de l'Ancien Régime qu'on aboutissait après tant d'agitations. On n'avait goûté un instant de la souveraineté nationale et des droits de l'homme que pour en revenir au temps de Maximilien de Bavière ! Et non seulement le prince osait usurper le titre de législateur, mais les privilèges politiques du chapitre et de la noblesse étaient rétablis; il n'était pas jusqu'à l'odieux règlement de 1684 qui ne rentrât en vigueur. Pourtant, sauf quelques nobles, personne ne protesta. Les patriotes, privés de leurs chefs, rongeaient leur frein en silence, entretenant leur colère par la lecture des pamphlets que, du fond de leur exil, les émigrés lançaient contre le « tyran ». L'Autriche, la Chambre de Wetzlar elle-même, blâmaient ouvertement l'étroitesse de vues et la mesquinerie du gouvernement; on ne les écoutait pas. A la mort de Hoensbroech, le 4 juin 1792, le chapitre, par hostilité contre l'Autriche, écarta l'évêque de Tournai qu'elle patronnait et élut le neveu du défunt, François de Méan (16 août 1792). La lutte grandiose qui venait enfin de déchaîner la Révolution Française allait décider de son sort. Elu quelques jours seulement après le manifeste de Brunswick, il devait se maintenir ou disparaître avec l'Ancien Régime. Valmy et Jemappes l'entraînèrent dans la déroute du vieux monde. Dès la fin de novembre, il fuyait, comme les gouverneurs autrichiens de Bruxelles, devant l'armée victorieuse de Dumouriez. Belges et Liégeois se trouvaient englobés les uns et les autres et, si l'on peut dire, fondus et amalgamés dans la grande République d'où devait sortir l'Europe moderne. NOTES (1) Je me suis borné à marquer dans ce dernier chapitre la physionomie générale de l'éphémère restauration autrichienne. Si intéressante qu'elle puisse être dans le détail, elle n'a au fond, dans le développement général de l'histoire de Belgique, qu'une valeur épisodique. On consultera pour les particularités le livre toujours indispensable d'Ad. Borgnet, Histoire des Belges à la fin du XVIII' siècle. L'ouvrage de H.-R. von Zeissberg, Zwei Jahre Bel-gischer Oeschichte 1791-1792 (Vienne, 1891), n'y ajoute que peu de renseignements d'intérêt réel, mais est utile à consulter pour l'appréciation du point de vue autrichien. Pour la restauration à Liège, les travaux de Borgnet et de Daris, cités au chapitre précédent, le premier incomparablement plus que le second, fournissent des récits circonstanciés. (2) Gachard-Verhaegen, Ordonnances des Pays-Bas Autrichiens, t. VIII, p. 568. (3) Gachard, Documents sur la révolution belge de 1789, p. 302. (4) Ibid., p. 333. Cf. Eug. Hubert, Un mémoire inédit du duc Albert de Saxe-Teschen. Bullet. de la Comm. roy. d'Hist., t. XXXIV [1920], p. 41 et suiv. (5) Voy. le ton dont Hertzberg, auquel il a rappelé le 6 août les promesses de la Prusse, la taxe d'« incorrection ». Van de Spiegel, Résumé des négociations, p. 307. (6) Borgnet, Histoire des Belges, t. I, p. 202. (7) Gachard, Documents, p. 361. (8) Ibid., p. 364. (9) Voy. dans Gachard, Documents, p. 377, le texte français de cette déclaration et dans Ordonnances des Pays-Bas autrichiens, t. XIII, p. 605, le texte flamand. (10) Gachard, Documents, p. 400. (11) E. Hubert, Correspondance des ministres de France, t. II, p. 423. (12) Gachard, Documents, p. 413. (13) Ibid., p. 251. (14) Borgnet, op. cit., t. I, p. 231. (15) Pour ne citer qu'un seul épisode, mentionnons ici l'Interminable et exaspérante querelle qui s'ouvrit entre le gouvernement et les Etats de Brabant, à propos de sept conseillers au Conseil de Brabant, jadis obéissants à Joseph II, et que ce Conseil refusait obstinément de recevoir dans son sein. Voir sur cette affaire l'Exposé historique de la situation des affaires au duché de Brabant au mois de décembre 1791 (Bruxelles, 1792). (16) Colère et grande colère du frère Batau, p. 6 (Bruxelles, 7 juin 1791). Voy. encore parmi les innombrables pamphlets par lesquels les royalistes essayent de rallier les Vonckistes à Léopold en opposant les hommes éclairés et les « bons citoyens » aux moines et aux Etats : L'Olivier, ou discours prononcé à l'arrivée de S. A. R. l'archiduc Charles ù Bruxelles, le 30 septembre 1791, et surtout, Het verlost Nederland vereerlijkt door de lang gewenschte aenkomst hunner K. Hoogheden de Artsliertogin Maria-Christina en den Konink-lijken prins Albertus-Casimirus, par C.-M. S[panoghe], longue diatribe grossière et pédantesque contre le clergé et les Vandernootistes, entremêlée de récriminations contre les ennemis de l'auteur et de basses flagorneries à l'adresse de l'empereur et des archiducs. (17) Schlitter, Briefe der Erzherzôgin Marie-Christine, p. 114. (18) Pour le rapprochement des partis, voy. ibid-, p. 147, 155, 181, 183, 214, 231. (19) C'est ce que Mercy, exaspéré par la mauvaise humeur, ne comprend pas quand il accuse la Belgique de n'être pas une « nation ». Zeissberg, Zwei Jahre, t. 1, p. 56. C'est un reproche que lui ont fait plus d'une fols les gouvernements qui n'ont pu la réduire, sans s'apercevoir qu'ils reconnaissaient, par cette impuissance, son esprit national. (20) Voy. F. Magnette, Les émigrés français aux Pays-Bas, 1789-1794. Mémoires in-8° de l Académie roy. de Belgique, 2» série, t. IV [1907]. (21) Schlitter, Marie-Christine, p. 147. (22) Ibid., p. 148. (23) Ibid., p. 211. (24) Histoire de Belgique, t. II (3« édition), p. 312. (25) Sur le semblant de gouvernement de ce personnage, voy. H. Sage, Une république de trois mois. Le prince de ' Rohan-Guémenée, archevêque de Cambrai, régent de la nation liégeoise. Bullet. de la Soc. Verviétoise d'histoire et d'archéologie, t. VII [1909], (26) Code de droit public des pays réunis de Franchimont, Stavelot et Logne, t. I, 2e partie, p. 4, 67. (27) Borgnet, Histoire de la révolution liégeoise, t. I, p. 410. (28) Ibid., t. II, p. 414. (29) La Prusse qui, sous Frédéric 11, niait que la Belgique fit partie de l'Empire, avait changé d'avis en 1789, pour faire pièce à l'Autriche. Voy. Gérard, Rapédius de Berg, t. II, p. 282. Cette fois, l'ombre falote du Cercle de Bourgogne fut évoquée par Wetzlar au profit de cette même Autriche, qui avait eu grand soin de n'en jamais parler depuis le traité d'Utrecht. LIVRE V LA CONQUÊTE FRANÇAISE INTRODUCTION I l'on jette un coup d'ceil d'ensemble sur la Révolution française, on aperçoit qu'elle achève une évolution historique et qu'elle en inaugure une autre. Elle met fin à l'Ancien Régime non seulement en lui substituant l'unité et la centralisation de l'Etat, mais aussi en fondant l'Etat sur la souveraineté nationale. Ces deux réformes ne s'accomplissent pas successivement, mais en même temps. Elles se développent pour ainsi dire enchevêtrées l'une dans l'autre, et il leur arrive de se gêner, parfois même de s'opposer. De plus, les contingences ont lourdement pesé sur elles. Il est impossible de comprendre la Révolution si l'on ne tient pas compte des événements qui l'ont obligée à prendre des mesures qui ne répondaient pas à ses principes. Oublier qu'elle s'est trouvée en guerre avec l'Europe, qu'elle a dû tout sacrifier à la défense du sol national et en même temps à la sauvegarde du régime qu'elle a établi, ne point observer que la passion révolutionnaire et le patriotisme s'y sont inspirés mutuellement, c'est se condamner tout à la fois à en faire la caricature et à ne pouvoir distinguer ce qu'elle a de proprement français de ce quelle a d'universel. Car elle apparaît, à ses débuts tout au moins, comme un fait cosmopolite plus encore que comme un fait national. Elle découle de cette philosophie qui au XVIIIe siècle domine la pensée européenne, et elle prétend la réaliser non seulement à son profit, mais au profit de tous les peuples. Et, en effet, dans la mesure même où elle s'en est inspirée, ils en ont tous subi l'influence; tous jusqu'aujourd'hui — et la Belgique plus qu'aucun autre — en portent encore la marque. A cet égard, il en est de la Révolution comme du protestantisme. Comme lui, elle est la manifestation d'un mouvement général d'idées et de sentiments; pas plus que lui, en ce qu'elle a d'essentiel, elle n'est l'œuvre d'une race. Il serait plus faux encore d'y voir un phénomène roman que de voir dans la Réforme un phénomène germanique. Elle-même, d'ailleurs, a eu clairement conscience de cette universalité de ses tendances et de ses principes. Au lieu de se rattacher au passé national, elle se glorifie de rompre avec lui si complètement qu'elle se considère comme le point de départ d'une ère nouvelle. Prétendant s'appliquer à tous les hommes, elle n'a pas voulu être seulement française, mais en dépit d'elle-même elle l'est devenue, et son caractère national a été en se développant sans cesse au détriment de son caractère cosmopolite. C'est que les circonstances ont obligé les Français à la défendre en se défendant eux-mêmes, à en faire leur bien propre, à confondre leurs destinées avec les siennes, bref à la nationaliser et en la nationalisant à la dénaturer. Qu'était-elle au début? Une tentative de remanier l'Etat et la société conformément à ce rationalisme qui porte en Allemagne le nom cfAufklârung et en France celui de philosophie. Et il apparaît clairement qu'en ceci, elle ne fait que s'avancer plus loin dans la voie où se sont engagés avant elle, en Prusse, Frédéric II et, en Autriche comme en Belgique, Joseph II. Le programme de l'Assemblée nationale et de la Constituante se confond en grande partie avec celui du « despotisme éclairé ». Pour le réaliser, il n'était nullement besoin d'une révolution, la monarchie absolue y suffisait. On oublie peut-être trop qu'en France même, elle avait déjà accompli, avant 1789, bien des réformes caractéristiques. Il suffira de rappeler ici, durant le règne de Louis XVI. la suppression du servage dans le domaine royal, l'égalité civile accordée aux protestants, le retrait de la législation sur les Juifs, le mariage considéré comme contrat civil, l'introduction du divorce, l'abolition de la torture. Evidemment, sous la poussée de l'esprit du temps, le gouvernement commençait à rompre avec la tradition si impitoyablement raillée par Voltaire. Les économistes et les encyclopédistes applaudissaient à ces initiatives. On put croire un instant, lorsque Turgot fut appelé au ministère, que le coup de barre était donné définitivement. Ce qui empêcha sans doute la monarchie française de persister dans cette direction, ce n'est pas, comme les révolutionnaires devaient le croire, que le roi fût un tyran, c'est au contraire qu'il était trop faible. Si Louis XVI eût possédé le pouvoir d'un Frédéric II ou d'un Joseph II, il n'eût probablement pas renvoyé Turgot. Mais absolu en théorie, il ne l'était pas du tout dans la pratique. La tradition de Louis XIV pesait sur lui de tout son poids et le paralysait. Pour enlever à la noblesse et au clergé tout pouvoir politique, Louis XIV les avait domestiqués. Il les avait exclus du gouvernement, mais il leur avait livré le palais. Ses successeurs devaient être les prisonniers de leurs courtisans. Ils ne purent régner qu'à condition de tolérer les innombrables abus dont vivait la cour; ils durent laisser mettre l'Etat au pillage. Pour réformer celui-ci, il eût fallu tout d'abord expulser les parasites de Versailles. Qui l'eût osé ? Au milieu de sa noblesse et de ses prélats de cour, le roi pouvait tout se permettre, à condition qu'il ne se permît rien à leur détriment. Comment eût-il pu rompre avec une aristocratie à laquelle il reconnaissait le droit de vivre de lui et dont il se considérait comme le père nourricier ? Il pouvait avoir des velléités de réformes, il n'avait ni le pouvoir ni d'ailleurs la volonté de les pousser au point où elles eussent sacrifié les privilégiés à la nation. Force fut bien pourtant de s'adresser à celle-ci lorsque le déficit grandissant eut amené le gouvernement au bord de la banqueroute. Mais convoquer les Etats-Généraux, que la royauté avait cessé de réunir depuis 1614, ce n'était pas se tourner vers l'avenir, mais vers le passé. C'était avouer sa faiblesse tout en refusant d'en reconnaître la cause. Car cette cause, elle était dans la prépondérance des privilégiés et les privilégiés allaient dominer aux Etats puisque des trois ordres dont se composait Vassemblée, ils en possédaient deux. Pour sortir de la crise, on faisait appel au peuple, non tel qu'il existait, mais tel qu'il avait existé deux siècles plus tôt. Le Tiers-Etat de 1789 si formidablement enrichi, si éclairé, si clairvoyant sur les vices du gouvernement, pouvait-il être sacrifié plus longtemps à la noblesse et au clergé ? Là où il aurait fallu une mesure radicale, on n'avait recours qu'à un expédient archaïque. Louis XVI est là tout entier, aussi faible que bien intentionné, voulant et n'osant pas, incapable de réaliser le bien qu'il souhaite et, dans sa conscience d'honnête homme timoré, espérant qu'on lui tiendra compte de ses bonnes intentions dans le moment même où il se donne les apparences de conspirer contre elles. La transformation des Etats-Généraux en Assemblée nationale était fatale. Le Tiers l'exigea dès le 17 juin, et dix jours plus tard les deux autres ordres acceptèrent le fait accompli, malgré le roi, malgré la cour, malgré eux-mêmes. La Révolution était commencée. Elle débuta par établir sur les ruines de l'Ancien Régime l'Etat moderne qu'appelaient à la fois de leurs vœux la bourgeoisie et le peuple. Ce que la monarchie avait timidement commencé, elle l'acheva avec une hardiesse et une ampleur qu'elle dut au sentiment de sa force. Son œuvre en ceci s'apparente à celle des souverains « éclairés » de Berlin et de Vienne. La seule différence, c'est qu'elle établit par la loi, ce qu'ils avaient établi par décrets. Joseph II ne s'y trompe point. Il se glorifie de voir son exemple si exactement suivi et ne se refuse pas le plaisir de montrer aux Belges que ses réformes, contre lesquelles ils protestent si obstinément, VAssemblée nationale les adopte. Egalité civile, abolition des droits féodaux, réforme des codes, des tribunaux, du clergé, suppression des corporations de métier, il avait déjà voulu tout cela et son obstination avait pris les devants sur la France. En votant les lois qui sont restées depuis lors à la base de l'Etat moderne, celle-ci n'a donc fait que réaliser, si l'on peut ainsi dire, un programme international de réformes, conçu et en partie appliqué déjà non seulement en Prusse et en Autriche, mais même dans le grand-duché de Toscane et en Savoye. Rien en cela qui soit proprement français d'origine. Et si la Révolution s'en était tenue là, elle ne serait pas plus révolutionnaire que ne l'avaient été avant elle tant de despotes « éclairés ». Mais son originalité réside justement en ceci, que si elle emprunte au despotisme son programme, elle s'élève en même temps contre le despotisme. Ailleurs, les souverains absolus ont fait l'Etat; en France, au contraire, c'est contre le souverain qu'il a été fait. Et c'est en cela que l'œuvre de l'Assemblée nationale est une œuvre révolutionnaire. Elle se tourne contre la royauté parce que la royauté semble avoir failli à sa tâche. Sous Louis XV et sous Louis XVI, elle a trop sacrifié le peuple aux privilégiés pour que son impuissance, en présence des abus, n'apparaisse pas comme une complicité. Si on a tant souffert de l'aristocratie, c'est que le roi s'est solidarisé avec elle. Aux yeux de Camille Desmoulins, qui n'est en cela que l'interprète de l'opinion courante, tous les rois de France, à l'exception du seul Henri IV, ami des paysans, ne sont que des « monstres », des « débauchés » et des « tyrans ». Le passé national n'apparaît aux réformateurs que comme un entassement effroyable d'aberrations et de crimes. L'éducation classique qu'ils ont reçue et la philosophie qu'ils professent renforcent encore l'aversion qu'il leur inspire. L'une et Vautre les dressent contre le despotisme : la première, en leur assignant comme idéal la liberté républicaine du citoyen antique, la seconde, en les convainquant que l'homme, bon par nature, n'a été corrompu que par les vices de la société et du gouvernement. La révolution des colonies américaines de l'Angleterre est arrivée juste à point pour les renforcer dans leur opinion. S'ils applaudissent avec tant d'enthousiasme à sa « déclaration des droits », c'est que précisément ils l'interprètent comme une justification de leur théorie. Ce qu'ils y découvrent, c'est l'application d'une politique fondée sur le droit naturel. Contre lui ne prévaut aucun pouvoir, et cependant tous le méconnaissent ou le violent. Aussi toute insurrection est-elle légitime et apparaît-elle même comme le plus sacré des devoirs. « Le peuple a toujours raison parce que le peuple veut toujours le bien, même s'il ne le voit pas toujours». Les « aristocrates » du Brabant eux-mêmes sont dignes de sympathie puisqu'ils se soulèvent contre un « tyran ». Rien d'étonnant si l'Assemblée nationale, sous l'empire de ces idées fut hantée par la terreur du despotisme. Elle salue la prise de la Bastille comme l'aube de la liberté politique, et quelques semaines plus tard (août 1789) en proclamant les droits de l'homme et du citoyen, elle se flatte de fonder la constitution sur (New-York, collection J. Pierpont Morgan.) Louis XVI (1754-1793), roi de France de 1774 à 1793. Le roi porte la plaque de l'ordre du Saint-Esprit. Portrait ovale en miniature par Albert-Barthélemy Picot de Buissaizon (1752-1841). Encadrement de perles. Dimensions : 3,5 X 3 pouces. LA CONQUETE FRANÇAISE des principes inébranlables et universels puisqu'ils sont ceux de la nature humaine. En conséquence, la souveraineté est transférée du roi à la nation, c'est-à-dire d'un homme à l'ensemble de tous les hommes. Mais ne pouvant l'exercer elle-même, la nation la délègue à des législateurs. Le roi en sera réduit au pouvoir exécutif et toutes les précautions sont prises pour qu'il ne puisse pas abuser de son autorité pour rétablir la « tyrannie. » Elles sont même si bien prises qu'en réalité elles suppriment le gouvernement. Le chef de l'Etat est amoindri au point de n'avoir plus la force de faire exécuter les lois. Ses ministres sont de simples commis; il ne dispose d'aucun agent ni dans les départements, ni auprès des municipalités; le veto qu'on lui a reconnu est purement suspensif, et s'il conserve en théorie le commandement de l'armée, la garde nationale, qui lui échappe, pourra, en cas de besoin, se tourner contre l'armée. En fait, la constitution de 1789, par crainte du despotisme, a organisé l'anarchie. Et c'est ici que son œuvre apparaît viciée d'une contradiction fondamentale. Car enfin, pour appliquer toutes les réformes quelle a décrétées, pour démolir l'Ancien Régime et construire à sa place le régime nouveau, pour refaire l'Etat et la société, pour accomplir en un mot une transformation si radicale, si profonde, si étendue et si rapide que jamais, sauf peut-être lors des invasions musulmanes, dans aucun pays et dans aucun temps on n'en a vu de semblable, il faudrait que le pouvoir fût doué d'une force et d'un prestige correspondants à la tâche gigantesque qui lui est imposée. Or, on l'a énervé par défiance. Toute l'administration lui échappe. Elle appartient tout entière à des autorités électives sur lesquelles il n'a aucune prise et qui, faute de direction, s'entrechoquent et s'agitent dans l'incohérence. Manifestement, on a trop compté sur la bonté naturelle des hommes. Joseph II s'en amusait et raillait l'Assemblée nationale qui remontait, disait-il, jusqu'à Adam pour trouver les vrais principes du gouvernement. Passe encore si la France avait pu se livrer sans péril à l'expérience formidable qu'elle tentait. Mais à partir du printemps de 1792, elle est en guerre avec l'Autriche, avec la Prusse et, bientôt, avec l'Europe entière. Et alors se dévoile dans toute sa gravité la faiblesse du pouvoir central. L'impuissance du roi fait celle de l'armée, et cette impuissance, en même temps qu'elle les incline à s'entendre avec l'ennemi, les discrédite dans la nation. En revanche, sous la menace de l'étranger, le patriotisme se réveille. Le Français réapparaît sous l'homme libre. Paris, qui depuis si longtemps déjà dirige l'opinion, assume la tâche de sauver la France et avec elle la Révolution. Jusque-là, celle-ci n'avait été qu'humaine, et voici quelle devient française. La souveraineté du peuple proclamée en théorie va devenir la plus terrible des réalités, car dans la crise qui l'assaille, il ne peut plus être question d'énerver le pouvoir sous prétexte de garantir la liberté des citoyens. Le salut public doit l'emporter maintenant sur toute autre considération. Ce qu'il faut à la France menacée sur toutes ses frontières par l'invasion et au dedans d'elle-même par l'insurrection, c'est un pouvoir ramassé, centralisé, capable des réactions rapides qui sont indispensables, ayant la force, ne voyant que le but à atteindre et y allant à travers tout. L'ennemi intérieur sera abattu comme l'ennemi extérieur repoussé. Plus de monarchies puisque le roi conspire contre la nation. La République est proclamée et, pour se défendre, elle a recours à la dictature jacobine. La passion politique et la passion nationale s'exaltent. Pour trouver semblable sursaut de fanatisme, il faut remonter à l'époque des guerres de religion. Le massacre des prisonniers en septembre 1792 fait penser à la Saint-Barthélemy. Comme jadis aux protestants, on reproche aux aristocrates de pactiser avec l'étranger. Les modérés sont suspects. Tous ceux qui avaient rêvé d'un régime constitutionnel à l'américaine ou à l'anglaise sont aussi honnis que jadis les adeptes de la tolérance religieuse. Dumouriez trahit, La-fayette émigré, la Terreur est à l'ordre du jour, et le gouvernement révolutionnaire asservit la nation pour mieux l'affranchir. Dans une sorte de délire lucide, au cri de « guerre aux tyrans » s'institue la tyrannie. La Convention règne, mais c'est le Comité de salut public qui gouverne. Un régime aussi terrible ne pouvait être qu'un régime provisoire. L'exaltation dont il est né est un état trop violent pour être durable. Il disparaîtra en même temps que s'apaiseront les passions qui le soutiennent, ou, pour mieux dire, aussitôt que tombera l'accès de fièvre jacobine auquel est en proie la Commune de Paris. Car c'est Paris qui impose à la France, avec la dictature, la démocratie égalitaire des sans-culottes. De l'autonomie administrative et du libéralisme humanitaire de la constitution de 1789, nulle trace ne subsiste. L'une et l'autre sont également suspects et c'est pour y être restés fidèles que les Girondins périront. Pour rallier à Paris les départements, la constitution de 1793 proclame le suffrage universel. Mais au milieu de la tourmente qu'on traverse, elle n'est pas appliquée et la grande ville continue à imprimer au pays les soubresauts de sa violence. Il ne suffit plus d'avoir soumis l'Eglise à la nation, on s'en prend maintenant à la religion elle-même. Elle n'est qu'une superstition dangereuse, l'alliée de l'aristocratie et comme celle-ci, elle doit (Par|Sj Musée Carnavalet.) (Cliché Oiraudon.) disparaître Au reste, ni dans le domaine politique, Maximilien de Robespierre (Arras, 1758-Paris 1794). ni dans le domaine religieux, le gouvernement Portrait attribué à Joseph Boze (Martigue, 1744-Paris, 1826). cV//«» 't'ïiJtMHMS révolutionnaire n'a poussé ses tendances jusqu'à leurs dernières conséquences. Son représentant le plus complet, Robespierre, n'est pas plus athée qu'il n'est communiste. S'il veut déchristianiser la France, c'est pour l'unir dans le culte de l'Etre suprême, et s'il déclame contre les riches, ce n'est pas pour socialiser les fortunes, mais pour les égaliser. Son idéal, comme celui de tous les jacobins, c'est l'homme vertueux et libre, également affranchi des dogmes et du joug de l'aristocratie, revenu dans la cité à la bonté native qu'avaient pervertie en lui les rois, les nobles et les prêtres, rendant hommage à Dieu dans son cœur et dont la liberté a pour base l'égalité. Les athées sont aussi dangereux que les communistes. Les uns sont des monstres, les autres, des anarchistes, et pêle-mêle avec les aristocrates, les prêtres, les tyrans et les hypocrites, c'est-à-dire les modérés, ils monteront à la guillotine. Cette philanthropie fanatique et sanguinaire lui destinait aussi ses apôtres. La Terreur, après avoir sauvé la République, repoussé l'ennemi, écrasé les révoltes intérieures, devait périr de son triomphe. Elle n'avait été qu'un moyen : la France la rejeta dès que sa tâche fut accomplie. Née de la défaite, elle mourut de la victoire. La chute de Robespierre et la réaction de Thermidor (27 juillet 1794) ne suivent que d'un mois la bataille de Fleurus. Avec le Directoire et la constitution de l'an III s'ouvre la réaction inévitable. On a horreur de tant de sang versé: la guillotine a compromis la démocratie. Ce dont la France a besoin maintenant, c'est d'ordre et de repos. On cherche à stabiliser la Révolution et à organiser l'Etat conformément aux droits de l'homme et aux intérêts de la classe nouvelle qui, enrichie des dépouilles de l'Ancien Régime, attend l'occasion de prendre le pouvoir et d'affermir sa fortune récente. La Terreur s'appuyait sur le jacobinisme parisien, le Directoire s'appuiera sur les bourgeois et les paysans que la vente des biens nationaux a enrichis. La propriété est proclamée la base de l'ordre social, non sans doute l'ancienne propriété privilégiée, mais la propriété nouvelle qui des mains de l'Eglise et des émigrés a passé aux mains de la nation. Par un curieux mais bien compréhensible retour des choses, tous les nouveaux propriétaires considèrent maintenant la République comme la condition indispensable de la conservation de la société. C'est ce qui explique les fluctuations à première vue si étranges de la politique du Directoire. Les royalistes, en effet, la Terreur abattue, ont repris courage. La modération du nouveau régime, au lieu de les rallier autour du gouvernement, les excite à le renverser, si bien qu'ils le contraignent, chaque fois que le péril parait menaçant, à se rejeter vers les jacobins, pour maintenir grâce à eux la République qu'il veut pourtant organiser contre eux. De là, au milieu de mouvements contradictoires, la continuation d'une anarchie entrecoupée de « journées » et d'insurrections que l'on ne parvient finalement à abattre qu'en faisant appel à l'armée. Car de plus en plus l'influence de l'armée grandit dans la nation. Elle a le prestige et la force et, puisqu'elle est l'armée, elle est l'ordre. Par elle, on se sent aussi rassuré contre un retour de l'ennemi que contre un retour de la Terreur. Elle a donné à la France cette frontière du Rhin que si longtemps la monarchie a visée sans pouvoir y atteindre. Au début, dans le premier enthousiasme de la Révolution, l'Assemblée nationale s'était magnanimement proclamée la libératrice des peuples et avait répudié la conquête. Les mêmes principes humanitaires qui dictaient sa conduite au dedans devaient diriger sa politique au dehors. Mais bientôt la guerre avait mis fin à ce généreux désintéressement. Comment abandonner à eux-mêmes les pays que l'on avait affranchis ? Leur annexion s'imposait, non seulement pour s'en faire une défense, mais encore pour profiter de leurs ressources, entretenir la guerre par la guerre et sauver la République de la banqueroute. C'eût été une duperie d'assumer plus longtemps le rôle d'apôtres désintéressés et, au milieu de l'Europe hostile, de ne prétendre combattre que pour l'humanité. L'idéologie révolutionnaire, qui était encore de mode après Jemappes, cessa de l'être après Fleurus. Désormais, on accepte franchement la réalité. La République n'agit plus pour le genre humain, mais pour elle-même, et son intérêt est la règle de sa conduite. Elle devient franchement impérialiste dans le même temps où elle renonce à son idéal humanitaire. Ainsi la Révolution a rompu tout à la fois et avec la démocratie et avec le cosmopolisme. La tâche qui s'impose maintenant à elle, c'est de s'organiser. Elle ne renonce à aucun de ses principes; elle continue à se réclamer décret DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE- /eu ÇSo/^/i/alio/L JtUXJLl O^eclacalioii oca^J dtoiu OC t houiiuis ec-du . _\_ __' ^Ji Cjlt .V —(feufrfe. eu iïdMiUjJt't'fbalioiiaA', eu hcu. t'ouifi ________Mariait ÛCA u co, ôaM.Ls OHL CS>ccfa.veuài ùo&mu ctl**, feAj)urctnJ_ ,ialu*ct.\-, MulÙtiulM'A.y t/actt*.- û - y,m CeUtS^cèàcatimt , CM,r/mniiwnjJttnuttJ à V , /{jnuAis^ dit. Cvtf>i< iSou'a ls, fiuuo ctyyjtjjj^ Joisj-— Crttc /««X ùr„u.~ r.-tc.^ dfvàtAJ ; .tftti —> Ilote* feyJà*^ ty,o> ^ (Paris, Archives Nationales, Ab 4605; cote du musée : AE II 1239.) (Cliché Société française du microfilm.) Original manuscrit de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen votée par l'Assemblée Nationale le 3 septembre 1791. Dans la marge, autographe de Louis XVI : «J'accepte et ferai exécuter. 14 septembre 1791. Louis. » Exemplaire sur papier aux armes de l'Assemblée Nationale; devise : La Loi et le Roi. ' t • Km it.î I ,Vyj i.Vti iî* h M ..• > 1 i.uri ),• I i •v.v* ,', ; j 1 i lu %X<\ v » «; « > i v; ■ (Paris, ancienne collection de Bassano; serait légué prochainement au musée du Louvre.) Napoléon Bonaparte (Ajaccio, 1769-Sainte-Hélène, 1821), premier consul, à l'âge de vingt-huit ans. Portrait peint à l'huile par Jacques-Louis David (Paris, 1748-Bruxelles, 1825). 11 s'agit d'une esquisse pour un portrait qui n'a pas été achevé. Un autre portrait de Bonaparte, peint également par David et très proche de celui-ci, appartient à la collection Carlos de Beistégui à Biarritz. des droits de l'homme et de la souveraineté du peuple, mais elle va les adapter à ses besoins, qui sont les besoins de la France. Après avoir jeté les bases de l'Etat moderne, elle va fonder l'Etat national. C'est à lui, en effet, qu'aboutit l'immense effort auquel mit fin le coup d'Etat de brumaire. Repétri par les mains de Napoléon, il n'en conservera pas moins son esprit originel. Au lieu de renier les droits de l'homme, l'Empire, au contraire, en a imprégné le corps politique et le corps social. Il n'est point jusqu'à la souveraineté nationale qu'il n'ait respectée puisque c'est d'elle qu'il se réclame. A première vue, rien ne paraît plus incompatible avec l'Assemblée nationale de 1789 que le Corps législatif de 1800. L'une est omnipotente, l'autre n'est qu'une façade derrière laquelle agit le despotisme. Mais qu'on y prenne garde, ce despotisme, ce n'est pas celui de l'Ancien Régime, c'est à vrai dire la toute-puissance de l'Etat administré et centralisé conformément aux principes révolutionnaires. Cet Etat, on l'a vu, l'Assemblée nationale avait été incapable de le réaliser. Après elle, ni la Terreur ni le Directoire n'y avaient réussi. Ce fut le rôle de Napoléon de l'établir si solidement que son armature subsiste encore dans tous les pays auxquels il s'est imposé. Les révolutions du XIXe siècle ne seront plus comme celles du XVIIIe des révolutions contre l'Etat, mais des révolutions dans l'Etat. L'édifice est construit où jusqu'à nos jours se sont combattus tous les partis et ceux-là même qui l'ont le plus ébranlé ou remanié, n'ont pas voulu le détruire, mais s'en emparer. (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Archives Photographiques.) Prise de la Bastille (14 juillet 1789). Dessin original de Jean-Louis Prieur (le Jeune; Paris, 1759-1795). Sur l'œuvre de J.-L. Prieur, voyez la notice de la p. 278. CHAPITRE PREMIER JEMAPPES fECONTENTEMENT DES BELGES CONTRE L'AUTRICHE. ~ Depuis Philippe-Auguste, les rois de France n'avaient cessé de tendre avec autant d'énergie que de patience à la domination de la Belgique. A travers les siècles, elle était restée l'objectif principal de leur politique extérieure. Elle leur était également indispensable, soit qu'ils songeassent à la défense de leur royaume, dont elle constitue vers le nord le prolongement naturel, soit qu'ils eussent en vue d'imposer leur hégémonie à l'Europe en menaçant à la fois, par elle, l'Angleterre et l'Allemagne. Mais à toutes les époques aussi, l'Europe s'était acharnée à leur en disputer la possession. C'est à coup de guerres européennes que la monarchie avait lentement progressé dans les Pays-Bas, et l'annexion d'Arras, de Lille, de Douai, de Valenciennes avait été le résultat de luttes formidables et de congrès internationaux. Après avoir un instant touché au but, Louis XIV avait dû céder à la coalition de ses adversaires. Le traité d'Utrecht lui avait imposé enfin une limite que le traité de la Barrière avait aussitôt transformée en un rempart contre la France. L'œuvre séculaire de la monarchie restait inachevée : ni la côte de Flandre, ni la ligne de la Meuse n'étaient tombées en son pouvoir. Il était réservé à la Révolution de continuer la tradition de l'Ancien Régime et d'accomplir en ceci la mission de la royauté. Sa grandiose et fougueuse expansion sur le monde devait tout d'abord la précipiter sur la Belgique. Dans la voie que Philippe-Auguste avait ouverte par la victoire de Bouvines (1214), elle débuta par celle de Jemappes. La déclaration de guerre lancée par Louis XVI à l'Autriche, le 20 avril 1792, sous la pression de l'opinion publique et de la force des circonstances, allait donc rouvrir l'ère des guerres européennes en rouvrant la question de la Belgique. Il importait peu que, dans un élan d'idéalisme humanitaire, l'Assemblée nationale eût solennellement déclaré qu'elle ne voulait pas de conquêtes et n'ambitionnait que d'affranchir les peuples du joug des tyrans. On ne déchaîne point la guerre sans s'y asservir. La lutte entreprise au nom des droits de l'homme devait fatalement aboutir aux dures réalités de l'annexion. Cette lutte, la Belgique l'attendait, ou pour mieux dire, elle l'espérait. La restauration autrichienne l'avait laissée en proie à un mécontentement et à un malaise incurables (1). Tous les partis étaient également exaspérés. A peine réinstallés à Bruxelles, les gouverneurs, Marie- MANIFESTE ''DES BELGES ET LIÉGEOIS unis. A PARIS, L'AN 4 DE LA LIBERTÉ FRANÇOISE ( avril 179* ) (Liège, Bibliothèque de l'Université, coté XII.48.7.) « La constitution dont le « Manifeste des Belges et Liégeois unis » promulgue les principes, est un des symptômes les plus caractéristiques de cette foi naïve dans les lumières de la raison abstraite et dans la vertu du peuple... » (Voyez le texte, p. 293.) Page de titre du Manifeste des Belges et Liégeois unis. Publié à Paris « l'an IV de la liberté française ». En réalité, 11 date d'avril 1792. Christine et Albert de Saxe Teschen, s'étaient rendu compte des périls qui les entouraient. Sauf quelques fonctionnaires, personne ne s'était rallié à un régime qui ne se maintenait que par l'occupation militaire. Il ne servait à rien de prodiguer les bonnes paroles et les promesses. Les avances faites aux Vonckistes n'arrivaient qu'à aigrir davantage le clergé et le parti des Etats : elles ne ramenaient au gouvernement aucun démocrate. Si forte qu'elle fût, l'hostilité que les factions nourrissaient l'une contre l'autre, ne les empêchait point de s'associer en un même sentiment de résistance au gouvernement. L'indépendance dont on avait joui un instant durant la révolution brabançonne demeurait dans les vœux de tous, et tous l'espéraient de la France. Par haine de l'Autriche, les conservateurs applaudissaient à la Révolution et attendaient avec impatience le moment où ses armées les délivreraient du joug et leur apporteraient la liberté. Les Jo-séphistes même étaient furieux de ce qu'on ne leur eût pas « sacrifié tout le reste des habitants » (2). Le pays, au surplus, regorgeait d'agents et d'émissaires français. Une habile propagande soutenait les espoirs des démocrates et leur gagnait de nouvelles recrues. Le peuple commençait à s'agiter et à s'enthousiasmer des réformes édictées par l'Assemblée législative. En 1791, Marie-Christine écrit à l'empereur que les idées subversives se répandent, que, dans le Luxembourg, des paysans protestent contre la dîme, qu'une fermentation dangereuse se propage et qu'elle s'attend à une insurrection (3). Bruxelles vit dans la fièvre. La jactance des émigrés royalistes dont la ville regorge surexcite encore l'opinion en faveur du « système français ». La fameuse Théroigne de Méri-court, qui y passe au mois de décembre 1791, s'y vante tapageusement d'avoir vu l'empereur à Vienne et déclare qu'il applaudit « à ses principes et sentiments » (4). A cela s'ajoute l'agitation entretenue de Lille, de Douai et de Paris par les réfugiés belges et liégeois qui ont fui le pays lors de la rentrée des troupes autrichiennes. Anciens soldats et officiers de l'armée brabançonne et de l'armée liégeoise, hommes politiques ou simples intrigants, ils s'efforcent de hâter le moment où les événements leur permettront de rentrer en vainqueurs dans la patrie. Entre eux, d'ailleurs, aucune entente. Vonck, malade et désorienté par les progrès trop rapides des idées françaises, ne parvient pas à retenir sous son influence les partisans qui sont venus le rejoindre à Lille. Effrayé de leur hardiesse, il n'ose les suivre pour rester leur chef; abandonné et aigri, il mourra tristement en exil le 1er décembre 1792. Van der Mersch, aussi dérouté que lui et débilité par une vieillesse prématurée, renonce à jouer un rôle qui l'effraye et finit par regagner, pourvu d'un sauf-conduit autrichien, sa propriété de Dadizeele, où il s'éteint peu de mois après (14 septembre 1792). A Douai, un jeune écervelé, le comte de Béthune-Cha-rost, prétendant descendre des comtes de Flandre, cherche, en s'adressant à la fois aux « slatistes » et aux « démocrates », à risquer un coup de force contre Bruxelles (5). En rapport avec des professeurs de l'Université de Louvain et des membres des Etats de Brabant, il dilapide sa fortune à mettre sur pied un corps de « confédérés ». Il excite les troupes autrichiennes à la désertion et va jusqu'à faire rédiger en latin des brochures destinées à débaucher les soldats hongrois. Rien ne pouvait évidemment sortir de cette équipée. Elle prit fin lorsque le gouvernement fran- çais eut décidé, au mois de décembre 1791, à la demande de celui de Bruxelles, de ne plus tolérer de rassemblements armés dans les places fortes de la frontière. LE COMITE DES BELGES ET LIEGEOIS UNIS. - En revanche, les réfugiés que Paris attire de plus en plus nombreux, déployent une énergie qui s'alimente et s'excite de celle de la grande ville. Les démocrates belges y rencontrent les démocrates liégeois et de la communauté de leurs rancunes, de leurs aspirations et de leurs principes, naît, dès le 20 janvier 1792, le « Comité révolutionnaire des Belges et Liégeois unis ». Plus rien chez eux de la modération de Vonck. Dans la capitale enfiévrée, ces exilés se laissent entraîner par l'idéalisme passionné des Jacobins et des Montagnards.. A leur exemple, ils veulent « régénérer » leur patrie et, sentant la guerre inévitable, ils s'y préparent. Une légion liégeoise se forme à Gi-vet, trois légions belges, à Lille, qui entreront en campagne avec les armées françaises. La victoire obtenue, une constitution nouvelle sera donnée au pays. Puisqu'on aura la force, rien ne sera plus simple que d'y organiser l'ordre nouveau sur les ruines du passé. De celui-ci, rien ne subsistera plus. La constitution dont le « manifeste des Belges et Liégeois unis » promulgue les principes, est un des symptômes les plus caractéristiques de cette foi naïve dans les lumières de la raison abstraite et dans la vertu du peuple qui, en ces premiers temps d'enthousiasme révolutionnaire, s'est imposée avec l'ascendant irrésistible d'une révélation (6). Basée sur les droits de l'homme, la république belge de l'avenir sera réellement une démocratie. Le pouvoir législatif y appartiendra à une assemblée élue au suffrage direct et universel par tous les citoyens majeurs; l'exécutif, à un sénat de quinze membres doué du droit de veto, mais dont les décisions seront soumises au referendum. Il est impossible de réaliser plus complètement la souveraineté du peuple. Avec un zèle de néophytes, les Belges et Liégeois unis ne se contentent pas de la constitution française de 1791. Evidemment influencés par les partisans de la démocratie égalitaire et républicaine qui commencent à s'affirmer dans les clubs parisiens, ils vont du premier coup à l'extrême et, dès le mois d'avril 1792, témoignent d'un radicalisme politique où la Convention elle-même n'atteindra pas. Si fort qu'elle fasse abstraction de l'histoire et des réalités, leur ardeur novatrice pourtant n'en porte pas moins, (Vienne, Kunsthistorisches Muséum.) (Cliché Wolfrum.) Marie-Christine de Saxe-Teschen (Vienne, 1742-1798), femme d'Albert-Casimir de Saxe-Teschen (près de Dresde, 1738-Vienne, 1822), gouverneur général des Pays-Bas de 1780 à 1792. Portrait peint par Jean Zoffani (ou Zoffany; Francfort-sur-le-Main, 1733-Strand on the Green, près de Kew, 1810). Un autre portrait de Marie-Christine est reproduit plus haut, p. 217. et d'une façon frappante, un caractère national. Car cette république dont ils rêvent, ce n'est pas seulement une république indépendante de la France, mais une république qui comprendra en une même nation les Pays-Bas autrichiens et le pays de Liège. En même temps qu'ils anéantissent au nom des droits de l'homme les institutions séculaires de leur patrie, ils abolissent les suzerainetés particulières qui s'imposent à elle. Et ce faisant, ils suivent, sans qu'ils s'en doutent, la direction de l'histoire. Cette séparation artificielle que la politique a maintenue si longtemps, au mépris de leurs intérêts et de leurs traditions, entre les populations de la Belgique et du pays de Liège, ils la suppriment. Des deux peuples si bizarrement enchevêtrés l'un dans l'autre et qui ne peuvent se passer l'un de l'autre, ils ne font plus qu'un seul peuple. La Belgique qu'ils se croient appelés à fonder sur la démocratie, c'est déjà la Belgique moderne, telle qu'elle sortira de la révolution de 1830. : JETTE PfEPPE TrPÉE DE.'ifc/-.CI-fCT^ YfcXJ^jlfi.ZTl"LLE iÉTPijJTE PAR' LE PATFr^EET PÉPUBL&^W^OV \Jiftr rÊE "A ïjjrcf TÔVlgJ^pFMs ! //.A A , 'OViE^BRE î.rjX k'AlcÂjî, LAElhEPTELE.M01 T. q r/E LES FRAJ^.TOl'T ÎS JîONUMErrS DU nESPOTF'rE-T ET W ILS :PR EFEPENTîtfc,/ EXEMPLE:A*Srji*'PE W.P TfsT ■■h ■fëafitë imm « (Mous, Maison Jean Lescarts.) (Cliché Lefrancq. ) Pierre provenant de la Bastille et donnée à la ville de Mons après la bataille de Jemappes. AUX AMIS DE LA LIBERTE DE MONS. — Cette pierre tirée des cachots de la Bastille détruite par le patriote et républicain Palloy rapellera (sic) à tous ceux gui veulent être libres que les Français ont détruit les monuments du despotisme, terrassé les despotes, et qu'ils préfèrent la mort à l'esclavage, exemple à suivre par tous les peuples amis de la Liberté. Sur le socle du monument, décoré du bonnet phrygien, la devise : Vivre Libre ou Mourir. — Donnée aux citoyens de Mons, lors de la fameuse bataille gagnée par l'armée française sur les despots (sic), le 6 novembre 1792, l'an premier de la république française. Palloy, maître maçon, destructeur de la Bastille, avait eu l'idée d'adresser aux chefs-lieux des quatre-vingt-trois départements français des pierres dans lesquelles il avait fait sculpter des représentations de l'édifice, afin, disait-il, « de reconstruire l'image de ce tombeau des vivants ». Les dalles des cellules devinrent des reliques et le métal des chaînes et des grilles servit à frapper des médailles. Des Apôtres de la Liberté remettaient solennellement aux municipalités soit une maquette soit une pierre de la Bastille. Une première pierre fut offerte aux départements le 14 juillet 1790. Mons reçut la sienne en 1793. Elle est conservée aujourd'hui à la Maison Jean Lescarts. Une autre, reproduite ci-dessus, fut donnée par Palloy à la Société des Amis de la Liberté et de l'Egalité de Mons en novembre 1792. A l'issue de la séance d'inauguration, les membres de la Société, coiffés du bonnet phrygien, auraient transporté la pierre en grande pompe à l'hôtel de ville : cette cérémonie fut longtemps connue sous le nom de « Procession du Caillou ». Le Comité des Belges et Liégeois unis ne pouvait avoir d'ailleurs et n'eut, en effet, que l'importance d'un groupe d'agitateurs et de recruteurs militaires. Son ardeur servait trop bien la politique française pour qu'elle ne lui permît pas de s'abandonner à sies illusions. Soigneusement tenu à l'écart des desseins du gouvernement, il collabora sans le savoir à préparer un avenir bien différent de celui qu'il espérait. PREMIERES OPERATIONS MILITAIRES. - Les opérations militaires sur Ja frontière belge avaient immédiatement suivi la déclaration de guerre à François II (7). Les Autrichiens étaient prêts à recevoir le choc. Si leur armée des Pays-Bas ne comptait que 30,000 hommes, c'étaient des troupes d'élite commandées par des chefs excellents : Bender, Clerfayt et Beaulieu. Les Français avaient la supériorité du nombre, mais on savait qu'ils étaient travaillés par l'indiscipline, qu'ils se méfiaient de leurs officiers et que les volontaires étaient incapables de tenir en rase campagne contre de vieux régiments. Les premières rencontres ne justifièrent que trop bien ces prévisions. Le 29 avril 1792, Dillon marchant de Lille sur Tournai, voyait ses soldats pris de panique s'enfuir éper-dument, pendant qu'une même débandade dispersait ceux de Biron autour de Quiévrain. La Fayette qui de Givet avait avancé ses avant-postes jusqu'à Bouvignes, devait rétrograder par suite de ce double échec de ses camarades. Dans la nuit, les Bruxellois, réveillés par le bourdon de Sainte-Gudule, apprenaient ces nouvelles. Le lendemain, ils voyaient avec étonnement passer par les rues les canons conquis sur l'ennemi et défiler un lamentable cortège de prisonniers. Luckner, substitué à Rochambeau comme généralissime des forces françaises, n'améliora pas la situation. Au mois de juin, son avant-garde entrait à Menin, puis à Courtrai. Mais dès ,1e 29, elle était obligée de se réfugier sous le canon de Valenciennes. DUMOURIEZ. — L'intérêt de la lutte venait d'ailleurs de se déplacer du Nord dans l'Argonne. Le 14 juillet, la Prusse avait déclaré la guerre à la France et, le 19 août, Je duc de Brunswick franchissait la frontière. Pour appuyer son mouvement, Clerfayt lui amenait 12,000 hommes de l'armée des Pays-Bas. La défaite de la France paraissait certaine. L'insurrection de la Commune de Paris, la suspension du roi, la fermeture des couvents, le bannissement des prêtres assermentés, le massacre des prisonniers, la défection de La Fayette semblaient annoncer l'agonie de la Révolution. L'échec des Prussiens à Valmy (20 septembre) puis leur retraite renversèrent d'un seul coup la situation. Le duc de Saxe-Teschen, qui venait de mettre le siège devant Lille (29 septembre), s'empressa de décamper au bruit que Dumouriez, le vainqueur des invincibles Prussiens, se hâtait vers le Nord. Dumouriez était décidé à fonder décidément son prestige par une campagne courte et glorieuse. Ambitieux et intrigant, il rêvait de dominer la France en s'acquérant par la conquête de la Belgique un ascendant militaire irrésistible. Il allait se montrer aux Belges en libérateur et il comptait sur une insurrection de leur part. Il les connaissait depuis longtemps, ayant jadis, durant la révolution brabançonne, été chargé de missions politiques parmi eux. S'il entendait les conquérir, il n'entendait pas les annexer. Son plan était de les constituer en une république dont il eût été l'arbitre, sur laquelle il eût pu compter dans les projets qu'il méditait contre la Convention, et qui lui eût servi au besoin à se ménager un rapprochement avec l'Autriche. Durant son ministère (mars-juin 1792), il avait expédié quantité de militaires à Bruxelles. Il était en rapport avec des hommes de tous les partis, se donnant comme étranger à leurs querelles et n'ambitionnant que l'affranchissement du pays. Au moment de franchir la frontière, il se fait précéder par des manifestes. Il donne pour instructions à ses généraux de laisser les populations libres de se prononcer à leur guise et de ne point influencer les opinions d'un peuple « qui veut se donner une constitution parce qu'il en a le droit» (8). Il ne se présente que comme l'ennemi du « tyran autrichien ». Les commissaires de la Convention qui suivent son armée s'arrêtent à Valenciennes pour bien montrer que la France n'entend pas s'imposer à la Bel- gouvernement, et la foule lamentable des émigrés fuyait en désordre vers l'Allemagne ou vers la Hollande, au milieu des huées et des injures. Car, dans un sursaut d'enthousiasme, la Belgique acclamait les vainqueurs. La Révolution française vengeait la Révolution brabançonne et rapportait l'indépendance à la nation. Les manifestes de Dumouriez ne l'attestaient-ils pas solennellement, et la Convention nationale ne promettait-elle pas son appui à tous les peuples qui voudraient s'affranchir ? La République récemment proclamée en France (21 septembre) ne pouvait offusquer les Belges : ne l'avaient-ils pas proclamée eux-mêmes dès 1790 en se soulevant contre Joseph II ? Le sentiment monarchique avait sombré chez eux avec l'attachement à la dynastie. Pour l'Etat libre qu'ils s'attendaient à constituer, il n'existait d'autre forme possible que la forme républicaine. Ce fut donc au milieu des effusions de tous les partis, momentanément réconciliés dans la joie générale, que Dumouriez fit son entrée à Mons le lendemain de la bataille. Le cri de « Vivent les sauveurs des Belges » saluait le défilé des troupes. L'aigle impériale était abattue et remplacée par le bonnet de la liberté. Les discours du vainqueur provoquaient autant d'allégresse que de confiance. « Nous venons, déclarait-il aux magistrats qui lui apportaient les clefs de la place, nous venons comme frères et amis pour vous engager à fermer vos portes à vos anciens oppresseurs et à défendre la liberté que nous vous avons conquise (10).» Les mêmes scènes se renouvelèrent quelques jours plus tard à Bruxelles, où les Français entraient le 14 novembre au bruit des salves de l'artillerie et des cloches sonnant à pleine volée. Puis ce fut au tour de toutes les villes d'y Il ne fallait pas songer, en effet, à la lui disputer. Depuis la démolition par Joseph II des places de la Barrière, Luxembourg seul pouvait encore arrêter l'ennemi. La retraite s'imposait et Bender n'hésita pas à l'ordonner. Dès le 7 novembre, Bruxelles était évacué par le (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) « La défaite de la France paraissait certaine... L'échec des Prussiens à Valmy (20 septembre) puis leur retraite renversèrent d'un seul coup la situation... Dumouriez, le vainqueur des invincibles Prussiens, se hâtait vers le Nord. » (Voyez le texte, p. 294 ) Les préliminaires de Valmy : La trouée de Orandpré (8 septembre 1792). Légende : Les Prussiens croyaient venir en maîtres dicter des loix à Paris et à toute la France; mais à la résistance vigoureuse des François se joignirent l'intempérie de la saison et tes maladies qui ont désolé et fait périr leur armée, et ils furent forcés de retourner sur leurs pas, après avoir perdu chevaux, artillerie, convois de vivres, etc. — Gravure du temps sans nom d'auteur ni date. gique. « Nous entrerons incessamment sur votre territoire, proclame-t-il le 28 octobre, pour vous aider à planter l'arbre de la liberté, sans nous mêler en rien de la constitution que vous voudrez vous donner. Pourvu que vous établissiez la souveraineté du peuple et que vous renonciez à vivre sous les despotes, nous sommes vos frères» (9). Comment pourrait-on douter d'ailleurs de ses intentions, quand on voit marcher dans son armée les régiments belges et liégeois, et le Liégeois Philippe Devaux faire partie de son état-major ? L'armée autrichienne attendait à Jemappes, sous le commandement de Bender, le choc des républicains. La position avait été soigneusement fortifiée et les avantages du terrain compensaient l'infériorité numérique de ses défenseurs. Il ne paraissait pas douteux que les solides régiments impériaux repousseraient sans peine l'attaque des carmagnoles. On savait maintenant que Valmy n'avait été qu'une simple canonnade et que la dysentrie avait joué le rôle principal dans la retraite de Brunswick. Il serait beau de voir l'Autriche battre les révolutionnaires devant lesquels la Prusse avait cédé. Marie-Christine attendait la nouvelle d'une victoire, et les émigrés royalistes de Bruxelles s'apprêtaient à reprendre enfin, dans quelques jours, le chemin de Paris. PROJETS DE DUMOURIEZ SUR LA BELGIQUE. — En marche depuis le 27 octobre, à la tête de 60,000 hommes, Dumouriez, après avoir refoulé les avant-postes ennemis, parut le 6 novembre devant les hauteurs de Jemappes. La bataille dura toute la journée avec autant d'acharnement dans la défensive que de fougue dans l'assaut. L'élan des Français eut enfin raison de l'obstination autrichienne. L'attaque en masse, qui devait plus tard devenir une tactique, révéla pour la première fois sa puissance durant ce choc entre deux armées dont le duel était celui du passé et de l'avenir. A la fin du jour, la position était emportée au chant de la « Marseillaise ». Bender battait en retraite en bon ordre et sans être inquiété. Mais l'inattendu de sa défaite la rendait plus éclatante. Jemappes affirmait la force de la République comme Bouvines avait affirmé jadis celle de la royauté. Elle inaugurait triomphalement son expansion sur le monde en lui donnant la Belgique. (Angers, Musée David d'Angers.) (Cliché Evers.) Charles-François Dumouriez (Cambrai, 1739-Turville Park, 1823). Buste de terre-cuite, œuvre de Jean-Antoine Houdon (Versailles, 1741-Parls, 1828). Hauteur : 60 cm. assister à mesure que les libérateurs les occupaient. L'armée autrichienne réduite à 18,000 hommes se retirait lentement, livrant de loin en loin de petits combats d'arrière-garde. Par Louvain et Tirlemont, les Français la suivirent jusqu'à Liège, où ils furent reçus avec transport le 28 novembre, puis jusqu'à la Roer, où ils s'arrêtèrent. La citadelle d'Anvers résista quatre jours avant d'ouvrir ses portes à Miranda (28 novembre) (11). Celle de Namur se rendit à Valence le 2 décembre. Le drapeau autrichien ne flottait plus que sur la forteresse de Luxembourg. Et comme pour mieux marquer encore l'affranchissement de la Belgique, le 16 novembre était solennellement proclamée l'ouverture de l'Escaut. La libération économique semblait descendre de Jemappes avec la libération politique. DUMOURIEZ ET LES VONCKISTES. - S'il eût été l'arbitre des événements, il n'est point douteux que Dumouriez n'eût doté les Belges de cette indépendance qu'ils acclamaient en lui avec tant de naïve confiance. Ses promesses n'étaient pas mensongères. Une république amalgamant les Pays-Bas autrichiens avec le pays de Liège, qui l'eût reconnu comme protecteur, lui eût donné la force et le prestige auxquels aspirait son ambition inquiète. S'il avait affecté quelque temps des allures jacobines, il rêvait maintenant de restaurer en France un gouvernement constitutionnel. Déjà son « modérantisme » était dénoncé à la Convention et dans les clubs de Paris. Ce lui était un motif de plus pour fonder en Belgique une constitution républicaine qui, par l'alliance de la liberté et de l'a sagesse, l'eût désigné comme chef aux modérés et aux conservateurs libéraux épouvantés par l'arrivée au pouvoir de Danton et des Montagnards. L'autonomie qu'il imaginait pour la Belgique était ainsi subordonnée à ses projets sur la France, et il ne s'y intéressait que dans la mesure où elle pouvait leur être utile. Dès le début, il s'était efforcé de se gagner les Belges. Il n'ignorait pas que le radicalisme jacobin n'avait parmi eux qu'un nombre infime d'adhérents. Tout de suite, il avait rompu avec le Comité des Belges et Liégeois unis dont les outrances l'eussent irrémédiablement compromis. Il se dépouillait de toute morgue révolutionnaire, s'ingéniait à ne pas froisser la bourgeoisie et cherchait même à se rapprocher de la noblesse. Le bruit courut dans les salons de Bruxelles que Mlle de Crumpipen était sa maîtresse (12). Quant au clergé, s'il était impossible de lui témoigner une faveur qui eût fait scandale parmi les troupes, du moins s'abstenait-il d'afficher à son égard l'arrogance et le dédain des sans-culottes. Surtout, il continuait à s'affirmer l'ami et le libérateur de la nation. Le 25 novembre, il déclarait aux députés des communes du Hainaut qu'il était constitué agent de la nation française auprès du « peuple belge ». Il affirmait que les Français étaient les frères des Belges et ne voulaient que leur indépendance. Il fallait se hâter, disait-il, de constituer aussitôt un peuple libre et de convoquer une « convention nationale ». Ses lieutenants recevaient l'ordre d'annoncer partout que si la France n'entendait pas imposer une constitution à la Belgique, il fallait du moins que celle-ci en fît une. En attendant, il importait d'élire des « administrations provisoires » qui prendraient les « conseils » des généraux français. Ce n'est que là seulement où les populations seraient assez « abruties » pour refuser les bienfaits de la liberté, qu'elles seraient traitées en ennemies. Quoiqu'il prétendît rester en dehors et au-dessus des partis, Dumouriez, en agissant ainsi, était fatalement entraîné à rompre avec les « statistes ». C'était les heurter en face que de prétendre substituer aux Etats souverains une convention nationale, que d'ordonner des élections, que de vouloir fondre les provinces et le pays de Liège en une seule et même nation, que de prôner la liberté comme si la Joyeuse-Entrée n'existait pas. Pour ces conservateurs obstinés, la désillusion était amère de voir le « libérateur » fouler aux pieds leurs convictions les plus chères et se révéler comme un Vonckiste déguisé sous l'uniforme républicain. Car, qu'il le voulût ou non, c'est sur les Vonckistes que Dumouriez en était réduit à s'appuyer. Il ne pouvait trouver que dans ce groupe de bourgeois « éclairés » et novateurs, acquis au culte des droits de l'homme et au dogme de la souveraineté du peuple, les auxiliaires décidés à fonder de commun accord avec lui la république belge. Mais en s'alliant avec eux, il allait se brouiller nécessairement avec les jacobins et avec les « statistes ». Si les premiers ne constituaient qu'une minorité remuante, ceux-ci, en revanche, étaient redoutables. Soutenus par l'influence du clergé, ils pouvaient compter que les masses populaires se prononceraient en leur faveur dès qu'ils feraient appel au sentiment religieux. Dumouriez n'allait donc avoir pour lui qu'une partie de la bourgeoisie. Et encore ses adhérents étaient-ils fort loin de s'entendre. D'accord pour fonder une république belge, ils n'avaient ni organisation ni programme communs. Ces démocrates ne concevaient pas de même la démocratie. Presque tous se défiaient de la « populace » et n'acceptaient le suffrage universel que pourvu de garanties conservatrices. Un projet de constitution élaboré à cette époque est caractéristique de leur état d'esprit (13). «Tout en adoptant les principes démocratiques qui ont servi de base à la constitution française », il recommande « de les appli- quer avec les réserves que l'on doit à un pays qui diffère de mœurs et d'opinions et qui n'est travaillé ni par les mêmes abus, ni par les mêmes besoins qui ont amené et nécessité la révolution en France ». Il ne peut être question de donner à la république belge la forme fédérative proposée par Vonck en 1790. L'idéal est d'unir en un seul corps politique les Pays-Bas et le pays de Liège. La souveraineté du peuple et l'égalité des citoyens sont à la base de l'ordre de choses nouveau. Le corps législatif sera élu au suffrage direct de tous les citoyens, à la seule exception des mendiants et des domestiques. Mais ce corps législatif comprendra une chambre spéciale élue par les seuls propriétaires. La propriété, en effet, étant accessible à tous, ne peut prêter au soupçon d'aristocratie. Bien différente de la noblesse, la propriété n'est pas un privilège. Les nobles pourront, s'ils le veulent, conserver leurs titres désormais dépouillés de toute signification politique. Les droits féodaux seront supprimés, avec indemnité pour ceux qui proviennent d'une concession de terre, sans indemnité pour ceux qui découlent de la servitude. Ainsi, de l'Ancien Régime rien ne subsistera plus. Mais dans la nouvelle république affranchie de l'Autriche, du morcellement provincial, des privilèges, des traditions et des droits acquis, une place prépondérante est réservée à la classe possédante ou, si l'on veut, à cette classe bourgeoise dont l'influence sociale n'a cessé de grandir depuis le milieu du XVIIIe siècle. Evidemment, le rédacteur du projet reste fidèle aux principes formulés en 1789 par l'Assemblée nationale de France. Il a horreur du jacobinisme qui, de plus en plus, commence à soulever les pauvres contre les riches. Il est aussi libéral en politique qu'il est conservateur au point de vue social, et ses idées correspondent sans doute à celles de cette classe d'industriels, d'hommes d'affaires et d'avocats qui, après s'être groupés jadis autour de Vonck, empruntent maintenant leur programme à Mirabeau et à Lafayette. En un point d'ailleurs, et il est essentiel, ils restent bien en deçà de leurs modèles. Le projet insiste avec force sur la nécessité de ne pas toucher à l'Eglise. Celui qui l'a écrit sait que ses compatriotes sont essentiellement religieux. Il comprend que heurter le sentiment catholique du peuple ce serait tout perdre, et que l'abolition des privilèges de la noblesse a pour condition le respect des privilèges du clergé. Ainsi, dès la première rencontre de la Belgique avec la Révolution, surgit cette question religieuse qui, jusqu'au bout, et à travers les péripéties les plus diverses, ne cessera d'occuper le premier plan. Mais réclamer la destruction du passé en prétendant épargner l'Eglise, c'était proprement réclamer l'impossible. Car l'Eglise était trop intimement mêlée à l'Etat pour pouvoir subsister intacte parmi les ruines de celui-ci. Qu'on le voulût ou non, c'était la froisser dans ses intérêts et l'inquiéter pour son influence, que de prétendre détruire les antiques constitutions provinciales qui la reconnaissaient comme un ordre de l'Etat et l'associaient intimement au gouvernement de la nation. La question politique et la question religieuse s'enchevêtraient l'une dans l'autre, et le malentendu tragique qui, durant dix ans, devait troubler la France ne pouvait être épargné à la Belgique. Par intérêt autant que par conviction les conservateurs allaient identifier leur cause à celle de l'Eglise et contraindre ainsi leurs adversaires à diriger leurs coups tout ensemble contre elle et contre eux. LES JACOBINS LIEGEOIS. - On s'en aperçoit tout de suite partout où la démocratie se manifeste. Si ses partisans sont clairsemés dans les provinces autrichiennes, sauf en Hainaut, à Bruxelles et à Gand où l'influence des idées françaises leur a préparé la voie (14), dans le pays de Liège au contraire dès l'arrivée de Dumouriez, ils s'emparent de la direction du mouvement. La première révolution liégeoise avait déjà manifesté un caractère nettement anticlérical (15). Il était impossible que, menée maintenant par des hommes dont les idées s'étaient exaspérées durant leur exil à Paris, elle n'accentuât pas ce caractère. Ses chefs, les Fabry, les Bassenge, les Defrance, s'attaquent résolument à l'Eglise. Dans cette principauté épiscopale, c'est elle qu'on rend responsable de tous les « abus de l'Ancien Régime ». Aux yeux des démocrates, elle apparaît comme l'ennemie jurée des droits de l'homme. A peine la « cité » a-t-elle réinstallé le 3 décembre son « conseil municipal proscrit par les tyrans et rétabli provisoirement par les vengeurs des droits des peuples », que pour sanctionner le triomphe de la liberté, la I •' ff-Hf - - W&^âSS&S Ï B ïl E S S E DU GÉNÉRAL, & DUMOURIEZ AU PEUPLE " BELGE JPeuplb Bblge ! vous avip e&trepn* une gtan.ie révolution en 17t'y, vuus .vies Chuiic deckt*-vous le» Àun.'ChU'ns , lomc Ji Jfcigi-jufe* était ibus ies arme*, vous tou» croyez libres. Un ' Congrès au(fc deljpoitque que de rouvaife foi & pea éclairé, coiuiuit f'^f '- par un pcêrn fourbe & hypocrite , le tartuff^ .-Van If/y/v-flrtremblaU devant le } lu» «to('iierv le jm,» vil, "le pokrdiMfc* tj*®», '<■• hycku* vd'ndtr Noot. Vos état», vos nobles, & :ur-, tout vos prêtrç» , cet prêtres qui me vetra f\ avaient armés contre «fcj&ph II que pour fe venger des refdrm j» écei'éUi&qqe* qu'il avait voulu faire , vous ont joués , vous ont vendus, vous ont livré* Les lurriqhiens font arrivé» en petit nombre , vos fondai* 'rahis fç /<■"* C>( ri'/srsti uifnàfL a la r///uMf/<- (Sraiifs/Je, -, ''uM'nru a j/ /tna/ii-tru. j // îb JMmfMp* Je fa/fa fo Aw'Mmf Je/n f/ux m /a/djfaeû'" • f.wpk Q/Jw/afon m* rtwA. Mt i/JuMut *>e Ytunu an-HA wha/fr //* tfytt&A-sp/n/ru çï^r/A- • ffl- * M* IL - tnrt f pi* e//wftS om. Sto 2//jgtSt/run.<-'. SM bâti»*- par OcA . / ^ M**- J'»*" <■ 1/VlHÙl* (Paris, Archives Nationales, AF II, 147.) (Cliché Société française du microfilm.) Lettre adressée au président de la Convention par les commissaires en Belgique et relative au « vœu conditionnel » de réunion de Liège à la France (Bruxelles, 25 février 1793, an II de la République française). A Liège, « les partisans du parti prussien » ont trompé le peuple en lui faisant émettre un vœu conditionnel de rattachement à la France. Les commissaires constatent l'existence de deux partis à Liège : les « patriotes excellents », partisans de la réunion pure et simple, qui forment une minorité, et la majorité, « dirigée par la cour de Berlin », qui ne veut pas la réunion. Les rédacteurs invitent le président de la Convention à ne pas donner lecture publique des procès-verbaux constatant que la réunion a été soumise à des conditions formelles. « Nous nous chargeons d'éclairer le peuple de Liège, qui est excellent, et de lui faire rectifier l'erreur dans laquelle ses ennemis l'ont entraîné. » La lettre est écrite par Delacroix et signée Delacroix, Camus, Gossuin, Alerlin (de Douai). Sous la protection des baïonnettes, les coryphées de la réunion eurent la naïveté ou l'ironie d'insister sur la liberté des votes. « Ma patrie, disait à Gand le commissaire Courtois, ne mendie pas votre incorporation, mais elle vous ouvre son sein. Elle veut votre bonheur, mais elle vous laisse libres dans votre choix. Vous êtes peuple et souverain; fixez votre destinée » (44). Comment eût-il été possible de résister à des paroles appuyées par des moyens si efficaces de persuasion ? Il y eut des tentatives de résistance dans quelques petites villes, comme à Enghien ou à Gram-mont. A Namur, il fallut menacer les opposants de les noter comme « traîtres à la patrie ». Partout ailleurs, on s'abandonna. Bruges vota la réunion le 26 février, puis les autres villes et quantité de villages adressèrent leurs vœux à la Convention. Celle-ci, au fur et à mesure, les déclarait « parties intégrantes du territoire de la République ». L'une après l'autre, les communes belges franchissaient le pas. Le Hainaut fut même englobé en entier et d'un seul coup le 5 mars, sous le nom de département de Jemappes. Ce n'est guère que dans le pays de Liège que le vote répondit plus ou moins à la volonté populaire. Le marquisat de Franchimont s'y était même signalé en émettant dès le 23 décembre 1792 un vœu de réunion à la France. Le radicalisme de cette petite contrée, peuplée de paysans à idées égalitaires et où l'industrie verviétoise avait multiplié le nombre des ouvriers salariés, s'était déjà manifesté en 1789 dans les délibérations du «Congrès de Poleur ». Il devait nécessairement la porter maintenant vers la France. Le 25 février, la Convention nationale liégeoise votait à son tour sa réunion à la République. Encore ce vote n'était-il que conditionnel et dépendrait-il de la faculté pour les Liégeois de ne point accepter les assignats pour le remboursement des dettes. Les commissaires étaient indignés de cette restriction. D'après eux, elle était le fait du « parti prussien » (45). Il fallait empêcher qu'elle ne s'ébruitât, car elle encouragerait certainement les Belges à l'imiter. N'avait-elle ,S'|V'U fil-,. m^-.^ifn îiîirr i^u' -.Viim^oteiT uui^nt Jk t l'ont i[:!i> ^'ïrlcmont.J'ï'lb i'. wlHrr=. J'/S -HM^MAfa»»**»-------------- 1 ■ -ï- .u ' : ■ " .'-ST ' ^ ' ' . '____"...... — MMMMMMMM^^fiTfcy ■ I——— .'IfnwAr rot iWf h ùni llir .V.'liui»rii Urù vrlêW grnrtr iwjvw 3idjr btr fcnflTmi»r u2fiù|i'rit rctt drn ^rtai-^nt n,f(4>luntU n.iu-flrit Murent «tfr tom Cinifndni noifj Mi Xlt a.&àftl «tir',- ht [bipd.-iDtg rw jtc&a^VU»*" »\Kmfui -.hr'TrVMffff r Ont ; lia* Jiliflr îrurr Drrf^arTïLiiTÇ lotv trr- .Çinfc'r.* al IVrawif. brt Im gaistii4j minùrt, riifp û Xtwâitti rAit ait! u frtir i-idr Sjridr grfiutrim arniwrn mntrbtn, ^11! iuito> brc HiifnFnnm Hrrt Ufcn^m.Tttrfoi fa-rts aŒre Kttlatt S «Hw mtfirr u.îagfat bu BInFrr «ï Bit "S'urlil. 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De part et d'autre, les prétextes invoqués ne servirent qu'à masquer le droit du plus fort, et les magistrats à mortier de l'Ancien Régime comme les commissaires en bonnet rouge du nouveau, firent preuve de la même absence de scrupules. Les uns et les autres crurent ou feignirent de croire qu'il était de l'intérêt des populations d'être annexées. C'est l'éternel sophisme des conquérants. Cependant, au moment même où elle se décidait à l'absorber, la France était sur le point de perdre la Belgique. En s'installant sur la côte de Flandre et en proclamant la liberté de l'Escaut, elle avait rompu à son profit l'équilibre européen et menacé l'Angleterre dans ses intérêts les plus sensibles. La guerre devait sortir fatalement de l'expansion de la République dans les Pays-Bas. Si elle n'éclata pas tout de suite, c'est que les deux adversaires hésitèrent quelque temps devant une rupture dont ils prévoyaient les terribles conséquences. Car entre l'Angleterre et la France, la lutte ne serait pas une lutte de république à monarchie, mais une lutte de nation à nation, le duel de deux peuples dressés l'un contre l'autre dans la plénitude de leur orgueil et qui ne se terminerait que quand l'un des adversaires serait à bout de forces. Et, en effet, la déclaration de guerre que la France lança à l'Angleterre le 1er février 1793 ouvrit le conflit grandiose qui ne devait se terminer que vingt-deux ans plus tard sur le champ de bataille de Waterloo. En déclarant la guerre à l'Angleterre, la France la déclarait aussi au stadhouder de Hollande, Guillaume V, dont la politique était déterminée par le cabinet de Londres. Dumouriez reçut l'ordre d'envahir les Provinces-Unies. La campagne ne devait être ni longue ni difficile, car la Hollande, affaiblie par la lutte des républicains contre Guillaume, ne pouvait offrir une sérieuse résistance. Dès le 25 février, les Français s'étaient emparés de Bréda et, le 4 mars, ils occupaient Geertrui-denberg. Mais trois jours plus tôt, l'armée autrichienne rentrait en scène. Massée derrière la Roer, elle avait profité de l'hiver pour se réorganiser et le 1er mars, sous la direction du duc de Cobourg, elle marchait sur Maes-tricht et forçait Dumouriez à se retourner en hâte vers la Belgique. Il y arrivait plein de rancœur, furieux de sa nouvelle déception et décidé, cette fois, à rompre avec la République. A peine de retour à Anvers, il jette le gant aux commissaires de la Convention. Dans des proclamations qu'il fait répandre par tout le pays, il les accuse de « brigandage et de profanation », flétrit leur « indiscrétion sacrilège » et exhorte les Belges à porter plainte contre eux. Dès le 12 mars, il les dénonce à la Convention, se plaignant avec amertume de ce qu'ils rendent impossibles les opérations militaires. En même temps, il sévit contre les jacobins. A Bruxelles, il dissout la légion des sans-culottes et envoie leur général Estienne à la prison de la porte de Hal. Il défend aux clubs, sous peine d'être fermés, de se mêler encore d'administration, fait remettre en liberté les otages arrêtés par eux et décide la restitution aux églises des argenteries confisquées. Comptant toujours sur l'appui des Belges pour l'exécution des aventureux projets qu'il médite contre le gouvernement révolutionnaire, il s'affirme de nouveau leur protecteur et leur ami (46). Cependant, l'armée autrichienne, culbutant les avant-postes français, est entrée à Aix-la-Chapelle, a forcé Mi-randa à lever le siège de Maestricht et a occupé Liège le 5 mars. Elle attendait des renforts et il ne fallait point songer à lui opposer une défensive stratégique dont les troupes républicaines, démoralisées et travaillées par l'indiscipline, seraient incapables. Le seul espoir de Dumouriez était de frapper un grand coup. Une victoire rendrait le courage à ses soldats et lui ramènerait la confiance des Belges. Le 16 mars, il livre à Tirlemont un heureux combat. Mais deux jours plus tard, le 18, la journée de Neerwinden « décida la perte de la Belgique, comme la bataille de Jemappes en avait décidé la conquête» (47). Après une lutte également énergique de part et d'autre, les Français, vaincus à leur aile gauche, n'avaient plus, le soir venu, qu'à battre en retraite. Vainement, ils tentèrent encore (21 mars) d'arrêter l'ennemi devant Louvain. Ce fut leur dernier effort. L'armée était trop épuisée pour fournir une plus longue résistance et il ne restait qu'à la ramener sous les places fortes du Nord de la France d'où elle s'était élancée l'année précédente à la conquête de la Belgique. Cobourg se borna à la suivre sans l'inquiéter. Ses échecs militaires n'empêchaient point Dumouriez de conspirer contre la République. Après l'avoir sauvée, il ne songeait plus qu'à la détruire avec la complicité de l'Autriche. Demeuré homme d'Ancien Régime, il sous-évaluait l'esprit républicain de ses soldats. Il crut que son prestige personnel suffirait à les entraîner dans la défection. Abandonné par eux, il n'eut plus, le 5 avril, qu'à passer à l'ennemi. Du régime chaotique qui avait été celui de la Belgique pendant l'occupation française, il ne subsistait rien. Il s'était débattu dans le provisoire, et la désorganisation qu'il avait (Rome, Musée Napoléon.) François II (Florence, 1768-Vienne Médaillon colorié amenée avec lui n'avait fait que bouleverser les institutions sans les détruire. Des manigances de clubs, des administrations bâclées, des réquisitions, des pillages et des impiétés, c'était à cela en somme que se réduisait son œuvre. De la Terreur qui venait de s'organiser à Paris, la Belgique n'avait rien connu et la guillotine n'avait pas fonctionné sur son sol. S'il y avait eu des violences contre les personnes et surtout contre les propriétés, il n'y avait pas eu de sang répandu. La fortune publique avait, en somme, assez peu souffert. Mais la bourgeoisie avait été inquiétée, le clergé malmené et le sentiment religieux froissé plus encore que le sentiment national. On le ressentait d'autant plus amèrement que l'on avait nourri plus d'illusions. Et il paraît bien que le résultat le plus clair de la conquête fut de détourner des idées révolutionnaires bon nombre de ceux-là même qui, au début, y avaient adhéré. Aussi, les villes évacuées recevaient-elles les Autrichiens avec le même enthousiasme qu'elles avaient manifesté dix mois plus tôt à l'entrée des carmagnoles. Pendant que les clubistes et les jacobins prenaient la fuite ou se cachaient, on brûlait les arbres de la liberté et on traînait dans la boue le bonnet rouge. Des transparents montraient « l'aigle autrichienne et le lion belgique se tenant par la patte» (48). Les anciennes autorités, Etats, Conseils de justice, magistrats municipaux se pressaient aux Te Deum d'actions de grâces moins avides de montrer leur loyalisme que leur rentrée en fonctions. , 1835), empereur de 1792 à 1835. LA RESTAURATION anonyme. Agrandi. AUTRICHIENNE. - La restauration de l'Ancien Régime fut donc aussi facile que complète. Dans le pays de Liège, où le mouvement révolutionnaire avait été beaucoup plus profond et plus intense que dans les provinces belges, elle s'accompagna de mesures de rigueur. Le prince-évêque de Méan laissa exécuter à Verviers le docteur Chapuis, contre lequel on ne pouvait invoquer d'autres griefs que ses principes républicains. On ne put se résigner à passer l'éponge sur le passé, et l'amnistie qui fut proclamée comprenait trop d'exceptions pour ramener le calme dans les esprits. Mais si Méan suivit à Liège l'exemple de Hoensbroech, dans les provinces belges, au contraire, François II eut la prudence d'agir comme l'avait fait Léopold II en 1790. Il n'entreprit aucune poursuite contre les partisans, même les plus compromis, de la France, et donna pour consigne de couvrir le passé d'un oubli général. D'adroites mesures furent prises pour ramener l'opinion. Au lieu de renvoyer à Bruxelles l'odieuse Marie-Christine, l'empereur désigna comme gouverneur ce même archiduc Charles, auquel les Etats, pendant l'agonie de la Révolution brabançonne. (Bruxelles, collection A. Verbouwe.) Entrée de l'Archiduc Charles à Bruxelles, le 26 mars 1793. Der Einzug der Oesterreicher in Briissel mit dem Erzherzog als General Gouverneur der Nieder-lande, 1793. Dessiné et litliographié par Pierre-J.-N. Geiger (Vienne, 1805-1880), édité à Vienne par L.T. Neumann. Seule (?) représentation connue de cet événement. avaient offert la souveraineté de la Belgique. On lui adjoignit comme ministre plénipotentiaire le comte de Metternich-Winnenburg, qui jouissait de la confiance générale. Leur entrée à Bruxelles, le 26 mars, fut un triomphe. Les « capons du rivage » dételèrent le carrosse de l'archiduc et le traînèrent jusqu'au palais. Mais ce n'était pas l'Autriche que l'on acclamait en sa personne. Depuis Joseph II, trop de rancœur et trop de défiance s'étaient accumulées entre la nation et la dynastie pour que leur réconciliation fût possible. On ne portait la cocarde noire qu'en haine de la cocarde tricolore. En criant « Vive l'Empereur », la foule entendait crier « A bas les Jacobins ». En réalité, elle ne saluait que son affranchissement et, pour contenter les Belges, il eût fallu que le gouvernement de Vienne, après les avoir délivrés de la France, se réduisît au rôle de les protéger contre elle sans se mêler de leurs affaires. En fuyant devant Dumouriez en 1792, Marie-Christine avait cru habile de promettre le rétablissement intégral de la Joyeuse-Entrée, et cette promesse, faite pour rallier les « statistes » à l'Autriche, se retournait maintenant contre celle-ci. Les Etats entendaient bien s'en prévaloir pour rentrer en possession de la « souveraineté » à laquelle ils prétendaient et pour reprendre, sous l'autorité nominale de l'empereur, l'autorité effective dont ils s'étaient emparés pendant la révolution brabançonne. Et ils étaient d'autant plus arrogants que les Vonckistes, discrédités par l'adhésion qu'ils avaient apportée tout d'abord au «système français », se trouvaient incapables de leur tenir tête. Mais comment penser que l'empereur, ayant repris possession de la Belgique, capitulerait devant les Etats ? Comment eût-il pu leur abandonner l'administration d'un pays qui devait lui servir de base d'opérations dans la guerre contre la France ? Décidé à céder en apparence et prêt à sacrifier son amour-propre dans les questions secondaires, il était fermement résolu à conserver l'essentiel du pouvoir. Il venait de constituer à Vienne, auprès de sa personne, une chancellerie des Pays-Bas, et, en la confiant à Trautmansdorff, il avait clairement fait paraître qu'elle devait être un instrument de centralisation et d'absolutisme. Il n'en fallait pas plus pour inspirer une insurmontable défiance aux bonnes paroles dont, à Bruxelles, l'archiduc Charles et Metternich se montraient prodigues. Et elle n'était que trop justifiée. Leurs instructions leur prescrivaient de remettre en vigueur les institutions telles qu'elles avaient existé à la fin du règne de Marie-Thérèse. Mais ils devaient s'abstenir de toutes promesses embarrassantes, éviter les discussions et agir avec fermeté (49). Encore trouvait-on à Vienne qu'ils se montraient beaucoup trop conciliants et taxait-on de faiblesse ce qui n'était chez eux qu'opportunisme (50). OPPOSITION DES CONSERVATEURS. - Les Etats profitèrent naturellement de cette mésintelligence entre Vienne et Bruxelles. De jour en jour, ils se montraient plus intraitables. Ils exigeaient le renvoi des fonctionnaires joséphites, demandaient le rétablissement des couvents supprimés, faisaient céder le gouvernement dans l'irritante querelle provoquée par la réorganisation du Conseil de Brabant. En vain, Metternich s'efforçait-il, (Bruxelles, collection A. Verbouwe.) Drapelet de pèlerinage de Notre-Dame de Hal à l'effigie de François II (1794). Le 12 avril 1794, l'empereur François II avait visité Hal. A cette occasion, on édita ce drapelet. Quelques semaines plus tard, les Autrichiens étaient battus à Fleurus. Sous l'occupation française, le drapelet fut supprimé. Des pèlerins gantois furent incarcérés pour l'avoir arboré au retour d'un voyage à Hal. Gravure sur bois coloriée. Exemplaire très rare. dans des pourparlers confidentiels avec les conservateurs les plus modérés parce qu'ils étaient les plus intelligents, d'établir un modus vivendi tolérable. En présence de l'obstination de réactionnaires obtus ou aigris, il fallut abandonner tout espoir d'améliorer les choses. Ceux-là même qui avouaient la nécessité de réformes, reconnaissaient l'impossibilité de les accomplir (51). D'autres, exaspérés par les violences anticléricales du régime français, ne voyaient de salut que dans l'Eglise. L'évêque d'Anvers, Nélis, abjurant son joséphisme, proposait un retour aux pratiques gouvernementales d'Albert et d'Isabelle et voulait introduire un évêque au Conseil d'Etat. Au milieu de tant de déboires et de résistances, la patience de l'archiduc Charles commençait à se lasser. Dès la fin du mois d'août, il pensait recourir à la force. On parlait dans son entourage d'arrêter « sans bruit » le comte de Mérode. L'exaspération n'était pas moindre au sein des Etats et elle s'exprimait sans ménagement. Le comte de Limminghe s'emportait jusqu'à déclarer que « le retour des carmagnoles était préférable aux vexations actuelles» (52). On disait publiquement que « Sa Majesté n'aime pas ce pays », qu'elle n'a rien oublié et qu'elle le fera bien voir quand elle reviendra victorieuse de la guerre de France (53). Au lieu de se réjouir des succès remportés par les Autrichiens, on n'y puisait qu'un motif d'inquiétude. Ne voyait-on pas le gouvernement administrer les parties des départements du Nord que ses troupes venaient d'envahir, suivant les principes du despotisme éclairé (54) ? Aussi, loin de s'intéresser à la conduite des opérations militaires, l'opinion comme les autorités montraient-elles à leur égard la mauvaise volonté la plus évidente. Les Etats refusaient d'aider à la levée de recrues. Ils réclamaient l'organisation d'une armée nationale et rien n'atteste mieux la tension de leurs rapports avec le gouvernement que l'obstination de celui-ci à s'y opposer. Vainement, il faisait appel au sentiment religieux pour fléchir une résistance qui l'exaspérait. Des manifestes montraient aux Belges, en François II, le sauveur de la religion contre les « ennemis communs du genre humain ». Qu'arriverait-il si « les trois couleurs, ce symbole actuel de l'impiété, venaient à reparaître dans nos contrées et à y remplacer le religieux lion » (55) ? La défiance était devenue telle que ces objurgations restaient sans force. Seuls, ou à peu près, des monastères et quelques agents du gouvernement participèrent aux souscriptions ouvertes en faveur des troupes. François II arriva à Bruxelles le 9 avril 1794 pour assister aux débuts de la nouvelle campagne contre la France. Il s'y fit inaugurer le 23 avril, en plein air, sur la place Royale, comme duc de Brabant et de Limbourg. C'était la première fois, depuis Philippe II, qu'un souverain prenait part en personne à cette cérémonie. On espérait qu'elle galvaniserait l'opinion : elle ne fit qu'attester par sa morne froideur la mort du sentiment dynastique. Les Belges ne voyaient plus qu'un étranger dans le successeur de Joseph II. Ses lettres aux Etats de Brabant pour leur demander des subsides, pour leur remontrer que les engagements volontaires n'avaient « rien produit » et pour les exhorter à décider la levée d'un homme sur cent, n'eurent aucun effet. Comment eût-il été possible de les induire à renforcer l'armée autrichienne qui, au point où on en était arrivé, formait le seul obstacle à l'explosion d'une nouvelle révolution brabançonne ? NOTES (1) Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 537 et suiv. (2) H. Schlltter, Briefe der Erzlierzôgin Marie-Christine an Leopold II., p. 157 (Vienne, 1896). (3) Ibid., p. 159. Cf. p. 165, 177, 181. (4) Ibid., p. 211. (5) Il s'occupait déjà des troubles de la Belgique en 1790. Voy. E. Hubert, Correspondance des Ministres de France accrédités à Bruxelles de 1780 à 1790, t. Il, p. 311 et suiv. (Bruxelles, 1924). Sur lui, cf. A. Borgnet, Histoire des Belges à la fin du XVIII« siècle, t. 1, p. 327 (Bruxelles, 1861); H. R. von Zeissberg, Zwei fahre belgisclier Geschichte, t. I, p. 207 (Vienne, 1891); Schlltter, Briefe der Marie-Christine, p. 213, 266, 270, 274, 334; A. Chuquet, femappes et la conquête de la Belgique, p. 53 (Paris, 1890); H. Boulanger, L'Affaire des Belges et Liégeois unis. Revue du Nord 1910, p. 235 et suiv. L'arrêt par lequel le Conseil de Brabant le décréta de prise de corps le 27 mars 1792 (imprimé à Oand « bij L. Lemaire, op den Kalanderberg ») fournit sur lui des détails intéressants. Son rôle est d'ailleurs encore très mal connu et pourrait faire la matière d'une étude qui serait au moins curieuse. (6) Le manifeste a paru à Paris « l'an IV de la liberté française ». En réalité il date d'avril 1792. (7) Je me borne à renvoyer le lecteur à l'excellent ouvrage d'A. Chuquet, femappes et la conquête de ta Belgique (Paris, 1890), auquel on pourra ajouter les études plus spécialement militaires de C. de La Jonquière, La bataille de femappes (Paris, 1902), et de de Sérignan, La première invasion de la Belgique (Paris, 1903). Le livre d'E. Cruyplants, Dumouriez dans les ci-devant Pays-Bas autrichiens (Bruxelles, 1912), donne des détails intéressants sur la participation des volontaires belges et liégeois aux opérations. Du côté autrichien, voy. H. R. von Zeissberg, Zwei fahre belgischer Geschichte, 1791-1792. (8) A. Sorel, L'Europe et la Révolution française, t. III, p. 160. (9) Cruyplants, op. cit., t. I, p. 313. (10) A. Chuquet, femappes, p. 101. (11) C. Parra-Pérez, Miranda et la Révolution française, p. 49 et suiv. (Paris, 1925). Voir ibid. des détails intéressants sur l'ouverture de l'Escaut par une flottille militaire. (12) Revue historique de la Révolution française, t. V [1914], p. 55. (13) Il fut publié en décembre 1792, sous le nom de Constitution pour la République Belgique par un citoyen belge. (14) Encore n'y forment-ils qu'une minorité, mais assez active et influente pour qu'il faille compter avec elle. (15) Histoire de Belgique, t. V, 2« édit., p. 503 et suiv. (16) L. Devillers, Inventaire analytique des archives des Etats de Hainaut, t. III, p. 279 (Mons, 1906). (17) Sur les clubs, voy. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 126 et suiv. (Bruxelles, 1922). (18) J'emprunte ces citations à son discours publié en français et en flamand en 1792. (19) Je cite cette lettre d'après l'exemplaire imprimé de la Bibliothèque de l'Université de Gand (127 0. 2>). (20) Procès-verbaux des séances des ci-devant représentants provisoires de la ville libre de Bruxelles, p. 178 et suiv. (Bruxelles, 1792). (21) Dumouriez, Mémoires, t. I, p. 36 (Londres, 1794). Cf. L. H. Lecomte, La Montansier, ses aventures, ses entreprises (Paris, 1905) et un article de H. Monin dans la Revue historique de la Révolution française, t. V [1914], p. 42 et suiv. (22) A. Chuquet, femappes, p. 134 et suiv. (23) Je suis le texte du compte rendu imprimé par ordre de la Convention. Cf. Ad. Borgnet, Histoire des Belges à la fin du XVIII' siècle, t. Il, 2» édit., p. 84 (Bruxelles, 1862). (24) L. Devillers, loc. cit., p. 280. (25) Voir le texte du décret, voté sur la proposition de Cambon, et la discussion à laquelle II donna lieu, dans le Moniteur, N°» 352 et 353, des 17 et 18 décembre 1792. (26) Pour ses démarches contre le décret, voy. A. Chuquet, La trahison de Dumouriez, p. 2 et suiv. (Paris, 1891). (27) Il avait voulu d'abord désigner Bruxelles, mais 11 avait dû y renoncer à la suite des protestations des Gantois qui proposèrent, faute de leur ville, Alost ou Termonde. Voy. sur cet épisode caractéristique du particularisme provincial le journal gantois contemporain Vader Roeland, n° 8. (28) Procès-verbaux des séances des représentants provisoires du peuple souverain du pays de Namur, N" du 30 décembre 1792. (29) Procès-verbaux... de Bruxelles, N° du 24 décembre 1792. (30) Adresse des représentants provisoires du peuple libre de la ville de Louvain à la Convention nationale de France (1793). Sur l'ensemble des protestations, cf. Ad. Borgnet, loc. cit., t. II, p. 108 et suiv. (31) R. Coppieters, journal, publié par P. Verhaegen, p. 240 (Bruges, 1907). (32) L. Devillers, op. cit., t. III, p. 290. (33) Le 14 janvier 1793, les représentants provisoires de la Westflandre exhortent ceux du Hainaut à les seconder en vue de hâter la réunion de la « Convention nationale belge ». Ils déclarent qu'elle est le seul moyen de « sauver la patrie ». Ibid., p. 289, 293. (34) Voy. leurs instructions dans Aulard, Recueil des actes du Comité de Salut Public, t. I, p. 331 et suiv. (35) Voy. le journal de la société, à partir du 31 décembre 1792. (36) Publicola Chaussard, Mémoires historiques et politiques sur la révolution de la Belgique et du pays de Liège en 1793, p. 134 (Paris, 1793). (37) A. Sorel, op. cit., t. III, p. 474. (38) J'emprunte ces citations aux Mémoires de Chaussard, p. 81, 83, 124, 125, 132. (39) « Je remarquerai en passant qu'une des barrières qui sépare le plus les peuples et les connaissances, est cette diversité de langage entretenue avec soin par le despotisme qui ne vit que de notre isolement. » Mémoires, p. 365. (40) Zijn geloof, vrijheid en eigendommen in gevaar ? Cette brochure fut imprimée par ordre des représentants provisoires de Bruxelles. (41) Chaussard, Mémoires, p. 111. (42) L. Galesloot, Chronique des événements les plus remarquables arrivés à Bruxelles de 1780 à 1827, t. I, p. 115 et suiv. (Bruxelles, 1870). (43) Je suis les récits de A.-P. Raoux, Mémoire sur le projet de réunion de la Belgique à la France, p. 9. (Paris, 1795), de A.-J. Paridaens, journal historique, publ. par A. Wins, t. Il, p. 174 (Mons, 1905), de P.-P. Harmignies et de N.-J. Descamps, Mémoires sur la ville de Mons, publ. par J. De Le Court et Ch. Rousselle, p. 56 et 198 (Mons, 1882), tous témoins oculaires. Ajouter Aulard, Recueil des actes du Comité de Salut Public, t. II, p. 114. (44) Ce discours fut publié en français et en flamand. (45) Aulard, Recueil, t. II, p. 206. (46) A. Chuquet, La trahison de Dumouriez, p. 85 et suiv. (47) Ibid., p. 99. (48) Paridaens, journal historique, t. II, p. 249. (49) Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 2« série, t. IX [1857], p. 250. (50) Von Zeissberg, Belgien unter der Oeneralstatthalterschaft Erzherzog Caris, t. I, p. 4 et suiv. (Vienne, 1893). (51) Voir à ce sujet une curieuse lettre du magistrat de Bruges dans le Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, 2® série, t. VIII [1856], p. 251. (52) P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 277. (53) Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, loc. cit., p. 266. (54) G. Lefevre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, p. 549 (Lille, 1924). (55) Adresse aux Flamands (Gand, 1793). (Paris, collection Percheron.) « Les Liégieois (sic) chassés par les tyrans, adoptés par la France. Présenté au citoyen Le Brun, Ministre des Affaires Etrangères. » Dessin commémorant l'arrivée des réfugiés liégeois à Paris le 10 avril 1793. La France descend du fauteuil où elle était assise, entourée de la Liberté, de ta Force, de l'Union et de l'Egalité tenant en mains les tables des Droits de l'Homme qui assurent la stabilité et l'indivisibilité de la République. Elle vient au devant de Liège qui s'élance dans ses bras protecteurs. Un groupe de Mères présente à l'auguste Libératrice de leur Patrie leurs enfants dont elle est la seule espérance, tandis qu'un autre groupe plus éloigné cueille des fruits et en remplit des corbeilles que d'autres enfants lui offrent en hommage. Une foule immense de citoyens et de citoyennes se précipite de toutes parts avec ivresse pour partager cette scène intéressante. Le bonnet de la Liberté porté au milieu d'eux sur une pique est leur bannière. Dans le lointain, à travers un vaste et riant paysage, arrivent les Liégeois escortant les archives du pays arrachées aux mains des brigands qui l'ont asservi. Au milieu du dessin s'élève sur un socle l'Amitié, symbole de la durée du sublime ouvrage que vient de consommer la France. Emblème de la Justice qui présida à ces immortelles opérations, le Zodiaque est au signe de la Balance. — Dessin à l'encre de Chine signé [Joseph] Dreppe (Liège, 1737-1810). Dimensions : 775 X 575 mm. CHAPITRE II FLEURUS fES ALLIES ET LA FRANCE. - La coalition que William Pitt venait de grouper contre la Révolution devait faire de la Belgique une place d'armes. Tandis que la Prusse envahirait la France par le Rhin, les forces de l'Angleterre, de l'Autriche et de la Hollande l'attaqueraient, en effet, par les Pays-Bas. L'Autrichien Mack, qui passait alors pour un génie militaire, avait dressé le plan des opérations. Le succès paraissait d'autant plus assuré que l'insurrection de la Vendée, celle des départements du Midi, puis celle de Toulon (mars-août 1793) plaçaient les révolutionnaires en face du double péril de la guerre étrangère et de la guerre civile. On croyait d'ailleurs leurs armées désorganisées par l'expulsion des officiers nobles et la dissolution des anciens régiments. Personne ne pouvait s'imaginer la puissance de l'exaltation patriotique sur un peuple appelé à défendre lui-même sa liberté. On jugeait la Révolution avec des idées d'ancien régime. Les mesures formidables auxquelles elle demandait son salut : la Terreur, la levée en masse, la loi des suspects, ne sem- iTouriiui Honâ Chorleroi Condé Dou(ù| DVDRUT IwCunibralr^ I Vassign^ ÊMsM DESPEAUX HISTOIRE DE BELGIQUE blaient être que les convulsions d'une folie furieuse, les forfaits sanguinaires d'une horde de déments et d'assassins ( 1 ). Or, les catastrophes qui fondaient sur elle n'avaient même pas abattu la superbe confiance de la République. Dès le 13 avril, un décret de la Convention déclarait les « pays réunis » partie intégrante du territoire et affirmait qu'elle ne les abandonnerait jamais aux « tyrans avec lesquels elle était en guerre », proclamant ainsi, avec une assurance grandiose, au moment même où elle était contrainte d'évacuer la Belgique, sa résolution de la reprendre et en pleine défaite prédisant sa victoire. Pourtant si les alliés, se hâtant de profiter des circonstances, avaient marché droit sur Paris après la trahison de Dumouriez, le désarroi, sinon le découragement de l'ennemi, leur eût peut-être permis d'atteindre au but. Mais d'accord pour écraser la France, chacun d'eux se préoccupait tout d'abord, avant d'entrer en campagne, des avantages qu'il en rapporterait. A la différence de la République, ils ne combattaient point pour la vie. La divergence de leurs intérêts les empêchait de s'unir en une cause commune et ils se proposaient beaucoup moins d'abattre la Révolution que de s'en servir. Les conférences qu'ils ouvrirent à Anvers au mois d'avril 1793, se traînaient dans le conflit des ambitions et des jalousies (2). L'Autriche, inquiète des progrès de la Prusse en Pologne, réclamait des compensations. Elle parlait de Cracovie et de la Bavière beaucoup plus que de la Belgique. Pour qu'elle se décidât à la conserver, il fallut que le cabinet de Londres lui promît, avec les départements du Nord, la ceinture des forteresses construites par Vau-ban, qui serviraient désormais de défense aux Pays-Bas N <27 VÔ'Elreux D°.nGOGUET D°.nBALLAND La situation militaire en mars 1794. Les troupes françaises et celles des alliés sont alignées en deux cordons parallèles de Dunkerque à Glvet. L'armée du Nord a organisé un grand camp retranché formant tête de pont sur la rive droite de l'Oise, tandis que les Autrichiens se sont fortifiés autour du Cateau. A la fin de mars, la situation est à l'avantage des Autrichiens qui repoussent les attaques françaises en direction du Cateau, de Solesmes et d'Ors. Les divisions françaises sont représentées sur cette carte par des carrés blancs et noirs et les divisions alliées par des points noirs sur fond blanc. — D'après A. Doumenc : Le mémorial de la terre de France (Grenoble-Paris, 1942, in-8°), p. 195. après les avoir menacés si longtemps. Exception serait faite pour Dunkerque, l'Angleterre se réservant cette base militaire dont elle n'avait cessé, depuis 1662, de déplorer la perte. De vagues assurances d'agrandissement furent données au stadhouder de Hollande, et chacun, pourvu d'espérances proportionnées à ses appétits, ne pensa plus qu'à se tailler sa part dans le démembrement de l'ennemi de tous. Cobourg, à la tête de 45,000 Autrichiens, de 13,000 Anglais, de 12,000 Hanovriens, de 8,000 Hessois, de 15,000 Hollandais et de 8,000 Prussiens, n'avait utilisé le printemps qu'à prendre Condé (10 juillet) et Valenciennes (28 juillet). Puis, au lieu de précipiter sa marche en avant, il s'arrêta aux sièges du Quesnoy et de Maubeuge, tandis que le duc d'York, se séparant de lui, allait entreprendre celui de Dunkerque (22 août), flanqué par les Hollandais postés à Menin. Du côté du Luxembourg on se borna à des escarmouches au cours desquelles fut bombardée l'abbaye d'Orval (23 juin). CONQUETE DE LA BELGIQUE. - Cette politique et cette tactique d'ancien régime sauvèrent la France. Les méthodes surannées des cabinets se montrèrent aussi impuissantes devant les audaces du Comité de Salut Public que la prudente et pédante stratégie de Mack devant les géniales initiatives de Carnot. Le 8 septembre, Houchard battait les Anglo-Hanovriens à Hondschoote et forçait le duc d'York à lever le siège de Dunkerque. Le 13, il attaquait les Hollandais commandés par le prince d'Orange Guillaume-Frédéric, le futur roi des Pays-Bas, et les faisait fuir éperdus jusqu'à Gand. Quelques semaines plus tard, l'offensive se portait sur les Autrichiens. La victoire de Wattignies (16 octobre) obligea Cobourg, désorienté par les manœuvres de Jourdan, d'abandonner le blocus de Maubeuge et de se replier sur Mons. La campagne eût pu être un coup de massue pour la République. Elle s'achevait en ne laissant aux mains de ses ennemis que les places fortes de Valenciennes et de Quesnoy, et en donnant à la France nouvelle la conscience de sa supériorité sur l'ancienne Europe (3). Carnot mit l'hiver à profit pour préparer un plan décisif. Aux alliés, de plus en plus paralysés par la mésintelligence de l'Autriche et de la Prusse, il allait opposer des masses pleines d'entrain et commandées par de jeunes chefs avides d'illustrer en eux la République. Il a résolu d'en finir cette année et de battre l'ennemi « jusqu'à sa destruction complète ». Jourdan et Charbonnier attaqueront la gauche des Autrichiens, tandis que Pichegru opérera en Flandre sur leur droite. Le 18 mai, ses lieutenants, Souham et Moreau, remportent sur Clerfayt la victoire de Tourcoing; Ypres est pris le 18 juin et, le 23, Clerfayt, de nouveau battu à Deynze, est rejeté sur l'Escaut. Cependant Jourdan arrive par Neufchâteau, Saint-Hubert et Rochefort à la rescousse de Charbonnier qui tente en vain de franchir la Sambre. Il culbute, à Dinant, Beaulieu qui essaye de lui disputer le passage de la Meuse. Le 18 juin, malgré les eflorts du prince d Orange, il investit Charleroi et s'en empare le 25. Le même jour, Cobourg est arrivé avec 100,000 hommes en face de ses lignes. Il lui livra bataille le lendemain. On combattit de 5 heures du matin à 7 heures du soir dans les blés mûrs qui prenaient feu sous la canonnade. Les régiments autrichiens n'avaient pas changé depuis Jemappes; ils montrèrent la même discipline et la même vaillance. Du côté des Français tout était neuf : les cadres, les unitormes et la tactique. L'armée de Dumouriez avait encore été une armée d'ancien régime grossie de volontaires. Celle de Jourdan était une création du Comité de Salut Public. Kléber, Championnet, Marceau, Bernadotte dirigeaient ses mouvements, tous, comme leurs soldats, sortis des rangs du peuple. La victoire, à laquelle reste attaché le nom de Fleurus, est la première grande victoire de la France républicaine (4). Comme Carnot l'avait prévu, elle terrassait la coalition. Vaincus au Sud et menacés à l'Ouest, il ne restait aux alliés qu'à battre en retraite. Le 11 juillet, Jourdan faisait à Bruxelles sa jonction avec Pichegru qui avait occupé sans résistance Tournai, Bruges, Ostende, Audenarde et Gand. Puis leurs armées se séparèrent, le premier continuant à pousser Cobourg vers l'Allemagne, tandis que le second, marchant au Nord, chassait devant lui les Anglo-Hollandais. Des deux côtés la conquête s'élargissait en même temps. Après avoir évacué Liège dont ils bombardèrent, en se retirant, le faubourg d'Amercœur (28-30 juillet), les Autrichiens, battus à Esneux-Sprimont (18 septembre), puis à Aldenhoven (2 octobre), étaient refoulés en janvier sur la rive droite du Rhin, cependant que Pichegru, passant sur la glace, fleuves et canaux, entrait le 20 du même mois à Amsterdam. Ainsi les Provinces-Unies qui, depuis le XVIIe siècle, s'étaient si obstinément acharnées à se faire de la Belgique une barrière contre la France, allaient à leur tour servir de barrière à celle-ci. Un instant, l'oligarchie bourgeoise des patriotes qui, en haine du stadhouder, avait salué Pichegru en libérateur, espéra pouvoir traiter d'égal à égal avec le Comité de Salut Public. Dans leur naïve outrecuidance, les Etats-Généraux lui proposèrent un partage de la Belgique (5). Il leur fallut après quelques chicanes abandonner leurs illusions. Si la République française reconnut par le traité de La Haye (16 mai 1795) la République des Provinces-Unies comme puissance libre et indépendante, en fait, elle la soumit à son protectorat. Non seulement elle lui imposait jusqu'à la fin de la guerre une alliance offensive et défensive, mais elle l'obligeait encore à reconnaître la liberté de l'Escaut, à accepter la co-souveraineté de la France sur Flessingue, à céder la Flandre Zélandaise, ainsi que Venlo, Maestricht et leurs dépendances. La frontière militaire que les Maurice de Nassau et les Frédéric-Henri avaient arrachée à l'Espagne durant les guerres glorieuses du XVII" siècle, était maintenant retournée, si l'on peut dire, contre les Provinces-Unies. Elles abandonnaient à la France les forteresses qu'elles avaient élevées pour défendre les passages de l'Escaut et de la Meuse. Elles se trouvaient désormais vis-à-vis d'elle dans le même état d'impuissance auquel, (Bois-le-Duc, Centraal Noordbrabants muséum.) Drapeau de l'« Exercitie Genootschap » de Bois-le-Duc célébrant l'alliance des citoyens et de la République française. Drapeau aux trois couleurs de la république : bleu, blanc et rouge. Sur le cartouche, la légende : FRANSCH VERBOND VESTIGT ONSE ZEGEPRAAL (l'alliance française renforce notre victoire). Au-dessus des deux mains jointes en signe d'alliance : V00R 'T VOLK EN DE WET (pour le peuple et la loi). Le drapeau est décoré d'insignes maçonniques (l'œil, le coq, le triangle) et révolutionnaires (le faisceau, le chapeau et la cocarde, la baïonnette et l'extrémité d'un fusil, le sabre). pendant deux siècles, elles avaient réduit la Belgique à leur profit. L'annexion de cette dernière paraissait d'autant plus assurée que, six semaines avant le traité de La Haye, la Prusse, sortant de la coalition, avait reconnu le Rhin comme frontière de la France. De puissantes barrières entouraient ainsi de toutes parts les ci-devant Pays-Bas autrichiens. En fait, jusqu'en 1814, ils ne devaient plus voir d'armées étrangères sur leur territoire, et au milieu des guerres incessantes de la République et de l'Empire, ils jouirent d'une sécurité singulière. Luxembourg, défendu par le vieux Bender, y maintint encore pendant quelque temps les couleurs impériales. La place ne capitula que le 7 juin 1795, après un siège de six mois et demi. L'OCCUPATION. — La seconde invasion de la Belgique coïncide à peu près avec la fin de la Terreur : il ne s'est guère écoulé qu'un mois entre la bataille de Fleurus et la chute de Robespierre (27 juillet 1794). La période tragique et grandiose où la République, régie par la démagogie, la guillotine et l'Etre Suprême, a excité tout ensemble l'admiration et l'horreur des contemporains, se place entre l'évacuation et la reconquête du pays. Le régime qui allait être imposé à celui-ci fut déterminé par la réaction de thermidor. A ce moment, la France a parcouru le cycle de la Révolution. Elle abandonne l'idéalisme humanitaire, pour s'imprégner d'un esprit de plus en plus réaliste. Elle ne prétend plus affranchir les peuples, mais les dominer : elle devient ouvertement impérialiste. Epuisée par la lutte gigantesque qu'elle soutient contre le monde, elle est for- HISTOIRE DE BELGIQUE (Liège, Musée des Beaux-Arts.) (Cliché Daniel.) La cathédrale Saint-Lambert à Liège avant sa démolition. Détail du portrait de Napoléon Bonaparte peint par Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban, 1780-Parls, 1867) et donné par le premier consul à la ville de Liège à l'occasion de sa visite en août 1803. cée d'ailleurs, sous peine de mourir de faim et de misère, d'exploiter les pays conquis. Elle leur applique sans scrupule la loi du vainqueur. N'a-t-elle pas sur eux, en même temps que la supériorité de la force, la supériorité des principes ? Aussi bien, aucun d'eux ne s'est soulevé en sa faveur. Elle a dû s'en emparer de haute lutte et, les ayant arrachés à leurs « tyrans », elle se reconnaît le droit de les mettre en coupe réglée, de faucher à coup de décrets leurs institutions, en attendant le jour où elle pourra leur « ouvrir son sein » et transformer ces sujets, purifiés du despotisme, en citoyens français. Après Jemappes, Dumouriez s'était présenté aux Belges avec des manifestes, des discours et des effusions. Plus rien de tel après Fleurus. Jourdan et Pichegru ne sont pas des libérateurs : ce sont des vainqueurs. Ils ne parlent pas, ils agissent et ils agissent conformément aux ordres des représentants en mission qui les accompagnent pour les diriger et les surveiller. Et ces représentants évitent le contact de la nation avec le même soin qu'ils mettaient deux ans plus tôt à le rechercher. Evidemment, le mot d'ordre leur a été donné de traiter le pays en pays conquis. Des vœux de réunion qu'elle a provoqués et acceptés quelques mois plus tôt, la Convention ne se souvient plus. Elle a oublié sa promesse de traiter les « pays réunis » comme parties intégrantes de la Républi- LES REPRESENTANTS EN MISSION. - Il en alla tout autrement après Fleurus. Le Comité de Salut Public était décidé à exploiter à fond sa victoire, à appliquer sans restriction la loi du plus fort, à sacrifier impitoyablement l'intérêt du vaincu à l'intérêt de la France. « Nous ne voulons ni soulever le pays, ni fraterniser avec lui », écrit-il dès le 11 juillet 1794 aux représentants en mission en Belgique, « c'est un pays de conquête qui a bien ses restitutions à nous faire et duquel il faut se hâter d'extraire toutes les ressources qui pourraient favoriser une nouvelle invasion de la part de l'ennemi » (7). Il importe donc de profiter sans scrupule de cette riche proie. Plus de ménagements comme ceux de « l'infâme Dumouriez ». Il faut « dépouiller la Belgique de subsistances, de chevaux, de cuirs, de draps, de tout ce qui peut être utile à notre consommation... faire circuler les assignats, établir (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) La cathédrale Saint-Lambert à Liège après sa démolition. Vue des ruines du chœur. Décidée le 19 février 1793. la démolition fut commencée l'année suivante sous l'impulsion du peintre Léonard Defrance et de la « Commission destructive de la cathédrale ». — Dessin de Jean-Noël Chevron (né à Liège en 1790). que. Le régime que le Comité de Salut Public a décidé d'imposer aux Belges est un régime d'occupation militaire tel qu'ils n'en ont encore jamais vu, eux qui pourtant en ont tant vu. Jusqu'alors, en effet, l'invasion du pays n'avait entraîné que sa mise sous tutelle. L'administration restait confiée aux indigènes sous la surveillance de l'étranger. Des « capitulations » réglaient les rapports des autorités nationales avec le pouvoir occupant (6). Pourvu qu'elles s'abstinssent d'entraver ses mouvements et qu'elles se soumissent à ses réquisitions, il les laissait en place, et les habitants, en présence même de leurs vainqueurs, conservaient l'impression d'être chez eux. Il en avait été ainsi sous le régime de la « Conférence », avant la paix d'Utrecht et plus tard pendant l'occupation française avant la paix d'Aix-la-Chapelle. Si Dumouriez, en 1792, avait bouleversé l'organisation du pays, du moins n'avait-il appelé que des Belges à le gouverner. Les commissaires de la Convention eux-mêmes, en imposant au peuple ses vœux de réunion, avaient reconnu son indépendance, car c'était l'admettre que de lui demander d'y renoncer. des contributions, enlever tout l'argent possible » (8). Il faudra même, pour embellir Paris, y envoyer sans retard les œuvres d'art qui font de ce pays « le plus beau de l'univers » (9). Ainsi la consigne est d'organiser la rafle, et les représentants ne s'en acquittent que trop bien. Ils n'ont même pas attendu, pour agir, de recevoir leurs instructions. Dès le 8 juillet, Laurent écrit de Mons au président de la Convention que les églises y regorgent de saints. « Ils n'ont pas plus tôt recouvré la liberté qu'ils ont voulu aller voir la Convention nationale à Paris. Je te les envoie par la diligence de Maubeuge. Ils sont les précurseurs de deux millions en numéraire que nous avons imposés, Gillet et moi, sur les richards de Mons » (10). Et deux jours plus tard, il annonce au Comité de Salut Public qu'il a établi dans la ville une municipalité, un district, un comité de surveillance, des juges de paix, un tribunal civil et un tribunal criminel. « Ce sont des patriotes persécutés et des sans-culottes qui occupent les places ». De plus, il a pris dix otages et ouvert une Société populaire. « On dira la messe en tremblant et en nous donnant les tabernacles d'argent; on priera les chapelets en évacuant les bourses » (11). Et le 13, de plus en plus joyeux et goguenard à mesure qu'il avance à la suite des troupes, il mande de Bruxelles qu'il va lever un impôt de trois millions en numéraire qui sera versé dans les vingt-quatre heures, et qu'on pourra bien tirer de la ville douze à quinze millions. Il ramènera ainsi les riches « à l'égalité par la bourse ». Chemin faisant, il s'est emparé de quelques émigrés français, quatre capucins et trois religieuses, qu'il envoie « sur les derrières pour l'entretien de la guillotine» (12). A mesure que l'invasion progresse, le rouleau passe sur le pays et l'écrase. Le 9 août, un impôt de 60 millions est frappé sur les « nobles, prêtres, maisons religieuses, gros propriétaires et capitalistes ». Des otages sont journellement envoyés en France, les prisons s'emplissent de détenus, des journaux sont supprimés. Les assignats seront reçus au pair des monnaies métalliques, sous peine pour les contrevenants d'être proclamés ennemis de la République et traduits devant les tribunaux révolutionnaires. En même temps, l'uniforme républicain est passé de force à la Belgique. Le port de la cocarde est obligatoire « depuis l'enfant qui commence à marcher jusqu'au vieillard » (13). Dans chaque ville, une ou plusieurs églises sont transformées en temples de la Raison. Des troupes d'acteurs français représentent dans les théâtres des (Paris, Musée du Louvre.) (Cliché Archives Photographiques.) Un représentant en mission : le conventionnel J.-B. Milhaud (1763-1833). Plus tard, Milhaud devint général de division et comte de l'Empire. Une inscription peinte au haut de la toile porte : « Au conventionnel Milhau, son collègue David, 1793. » Malgré cette inscription, l'attribution à Jacques-Louis David (Paris, 1748-Bruxelles, 1825) pourrait être contestée. pièces républicaines; on promulgue le calendrier républicain, on organise des fêtes de la liberté. A Gand, au mois de septembre, le carillon du beffroi ne joue plus que des airs républicains : à l'heure la « Marseillaise »; à la demi-heure, le « Ça ira »; aux quarts d'heure, la « Carmagnole » et la « Danse républicaine » (14). Le 14 août, les représentants en mission établissent les principes de l'occupation du pays. La police des places sera exercée par les commandants militaires jusqu'à ce qu'il en soit autrement décidé; les habitants livreront leurs armes dans les vingt-quatre heures sous peine de mort; tous ceux qui seront convaincus d'avoir tramé contre la sécurité de la République seront traduits devant les tribunaux révolutionnaires de France; tous les « absents » ayant porté les armes contre le peuple français ou favorisant la contre-révolution, seront cités, s'ils rentrent dans le pays, devant les commissaires établis près des armées pour juger (Gand, Archives de la ville, lettres reçues.) Lettre de réquisition de l'inspecteur des vivres Blanchard aux officiers municipaux de la ville de Gand (11 fructidor de l'An 2 = 28 août 1794). L'inspecteur constate que la ville n'a encore rien fourni, l'avant-veille du jour où le froment et le grain doivent être livrés, des vingt mille quintaux de grain réquisitionnés par le commissaire Gailly. L'Inspecteur fait savoir aux autorités municipales « que, désormais, aucun prétexte ne peut justifier le défaut d'exécution, quelque raison que vous alléguiez... ». les émigrés, et exécutés dans les vingt-quatre heures; tous les autres « absents » devront rentrer avant quinze jours, faute de quoi ils seront assimilés aux émigrés. Pour faciliter l'exploitation et la surveillance de la Belgique, on l'isole. Défense est faite d'y entrer ou d'en sortir sans passeport. Au reste, les lois et règlements antérieurs à la conquête sont provisoirement maintenus, s'il n'en est pas disposé autrement par les représentants, et il en est de même des impositions. Il ne pourra être prononcé de jugements criminels définitifs et il ne se pourra faire d'arrestations que par la force armée et sur l'ordre des représentants, des généraux ou des commandants de place. Tout le numéraire des caisses publiques, des caisses municipales et des dépôts de consignation sera versé entre les mains du payeur général de l'armée contre remboursement en assignats. Les banquiers et notaires déclareront les sommes qui leur sont confiées. Pour prévenir l'augmentation des prix que les « malveillants » pourraient provoquer, le maximum de la ville de Lille sera provisoirement étendu aux pays conquis. Le droit d'imposer des contributions appartient exclusivement aux représentants et aux généraux qui l'auront reçu du Comité de Salut Public. Ces contributions ne frapperont que le clergé, les nobles, les privilégiés, les grands propriétaires et les riches. Quant aux réquisitions, elles seront faites par les commissaires des guerres si elles concernent l'armée et par des agents appointés par les représentants si elles sont destinées à l'intérieur de la République (15). Ce programme vise, on le voit, à exprimer toute la substance du pays sous la pression de l'occupation militaire et de la dictature des représentants. Ce n'est pas à l'exploitation de la nation qu'il doit aboutir, mais à son épuisement. Il coupe l'arbre pour en avoir le fruit et l'imprévoyance dont il fait preuve dans sa cruauté ne s'explique sans doute que par l'indécision où l'on se trouvait encore au moment de sa promulgation, sur le sort de la Belgique. Les opérations militaires n'étaient pas achevées. Quel en serait le résultat ? Le 20 juillet, Carnot avait écrit aux représentants de la part du Comité de Salut public qu'il n'était question de conserver des Pays-Bas « que ce qui peut assurer notre propre frontière... de manière qu'Anvers et Namur soient nos deux points d'appui» (16). Aucun motif n'existait donc d'épargner un territoire destiné au rôle de confins militaires. Il fallait se hâter d'en pomper les ressources au profit des armées et du trésor de la République. MISE AU PILLAGE DU PAYS. - Mais pour le tenir sous le joug et le rançonner, le personnel manquait. Demander aux Belges de collaborer à la ruine et à l'annexion de leur patrie, il n'y fallait pas songer. Les bourgeois vonckistes qui, après Jemappes, avaient offert leur concours à Dumouriez, se renfermaient maintenant, pleins de rancoeur, dans l'amertume de leurs désillusions. A leur place ne s'offrait plus qu'un petit groupe de sans-culottes rentrés au pays à la suite des armées ou qui, durant la restauration autrichienne, avaient attendu en se cachant le retour des Français. Aigris par l'exil ou avides de revanche, ils étaient prêts à tout et leurs passions politiques, avivées par la rancune, les excitaient contre leurs compatriotes en qui ils ne voyaient plus que des ennemis. Leur cause se confondait avec celle de l'étranger; par intérêt aussi bien que par conviction, ils ne concevaient d'autre avenir pour la Belgique que son absorption et sa régénération par la France républicaine. Côte à côte avec les vainqueurs, ils siégeaient dans les Comités de surveillance, dans les Sociétés populaires, avides de pouvoir et de faire trembler devant eux les aristocrates, les riches et les prêtres. Des haines privées, des jalousies de famille ou de voisinage contribuaient encore à exaspérer la violence de beaucoup d'entre eux. En général ces ex-persécutés se montrèrent pour leurs concitoyens beaucoup plus tyran-niques que les Français. Mais sauf à Liège, dans le Franchimont, à Mons et à Gand, leur nombre était vraiment trop infime pour qu'ils pussent suffire à la besogne. Il fallut réquisitionner, sous menace « d'être considéré comme suspect et traité suivant les lois révolutionnaires » d'anciens employés des Etats ou des Conseils de justice. Il fallut surtout faire venir de France quantité d'auxiliaires. Le temps manquait pour s'assurer de leur moralité ou de leur compétence. On accepta pêle-mêle tout ce qui se présentait et l'occasion était trop belle de prendre part à la curée pour qu'une tourbe d'aventuriers et de fripons ne s'abattit pas aussitôt sur la Belgique. Ils empirent les bureaux de la commission des armées et de celle des transports, ceux de l'agence du commerce surtout, à qui était dévolue la fonction de saisir et d'exporter en France tous les vivres, produits du sol et fabricats, non indispensables aux habitants. Dès lors l'exploitation du pays se transforme en pillage. La rapacité des commis se fait d'autant plus éhontée qu'elle est assurée de l'impunité. Qui oserait se plaindre quand il suffit du moindre soupçon pour être noté comme suspect et sur l'ordre des Sociétés populaires, arrêté et jeté en prison ? Plus on est riche, plus on est exposé. La réaction de thermidor, si elle a mis fin à la terreur, continue à flatter les démagogues. Le 1er octobre, le comité des contributions de Bruxelles expose que « le but du républicanisme est de niveler les fortunes pour faire disparaître autant que possible l'aristocratie des richesses ». Et par richesse, il fallait surtout entendre, disait-il, celle qui vient « du hasard », c'est-à-dire de la naissance ou du privilège et non celle qui a sa source dans le talent et dans le travail (17). Ainsi, tandis que l'impôt devait épargner cette classe d'hommes nouveaux et de capitalistes dont l'habileté avait su profiter de la Révolution pour faire fortune, il tom- berait de tout son poids sur la noblesse et le clergé. L'anticléricalisme, d'ailleurs, reparaissait avec le jacobinisme. L'Eglise n'était-elle pas le plus ferme appui de l'Ancien Régime ? Dès le mois de septembre, la Société populaire de Bruxelles demandait que tous les prêtres fussent expulsés dans les vingt-quatre heures. A Mons « pour complaire aux patriotes républicains », le tribunal révolutionnaire faisait fusiller un Dominicain qui, pendant la restauration autrichienne, « avait fait imprimer l'apologie de Louis XVI martyr» (18). Les malversations des uns, les violences des autres ne pouvaient continuer sans compromettre la République. Elles inquiétèrent tout de suite les représentants (19). Dès le 22 août, ils dénonçaient au Comité de Salut public les scandales de l'agence du commerce. Ils s'effrayaient de voir que, sous prétexte de patriotisme, trop de gens ne recherchaient « que des emplois et de l'argent ». Ils commençaient à sévir contre les outrances et les illégalités des Sociétés populaires et le 13 septembre fermaient celle de Bruxelles à cause des « déclarations incendiaires » qui s'y faisaient. S'ils recommandaient de « saigner le clergé et les riches en pressurant leur bourse », ils ne voulaient ni que les personnes fussent persécutées, ni que le peuple (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, Collection de Vlnck, t. 48.) « Intérieur d'un comité révolutionnaire sous le régime de la Terreur. Années 1793 et 1794 ou Années 2e et 3e de la République. » Les membres du comité, coiffés du bonnet phrygien, accueillent par des insultes et des gestes menaçants les trois accusés : deux époux et leur enfant. Dans le fond de la pièce, le texte de la Déclaration des Droits de l'Homme. Sur la porte d'entrée, un écriteau avertit les prévenus que dans le local du comité tout le monde se tutoyé. — Gravure de Pierre-Gabriel Berthault (Salnt-Maur, vers 1748-décédé en 1819) d'après un dessin de Jean-Honoré Fra- gonard (Grasse, 1732-Paris, 1806). Entre 1794 et 1817. (Musée de Troyes.) Lazare Carnot (Nolay, 1753-Magdebourg, 1823), «l'organisateur Médaillon de bronze à une seule face, œuvre de David d'Angers (Angers, Diamètre : 71 mm. fût froissé dans ses « préjugés religieux ». Au surplus, le progrès des armées est tel, que les Belges ne peuvent plus caresser l'idée de repasser sous le joug de « leurs anciens dominateurs ». Il importe maintenant de se les concilier, d'autant plus que la conquête de leur pays ne fait plus de doute. ADOUCISSEMENT DE L'OCCUPATION. - Dès le 8 novembre, le Comité de Salut Public décide d'adoucir le régime. Il ordonne aux représentants de dissoudre les Comités révolutionnaires, d'interdire les arrestations arbitraires et de s'attacher à faire aimer la République « par un gouvernement fondé sur les principes sacrés de la justice» (20). A l'improvisation hâtive des débuts commence à se substituer une organisation régulière. Le 15 octobre, les représentants ont institué dans la Belgique des administrations d'arrondissement destinées à remplacer les anciens Etats. Chaque province a la sienne composée de six membres. Au reste, par une innovation due à des nécessités militaires, le pays est partagé en deux administrations générales, la première, placée à Bruxelles, pour le territoire en deçà de la Meuse, la seconde, fixée à Aix-la-Chapelle, pour la région d'entre-Meuse-et-Rhin. Choisi par les représentants, le personnel des administrations ne se compose naturellement que de Français et de Belges francophiles : Delneufcourt à Mons, Meyer à Gand, de Deuwaerdere à Bruges, Lambrechts à Bruxelles, Metde-penningen à Anvers, etc. Depuis lors, la vis se desserre peu à peu. Le 16 novembre, la liberté du trafic est rétablie partiellement avec la France et, le même jour, l'agence du commerce est supprimée à cause des malversations de plusieurs de ses préposés. Puis la poste est déclarée libre (13 janvier 1795) et soustraite au contrôle des Comités de surveillance qui, à leur tour, sont abolis (11 février) en même temps que le maximum. Les otages sont remis en liberté. Les municipalités sont chargées de la sûreté générale et exemptées de l'obligation de verser leurs revenus dans les caisses militaires (23 février, 21 août). Le 13 mars, on édicté des mesures contre les agents de la République qui ont « abusé de leurs pouvoirs pour satisfaire leur cupidité ou compromettre la loyauté du gouvernement » (21). Parallèlement à cet adoucissement du régime, s'opère peu à peu l'initiation du pays aux « bienfaits de la Révolution ». En fait de nouveautés, on ne lui impose tout d'abord que les tribunaux d'exception, les assignats et le maximum. Il est temps désormais de moderniser un peuple destiné à la République. Le 16 novembre 1794, le mariage civil est institué pour « ceux qui le veulent », et le lendemain prennent place dans le droit commun de la Belgique quantité de réformes « que la philosophie appelle ». La torture, le bannissement, les galères sont rayés du texte des coutumes. Les condamnés à mort seront fusillés, à moins que les magistrats ne préfèrent « l'emploi de l'instrument des supplices usité en France» (22). Le 1" mars 1795, le « régime bienfaisant des jurés » est introduit, et, le 21 mars, on charge les municipalités du contrôle de la bienfaisance publique. L'exploitation économique s'atténue. On autorise le payement des contributions moitié en assignats moitié en numéraire; on abolit les réquisitions non destinées aux armées, et remise est faite des amendes encourues par les contribuables en retard. Le clergé lui-même se voit traité avec moins de rigueur. On ferme les yeux sur l'application des règlements qui lui imposent la livraison des cloches et interdisent aux processions de sortir des églises. Si on n'hésite pas à l'humilier, si, par exemple, le 6 janvier 1795, ordre lui est donné de lire au prône une déclaration présentant le peuple comme la victime des hauts dignitaires ecclésiastiques, du moins n'a-t-il plus à craindre de persécution. Pourvu qu'il paye sa part dans les impôts, on ne l'inquiète pas. Le séquestre mis tout d'abord sur ses propriétés n'atteindra plus que les maisons religieuses dont la moitié des membres plus un, auront émigré. Si oppressif qu'il soit encore, du moins le régime n'est-il pas cruel (23). Au début de la conquête, ç'avait été une fuite éperdue de fonctionnaires autrichiens, de nobles, de (Cliché Brunon.) de la Victoire». 1758-Paris, 1856). prélats, de propriétaires, de fabricants, de rentiers. Petit à petit, ils se hasardent à rentrer et profitent de plus en plus largement des mesures prises pour faciliter leur retour. En fait, fort peu d'entre eux s'obstinèrent dans l'exil. La plaie de l'émigration, si terrible et si persistante en France, a été épargnée à la Belgique. Le pays n'a fourni que bien peu de soldats aux armées qui ont combattu la République. Après un premier mouvement de terreur, les ci-devant privilégiés se sont ressaisis. Et sans doute, c'est le souci de leurs biens qui les a rappelés dans la patrie, mais il n'en est pas moins vrai qu'en venant reprendre leur place au sein du peuple et en partageant son sort, ils ont conservé sur lui et peut-être même renforcé leur ascendant traditionnel (24). DETRESSE DU PAYS. — Cependant la situation du pays semblait désespérée. Depuis six ans, il vivait dans un état de crise permanente. Affaibli par les secousses que lui avaient successivement infligées la révolution brabançonne, la restauration autrichienne, la conquête de Dumouriez et le retour des impériaux, il s'était effondré sous le choc de Fleurus. Et quand bien même il eût été plus robuste, eût-il pu supporter un régime qui l'asser-vissait, sans résistance possible, au bon plaisir du vainqueur ? La fermeture des frontières, le cours obligatoire des assignats, le maximum, les réquisitions, les contributions et le pillage avaient étouffé les derniers restes de son activité économique. Les affaires étaient paralysées, les ateliers se fermaient, les marchés n'étaient plus approvisionnés. L'agiotage et le commerce clandestin accaparant les subsistances, la misère publique allait croissant par la spéculation qu'elle suscitait. Dès le mois de novembre, il fallait obliger les municipalités à créer des greniers d'abondance, supprimer la fabrication du genièvre et de l'amidon, restreindre celle de la bière. Un hiver précoce et rigoureux aggrava encore la détresse. En décembre, on dut ouvrir des ateliers de charité, distribuer des cartes de pain. Des gens mouraient de faim. Des troubles éclataient dans le Luxembourg. Les représentants écrivaient en février 1795 que « la Belgique est épuisée, ses habitants réduits au désespoir ». Naturellement les sans-travail et les vaga- mkNÇiïOi lUUSVJljV \4AÙi JUIL SEPT NOV I jan. mar MAI JUIL SEPT NOV I JAN. MAR | MAI JUIL. SEPT NOV | JAN j MAR | MAI JUIL AOUT OCT. DEC. FÊV. AVR JUIN AOUT OCT. DEC. FEV. AVR JUIN AOUT OCT. DEC. FÉV. AVR JUIN GUERRE d ANGLETERRE deHOUANDEtdESRAGNE ASSEMBLEE lEGISlATIVE GUERRE dAUTRICHE jemappes WATTIGNIES gouvernement revolutionnaire Exécution de» robespierristes expulsion des girondins CHUTE duTRÔNE MINISTÈRE BRISSOT1N ÉXECUTION du ROI EXÉCUTION dcjDANTONISTÉS robespierre entreoucsp. Cours des assignats entre juillet 1791 et juillet 1794, mis en rapport avec les événements politiques contemporains. Le cours est encore assez élevé lors de la proclamation de l'Assemblée législative (1" octobre 1791); il décroît sous le ministère des « Brissotins » (mars 1792), se maintient jusqu'au procès de Louis XVI (novembre 1792), retombe lors de la guerre franco-anglaise (janvier-février 1793), de la proclamation du Comité de Salut Public, de l'expulsion des Girondins, jusqu'à l'entrée de Robespierre au comité de Salut Public Depuis ce moment, l'assignat reprend provisoirement quelque valeur. — Graphique dressé d'après les chiffres fournis par J.M. Thompson : The French Révolution (Oxford, 1944, in-8°), p. 337. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms II 1492, t. III, fol. 49 v°.) Une députalion de citoyens gantois demande à la Convention la réunion de leur ville à la France (1795). Aquarelle coloriée de Pierre-Antoine-Joseph Goetsbloets, extraite de ses Tydsgebeurtenissen ou histoire des Pays-Bas, et spécialement de la ville d'Anvers, sous la domination française (1792-1797). Rédigé par un contemporain violemment hostile au régime, les dix volumes des Tydsgebeurtenissen sont enrichis de nombreux dessins coloriés à la main. Leur intérêt est surtout d'ordre documentaire. Le texte renferme une foule d'informations sur l'occupation française en Belgique. bonds deviennent un danger public : on calcule à Ver-viers en 1794 que la ville renferme 5,548 indigents sur 13,897 habitants (25). Les brigands infestent les routes, attaquent les maisons isolées : on commence à colporter ces histoires de garotteurs, de chauffeurs, de branders qui, pendant si longtemps, restèrent l'entretien des veillées campagnardes. La classe populaire, à laquelle la Révolution avait fait tant de promesses, est naturellement la plus cruellement atteinte par cette misère. Son esprit est si mauvais que les Français craignent une insurrection. Ils s'inquiètent aussi des agissements « d'une foule de déserteurs autrichiens qui tâchent de fomenter des troubles » (26). En vain s'adressent-ils au dévoûment des Belges et les exhortent-ils à faire des sacrifices qui les rendent dignes « de la liberté et de la confiance de la République », personne ne les écoute. Sous l'aiguillon de la faim, le mécontentement général s'exaspère en sens divers. Les restrictions apportées à la liberté du culte, l'impiété affichée par les soldats et les fonctionnaires, l'enlèvement des tableaux, des livres, des manuscrits, le bouleversement de tous les usages et de tous les errements administratifs, la crainte des lois révolutionnaires indignent, irritent et effrayent à la fois le clergé, la noblesse, la bourgeoisie et par eux la masse du peuple dont ils dirigent l'opinion. Leur opposition se manifeste, faute d'autres moyens, par le refus d'accepter des fonctions publiques. En revanche, depuis que les représentants ont adopté une ligne de conduite plus modérée, les jacobins font rage contre eux. Dans le pays de Liège, où ils sont DEMANDES DE REUNION. - Une question angoissante se pose qui augmente encore l'inquiétude des esprits. Que va-t-on devenir ? Quel sort la France ré-serve-t-elle à la Belgique ? On avait pu croire, au début, qu'ayant accepté les vœux de réunion qu'elle avait provoqués naguère, la Convention traiterait les Belges en citoyens français. Mais la nécessité lui imposait l'oubli du passé. La République avait trop besoin d'exploiter sa conquête pour se souvenir qu'elle l'avait proclamée jadis partie intégrante de son territoire. Elle ne pouvait la mettre en coupe réglée qu'à condition de lui refuser la jouissance de ses lois et le bénéfice de sa nationalité. Les démocrates du Hainaut, transformé en 1793 en « département de Jemappes », assaillaient vainement de leurs plaintes le Comité de Salut Public. Repoussés par lui, ils s'adressaient à la Convention: « Législateurs, suppliaient-ils, faites cesser cet amalgame incohérent qui tue l'esprit public ». S'il paraissait dangereux de les doter en une fois de toutes les lois de la République, du moins qu'elles leur fussent appliquées graduellement, de sorte que « semblables à ceux à qui l'art, par un de ses miracles, permet de voir la lumière des cieux, nous recevions par rayons les bienfaits de la législation française» (28). Des conservateurs demandaient, eux aussi, leur annexion. Si hostiles qu'ils fussent à la République, ils préféraient encore être absorbés par elle plutôt que de supporter plus longtemps le régime qu'elle leur imposait. Les trois « membres » de Bruxelles décidaient, à la fin de juillet 1794, d'envoyer une « députation solennelle » porter à Paris le vœu du peuple d'être réuni à la nation française. Luxembourg, Anvers, d'autres villes encore se prononçaient dans le même sens. Et pourtant les représentants signalaient comme détestable l'opinion de Bruxelles, et à Anvers il avait fallu, le 28 octobre 1794, saisir quatre-vingts otages et mettre en arrestation une centaine de prêtres. La Convention était bien décidée à régler le sort de la Belgique sans en consulter les habitants. Sa résolution était certaine d'avance. La doctrine des frontières naturelles, qui avait été si souvent invoquée par la monarchie, l'était maintenant par la République. Bien rares ceux qui songeaient encore à constituer les Pays-Bas autrichiens et le pays de Liège en une république indépendante. L'impérialisme thermidorien ne pouvait plus tolérer un projet aussi timide et auquel se rattachait d'ailleurs le souvenir de « l'infâme Dumouriez ». En Belgique même, les républicains avancés en étaient adversaires. Ils appréhendaient que l'indépendance du pays n'eût pour résultat de les livrer au « fanatisme ». Il n'est pas douteux cependant que si l'opinion eût pu s'exprimer librement, elle se fût à une écrasante majorité prononcée contre l'annexion. Mais il fallait du courage pour oser dire tout haut ce que presque tout le monde pensait. Un ancien conseiller au Conseil Souverain du Hainaut, A.-P. Raoux, rompit le silence général. Dans un plus influents qu'ailleurs, ils résistent ouvertement aux mesures des administrations et les accusent de trahir la République au profit des aristocrates (27). mémoire adressé au Comité de Salut Public, il ne craignit point d'affirmer que les quatre cinquièmes de ses compatriotes ne voulaient pas du régime français. En fallait-il d'autres preuves que leur répugnance à accepter les fonctions de jurés ou celles d'officiers municipaux ? Les Belges n'avaient-ils pas leurs mœurs et leur caractère ? La piété n'était-elle pas chez eux aussi honorée qu'elle l'était peu en France ? Et l'Ancien Régime, tel qu'ils l'avaient connu, n'était-il pas exempt de la plupart des abus qui en avaient amené la chute chez leurs voisins ? Une seule solution était acceptable : constituer la Belgique en une république autonome rattachée à la France par une union douanière (29). VOTE DE LA REUNION. — Mais le siège de la Convention était fait. Merlin de Douai exprimait l'opinion de ses collègues en affirmant que si les Belges avaient le droit d'être Français, la France avait intérêt à posséder la Belgique. Indépendants, les Belges seraient trop faibles comme barrière; unis à la Hollande ils seraient trop forts. « Il importe à la République, que les Belges et les Liégeois ne soient libres qu'autant qu'ils seront Français. » Portiez de l'Oise opinait qu'il fallait annexer la Belgique pour l'empêcher de tomber dans la guerre civile. Il était inutile de la consulter. « Le peuple veut toujours le bien, mais il ne le voit pas toujours» (30). Et il est trop évident que le bien des Belges est dans une union qui les garantira désormais contre de nouvelles guerres. Après un débat de deux jours, la Convention passa au vote. Le 1" octobre 1795 (9 vendémiaire an IV), un décret réunit la Belgique et le pays de Liège à la France, reconnut à leurs habitants les droits des citoyens français, divisa leur territoire en départements et supprima la ligne des douanes qui le séparait de la République. (Luxembourg, Archives du Gouvernement, Registre des délibérations de l'Administration centrale du département des Forêts, sub dato.) (Cliché «Docuphot».) En-tête de papier à lettres de l'administration française du département des Forêts (préfecture Luxembourg), 28 messidor An VI ( = 14 juillet 1798). Les papiers officiels des administrations françaises étaient décorés de frontispices symbolisant, sous des formes diverses, les principes de la révolution de 1789. Celui-ci décore le procès-verbal de la séance du 28 messldore an VI de l'administration centrale du département des Forêts. Un autre type est reproduit ci- dessous, p. 343. NOTES (1) Voy. là-dessus les observations très intelligentes de de Pradt, De la Belgique depuis 1789 jusqu'en 1794, p. 96 et suiv. (Paris, 1820). (2) Sur ces négociations, voy. A. Sorel, L'Europe et la Révolution française, t. III et IV. Add. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 194 et suiv. (3) Pour les opérations militaires, voy. A. Chuquet, Hondschoote (Paris, 1896); V. Dupuis, La campagne de 1793 à l'armee du Nord et à l'armée des Ardennes : 1. De Valenciennes à Hondschoote. II. D'Hondschoote à Wat-tignies (Paris, 1906-1909); Coutanceau, La campagne de 1794 à l'armée du Nord (Paris, 1903-1908). (4) V. Dupuis, Les opérations militaires sur la Sambre en 1794. Bataille de Fleurus (Paris, 1907). (5) Colenbrander, Gedenkstukken der algemeene Oeschiedenis van Nederland 1789-1795, p. 662. (6) Voy. à cet égard l'ouvrage d'I. Lameire, Théorie et pratique de la conquête dans l'ancien droit (Paris, 1903 et suiv.). (7) Aulard, Recueil des arrêtés du Comité de Salut Public, t. XV, p. 84. (8) Ibid., p. 640. (9) Ibid., t. XVI, p. 101. (10) Ibid., t. XV, p. 12. (11) Ibid., t. XV, p. 63. (12) Ibid., t. XV, p. 149. (13) Ch. Pergamenl, L'esprit public bruxellois au début du régime français, p. 154 et suiv. (Bruxelles, 1914). (14) P. Claeys, Mémorial de la ville de Oand, p. 33 (Oand, 1902). (15) On trouvera ce texte dans la collection intitulée : Arrêtés des représentants du peuple en mission et lois françaises publiées dans la ci-devant Belgique avant sa réunion à la République par la loi du 9 vendémiaire, quatrième année, pour servir de complément au Recueil des lois et arrêtés publiés dans les neuf départements, postérieurement à leur réunion, p. 5 et suiv. (Gand, s. d., ln-4°). Elle est complétée par un autre recueil publié chez le même éditeur en treize volumes in-4° sous le titre de Recueil des arrêtés des commissaires du gouvernement français dans les pays réunis à la République par la loi du 9 vendémiaire an IV et des lois de la République française dont la publication a été par eux ordonnée dans lesdits pays à commencer de l'époque de la réunion de ces pays à la République française, imprimés et traduits par ordre de l'Administration du département de l'Escaut. Dans mes notes, le mot Arrêtés non suivi d'une indication de volume se rapporte à la première série; quand cette indication existe, c'est qu'il est question de la deuxième série. On se référera encore pour les décrets et arrêtés divers publiés en Belgique avant la période où les lois françaises y devinrent obligatoires, aux Recueils de Hayez et de Huyghe, publiés à Bruxelles depuis l'an IV. Quant aux lois, on les trouvera dans la Pasinomie de J.-B. Duvergier, complétée pour la Belgique par J. Plaisant, dont la publication a commencé à Bruxelles en 1833. En règle générale, je m'abstiendrai de renvoyer le lecteur à ces recueils, la date des textes suffisant pour les y retrouver facilement. (16) Aulard, Recueil, t. XV, p. 317. (17) Rapport du Comité des contributions au Magistrat de Bruxelles (Bruxelles, 1794). (18) Descamps, Mémoires de la ville de Mons, p. 220 et suiv. — Au mois de septembre, on avait organisé des tribunaux criminels extraordinaires à Bruxelles, Anvers, Mons, Liège, Aix-la-Chapelle, afin de remplacer les juridictions militaires en matière d'attentats contre la République. Voy. P. Verhaegen, Le tribunal révolutionnaire de Bruxelles. Annales de ta Soc. Archéologique de Bruxelles, t. VII [1893], p. 412 et suiv. (19)Aulard, Recueil, t. XVI, p. 276 et suiv., p. 665 et suiv., XVII, p. 91 et suiv., XVIII, p. 585 et suiv. (20) Aulard, Recueil, t. XVIII, p. 21. Le même jour, le Comité avait reçu la nouvelle de la prise de Maestricht qui, « Otant à la Belgique toute Idée de retour à ses anciens dominateurs, doit railler tous les esprits à la République. » Ibid., p. 23. (21) Arrêtés, p. 289. (22) Ibid., p. 107. (23) Il y eut pourtant, au début, quelques exécutions capitales, mais elles furent peu nombreuses. Voy. à cet égard, l'étude de P. Verhaegen sur le tribunal révolutionnaire de Bruxelles, citée p. 64, n. 2, et du même, Le procès et la mort de P -f. d'Herbe, fusillé à Bruxelles le 17 octobre 1794. Messager des Sciences historiques, t. LXVI1I, p. 257 et suiv. (24) II serait Intéressant d'étudier l'émigration belge. Sauf un petit groupe de prélats et de grands seigneurs qui ne rentrèrent pas, elle ne dura qu'un moment. Dès le 28 novembre 1794, on constate que les émigrés rentrent journellement (Arrêtés, p. 150). Le 10 mars 1795, le mouvement ne cesse de s'accentuer (Aulard, Recueil, t. XX, p. 781). Le 28 mal, on prend des mesures pour le faciliter (Arrêtés, p. 433). La même année, la liste des émigrés publiée pour le département de la Dyle ne comprend que 343 personnes, à peu près tous membres de la haute noblesse ou fonctionnaires du gouvernement autrichien. Celle des Deux-Nèthes ne signale que 93 noms. Cf. les Mémoires du comte de Mérode-Westerloo, t. I, p. 62 et suiv. (Bruxelles, 1864). (25) J'emprunte ce renseignement aux archives de la ville de Verviers. (26) Arrêtés, p. 409. (27) Voy. par exemple la curieuse brochure intitulée : Jugement du tribunal criminel d'Aix libre (Aix-la-Chapelle) contre les citoyennes Brixhe, de Spa (Liège, an IV). (28) Protestation des administrateurs du ci-devant Hainaut à la Convention (Mons, 1795). (29) A.-P. Raoux, Mémoire sur le projet de réunion de la Belgique à la France remis au Comité de Salut Public le 4 vendémiaire an IV (Paris, 1795). (30) Vues sur la Belgique par Portiez, représentant du peuple (Bruxelles, 1795). (Londres, British Muséum, ancienne collection lady Schreiber.) Costumes de fonctionnaires et de magistrats français sous le Directoire. Eventail de papier colorié. Fin du XVIII» siècle. CHAPITRE III LA REUNION fISPARITION DE L'AUTONOMIE NATIONALE. — Le décret du 1er octobre faisait bien plus qu'annexer la Belgique à la France : il l'y absorbait. En proclamant trois millions de Belges citoyens français, il poussait jusqu'à ses plus extrêmes conséquences le droit de la conquête. A la nationalité des vaincus, il substituait la nationalité des vainqueurs. Il anéantissait un peuple en le fusionnant avec un autre peuple. Et c'est en cela qu'apparaît sa nature essentiellement révolutionnaire. Tel que l'avait pratiqué l'Ancien Régime, le droit de conquête avait porté sur le sol beaucoup plus que sur les habitants. Les gouvernements monarchiques visaient à agrandir leur territoire mais non point leur nation. Ils n avaient aucun intérêt à assimiler à leurs anciens sujets leurs sujets nouveaux. Il leur suffisait de prendre à l'égard de ceux-ci la place du souverain auquel ils succédaient. Ils se substituaient dans son autorité, s'attribuaient ses prérogatives, respectaient les errements de son administration et laissaient les populations annexées en possession de leurs institutions traditionnelles. C'est ainsi que la Belgique, en passant successivement sous le pouvoir de la maison d'Espagne, puis sous celui de la maison d'Autriche, n'avait pas cessé de jouir de l'autonomie publique. Le régime sous lequel elle avait vécu était celui de l'union dynastique. Elle avait eu en commun avec les Espagnols, puis avec les Autrichiens, le même prince, sans être pour cela le moins du monde amalgamée à ces peuples. Les vieilles constitutions provinciales étaient restées en vigueur, l'administration s'était faite dans les langues nationales, les Etats avaient conservé le droit de voter les impôts. Jamais les rois d'Espagne ou les empereurs n'avaient considéré le pays comme partie intégrante de l'Espagne ou de l'Autriche. C'était une possession de leur maison, une propriété héréditaire sur laquelle leur nation n'avait rien à prétendre. S'ils lui imposaient leur politique extérieure, s'ils y entretenaient des garnisons et s'ils se faisaient représenter à Bruxelles par un gouverneur, ils n'en reconnaissaient pas moins aux « pays de par delà » leur individualité nationale. Ils régnaient sur eux à titre particulier, ils se considéraient comme les héritiers des ducs de Bourgogne, et les habitants eux-mêmes les considéraient comme leurs « princes naturels ». Sous leur règne, la civilisation nationale n'avait pas reçu la moindre atteinte. Aucune trace d'espagnoli-sation sous les rois d'Espagne, aucune trace de germanisation sous les Habsbourg d'Autriche. Joseph II lui-même s'était toujours efforcé d'enlever à ses réformes l'apparence d'importations allemandes. Bref, depuis le règne de Charles-Quint, si la Belgique n'avait plus eu de souverains indigènes, jamais pourtant elle n'avait été soumise à la domination étrangère. D'un seul coup, le décret de la Convention anéantissait cet antique régime d'union dynastique et d'autonomie nationale. La République n'eût pu le reconnaître qu'en se mettant en contradiction avec ses principes, car il l'eût obligée à tolérer sur son propre sol des institutions politiques et une organisation sociale dont la destruction était précisément sa raison d'être. Ayant fait table rase du passé, elle ne pouvait le laisser subsister sur aucune partie de son territoire. Elle devait nécessairement s'identifier la Belgique dès lors qu'elle s'en agrandissait, et n'y (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté II, 91073, ln-8°.) Un membre de l'administration départementale sous le Directoire (1795). Gravure coloriée extraite des Costumes des représentants du peuple, membres des deux conseils, du directoire exécutif, des ministres, des tribunaux, des messagers d'Etat, huissiers, et autres fonctionnaires publics, etc., dont les dessins originaux ont été confiés par le Ministre de l'Intérieur au Citoyen GRASSET S. SAUVEUR; gravées (sic) par le Cit. LABROUSSE, artiste de Bordeaux, connu par ses talens (sic), et coloriés d'après nature et avec le plus grand soin (Paris, an IVe de la République française, 1795). rien tolérer qui la différenciât d'elle-même. Le pays n'était plus désormais qu'une partie indivisible de la France. Son nom même disparaissait. A la place des Pays-Bas autrichiens et du pays de Liège, il n'y avait plus que neuf « départements nouvellement réunis ». On disait encore la Belgique comme on disait la Champagne ou la Bourgogne : le mot perdait sa signification nationale pour ne plus être qu'une expression géographique. En transformant les Belges en citoyens français, le décret du 1" octobre les dotait de tous les droits politiques de ceux-ci. Mais versés dans un peuple de trente millions d'hommes, quelle action seraient-ils à même d'exercer sur le gouvernement et sur la législation ? Minorité perpétuelle, ils ne pourraient que les subir sans qu'il leur fût même loisible de protester puisqu'ils seraient censés y collaborer. En théorie, ils participaient à la souveraineté du peuple français; en fait, elle leur était imposée. Depuis des siècles et sous l'influence du voisinage, de la ressemblance des mœurs, des relations économiques, la langue et la civilisation de la France avaient largement rayonné sur la Belgique. La francisation obligatoire allait y remplacer la francisation spontanée et volontaire. Ainsi la Belgique était effacée de la carte de l'Europe et son histoire paraissait s'achever avec celle de l'Ancien Régime. Mais la République aurait-elle pu la traiter autrement qu'elle ne le fit ? La partager avec la Hollande, comme les Etats-Généraux de La Haye le proposèrent un instant, c'eût été donner à la République Batave une puissance incompatible avec la sécurité de la France. La soumettre au protectorat sans lui ravir l'indépendance paraissait plus réalisable. Cette solution aurait répondu au vœu de la très grande majorité des Belges et quelques députés la recommandèrent à la Convention. Mais il était évident qu'une Belgique libre eût adopté aussitôt une attitude hostile à la France et fût devenue contre elle une base d'opérations politiques et militaires au profit de l'Angleterre et de l'Autriche. Etait-il possible d'ailleurs de l'évacuer sans abandonner en même temps la ligne du Rhin ? Et puis, quel avantage sa possession n'assurait-elle pas à la République ! En l'acquérant, elle acquérait l'hégémonie en Europe. Installée sur la côte de Flandre, à Anvers, à Maestricht et à Luxembourg, elle menaçait l'Angleterre, dominait la Hollande et couvrait Paris. Pouvait-on s'attendre à la voir renoncer à une conquête que la monarchie avait vainement ambitionnée ? C'était pour elle un magnifique triomphe que de réussir là où Louis XIV avait échoué. Au surplus, sa détresse financière lui commandait de garder un territoire dont les ressources affermiraient son crédit et le cours des assignats. Sans doute, en s'y installant, elle éternisait la guerre. Elle ne pouvait se dissimuler que l'Angleterre, son adversaire le plus terrible et le plus tenace, ne tolérerait jamais une annexion que depuis des siècles elle s'était acharnée à empêcher. En rendant le décret du 1" octobre, la Convention lançait au gouvernement de Londres le même défi que Louis XIV lui avait lancé en acceptant le testament de Charles II. Et le sort de la Belgique allait dépendre d'une lutte qui devait à la longue embraser toute l'Europe. Mais la République ne craignait pas l'Europe. Elle avait fait la paix avec la Prusse, avec l'Espagne, avec les Provinces-Unies. Sur le continent, elle n'avait plus qu'un ennemi, l'Autriche, et elle se flattait de la mettre hors de cause. Elle n'ignorait pas que l'empereur tenait moins /ItuJjoÂy /um^MI 4. que jamais à la possession des Pays-Bas. Le Comité de Salut Public se flatta un moment de l'amener à y renoncer en lui promettant de l'aider à acquérir la Bavière. Il fallut les instances de l'Angleterre pour que François II se résignât à conserver ses prétentions sur la Belgique, mais à condition qu'elle fût augmentée de la ligne des forteresses françaises du Nord et du Brabant hollandais (novembre 1795). Ainsi la conquête du pays, au lieu de dissoudre la coalition austro-anglaise, la renforça. CONSEQUENCES INTERNATIONALES DE LA REUNION. - A dix-neuf siècles d'intervalle, l'analogie s'impose entre l'absorption de la Belgique par la République française et son annexion à l'Empire romain. Toutes deux furent l'œuvre de la guerre, mais toutes deux aussi eurent pour résultat une transformation profonde et durable du pays et du peuple. La Belgique romanisée et civilisée du IIIe siècle diffère autant de la Belgique décrite par César, que la Belgique modernisée, centralisée, unifiée et uniformisée de 1814 diffère des Pays-Bas autrichiens et du pays de Liège, avec leur bigarrure de provinces à demi souveraines et l'infinie diversité de leurs privilèges, de leurs institutions et de leurs coutumes. Au début de notre ère comme au commencement du XIXe siècle, la conquête marqua la physionomie du pays de traits ineffaçables. A travers tout le moyen âge, les diocèses de la Belgique perpétuèrent les circonscriptions des « cités » romaines, et de nos jours, il suffit d un coup d'œil jeté sur la carte du royaume pour y découvrir sous les provinces, les départements français de l'an IV. FRANÇAISE -m-? ;«m DÉCRET DE LA CONVENTION NATIONALE, Du -fleiu/utiixJ) jour de ftuDtuf'aivC) l'an .e la République française une et indivisible. 'M. airot / fi (fÎM. i U A M"**- __________, ___________tarera A A (*-|l et &iMuirV . Jt VtMU* *'^ r. p. _ Aa !LTastiiituM* . ' / ' A le ■^O^taueat A— — / f eu4. A . onv ttu-Y - —- II 6 (Paris, Archives Nationales, A 176, plaquette 205.) (Cliché Société française du microfilm.) Décret de la Convention proclamant la réunion de la Belgique et du Pays de Liège à la République française (9 vendémiaire an IV - 1er octobre 1795). La Convention entérine les décrets des 2 et 4 mars et du 8 mai 1793 réunissant aux territoires français les pays de Liège, Stavelot, Malmédy et Logne, et les décrets des 2, 6, 8, 9, 11, 19 et 23 mars 1793 unissant à la France le Hainaut, le Tournaisis, le pays de Namur et la majorité des Communes de la Flandre et du Brabant; elle accepte le vœu émis par les autres communes de la Flandre, du Brabant et de la Oueldre, et elle annexe tous les territoires situés en-deçà du Rhin. Aux habitants de ces pays, elle accorde les droits des citoyens français, elle divise les territoires en départements et détermine les fonctions des représentants du peuple. La division départementale, imposée par la nécessité d'emboîter le pays dans l'administration française, réalisa du même coup l'indissoluble union du pays de Liège à la Belgique. En les répartissant dans les mêmes cadres, elle effaça définitivement les frontières qui, durant des siècles, les avaient séparés. L'histoire avait agi contre la la fusion. En proclamant Français les habitants des provinces autrichiennes comme ceux de la principauté ecclésiastique, la République, en se les assimilant, les assimilait les uns aux autres. Les deux parties de la Belgique furent soudées en un même tout, et le décret du 1er octobre, détruisant l'ancienne Belgique, prépara la Belgique moderne. (Mons, Archives de l'Etat, Cartes et Plans n° 922.) Le département de Jemappes en l'an VIII (1799-1800). Plan dessiné et gravé par Philippe J. Maillart (Bruxelles, 1764-1856). nature en maintenant sous des principes différents leurs populations enchevêtrées que tout portait à se confondre. Elle avait fait naître entre elles des conflits et accusé des contrastes d'institutions et d'idées qui agissaient au rebours de leurs affinités naturelles et de la communauté évidente de leurs intérêts. Après l'échec des tentatives des ducs de Bourgogne pour englober le pays de Liège dans leurs possessions, la politique habile de Charles-Quint avait amené une entente à laquelle les troubles du XVI° siècle, puis la diplomatie française avaient mis fin. La France avait trop grand besoin de posséder une base d'action dans les Pays-Bas pour ne pas avoir très habilement cherché à conserver les Liégeois sous son influence. Ainsi la politique étrangère contribua largement à entretenir un état de choses dont elle profitait. Mais la crise révolutionnaire qui, à la fin du XVIIIe siècle, avait également secoué les Belges et les Liégeois, les avait en même temps rapprochés. Durant la révolution brabançonne on avait envisagé de vagues projets d'union. Us s'étaient précisés au sein du Comité des Belges et Liégeois unis, puis Dumouriez s'était vu sur le point de les accomplir. Tout cela avait échoué par l'étroitesse de vues qui avait empêché démocrates liégeois et Vonckistes belges de se tendre la main. La conquête de 1794 imposa (Cliché Lefrancq.) DIVISION DU PAYS EN DEPARTEMENTS. -— Dès le 31 août 1795, un décret du Comité de Salut Public avait réparti le pays en départements, tant son annexion était certaine à l'avance. Les principes suivant lesquels ils furent constitués sont naturellement ceux qui, en 1789-1790, avaient présidé à la nouvelle division du territoire français. On considéra la surface à répartir entre eux comme une table rase et les limites départementales furent tracées comme si, avant elles, rien n'avait existé sur la carte. Les noms féodaux des provinces disparurent avec les provinces elles-mêmes auxquelles furent substitués neuf départements. On inséra dans quelques-uns d'entre eux les territoires cédés le long de l'Escaut et de la Meuse par la République des Provinces-Unies. Le département de Jemappes, chef-lieu Mons, engloba le Tournaisis avec la plus grande partie du comté de Hainaut et les contrées ci-devant liégeoises qui y étaient enchevêtrées; celui de la Dyle, chef-lieu de Bruxelles, comprit le sud du duché de Brabant; le nord du même duché, plus la principauté de Malines, constituèrent celui des Deux-Nèthes, chef-lieu Anvers; celui de l'Escaut, chef-lieu Gand, et celui de la Lys, chef-lieu Bruges, furent découpés dans le comté de Flandre et la bande de territoire qu'avaient possédée les Provinces-Unies au sud de l'Escaut fut ajoutée au premier d'entre eux; celui de la Meuse-Inférieure, chef-lieu Maestricht, et celui de l'Our-the, chef-lieu Liège, furent formés de parties du duché de Limbourg, du Limbourg hollandais et de la principauté de Liège, la petite principauté abbatiale de Stavelot-Mal-médy étant attribuée tout entière à celui de l'Ourthe; le duché de Luxembourg avec des lambeaux du territoire liégeois forma celui des Forêts, chef-lieu Luxembourg; celui de Sambre-et-Meuse, chef-lieu Namur, fut un composé de régions appartenant jadis au comté de Namur, à la principauté de Liège, au duché de Brabant et au duché de Luxembourg. Lorsque, le 26 octobre 1795, le duché de Bouillon, enlevé par Louis XIV à l'évêque de Liège au profit de la maison de La Tour d'Auvergne, fut à son tour réuni à la France, son territoire vint accroître ceux des départements des Forêts, de Sambre-et-Meuse et des Ardennes ( 1 ). Il est intéressant de constater que la division départementale modifia somme toute moins complètement la physionomie de la Belgique qu'elle n'avait modifié celle de la France. Les commissaires du Comité de Salut Public furent bien obligés de placer les centres de la nouvelle organisation dans les villes qui, depuis des siècles, étaient les foyers principaux de l'activité sociale et économique. Les nécessités de la vie l'emportèrent sur les combinaisons de la politique. Le caractère essentiellement urbain du pays le sauva d'une perturbation totale. Dépouiller ses grandes villes de leur importance traditionnelle, c'eût été rendre impossible le fonctionnement de l'administration qu'on lui imposait. Il fallut les adopter comme chefs-lieux des départements, si bien que l'édifice républicain construit sur les ruines de l'Ancien Régime, reposa sur les mêmes colonnes qui avaient soutenu ce dernier et par cela même fut obligé dans une large mesure d'en conserver les dispositions principales. Cela explique sans doute la facilité avec laquelle les habitants s'accoutumèrent à leur nouvelle demeure. Elle était en réalité bien plus commode que l'ancienne. De bonne heure ils apprécièrent la simplicité et la régularité de son plan. Sans violenter leurs habitudes, elle leur apportait l'inappréciable avantage de pouvoir aller et venir par le pays comme dans un appartement de plain-pied. La circulation y était aussi aisée qu'elle avait été pénible jadis. C'en était fait de cet enchevêtrement bizarre de frontières et de ces enclaves dont on sentait mieux les inconvénients maintenant qu'on en était affranchi. L'archaïsme suranné de l'ancien système contrastait trop avec le caractère pratique et rationnel du nouveau pour qu'il fût possible de le regretter. Sa disparition fut définitive. De toutes les innovations auxquelles la République française devait initier la Belgique, l'organisation départementale se présente non seulement comme la première en date, mais comme la plus durable. Les retouches qui lui furent apportées dans la suite se bornent à bien peu de chose. Encore ne proviennent-elles point du désir de l'améliorer, mais de considérations ou de nécessités politiques. Il en fut ainsi par exemple de l'agrandissement du département des Deux-Nèthes, lors de l'annexion de la Hollande à l'Empire français, et des modifications que les traités de 1815 apportèrent aux département de l'Escaut et de l'Ourthe qu'ils amputèrent, celui-ci des territoires cédés à la Prusse, celui-là de la Flandre Zélandaise qu'il fallut rendre au prince d'Orange. La délimitation des départements fut exclusivement l'oeuvre des commissaires du Comité de Salut Public. Us ne tinrent pas compte des quelques protestations qu'elle souleva sous l'influence d'un particularisme mal avisé ou de la passion politique. C'est ainsi qu'ils écartèrent le vœu formulé dès le mois de juin 1793 par les jacobins franchimontois de former avec Aix-la-Chapelle et les pays de Stavelot et de Logne, un département dit des Eaux-Minérales, afin d'éviter leur union avec les Liégeois, qu'ils traitaient de brisso-tins, de girondins et de modérés. De même que les départements avaient été formés du démembrement des anciennes provinces, de même leurs cantons se partagèrent les débris des seigneuries, châtel-lenies, bailliages, ammanies ou quartiers, dont elles se composaient. Il y en eut 30 dans la Dyle, 41 dans l'Escaut, 28 dans les Forêts, 32 dans Jemappes, 36 dans la Lys, 23 dans la Meuse-Inférieure, 21 dans les Deux-Nèthes, 32 dans l'Ourthe, 21 dans Sambre-et-Meuse, qui furent groupés en arrondissements. Ainsi demeurèrent constitués, sauf de légères retouches postérieures, les. «neuf départements réunis» qui vinrent s'adjoindre en 1795 aux 85 départements de la République. Privée des antiques circonscriptions sur lesquelles elle était construite et qui délimitaient sa compétence et ses pouvoirs, l'organisation politique, administrative et judiciaire de la Belgique s'effondrait tout entière. La France n'avait plus qu'à prolonger la sienne sur le pays qu'elle venait d'adapter à son fonctionnement. LE REGIME TRANSITOIRE. - Ce n'est certainement pas le hasard qui a fait coïncider, avec les diverses phases de la conquête des provinces belges, autant de Façade de la préfecture du département de l'Ourthe à Liège. Cet ancien hôtel, bâti en 1775 par l'architecte liégeois Barthélémy Digneffe (1724-1784) pour la famille de Havme de Bomal. fut considéré comme bien d'émigré à la Révolution française et affecté comme logement aux représentants du peuple le 16 août 1795, 11 devint le siège de la préfecture du département de l'Ourthe en 1800. Bonaparte y séjourna à deux reprises : avec foséohine (1" et 2 août 1S03) puis avec Marie-Louise (7 novembre 1811). Parmi les hôtes de marque? on cite le maréchal Blucher (2 mai 1815). le roi Guillaume I» (1817. 1819, 1829), le prince et la princesse d'Orange (21 novembre 1818). L'hôtel abrite actuellement le musée d'armes de la ville de Liège. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms II 1492, t. III, fol. 134.) Fête célébrée à Anvers le 7 septembre 1795 à l'occasion de l'annexion de la ville au territoire de la République française. Aquarelle coloriée de P.-A.-J. Qoetsbloets extraite de ses Tydsgebeurtenissen. Sur le contenu et la valeur de ce recueil, voyez plus haut p. 320. transformations dans le régime intérieur de la République. Leur première invasion est contemporaine de la suspension de Louis XVI et de la suppression de la royauté; leur perte après Neerwinden, du gouvernement révolutionnaire; leur occupation après Fleurus, de la chute de Robespierre et de la fin de la Terreur; leur réunion enfin, de la Constitution de l'an III et du Directoire. Ce curieux parallélisme atteste l'extraordinaire importance attribuée par la France révolutionnaire à la possession de la Belgique. Pour s'en emparer, elle a bandé tous les ressorts de son énergie et recouru aux plus extrêmes mesures de salut public. Au moment où elle est arrivée au but de ses efforts, sa fièvre se calme et elle se donne, dans ses frontières agrandies, l'organisation politique par laquelle s'achève la Révolution. Car avec la Constitution de l'an III (22 août 1795) s'arrête la poussée démocratique qui, depuis 1789, n'avait cessé de grandir. Il n'est plus question de « régénérer s la nation, mais de l'organiser. On veut maintenant fonder les droits de l'homme sur un régime stable et, si l'on peut dire, conservateur. On se défie autant des royalistes que des « anarchistes », et la propriété est déclarée la base de l'ordre social. C'est par ce régime nouveau, entré en vigueur quatre semaines après sa réunion à la France, que la Belgique a été initiée à la Révolution. Celle-ci commence pour elle au moment où elle se clôt en France. Mais comment eût-il été possible de lui appliquer de but en blanc la Constitution de l'an III ? Depuis Jemappes rien ne l'y avait préparée; le seul résultat des crises qu'elle avait traversées avait été de la désorganiser et de l'exploiter. Du nouvel ordre des choses elle ne connaissait encore que les violences qu'il lui avait prodiguées. Sans doute, il ne pouvait plus être question d'abandonner les habitants, devenus citoyens français, aux rigueurs de l'occupation militaire. Mais les soumettre brusquement à toutes les lois de la République, c'eût été bouleverser de fond en comble leur organisation politique et leur organisation sociale, puisque ces lois innovaient également dans tous les domaines et qu'elles transformaient aussi profondément le droit privé que le droit public. On se décida à n'avancer que par étapes et à ne détruire qu'au fur et à mesure que l'on édifierait. Le 5 octobre 1795, un arrêté des représentants déclara que les « pays réunis » continueraient d'être gouvernés « sur le pied actuel » en attendant que les nouvelles lois de la République y fussent proclamées. A vrai dire, le « pied actuel » c'était le chaos. Depuis Fleurus, on avait improvisé au gré des circonstances. Les représentants s'étaient contentés de jeter par-dessus les anciennes institutions une administration provisoire fonctionnant tant bien que mal en marge de l'occupation militaire. Nul effort de coordination. Les anciens impôts subsistaient côte à côte avec les réquisitions; les cours de justice conservaient un reste d'existence et les vieilles institutions municipales fonctionnaient toujours. Ni les confréries religieuses, ni les corporations de métiers, ni les bailliages et les châtellenies n'avaient été supprimés. En attendant mieux, ils rendaient encore quelques services et garantissaient contre l'anarchie. Après un premier moment de confiscations hâtives, il avait fallu revenir en arrière. Les dîmes avaient été rétablies et les revenus des communes remis à la disposition de celles-ci (2). Le décret du 1er octobre imposait l'obligation de substituer à ce désordre l'organisation républicaine dont les départements devaient former les cadres. C'était une tâche singulièrement difficile. Il ne fallait point compter sur l'appui de la nation. Dans toutes les classes, elle était mécontente, soupçonneuse, aigrie ou décidément hostile. Les commerçants capitalistes, les entrepreneurs industriels enrichis par le renouveau économique du XVIII" siècle et qui, au début, en Belgique comme en France, avaient applaudi à la Révolution et à la chute de l'Ancien Régime, étaient ruinés et désillusionnés. Aucun de leurs espoirs ne s'était réalisé. La réouverture de l'Escaut, si pompeusement proclamée, n'avait servi de rien, puisque les Anglais tenaient la mer et bloquaient l'embouchure du fleuve. La réunion du pays à la France ouvrait bien à l'industrie belge l'immense marché de la République, mais elle lui fermait en même temps les Provinces-Unies, l'Allemagne et tous ses débouchés traditionnels. Les bureaux de douanes que l'on se hâtait d'établir sur les frontières la soumettaient à un régime tout nouveau, qui n'était pas fait pour elle et qui l'emboîtait de force dans le cadre économique de la France. D'ailleurs les réquisitions, le maximum, les nécessités de l'occupation militaire avaient étouffé les derniers restes du commerce. Les capitaux se cachaient, les matières premières n'arrivaient plus. Seuls l'agiotage et la contrebande alimentaient un trafic aléatoire, illégal et clandestin. La situation était d'autant plus critique que l'on n'avait pas confiance dans sa durée. L'Autriche n'avait pas renoncé à la possession de la Belgique. La guerre se pro- longeait avec des chances diverses et rien ne pouvait garantir qu'une fois de plus, les armées impériales ne réapparaîtraient pas dans le pays. Sans doute, la vieille fidélité dynastique avait disparu depuis la révolution brabançonne. Sauf quelques familles de la haute aristocratie, et quelques anciens fonctionnaires, personne ne souhaitait le retour de François II. Il n'y avait pas en Belgique comme en France un parti royaliste. Si la nation eût été maîtresse de ses destinées, elle se fût* certainement constituée en république comme elle l'avait fait en 1790 et comme elle l'avait essayé trop tard en 1792. Rien n'était changé à cet égard. Au lieu que la maison de Habsbourg fût, comme était en France la maison de Bourbon, le centre de ralliement de tous les mécontents et l'espoir des conservateurs, on n'éprouvait pour elle que froideur sinon hostilité. L'insignifiance de l'émigration en donne la preuve frappante. La liste des émigrés publiée en l'an III dans le département de la Dyle ne comprend qu'un peu plus de trois cents individus, presque tous grands seigneurs, employés de la cour ou de l'administration; celle du département des Deux-Nèthes n'en renferme qu'une centaine, parmi lesquels dix-sept religieux anglais (3). ETAT DE L'OPINION. — Mais si la grande majorité des Belges ne voulaient pas redevenir « autrichiens », ils ne voulaient pas non plus, et peut-être voulaient-ils moins encore devenir français. Appauvris, froissés et humiliés par la conquête, ils regrettaient l'autonomie dont ils avaient joui avant elle. C'était un moyen de protester contre le régime que l'on subissait, que de se targuer de loyalisme. Faute de mieux, les « malveillants » criaient « Vive l'empereur ». Quelques agents autrichiens, d'ailleurs, se glissaient dans (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) Charles Jacquemin dit Charles de Loupoigne, chef des partisans insurgés contre la France de 1795 à 1799. Né à Bruxelles le 14 mars 1761, ce partisan du régime autrichien est interné à Charleville à la fin de 1794, d'où il s'échappe et regagne Bruxelles au début de l'année suivante. Dès février 1795 il recrute des jeunes gens à Alost et dans les environs, au nom de l'empereur. Interné à Doullens, 11 s'échappe à nouveau. Le « cousin Charles » s'installe alors à Loupoigne. rassemble des partisans, les exerce au maniement des armes et leur fait prêter serment de fidélité à l'empereur. Jacquemin et ses adhérents voient leurs rangs grossir : la jeunesse, le clergé, les agriculteurs et les petits bourgeois leur sont favorables et se mettent à leur service. Ils rassemblent ces soldats de fortune dans la forêt de Soignes et lancent des appels à la révolte sous la signature du Lion Belgique. En Brabant, en Flandre, dans le Hainaut et le Namurois, leur appel est entendu. Dans la nuit du 3 au 4 janvier 1796, ils s'emparent de Genappe par surprise, tandis que la révolte gronde à Nil-Saint-Martin, Frasnes, Gosselies, Nivelles et Braine-I'Alleud. Pendant toute l'année 1796, Charles de Loupoigne recrute des partisans dans le Brabant wallon et à Louvain. De 1797 à 1799, les coups de main se succèdent un peu partout dans le Brabant; dans la nuit du 20 au 21 juillet 1799, Loupoigne et une poignée de patriotes s'avancent même jusqu aux portes de Bruxelles. Trahi par deux recrues engagées contre leur gré, il est tué par une patrouille française le 30 juillet dans un vallon situé le long de l'Yssele, entre Huldenberg et Loonbeek, et appelé aujourd'hui encore Char-loupogne'sdelle (vallon de Charles de Loupoigne). Sa tête fut portée à Bruxelles où elle fut enterrée sur le rempart de la Porte de Hal. — Le portrait en miniature reproduit ci-dessus provient de la veuve du chef des partisans. le pays, y répandant des bruits inquiétants sur la situation militaire, y distribuant de l'argent. Le moindre échec des armées républicaines était grossi et relevait les courages. Les fonctionnaires se sentent entourés d'une hostilité qui leur fait craindre parfois une « nouvelle Vendée » ou des « Vêpres siciliennes ». Ils signalent avec indignation les affiches « incendiaires » que des inconnus placardent sur les murs et qui « jettent le refroidissement dans le cœur de nos amis» (4). Mais l'occupation est trop rigoureuse pour qu'un soulèvement soit possible. La trahison de Pichegru (31 décembre 1795) et un peu plus tard les succès de l'archiduc Charles sur le Rhin, ne provoquèrent que des coups de mains isolés et sans portée. Le 3 janvier 1796, un ancien soldat au service de l'Autriche, Charles de Loupoigne dit (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Louis-Ghislain de Bouteville du Metz (Albert, 1756-Paris, 1826). Elu par le bailliage de Péronne aux Etats généraux de Versailles (1789). membre de la Constituante, administrateur du département de la Somme, agent national à Liège, commissaire du directoire exécutif dans le département de POurthe, Bouteville exerça les fonctions de commissaire général des départements réunis, du 21 décembre 1795 au 15 février 1797. Plus tard, il devint membre du tribunal de cassation, juge à la cour Impériale d'Amiens et membre de la chambre des députés en mai 1815. — Portrait gravé par Wilbrode Courbe (fin du XVIII'-début du XIX» siècle), principal graveur de la collection des portraits des députés de l'Assemblée Nationale, d'après Charles-Toussaint Labadye (seconde moitié du XVIII» siècle). que lui-même professe et affirme en toute occasion. Pour la plupart des agents français, c'est un scandale insupportable que de « voir encore des moines promener leurs frocs dans les communes », et de tolérer « l'impudeur des prêtres qui portent avec clochettes, ombrelle et huit torches le viatique en plein jour ». L'administration centrale de l'Escaut écrit au ministre de l'Intérieur que « l'attachement à tout ce qui fait la domination des prêtres est porté jusqu'au fanatisme le plus hébété et le plus opiniâtre » (7). Et ce dépit s'augmente encore de constater que personne n'observe le repos du décadi, que l'on n'emploie pas le calendrier républicain et que les fêtes nationales n'ont d'autre assistance que les militaires et les enfants des écoles qui y viennent par ordre. Même insuccès pour les représentations patriotiques et républicaines organisées dans les théâtres. Y joue-t-on au contraire une pièce antijacobine, les spectateurs affluent aussitôt (8). La presse ou pour mieux dire ce qui subsiste de la presse, ne cache pas son hostilité au régime (9). A Liège, le Troubadour de Delloye le crible d'allusions et de brocards. Le Républicain du Nord, fondé à Bruxelles en décembre 1795 par Lambrechts, commissaire du directoire du département, rédigé par Norbert Cornelissen et dont il paraît deux fois par décade des résumés en flamand destinés aux campagnes, ne se soutient qu'à coups de subventions officielles. L'emprunt forcé, décrété moins de trois mois après la réunion du pays, paraît d'autant plus insupportable qu'il est exigé des habitants à titre de citoyens français. Si l'opposition est profonde et générale, elle n'est pourtant pas très dangereuse parce qu'elle manque de centre. Mais il est presque impossible de vaincre la résistance passive et l'apathie voulue par lesquelles elle déconcerte, en échappant à ses prises et en évitant tout éclat, l'action des pouvoirs publics. Pour le seconder dans une tâche que rend encore plus malaisée son ignorance des gens et des choses dans ce pays mécontent, le gouvernement ne peut compter que sur un bien petit nombre de collaborateurs ralliés à ses principes : anciens joséphistes, comme Lambrechts, prêtres défroqués, comme Rouppe, démo- 0ÉCLARATION Des débits 'et des devoirs de fhommt ■ r Q i çijdur qftycni «■ j Le Peuple Françail'proclame, en présence île l'Etre-Sopréme, Il dédarstioo, suivante det :dfèiti et des "devoirs de- , l'homme et du ùtçytp. * DROITS. Article Prekur. Les droits de l'MBkt en société sont : la liberté,l'égal*, lalflreté, la propriété. II. La liberté consiste i pouvoir faire ce qui ne n«tt pw aux'-droiti d'autrui. III. L'égitkt consistées ce que la loi est la même peur ma s, soit qu'elle protège , soit qu'fllç punisse. • L'égalité n'admet' aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs. , IV. La sûreté résulte du concours da tous pour assurer les droits de chacun. V. La propriété est le droit de jçîuir -t de disposer de ses tiens, de ses revenus, du fruit de son travail etde-son industrie. VERKJjAERINGE • Der rechttnen plichten von de» mensch en van tien borner., ' Hit Frarscke Volk verkonditt, in tegenwoofdigheyd van hetOpper-wcjen, de volgend» ..wkUertnge der reèhten en plichten van den mensch en' van den bùger. - - R E C H T E Ni, y\ Eer«t*k Artïekel, ■ De rechten van den mensth In vante* ming, eyn : de vrybeyd, de gelykheyd, te veyllgheyd, den sygendotn. - II. De vryheyd bestaet In te mog doen het géne aen de rechten vaà' e ander |een schaede toebwngc;' . r III. De gelykheyd bestaec hlar iri, du de wet eene en de aelve is vitor een-ider , het ay in'c beichermen, hec ay in M; strafien. De gelykheyd herkentgeen ondetscheyd vin geboorte, geene erfenis van riackteo- IV. De veyligheyd volgt uyt de lame)» , vetkinge von aile, om de rechten vaneik in>s beaonder te verielteren. (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Musée.) Exemplaire bilingue de la « Déclaration des droits et des devoirs de l'homme et du citoyen », imprimé à l'intention des populations flamande et francophone de Belgique (an IV). (Mons, Archives de l'Etat, Cartes et Plans n» 859.) (Cliché Lefrancq.) Projet d'élévation d'un autel à la Liberté à l'occasion d'une fête décadaire à Mons. Dessin approuvé par quatre administrateurs de la municipalité de Mons le 5 messidor an VI (23 juin 1798) « avec Invitation au citoyen Mambour d'exécuter ce plan promptement ». Jacquemin, entre à Genappe à la tête d'une bande de quarante à cinquante hommes et au cri de « Vive l'Empereur » y abat l'arbre de la liberté, y foule aux pieds la cocarde tricolore, puis se retire en enlevant, outre cent quatre chevaux, le frère de l'un des administrateurs du département. En automne, des désordres sont signalés à Affli-ghem et dans diverses communes des environs de Bruxelles. L'opinion, si elle n'ose prendre ouvertement parti pour les révoltés, leur est évidemment favorable. Le jury acquitte systématiquement ceux d'entre eux que les autorités françaises sont bien obligées de traduire devant les tribunaux (5). Le sentiment public est tellement mauvais que, malgré l'insécurité générale et le nombre croissant des bandits et des « chauffeurs », le Directoire refuse, au mois de mai 1796, d'organiser dans le pays des gardes nationales. On n'ose même permettre aux habitants de faire des patrouilles. En revanche, un des premiers soins du gouvernement est d'organiser la gendarmerie. Le 17 novembre 1795, le général Wirion est placé à sa tête. Dès le milieu de l'année suivante, elle comprend 200 brigades de cinq hommes et son action est d'autant plus efficace qu'elle se compose presque exclusivement de Français et que la population est désarmée (6). Plus que tout le reste, le mépris affiché par les fonctionnaires et les soldats pour le clergé et pour le culte catholique irrite et aigrit le peuple. Le Directoire a beau recommander de ménager « les préjugés des Belges », il ne peut empêcher chez ses subordonnés, et moins encore parmi les troupes, les manifestations d'un anticléricalisme (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Caricature allégorique d'inspiration anticléricale : le pressoir. Deux soldats poussent un ecclésiastique ventru en direction d'un pressoir où quelques membres du Tiers-Etat sont en train de « presser » un de ses confrères. Au second plan, un abbé et un moine, longs et maigres, qui viennent de subir l'épreuve, prennent le ciel à témoin de leur aventure. — Gravure coloriée anonyme de l'époque révolutionnaire. crates convaincus, comme les Bassenge. Encore sont-ils eux-mêmes en butte à la haine déclarée des jacobins auxquels le Directoire se montre de plus en plus hostile et que la phraséologie à la mode taxe d'anarchistes. Peu nombreux, ils sont actifs et remuants et, dans les contrées industrielles du pays de Liège où la crise économique exaspère les esprits, il semble bien que plusieurs d'entre eux adhèrent au communisme de Babeuf. Dès avant même l'entrée en fonctions du Directoire, la Convention, deux jours avant de se séparer, avait confié la mission de républicaniser et de moderniser le « peuple égoïste et mécontent de tout gouvernement », qu'elle venait d'annexer, à deux de ses membres : Portiez de l'Oise et Pérès de la Haute-Garonne (24 octobre 1795). Ils appartenaient au parti que la réaction de thermidor avait appelé à la direction des affaires. Avec tant d'autres, ils considéraient la Révolution comme terminée et que la grande affaire était maintenant d'organiser l'Etat, quand bien même l'Etat cesserait d'être républicain. Pérès, après avoir été préfet de Sambre-et-Meuse, devait mourir baron de l'Empire et Portiez, doyen de la Faculté de droit de Paris. Leur consigne était de rallier la Belgique au gouvernement et de se méfier des « anarchistes ». Ils eurent à cœur de s'inspirer surtout de ce dernier point et encoururent le reproche d'avoir redouté beaucoup plus les « satellites de Robespierre que ceux de Stoffel et de Cha-rette » (10). Leurs fonctions de Commissaires de la République auprès du Conseil de gouvernement siégeant à Bruxelles ne durèrent d'ailleurs que quelques semaines. Le Direc- toire leur substitua, dès le 22 novembre 1795, un titulaire nommé par lui : le citoyen Bouteville (11). ADMINISTRATION DE BOUTEVILLE. - Il avait fait son apprentissage en qualité d'agent national auprès de l'administration d'arrondissement de Liège. C'était un homme actif, zélé, plein d'idéalisme républicain, également ennemi des « tyrans » et du « fanatisme ». A ses yeux, les « sectaires du culte catholique » ne sont que des « imbéciles » et des « raisons faibles », les tenants de l'Ancien Régime, que des «troupeaux d'esclaves» (12). Mais s'il parle encore comme Publicola Chaussard, il agit tout autrement. Son mépris pour la « superstition » ne l'empêche pas d'exiger qu'on en respecte les manifestations extérieures (13). Il ne prétend pas imposer les droits de l'homme, mais les faire aimer. Il voit dans les Belges de « nouveaux frères » qu'il faut traiter avec bienveillance. Il recommande à la sollicitude du Directoire « le ci-devant Liégeois, amant idolâtre, et le ci-devant Belge, ami aussi sage que solide de la liberté ». Il ne se dissimule pas d'ailleurs « qu'une grande partie des habitants, toujours aveuglés par le fanatisme, déteste le gouvernement républicain » (14). La besogne qui lui incombait était formidable. Il fallait fournir de leur personnel les administrations départementales, les tribunaux, les municipalités. Conformément à la constitution de l'an III, ce personnel était électif. Mais il était trop certain que les électeurs n'eussent choisi que des opposants, et le Directoire avait prudemment confié à Bouteville le soin de désigner, sous son approbation, les M UNLJMITED DEMO CRAC Y, or, the ACTIVE power of France Ucconciltnff contcntfinsf Parties \y a. ftenertl HVft ontte 7W_ peine désignés, envoyaient leur démission. Des personnes qui avaient accepté la veille refusaient le lendemain. Les municipalités faisaient attendre indéfiniment les listes des candidats qui leur étaient demandées. Parmi ceux qui se présentaient spontanément, se glissaient des « anarchistes, les plus mortels ennemis de la liberté ». Il fallait les écarter avec la certitude d'encourir leur rancune et d'être dénoncé par eux comme fauteur des ci-devant et instigateur d'une nouvelle Vendée. Et à tout cela s'ajoutaient encore les directives envoyées de Paris par le ministre de la police, les conflits provoqués sur place par l'autorité militaire, les observations ou les remontrances du Directoire sur les frais de bureau et de déplacements du malheureux commissaire. L'administration alla jusqu'à lui retirer la disposition de l'hôtel d'Arenberg où on l'avait tout d'abord logé à Bruxelles et à exiger de lui une reddition de comptes assez humiliante. Au milieu de tant de déboires, il continuait pourtant à faire de son mieux, passant jours et nuits en correspondances ou en conférences, mais non sans ressentir cruellement les morsures de la « dent d'acier » de la calomnie ». Vers la fin de l'année, en dépit de tous les obstacles, il était arrivé au bout de sa tâche. La nouvelle organisation est constituée et ce qui subsistait encore de celle de l'Ancien Régime a vécu. Au chef-lieu de chaque département, siège « l'administration départementale » composée de cinq membres flanqués d'un « commissaire du gouvernement ». Les municipalités fonctionnent. Il en existe une dans toutes les communes de plus de cinq mille habitants. Les autres sont groupées en « administrations municipales de canton » où chacune d'elles délègue un « agent municipal ». Un « commissaire national » représente le gouvernement auprès de chaque municipalité de ville ou de canton. Dans chaque canton, la justice est rendue par un juge de paix. Au-dessus d'eux il y a par département un tribunal criminel, un tribunal civil et de trois à six tribunaux correctionnels. INTRODUCTION DE LA LEGISLATION FRANÇAISE. — A cette machine toute neuve, il appartient hommes chargés d'initier les Belges au fonctionnement des nouvelles institutions. Que d'obstacles à surmonter pour mener à bien cette tâche au milieu d'une population soupçonneuse et hostile ! A qui se fier pour trouver des hommes sûrs ? Comment faire entrer au service de la République des gens qui, soit par scrupules de conscience, soit par crainte de se compromettre, se refusaient à accepter aucune fonction ? Dans le pays flamand, la langue compliquait encore les difficultés. Il était même impossible d'en appeler à l'intérêt pour amadouer les récalcitrants. Car les fonctions municipales étaient gratuites, et les traitements des juges et des administrateurs départementaux, trop modiques pour séduire personne, étaient en outre payés avec une irrégularité déplorable. Le pauvre Bouteville voyait son travail se défaire à mesure. Sauf dans le département de l'Ourthe, les titulaires à (Cimetière de la commune de Vieux-Ville, prov. de Liège, arrond. Huy.) (Cliché A.C.L.) Tombe d'E.-J. Regnier, accusateur public près le tribunal criminel de Liège sous la Convention et sous le Directoire. "j^L Um ^ amx>tkrr or yu, euro Uo m rvtlL 0W fiewjjlw-: (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Estampe satirique anglaise d'inspiration antirévolutionnaire (1792). « Une démocratie illimitée ou le pouvoir actif de la France (personnifiée sous les traits de Lucifer) réconciliant les partis opposés par une embrassade générale » (An unlimited democracy, or the active power of France reconciling contending Parties by a général Hug...) Lucifer déclare : « Embrassez-moi d'abord, ensuite embrassez-vous, ou vous êtes damnés ici aussi bien que plus tard (c'est-à-dire dans l'autre monde ) » (First embrace me, then buss one another or you are dam'd here as well as hereafter). L'estampe a été éditée Castle Street, Leicester Fields, le 23 juillet 1792. d'appliquer les lois votées en France puisqu'elles sont devenues celles de la Belgique. Elles sont innombrables et touchent à toutes les parties de l'ordre social. C'est pourquoi il importe de ne les promulguer qu'« avec une sage lenteur ». Il en est de tout à fait essentielles et qu'il faut introduire immédiatement. Pour d'autres, qui heurteraient trop brutalement les « préjugés » du peuple, on attendra qu'il les puisse recevoir sans dommage. Le Directoire s'inspire en ceci d'un opportunisme qui tient compte plus encore de l'intérêt de la France que de celui des départements réunis. Plus ils sont précieux, plus il convient de les ménager. « Si nous ne savons pas nous assurer la mine féconde que la ci-devant Belgique nous ouvre, écrit Bouteville, alors et seulement alors pourrions-nous concevoir de véritables craintes sur le salut de l'affermissement de la République », et plus loin il affirme que « la ci-devant Belgique est la véritable ressource pour la restauration de nos finances» (15). La promulgation commença au mois d'octobre 1795. Elle débuta naturellement par les lois qui, dès l'origine de la Révolution, avaient sapé les fondations de l'Ancien Régime. La Belgique eut sa nuit du 4 août par voie d'arrêtés. Les plus « bienfaisantes » des lois françaises, c'est-à-dire celles qui abolissent la féodalité, les dîmes, le retrait ligna-ger, les substitutions, les maîtrises et les jurandes y furent coup sur coup décrétées. Nul effort d'ailleurs pour les adapter aux particularités locales du pays. La nomenclature des droits féodaux supprimés en comprend quantité dont on n'avait jamais entendu parler en Belgique et n'en mentionne pas d'autres qui y existaient. Evidemment, c'est le principe seul qui est en cause. L'ancien édifice féodal saute en l'air comme par un coup de mine. La destruction de la noblesse, des corporations de métiers, des entraves que le droit coutumier impose à la mobilité du sol est aussi brutale qu'elle est nécessaire à l'établissement de l'ordre nouveau. On touche ici aux « bases fondamentales de la constitution française ». Nul ménagement, nul régime transitoire n'est admissible en (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Calendrier républicain pour l'an II (22 septembre 1793-21 septembre 1794). Un décret du 5 octobre 1793 fixa le point de départ de l'ère républicaine à la date de la proclamation de la République, soit le 22 septembre 1792. L'année républicaine compte 365 jours. Tous les quatre ans (sextile) on ajoute un 366° jour. Cette période de quatre ans s'appelle la franciade. L'année est divisée en 12 mois de 30 jours, suivis de 5 jours complémentaires, le jour de la Révolution formant un sixième jour complémentaire dans les années dites sextiles. Le mois est divisé en trois décades de 10 jours. Les mois portent les noms de vendémiaire, brumaire, frimaire (automne), nivôse, pluviôse, ventôse (hiver), germinal, floréal, prairial, (printemps), messidor, thermidor, fructidor (été), et les dix jours : primidi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi, decadi. Le jour est divisé en 10 heures, chaque heure en 100 minutes, chaque minute en 100 secondes. Le calendrier républicain fut aboli par sénatus-consulte du 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805) à dater du 11 nivôse an XIV (1er janvier 1806) au profit du calendrier grégorien. — L'inscription qui figure au bas de la gravure porte : Sur un sommet élevé, la Philosophie, assise sur un siège de marbre décoré des images de la Nature féconde, et ayant pour Diadème le bonnet de la Liberté, foule à ses pieds les gôthiques monumens (sic) d'erreur et de superstition sur lesquels étoit fondée l'ignorante et ridicule division des tems (sic) et puise dans le grand livre de la Nature les principes et les dénominations du nouveau Calendrier que, près d'elle, un génie atentif (sic) à sa voix trace sous sa dictée. De l'autre côté sont ses divers attributs, tels que le livre de Morale, la Règle et un Niveau, emblème de l'Egalité. Œuvre de Louis Debucourt (Paris, 1755-1832). faveur d'institutions dont il est indispensable tout d'abord de déblayer le terrain. Dès qu'elles ont disparu, c'est-à-dire dès que tous les groupements juridiques, sociaux et professionnels qui protégeaient les individus contre l'emprise de l'Etat sont anéantis et que la propriété, affranchie des survivances du droit coutumier, n'est plus qu'une cho9e commerçable, l'œuvre de reconstitution commence. Le 15 décembre 1795, est publié le Code des délits et des peines qui remplace, par l'uniformité de la législation, la variété des coutumes et des jurisprudences. Le régime liberte. (Mons, collection M. A. Arnould.) (Cliché Lefrancq.) Droit de la carte civique délivrée à François-Jacques Van Overstraeten, citoyen bruxellois, le 26 pluviôse an VI (14 février 1798). Le droit présente un losange composé de deux triangles, le premier de couleur rouge, le second de couleur bleue et portant le cachet de l'administration municipale du canton de Bruxelles. financier qu'a inauguré, le 8 octobre de la même année, la suppression de toutes les douanes intérieures, se complète, le 20 décembre, par l'application au pays du tarif douanier français. Le 30 décembre, le système nouveau des impôts est introduit par les lois sur le timbre et l'enregistrement; le 16 juin 1796, la contribution foncière substitue aux irrégularités et aux inégalités du passé « une contribution sage, régulière, commune à tous les biens, égale à tous les citoyens, proportionnée à leurs revenus et n'admettant aucun privilège». Le 25 août 1796, apparaît la loi des patentes en matière de commerce et d'industrie. Enfin, le 14 novembre 1796, les anciennes impositions directes, aides, subsides, tailles, etc., sont abolies et les impôts de la République établis à leur place « pour faire jouir les départements réunis de la constitution française dans toute sa plénitude ». En même temps, l'état des biens et celui des personnes sont remaniés conformément aux principes républicains. Le 15 février et le 22 mai 1796, on promulgue les lois organiques du régime hypothécaire et du notariat. Le 17 juin est institué l'état civil et avec lui le divorce par consentement mutuel. Ainsi, de même que la terre est arrachée à la féodalité, l'homme l'est à l'Eglise. L'Etat dépouille la religion du contrôle qu'elle avait exercé jusqu'alors sur la vie humaine par les sacrements qui président à la naissance, au mariage et à la mort. La société dépouille son caractère catholique et l'Etat y assigne la même place au croyant, à l'hérétique ou au dissident. L'histoire de chaque famille se trouvait jusqu'ici dans les sacristies; la voici confiée aux archives municipales. L'Etat désormais ignore le prêtre. Dans le même temps où il rompt avec l'Ancien Régime il sort de l'Eglise. Sans doute, il ne la détruit pas; il se borne à la confiner dans la sphère des intérêts religieux et lui défend d'em- SITUATION DU CLERGE. ~ Mais il est indispensable encore de soumettre le clergé à la surveillance de la police. On ne peut lui laisser, chez les nouveaux Français, une situation qu'il a perdue chez les anciens. L'opération est délicate, car il est populaire, respecté et aussi influent que le peuple est religieux. La loi du 21 février 1795 sur la liberté des cultes ayant virtuellement supprimé la constitution civile du clergé, celle-ci ne fut pas introduite en Belgique. On se contenta provisoirement d'y imposer (6 décembre 1796) la disposition de la loi du 7 vendémiaire an IV, interdisant de paraître en public « avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses ou à un ministre d'un culte ». Au reste, on ferma les yeux sur son application. Durant les premiers temps du Directoire, les prêtres séculiers furent traités avec une modération relative. Mais il n'en pouvait aller de même pour les réguliers. La Constitution de l'an III ne reconnaissait « ni voeux religieux, ni aucun engagement contraire aux droits naturels de l'homme », les condamnait à disparaître. Au surplus, tous les « amis de la Liberté » insistaient sur l'urgence de mettre à la raison ces suppôts du « fanatisme » et de la superstition. Joseph II n'avait-il pas déjà porté la hache dans les couvents inutiles ? La République ne pouvait évidemment se refuser à achever l'œuvre commencée par un « despote ». Le 1" septembre 1796, toutes les maisons conventuelles des neuf départements réunis étaient supprimées mmœm. z^:.'".^-" 1 .-f;;-r--rwrgrwriTrww--"--r-tirnii^, REPUBLIQUE FRANÇAISE. EGALITE. 0 u.'. âllTE CIVI du Citoyen ^van t!* & de la n inscrit sur le tableau iruxgll taille de sourcils. , yeux touche /fa/ry ^"menton il est domicilié Me «gé de &. pouces, '«Iiovouk , nez . front .!3JIÉ)w4I■wV" (Cliché Lefrancq.) (Mons, collection M. A. Arnould.) Revers de la carte civique délivrée à François-Jacques Van Overstraeten, citoyen bruxellois, le 26 pluviôse an VI (14 février 1798). Etat civil et description du bénéficiaire : François-Jacques Van Overstraeten, domicilié à Bruxelles, rue du Lombard, section 8, n° 1466; âgé de 82 ans; taille : 5 pieds 5 pouces; portant une perruque; sourcils gris, yeux bleus, nez et front ordinaires, bouche moyenne, menton rond, visage long. piéter sur son domaine. Conséquent avec lui-même, il lui enlève l'instruction et la bienfaisance qu'elle avait jusqu'alors possédée presque sans partage. Le 7 octobre 1796, il introduit en Belgique la loi sur les hospices civils, et Bouteville est chargé d'organiser des écoles primaires et des écoles centrales. conformément à l'acte constitutionnel et à l'uniformité des principes. Par mesure transitoire, on tolérait les congrégations adonnées « à l'éducation publique ou au soulagement de malades ». Toutes les autres devaient se disperser et défense était faite à leurs membres de continuer à porter l'habit. Leur subsistance serait assurée par des bons « qui ne pourront être employés qu'en acquisition de biens nationaux situés dans la ci-devant Belgique ». On peut estimer à une dizaine de milliers le nombre des religieux atteints par la loi (16). Dès le 5 janvier 1797, ils étaient obligés de se présenter devant les administrations municipales et d'y faire connaître leurs nom, âge, profession future, résidence et moyens d'existence « sous peine d'être regardés comme vagabonds, gens sans aveu et traités comme tels»(17). En les sécularisant, la République, du même coup, sécularisait leurs biens. L'immense capital immobilier que la piété des fidèles avait affecté, au cours des siècles, à l'entretien des moines passait de la propriété de l'Eglise dans celle de l'Etat dont il raffermissait le crédit et garantissait le maintien. Tous les acheteurs de « biens noirs » seront désormais ses plus fermes appuis et une indissoluble solidarité unira leurs intérêts à sa conservation. Durant les quelques mois qui s'écoulent à la fin de 1795 au commencement de 1797, la Belgique passa donc de l'Ancien Régime à la Révolution. En un an, elle reçut passivement du Directoire l'organisation que la France avait mis sept ans à se donner au milieu des péripéties tragiques de la guerre civile et de la guerre étrangère. Tout le passé national était balayé : circonscriptions, coutumes, autorités, institutions politiques, judiciaires, administratives, ecclésiastiques, et la vie sociale comme la vie religieuse fut atteinte en son fond. On ne se reconnaissait plus dans son propre pays. Jamais un bouleversement aussi complet et une refonte aussi totale ne s'accomplirent en un temps aussi court. Pourtant, la transformation était moins frappante par la nouveauté de ses principes que par la rigueur, le radicalisme et la rapidité de leur application. Ce qui triomphait, c'était ce « Joséphisme » contre lequel six ans plus tôt, la Belgique s'était insurgée. Dans l'Etat comme dans l'Eglise, l'œuvre de la Révolution continuait et achevait celle de l'Empereur. Elle reprenait pour ainsi dire les mêmes thèmes, mais combien amplifiés ! Toutes les réformes qu'elle imposait, Joseph avait songé avant elle à les introduire. N'avait-il pas voulu substituer des cercles (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Jean-Henri, comte de Franckenberg (Gross-Glogau en Silésie, 1726-Bréda, 1804), cardinal-archevêque de Malines de 1759 à 1804. Nommé archevêque de Malines par Marie-Thérèse le 27 janvier 1759 et confirmé par le pape le 27 mars suivant, revêtu de la pourpre cardinalice par Pie VI au consistoire secret du 6 juin 1778, il s'opposa en termes modérés mais fermes aux réformes de Joseph II, notamment à la création du séminaire général et unique établi à Louvain. Retiré à* Utrecht puis à Amsterdam sous l'occupation française, il fut déporté en 1797. — Médaillon de fonte de bronze, œuvre de Théodore van Berckel (Bois-le-Duc, 1739-1808). Légende : JO[HANN]ES. HENR(ICUS). SjANCTE], RIOMANEj. EjCCLESIEj. CARDjlNALj. A. FRANCKENBERG. ARCHIEP-[ISCOPUSj. MECHLINjlENSISj. PRIM(AS). BELGII. & NATUS A° M.D.CC.XXVI. Médaillon signé Tjhéodorej. V[anj. Bjerckelj. Dimensions : 183 X 156 mm. aux provinces, refondre et régulariser le fonctionnement des institutions, soumettre le clergé au contrôle du gouvernement, instaurer la tolérance religieuse, faire même du mariage un contrat civil (18) ? Les droits de l'homme l'emportaient là où le despotisme éclairé avait échoué. FRANCISATION DE L'ADMINISTRATION. -Mais ce que Joseph avait tenté de faire, il l'avait fait comme souverain légitime des Belges en vertu de ses prérogatives constitutionnelles. Il n'avait pas prétendu « austriaciser » ses sujets, et si maladroitement qu'il s'y fût pris, il n'avait cessé de se conduire, à leur égard, en « prince naturel », discutant la portée de leurs libertés sans en nier l'existence et cherchant à les amener, par les voies légales, à accepter ses réformes. Maintenant, au contraire, on n'avait plus qu'à subir la loi et à se laisser assimiler à une constitution étrangère. Proclamés Français, les Belges devaient nécessairement passer sous le régime que la France avait fait pour elle et non pour eux. Tout moyen de protester leur était enlevé du fait même que leur nationalité n'existait plus. En les réformant, la République, fatalement, devait les « franciser ». C'est à des Français de France, en effet, que fut confiée la tâche de mettre en action les institutions nouvelles. Tous les postes les plus importants leur furent attribués. A côté des quelques Belges ralliés au régime et qu'ils ont mission de surveiller et d'initier à leur besogne, ils remplissent les fonctions de commissaires nationaux, d'administrateurs des départements, de juges, de percepteurs des impôts, d'agents des douanes, d'officiers d'état civil. Ils occupent les bureaux des administrations et l'on en trouve jusque dans ceux des municipalités. Partout, avec les nouveaux usages administratifs, ils introduisent leur langue. Dans les régions flamandes, ils la substituent à l'idiome national. « Les agents des communes rurales, écrit le ministre de l'Intérieur en 1796, qui ne savent pas la langue française... sont incapables de remplir leurs fonctions et doivent être remplacés » (19). Et parmi les étrangers chez qui le gouvernement recrute son personnel, que d'éléments suspects ! « La République, dit Bouteville, a longtemps et trop longtemps vomi ce qu'elle avait de plus impur dans la ci-devant Belgique» (20). Et il s'en prend surtout aux agents militaires de toute espèce à qui l'on a bien dû s'adresser, et dont le style et l'orthographe ont laissé parfois de si curieux spécimens dans les archives. TT N; n: n.° NU MÉJtO du registre. NOM du consommateur. i Pluviôse. 6 Pluviôse, . i i Pluviôse. 16 Pluviôse. 2 i Pluviôse. i6 Pluviôse. DATES des distributions. SECTION J^t fltriAstTïr L Citoyen C? clomicilié rue recevra régulièrement pendant le temps et aux jours ci -dessus désignes, chez le Citoyen fcf Boucher de la Section, rue la quantité drt^V'W- m linnj de Viande pour son ménage composé d c-ic^e^t*. bouche , suivant sa déclaration vçr^ée par les Comités, à raison de demi-livre par bouchç t^s les cinq jours. Délivre par les Comités Civil .et de Bienfaisance réunis de ladite Section, le £f ■ ■ de l'an quatrième de la Republique. ■ (Paris, Archives Nationales W 455.) (Cliché Société française du microfilm.) Carte de ravitaillement (1795). Le citoyen Boucher, domicilié boulevard de Montmartre n» 542, recevra les 1, 6, 11, 21 et 26 pluviôse de l'an IV (= 21, 26 et 31 janvier, 1" et 15 février 1795) une livre de viande pour un ménage de deux personnes, à raison d'une demi-livre par bouche tous les cinq jours. Cette quantité de viande lui sera remise aux dates prescrites par les citoyens Michaux et Bourquet, bouchers de la section Brutus à laquelle il appartient. Il faut reconnaître d'ailleurs que dans son ensemble, l'administration républicaine est active, zélée, intelligente. On reste confondu devant l'énormité du travail accompli par elle dans un pays où tout était à faire. Au surplus, elle n'est ni rogue, ni pédantesque, ni brutale. Quantité de ses agents se sont fixés en Belgique, y ont pris femme et y ont fondé des familles par lesquelles leurs idées et leurs mœurs s'infiltrent dans la nation. Néanmoins, le dédain railleur qu'ils affichent pour les usages et surtout pour les croyances du peuple, le choque ou l'indigne. Ils font scandale en s'abstenant ostensiblement le dimanche d'assister à la messe. Et les moines défroqués, que la suppression des couvents a fait revenir dans leurs foyers, y entretiennent contre eux une sourde hostilité. Dans son ensemble, la nation, si elle se résigne, est mécontente. Le sentiment qui y domine est celui de gens devenus des étrangers dans leur propre pays, traités en incapables et d'autant plus irrités qu'ils jouissaient jadis d'un plus large degré d'autonomie. DISPARITION DEFINITIVE DE L'ANCIEN REGIME. — Et pourtant, c'est durant cette année 1796, qu'au milieu de la stupeur des uns et de la résistance passive des autres, la Belgique moderne s'est constituée. Ce qui a été détruit ne devait pas être réédité et presque tout ce qui a été construit subsiste encore de nos jours. Le passé contre lequel s'essayait depuis le règne de Marie-Thérèse, l'esprit des temps nouveaux, a disparu sans retour. Liée à la France, la Belgique a conservé l'empreinte qu'elle en a reçue. Sous sa pression, les cadres dans lesquels la tradition retenait les hommes se sont brisés. Les institutions et la société elle-même se sont simplifiées, régularisées et rationalisées. La notion du citoyen s'est dégagée en même temps qu'une conception nouvelle de la propriété. Satisfaction a été donnée à des besoins que l'évolution économique comme l'évolution morale rendaient de plus en plus impérieux. Dégagée de l'archaïsme que le respect des droits acquis laissait peser sur elle, l'activité humaine a pris un cours plus rapide et des allures plus souples. La France d'aujourd'hui, disait Dumouriez en 1793, est plus différente de celle de 1788 que de l'état des Gaules au temps de Jules César (21). On relève le même contraste entre la Belgique de 1794 et celle de 1796. En moins de deux ans, la Révolution française l'a transformée en lui imposant ces réformes nées de l'esprit et des désirs du XVIIIe siècle, qui ont trouvé dans la déclaration des droits de l'homme leur expression la plus complète. LES ELECTIONS DE 1797. - Le 20 janvier 1797 (1 pluviôse an V) un arrêté du Directoire constatant que les neuf départements réunis sont organisés et que « les administrations, familiarisées avec les lois républicaines, portent chaque jour quelque perfection dans leur exécution », mettait fin à la mission de Bouteville. Le moment était donc venu où les Belges, suffisamment amalgamés à leur nouvelle patrie, allaient pouvoir participer à la souveraineté du peuple français. Déjà depuis le 6 décembre 1796, toutes les lois de la République leur étaient applicables aussitôt après leur promulgation en France. Pour substituer le droit commun au régime d'exception, il ne restait plus qu'à étendre au pays le droit électoral conformément à la constitution de l'an III. Très prudemment, la Convention avait ajourné le 25 octobre 1795 (3 brumaire an IV) toutes les élections dans la ci-devant Belgique. On savait trop bien quel en aurait été le résultat. Par mesure provisoire, Pérès et Portiez, puis Bouteville avaient donc été chargés de désigner au choix du gouvernement tous les administrateurs et tous les magistrats qui eussent dû normalement être nommés par les électeurs. De même, aucun député belge ne siégeait encore ni au Conseil des Cinq Cents, ni à celui des Anciens. On sait que la constitution de l'an III avait instauré un système électoral à deux degrés, dans lequel le suffrage universel se combinait avec des garanties de cens et de capacité. Etaient électeurs tous les Français âgés de vingt et un ans, payant une contribution directe et inscrits au registre civique comme sachant lire et écrire. Ces « citoyens actifs », réunis en « assemblées primaires de canton », choisissaient les juges de paix et les officiers municipaux. Ils désignaient, en outre, dans la proportion de un par deux cents votants, des « électeurs » âgés de vingt-cinq ans et propriétaires. Les « assemblées électorales », constituées par ceux-ci, nommaient les fonctionnaires et juges des départe- (Malmédy, Musée archéologique.) (Cliché G. Massange de Collombs.) Portrait de Célestin Thys (Fairon-ler-Comblain, 1730-Hanau, 1796), dernier prince-abbé de Stavelot et de Malmédy. Son abbatiat coïncide avec les événements de la révolution liégeoise, qui troublèrent la principauté de Stavelot-Malmédy, et avec les deux invasions du territoire par les armées françaises. Son Indécision et son manque de fermeté firent le jeu des éléments avancés de la principauté, gagnés aux idées révolutionnaires. Célestin Thys mourut en exil à Hanau, à Test de Francfort-sur-le-Main, le 2 novembre 1796. — Portrait peint par un artiste inconnu. pays d'autonomies locales si développées, rien, en effet, n'existait plus depuis le XVIIe siècle qui méritât le nom d'élection. Les Etats provinciaux ou les Conseils urbains se recrutaient parmi un certain nombre de familles, de collèges ou de corporations. Ils reposaient en réalité sur le privilège et s'ils pouvaient se targuer d'être des corps souverains, il n'était pas permis de les considérer comme des représentants du peuple. Seuls, au surplus, le clergé, la noblesse et la bourgeoisie de quelques villes y avaient accès; les masses rurales qui formaient la grande majorité de la nation en étaient complètement exclues. Dès la fin du XVIIIe siècle, des critiques de plus en plus vives s'étaient élevées contre un état de choses dont l'archaïsme heurtait les idées régnantes et plus encore les besoins d'une société en voie de transformation. •Bruges® . QnverS sr ,H3 rmer 16US6 /v 5 Bruxelles [•) Maastricht' l Liège \ t'y H j Mon} (Dommaltûny prouva/se tS fffSl/Si rSt r VV, i Luxembourg! ® ~ Les Pays-Bas divisés en départements sous le régime français. La Belgique est divisée en neuf départements : Lys (préfecture Bruges), Escaut (préf. Gand), Jemmapes (= Jemappes) (préf. Mons), Dyle (préf. Bruxelles), Deux-Nèthes (préf. Anvers), Sambre-et-Meuse (préf. Namur), Forêts (préf. Luxembourg), Ourthe (préf. Liège), Meuse Inférieure (préf. Maastricht). Carte dessinée d'après celle de l'Atlas de géographie historique de la Belgique, fascicule 6 (Bruxelles-Paris, 1919, ln-4°). et pourquoi se serait-on soucié d'exercer des droits politiques qui, vu le petit nombre des députés belges au Corps législatif, ne permettaient pas d'exercer une influence réelle sur le gouvernement ? L'ORGANISATION PREFECTORALE. - Dans les conditions où l'on se trouvait et dont personne ne pouvait prévoir la disparition, le voeu général se bornait à souhaiter une réforme administrative grâce à laquelle le pays pût panser ses plaies et se remettre au travail. Et ce voeu ne tarda pas à être exaucé. La loi du 17 février 1800 (28 pluviôse an VIII) créa l'organisation qui non seulement devait fonctionner jusqu'à la fin de l'Empire, mais qui, après la chute de Napoléon, subsista dans ses traits essentiels pendant toute l'existence du royaume des Pays-Bas et sur laquelle repose encore en partie celle de la Belgique moderne (2). De cette solide machine à administrer, le rouage central est la préfecture, dont le nom, emprunté à la langue officielle de l'Empire Romain, implique déjà l'idée d'autorité qui inspire le nouveau gouvernement. Les Commissaires placés par le Directoire auprès des administrations départementales créées par l'élection, n'avaient été que des agents de liaison entre celles-ci et le pouvoir central. Conformément aux principes révolutionnaires, la constitution de l'an III avait confié aux citoyens les affaires locales tant dans les départements que dans les communes, et n'avait réservé aux Directeurs qu'une sorte de « droit de regard » sur leur conduite. En fait, en Belgique surtout, la pratique avait été tout autre que la théorie. Le gouvernement ne s'était pas fait scrupule d'annuler les élections qui lui déplaisaient, de casser les administrateurs mal pensants et de laisser ses Commissaires outre-passer la limite de leurs attributions locales. L'anarchie à laquelle avait nécessairement abouti ce conflit perpétuel entre ce qui aurait dû être et ce qui était, appelait une réforme radicale. Elle s'effectua par la substitution des préfets aux administrations électives et aux Commissaires. Désormais, dans chaque département, le pouvoir central possède en la personne du préfet un fonctionnaire nommé par lui, responsable devant lui seul, agissant sous son impulsion directe, c'est-à-dire, dans toute la force du terme, un agent d'exécution. Vis-à-vis du préfet, il n'y a plus que des administrés. Il les gouverne et ils obéissent; on dira sous l'Empire qu'il est un « empereur au petit pied ». Et pour empêcher que la population n'exerce sur lui la moindre influence, on a soin le plus souvent de le choisir, comme jadis les podestats et les baillis du moyen âge ou les intendants de l'Ancien Régime, dans un milieu aussi étranger qu'il se peut à celui dont il a la charge. En Belgique, sauf une exception passagère, tous les préfets viendront de France et parfois même d'Italie. Ainsi toute l'administration de l'Etat, rattachée à Paris comme elle l'était à Rome à la fin de l'Empire Romain, est animée d'un même mouvement qu'elle communique à la société. Elle est à la fois régulière et uniforme. Elle a pour mission d'anéantir dans les 102 départements de l'immense Empire ce qui subsiste encore de diversités régionales, pour les façonner sur le même modèle comme les écus frappés par la monnaie. Sa tâche essentielle est d'obéir et de faire obéir. Elle ne peut prendre aucune initiative sans autorisation. Jusqu'ici, tous les fonctionnaires de la République avaient été en même temps des agents de propagande révolutionnaire; ils ne seront plus à l'avenir que les apologistes du gouvernement. « Soyez toujours le premier magistrat du département, jamais l'homme de la Révolution », leur a dit, dès leur institution, le ministre de l'Intérieur, Lucien Bonaparte. Et tous, quelle que soit leur origine, anciens régicides, jacobins, feuillants ou ci-devant, obéissent ponctuellement au mot d'ordre. Rien de plus bigarré que leur personnel, rien de plus frappant que sa discipline. On dirait que le rétablissement de l'ordre leur a fait oublier le rôle qu'ils ont joué dans la crise dont on sort. Pour eux comme pour Bonaparte, la Révolution est finie. Il ne s'agit plus que d'en accommoder les principes à la politique de restauration sociale dont s'inspire désormais le pouvoir. La grande affaire est de donner confiance aux classes possédantes. « Et vous, s'écrie Faipoult en prenant possession de la préfecture du département de l'Escaut, et vous citoyens aisés, propriétaires, négociants justement considérés, soyez prêts à seconder les intentions bienfaisantes du gouvernement !» (3). L'ADMINISTRATION LOCALE. - A côté du préfet, le Conseil de préfecture, dont les membres sont nommés par le premier consul, et plus tard par l'empereur, exerce la juridiction contentieuse. Sous lui, dans les « arrondissements communaux » du département, fonctionnent les sous-préfets qu'il désigne au choix du gouvernement et qu'il contrôle. Si la volonté des habitants n'a plus aucune prise sur l'administration, les « notables » cependant y sont associés dans une certaine mesure. Quelques-uns d'entre eux, de 16 à 24, choisis par le chef de l'Etat sur la liste des notabilités départementales, constituent le Conseil général du département. Au début on n'y fit guère entrer, en Belgique, que des acquéreurs de biens nationaux dont le dévouement au régime était tout acquis. Plus tard, après le Concordat et de plus en plus après la proclamation de l'Empire, des grands propriétaires et des citoyens distingués par leurs lumières y siégèrent à leur tour. Les Conseils généraux étaient d'ailleurs dépouillés de toute influence politique. Leurs attributions se bornaient à la répartition des contributions et à faire connaître au ministre de l'Intérieur leur opinion sur l'état du département. Les Conseils d'arrondissement, dans chaque sous-préfecture, étaient recrutés de la même manière et remplissaient le même rôle dans leur sphère plus étroite. Tout ce que la constitution de l'an III avait attribué d'autonomie, d'une manière assez maladroite, aux municipalités, disparut dans la constitution de l'an VIII. Les municipalités cantonales furent supprimées en même temps qu'elles cessèrent d'être électives. Chaque commune, grande ou petite, eut son maire, son adjoint-au-maire et son Conseil municipal. Ils étaient nommés par le gouvernement dans les localités de plus de 5000 habitants, par le préfet dans les autres, si bien qu'ils ressemblaient beaucoup plus à des fonctionnaires qu'à des magistrats communaux. Le maire et l'adjoint exerçaient seuls l'administration locale. Le Conseil municipal, recruté parmi les habitants les plus imposés, ne s'assemblait que quinze jours par an au maximum et n'était compétent qu'en matière de dépenses, de recettes et de travaux publics. Toute cette organisation minutieusement surveillée par le préfet et anxieuse de ne pas encourir de remontrances, ne conservait plus la moindre trace de l'indépendance qui pendant des siècles avait imprégné le régime communal de la Belgique. Elle heurtait de front la tradition nationale et il n'est pas surprenant qu'à la différence de l'administration préfectorale, elle n'ait pas survécu à la chute de l'Empire. En revanche, le système judiciaire, tel que le Consulat puis l'Empire l'ont constitué, est demeuré presque intact jusqu'à nos jours, avec ses juges de paix, ses tribunaux de première instance et ses cours d'appel (cours impériales). Il en existait une à Liège et une à Bruxelles. Seul le département des Forêts était compris dans le ressort d'une cour, celle de Metz, située en dehors des anciennes frontières du pays. Il faut ajouter à cela l'institution des cours d'assises dans lequelles le jury fut maintenu par une contradiction assez singulière avec l'esprit général des institutions. Quant aux magistrats, la législation garantit leur impartialité et leur prestige en les déclarant (Gand, Musée archéologique.) (Cliché Bijtebler.) Grand sceau de majesté de l'empereur Napoléon Ier. L'empereur, assis sous un dais, tient le sceptre de la main droite et la main de justice des rois de France (voyez t. 1, p. 159) de la main gauche. Légende : NAPOLEON EMPEREUR DES FRANÇAIS. Diamètre : 125 mm. Ce sceau est appendu au bas du diplôme impérial du 6 juin 1811 par lequel Napoléon accorde des armoiries à la ville de Gand. inamovibles, en leur attribuant de hauts traitements et en leur assignant la primauté parmi les fonctionnaires civils. Mentionnons encore la création des tribunaux de commerce (1807) et celle des Conseils de prud'hommes dont le premier en Belgique fut installé à Gand en 1810. Rappelons enfin, pour compléter cette esquisse sommaire d'une organisation qui fonctionne encore sous nos yeux, la promulgation des codes : code civil en 1804, code de procédure civile en 1806, code d'instruction criminelle en 1808, code de commerce en 1807, code pénal en 1810, dans lesquels se manifeste peut-être le plus clairement l'idéal à la fois révolutionnaire et conservateur du nouveau régime. En matière de finances, il fut peu innové à l'impôt foncier tel que l'avait institué le Directoire. Le cadastre, décrété en l'an XI, servit de base à sa perception. D'autres impôts directs, en partie plus anciens, en partie nouveaux, les patentes, la contribution mobilière et la contribution sur les portes et fenêtres, existaient à côté de lui. Mais l'Empire développa surtout les impôts indirects frappés sur les boissons, vins, cidres, bières et eaux-de-vie et qui devinrent si odieux au peuple sous le nom de « droits réunis ». Le monopole des tabacs fut aussi une source précieuse de revenus pour le trésor. Les administrations de l'enregistrement et du timbre continuèrent naturellement à exister. Quant aux douanes, elles évoluèrent dans une direction de plus en plus protectionniste pour arriver enfin, avec le blocus continental, à la prohibition presque absolue. Plus que le calme et la stabilité, ce qui acheva de concilier les Belges au nouveau régime, ce fut le retour de la paix religieuse. En fait, après le coup d'Etat de brumaire, la persécution s'était interrompue. Des arrêtés remettaient à la disposition du culte les églises non aliénées par les communes; les serments exigés des prêtres étaient remplacés par une simple promesse de fidélité à la constitution; les autorités laissaient de plus en plus libre la célébration des offices. Pourtant, on se méfiait encore. D'Emmerich, l'archevêque de Malines, engageait le clergé à ne rien promettre au gouvernement. LE CONCORDAT. — Une nouvelle guerre de brochures mettait aux prises les intransigeants et les opportunistes. Mais cette agitation même était un symptôme de la tolérance du pouvoir. D'ailleurs, elle n'avait pour cause que le scrupule de se conformer en tout aux directions du Saint-Siège. Lorsqu'on apprit que le pape avait ratifié le Concordat, ce fut un soulagement général. Par cela même que le clergé belge était « ultramontain », il n'avait plus aucune raison de persévérer dans la résistance du moment que Pie VII était d'accord avec Bonaparte. Les survivants de l'épiscopat (c'étaient, outre l'archevêque, les évêques émigrés de Liège et d'Ypres), déférant à l'invitation du pape, s'empressèrent d'envoyer à Rome leur démission. Depuis la création des nouveaux diocèses sous Philippe II (1559), les circonscriptions ecclésiastiques n'avaient plus été modifiées. La bulle du 29 novembre 1801, annexée au Concordat, les remania aussi profondément que l'institution des départements avait remanié les circonscriptions civiles. Au lieu de neuf diocèses, il n'y en eut plus que cinq, ceux de Bruges, d'Ypres, d'Anvers et de Luxembourg étant supprimés. Comme sous l'Empire romain, l'Eglise adaptait ses cadres à ceux de l'Etat. Les départements de la Dyle et des Deux-Nèthes constituèrent l'évêché de Malines, celui de Jemappes, l'évêché de Tournai, ceux de l'Escaut et de la Lys l'évêché de Gand, celui de Sambre-et-Meuse, l'évêché de Namur, ceux de l'Ourthe et de la Meuse-Inférieure, l'évêché de Liège. Malines conserva son rang de métropole et la juridiction de son archevêque s'étendit non seulement sur l'ancienne Belgique, à l'exception du département de Forêts, rattaché au siège de Metz, mais encore sur les diocèses d'Aix-la-Chapelle, de Trêves et de Mayence. Les articles organiques que le Corps législatif ajouta au Concordat et avec lesquels il fut promulgué (18 avril 1802) lui donnèrent une saveur gallicane bien propre à raviver chez le clergé belge l'amertume des anciennes querelles jansénistes et fébroniennes. Il y eut des protestations, et le grand vicaire de Namur, Corneille Stevens, entreprit aussitôt contre lui une lutte qu'il devait continuer jusqu'à la fin de l'Empire. Ancien professeur de l'université de Louvain, son point de vue reste sous Napoléon celui qu'avaient adopté sous Joseph II les van Eupen et les Duvivier. Aux droits que le gouvernement s'arroge sur l'Eglise, il oppose, tantôt dans des dissertations latines, tantôt dans des brochures en français ou en flamand, les principes de la théologie louvaniste. Traqué par la gendarmerie, non seulement il reste insaisissable, mais il trouve encore des imprimeurs pour les écrits clandestins qu'il date e latebris nostris ou « de la caverne mise à notre disposition par la Providence ». La colère de Napoléon excite en vain contre lui le zèle de Fouché, de Cham-pagny, des préfets : la police ne parvient à mettre la main, çà et là, que sur quelque agent subalterne de l'agitateur. Car des concours bénévoles s'offrent courageusement à lui et il est le centre d'une sorte de conspiration cléricale groupant des maires de village, d'anciens moines, des prêtres de campagne, qui se chargent de distribuer sous main ses pamphlets. C'est certainement à tort que Monge, revenant d'un voyage d'inspection en Belgique, l'a soupçonné d'être à la solde de l'Angleterre. Nulle trace de politique dans sa propagande. Il n'est que le champion de l'Eglise, telle qu'il la conçoit et, plus papiste que le pape, il s'embarrasse fort peu des concessions que le malheur des temps a pu arracher à Pie VII. Il lui suffit de n'être pas condamné par Rome pour continuer ses protestations. Elles eurent assez de succès pour provoquer dans la région de Hal la constitution d'une petite secte de catholiques anticoncordataires, les Stévenistes, dont les derniers débris n'ont pas encore disparu (4). PACIFICATION RELIGIEUSE. - Néanmoins, l'immense majorité du clergé et des fidèles reçurent le Concordat comme un bienfait. L'accommodation du passé au présent s'accomplissait grâce à lui dans l'ordre religieux comme dans l'ordre civil. En l'acceptant, l'Eglise rompait avec l'Ancien Régime et acceptait la Révolution. S'il supprimait ses privilèges, s'il la dissociait de l'Etat tout en la soumettant au contrôle du gouvernement, il assurait en revanche son existence, se chargeait de l'entretien de son clergé et entourait le culte restauré d'un prestige salutaire à la paix sociale et aux intérêts conservateurs que Bonaparte voulait rallier à sa politique. Il importait peu que, dans l'idée du premier consul, l'Eglise fût surtout destinée à être un instrument de règne : les conséquences n'en devaient apparaître que plus tard. Sur le moment, les catholiques ne virent en lui que le protecteur de la religion et lui prêtèrent les sentiments qui les animaient. Ils s'abandonnaient à la joie de voir les églises se rouvrir, les croix et les coqs reparaître sur les clochers, les statues des saints aux façades des temples, les prêtres reprendre leurs habits, porter les sacrements aux malades et la pompe des processions se dérouler de nouveau par les rues des villes et onduler au printemps à travers les champs. On entendait avec joie le tintement des cloches si longtemps muettes et leur sonnerie semblait saluer le retour à toutes les vieilles habitudes bannies par le Directoire. Plus de temples de la loi, plus de froides cérémonies décadaires, plus de calendrier républicain. Ces nouveautés, qui avaient révolté les âmes pieuses et agacé tout le monde, tombèrent en désuétude avant même leur abolition officielle. Le dimanche redevenait le jour du Seigneur pour les fidèles et pour les autres, le jour traditionnel du repos. La messe était chantée devant des foules recueillies et reconnaissantes, mais elle n'était plus obligatoire. Car si le Concordat apportait la liberté aux catholiques, il l'apportait également aux incroyants, aux indifférents et aux hérétiques. Les protestants eux aussi jouissaient de cette tolérance que Joseph II avait vainement tenté de leur octroyer. La neutralité de l'Etat en matière de religion devenait un des principes fondamentaux de la vie moderne. A partir de 1803, grâce à la vigilance et au tact des préfets, les dernières dissensions au sein du clergé étaient apaisées. Tous les prêtres promettaient fidélité à la constitution; sermentés et insermentés se réconciliaient et acceptaient la communion de leurs nouveaux évêques. Les séminaires et les petits séminaires commençaient tout de suite à assurer le recrutement du sacerdoce, depuis si longtemps interrompu. Et de tous côtés, entourés de la vénération de leurs ouailles, les ecclésiastiques déportés revenaient des îles de Ré et d'Oléron. Le contentement était général. BONAPARTE EN BELGIQUE (1803). - Pourtant le nouveau régime, s'il calme les consciences et s'il rassure les intérêts, est moins national encore que celui du Direc- (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée. Napoléon Ier, Tableau peint à l'époque du sacre ) (Cliché Pichonnier.) sacré empereur des Français le 2 décembre 1804. par Anne-Louis Girodet de Roussy, dit Girodet-Trioson (Montargis, 1767-Paris, 1824) toire. L'absorption dans la France apparaît maintenant complète et définitive. Malgré son despotisme, le Directoire avait cherché, par intérêt politique, à recruter le personnel des administrations départementales de la Belgique au sein de la minorité républicaine du pays. Des hommes comme les Bassenge à Liège, comme du Bosch à Gand, comme Rouppe à Bruxelles, avaient été pour lui, non seulement des auxiliaires dévoués, mais d'actifs agents de propagande. Mais leurs convictions personnelles les attachant au gouvernement renversé par le coup d'Etat de brumaire, ils tombèrent avec lui. Leur « jacobinisme » les rendait suspects à un pouvoir qui exigeait avant tout l'obéissance. Ils végétèrent désormais pour la plupart dans des emplois subalternes ou rentrèrent dans l'obscurité. L'exemple de Rouppe, destitué en janvier 1802 pour avoir protesté contre l'incarcération au fort de Ham de quelques Bruxellois prévenus de contrebande, leur montra qu'il était dangereux de parler haut. La leçon ne fut pas perdue. Jusqu'à la fin, l'Empire fut en Belgique le règne du silence. Même aux approches de la catastrophe finale, l'opposition n'osa se manifester que par une réprobation muette. Napoléon, qui n'hésita pas à confier à des Italiens des fonctions importantes, montra toujours à l'égard des Belges une méfiance caractéristique. Il avait trop de tact politique et il était trop exactement renseigné pour ne pas comprendre que la population des départements réunis était beaucoup plus attachée à sa personne qu'elle ne l'était à la France. Il put s'en rendre compte par lui-même lors du voyage qu'il fit en Belgique durant l'été de 1803. Décidé à substituer la monarchie à la république, cet admirable metteur en scène avait voulu éprouver sur les Belges, loin des railleries parisiennes, l'effet des pompes impériales dont il rêvait de s'entourer. Tout' avait été combiné pour rehausser son prestige personnel et le faire apparaître en souverain. Joséphine l'accompagnait, parée, souriante et bienveillante comme une reine. Le cardinal Caprara attestait par sa présence la réconciliation du grand homme avec l'Eglise, tandis que les deux autres consuls ne semblaient être là que pour faire mieux ressortir par leur insignifiance la toute-puissance de leur collègue. Partout où il passa ce fut un enthousiasme sincère et spontané. L'étonnement que sa jeunesse inspirait aux foules augmentait leur admiration. Il laissait derrière lui l'impression d'un être extraordinaire et privilégié, d'une sorte de messie. Tous ses gestes étaient étudiés et tous portaient. A Gand, où il assista publiquement à la messe, on s'extasia de lui voir donner les marques de la plus vive dévotion. A Bruxelles, au milieu de la splendeur des fêtes et des adulations qui l'entourèrent pendant plusieurs jours, il posa tour à tour en monarque débonnaire et en chef suprême de l'Etat, arbitre de la paix et de la guerre. Infatigable, il passait des revues, donnait des audiences, visitait des manufactures, travaillait avec les ministres, décrétait des travaux d'embellissement et de fortification. C'est alors que furent décidés les énormes ouvrages qui devaient faire d'Anvers le plus grand port de guerre de l'Europe. Car déjà c'en était fait de l'accalmie de la paix d'Amiens. La lutte avec l'Angleterre venait de reprendre (mai 1803) et Bonaparte, en visitant la Belgique, n'avait pas voulu seulement se rendre compte par lui-même de l'esprit de la nation, mais encore de l'exécution des préparatifs militaires qu'il y avait ordonnés et du fonctionnement de l'administration nouvelle. Il dut en revenir satisfait, mais décidé aussi à maintenir sous une surveillance étroite un peuple si nombreux, si proche de l'Angleterre et dont il avait certainement remarqué combien les mœurs, les sentiments et les idées différaient de ceux de la France. Aussi se garda-t-il pendant tout son règne d'ouvrir aux Belges l'administration de leur pays. Tous les postes essentiels y furent dès l'origine exclusivement réservés à des Français de France. Français furent les préfets, Français les évêques, Français tous les fonctionnaires les plus importants de l'ordre administratif et judiciaire. On ne réserva aux Belges que les fonctions secondaires. Ils furent conseillers des cours impériales, sous-préfets, conseillers de préfecture, maires, juges de paix. En dehors de leur pays, ils ne firent irtfij-..., ' Dvt'ajL vyî^î» 'îùyuW Sjçit'if . -, - a/eSiUtttA." Ots f^uarert+fa* w - ) a L/ ctVot v. ■ /Uàt- Qr< (Paris, Archives du ministère des Affaires Etrangères.) Cachets et signatures des plénipotentiaires pontificaux et français au bas du concordat conclu le 26 Messidor an IX (15 juillet 1801) entre le pape Pie VII et la République française. Signatures et cachets de Hercule Consalvi, secrétaire d'Etat de Pie VII, Joseph-Bonaparte, conseiller d'Etat, J(oseph Splna), archevêque de Corinthe, Cretet, conseiller d'Etat, Charles Caselli, consultor de Sa Sainteté, et Bernier, docteur en théologie, curé de Saint-Laud à Angers. carrière que bien rarement au service de l'Empire. Les quelques exceptions que l'on peut citer comme celles de J.-F. Beyts, préfet de Loir-et-Cher, de A.-P. de Celles, préfet de la Loire-Inférieure puis du Zuy-derzée, de G.-I. de Stassart, préfet de Vaucluse, de de Coninck-Outerive, préfet de l'Ain, de Jemappes, puis des Bouches-de-l'Escaut et des Bouches-de-l'Elbe, du prince de Gavre, préfet de Seine-et-Oise, ne font que confirmer une règle aussi générale dans les emplois civils que dans les emplois militaires ou les dignités religieuses. ACCEPTATION DE L'ETAT DES CHOSES. - En droit, les Belges sont devenus des Français. Le gouvernement ne laisse passer aucune occasion de le rappeler et eux-mêmes acceptent la situation qui leur est faite. Mais cette acceptation est loin d'être volontaire. A vrai dire, elle n'est qu'une forme de la résignation. Personne, durant les années triomphales du Consulat et des premiers temps de l'Empire, ne conserve l'espoir d'un retour à l'autonomie. Elle n'est plus qu'un souve- (Anvers, Archives communales.) Clefs d'or et d'argent des portes de la ville remises au premier consul Bonaparte le jour de son entrée à Anvers (18 juillet 1803). (Mons, Archives de l'Etat, commune de Vllle-Pommerœul.) (Cliché Lefrancq.) Affiche relative à l'uniformisation des poids et mesures dans le département de Jemmape (sic). Le préfet du département, Lavallée, donne connaissance de l'édlt impérial du 12 février 1812 signé par le ministre de l'Intérieur, Montalivet. nir lointain, qu'un rêve trop souvent déçu pour que l'on puisse croire qu'il devienne jamais une réalité. Si on ne se sent pas Français, on ne se sent pas Belge non plus. On se contente de vivre, profitant du mieux dont on jouit sans le considérer comme le bien. Au lieu d'un véritable sentiment national, il n'y a que de vagues aspirations vers un avenir meilleur, mais qu'il est impossible de préciser. D'où pourrait-on attendre l'affranchissement ? De l'Autriche ? Mais n'a-t-elle pas deux fois déjà, à Campo-Formio, puis à Lunéville, renoncé formellement à la Belgique ? Et depuis lors les éclatantes défaites d'Ulm et d'Austerlitz, puis l'humiliant traité de Presbourg (décembre 1805) ne l'ont-ils pas mise définitivement hors de cause ? Ce François II, que l'on avait vu un instant à Bruxelles en 1794, ne s'était-il pas révélé aussi nul comme souverain qu'il était apparu peu sympathique comme homme ? Vainqueur, il eût certainement ranimé parmi les Belges la fidélité dynastique que le règne de Joseph II avait fait s'évanouir. Car enfin, qu'avait été le despotisme de Joseph en comparaison de celui du Directoire ? Si la maison de Habsbourg avait conservé quelque prestige, on se fût certainement rappelé qu'elle avait jadis donné au pays Marie-Thérèse et le bon Charles de Lorraine. Mais elle avait fait vraiment trop mauvaise figure sur les champs de bataille pour que l'on pût compter encore sur cette éternelle vaincue. Et, en dehors d'elle, vers qui se tourner ? Une restauration des Bourbons en France n'eût rien changé au sort des Belges. Sous le roi comme sous l'empereur, ils fussent demeurés Français. Les héritiers de Louis XVI n'étaient pour eux que des étrangers dont les noms mêmes leur étaient inconnus et dont la conduite n'avait certainement rien qui pût les passionner. On ne voit pas qu'ils se soient intéressés aux conspirations de Cadoudal et de Pichegru, ni que l'assassinat judiciaire du duc d'Enghien, qui souleva l'indignation de toute l'Europe, ait eu un grand retentissement parmi eux. Fallait-il attendre le salut de l'Angleterre ? Incontestablement, des ennemis de Napoléon elle était le plus terrible et le plus acharné. Mais aussi les coups qu'elle lui portait tombaient directement sur la Belgique. Elle bloquait l'Escaut, elle paralysait le commerce maritime et l'on ne pouvait songer sans angoisse qu'un débarquement de ses troupes sur la côte de Flandre replongerait le pays dans les horreurs de la guerre. Ainsi, de quelque côté que l'on tournât les yeux, rien n'annonçait un changement probable ou souhaitable. L'incertitude de l'avenir faisait plus facilement accepter le présent. Qu'arriverait-il si le régime actuel était emporté dans une nouvelle tourmente de l'Europe ? On commençait à s'y accoutumer et, sauf un petit groupe de vieillards qui n'avaient rien oublié et rien appris, le nombre allait croissant de ceux qui envisageaient maintenant un retour à l'ancien ordre des choses, comme une nouvelle révolution. Si l'Empire disparaissait, qu'adviendrait-il des institutions qu'il avait édifiées ? Allait-on rétablir sur leurs ruines celles qu'elles avaient anéanties ? Comment concevoir encore la substitution des anciennes provinces aux départements, la restauration des privilèges, des dîmes, de l'antique organisation de la justice, des impôts, des finances avec tous ses inconvénients, toutes ses lenteurs, toutes ses iniquités même que l'on ne se dissimulait plus depuis que l'on en était affranchi ? Tout compte fait, l'administration nouvelle l'emportait sur l'ancienne et le gouvernement des préfets était incontestablement préférable à celui des Etats. Le mémoire de van der Noot sur la constitution brabançonne n'apparaissait plus que comme une dissertation archaïque; les archives des administrations supprimées n'étaient plus que des documents d'histoire; le passé était bien mort et l'on ne souhaitait pas qu'il ressuscitât. Car sa résurrection eût été une catastrophe aussi terrible que celle qui avait provoqué sa chute. Non seulement, elle eût amené une nouvelle perturbation politique, mais elle eût encore ébranlé l'ordre social. Trop d'intérêts dépendaient maintenant du nouveau (Liège, Musée des Beaux-Arts.) Portrait de Bonaparte donné par le premier consul à Liège à de sa visite à la ville (août 1803). Portrait peint par Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban, 1780-Paris, 1867). A droite, le fond du tableau représente la cathédrale Saint-Lambert avant sa destruction. Ce détail est reproduit plus haut, p. 314. Photographie prise après nettoyage du tableau. régime pour qu'il pût s'effondrer sans déchaîner un cataclysme. Les acheteurs de biens nationaux, dont le nombre allait croissant depuis que le pape, en signant le Concordat, avait ratifié la confiscation des biens ecclésiastiques, voyaient en lui le garant de leur fortune récente. Les préfets avaient reçu ordre de dissiper les inquiétudes suscitées par la bienveillance que le pouvoir affichait maintenant à l'égard du clergé. Faipoult annonçait solennellement que « les propriétés nationales, en passant dans la main des acquéreurs, sont devenues inviolables et que le gouvernement ne les rendra pas plus qu'il ne rendra la France à la famille des Bourbons» (5). On pouvait donc continuer à acheter en toute sécurité, et chaque vente nouvelle gagnant à l'Etat un partisan, sa solidité croissait dans la même mesure où les terres d'Eglise venaient augmenter le capital de la bourgeoisie. La prospérité renaissante de l'industrie ne contribuait pas moins à affermir la situation. Plus les usiniers et les entrepreneurs profitaient du nouveau système douanier et de l'immense marché que la France ouvrait à leurs produits, plus ils souhaitaient le maintien d'un ordre de choses dont plus que personne ils éprouvaient les bienfaits. L'Etat pouvait donc compter sur l'adhésion de cette classe de nouveaux riches qui préludait sous sa protection au rôle de plus en plus considérable qu'elle allait jouer au cours du siècle. Tous étaient directement intéressés à sa conservation, qui se confondait avec la leur. Si les nobles et les patriciens n'avaient pas les mêmes motifs de le soutenir, du moins n'en avaient-ils aucun de désirer sa chute. Pour la première fois depuis Jemappes, ils se sentaient rassurés tant pour leurs personnes que pour leurs biens; ils respiraient à l'aise. A vrai dire, ils n'éprouvaient aucune sympathie pour un gouvernement qui les avait ramenés au niveau commun et, du moins au début, se targuait volontiers de ses origines révolutionnaires. Mais à partir du jour où Napoléon proclamé empereur sembla revenir à l'Ancien Régime et afficha de plus en plus ouvertement ses tendances monarchiques, beaucoup d'entre eux cessèrent de bouder au pouvoir qui prodiguait ses avances à l'aristocratie. L'exemple (Cliché Piron.) l'occasion Monnaies françaises ayant cours en Belgique sous l'Empire. 1. Droit et revers d'une pièce de 40 francs datée de 1806, or. — 2. Droit et revers d'une pièce de 40 francs datée de 1812, or. — 3. Droit et revers d'une pièce de 20 francs datée de 1806, or. — 4. Droit et revers d'une pièce de 20 francs datée de 1811, or. — 5. Droit et revers d'une pièce de 5 francs datée de 1810, argent. — Les droits (à gauche sur la planche) sont à l'effigie de l'empereur; légendes : NAPOLEON EMPEREUR. Les revers (à droite sur la planche) portent les chiffres correspondant à la valeur de la pièce, entourés de deux branches de lauriers. Les pièces de 1806 portent la légende : REPUBLIQUE FRANÇAISE; les autres, EMPIRE FRANÇAIS. L'expression « République » doit être prise dans son sens latin (respublica). Elles ont toutes été frappées à Paris. Les motifs décoratifs sont l'œuvre du graveur Jean-Pierre Droz (La Chaux-de-Fonds, 1746-Paris, 1823) et de Pierre Tiolier (Londres, 1763-Bourbonné-lez-Bains, 1819), sauf le motif de la dernière qui fut gravée par Nicolas Brenet (Paris, 1773-1846). de la noblesse française ne justifiait-il pas ce revirement ? Peu à peu, les membres des anciennes familles acceptèrent des emplois. Le comte de Mérode-Westerloo et le duc d'Ursel furent maires de Bruxelles, le comte Duval de Beau-lieu, maire de Mons, le baron de Sélys-Longchamps, maire de Liège; d'autres se laissèrent nommer au Corps législatif ou Sénat. Pour manifester leur loyalisme, les parents donnèrent à leurs fils le nom de Napoléon et à leurs filles celui de Marie-Louise. REGULARITE DE L'ADMINISTRATION. - Les mérites de l'administration contribuèrent largement, sans doute, à ce résultat. Il est incontestable que le choix des préfets fut en général très habile (6). Bien rares ceux d'entre eux qui, comme l'Alsacien Birnbaum, dans les Forêts, ou le général Ferrand, dans la Meuse-Inférieure, durent être remplacés au bout de quelques mois. Pour la plupart, ils s'acquittèrent de leurs fonctions avec autant de zèle que de dévouement et d'intelligence. Ce furent des modèles achevés de fonctionnaires. Ils initièrent la CARTE D'ÉLECTEUR EXTRAIT de la Liste des Membres du Collèg• Électoral d Département du f Ourle. Belgique aux méthodes administratives de la vie moderne, et la bureaucratie a conservé jusqu'à nos jours, avec une persistance dont l'obstination même leur fait honneur, les formes qu'ils lui ont imposées. Membres de l'ancienne noblesse comme Doulcet de Pontécoulaut, de Chaban, La Tour-Dupin ou d'Houdelot dans la Dyle, comme de Viry ou Chauvelin dans la Lys, comme d'Herbouville ou Voyer d'Argenson dans les Deux-Nèthes; jacobins convertis comme Faipoult dans l'Escaut, Lacoste dans les Forêts, Loysel dans la Meuse-Inférieure, Cochon dans les Deux-Nèthes; ex-thermidoriens ou girondins comme Pérès en Sambre-et-Meuse, Desmousseaux dans l'Ourthe, Garnier dans Jemappes, ils s'attachent avec la même conscience à bien servir le maître. On ne peut reconnaître leur origine qu'à la distinction plus ou moins grande de leurs manières. Pour leur conduite publique, elle est partout la même et conforme aux vues du gouvernement dont ils dépendent. L'unique Belge qui ait figuré parmi eux, de Coninck-Outerive qui, après avoir été préfet de l'Ain, dirigea le département de Jemappes de 1808 à 1810, ne se distingue en rien de ses collègues français. Il est aussi souple, aussi obéissant, aussi obséquieux à l'égard du pouvoir. Nulle velléité d'indépendance chez ces hommes dont beaucoup pourtant ont donné des preuves d'énergie et de caractère. Ils ne sont et ils ne veulent être que des instruments dans la main toute-puissante de Napoléon. Voyer d'Argenson, le seul qui ait fait exception à la règle, a payé de sa destitution la liberté d'allures qu'il s'est permise. Etrangers au pays par leur naissance, les préfets se gardèrent bien de s'initier aux moeurs et aux usages de leurs administrés. Par principe, ils s'affichèrent comme Français au milieu de ces Belges qu'ils considéraient comme des compatriotes arriérés qu'il fallait élever au niveau de la grande nation. Quelques-uns d'entre eux firent scandale par le voltairianisme de leurs propos et le dédain qu'ils manifestaient à l'égard du clergé. Presque aucun d'eux ne parvint à se concilier une popularité que le gouvernement craignait d'ailleurs de leur voir acquérir. D'Herbouville fut gourmande par Napoléon parce qu'il « faisait la cour à la ville d'Anvers ». Son successeur, Voyer d'Argenson, s'attira les mêmes reproches. Sa femme avait si bien conquis la sympathie des dames de (Liège, Musée de la Vie Wallonne.) (Cliché Maes.) Carte d'électeur sous le régime napoléonien. Carte délivrée le 15 octobre 1808 au citoyen Antoine Grégoire, employé à la sous-préfecture de Huy dans le département de l'Ourthe. ÉrOQllE la ville qu'elles ne la considéraient plus comme une étrangère. On l'invitait dans l'intimité « entre Belges », et cela ne fut point sans contribuer à la disgrâce de son mari. Dans chaque département, le préfet s'efforçait pourtant de faire de son hôtel un centre de vie sociale et mondaine. On venait à ses soirées par crainte de se compromettre en n'y assistant pas, mais la contrainte y dominait les conversations et y glaçait les sourires. Et comment se fût-on abandonné à parler librement dans des salons où les murs avaient des oreilles et où le moindre propos compromettant était aussitôt transmis à la police ? Cependant, si on n'aimait pas les préfets, on les estimait. Après la chute de Napoléon, van Bylandt écrivait en 1814 : «On doit être juste; le Brabant n'a pas été malheureux sous les préfets français. Tous les habitants l'avoueront. Ils étaient fermes et adroits. Les Belges ont été moins tracassés sous la tyrannie française que sous le gouvernement indulgent et faible des Autrichiens » (7). Et en 1817, les Etats de la Flandre Orientale reconnaissaient que « Faipoult avait été un administrateur éclairé et auquel rien n'échappait de ce qui pouvait être utile» (8). Il suffit de parcourir les archives ou de consulter les « mémoriaux administratifs » des départements pour s'expliquer ces éloges. L'activité qui s'y révèle ne nous frappe point tout d'abord parce que nous y sommes habitués. Pour l'apprécier à sa valeur et dans sa nouveauté, il faut songer à l'Ancien Régime, à ses procédés routiniers et, pour parler comme Joseph II, à ses habitudes « ténébreuses ». Ici, l'administration fonctionne rapidement et inlassablement dans l'intérêt public. L'idéal du « despotisme éclairé » est atteint. Les circulaires et les arrêtés se multiplient dans toutes les directions : police, hygiène, agriculture, industrie, enseignement, etc. Des instructions tracent aux maires la conduite à suivre dans leurs communes et leur recommandent la mise en pratique de tous les perfectionnements dus au « progrès des lumières ». Des encouragements sont promis aux inventions ou aux initiatives utiles. Les préfets s'attachent à propager la vaccine, combattent les abus du truck-system, veillent à la sécurité des mineurs, cherchent à répandre parmi les ouvriers les sociétés de secours mutuels. Leurs « mémoriaux » constituent la source la plus précieuse que nous possédions pour nous rendre compte de l'élaboration de la société nouvelle. L'idée même de publier périodiquement les actes administratifs est une nouveauté caractéristique. Elle s'explique par le désir d'éclairer et d'instruire l'opinion. L'Etat met la presse à son service et en fait la collaboratrice de ses fonctionnaires. (Dépôt actuel indéterminé.) (Cliché Hachette.) Débarquement de Napoléon et de Marie-Louise à Anvers le 4 mai 1810. Comme en 1803, l'empereur venait de Oand par l'Escaut. Il était accompagné de l'Impératrice Marie-Louise, du roi et de la reine de Westphalle, du roi et de la reine de Naples, et d'une suite nombreuse. — Tableau peint par Louis Crépin (Paris, 1772-1851), provenant de l'ancienne collection F. Masson à Paris. NAPOLEON EN BELGIQUE (1810). - Avec Napoléon, Joseph II a triomphé en Belgique. Presque tout ce qu'a voulu faire ce dernier est fait, et l'on s'aperçoit maintenant de l'utilité des réformes que l'on avait jadis si obstinément combattues. Le despotisme éclairé l'a emporté, mais il reste pourtant le despotisme. Là est le point sensible et douloureux, la gêne quotidienne à laquelle on se résigne sans l'accepter. Mais que faire ? La force du gouvernement est trop grande pour ne pas décourager toute velléité d'opposition. L'attitude du pays en 1809, lors du débarquement des Anglais dans l'île de Wal-cheren, est bien caractéristique de l'apathie avec laquelle il supporte son sort. Elle l'a laissé dans une indifférence qui paraîtrait étonnante si elle ne s'expliquait par deux craintes contradictoires. La victoire ou la défaite de l'empereur paraissent, en effet, également redoutables : sa victoire, parce qu'elle prolongera la servitude de la nation, sa défaite, parce qu'elle anéantira tous les avantages dont on jouit et qu'elle lancera de nouveau la Belgique dans les affres de l'inconnu et de l'incertain. Ainsi tiraillée en sens divers par ses appréhensions, la population est restée immobile et l'on pourrait croire qu'elle s'est désintéressée des événements. Elle n'a donné nul signe de joie en apprenant la prise de Flessingue par lord Chatam (9 août 1809) ; RETOUR DE LA PROSPERITE. — La sécurité dont on jouit et les innovations utiles qui s'introduisent grâce à elle font accepter l'absence complète de liberté politique, l'immixtion constante de la police dans la vie sociale, la reprise de la guerre et l'asservissement du peuple à la conscription. Elle a cessé d'être odieuse aux riches depuis qu'ils ont la faculté d'en exonérer leurs fils à prix d'argent (9). Pour eux, elle n'est plus qu'un impôt d'autant moins lourd que la reprise des affaires augmente rapidement leurs revenus. Tout favorise maintenant le retour si longuement attendu de la prospérité : la suppression des assignats (23 décembre 1796), l'introduction du système métrique pour les poids et les mesures (1800) et pour la monnaie (10). Toutes les institutions nouvelles fonctionnent si bien qu'on ne conçoit plus leur disparition. Elles font éprouver l'impression de fraîcheur, de clarté et de confortable que donne l'installation dans une maison neuve au sortir d'un logis obscur et mal commode. Les avantages du présent font que l'on ne voit plus du passé que ses inconvénients. Rien, d'ailleurs, ne le rappelle plus à la génération qui grandit. Son mépris et son inintelligence de l'Ancien Régime sont comparables à deux des humanistes du XVIe siècle pour l'art « gothique » du moyen âge. (Bruges, Hôtel de Ville.) (Cliché Plchonnler.) Réception de Napoléon Ier à Bruges par le baron de Croeser, maire de la ville, le 18 mai 1810. Tableau peint par Joseph Odevaere (Bruges, 1778- Bruxelles, 1830). mais aussi elle a répondu avec une tiédeur significative aux appels du gouvernement pour la levée des gardes nationales. Visiblement, elle attend et elle se réserve. Et pourtant la situation est grave. Napoléon combat en Autriche et s'il vient de remporter la victoire de Wagram (6 juillet 1809), elle a été bien chèrement achetée. Que serait-il arrivé si les Anglais, profitant de l'insuffisance des forces commandées en Belgique par Bernadotte, avaient pu s'emparer d'Anvers ? Mais décimés par la maladie et conduits par un chef incapable, il fut bientôt évident que leurs efforts n'aboutiraient pas. Ils reprirent la mer le 30 septembre sans avoir même mis le pied sur le sol belge, et, peu après, la paix de Vienne (14 octobre), en imposant de nouvelles humiliations à l'Autriche, faisait s'évanouir les vagues espoirs qui avaient pu agiter les esprits. La domination française sembla plus que jamais assurée. L'île de Walcheren fut provisoirement rattachée au département de l'Escaut (1" février 1810). Le vainqueur profita de cette même année 1810 pour se montrer de nouveau aux Belges, pour visiter Anvers, où se continuaient fébrilement les travaux de fortification et la construction de navires de guerre, et pour préparer enfin l'annexion prochaine de la Hollande. Cette fois il était accompagné de Marie-Louise. Peut-être espérait-il, en exhibant sa seconde épouse à la nation, raviver et attirer sur lui ce qui pouvait subsister encore d'attachement à la maison de Habsbourg. S'il fit ce calcul, il se trompa. On profita de la présence de l'impératrice pour lui prodiguer des hommages qui eussent dû s'adresser à l'empereur. Les acclamations qu'elle reçut ne furent qu'une manière de protestation. Les adulations officielles ne purent dissimuler l'absence de l'enthousiasme qui s'était déployé si général et si spontané en 1803, car déjà le sentiment public se reprenait. Le Concordat avait rallié les Belges à Napoléon : le conflit qui, l'année précédente, l'avait mis aux prises avec le pape, commençait à les en détacher. (Malines, Musée communal.) (Cliché A.C.L.) Drapeau des gardes d'honneur qui escortèrent Napoléon Bonaparte lors de son passage à Malines en 1803. Soie. Au centre, les armes de la ville. Légende : CONSTANT DANS LA FOI —■ Garde d'honneur de Malines. NOTES (1) Lanzac de Laborie, op. cit., t. I, p. 310. (2) Pour les détails de l'administration impériale et les modifications qu'elle a subies, il suffira de renvoyer le lecteur au livre très précis de P. Poullet, Les institutions françaises de 1795 à 1814. Essai sur les origines des institutions belges contemporaines, p. 537 et suiv. (Bruxelles, 1907). (3) Recueil des arrêts du préfet du département de l'Escaut, p. 15. (4) Voir sur Stevens et le Stévenisme : F.-J. Lamy, Notice sur la vie et tes écrits de l'abbé Corneille Stevens. Revue Catholique, 1857, p. 267, 345, 391, 459; E. Cauwenbergs, Le Stévenisme dans les environs de Hal. Annales du Cercle archéologique d'Enghien, t. VI [1898-1907]; A. Kenis, Eene gods-dienstsecte in Belgie, 1903; F. Courtois, Autour du Stévenisme. Annales de la Soc. arch. de Namur, t. XXXII [1914], (5) Recueil des arrêtés du préfet du département de l'Escaut, p. 477. (6) Sur les préfets, on consultera, en l'absence de monographies, les renseignements que donne Lanzac de Laborie, op. cit., t. I, p. 313 et suiv., et t- II, p. 7 et suiv. (7) H.-T. Coienbrander, Gedenkstukken der algemeene geschiedenis van Nederland 1813-1815, p. 531 (La Haye, 1914). (8) Exposé de la situation de la Flandre Orientale en 1817, p. 84. — Cf. encore P. Miillendorff, Das Grossherzogtum Luxemburg unter Wilhelm /., p. 104 (Luxembourg, 1921). (9) Le remplacement, aboli en principe depuis 1793, fut rétabli par la loi du 17 ventôse an VIII (8 mars 1800). Théoriquement, il n'était autorisé que pour les hommes valides qui seraient reconnus plus utiles à l'Etat en continuant leurs travaux ou leurs études qu'en servant dans l'armée. Mais II fut bientôt loisible à tous les conscrits qui en avalent les moyens, de se faire remplacer. — Pour la conscription, elle fut appliquée à la Belgique durant le Consulat et aux premiers temps de l'Empire avec des tempéraments qu'explique le soulèvement de 1798. Voy. Lanzac de Laborie, op. cit., t. I, p. 364. (10) La loi établissant les nouvelles mesures métriques est du 18 germinal an III (7 avril 1795), mais elle ne fut appliquée qu'en vertu de l'arrété des consuls du 13 brumaire an IX (4 novembre 1800), la rendant obligatoire à partir du 1er vendémiaire an X (23 septembre 1801). A partir du l"r vendémiaire an VIII (23 septembre 1799), toute la comptabilité publique dut se faire en francs et centimes. Arrêtés, t. XIII, p. 123). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Vue des chantiers de l'arsenal maritime du port d'Anvers (Hoboken) sous le régime français. Dessin anonyme. CHAPITRE II LA SITUATION ECONOMIQUE fROSPERITE DU PAYS AU XVIIIe SIECLE. — La paix constante dont la Belgique avait joui depuis le milieu du XVIIIe siècle y avait ranimé l'agriculture aussi bien que l'industrie et le commerce ( 1 ). Tous les voyageurs s'accordent à prôner la prospérité du pays. Young oppose la belle apparence et la fécondité des campagnes flamandes à la négligence et à l'incurie qu'il reproche aux paysans français. De 1750 à 1785 environ, on constate que le prix des terres augmente, que la population s'accroît, que la production et le trafic se développent. Tandis que la vieille industrie linière fait preuve d'une activité à laquelle elle n'avait jamais atteint auparavant, l'extraction du charbon, la métallurgie et la verrerie multiplient dans le Hainaut, dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, dans le sud du Luxembourg, les entreprises nouvelles. Même spectacle dans le pays de Liège où la fabrication des armes, la clouterie, la draperie, l'exploitation de l'alun alimentent une exportation croissante. Les finances de l'Etat sont aussi satisfaisantes que le crédit public est solide. Où que l'on regarde, la situation paraît pleine de promesses. Après les misères et la longue atonie du XVIIe siècle, l'énergie nationale s'est ranimée dans tous les domaines. Elle est bien loin toutefois de s'épancher sans obstacles. Tout d'abord, l'Escaut reste impitoyablement fermé et c'est par les ports de Hollande que doivent arriver les matières premières et s'exporter les produits nationaux. Les efforts de Joseph II pour rouvrir au pays cette admirable voie naturelle, ont échoué devant la résistance combinée des Provinces-Unies et de la France. De plus, le régime douanier est singulièrement défavorable. Vers l'est, les Liégeois s'obstinent à entraver inintelligemment le transit. Au sud, le protectionnisme français ourle la frontière d'un cordon de droits quasi prohibitifs. Ce n'est que grâce au bon marché de la vie et au taux très bas des salaires que l'industrie parvient à écouler ses fabricats à l'étranger. L'Espagne reste le grand marché des toiles flamandes et, en dépit de toutes les difficultés, on cherche à s'assurer de nouveaux clients et de nouveaux débouchés. Le gouvernement « éclairé » de Marie-Thérèse et de Joseph II seconde en cela les initiatives des Etats provinciaux. Pour faciliter le transit, des canaux sont creusés, des chaussées ouvertes, des entrepôts établis. Les réclamations des Provinces-Unies, inquiètes de cette renaissance d'un pays qui depuis le milieu du XVIIe siècle a subi passivement toutes leurs exigences, n'effrayent plus les ministres plénipotentiaires nement ne se fait pas faute cependant de rogner autant qu'il le peut leurs privilèges. Mais il importe d'être prudent, car elles interviennent et dans la constitution des magistrats urbains et dans celle des Etats provinciaux, où leur opposition peut être et en fait est souvent très gênante. Joseph II, en 1787, a voulu les supprimer sans y réussir. Néanmoins, le mouvement qui pousse la société dans la voie nouvelle de la liberté économique et du capitalisme est trop puissant pour qu'on l'arrête. Ni la fermeture de l'Escaut, ni le protectionnisme français, ni la jalousie hollandaise, ni le conservatisme des riches, ni l'esprit réactionnaire des métiers ne parviennent à contrecarrer son expansion. La seconde moitié du XVIIIe siècle voit se former en Belgique comme en France cette nouvelle classe sociale d'où est sortie la bourgeoisie moderne. Presque tous parvenus, les hommes qui la composent sont animés de ce génie d'entreprise impatient de toute tradition et de toutes entraves, qui est proprement l'« esprit capitaliste ». Entrepreneurs, manufacturiers, spéculateurs, ils aspirent tous à une réforme qui leur permettra l'usage illimité de cette liberté économique dont les physiocrates prêchent la bienfaisance. Et l'Etat leur prête ouvertement son appui. Ce que Turgot fait pour eux en France, Cobenzl et Nény cherchent à l'imiter en Belgique, en attendant que Joseph II prétende les dépasser tous. LA BOURGEOISIE ET LA REVOLUTION. - Au début, il a pu compter sur l'adhésion des hommes nouveaux, des nouveaux riches qui, autant que lui, condamnaient le passé. Et quand a éclaté la Révolution brabançonne, ils n'ont abandonné l'empereur que pour se ranger dans le parti vonckiste, c'est-à-dire dans le parti qui, tout en s'insurgeant contre le despotisme éclairé, n'en aspirait pas moins à une transformation « libérale » de la société (2). L'action que la bourgeoisie a exercée en France au début de la Révolution, elle l'a aussi exercée en Belgique. Les Proli et les Walckiers ont applaudi aux nouveautés de 1789, et il n'a pas tenu à eux qu'elles ne fussent proclamées à Bruxelles comme elles l'étaient à Paris. Mais le rapport des forces en conflit n'était pas le même ici et là. En France, les partisans du mouvement étaient les plus forts; en Belgique, ils furent les plus faibles. La Révolution brabançonne a rapidement tourné, on le sait suffisamment, au profit des conservateurs. A l'envisager du point de vue économique, on pourrait dire qu'elle marque la victoire momentanée et sans lendemain des artisans privilégiés et des grands propriétaires sur les industriels et les entrepreneurs capitalistes. Il ne faut donc point s'étonner si l'on voit, en 1792, presque tous ces industriels et ces entrepreneurs saluer avec enthousiasme la victoire de Jemappes. La jouissance des droits de l'homme leur promettait la libre expansion de leurs facultés dans une société rendue à son équilibre naturel et débarrassée des survivances de la féodalité et des privilèges. Liberté politique et liberté économique, indispensables l'une à l'autre, allaient se développer de conserve. Le triomphe de la Révolution devait ouvrir l'âge d'or... Il n'ouvrit tout d'abord qu'une crise épouvantable. Car il mettait fin à cette longue paix qui avait été la condition première du relèvement du pays et grâce à laquelle la bourgeoisie s'était enrichie. De 1792 à 1795, la Belgique ne devait plus cesser d'être foulée et rançonnée par les armées fluant et refluant sur elle, soit de France, envoyés à Bruxelles par le cabinet de Vienne. Dans les villes comme dans les campagnes, l'Etat suscite par des octrois, la fondation de manufactures privilégiées, et à côté d'elles il en est d'autres qui doivent leur naissance à l'esprit d'entreprise des particuliers. Déjà des fabriques apparaissent, attestant que le capitalisme cherche à prendre son essor. Sans doute, il est encore bien timide et bien neuf. L'épargne ne l'alimente qu'avec une parcimonie craintive et il ne participe que pour une faible part à l'accroissement des revenus nationaux. L'aristocratie et la haute bourgeoisie ne se laissent guère entraîner par la spéculation et l'esprit d'entreprise. Elles employent leurs fonds disponibles à acheter des terres ou à alimenter leurs dépôts à la banque de Vienne. Les institutions de crédit sont rudimentaires. Le pays ne possède aucune banque de commerce : il dépend entièrement d'Amsterdam à cet égard. Ajoutez à cela que les corporations de métiers et les « nations » entravent les progrès de l'industrie capitaliste. Le gouver- (Oand, Place du Sablon.) (Cliché A.C.L.) Fontaine du Sablon à Gand, surmontée de l'Aigle impérial (1810). soit d'Allemagne. La première occupation aussi longtemps du moins qu'elle fut dirigée par Dumouriez, n'altéra pas très sensiblement la fortune nationale. Le vainqueur s'efforça de ménager la population : elle ne souffrit que du minimum des maux que la guerre entraîne nécessairement avec elle. Il y eut des réquisitions et des impositions, mais elles furent compensées par l'argent que les armées introduisaient dans le pays. Il semble même que la fourniture des subsistances et des équipements militaires fut pour beaucoup de spéculateurs une source abondante de profits. Du moins, la Convention estimait-elle en 1794 que la Belgique s'était enrichie durant cette courte période d'un milliard de numéraire, et rien ne permet de croire que, dans son ensemble, cette évaluation soit inexacte (3). Le retour des Autrichiens après Neer-winden ne modifia pas la situation. Les alliés furent sans doute des hôtes encombrants et désagréables, mais ils payaient et il n'apparaît pas que l'on se soit plaint d'avoir été appauvris par leur séjour. En somme, quand la bataille de Fleurus ramena les Français en Belgique, tout semble indiquer que le capital national était encore intact. (Musée de Dijon.) Mais on a déjà vu que la République était décidée cette fois à exploiter les ressources de sa conquête. Elle le devait sous peine de périr. Son crédit était à bout et l'on se demande si, vaincue à Fleurus, elle eût pu continuer la guerre. Ce fut pour elle une nécessité inéluctable que de sacrifier la Belgique au relèvement de ses finances et à l'entretien de ses armées. Tout ce que le pays possédait fut considéré comme butin de guerre. Jamais encore aucune occupation n'avait eu pour conséquence une spoliation aussi complète, aussi cruelle et d'ailleurs aussi imprévoyante. Visiblement, on ne songea tout d'abord qu'à prendre et à tout prendre, parce que l'on avait besoin de tout. Le Comité de Salut Public agit comme un affamé qui se jette sur une table bien servie et la dépouille gloutonnement. Aucune préoccupation de l'avenir. On ne pense qu'au présent et à profiter de la chance qui s'offre. La Belgique est mise non pas même en coupe réglée, mais au pillage. Matières premières, produits fabriqués, objets d'art, tout y est réquisitionné pêle-mêle et envoyé en France ou aux armées. Le numéraire s'écoule du pays, chassé par le cours forcé des assignats. Le maximum de Lille brutalement imposé tue le commerce, arrête l'approvisionnement des marchés et plonge la population des villes dans la disette. Aux spoliations officielles s'ajoutent les rapines privées des centaines d'employés civils et militaires qui de France accourent prendre part à la curée. L'agence du commerce, instituée pour centraliser les biens et marchandises à exporter dans la République, se livre à des abus tellement scandaleux que le gouvernement, qu'elle vole sous prétexte de le servir, se voit forcé de la supprimer. (Cliché Remy.) « La Belgique est mise... au pillage. Matières premières, produits fabriqués, objets d'art, tout y est réquisitionné pêle-mêle et envoyé en France ou aux armées. » (Voyez le texte ci-contre.) — Une œuvre d'art volée par les Français en 1794. Il s'agit du tableau de P.-P. Rubens représentant saint François d'Assise agenouillé devant la Vierge et l'entant Jésus. Acheminé vers Dijon en 1794, ce tableau n'a jamais été restitué à l'église Saint-Gommaire à Lierre à laquelle il appartint jusqu'à cette date. LA CRISE DE 1794-1798. — Pour comble de malheur, les Anglais tiennent la mer et bloquent la côte. L'Escaut, dont l'affranchissement a été solennellement proclamé, est en fait plus étroitement fermé que jadis. La flottille de pêche qui, depuis le règne de Marie-Thérèse, s'était si rapidement développée, est capturée ou, n'osant plus se risquer au large, pourrit dans les bassins d'Ostende et de Nieuport. Tous les marchés extérieurs sont rendus inaccessibles par la guerre : on se bat sur le Rhin comme en Hollande. Impossible même de rien exporter en France, puisque le Comité de Salut Public a interdit aux Belges d'y faire le commerce. En outre, quantité d'industriels et de négociants ont émigré; les autres, privés de matières premières, ferment leurs ateliers ou font faillite. Tous ceux qui ont pu expédier leurs capitaux au dehors n'y ont pas manqué. Les paysans, comme il arrive toujours durant les périodes de crise, trouvent dans la vente clandestine de leurs produits une compensation aux réquisitions qui les frappent. Mais la condition des travailleurs industriels est épouvantable. Les autorités qui leur prodiguent les bonnes paroles et les encouragements, qui déclament contre les riches et affirment que la Révolution est le triomphe des classes laborieuses, sont incapables de soulager leur misère. Tout LA LIBERTE ECONOMIQUE. - A vrai dire, la Révolution n'eut pas, à proprement parler, de doctrine économique. Son œuvre est essentiellement politique et juridique. Elle a voulu affranchir les hommes du despotisme et du privilège, et il semble qu'elle ait considéré qu'il suffisait, pour les rendre libres, de les rendre égaux en droits. Son ennemi, c'est le privilégié, et elle entend par là le privilégié héréditaire. C'est lui qu'elle stigmatise du nom d'aristocrate, nom aussi odieux à ses adeptes et aussi chargé de malfaisance que celui de « capitaliste » l'est de nos jours parmi les travailleurs socialistes. De socialisme d'ailleurs ou de communisme, on chercherait vainement la trace parmi les jacobins même les plus avancés. Leur but n'est pas la suppression de la propriété, mais sa répartition entre tous. Le travail, accessible à chacun, doit être en même temps imposé à chacun. Plus de citoyens inutiles se bornant à vivre de la fortune acquise. La fortune sera désormais la récompense de tous ceux qui auront assez de talent SÊSî iw" s w CQ t—i >-3 Caisse Patriotique ® rnâ Terorutreé c/l z 24 BïtUt m de Confiance de 5o Sols || EN ECHANGE CONTREDES 7] ASSIGNATS DEPUIS 2 S £ LivrdJjusoyuips 3oo Lvure* J-F LIXS'CN^MIMISTRAT: ^ mm (Liège, Musée Curtius.) Billet de 50 sols émis en échange des assignats à Liège sous le régime français. Billet émis par la caisse patriotique établie rue Féronstrée, n° 24. Au bas du billet, le bonnet phrygien. Devise : LIBERTE — EGALITE — LIEGE. comme alors, décroît avec une rapidité effrayante. Bruxelles en 1783 comptait 74,427 habitants : il n'en a plus que 66,297 en 1800. Bassenge, en 1797, affirme que Liège a perdu 20,000 âmes et Verviers 5,000. De 1797 à 1801, le département de l'Escaut tombe de 578,562 habitants à 560,850, et celui de la Lys de 477,723 à 459.436. La crise atteignit son maximum d'intensité à la fin de 1795. En se prolongeant plus longtemps, elle eût amené la ruine totale d'un pays que la République avait décidé de conserver et dont il lui importait dès lors de ménager les ressources. Déjà le Comité de Salut Public avait pris quelques mesures protectrices; il avait supprimé l'agence du commerce et rétabli les relations commerciales entre la France et la Belgique. Sous le Directoire, la situation s'améliora en se stabilisant. Au provisoire et à l'improvisé des débuts, succéda l'introduction progressive des institutions et de l'administration françaises. La suppression du maximum, puis celle des assignats rétablirent les conditions normales de la vie économique. Et peu à peu, à mesure que s'installait l'ordre de choses nouveau, se dévoilèrent les possibilités qu'il offrait au capitalisme et à l'entreprise. (Malines, Musée communal.) (Cliché Van Kesbeeck.) Planche d'assignats. Necker, ministre de Louis XVI, avait suggéré à son maître l'émission de billets à la caisse d'escompte, sous la garantie de l'Etat. L'Assemblée constituante s'empara du projet; elle décréta l'aliénation des biens nationaux pour une valeur de 400 millions, et l'émission d'assignats sur la Caisse de l'Extraordinaire. Le taux d'intérêt, fixé d'abord à 5 p. c., fut réduit à 3 p. c. par décret du 15 avril 1790, et l'assignat reçut à la fois un cours légal et un cours forcé. Mais les émissions se succédant rapidement à partir de septembre 1790 (45 milliards 578 millions de 1790 à 1796), l'assignat perdit jusqu'à 97 p. c. de sa valeur primitive (Voyez le tableau de dépréciation de l'assignat, p. 319). Ni la loi du maximum, ni la suppression des sociétés par actions, ni l'emprunt forcé ne purent enrayer la chute. Finalement, les lois des 29 messidor an IV, 5 thermidor an IV et 16 pluviôse an V (= 17 et 23 juillet 1796, 3 février 1797) abolirent le cours légal. — Des assignats sont conservés dans la plupart des musées publics et dans de nombreuses collections privées de France et des pays occupés par les troupes françaises. La planche reproduite ci-dessus n'est qu'un échantillon choisi parmi des centaines d'autres. au plus peuvent-elles détourner leur mécontentement contre les « aristocrates ». Sans argent, comment combattre le chômage général et la cherté croissante des vivres ? Les municipalités ouvrent bien çà et là quelques ateliers nationaux (4), ou font venir de Hollande à grand-peine et à grand prix quelques bateaux de blé, sans pouvoir atténuer un mal qui va sans cesse en empirant. L'hiver de 1795 est pour les ouvriers un véritable martyre. Les détaillants refusent d'accepter au pair les assignats, les boulangers cachent leurs pains. La suppression des monts-de-piété livre les malheureux aux manœuvres éhontées des prêteurs sur gages. L'excès de souffrance pousse naturellement à tous les désordres. On dévaste les bois, on attaque les fermes; les grandes routes, défoncées par les charrois militaires, deviennent des coupe-gorge et tout homme qu'on y rencontre est suspect. La désorganisation de la police favorise le brigandage à la campagne et la prostitution dans les villes. Partout rôdent les « chauffeurs » et les bandits de toute espèce. Pour trouver une semblable anarchie, il faut remonter à cette période de troubles civils qui a marqué la fin du XVe siècle, entre la mort de Marie de Bourgogne et l'avènement de Philippe le Beau (5). Maintenant comme alors, il semble que se tarissent les sources de la vie nationale et, sous l'action du désespoir ou de la misère physiologique, la population, maintenant et d'énergie pour l'acquérir dans une société où plus rien ne subsiste des différences qu'établissaient entre les hommes la naissance ou la corporation. Il suffit que la République ouvre la carrière à tous, qu'elle leur assure l'égalité du point de départ : à eux de se distinguer par leur génie ou leur vertu. La propriété, fruit du travail, apparaît comme un droit naturel, comme une conséquence même de la liberté. Partant, elle est aussi sacrée que celle-ci et le communisme n'est pas moins incompatible avec les droits de l'homme que ne l'était la féodalité. De toutes les lois républicaines, les plus « bienfaisantes » sont donc celles qui libèrent l'individu des liens par quoi il était jadis attaché à sa classe ou à sa profession et qui lui permettront d'épanouir, comme il le veut, son activité. Rien de plus salutaire que l'abolition des droits féodaux et du retrait lignager, puisqu'elle mobilise, au profit de tous, la propriété foncière; que la suppression des corporations de métiers, des monopoles, des coalitions, puisqu'elle institue la libre concurrence; que le partage égal des successions, puisqu'il empêche l'hérédité des grandes fortunes. Désormais il n'y a plus, en face les uns des autres, que des citoyens égaux, et l'harmonie de la vie sociale sera la conséquence naturelle de leur compétition. L'optimisme du XVIIIe siècle arrive ici à son apogée : bon par nature, l'homme ne peut abuser de sa liberté, et toute intervention de l'Etat dans son domaine serait un retour au despotisme. Si l'Etat doit s'abstenir de restreindre cette liberté, il lui appartient en revanche d'en faciliter l'usage. Ici l'utilité générale se confond avec celle des particuliers et l'intérêt de la République est solidaire de celui des citoyens. De là tant d'innovations de tout genre : disparition des douanes intérieures, des péages et des tonlieux, établissement à la frontière de droits protecteurs, introduction d'un système uniforme d'imposition, améliorations de toutes sortes dans les procédés de la comptabilité publique, lois spéciales sur le timbre, l'enregistrement, les hypothèques, les patentes, etc. En accomplissant ce programme, la Révolution n'a fait d'ailleurs que réaliser l'idéal du despotisme éclairé. En France, Turgot, en Belgique, Joseph II avaient ouvert la voie où elle les a dépassés. La seule différence c'est que, chez eux, les réformes découlent avant tout de l'intérêt de l'Etat, tandis que, chez elle, c'est au nom des droits de l'homme qu'elles sont proclamées. Et cela leur confère la dignité et le caractère absolu d'un principe. Le despotisme, ne s'inspirant que de l'utilité générale, se réservait le contrôle de l'activité économique de ses sujets; la Révolution, en faisant de celle-ci un attribut de la liberté du citoyen, la place en dehors de ses atteintes. Elle ne peut plus admettre d'exceptions au « laissez faire et laissez passer », et il en résulte qu'elle va fournir au capitalisme une puissance qu'il n'a jamais possédée, et qu'en affranchissant au point où elle l'a fait, le commerce et l'industrie, c'est lui surtout que, sans le vouloir, elle a favorisé. LA VENTE DES BIENS NATIONAUX. - Non seulement elle aplanit devant lui tous les obstacles, mais, par une conséquence nécessaire des lois qu'elle porte contre l'Eglise, elle augmente son volume et ses forces. En effet, pour la plus grande partie, il s'appropriera l'immense richesse foncière consacrée par les générations passées à l'entretien du clergé et à sa mission. En Belgique, plus encore qu'en France, la vente des biens nationaux a tourné à l'avantage de la bourgeoisie. w (ENTE DE DOMAINES NATIONAUX. .■^AUT/g^p R Q C È S- VERBAL e » ht os De première Séance d'enchères et d'Adjudication définitive. C Al i/t' J fi -«uhoho»- —--t/f/éy de 11 République fnoçtife, une te lodmGble, le A rs il »«U U OU SI VU I Vt^ heure! i / fr «» eiéeuùoo*! Loi, , qui 01 duieat U >>•.• ici D»- ^T""'™"..... vent procédé k la.rél 101 ée /f-J dont il » é:é donné lecture, laquelle affiche a é é bien (e duement publiée & appofée dam Ici Adraimfljauurs du Département de I'Ejcact, nous Comme* uanfporté* accompagnés du Citoyen ^ // L--'' Co®m,fl»'re fircétoire exécutif prèi notre Adminiftration, dan* la falle da 7'/ e J/. vente de ladite A"lminiftra:ion. oà étant ledit Commiflaire du Direftoire exécutif, a annoncé qu'il allait èira L •/' J$ procédé à la .réception de* première* enchère* pour la vente de» Bien* compri* dan* l'affiche fpéciale, numé- lieux preferi * par la Loi, fuivant le* certificat* ci-anntxé* de* Officier* municipaux de* Commune* où font ^(npé* le* Bien* y compri»^le*dn* Bien» apparteram à la République françaile comme provenaac formant un- d'efUmation qui > été porté en revenu, rijoureufement éditai, à 1» fBff - fou* l»a condition* pré»crite* par le» Loi»: il» confident en //( /tys'TT -4* / C rfpjt/de. Q< (Gand, Archives de l'Etat, Administration du département de l'Escaut n" 1350.) (Cliché De Wilde.) Procès-verbal de la vente de domaines nationaux du département de l'Escaut (1er Brumaire an VII = 22 octobre 1798). Procès-verbal relatif à l'adjudication des biens provenant de l'évêché de Gand, lot « rigoureusement estimé à la somme de sept cent cinquante francs, et en capital à celle de quinze mille francs ». Suit l'énumération des biens mis en vente dans la commune d'Oostakker, canton de Loochristi. Durant les premiers temps de l'annexion, en 1794, la République n'avait confisqué et mis à l'encan, dans les départements réunis, que les terres appartenant à des établissements religieux de France ou à des émigrés français. C'est seulement après la promulgation dans le pays des lois abolissant les corporations ecclésiastiques comme les corporations civiles, que leurs biens subirent le même sort. Il est impossible d'apprécier avec quelque exactitude leur superficie et leur valeur. On ne sera sans doute pas très loin de la vérité en estimant qu'ils recouvraient plus d'un quart du sol national (6). Comparée à cette formidable richesse, celle des métiers apparaît négligeable : elle ne comprenait dans chaque ville que quelques maisons. Quant aux biens des émigrés, c'est à peine s'il en fut question, la plupart des absents étant rentrés de bonne heure et ayant ainsi évité la confiscation. Somme toute, les adjudications n'atteignirent guère en Belgique que les domaines de l'Eglise ou, pour employer l'expression populaire, que les « biens noirs ». La mise aux enchères commença au mois de décembre 1796. Le gigantesque transfert de capital foncier qui s'ensuivit est sans conteste un des phénomènes les plus importants de l'histoire économique du XIXe siècle. Son étude a malheureusement été si négligée en Belgique, qu'il faut se borner à n'en donner qu'une esquisse tout à fait indigne de son intérêt (7). Ce que l'on peut affirmer en tout cas, c'est, qu'à la différence de ce qui s'est passé en France, les paysans n'en ont profité que dans une très faible mesure. La cause en doit être cherchée certainement dans les scrupules religieux qui les empêchèrent de s'approprier, au début, des terres dont la confiscation leur apparaissait comme une monstrueuse impiété. L'ascendant que le clergé exerçait sur eux explique suffisamment leur abstention. Elle ne peut provenir de leur incapacité d'acheter car, dans les premiers temps au moins, les ventes se firent à vil prix et tout porte à croire que la population rurale, enrichie par la vente des denrées aux habitants des villes pendant la crise que l'on venait de traverser, possédait des épargnes assez abondantes. Si elle ne fournit que très peu d'acquéreurs, c'est donc que les considérations religieuses furent plus puissantes chez elle que l'amour du gain. La signature du Concordat contribua certainement à diminuer sa réprobation. Mais alors, il était trop tard pour pouvoir encore acquérir à des conditions avantageuses et lutter à armes égales avec la bourgeoisie. Celle-ci même paraît ne s'être décidée qu'assez lentement, soit que la religion, la crainte de se compromettre ou le manque de ressources l'aient fait hésiter. Durant les premiers temps, on trouve surtout comme acquéreurs d'anciens moines, utilisant les bons qu'ils ont reçus du gouvernement à l'achat de terres dont ils se promettent de faire plus tard restitution à l'Eglise, des notaires ou des hommes d'affaires agissant comme intermédiaires pour des clients anonymes, et, enfin, des spéculateurs étrangers : la Compagnie Paulée, de Paris, des gens du département du Nord, des Suisses de Genève, de Berne, de Lausanne, des habitants d'Amsterdam, etc. Mais la tentation était trop grande pour ne pas triompher bientôt de la timidité ou des scrupules de conscience. On voyait au surplus que de riches propriétaires ne se faisaient pas faute de profiter de r occasion et leur exemple était contagieux. On se persuadait facilement qu'il fallait surtout éviter le scandale. Plusieurs se mettaient à acheter de seconde main et réalisaient encore de beaux bénéfices. D'autres, et de plus en plus, se rendaient acquéreurs par « command ». A partir du coup d'Etat de brumaire, la confiance plus grande dans la stabilité du régime, augmente la hardiesse et le nombre des amateurs. Quantité de bourgeois prennent maintenant part aux adjudications. Des industriels, Bau-wens, par exemple, et Lousberg, à Gand, se font adjuger des bâtiments conventuels qu'ils transforment en ateliers. Des maîtres de forges, dans le pays de Liège, deviennent possesseurs de moulins et de cours d'eau. Par blocs ou par parcelles, la propriété monastique entre ainsi dans le capital des entrepreneurs et vient grossir l'épargne bourgeoise. Ce sont naturellement les partisans du régime qui ont ouvert la voie et qui continueront jusqu'au bout à s'y presser les plus nombreux. Il suffit de parcourir les registres d'adjudication pour y relever les noms d'une foule de présidents et de juges de tribunaux, de juges de paix, de maires, de notaires, de membres des Conseils généraux, ou des Conseils d'arrondissement. Non seulement, en ville. mais à la campagne, ils se hâtent d'afficher un loyalisme rémunérateur. Au milieu de cette cohue d'acheteurs républicains, les autres se faufilent progressivement. Des conservateurs, des ci-devant, ne résistent plus à la tentation. La noblesse même s'y laisse aller. « Quand on peut suivre la destinée de quelques familles d'acquéreurs ou les transferts successifs d'un domaine, ce n'est pas toujours des amis de la Révolution que l'on rencontre chemin faisant » (8). A côté des aristocratiques acheteurs de parcs monastiques et de résidences abbatiales, les spéculateurs se ruent à la curée. Dès 1797, leurs agissements étaient si scandaleux que Noailles les dénonçait au Conseil des Cinq Cents et demandait que l'on suspendît en Belgique l'aliénation des domaines nationaux (9). Parmi eux, à côté des étrangers, moins nombreux à partir de 1800, se rencontrent de grossiers mercantis, ne sachant ni lire ni écrire, et dont l'âpreté et le fruste génie font penser à certains héros de Balzac (10). Des paysans proprement dits, bien peu sont sortis de la réserve effarouchée dans laquelle ils se sont confinés dès l'origine. Et encore est-il certain que très souvent ils n'ont acheté que comme hommes de paille des anciens possesseurs ou même avec l'idée préconçue de ne conserver leurs acquisitions que pour les rendre en des temps meilleurs (11). Le plus souvent, les acheteurs campagnards, brasseurs, meuniers, notables de village, appartiennent à ce que l'on pourrait appeler la bourgeoisie rurale. DEBUTS DU RENOUVEAU ECONOMIQUE. -Malgré la déplorable insuffisance de nos renseignements, nous en savons assez pour conclure avec assurance que, tout compte fait, l'aliénation des domaines nationaux a tourné, en Belgique, au profit de la classe possédante. Elle n'a guère augmenté la petite propriété; elle a surtout dilaté la grande et rendu les riches plus riches qu'ils n'étaient. Des mains du clergé, le sol a passé surtout aux détenteurs du capital. Parmi ceux-ci d'ailleurs, les «nouveaux riches» semblent en avoir recueilli beaucoup plus que les anciens propriétaires de la noblesse et de la bourgeoisie, de sorte que la grande opération dont les républicains espéraient l'égalisation des fortunes, n'a servi qu'à affermir le crédit et les ressources des capitalistes au moment même où, vers l'année 1800, le pays prend son essor industriel. Leur situation est d'autant plus favorable qu'ils disposent maintenant d'un marché pratiquement illimité (12). Toute la France s'ouvre à leur esprit d'entreprise. Englobée dans le cordon de ses douanes et protégée par lui contre la concurrence étrangère, l'industrie belge va pouvoir dilater sa production et utiliser, dans des conditions qu'elle n'a plus connues depuis le XVIe siècle, l'énergie et l'habileté technique de ses travailleurs. L'ère napoléonienne sera pour elle une ère de renaissance. Et il n'est point jusqu'aux guerres de l'empereur dont elle n'ait profité, puisque ses fabriques ont eu à pourvoir à l'entretien des armées. Déjà d'ailleurs, on constate, sous le Directoire, les premiers symptômes d'un renouveau. Le gouvernement prend quelques mesures pour panser les blessures que la conquête a faites aux départements réunis. Il conseille à Bouteville de porter vers le commerce et l'industrie une sollicitude requise par trop d'affaires urgentes pour qu'elle ait pu se traduire en actes. En 1797, le ministre de l'Intérieur, Béné-zech, est envoyé en Belgique avec mission de rechercher les moyens d'y développer le trafic et les manufactures. La même année, une « foire générale » est instituée à Bruxelles, qui doit devenir pour le Nord de la France, ce que celle de Beaucaire est pour le Midi. Les instructions des autorités départementales leur recommandent de favoriser l'activité économique. Mais cette bonne volonté ou pour mieux dire ces velléités sont trop fortement contrecarrées par le découragement et le mécontentement de la population pour qu'elles puissent aboutir. Comment songer à la reprise des affaires pendant que la République transforme toutes les institutions, heurte à la fois les idées et les croyances, bouleverse le régime douanier en même temps que le système des impôts, les conditions du travail et celles du transit ? Si des esprits clairvoyants distinguent déjà, au milieu du chaos, la voie à suivre et s'y engagent hardiment, la masse demeure apathique et défiante. Au surplus, on est apeuré par la fuite des capitaux. L'insécurité est générale et, en 1798, la guerre des paysans, puis la persécution contre le clergé empirent encore une situation qui, dans son ensemble, reste déplorable. Elle favorise pourtant les spéculateurs. L'agio sur les assignats, l'achat et la vente des biens nationaux, les marchés conclus avec les autorités militaires pour l'approvisionnement des armées, la contrebande enfin suscitent trop d'affaires fructueuses pour que, la corruption du Directoire aidant, les scrupules de conscience aient pu retenir de s'y livrer ceux qui se croyaient assez habiles pour arriver ainsi à la fortune. Le renchérissement de la vie leur était une autre occasion de profits. Il est certain que, depuis le début de l'occupation française, tous les prix ont haussé rapidement. En 1789, on estime que la moyenne des dépenses journalières est de 4 fr. 36, tandis qu'elle atteint 5 fr. 32 vers 1800 durant la même période, le taux de l'intérêt passe de 4 1/2 à 9 pour cent (13). Il faut évidemment conclure de tout cela que l'époque directoriale, si elle a mis fin à l'exploitation brutale du pays, est bien loin en revanche d'y avoir instauré un régime économique satisfaisant. Mais c'est moins le gouvernement que la situation amenée par la conquête qu'il faut en rendre responsable. A partir de 1795, l'administration de la Belgique est la même que celle des autres départements de la République. Aucune mesure d'exception ne lui est appliquée. L'impôt n'y est pas plus lourd qu'ailleurs. En 1797, la contribution foncière du département de l'Escaut est inférieure à celle du Calvados, de la Manche, du Nord, de l'Oise, de la Somme qui sont pourtant moins peuplés. Les plaintes provoquées par la fiscalité fran- çaise ne doivent pas en imposer. En réalité, si l'impôt a produit beaucoup plus depuis l'annexion qu'il ne le faisait sous le régime autrichien, c'est qu'il fut mieux réparti. Le contribuable au lieu de payer davantage, payait moins (14). Ici, comme en tant d'autres domaines, il faut le redire encore, l'abolition des pratiques surannées de l'Ancien Régime répondait aux nécessités de la vie moderne, au Vive le Roi .Vive la Nation. . z, ON.S NOT TOUR. ^Liy^fcjM^ri',^. (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, collection de Vinck, tome 17.) Le triomphe du Tiers-Etat en 1789 : «Vive le bon père du peuple - J'savois ben qu'j'aurions not tour. » Le représentant du Tiers-Etat tient dans le creux du bras une épée au bout de laquelle pend un lapin et qui porte l'Inscription : « Remplie de courage ». Dans sa poche, un papier : « Paix et concorde »• sur le bord, une médaille à l'effigie d'Henri IV. 11 est assis à califourchon sur le dos d'un représentant de la noblesse qui s'agrippe à un député du clergé. Celui-ci tient une balance dont les deux plateaux portent le « Soulagement du Peuple » et « Egalité et Liberté ». Dans sa poche un papier : « Impôt territorial »; à ses pieds, la faux « Infatigable ». — Caricature signée A P et datée de 1789. Au bas de la caricature, une note manuscrite : « Les 3 ordres, dédié à l'assemblé (sic) Nationale de la France. Clergé, Noblesse et Tiers-Etat, du 17 juillet 1789. » dent qui confirment son relèvement et l'on a plaisir à les voir s'aligner dans leur éloquence muette. De 1801 à 1816, le département de l'Escaut passe de 560,850 habitants à 615,689; celui de la Lys, de 459,436 à 519,436 celui de l'Ourthe, de 352,333 à 366,676. Gand comptait, en 1798, 56,098 âmes, il en compte 62,226 en 1815; Liège, qui après avoir eu 50,260 habitants en 1790, était tombé à 38,196 en 1798, remonte à 48,520 en 1811. La population de Bruxelles présente des fluctuations également significatives ; 74,427 habitants en 1783, 66,297 en 1800, 72,105 en 1803, 75,086 en 1812. D'une manière générale, il semble que le mouvement ascensionnel de la population ait été beaucoup plus rapide en Belgique que dans le reste de la France. Et cette vigoureuse croissance est d'autant plus remarquable que les guerres napoléoniennes ont été plus dévo-ratrices. La densité des habitants atteint son maximum dans les départements réunis. Sauf le Nord, aucun département français ne rivalise avec la Lys et l'Escaut qui comptent respectivement 125 et 200 personnes au kilomètre carré. Une fois de plus, les Belges attestent donc au commencement du XIXe siècle, cette vigueur et cette énergie laborieuse que les catastrophes déchaînées sur leur pays par vœu que les économistes et les capitalistes, bien avant 1789, ne cessaient de formuler. La Belgique en devait fournir la preuve dès que le coup d'Etat de brumaire l'eut enfin placée dans les conditions d'existence normale. La stabilité des institutions, l'établissement de l'ordre, la restauration de la sécurité publique y ramènent avec une rapidité surprenante la confiance et l'énergie. Le retour de la paix intérieure avec l'avènement de Bonaparte produit les mêmes conséquences qu'en 1748, le retour de la paix avec l'étranger. Mais il les produit beaucoup plus vite, parce que tout à coup, sur le terrain préparé par les institutions nouvelles, l'activité économique se déploie sans entraves. Depuis 1800 jusque vers 1810, le progrès s'accomplit avec tant de vigueur qu'il imprime au pays une physionomie nouvelle dont les traits principaux persisteront depuis lors. C'est à cette époque que s'ouvre l'histoire de l'industrie moderne de la Belgique. ACCROISSEMENT DE LA POPULATION. - L'accroissement de la population est la marque la plus irrécusable de cette renaissance. Sous Bonaparte, comme jadis sous Philippe le Beau, il atteste que le pays a surmonté la crise par laquelle il vient de passer. Les chiffres abon- 1801 1801 DÉPr DE UËSCA1ÏT DEPr DE L'OURTHE Accroissement de la population dans les départements de l'Escaut Gand), de la Lys (Bruges) et de l'Ourthe (Liège) entre 1801 et 1816. «oî,??1 H6/ déPart£mentde l'Escaut compte 560 850 et 615.689 habitants; celui de la Lys, 459.436 et 519,436 habitants; celui de l'Ourthe, 352.333 et 366.676 habitants. Ces chiffres sont fournis par Pirenne (voyez ci-dessus). Le diagramme ne tient pas compte des fluctuations éventuelles du mouvement démographique entre ces deux dates. (Commune de Laroche.) les fluctuations de la politique internationale n'ont jamais pu abattre. Comme à la fin du XVe siècle, comme sous Albert et Isabelle, comme après 1748, ils ont à peine recouvré le calme qu'ils se remettent au travail. Si la position centrale de leur pays le destine à être le champ de bataille de l'Europe, il en fait aussi un centre admirable d'activité économique, de sorte que, perpétuellement ballotté par les remous de l'histoire, les périodes de marasme et de renaissance y alternent de même que la paix et la guerre. Nulle part ailleurs, elles ne sont aussi nombreuses et nulle part non plus elles ne présentent un contraste aussi frappant. Car les conditions mêmes qui vouent ce pays au passage des armées et à leurs chocs y favorisent également le transit et l'échange des marchandises. Périodiquement, elles attirent sur lui la ruine, mais elles lui permettent aussi de se relever avec une rapidité surprenante. A peine a-t-il cessé d'être un camp, il se transforme en une manufacture et en un marché. LE ROLE DE L'ETAT. — Le relèvement économique de la Belgique après brumaire a donc pour cause essentielle l'énergie nationale. C'est parce qu'elle est restée intacte qu'elle a pu s'adapter tout de suite au changement de l'ordre politique et de l'ordre social, comme au changement du marché. Sans doute le gouvernement n'a pas laissé de l'y aider. On sait que le Consulat et l'Empire, reprenant pour leur compte la tradition du mercantilisme et du despotisme éclairé, ont prodigué leurs faveurs au commerce, à l'industrie, à l'agriculture. Les départements réunis en ont ressenti, comme le reste de la France, les heureux effets. L'organisation d'expositions industrielles, les primes accordées aux fabricants et aux inventeurs, l'ouverture de crédits aux entrepreneurs de manufactures nouvelles, la législation sur les brevets, la protection officielle des sociétés d'agriculture, l'institution des chambres de commerce, la sollicitude des préfets à encourager dans tous les domaines les initiatives utiles et les applications des découvertes scientifiques à l'industrie, l'introduction enfin du système métrique pour les monnaies, les poids et les mesures ont exercé une influence salutaire, mais qu'il convient pourtant de ne pas exagérer. Elles ont accéléré l'impulsion; elles ne l'ont pas provoquée. Au surplus, elles ont plutôt créé des conditions favorables au développement industriel qu'elles ne l'ont doté de ressources et de moyens d'action. La guerre mettait trop largement le trésor à contribution pour qu'il fût possible d'en détourner des sommes bien considérables. A tout prendre, les subventions aux entreprises privées furent toujours assez maigres. On constate surtout avec étonnement l'abstention presque complète de l'Etat en matière de travaux publics. Malgré l'institution du corps des ponts et chaussées (25 août 1804), la période française ne peut, à cet égard, soutenir la comparaison avec la période autrichienne. Tandis que l'outillage économique du pays s'est accru d'une manière si remarquable durant la seconde, c'est à peine s'il s'est amélioré au cours de la première. De 1795 à 1814, le réseau routier de la Belgique qui était de 450 kilomètres, ne s'est accru que de 38 kilomètres. Quant aux voies navi- (Cliché A.C.L.) Vieilles tanneries à Laroche. La majeure partie des bâtiments date du début du XIXe siècle. Les tanneries sont situées dans la vallée du Bronze, entre la route de Beausaint et la route dite « du fond ». gables, on ne peut signaler durant le même laps de temps que la construction du canal de Mons à Condé, entreprise en 1807 et achevée seulement en 1814. En revanche, et le contraste est caractéristique, les millions ont été prodigués sans compter au port d'Anvers. Jusqu'à la fin de l'Empire, le gouvernement y a entretenu à frais immenses des milliers d'ouvriers, employés au creusement des bassins, à l'établissement des quais, à la création d'une flotte militaire. Mais cet énorme effort ne devait profiter au pays qu'après la chute de Napoléon. Durant son règne, il demeura stérile. Le blocus de l'Escaut par l'Angleterre empêcha toujours les vaisseaux de l'empereur de prendre la mer. Le public les comparait à des paralytiques (15) : ils ne furent qu'une menace inutile et, somme toute, quelque peu ridicule. La grandeur du port et la nouveauté de ses installations n'en faisaient que mieux ressortir l'abandon. C'est tout au plus s'il recevait quelques bateaux d'intérieur venus de Flandre ou de Hollande. A tout prendre, il n'était qu'une caserne navale, comme Anvers même n'était qu'une place de guerre. Son commerce demeura aussi chétif sous le maître de l'Europe, qu'il l'avait été depuis 1648, et Napoléon ne réussit pas mieux que Joseph II à rouvrir le fleuve qui destine cette place à être la métropole commerciale de la Belgique. De toutes les grandes villes du pays, elle est la seule dont la population n'ait pas augmenté de 1800 à 1814. Le silence de ses rues paraissait plus frappant aux étrangers par le contraste de l'agitation fiévreuse qui régnait au bord des eaux désertes de l'Escaut. Elle fut la victime des projets grandioses de Napoléon, ou, pour mieux dire, elle fut la victime de l'antagonisme irréductible qui se prolongea, jusqu'à sa chute, entre la France et l'Angleterre. Base navale inutilisée et inutilisable, elle végéta dans l'isolement au milieu de la renaissance économique dont en d'autres temps elle eût décuplé l'essor. Le pays que la nature avait doté d'un des plus beaux ports du monde, fut privé de son emploi par la politique. Il suffit de songer à cela pour se rendre compte que le relèvement de la Belgique s'effectua, somme toute, dans des circonstances anormales, qui ne font que le rendre plus significatif et, si l'on peut dire, plus honorable. LES CLASSES RURALES. — Ce qui frappe dans ce relèvement, c'est qu'il est essentiellement de nature indus- trielle. C'est l'industrie qui l'a provoqué, qui lui imprime ses traits caractéristiques et qui l'oriente dans la voie où il ne doit plus cesser de progresser jusqu'à nos jours. Sans doute, elle avait déjà donné depuis le milieu du XVIIIe siècle des promesses pleines d'avenir (16). Dans l'ensemble pourtant, la Belgique était encore, lors de son annexion à la République française, un pays surtout agricole. Et il put sembler tout d'abord que la grande crise qu'elle traversa de 1792 à 1798, aurait pour conséquence d'accentuer encore ce caractère. Car elle fut bien moins cruelle pour les campagnes que pour les villes. La population rurale se trouva beaucoup plus froissée dans ses sentiments religieux que dans ses intérêts par le régime instauré depuis Fleurus. Si étonnant que cela paraisse à première vue, on peut dire que les institutions républicaines ne modifièrent qu'à la surface ses conditions d'existence. Les réformes introduites sous Marie-Thérèse et Joseph II n'avaient laissé subsister que bien peu de chose du régime féodal. Quand son abolition fut proclamée en Belgique, on ne s'aperçut guère du changement. Les dîmes, qui furent supprimées en même temps que lui, étaient une charge plus lourde et dont la disparition fut certainement saluée avec joie. C'est elle, constatent en 1796 les agents du Directoire « qui est notre premier et principal titre à l'attachement du cultivateur à la cause française» (17). Encore ne faut-il pas exagérer ses résultats. Elle profita sûrement aux propriétaires; pour les fermiers et les locataires, elle eut pour contrepartie une augmentation correspondante des baux fonciers, et le préfet de Sambre-et-Meuse remarquait, en 1802, que cette classe de cultivateurs n'avait pas gagné au change (18). Il est donc assez probable que la condition générale des classes rurales ne fut pas sensiblement affectée par le nouveau régime. Ainsi qu'on l'a vu plus haut, le nombre des paysans propriétaires n'a pas augmenté comme il a fait en France, lors de l'acquisition des biens nationaux. Après la signature du Concordat, beaucoup de petits cultivateurs se rendirent, il est vrai, acquéreurs de parcelles de terre. Mais elles étaient de trop faible importance pour les transformer en propriétaires indépendants. Tout au plus, peut-on admettre que ces achats contribuèrent à généraliser dès lors la situation qui est encore aujourd'hui si frappante dans beaucoup de régions de la Belgique, où les fermiers possèdent souvent quelques ares de terrain employés à la culture des légumes ou des pommes de terre. La grande propriété se développa, nous l'avons déjà dit, beaucoup plus largement que la petite, les biens ecclésiastiques étant passés surtout aux mains des bourgeois ou des anciens propriétaires. Mais en revanche, on n'observe aucune modification dans le système des exploitations. Les petites fermes continuèrent à dominer dans les régions du pays où, comme en Flandre, elles étaient déjà dominantes auparavant; les grandes se maintinrent là où elles avaient existé : dans le Hainaut, dans le Brabant, en Hesbaye. C'est seulement dans les régions les plus stériles de l'Ar-denne que la petite propriété paraît s'être multipliée. L'établissement du cadastre y fut pour les paysans l'occasion d'acquérir à vil prix des lots de bruyères qu'ils avaient jusqu'alors cultivés à titre précaire. Là aussi, ils profitèrent de la vente des biens communaux, favorisée par le gouvernement français comme elle l'avait été par le gouvernement autrichien. Partout ailleurs, le résultat de cette vente fut bien différent : elle tourna surtout au profit des « notables » qui se constituèrent, grâce à elle, de beaux domaines forestiers ou achetèrent en vue de défricher ou d'instituer de ces fermes modèles propres à l'élevage de moutons-mérinos dont les préfets et les sociétés d'agriculture préconisaient l'établissement. La culture de la betterave qui se propagea rapidement depuis que la guerre maritime eût rendu inabordable le prix du sucre de canne, poussa aussi aux progrès de la grande exploitation. Elle paraît s'être répandue très largement depuis 1811 et les profits en durent être d'autant plus considérables qu'un décret du 1er janvier 1812 prohiba l'entrée du sucre des Indes. L'industrie sucrière belge date de cette époque : des raffineries s'établirent, dès la fin de l'Empire, en Hesbaye, en Hainaut et en Flandre. //.'y/y ^/jVÀPOLEON LE GRAND/j Z/Y/Y//)- J, - //YY/yyy/Y.J, (y^'/ Y/- /ZYYZYY , ■y? (s/y t ^sr/zr/f/o v// /s/ (J<>Y^Y/^YY/yy>Y/ ^/'////rz/Mw ■■ (<■ (5Yiï>(>u* (Yw, c/nt'lu'uuc . i:\l.\IA\l Kl, C RÉTET, )'/,„;/ //„„:,/,; J /. uw, ,J: l'".' .montai.ivET. Al.K.WNDUK CÀHOl'ET, Y>fY/////YY/'r . ^YY /Y/Y /YY/Y/Ï ÀY/ZY/YY' Y/Y YYY/YYY/Y/ »... ■/L ) Y/ CY'//// YY > // rs//rr< ) Patrick DE (ONINTK, . ^/'f/' Z {//■ ^J t/'Y/Z/ //tYJt.Z r/ . li/rm-MS///*, Z Z //Z//r,- . / .»'."• KRANf/OlS M'T'lMO'U,-. h. ■-..,- JMrJi ///Y/p: - rj/, - ZZtr/' . ? /// r/yb Y/Y:Z'^//J//.I rZ 'Z'/uY/f^ln-l. - Y/.(nwtr w- •if»Y-//t/ ÙZyZtrtrZtûtYif/l . ,. > v • y ... . ... . ' ... r/t Zitr'/f/ 'r// f/infZZ r/t . ■■'rf'./i.i // Ot/n7<,_ . „./"-*•., v ■%';:>uttê rrJ-.tfirtto- rZZZr.i..!:. \ ? -r -.Jt//:.//,isjt(// ftZ/o/if//H/iZ. V!*'" j^s^Tj-V- '■ ' . . , ■ • ' • ".•■ " • ■ - * : J . .——— t -..V .----rr^ ^ - ~• i, ,■. j ( I non.'lui C lloil'HOtCV' ( iV .Moi...) riiK«nmu>«v iV> oinliuu-.i Je Intacte... "'-'xSàJi iini'-'*. i> ' 0-e v* ■ y • f?" IfitaHIH^H^iiMHHHiil ' (Mons, Bibliothèque Publique.) (Cliché Lefrancq.) Plaque d'argent commémorant la levée de la première pelletée de terre du canal Mons-Condé (18 septembre 1807). Entamée en 1807, la construction du canal fut achevée en 1814. — Plaque gravée à Paris par Maurisset. ' (Bruxelles, Musées Royaux d'Art et d'Histoire.) (Cliché A.C.L.) « Dès le commencement du Consulat, les industries traditionnelles de la région flamande, celle de la dentelle et celle du lin, reprennent leur essor. (Voyez le texte, p. 378.) Motif central d'un couvre-lit en dentelle de Bruxelles. Application sur vrai réseau, datant du premier quart du XIXe siècle. Les armoiries et les initiales des quatre angles (ces dernières non visibles sur la photo) permettent de supposer qu'il appartint à la princesse Charlotte de Prusse, un,e au futur ^ 6 tsar Nicolas Ier en 1817. à tisser reste ce qu'il était; le blanchiment continue de se faire en prairie suivant la routine ancestrale. Nulle part, aucun atelier ne comprend plus de trois métiers, et le marché de Gand continue à attirer chaque semaine les tisserands de la campagne apportant leurs produits aux marchands de toile. La manufacture se développe ici sous l'influence exclusive du capital commercial. De la fabrique et du machinisme, on ne surprend pas encore la moindre trace. Ni la verrerie, ni la fonte du fer ne paraissent non plus s'être dégagées des liens du passé. Cette dernière atteste une activité croissante, grâce à l'extension du marché, mais cette prospérité même l'attache à ses anciennes méthodes. Les hauts fourneaux se multiplient sans que leur construction se perfectionne; le charbon de bois reste le seul combustible employé. Personne ne semble faire effort pour s'initier aux procédés nouveaux qui, en Angleterre, atteignent à des résultats si surprenants. (Hôpital de Poperinghe.) (Cliché A.C.L.) Rouet à filer de date indéterminée. Antérieur à la Révolution, il était encore employé sous le régime français. A côté de ces innovations, les pratiques de l'Ancien Régime se maintinrent à peu près sans changement. L'agriculture flamande conserva les procédés qui avaient fait d'elle un modèle universellement admiré et prôné comme exemple par les sociétés agricoles (19). Le renchérissement du blé et des denrées alimentaires favorisa constamment la prospérité des cultivateurs. En revanche, la progression des salaires ne suivant que très lentement celle du coût de l'existence, il en résulta pour les ouvriers ruraux une véritable catastrophe, attestée par les progrès du paupérisme et de la mendicité. Cette misère des travailleurs devait tourner au profit de l'industrie, en les poussant vers elle et en maintenant l'étiage des salaires au minimum, par la surabondance de la main-d'œuvre. Dès le commencement du Consulat, les industries traditionnelles de la région flamande, celle de la dentelle et celle du lin, reprennent leur essor. Comme jadis, elles sont dirigées par des marchands-entrepreneurs, écoulant pour leur propre compte les produits fabriqués à domicile par les dentellières ou les tisserands de toile. La dentelle, dont les progrès du luxe, à partir de la fin du XVIIIe siècle, raniment l'exportation vers Paris, occupait en 1810 douze mille femmes dans le Brabant. Pour le lin, Faipoult estime en 1805 le nombre des fileuses et des fileurs dans l'Escaut à 101,033 personnes et celui des tisseurs à 21,821, produisant par an 175,370 pièces de 75 aunes. Rien n'est changé d'ailleurs, ni dans la structure économique ni dans les procédés de cette industrie. Aucune concentration, aucun perfectionnement technique. Le métier LES INDUSTRIES TEXTILES. — La draperie ver-viétoise présente une physionomie plus moderne. Déjà à la fin du XVIIIe siècle, elle témoigne d'un esprit novateur qu'explique la liberté de développement dont elle jouit. N'étant point entravée par le régime corporatif, l'initiative de ses entrepreneurs avait pu se donner carrière. Au système de la manufacture, la fabrique commençait à se substituer. Sans doute, le filage de la laine s'effectuait encore à la campagne et les tisserands à domicile abondaient aux alentours de la ville, dans le pays de Herve et le Franchi-mont. Mais de plus en plus, les industriels les plus riches et les plus hardis réunissaient dans leurs ateliers les métiers à tisser aux instruments servant au foulage, à la tonte, à la teinture et aux apprêts des draps. Le capitalisme, commercial à l'origine, se faisait industriel et s'investissait toujours plus largement dans les machines. On cherchait à augmenter la production et à diminuer le prix de revient en perfectionnant sans trêve la technique. Dison devenait un centre important de fabrication d'étoffes bon marché pour lesquelles les « queues et pennes » remplaçaient la laine. Après la crise terrible de 1792-1798, on s'était remis au travail avec ardeur. Les besoins des armées et la faculté d'exporter en France fournissaient aux fabricants des perspectives indéfinies de progrès : ils s'ingénièrent à en profiter. Dès 1797, des efforts étaient faits pour introduire à Ver-viers les mécaniques inventées en Angleterre. John Cocke-rill, subventionné par les maisons les plus importantes de la place, construisait des assortiments de filatures dont un seul permettait à onze ouvriers d'exécuter la besogne de cent, et procurait par semaine au fabricant une économie de 464 livres. Cette substitution de la machine au travail à la main enlevait leur gagne-pain aux fileurs de la campagne. Ils affluèrent aussitôt vers la ville, où leur immigration eut pour conséquence d'empêcher tout relèvement des salaires. Le bas prix de la main-d'œuvre et les progrès réalisés par la technique stimulèrent dès lors de plus en plus l'activité de l'industrie. Jusqu'à la fin de l'Empire, Verviers et les localités avoisinantes adonnées à la draperie, Hodimont, Ensival, Dison et Eupen connurent une période ininterrompue de prospérité et, favorisés par la liberté de la concurrence, quantité d'hommes nouveaux y écha-faudèrent des fortunes considérables. En 1810, quatre-vingt-six gros fabricants verviétois occupaient au moins vingt-cinq mille ouvriers (20). En même temps, à l'autre extrémité du pays, Gand devenait le centre d'une fabrication nouvelle : la filature du coton. Liévin Bauwens avait réussi en 1798 à faire passer sur le continent des machines anglaises et à débaucher, pour les mettre en œuvre, des ouvriers de Manchester. Soutenu dans son entreprise par le Directoire, et trouvant dans la spéculation les ressources nécessaires à la réalisation de ses plans, il fonda tout d'abord à Passy une filature de coton. Bientôt après, il en établissait une seconde à Gand, dans les vastes bâtiments du couvent des Chartreux, acquis par lui comme bien national. On estime que dix ans plus tard, trois mille ouvriers étaient employés dans sa fabrique, et il obtint l'autorisation de faire travailler en outre, à son compte, les détenus de la maison de force. Son exemple et ses bénéfices, qu'expliquent aisément le protectionnisme croissant et la prohibition absolue des cotonnades anglaises, suscitèrent les imitateurs autour de lui. Faipoult estime que Gand est devenue la troisième ville industrielle de l'Empire et n'y est surpassé que par Lyon et Rouen. La fabrication du coton y propagea bientôt la fabrication des indiennes et des toiles peintes. De Gand, elle gagna les environs. Lokeren et Saint-Nicolas, où la main-d'œuvre est encore plus abondante et moins chère que dans la ville, commencent à devenir à leur tour des centres industriels. De plus en plus nombreuses, des fabriques pourvues de mécaniques perfectionnées s'installent dans les couvents achetés par les entrepreneurs. La production augmente à mesure qu'elle se centralise sous la direction des nouveaux capitalistes. Plusieurs imprimeries d'indiennes consomment de huit cents à mille pièces de toile de coton par semaine. L'INDUSTRIE MINIERE. - Dans le Hainaut et dans le pays de Liège, la houillerie, après la période de marasme et de désorganisation qu'elle a traversée aux débuts de la conquête, entre enfin dans la phase décisive de son développement. Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la généralisation de l'emploi du charbon pour le chauffage des appartements et pour certaines branches secondaires d'industrie lui avait fait réaliser des progrès considérables. Mais elle était bien loin encore de présenter l'importance essentielle que la multiplication des fabriques et l'emploi de plus en plus répandu des machines lui donnèrent à partir des premières années du XIXe siècle. Dès ce moment, elle apparaît comme l'élément primordial de l'essor industriel du pays. La houille devient le combustible par excellence, et son extraction grandit à mesure qu'à la surface du sol l'emploi de la vapeur se répand. Le charbon de terre se substitue de plus en plus largement au bois. A Sart-lez-Spa, en 1817, le Conseil communal constate que l'exploitation des forêts a presque cessé depuis que les teintureries de Verviers se servent de houille pour chauffer leurs cuves (21). Ici comme partout, la demande stimule l'offre. Un champ démesurément exten- (Gand, Musée archéologique.) (Cliché Bijtebier.) « Liévin Bauwens avait réussi en 1798 à faire passer sur le continent des machines anglaises et à débaucher, pour les mettre en œuvre, des ouvriers de Manchester. » (Voyez le texte ci-dessus). — Une « Mull Jenny » de Liévin Bauwens. En 1763, un fabricant de peignes à tisser, l'Anglais Thomas Highs, de Leigh (comté de Lancaster) persuada l'horloger Kay de mettre au point avec lui une nouvelle machine à filer le coton. Highs parvint à faire fonctionner la machine à laquelle il donna le nom de sa fille : Jenny. Peu après, il imagina le Ihrostle, sorte de métier hydraulique. En 1775, Samuel Crompton créait la Mull Jenny en réunissant les organes essentiels de la Jenny et du throstle. Sa découverte décupla la production cotonnière anglaise, renforcée encore par l'application de la vapeur comme force motrice. Les Anglais proclamèrent cette industrie fortune nationale, prohibèrent l'exportation de la Mull Jenny et exercèrent une surveillance rigoureuse sur les industriels étrangers qui s'intéressaient à l'industrie cotonnière en Angleterre. Ces mesures n'empêchèrent pas le Gantois Liévin Bauwens (voyez son portrait et la notice p. 396) de débaucher un chef d'atelier de Alanchester, Kenyon, qui lui vendit secrètement quelques Mull Jenny. Bauwens parvint à les introduire sur le continent (1798). A la fin du XVIIIe siècle, les premières filatures mécaniques de coton continentales existaient à Gand, dans l'ancien couvent des Chartreux, et aux portes de Paris, à Passy. Au début du XIXe siècle, une nouvelle filature ouvrait ses portes dans l'ancienne abbaye de Tronchiennes, près de Gand. — L'illustration représente une des Mull Jenny utilisées au début du XIXe siècle à Gand par Liévin Bauwens et ses ouvriers. sible s'offre à l'entreprise et elle s'empresse de perfectionner et d'élargir ses moyens de production. Dès 1807, la machine à vapeur commence à être employée pour la manœuvre des « bennes »; les galeries des mines sont pourvues de rails et de wagonnets; des chevaux sont descendus dans les bures. D'année en année, les stocks de charbon sont plus abondants. Le prix du combustible diminue à mesure que la quantité s'en accroît et le bon marché stimule la création d'industries nouvelles qui, à leur tour, exercent leur répercussion sur la prospérité des houillères. Il en est ainsi par exemple de la fabrication du gaz d'éclairage, découvert en 1784, par Min-kelers, et qui, aux environs de 1810, est employé dans les ateliers d'usine. Aussi les mines s'approfondissent-elles d'année en année et poussent-elles toujours plus loin leurs galeries. Les accidents qui s'y produisent donnent la preuve funèbre de leur extension. En 1811, un «coup de feu » fait trente-cinq victimes à la houillère de Marihaye; un autre, à celle de Massillon, coûte la vie à treize ouvriers. L'histoire industrielle commence à avoir ses martyrs : elle a aussi ses héros. Le préfet de l'Ourthe signale à la bienveillance du ministre un enfant dont le cou- }hommTE£iWiE«£omvLi> RéruBuam Chaptal, Ministre de ËmNNE GARiï'lERjfyœFETJtr lpartement de ' CoNCEmONBEsMwESfflMARœMl Accordée à \j\rmtedesc( BENPONTj « rete des consuls DF XVJ Tlvviose AN IX v (Musée de Marlemont.) Plaque de cuivre commémorant la concession des mines de Mariemont par Bonaparte, premier consul, à J.-B. Hardenpont, beau-frère de Nicolas Warocqué (16 Pluviôse an IX = 5 février 1801). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) «John Cockerill, en 1807, a jeté les bases du célèbre établissement qui continue à porter son nom. » (Voyez le texte ci-dessous.) Vue du château de Seraing, résidence des princes-évêques de Liège, détruit par les révolutionnaires liégeois et sur l'emplacement duquel John Cockerill construisit au début du XIX® siècle ses premiers ateliers. Le château primitif avait été restauré en 1553, puis reconstruit par Georges-Louis de Berghes (1724-1743). Converti en hôpital militaire puis en magasin à poudre au début du régime français, il fut vendu aux frères Cockerill, avec le domaine et ses dépendances, pour la somme de 45.000 francs. — Une vue de la terrasse du château de Seraing est reproduite plus haut, p. 180; d'autres documents relatifs à John Cockerill et aux usines de Seraing sont utilisés plus bas (livre VU, chapitre V : La Belgique de 1815 à 1830); d'autres, enfin, seront introduits dans le tome IV du présent ouvrage. — Gravure de Remacle Le Loup (Spa, 1708-1746 ?) extraite des Vues et perspectives du pays de Liège (Liège, 1770). rage a sauvé la vie d'une cinquantaine d'hommes (2) et la mémoire s'est conservée du dévouement de Hubert Gof-fin qui, en 1812, à la mine de Beaujonc, enseveli avec ses compagnons par un éboulement, les a ramenés au jour. A côté des houillères qui fournissent le pain de l'industrie, se développe la construction des machines qui lui donnent la force et le mouvement. John Cockerill, en 1807, a jeté les bases du célèbre établissement qui continue à porter son nom. Deux cent cinquante personnes y travaillent dès l'origine. Il en sort un nombre de plus en plus considérable des assortiments de filature, des mécaniques de toute espèce et des machines à vapeur (23). Cependant, les inventeurs qu'excite le progrès constant de l'industrie, cherchent à lui appliquer les découvertes de la science. La fonte de l'acier est introduite à Liège en 1802. En 1810, J.-J. Dony s'ingénie à découvrir un procédé pour la fabrication du zinc, et ses efforts assureront, après sa ruine, la fortune de la société de la Vieille-Montagne. Si le développement industriel du pays a largement profité des conditions favorables que lui offraient le nouveau régime politique, l'extension du marché, la grande production du charbon, il faut aussi reconnaître qu'il eût été impossible sans l'abondance et le bon marché de la main-d'œuvre. Le capitalisme qui lui donne son essort a pour contrepartie la formation du prolétariat ouvrier. A vrai dire, le phénomène n'est pas surprenant. Il se reproduit périodiquement chaque fois que sous l'action de la liberté, l'expansion économique s'engage dans des voies nouvelles. Son élan déconcerte alors ou brise les contrôles auxquels elle s'est pliée jusque-là. L'initiative individuelle s'épanche souverainement jusqu'au jour où l'abus de la liberté qui l'a soutenue et qui est la condition de ses progrès, la soumettra de nouveau à la réglementation. Au XVIIIe siècle, les drapiers des villes flamandes, au XVe, les hommes d'affaires de la Renaissance, au XIXe siè- -V rares HISTOIRE DE BELGIQUE L'Iconographie luxembourgeoise ».) (Commune de Mellier, arrondissement de Neufchâteau.) (Cliché Fourneaux de Mellier-Haut. Le pays de Habay, dans la province du Luxembourg, comptait douze usines importantes situées dans le « bassin » de la Rulles, sur une distance de moins de deux lieues. Les forges de Mellier figuraient parmi les plus importantes. Elles comprenaient la forge de Mellier-Haut, la forge de Mellier-Bas et le fourneau de Rulles. Les usines de Mellier furent fondées en 1617 par deux Hennuyers, François de Oosée, seigneur de Macquenoise, et Pierre Goens, marchand de Desiny (principauté de Chimay). En 1622, Jean Hacher, maître de forges d'Orval, acquiert Mellier-Haut; puis l'usine passe aux sieurs Dandeniaux, Henry Roussel et André de Âlouza de Boullain. Au milieu du XVII® siècle, les forges de Mellier-Haut sont laissées dans l'abandon le plus complet. Mais, à partir de 1700, les Chamissot, Henri Henriquez, et surtout le duc de Looz-Corswarem lui assurent la prospérité. Au début du XIXe siècle, Mellier-Haut comprend un fourneau, deux affineries d'ancien modèle, une chaufferie, un marteau et un boccard. La dislocation des usines de Mellier, entre 1808 et 1825, provoque leur décadence. Des forges de Mellier-Haut, tout un complexe de bâtiments subsiste aujourd'hui : la « halle », le pont-barrage, des bâtiments et les deux fourneaux. Cette photographie, prise du porche d'entrée de la « halle », permet de voir, à droite, les deux fourneaux qui sont aujourd'hui la propriété de l'Etat belge. Certains techniciens estiment qu'il s'agit de fours à carboniser le charbon et non pas de fourneaux : aucun texte ne permet, à ce jour, d'élucider ce problème. Les forges de Mellier-Haut sont situées au nord de Marbehan, le long de la ligne de chemin de fer Bruxelles-Arlon. cle enfin, les fondateurs de l'industrie moderne ont également réduit ou prétendu réduire les travailleurs à la condition de simples salariés. Jamais pourtant leurs efforts n'ont réussi aussi complètement qu'à cette dernière époque. La législation révolutionnaire, on l'a déjà dit, avait pour but d'affranchir les hommes en les dégageant des liens dans lesquels le passé les retenait. La suppression des corporations d'artisans s'était faite dans l'intérêt des travailleurs. Elle s'explique par le dessein de permettre à chacun de choisir librement sa profession et de briser le monopole que, dans chaque ville, un petit groupe de maîtres exerçait à son profit. Le peuple lui-même la réclamait et il faut reconnaître que l'institution des métiers privilégiés était depuis longtemps condamnée par l'opinion. Faite d'ailleurs pour la petite industrie et adaptée à ses nécessités, elle n'avait d'autre effet que de gêner les progrès du capitalisme sans avantage pour personne. Jamais elle ne s'était imposée ni n'avait pu l'être aux ouvriers des manufactures de l'Ancien Régime. On n'en trouve trace dans aucune des nouvelles industries nées au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle, ni en France dans les manufactures royales, ni en Belgique dans les usines à octroi ou dans la draperie verviétoise. Hors des villes, elle a toujours été inconnue : il suf- LE TRAVAIL ET LE CAPITAL. -On ne voit pas, quand bien même le régime corporatif eût continué à protéger les artisans urbains, en quoi la condition des fileurs de coton, des imprimeurs d'indiennes, des tisserands de lin ou de laine ou des mineurs et des métallurgistes en eût été améliorée. Pour les protéger, il eût fallu que l'Etat, s'apercevant qu'entre eux et les capitalistes, la partie n'était pas égale, fût intervenu dans leur intérêt. Mais comment supposer qu'il y songeât ? C'eût été, suivant les idées de l'époque, ressusciter le privilège en faveur d'un groupe de citoyens, et c'eût été en même temps, au moment où le grand besoin était de galvaniser la production, la restreindre à coup sûr en entravant ses initiatives. Non seulement ni l'Assemblée nationale, ni l'Assemblée législative, ni la Convention ne légiférèrent en faveur des ouvriers, mais elles leur interdirent même toute espèce de coalition (loi Chapelier, 1791). Elles crurent avoir fait assez pour «la (Liège. Hôtel de Ville.) « ... la mémoire s'est conservée du dévouement de Hubert Goflin qui, en 1812, à la mine de Beaujonc, enseveli avec ses compagnons par un éboulement, les a ramenés au Jour. » (Voyez le texte, p. 380.) Sous la statue de Napoléon, représenté à la manière d'un empereur romain, le préfet Ch. MI-coud d'Umons remet la croix de la Légion d'Honneur à Hubert Goffin. — Tableau peint par Jacques Bordier du Bignon (Paris, 1774-1846). fit de citer ici comme exemple, soit en Flandre, l'industrie linière, soit en Hainaut ou dans le pays de Liège, celle de l'extraction du charbon. Ce n'est donc pas sa disparition qui a empiré la situation des travailleurs, puisque, à partir du XIXe siècle, ceux-ci sont précisément employés par les entreprises auxquelles elle ne s'appliquait pas. (Gand, Musée archéologique.) (Cliché Bijtebier.) Echantillons de tissus gantois collés sur les pages d'un vieil antiphonaire Fin du XVIIIe siècle. classe la plus intéressante de la société » en lui ouvrant toute grande la carrière de la libre concurrence. C'était faire du salaire un contrat entre employeur et employé; c'était donc le livrer à toutes les fluctuations du marché du travail; c'était le subordonner, en d'autres termes, à l'offre du travail, et cette demande était surabondante. Car, toute restriction étant abolie, ce ne furent point seulement des hommes, mais aussi des femmes et des enfants qui s'offrirent aux industriels. Et puisque le bon marché de la main-d'œuvre était pour ceux-ci une condition indispensable de succès, ce fut aux enfants et aux femmes qu'ils s'adressèrent de préférence. Le machinisme permettant de les employer à des besognes dont leur faiblesse les excluait jadis, on les préféra parce qu'ils coûtaient moins. Comme en Angleterre, c'est eux qui, de plus en plus remplissent les ateliers. En 1808, Bauwens déclare qu'ils constituent les trois quarts de son personnel. Faipoult remarque qu'ils abondent dans les fabriques d'indiennes. Dans les ateliers de Cockerill, pour cent cinquante adultes, il y a cent cinquante enfants, et, avec les femmes, ils peinent dans les mines, tant à la surface que dans les galeries du fond. Les abus furent bientôt tellement intolérables qu'il fallut que le gouvernement se décidât à intervenir : en janvier 1813, un décret fixait à dix ans l'âge d'admission des enfants dans les houillères. La législation révolutionnaire, en affranchissant les ouvriers et en leur interdisant même de se réunir pour délibérer sur leurs intérêts professionnels, avait du moins tenu la balance égale entre eux et les patrons. Il n'en fut plus de même à partir du Consulat. Ici comme en tant d'autres choses, Napoléon s'inspira des pratiques de l'Ancien Régime. L'obligation du congé par écrit que la monarchie avait imposée aux employés d'usine, fut reprise et développée par la loi du 22 germinal an XI et par l'arrêté du 9 frimaire an XII sur les livrets d'ouvriers. Désormais, le travailleur ne peut être embauché s'il n'est porteur d'un livret signé par le patron qu'il a quitté, de sorte qu'il se trouve en fait à la merci de celui-ci. En 1811, à Liège, l'exiguïté des salaires poussant les ouvriers chapeliers à quitter la ville, les patrons, pour les y retenir, refusent la restitution de leurs livrets (24). L'ouvrier sans livret est considéré comme un vagabond et il dépend de la police de l'envoyer par le fait même en prison. CONDITION DES OUVRIERS. -Rien d'étonnant si, dans le langage de l'époque, les mots « ouvrier » et « indigent » sont trop souvent des synonymes. La misère physique et la misère morale dégradent la classe des travailleurs. C'est une populace de « prolétaires », et l'usage croissant de ce mot est singulièrement caractéristique. Les salaires maintenus au plus bas par la multiplication de la main-d'œuvre ne suivent que de loin le renchérissement de l'existence. D'après Viry, un journalier qui gagnait en 1789 1 fr. 40, gagne seulement 1 fr. 46 en 1803, tandis que le taux moyen de la dépense par individu a passé durant la même période de 4 fr. 36 à 5 fr. 32. Dans de telles conditions, il est fatal que la femme et les enfants de l'ouvrier soient chassés vers l'usine. Grâce à elle, le ménage peut vivre, mais à quel prix ! Plus de vie de famille et plus d'instruction, puisque la mère est arrachée au foyer et que ses petits n'iront pas à l'école. Tous les renseignements nous dépeignent une situation navrante. L'ignorance est aussi générale parmi les pauvres gens que la brutalité des mœurs. Entassés dans des taudis, ils végètent au milieu d'une hygiène déplorable. Le moindre chômage les met à la charge des bureaux de bienfaisance dont les ressources, par suite de la conversion des rentes de l'Etat, ne suffisent pas à les soutenir et contraignent quantité d'entre eux à recourir à la mendicité. Aigris par leurs souffrances, ils sont travaillés par un esprit de révolte qui éclate çà et là en brusques et brèves échappées. En 1810, l'introduction de nouvelles mécaniques à Eupen provoque des troubles. A Verviers, en 1812, les tondeurs se mettent en grève parce que l'on a augmenté leur besogne sans augmenter leurs salaires. Une autre grève est fomentée à Gand en 1806 par les ouvriers des imprimeries du coton. Mais le code pénal interdit les grèves, et le tribunal correctionnel condamne les chômeurs à des peines variant de trois mois à deux ans d'emprisonnement. Pourtant, l'année suivante, les patrons réclament des « règlements sévères pour la police des ouvriers dans les fabriques» (25). Les municipalités ne sont pas moins vigilantes. Toute tentative d'organisation parmi les travailleurs est aussitôt étouffée. En 1810, les fileurs de coton de Gand ayant sollicité du maire l'autorisation d'établir une « bourse de charité et de bienfaisance », voient rejeter leur demande parce que « l'expérience a prouvé que la bienfaisance peut n'être que le prétexte des réunions d'ouvriers de différentes fabriques, lesquelles tendent quelquefois à provoquer la cessation du travail ou une augmentation de salaire et sont conséquemment défendues par les articles 4 et 6 de la loi » (26). Tout ce que l'on accorde, c'est qu'il puisse être institué par fabrique des bourses pour les ouvriers malades de toute espèce, à condition que les délibérations relatives à l'établissement de ces bourses aient lieu en présence du fabricant ou d'un chef d'atelier désigné par lui. Au reste, les épisodes de ce genre sont exceptionnels. Les travailleurs sont trop dénués d'esprit de corps, trop ignorants et trop misérables pour pouvoir s'entendre sur la défense de leurs intérêts. Ils ne comprennent pas les causes de leur misère et leur mécontentement ne se traduit que par des cris, des bagarres et des attroupements. Les Conseils de prud'hommes créés en vue de « terminer par la voie de la conciliation les petits différends qui s'élèvent journellement soit entre des fabricants et des ouvriers, soit entre des chefs d'atelier et des compagnons ou apprentis », laissent aux patrons une prépondérance marquée sur les « principaux ouvriers » qui seuls ont le droit d'y siéger. Encore eurent-ils très peu de succès en Belgique où il n'en fut institué que deux, l'un à Gand (28 août 1810) et l'autre à Bruges (1er mars 1813). La situation que l'on vient d'esquisser, si criante qu'elle paraisse à distance, ne frappa point du tout les contemporains. A leurs yeux, la question ouvrière ne se posait pas, et elle ne pouvait pas se poser. La liberté économique était un dogme : il eût paru aussi monstrueux de la violer en faveur des travailleurs qu'en faveur des capitalistes. Puisque le privilège ne barrait plus le chemin de la fortune, il semblait que la misère fût la peine de l'incapacité ou de l'inconduite. Le pauvre n'était pas intéressant; il n'avait qu'à faire son chemin comme tout le monde. « Parvenus » pour la plupart, les fabricants justifiaient, par leur propre exemple, la doctrine qu'ils professaient avec une bonne foi dont il ne serait pas équitable de douter sous prétexte qu'elle répondait à leur intérêt. Au surplus, on ne songeait qu'à produire et pour favoriser la production il fallait avant tout favoriser l'esprit d'entreprise. Le sentiment public était d'accord en ceci avec les désirs du gouvernement. Chaque époque conçoit le progrès suivant ses besoins et ce qui le facilite lui paraît juste et bon. Toutes les pensées tendaient alors à développer l'industrie, à perfectionner la technique, à susciter des innovations. LA LIBRE CONCURRENCE. — Des expositions, celle de Mons en 1806, celle de Liège en 1810, mettaient sous les yeux des fabricants les résultats obtenus par leurs confrères et servaient à la fois de réclame, d'enseignement DESIGNATION DES ÉMIGRÉS. NOMS. PRÉNOMS. SURNOMS. DERNIER DOMICILE CONNU. QUALITÉS OU PROFESSIONS. OBSERVATIONS. A. Arenberg, Arberg, Aguilard , Aguilard, Aguilard, Aguilard, Adenewer, Anné, Annez, B. Beeckman, Bartenstein, Bartenstein, Beydaels, Beydaels, Becker, Becker, Bonnart, Barbier, B ara, Burtin, Baesen, Brognies , Boussiffet, Beaumont, Beaumont, Broers, Bar/on , Baudewyns, Beaudour, Boutjuiè, Botte, Sotte, Botte, Benedetty , Bloementhal, Louis-Ernest Nicolas Bruno Augustin Louis De Valengin, Bruxelles. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. idem. Ci-dev. duc et chevalier de la Toison-d'Or. Ci-dev. comte et conseiller d'Etat. Conseiller au ci-dev. conseil des finances. Ci-dev. cons. au conseil privé. Ex-receveur des vingtièmes. Ci-dev. cons. pensionn. des Etats de Brab. Garde-meute de la ch. du ci-d. Pr. Charles. Marchand de vins. Officiai à la ci-devant chambre des comptes. Christophe Joseph Charles-Jean François-Xavier Charles Louis Tobie Emmanuel Henri De Vieusart, De Zittaert, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem, idem Tervueren Bruxelles. idem. idem. idem. idem. idem. Louvain. Bruxelles. Ci-dev. chambellan et bourguem. de Brux. Ci-devant conseiller au conseil des finances. Ci-dev. conseiller au conseil privé. Ci-d. premier roi-d'armes, dit Toison-d'Or. Epouse du ci-dev. cons. des fin. d'Aguilard. Ci-devant vicomte et directeur des postes. Ci-devant agent en cour. Ci-devant cons. recev. général des finances. Ci-dev. conseiller à la cnamb. des comptes. Ci-devant conseiller au conseil privé. Médecin, ci-dev. conseiller de l'empereur. Ci-dev. auditeur k la chambre des comptes. Ci-dev. auditeur à la chambre des comptes. Ci-dev. secrétaire du conseil des finances. Ci-dev. secrét. an conseil privé. Greffier du ci-devant prévit général. Greffier de la ci-devant chambre suprême. Secrét. de la vénerie du ci-dev. Pr. Charles. Officiai au ci-devant conseil privé. Empl. à la ci-devant chambre des comptes. Secrétaire à la ci-dev. chambre héraldique. Sous-directeur de la ci-dev. régie des douan. Fille du précédent. Frère de la précédente. Chanoine de St Pierre. Ci-devant employé au commissariat civil- (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Musée.) Liste d'émigrés belges dressée l'an V (1796-1797) de l'ère républicaine. Les noms sont rangés par ordre alphabétique avec indication du domicile. La liste comprend surtout des membres de la noblesse et des fonctionnaires. Beaucoup d'émigrés rentrèrent au pays dès le début de l'occupation française. — Page extraite de la Liste des citoyens absens (sic) dont le domicile se trouve dans l'arrondissement du Département de la Dyle, et qui sont prévenus d'Emigration aux termes de ta loi du 25 Brumaire an troisième de la République. Bruxelles, Imprimerie d'Adolphe Stapleaux. NOTES (1) Histoire de Belgique, t. V, 2« édit., p. 260 et suiv. Cf. H. van Houtte, Histoire économique de la Belgique à la fin de l'Ancien Régime (Gand, 1920). (2) Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 481. (3) Aulard, Recueil des actes du Comité de Salut Public, t. XV, p. 142. Ceci est confirmé par le fait qu'en 1793, le pays regorge d'argent. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 281. ^4) Th. Gobert, Histoire des rues de Liège, t. II, p. 437. (5) Sur la situation durant l'hiver de 1794-1795, les renseignements abondent. Voy. entre autres la Correspondance de Bouteville, les documents publiés par Aulard, les histoires locales. En décembre 1794, des gens meurent de faim dans la région de Stavelot et de Spa (Aulard, Actes du Comité de Salut Public, t. XIX, p. 69). Le 26 novembre 1794, l'administration centrale ordonne la formation de greniers d'abondance et la réquisition de toutes les subsistances (Arrêtés, p. 136). Le 1" mai 1795, arrêté contre les vagabonds, les pillards, etc. (Ibid., p. 401). Le 18 février 1795. les représentants Cochon et Ramel disent que « la Belgique est épuisée et ses habitants réduits au désespoir ». Ils ont donné des ordres pour y faire venir de Hollande des secours en grains et fourrages (Sorel, L'Europe et la Révolution française, t. IV, p. 240). (6) P. Verhaegen, op. cit., t. II, p. 508. (7) Je me suis surtout basé sur l'examen des documents relatifs à la vente des biens nationaux, déposés aux Archives de l'Etat à Gand. Il est évident que, suivant les régions, les ventes ont dû présenter des aspects différents. Il est fort probable que ce qui se constate dans un département n'apparaît pas ailleurs de la même manière. On ne pourra rien dire de définitif et d'exact avant d'avoir institué une enquête approfondie. Je crois cependant que, dans ses conclusions générales, mon exposé ne s'écarte pas sensiblement de la réalité. (8) J'emprunte cette phrase à G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, p. 489. Vraie pour le Nord de la France, elle ne l'est pas moins pour la Belgique. Cf. Colenbrander, Gedenkstukken (1813-1815), t. I, p. 501. En 1805 « plusieurs personnes de la plus grande distinction achètent de ces biens en seconde main », Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 385. (9) Ph. Sagnac, La législation civile de la Révolution, p. 186. (10) Bergman, Geschiedenis der stad Lier, p. 487. (11) J. Cuveller, Een kijkje in de goederenverdeeling op het einde der XVIII' eeuw. Limburgsch faarboek 1894-1895; Janssens, Geschiedenis van Turnhout, t. I, p. 355, n. (12) Pour l'influence de cette extension du marché sur le développement de l'industrie, voy. J. Lewinsky, L'évolution industrielle de la Belgique (Bruxelles, 1911). (13) J'emprunte ces détails à C. Viry, Mémoire statistique du département de la Lys, p. 102 et suiv. (Paris, an XII). Cf. aussi Falpoult, Statistique du département de l'Escaut, p. 151 (Paris, an XIII); Van der Mersch, Mémoire sur la mendicité, p. 219 (Bruxelles, 1852). (14) D'après un rapport évidemment exagéré de Felz à Metternich, la Belgique rapportait 20 millions sous le régime autrichien et de 150 à 160 millions sous Napoléon ! Colenbrander, Gedenkstukken (1813-1815), t. 1, p. 328. — Faipoult, op. cit., p. 124, constate que le contribuable paye moins en 1805 qu'en 1789, mais qu'il ne le croit pas, parce que l'Impôt direct est plus fort. Cf. dans le même sens van der Mersch, op. cit., p. 162. Voy. dans P. Verhaegen, op. cit., t. II, p. 501, une évaluation du produit des impôts en 1810. Elle aurait atteint la somme de 76 millions, donc la moitié de la supputation de Felz. Il ne faut naturellement pas attacher d'importance aux plaintes des contribuables : elles sont les mêmes sous tous les régimes. Il est d'ailleurs probable que l'impôt français a été plus lourd dans le pays de Liège et dans le Namurois, fort peu taxés sous l'Ancien Régime, que dans la Flandre qui l'était beaucoup. De plus, il a dû peser particulièrement sur les classes pauvres, à cause du grand nombre des taxes indirectes. (15) Bulletin de l'Académie royale d'Archéologie, 1923, p. 131. (16) Histoire de Belgique, t. V, 2® édit., p. 273 et suiv. (17) P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. II, p. 500. (18) Ibid., t. II, p. 501. (19) Voir de Lichtervelde, Mémoire sur les fonds ruraux du département de l'Escaut (Gand, 1815). (20) Archives de l'Etat à Liège. Correspondance du Préfet de l'Ourthe, 24 octobre 1811. (21) Alémoire conservé aux Archives communales de Sart-lez-Spa. (22) J'emprunte ces détails à la Correspondance du Préfet de l'Ourthe, conservée aux Archives de l'Etat à Liège. (23) E. Mahaim, Les débuts de l'établissement John Cockerill à Seraing. Vierteljahrschrift fiir Social und Wirtschaftsgeschichte, t. III, [1905], p. 627. (24) Archives de l'Etat à Liège. Correspondance du Préfet de l'Ourthe, 8 mal 1811. (25) Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 53. (26) Arrêté du maire de Gand publié dans le journal La Flandre Libérale, du 19 juin 1924. (Mons, collection M.-A. Arnould.) (Cliché Lefrancq.) Arrêté du préfet du département de Jemappes accordant des récompenses aux participants de l'exposition de Mons (1er avril 1806). et de moyen d'émulation. L'empereur lui-même manifestait sa sympathie aux initiatives des capitalistes. A Gand, en 1810, il daignait visiter les établissements de Liévin Bauwens. La fortune des nouveaux riches paraissait la récompense des services rendus par eux à la société et à l'Etat, car la renaissance économique du pays était incontestablement leur œuvre. La noblesse, les anciens propriétaires, les rentiers de vieille date n'y participèrent que très faiblement et, si l'on peut ainsi dire, d'une manière passive. Presque tous avaient des fonds à la banque de Vienne : on ne voit pas qu'ils les en aient retirés. Le capital qui fut investi dans l'industrie a pour origine, presque chaque fois qu'on en peut surprendre la naissance, soit d'heureuses spéculations, soit le génie des affaires. La grandeur des bénéfices réalisés par les entrepreneurs l'augmenta rapidement. Dès 1805, Faipoult estime que « le grand capital », qui est sorti du pays pendant la crise, est probablement reconstitué. Et il s'est reconstitué aux mains des parvenus qu'a suscités le nouveau régime et qui en sont le plus ferme appui. Une brochure, publiée en 1804 par le fabricant Lous-berg, en exalte les bienfaits et en reporte la gloire sur le gouvernement, qui se fait « chérir et bénir ». N'a-t-il pas, grâce à la suppression de « l'état monastique, des distinctions nobiliaires et de trente-six états civils » ouvert la carrière à « l'extrême concurrence, ce grand maître de l'industrie » ? CHAPITRE III LA SITUATION INTELLECTUELLE ET MORALE ESORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT. — Depuis les débuts du moyen âge, l'Eglise, héritière et continuatrice de la civilisation antique, avait été, à tous les degrés, la maîtresse de l'enseignement. Instituées par elle, toutes les écoles, depuis celle de la paroisse jusqu'à l'Université, s'inspiraient de son esprit, se développaient sous son contrôle, recevaient d'elle leurs maîtres et employaient sa langue : le latin. L'instruction n'existait qu'en fonction de la religion et dans ses parties les plus hautes servait avant tout à la formation du clergé. Ni la Renaissance, ni la Réforme n'avaient essentiellement transformé cet état de choses. L'introduction de méthodes nouvelles, l'élargissement du champ de la science, l'ouverture aux laïques de la carrière de l'enseignement n'avaient pas soustrait l'école au monopole de l'Eglise. Si on y respirait plus librement, on continuait pourtant d'y respirer une atmosphère religieuse. C'est seulement vers le milieu du XVIIIe siècle que l'Etat avait commencé à intervenir dans un domaine si complètement soustrait jusqu'alors à son emprise. Le despotisme éclairé, en Prusse tout d'abord, puis en Autriche, par cela même qu'il s'assignait la tâche de répandre les lumières ou, comme on dirait aujourd'hui, de travailler au progrès, devait nécessairement se servir de l'école et partant mettre la main sur elle. Pour former des hommes utiles ou, si l'on veut, des hommes modernes, il faut qu'il surveille et adapte à ses desseins, non seulement l'instruction, mais l'éducation. Il ne peut pas plus longtemps les abandonner à un pouvoir étranger. Sa souveraineté et son intérêt s'accordent en cela. L'école était orientée vers l'Eglise : il l'orientera vers l'Etat. De cléricale qu'elle était, elle deviendra laïque. Et dès lors, il en faudra modifier nécessairement et les méthodes et les programmes. Le latin perdra la place prépondérante qu'il y occupe, au profit des disciplines plus utiles qu'exigent le développement des sciences et le bien Presses du journal « Gazette van Gent » en activité aux XVIIIe et XIXe siècles (Cliché Bijtebier.) (Gand, Musée archéologique.) r t de la société. Les maîtres seront choisis, formés et rétribués par le pouvoir civil. Bref, l'instruction apparaissant désormais comme un service public, sera soumise à l'autorité publique. Sans doute, la religion ne cessera pas d'y conserver sinon au-dessus, du moins à côté des autres branches de l'enseignement, le rang que lui assigne son importance morale : mais il n'est plus question qu'elle les régente et les soumette à ses dogmes. La science, qui s'est affranchie d'elle dans le monde, doit aussi s'en affranchir dans l'école. Tels sont les principes dont témoigne la réforme des études, qui, sous le ministère Cobenzl s'était opérée en Belgique (1). Les collèges thérésiens institués en 1777 sont les premiers établissements modernes d'instruction qu'ait connus le pays. Le succès en devait être et en fut médiocre. L'Eglise avait trop de prestige et trop d'influence pour rie pas détourner d'eux la très grande majorité des élèves. La sourde opposition qu'elle leur fit les rendit suspects. En 1785, la population des collèges religieux l'emportait de quatre fois sur la leur. La République française mit fin à cette concurrence en supprimant les concurrents. Après Fleurus, il ne subsista bientôt plus rien ni des uns, ni des autres. Les collèges thérésiens furent balayés en même temps que les collèges monastiques, et les petites écoles disparurent avec eux dans la tourmente. Tous les étages de l'édifice scolaire, les anciens comme les nouveaux, s'abîmèrent dans le naufrage de l'Ancien Régime. Dès 1795, un rapport officiel déclare qu'il n'existe plus, dans la commune de Liège, d'enseignement public (2). Bassenge, trois ans plus tard, gémit sur la démoralisation et l'ignorance de la jeunesse privée de toute espèce d'instruction. La municipalité a beau ordonner la création d'écoles, les instituteurs ne se présentent pas. Tout au plus subsiste-t-il çà et là quelques établissements privés où, sous la direction d'un ancien moine, d'une religieuse sécularisée ou d'un sacristain, des enfants apprennent à lire et à écrire dans des conditions aussi lamentables au point de vue de la pédagogie qu'à celui de l'hygiène. Et si l'on songe que Liège est de toutes les grandes villes du pays la plus favorable aux idées nouvelles, on devinera sans peine ce que devait être la décadence générale. Pourtant, jamais gouvernement ne prôna plus sincèrement que celui de la République, les bienfaits de l'instruction. L'ignorance n'était-elle pas le plus ferme soutien de la tyrannie, et la diffusion des lumières, la condition indispensable de la liberté et de l'affranchissement des peuples? Dès 1792, la Convention avait rendu obligatoire la fréquentation de l'école primaire et mis à charge de l'Etat la rétribution des instituteurs. Mais au milieu des troubles civils et de la guerre, le temps et l'argent avaient également manqué. Le marasme n'avait fait que s'accentuer. La situation n'était guère meilleure en France qu'en Belgique, lorsque la Convention vota, quelques jours avant de se séparer, la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) qui fut promulguée en 1797 dans les départements réunis. Elle organisait un système d'enseignement à la fois démocratique et laïque. Si l'Etat ne revendiquait pas le monopole de l'école, il en exerçait soigneusement l'inspection. Officielles ou privées, toutes les écoles, placées sous sa surveillance, devaient donner les mêmes garanties de civisme. Dans l'enseignement élémentaire, les droits de l'homme prenaient la place qu'avait jadis occupée le catéchisme. Les maîtres devaient employer les livres adoptés par la Convention, faire observer le décadi, amener les enfants aux fêtes républicaines et leur apprendre à honorer le nom de citoyen. Libre à eux d'enseigner la religion, pourvu qu'ils s'abstiennent soigneusement de la confondre avec le « fanatisme » et « l'aristocratie ». Le but essentiel était d'inspirer l'amour des institutions républicaines, et en l'éclairant, de former l'esprit public. Mais, à part un bien petit nombre de démocrates, ces institutions apparaissaient trop haïssables aux Belges pour qu'ils n'envisageassent point avec répugnance sinon avec horreur l'obligation d'y faire initier leurs enfants. Ils préféraient les priver d'écoles plutôt que de les confier à des écoles qu'ils réprouvaient et qu'à partir de 1797 la persécution religieuse leur rendit plus abominables encore. En fait, la situation demeura après la loi de brumaire ce qu'elle était auparavant. On n'institua pas ou on institua à peine des écoles officielles. Surtout, les municipalités se gardèrent presque toutes de surveiller les écoles privées et quand elles les surveillèrent, ce fut pour les couvrir d'une protection à l'abri de laquelle leurs maîtres purent continuer presque toujours à enseigner, au lieu des principes républicains, les principes religieux. Arrivait-il que les Commissaires du Directoire en ordonnassent la fermeture, on obéissait sans que l'enseignement public en profitât. Presque personne ne se présentait pour faire partie des jurys scolaires chargés de choisir les instituteurs. Ceux-ci d'ailleurs, plus insuffisants encore par leur qualité que par leur nombre, contribuaient à jeter le discrédit sur l'enseignement officiel. Il eût dû être un modèle. En réalité, il était au moins aussi lamentable que celui des écoles libres, où se perpétuaient, à la fureur impuissante des autorités, l'ignorance et l'esprit de « catéchistes superstitieux ». En 1801, à Liège, on ne comptait que trois instituteurs primaires. A Bruxelles, les écoles municipales n'étaient fréquentées que par trois cents enfants environ (3). LES ECOLES CENTRALES. - Les Ecoles Centrales, dont une devait être érigée dans chaque département, contrastent par leur activité et leur vigueur avec cette misère. En matière d'enseignement, elles furent certainement la création la plus intéressante et la plus féconde de la Révolution. L'esprit qui les anime est résolument l'esprit moderne. Le latin n'y figure plus que comme adjuvant de l'enseignement du français. Les sciences exactes, les mathématiques et les sciences naturelles, physique, chimie, botanique, sont appelées à concourir à la formation de l'intelligence. Chaque Ecole Centrale a sa bibliothèque, son jardin botanique, son laboratoire. Les professeurs sont autant que possible recrutés parmi les hommes les plus savants du département. Leurs cours, accessibles au public, ne s'adressent pas seulement aux élèves, mais encore à tous ceux qui cherchent à s'instruire ou à perfectionner leurs connaissances. A peine sont-elles ouvertes que se prononce un mouvement scientifique trop tôt interrompu. Jusqu'aujourd'hui, leur influence a laissé des traces durables : c'est d'elles que plusieurs de nos villes tiennent leur bibliothèque publique ou leur jardin botanique, et il suffira pour se convaincre de leur valeur de rappeler que des hommes comme van Hulthem, comme Cornelissen, comme Lesbroussart y ont fait leurs débuts, soit dans la carrière du professorat, soit dans celle de la science (4). Mais l'opinion publique resta défiante à leur égard et elles furent loin d'obtenir le succès qu'elles eussent mérité. La neutralité de leur enseignement suffit à les rendre suspectes. Elles ne furent guère fréquentées que par des familles de fonctionnaires et d'acheteurs de biens natio- lui assigne le Concordat. Puisque le catholicisme est « la religion de la majorité des Français », les classes s'ouvriront par une prière, et les élèves, placés sous la direction spirituelle d'un aumônier, assisteront le dimanche, dans la chapelle, à la messe et au salut. Nul exclusivisme d'ailleurs : les dissidents sont conduits à leurs temples par les ministres des cultes qu'ils professent. Au surplus, l'esprit de la maison comme celui de l'Etat reste laïque et (Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms II 1492, t. X fol. 31", ancien fol. 22.) Une école élémentaire à Anvers sous le régime français. Aquarelle coloriée extraite des Tijdsgebeurtenissen de P.-A.-J. Ooetsbloets. Sur le contenu et la valeur de ce recueil, voyez plus haut, p. 320. naux. Assister à leurs cours, c'était faire acte d'adhésion au régime, et il n'en fallut pas davantage pour que l'on s'abstînt. Au surplus, les événements ne leur laissèrent pas le temps de s'acclimater. Elles ne survécurent guère au 18 brumaire. La création des lycées, en 1802, amena leur disparition. Il n'en existait plus une seule en 1804. Créé en vue d'adapter les principes de la Révolution aux besoins d'une société où domine désormais l'influence des classes possédantes, le lycée apparaît comme une institution spécifiquement napoléonienne. Il conserve une partie du programme des Ecoles Centrales, qu'il tempère par les méthodes pédagogiques de l'Ancien Régime. Si les sciences exactes y restent en honneur, la prépondérance y revient cependant à l'enseignement littéraire. La religion n'en est plus bannie : elle y occupe la place que l'enseignement n'est pas plus confessionnel que le code civil. A tout prendre, les lycées ont dû apparaître aux yeux des Belges comme une restauration des collèges thérésiens. Comparaison d'autant plus légitime que le lycée ne prétend plus former des citoyens mais donner aux enfants des classes dirigeantes une instruction et une éducation qui leur permettent de servir utilement l'Etat. Car l'Etat, comme au temps du despotisme éclairé, exerce sur eux un contrôle étroit. De là l'internat obligatoire, l'institution de censeurs chargés du maintien de l'ordre et de la conservation du « bon esprit », l'initiation des élèves au maniement des armes et l'introduction d'une discipline qui leur donne, dès l'école, la préparation militaire. Tout était combiné, dans les collèges de l'Ancien Régime, pour conduire les élèves vers l'Eglise; tout l'est ici pour les dresser au rôle de fonctionnaires ou d'officiers. Par les bourses qu'il attribue, le gouvernement met la main à l'avance sur les sujets les plus méritants et les enrôle, dès l'enfance, à son service. LES LYCEES. — Un lycée au moins devait exister dans le ressort de chaque cour d'appel. La Belgique en posséda quatre, institués à Bruxelles, à Liège, à Gand et à Bruges. Sous eux, des écoles secondaires ou collèges, subventionnées par l'Etat, pouvaient être organisées soit par les communes, soit par des particuliers. Soumises à l'inspection du gouvernement, elles devaient former la transition entre les lycées et les écoles primaires. Quant à ces dernières, qu'elles soient instituées par les communes ou qu'elles relèvent de l'initiative privée, elles sont déléguées à la surveillance des sous-préfets. En fait, la très grande majorité d'entre elles furent des écoles libres et, partant, des écoles catholiques. Pour les filles, il n'y en eut guère d'autres que celles qu'ouvrirent les religieuses sécularisées par la Révolution. L'institution de l'Université impériale (10 mai 1806) substitua à ce régime le monopole exclusif de l'Etat. Désormais, nul ne put ouvrir d'école ni enseigner publiquement, à quelque degré que ce fût, sans en avoir reçu licence en due forme. De même que l'Empire était réparti en circonscriptions militaires, il le fut en « Académies », chacune pourvue de son recteur, subordonné lui-même au Grand Maître siégeant à Paris, et chargé, sous sa direction, d'imprimer à l'enseignement l'esprit « uniforme » dont devait sortir, au profit de l'empereur, « l'unanimité » des sentiments et des volontés. Liège et Bruxelles furent les chefs-lieux des deux Académies qui étendaient leur ressort sur la Belgique. Au reste l'Université, dont l'organisation définitive date de 1811, n'eut pas le temps d'y modifier sensiblement la situation. Elle ne contribua guère qu'à renforcer le mécontentement provoqué par la rupture de Napoléon avec le pape, et tandis qu'aujourd'hui encore elle subsiste en France dans ses traits essentiels, elle ne survécut pas en Belgique aux événements de 1814. Dans le système napoléonien, il n'existe pas à proprement parler d'enseignement supérieur. La rhétorique des lycées achève la formation de l'esprit. Au delà, il n'y a plus que des écoles spéciales destinées non à la culture de la science mais à l'enseignement professionnel. Tel fut l'école, plus tard faculté de droit, organisée à Bruxelles (Bruxelles, Musée communal.) Une distribution de prix à la Société des Beaux-Arts de Bruxelles Gouache ou pastel d'Elisabeth Delatour (Bruxelles, 1750-1834) le 25 mars 1807 et à laquelle fut adjointe, le 5 novembre 1810, une faculté des Lettres destinée à la formation des professeurs des lycées et des collèges. Des écoles de médecine, dues à l'initiative privée et encouragées par les préfets, s'ouvrirent à Gand et à Liège. Des jurys médicaux, un par département, s'acquittaient du soin de délivrer les diplômes exigés par la loi aux officiers de santé, pharmaciens, herboristes et sages-femmes. La pacification générale des esprits après le coup d'Etat de brumaire, assura en Belgique aux lycées et aux collèges le succès qui avait été refusé aux Ecoles Centrales et qu'expliquent d'ailleurs leurs concessions au sentiment religieux et aux traditions pédagogiques du passé. Si la noblesse s'abstint en général de les fréquenter, la bourgeoisie assura leur recrutement. Quantité de collèges furent institués soit par les municipalités des villes, soit par des maîtres particuliers, et l'instruction, interrompue depuis l'invasion de 1794, reprit son cours normal. Il faut constater cependant que l'enseignement populaire resta déplorable. Manifestement, les autorités s'en désintéressèrent presque toujours, et cela s'accorde bien avec la disparition croissante des tendances démocratiques et le caractère de plus en plus « censitaire » du gouvernement et de la société. De son côté, le clergé se méfiait des écoles ouvertes par les municipalités et l'obligation de se soumettre à l'inspection le détournait d'en organiser lui-même. L'indifférence des pouvoirs publics et les scrupules religieux nuisirent donc également à l'instruction du peuple. En 1812, Thomassin constate que, dans le département de l'Ourthe, les écoles élémentaires sont bien moins nombreuses qu'avant la Révolution (5). Dans l'Escaut, Faipoult note l'ignorance générale des paysans, presque tous illettrés. Dans l'Ourthe, Micoud d'Umons, en 1807, remarque que plusieurs communes n'ont ni écoles primaires ni écoles particulières. La situation n'était pas meilleure dans les villes où, comme on l'a vu plus haut, l'atelier détournait de l'école les enfants de la classe ouvrière. Le gouvernement ne fit rien pour remédier à cet état de choses (6). Il semble l'avoir accepté comme une conséquence de l'ordre social. Etait-il nécessaire au recrutement des armées et à celui des fabriques que les gens du peuple sussent lire et écrire ? LA FRANCISATION LINGUISTIQUE. - L'uniformité de l'enseignement eut pour résultat d'en faire, dans les départements réunis, un puissant instrument de francisation. Il ne pouvait être question de l'adapter aux mœurs, aux idées ou au langage de la ci-devant Belgique devenue partie intégrante de l'empire français. L'intérêt de l'Etat exigeait trop évidemment l'assimilation des peuples annexés pour que le gouvernement pût voir dans leurs caractères nationaux autre chose que des obstacles à abattre. Sa mission était de dresser ses nouveaux sujets et de les amener par la communauté de l'instruction et de l'éducation à être dignes de la grande nation à laquelle ils avaient désormais le bonheur d'appartenir. Il était d'ailleurs trop sûr de sa force pour re-(Ciiché a c l ) douter aucune opposition. Il lui suffit de en 1811. proclamer, sous la République comme sous l'Empire, que le français était la seule (Bruges, Quai de la Potterle.) (Cliché A.C.L.) Détail de la façade de la nouvelle abbaye des Dunes qui servit d'école centrale (1798) puis de lycée (1803) de Bruges sous le régime français. A partir de 1628, l'abbé Campraans avait construit la nouvelle abbaye des Dunes sur l'emplacement du refuge de l'abbaye dite de Ter Doest. Les moines cisterciens étaient venus s'y établir après la destruction de l'abbaye de Coxyde en 1560. La révolution française les chassa de Bruges, et leur abbaye fut transformée successivement en école centrale (20 janvier 1798), lycée (1803), hôpital militaire (1804), magasins militaires (1814), athénée (1817-1836) et collège épiscopal (1836-1841). Elle sert aujourd hui de grand séminaire diocésain. langue officielle (7). Pour les mesures d'application, il les délégua à ses fonctionnaires. Généraliser l'usage du français dans les parties flamandes de la Belgique fut naturellement un de leurs premiers soucis. La tâche n'était pas difficile. Le français y avait fait de tels progrès au XVIII" siècle, que Shaw, dès 1788, prévoyait la disparition prochaine de la langue nationale (8). Bien rares étaient ceux qui, comme Verloy, comme Braeckenier, s'intéressaient encore à son sort. Et quand bien même ils eussent eu le courage d'élever la voix en sa faveur, qui les aurait écoutés ? Tout s'unissait, depuis l'annexion, pour hâter l'évolution commencée spontanément avant elle. La connaissance du français s'imposait aux rapports sociaux comme aux relations économiques. Sans la posséder, nul moyen de faire carrière. Elle était désormais un besoin primordial de l'existence et on acceptait cette situation sans protester. D'elle-même, la population s'inclinait au but et il était inutile de la contraindre. Sans doute, dans les campagnes et dans beaucoup de petites villes, la langue flamande était seule ou presque seule en usage et il ne pouvait être question de l'imposer aux écoles dont les maîtres, pour la plupart, n'en connaissaient pas d'autre. Mais les préfets encouragèrent par des récompenses les instituteurs qui ouvrirent des leçons de français, et leurs instructions s'accordant aux vœux des parents, le succès répondit tout de suite à leurs efforts. Dès 1804, Viry, dans la Lys, se réjouit des progrès accomplis. La langue française se répand, dit-il, en même temps que les modes françaises. Les fermiers désirent la faire apprendre à leurs enfants (9). Dans les écoles de filles surtout, elle occupe une grande partie des programmes. Les instituteurs formés par les écoles normales la connaissent tous et se font gloire de l'enseigner. Incontestablement, ce qui nuit à sa diffusion parmi le peuple ce n'est pas la répugnance à l'apprendre, c'est le trop petit nombre des écoles et leur fréquentation insuffisante. En revanche, dans les collèges officiels et naturellement dans les lycées, elle règne en maîtresse, et les collèges libres suivent l'exemple. Si on y enseigne encore le flamand, c'est à titre de seconde langue et presque de langue étrangère. La génération qu'ils ont formée de 1800 à 1814 a été élevée exclusivement en français, et il suffit de noter ce fait pour se rendre compte de la francisation rapide de la bourgeoisie. L'administration ne manque pas d'accélérer le mouvement. Peu à peu, le flamand est exclu de toutes les positions (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté II, 19537, in-8°, t. III.) « La langue française se répand... en même temps que les modes françaises. » (Voyez le texte ci-dessus.) Robe de crêpe rouge, avec châle dit turc, portée par les élégantes en l'an XII (1803-1804). — Taille douce coloriée extraite du Journal des Dames et des Modes (Paris, 30 vendémiaire an XII, 8" année, n» 6, p. 48-49). (Paris, Musée du Louvre.) Couronnement de Napoléon Ier et de Joséphine de Beauharnais à Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804. Détail du tableau peint à l'époque par Jacques-Louis David (Paris, 1748-Bruxelles, 1825). qu'il occupait. En 1800, les fonctionnaires de l'enregistrement demandent, en vue d'éviter les fraudes, que tous les actes qui leur sont soumis soient exclusivement rédigés en français et, le 13 juin 1803, un arrêté leur donne satisfaction, tout en tolérant que les officiers publics puissent annexer aux expéditions officielles une traduction dans l'idiome du pays. Encore cette concession tombe-t-elle bientôt en désuétude. Dans les bureaux des préfectures, des municipalités, de tous les chefs des grands services de l'Etat comme dans les greffes des tribunaux, non seulement les fonctionnaires ne correspondent et ne tiennent les écritures qu'en français, mais très souvent, étant eux-mêmes Français d'origine, ils ne savent point d'autre iangue. C'est en français que délibèrent les Conseils Généraux des départements ainsi que les Conseils communaux, que les juges rendent leurs sentences et que plaident les avocats. Et bientôt, le français débordant au dehors, multiplie ses emprises sur la vie sociale. Aux yeux de beaucoup de préfets, c'est un devoir que d'extirper l'usage de l'idiome national. A Anvers, Voyer d'Argenson est « ardent à interdire les publications périodiques en langue flamande » (10). Dans l'Escaut, ses collègues se signalent par l'intransigeance de leur zèle. En 1806, Faipoult ordonne la fermeture de tous les théâtres flamands du département. D'Houdelot oblige l'éditeur de la Gazette van Gent à publier désormais son journal en français, interdit, en 1810, l'impression de tout livre et de tout journal en flamand et, en 1812, impose la traduction du nom des rues et jusqu'à celle des inscriptions peintes sur les ensei- L'ATTRACTION DE PARIS. -La centralisation administrative et la francisation du pays qui en résulta, orientèrent naturellement vers la France ou, pour mieux dire, vers Paris, toute l'activité intellectuelle de la Belgique. Il serait vain d'y chercher la moindre trace de spontanéité ou d'originalité. Elle n'est plus qu'un pâle reflet de la capitale. C'est vers elle que se tournent tous les regards et que se dirigent les jeunes gens désireux de faire carrière soit au bureau, comme de Gerlache, soit dans la littérature, comme de Stassart, soit dans les arts, comme tant d'autres. Les neuf départements réunis ne forment plus qu'une province soumise à l'influence et à l'attraction de Paris. Madrid, sous le régime espagnol, Vienne, sous le régime autrichien, n'avaient été que la résidence des princes et n'avaient jamais imposé aux Pays-Bas ni leurs mœurs ni leurs idées. Bien plus, lorsque, sous Marie-Thérèse, le gouvernement avait voulu ranimer en Belgique la culture littéraire et scientifique, il avait cherché à lui fournir, par la création de l'Académie de Bruxelles, un centre autonome autour duquel elle pût se grouper. Mais l'Académie a été entraînée dans la suppression des corporations. Sa bibliothèque et ses instruments sont dispersés comme ses membres. D'ailleurs personne ne s'intéresse plus aux antiquités nationales auxquelles elle avait consacré le meilleur de ses forces. Frappées de la réprobation qui s'attache à l'Ancien Régime, elles ne paraissent plus qu'un passe-temps de réactionnaires ou tout au moins de pédants. Sauf quelques rares bibliophiles, comme van Hulthem à Gand, on laisse se dilapider le trésor des bibliothèques provenant des institutions religieuses supprimées et que le gouvernement a d'ailleurs écrémées au profit de Paris. En 1811, Liège « n'offre ni un manuscrit ni un livre à consulter » (13). Çà et là, dans le silence du cabinet, quelque antiquaire quelque amateur, un Raepsaet, un de Bast, un S.-P. Ernst, gnes (11). Mais cette persécution administrative ne fut pas générale. La plupart du temps les préfets se bornèrent à bannir le flamand de l'usage officiel. Les vieilles sociétés de rhétorique continuèrent à subsister et à organiser des concours entre leurs membres (12). On y rima, dans une langue dé-plorablement abâtardie, les victoires de l'empereur. D'autre part, le clergé continuait d'enseigner le catéchisme et de prêcher, au moins à la campagne, dans la langue du peuple, qui apparut ainsi solidaire de la religion. La poésie pieuse qui avait inspiré au XVII0 siècle le Masker van de Wereld du jésuite Poir-ters (1646) continua de trouver des lecteurs. C'est à elle que se rattache la Jerusalems herstelling, publiée en 1811 par le curé Stichelbaut, dans laquelle s'expriment, sous une forme symbolique, les souffrances d'un peuple opprimé par l'impiété et aspirant à la libération. un Diericx, s'adonne encore à des recherches d'érudition dont il conserve le plus souvent, faute d'éditeur, les résultats dans ses portefeuilles. Ni l'opinion, ni le gouvernement ne les encouragent. Malgré les instances de Camus et du préfet d'Her-bouville, aucune subvention n'est accordée aux Bollandistes pour leur permettre de reprendre leurs travaux (14). L'Institut honore bien, de loin en loin, quelques « nouveaux Français » de sa bienveillance. Il s'est associé le vieux Lens pour la peinture, le commandeur de Nieuport pour la mécanique, van Mons pour la chimie. Mais ces distinctions ne font qu'accentuer encore l'attraction de Paris. Tous les talents se dirigent vers la grande ville qui concentre en elle toutes les ressources et seule dispense la renommée. Celle de Grétry et de Gossec stimule l'ambition de leurs compatriotes et les attire. C'est à Paris que le Brugeois Suvée reçoit la direction de l'Ecole de France à Rome, que son concitoyen J.-B. van Praet devient un des conservateurs de la bibliothèque impériale. D'autres Belges s'y distinguent aux « concours de Rome » : en 1804 et 1807, les Brugeois Odevaere et van Calloigne, en 1808, le Liégeois Ruxthiel, en 1812, l'Ostendais Suys. Le jeune Bériot y fait ses études au conservatoire et c'est à Paris encore que vont s'établir le chimiste Brizé-Fardin, le médecin Nysten, le physicien Robertson, le mathématicien Christian. Paris impose à la Belgique dans tous les domaines le ton ou la méthode. L'art se met à l'école de David, la littérature à celle de Delille, la science, mieux partagée, à celle des maîtres qui illustrent l'Institut. Tous ceux qui n'ont ni les moyens, ni les loisirs d'aller puiser à la source, s'efforcent au moins d'en détourner le ruissellement vers le pays. Dans les grandes villes se fondent des sociétés littéraires, des sociétés scientifiques, des sociétés artistiques, qui organisent des concours et des expositions de tableaux (15). Mais, en dépit de la bonne volonté de ses promoteurs, toute cette activité ne dépasse pas le niveau d'une honnête médiocrité provinciale « à l'instar de Paris ». Le théâtre s'alimente naturellement de pièces françaises, jouées par des acteurs français. Nulle part, ni accent original ni inspiration sincère. La nation s'efforce à porter l'habit d'uniforme qui lui est imposé et à n'en pas déranger les plis. LA PRESSE. — Comment aurait-elle pu s'abandonner à elle-même et s'exprimer à sa guise sous la surveillance constante d'une censure qui, à mesure que se (Waremme, château de Longchamps, collection baron de Sélys-Longchamps.) « L'attraction de Paris ». — Une terre-cuite de Henri-Joseph Ruxthiel (Lierneux, 1775-Paris, 1837). Henri-Joseph Ruxthiel, fils de paysans, fut l'élève de Houdon à Paris. En 1804, il obtint au concours de l'Institut le premier grand prix de sculpture, et le prix de Rome en 1809. Napoléon lui octroya le brevet de sculpteur des Enfants de France. Ruxthiel a exécuté les modèles d'une grande partie des bas-reliefs de la colonne Vendôme à Paris, outre de nombreux bustes et statues. — La terre-cuite reproduite cl-dessus est une copie, exécutée en l'an X (1801-1802), de l'Hermaphrodite Borghèse du musée du Louvre à Paris. ( N.° 88. ) FEUILLE D'AN N ON C DE LA VILLE DE BRUXELLES. Du VENDREDI 13 Septemtre 1811. TRIBUNAL DE COMMERCE, prolonge le régime impérial, devient d'année en année plus soupçonneuse et plus oppressive ? (16). Sous la République, la presse avait encore joui d'une liberté bien précaire sans doute et bien limitée. A partir du Consulat, l'étau qui l'enserre a été se refermant sans cesse. Jamais une telle servitude ne lui a été imposée, car, si l'Ancien Régime la contrôlait par raison d'orthodoxie et par raison d'Etat, du moins ne prétendait-il pas la contraindre au silence. Aujourd'hui, en dehors des matières de simple agrément ou de science pure, tous les sujets lui sont interdits. Elle ne peut traiter ni de politique, ni de morale, ni de philosophie, ni d'administration. Toute idée est suspecte, toute phrase peut contenir une allusion ou une insinuation. Seuls les fonctionnaires ont le droit de parler au public et de lui communiquer la bonne doctrine. Tout papier imprimé est du ressort de la police, car tout papier imprimé peut être dangereux. A lire la correspondance des préfets, il apparaît que de plus en plus leur mission essentielle est de surveiller l'opinion et de faire observer les lois qui l'étouffent. En vertu de l'arrêté du 27 nivôse an VIII (17 janvier 1800) aucun nouveau journal ne peut être publié sans licence, et le gouvernement a le droit de supprimer sur-le-champ toute feuille qui lui paraîtrait hostile au « pacte social ». Une circulaire de Fouché, en 1807, interdit aux journalistes d'insérer « aucun article quelconque relatif à la politique, excepté seulement ceux qu'ils pourront copier dans le Moniteur. Et là-dessus, le zèle des préfets s'emporte. Pour mieux obéir, ils s'arrogent un droit de censure FAILLITE de V. 1. Butl.nl , nnU ru tut Bourru i BruxeJJot. Le. Créancier. do P. J. Buttent, tant Invitât de m troarer 1b Stnodi S Octobre 1811 , à trois heure. do tolérée <*b, l. telle d'audience du Tribunel dt Com-■ttce de atte tille , à l'effet d1ataitter à la téeiScetiou dtt titre, produite et faire l'aJBieaatica requitc par Tait. J07 du Code de Conmerce. A Brumtllui, U 11 Stpetmhru i8u. Sigaé , P. J. Stttme. REPERTOIRE de Ventes et Louages tau et ioos la dilection de MM- les notaires. t Maiton lilo/o rat Jfttn , d louer pr/itnttmunt. A louer ptéteatement uae trét - jolie Vtitoa tituëe ru. j Urne , k portée d. la comédie , ayant quatre placet en i rte de cheuuée, cuitine et caret ; belle cour, plutieurt ' thtabret toute, eteubliet eux étega ; S'adreaeer en l'é- t "efe de Notaire Su.em, courte rue Nenre, k Bruacllut. t Deuu Uoêtoni tUudtt rut Je N. D. dt Sommeil, i louer pedttnttuuns. A looer ptdttntevent deua jolioo Meieone , dont on. Proprement «oublie, tituée. rue do N. D. du SojuboîI, Tbme premier. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, recueil coté III, 33525, B.) « ... Et quel journal I A part ce qu'y laisse passer la préfecture, on n'y trouve plus que des annonces et des anas. » (Voyez le texte ci-dessus.) N° 88 du vendredi 13 septembre 1811 de la Feuille d'annonces de la ville de Bruxelles. préalable et se font envoyer avant qu'elles ne soient tirées, les épreuves des gazettes. Les journalistes ne doivent être que les « notaires de l'esprit public ». La moindre incartade, la' plus petite « inconvenance de style » attirent sur leurs feuilles un arrêt de mort. D'ailleurs, à partir de 1810, un décret a décidé que, sauf dans la Seine, il n'y aurait plus qu'un journal par département. Et quel journal ! A part ce qu'y laisse passer la préfecture, on n'y trouve plus que des annonces et des anas. Quant aux livres, on n'en peut introduire de l'étranger sans qu'ils aient subi à la douane un examen dont on peut deviner la compétence et l'esprit. Pour les autres, la censure se montre si impitoyable qu'elle décourage à l'avance les auteurs. Rien n'est épargné. En 1811, dans l'Ourthe, le préfet se fait envoyer les épreuves des almanachs et de ces petits livres « qui sont la bibliothèque du vulgaire et de l'enfance », en vue moins encore d'en écarter les obscénités et la superstition que d'y introduire les louanges de l'empereur (17). A partir de 1810, pour exercer la profession de libraire ou d'imprimeur, il faut se procurer un brevet du gouvernement. Quant au théâtre, est-il besoin de dire qu'il ne peut jouer que des pièces approuvées par l'autorité ? Le despotisme le plus étroit et le plus rigide s'impose ainsi à la pensée. La République avait voulu, en s'emparant du contrôle de l'éducation et de la presse, faire des citoyens. Napoléon ne leur assigne plus d'autre but que de dresser au profit de l'Etat, des administrés. E pria dn Retnput de. Moine, . tyiut ckacnne deua pltcet , ret de ch.uttée, trolt k l'et.ge , g/«nier , rare , | troc po»pe et petit jtréia- S'idrctter au Notaire Opdenbtrg. 3 Btont patrimoniaux 4 vendre. A tendre de pi k gtd une belle Malet» aimée pet. J. Watt. , lui 1a chauué. , contenant estima .n hectare ou un bonnier, rempli d'arbree à ir.it, arec d* tria-belle, [a*. teinec, occupée pu Ix Do Gtlton, propre, pour une taanerie , brMerfe de bterx. ou gmiim, l'on pourr. eaeti tcqnéri» une petit. Mtitou joignant. , «we «tlroa un jtettll d. jxrdla. S'tdretter pour le. condition, t Hrutalloe rue Haute, t. et. a, M5, et eu Notaire CrolkouK, i St. - CiHee. 4 ;.rdt. k MeUnkuk j ..a4t. Le Noteire NILL1S eit chargé de tendre de gré i gré n» Jardin potager toat Molcobeok , derrière le c.baret le p>— mi./..I. tu-del* du pont do Di.ble, eontenent un demi-joutntl bitn purtmenitl s'tdretter eudit Notaire, derrière l'églit. de Sto.-Gwiolo , ' " " , à Brottllet. 5 Mtiion rituét en Borgtal, d vendre prdetnltmtni. Une grande et belle Meieoa tituée k Bruxellea au Borgttl , prtt de St.-Gér|f , eeet- 3, ■ ' 794 , Wt cabaret bien teiulaadé , ayant cMtr, jtrdin , cet. , deux tortte d'eau , gallerie , plurfeor. cheabiee eu m d. chaut* té. , et è l'étage, beaux greaiert , etc. S'edrewer pour lot coudiUoei et plut enpUa rtntelgno. M, chca le Notaire fonder Lindem, t taeliee, r NOTES (1) Histoire de Belgique, t. V, 2» édit., p. 315. (2) Th. Gobert, Liège à travers les âges, t. I, p. 286 (Liège, 1924). (3) A. Sluys, L'enseignement en Belgique sous le régime français, p. 25 (Bruxelles, 1898); Geschiedenis van het onderwijs in België tijdens de fransche overheersching en onder de regeering van Willem I, p. 95 et suiv. (Gand, 1913). (4) Pour l'activité de l'Ecole Centrale de Mons, voir J. Becker, Un établissement d'enseignement moyen à Mons depuis 1545, p. 327 et suiv. (Mons, 1913). (5) Mémoire statistique du département de l'Ourthe, p. 288. Il ajoute, p. 276, qu'un septième à peine de la population sait lire et écrire. (6) Cf. A. Sluys, Geschiedenis van het onderwijs, p. 156 et suiv. (7) J. des Cressonnières, Essai sur la question des langues dans l'histoire de Belgique, p. 340 (Bruxelles, 1920). (8) Histoire de Belgique, t. V, 2= édit., p. 330. (9) Mémoire statistique du département de la Lys, p. 54 et suiv. (10) Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 270. (11) F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. V, p. 9 et suiv. (12) En 1812, à Gand, on rouvre la chambre de rhétorique de Fonteyne et J.-F. Willems y remporte un prix pour un poème sur la bataille de Frledland. En 1805 et 1806, E.-D. van Daele fit paraître sous le pseudonyme de Vaillant, un périodique, Tijdverdrijf, consacré à l'étude de la langue flamande. (13) Th. Gobert, Liège à travers les âges, t. I, p. 276. (14) H. Delehaye, L'œuvre des Bollandistes, p. 181 (Bruxelles, 1920). (15) La plus ancienne est la Société des Arts de Gand fondée en 1808, en même temps que la Société de Botanique et d'Horticulture qui organisa un « Salon de flore » dès 1809. Sur ce mouvement, voy. E. Mailly, Etudes sur la culture intellectuelle ù Bruxelles pendant la réunion à la France (Bruxelles, 1887); La Société de Littérature de Bruxelles (Bruxelles, 1888). (16) P. Verhaegen, Essai sur la liberté de la presse en Belgique durant la domination française. Annales de la Société Archéologique de Bruxelles, t. VI, [1892] et VII [1893]; F. Donet, Un quart de siècle de censure. Bulletin de l'Académie d'Archéologique, 1907, p. 278 et suiv.; Th. Gobert, Imprimerie et journaux ù Liège sous le régime français. Bulletin de l'Institut Archéologique liégeois. 1924, p. 1 et suiv. Cf. E. Roche, La censure en Hollande pendant la domination française (La Haye-Paris, 1923). (17) Correspondance du préfet de l'Ourthe. Archives de l'Etat à Liège. CHAPITRE IV LA FIN DU REGIME (Liège, Musée d'Armes.) (Cliché Maes.) Fusil à quatre canons torche soudés en faisceau, probablement de fabrication liégeoise, vers 1800. Détail. ft/fLM ONSEQUENCES du concordat. - [fl VaJ De toutes les causes qui, après le 18 brumaire avaient concilié les Belges à Bonaparte, la principale avait été la proclamation du Concor-V^ dat. Sans doute, il restait bien en deçà de ce que l'opinion catholique eût souhaité. Mais puisque le pape l'approuvait, quel motif eût-on pu invoquer pour n'accepter point de bon cœur le bienfait de la paix religieuse enfin restaurée après une si longue persécution ? Au lieu de s'étonner des difficultés que les « insermentés » lui suscitèrent encore jusqu'en 1803, il faut plutôt admirer la facilité avec laquelle le clergé s'y rallia dans son ensemble. Le sentiment public était trop avide de repos pour persister plus longtemps dans la résistance. L'agitation que Stevens s'obstinait à fomenter s'apaisa à partir de 1806. Les fidèles n'étaient point d'humeur à discuter sur les « articles organiques »; il leur suffisait que les églises se rouvrissent et qu'ils pussent, le dimanche, s'éveiller au son des cloches annonçant la messe. On sentait vaguement que l'inévitable s'était accompli et que, dans l'ordre nouveau des choses, les privilèges ecclésiastiques avaient aussi définitivement disparu que les privilèges nobiliaires. Le clergé régulier se résigna sans mot dire à sa dépossession commencée d'ailleurs sous l'Ancien Régime, achevée sous la Révolution et légalisée par le Concordat. Il se courba sous la force et disparut sans bruit. Les moines se confinèrent dans leurs familles ou s'adonnèrent soit à l'enseignement, soit au ministère paroissial. Les religieuses, pieusement associées en petits groupes dans des maisons louées, se consacrèrent à l'instruction des filles, aux soins des malades et à des travaux d'aiguille. En 1808, le préfet de l'Ourthe vantait leur dévouement et rendait hommage à l'innocence de leurs mœurs et de leurs sentiments. Evidemment, la police pouvait dormir tranquille. Il n'y avait rien à craindre des survivants des corporations supprimées : chaque année la mort diminuait leur nombre, et on pouvait prévoir le moment où il n'en subsisterait plus que le souvenir ( 1 ). (Paris, Musée du Louvre.) Pie VII (Barnabé-Louis-Grégoire Chiaramonti [Césène, 1740-Rome, 1823]), élu pape à Venise en 1800. Portrait commandé par Napoléon et peint en 1805 à Paris par Jacques-Louis David (Paris, 1748-Bruxelles, 1825). Deux répliques de ce portrait ont été exécutées dans l'atelier de David et sous la direction du peintre : l'une se trouve au palais de Fontainebleau, l'autre au musée de Versailles. Quant aux prêtres séculiers, le désintéressement dont ils firent preuve frappa vivement les contemporains. Dans la plupart des communes, la cure avait été vendue comme bien national, et ils s'accommodèrent sans protester d'installations de fortune. La résistance de beaucoup d'entre eux à prêter le serment d'obéissance aux nouveaux évêques ne s'explique que par des scrupules de conscience. Elle mit souvent à une rude épreuve la patience des préfets et provoqua çà et là des violences fâcheuses. A Malines, la police arrêta l'abbé de Lantsheere qu'elle accusait de soutenir les protestataires. Il fallut que Portalis lui-même intervînt pour prêcher le calme et la soumission. Enfin, en 1803, toutes les difficultés furent aplanies et, l'année suivante, l'assistance du pape au couronnement de Napoléon fit disparaître ce qui pouvait Subsister encore d'une agitation à laquelle le chef suprême de l'Eglise enlevait lui-même ses derniers prétextes. Tandis qu'en 1559, Philippe II n'avait guère désigné que des Belges pour administrer les nouveaux diocèses (2), Napoléon ne nomma que des Français aux évêchés réorganisés par le Concordat. Il agit en cela, et pour les mêmes motifs, comme il avait agi pour les préfets. Mais ses choix ne furent pas aussi heureux. Sauf l'évêque de Namur, Mgr Bexon, qui, âgé de soixante-treize ans, scandalisa ses ouailles par des aventures galantes trop bruyantes, leurs mœurs étaient aussi correctes que leur orthodoxie. Par considération de l'ultra-montanisme du pays, on avait eu soin de les recruter tous en dehors du clergé constitutionnel. En revanche, on n'avait tenu nul compte de l'esprit et des traditions du clergé qu'ils allaient avoir à administrer. L'archevêque de Malines, Jean-Armand de Roquelaure, était un prélat d'Ancien Régime, jadis aumônier de Louis XVI, qui, à quatre-vingt-un ans, conservait les allures et les habitudes d'un grand seigneur, et dont « les formes lestes, ouvertes et entièrement françaises, contrastent singulièrement avec les formes lourdes et ténébreuses des prêtres brabançons» (3). A Gand, Mgr Fallût de Beaumont se considère bientôt comme en exil et on doit, en 1807, le remplacer par un favori de l'empereur, Mgr de Bro-glie. A Liège, l'Alsacien Zaepfel et à Tournai, son compatriote F.-J. Hirn s'adaptèrent plus facilement à l'esprit de leur entourage. Pourtant, cette première rencontre entre des éléments si disparates n'alla point sans froissements de toutes sortes. En 1807, Roquelaure faisait part à Portalis de son intention d'envoyer à Paris ou à Lyon une partie de ses séminaristes « pour franciser la Belgique en peu de temps» (4). Au reste, il n'y eut ni éclat ni rupture. L'accoutumance usa peu à peu les premières aspérités du début. Certains évêques se laissèrent même assez rapidement conquérir par leur clergé. Hirn à Tournai et de Broglie à Gand ne tardèrent pas à tomber sous l'influence de leurs grands vicaires, Duvivier et van de Velde, qui s'étaient signalés jadis par l'outrance de leur opposition aux édits de Joseph II. DESAFFECTION DU CLERGE. - Ce que le gouvernement exigeait avant tout des évêques, c'était une conformité absolue à ses desseins et une obéissance passive à ses ordres. Il put compter sur l'une et sur l'autre. Tous acceptèrent de se conduire, dans leurs rapports avec lui, en « préfets ecclésiastiques » et de dresser leur clergé au service de l'Etat. Les curés eurent à chanter les innombrables Te Deum requis par les victoires et les événements du règne, à exposer au prône les beautés de la conscription et les bienfaits de la vaccine. Les grands vicaires s'empressaient de communiquer à l'examen du préfet le texte de leurs sermons. L'adulation était de règle. En 1804, le supérieur du séminaire de Malines exprimait au ministère de l'Intérieur la joie qu'il avait ressentie en apprenant l'élévation à l'Empire « du grand Bonaparte envoyé de Dieu comme un autre Cyrus pour rétablir la religion et la paix, tant dans l'ancienne France que dans les départements réunis» (5). Et pour être exubérante dans son expression, cette joie n'en était sûrement pas moins sincère. Car si l'Eglise servait l'empereur, l'empereur la comblait (Cliché Archives Photographiques.) LE CONSULAT ET L'EMPIRE de bienfaits très réels. Partout les séminaires et les petits séminaires s'organisaient, les fabriques d'église rentraient en possession de leurs biens non aliénés, le clergé, jusqu'au grade de sous-diacre, était exempté du service militaire. Pourtant la lune de miel de l'Etat et de l'Eglise ne pouvait durer bien longtemps. Napoléon plus encore que Joseph II entendait soumettre celle-ci à celui-là et en faire un instrument de règne. Dans sa volonté d'en ajuster les institutions aux nécessités de la société moderne, il était peu à peu entraîné au delà du point de rupture. Au lieu de laisser la société ecclésiastique se développer et agir à côté et en dehors de la société civile, il avait résolu de l'y faire entrer de force et de l'y soumettre. Depuis 1806, ses exigences croissantes le précipitent fatalement à un conflit avec la papauté. L'obligation imposée aux prêtres d'enseigner le catéchisme impérial commence à provoquer une fermentation dangereuse. En France, où le gallicanisme était courant, elle fut assez facilement acceptée; en Belgique, elle raviva aussitôt les cendres encore chaudes de la querelle fébro-nienne. Des brochures commencent à circuler sous le manteau (6). Çà et là, les curés cessent de chanter le Domine salvum fac imperatorem. Les séminaristes s'agitent et aussitôt les autorités et la police d'entrer en campagne. Les préfets organisent la traque aux catéchismes prohibés, les font saisir chez les imprimeurs et les libraires, ordonnent aux maires de signaler les incartades des prêtres, se font rendre compte des sermons et instruisent des moindres incidents de l'agitation cléricale le ministre de la police. De département en département, ils se signalent les prédicateurs ambulants et jusqu'aux marchands qui débitent des papiers à filigrane suspect (7). Le plus grave, c'est que le conflit du pape et de l'empereur commence à se répercuter sur l'organisation de l'Eglise. En 1808, l'abbé de Pradt désigné comme successeur à Mgr de Roquelaure à Mali-nes, ayant reçu de Rome des bulles mutu proprio, le gouvernement refuse de les lui remettre, si bien que, ne pouvant les exhiber en prenant possession de son siège, il y fait figure d'intrus. RUPTURE AVEC LE CLERGE. — Incessamment d'ailleurs, la querelle du sacerdoce et de l'empire avive et aggrave le mécontentement et l'inquiétude non seulement du clergé, mais des fidèles. En 1809, coup sur coup, l'annexion des Etats du Pape (17 mai), l'excommunication tacite de Napoléon (10 juin), l'enlèvement de Pie VII (5 juillet) augmentent une indignation à laquelle le divorce de l'empereur, prononcé par le Sénat le 16 décembre, ajoute le scandale. On commence à se demander si le nouveau Cyrus n'est pas l'antéchrist. Pendant le voyage de 1810, ses fureurs contre les prêtres l'ont encore plus diminué à leurs yeux qu'elles ne les ont effrayés. Ils se sentent maintenant soutenus par l'opinion. Les béguines d'Anvers, dont le curé a été saluer Napoléon lors de son passage dans la ville, rompent tout rapport avec lui (8). A Liège, le chanoine Barret s'oppose énergiquement à reconnaître l'évêque nommé, Mgr Lejeas, et plutôt que de céder se laisse exiler à Besançon (9). Evidemment, contre le renouveau du joséphisme qui se manifeste plus brutal encore que jadis, l'opposition se reforme. Stevens publie de nouveaux pamphlets contre le « héros philosophe » qu'il qualifie de renégat et de sectateur de Mahomet. Les grands vicaires van de Velde et Duvivier dirigent la conduite de leurs évêques, à Gand, celle de Broglie, à Tournai, celle de Hirn. Nommés pour servir d'instruments à la politique napoléonienne, l'un et l'autre, gagnés par l'ultra-monta-nisme de leurs ouailles (10), ont passé à l'opposition. En 1811, au concile national de Paris, ils résistent courageusement aux desseins de l'empereur. Seul parmi les prélats français, l'évêque de Troyes s'est rangé à leurs côtés. On ne peut douter que le clergé belge ne se soit exprimé par leurs bouches, et c'est lui qui est châtié aussitôt en leurs personnes. Leur emprisonnement à Vincennes ne fait d'ailleurs que surexciter la résistance. Il est trop tard pour arrêter un mouvement que la persécution accélère. A Bruxelles, Mme d'Houdetot cherche vainement à amadouer l'opinion en se faisant recevoir prévote de la Sainte-Vierge dans l'église de N.-D. du Bon Secours (11). La passion religieuse se déchaîne désormais contre l'empereur. Des curés cherchent visiblement à soulever les paysans. D'étranges récits commencent à circuler. A Meldert, une image (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Napoléon et William Pitt se partagent l'empire du monde : représentation satirique. The Plumb-pudding in danger, — or State Epicures taking un Petit Souper. « The great globe itself, and ail which it inherit », is too small to satisfy such insatiable appetites. (Le pudding de plomb en danger, ou les Epicure d'Etat prenant un petit souper. Le grand globe lui-même, et tout ce qu'il contient, est trop petit pour satisfaire des appétits aussi insatiables). Napoléon commence par « découper » l'Europe, tandis que Pitt s'adjuge l'Océanie. — Eau-forte coloriée de James Gilbray (Chelsea, 1757-Londres, 1815), datée de 1805. NOUVELLE CRISE ECONOMIQUE. - Le mécontentement provoqué par la rupture de Napoléon avec le pape fut très profond : il ne fut pas général. Depuis l'occupation française, l'influence de l'Eglise sur la nation avait diminué d'une manière très sensible. Il ne lui était plus possible de fermer la bouche à ses adversaires, elle avait perdu le monopole de l'enseignement, et l'administration tout en la surveillant la tenait à l'écart. L'Etat la protégeait à condition qu'elle se soumît à sa tutelle et obéît à ses directives. Il ne s'intéressait à elle que par considération politique et il n'était que trop visible que les sentiments qu'il professait à son égard étaient ceux d'une indifférence dédaigneuse. S'il admettait qu'il fallût une religion pour le peuple, c'est qu'il considérait le peuple comme trop inculte pour s'en pouvoir passer. Il était utile de le laisser sous l'empire des croyances arriérées qui réprimaient ses instincts et lui rendaient sa misère plus tolérable. Mais comment admettre que les hommes éclairés attachassent encore quelque importance à des dogmes et à des cérémonies que Voltaire avait accablés de ses sarcasmes ? L'attitude des préfets leur indiquait celle qu'ils devaient prendre : on ne les voyait à l'église qu'aux jours de Te Deum; ils se contentaient, le dimanche, d'y envoyer leurs femmes. Une froideur de bon goût dissimulait chez eux ce qui subsistait de l'anticléricalisme révolutionnaire. Il s'affirmait avec moins de retenue chez les anciens jacobins, qu'il consolait de tant de choses auxquelles il avait fallu renoncer après brumaire. Beaucoup d'entre eux restaient énergiquement « antiprêtres ». A leurs yeux, l'Eglise demeurait l'ennemie irréconciliable de la Révolution. Les regrets qu'on lui attribuait de la disparition de l'Ancien Régime la rendaient suspecte aussi aux acheteurs de biens nationaux et aux notables ralliés au gouvernement. Sans doute, ils ne constituaient qu'un groupe au sein de la nation. Mais leur fortune et leur importance sociale compensaient leur petit nombre. Aussi longtemps qu'ils soutiendraient le gouvernement, celui-ci n'aurait pas à s'inquiéter d'une agitation fomentée par un clergé dont le prestige, si grand qu'il fût encore, n'était plus comparable à ce qu'il avait été au temps de Joseph II. Contre l'Eglise, il existait désormais, sinon officiellement, du moins d'une manière latente, un parti anticlérical, tout acquis à la défense des prérogatives de l'Etat. Malheureusement, l'Etat devait bientôt mettre ses partisans à une épreuve trop rude pour leur dévouement. Les fabricants et les entrepreneurs étaient les plus fidèles d'entre eux. Ils avaient applaudi à sa politique parce qu'elle avait ranimé, dès les débuts du Consulat, la prospérité économique. La guerre entreprise contre le commerce anglais et l'organisation du blocus continental par les décrets de Berlin (21 novembre 1806) et de Milan (23 novembre et 17 décembre 1807) avaient soulevé tout d'abord leur enthousiasme. Les Chambres de commerce de Verviers, de Tournai, de Courtrai et de Gand n'avaient pas manqué de féliciter le gouvernement de mesures qui abo- naristes se montrent indomptables. En vain, les préfets essayent tour à tour sur eux de la conviction et de la menace. En vain leur affirme-t-on que Hirn et de Broglie ont donné leur démission. Plutôt que de céder, ils se laisseront enrôler dans l'armée. Cent quatre-vingt-treize d'entre eux furent envoyés de Gand dans les casemates de Wezel, où plusieurs moururent de maladie (13). de la Vierge s'est décollée du mur et est venue sonner les cloches. Ailleurs, on a remarqué sur les feuilles des avoines des signes miraculeux (12). Cependant, les évêques envoyés à Tournai et à Gand pour prendre la place des confesseurs de la foi que le despote a jetés dans les fers, sont accueillis par une opposition obstinée. Les sémi- (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Bijtebier.) Liévin Bauwens (Gand, 1769-Paris, 1822). Ses parents, qui exploitaient une tannerie à Gand, l'envoyèrent à Londres s'initier aux techniques anglaises de la tannerie chez les industriels Undershell et Fox. Familiarisé avec les méthodes anglaises, il revint à Gand et prit la direction de l'établissement créé par son père au Nieuwland. Ses divers séjours en Angleterre l'incitèrent à essayer d'introduire sur le continent les machines à filer qui faisaient la richesse de l'industrie cotonnière anglaise. En 1798, il parvint à corrompre un chef d'atelier de Manchester, Kenyon, démonta quelques Mull-Jenny, en cacha les différentes pièces dans des caisses de sucre et dans des balles de café. Des ouvriers le précédèrent à Hambourg avec une partie des marchandises embarquées secrètement. Quelques jours plus tard, Bauwens débarquait dans la même ville avec les derniers ballots — d'autres furent saisis à Gravesend — échappant de justesse aux vaisseaux anglais lancés à sa poursuite sur l'ordre du gouvernement qui, dans l'entre-temps, avait découvert la supercherie. Bauwens fut jugé par défaut à Londres : « Non content de nous avoir dérobé déjà des secrets à la faveur desquels il a pu établir à Gand une tannerie si considérable qu'il envoie maintenant sur nos marchés une grande quantité de cuirs, lesquels s'y vendent plus cher que les meilleurs cuirs de Londres même », déclarait Erskine, l'avocat de la Couronne, dans son réquisitoire prononcé devant le tribunal du Banc du Roi, « Bauwens est revenu en Angleterre dans le dessein de frustrer ce pays de la branche la plus essentielle de son commerce, c'est-à-dire de la manufacture du coton. A cet effet, il a débauché des artisans et fait construire un grand nombre de machines à Manchester, dans l'intention de les expédier en France... C'était là une conspiration de la plus haute importance, tendant à nous priver d'une industrie qui nous est chère comme la prunelle de nos yeux. » Condamné à mort, Bauwens fut pendu en effigie sur une place de Londres. Pendant ce temps, l'industriel gantois créait des ateliers à Gand (1792), Passy (1798), puis à Tronchlennes, surveillait l'érection d'une tannerie à Saint-Cloud et revendait à la banque d'Amsterdam des lingots provenant de l'argenterie volée par les révolutionnaires français aux églises et aux couvents. De 1800 à 1802, il exerça les fonctions de maire de sa ville natale. Mais la crise provoquée par la coalition des puissances contre Napoléon en 1814 obligea Bauwens à liquider ses fabriques. Il se fixa à Paris en 1819 où U mourut le 17 mars 1822. Son corps repose au cimetière du Père-Lachaise. — Une Mull jenny de Liévin Bauwens est reproduite plus haut, p. 379. Portrait peint d'après un modèle par Félix Cogen (Saint-Nicolas, 1838 - début du XX' siècle). PREFECTURE DU DEPARTEMENT DE LA DYLE. DERNIER AVIS AUX CONSCRITS DE TOUTES LES CLASSES. Le Préfet, Avant de déployer toute la sévérité des Lois contre les Conscrits de ce département , sourds à la voix du devoir et de l'honneur, veut bien leur adresser un dernier avis, que doit suivre, pour tous ceux qui ne sauront pas en profiter,l'sxé-oution la plus prompte des mesures de rigueur , qu'ils auront volontairement encourues. Il est, dons ce département, des Conscrit» de l'an 7 et de l'an 8, rappellés & leurs drapeaux par l'Amnistie du 14 Floréal, qui ont négligé ce moyen de réparer leur laute ; Il en est d'autres,qui, après avoir rejoint leur corps, ont déserté ae nouveau; D'autres enfin, Conscrits de l'an 9 et de l'an 10 , ont récemment abandonné, pendant la route, lesMilitaires chargés de les conduire. Le Préfet vientjde faire dresser la liste de tous les Conscrits réfractaires & la Loi, et il les prévient qu'à compter du premier Ventôse prochain,tous ceux qui n'auront point obéi à ce dernier appel,et tous ceux des Conscrits de l'an 9 et de l'an 10, qui se refuseraient à l'avenir de se présenter quand ils en seront reguis, seront arrêtés .sur-le-champ et traduits dans les dépôts destinés ou recrutement des Colonies, pour être de suite embarqués. BnvclUi, U 19 PlmttM M II. Signé, DotTi.CET-PoNTÉœui.A>'T. Den Prefect, Eerder te vertoonen aile de strengliêyd der. Wetten tegen de Conscries van dit département, doof aen de stem der pligt ende van de eer, wilt hun wel richten een laeste waer-schouwinge die moet volgen , voor de gene die 'er niet sullen konnen waernemen, de spoedigste uylvoering de beraemingen van haerdigheyd, die sy hun zullen gewdliglyk hebben aengetrokken. D«cr «y 11, in dit département.Conscries van 't jaer7ende van 't jaer 8, weder ontbodenarn hunne vaendels, door de algemeyneVergilK— nis van den i4floreal, die hebben versuymd de-sen middel van hunne misslagte verbeeteren; Daer zynder andere, die naer dat sy hunne Kiygs-bende vervoegt hadden,op een nieuwt verlaeten hebben; Andere eyndelyk,Conscries van'tjaer9ende van 't jaer 10, die omlangs verlaeten hebben onder den weg de Krygsmannen belast z_yn-de van se te leyden. Den Prefect komt van den leest doen op te stellen van aile de Conscries ongehooreaein aen de wet.ende hy voorkomt se dat te tellen van den 1" Ventôse toekomende, aile de die, die niet en zullengehoorzaemceweestzynacn deze laeste inroeping, ende aile de Conscries van 't jaer 9 ende van t jaer 10, die sig zouden in toekomen weygeren te presenteren als zy er toegeroepen worden , zullen opstaendc gearreteerd worden,ende geleden in 't depo-situm voorgeschikt aen de wervinge derColo-nien ende om aenstonds gescheept te worden. Brunei, den 19 Pluviale joer II. Geteekent, Doblcet-Postécoulant. gêne de l'industrie. Le prix des denrées coloniales devenait inabordable. L'institution, en 1809, de licences d'importation des produits anglais à condition d'exporter pour la même valeur de marchandises françaises, avait échoué devant les mesures prohibitives prises par la Grande-Bretagne. C'est à peine si, durant quelque temps, elle avait ramené dans le port d'Ostende une activité factice. En 1813, le mouvement économique était tombé dans un marasme complet. Le préfet de l'Escaut constatait que la fabrication des toiles était réduite au dixième de ce qu'elle avait été. A l'automne, 1,300 ouvriers étaient renvoyés à Gand des filatures de coton. Dans la Dyle, les manufactures, qui occupaient encore 15,725 travailleurs en 1808, n'en comptaient plus, trois ans après, que 9,362. A partir de 1811 déjà, les faillites se multipliaient, même à Verviers, la ville la plus prospère des départements réunis (16). En 1814, Liévin Bauwens devait suspendre ses payements. LA CONSCRIPTION. — La situation était d'autant plus fâcheuse qu'on ne doutait pas qu'elle ne fût due à la politique du gouvernement et à l'ambition de l'empereur. Le peuple souffrait plus encore que les classes aisées. Outre le renchérissement de l'existence et le manque de travail, il avait à supporter le fardeau de plus en plus lourd de la conscription. Elle pesait sur lui de tout son poids (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Musée.) « Dernier avis aux conscrits de toutes les classes », affiché dans le département de la Dyle (19 pluviôse an XI = 8 février 1803). Le préfet, Doulcet-Pontécoulant, constate que des conscrits de l'an VII et de l'an VIII ne se sont jamais présentés, que d'autres ont déserté ou ont faussé compagnie aux soldats chargés de les mener à leurs régiments. Les réfractaires sont menacés de la déportation dans les colonies. lissaient si complètement la concurrence étrangère (14). Elles s'aperçurent assez tôt que leurs espoirs ne se réalisaient pas. Si le blocus avait tout d'abord galvanisé l'activité de l'industrie, ses conséquences ne tardèrent pas à lui susciter de graves difficultés. La fabrique des toiles de coton, dont les progrès avaient été si surprenants tout d'abord, se trouva la première atteinte. Car, pour frapper le commerce anglais, Napoléon avait augmenté la taxe perçue sur l'entrée du coton brut et il en résulta une hausse désastreuse de la matière première. Le gouvernement avait espéré compenser le fléchissement de l'industrie cotonnière par le développement de celle des toiles de lin. Mais dès 1808, la guerre d'Espagne fermait aux linières belges le marché de la péninsule, qui avait été jusqu'alors leur débouché principal et, en généralisant la crise, généralisait les inquiétudes. Il devenait trop évident que le blocus continental ne favorisait guère que la contrebande et qu'entre l'Empire, si démesurément qu'il s'agrandît sur le continent et l'Angleterre, qui possédait la maîtrise des mers, la partie n'était pas égale. Les efforts obstinés de Napoléon pour abattre son adversaire exerçaient une répercussion de plus en plus sensible sur les impôts. Les droits réunis augmentaient sans cesse et avec eux augmentait le coût de l'existence. De 40 centimes par hectolitre, la taxe sur la bière finit par monter à 3 francs (15), et l'on peut mesurer à cette hausse formidable les souffrances du public et la (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Grenadier des armées impériales en grande tenue (1810). Lithographie de Nicolas-Toussaint Charlet (Paris, 1792-1845). HISTOIRE DE BELGIQUE puisque la faculté du remplacement, introduite et constamment élargie depuis 1799, en exonérait les riches. Au début, quelques mesures avaient été prises pour la rendre moins oppressive en Belgique. Mais les souvenirs de la guerre des paysans n'avaient pas tardé à s'évanouir et il avait fallu se courber sous la loi commune. A partir de 1806, les exigences de l'armée vont croissant avec une rapidité effrayante. En 1807, on appelle non seulement les conscrits de la classe, mais encore, par anticipation, ceux de l'année suivante. Même mesure en 1808, aggravée par un appel supplémentaire des recrues de 1806 à 1809. En 1809, le contingent, grossi des jeunes gens de 1810 convoqués à l'avance, atteint le chiffre de 110,000 hommes; il passe à 120,000 en 1812 et à 160,000 en 1813, grâce aux appels anticipés des classes de 1814 et de 1815, auxquelles il faut ajouter encore 100,000 gardes nationaux mis en activité. Naturellement, les recrues cherchent à échapper à ces exigences, mais plus elles s'y efforcent et plus le gouvernement les pourchasse et resserre autour d'elles les mailles du filet. Une véritable traque à l'homme s'organise, aussi ingénieuse que brutale. Depuis 1808, elle absorbe l'activité des préfets au point qu'il s'en faut de peu qu'ils n'apparaissent comme des agents recruteurs. Leur zèle inlassablement, fouaille l'apathie et la mauvaise volonté des maires et impose aux évêques et aux curés de mettre leur autorité morale au service de l'armée. La gendarmerie Frans Gittens De Maire van Antwerpen Vaderfandsch Drarna in vijf Bedrijven 1904 ------ UitgCKevcii diw»r hel Huis Jan Boucherij Hopland, 22, Antwerpen — (Musée de Châteauroux.) (Cliché Dorsand.) Napoléon en 1812. Dessin au crayon de Louis Girodet-Trioson (Montargis, 1767-Paris, 1824) exécuté d'après nature au palais de Fontainebleau. Girodet est un des rares artistes qui, travaillant devant l'empereur, aient osé ne pas trop masquer son embonpoint. patrouille en permanence à la recherche des réfractaires; des garnisaires sont logés au domicile des parents dont le fils a disparu, à leurs frais s'ils peuvent payer, aux frais de la commune s'ils sont insolvables. A partir de 1808, on va jusqu'à arrêter les pères et mères des récalcitrants et même leurs «bonnes amies» (17). Des colonnes mobiles, semant la terreur sur leur passage, parcourent les départements. Il semble que, comme l'esclave antique, le conscrit en fuite soit réputé voleur de son propre corps. Et, en effet, ce corps n'appartient-il pas à l'empereur ? Il est criminel non seulement de le lui dérober, mais de l'endommager en vue de le rendre inapte au service. Tous ceux qui se seront volontairement mutilés, qui se seront fait enlever le pouce ou arracher des dents, afin de ne pouvoir presser la détente du fusil ou déchirer la cartouche, seront incarcérés. Et inlassablement, avec des détails dignes de négriers, les préfets signalent aux maires les subterfuges des jeunes gens qui s'exercent au strabisme ou qui simulent des hernies « par une simple introduction d'air» (18). La guerre dévore tant d'hommes que force est bien de lui sacrifier les enfants des notables que le gouvernement a épargnés aussi longtemps qu'il l'a pu. Les nécessités sont trop pressantes pour qu'il puisse s'embarrasser plus longtemps de les ménager. Le mécontentement s'en agrandira sans doute, mais les fils incorporés dans l'armée répon- « ... le peuple... a conservé le souvenir de Werbroeck comme celui d'Anneessens, en les embellissant, et sur les scènes flamandes, on représente encore devant des auditoires attendris et indignés « De Maire van Antwerpen ». (Voyez le texte, p. 400.) — Page de titre de la pièce « De Maire van Antwerpen » de Frans Gittens (Anvers, 1904, in-8°.) (Leipzig, Stadtgeschichtliches Muséum.) Patrouille prussienne pendant la campagne de 1813. Eau-forte d'Henri Cotta (début du XIXe siècle.) L'AFFAIRE WERBROECK. - Ce que l'affaire Anneessens avait été au début du régime autrichien, l'affaire Werbroeck le fut au déclin du régime impérial (19). L'émotion qu'elle souleva s'explique beaucoup moins par son importance et par la personnalité de l'accusé que par le prétexte qu'elle offrit au public d'épancher son ressentiment et ses rancœurs. Werbroeck avait toujours passé pour un adhérent convaincu du système français. Jadis, au Conseil des Anciens, il avait voté pour Bonaparte et il en avait été récompensé par sa nomination de maire d'Anvers. Mais depuis longtemps la police le soupçonnait de favoriser la contrebande et de frauder l'octroi, et après une longue campagne, contrecarrée par les préfets, elle avait enfin obtenu, grâce aux efforts de Bellemare, le 8 juin 1811, un arrêté qui le suspendait de ses fonctions. Quelques mois plus tard, le dossier de l'affaire ayant été placé sous les yeux de Napoléon, l'empereur avait ordonné, pour faire un exemple, des poursuites criminelles. En dépit des objurgations du préfet, le prévenu avait été jeté en prison et, au mépris de la loi, on avait séquestré ses biens. L'affaire fut plaidée à Bruxelles, devant la cour d'assises de la Dyle, au printemps de 1813. Les précautions avaient été minutieusement prises pour amener une condamnation. Tous les jurés, triés sur le volet, étaient Français. Parmi les avocats de Werbroeck on se montrait Pierre Berryer, venu de Paris pour prêter son assistance à l'accusé. Soit que la culpabilité fût douteuse ou que l'éloquence du défenseur l'ait fait passer pour telle, les débats aboutirent, contre toute attente, à une sentence d'acquittement. L'opinion s'était passionnée pour une affaire dont chacun savait l'importance qu'y attachait l'empereur. L'échec personnel que le verdict lui infligeait fut accueilli par un enthousiasme significatif. « La foule attendit le maire à sa sortie du palais de justice, détela sa voiture et la traîna triomphalement jusqu'à son hôtel, sous les fenêtres duquel les fanfares se succédèrent pendant toute la soirée. » Acclamer la victime du despotisme, c'était huer le despote. Napoléon ne s'y trompa point. Son orgueil était en jeu : la loi n'avait qu'à se plier à sa volonté. De Dresde, où il dirigeait les opérations militaires qui allaient aboutir au désastre de Leipzig, ses ordres s'abattirent aussitôt, cassants et hautains. Il fit incarcérer un avocat bruxellois dront, en qualité d'otages militaires, de l'obéissance des pères. Il importe peu que l'opinion se révolte, si sa révolte, comprimée par la crainte, n'ose se manifester. Dès 1809, les jeunes gens des familles les plus riches sont désignés pour les écoles militaires. S'ils se cachent, leurs pères, déclarés responsables, sont amenés à Paris par la gendarmerie et gardés à vue. En 1813, l'institution des gardes d'honneur astreint au service les fils des cinq cents contribuables les plus imposés de chaque département. LA POLICE. ■— Ajoutez que l'étau de la police se resserre en même temps que celui de l'armée. La liberté de l'esprit est aussi étroitement comprimée que la liberté du corps. Une véritable inquisition civile pèse sur la société. Personne n'est plus sûr de n'être pas dénoncé au préfet ou même au ministre par les espions qui grouillent partout. A la moindre imprudence, on est suspect et plus on est élevé dans l'échelle sociale, plus on est en péril. M. et Mme de Beaufort et bien d'autres de leurs pareils reçoivent l'ordre d'aller s'installer à Paris. Le gouvernement refuse la démission des gens en place qu'il oblige à participer aux mesures odieuses auxquelles il a recours, car rien n'est respecté dès qu'il s'agit du service de l'empereur. Il faut que les préfets se résignent à violer l'intimité des familles et à recenser les héritières qui pourront être contraintes à épouser des officiers. De même qu'ils sont devenus agents recruteurs, ils deviennent agents de police. Il est visible qu'à partir de 1811, la « haute police », organisée en commissariats généraux, tend à se subordonner le gouvernement civil. Elle fait arrêter ou jeter en prison, sans autre motif, les suspects, les indésirables ou les « mal pensants », qui gênent ou inquiètent l'autorité. Avec la vitesse croissante d'un corps qui tombe, le gouvernement glisse au bon plaisir et au despotisme pur. A Anvers, le préfet d'Argenson, qu'indignent les progrès de l'illégalité et de l'arbitraire et qui voudrait se concilier ses administrés par la bienveillance et la justice, est dénoncé à Savary par le commissaire Bellemare, et la protection du ministre de l'Intérieur ne parvient pas à le sauver. S'il réussit à déjouer les intrigues ourdies avec la complicité du parquet pour l'impliquer dans une affaire de concussion, le procès Werbroeck devait causer sa chute. (Leipzig, Stadtgeschichtliches Muséum.) Transport de blessés français pendant la campagne de 1813. Eau-forte d'Henri Cotta (début du XIX» siècle). chez les Belges le sentiment le plus invétéré : celui de la liberté personnelle. Se passer de vie politique, soit, mais se sentir continuellement épié par la police, voir sa maison exposée aux visites domiciliaires, n'avoir plus cet asile où l'on peut parler à cœur ouvert et dauber le pouvoir, c'en était plus qu'on ne pouvait supporter. Toutes les classes étaient également irritées : le clergé, par la persécution, les industriels, par la crise des affaires et l'institution des gardes d'honneur, le peuple, enfin, par la conscription. Déjà, on remarquait çà et là de fâcheux symptômes (23). A Bruges, en avril 1813, les conscrits convoqués au conseil de recrutement se mutinent, assomment le chef du bureau militaire, maltraitent les gendarmes et déchirent les registres. La levée des gardes d'honneur excite parmi les familles riches, qui ont déjà dépensé 5 à 6,000 francs pour faire remplacer leur fils, « une sorte de fureur ». A mesure que le régime français s'impose plus lourdement à elle, la nation se reporte vers le passé. Le souvenir et le désir de l'autonomie, qui s'étaient engourdis durant les années prospères, se réveillent. Par contraste, le régime autrichien paraît aimable et l'on se prend à le regretter. D'ailleurs, après la campagne de Russie, on commence à douter de la stabilité de l'Empire. Des « bruits perfides », colportés par des « malintentionnés », se répandent et égarent l'opinion des habitants des campagnes. Dans la Lys, « à peine la retraite de Moscou fut-elle connue, les personnes qui avaient pu conserver quelque attachement pour le gouvernement autrichien se flattaient ouvertement que la Belgique allait repasser sous sa domination ». Il suffit d'écouter le comte de Mérode : « Alors, dit-il, on leva les yeux vers le ciel et une lueur d'espérance à laquelle on osait à peine croire nous apparut» (24). Là même où les habitants ont le cœur « le plus français », dans le département de l'Ourthe, Thomassin avoue, en 1812, que le vœu général est de «former un Etat séparé» (25). Evidemment, on ne tient plus à la France que par force. Vienne l'occasion, et les neuf départements, travaillés par un mécontentement qui y ranime le sentiment national, s'en détacheront d'un bloc. Déjà on se dit à l'oreille, au mois de mars 1813, qu'il est question de joindre en un seul royaume la Belgique et la Hollande « pour les donner à je ne sais qui ». Au mois d'avril, d'Houdetot, qui vient d'arriver dans la Dyle, s'effraye d'y voir affichés des « écrits incendiaires ». On a écrit « à bas le tyran » à la porte de l'hôtel de ville de Bruxelles. A Anvers, « les bonnes nouvelles se traînent tandis que les autres volent ». L'esprit des campagnes devient inquiétant. Il ne s'y présente pas le tiers des conscrits et à Jodoigne des bandes de jeunes gens parcourent les rues en criant « Vivent les Cosaques ! » ETAT DES ESPRITS EN 1813. — Cependant, la campagne de 1813, ouverte par de nouvelles victoires, empêche les espoirs de se donner carrière. La neutralité de l'Autriche et son offre de médiation pourraient peut-être, enfin, amener la paix. « Elle est l'objet de tous les vœux et de toutes les conversations », car elle panserait les maux dont on souffre. Mais l'entrée de l'empereur François dans la coalition, après l'échec des pourparlers provoque un revirement décisif. Micoud d'Umons croit que dans l'Ourthe les six dixièmes de la population restent attachés à la France, mais il est sûr que dans les autres départements, les huit dixièmes sont contre elle. Et, après la (Berlin, Llpperheldesche Bibliothek.) Les Russes à Paris en 1814. Aquarelle de Georges Opitz (Prague, 1775-Leipzig, 1841). qui avait plaidé avec trop de vivacité, et Berryer n'échappa au même sort que sur les instances de Cambacérès. Une lettre impériale, insérée au Moniteur, accusa le jury de corruption et, par une illégalité flagrante, le Sénat fut saisi de l'affaire sous le prétexte que la constitution lui donnait le droit d'intervenir en cas d'actes attentatoires à la sûreté de l'Etat, et que « le souverain étant la loi suprême et toujours vivante, c'est le propre de la souveraineté de renfermer en soi tous les pouvoirs nécessaires pour assurer le bien, pour prévenir et réparer le mal» (20). Ainsi l'Empire, au bord de l'abîme, en arrivait à formuler la doctrine du pur absolutisme et à emprunter le langage non plus de César, mais de Dioclétien. Le procès fut renvoyé devant la cour de Douai. Les événements ne lui laissèrent pas le temps de rendre un arrêt qui eût incontestablement été un service. Quant au vieux Werbroeck, il mourut en prison. Mais l'émotion soulevée par ses malheurs et son triomphe se perpétua dans le peuple. Il a conservé le souvenir de Werbroeck comme celui d'Anneessens, en les embellissant, et sur les scènes flamandes, on représente encore devant des auditoires attendris et indignés « De Maire van Antwerpen » (21). En 1810, le préfet de la Dyle, La Tour du Pin, pouvait écrire au ministre de l'Intérieur : « Le pays marche dans la route que le gouvernement a tracée, mais il y marche et n'y court pas» (22). En 1813, il n'était que trop évident que cette marche s'accélérait, mais à rebours. Dès avant même la débâcle de Leipzig, la désaffection était complète. On en avait assez d'un régime qui froissait bataille de Leipzig (16-18 octobre 1813), « il en est, dit-il, de l'insubordination comme d'une traînée de poudre ». Les vieilles sympathies autrichiennes du pays de Herve et du Limbourg s'affirment publiquement. On imprime, à Gand, les proclamations de Moreau au peuple français contre Napoléon (26). Le préfet de la Dyle pense « qu'il ne faudrait qu'une étincelle pour produire de fâcheuses conséquences ». Il supplie le gouvernement de ne pas convoquer la garde nationale sédentaire qui pourrait tourner. Le colonel-major de la gendarmerie d'élite, envoyé en mission dans la 24e division militaire, écrivit que « les conscrits que l'on lève dans ce moment marchent avec une gaieté qui ne leur est pas naturelle et disent hautement qu'ils vont au devant des cosaques ». On devine l'effet que durent produire, au milieu de cette fermentation, les nouvelles du soulèvement de la Hollande et du débarquement du prince d'Orange à Scheveningen (30 novembre 1813). Le lamentable défilé des fonctionnaires français qui fuient ce pays et passent par la Belgique augmente la certitude de la débâcle prochaine de l'Empire. Dès le 21 novembre, le préfet de la Dyle s'attend au pire. « Des gens qui ont été témoins de la révolution brabançonne m'assurent que ce sont aujourd'hui les mêmes symptômes et qu'à chaque instant il peut éclater une grande insurrection. » Le bruit que les alliés approchent fait craindre un soulèvement populaire des masses appauvries, désœuvrées et aigries. Les impôts ne rentrent plus. Les propriétaires inquiets font des patrouilles. Des gardes urbaines s'organisent pour « contenir la multitude » et empêcher l'anarchie. Mais il est certain qu'elles ne résisteront pas à l'étranger. Le préfet de Jemappes se demande même si elles ne sont pas un simple « moyen de transition inauguré pour passer avec le moins de désordre possible d'une domination à une autre» (27), et il a l'impression que la population de son département se considère déjà comme « appartenant à l'ennemi ». Les faits semblent lui donner raison, car, en octobre, les Conseils municipaux se sont refusés à envoyer des adresses de dévouement à l'impératrice régente, et le sénatus-consulte du 15 novembre appelant sous les armes 300,000 conscrits ne reçoit pas même un commencement d'exécution. On sait d'ailleurs que les alliés ont franchi le Rhin. Bulow, à la tête d'un corps prussien, marche sur la Hollande; Winzingerode s'avance vers la Meuse avec une armée russe. Dès le milieu de décembre, leur cavalerie commence à s'infiltrer dans le pays. Le 15, une sotnia de cosaques est entrée à Lierre; le 19, un peloton de 150 uhlans a pénétré dans Louvain et y a enlevé le maire; le 29, des partis de cosaques battent la campagne aux environs de Gand. (Borgerhout, collection Lombaerts-De Roover.) « Ce que l'affaire Anneessens avait été au début du régime autrichien, l'affaire Werbroeck le fut au déclin du régime impérial. » (Voyez le texte, p, 399.) — Portrait de Jean-Etienne Werbroeck, maire d'Anvers de 1801 à 1811. Jean-Etienne Werbroeck (1750-1813), frère d'un ecclésiastique déporté par les Français, s'était rallié au nouveau régime dès 1793 en finançant l'invasion de la Hollande par Dumouriez. Elu au Conseil des Anciens (Germinal an V), il en avait été écarté par le coup d'Etat de Fructidor. C'est sur les instances du premier Consul qu'il avait accepté de ceindre, en 1801, I'écharpe de maire de la ville d'Anvers. Son procès et son acquittement (1813) passionnèrent l'opinion (voyez le texte p. 399-400). — Portrait peint par Mathieu-Ignace Van Brée (Anvers, 1773-1839). L'empereur a confié la défense de la Belgique au général Maison (28). A l'est, les garnisons de Venlo, de Maes-tricht et de Luxembourg ont été renforcées. Macdonald occupe la vallée de la Meuse de Namur à Liège. Maison lui-même, avec 30,000 hommes, est chargé de manœuvrer de façon à empêcher le blocus d'Anvers, pivot de la résistance. Le vieux Carnot vient de solliciter le commandement de la place, se résignant à servir l'Empire pour sauver la France et pour lui conserver cette Belgique dont son génie militaire a jadis assuré l'annexion à la République. Mais le désarroi fait d'effrayants progrès. On sent que la partie est perdue et l'attitude des autorités ne laisse que trop apparaître leur découragement. Les sénateurs Monge et Doul-cet de Fontécoulant, envoyés à Liège et à Bruxelles pour ranimer l'esprit public, le démoralisent davantage encore par leur timidité et leur inertie craintive. Si quelques préfets donnent un bel exemple d'énergie, comme Savoye-Rolin à Anvers, et Roggieri à Maestricht, si à Gand Des-mousseaux fait afficher sur les murs que la France ne renoncera jamais aux Pays-Bas, il est visible que la plupart des fonctionnaires se préparent à lâcher pied. LES OPERATIONS MILITAIRES EN 1814. - Les combats qui, dès le mois de janvier 1814, se déroulent en Campine, marquent les étapes de l'avance des Prussiens. Le 13, ils sont à Merxem, le 31, à Lierre, et le 1er février, pendant que les Français évacuent Gand, leur avant-garde occupe Bruxelles. A cette date, Macdonald, reculant devant Winzingerode qui atteint Liège le 22 janvier, bat en retraite dans la direction de Charleroi où l'ennemi pénètre le 2 février, si bien que Maison, menacé d'être coupé par le sud, est obligé de se concentrer autour de Lille. Les places fortes sont maintenant livrées à elles-mêmes. Un corps anglais, avec les Prussiens de Bulow et les Suédois de Bernadotte, installe le blocus autour d'Anvers, dont la belle résistance provoque à la fois l'admiration des habitants et celle de l'ennemi. Les étonnantes victoires remportées par Napoléon durant la campagne de France laissent un instant entrevoir sa délivrance. A la nouvelle des journées de Champeaubert et de Montmirail, Maison reprend l'offensive. Dès la fin de février, il marche vers le Nord, entre à Courtrai, atteint Gand et lie ses communications avec Carnot, pendant que d'heureuses sorties des garnisons d'Anvers et d'Ostende font retomber, pour quelques heures, Bruges et Saint-Nicolas aux mains des Français. Mais ce n'est là qu'un coup de surprise, qu'un choc en retour du génie militaire de l'empereur, s'obstinant sans espoir à vaincre l'inévitable. Dès le 31 mars, le lendemain de l'arrivée de Napoléon à Fontainebleau, Maison s'est replié sur Lille. Il eut encore le temps de pousser une pointe sur Tournai avant d'apprendre l'abdication de l'empereur (6 avril). Quelques jours plus tard, les garnisons arborèrent le drapeau blanc. Le 13, il flottait sur Ostende, le 18, sur Anvers, le 19, sur Flessingue, le 22, sur Berg-op-Zoom. Le 5 mai 1814, l'évacuation de la Belgique était complète. Il y avait un peu moins de vingt ans que la victoire de Fleurus l'avait donnée à la France. NOTES (1) Correspondance du préfet de l'Ourthe aux Archives de l'Etat à Liège, 30 mai 1808. (2) Histoire de Belgique, t. III, 3e édit., p. 413. (3) Lanzac de Laborie, op. cit., t. I, p. 410. (4) Ibid., t. II, p. 102. — D'après la marquise de La Tour du Pin, Mémoires, t. II, p. 314, son successeur, de Pradt, aurait dénoncé au commissaire général de la police, les prêtres anticoncordataires. (5) Archives Nationales de Paris, F. 1, c. III. Deux-Nèthes, 5. (6) Il en existe une collection considérable à la Bibliothèque de l'Université de Gand. L'une de celles que j'y ai vues porte cette note manuscrite : « Ont-vangen door eene onbekende hand ». (7) J'emprunte ces détails à la Correspondance du préfet de l'Ourthe aux Archives de l'Etat à Liège. (8) Lanzac de Laborie, op. cit., t.II, p. 272. (9) Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège, 1724-1852, t. IV, p. 232. (10) En arrivant à Gand, de Broglie avait déclaré les Belges «plus ultra-montains que les Italiens mêmes ». Voy. son autobiographie publiée par R. van den Gheyn dans les Annales de la Soc. Hist. de Gand, t. XVII [1923], p. 47. (11) Galesloot, Chronique des événements les plus remarquables arrivés à Bruxelles de 1780 à 1827, t. II, p. 95 (Bruxelles, 1870-72). (12) Archives Nationales de Paris. F.l. c. III. Deux-Nèthes, 5. (13) Voy. la relation de ces événements dans la relation imprimée à la fin de la Chronique publiée par Galesloot, t. Il, p. 191 et suiv. Add. J. van der Moere, De jonge tevieten van het seminarie van Gent te Wezel (Bruxelles, 1856); Claeys-Bouuaert, Un séminaire belge sous la domination française. Le séminaire de Gand (Gand, 1913.) (14) Levasseur, Histoire des classes ouvrières en France, t. I, p. 486. (15) Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 205. (16) Ibid., p. 42-44. (17) Publ. de la Soc. Hist. du Limbourg, t. XXX [1894], p. 23. (18) Mémorial administratif du département de l'Ourthe, 1808, t. I, p. 165. (19) Voy. Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 286 et suiv.; A. Thijs, Un drame judiciaire sous l'empire français (Anvers, 1901 );P. Verhaegen, Le procès de Werbrouck et l'octroi d'Anvers. Revue Générait, t. VCII, [ 1922], p. 381 et suiv. (20) Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 299. (21) La pièce est de Fr. Gittens. (22) Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 58. (23) Les quelques faits cités ici à titre d'exemples sont empruntés à Lanzac de Laborie, op. cit., t. Il, p. 308 et suiv., et à P. Poullet, Quelques notes sur l'esprit public en Belgique pendant la domination française. Messager des sciences historiques, 1895. (24) Mérode-Westerloo, Souvenirs, t. I, p. 328 et suiv. (25) Thomasin, Statistique du département de l'Ourthe, p. 218. (26) F. van der Haeghen, Bibliographie gantoise, t. V, p. 40. (27) P. Poullet, La Belgique et la chute de Napoléon 1Revue Générale, t. LXI [1895], p. 191. (28) Calmon-Maison, Le général Maison et le premier corps de la Grande Armée. Campagne de Belgique (Paris, 1914). LIVRE VII LE ROYAUME DES PAYS-BAS - (Paris, Musée du Louvre.) Le Congrès de Vienne siégeant en 1815 au Palais de la Ballplatz. La séance vient d'être levée; les membres conversent, les uns assis, les autres debout. Les vingt-trois acteurs principaux du Congrès de Vienne sont représentés. De gauche à droite : prince de Hardenberg, assis (Prusse), duc de Wellington (Angleterre), comte de Lobo (Portugal), de Saldana (Portugal), comte de Lowenhielm (Suède), comte de Noailles (France), prince de Metternich (Autriche), comte de Latour Dupin (France), comte de Nesselrode (Russie), comte de Palmella, assis (Portugal), comte de Castlereagh, assis (Angleterre), duc de Dalberg (France), baron de Wessenberg, assis (Autriche), prince de Rasoumoffsky (Russie), général lord Stewart (Angleterre), chevalier Gomez Labrador, assis (Espagne), comte de Clancarty (Angleterre), diplomate dont l'identification est douteuse, chevalier Gentz (Prusse), baron Humboldt (Prusse), général comte Cathcart (Angleterre), prince de Talleyrand, assis (France), comte de Stackelberg, assis (Russie). Dans la marge du haut, les médaillons des huit souverains signataires du traité : Georges régent (futur Georges IV), François II, Ferdinand VII, Louis XVIII, Jean régent (futur Jean VI), Frédéric III, Alexandre Ier, Charles XIII. Dans la marge du bas, armes en médaillons des états correspondants : Angleterre, Autriche, Espagne, France, Portugal, Prusse, Russie et Suède. Dans les marges latérales, armes en médaillons des membres du Congrès. — Gravure de Jean Godefroy (Londres, 1771-Paris, 1839) d'après le dessin original de Jean-Baptiste Isabey (Nancy, 1767-Paris, 1855) exécuté à Vienne en 1815. Le dessin original appartient au roi d'Angleterre. CHAPITRE PREMIER LA NOUVELLE BARRIERE fES BELGES ET LES ALLIES EN 1814. -L'occupation de la Belgique par les alliés en 1814 la replaçait dans une situation identique à celle qu'elle avait connue après la bataille de Ramillies ( 1 ). Pour la seconde fois, l'Europe coalisée par l'Angleterre arrachait à la France ces Pays-Bas dont la possession assurait l'hégémonie sur le continent. La lutte grandiose qu'avait déchaînée leur envahissement en 1792, s'achevait par leur reprise. Les vainqueurs étaient bien résolus à ne pas les abandonner aussi longtemps qu'ils n'auraient pas décidé de leur sort. Leur droit d'en disposer découlait de la conquête et devait être déterminé par leur intérêt. Plus que jamais au sortir de cette crise formidable, c'étaient des raisons d'équilibre européen qui allaient imposer aux Belges leur destinée. Il ne pouvait être question ni de les consulter, ni, s'ils parlaient, de les entendre. Evidemment, les généraux, les généraux prussiens surtout, qui avaient dirigé l'invasion, eussent été bien aise de les voir coopérer avec eux et faciliter les opérations mili- taires. Le 9 décembre 1813, Bulow avait lancé d'Utrecht une proclamation exhortant les Brabançons à se soulever. Mais pour excédée que fût la nation de la domination française, elle ne prit aucune part à son affranchissement. Si quelques nobles avaient, à huis clos, caressé des projets d'insurrection la masse attendait le dénouement sans y participer (2). Ni Bruxelles ni aucune des grandes villes ne suivit l'exemple d'Amsterdam et ne trahit la moindre velléité d'insurrection. « Le peuple, disait le préfet des Deux-Nèthes ne s'est point agité... Il n'a manifesté aucun désir d'imiter le peuple de Hollande... Mais il n'a montré aucune intention de défendre ni même de servir d'une manière indirecte, le gouvernement actuel... Les habitants n'ont pas fait de mal aux fonctionnaires français chassés par les cosaques, mais ils ne leur ont pas offert asile non plus », et, un peu plus tard, il ajoute : « Il ne faut pas compter sur l'affection des habitants... Us ne se croient pas forcés de souffrir pour une cause qui leur est étrangère. Ils ne prendront pas les armes contre nous, voilà tout ce que l'on peut attendre d'eux. » (3) Cette apathie ne cessa pas même après l'occupation de Bruxelles. Le manifeste du duc de Saxe-Weimar annonçant le 7 février 1814 que « le despotisme a fini de régner, que l'ordre va renaître, que l'indépendance de la Belgique n'est pas douteuse », et appelant les habitants à être leurs propres libérateurs, semble avoir passé inaperçu. Peut-être la population sentait-elle confusément le vide de ces belles paroles et que son avenir ne dépendait point de sa volonté, mais de celle des vainqueurs. Désorientée et soupçonneuse, elle se laissait entraîner par les événements. Aucun enthousiasme ne saluait la marche en avant des alliés. On illuminait à leur entrée dans les villes, on son- (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Le mât de cocagne : satire contre les anciens émigrés rentrés au pays après le second Traité de Paris. Un officier noble et un membre du clergé, celui-ci tirant par les cheveux une dame de la noblesse pour l'aider à monter, grimpent au mât de cocagne au sommet duquel sont posés un bâton de maréchal, des décorations, un coffre à privilèges, une mitre, une crosse et un chapeau épiscopal. Ces emblèmes symbolisent les « droits féodaux », la « dîme » et autres « privilèges ». Lithographie coloriée anonyme (1815). nait les cloches, on chantait des Te Deum, et on regardait avec une curiosité craintive s'écouler par les rues tant de troupes diverses, tantôt russes, tantôt prussiennes, tantôt suédoises, tantôt anglaises. Les plus riches prodiguaient des amabilités aux officiers, la populace s'amusait de la bonhomie et de l'étrangeté des cosaques; on arborait, faute de mieux, de vieux drapeaux autrichiens et l'on s'empressait de gratter de la façade des bâtiments publics l'aigle impériale. Puis on retournait à ses affaires et l'on attendait (4). « Si les Belges, écrivait dédaigneusement Hogendorp au mois de janvier 1814, avaient eu assez d'énergie pour chasser seuls les Français, ils auraient eu le droit de disposer d'eux-mêmes. Mais ils vous disent de tous côtés qu'ils veulent voir les troupes alliées, c'est-à-dire qu'ils veulent être conquis. » (5) On comprend aisément ce reproche sous la plume de l'un des instigateurs de l'insurrection hollandaise. Il n'en est pas moins complètement injuste. Comment, au milieu de leur pays occupé par les troupes françaises, les Belges eussent-ils pu tenter un soulèvement ? Pour qui surtout eussent-ils pris les armes ? Une révolution nationale ne s'improvise pas. Il faut qu'elle soit dirigée par un chef et orientée vers un but auquel aspirent unanimement les esprits et les cœurs. Les Hollandais avaient l'un et l'autre : leur chef, dans le prince d'Orange, leur but, dans la restauration de leur indépendance perdue depuis trois ans à peine. Les Belges, au contraire, n'avaient ni l'un ni l'autre. (Waulsort, château de Freyr, collection comte de Laubespin.) (Cliché Séha.) Frédéric-Auguste-Alexandre, duc de Beaufort-Spontin (Namur, 1751 -Bruxelles, 1817). il dut à Joseph II son élévation à la dignité ducale, à la suite de son mariage avec Marie-Léopoldine de Toledo, fille du duc de l'Infantado. Pendant la révolution brabançonne, il se confina dans un rflle volontairement passif, et séjourna en Autriche pendant la plus grande partie de l'occupation française dans les Pays-Bas, jusqu'en 1809. A cette date, il dut s'établir à Paris. Gouverneur général des Pays-Bas du 12 février au 26 mars 1814, il fut nommé en 1816 Grand Maréchal de la Cour de Guillaume Ier, roi des Pays-Bas. — Portrait en miniature contemporain. Auteur inconnu. Par delà les vingt années de l'annexion de leur pays à la France, ce qu'ils découvraient, c'était l'Autriche dont ils avaient répudié la dynastie en 1790, qui deux fois, à Campo-Formio et à Lunéville, avait cédé leur pays et qui, depuis lors, ne leur avait ni témoigné de sympathie ni donné d'encouragements. Parmi eux, sauf chez un petit groupe de grands seigneurs et d'anciens fonctionnaires, la maison de Habsbourg était aussi décriée que la maison d'Orange était populaire en Hollande. Pouvait-on s'attendre à ce qu'ils exposassent à son profit leurs vies et leurs biens ? Tous désiraient sans doute le retour de l'autonomie. Mais ils ne s'unissaient que dans ce désir. En supposant qu'ils eussent été capables de secouer le. joug napoléonien, que lui auraient-ils substitué ? Le clergé et les vieux conservateurs ne cachaient pas leur regret de l'Ancien Régime. Mais contre eux s'élevaient avec force les jeunes gens élevés dans ie culte des droits de l'homme et la nouvelle classe des industriels et des acheteurs de biens nationaux. Entre les deux partis, l'opposition était aussi nette et aussi absolue que celle qui, mettant jadis aux prises vonckistes et statistes, avait amené le lamentable échec de la révolution brabançonne. Les passions politiques étouffaient le sentiment national et ne lui permettaient pas d'entraîner les masses dans le même mouvement. On aspirait à l'indépendance, et l'impossibilité où l'on se trouvait de la concevoir de la même manière faisait renoncer à y atteindre. Les alliés, au surplus, préféraient qu'il en fût ainsi. Ils n'avaient appelé les Belges à l'aide que dans l'intérêt de leurs armées. Dès qu'ils furent certains de la victoire, ils gardèrent prudemment le silence. C'était une bonne fortune que la nation ne fût pas venue se jeter intempestivement au travers de leurs desseins. Puisqu'elle n'avait rien fait pour eux, ils n'avaient pas à tenir compte d'elle. Ils pourraient en disposer d'autant plus librement, qu'elle paraissait s'être résignée à leur abandonner son avenir. En attendant de se mettre d'accord, ils se hâtèrent de jeter la main sur cette belle conquête et de la conserver à leur disposition. « Les Pays-Bas délivrés du joug de la France, disait lord Castlereagh, doivent rester quelque temps sous l'administration commune des hauts alliés » (6). Cependant, chacun de ceux-ci ne pensait qu'à soi. La Prusse, avide de saisir sa revanche des humiliations dont Napoléon l'avait abreuvée, était la plus impatiente et la plus rapace. Tout de suite elle avait fixé ses convoitises sur la ligne de la Meuse et sur le Luxembourg. Pressée de prendre des gages et de marquer la frontière de ses ambitions, elle avait rattaché au gouvernement général du Bas-Rhin (capitale Aix-la-Chapelle) établi par elle dès les débuts de l'invasion, les départements de l'Ourthe et de la Basse-Meuse, tandis qu'elle avait englobé celui des Forêts dans le gouvernement du Rhin moyen (capitale Trêves) (7). Le reste (Bruxelles, Musée Royal d'Art moderne.) Une famille belge en 1816 : la famille de Hemptinne. Tableau peint par François-Joseph Navez (Charleroi, 1787-Bruxelles, 1869). du pays forma le « gouvernement général de la Belgique ». Dès le 15 janvier 1814, les chefs des états-majors des armées avaient placé à sa tête deux Commissaires, Prussiens l'un et l'autre, le comte de Lottum et M. Délius, chargés de l'administrer au nom des « hauts alliés ». GOUVERNEMENT DU PAYS SOUS LES ALLIES. — Pour masquer à la population cette armature militaire, on l'avait dissimulée sous une façade. Le duc de Beaufort, le représentant le plus en vue de l'aristocratie belge, avait reçu le titre de gouverneur général, et on l'avait flanqué d'un Conseil administratif pourvu de secrétaires, délégués à la police, aux finances et à la justice, le tout recruté parmi la noblesse ou d'anciens fonctionnaires du régime autrichien. 'En réalité, le pouvoir appartenait aux Commissaires, et le gouverneur général dut se contenter et se contenta du reste fort aisément de ses apparences. Le rôle qu'il joua fut très exactement celui auquel en 1706 la Conférence des ministres anglais et hollandais avait réduit le Conseil d'Etat (8). Les vieilles gens qui, soit par intérêt, soit par fidélité à la tradition, s'obstinaient à regretter le passé, avaient cru que les alliés agiraient en 1814 comme les Autrichiens en 1793. Pour eux, la Révolution et l'Empire n'avaient été qu'une parenthèse; elle était fermée et ils attendaient naïvement une restauration. Les syndics des nations de Bruxelles demandaient au duc de Saxe-Weimar le rétablissement de leurs privilèges (9). Les Etats de Brabant, ceux de Hainaut aspiraient à reprendre leurs prérogatives constitutionnelles. Ils ne voyaient pas que pour les satisfaire il eût fallu sacrifier les parties vivantes de la société à ses parties mortes, substituer le privilège à l'égalité, le droit coutumier aux nouveaux codes, la bigarrure et l'incohérence à la régularité et à la logique, ruiner les acquéreurs des biens nationaux et les industriels au profit de l'Eglise, briser les départements pour faire rentrer la nation dans ses vieux cadres provinciaux; bref, bouleverser si complètement la vie administrative, l'organisation de la justice, des finances, des impôts, qu'une telle tentative, quand bien même elle eût été réalisable, eût conduit tout droit à l'anarchie, à la ruine et à la guerre civile. Les alliés ne songèrent pas un instant à entreprendre cette tâche impossible. Leur intérêt eût suffi d'ailleurs à les en détourner. L'organisation administrative de l'Etat napoléonien était un instrument trop commode pour qu'ils voulussent le détruire. Ils ne songèrent qu'à en tirer parti. Ses rouages si exactement agencés continuèrent à tourner pour eux comme ils l'avaient fait pour l'empereur. Il suffit de modifier le personnel qui leur donnait l'impulsion : ce furent les hommes, ce ne furent point les institutions qui changèrent. On se préoccupa seulement de donner quelques satisfactions à l'opinion. Les prisonniers incarcérés par ordre de la police furent remis en liberté. Les droits réunis et l'odieuse conscription disparurent. Pour le reste, on se contenta de modifier les noms pour dissimuler le maintien des choses. Les préfets furent baptisés « intendants », et les cours impériales, « cours supérieures ». Les fonctionnaires, même Français, demeurèrent en place à condition de prêter serment, de n'avoir aucun rapport avec l'ennemi. Il y eut très peu de destitutions : celle du maire de Bruxelles, le duc d'Ursel, suspect de sympathies napoléoniennes, est à peu près la seule que l'on puisse citer. Les postes vacants, soit par le départ, soit par la démission de leurs titulaires, furent confiés à des membres de la noblesse qui, sous l'Empire, s'étaient abstenus de se mêler aux affaires (Bruxelles, collection L. Leconte.) (Cliché Bijtebier.) Fantassins de la légion belge créée en 1814. Aquarelle coloriée du peintre militaire allemand Knotel. Celui-ci n'a pas encore révélé les sources qui lui ont permis de reconstituer les uniformes des fantassins belges. Il convient cependant de relever une erreur de détail : la cocarde de la coiffure n'était pas blanche mais noire (cocarde autrichienne), ce que confirment les mémoires d'un officier de la légion, récemment acquis par le musée royal de l'Armée à Bruxelles. Du moins appartenaient-ils tous au pays et leur entrée dans l'administration, dont les grades supérieurs avaient été jusqu'alors réservés à des Français, con-tribua-t-elle à la réconcilier avec ceux qui lui reprochaient encore son origine étrangère. Pourtant, elle fonctionnait comme par le passé. On ne songea pas même à déposséder la langue française de son rôle de langue officielle. Dans les départements flamands, on se contenta de permettre aux autorités de dresser les actes dans l'idiome national, mais en leur adjoignant une traduction. Le clergé seul put espérer un retour à la situation qu'il avait occupée avant la Révolution. L'influence qu'il exerçait était si grande que les alliés voulurent s'assurer ses sympathies. Le 7 mars 1814, un arrêté du gouvernement déclara que « la puissance spirituelle et la puissance civile seraient maintenues dans leurs bornes respectives ainsi qu'elles sont fixées par les lois canoniques de l'Eglise et les anciennes lois constitutionnelles du pays... et que c'est donc aux autorités ecclésiastiques que l'on devra s'adresser pour tout ce qui concerne la religion » (10). Ainsi d'un trait de plume, le pouvoir occupant supprimait le Concordat et, en faisant dépendre des lois canoniques les rapports de l'Eglise et de l'Etat, soumettait en réalité celui-ci à celle-là. Ce n'était plus à l'Ancien Régime, c'était au moyen âge que l'on en revenait. Manifestement, dans sa hâte de se rallier le clergé, le gouvernement avait improvisé, et les militaires prussiens qui le dirigeaient l'avaient laissé employer des termes dont ils n'avaient pesé ni la signification ni les conséquences. Au surplus, que leur importait ? Sachant bien que l'occupation du pays était provisoire, ils ne se souciaient que d'aller au plus pressé. Ils ne seraient plus là quand il faudrait résoudre le problème qu'ils venaient de poser si légèrement. Pour le moment, l'essentiel était de pouvoir compter sur l'Eglise et d'apaiser chez elle un mécontentement qui eût pu aggraver celui qui se manifestait dans le peuple. Il n'avait fallu, en effet, que quelques semaines pour transformer en indignation la méfiance avec laquelle on avait reçu les alliés. Le despotisme, dont le duc de Saxe-Weimar, le 7 février, annonçait si pompeusement la fin, n'avait disparu que pour reparaître sous une forme plus brutale. Les troupes qui submergeaient la Belgique, la confondant avec la France, s'y conduisaient « avec une (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Le baron de Vincent, ambassadeur extraordinaire de l'empereur d'Autriche, présentant ses lettres de créance à Napoléon à Erfurt (septembre-octobre 1808). Charles, baron de Vincent, né à Florence en 1757 et décédé à Biancourt en 1834, partagea sa vie entre les armées autrichiennes et les missions diplomatiques. Engagé dans l'armée impériale en 1773, il prit part aux opérations militaires dans les Pays-Bas en 1789 et 1790, puis connut les vicissitudes des campagnes de 1792 à 1806. C'est lui qui signa, au nom de l'Autriche, les préliminaires de Leoben (11 avril 1797), en compagnie du marquis Gallo et du comte Merveldt. Premier représentant officiel de l'empereur d'Autriche auprès de Napoléon après la paix de Presbourg, Il assista en qualité d'observateur à l'entrevue d'Erfurt (27 septembre-14 octobre 1808) avec mission de surveiller le tsar Alexandre I". Il fut nommé administrateur de la Belgique après l'Invasion des alliés (mai-juillet 1814) et devint plus tard ambassadeur d'Autriche à Paris (1821-1825). — La scène reproduite ci-dessus montre Vincent présentant à Napoléon ses lettres de créance lors de l'entrevue d'Erfurt. Derrière la table, entre Napoléon et Vincent, le prince de Talleyrand. A l'avant-plan, à droite, vu de profil, le tsar Alexandre I". — Gravure de Marc-Antoine Monnin (Paris, 1806 -seconde moitié du XIX« siècle), d'après le tableau de Thomas Gosse (Rlngwood, 1765-Londres, 1844) extraite des Galeries historiques de Versailles, édit. Ch. Gavard. brusquerie à laquelle les gens du pays sont peu familiarisés » (11). La brutalité des Russes était dépassée encore par celle des Prussiens. Les vexations qu'ils infligeaient à la population étaient telles que « le souvenir ne s'en effacera jamais » (12). Partout où ils prenaient leurs quartiers, ils apportaient un régime de terreur rendu plus abominable encore par ses procédés. Habitués à la bastonnade, ils l'appliquaient à tout propos et à tout le monde. Des maires abandonnaient leurs fonctions pour s'épargner les coups. La mauvaise discipline allait de pair avec les mauvais traitements. Il n'avait servi de rien de remplacer au mois de mars Lottum et Délius par un nouveau Prussien, le baron de Horst. La proclamation qu'il avait lancée de Bruxelles, saluait dans les Belges un peuple « célèbre dans l'histoire par sa valeur et l'amour de sa patrie, et qui allait recouvrer l'existence politique dont un tyran l'avait dépouillée » (13). En attendant, les exactions et le bon plaisir étaient pires qu'auparavant. Lord Clancarty constatait, le 25 avril. que le pays est épuisé de réquisitions et que l'esprit est si mauvais qu'il faut s'attendre à tout (14). Le public était d'autant plus indigné que la suppression des droits réunis n'avait apporté aucun allégement. On y avait bientôt substitué un octroi départemental sur la bière et les eaux-de-vie, et le 26 avril, une contribution de guerre de 4 millions 987,366 francs avait été imposée aux six départements compris dans le gouvernement général de la Belgique (15). Visiblement, ce que l'on demandait au pays, c'était son argent et qu'il payât les frais de la guerre qui l'avait « affranchi ». On eût été bien aise aussi qu'il fournît des soldats. Dès le début de l'occupation, la formation d'une « armée belge » avait été décidée. Le duc de Beaufort avait lancé un appel invitant des volontaires à s'y faire inscrire, et le comte de Lottum exhortait les femmes à faire dons patriotiques à l'exemple des « généreuses Prussiennes et Hollandaises» (16). Quelques régiments avaient été organisés, mais les gens prudents se demandaient si, au milieu de l'exaspération générale, il était sage de pous- (Neerheylissem, collection douairière Lowet-Oury.) Les cosaques dans un village brabançon en 1814. Tableau peint par Henri de Coene (Nederbrackel, 1798-Bruxelles, 1896). ser plus loin les enrôlements. La déception des conservateurs qui avaient compté sur la restauration de l'Ancien Régime aggravait encore la confusion et. l'insécurité. Le plus convaincu et le plus désillusionné d'entre eux J.-J. Raepsaet, envisageait l'avenir sous les couleurs les plus sombres. LES BELGES ET LA MAISON D'AUTRICHE. ~ Pour tous ceux qui réfléchissaient, il était impossible, en effet, de ne pas se demander avec angoisse ce que l'on allait devenir. La restauration autrichienne avait paru tout de suite à la noblesse et au clergé la conséquence naturelle de la victoire des alliés. La chute de Napoléon annulant les traités de Campo-Formio et de Lunéville, ils se persuadaient que l'empereur François allait faire valoir les droits de sa maison sur la Belgique. A vrai dire, bien peu d'entre eux admettaient sincèrement la légitimité de ces droits contre lesquels la révolution brabançonne s'était si vivement soulevée. Croire que la plupart des Belges éprouvaient pour la dynastie habsbourgeoise « un ancien attachement qui leur fait honneur » (17), c'était se laisser tromper par les apparences. A part un très petit nombre de légitimistes, ses partisans ne songeaient qu'à eux-mêmes. S'ils témoignaient tant de tendresse pour cet empereur qu'ils avaient si aigrement reçu en 1793, c'est qu'ils espéraient de lui le rétablissement de l'ancienne constitution. Leur loyalisme ne s'alimentait que de leurs aspirations conservatrices. Leur vœu aurait été de constituer, sous un prince de la famille impériale, un Etat distinct, vaguement rattaché à la monarchie et dans lequel les Etats eussent possédé, conformément à la Joyeuse Entrée, la réalité du pouvoir. Ils voulaient l'autonomie nationale, mais ils la voulaient comme les Statistes de 1790, à la condition d'en être les maîtres. Dès le 20 février 1814, une députation aristocratique conduite par le duc de Beaufort, s'était rendue à Chau-mont, au quartier général des alliés et y avait été admise en présence de François Ier (18) et de lord Castlereagh. Elle était rentrée à Bruxelles découragée. L'empereur ne lui avait pas caché que les circonstances ne lui permettaient ni de reprendre la Belgique ni de la confier à un archiduc. Au reste, il avait affecté le plus grand zèle pour ses anciens sujets. Et lord Castlereagh avait encore ajouté à l'eau bénite de cour qu'il leur avait prodiguée. Il ne les avait congédiés qu'après les avoir assurés de la sollicitude des Puissances. Elles ne songeaient, à l'en croire, qu'à leurs intérêts et à les doter d'un gouvernement « sage et libéral », plein de respect pour leur indépendance, leur religion et leurs finances. Et il leur laissait entendre que pour leur garantir tant de félicité, elles les uniraient à la Hollande (19). Les députés en purent à peine croire leurs oreilles. Ainsi, non seulement l'empereur les abandonnait, mais ce qu'il trouvait de mieux pour les dédommager, c'était de les faire passer sous le pouvoir d'un prince protestant, et de confier leur sort à ces Provinces-Unies qui, en 1648, avaient ruiné la Belgique par la fermeture de l'Escaut, qui, en 1715, lui avaient infligé l'humiliation du traité de la Barrière et dont l'hostilité constante et la jalousie n'avaient cessé d'entraver depuis lors toutes ses tentatives de relèvement (20). Le plan qu'on leur dévoilait froissait à la fois leurs sentiments catholiques et leurs sentiments nationaux. Le clergé, dès qu'il en eut connaissance, exprima publiquement ses alarmes. A peine débarrassé du Concordat, allait-il passer sous le joug d'un hérétique ? Que lui parlait-on d'un gouvernement « libéral » ? Ce mot (Amsterdam, Archives communales.) Prestation de serment de Guillaume Ier d'Orange, roi de Hollande, dans la « Nieuwe Kerk » à Amsterdam (30 mars 1814). Gravure attribuée à C. van Waard (Waart) (fin du XVIII«-début du XIX» siècle). INQUIETUDES DE L'OPINION. — Et déjà, profitant de cette inquiétude, des agents français s'empressaient de travailler l'opinion au profit de Louis XVIII. L'intérêt le plus évident des Belges ne commandait-il pas de rester unis à la France revenue, en même temps qu'à son roi légitime, à la religion et aux vrais principes de la conservation sociale ? Les industriels y trouveraient autant de garanties que le clergé et la noblesse. Elle offrirait son marché à leurs produits et les débarrasserait de la concurrence anglaise que la levée du blocus continental allait rendre plus menaçante (21). Mgr de Broglie qui venait de se réinstaller à Gand, faisait chorus. Son « ultra-montanisme » plus encore que son influence personnelle le rendaient un dangereux instrument de propagande française (22). Cependant, les brochures répandues par les émissaires du prince d'Orange discréditaient sa cause au lieu de lui rallier l'opinion (23). Personne ne voulait de la Hollande. Seuls, les acheteurs de biens nationaux et un groupe d'industriels comptant sur les débouchés de ses colonies, lui montraient des dispositions favorables (24). Mais qu'arriverait-il si on parvenait à lui échapper ? Lord Castlereagh avait parlé de la Prusse, et tout le monde en avait horreur. Au milieu de l'incertitude et des appréhensions, on s'aigrissait, et les partis s'accusaient réciproquement de trahir les intérêts du peuple. Les anciennes querelles des « constitution-naires » et des démocrates se réveillaient et s'aggravaient de l'impuissance où ils se voyaient les uns et les autres d'agir sur les Puissances qui s'arrogeaient le droit de disposer de la nation. C'est au milieu de cette agitation que le baron Vincent, désigné par François Ier, vint remplacer Horst au gouvernement (5 mai 1814). Lord Castlereagh avait conseillé ce changement de personnes. Il s'inquiétait de voir Horst agir trop ouvertement en faveur de la Prusse, et sans doute espérait-il aussi que la présence d'un Autrichien ramènerait quelque calme dans les esprits. Elle ne devait d'ailleurs influer en rien sur le régime imposé à la Belgique. Les instructions remises par Metternich au nouveau gouverneur lui recommandaient de tirer le plus grand parti pos- « On ne cesse donc de tracer sur la carte des frontières qui vont et viennent au gré des péripéties du marchandage. Pour l'Angleterre, il importe avant tout de couvrir Anvers et les bouches du Rhin; pour Guillaume, de tailler le plus largement possible son futur domaine. » (Voyez le texte, p. 413.) Le premier projet du ministre anglais Castlereagh (30 novembre 1813) vise à fixer la frontière orientale du futur royaume. Castlereagh écrit à Lord Clancarty : « I consider Antwerp and ail Holland hold before 1792 indispensable. The frontier must them embrace at least Alalines, Maestrlcht, Juliers and so to the Rhin at Cologne or Dusseldorf... ». Le 15 février 1814, il propose d'annexer à la Hollande les provinces belges jusqu'à la Meuse. Le 29 avril 1814, le ministre prussien Hardenberg suggère de joindre à la Hollande : la Belgique, « à l'exception de quelques parcelles qui resteraient à la France » et « une partie des anciennes possessions allemandes sur la rive gauche du Rhin ». La Meuse serait hollandaise, ainsi que Venloo, Ruremonde, Maestricht, Liège « avec la plus grande partie des pays de ce nom », la partie de la Gueldre située sur la rive gauche du fleuve, Juliers et Luxembourg. La frontière passerait par Liège, Terwagne, Marche-en-Famenne, Bastogne, Martelange, Arlon, Luxembourg, la Moselle jusqu'à Neuenkirchen, d'une part; les départements des Forêts, de Sambre et Meuse, Jemappes et de la Lys, d'autre part, formeraient la frontière entre le royaume et la France, à quelques modifications près, Ge-dinne, Beauralng, Florennes, Walcourt, Chimay, Beaumont, Dour et quelques autres cantons restant à la France; la frontière occidentale demeurerait inchangée. Le 31 mai 1814, le secrétaire d'Etat hollandais Falck propose d'abandonner les départements des Forêts et de la Moselle, plus la région s'étendant au sud de Dinant, Terwagne, Verviers et Eupen. Les deux projets de Falck communiqués par lord Clancarty le 1er octobre 1814 visent des rectifications de frontières sur la rive droite du Rhin, dans les terres de la famille de Nassau. — Carte extraite des Gedenkstukken der algemeene geschiedenis van Nederland van 1795 tôt 1840, édit. H.T. Colenbrander (R.G.P. 23). La Haye, 1914, in-4°, t. VII, p. LXIV-LXV. sible du pays « pour les moyens militaires », et de faire entendre aux Belges que dans aucun cas ils ne pourraient retourner à leur ancienne constitution» (25). Furieux de l'arrivée d'un successeur qui ne prenait sa place que pour ôter à la Prusse « ses avantages dans ce pays et la brouiller avec l'Angleterre» (26), Horst prit congé de la population en se recommandant avec une lourde ironie à son souvenir, et en se déclarant « heureux d'avoir été témoin de sa prospérité» (27). Au reste, on ne s'aperçut pas de son départ. Les réquisitions des troupes revenant de France se substituèrent sans rien y changer, à celles qu'elles avaient imposées en s'y dirigeant. Le pays continua de servir d'aliment à leur appétit. Vincent se contenta du rôle de seul excitait ses inquiétudes. La foi, plus encore que sous Napoléon qui du moins professait le catholicisme, allait être soumise à de nouveaux périls. Les souvenirs du XVIe siècle se réveillaient. figurant auquel il était destiné. Il savait bien que le sort de la Belgique serait tranché dans quelques semaines et qu'il n'avait jusque-là qu'à tenir en respect « les gens d'un pays où l'on a trop la manie des affaires publiques pour que l'autorité ne courre pas le risque de se trouver placée entre le choc des prétentions démocratiques et des réminiscences des constitutions également dangereuses à réveiller ». Il observait avec curiosité les mouvements désordonnés du patriotisme anarchique qui se manifestaient autour de lui, n'y voyant que des prétentions « d'isolement et de provincialisme » et, en diplomate de cabinet, s'éton-nant de « l'exubérance des prétentions nationales de la Belgique» (28). Sa mission prit fin dès que les puissances se furent mises d'accord sur la réunion de la Belgique et de la Hollande. Il quitta Bruxelles le 31 juillet. « La paix, disait-il, dans sa dernière proclamation, va consolider le bonheur des Belges et des Bataves... Habitants de la Belgique, l'intérêt général de l'Europe vous assigne un sort inestimable » (29). PROJETS DES ALLIES SUR LA BELGIQUE. -En 1792, l'invasion de la Belgique avait déterminé l'Angleterre à entreprendre contre la France une lutte qui ne devait cesser que le jour où elle aurait chassé son adver- u • t TV1LLEM* by de gratic Gods, Prins van Oranje Nassau , Souverein-Vorst der Vereenigde Nederlanden. AAN DE INGEZETKNEN VAN BELGIEN, Europa i» zîjnc berrijding aan de grootmoedigbcid der Verbondcne Mogendliedcn verscbuldigd ; eerlang ml lu t ann derzelver wijsbeid een staatkmidig stclzel te dankcu liebben, dat aan de lang geslingerde V olken vele jaren rust en welvaart vorzekere. Van dnt stelael is de nfeuwc bestemming uwer sclioone gwesten een. noodzakclijk bestanddeel , en dt- ouderban-dilincen die te Wccnen zulleu plaats vinden , liebben ten duel om dezelve algemccn te doen erkenncn en de vergrooling van Belgien , ten uwen behoeve, ten Im-S iocvc uwer naburcu, ten beborve van gebcel Enropa te lnncatigcn ! (îcrarpen om, in afwacliling dier lang gewcnschte tockonist, Uw land te besturèn , kom ik tut U met den vasten wil van U nutlig te zijn, en met aile île gevoc-lens van een vriend en van een vndtT. Van «le meest verliclilen , van de aan/.ieulijkslcn uit Uw raidden wil ik omriiigd zijn in de eervolle taak die mij bel verlrouwen der Verboudene Souvcreinen oplcgt,, en -van wcike ik mij beieyere om mij" in Pcrsoon te komen kwijleif!" De nunpen ('• doen opboudcn die U nog slceds kwel- len, nuHlcgeiistaande bel standvaslig , wijs en cdcleedrag cenl lieeA gebounen in de liagcfielijko ij bet opp.en)cstuur waargenomen heefl; l wen Godsdfensl te beschermen en te vereeren ; den 'il.it de Baron V lijden in welken bij betoji] Adel met den luister te nmgevcn, «lie aan zijne oudheid en venlieiwlcn verschuldigd is ; den landbouw. den knophaiidel en aile takkeu van volksvlijl te bcguiistigen; ziét daar, Bclgen, de aangename pligten en zorgen, aan welken ik inijne gebeele aandacbt zal besteden. Gclukkig indien ik, tcnvijl ik mijne regten op U\vc acliting verineiiigvnldige, slagen mag in liet voorbereiden en bevorderen van de vereeniging (lie Uw lot bevesdgen moet , en die mij veroorlooven zal, U rene gelijke mate van liefde toe te wijden als aan die Yolken , welke de luituur zelve seliijnt bestemd te liebben, om met de Vulken van Belgien eenen sterken en bloeijenden Staat niltemaken. Gcduan te Dnissel tien i"**' Augustiis 1814- •Gcteekcnd, WILLEM. Ter onlutmanlic van Zyne Koninklijkc Hooghcid, Gctcehend, A. B. Faix:*, GUILLAUME,par la Grâce de Dieu, Prince d'Orange Nassau , Prince Souverain des Provinces Unies des Pays-Bas. AUX HABITANS DE LA BELGIQUE, Salut i L'Europe doit sa délivrance à la magnanimité des Souverains Alliés; bientôt elle devra à leur sagesse nn système politique, qui assure aux Nations agitées de longues années de cabne et de prospérité. Ix» nouvelles destinées de vos belles Provinces sont un élément nécessaire du ce système, et les négociations qui voul s'ouvrir à Vienne auront pour but de les faire reconnaître, et de consolider l'agrandissement de la Bel* gique, dans votre intérêt, dans l'intérêt de vos voisins, dans celui de l'Europe entière ! Appellé an Gouvernement de votre Pays pendant le court intervalle qui nous sépara encore «l'un avenir si longtemps désire-. J'apporte au milieu de vous la volonté de vous être utile, et tons les sentimens d'un Ami et d'un Père. (Test des plus éclairés, des plus considérés j)Wre.vmu. que Jftjfux .iHrc environné dans l'honorable lâche que m'impose la confiance des Monarques Alliés, cl dont Je m'empresse de venir m acquitter en Personne. Faire cesser 1rs maux qui pèsent encore sur les Belges, • malgré la conduite ferme, sage et loyale, tenue par le Baron De Vincent, dans les temps difficiles où il a rempli les fonctions de 'Gouverneur Général; honorer et proléger votre Bcligiou; entourer la Noblesse de l'éclat du h son ancienneté et & sou mérite; encourager l'Agriculture, le Commerce, et tous les genres d'Industrie, tels seront mes devoirs les plus doux, et les soins qui m'occuperont sans cesse. Heureux si, en multipliant mes titres à votre estime. Je parviens à préparer cl à faciliter l'union qui doit lixcr votre sort , et qui me permettra de vous confondre dans un même amour avec ces Peuples que la nature .«lie même semble avoir destinés A former avec ceux de la Belgique , un État puissant cl prospère. Donné à Bruxelles, le i". AoiU 1814. Signé, GUILLAUME , Par Son //liesse Royale . Signé, A. I\. Fau.k. ,0 V llrmclic., do l'Imprimerie de WtrontMucm, Imjtriiueiu du (Jouifrni-mem , H.fr de I. Croir, N'. (Bruxelles, Archives Générales du Royaume de Belgique, Réserve.) Proclamation adressée aux habitants de la Belgique le 1er août 1814 par Guillaume, « prince souverain des Provinces Unies des Pays-Bas ». L'affiche est rédigée en néerlandais et en français. « Appelé au Gouvernement de votre pays » pendant que les diplomates discutent le sort de la Belgique à Vienne, « J'apporte au milieu de de vous, la volonté de vous être utile, et tous les sentiments d'un Ami et d'un Père. » Le prince se propose de « faire cesser les maux qui pèsent encore sur les Belges », d'« honorer et protéger votre Religion; entourer la Noblesse de l'éclat dû à son ancienneté et à son mérite; encourager l'Agriculture, le Commerce, et tous les genres d'Industrie... » saire d'un pays d'où il la menaçait directement. Plus Napoléon s'acharnait à faire d'Anvers une base d'attaque, plus elle s'obstinait à l'en expulser. C'était là son but de guerre principal. C'est pour y atteindre qu'elle avait si longtemps combattu et si largement prodigué ses trésors à ses alliés, se réservant le droit de leur imposer la solution qu'elle avait préparée en attendant leur victoire et de disposer des Pays-Bas, enfin reconquis, au mieux de ses intérêts. L'Autriche et la Russie ne l'inquiétaient pas. La première qui, depuis le milieu du XVIIIe siècle, n'avait jamais vu dans la Belgique qu'un territoire d'échange à céder au plus offrant contre la Bavière ou l'Italie (30), avait définitivement fixé son choix sur cette dernière. Elle ne pensait qu'à la Lombardie, et il suffisait de la satisfaire de ce côté pour le désintéresser de provinces qu'elle n'affectait même plus de vouloir conserver. Quant à la Russie, elle n'avait évidemment aucun motif de contrecarrer dans les Pays-Bas les plans de l'Angleterre. Tout au plus devait-elle chercher à lui vendre à bon prix son acquiescement. Mais la Prusse était moins accommodante. Avide d'agrandissements, elle s'était tout de suite établie sur la ligne de la Meuse et paraissait résolue à s'y cramponner. Heureusement, ses appétits effrayaient tout le monde, et il ne serait pas trop difficile de l'amener à lâcher prise quand elle serait convaincue que ses forces ne correspondaient pas à ses convoitises. Le cabinet de Londres avait mûrement élaboré un plan que l'on pourrait appeler une revision du traité de la Barrière. En 1715, c'est d'accord avec les Provinces-Unies qu'il avait transformé la Belgique en un rempart contre la France, et qu'il avait contraint l'Autriche d'accepter ce pays, grevé, au profit des puissances maritimes, d'une hypothèque militaire. Cependant, la décadence rapide des Pro-vinces-Unies avait enlevé toute valeur à une combinaison qui remettait à leur garde les forteresses de la Barrière. Les Hollandais n'avaient pas même résisté à l'invasion française de 1744, et en 1781 ils avaient laissé expulser leurs garnisons par Joseph II. Il ne pouvait plus être question, en 1814, de leur assigner de nouveau un rôle qu'ils seraient moins capables encore de jouer. D'autre part, reconnaître l'indépendance de la Belgique et lui confier la mission de se défendre elle-même au profit de l'Europe, il n y fallait pas songer. Le pays était trop faible pour son importance. Si l'on voulait qu'en une prochaine guerre un nouvel assaut de la France vînt se briser contre lui, il n'existait qu'un moyen : ajouter son territoire à celui de la Hollande, « amalgamer » les deux peuples et faire de leurs faiblesses réunies une force assez grande pour se défendre et pas assez pour inquiéter leurs voisins. Ainsi une barrière nouvelle, plus solide et plus efficace que l'ancienne, serait érigée. La servitude militaire à laquelle la Belgique seule avait été astreinte en 1715 serait imposée cette fois à la Belgique et à la Hollande. LES ORIGINES DE L'UNION BEL-GO-HOLLANDAISE. - Déjà pendant la révolution brabançonne, Londres et Berlin avaient envisagé l'éventualité d'une entente étroite, au profit de la maison d'Orange, des deux parties des Pays-Bas. Il avait suffi de flatter la vanité du pauvre van der Noot pour le rallier à ce projet qui n'avait d'autre but que d'utiliser, au détriment de l'Autriche, l'insurrection des Belges (31). Au reste, la facile victoire des Autrichiens sur les troupes du Congrès avait remis les choses en état et interrompu les pourparlers ébauchés. Mais les événements ne tardèrent pas à ramener l'attention sur une idée que la situation internationale devait naturellement réveiller dans la mémoire des diplomates. L'Autriche laissait trop clairement apparaître sa tiédeur à l'égard des Pays-Bas pour que l'on pût encore espérer les confier à sa garde après les avoir enlevés à la France. Il fallait donc les assigner à un prince qui, par la situation de ses propres Etats, fût en mesure de les défendre à l'avenir. Guillaume d'Orange était tout désigné au choix des puissances alliées. Il l'était d'autant plus, qu'expulsé par la République batave, il ne comptait que sur elles pour reprendre le pouvoir et que son intérêt le solidarisant à leurs desseins, elles pouvaient sans hésitation augmenter ses forces sans craindre qu'il en abusât. Aussi, lors du traité anglo-russe de 1798, avait-on étudié une vaste opération en vue de reconquérir la Hollande d'abord, la Belgique ensuite, et dont l'aboutissement eût été l'union des deux pays qui, soudés l'un à l'autre, eussent formé bloc contre la France. Lord Granville était tout acquis à cette combinaison (32). Le pitoyable résultat du débarquement du Helder en 1799 ruina les espoirs que l'on avait échafau-dés sur elle. Son seul résultat fut d'aigrir l'Autriche vexée d'avoir vu ses partenaires disposer d'un pays dont elle ne voulait plus, mais dont elle ne voulait pas qu'on s'occupât sans elle, et d'exciter la défiance du cabinet de Londres contre le prince Guillaume dont les agents secrets avaient maladroitement laissé entrevoir une ambition trop impatiente et trop indépendante (33). Pourtant, on ne devait plus s'écarter de la voie qu'on s'était fixée (34). En 1803, après la rupture de la paix d'Amiens, on s'entretenait de nouveau de la fondation d'un royaume des Pays-Bas, dont la protection eût été confiée à la Prusse (35). Le tsar en conférait en 1804 avec William Pitt et, en 1805, on en insérait le projet dans le traité du 11 avril entre l'Angleterre et la Russie. Il était décidé en principe que la Hollande recevrait un « arrondissement convenable » dans les Pays-Bas autrichiens. Et à la même date, l'abbé Piatoli envisageait l'érection future d'un royaume des deux Belgiques. Une question d'ordre colonial contribuait encore à affermir dans ses vues le gouvernement de Londres qui, en guerre avec la République batave, s'était emparé successivement de toutes les colonies hollandaises et comptait (Musée de Mariemont.) Billet rédigé par Napoléon sur le champ de bataille de Waterloo et retrouvé sur un bâton de chocolat après la bataille. « Vous allez recevoir les ordres. Toute la garde à Fleurus avec mon quartier général. Donner ordre de compléter le pain pour quatre jours et se mettre en marche. On passera par la grande route de Fleurus. La jeune garde se rendra également à Fleurus. Le général Friant étant plus ancien commandant d'infanterie de la garde donnera ordre qu'on se prépare. » Les taches noires que l'on aperçoit sur le billet proviennent du contact du papier avec le bâton de chocolat qu'il servit à recouvrir. On ignore si l'ordre de l'empereur est arrivé à destination et l'on n'est pas mieux informé sur les circonstances qui ont amené sa découverte. fermement en conserver sa part. Dès lors, il lui était indispensable de fournir, au jour du règlement des comptes, un dédommagement à Guillaume d'Orange. Quel coup de génie que de désintéresser ce créancier en lui procurant une situation qui, tout en protégeant l'Angleterre sur le continent, la laisserait encore maîtresse d'un superbe domaine au delà des mers. Aussi, lorsque la catastrophe de Russie permit enfin d'entrevoir la chute prochaine de Napoléon, lord Castlereagh estima-t-il le moment venu de préparer une solution doublement profitable à son pays. Durant l'année 1813, il ne cesse plus d'en causer avec Guillaume. Conversation épineuse, car les appétits du prince se révèlent plus grands à mesure qu'il aperçoit plus nettement qu'on a besoin de lui, et il faut prendre garde encore, en abattant prématurément le jeu, d'exciter les susceptibilités de l'Autriche et de décevoir les convoitises de la Prusse (36). On ne cesse donc de tracer sur la carte des frontières qui vont et viennent au gré des péripéties du marchandage. Pour l'Angleterre, il importe avant tout de couvrir Anvers et les bouches du Rhin; pour Guillaume, de tailler le plus largement possible son futur domaine. Nul souci dans tout cela de l'intérêt ou des aspirations des peuples. Dans le silence du cabinet, la raison d'Etat et l'intérêt dynastique disposent des hommes et des territoires. GUILLAUME D'ORANGE ET LES ALLIES. - Le prince revendique non seulement la Belgique, mais la rive gauche du Rhin jusqu'à la Moselle. Castlereagh, préoccupé de la Prusse, veut restreindre ses prétentions à une ligne qui ne dépasserait pas Malines, Maestricht, Juliers et Cologne ou même Dusseldorf. Pourtant les terres dont on dispose ainsi sont toujours occupées par la France, et l'imagination peut se donner carrière aussi longtemps qu'elle ne se donne carrière que sur le papier. Mais l'insurrection de la Hollande, le débarquement de Guillaume à Scheve- ningen et bientôt après l'occupation de la Belgique par les alliés transformèrent, en 1818, la possibilité en réalité. Aussitôt l'activité de Guillaume se déploie. Il cherche fébrilement à prendre les devants et à placer les Puissances devant le fait accompli. Ses émissaires se répandent par la Belgique (37); il envoie à l'état-major Bulow, le comte van Zuylen van Nievelt comme agent politique; à Gand, il est en rapport avec les industriels Huyttens et Bauwens. Des brochures pleines de promesses cherchent à lui gagner le clergé et la noblesse. Elles dévoilent les perspectives les plus engageantes. Les Belges étant plus nombreux que les Hollandais, quel rôle ne sont-ils pas appelés à jouer dans un royaume où ils exerceront évidemment l'influence essentielle ! Tout est mis en œuvre pour capter l'opinion. A Bruxelles, des gens du bas peuple, gagnés à prix d'argent, crient « Oranje boven ! » Le duc de Clarence fait applaudir à l'opéra le fils de Guillaume, le jeune prince Frédéric (38). Les gazettes regorgent d'articles de propagande. Sans doute, la répugnance des Belges à accepter une union avec un peuple calviniste n'est pas douteuse. Mais enfin, tant d'efforts risquent de créer parmi eux une agitation fâcheuse. Il importe qu'ils attendent sans parler l'avenir qu'on leur réserve, et l'impatience de Guillaume pourrait les pousser à protester. D'ailleurs, elle est intempestive et outrecuidante. Lui aussi doit s'incliner devant le droit de conquête des alliés. Ses menées irritent l'Angleterre et inquiètent la Prusse qui compte toujours sur la ligne de la Meuse et, plus fermement, sur l'Allemagne rhénane. Cependant, le 1er mars 1814, à Chaumont, les Puissances ont décidé, par un article secret, que « la Hollande, Etat libre et indépendant sous la souveraineté du prince d'Orange » recevra un « accroissement de territoire » et « une frontière convenable ». Mais quelle sera cette frontière ? Le 30 mai, le traité de Paris rétablissant la paix entre la France et les alliés, ne résout pas encore la question. S'il reconnaît, également dans un article secret, que l'établissement d'un juste équilibre en Europe exige que « la Hollande soit constituée dans des proportions qui la mettent à même de soutenir son indépendance par ses propres moyens », s'il lui transfère « les pays compris entre la mer, les frontières de la France telles qu'elles sont déterminées par le traité, et la rive gauche de la Meuse », il remet à plus tard de fixer « suivant ses convenances et celles de ses voisins » l'étendue de ce qu'elle recevra à droite du fleuve. Ici, force est bien de tenir compte des revendications prussiennes et de se borner à dire que les régions rhénanes réunies à la France depuis 1792 « serviront à l'agrandissement de la Hollande et à des compensations pour la Prusse et d'autres Etats allemands ». Il ne suffisait pas de délimiter le territoire du futur royaume, il fallait encore en assurer la solidité. C'est à quoi pourvurent les « huit articles » que lord Castlereagh amena, non sans peine, le prince souverain à accepter le 21 juillet. Tout y est combiné de telle sorte que l'« amalgame le plus parfait » entre la Belgique et la Hollande garantisse l'unité de l'Etat. La volonté de l'Europe sur ce point est formelle, et elle s'arroge le droit d'im- poser au prince les conditions qui l'empêcheront de compromettre cette unité en avantageant les Hollandais au détriment des Belges. En conséquence, il s'engage à garantir à tous les cultes protection et faveur égales, à rendre tous les citoyens accessibles aux emplois publics, à reconnaître à toutes les provinces les mêmes avantages commerciaux, à faire modifier de commun accord par les Belges et les Hollandais la constitution déjà établie en Hollande et, enfin, à assurer aux premiers une « représentation convenable » aux Etats-Généraux qui se réuniront alternativement tantôt dans une ville belge, tantôt dans une ville hollandaise. Ainsi la force de l'Etat découlera de son unité, et cette unité sera sauvegardée par les précautions prises pour qu'elle résulte de l'égalité imposée à ses parties. Si l'on déclare commune la dette qui, écrasante en Hollande, est très légère en Belgique, cet inconvénient n'est-il pas largement compensé par le droit qu'auront les Belges de trafiquer aux colonies hollandaises et par l'attribution aux seuls Hollandais des frais résultant de l'entretien des digues ? GUILLAUME, GOUVERNEUR DE LA BELGIQUE. — On avait enfin réglé l'essentiel. Guillaume était satisfait. La cession du Cap, d'Essequibo, de Demeray et de Berbice à l'Angleterre ne lui paraissait pas payer trop chèrement la couronne qu'il allait ceindre. Il ne lui restait plus qu'à solliciter le Congrès de Vienne pour la délimitation définitive des frontières. En attendant, il obtint le gouvernement de la Belgique auquel il aspirait impatiemment. Le 31 juillet 1814, il venait prendre à Bruxelles la place du baron Vincent. Sa proclamation aux Belges, le 1er août, leur laissa croire que c'était à eux et non à la Hollande ou pour mieux dire au prince-souverain de la Hollande que les Puissances avaient accordé un «accroissement de territoire ». Mais elle abondait en effusions sincères et la joie du succès y avivait encore la bienveillance des promesses. Guillaume y annonçait la beauté d'un avenir où l'intérêt de l'Europe allait se concilier avec celui de ses sujets « heureux, disait-il, si en multipliant mes titres à votre estime, je parviens à préparer et à faciliter l'union qui doit fixer votre sort et qui me permettra de (Bruxelles, collection A. Verbouwe.) Arrivée des blessés alliés sur la Place Royale à Bruxelles (juin 1815). Aquatinte en couleurs de M. Dubourg (décédé après 1830) d'après John Heaviside Clark (? vers 1771-1772-Edimbourg, 1863). Publiée à Londres le 18 avril 1816 par Ed. Orme. vous confondre dans un même amour avec un peuple que la nature elle-même semble avoir destiné à former avec ceux de la Belgique un Etat puissant et prospère» (39). Pourtant, il restait encore des difficultés à vaincre. La Prusse, furieuse d'avoir dû céder devant l'Angleterre, cherchait à prendre sa revanche. Elle parlait de faire entrer les Pays-Bas dans la Confédération germanique. Elle se déclarait opposée à toute extension de leur part dans des pays allemands et même dans le Luxembourg. Elle taxait Guillaume d'ingratitude et Hardenberg déclarait que les Prussiens étaient les seuls auteurs de l'affranchissement de la Hollande et que sans eux son soulèvement n'aurait servi de rien (40). Ces accès de mauvaise humeur n'effrayaient pas le prince. Le cabinet de Londres garantissait sa situation. Au mois d'août, le gouvernement anglais, en signant avec lui la répartition des colonies, lui promettait deux millions sterling destinés à la construction des forteresses à ériger contre la France et trois millions à affecter aux frais de consolidation du futur royaume. Des mesures furent prises aussitôt pour prouver à l'Europe que sa « barrière » serait bien gardée. La principale était l'organisation d'une armée. Le 15 août, les régiments constitués en Belgique par les alliés étaient fusionnés avec les troupes hollandaises ou plutôt confondues avec elles dans une seule masse, grâce à l'application à ceux-là des règlements en usage dans celles-ci. La discipline, pour bien affirmer sans doute la rupture avec la tradition française, rétablissait pour les soldats la peine de la bastonnade. En revanche, les commandements importants furent réservés à des Hollandais, comme Chassé ou Trip, formés au service de Napoléon. A côté d'eux, d'autres officiers généraux, comme de Constant Rebecque, comme Cruykenbourg et le duc de Saxe-Weimar sortaient du service des alliés. Le fils aîné de Guillaume, le prince d'Orange, qui avait brillamment combattu en Espagne avec Wellington, recevait aussi un commandement. Pour les Belges sans doute, cette armée, dont l'état-major ne renfermait que bien peu de leurs compatriotes et dont le drapeau portait les couleurs de la maison d'Orange, apparaissait comme une armée étrangère. Mais leurs soldats, comme leur territoire, pouvaient-ils être, dans les conditions où l'on se trouvait, autre chose qu'un « accroissement » ? En somme, on avait fait tout ce qu'il était possible de faire. C'était déjà beaucoup que d'avoir pu constituer rapidement une force d'à peu près trente mille hommes. C'était beaucoup aussi pour Guillaume que d'avoir été reçu paisiblement à Bruxelles. Il savait bien que l'opinion était mal disposée à son égard. Mais il lui suffisait qu'elle ne protestât pas et elle s'abstint, en effet, de toute démonstration, se résignant à l'inévitable. Très habilement d'ailleurs, il s'efforça d'apaiser les répugnances du clergé à passer sous le pouvoir d'un prince calviniste. Il savait que les vicaires généraux du diocèse de Gand venaient d'envoyer au Congrès de Vienne une pétition demandant le rétablissement de l'Eglise dans tous ses droits : dîmes, tribunaux ecclésiastiques, monopole de l'enseignement, etc. Il fallait au moins donner des gages à ces obstinés et leur témoigner des sentiments rassurants. 200,000 francs furent affectés aux traitements des prêtres. L'interdiction de travailler les dimanches et les jours de fête, fort négligée « par suite des principes révolutionnaires que la réunion de la Belgique à la France y a propagés au mépris des lois (Ile d'Aix, Musée.) Carte d'état-major de la région de Braine-l'Alleud (« Braine La Leud ») et de la forêt de Soignes annotée de la main de Napoléon pendant les opérations militaires se déroulant autour de Waterloo. Au-dessus de l'emplacement de Rhode (Saint-Genèse), un trait horizontal et la mention autographe : 1" ligne; un second trait, double, un peu au-dessous de l'emplacement de Alont-Saint-Jean. — Deux cartes d'état-major annotées par l'empereur ont été laissées par lui à l'île d'Aix (Charente-Inférieure, dans le golfe de Gascogne) où Napoléon passa la dernière nuit avant sa déportation à Sainte-Hélène. Ces cartes appartiennent au baron Gourgaud et sont exposées au musée de l'Ile d'Aix. divines, ecclésiastiques et civiles » rentra strictement en vigueur. Et quelques jours plus tard, le gouvernement, pour être agréable aux catholiques, leur imposait de se munir, avant le mariage civil, d'un certificat de leur curé, et rétablissait, dans les serments en justice, l'invocation de la divinité. CREATION DU ROYAUME DES PAYS-BAS. -Cependant, le Congrès de Vienne délibérait et la Prusse restait accrochée à la ligne de la Meuse. Sans se préoccuper de se mettre d'accord avec les théories linguistiques qui, à partir de cette époque, commencent à servir de prétexte aux ambitions allemandes (41), elle se montrait décidée à englober dans ses frontières les territoires wallons de la rive droite du fleuve et revendiquait obstinément le Luxembourg. Elle était une voisine insupportable, rogue, hargneuse et habile à faire naître d'irritants incidents de frontières. Pour s'en débarrasser, il fallut bien consentir, sur les conseils impératifs de l'Angleterre, à de nouveaux sacrifices. Moyennant l'abandon de ses Etats héréditaires de Nassau, Guillaume obtint enfin la cession de l'ancien duché de Luxembourg. Il dut consentir toutefois à l'en- trée de celui-ci dans la Confédération germanique, dont les troupes furent chargées de tenir garnison à Luxembourg même. A ce prix, les Prussiens consentirent à évacuer la ligne de la Meuse. Encore fallut-il leur céder, en compensation des prétentions qu'ils élevaient sur Rolduc, les territoires d'Eupen, de Malmédy et Saint-Vith. Mais enfin le but essentiel était atteint. Dans son ensemble, le bloc des neuf départements réunis était assigné au royaume des Pays-Bas. La fusion du pays de Liège avec la Belgique, telle que l'avait consacrée l'organisation départementale en 1795, restait acquise. En dépit des convoitises prussiennes, le sol belge demeurait, à bien peu de chose près, ce qu'il était depuis la paix d'Utrecht. L'emprise de la Confédération germanique sur le Luxembourg ne pouvait, en aucun cas, influer sur l'unité de l'Etat. A ce point de vue, elle n'était et elle ne fut jusqu'en 1830 qu'une satisfaction théorique accordée à l'Allemagne. Si le Congrès de Vienne s'y rallia, c'est qu'elle augmentait, en intéressant celle-ci à la défense d'une forteresse de premier ordre, la solidité de la barrière élevée contre la France. Leur libération suscita parmi les populations d'outre-Meuse, une joie dont Guillaume ne manqua pas de profiter. Elles avaient été traitées en pays ennemis, soumises au recrutement, obligées de porter la cocarde prussienne, excédées de la brutalité et de l'arrogance des occupants. Leur vœu le plus cher s'accomplissait par leur union à leurs anciens compatriotes, et la décision de Vienne fut saluée par elles comme un bienfait. GUILLAUME, ROI DES PAYS-BAS. - Brusquement, le débarquement de Napoléon Ier sur la côte de Provence le 1er mars 1815, remettait tout en question. Dans cette nouvelle péripétie, Guillaume agit avec autant d'adresse que de résolution. Sans attendre la promulgation de l'acte définitif du Congrès de Vienne, qui n'eut lieu que le 9 juin, il prenait à La Haye, le 16 mars, le titre de roi des Pays-Bas. Si son impatience mettait l'Europe devant le fait accompli, elle ne faisait que devancer la décision déjà prise et personne ne pouvait en prendre ombrage. Au contraire, en agissant comme il le faisait, le prince se compromettait irrémédiablement aux yeux de l'ex-empe-reur et en brusquant ses alliés, il affirmait du même coup l'indissolubilité de sa cause avec la leur. Certes, il était bien aise de profiter de la crise qui s'ouvrait, pour échapper à l'ennui de devoir longuement préparer et discuter les formalités de son couronnement. Et il y trouvait encore l'avantage de n'avoir point à recevoir à Bruxelles une couronne que Napoléon lui fournissait un excellent prétexte de ceindre à La Haye en même temps que son épée. Un esprit aussi réfléchi que le sien ne se fit sans doute aucune illusion sur le dénouement du dernier épisode de l'épopée napoléonienne. Il ne pouvait se dissimuler que la victoire était aussi certaine que la guerre et qu'il était plus certain encore que les Pays-Bas seraient le théâtre de l'une et de l'autre. Déjà les Anglais débarquaient à Ostende et les armées prussiennes se pressaient de nouveau vers la Meuse tandis que derrière elles s'ébranlaient les masses de l'Autriche et de la Russie. La catastrophe de l'empereur se ferait peut-être chèrement payer, mais elle était inévitable. Et elle serait, à coup sûr, d'autant plus lucrative qu'elle aurait coûté davantage. Car cette fois ce n'était plus à Napoléon seul qu'on allait s'en prendre, mais à la France elle-même dont la volte-face était un défi jeté à l'Europe. Il fallait s'attendre à ce qu'on lui imposât de fructueuses rectifications de frontières, occasion inespérée de renforcer la barrière qui, à peine établie, allait être soumise à une si rude épreuve. Le gouvernement laissait des brochures réclamer l'annexion aux Pays-Bas de toutes les forteresses françaises de première ligne entre Calais et le Rhin. Louis XVIII venait de se réfugier à Gand. On remarqua que Guillaume affecta de ne pas le voir, et cette réserve ne fut sans doute qu'un moyen d'échapper à des conversations qui eussent pu être embarrassantes. Aucune agitation cependant ne se manifestait dans le pays. Le « vol de l'aigle » n'y avait provoqué que de l'inquiétude. Après tant de bouleversements, on était trop las pour aspirer à quoi que ce soit qui ne fût pas le repos. Vainement, quelques impérialistes cherchaient à discréditer Guillaume auprès des « libéraux » en exploitant contre lui ses récentes concessions à l'Eglise. Un pamphlet Le cri de l'oppression recommandait aux Belges de se « jeter dans les bras de la France » puisque « le Congrès de Vienne n'a pas encore disposé de nous ». Le 14 mars, le duc d'Ursel écrivait à Falck que les troupes belges étaient « animées d'un mauvais esprit », que les jeunes gens ayant servi sous les drapeaux de l'empereur avaient été « ensorcelés » par lui, et que si Napoléon mettait le pied sur le territoire, « il aurait bientôt employé à son profit les ressources qui doivent nous servir à l'écarter» (42). Ces craintes ne devaient pas se réaliser. Aucune émotion ne se manifesta quand l'armée française franchit la frontière (15 juin). A Waterloo, les soldats belges firent leur devoir. Ils combattirent aussi bravement sous les ordres de Wellington qu'ils l'avaient fait sous ceux de Napoléon (43). Mais on ne peut s'étonner que la victoire n'ait pas causé dans le pays le moindre enthousiasme. Pour les Belges, en effet, ce qu'elle avait tranché, ce n'était pas la question de leur indépendance, mais celle de leur annexion. Sans doute, ils avaient été excédés du despotisme impérial. Mais que leur réservait l'avenir ? Courbés jadis sous la volonté de Napoléon, ils l'étaient maintenant sous la volonté de l'Europe. Les Puissances avaient disposé d'eux en vertu du droit de conquête. Il leur semblait, et il devait leur sembler, qu'en passant sous le pouvoir de Guillaume, ils n'avaient fâit que changer de domination. Seuls les gens en place faisaient éclater, comme ils l'avaient fait si souvent aux jours glorieux de l'Empire, une joie de commande. Ils assistèrent aux Te Deum après Waterloo comme ils y avaient assisté après Austerlitz. Pour le public, il n'y avait de possible qu'une seule attitude, celle du recueillement dans l'attente. La deuxième paix de Paris (20 novembre 1815) ne répondit pas aux espérances de Guillaume. Il en avait attendu un nouvel « accroissement » et tout au moins l'adjonction à son royaume de Charlemont, de Givet, de Condé, de Valenciennes, du Quesnoy et de Maubeuge. Il dut se contenter d'être mis à la portion congrue. L'Europe, à qui il devait tout, ne le voulait pas trop puissant. Le rôle qu'elle lui avait assigné était d'être utile sans pouvoir être dangereux. La prétention de cet ancien Stadhouder à passer pour un prince de droit divin, agaçait les monarques au rang desquels il voulait se hausser. Force lui fut d'accepter ce qu'on lui offrit. Les vainqueurs, plus sévères envers la France qu'ils ne l'avaient été l'année précédente, la ramenaient cette fois à ses limites de 1789. Elle dut céder Phi-lippeville, Mariembourg et Bouillon qui furent adjoints au royaume des Pays-Bas, avec quelques villages jadis détachés du Hainaut et entré dans le département du Nord. Désormais, la frontière franco-belge ne devait plus subir de remaniements. Elle est restée jusqu'aujourd'hui conforme au tracé qu'elle reçut alors. Des conventions ultérieures réglèrent en 1816 quelques questions litigieuses. La maison de La Tour d'Auvergne renonça, moyennant une indemnité, aux droits qu'elle revendiquait sur le duché de Bouillon. Des traités passés avec la Prusse (26 juin et 7 octobre) précisèrent, de son côté, les délimitations réservées par le Congrès de Vienne. L'impossibilité de se mettre d'accord sur la possession des mines de zinc de la Vieille-Montagne, fit remettre à plus tard une solution. En attendant, Moresnet fut laissé dans l'indivision et jouit en fait d'une sorte de neutralité qui devait se prolonger jusqu'au jour de son attribution à la Belgique par le traité de Versailles en 1919. Le royaume des Pays-Bas constitué par l'Europe en devenait une pièce essentielle, et son intégrité, liée au système général de l'équilibre politique, devait être garantie à jamais. De l'indemnité de guerre payée par la France, soixante millions furent affectés à la construction des forteresses qui allaient constituer cette barrière dont l'érection était la raison d'être du nouvel Etat. Le duc de Wellington en inspira le plan général et en surveilla l'exécution. La double préoccupation de parer à une agression française et de garantir, en cas de guerre, les communications avec la Grande-Bretagne, décida du choix des places. Sur la côte, Ostende et Nieuport; sur la ligne de l'Escaut, Anvers, Termonde, Gand, Aude-narde et Tournai; sur celle de la Meuse, Liège, Huy, Namur et Dinant; le long de la frontière, Ypres, Me-nin, Ath, Mons, Charleroi, Philippeville, Mariembourg, s'appuyant vers l'est aux formidables bastions de Luxembourg, constituèrent un système de défense qui dût paraître impénétrable dans sa surabondance. La Belgique, qui avait été jusqu'alors le champ de bataille de l'Europe, en devenait le camp retranché. Mais la sollicitude que les Puissances manifestaient à ^r^jVr^r.ir r,/ Jr'at/r .fs-rr. ffiSrf/' effejrafty, r /fîi ntyerj /> n.f ./,.,- ./r rn n. nr^fit (La Haye, Archives Générales du Royaume, Archives du ministère des Affaires étrangères, 782 n» 17.) Cachets et signatures des plénipotentiaires hollandais et autrichiens au bas de l'acte d'accession des Pays-Bas au traité d'alliance générale du 25 mars précédent (Vienne, 25 avril 1815). Exemplaire remis au gouvernement néerlandais. Cachets et signatures du baron de Spaen et du baron de Gagern, au nom du roi des Pays-Bas; du prince de Metternich et du baron de Wessenberg, au nom de l'empereur d'Autriche. son égard était naturellement intéressée. Les Pays-Bas, disait Gourieff, sont « la clef de l'Europe » (44). Leur roi était donc le portier, et de là à s'arroger le droit de su-veiller sa conduite, il n'y avait qu'un pas. Il dut accepter une sorte de tutelle militaire. On lui fit sentir qu'il n'était pas seul maître chez lui et que, si ses alliés le protégeaient, ils entendaient aussi qu'il se conformât à leurs « conseils ». L'Angleterre, l'Autriche, la Russie et la Prusse s'engageaient à garantir l'existence du royaume, mais il fallait, en revanche, que Guillaume s'obligeât à en organiser la défense conformément à leurs vues. Le 15 novembre 1818, la « convention des forteresses » lui « recommandait » de faire occuper en cas de casus foederis, les forteresses d'Ostende, d'Ypres, de Nieuport et de l'Escaut par les troupes de Sa Majesté britannique, les autres par les troupes de Sa Majesté prussienne. Si désagréablement qu'il ressentît cette mainmise, Guillaume ne pouvait y échapper. Du moins voulut-il, en se plaçant sous l'égide de l'Angleterre, parer à ce qu'une immixtion collective dans ses affaires pouvait avoir de trop déplaisant. La reconnaissance eut sa part aussi dans une déférence qui ressembla parfois de bien près à celle d'un client. Le duc de Wellington fut créé prince de Waterloo et une rente perpétuelle, que la Belgique paye encore, fut constituée sur la forêt de Soignes, en faveur de sa maison. L'affectation de se régler en tout sur les désirs de la cour de Londres alla si loin que le public s'en aperçut et s'en amusa. «Voilà le roi qui va faire visite à notre préfet », disaient les Bruxellois quand ils voyaient le carrosse de Guillaume se diriger vers l'Ambassade d'Angleterre (45). Ce n'est pas seulement d'une hypothèque militaire, mais aussi d'une hypothèque politique qu'était grevé le royaume. En acceptant les huit articles, au mois de juillet 1814, Guillaume s'était imposé l'obligation de constituer l'Etat suivant les vues de ses alliés. Par considération pour eux, il avait à l'avance limité l'exercice de ses droits souverains. Et peut-être n'attachait-il tant de prix à s'intituler roi par la grâce de Dieu que pour dissimuler qu'il ne l'était que par la grâce de l'Europe. te ' fa //..t. //C 't .fa-rt* rsntjf/f* Ors 7 t'jfnJj e/a fte une ^itùr/e 'vrrot'r// '*ri s 'r>* /r/n/f IV |. ' ^ift/r/ff r/ r û /t'^r/./u /! t Vf y -/1 a* <£ a. yto t S /* . t s ■ . sa qJ/ï'crnçouJ iJr A-'i , _____________ —y U/ut) '£ ««.wirnavO <"'<■ An-mi* L tfl***y»- '- fH/ Ji J .. JL d. — /• Oj ^tMui^J kljs+72.I -tertyS/f- —_ T e,. c /• y 1 _„■ K,/^, * t—r1..- ynt>u~* « y • / / O a/u. h^ U 7. 3. / ( * <1 /m, ■ . t fi, 'à / ■'t' /.>. y- fi fra/'ior.* - t « .fc'yil /. Sé j ■ 1 ''Jt-** t- V /•'v / « .«4. (/) Cm C/rtAUi. y 0 Ç) ■ f C%?rL**U ruuS y JC/U^ V A y (Mariemont-Bascoup, direction du charbonnage. En dépôt chez M. Y. Orban à La Hestre.) Extraits des procès-verbaux des séances du conseil d'administration des charbonnages de Mariemont-Bascoup pendant les journées de juin 1815 avec indication des présences au fond de la mine. Le montant des recettes a fortement diminué entre le 11 et le 24 juin 1815, contre-coup inévitable des événements dont la région de Mariemont était le théâtre. Mais ces événements ne semblent pas avoir désorganisé le travail des mineurs : le 16 juin se terminait le « montement » au puits Saint-François; le 17, on travaillait normalement dans la mine. D'autre part, le nombre d'ouvriers présents ne subit que quelques modifications entre le 27 mai et le 24 juin. Par exemple, le nombre de journées de travail dans le puits Saint-Nicolas entre le 11 et le 17 juin accuse même une augmentation de quatre unités sur la période du 4 au 10. Par contre, pour la même période, on enregistre un léger fléchissement dans le puits Saint-François. Le chiffre de la première colonne indique en sous le salaire journalier de chaque catégorie d'ouvriers : 10 sous pour un aide gaillette et pour un ouvrier, 8 sous pour un pas (= ouvrier travaillant sur le pas, c'est-à-dire à l'endroit se trouvant aux abords immédiats des puits, ou arrive le charbon remontant du fond), un chargeur et un mineur, 7 sous pour une autre catégorie de mineurs et de chargeurs. Dans le puits Saint-François, certains chargeurs gagnent 10 sous. même hostilité contre la puissance du souverain. Les démocrates souhaitaient un gouvernement parlementaire. Les conservateurs, par la voix des vicaires généraux de Gand, demandaient au Congrès de Vienne l'autorisation de réunir les notables du pays « en Etats, suivant la forme qui serait jugée la plus convenable et autant que possible analogue à l'ancienne Constitution des peuples belges, afin de traiter ensemble de leurs plus chers intérêts ». Et ils proposaient que cette assemblée conclût avec le prince un pacte solennel qui eût pour principal objet le maintien inviolable de la religion catholique apostolique et romaine et de tous les avantages dont elle avait constamment joui avant l'invasion des Français (5). Partisans et adversaires de la Révolution arrivaient donc par des voies différentes au même but : la subordination du pouvoir à leurs desseins. Leur agitation exaspérait les Anglais. Lord Castlereagh appelait les Belges « an irascible people », et lord Clancarty les taxait dédaigneusement de « peuple vain et futile toujours disposé à trouver tout mauvais » (6). Pourtant, il fallait bien tenir compte de leurs dispositions. S'il ne pouvait être question de leur conférer une autonomie qui eût sans doute déchaîné parmi eux les passions politiques et eussent livré l'Etat à la compétition des partis, on ne pouvait pas non plus leur imposer brutalement un roi contre lequel tous aussitôt eussent uni leurs rancunes. La prudence exigeait de prendre des mesures qui leur donnassent l'assurance que le souverain, placé au-dessus des peuples et des partis, ne gouvernerait qu'en vue du bien commun et, de même qu'il ne sacrifierait pas les Belges aux Hollandais, ne favoriserait pas les protestants au détriment des catholiques. On crut avoir résolu le problème en subordonnant la constitution du royaume aux principes inscrits dans les huit articles. Un silence prudent fut gardé à leur sujet. Il eût été déplorable de les discréditer à l'avance en les livrant aux discussions du public. Il ne devait en être question que le jour où l'existence du royaume étant enfin proclamée à la face de l'Europe, le moment serait venu de régler l'exercice du gouvernement. Ce moment, on l'a vu, fut hâté par Napoléon. Dès le 16 mars, dans le manifeste même où il annonçait à ses sujets qu'il prenait la couronne, Guillaume déclarait que la « Loi fondamentale » de la Hollande allait subir « les modifications qui doivent la mettre en harmonie avec les intérêts et les vœux de (Huldenberg, collection comte Thierry de Limbourg Stirum.) (Cliché Bureau d'iconographie de l'Association de la Noblesse de Belgique.) François-Joseph-Michel comte de Thienne, de Leyenburg et de Rumbeke (Gand, 1777-1855). Sous le régime hollandais, il fut nommé membre des Etats provinciaux de la Flandre orientale (1823-1829) et chambellan à clé (1824). 11 fit également partie du conseil communal de Gand (1826-1830) et se retira de la vie politique après la révolution de 1830. — Portrait peint par Adolphe Dillens (Gand, 1821-BruxeIles, 1877). tous» (7). Le même jour, il affirmait d'ailleurs aux Etats - Généraux que ces modifications ne pouvaient « regarder les principes salutaires sur lesquels elle est basée et auxquels nos compatriotes mettent, à juste titre, un si haut prix» (8). Les préoccupations du moment empêchèrent les Belges d'observer que parler ainsi c'était supposer un consentement qu'ils n'avaient pas donné. Mais l'attention était concentrée sur la France et l'imminence d'une nouvelle invasion. On ne remarqua pas non plus que la nation n'avait pas été consultée sur le choix des membres de la commission chargée de la revision constitutionnelle (22 avril). Tous avaient été désignés par le roi, et comme elle comprenait autant de Belges que de Hollandais, on pouvait tenir pour assuré qu'elle n'altérerait en rien d'essentiel une législation dont le souverian avait à l'avance proclamé l'excellence. LA LOI FONDAMENTALE. — En acceptant au mois de décembre 1813 la souveraineté des Provinces-Unies, Guillaume avait promis de l'exercer suivant une «sage constitution» (wijze Constitutie). Quelques jours après (21 décembre), une commission formée de nobles et d'anciens régents avait été chargée de rédiger un projet. Soumis à l'avis de six cents notables et approuvé par eux, ce projet était ratifié et promulgué par le prince sous le nom de Loi fondamentale (Grondwet), terme moins compromettant parce que moins révolutionnaire que celui de constitution. Après avoir passé successivement par la République batave, le royaume de Louis Napoléon et enfin l'Empire français, la nation hollandaise se trouvait trop profondément transformée pour qu'un retour au passé y fût, non pas même possible, mais concevable. Personne ne songea à une restauration qui eût remis en présence et en conflit le Stadhouder et l'aristocratie des régents, et soumis le peuple à une organisation sociale périmée, que les réformes des derniers temps avaient définitivement détruite. Si conservateur que l'on fût, il fallait bien reconnaître que « l'ancien est maintenant entièrement oublié en politique comme en toute autre chose, et que l'on ne marche plus que dans les souliers de Napoléon » (9). Quelques-uns se demandèrent même, comme van Maanen, si le meilleur parti n'eût pas été de ne rien changer et de conserver simplement, sous le nouveau prince, le système napoléonien. En réalité, on en conserva le plus possible. Ainsi que la charte de Louis XVIII en France, la Loi fondamentale hollandaise se présente comme une conciliation ou plutôt comme une adaptation des institutions du nouveau régime avec les traditions du passé (10). Elle est antirévolutionnaire, en ce sens qu'elle substitue la monarchie à la souveraineté du peuple, mais de l'œuvre napoléonienne, elle respecte tout l'essentiel : l'égalité civile, la communauté des droits et des devoirs, l'abolition des privilèges héréditaires et surtout la puissance conférée au chef de l'Etat. Le prince est, à vrai dire, un empereur au petit pied. Tous les pouvoirs essentiels, il les possède. En face de lui, l'assemblée nationale, à laquelle on a conservé le vieux nom historique d'Etats-Généraux, privée d'initiative et ne votant annuellement que le budget des dépenses extraordinaires, n'a guère plus d'influence que le Corps législatif de Napoléon. Aucune trace de régime parlementaire. Les ministres, choisis par le prince et responsables devant lui seul, ne sont que de simples commis. L'unique Chambre dont se composent les Etats-Généraux ne délibère pas en public et n'est en réalité qu'un intermédiaire entre le pays légal et la couronne, sans qu'elle puisse exercer d'action sur le gouvernement. Ce n'est pas un régime constitutionnel, c'est un pur régime monarchique qu'instaure cette constitution. Comme dans l'Empire français, l'administration tout entière dépend du souverain. En revanche, et en cela apparaît la tradition nationale, les provinces jouissent d'une autonomie assez large : elles sont dirigées par des Etats-Provinciaux qui désignent leurs représentants aux Etats-Généraux. Tout est soigneusement combiné d'ailleurs pour soumettre ces assemblées à la classe possédante. Par elles, les censitaires sont, dans une certaine mesure, appelés sinon à partager le pouvoir, du moins à collaborer avec lui. S'ils abandonnent beaucoup au prince, en revanche le prince est le garant de leur prépondérance sociale. Dans cette loi fondamentale faite pour le descendant de ces stadhouders qui si souvent, contre les régences aristocratiques, se sont appuyés sur le peuple, on ne découvre pas le moindre soupçon de démocratie. Evidemment, ce qu'attendent du prince les bourgeois qui l'ont appelé, c'est avant tout le rétablissement de l'ordre, le retour de la prospérité commerciale, la renaissance des affaires, et s'ils se rangent sous son sceptre, c'est qu'il leur apparaît sous la forme d'un caducée. Ils lui font confiance parce qu'il renoue le présent au passé tant par les traditions historiques de sa maison que par la religion qu'il professe. En reconnaissant le prince d'Orange comme souverain héréditaire et le protestantisme comme religion de l'Etat, la Loi fondamentale rattache directement la nouvelle monarchie à l'ancienne République des Provinces-Unies. REVISION DE LA LOI FONDAMENTALE. - En somme, elle s'adaptait très exactement au caractère et aux circonstances sociales et politiques de la Hollande. Quant au prince, dont elle comblait les désirs, il s'en montrait enchanté. Mais les Belges auxquels il dut la soumettre après s'être proclamé leur roi, montrèrent moins d'enthousiasme. Les membres qui les représentaient dans la Commission de revision, nommée le 22 avril 1815, appartenaient tous soit à la noblesse, soit à la haute bourgeoisie. Mais Guillaume avait eu soin de les choisir de manière qu'ils en représentassent les diverses tendances politiques. On rencontrait parmi eux un partisan obstiné de l'Ancien Régime, J.-J. Raepsaet, un prélat de tendances joséphites, le comte François de Méan ci-devant prince-évêque de Liège, des conservateurs catholiques, comme le comte Charles de Mérode, le comte de Thiennes et F. Dubois, puis des personnages soit penchant vers les réformes modernes comme le comte d'Arschot, soit tout à fait ralliés à elles comme les anciens préfets de Coninck et Holvoet ou comme les juristes Gendebien, Leclercq et Dotrenge. Ils se réunirent à La Haye à leurs onze collègues hollandais le 1er mai 1815. Ils eussent eu sans doute bien de la peine à s'entendre avec eux si, dès la première séance, le président ne leur avait exhibé le texte des huit articles (11). Devant cette arche sainte, renfermant la volonté de l'Europe, il n'y avait qu'à s'incliner. Elle coupait court aux débats qu'eût infailliblement provoqués la question religieuse. Pour les catholiques, il n'était plus question de réclamer, comme ils n'eussent pas manqué de le faire, la reconnaissance exclusive de leur religion, puisqu'elle assurait protection à tous les cultes. Il fallut bien accepter aussi le partage égal des dettes : 589 millions de florins pour la Hollande contre 27 millions pour la Belgique. Mais la lutte s'engagea sur tous les points où la discussion était possible. Malgré la divergence de leurs conceptions politiques, tous les Belges étaient d'accord pour réclamer, en faveur de leur patrie, une égalité complète avec la Hollande. Que fallait-il entendre par la représentation « convenable » qui leur était promise aux Etats-Généraux ? Ce « convenable » devait signifier sans doute qu'elle serait proportionnelle à la population. Mais c'eût été donner au Midi, qui comptait plus de trois millions d'habitants, une écrasante prépondérance sur le Nord qui n'en renfermait guère que deux millions. Après des débats orageux, on s'entendit enfin pour donner à chaque partie du royaume la même représentation aux Etats. Des 110 membres de l'assemblée, 55 seraient députés par la Hollande, 55 par la Belgique. Du coup l'égalité était rompue par celle-là au détriment de celle-ci et 1' « amalgame » des deux pays paraissait à l'avance bien problématique. A mesure que la discussion se prolongeait, l'opposition se révélait de plus en plus frappante entre les commissaires. Evidemment, sur les questions fondamentales, ils ne s'entendaient pas. On ne pouvait demander aux Belges de partager la confiance et l'attachement que les Hollandais professaient pour le roi. Il leur était inconnu et sa qualité d'étranger avivait encore la répugnance qu'ils nourrissaient tous à l'égard du pouvoir central. Conservateurs et libéraux s'accordaient en ceci que la nation devait l'emporter sur le prince. Si les uns regrettaient les anciens Etats dont les privilèges s'étaient jadis opposés à l'absolutisme de Joseph II, les autres, comme les libéraux français, avaient pour idéal politique un gouvernement parlementaire à l'anglaise, et leurs collègues hollandais leur reprochaient leur goût pour les « théories » et s'indignaient de les voir imbus « d'idées françaises» et pour tout dire «démocratiques» (12). Ils allaient jusqu'à se considérer comme les « mandataires » du peuple et il fallut leur rappeler qu'ils n'étaient que ceux du roi. Dépités d'être pris pour de simples enregistreurs d'une constitution faite sans eux, ils disaient qu'il ne fallait pas les convoquer si on ne voulait pas les laisser parler. Ils s'obstinaient à réclamer deux Chambres au lieu d'une seule, à exiger la publicité des débats parle- (Bruxelles, Hôtel de Ville.) (Cliché Bijtebier.) La main de Guillaume Ier posée sur le texte de la « Grondwet ». Détail du portrait du roi peint en 1818 par Joseph Paelinck (Oostakker, 1781-Bruxelles, 1839). Ce portrait est reproduit ci-dessous, p. 427. GRONDWET VOOR DIT K O N I N G R IJ K NEDERLANDEN. in 'Kiuimnt, i » i j. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté III, 7126, A.) Page de titre de l'édition imprimée de la « Grondwet ». Editée à La Haye en 1815. mentaires, la responsabilité des ministres, le vote annuel des budgets, bref, à vouloir soumettre le roi au parlement. On leur fit quelques concessions sans importance. Ils obtinrent la division des Etats-Généraux en deux Chambres dont la seconde délibérerait en public, et le budget fut réparti de telle sorte que les dépenses permanentes seraient consenties tous les dix ans et les dépenses courantes chaque année. Pour le reste, la Loi fondamentale ne subit d'autres modifications que celles que lui imposaient les huit articles et que rendait indispensable l'adjonction de la Belgique à la Hollande. Elle s'élargit sans se transformer. L'égalité des cultes, l'admissibilité de tous aux emplois, la communauté financière et la communauté économique ne pouvaient altérer son caractère essentiellement monarchique. Elle devait donc apparaître aux Belges, et elle leur apparut ce qu'elle était, en effet, une constitution faite pour mettre à l'abri de leurs atteintes le pouvoir du souverain hollandais qui leur était imposé par l'Europe. Pour consentir au roi la prépondérance écrasante qu'il exerçait dans l'Etat, ils auraient dû professer à son égard la même confiance que leurs compatriotes du Nord et, comme eux, lui remettre le soin de leurs destinées. LA LOI FONDAMENTALE REVISEE. - Telle qu'elle sortit, le 13 juillet 1815, des délibérations des commissaires, la nouvelle Loi fondamentale établissait comme l'ancienne « un gouvernement monarchique tempéré par une constitution ». Le roi devait dire plus tard qu'il y avait « restreint de son propre mouvement les droits de sa maison» (13). Il considérait donc ces droits comme illimités. A aucun égard il n'admettait qu'il les tînt de la nation. Il consentait seulement à modérer son absolutisme en associant les Etats-Généraux à son pouvoir. Et cette association, très limitée en théorie, l'était encore beaucoup plus en pratique car, en fait, la représentation nationale était directement soumise à l'influence du souverain. Non seulement il nommait lui-même les membres de la première Chambre, mais il pouvait encore intervenir de la façon la plus efficace dans le recrutement de ceux de la seconde Chambre élue par les Etats-Pro-vinciaux et par suite soumise à la pression des gouverneurs. Ajoutez à cela que les règlements électoraux fixant le mode d'élection des députés aux Etats des provinces sont soumis à l'approbation du roi et qu'il nomme lui-même tous les membres de « l'ordre équestre » auquel appartient la nomination du tiers de ces députés. De plus, une partie importante de la législation lui est réservée exclusivement. Toute l'instruction publique ne relève que de lui. Quant aux garanties accordées par la constitution, plusieurs d'entre elles sont provisoirement suspendues. L'inamovibilité de la magistrature doit être réglée par une loi, mais cette loi ne sera promulguée qu'en 1830; la liberté de la presse est réglementée par un arrêté pris en 1815 et qui, en fait, la supprime. Enfin, une « addition » décide que toutes les lois resteront en vigueur aussi longtemps qu'elles n'auront pas été abrogées, et comme l'initiative des lois Aen de Heeren "Nolabclen van bot Arts-Bisdom van Meclielen, die gckosen zyn om hunne stemme le uylten over het verwerp ofto acnnemiug van bel project der nieuwc consùlutic. Mjmlieeren ! Ingevolge de pastoreMc instructif van den hoogweérdigsten Heere Bisschop van Gcnd, en zonderlinga ingevolge der au• thoriteyten van de Souvereyne Pausen Pius VI en Plus Vil, die door den agtbaeren Freluet worden bygebragt, het moet Ut blykclyk wtzen aat het project van de nieuwc constituée artikels behelst die tee-netnael tegenstrydig zyn aen onze II. Hé ligie, en dat diensvotgnne het getncldpro ject van constitutie van nicmand, die goed Catholiek is, mag aengenomen worden IVy zyn dan gehouuen van Ul. te vcrpbgten (en vtee aen onst zoo wy onze pliai i • • • ut. nés ) ; wy ~ . n'let en kweeten, g*lyk ook wee a en tfl. zoo gy oils niet aenzag als de zin • tuygen van <10 cathahmlcf! lie ligie, die. « aenaringt om UVje stemme te geven voor haert behoude-zyn dan gehouden, zeggen wy door het enkelyk en eenvou delyk af-tO'Wyzen. Het welke de goed heyd van S. Al. on zen Koning Ui toestaet van te doen , met u te verkiezen om te stemmen over het verwerp of atnnemingc van het gemeldproject t en met aen de La-thoheke Kerke haeren staet en. haere vry-heden te verzekeren. Wy hebben d'eere te zyn met eene op-regte agting. Mcchelen, den 7 augusti 1815. J. FORGEUR, vic.-gen. Door bevel. J.-B. Van Vheckem , 6ecref. A Messieurs les Notables du Diocèse de Malines choisis pour voter le rejet ou l'acceptation de la nouvelle constitution. Messieurs ! D'aprùs l'instruction pastorale do Mgr. l'Evoque de Gand, et sur tout d'aprùs les autorités des Souverains Pontifes Pic VI et Pie VII qu'allègue ce respectable Prélat, il doit vous conster que le projet do la nouvelle constitution contient des articles tout-à-fait contraires ù notro Sto.-Religion, et que par conséquent il ne peut ûtre accepté par aucun bon Catholique. Il est donc do notro devoir do vous obliger(et malheur i\ nous, si nous ne nous en acquitterions pas; comme aussi malheur à vous, si vous ne nous regarderiez pas pour les organes do la Religion Catholique, qui vous presse d'émettre votre voeu pour sa céifservatton ) ; il est dor\o, disons nous, de notro devoir de vous obliger, comme nous vous obligeons par les présentes, do rejetter co projet purement et simplement. C'est co que la bonté do S. M. notre Roi vous permet do faire , en vous choisissant pour voter lo rejet ou l'acceptation dudit projet, Ci en assurant ù l'Eglise Catholique son état et ses .libertés. Nous avons l'honneur d'ôtre^avec une parfaite considération. Malines , lo 7 août iffif. FORGEUR* vic.-gén. Par Mandement. J,'J3. Vis Fxxckmm, seenft. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, plaquette cotée IV, 154, A, 43.) « Le 2 août, le plus bouillant d'entre eux, Monseigneur de Broglie, évêque de Gand, lançait une « instruction pastorale » déclarant que les catholiques ne pouvaient en conscience approuver la Loi fondamentale. » (Voyez le texte, p. 426.) Mandement adressé à Messieurs les Notables du Diocèse de Malines choisis pour voter le rejet ou l'acceptation de la nouvelle constitution par le vicaire-général Forgeur (7 août 1815), en français et en flamand. Forgeur Invoque la lettre pastorale de l'évêque de Gand et l'autorité des papes Pie VI et Pie VII pour obliger les députés de son diocèse à « rejetter (sic) ce projet purement et simplement. C'est ce que la bonté de S.M. notre Roi vous permet de faire, en vous choisissant pour voter le rejet ou l'acceptation dudit projet, et en assurant à l'Eglise Catholique son état et ses libertés ». (Musée de Mariemont.) Dimensions des pièces : hauteur du coquetier = 5,7 cm. ; diamètre de la soucoupe = 13 cm. ; hauteur de la tasse — 6,4 cm. ; diamètre de la tasse = 6 cm. PIECES DU SERVICE DE TABLE DE GUILLAUME I", ROI DES PAYS-BAS. PORCELAINE DE TOURNAI. n'appartient qu'au roi, il dépend donc de lui de décider de leur maintien. Bref, à l'envisager dans la réalité, la Loi fondamentale est en somme une constitution absolutiste, mais dans laquelle l'absolutisme est entouré de précautions contre l'arbitraire (14). Le pouvoir royal y est pourvu d'une force qui lui permettra d'opérer 1' « amalgame » exigé par les puissances. Par une contradiction assez singulière et qui dévoile le caractère hétérogène de cet Etat que l'on prétend unifier, le souverain cependant est tenu de se faire inaugurer à Amsterdam et dans une ville des provinces méridionales, et de se transporter d'année en année avec la Cour, les ministères et les Chambres, de Bruxelles à La Haye, rappelant sans cesse aux Belges et aux Hollandais, par ce déménagement périodique, la dualité du royaume et la différence de leurs nations. Quant aux Puissances, elles n'accueillirent qu'avec une désillusion très marquée cette constitution dont il leur fallut bien se contenter. Pour les Anglais, elle était trop peu parlementaire et trop hollandaise. Au gré des souverains absolus, elle n'accentuait pas suffisamment le pouvoir monarchique. L'Autrichien Binder l'appelle « la plus mauvaise constitution qu'on ait jamais fabriquée dans aucun temps et dans aucun pays» (15). Le Hollandais van der Duyn y voit « un monstre moitié libéral, moitié féodal» (16). A l'exception du roi qui la considérait comme un «chef-d'œuvre» (17), elle ne satisfaisait personne, et le plus étonnant ce n'est pas qu'elle ait disparu en 1830, mais qu'elle ait pu durer jusqu'à cette date. AGITATION CONTRE LA LOI FONDAMENTALE. —■ L'attention du public était si absorbée par les (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté II, 38889, in-folio.) Le Lion néerlandais posant sa patte sur la « Grondwet ». Dessin original d'Innocent Ooubaud (Rome, vers 1780-Bruxelles, 1847) placé en tête de l'édition in-folio de la Loi fondamentale imprimée par A. Wakken et tirée à trente exemplaires (d'après une note d'E. Smits jointe au dessin). Ce dessin est joint à l'exemplaire n° 30 de la Grondwet der Koningrijk der Nederlanden (s.l. édit. A. Wahlen, 1825, folio). Si pourtant les commissaires belges finirent après de violents débats par accepter la Loi fondamentale, c'est qu'elle leur donnait satisfaction en un point essentiel. Elle choquait leurs idées politiques, mais elle s'accordait avec leurs idées sociales. En tant que propriétaires, notables et censitaires, elle les rassurait par son caractère antirévolutionnaire et antidémocratique. Ils se résignèrent à abandonner le gouvernement au pouvoir royal, parce qu'il apparaissait comme le protecteur de leur propriété ancienne ou récente, de leurs droits acquis, de leur prépondérance économique. Acheteurs de biens nationaux, nobles et bourgeois de vieille souche étaient assurés par elle de conserver leur situation. C'est à eux seuls, au surplus, qu'elle réservait le droit électoral et l'entrée aux Etats-Généraux. Si maigre qu'elle fût, la participation du pays au gouvernement leur appartenait tout entière. événements de France, au printemps de 1815, que la commission chargée de reviser la loi fondamentale délibéra au milieu d'une indifférence complète (18). Un mois après la bataille de Waterloo, le 18 juillet, on apprit que ses travaux étaient terminés, que le roi acceptait le projet, mais qu'il allait, avant de le sanctionner, le soumettre en Belgique à l'avis d'une assemblée de « notables ». C'est ainsi qu'il avait agi en Hollande en 1814, après la première rédaction de la Grondwet. En cela évidemment, il suivait l'exemple des plébiscites qui, en France, avaient accepté les constitutions du Consulat et de l'Empire. Mais au principe démocratique de ces plébiscites, il substituait le principe censitaire. Un petit groupe de notables serait censé représenter l'ensemble des citoyens; il n'était plus question de s'appuyer sur la souveraineté nationale, et l'acquiescement de la bourgeoisie suffirait. Encore ses (Gand, Musée archéologique.) (Cliché Bljtebler.) Fanions orange aux armes du royaume des Pays-Bas et uniforme de messager de la ville de Gand sous le régime hollandais. délégués devaient-ils être choisis, non par elle-même, mais par les « intendants » des départements, c'est-à-dire par les fonctionnaires du pouvoir qui demandait leur consentement. Toutes les précautions étaient prises pour que leur consultation ne fût qu'un simple simulacre. Pourtant le roi n'était pas sans éprouver quelques inquiétudes. Il se doutait bien que le principe constitutionnel de l'égalité de tous les cultes allait troubler la conscience des catholiques. Pour couper court aux protestations, il crut habile, en publiant le texte du « chef-d'œuvre » de la commission, d'y adjoindre celui des huit articles sur lequel il avait gardé jusqu'alors un silence si complet. Le 8 août, il faisait écrire au comte de Thiennes que les notables n'avaient pas à considérer, comme soumis à leur vote, les stipulations constitutionnelles relatives à la religion, puisqu'elles étaient la conséquence de son accord avec les Puissances (19). Cette habileté était une maladresse. Elle découvrait aux Belges qu'on les plaçait devant un fait accompli et que la soi-disant approbation qu'on leur demandait n'était qu'une vaine formalité. Ils se résigneraient sans doute à l'inévitable. Mais pouvait-on attendre qu'ils s'y résigneraient sans crier ? Comment leur clergé qu'un Napoléon n'avait pu terroriser, se serait-il empressé de complaire à un Guillaume d'Orange ? A peine la Loi fondamentale fut-elle connue, qu'une agitation formidable éclata. L'Eglise fit preuve d'une intransigeance et d'une âpreté d'autant plus grandes, qu'elle se crut trompée, après avoir reçu et des alliés et de Guillaume lui-même tant de promesses rassurantes. Ce n'était pas seulement les droits égaux accordés à la « vérité » et à 1' « erreur » qui l'exaspéraient. Elle ne pouvait supporter de voir la police des cultes exercée par un prince protestant, l'instruction tout entière placée entre ses mains, et enfin le divorce implicitement admis par la clause constitutionnelle qui laissait en vigueur toutes les lois existantes. Le 28 juillet, les évêques adressaient au roi des « représentations respectueuses » contre la violation du décret du 7 mars 1814, annonçant qu'elle compromettait la tranquillité publique et était un « sinistre augure pour l'avenir ». Le 2 août, le plus bouillant d'entre eux, Mgr de Broglie, évêque de Gand, lançait une « instruction pastorale » déclarant que les catholiques ne pouvaient en conscience approuver la Loi fondamentale. L'évêque de Tournai l'imitait huit jours plus tard, et l'évêque de Namur allait faire de même quand la police saisit son mandement chez l'imprimeur. Le mouvement était déclenché. Dans les campagnes, les curés se déchaînent et endoctrinent fougueusement les paysans. A Bruxelles, le comte de Robiano publie un manifeste récusant à l'avance le vote des notables vu qu'ils n'ont pas reçu mandat de la nation. Des placards menaçant de mort ceux qui accepteront la constitution, sont affichés sur les murs. A Courtrai, on chante une messe pour détourner du pays le malheur qui le menace. Les gardes bourgeoises s'agitent. Les femmes mêmes, écrit le comte de Thiennes, ne parlent que de la constitution. Et les partisans de la France, au milieu de cette exaspération, recommencent leurs manœuvres. Les anticléricaux de leur côté compromettent le roi par les attaques qu'ils lancent contre les prêtres. Le gouverneur militaire de Gand fait le plus grand mal en distribuant des pamphlets anticatholiques. Les agitateurs ont beau jeu quand ils prétendent que Guillaume veut imposer le protestantisme à la Belgique (20). REJET ET RATIFICATION DE LA LOI FONDAMENTALE. — C'est sous l'influence de cette fermentation que, du 14 au 18 août, votèrent les 1603 notables choisis par le roi. Ils avaient été désignés dans la proportion de 1 par 2000 habitants et presque personne n'avait réclamé de radiations. Le gouvernement pouvait s'attendre, les ayant lui-même triés sur le volet, à une majorité favorable. La surexcitation de l'opinion explique facilement le petit nombre des absents : il n'y en eut que 280. Des 1323 votes émis, 527 approuvèrent la constitution, 796 la rejetèrent. Contre toute attente, elle était repoussée à la majorité de 269 voix ! Pour peu que l'on envisage les votes, on se convainc qu'ils furent essentiellement déterminés par la question religieuse. Ce n'est pas pour ou contre la constitution qu'on se prononçait, mais pour ou contre l'Eglise. Dans toutes les régions où le peuple obéissait à son ascendant, les notables montrèrent à la Loi fondamentale la même hostilité qu'ils avaient jadis montrée aux droits de l'homme. A Verviers, à Luxembourg, à Neufchâteau, à Diekirch, il n'y eut pas un seul opposant. En revanche, Ypres et Anvers ne fournirent que des votes négatifs. En dépit de ses affinités linguistiques avec la Hollande, la partie flamande du pays se prononça dans sa très grande majorité LE ROYAUME DES PAYS-BAS contre la loi; la plupart de ses adhérents se rencontrèrent dans les provinces wallonnes (21). Pour tous ceux qui avaient cru à la possibilité de l'amalgame, ce fut une amère désillusion. Ils avaient surtout compté sur la Flandre qui les abandonnait. Quelques jours avant le vote, dans une adresse aux Etats-Généraux, Guillaume avait exprimé 1 espoir que tous les habitants du royaume « liés par les mêmes lois et les mêmes institutions, fussent comme les enfants de la même famille ». L'événement le détrompait cruellement. Il le plaçait dans une situation un peu ridicule, mais surtout fort embarrassante devant l'Europe qui l'observait. Que faire ? Accepter le verdict des notables et remettre une fois de plus sur le métier la Loi fondamentale, il n'y fallait pas songer. Les Hollandais, dont les Etats-Généraux venaient de l'approuver à l'unanimité, n'eussent évidemment pas consenti à abdiquer devant les Belges. La nécessité s'imposait donc de passer outre aux vœux de ceux-ci. On s'apercevait un peu tard de la faute qu'on avait commise en les consultant, puisqu'on était décidé à ne pas tenir compte de leur avis. Il était pourtant impossible, après s'être adressé à eux, de leur montrer qu'ils n'avaient rien à dire. On s'en tira par un subterfuge. On considéra comme acquis à la loi les 280 notables qui n'avaient pas voté. Des 796 votes négatifs, 126 ayant été motivés par des considérations religieuses en contradiction avec le texte des huit articles, ils furent déclarés nuls. Grâce à cette « arithmétique hollandaise » (22), la minorité se transformait en majorité; huit cent sept suffrages étaient censés favorables. Le consentement des Belges ainsi escamoté, le roi proclama, le 24 août 1815, l'acceptation de la Loi fondamentale. Il ne parvint pas à cacher son ressentiment à l'égard des évêques. Son manifeste rappelait sévèrement leur devoir à « quelques hommes de qui le corps social devait attendre l'exemple de la charité et de la tolérance évan-gélique ». C'était une nouvelle maladresse que de rompre ainsi en visière avec l'opposition épiscopale au moment même où elle venait de prouver sa force, et d'affecter, après avoir été réduit à un assez piteux stratagème, les allures et le langage de Joseph II ou de Napoléon. Si étrange pourtant qu'elle apparaisse, la conduite du roi ne pouvait être autre qu'elle ne le fut. Il était prisonnier de ses engagements envers l'Europe. Coûte que coûte, il devait accomplir « l'amalgame » des deux parties de son royaume. Son erreur fut de se tromper sur les dispositions des Belges. Il eût dû procéder franchement, leur déclarer qu'il n'était pas plus libre qu'eux-mêmes d'adapter la constitution à leurs désirs et leur imposer dès l'abord cette Loi fondamentale à laquelle il fut bien obligé de les contraindre après qu'ils l'eurent rejetée. La nation était tellement convaincue que son sort était fixé d'avance, qu'elle n'eût pas protesté. Elle ne s'agita que parce qu'en la consultant, on lui donna l'occasion de manifester ses sentiments. Au fond, elle s'attendait à ce qui arriva. Elle se soumit à la décision royale qu'elle savait inévitable de par la volonté des Puissances. LE ROI GUILLAUME. — Au moment où il prit le titre de roi des Pays-Bas, Guillaume-Frédéric, né à La Haye le 24 août 1772, était âgé de quarante-trois ans. Il était le fils aîné du Stadhouder Guillaume V et de la princesse Frédérique de Prusse. Lui-même avait épousé, le 1" octobre 1791, une autre Prussienne, fille de son oncle le roi Frédéric-Guillaume II, et qui portait le nom de Frédérique. Comme presque tous les princes de sa génération, il avait été longtemps ballotté par les remous de la Révolution française. Après l'éphémère expédition de Dumouriez dans les Provinces-Unies, il avait coopéré avec les alliés aux opérations contre la France. Ses campagnes n'avaient guère été remarquées que par des revers. Battu par Hou-chard à Menin en 1793, il avait dû ensuite lever précipitamment le siège de Maubeuge, et si, en 1794, il collaborait à la prise de Landrecies, il était entraîné quelques mois plus tard, dans la débâcle de Fleurus. L'invasion de Pichegru en Hollande et la proclamation de la République batave l'avaient bientôt contraint à un exil qui devait durer dix-neuf ans. Ne pouvant compter sur la Prusse, qui venait de signer la paix avec la France, il se mit d'abord à la remorque de l'Angleterre. En 1799, il prenait part à la malheureuse expédition du Helder. Le dépit qu'il en éprouva contribua sans doute à l'orienter vers le soleil levant, c'est-à-dire vers Bonaparte. Son esprit réaliste était plus sensible à la raison du plus fort qu'au point d'honneur. Les domaines de la maison d'Orange dans le Nassau ayant été conquis par la France, il finit (Bruxelles, Hfltel de Ville.) (Cliché Bijtebier.) « On remarqua en souriant que sous le manteau de velours des ducs de Brabant, dont le roi s'était paré pour la circonstance, il portait un pantalon blanc et des bottes à l'écuyère. » (Voyez le texte, p. 431 et n. 2.) Guillaume I" (La Haye, 1772-Berlin, 1843), roi des Pays-Bas de 1815 à 1840, année de son abdication. Portrait peint par Joseph Paelinck (Oostakker, 1781-Bruxelles, 1839). Le tableau auquel Pirenne fait allusion (voyez ci-dessous, p. 431 et n. 2) n'est qu'une copie, exécutée en 1878 par le peintre brugeois Van Hoilebeke, du portrait peint par Paelinck. Un détail du tableau de Paelinck est reproduit ci-dessus, p. 423. HISTOIRE DE BELGIQUE par obtenir en compensation, l'évêché de Fulda, les abbayes de Corvey et de Weingarten avec quelques localités avoisinantes (1802). Mais il s'était bien vite convaincu que l'empereur ne lui sacrifierait pas la République batave et quand, en 1806, la Prusse entra dans la coalition aux côtés de l'Autriche, de la Russie et de l'Angleterre, il se décida à courir de nouveau la chance des alliés. Il refusa d'accéder à la Confédération du Rhin, laissa confisquer ses principautés allemandes et prit du service dans l'armée prussienne. Le coup de foudre d'Iéna le rejeta aux pieds du vainqueur, devant lequel il s'humilia inutilement. L'entrée en guerre de l'Autriche en 1809, lui fut l'occasion d'une nouvelle volte-face. Blessé à la bataille de Wagram et déçu une fois de plus par les événements, il se retira à Berlin, assez dépité de ses déconvenues et du peu de confiance, qu'avec certaine raison, lui témoignaient les alliés. L'issue de la campagne de Russie ranima son espoir et son énergie. Sous la protection du tsar Alexandre, il revint en Angleterre, et entama avec le cabinet de Saint-James les pourparlers dont devait sortir le royaume des Pays-Bas. La mort de son père, le 9 avril 1806, en le faisant chef de sa maison, lui avait donné une situation politique dont il sut habilement profiter. Le soulèvement de la Hollande après Leipzig acheva de le réhabiliter en le rendant indispensable. L'adhésion de ses compatriotes l'imposait aux Puissances. Le 30 novembre 1813, il débarquait sur la plage de Scheveningen, accueilli par le cri Oranje boven, qui avait si souvent salué ses ancêtres les Stadhoudevs. Mais ce n'était plus en stadhouder qu'il revoyait sa patrie. La bourgeoisie, après la tentative avortée de la République batave, abdiquait dans ses mains. C'est en qualité de souverain (souverein vorst) qu'il allait rétablir (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) « Le 30 novembre 1813, il débarquait sur la plage de Scheveningen, accueilli par le cri d'« Oranje boven » qui avait souvent salué ses ancêtres les Stadhouders. » (Voyez le texte ci-dessus.) Débarquement de Guillaume, prince d'Orange, à Scheveningen le 30 novembre 1813. Gravure de Renier Vinkeles (Amsterdam, 1741-1816) d'après un dessin de Jean Pieneman (Abcoude, 1779- Amsterdam, 1853). l'indépendance nationale. En l'acclamant, d'ailleurs, ses compatriotes ne se doutaient pas qu'il arrivait en mandataire des Puissances et que la tâche qu'il avait assumée était beaucoup plus européenne que hollandaise. Moins d'un an après son débarquement, sans que Belges et Hollandais eussent été consultés, il prenait, sous le nom de Guillaume Ior, la couronne de roi des Pays-Bas. La mission qui lui incombait était grosse de difficultés et de périls. Le succès en devait dépendre essentiellement de lui-même puisque, dans le gouvernement tel que l'avait réglé la Loi fondamentale, le moteur suprême était la personne même du monarque. Qu'il se fît une. haute idée de ses devoirs, qu'il fût décidé à les accomplir, qu'il identifiât l'intérêt de l'Etat avec celui de ses sujets, que sa sincérité fût entière quand il leur promettait de les considérer comme une seule famille, sans distinction de religion ou de nationalité, bref qu'il voulût traiter avec la même bienveillance et la même justice Belges catholiques et Hollandais protestants, durant les quinze années de son règne, sa conduite n'a cessé de l'attester. Rien n'est plus digne de respect que ses intentions, et s'il a certainement une grande part de responsabilité dans la catastrophe où finalement il sombra, du moins faut-il lui rendre cette justice que cette responsabilité fut involontaire ou, si l'on veut, inconsciente. Avec plus de génie, plus de souplesse ou plus d'énergie, eût-il pu d'ailleurs accomplir l'œuvre dont il était chargé ? Elle dépassait, semble-t-il, les forces humaines. Tout ce que l'on peut dire, c'est que son caractère et l'éducation qu'il avait reçue ne laissèrent pas de contribuer à son échec. C'était un honnête homme et, à bien des égards, un homme intelligent : ce n'était pas un homme supérieur. Les influences qui avaient agi sur lui étaient surtout des influences prussiennes. Il s'était laissé dominer par elles et la conception qu'il se faisait du pouvoir royal était tout à la fois absolutiste et patriarcale. Son idéal semble avoir été celui du Landesvater, se consacrant à faire le bonheur de ses sujets par voie administrative. Suivant la formule du grand Frédéric, il se considéra certainement comme le premier serviteur de l'Etat. Au fond, sous des apparences de simplicité et de bonhomie, il se rattache directement à la lignée des despotes éclairés du XVIII0 siècle. Des ressemblances souvent très frappantes, surtout aux yeux des Belges, l'apparentent à Joseph II. Comme lui, il est un disciple de la Prusse. Et de là, son activité tournée tout entière vers l'utile, sa simplicité, son économie, son ardeur au travail, son dévoûment à la chose publique. S'il affecte parfois de se considérer comme un monarque de droit divin, ce n'est que pour mieux légitimer son pouvoir, ce n'est pas pour entourer sa personne, comme le fait en France Louis XVIII, d'un éclat et d'une majesté qui lui paraissent aussi vains qu'ils répugnent à ses goûts personnels. Car par nature, il est pratique et prosaïque. Il n'est pas d'homme moins vaniteux, plus indifférent au mirage des apparences et des (Amsterdam, Rljksmuseuin.) Acceptation du trône des Pays-Bas par Guillaume d'Orange le 21 novembre 1813. Tableau peint par Jean Pieneman (Abcoude, 1779-Amsterdam, 1853). éloges. Il ne s'intéresse qu'au solide et au réel. Son penchant l'incline à confondre le bien-être avec le bonheur et à considérer la richesse comme la plus haute récompense du devoir. Cette richesse qu'il aime, il excelle à se la procurer. C'est un économiste ou même plus simplement un homme d'affaires. Il se délecte à compulser des rapports industriels, des comptes de banques, des états de recettes et de dépenses. Et jugeant des autres par lui-même, il lui semble avoir tout fait quand il a multiplié pour l'Etat et pour ses habitants, les sources de la fortune (23). Au fond, le point de vue de ce souverain, c'est celui d'un financier et d'un bourgeois. Chez lui, tout se ramène à l'utile, mais à un utile qui s'évalue en chiffres. S'il s'intéresse à l'instruction, c'est surtout que l'instruction est indispensable au développement du commerce et de l'industrie, et par cela même à la mission essentielle de l'Etat. L'Etat s'emparera donc de la formation des esprits, tant dans son intérêt propre que dans l'intérêt des sujets eux-mêmes. Et c'est au roi de veiller à ce que l'Etat accomplisse correctement sa tâche. En ceci l'abnégation de Guillaume est aussi remarquable que son étroitesse de vues. Chaque jour au travail, il s'y épuise, s'y disperse et finit par s'y perdre. Il n'a pas assez d'envergure pour voir les choses de haut et d'ensemble. 11 n'a confiance qu'en lui-même et veut tout faire, ne comprenant pas que s'absorber dans le gouvernement c'est se condamner à se laisser entraîner par lui et à en perdre la direction. Il dégrade ses ministres au rang de simples commis. Il revoit lui-même leurs rapports et un moyen de lui faire sa cour, c'est d'y laisser de menues erreurs pour lui donner le plaisir de les corriger (24). Autour de lui, il ne veut que des gens médiocres ou des serviteurs. Ses conseillers ne sont là que pour l'approuver. Toute supériorité intellectuelle lui est importune, tout partage de son autorité insupportable. Il vit au plus mal avec son fils aîné, le prince d'Orange, dont il ne peut supporter le franc parler et la liberté d'allures, tandis que toutes ses complaisances vont au prince Frédéric, caractère obéissant, timide, effacé et respectueux. Malgré l'impopularité croissante de van Maanen, il met son point d'honneur à le couvrir parce qu'avec lui, nulle contradiction n'est à craindre. D'un autre de ses ministres, Mey van Streefkerk, on dit qu'il est comme une cloche qui ne tinte que frappée par la main du roi. Ainsi entouré, il n'entend et ne voit que lui-même. Infatué de sa sagesse, il se laisse entraîner par ses préjugés que personne ne combat. Ses intentions étant excellentes, il croit que son gouvernement l'est aussi. Il va imperturbablement à une crise que personne n'ose ou ne peut lui faire prévoir et quand tout à coup il ouvrira les yeux, il se trouvera au bord de l'abîme. Il manque d'ailleurs autant de finesse que d'ouverture d'esprit. Il se croit populaire parce qu'il est facilement accueillant, sans morgue, sans grands airs et qu'il prend pour la voix du peuple, la voix des gens en place qui l'adulent lorsqu'il parcourt le royaume. En Hollande, elle correspondait certainement au sentiment public. Là, tout le monde lui faisait confiance. Il était le prince national, le restaurateur de l'indépendance, de la paix et du commerce. On ne lui demandait pas autre chose. Il comprenait ses compatriotes, qui étaient en même temps ses coreligionnaires. Son tort fut de n'avoir pas essayé de comprendre les Belges qui n'étaient, ni l'un ni l'autre. Avec plus de pénétration et de tact, il aurait évité tout ce qui pouvait froisser ce peuple que sa religion, son histoire, ses intérêts, son tempérament avaient fait si différent de lui-même. Il crut que c'était assez pour se le concilier que de vouloir sincèrement son bien. Trop honnête pour jouer la comédie et affecter d'être ce qu'il n'était pas, il s'indignait de voir le prince d'Orange, préférer le séjour de Bruxelles à celui de La Haye, fréquenter la noblesse et la haute bourgeoisie, amuser la ville par sa gaieté et ses aventures et s'attirer cette espèce de popularité un peu vulgaire qui avait jadis entouré Charles de Lorraine. Pour lui, au contraire, on eût dit qu'il lui suffisait d'imposer l'estime, bien moins utile à un prince que la sympathie. Sa cour était sérieuse, maussade, morne, sans grâce, figée dans une rigidité et une étiquette importées d'Allemagne et qui détonnaient au milieu d'une société habituée à prendre le ton à Paris. Il laissait trop voir son mépris pour ces élégances françaises qu'il dédaignait parce qu'il n'en saisissait ni le charme ni l'importance sociale. Sa gravité ne choquait pas seulement, elle inquiétait. Les catholiques y voyaient une sorte d'affectation calviniste et quelle que fût la sincérité de sa tolérance, il ne parvint jamais à les en persuader. Le conflit qui le mit tout de suite aux prises avec l'Eglise, lui aliéna, dès le début de son règne, le clergé qu'il eût dû tout faire pour se concilier. Ce fut là sa faute initiale. Ce qu'on n'avait pu supporter de Joseph II, comment l'eût-on supporté d'un roi protestant ? Mais il faut reconnaître aussi que ce conflit était inévitable. Il était la conséquence nécessaire de 1' « amalgame » de deux peuples de confessions différentes. Fatalement, le roi des Pays-Bas devait gouverner contre l'Eglise de Belgique. La même raison explique aussi qu'il ait favorisé dans l'Etat les Hollandais au détriment des Belges. Chez eux seulement, il était sûr de trouver ce dévoûment à sa personne et cette concordance de principes qu'exigeait le bien du royaume. Plus instruits d'ailleurs, plus expérimentés aussi que leurs concitoyens du Sud, ils convenaient mieux à un régime dans lequel l'administration était toute-puissante. Sans doute, en laissant plus de liberté au Parlement, en associant davantage au gouvernement la bourgeoisie belge, eût-on évité bien des froissements. Mais Guillaume, durant son séjour en Angleterre, avait contracté une aversion insurmontable du régime parlementaire, Si « par ostentation » et parfois par nécessité politique, il affecta un libéralisme qui trompa durant quelque temps ses contemporains, il était, comme le remarque très justement Hatzfeld, monarchiste par principe et l'on peut ajouter par tempérament (25). Son gouvernement personnel était la conséquence et de ses tendances prussiennes et de sa nature intime. Son caractère et ses idées répugnaient également au caractère et aux idées des trois millions de Belges que l'Europe lui avait confiés. Son zèle, sa conscience, sa bonne foi et ses qualités mêmes ne firent que hâter une révolution qui ne surprit que lui. Il lui sembla qu'il gouvernait bien parce qu'il voulait bien gouverner. Au surplus, la prospérité matérielle du royaume ne prouvait-elle pas l'excellence de sa politique ? Il s'y tint malgré les protestations, convaincu de son bon droit et ne doutant pas qu'il suffisait de faire condamner par ses tribunaux les journalistes de l'opposition, pour étouffer le mécontentement public. Ayant la même foi que Napoléon dans la puissance de l'administration, il ne semble pas s'être douté qu'il n'était pas Napoléon. Infatué de lui-même, obstiné, se laissant de plus en plus dominer par son amour-propre, il finit par mépriser les Belges qui ne voulaient pas s'en remettre à sa sagesse (26). Ce que de bons juges avaient prévu dès les premiers jours, il ne s'en rendit compte enfin que quand il était trop tard. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) La famille royale des Pays-Bas. Sept médaillons représentent, de gauche à droite et de haut en bas : Alexandre 1er, empereur de Russie, la reine Wilhelmine, épouse de Guillaume Ier, Guillaume-Frédéric, prince d'Orange, le roi Guillaume Ier, le prince Frédéric et la princesse Alarianne, Anna Paulowna, princesse d'Orange, et Frédéric-Guillaume, roi de Prusse. Légende : A LA FAMILLE ROYALE DES PAYS-B[AS], A1ICHAUT. 1820. Au revers (à droite sur la planche), armoiries du royaume et la devise : JE MAINTIENDRAI. — Alédaille gravée en 1820 par Auguste-François Michaut (Paris, 1786-1879). Etaln. Diamètre : 54 mm. NOTES (1) Gedenkstukken 1813-1815, p. 591. II est curieux de constater qu'en 1830, quand il fut question de la séparation des deux parties du royaume, Guillaume se demanda s'il ne conviendrait pas d'appeler les provinces du sud « royaume de Bourgogne ou de Belgique ». Gedenkstukken 1825-1830, t. V, p. 342, 346. (2) De Gerlache, Histoire du royaume des Pays-Bas, t. I, p. 323. (3) D'après Brockhausen « Il n'existe dans toute la Hollande qu'un seul individu qui désire la réunion, et cet individu, c'est le prince-souverain ». Gedenkstukken 1813-1815, p. 309. (4) Ibid., p. 588. Encore en 1817, les ministres d'Autriche, de Prusse et de Russie pensaient que la séparation administrative s'imposait, mais l'Angleterre ne voulut rien entendre. Voy. à ce sujet un curieux mémoire de Roël dans Gedenkstukken 1815-1825, t. III, p. 66 et suiv. Cf. encore Ibid., p. 356, 388, 496, 509. (5) De Gerlache, op. cit., t. I, p. 313. (6) Gedenkstukken 1813-1815, p. 271. (7) Journal officiel du gouvernement de la Belgique, t. V, p. 3. (8) De Gerlache, op. cit., t. I, p. 297. (9) Gedenkstukken 1813-1815, p. 698. (10) Sur cette constitution voy. H. T. Colenbrander, Ontstaan der Grond- wet, t. I. (11) Sur les discussions de la Commission, voy. Colenbrander, Ontstaan der Grondwet, t. II. (12) Gedenkstukken 1813-1815, p. 774. (13) De Gerlache, op. cit., t. III, p. 176. (14) Le diplomate prussien Galen observe que «la Loi fondamentale ne sera jamais qu'un jouet dans la main d'un souverain qui veut le pouvoir ». Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 208. (15) Gedenkstukken 1815-1825, t. I, p. 496. (16) Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 198. Voy. encore Ibid. 1815-1825, t. III, p. 344, le jugement très intelligent qu'il porte sur elle. (17) Gedenkstukken 1815-1825, t. I, p. 16. (18) On publia naturellement quelques brochures. La plus intéressante est celle de C. de Keverberg, Réflexions sur la loi fondamentale qui se prépare pour le royaume des Pays-Pays (Clèves, 1815). (19) H. T. Colenbrander, Ontstaan der Grondwet, t. II, p. 577. (20) Colenbrander, loc. cit., p. 597 et suiv. (21) Pour la répartition des votes, voy. Ibid., p. 615. (22) Il faut constater d'ailleurs que dès le 10 août l'anticlérical belge Dotrenge, prévoyant le rejet de la constitution par les notables avait déjà suggère de ne pas tenir compte des votes négatifs justifiés par les scrupules religieux. Ibid., p. 589. (23) On lui prêtait le mot : « SI je n'étais le roi, je voudrais être van Hobo-ken », c'est-à-dire le plus grand homme d'affaires de la Hollande. Mansvelt, Geschiedenis van de Nederlandsche Handelsmaatschappij, t. I, p. 44 (Harlem, 1924). En 1826, Kalsersfeld dit « qu'il semble voir le but principal de la société dans ses intérêts matériels, et sa civilisation dans la culture des facultés de l'intelligence pour les appliquer à ces mêmes intérêts ». Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 274. (24) H. T. Colenbrander, Gedenkstukken van A. R. Falck, p. XIX (La Haye, 1913). (25) Gedenkstukken 1815-1825, t. 1, p. 377. En 1825, von Galen constate que le roi « proclame son adhésion aux maximes modernes de la science politique en théorie, mais se garde bien de les mettre en pratique ». Ibid. 1825-1830, t. I, p. 213. (26) Sur son obstination et sa confiance en lui-même, tous les témoignages sont d'accord. D'après Bulwer, il est « one of those clever men who constantly do foolish things and one of those obstinate men who support one bad measure by another worse ». The life of Henry fohn Timple viscount Palmerston, t. II, 2e édit., p. 2 (Londres, 1870). (Bruxelles, Musée communal.) (Cliché A.C.L.) « Conformément à la Loi fondamentale, il voulut se montrer à ses sujets dans la pompe d'une « inauguration »... La cérémonie s'accomplit à Bruxelles, le 21 septembre 1815, en plein air, suivant l'antique coutume, devant l'église Saint-Jacques-sur-Coudenberg... » (Voyez le texte ci-dessous.) Inauguration et prestation de serment de Guillaume Ier sur l'actuelle Place Royale à Bruxelles (21 septembre 1815). L'estrade d'honneur édifiée pour la circonstance occupe le fond de la place, cachant la vue de la rue Royale et du parc. Au fond, à gauche, les trois arcades donnant accès à la Cour des Comptes; à droite, une aile du palais royal et l'actuel ministère des Colonies. — Gravure de Jean Giebel (Wurtemberg, 1775-Paris(?), 1836), d'après un dessin de Pierre-Jean-Baptiste Leroy (Namur, 1784-BruxelIes, 1862). CHAPITRE III L'INSTALLATION DU REGIME NAUGURATION DE GUILLAUME. - La Loi fondamentale établissait les principes de l'« amalgame »; il importait maintenant de l'organiser. En Hollande, la tâche ne présentait aucune difficulté. Toutes les institutions essentielles du régime y fonctionnaient déjà et il y suffisait d'une simple mise au point. La question se présentait tout autrement en Belgique où, depuis 1814, on n'était pas encore sorti du provisoire et de l'improvisé. Le moment était venu de donner à cet « accroissement de territoire » son état définitif en l'englobant dans le royaume, c'est-à-dire en étendant aux provinces du Sud le système constitutionnel et administratif des provinces du Nord. Sans doute, le roi trouvait-il que la manière un peu hâtive dont, quatre mois auparavant, il s'était emparé du titre royal, manquait de décorum. Conformément à la Loi fondamentale, il voulut se montrer à ses nouveaux sujets dans la pompe d'une « inauguration » et renouer ainsi, en apparence, la tradition des anciens souverains. La cérémonie s'accomplit à Bruxelles, le 21 septembre 1815, en plein air, suivant l'antique coutume, devant l'église Saint-Jac- ques-sur-Coudenberg, à l'endroit même où, en 1794, l'empereur François II avait juré le maintien de la Joyeuse Entrée et reçu le serment des Etats de Brabant ( 1 ). Après les derniers événements, on ne pouvait guère compter sur l'enthousiasme du peuple. C'eût été un motif de frapper les esprits par une solennité éclatante. Malheureusement, par raison d'économie, on avait visé au bon marché. L'estrade n'était pas même achevée et les ouvriers y travaillaient encore quand le cortège y monta. On remarqua en souriant que sous le manteau de velours des ducs de Brabant, dont le roi s'était paré pour la circonstance, il portait un pantalon blanc et des bottes à l'écuyère (2). On observa surtout que parmi ses ministres figurait un seul Belge, le duc d'Ursel. Le discours qu'il prononça en hollandais devant les Etats-Généraux, détonna singulièrement aux oreilles des nobles et des bourgeois francisés auxquels il s'adressait. Quant à la foule, qui avait compté sur une abondante distribution de médailles d'argent, son indignation fut grande de n'être aspergée que de pièces de cuivre. La « canaille » s'en vengea en donnant à Guillaume le surnom de « Koperen Koning » (3). JUGEMENT DOCTRINAL Des Evêques du Royaume des Pays-Bas, sur le serment prescrit par la nouvelle Constitution. Jj n des principaux devoirs des Evèiuîs , qui sont dans leurs diocèses les gardiens du* dépôt da la foi et de la morale de l'Evangile , est d 'enseigner aux peuples la doctrine de l'Église catholique, de censurer les erreurs qui y sont contraires, et d'empêcher, autant qu'il est eu eu.v, que les ouail-Jes, qui leur sont confiées, n'en soient infectées. C'est ainsi qu'ils exercent leurs fonctions de Juges, de Pasteurs et de Docteurs des fidelles. Ils ne sau-ïoient se dispenser de remplir ce devoir , quelque difficiles que soient les circonstances où ils se trouvent , saus se rendre coupables d'une grande prévarication aux yeux de l'Eglise ; sans se rendre responsables, devant le Souverain Juge, de tous les maux qui peuvent résulter de leur silence , lorsqu'ils sont obligés de faire entendre leur voix; sans violer enfin le serment solennel qu'ils ont fait lors de leur consécration (*). C'est doue à eux que s'adressent spé- (*) On lit dans la profession île foi, prescrite par la Bulle tle Pik IV , et que font les Kvê'|ues avant leur sacre. 11 Je ,, reçois aussi e' je professe hautement tous les autres pointa ,, prescrits, détiuis et statué* par les SS. Canons, par les ,, Conciles ccumcniques et spécialement par le S. Concile Jr de trente; par conséquent je rejette tout ceqniy seroit t, contraire, toutes les erreurs que l'Eglise a condamnées, „ proscrites et frappées de les foudres. Je les condamne -, ec je leur dis anathime ) «ofiu , je promets , Dieu aidant (Bruxelles, Bibliothèque Royale, plaquette cotée II, 24624, vol. 3, n° 28.) « Au mois de septembre, ils (les évêques) publiaient un « jugement doctrinal » qui n'allait à rien moins qu'à soulever les fidèles contre l'Etat. » (Voyez le texte ci-contre.) Jugement doctrinal des Evêques du Royaume des Pays-Bas, sur le serment prescrit par la nouvelle Constitution (Bruxelles, s.l.n.d., in-8°). Sur le contenu du Jugement doctrinal, voyez le texte de Pirenne ci-contre. Les ministres étrangers durent emporter de ce commencement de règne, une impression assez morne. L'ambassadeur anglais, lord Clancarty, le plus dépité parce que le plus intéressé à l'avenir du royaume, se borna à écrire à Londres que tout s'était très bien passé. Durant la première année que la cour et le gouvernement passèrent à Bruxelles (octobre 1816-septembre 1817), l'impression de malaise laissée par ce début ne fit que s'accentuer. La noblesse trouvait les soirées du palais mortellement ennuyeuses. Le roi la rebutait par sa gravité et ses allures autoritaires. Il parlait le français avec répugnance et il le parlait mal. La reine était mal habillée et voulait trop visiblement être aimable pour l'être en effet (4). On se sentait désorienté au milieu des Hollandais de l'entourage des souverains. Leur calvinisme, leur politesse cérémonieuse, leur froideur, tout ce qui dans leurs goûts et leurs habitudes différait des mœurs belges, paraissait bizarre, archaïque ou ridicule. Dans les bureaux des ministères et des administrations où ils foisonnaient comme à la cour, il en allait de même. Aux Etats-Généraux, les députés du Nord et ceux du Midi se regardaient en étrangers. La communauté de religion ne parvenait pas à rapprocher les uns des autres catholiques belges et catholiques hol- landais. Nulle mauvaise volonté d'ailleurs. On cherchait à s'accorder sans y parvenir. Par condescendance pour leurs collègues du Sud, les députés du Nord se servaient fréquemment de la langue française. Mais on se choquait malgré soi; on eût voulu s'unir et on restait divisé. Tout indiquait la juxtaposition de deux peuples : la faconde des Belges, leur liberté d'allures, contrastaient avec le décorum, le flegme et le sérieux de leurs nouveaux compatriotes. A part soi, ceux-ci se considéraient comme les plus solides et ceux-là comme les plus modernes (5). A cela s'ajoutait l'agitation que le clergé continuait à entretenir contre la Loi fondamentale. La réprobation que le roi avait témoignée publiquement aux évêques au lieu de leur en imposer, n'avait eu pour résultat que d'accentuer chez eux une résistance qui leur apparaissait comme un devoir de conscience. Dominés et excités par Mgr de Bro-glie, ils étaient décidés à ne pas faiblir. Au mois de septembre, ils publiaient un « jugement doctrinal » qui n'allait à rien moins qu'à soulever les fidèles contre l'Etat. Ils y déclaraient que c'était « se rendre coupable d'un grand crime » que de « concourir au maintien et à l'observation de la Loi fondamentale »; ils interdisaient de prêter le serment qu'elle imposait aux fonctionnaires; ils affirmaient enfin qu'en abandonnant la direction de l'instruction à un souverain non catholique, elle trahissait « honteusement » les plus chers intérêts de l'Eglise (6). Ainsi, au moment même où le roi jurait d'observer la constitution, le peuple entendait ses pasteurs non seulement la condamner comme impie, mais le provoquer et n'y pas obéir. Ni sous Joseph II, ni sous la République, ni sous l'Empire, le pouvoir spirituel n'avait jamais revendiqué en des termes aussi catégoriques et aussi hardis, sa prééminence sur le pouvoir temporel. CRISE ECONOMIQUE. — Le péril était d'autant plus grand que ces excitations agissaient sur des masses aigries par la misère. La victoire des alliés sur Napoléon avait plongé l'industrie belge dans une crise douloureuse. Ce n'était pas assez qu'un cordon de douanes et des droits quasi prohibitifs lui fermassent le marché français, elle se trouvait encore en butte à la concurrence de l'Angleterre dont les manufactures, depuis la disparition du blocus continental, inondaient les Pays-Bas de leurs produits. Il avait fallu diminuer la fabrication, congédier des ouvriers, réduire le taux des salaires. De 1815 à 1816, le nombre des toiles de lin vendues au marché de Gand, passe de 78,265 à 56,923. Des grèves et des émeutes éclatent dans tous les centres industriels. A Gand, le peuple brûle des étoffes anglaises sur les places publiques. Cependant, l'exportation des blés vers la Hollande fait hausser le prix du pain. En 1817, la disette est affreuse. En Flandre, dès le mois de mai, on coupe les grains et les fourrages et l'on arrache les pommes de terre sans attendre leur maturité. Le sac de pommes de terre qui coûtait six francs un an auparavant, en coûte vingt. Des gens meurent de misère; dans quantité de villes on pille les marchés. La mendicité se répand en même temps que le chômage. Rien qu'à Gand, 15,000 ouvriers des usines de coton se trouvent sans travail. Les progrès récents de l'industrie aggravent la situation : plus elle nourrissait de gens, plus son arrêt en plonge dans la détresse. Et naturellement le peuple s'en prend au gouvernement de ses souffrances. Il accuse les ministres hollandais du roi de s'entendre avec les marchands d'Amsterdam et de Rotterdam pour accaparer les grains et affamer les Belges. Pour comble d'embarras, les finances de l'Etat sont inquiétantes. Le budget de 1815 accuse un déficit de 40 millions de florins. Incontestablement, le règne commençait mal. Pourtant Guillaume ne s'en inquiéta pas : il avait raison. Soutenu par le concert des Puissances, il savait qu'il n'avait rien à craindre du mécontentement des Belges. Se soulever contre lui, c'eût été se soulever contre l'Europe dont il était le mandataire et la « sentinelle ». Au surplus, c'était l'Europe qui portait la responsabilité des griefs qu'on lui attribuait injustement. Il était évident que la crise industrielle n'était que la conséquence de la crise internationale dont on sortait à peine. Quant au clergé, son exaspération contre la Loi fondamentale découlait de la conformité de celle-ci aux huit articles. Ses protestations, par-dessus la tête de Guillaume, s'en prenaient donc à une décision solennellement ratifiée par le Congrès de Vienne. Il s'insurgeait en réalité contre l'irrévocable, et par cela même, si bruyante et si gênante qu'elle fût, sa campagne ne pouvait aboutir qu'à un échec. Les puissances catholiques, l'Autriche en tête, la désapprouvaient formellement. Le pape lui-même n'osait l'encourager et par considération pour Metternich, se montrait moins ultramontain que Mgr de Broglie et ses collègues (7). CARACTERE MONARCHIQUE DE L'ETAT. -Aux motifs de sécurité que le roi trouvait à l'extérieur, s'adjoignaient ceux qu'ils puisaient dans la constitution même de son pouvoir. Qu'avait-il à craindre de la Belgique ? D'avance, toute opposition légale y était impossible. Aux Etats-Généraux, où chacune des deux parties du royaume, en dépit de la différence des populations, possédait le même nombre de cinquante-cinq députés, le gouvernement, certain de l'adhésion des Hollandais, n'avait qu'à détacher une seule voix du bloc belge pour disposer d'une majorité conforme à ses vues. Et rien ne lui était plus facile que d'agir sur la représentation nationale, car il la façonnait à son gré. D'après la Loi fondamentale, le roi nommait directement les membres de la première Chambre. Par étroitesse de vues et par excès de confiance en lui-même, il eut soin de n'y faire entrer que des vieillards timides ou fatigués, dépourvus de la moindre énergie et qui s'empressèrent toujours respectueusement de lui complaire (8). Dans son mépris pour le parlementarisme, l'idée ne lui vint pas qu'un jour peut-être il serait la victime de la nullité et de l'impuissance auxquelles il les avait réduits et qu'en les écrasant sous son autorité, il les mettait dans l'impossibilité de la défendre. Par sa faute, ils se montrèrent incapables de servir autrement qu'en obéissant. (Bruxelles, Musée communal.) (Cliché Bijtebier.) Guillaume l6r inauguré roi des Pays-Bas à Bruxelles en séance plénière des Etats Généraux (21 septembre 1815). La cérémonie se déroule dans la salle gothique de l'hôtel de ville de Bruxelles, ancien lieu de réunion du magistrat bruxellois, décorée autrefois de peintures de Rogier van der Weyden. Ces dernières furent détruites lors du bombardement de Bruxelles en 1695. La salle fut restaurée peu après dans le style classique en conservant quelques détails de l'ensemble primitif. En 1868, on en revint au style gothique, d'après les plans de l'architecte jamaer. — Aquarelle coloriée de Jean-Louis Van Hemelryck (première moitié du XIX« siècle). A la différence de cette première Chambre, que son servilisme eut bientôt discréditée, la seconde Chambre était élective, mais elle l'était sous la pression constante du gouvernement. Ses membres étaient nommés, non point au suffrage direct, mais par les Etats - Provinciaux. Ceux - ci eux-mêmes émanaient du vote de trois catégories d'électeurs : l'ordre équestre, l'ordre des villes et l'ordre des campagnes. L'ordre équestre se trouvait à la disposition du roi qui en désignait les membres. Dans l'ordre des villes, c'étaient les « régences » municipales (conseils communaux) élues par un petit nombre de censitaires, qui procédaient au choix de leurs députés (9). L'ordre des campagnes, enfin, se composait d'électeurs nommés au second degré par les propriétaires les plus imposés (10). Nulle unité d'ailleurs dans ce corps électoral déjà si compliqué. La Loi fondamentale réservait au roi le droit d'édicter les règlements qui en déterminaient dans chaque ville et dans chaque province la composition. Suivant les régions le cens variait, mais il était toujours très élevé, et s'il arrivait qu'on le modifiât, c'était pour l'élever encore davantage. De plus, on votait à domicile, les autorités se chargeant de recueillir et de dépouiller les bulletins. Une semblable organisation laissait filtrer partout l'influence du pouvoir. En fait, par pression directe ou déguisée, il déterminait à son gré la majorité des Etats-Provinciaux et par cela même celle des Etats-Généraux. Les gouverneurs qui, dans chaque province, présidaient les (La Haye, « Binnenhof ».) (Cliché Scheltema-Holkema's Boekhandel.) Le « Binnenhof » à La Haye. A droite, le bâtiment de la première Chambre des Etats-Généraux. La salle de réunion des Etats fut construite entre 1652 et 1657 par l'architecte Pierre Post, à l'initiative du pensionnaire Jean de Witt. Les délégués belges y siégèrent de 1815 à 1830 aux côtés de leurs confrères hollandais. Etats, leur recommandaient ouvertement les candidats officiels, et il était bien rare qu'on ne déférât point à leurs désirs. Très souvent, c'est sur des fonctionnaires que se portait le choix. Ils abondaient à la seconde Chambre et leur complaisance était d'autant plus grande que le roi pouvait casser ceux d'entre eux dont le vote lui avait déplu (11). C'était en même temps un moyen de se débarrasser pour toujours de leur opposition, un arrêté ayant rendu inéligibles les fonctionnaires révoqués. Ainsi constituée, on voit quelle illusoire garantie la seconde Chambre des Etats-Généraux fournissait à la nation en face du souverain. Il fallut attendre l'éveil de l'opinion et la constitution de partis politiques, pour voir se dessiner peu à peu une opposition devant laquelle le gouvernement se sentit d'autant plus désorienté qu'il ne l'avait pas crue possible. On en était encore loin de là en 1815. Complètement rassuré sur l'exercice de son pouvoir, le roi affichait volontiers des allures de souverain constitutionnel et libéral. Il avait sans cesse à la bouche la Loi fondamentale et l'on ne peut méconnaître qu'il la respectait rigoureusement « comme il la comprenait ». Il la comprenait, cela va sans dire, dans le sens le plus étroit. A ses yeux, elle abandonnait à la couronne tous les pouvoirs qu'elle ne lui refusait pas expressément. Toutes les questions qu'elle n'avait pas explicitement tranchées, toutes celles dont elle remettait la solution à plus tard, c'était au roi à en décider. La presse, dont elle reconnaissait en principe la liberté (§ 227), demeura sous l'empire d'un arrêté pris en 1815 (20 avril) et qui la soumettait au régime le plus sévère (12). L'inamovibilité de la magistrature ne fut établie qu'en 1830. Largement interprétée, la constitution eût pu donner naissance à une sorte de régime parlementaire. Interprétée suivant les vues de Guillaume, elle se prêta très bien à l'absolutisme. Le respect que le roi professa toujours pour elle n'avait rien d'hypocrite. Il ne lui fit pas (La Haye, «Binnenhof».) (Cliché Scheltema - Holkema's Boekhandel.) Vue intérieure de la salle de réunion de la deuxième Chambre au « Binnenhof » à La Haye. Construite vers 1790 pour le « stadhouder » Guillaume V qui en fit une salle de bal, elle sert de lieu de réunion des membres de la deuxième Chambre depuis 1815. Les députés belges y siégèrent de 1815 à 1830 aux côtés de leurs confrères hollandais. violence : il se contenta de pousser jusqu'au bout les droits qu'elle lui reconnaissait. En 1819, van der Duyn observait très justement que tout en ménageant les formes, il exerce « la puissance réelle pour ne pas dire absolue » (13). PREPONDERANCE DES HOLLANDAIS. ~ On l'a accusé d'avoir voulu « hollandiser » la Belgique. Il ne paraît pas que cette accusation soit plus fondée que celle d'avoir voulu la « protestantiser ». Rien dans sa conduite n'indique qu'il ait eu le dessein de la violenter. Son but fut incontestablement d'unir en un même tout les deux peuples sur lesquels l'Europe l'avait appelé à régner, de les « amalgamer » non seulement par le territoire, mais par la communauté des mêmes institutions et de la même administration. Il n'était pas et ne voulait pas être le roi de la Hollande, mais le roi des Pays-Bas, et il se proposa de faire de ceux-ci sinon une seule nation, du moins un même Etat. On ne découvre chez lui aucune intention de traiter les Belges comme les Prussiens, par exemple, traitèrent les Polonais. Il se proposa non de subordonner une partie de ses sujets à l'autre, mais de les adapter les uns aux autres par l'action de son gouvernement. Son œuvre comme celle des souverains éclairés du XVIIIe siècle, fut purement monarchique. C'est moins l'unité de civilisation que l'unité politique qu'il eut en vue. Sa tentative même d'imposer la langue néerlandaise aux provinces belges s'explique avant tout par l'intérêt de l'Etat. Mais pour atteindre au but qu'il visait, il fut bien obligé de recourir de préférence à des Hollandais. Il était sûr de rencontrer parmi eux un dévouement absolu à sa personne et à ses desseins. S'il les favorisa, ce fut sans doute beaucoup plus à cause de leurs sentiments monarchiques qu'à cause de leur nationalité. Pour peu qu'on y réfléchisse, on comprend qu'il lui était impossible de livrer l'administration à ces Belges qui avaient rejeté la Loi fondamentale et dont la plupart soutenaient contre lui les protestations des évêques. Il utilisa tous ceux d'entre eux qui étaient utilisables. Ce n'est pas sa faute s'ils ne constituèrent jamais qu'une minorité. S'il fut ou, plus exactement, s'il parut être injuste à leur égard, on doit reconnaître que cette injustice était inévitable. Son administration ne s'inspira pas du tout de l'esprit hollandais, mais de l'esprit napoléonien. Si bizarre que cela puisse paraître à première vue, on y retrouve tous les traits fondamentaux du gouvernement impérial. Qu'importe que les préfets et les départements portent maintenant les noms de gouverneurs et de provinces s'ils n'en continuent pas moins à fonctionner comme auparavant ? Sans doute, l'identité n'est pas complète. La Loi fondamentale ne permet pas le retour à l'arbitraire et au despotisme policier des derniers temps de l'Empire. Mais il n'en est pas moins évident que, sous le règne de Guillaume, l'administration a été aussi complètement l'instrument du souverain, a exercé une action aussi profonde, a été aussi irresponsable vis-à-vis de la nation, que sous le règne de Napoléon. N'est-il pas caractéristique que, dès les premiers jours, le roi se soit entouré de parti pris d'hommes formés au service de l'Etat français ? Si van Maanen, de Coninck-Out-rive, de Celles, Holvoet, Wichers, Appelius, van Gobbel-schroy, de Keverberg et quantité d'autres sont d'anciens préfets ou d'anciens maîtres des requêtes au Conseil d'Etat, n'est-ce pas la preuve évidente que sous le nouveau régime se continue la tradition du régime antérieur ? Le royaume des Pays-Bas a beau constituer la barrière de l'Europe contre la France, sa politique a beau s'opposer à la politique française, ce n'en est pas moins la tradition française qui inspire et qui dirige sa monarchie administrative. Guillaume comprend que les agents de l'empereur constituent son meilleur appui contre les réactionnaires et les cléricaux. Car c'est l'Etat moderne qu'ils ont édifié sur les ruines de l'Ancien Régime et, en servant le roi, c'est lui qu'ils servent. « Il est à remarquer, dit un rapport confidentiel, que les fonctionnaires et les partisans modérés du gouvernement précédent sont aujourd'hui les sujets les plus zélés et les plus affectionnés du roi, et c'est ce que les prêtres et les complices de leurs cabales sentent fort bien, lorsqu'ils disent que ce ne sont que les Buona-partistes qui ont accepté la constitution» (14). CARACTERE NAPOLEONIEN DE L'ETAT. ~ Qu'entendaient-ils par Buonapartistes ? Evidemment cette classe d'hommes nouveaux, acheteurs de biens nationaux, jacobins nantis, fonctionnaires et industriels qui, sous le Consulat et sous l'Empire, sont devenus, par conviction et par intérêt, les plus fermes soutiens de l'Etat. Toutes les raisons qui les ont ralliés à Napoléon les groupent maintenant autour de Guillaume, puisque Guillaume comme Napoléon est le garant du régime moderne. Comme lui, ils se disent libéraux, et ils le sont, en effet, dans la mesure où le libéralisme se confond avec l'attachement aux principes de la société civile. Cela revient à dire qu'ils sont, avant tout, anticléricaux, car c'est l'Eglise qui, maintenant, par la revendication de ses anciennes prérogatives, dirige le mouvement contre la société nouvelle que la Révolution triomphante a stabilisée. Qu'elle l'emporte, et c'en sera fait de toutes les conquêtes obtenues après tant de formidables épreuves. Par la brèche qu'elle aura ouverte passera tout le reste de l'Ancien Régime, et sur les ruines de l'Etat moderne se rétabliront, par l'alliance du trône et de l'autel, tous les abus et tous les privilèges qui, à mesure que l'on s'en éloigne, paraissent plus monstrueux. Ne voit-on pas, en France, le clergé grouper autour de lui tous les ennemis (Musée de Marlemont.) Médaille de bourgmestre de Morlanwelz sous le régime hollandais, ayant appartenu à Nicolas Warocqué. Droit et revers. Elle est suspendue à un ruban de couleur orange. Au droit, deux lauriers entourent la légende MORLANWELZ; au revers, les annes du royaume des Pays-Bas et la devise JE MAINTIENDRAI. Cette médaille est un des rares vestiges attestant la fidélité à la maison d'Orange de l'industriel Nicolas Warocqué (fl838), maire de la commune depuis 1805. Il venait d'être anobli par Guillaume I" en raison des services rendus à l'industrie du royaume lorsqu'éclata la révolution belge. Le Gouvernement provisoire le démit de ses fonctions. Assez souple pour s'adapter successivement aux régimes français, hollandais et belge, 11 s'efforça de faire disparaître les preuves de son appartenance au régime déchu et se rallia à la cause de Léopold Ier. (Bruxelles, rue des Paroissiens, liôtel Schônfeld.) « C'est un pêle-mêle extraordinaire que ces réfugiés... Quelques-uns, arrivés à la fin de leur carrière, comme Cambacérès, Sieyès ou Merlin, ne songent plus qu'à se ménager dans les Pays-Bas un exil confortable. » (Voyez le* texte ci-contre.) — Cheminée du cabinet de travail de Cambacérès à l'ancien hôtel Schônfeld à Bruxelles. Cambacérès. duc de Parme, archlchanceller de l'Empire, acquit des enfants Plunkett et Rathmore l'hôtel construit vers 1770 par la comtesse de Mighuna et Weizenar, femme du comte Joseph de Schônfeld, chambellan de l'impératrice Marie-Thérèse. Il l'occupa pendant les deux années (novembre 1816-décembre 1818) que dura son exil à Bruxelles. — Photographie prise en 1908. de la Charte, susciter à Louis XVIII des difficultés incessantes, conspirer avec le comte d'Artois, exiger le retour des jésuites, organiser la « terreur blanche » contre les partisans des droits de l'homme; bref, se poser en adversaire irréconciliable de l'ordre social, menacé par lui d'une révolution réactionnaire ? Et dans les Pays-Bas, sa conduite n'est-elle pas plus significative encore ? Ne proteste-t-il pas contre la Loi fondamentale, contre la tolérance, contre les lois civiles les plus essentielles à la liberté de conscience et à l'égalité des citoyens ? Pour lui résister, il n'est évidemment qu'un moyen : faire bloc autour du roi, protecteur de l'Etat, et par cela même protecteur des principes sur lesquels il est fondé. La liberté politique importe peu : ce qui importe, c'est la défense de la liberté civile contre l'Eglise qui la menace. Le libéralisme consiste en ce moment-là, non point à attaquer les prérogatives royales, mais, au contraire, à les soutenir, puisqu'elles sont le rempart indispensable à la défense du régime nouveau contre l'Ancien Régime. Ainsi pense Reyphins, ainsi pense Dotrenge (15), juristes formés par la législation et l'administration napoléoniennes et qui, durant les premières années de l'existence du royaume, seront les coryphées de ces libéraux belges dont l'attachement à l'Etat laïc et à la société civile fera les plus fermes appuis de la couronne. S'ils la défendent, ce n'est point par attachement à la Hollande. Leurs principes, leur formation, leur langue, tout cela vient de France, et c'est un spectacle curieux et paradoxal que de voir Guillaume, cette sentinelle de l'Europe contre la France, forcé de s'appuyer, par nécessité, sur une clientèle de libéraux d'éducation toute française. EMIGRES FRANÇAIS ET LIBERAUX. -Bien plus ! On le voit protéger ces émigrés français qui, forcés par la Restauration de chercher un asile dans son royaume, abondent à Bruxelles ou s'installent, au gré des hasards de leur existence cahotée, dans les grandes villes de Belgique. C'est un pêle-mêle extraordinaire que ces réfugiés : régicides frappés par la loi du 12 janvier 1816, anciens dignitaires de l'Empire, hommes politiques, pamphlétaires, journalistes, appartenant aux classes sociales les plus diverses, mais unis en une haine commune contre les Bourbons (16). Quelques-uns, arrivés à la fin de leur carrière, comme Cambacérès, Sieyès ou Merlin, ne songent plus qu'à se ménager dans les Pays-Bas un exil confortable. D'autres, moins bien nantis, s'inscrivent au barreau, vivent de leçons et surtout cherchent dans le journalisme un exutoire à leur activité et à leurs passions politiques. Une ancienne « merveilleuse » du temps du Directoire, Mme Hamelin, a fait de son salon leur quartier général. C'est là que, groupés autour de Vadier, de Cambon, de Rouyer de l'Hérault, de Prieur de la Marne et de bien d'autres, ils entretiennent leurs espoirs et leurs rancunes. C'est là qu'on prépare les articles de cette quantité de gazettes, L'Observateur allemand, La Gazette de Brème, La Gazette du Rhin, Le Nain Jaune, Le Mercure Surveillant, qui inlassablement attaquent, persiflent et raillent le gouvernement de Paris, la réaction, l'obscurantisme, le cléricalisme, le drapeau blanc et la Sainte-Alliance. Bruxelles devient un foyer d'intrigues bonapartistes et libérales contre la France de la Restauration. Et malgré les représentations des ministres de Louis XVIII, malgré les conseils de prudence qu'il reçoit de la Russie, de l'Autriche et même de l'Angleterre (17), le roi laisse faire et témoigne en faveur des pamphlétaires français une mansuétude qui touche à la complicité. Lui, si ardent à poursuivre les journalistes belges, il se retranche maintenant (Musée de Marlemont.) Plat décoré en camaïeu rose et or, ayant appartenu à François de Méan, dernier prince-évêque de Liège, archevêque de Malines (Château de Saive, 1756- Malines, 1831). Porcelaine de Tournai, l'une des dernières pièces dignes des belles porcelaines du XVIIIe siècle. Œuvre de Henry-Joseph Duvivier. derrière la Loi fondamentale et invoque la liberté de la presse. Visiblement, il est bien aise d'une campagne qui, puisqu'elle attaque le cléricalisme des Bourbons, condamne en même temps le cléricalisme belge. Il jouit agréablement, au surplus, des louanges dont le comblent ses protégés et du libéralisme dont ils lui font gloire. Il laisse le prince d'Orange leur manifester publiquement des sympathies compromettantes. Il n'a vraisemblablement pas tout connu du complot ridicule où la vanité du prince l'a entraîné en 1816 dans l'espoir insensé de détrôner Louis XVIII à son profit, avec l'aide des bonapartistes (18). Il est impossible pourtant qu'il en ait tout ignoré et du moins peut-on lui reprocher, en cette affaire, d'avoir sacrifié à sa complaisance pour les libéraux français et à son antipathie pour les Bourbons, la correction que lui imposait sa mission européenne. Il n'a pas assez de pénétration d'ailleurs pour observer que les réfugiés, par leur prestige, par leur talent, par l'action sociale qu'ils exercent, répandent autour d'eux cette influence française dont il voudrait affranchir la Belgique. Sous l'Empire, Bruxelles, réduit à n'être plus qu'une simple préfecture, n'avait eu que l'activité intellectuelle d'une ville de province. Et voici que dans le même moment où il est élevé au rang de seconde capitale du royaume des Pays-Bas, il devient un ardent foyer de propagande politique libérale et d'agitation politique. L'activité qu'y déployent les réfugiés le fait sortir peu à peu de son engourdissement et de son apathie. L'opinion se passionne pour leurs polémiques, s'intéresse à leurs principes, s'inspire de leurs idées, s'éprend de leur style, de leur esprit, de leur faconde et, dominée par eux, s'oriente toujours davantage vers la France et vers Paris. Incontestablement, les gens qui lisent ne lisent que des journaux français. Ceux du pays cherchent à en imiter le ton et se forment à leur exemple. La presse, attentive à tout ce qui paraît à Paris, en lance aussitôt des contrefaçons. Le théâtre du Parc, où les réfugiés font venir des troupes françaises, joue devant une salle comble. Jamais, semble-t-il, depuis la fin du XVIIIe siècle, l'emprise de la France sur la Belgique n'a été aussi grande qu'à ce moment. On s'y abandonne parce qu'on n'a plus à la craindre, parce qu'elle n'agit plus que par son prestige, et qu'elle ne s'impose plus comme jadis par la violence et la conquête. Aussi bien, ne sont-ce point les mêmes problèmes qui, des deux côtés de la frontière, se trouvent à l'ordre du jour ? Ici et là, la même lutte ne se livre-t-elle pas entre adversaires et partisans du monde nouveau-né de la Révolution ? La portée du conflit allait bien au delà des questions de l'heure, mais personne encore ne pouvait en prévoir les répercussions lointaines. Pour le moment, elle semblait circonscrite aux limites de la Loi fondamentale et le roi, satisfait de l'appui que lui apportaient les libéraux, comptait sur leur adhésion perpétuelle et se croyait habile en secondant partout leurs progrès. * Dans presque toutes les grandes villes, ils dominaient dans les loges maçonniques. Elles s'étaient reconstituées sous l'Empire, au gré des circonstances, et elles avaient attiré vers elles la bourgeoisie anticléricale. Peu influentes d'ailleurs et n'entretenant les unes avec les autres que des rapports peu suivis, elles s'étaient soigneusement abstenues d'attirer sur elles l'attention de la police napoléonienne. Mais, après 1815, elles aussi avaient ressenti l'influence des réfugiés français. A Bruxelles, Prieur de la Marne LE ROYAUME DES PAYS-BAS (Douai, sous-préfecture.) Philippe-Antoine Merlin, dit Merlin de Douai (Arleux [Nord], 1754-Paris, 1838), exilé dans les Pays-Bas de 1815 à 1830. Tour à tour président du tribunal criminel du Nord, membre de la Convention, chargé de mission dans le Nord et en Vendée, président de la Convention après avoir contribué à la chute de Robespierre, membre du Comité de Salut public, du Comité des Cinq et du Conseil des Anciens, Merlin de Douai devint procureur général de la Cour de cassation, membre à vie du Conseil d'Etat et comte sous l'Empire. La restauration des Bourbon le décida à s'exiler dans les Pays-Bas (1815-1830). Après son retour en France, il fut nommé membre de l'Académie des Sciences morales. — Buste de plâtre sculpté en 1835 par Pierre-Jean David d'Angers (Angers, 1788-Paris, 1856). La ville de Douai possède deux exemplaires de ce buste : le premier, provenant du musée détruit en 1944, est conservé à la sous-préfecture; le second à la mairie. était secrétaire et orateur des « Amis philadelphes », et dans toutes les autres loges l'action des proscrits de la Restauration était prépondérante. Le roi songea tout de suite à les utiliser à son profit et à les détacher du Grand-Orient de France pour les unir en un seul corps national. En 1818, il parvint à faire reconnaître son second fils, le prince Frédéric, comme grand-maître de toutes les loges du Royaume (19). En même temps, une propagande entretenue dans l'armée par les plus hautes autorités militaires s'efforça de faire entrer les officiers dans la maçonnerie (20). Ainsi le gouvernement aurait la haute main sur les centres les plus actifs de l'opinion libérale qu'il s'obstinait à confondre, au moins en Belgique, avec l'opinion monarchique. Evidemment, le roi travaillait à se constituer un parti. Il ne s'avisait pas qu'en s'alliant aux libéraux et aux francs-maçons il approfondissait le fossé qui le séparait des catholiques. S'en fût-il avisé d'ailleurs, il ne s'en fût pas inquiété. Il savait bien que dans les provinces du Sud, ils étaient beaucoup plus nombreux que leurs adversaires, que seuls, grâce au clergé, ils atteignaient et influençaient l'opinion du peuple, que, dans les régions flamandes surtout, leur situation était d'autant plus forte que la foi était plus vive; mais qu'avait-il à en redouter ? Il est certain qu'ils ne pouvaient songer et qu'ils ne songeaient pas à une révolte. Agir sur les Etats-Généraux leur était plus impossible encore, puisque le gouvernement disposait à sa guise des élections et qu'au surplus, assuré du vote des Hollandais et des libéraux belges, il ne crai- gnait aucune opposition. Il suffirait donc au roi de parler haut et au besoin d'agir ferme pour rappeler à l'ordre et maintenir dans le devoir les « fanatiques » ou les mauvais citoyens qui boudaient l'Etat. De très bonne foi, il était convaincu qu'ils constituaient un péril pour le royaume et que son devoir était de les mater. Ne protestaient-ils pas contre la Loi fondamentale ? Ne les voyait-on pas applaudir publiquement aux mesures par lesquelles la « Chambre introuvable » cherchait en France à restaurer le règne de l'Eglise au profit de l'Ancien Régime ? L'influence française, qui lui apparaissait si bienfaisante chez les libéraux, lui apparaissait chez les catholiques comme une menace permanente pour la sécurité des Pays-Bas. Sa politique interne et sa politique extérieure lui commandaient également de combattre une faction si dangereuse. Son anticléricalisme, pur de toute arrière-pensée confessionnelle, se justifiait à ses yeux par raison d'Etat. Il n'était que de tenir la dragée haute aux « apostoliques ». La manière forte à leur égard était la seule bonne. Joseph II et Napoléon lui avaient montré la voie à suivre. L'essentiel pour réussir était de ne pas se brouiller avec les libéraux. Mais leur concours ne lui était-il pas garanti ? Comment eussent-ils hésité à collaborer avec lui contre des gens qui rejetaient leurs principes avec horreur, les abreuvaient d'outrages et osaient railler leurs doctrines « qu'on a nommées libérales comme les Grecs appelaient les furies euménides »? (21). Si l'on jette un coup d'œil sur la situation politique telle qu'elle se dégage immédiatement après 1815, elle apparaît donc sous un aspect assez simple. Pour le roi, la tâche essentielle est de constituer l'« amalgame » des deux parties du royaume. Il le doit, de par le mandat qu'il a reçu de l'Europe, et il le veut, de par son intérêt de souverain. Pour s » 3 I •"t i aa coxsidhn vtio.xs srn l'nisTorr.i: ne à s'effacer «le l'esprit des Porcs de l'egli-sc(i), el qui cependant u'étoil basée que sur la fraude pieuse, la plus mal-adroite que les chrétiens eussent jamais mise en usage, lors de leurs continuelles suppositions de livres cauoniques. Le zèle alors excusoit tout : o'é-loit après avoir émis un sentiment, qu'on en fabiiquoit les preuves; et si l'on ne vouloit point se donner celle peine, on en trouvoit en lous lieux,qui devenoient incontestables pour «les esprits prévenus. C'est ainii que, selon eux, Virgile avoit été doué du même esprit prophétique, qui aniinoit les sybilles. Je donnerai enfin pour dernier exemple do nin ce que j'ai avancé, la narration des amours des auges avec les filles des hommes, que Justin,Athénagore,Clémcntd'Alcxandrie(a), Tertullien (3;, Cypricn (4), Lactancc (5), Commodien, Sulpioe Sévère, etc., ont puisé dans les livres d'Enoch, reconnus depuis eux (i) S. Juilin. orat. partout. adgrœc. ; Luttant. L a , c. la ; 1. 4, c. 15, etc. ; S. Augtitt. de cm/a/, Dei, lib. 18, c. j3; S. Hieronym. cont. Jovinian. I i . n° 4i. (a) S. C/enunt. n!ex and. hypotjrpos', apud Phot. biblioth. c. lot). (3) TertuUian. idol c. 9 ; cutt./emin. t. 1, r. a ; i'irgin. ve/and. c. 7. (4) S. Crprian. de habit, virgin. i't) J.attnn/. f. a, r. 1 nrs PRINCIPAUX CONCILES. pour apocryphes, quoique les apôtres eux-mêmes y eussent puisé. Bientôt une partie de ces auteurs eurent le même sort, et les autres furent exceptés, on ne sail pas trop pour quelle raison. A la fin du Ve siècle, Gélase et son concile de Rome déclarèrent apocryphes les écrits dcTertuilien(i),de Ijic-tauce et de Commodien. D'après ce court exposé, le lecteur ne s'étonnera plus si Origène, l'auteur ecclésiastique qui ait le plus contribué au mélange de la philosophie avec le» dogmes du christianisme, s'est vu, en différents temps, l'objet de l'admiration de ses frères et celui de leur haine; s'il a été en exécration aux un», tandis que d'autres voyoient en lui la source la plus pure de la sagesse et de la véritable piété. Origène avoit essayé de fonder sur de» bases plus raisonnables el plus solides, le système religieux déjà édiGé avant lui. Il s'appuya à cet effet île la philosophie de Platon el de celle de Pythagore fa). Je ne dirai point si sou chpix fut éclairé, mais je sais bien qu'il dénatura tout ce qui lui passa par les mains, et que, des que l'on eut tracé une route nouvelle, il dut nécessairement devenir, aux accomplir cette œuvre difficile, il ne compte que sur son pouvoir personnel, appuyé par les Hollandais et par les libéraux de Belgique. Un obstacle se dresse devant lui : la résistance catholique qui se confond à ses yeux avec le péril français. Le bien de l'Etat exige qu'elle soit abattue. Sa cohésion politique, sa prospérité et sa sécurité sont à ce prix. LE ROI ET LES LIBERAUX. — Le « jugement doctrinal » publié par les évêques après la promulgation de la Loi fondamentale avait suscité au sein du clergé une agitation factieuse puisqu'elle s'en prenait à la constitution même de l'Etat. Elle apparaissait d'autant plus intolérable que son instigateur, Mgr de Broglie, ne cachait pas ses sympathies pour la France de Louis XVIII. Dès le mois d'août 1815, le roi l'accusait «de ne se servir de son ministère que dans des vues politiques » (22), et les apparences lui donnaient raison. En réalité, le palais épiscopal de Gand était un foyer d'influence française. A l'ancien vicaire général Duvivier avait succédé un Français, l'abbé Lesurre, qu'inspirait l'outrance réactionnaire du clergé de la Restauration. L'attachement des prêtres flamands à leur évêque, dans lequel ils vénéraient depuis son exil sous Napoléon un martyr de la foi, ne garantissait que trop bien leur obéissance à ses directions. Ils formaient bloc autour de lui, et le diocèse de Gand, uni dans une même volonté d'opposition au pouvoir civil, semblait, au milieu du royaume, une petite Eglise combattive et rebelle. On eût dit que son chef s'obstinait par orgueil à braver le roi. Ne tenant compte ni du Concordat ni des lois (23), il nommait des curés sans les faire agréer par le gouvernement, appelait de France des congréganistes, installait des jésuites français dans son château de Destelberghen, et, en obligeant le pouvoir à les expulser, le contraignait à prendre des allures persécutrices qui révoltaient l'opinion. Le conflit s'aigrissant de jour en jour, avait fini par prendre les apparences d'une querelle personnelle entre le roi et le prélat. Les scrupules d'orthodoxie que Mgr de Broglie avait invoqués en octobre 1816 pour refuser des prières publiques à l'occasion de la délivrance de la princesse d'Orange, une schismatique (24), sans y être formellement autorisé par le pape, avaient laissé dans l'âme de Guillaume une rancune inoubliable. (1) Gratinn. deeret. dût. i5, c. 3 (a; Etire/,, h ht. ecel. 1.6, c. 19 (Bruxelles, Bibliothèque Royale, livre coté V.B. 8131 a.) « ... le jeune Louis de Potter dont le premier ouvrage, « Les considérations sur l'histoire des principaux Conciles» (1816), attaquait avec âpreté l'Eglise catholique.» (Voyez le texte, p. 439.) Pages des Considérations sur l'histoire des principaux Conciles, depuis les Apôtres jusqu'au grand schisme d'Occident de L. de Potter (Bruxelles, 1816, 2 vol. ln-8») t. I, p. 122-123 : 1 auteur traite des « amours des anges avec les filles des hommes i> en s'appuyant sur « Justin, Athénagore, Clément d'Alexandrie, Tertullien, Cyprien, Lactance, Commodien, Sulpice Sévère, etc. ». L'inspiration violemment anticléricale des Considérations... leur enlève une grande part de leur valeur. CONFLIT DU ROI ET DES EVEQUES. — Mais le plus grave était la campagne que le clergé, et à sa tête le clergé des Flandres, continuait de mener contre la Loi fondamentale. Son intransigeance semblait s'exaspérer par la durée. Les curés interdisaient aux fidèles de prêter serment à la loi, leur faisant ainsi une obligation de conscience de renoncer aux fonctions publiques pour lesquelles ce serment était requis. On allait jusqu'à refuser l'absolution, non seulement à ceux qui l'avaient prêté, mais même aux notables qui avaient approuvé la constitution. A cette obstination, le roi opposait une obstination semblable. Des ordonnances étendaient l'obligation du serment à tous les fonctionnaires publics. Il fallait prendre parti : ou pour l'Eglise contre la couronne, ou pour la couronne contre l'Eglise. L'excommunication civile répondait à l'excommunication religieuse. Cependant, le gouvernement se préoccupait de trouver une issue à la situation dans laquelle il s'enfermait faute de vouloir et de pouvoir céder. Le siège archiépiscopal de Malines était toujours vacant, et il fallait obtenir de Rome la nomination d'un prélat dont la modération pût être opposée à l'intolérance du prince de Broglie. Les négociations étaient difficiles. Par point d'honneur sans doute et pour bien affirmer en face même du Vatican son hostilité à l'ultramontanisme, Guillaume avait choisi comme représentant auprès du pape un ministre, M. de Reinhold, qui affichait des convictions anticléricales, si non même antireligieuses. Son salon était un rendez-vous de libres penseurs. On y rencontrait, entre autres, le jeune Louis de Potter dont le premier ouvrage, Les considérations sur l'histoire des principaux conciles (1816), attaquait avec âpreté l'Eglise catholique. Evidemment, le roi des Pays-Bas ne croyait pas nécessaire de donner à Rome des gages de bienveillance. Il prétendait traiter avec le pape d'égal à égal, sans rien promettre et surtout sans rien sacrifier des principes joséphistes suivant lesquels il avait résolu, à l'exemple des princes allemands, de régler sa politique ecclésiastique. Ce n'était un secret pour personne que le baron Goubau d'Hovorst, un des rares Belges qu'il avait fait entrer au ministère et auquel il avait confié la direction des cultes, était un adepte aussi convaincu des tendances fébroniennes que l'avaient été, à la veille de la Révolution brabançonne, les Cobenzl et les Trauttmansdorff. Guillaume n'ignorait pas cependant, qu'au commencement de 1816, une commission de cardinaux avait condamné la Loi fondamentale, approuvé la conduite des évêques et déclaré le Concordat non applicable à un Etat gouverné par un souverain protestant. Mais il savait aussi que ses alliés étaient trop intéressés à la bonne marche de son gouvernement pour ne pas intervenir en sa faveur. Grâce aux instances de Metternich, le pape finit par consentir à nommer au siège de Malines le candidat du roi, Mgr de Méan. Cet ancien prince-évêque de Liège, resté fidèle aux traditions monarchiques de la haute Eglise d'Allemagne, (Oand, Evêché.) (Cliché De Wilde.) Maurice-Jean-Madeleine, prince de Broglie, évêque de Gand (Château de Broglie en Normandie, 1766-Paris, 1821). Napoléon l'avait nommé son aumônier et lui avait donné l'évéché d'Acqui dans le Piémont (avril 1805). Deux ans plus tard, il obtint son transfert à Oand pour raison de santé. Mais il ne tarda pas à entrer en conflit avec l'empereur dont la politique religieuse rencontrait l'opposition de la majorité du clergé. Sa résistance provoqua sa disgrâce : Napoléon le fit Incarcérer dans le donjon de Vincennes, puis exiler dans l'île Sainte-Marguerite sur les côtes de l'ancienne Provence. Réintégré dans ses fonctions en 1814, Maurice de Broglie marqua son opposition aux principes développés dans la Loi fondamentale en faisant paraître successivement une Adresse au roi, une Instruction pastorale (voyez p. 424) et un Jugement doctrinal (voyez p. 432). Le ministre de la Justice, van Maanen, fit citer l'évêque de Gand devant la cour d'assises de Bruxelles sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté de l'Etat. En réalité, le gouvernement voulait mater la résistance des catholiques en la personne de leur porte-parole le plus écouté. L'évêque fut condamné par contumace à la déportation (8 novembre 1817). II s'était réfugié en France. Il mourut à Paris le 20 juillet 1821. — Portrait non daté peint par un artiste inconnu. Dans le coin supérieur du tableau, à gauche sur la photographie, les armes de l'évêque. jouissait depuis longtemps déjà de la confiance de Guillaume. Il avait accepté en 1815 de siéger dans le comité chargé de remanier la Loi fondamentale. Il n'était donc pas possible qu'il s'insurgeât contre une constitution dont il était en partie responsable. Et en effet, en qualité de membre de la première Chambre des Etats-Généraux, il avait prêté le serment qui avait torturé tant de pauvres gens sur leur lit de mort. Mais cette complaisance l'avait compromis aux yeux du pape. Il lui était dur de placer à la tête des évêques belges un homme qui les avait ouvertement désavoués. Pour obtenir ses bulles, Méan dut se résigner à déclarer qu'il n'avait prêté serment que dans un sens purement civil et qui n'impliquait nulle adhésion dogmatique à la tolérance religieuse (18 mai 1817). Il ajoutait (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) L'abbé Léon De Foere (Thielt, 1787-Bruges, 1851). Fondateur, directeur et éditeur du Spectateur Belge, ouvrage historique, littéraire, critique et moral (Bruges, 1815-1822, 15 vol. in-8° + 2 livraisons), comme Addison, auquel il empruntait le titre de sa revue, De Foere mêlait littérature, philosophie et événements politiques d'actualité. Il contesta d'abord l'universalité de la langue française et se plut à exalter la langue et la culture du peuple flamand qu'il voulait à tout prix détacher de l'influence française. Peu à peu, les correspondants du Spectateur émurent le gouvernement par la hardiesse de leurs vues considérées comme réactionnaires, inspirées de l'idéal de l'ancien régime et anti-gouvernementales. Le 9 février 1817, l'abbé De Foere était arrêté, et condamné à deux ans de prison le mois suivant. Après sa libération, le Spectateur reparut jusqu'en 1823 mais se garda bien de renouer des polémiques qui avaient valu l'emprisonnement à son directeur. Durant sept ans, l'abbé De Foere se retira de la vie publique. 11 fut élu en novembre 1830 député de Bruges au Congrès national. C'est lui qui prit la parole à Londres au nom des délégués du Congrès chargés d'offrir la couronne du royaume de Belgique à Léopold de Saxe-Cobourg Gotha. De 1831 à 1848, l'arrondissement de Thielt l'envoya à la Chambre des représentants où il soutint la cause de l'unionisme. — Portrait gravé par Charles Baugniet (Bruxelles, 1814-Sèvres, 1886) en 1842. d'ailleurs quelque temps après, que Sa Sainteté n'avait pas condamné le serment, et que les explications qu'elle lui avait demandées n'avaient eu pour but que de calmer les esprits et les consciences (25). Rome le blâma sans lui tenir rigueur de cette incartade. Au fond, elle-même souhaitait la fin d'un conflit qui l'embarrassait fort puisqu'elle n'osait se brouiller avec Guillaume. Le 28 juillet, Méan était préconisé comme archevêque. Dès lors, la résistance de l'Eglise belge devenait impossible. Comment eût-elle pu continuer à interdire aux fidèles un serment que son chef avait prêté ? Le pape lui-même, en acceptant Méan, abandonnait de Broglie. Le gouvernement triomphait et il n'eut pas la magnanimité d'épargner son adversaire. CONDAMNATION DE MONSEIGNEUR DE BROGLIE. — Dès le 24 février 1817, l'évêque de Gand avait été cité par l'ordre du ministre de la Justice van Maanen, devant la cour d'assises de Bruxelles, comme coupable de manœuvres contre la sûreté de l'Etat. Décrété de prise de corps après avoir récusé la compétence de la juridiction laïque, il s'était prudemment réfugié en France, d'où il chercha, vainement d'ailleurs, à intéresser à sa cause les empereurs d'Autriche et de Russie ainsi que Louis XVIII. Le 8 novembre, il était par contumace condamné à la déportation. Le gouvernement rejeta, sans convaincre personne, sur le zèle indiscret d'un fonctionnaire, l'indignation provoquée par l'affichage de cette sentence, en plein marché de Gand, entre les piloris auxquels étaient attachés deux voleurs de profession. Désormais, plein de confiance dans ses forces, il reprend exactement vis-à-vis du clergé, les allures cassantes et brutales de l'administration napoléonienne. Considérant l'évêque de Gand comme « mort civilement », il prétend imposer au chapitre l'élection de vicaires capitulaires, et, sur son refus, expulse du royaume le vicaire général Le-surre, fait jeter ses collègues en prison, met l'embargo sur les traitements des chanoines, soumet les séminaristes au service militaire et suspend les curés nommés par de Broglie sans l'agrément du roi. En 1818, il intime à tous les ordres religieux voués à la vie contemplative la défense d'admettre des novices. Et le pape, redoutant une rupture qui livrerait les catholiques de Belgique au bon plaisir d'un roi calviniste, s'abstient de protester. Il négocie au lieu d'agir, et sa longanimité tolérant des mesures qu'il réprouve, décourage et déconcerte la résistance. La mort du prince de Broglie, le 20 juillet 1821, fut l'occasion d'un apaisement souhaité par tout le monde. Cette fois, l'évêché de Gand était bien réellement vacant. Le roi n'avait plus à craindre, en montrant moins de raideur, de paraître capituler devant l'adversaire qui lui avait tenu tête durant si longtemps. Il autorisa la prestation du serment des fonctionnaires suivant la formule employée par Méan. Mais sa victoire le confirma dans l'idée que la manière forte qui lui avait si bien réussi, était la vraie manière d'en agir avec l'opposition. LA PRESSE. — Il se flattait d'ailleurs de l'avoir appliquée à la presse avec autant de succès qu'à l'Eglise. Tous les journaux qui s'étaient permis de critiquer sa conduite ou même seulement de la discuter, avaient été impitoyable- (Amsterdam, Bibliothèque de l'Université, livre coté 1150 H 223.) Illustration coloriée d'un livre d'école élémentaire hollandais : « de Ketellapper » (celui qui répare les chaudrons). Extraite de VHernieuwde Kindervreugd, 3«-4« édit. (Amsterdam, 1823) p. 22-23. ment poursuivis. En fait, la presse était soumise à l'arbitraire. Car si l'arrêté draconien qui l'avait régie depuis 1815 avait été, le 6 mars 1818, remplacé par une loi, celle-ci n'en continuait pas moins à taxer de délit toute tentative malveillante d'exciter l'opinion. Et les accusés se trouvaient dans une situation d'autant plus redoutable que le jury étant aboli, ils ne relevaient que de tribunaux enclins à témoigner au pouvoir une complaisance que l'absence de l'inamovibilité explique aisément. Aussi de 1816 à 1821, une véritable persécution s'était-elle abattue sur la presse et plus spécialement sur la presse catholique. Dès procès retentissants aboutissaient à des condamnations exemplaires. En 1817, l'abbé de Foere, appréhendé au seuil de son église, subissait deux années d'emprisonnement pour avoir attaqué, dans le Spectateur Belge, les « absurdes prétentions antireligieuses du gouvernement» (26). En 1820, un ouvrage de F. van der Straeten sur l'organisation défectueuse du royaume attirait à son auteur une amende de 3,000 florins, et ses avocats, coupables d'avoir défendu leur client avec trop d'énergie, étaient arrêtés et suspendus (27). D'autres poursuites furent intentées au Journal de la province d'Anvers, au Journal de Gand, au Flambeau, au Vrai Libéral, etc. L'abolition du régime de 1815 n'avait donc eu pour conséquence que de soumettre la presse à la surveillance des tribunaux. Il était loisible à chacun de publier un journal à condition de n'y rien dire qui pût offusquer les autorités. Rien d'étonnant si, sous un tel régime, les organes de l'opinion catholique cessèrent de paraître ou se confinèrent dans une peureuse insignifiance. Seuls les journaux libéraux conservèrent le droit de critiquer leurs adversaires, aussi longtemps du moins que ces adversaires se confondirent avec ceux du gouvernement. Plus attentifs à leurs intérêts qu'à leurs principes, ils s'abstinrent de revendiquer pour autrui l'indépendance dont ils ne jouissaient qu'à charge de n'en pas abuser. En les laissant attaquer les catholiques et le gouvernement français, l'administration leur donna l'illusion qu'ils étaient libres (28). Si les procès de presse soulevèrent çà et là quelque agitation, si, par exemple, l'amende encourue par van der Straeten fut payée par souscription publique, les sévérités prodiguées à la presse n'émurent pas profondément l'opinion. On s'y accoutuma comme à une conséquence du régime. La politique dans l'enfance n'éprouvait pas encore le besoin impérieux d'élever la voix. Ce n'était point par vaine satisfaction d'absolutisme que le roi s'attachait à écraser les résistances et à étouffer les protestations. Il voulait sincèrement le bien du royaume et il était non moins sincèrement persuadé que lui seul était à même de l'accomplir. Il ne concevait le gouvernement que sous la forme d'une administration soumise, sans obstacles et sans interventions intempesti- ves, à sa volonté, organe et instrument de la prospérité générale. Ses idées, il importe de le redire encore, restaient au fond celles du despotisme éclairé du XVIIIe siècle. Antirévolutionnaire en ce sens qu'il repoussait comme une absurdité malfaisante le dogme de la souveraineté du peuple, il admirait, en revanche, parce qu'il y voyait le dernier perfectionnement de l'Etat, cette centralisation politique et ce fonctionnarisme d'esprit moderne que l'Empire avait recueilli de la République et qu'il avait porté à sa perfection. Joseph II s'alliait ainsi en lui à Napoléon. Son idéal eût été sans doute d'appliquer, dans l'esprit du premier, le système gouvernemental du second. Mais en conservant tout ce qu'il est possible de conserver de l'administration impériale, il en dirige, si l'on peut ainsi parler, le fonctionnement contre la France. Car son devoir comme son intérêt lui imposent une politique antifrançaise. Il y est obligé tant comme gardien de la barrière de l'Europe, que comme souverain d'un Etat dont la solidité croîtra dans la mesure où il s'imprégnera d'une individualité politique distincte unissant en un tout homogène les deux parties disparates dont il se compose. Pour que le royaume des Pays-Bas soit viable, il importe avant tout que la Belgique, rompant les liens qui depuis vingt ans l'ont attachée à la France, s'unisse étroitement à la Hollande dans la communauté des mêmes institutions, des mêmes intérêts, du même attachement à la dynastie, de la même conscience nationale. Et c'est à cette tâche que le roi se consacre avec un zèle sincère et impatient (29). On dirait qu'il a hâte de prouver à l'Europe qu'il mérite sa confiance. Dans tous les domaines, il suscite et surveille l'activité de ses agents, les ingénieurs militaires poussent la construction des forteresses avec une énergie qui ravit le duc de Wellington. En 1820, cette grande œuvre (Citadelle de Dinant.) (Cliché Séha.) « En face des places françaises... s'élève maintenant... une ligne de défense si serrée et si redoutable qu'elle parait justifier l'orgueilleuse inscription gravée aux portes de ses citadelles : « Nemo me impune lacesset. » (Voyez le texte, p. 442.) — Inscription latine gravée sur la citadelle de Dinant par les Hollandais. L'inscription dont parle Pirenne était gravée au fronton de la poterne de la citadelle de Gand, aujourd'hui détruite. On n'a pas relevé d'inscription identique sur les portes des anciennes forteresses beiges existant encore aujourd'hui. Par contre, une sentence de même inspiration a été gravée sur une porte de la citadelle de Dinant occupée par les Hollandais de 1815 à 1830 : NI C1RCUMSPIC1AS AGORED1ARE CAVE. ANNO VI POST PRAELIUM AD WATERLOO. est achevée. En face des places françaises fortifiées par Vauban, s'élève maintenant, pourvue de tous les perfectionnements modernes, une ligne de défense si serrée et si redoutable qu'elle paraît justifier l'orgueilleuse inscription gravée aux portes de ses citadelles : Nemo me impune lacesset. NATIONALISATION ADMINISTRATIVE. - Et en même temps qu'il s'arme, le jeune royaume s'organise et s'affirme. Son administration dépouille les formes françaises que la conquête lui a imposées pour se rattacher en apparence au passé national. Les préfets, déjà mués en intendants dès 1814, reprennent le titre traditionnel de (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Monnaies du règne de Guillaume Ier. 1 : Droit d'une pièce de 10 florins à l'effigie du roi. Légende : WILLEM KONINO DER NEDERLANDEN. Or, atelier de Bruxelles. — 2 : Revers de la pièce de 10 florins, aux armes du royaume. Légende : MUNT VAN HET KONINORYK DER NEDERLANDEN. 1827. — 3 : Droit d'une pièce de 3 florins à l'effigie du roi. Même légende que 1. Pied-fort frappé sur flan bruni, exemplaire très rare (six types seulement sont connus). Argent, atelier de Bruxelles. Poids : 62,5 grammes. — 4 : Revers de la pièce de 3 florins, aux armes du royaume. Légende : MUNT VAN HET KONINGRYK DER NEDERLANDEN. 1822. — 5. Droit d'une pièce de 2 1/2 florins à l'effigie du roi. Légende : WILLEM KONINO DER NED(ERLANDEN). G(ROOT). H(ERTOG). V(AN). L(UXEMBURG). Argent, atelier d'Utrecht. — 6 : Revers de la pièce de 2 1/2 florins, aux armes du royaume, Légende : MUNT... etc. 1840. — 7 : Droit d'une pièce d'un florin à l'effigie du roi. Même légende que 5. Argent, atelier d'Utrecht. - 8 : Revers de la pièce d'un florin, aux armes du royaume. Légende : MUNT... etc. 1824. — 9 : Droit d'une pièce de 25 cents à l'initiale du roi couronnée et datée 1829. Argent, atelier de Bruxelles. — 10 : Revers de la pièce de 25 cents, aux armes du royaume. — Les pièces numérotées 1, 2, 3, 4, 7 et 8 ont été gravées par Auguste-François Michaut (Paris, 1786-1879) : elles portent au bas l'ancre et la lampe romaine, marque du graveur. La pièce numérotée 5 et 6 a été gravée par Jean-Pierre Schouberg (La Haye, 1798-Utrecht, 1864). La palme et le B qui figurent au bas des numéros 2, 4 et 10 sont la marque de l'atelier de Bruxelles; la fleur de lys et le caducée du numéro 6 et la fleur de lys et le flambeau du numéro 8 sont les marques de l'atelier d'Utrecht. gouverneurs. Les « provinces » se substituent aux départements, et leurs vieux noms historiques remplacent ceux dont la République les avait baptisés en les absorbant. A la place des départements de Jemappes, de l'Ourthe, des Forêts, de la Dyle, des Deux-Nèthes, de Sambre-et-Meuse, de l'Escaut, de la Lys, de la Basse-Meuse, apparaissent maintenant, pour subsister jusqu'à nos jours, les provinces de Hainaut, de Liège, de Luxembourg, de Brabant, d'Anvers, de Namur, de Flandre Orientale, de Flandre Occidentale et de Limbourg. En réalité, il n'y a là qu'une transformation de pure forme. Car sous leurs noms antiques, les provinces ne sont que des départements, comme les gouverneurs, des préfets. Mais les mots, en politique, ont la valeur d'un programme et les transformations du langage indiquent une transformation de l'esprit. En reprenant pour l'opposer au vocabulaire de la République et de l'Empire, le vocabulaire historique et national, le gouvernement, tout en conservant l'administration française, indique nettement sa volonté d'élever entre les Pays-Bas et la France, en même temps qu'une barrière militaire, une barrière morale. La même tendance s'atteste dans d'autres réformes. Le système métrique des poids et mesures reste en vigueur, mais le mètre, désormais, s'appellera aune (elle), le décimètre, palme (palm), le centimètre, pouce (duim), et le millimètre, ligne (streep). De même, si l'organisation judiciaire de l'Empire continue de fonctionner à peu près sans changements, il importe de nationaliser les codes imposés par la conquête, et une commission de juristes hollandais est chargée de leur revision. Quant à la monnaie, le florin, rendu décimal à l'exemple du franc, devient, en se substituant à lui, le symbole et l'instrument de l'indépendance économique du royaume (28 septembre 1816). Les tarifs douaniers édictés en 1816 et en 1819 affirment davantage encore cette autonomie. Leur protectionnisme n'a pas seulement pour but de répondre au protectionnisme français, mais encore de rallier à l'Etat les industriels de Belgique. L'instruction publique, que la loi fondamentale abandonne à la direction exclusive du roi, est l'objet principal de la sollicitude du gouvernement. Les soins dont il l'entoure attestent l'importance qu'il lui reconnaît. Comme les princes éclairés du XVIIIe siècle, Guillaume y voit le moyen le plus efficace de gagner la nation à l'esprit moderne, de lui permettre d'apprécier les réformes bienfaisantes du souverain et de développer, au profit du bien général, ses énergies engourdies et paralysées par l'ignorance. Mais pour qu'elle y réussisse, il faut, qu'arrachée à l'Eglise, elle se développe et s'organise sous le contrôle et la protection de l'Etat. En cela, Guillaume ne fait que continuer ou plutôt ne fait que reprendre l'œuvre tentée dès la fin du XVIIIe siècle par Marie-Thérèse et Joseph II, et que la République française puis l'Empire s'étaient efforcés de réaliser sans y réussir. C'est en vain que la Révolution avait revendiqué le monopole de l'instruction et prétendu former par elle le sentiment civique. Ses tentatives, contrariées par les troubles civils et par la guerre, se trouvèrent bientôt déformées et remaniées par l'Université impériale, pour laquelle le but suprême de l'enseignement avait été de façonner l'esprit de la bourgeoisie au service du gouvernement. Seul l'enseignement secondaire l'avait intéressée. Sa sollicitude s'était portée avant tout sur les lycées et les collèges. Lors de l'effondrement de l'Empire en 1814, les maigres facultés établies à Bruxelles disparurent. Quant aux écoles populaires, elles présentaient le spectacle le plus lamentable. La tâche s'imposait d'accomplir ce que l'Etat français n'avait pas réalisé en Belgique. Et heureusement, pour substituer son action à la sienne, le roi n'avait qu'à s'inspirer de l'exemple de la Hollande. Par opposition à la Belgique où, depuis le XVIIe siècle, l'enseignement populaire ne comprenait guère que le catéchisme, en Hollande, comme dans tous les pays protestants, la religion, en imposant à tous la lecture de la Bible, avait fait de l'école l'indispensable auxiliaire du temple. Le calvinisme avait appris à lire à la nation et l'avait tout entière, en la pénétrant de son esprit, passionnée pour les controverses qu'il suscitait incessamment entre les « ministres ». Il y avait répandu, du savant à l'instituteur, une ardeur querelleuse et sectaire qui entretenait, dans toutes les classes sociales, l'activité intellectuelle. Des universités, le mouvement se répercutait sur les gymnases et jusqu'aux plus humbles écoles de village. Il stimulait la production de la presse et, naturellement, le goût de la lecture — contracté sous l'influence des luttes confessionnelles — s'était étendu peu à peu à tous les domaines. Tous les voyageurs qui parcourent les Provinces-Unies au XVIIe et au XVIIIe siècle y sont frappés par la généralité de l'instruction. En 1805, le préfet de l'Escaut, Faipoult, constatait que par contraste avec les paysans flamands presque tous illettrés, leurs voisins de Zélande sont si instruits que chacun d'eux possède une petite bibliothèque et « consacre plus ou moins de son temps à la lecture » (30). REFORME DE L'ENSEIGNEMENT. - Le souci de l'enseignement n'avait disparu en Hollande ni sous la Ré- (Oand, rue des Foulons.) ^Cliché De Wilde.) « C'est à juste titre qu'aujourd'hui encore les armoiries hollandaises ornent les salles académiques de Gand et de Liège. » (Voyez le texte, p. 444.) — Armoiries hollandaises ornant la grande salle du Palais de l'université de Gand. La façade du Palais de l'Université est reproduite p. 473, avec une notice ad hoc. Salle académique de l'université de Liège. Elle fut construite en 1821 sur l'emplacement et avec les matériaux de l'église des Jésuites par l'architecte liégeois Jean-Noël Chevron (né à Liège en 1790). La salle, en hémicycle à gradins avec péristyle à deux étages, montrait une grisaille représentant le roi distribuant des diplômes aux lauréats. — Gravure à l'aquatinte extraite de P.-J. Goetghebuer : Choix des monumens (sic), édifices et maisons les plus remarquables du royaume des Pays-Bas (Gand, 1827, grand folio). publique batave, ni sous le gouvernement éphémère de Louis-Napoléon. L'Etat était intervenu aussitôt dans ce domaine, abandonné jusqu'alors à l'initiative des autorités ecclésiastiques et des autorités municipales. La loi sur l'instruction, promulguée en 1806, passait pour un modèle. L'organisation qu'elle avait créée était si remarquable qu'après l'annexion du pays à l'Empire, l'Université napoléonienne, par mesure exceptionnelle, l'avait laissé subsister dans ses traits principaux. Dès 1814, elle était rentrée en vigueur, et la Loi fondamentale avait eu soin de la confier, pour en mieux garantir l'existence, au pouvoir personnel du roi. L'idée d'en étendre le bienfait à la Belgique s'imposait donc d'autant plus irrésistible à son gouvernement, qu'en la transportant aux provinces du Sud, il obtenait le double avantage d'y soumettre l'enseignement à son autorité et de le faire servir en même temps à l'amalgame intime des deux parties du royaume. Rien n'est plus caractéristique des tendances de Guillaume à cet égard que la promulgation, le 27 septembre 1815, moins d'une semaine après son inauguration à Bruxelles, d'un arrêté décidant l'érection en Belgique d'une ou de plusieurs universités. Un comité formé de savants et de professeurs belges fut chargé d'étudier la question. Le rapport très intéressant qu'il soumit au roi (18 février 1816) se caractérise par un alliage singulier de propositions inspirées les unes par la tradition nationale, les autres, par le progrès des idées modernes. Il conclut en faveur d'une seule université qui aurait repris la place de celle de Louvain abolie en 1797, et dont tous les professeurs seraient catholiques. L'enseignement de la théologie ne relevant que des évêques, serait abandonné par les universités aux séminaires. En revanche, et en ceci le comité appa- raît singulièrement novateur, une faculté des sciences politiques serait instituée (31). Ces suggestions furent repoussées par le gouvernement. Il ne pouvait, sans violer la Loi fondamentale, réserver aux seuls catholiques les chaires universitaires. D'autre part, par besoin d'uniformité, il décida que de même qu'il y avait trois universités dans le Nord, à Leyde, à Utrecht et à Groningue, il y en aurait trois dans le Sud qui furent placées à Gand, à Louvain et à Liège. La seule concession faite aux Belges fut de remettre à plus tard la création de facultés de théologie. On ne constitua pour le moment que celles de philosophie et lettres, de droit, des sciences et de médecine, s'en tenant exclusivement à l'organisation et aux programmes hollandais. Comme les universités hollandaises aussi, les universités belges furent dans toute la force du terme des universités d'Etat. L'Etat seul, après avoir pris l'avis du Collège des curateurs, nommait les professeurs, et seul aussi il subvenait aux traitements et aux dépenses provoquées par l'outillage scientifique. L'érection et l'entretien des bâtiments universitaires incombaient toutefois aux communes. Peut-être eût-il été préférable de ne créer, suivant la proposition du comité, qu'une seule université. Elle eût suffi aux besoins de la population et, en concentrant sur elle tous les subsides que l'Etat dut répartir en trois, elle eût offert les condi- s* ___< ^ "f Z-- — "s. , ~ V.—£— \ ---- y^.'. /---S**--'. r~ (La Haye, Archives Générales du Royaume, Secrétairerle d'Etat, La R4 n° 117.) « Le 15 septembre de cette année (1819), un arrêté royal décidait qu'à partir de 1823, la langue nationale (landstaal) serait seule employée par l'administration et pour les plaidoiries dans les deux Flandres ainsi que dans les provinces d'Anvers, de Limbourg et de Brabant, à l'exception de l'arrondissement de Nivelles. » (Voyez le texte, p. 445.) les « A dater Exemplaire manuscrit du troisième projet d'arrêté concernant l'emploi des langues dans provinces méridionales du Royaume des Pays-Bas. L'article 5 est conçu en ces termes du premier janvier 1823, aucune autre langue que la langue nationale ne sera reconnue légale pour les affaires publiques dans les provinces de Limbourg, de la Flandre Orientale, de la Flandre Occidentale et d'Anvers. En conséquence, les autorités administratives, financières et militaires, collèges ou fonctionnaires sans distinction seront tenus, à commencer de la dite époque, de se servir exclusivement de la langue nationale dans toutes les affaires qui concernent leurs fonctions. » Article 6 : « Ne sont point comprises dans les dispositions du présent arrêté les provinces du Brabant Méridional, de Liège, du Hainaut, de Namur et le Grand-Duché de Luxembourg; mais Nous Nous réservons d'étendre ces dispositions, par un arrêté spécial,... » aux communes du Brabant méridional où le flamand est la langue usuelle, et aux communes des autres provinces autrefois rattachées à des territoires dont la langue différait de celle de la province à laquelle ces communes sont présentement rattachées. •— Le projet manuscrit soumis à l'approbation du roi Guillaume Ier et l'arrêté royal ordonnant son application portent la même date (15 septembre 1819). tions les plus favorables au développement scientifique. Telle qu'elle fut cependant, l'œuvre de Guillaume ne laissa pas d'être hautement bienfaisante. C'est à juste titre qu'aujourd'hui encore les armoiries hollandaises ornent les salles académiques de Gand et de Liège. L'ouverture des universités, qui eut lieu au mois d'octobre 1817, demeure une date mémorable de l'histoire intellectuelle de la Belgique, dont l'enseignement supérieur a conservé depuis lors les traits essentiels de leur organisation. L'enseignement moyen ou secondaire, s'il n'était pas à créer de toutes pièces, fut largement répandu. A la place des deux lycées de Bruxelles et de Liège, le gouvernement créa dans toutes les grandes villes du pays des athénées réglementés et subventionnés par lui. Les collèges libres subsistèrent, mais l'Etat les soumit à son inspection, prélude d'une emprise plus complète qui, par prudence, fut différée. Quant à l'enseignement populaire qui croupissait dans « l'abjection », il attira principalement la sollicitude du roi (32). Le principe de la liberté n'y subit tout d'abord aucune atteinte. Mais tout fut mis en œuvre pour multiplier le nombre des écoles, pour perfectionner leurs méthodes et pour garantir la compétence des instituteurs. Des circulaires enjoignirent aux gouverneurs de surveiller et de stimuler l'instruction populaire, de la conformer autant que possible aux prescriptions de la loi hollandaise, d'imposer aux communes l'entretien d'une école. Déjà les Etats de la Flandre Orientale adoptaient, le 23 juillet 1817, un règlement scolaire excellent. Et le 3 juin de la même année, un arrêté du gouvernement instituait dans plusieurs villes, sous le nom d'écoles royales, des écoles modèles. A Harlem, s'ouvrit une école normale pour la formation des instituteurs. Le désir du gouvernement de ranimer en Belgique la vie intellectuelle se manifeste encore par la reconstitution, le 18 novembre 1816, de l'« Académie des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles », créée en 1772, et que la conquête française avait balayée pêle-mêle avec les anciennes corporations. A côté des rares survivants de la Compagnie et des quelques érudits belges qui leur furent adjoints, le roi prit soin d'y faire entrer bon nombre de savants hollandais. Cette innovation ne modifia pourtant qu'en apparence le caractère de l'institution. La fondation par Louis-Napoléon, en 1808, de l'« Institut royal d'Amsterdam » avait doté le nord du royaume d'une Académie distincte qui continua d'y rester le centre de l'activité scientifique. L'Académie de Bruxelles, aux séances de laquelle ne participèrent que de loin en loin les membres néerlandais, n'éprouva donc que très faiblement leur influence. Elle demeura essentiellement une Académie belge. Comme au XVIIIe siècle, elle ne fit usage que de la langue française et la seule action qu'elle subit fut celle de la France. Autant que la - ^ ^ ^ ------- UirtrC., . ------- U 'jf- Ci*.'. ; LE ROYAUME DES PAYS-BAS France, elle ignora les méthodes qui en Allemagne renouvelaient la critique historique et philologique, tandis qu'elle témoignait plus d'activité dans le domaine des sciences exactes, au progrès desquelles la Révolution avait si puissamment collaboré. En somme, elle ne contribua nullement, comme le roi l'avait espéré, au rapprochement intellectuel des deux parties du royaume. Elle ne s'orienta point vers Amsterdam, mais vers Paris, dont son activité apparaît comme un reflet d'ailleurs assez faible. IMPOSITION DE LA LANGUE NATIONALE. — Si le gouvernement ne fit rien pour combattre le prestige séculaire dont la langue française jouissait en Belgique, il se préoccupa, en revanche, dès 1819, de lui enlever dans les provinces flamandes la situation de langue officielle qu'elle y occupait depuis la conquête française. Le 15 septembre de cette année, un arrêté royal décidait qu'à partir de 1823, la langue nationale (landstaal) serait seule employée par l'administration et pour les plaidoiries dans les deux Flandres ainsi que dans les provinces d'Anvers, de Limbourg et de Brabant, à l'exception de l'arrondissement de Nivelles. En attendant la mise en vigueur de la loi, il était permis aux autorités de s'y conformer à l'avance. Cette faculté leur était même recommandée et l'obligation était imposée aux notaires de dresser leurs actes, dès maintenant, si les parties le demandaient, dans l'idiome du pays. Ainsi, l'unité politique du royaume serait cimentée et définitivement établie par la communauté du langage. Car l'intention du roi apparaissait clairement d'étendre aux provinces wallonnes la loi qui ne s'appliquait encore qu'à la partie flamande du pays. Il la dévoilait en déclarant qu'il serait statué « plus tard » à leur égard. Evidemment, elles devaient passer à leur tour sous le régime commun. Guillaume croyait d'ailleurs ou feignait de croire que le français ne s'y était introduit que sous l'action de l'étranger et qu'en le faisant disparaître, il restaurerait, au profit de sa politique, la tradition nationale. Imposées par la nécessité d'« amalgamer » intimement le royaume, ces mesures linguistiques ne pouvaient manquer de soulever au sein de la bourgeoisie, francisée par vingt années d'occupation, un mécontentement très vif. On ne voit pas qu'on ait nulle part protesté contre le principe dont s'inspirait l'arrêté de 1819. Mais la hâte qui s'y manifestait de réaliser, en l'espace de trois ans, une réforme qui devait bouleverser si complètement les habitudes des fonctionnaires et du barreau paraissait intolérable. Que fallait-il entendre au surplus par langue nationale ? Incontestablement, il était question du néerlandais parlé dans les provinces du Nord. Mais pour les parties flamandes de la Belgique, restées fidèles à leurs dialectes, ce néerlandais littéraire, organe d'une nation hérétique dont l'Eglise s'était victorieusement appliquée depuis trois cents ans à leur éviter le contact, apparaissait comme une langue étrangère (33). La défiance du clergé pour toutes les initiatives gouvernementales devait nécessairement le porter à croire que la hollandisation linguistique n'était que le prélude de la hol-landisation confessionnelle. Ainsi, les susceptibilités religieuses venaient renforcer les appréhensions des gens en place et des avocats. Tout le monde se sentait heurté par une innovation dont la conséquence première serait d'ailleurs, incontestablement, de subordonner plus complète- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) L'instruction militaire donnée en néerlandais aux recrues wallonnes. Lithographie satirique. Un ordre vient d'être donné en néerlandais. Les recrues wallonnes l'interprètent toutes d'une manière différente. — Lithographie de Jean-Louis Van Hemelryck (première moitié du XIX» siècle) datée de 1826. II en existe des exemplaires noir et blanc et d'autres coloriés. ment encore qu'elle ne l'était déjà la Belgique à la Hollande. Les barreaux se signalaient par l'ardeur de leurs protestations. En 1822, celui de Gand pétitionnait pour le retrait de la loi, et une pétition en sens contraire ne récoltait aucune signature (34). Le gouverneur du Limbourg écrivait en 1821 au ministre de la justice, que les membres des Etats Provinciaux étaient incapables de se servir de la «langue nationale» (35). Les étrangers ne comprenaient pas l'obstination avec laquelle le gouvernement imposait une mesure irritante au lieu de laisser faire la liberté (36). Vainement, les conseillers les plus avisés du roi s'attachaient à lui remontrer le péril d'une transformation trop rapide (37). Sa confiance en lui-même le rendait sourd à leurs avis. La crainte même d'indisposer les libéraux, qui se recrutaient parmi la classe la plus francisée de la Belgique (38), ne le retenait pas. Il se disait sans doute que ses réformes en matière d'enseignement compenseraient à leurs yeux ses réformes linguistiques et qu'ils s'abstiendraient de soutenir contre lui l'opposition cléricale. Les catholiques, c'est-à-dire la très grande majorité des Belges, ne protestaient pas seulement contre la conduite du gouvernement. Derrière le roi, ils visaient la Hollande. Les esprits étaient montés au point qu'à en croire les ambassadeurs étrangers, la constitution du royaume ne pouvait subsister telle quelle sans provoquer une catastrophe. Il était indispensable d'y substituer une séparation administrative qui, tout en conservant l'unité du souverain, eût rendu leur autonomie à deux peuples incapables de se comprendre. Les fonctionnaires hollandais s'étonnaient et s'irritaient d'une hostilité dans laquelle ils voyaient un outrage pour velés, entretenaient un malaise et une irritation qu'il aurait fallu peu de chose pour transformer en haine nationale. IMPOPULARITE DU REGIME. — Ainsi, vers 1821, après six ans d'exercice, le gouvernement de Guillaume restait aussi impopulaire qu'à ses débuts et pourtant personne ne niait qu'il ne fût bienfaisant. La crise industrielle au milieu de laquelle il s'était constitué avait pris fin et une nouvelle période de prospérité s'ouvrait pour le pays. Le tarif protectionniste de 1816 avait sorti rapidement ses effets, tandis que les colonies hollandaises ouvraient de nouveaux débouchés aux manufactures. L'ouverture de l'Escaut, proclamée dès 1792, mais que les circonstances politiques avaient rendue illusoire sous la domination française, devenait enfin une réalité. Anvers reprenait une activité qu'il n'avait plus connue depuis la fin du XVIe siècle. L'admirable situation de la ville lui restituait le rang d'où la politique impitoyable des Provinces-Unies l'avait fait déchoir en 1648. Dès avant 1826, les principales maisons d'Amsterdam y établissaient des succursales, et l'on pouvait prévoir qu'elle deviendrait un jour le premier port du royaume. Dans toutes les provinces, la reprise du travail ramenait le bien-être. De nouvelles usines s'ouvraient; la population urbaine augmentait grâce à l'afflux des ouvriers de la campagne. Le luxe du costume attestait visiblement le confort renaissant de la bourgeoisie. En 1820, plus de six cents fabricants participaient à une exposition des produits de l'industrie nationale ouverte dans la ville de Gand. On savait que le roi s'intéressait de tout cœur à ce renouveau et que son initiative personnelle y avait largement contribué. Il s'imposait à lui-même et imposait à sa cour l'usage des produits indigènes. Sa cassette intervenait libéralement en faveur des industriels. Son cabinet était en- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse, II, 19537, ln-8°.) « Le luxe du costume attestait visiblement le conlort renaissant de la bourgeoisie. » (Voyez le texte ci-contre.) Costume parisien porté en 1825 par les « élégants » : chapeau de castor, habit de drap, gilet de piqué, pantalon de coton à raies satinées. Sous le régime hollandais, l'influence de la France continue à se manifester en Belgique dans le domaine de la mode comme dans celui de la langue. — Gravure coloriée extraite du Journal des dames et des modes (Paris) du 15 mal 1825. leur nation. La liberté de langage des Belges les indignait : « Chaque aubergiste, chaque manœuvrier, dit l'un d'eux, se prend ici pour un politique et se croit plus à même de gouverner que le Hollandais le plus intelligent » (39). Les sentiments de la haute société se manifestaient à Bruxelles, en présence même de la cour, sous une forme insultante. On affectait de ne pas se lever quand la reine entrait au théâtre. On chutait les personnes qui se permettaient d'applaudir (40). La sympathie que l'on témoignait au prince d'Orange était une manière de manifester contre le roi, dont personne n'ignorait la mésintelligence avec son fils (41). Entre le clergé et l'administration, une mauvaise volonté réciproque provoquait des froissements continuels. Les curés refusaient de chanter la messe pour la rentrée des athénées; les magistrats s'abstenaient d'assister aux processions. Et ces coups d'épingle, incessamment renou- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) « En 1820, plus de six cents fabricants participaient à une exposition des produits de l'industrie nationale ouverte dans la ville de Gand. » (Voyez le texte ci-dessus.) — Droit de la médaille de récompense accordée aux participants des expositions industrielles sous le régime hollandais. L'Industrie assise couronne un génie portant une ruche. Légende : BEL-GAR(UM). INDUSTRIAE. Sous le motif central, l'Inscription ARTES. RENU-MERATAE. EX. DECRETO. REG(IO). Le droit de la médaille est stéréotypé. Il accompagne invariablement les médailles d'expositions Industrielles organisées dans les différentes villes du royaume. Seul le revers porte une inscription gravée pour la circonstance. La médaille reproduite ci-dessus n'est pas gravée au revers. Œuvre de Joseph Braemt (Gand, 1796-BruxeIIes, 1864). Argent. Diamètre : 58 mm. combré de rapports qu'il étudiait avec une conscience inlassable et la compétence d'un économiste. Quoi qu'en aient pensé tantôt les Hollandais et tantôt les Belges, sa préoccupation s'avérait de favoriser également les deux parties du royaume, ou pour mieux dire de les unir, à leur égal avantage, en une activité commune (42). La divergence de leurs intérêts et la situation financière de l'Etat lui imposaient des problèmes singulièrement épineux. Il fallait tout d'abord répartir proportionnellement la dette de la Hollande sur tout l'ensemble du royaume et y faire contribuer les provinces belges. Une augmentation considérable des impôts devait fatalement en résulter. Ils furent en réalité plus lourds qu'ils ne l'avaient été sous le régime français et ils dépassèrent, sem-ble-t-il, ceux de tous les autres pays du continent (43). Combattus âprement par la majorité des députés belges aux Etats-Généraux, ils ne justifièrent point cependant les appréhensions qu'ils avaient soulevées. La contribution personnelle, imposée par la loi du 28 juin 1822, est restée en vigueur après la révolution de 1830. Les impôts sur la mouture (gemaal) et sur l'abattage (geslacht), établis la même année, provoquèrent des clameurs plus violentes encore. Il faut reconnaître qu'ils furent dès le début et restèrent jusqu'au bout une charge très pesante pour les classes inférieures de la population des provinces méridionales et qu'ils fournirent à leurs députés une occasion excellente de rendre leur opposition populaire. Quoi qu'il en soit, la politique de Guillaume aboutit au but qu'il s'était proposé. Le déficit budgétaire des premières années avait disparu en 1826. (Cliché Camus.) « ... Quantité d'entre eux fréquentent les établissements que les jésuites possèdent à Paris et le célèbre collège qu'ils ont (ondé à Saint-Acheul près d'Amiens. L'action de cette grande école rayonne au loin sur la Belgique... » (Voyez le texte, p. 448 ) — Cour du collège de Saint-Acheul. L'ancienne abbaye de Saint-Acheul, propriété des chanoines réguliers de la Congrégation de France (dite de sainte Geneviève) depuis 1634, avait été vendue à vil prix comme « bien noir ». Les Jésuites prirent les bâtiments en location en 1814, puis les achetèrent en 1819. Ils y établirent un petit séminaire. Le 3 novembre 1814, l'établissement comptait 140 élèves, 490 en 1816, 500 en 1819, 900 en 1828. Les ordonnances du 16 juin 1828 ayant retiré aux Jésuites le droit d'enseigner, Saint-Acheul devint uniquement séminaire pour jésuites étudiants en théologie. Entre 1814 et 1828, ils avaient accueilli, outre les futurs novices de la Compagnie, les enfants de la haute bourgeoisie française et belge surtout, qui y suivaient les cours d'humanités anciennes. Quelques extraits du registre des inscriptions sont reproduits plus loin, p. 472. — La plupart des bâtiments ont été reconstruits vers 1750. Ceux qui encadrent la cour d'honneur datent de 1814-1826. — Chassés en 1901, les Jésuites ont réoccupé Saint-Acheul entre 1930 et 1940. Les bâtiments seraient prochainement acquis par l'évêché qui y installerait son petit séminaire dit de saint Riquier. RENOUVEAU ECONOMIQUE. - Le régime douanier provoqua des discussions aussi passionnées et des critiques aussi acerbes que celui des impôts. Quand, en 1821, le roi adoucit le tarif de 1816 et substitua à son protectionnisme un système plus libéral, les Belges l'accusèrent de trahir les intérêts de leur industrie en faveur du commerce hollandais. De leurs cinquante-trois députés présents à la seconde Chambre, cinquante et un votèrent contre la loi « fratricide » qui devait, à les entendre, ruiner les manufactures. Son adoption coïncida au contraire avec une recrudescence de leur activité. D'excellentes mesures montrèrent que le gouvernement, au lieu de les abandonner, les entourait d'une sollicitude dont l'octroi de subsides et de crédits aux entreprises industrielles et la fondation de la Société Générale, sont les marques les plus significatives. L'agriculture se ressentit également de l'initiative gouvernementale. Le commerce des grains fut organisé de manière à avantager autant que possible les producteurs belges, sans exclure pourtant l'importation étrangère indispensable au trafic des ports hollandais. Enfin, des travaux publics conçus suivant un plan d'en- semble galvanisèrent, à mesure de leur réalisation, un mouvement économique qui, jusqu'à la séparation des deux parties du royaume, s'amplifia d'année en année. Le syndicat d'amortissement, créé en 1822, et qui devait plus tard fournir à l'opposition tant de griefs contre le roi, se fit accepter tout d'abord par la facilité qu'il offrait aux industriels de l'intéresser à leurs affaires. Cette singulière institution, soustraite à tout contrôle et ne dépendant que du roi, lui abandonnait en matière économique une influence extraordinaire. Le syndicat possédait l'administration des domaines, celle des capitaux avancés par l'Etat pour l'encouragement des fabriques, de la pêche et de l'agriculture et celle de la caisse de consignation. Propriétaire d'immeubles, de canaux, de mines, il se lançait dans des spéculations couvertes d'un « voile légal » sous lequel se confondaient, dans une obscurité mystérieuse, l'intérêt privé du souverain avec celui de l'Etat. Il faut ajouter encore que la politique extérieure de Guillaume, tout en continuant à entretenir son prestige auprès des libéraux, contribua très habilement à fortifier la situation économique du royaume. S'il reconnut sans hésiter, au grand scandale de la Sainte Alliance, la révolution d'Espagne et celle des colonies de l'Amérique du Sud, c'est que les débouchés commerciaux que cet opportunisme assura à son royaume, lui parurent bien valoir une stérile satisfaction d'amour-propre monarchique (44). Des résultats aussi tangibles et aussi avantageux ne pouvaient manquer d'agir sur l'opinion publique. Guillaume put s'en apercevoir à l'accueil qu'il reçut en 1823 durant un voyage d'inspection dans les provinces méridionales. En 1824, le ministre autrichien constate que la situation s'est singulièrement améliorée en Belgique, où l'on commence à reconnaître que le roi ne sacrifie pas la nation à la Hollande. D'après le Prussien Galen, en 1826, l'état du royaume est hautement satisfaisant et une « véritable solidarité » commence à s'établir entre ses deux parties (45). La bourgeoisie catholique se ressent trop favorablement de la reprise des affaires pour ne pas mettre une sourdine à son opposition. A partir de la mort du prince de Broglie, elle cesse de combattre la Loi fondamentale. Sans doute, la politique libérale du roi continue à la scandaliser. Mais du moins accepte-t-elle désormais la constitution de l'Etat, et son mécontentement se confine-t-il dans les bornes de la légalité. On ne voit pas qu'elle se soit associée aux protestations des évêques contre l'institution des universités ni qu'elle ait fait campagne contre la réforme de l'enseignement. En somme, elle n'attache pas grande importance aux mesures encore bien timides prises par l'Etat dans le domaine de l'instruction. Elles suscitèrent même de la part des catholiques une concurrence qui eut pour résultat de multiplier les écoles libres à côté des écoles officielles. Pour la première fois depuis la fin du XVIe siècle, on vit l'Eglise s'intéresser à la culture du peuple, parce qu'elle dut la disputer au pouvoir civil. Quant à l'enseignement de la bourgeoisie, la fondation des athénées, exclusivement fréquentés par les enfants des familles libérales, ne porta pas d'atteinte bien sensible à la prospérité des collèges religieux qui restaient soumis à la direction du clergé et empreints de son esprit. MECONTENTEMENT DU CLERGE. - Mais cet esprit commence à inquiéter le gouvernement parce que, de plus en plus, il s'oriente vers la France. Le renouveau du catholicisme qui se manifeste dans ce pays à partir du ministère de Villèle (1821) et que, depuis l'avènement de Charles X (29 mai 1825), le pouvoir favorise de toutes ses forces, a exercé immédiatement sa répercussion sur la Belgique. Tandis que les libéraux se déchaînent contre lui, le clergé en suit les péripéties avec une attention passionnée. Quel contraste entre la défiance et la froideur que le roi des Pays-Bas lui témoigne et la protection dont l'entoure le roi de France ! D'un œil d'envie, il voit au sud de la frontière les congrégations se rétablir, les jésuites rouvrir leurs collèges, l'enseignement confessionnel se répandre et se développer, et l'Etat, au lieu de s'opposer à l'Eglise, l'aider dans sa mission et se conformer à ses principes. Cette France d'où si longtemps se sont propagés l'impiété et le scepticisme, est redevenue la grande nation catholique et le champion de la vraie foi. Comment se soustraire à son exemple et ne pas chercher à l'imiter ? On sait d'ailleurs que Charles X s'intéresse à la triste situation des catholiques belges et que s'il le pouvait, il interviendrait en leur faveur (46). On ne peut s'étonner que leur sympathie réponde à la sienne. Et il est plus naturel encore de voir le clergé belge, s'abandonnant à l'influence française, lui ouvrir ses séminaires et ses collèges. Il ressent maintenant avec plus d'acrimonie les restrictions qui entravent sa liberté. Il s'indigne de ne pouvoir correspondre librement avec Rome, de voir les autorités épier les jésuites et les « Ignorantins » qui franchissent la frontière, et le gouvernement, en 1823, dissoudre, comme dangereuse pour la sécurité publique, la société catholique qui s'est fondée à Bruxelles en vue de propager la littérature religieuse. Aussi, tous les jeunes gens dont les familles sont assez aisées pour leur permettre d'étudier en France, vont-ils s'y initier aux bons principes. Quantité d'entre eux fréquentent les établissements que les jésuites possèdent à Paris et le célèbre collège qu'ils ont fondé à Saint-Acheul près d'Amiens. L'action de cette grande école rayonne au loin sur la Belgique. En 1825, Schrant gémit des ravages qu'elle y fait en y répandant « l'esprit jésuitique » et parallèlement avec lui, l'esprit français. Au collège d'Alost, le jour de la distribution des prix, les élèves ont représenté une pièce de circonstance relative au meurtre du duc de Berry, et la cérémonie s'est terminée au cri de « Vive le roi de France!» (47). LE CLERGE SOUS L'INFLUENCE FRANÇAISE. — Sans doute, la situation n'est point partout aussi affligeante. Dans le Luxembourg, le clergé, grâce au voisinage de Trêves et à ses rapports avec l'Allemagne, professe des principes moins subversifs. L'influence catholique est combattue dans le pays de Liège, à Bruxelles, à Gand et dans les villes des régions wallonnes, par celle des libéraux. Mais les catholiques des Flandres, chez qui se conserve l'esprit du prince de Broglie, s'abandonnent si fougueusement aux tendances du « fanatisme » français, qu'ils menacent de pervertir l'opinion publique et de compromettre la sûreté de l'Etat. Sous la forme nouvelle qu'elle avait prise, l'action catholique était d'autant plus inquiétante que le gouvernement ne pouvait plus invoquer contre elle des griefs palpables. La Loi fondamentale ne fournissait aucun moyen de s'opposer à la propagande qu'elle exerçait par l'enseignement. Il avait été facile de la combattre et de la vaincre aussi longtemps qu'elle avait tenté de lutter ouvertement sur le terrain politique. Elle devenait insaisissable du moment qu'elle se bornait, sous le couvert de la liberté des cultes, à imprégner de son esprit les fidèles, à agir sur la jeunesse par les écoles et les collèges. Et c'est cela précisément qui préoccupait le roi. Il s'exaspérait de son impuissance à refréner le clergé qui, en soumettant les catholiques belges aux « principes jésuitiques », les soumettait en même temps à l'influence étrangère contre laquelle son devoir l'obligeait impérieusement de les prémunir, puisqu'elle était l'influence de la France. Le péril clérical se doublait à ses yeux du péril français. Alors que tous ses efforts visaient à consolider et à « amalgamer » le royaume, il ne pouvait tolérer « qu'un parti agît d'intelligence avec l'étranger pour le désunir », ni laisser plus longtemps se répandre des principes « tendant non seulement à éloigner la confiance des sujets dans le souverain, mais encore à dissoudre tous les liens qui les attachent à lui, et à exciter dans ses Etats des troubles sérieux et dont les conséquences ne peuvent être prévues » (48). Il était convaincu que le gouvernement français entretenait sous main cette agitation si avantageuse pour les visées d'annexion dont il le soupçonnait et que les apparences semblaient justifier. Imbu comme il l'était de la tradition joséphiste et napoléonienne, il était incapable de comprendre les tendances nouvelles qui se manifestaient au sein du clergé et qui de France se répandaient en Belgique. Son point de vue restait celui d'un Fébronien; son idéal, la constitution d'une Eglise nationale, c'est-à-dire respectueuse du droit souverain et soumise à sa police, comme elle l'était dans les Etats « mixtes » de l'Allemagne, ou comme elle l'avait été en France aux beaux temps du Gallicanisme. La prétention des jeunes ultramontains d'affranchir la religion de la tutelle de l'Etat, de rompre l'union traditionnelle du trône et de l'autel pour mettre l'Eglise à même de s'acquitter, en pleine liberté, de sa mission divine ou, pour employer une expression de Lamennais, d'opposer la puissance spirituelle du pape à la souveraineté humaine et d'entamer « la lutte du parti du ciel contre le parti de l'enfer », lui apparaissait l'aberration monstrueuse d'une doctrine aussi menaçante pour la monarchie que pour l'ordre social. Et puisque l'ultra-montanisme français infecte la Belgique par l'intermédiaire des écoles, il n'est d'autre moyen pour arrêter son action malfaisante que de mettre dans les mains de l'Etat ces écoles qui la déversent sur le pays et, suivant l'exemple salutaire des princes allemands, de revendiquer pour le souverain le monopole de l'instruction. Aussi bien suffira-t-il sans doute d'éclairer le clergé pour le rallier aux principes du gouverne-, ment, car son ignorance est aussi incontestable que son zèle et sa piété. Là-dessus, tout le monde est d'accord; le nonce du pape et le comte de Mé-rode constatent et déplorent comme le roi l'instruction rudimentaire des prêtres belges (49). Une réforme nouvelle de l'enseignement, plus complète et plus radicale que celle de 1815, aura sûrement pour résultat de purger le pays des idées néfastes qui, dans l'opinion de Guillaume, n'ont pu s'imposer qu'à des esprits trop incultes pour en reconnaître l'insanité. Du même coup, on enlèvera au clergé le pouvoir qu'il possède grâce à la liberté de l'enseignement, de former les jeunes générations. L'Etat doit à ses habitants de les préparer dès l'enfance à le servir et à seconder ses efforts, qui ne tendent qu'à leur avantage et à leur progrès. A l'avance, il sait qu'il (Bruxelles, Musée Royal d'Art moderne.) « Guillaume... confie la direction de l'enseignement... à un catholique belge : van Gobbelschroy. » (Voyez le texte ci-dessus.) — Portrait du ministre van Gobbelschroy. Pierre van Gobbelschroy (Louvain, 1784-WoIuwe-Salnt-Lambert, 1850), ancien élève de la Faculté de droit de l'université de Louvain, avait exercé les fonctions de sous-préfet à Deventer à la fin du régime français. En 1825, Guillaume Ier le nomma ministre de l'Intérieur, de l'enseignement et des eaux; l'année suivante, Il était chargé, de plus, de diriger le département des affaires du culte catholique. Au début de l'année 1830, le roi le nomma ministre de l'Industrie et des colonies, et 11 conserva la gestion du département des eaux. Après la révolution belge, van Gobbelschroy se retira de la vie politique . — Portrait peint par Guillaume Bartel van der Kool (Augustinusga (Leeuwarden), 1768-Leeuwarden, 1836). van Gobbelschroy porte la plaque de Grand Croix de l'Ordre du Lion néerlandais. peut compter sur l'appui des libéraux dont l'anticléricalisme s'exagère à mesure que s'affirment plus nettement les tendances ultramontaines. Car c'est elles seules qu'il importe de combattre. Guillaume n'est animé contre le catholicisme d'aucune hostilité confessionnelle. Et pour le prouver, au moment même où il va entamer la lutte, il confie la direction de l'enseignement à laquelle jusqu'alors il n'avait appelé que des protestants, à un catholique belge : van Gobbelschroy. Ce nouveau titulaire appartient d'ailleurs et nécessairement aux tendances joséphistes. Catholique, il l'est sans doute, mais c'est un catholique d'Etat, et cela suffit pour que sa nomination excite précisément les soupçons qu'elle est destinée à dissiper. Le 25 juillet 1822, un arrêté avait subordonné les fonctions d'instituteur primaire dans les écoles communales des provinces méridionales à l'octroi d'une autorisation officielle. Le 1er février 1824, cette autorisation était imposée aux associations civiles ou religieuses vouées à l'instruction publique. Le 11 du même mois, un autre arrêté soumettait les écoles congréganistes à la loi commune, en déclarant que personne ne pourrait être reçu membre d'une corporation enseignante s'il n'était pourvu d'un brevet de capacité. Ainsi, le pouvoir de désigner à sa guise les maîtres de l'enfance était enlevé à l'autorité ecclésiastique. L'Etat, considérant l'instruction comme un service public, revendiquait pour lui seul la compétence d'apprécier la capacité des instituteurs. L'obligation du brevet lui permettait en outre de connaître la nationalité de ceux-ci. Il en profita pour faire reconduire à la frontière les frères ignorantins d'origine française qui, durant les dernières années, s'étaient largement répandus dans les provinces wallonnes. LES EDITS DE JUIN 1825. — Ces premières mesures du gouvernement ne sont que le prodrome de celles qu'imposèrent les arrêtés du 14 juin 1825. Leur but est de faire passer sous le contrôle officiel tous les établissements d'enseignement secondaire dans lesquels se forment les jeunes gens destinés aux professions libérales et à la cléricature. C'est par ces établissements, en effet, dont la plupart sont ' \enemUu \irarerJdur .,/^Vi/. r£!pcacolieam UeAA: iS'^bi t-unr Lntrct 'Zraretn.earJ Ju* un* L/?i catutn tjcenifi le m../:.J tùJ «3 'cVZùwJ-r, renunrtarum^yarr, ^ ^reAtU, ' dJl «m Aueru^etn, a CacloLca ^ele. .„« calamuarem ede-nm** a Je rcre, rc Aoea JùU.ennuJ pclecù .efuiluJ zpubyuurr, Xyen* ieh'° . 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Proci. dm Corutituùannil. — Voici quelqoea piMagea do pUi-tayar de M» Dopin .qu» VEtoile oc rapporte pai 4an* aoa il* d'hier, futrèi lequel Doua arom rendu compta de cette aOairr. Ma. Dapta aka(4a TauaMa 4m biU « pra4ail 4'.hor4 im Ultra» 4a par* WiaujiiHa. 4a mira, qoi itlMNat UiariM 4m biu nblb par b Oraj-"•nfm.cti.rn 1— iacriariab, at41l qaae'Mt aar a» '----- «Mb. ar1id«aalMr.4itH. tWi mm btm.. »»• """" • b. aiWaoaairai, aprft arair p4WMrb)acmaai 4»ia», - na4in«l4a» b abaMUra.aàib.nbal pb^ .ar b m«U mm «UreoUb taOUa aa Ote 4a m*, 1 itm b^aalb iuU U,Marnai N.ac?, 011111 1 prlaal, 4it Ma. Dapia, ba aÙMoat «ml «a ipnlirfi, aa émm* lafabta qaaTaa rapfàaeBN |èier «frayer aleialw 4m imtia.t>aa. bibba. 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(0aril.)IbMbr4poaM,M 4imo4» caqai arrivera ti U M qai immtmlm UxbUmm oniiaa. 1 t.Mu», («'m 4a k |U|| VoiaU raiaà4e : « S» tu, la mairMUa IM |ab mli|M i I» ihIi rai f ai eimlrnl d'mf-fmibUr laa nmmln M 4a riprimr Ua ianUaM, ptraa qa'oa lai a 4ll qm fa bi M 4*U pu »'anib.rrMMr 4m «Ktira. qaa la u i MoitaltiM : aubqat Uni 41m 4u foml 4a Moterarea moIsmI: M|aaar, Maraa^aai, tliiainaot pMpb ! KmmltU Ditu lai r4paa4n : |tl*.i 4aaaa mon gtmin, ffff\ HbM bi MirbiM leubanal 4.» ta! lai | al Iaai r.afu MUiraaa KafpMchM Mb, Mialnn. 4a T^paiiilUa .a 4iuiaNr* tlranUabn, 4«.»arina »rrJt» 4np.rUia.MM ju^tx. (JautlUa.) M'Dapia taa.iii qu'il t qiwlqo. cltnM 4a plM farlaacorai allar, el D M4bpowi lirabpaaaMt4'aM bracbaraletilaUa:Xrlfra 4tablé di ta MtmaaUMtU M. b pratabr pn»i4nl lai iim» qMtal Ninp mn l'abjal (Bruxelles, Bibliothèque Royale, J.B. 185, fol.) «... la presse s'animait brusquement d'une vie nouvelle. Le Mathieu Lansberg (...) était fondé à Liège, en 1824, par les deux frères Rogier. » (Voyez le texte, p. 456.) — Page de titre du « Mathieu Laensberg ». Numéro du jeudi 8 décembre 1825. mécontents, quelle que fût leur classe et quels que fussent leurs motifs de se plaindre. Grâce à elle, le combat de la bourgeoisie devenait celui du peuple. Elle allait faire marcher côte à côte avec l'avocat et le journaliste, le prêtre, le paysan et le prolétaire. Pauvres gens dont les impôts de l'abattage et de la mouture augmentaient la misère, croyants froissés dans leur foi religieuse et forcés de confier leurs enfants à des écoles qu'ils réprouvaient, libéraux et partisans du régime parlementaire devaient également grossir les rangs d'une opposition qui s'adressait à chacun d'eux puisqu'elle s'adressait à tous les Belges. Mais comment diriger leurs masses contre le gouvernement sans provoquer une agitation révolutionnaire ? Les chefs du mouvement le voulaient irrésistible, mais aucun d'eux ne songeait à le conduire en dehors des voies légales. L'histoire nationale leur rappela-t-elle le compromis des nobles par lequel avait débuté au XVIe siècle l'opposition contre Philippe II ? S'inspirèrent-ils de la campagne d'O'Connell pour l'émancipation de l'Irlande qui enthousiasmait alors les catholiques ? Toujours est-il qu'ils trouvèrent dans le pétitionnement en masse l'arme redoutable à laquelle ils eurent recours. Il fut par excellence leur moyen d'agitation, comme les meetings l'étaient en Angleterre et comme les banquets populaires devaient bientôt l'être en France. LE PETITIONNEMENT. — Dès les derniers mois de 1828, sur toute la surface du pays, des propagandistes aussi actifs que désintéressés se mettent à récolter des signatures. Suivant les classes et les opinions, les pétitions diffèrent. Les unes réclament la liberté de l'enseignement, d'autres celle de la presse, ou le rétablissement du jury ou le redressement de quelque grief. Beaucoup d'entre elles, comme les cahiers du Tiers-Etat de France à la veille de la Révolution, énoncent tout un programme de réformes. La presse soutient le mouvement de toutes ses forces. Pour encourager les timides, des membres de la plus haute aristocratie inscrivent leurs noms en tête des listes. Les gens du peuple signent ou tracent une croix au bas des manifestes qu'on leur présente et que beaucoup d'entre eux ne comprennent pas toujours. Un grand nombre d'adhésions furent sans doute extorquées de l'ignorance ou imposées par le prestige ou par la crainte. C'est le sort commun de toutes les manifestations populaires que de se voir accusées par ceux qu'elles menacent, de n'être que des intrigues de « meneurs ». La presse hollandaise ne manqua pas de tourner en dérision un mouvement qui la surprenait moins encore qu'il ne l'inquiétait; ses railleries ne firent que l'exciter davantage. En quelques semaines plus de 40,000 signatures étaient recueillies et par ballots, les pétitions affluaient à la seconde Chambre des Etats-Généraux. La maladresse du gouvernement ne fut pas sans contribuer à un succès si étonnant. N'ayant jamais eu à combattre l'opinion, il en ignorait la puissance. Il crut qu'il suffirait pour l'intimider d'une ou deux condamnations retentissantes. Le procès de Mgr de Broglie n'avait-il pas, en 1817, mis fin à l'opposition cléricale? Que l'on fît un exemple, et tout le bruit soulevé par quelques brouillons se calmerait infailliblement. Van Maanen crut habile sans doute de frapper cette fois parmi les libéraux. La défection de leur parti, qui avait si longtemps soutenu (Amsterdam, Rijksmuseum.) Guillaume Ier (La Haye, 1772-Berlin, 1843), roi des Pays-Bas de 1815 à 1840 (année de son abdication). Portrait peint par Jean-Baptiste van der Hulst (Louvain, 1790-BruxelIes, 1862). le pouvoir, méritait un châtiment qui les amènerait peut-être à résipiscence. Les tribunaux reçurent l'ordre d'agir. Au mois de novembre 1828, Louis de Potter était traduit devant la Cour d'appel de Bruxelles. Ce choix était caractéristique. De Potter venait, en effet, dans un article du Courrier des Pays-Bas, de tendre la main à ces catholiques, qu'il n'avait jusqu'alors cessé de combattre, et de sonner le ralliement de toute la nation contre le ministère. Cette palinodie aurait peut-être passé inaperçue si le gouvernement, qui la considérait, après tant de marques de bienveillance données à son auteur, comme une trahison, ne lui avait fait en le poursuivant la plus retentissante des réclames. Le procès de de Potter fut en réalité le procès de l'alliance des libéraux et des catholiques. Au lieu de la dissoudre, il la renforça. La condamnation de l'accusé à dix-huit mois de prison et à 1,000 florins d'amende le para d'un prestige qui en fit le symbole de l'union nationale. Son nom n'appartint plus à aucun parti : il appartint à tous les Belges. Le verdict port'é contre lui parut un défi jeté à toute la nation. Il l'entoura d'une popularité, éphémère sans doute parce qu'elle n'était due qu'aux circonstances, mais qui n'avait eu d'égale ni durant la Révolution au XVIe siècle, ni durant la Révolution brabançonne. L'union persécutée en sa personne acquit une force irrésistible. La victime de van Maanen devint « l'homme du peuple, l'idole universelle » (8), et jusqu'en 1830, le cri de «Vive de Potter» devait rallier en une même action les partis et les classes sociales, les libéraux comme les catholiques, le peuple comme la bourgeoisie (9). (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) « A Liège, devant le conseil communal, il (Guillaume Ier) se laissa entraîner jusqu'à taxer d'« infâme » la conduite de l'opposition... Les mécontents relevèrent l'injure lancée contre eux. Un « ordre des infâmes » fut créé, dont les membres portèrent une médaille avec ces mots en exergue « Fidèles au roi jusques à l'infamie ». (Voyez le telxte, p. 463.) Médaille de l'Ordre des Infâmes. Le champ supérieur de la planche représente le droit de deux médailles. La première (à gauche) porte la légende : FIDELE JUSQU'A L'INFAMIE, et la seconde (à droite) le même texte, plus les mots : LEX REX 1829. Le champ intérieur est occupé par les deux revers. Le premier (à gauche) porte la légende : L(01). F(ONDAMENTALE). ART. 161, et le second (à droite) : GRONDWET ART. 1, LOI FONDAMENTALE ART. 1. L'article 161 de la Loi Fondamentale déclarait : « Tout habitant du royaume a le droit d'adresser des pétitions écrites aux autorités compétentes, pourvu qu'il le fasse individuellement et non pas en nom collectif, ce qui n'est permis qu'aux corps légalement constitués et reconnus comme tels, seulement pour des objets qui entrent dans leurs attributions. » — On se rappelle que des médailles portant la même légende avaient été frappées par les « Gueux » à la veille de la révolution contre Philippe II (voyez t. II, p. 251). — Médailles gravées au burin. Anonyme. Argent. Dimensions : 24 x 24 mm. ATTITUDE DU ROI EN FACE DE L'OPPOSITION. — Depuis son avènement aucune opposition n'avait réussi ni à enlever au roi sa confiance en lui-même ni moins encore à le faire dévier de la conduite qu'il s'était tracée. Mais l'unanimité et la violence d'un mouvement auquel il ne s'était pas attendu, déconcertèrent son esprit positif et réaliste. Il était incapable de comprendre ce qu'il y a d'instinctif et de passionné dans une agitation populaire. Il cherchait à se l'expliquer sans y parvenir et son incertitude ébranlait son assurance habituelle. Il s'imagina certainement que le gouvernement français n'était pas étranger à des événements si extraordinaires. Les projets élaborés en 1829 dans l'entourage de Charles X pour amener la Prusse et la Russie à un remaniement des traités de 1815, dont le royaume des Pays-Bas eût fait les frais, semblaient justifier ses soupçons. Le ton de la presse parisienne l'inquiétait; il savait que des brochures prônant l'union de la Belgique à la France se répandaient dans les provinces du Sud (10), et il n'en fallait pas davantage pour l'incliner à croire que, sous prétexte de réformes, les agitateurs dissimulaient une campagne annexionniste. Il pouvait se le figurer avec d'autant plus de vraisemblance, qu'à ses yeux c'était conspirer contre l'Etat que de vouloir lui imposer des institutions parlementaires. Fait comme il l'était, le royaume ne pouvait subsister qu'à la condition d'obéir à l'action directe du souverain. L'abandonner au vote d'une assemblée, accepter la responsabilité des ministres et renoncer à conserver la haute main sur l'administration, c'était à bref délai le conduire à la ruine. Car il était évident que les Belges et les Hollandais s'opposeraient les uns aux autres du jour où la main du roi cesserait de leur imposer cet « amalgame » qui était la condition de l'existence de l'Etat. L'adoption du régime parlementaire entraînerait d'ailleurs forcément la disparition de cette clause essentielle de la Loi fondamentale qui avait accordé au Sud comme au Nord, le même nombre de sièges aux Etats-Généraux. Plus nombreux que leurs compatriotes septentrionaux, les Belges ne manqueraient pas d'exiger tôt ou tard, en vertu des principes du gouvernement constitutionnel, une représentation proportionnelle au chiffre de leur population. Ils ne supporteraient pas longtemps l'égalité fallacieuse qui leur était imposée au mépris de l'égalité véritable (11). Or, l'Etat ne pouvait se maintenir que par cet artifice. Il se disloquerait infailliblement du jour où le pouvoir politique y étant équi-tablement réparti, les Belges y domineraient sur les Hollandais. C'était donc moins l'amour-propre que la nécessité qui poussait Guillaume à s obstiner dans le gouvernement personnel. Son devoir vis-à-vis de la Hollande comme vis-à-vis de l'Europe lui dictait sa conduite. Pourtant, il ne pouvait se dissimuler la gravité de la situation. La prudence lui conseillait d'apaiser un mécontentement qui devenait de jour en jour plus général et plus profond. Déjà les catholiques hollandais commençaient à signer les pétitions en faveur de la liberté de l'enseignement. Qu'ar-riverait-il s'ils se laissaient entraîner dans le mouvement déchaîné par leurs coreligionnaires du Sud ? Sans rien sacrifier de ses principes, le roi pouvait enlever à l'opposition les griefs qu'elle invoquait contre lui. La raison d'Etat lui imposait une reculade. Si humiliante qu'elle dût lui paraître, il s'y résigna. Le 16 mai 1829, une loi sur la presse abrogeait le décret d'avril 1815; le 20 juin, un arrêté rendait facultative .pour les séminaristes la fréquentation du Collège philosophique; le 2 octobre, un autre arrêté autorisait les évêques à organiser leurs séminaires conformément au Concordat et supprimait la défense de faire des études à l'étranger. De plus, les sièges épiscopaux de Namur, de Gand, de Liège et de Tournai étaient enfin pourvus de titulaires. Pour calmer le peuple, le gouvernement promettait l'abolition de l'impôt sur l'abattage. IMPRUDENCES DU ROI. — Mais céder à l'opposition, c'est la renforcer. Loin de désorganiser l'union des catholiques et des libéraux, les concessions du pouvoir la cimentèrent en lui donnant conscience de sa force. La conduite du roi ne permettait pas, au surplus, de croire à un revirement sincère de sa politique. Les acclamations qui l'accueillirent au mois de juin, durant un voyage en Belgique, le trompèrent sur les dispositions du peuple. Elles ne s'adressèrent qu'à sa personne : il les interpréta comme une adhésion à son gouvernement. Se sentant rassuré, il fut imprudent. A Liège, devant le conseil communal, il se laissa entraîner jusqu'à taxer d'« infâme » la conduite de l'opposition. Il appelait ainsi sur lui-même les coups que l'on s'ingéniait à ne frapper que sur ses ministres. C'était Philippe II couvrant Granvelle. Et la comparaison s'imposait tellement qu'à l'incartade royale répondit aussitôt une riposte inspirée par l'exemple de ces Gueux du XVIe siècle dont le cours des événements réveillait le souvenir dans les esprits. Il en alla du discours de Liège comme du mot de Berlaymont à Marguerite de Parme. Les mécontents relevèrent l'injure lancée contre eux. Un « ordre des infâmes » fut créé, dont les membres portèrent une médaille avec ces mots en exergue, « fidèles au roi jusques à l'infamie ». En même temps, de sa prison des Petits-Carmes, de Potter attisait l'agitation. On dévorait ses brochures. La presse se faisait de plus en plus agressive. Les journaux ministériels alimentés par les fonds secrets, perdaient toute influence. Le gouvernement commit la faute de se jeter lui-même dans la mêlée. Une gazette officieuse. Le National, reçut mission de le soutenir (mai 1829) (12). La direction en fut confiée à un aventurier, Libri-Bagnano, dont la faconde injurieuse ne fit qu'exaspérer le sentiment public. La révélation d'une condamnation infamante jadis subie en France par ce folliculaire, acheva de discréditer les ministres. C'était donc un repris de justice qu'ils chargeaient du soin de leur défense ! Cependant, le pétitionnement reprenait de plus belle. Cette fois, le clergé qui s'était tout d'abord abstenu, se lança ouvertement dans la propagande. Elle eut l'ampleur d'un referendum populaire. Au mois de novembre 1829, on avait récolté environ 360.000 signatures. La violence de cette crise poussa le roi à une résolution extrême. Il crut le moment venu de risquer le tout pour le tout et de placer les adversaires de sa politique en face de la couronne. Le message qu'il envoya le 11 décembre aux Etats-Généraux en même temps qu'un projet de loi contre les abus de la presse, était une prise à partie de l'opposition. Il lui signifiait son « opinion per- sonnelle », condamnait le gouvernement parlementaire et la responsabilité ministérielle au nom de la « monarchie tempérée » établie par la Loi fondamentale, attaquait la licence des journaux et faisait l'apologie de sa conduite « libérale et forte qui conservera pour la postérité et pour notre maison les grands exemples de nos ancêtres, dont la sagesse et le courage servirent d'égide à la liberté politique, civile et religieuse des Pays-Bas contre les usurpations d'une foule égarée et contre l'ambition d'une domination étrangère» (13). Ces paroles étaient plus qu'une déclaration de guerre à l'opposition belge : on eût dit qu'elles étaient choisies pour la braver. En parlant comme il le faisait, le roi n'employait plus le langage d'un souverain des Pays-Bas, mais celui d'un souverain des Provinces-Unies. Que de chemin parcouru depuis son discours inaugural où il représentait Guillaume d'Orange comme un élève de Charles-Quint ! Aujourd'hui, il confondait sa cause avec celle des stadhouders calvinistes. Il ressuscitait l'antique conflit des Pays-Bas catholiques et des Pays-Bas protestants. C'est à peine s'il dissimulait l'accusation lancée contre ses sujets du Sud de pactiser avec la France comme les « malcontents » du XVIe siècle avaient pactisé avec l'Espagne. Justifiant le mot de Bartels, cet « inviolable malgré lui » (14) aspirait plus que jamais à s'imposer. Le lendemain même de la lecture du message, une circulaire de van Maanen à tous les membres du Parquet, leur intimait l'obligation « d'admettre les principes du gouvernement de Sa Majesté », et exigeait leur réponse dans les qua-rante-huit heures (15). L'hésitation n'était pas permise. Il fallait se déclarer pour le roi ou contre lui. L'opposition antiministérielle devait devenir, malgré elle, une opposition antimonarchique. LA LETTRE DE DEMOPHILE. - La Belgique répondit au roi par la plume de de Potter. La Lettre de Démophile rendait à Guillaume la leçon qu'il avait donnée au peuple (20 décembre) (16). C'était, disait-elle, un « mensonge odieux » et une « absurdité » que d'invoquer la Loi fondamentale en faveur de la monarchie tempérée. « Une loi fondamentale ne tempère rien : elle fonde. Avant elle, rien n'était; depuis elle, tout est légitimement et ne IPSâ (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Médaille frappée en l'honneur de Louis de Potter à l'occasion de son bannissement (1830). Au droit (à gauche), portrait en buste et légende : DE POTTER, avec un parchemin portant le mot UNION. Au revers (à droite), les légendes NE A BRUGES EN 1786—1830, et, dans une couronne de lauriers : LIBERTE PATRIE. — Médaille de bronze gravée par Adrien Veyrat (Paris, 1803-Bruxelles, 1883). Diamètre : 41 mm. l'est que par elle. Sans elle, rien ne serait et nous, Sire, nous faisons partie de ce tout, et l'Etat que nous composons avec vous et vous-même le faites également. Vous n'êtes, Sire, que par la Loi fondamentale et en vertu de la Loi fondamentale. Votre pouvoir, vos droits, vos prérogatives vous viennent d'elle et d'elle seule. Elle n'a pas tempéré notre monarchie : elle nous a fait ce que nous sommes, savoir : Etat constitutionnel représentatif, et dans cet Etat elle vous a, Sire, sous les conditions qu'elle exprime, fait roi. A nous, elle nous a prescrit nos devoirs de peuple réellement libre. » Et, après avoir conjuré le roi de « repousser avec indignation les lâches insinuations des perturbateurs du repos public qui ont l'impudeur de faire passer pour ses propres vues leurs principes désor-ganisateurs et les doctrines au moyen desquelles ils espèrent gouverner l'Etat et son chef », ce réquisitoire s'achevait par la menacc d'exiger la séparation administrative de la Belgique d'avec la Hollande (17). Le conflit constitutionnel en arrivait donc à se transformer en un conflit portant sur l'existence même de l'Etat. L'opposition poussée à bout glissait du terrain légal à l'agitation révolutionnaire. Aucune conciliation n'était plus possible. La force seule pourrait décider entre les adversaires qui avaient définitivement cessé de s'entendre sur les bases mêmes de la constitution. Le 8 janvier 1830, six fonctionnaires belges ayant voté contre le budget à la seconde Chambre des Etats-Généraux étaient destitués. Aussitôt, une souscription patriotique s'organise en leur faveur. Dans le Courrier des Pays-Pas, de Potter expose le plan d'une « confédération » destinée à soutenir tous ceux qui résisteraient au pouvoir (18). Le gouvernement la considéra comme un appel à la révolte et l'indice d'un complot tramé contre lui. Un nouveau procès, où furent impliqués avec de Potter, le libéral Tielemans et les catholiques Bartels et de Néve, souleva une agitation passionnée. Entre le ministère public et les défenseurs, ce n'étaient plus les accusés qui étaient en cause, mais l'Etat et le peuple. L'issue des débats n'était pas douteuse. Les prévenus furent condamnés au bannissement (30 avril 1830). Quatre mois plus tard, ils devaient rentrer à Bruxelles en triomphateurs. NOTES (1) Histoire de Belgique, t. III, 2® édit., p. 427. (Ed. Lamertin.) (2) J'emprunte cette citation, comme celles qui suivent, à la correspondance inédite de de Potter, conservée à la Bibliothèque Royale. (3) Pour l'influence de Lamennais sur les catholiques belges, voy. Terlln-den, op. cit., t. II, p. 240, 353 et suiv. et surtout p. 405 et suiv. (rapport de l'internonce à Rome). Cf. Delplace, La Belgique sous Guillaume I'r, roi des Pays-Bas, p. 165 (Louvain, 1899); O. Monchamp, L'évêque van Bommel et la Révolution belge. Bullet. de l'Acad. Roy. de Belgique, Classe des Lettres, 1905, p. 393 et suiv.; Colenbrander, De Belgische Omwenteling, p. 149; Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 184; Thonissen, Vie du comte Félix de Mérode (Bruxelles, 1861). Comme spécimens des brochures du temps à ce sujet, voy. : de Robiano Borsbeek, Exposition des sentiments des catholiques (Bruxelles, 1830); L. de Potter, Réponse à quelques objections sur la question catholique dans les Pays-Bas (Bruxelles, 1829). (4) Terlinden, op. cit., t. II, p. 352. (5) Th. Juste, Histoire de la révolution belge de 1830, t. I, p. 100. (6) De Gerlache, op. cit., t. III, p. 136. (7) Ibid., p. 148. (8) De Oeriache, op. cit., t. II, p. 29. (9) Voy. le témoignage de de Potter lui-même dans ses Souvenirs personnels, t. I, p. 40 (Bruxelles, 1839). (10) Ad. Bartels, Les Flandres et la Révolution belge, p. 124 (Bruxelles, 1834). (11) Le Courrier de la Meuse constate que «les trois quarts de la popula- tion ont été gouvernés jusqu'aujourd'hui au profit d'un quart ». Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 318. L'ambassadeur autrichien, Mier, en envoyant l'article à Metternich, trouve qu'il a raison. (12) D'autre journaux avaient été créés déjà sans succès pour défendre le gouvernement : le janus à Bréda, l'Observateur à Namur, le Landmansvriend à Oand, qui ne vécurent pas. (13) De Gerlache, op. cit., t. III, p. 175 et suiv. Ce message avait été inspiré par le prince d'Orange et van Maanen. Gedenkstukken 1825-1830, t. II, p. 673, 681. II faut en rapprocher la curieuse conversation du roi avec de Gerlache quelques jours auparavant et que celui-ci a reproduite dans son Histoire du Royaume des Pays-Bas, t. II, p. 16 et suiv. (14) Bartels, loc. cit., p. 95. (15) De Gerlache, op. cit., t. III, p. 180. (16) Lettre de Démophile au roi sur le nouveau projet de loi contre la presse et le message royal qui l'accompagne (Bruxelles, 1829). (17) Pour apprécier le chemin parcouru, il faut se rappeler que le 21 août 1829, le Catholique des Pays-Bas protestait contre le « désir coupable qu'on nous suppose d'une séparation entre le Nord et le Midi ». Bartels, loc. cit., p. 124. Quatre mois plus tard, Jottrand consacre une brochure à démontrer la solidité du royaume des Pays-Bas (Garanties de l'existence du royaume des Pays-Bas. Bruxelles, 1829). Déjà pourtant les idées commençaient à ce moment à se prononcer pour « le régime qui est à la veille de trouver son application en Irlande » (Bartels, loc. cit., p. 167), c'est-à-dire pour la séparation. (18) De Potter, Souvenirs personnels, t. I, p. 68 et suiv. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Vue panoramique d'Anvers vers 1830. Gravée par Frédéric Martens (vers 1809-Paris, 1875) d'après Charles Mozin (Paris, 1806-TroUville, 1862) et Imprimée en 1833. CHAPITRE V LA BELGIQUE DE 1815 A 1830 E PROLETARIAT. — A la veille de la révolution de 1830, le royaume des Pays-Bas semble bien avoir été l'Etat le plus prospère de l'Europe continentale, et cette prospérité se manifeste d'une manière plus éclatante encore dans sa partie belge que dans sa partie hollandaise. De 1' « amalgame » qui leur a été imposé par les Puissances, la Belgique, au point de vue économique, a sans nul doute profité beaucoup plus largement que sa voisine. Pour restaurer son commerce, la Hollande n'avait pas besoin d'un « accroissement de territoire ». Ses capitaux, sa flotte et ses colonies lui permettaient de reprendre par ses seules forces la situation d'où les circonstances l'avaient fait déchoir depuis la fin du XVIIIe siècle. Il suffisait, pour la ranimer, de lui rendre l'indépendance et la paix. On peut même se demander si l'union avec la Belgique ne lui a pas été, tout compte fait, plus nuisible qu'utile. Sans doute, elle en a retiré de précieux avantages. Le poids de sa dette, rendue commune à tout le royaume, a été allégé de moitié, en même temps que l'industrie belge suscitait l'activité de ses armateurs et fournissait à ses capitalistes des placements fructueux. Ce qu'elle gagnait d'une part ne s'est-il pas trouvé cependant trop largement compensé par ce qu'elle perdait de l'autre ? N"a-t-elle pas été lésée par les tarifs douaniers que le gouvernement, obligé de tenir compte des intérêts divergents des deux parties du royaume, a été forcé de lui imposer ? Et les progrès de l'industrie belge n'ont-ils pas entravé, sinon même étouffé chez elle le développement des manufactures ? Pour la Belgique, au contraire, l'union, à l'envisager du point de vue économique, fut incontestablement un bienfait. Abandonné à lui-même, le pays eût été incapable de se maintenir au point où il était arrivé sous l'Empire. L'exportation était pour lui un besoin vital. Que fût-il devenu, confiné dans d'étroites frontières hérissées de droits protecteurs ? Sa jeune industrie eût été condamnée à disparaître si, au moment même où la Restauration lui fermait le marché français qui depuis quinze ans excitait et soutenait son activité, elle n'avait trouvé, grâce au commerce et aux colonies de la Hollande, des débouchés nouveaux. La création du royaume des Pays-Bas lui apporta le salut. C'est à lui qu'elle a dû non seulement de ne pas périr, mais d'acquérir une vigueur qui assura désormais son existence. En passant d'un régime à l'autre, elle eut naturellement à traverser une crise très cruelle. Brusquement détournée de la France, elle se trouvait obligée de modifier ses habitudes pour s'initier à des méthodes commerciales et à des marchés qu'elle ne connaissait pas. Elle avait à faire un apprentissage et pour ainsi dire à opérer un redressement auquel rien ne l'avait préparée. Elle perdait une clientèle assurée, en vue de laquelle elle avait organisé sa production et aux besoins de qui elle était accoutumée. Rien d'étonnant si elle se trouva tout d'abord désorientée. Ce qui doit surprendre, c'est beaucoup moins la gravité que la courte durée de la crise qui la frappa. Comme on l'a vu plus haut, elle ne dura guère que cinq ans ( 1 ). En 1820, les difficultés du début étaient surmontées. Après une période de tâtonnements et d'incertitude, on s'était accoutumé aux circonstances et tout de suite un mouvement de reprise s'était manifesté avec une énergie qui ne devait plus cesser de s'accroître. Le gouvernement et en particulier l'initiative intelligente du roi ont contribué largement à cette renaissance de l'industrie (2). Mais elle suppose des causes plus profondes sans lesquelles elle eût été impossible. La plus essentielle est, sans contredit, le bon marché de la main-d'œuvre, conséquence de la densité de la population et de la liberté économique (3). Sous Guillaume comme sous Napoléon, elles eurent les mêmes effets. Peut-être même furent-elles plus actives encore sous le premier, qu'elles ne (Seraing, propriété de la Société Cockerill.) (Cliché prêté par l'Office de Publicité, Bruxelles.) John Cockerill (Haslingden [Lancashire], 1790-Varsovie, 1840). Portrait non signé ni daté. l'avaient été sous le second. Depuis 1815, en effet, tandis que le chiffre des habitants ne cesse de grandir, aucune mesure n'est prise pour protéger l'employé contre l'employeur. Le prolétariat ne s'aperçoit guère que par l'abolition de la conscription qu'il a changé de souverain. Sa situation reste déplorable. Aucune restriction n'est mise à l'emploi des femmes et des enfants dans les usines ou dans les mines; aucune mesure n'est prise pour combattre le paupérisme. Les villes s'efforcent bien, par l'institution d'écoles gratuites, de développer l'instruction populaire. A Gand, l'administration communale organise une banque de prêt (4). Mais on ne voit pas la moindre velléité d'intervenir contre les abus dont les patrons se rendent trop souvent coupables en réduisant les salaires ou en forçant les ouvriers à recevoir en payement des denrées évaluées à un prix excessif (5). Les lois sur l'obligation du livret et sur l'interdiction des grèves et des coalitions restent strictement en vigueur. Çà et là, des associations de bienfaisance sont autorisées, à condition de fonctionner sous le contrôle de l'autorité municipale (6). Bref, conformément à l'esprit censitaire qui l'anime, le gouvernement ne fait rien pour les classes laborieuses, mais aussi, conformément à ses principes libéraux, il ne se croit pas le droit de rien faire pour elles. La théorie confirme la conduite que conseille l'intérêt. Le travail étant accessible à tous, c'est aussi le travail qui doit être le seul recours du pauvre. Le rôle de la bienfaisance publique se borne à l'empêcher de mourir de faim si par malheur ou par sa faute il se trouve sans emploi. Les vrais bienfaiteurs de la société sont donc les industriels par cela seul qu'ils attirent les misérables vers leurs ateliers. En conséquence, le vrai remède contre la pauvreté est d'intensifier la production. On ne s'avise pas que c'est un cercle vicieux que de prétendre abolir la misère en suscitant des fabriques dont la prospérité sera d'autant plus grande que les travailleurs seront plus mal payés. Ils le sont très mal en effet. Vers 1820, on estime que le gain moyen d'un ouvrier belge correspond à la moitié de celui d'un ouvrier anglais. Ajoutez à cela que l'impôt pèse surtout sur les classes pauvres, puisqu'il consiste pour la plus grande partie en perceptions sur le commerce et les denrées alimentaires. A partir de 1822, la mouture et l'abattage ont encore empiré leurs conditions d'existence en faisant hausser les prix du pain et de la viande (7). Néanmoins, si elles sont malheureuses et mécontentes, on ne surprend chez elles aucun esprit de révolte. Il semble bien que le babouvisme, dont on avait distingué quelques traces sous le Directoire, ait complètement disparu. Les travailleurs sont pieux, obéissants, résignés à leur sort. Ils n'ont ni l'idée, ni les moyens de s'organiser. C'est tout au plus si de loin en loin, en dépit de la loi, ils se laissent entraîner à quelque grève mal préparée et impitoyablement réprimée (8). Il faudra attendre 1830 pour que, excités par l'agitation politique qui exploite leurs griefs et leurs rancunes, ils se déchaînent tout à coup. On les verra alors briser des machines, piller des fabriques et faire le coup de feu sur les barricades. Ils seconderont la bourgeoisie et l'effrayeront tout à la fois par les excès d'une violence qui, ne sachant à qui s'en prendre et confondant l'ordre social et l'ordre politique se tourne, dans un brusque sursaut de fureur, contre l'un et contre l'autre. SITUATION DE L'INDUSTRIE. - La crise industrielle de 1815 à 1820 eût sans doute été moins grave si le développement de la technique avait marché du même pas que celui de la production. Mais les fabricants, assurés jusqu'alors de l'écoulement rapide de leurs produits sur l'immense marché de l'Empire, ne s'étaient guère souciés de perfectionner leur outillage. Le bas prix du travail suffisait à garantir et même à augmenter leur situation. Protégés contre la concurrence, ils n'éprouvaient guère le besoin d'innover. Leurs bénéfices servaient à multiplier beaucoup plus qu'à moderniser leurs établissements. La métallurgie, par exemple, continuait à employer des méthodes vieillies et depuis longtemps abandonnées en Angleterre (9). L'activité des entrepreneurs contrastait avec leur manque d'initiative. Il y avait sans doute quelques exceptions. Dans le pays de Liège notamment, des progrès remarquables avaient été réalisés. John Cockerill commençait à répandre l'emploi des machines de Manchester (10). Mais ce n'étaient là que les prodromes d'une transformation peu prononcée encore quand l'Empire s'écroula. Cet écroulement fut, pour les fabricants belges, une double catastrophe. Non seulement il les privait tout à coup de leur unique marché, mais il ouvrait en même temps le pays à la concurrence anglaise.'Un tarif douanier imposé par les Puissances en 1814 mettait fin au protectionnisme à l'abri duquel leur industrie s'était si largement développée (11). Elle semblait destinée à périr sous l'inon- dation des produits britanniques, et sans doute elle périssait si, en créant le royaume des Pays-Bas, la politique internationale ne fût venue, sans le vouloir, à son secours. L'intérêt de l'Etat aussi bien que ses penchants personnels poussèrent Guillaume, dès son avènement, à étudier et à mettre en œuvre les moyens de la rétablir. Déjà, comme gouverneur, il avait eu soin de se mettre au courant de ses besoins et de ses ressources. Il avait inspecté les houillères du Hainaut, acclamé par les mineurs rangés sur son passage en costume de travail, la bougie plantée sur le chapeau de cuir (12). Des rapports lui avaient été adressés; il avait conféré avec des ingénieurs et des patrons et il savait que de l'avis unanime des fabricants, la question à résoudre était avant tout une question de tarifs. Pour les uns, il fallait conclure au plus tôt un traité de commerce avec la France; pour les autres, il importait d'en revenir à l'ancien protectionnisme et de fermer le pays à l'étranger. Ni l'une ni l'autre de ces alternatives cependant n'était possible. La politique antifrançaise de Guillaume ne lui permettait pas de songer à la première; les intérêts du commerce hollandais l'empêchaient d'admettre la seconde. Il en arriva, faute de mieux, à promulguer, le 3 avril 1816, une loi douanière qui, sans aller aussi loin que l'auraient souhaité les Belges, tenait compte cependant de leurs réclamations. Les droits d'entrée furent portés au taux moyen de 8 à 10 p. c.; on édicta certaines prohibitions et on eut recours à des primes et à des droits différentiels pour favoriser l'exportation (13). Les nouveaux tarifs ne durèrent pas plus longtemps que la crise à laquelle ils remédièrent en partie. En 1821-1822, le système douanier subit une refonte complète. Il réduisait tous les droits d'entrée et remaniait le système des droits différentiels en vue d'avantager le transit et la navigation. Il laissait d'ailleurs au roi la faculté de prendre, suivant les circonstances, des mesures spéciales et même de prohiber certaines marchandises. En fait, dès l'année suivante, une guerre douanière était entreprise contre la France. Dans son ensemble cependant, le nouveau tarif était plus libéral que celui d'aucun autre Etat (14). Les Belges s'élevèrent contre lui avec violence. Il provoqua des discussions passionnées dans la seconde Chambre des Etats-Généraux. On accusa le roi de s'être laissé dominer par sa prédilection pour ses compatriotes et de leur avoir sacrifié ses nouveaux sujets. INTERVENTION DU ROI EN FAVEUR DE L'INDUSTRIE. - Rien n'était plus injuste. L'industrie apparaissait à Guillaume la source essentielle de la prospérité de l'Etat et il était trop avisé pour consentir à des mesures qui eussent compromis son avenir. Mais avec un tact très sûr de la situation, il comprenait qu'il fallait la garantir du séduisant péril d'un protectionnisme ou-trancier. Il ambitionnait pour elle un champ d'action bien plus vaste que le marché natio- nal. Il voulait la mettre à même de se répandre largement au dehors. Il lui réservait d'ailleurs le débouché des colonies où des droits d'entrée prohibitifs lui permettraient de défier la concurrence anglaise. C'était à elle à se créer d'autres débouchés par une réforme de ses procédés, par l'intelligence, l'initiative et l'énergie. Le devoir du souverain n'était pas de construire autour d'elle une muraille de Chine, mais de soutenir et de promouvoir son expansion. Et il s'y ingénia de toutes ses forces. A l'exemple de Napoléon, il prodigua les subventions aux inventeurs et aux entrepreneurs. Il leur ouvrit sa cassette avec une générosité d'autant plus active qu'en s'inté-ressant lui-même à leurs affaires, il participait à leurs risques. Dès 1817, il vendait à John Cockerill le château de Seraing, ancienne demeure de plaisance des princes-évêques de Liège, pour lui permettre de concentrer ses ateliers de construction de machines jusqu'alors éparpillés, et il devenait le principal actionnaire de l'usine. En 1821, il envoyait Roentgen en Angleterre pour étudier les récents progrès de la métallurgie. Il consultait d'Omalius d'Alloy sur les moyens de perfectionner l'industrie du fer. Comme sous l'Empire, des expositions industrielles, dont la première fut ouverte à Gand en 1820, stimulaient Le royaume des Pays-Bas (1815-1830). BÔ298 (Oand, Administration des voies hydrauliques, Service spécial du bassin fluvial de l'Escaut.) Le canal Gand-Terneuzen en 1827. L'ancien canal qui reliait la Maison Rouge, à l'extrémité de l'ancienne pêcherie des Châtelains, jusqu'au Sas de Gand, s'avérant insuffisant, Guillaume Ier décréta le creusement d'un nouveau canal (1823). Les travaux furent inaugurés le 18 novembre 1827. — Plan à l'échelle 1/100.000e dessiné en 1827. l'émulation des fabricants. Une loi instituant, le 12 juillet 1821, le «fonds de l'industrie» (1,300,000, plus tard 1 million de florins) destiné à encourager les manufactures, l'agriculture et la pêche. L'institution l'année suivante du mystérieux « syndicat d'amortissement », leur vint aussi largement en aide. Cependant, de grands travaux publics étaient entrepris. Le canal de Charleroi, réclamé depuis la fin du XVIII1' siècle par les charbonniers du Hainaut et que Napoléon n'avait pas eu le temps de faire creuser, était mis en construction en 1826. Celui de Pommerœul à Antoing (1823-1826) permit aux houilles du Borinage d'atteindre l'Escaut sans devoir passer par le territoire français. Dès 1822, le canal latéral de la Meuse était conduit de Maestricht à Bois-le-Duc. De 1825 à 1827, la grande entreprise du canal de Terneuzen, pour laquelle on avait été jusqu'à employer 500 femmes embauchées dans le pays de Liège, avait été activement poursuivie. Gand se trouvait en communication directe avec la mer et en 1828 on y creusait les bassins du dock. D'autres projets étaient à l'étude dont la réalisation eût doté le pays d'un réseau de voies navigables le mettant LA SOCIETE GENERALE. - De tous les bienfaits dus par la Belgique à l'initiative royale, le plus efficace fut la création de la Société générale des Pays-Bas pour favoriser l'industrie nationale (Algemeene Nederlandsche maatschappij ter begunstiging der volksvlijt), fondée à Bruxelles le 13 décembre 1822 (15). Elle était destinée à mettre fin à l'état déplorable du crédit qui avait été jusqu'alors le point faible de l'organisation économique du pays. Ni au XVIIIe siècle, ni sous l'Empire, les manufacturiers n'avaient trouvé parmi les capitalistes la collaboration qui les eût mis à même de prendre tout leur essor. L'initiative des entrepreneurs s'achoppait à l'inertie des grandes fortunes qui, par défiance et par routine, restaient attachées à la terre, plus soucieuses de sécurité que de bénéfices. C'est tout au plus si, dans quelques villes, des banques privées limitaient timidement leur activité aux opérations de change et d'avances sur marchandises. La circulation des billets au porteur était à peine connue. Une réforme s'imposait. Le roi qui en avait reconnu la nécessité en fut personnellement l'auteur. Il prit part lui-même aux discussions des commissions chargées d'étudier le plan et les statuts de l'établissement qu'il voulait fonder. Il l'avait conçu de la manière la plus large et dès sa création, il passa à bon droit pour un modèle. Ses attributions consistaient à émettre des billets au porteur payables à présentation et en argent comptant, à escompter les effets de commerce, à se charger du recouvrement des effets, à recevoir des sommes en comptes courants et des dépôts volontaires, à faire des avances sur titres, marchandises ou propriétés foncières, à émettre des engagements portant intérêt. L'importance de son capital le mettait à même de s'acquitter largement de sa mission. Il consistait en 30 millions représentés par 60,000 actions de 500 florins et en 20 millions consistant en domaines assignés par le roi. Ainsi la Belgique possédait désormais la grande banque qui était indispensable au plein développement de ses énergies. Le public ne comprit pas tout de suite l'importance de cette nouveauté. Il ne souscrivit que lentement aux actions de la société. Le 30 juin 1823, on ne relevait que 31,226 actions souscrites dont 1,500 à 2,000 par des particuliers et 25,800 par le roi. Néanmoins, la prospérité de la banque prouva tout de suite son utilité. De 1823 à 1827, les dividendes distribués passèrent de 14 fr. 81 à 39 fr. 15 par action. On peut dire que la Société Générale fut le couron- en rapport, jusqu'au fond du Luxembourg, avec Anvers et les ports hollandais. Et en même temps, l'Etat se préoccupait de former le personnel d'ingénieurs que réclamait la complication croissante de l'exploitation des houillères. En 1825, l'école des mines de Liège était ouverte. nement de l'œuvre économique de Guillaume. Elle avait elle pénètre encore à Courtrai et aux environs de Bru- été si solidement construite qu'elle fut capable de tra- xelles. A l'autre extrémité du pays, la draperie verviétoise, verser sans faiblir toutes les vicissitudes et qu'aujourd'hui après une décadence momentanée, reprend une nouvelle encore elle reste l'un des premiers établissements finan- vigueur. La métallurgie grandit dans le pays de Liège, ciers du pays. Deux ans après sa naissance, Guillaume dans le Namurois, dans le Hainaut. Partout l'outillage se lui donna une sœur. La Nederlandsche Handelmaatschap- perfectionne. L'emploi des machines à vapeur se généra- pi/, établie à La Haye le 29 mars 1824, au capital de lise. Elles sortent de plus en plus nombreuses des établis- 12 millions de florins, eut surtout pour but de favoriser sements Cockerill, en même temps que les mécaniques l'exportation, spécialement l'exportation vers les Indes, et servant à filer la laine et le coton, ou à tondre les étoffes, de promouvoir tout à la fois, en les fécondant l'un par Vers 1823, la création de la société Le Phœnix fournit l'autre, le commerce hollandais et l'industrie belge (16). à la région gantoise un grand atelier de constructions Celle-ci répondit brillamment aux espoirs et à l'initia- mécaniques (18). L'activité des manufactures suscite tive du roi. A partir de 1825, elle se développe avec une naturellement le travail du fer et celui des mines. En 1827, rapidité qui commence à inquiéter l'Angleterre elle-même. les premiers hauts fourneaux du continent sont établis à Les fabriques sont surchargées de commandes et il s'en Seraing. Les gisements de houille du pays de Liège, du fonde partout de nouvelles. On estime que Gand, en 1830, bassin de Charleroi et du Borinage, sur lesquels repose compte plus de 30,000 ouvriers répartis en quatre-vingts de plus en plus la prospérité de l'industrie à mesure qu'elle usines, filatures de coton, fabriques d'indiennes, blanchis- requiert plus largement la force de la vapeur, sont ex- series de lin. La confection des étoffes de coton aux- ploités avec une énergie qui fait appel à tous les perfec- quelles les colonies hollandaises fournissent un débouché tionnements de la science et de la technique, inépuisable, attire de préférence les entrepreneurs (17). Elle est pratiquée non seulement à Lokeren et à Saint- L'AGRICULTURE ET LE COMMERCE. — L'agri- Nicolas, où elle s'était déjà introduite sous l'Empire, mais culture participe nécessairement à cette poussée de pros- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cartes et Plans, XIII B. Part. C. 1839, Et. Géogr.) Détail du plan du canal Bruxelles-Charleroi (1827-1832). Après les essais Infructueux des gouvernements autrichiens et français, c'est à l'administration de Guillaume I" que devait revenir l'honneur de faire creuser le canal Bruxelles-Charleroi. En 1823, trois ingénieurs reçurent mission de préparer le projet des travaux. Entamés le 15 mars 1827, ceux-ci étaient pratiquement terminés à l'époque de la révolution. Le canal fut ouvert à la circulation le 22 septembre 1832. La dépense totale s'élevait à 10 millions 300 mille florins environ. Le tronçon entre Bruxelles et Tubize est reproduit ci-dessus. — Plan gravé entre 1835 et 1839 par De Lahoese. Les chiffres transcrits sur le plan sont des additions manuscrites postérieures. périté. L'augmentation de la population dilate le marché de ses produits. Les forêts de l'Ardenne fournissent aux houillères les bois dont elles font une consommation de plus en plus grande à mesure que leurs galeries se prolongent et que leurs puits s'approfondissent. En dépit de la réalisation des biens nationaux, qui a pendant un certain temps pesé lourdement sur les transactions immobilières, on note depuis 1825 une hausse constante dans le prix des terres. Le gouvernement, malgré sa prédilection pour l'industrie, ne se désintéresse pas cependant du travail agricole. Il en a confié, dès 1818, la surveillance aux commissions d'agriculture installées dans chaque province. Le commerce, en même temps, ranime la place d'Anvers. Les craintes des conservateurs hollandais se sont justifiées : le grand port de l'Escaut commence à rivaliser avec ceux d'Amsterdam et de Rotterdam. Son activité est pourtant assez différente de la leur. Il ne se consacre pas comme eux au transit et à la navigation vers les Indes. Il présente très nettement le caractère d'un port belge et son importance grandit dans la même mesure que l'industrie nationale dont il est le point d'embarquement naturel. Au reste, les vaisseaux qui le fréquentent sont tous ou hollandais ou étrangers. Il possède de florissantes maisons d'exportation : il ne possède pas d'armateurs. Au moment où la Révolution va éclater, la Belgique a donc repris, grâce à ce gouvernement dont elle combat si âprement la politique, une position correspondant à ses ressources naturelles et aux aptitudes de sa population. Elle semble travaillée par une sève de jeunesse. Pour trouver un spectacle comparable à celui qu'elle offre, il faut passer par-dessus la longue période de malheurs et d'engourdissement qu'elle a subie, et remonter jusqu'au règne de Charles-Quint. L'augmentation de la population qui avait commencé à se manifester sous l'Empire est la preuve la plus frappante de cette renaissance. Elle se constate également dans les villes et dans les campagnes les plus reculées. Elle se développe deux fois plus rapi- c/cc\m\Vente/tf de 6/Jio/iuâi/iotv an .(floi/aturie entre et $rovtncc.t 1820 1885 Accroissement de la population dans les diverses provinces du royaume des Pays-Bas entre 1820 et 1825. Les chiffres sont fournis par A. Quetelet : Recherches sur la population, les naissances, les décès, les prisons, les dépôts de mendicité, etc., dans le Royaume des Pays-Bas (Nouveaux Mémoires de l'Académie Royale des Sciences et des Belles-Lettres de Bruxelles, 1827, t. IV, p. 121). dement qu en France, et son accroissement est plus grand que celui qu'elle présente dans les provinces du Nord où pourtant la natalité est très vigoureuse. De 1815 à 1829, la population totale du royaume passe de 5,424,502 habitants à 6,235,169. Mais, si on envisage chacune de ses parties, on remarque que la Belgique intervient dans ce dernier chiffre pour 3,921,082 habitants et la Hollande pour 2,314,087 (19). Incontestablement la vigueur et l'énergie sont beaucoup moins accentuées chez celle-ci que chez celle-là. On a remarqué avec raison que les éloges donnés par les contemporains à l'extraordinaire prospérité des Pays-Bas ne se justifient pleinement que pour la Belgique (20). Les provinces septentrionales ont marché d'un pas plus lent. Il leur a fallu longtemps pour s'adapter aux circonstances nouvelles et transformer leur commerce d'entrepôt en commerce de transit. Entre les Hollandais et les Belges, on relève le même contraste qu'entre un parvenu énergique et le propriétaire opulent d'une fortune acquise. Le bien-être et le niveau général de l'existence sont plus élevés chez les premiers que chez les seconds. La quotité moyenne de l'impôt atteint en Hollande 15 fl. 48 par tête, tandis qu'elle n'est que 9 fl. 16 en Belgique. La fréquentation des écoles fournit un indice non moins significatif de l'état social des deux peuples. Sur 1,000 habitants, on relève en 1827, 109 élèves dans les provinces du Nord; celles du Sud n'en présentent que 79. Dans les unes, à la même date, il n'y a que 5,50 individus pour mille dépourvus de tous moyens d'instruction; il y en a 50 pour mille dans les autres (21). ECHEC DU GOUVERNEMENT EN MATIERE INTELLECTUELLE. — La création du royaume des Pays-Bas, qui a exercé une action si féconde et si durable sur le développement matériel de la Belgique, n'en a exercé presque aucune sur l'état des idées et des mœurs. Au lieu de s'atténuer, le contraste moral du Nord et du Sud n'a cessé de s'accentuer de 1815 à 1830. au point d'en arriver à la séparation des deux conjoints unis contre leur gré par les Puissances. Il fallait que l'incompatibilité d'humeur qui les opposait l'un à l'autre fût vraiment irréductible pour qu'elle ait poussé les Belges à rompre une association qui, au point de vue économique, leur procurait les plus précieux avantages. A n'envisager que les intérêts, la révolution de 1830 apparaît inexplicable; sa cause profonde est essentiellement d'ordre psychologique. Pourtant, le gouvernement qui a déployé tant d'intelligente activité pour relever le commerce et l'industrie, ne s'est pas moins attaché, on l'a vu plus haut, à s'emparer des esprits par l'enseignement. Il a créé des universités, des écoles normales, des athénées, et largement répandu l'instruction primaire. Avec persévérance, disons même avec obstination, il a poursuivi le dessein d'éduquer les Belges, comptant que le « progrès des lumières » les concilierait à ses vues et que l'« amalgame » moral irait de pair avec l'amal- (Bruxelles, Montagne du Parc.) (Cliché Bijtebier.) Salon du centenaire de la Société Générale de Belgique. C'est dans ce salon que fut reçu le roi Albert Ier le 23 décembre 1922, à l'occasion du centenaire de la Société. Les murs, aujourd'hui encore, sont recouverts de tapisseries de Bruxelles qui décoraient l'ancien hôtel de l'agence anversoise de la Société au XIXe siècle. game économique. Et non seulement tous ses efforts ont été vains, mais ils ont tourné contre lui. Par une curieuse ironie du sort, c'est dans ces athénées et ces universités qui devaient former la jeunesse à son service, que les chefs de la Révolution de 1830 ont presque tous fait leurs études. C'est qu'il ne suffit pas d'instruire un peuple pour transformer ses idées. L'école augmente ses facultés d'agir sans qu'elle puisse diriger son action. Le rendant plus capable, elle le rend plus utile ou plus redoutable, selon l'usage qu'il fera des ressources qu'elle lui a fournies. Elle ne peut seconder les vues de l'Etat que si l'éducation qu'elle donne à l'intelligence s accorde avec cette autre éducation plus intime et plus prenante que chacun reçoit au sein du milieu où il est né, des croyances, des traditions, des besoins et des penchants héréditaires en quoi consiste sa vie sentimentale et inconsciente. Or, si cet accord existait en Hollande, il n'existait pas en Belgique. Au cours si divergent de leur histoire, la nature des deux peuples s'était trop profondément différenciée pour qu'il fût possible d'effacer cette différence en appliquant à l'un d'eux un système d'enseignement qui répondait au caractère de l'autre. Le roi eut beau multiplier les écoles, veiller à la formation des instituteurs, faire venir de Hollande et d'Allemagne de très savants hommes pour occuper les chaires des universités, il ne réussit qu'à perfectionner, si l'on peut ainsi dire, l'outillage pédagogique du pays. Les idées échappèrent à son emprise. Son oeuvre, dont il était fier à juste titre et qui constitue un progrès si éclatant sur celle de l'Université impériale, se borne à répandre dans le peuple et dans la bourgeoisie des connaissances techniques sans influer sur leur attitude morale. C'est précisément parce qu'il ne parvint pas à comprendre cette attitude qu'il se trompa complètement sur les moyens qu'il eût fallu appliquer pour réussir. Jugeant la Belgique du point de vue de la Hollande et de l'Allemagne, il la considérait simplement comme un pays arriéré que le clergé conservait de parti pris dans l'ignorance. Et il est incontestable qu'elle ne justifiait que trop bien ce mépris aux yeux des Hollandais. Tout les y choquait : le peuple regorgeant d'illettrés, la bourgeoisie n'ayant d'autre lecture que les journaux, les prêtres réduits au dressage des séminaires et ne sachant de latin que ce qu'il en faut pour dire la messe, l'aristocratie dédaigneuse de toute curiosité intellectuelle. Où que l'on regardât, nul goût pour les études sérieuses. Ni bibliothèques publiques, ni bibliothèques privées. Ajoutez à cela que la francisation des classes supérieures leur inspirait un dédain frivole pour la langue et la littérature néerlandaises, que qJÏD. DU.. h?-.?. 9t.»...»«. (JdtbkSLa*.' OShuVCmhtv :(!* ly. G»iit-7 A t* aut./yii tC*!- Ji.Gjfi**- __su * jr ttflu ùlcm. »t }t*> 's* Jl^fAt TZuu— /»/«. ff*./Vil i/>/< /'./ fur t/'ltil M .Mûrs, /du/, un paip/r c/'orun rr/ai/i/ un t/v- n irqrd'l irrt/c (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Le lion belge brise ses chaînes (1830). Légende : 11 sommeillait paisible, on le croyait dompté, — Et fier d'un tel succès, tout un peuple d'esclaves — Ecrasait son repos sous d'ignobles entraves. — Mais soudain retentit un cri de liberté. — Le lion se réveille... Et chaînes et Bataves, — Tout disparaît devant son regard irrité. — Lithographie d'Eugène Verbroeckhoven (Warneton, 1799-Bruxelles, 1881) datée de 1830. CHAPITRE PREMIER LA SEPARATION nelle qu'elle était au début, le sentiment populaire et le sentiment national qu'elle a déchaînés l'ont bientôt poussée à une lutte de front contre le gouvernement. Pourtant les griefs qu'elle invoquait à l'origine avec tant d'âpreté n'existent plus. Il n'y a plus de Collège philosophique, plus d'arrêté de 1815, plus d'abattage et de mouture; le Concordat est maintenant appliqué, et le 4 juin fERMENTATION GENERALE DES ESPRITS. — L'agitation politique provoquée en 1828 par l'union des catholiques et des libéraux devait prendre tôt ou tard un caractère révolutionnaire. Elle le prit très tôt. Dès les premiers mois de 1830 on ne peut plus se faire d'illusions sur ses tendances. De simple opposition constitution- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Tableau allégorique de l'union des Belges en 1830. Les volontaires belges prêtent serment sur l'autel de la Liberté dont le socle est couvert d'inscriptions énumérant les villes et localités révoltées. Le lion belge tient une épée et une hampe portant le chapeau de la Liberté. Deux drapeaux sont fixés sur l'autel, portant les inscriptions : LIEGE POUR BRUXELLES. VAINCRE OU MOURIR, et LIBERTE SECURITE PUBLIQUE. — Lithographie anonyme(?). le roi retirera même les mesures linguistiques imposées en 1819. Ces concessions, qui auraient dû mettre fin au mouvement, n'ont fait qu'en augmenter la violence, car, si elles lui ont enlevé ses prétextes, elles n'en ont pas atteint la cause profonde. Il apparaît désormais que cette cause gît dans l'existence du royaume. Ce qui arrive, c'est ce que de bons juges avaient prédit dès 1815 : la dissolution de 1' « amalgame » prématuré de deux nations trop différentes l'une de l'autre. Avec des ménagements, de la souplesse et de la prudence, il eût sans doute été possible de consolider l'Etat et de lui assurer un avenir aussi heureux pour lui-même que pour l'Europe. Au rôle international qui lui était dévolu pouvait correspondre une civilisation également internationale où seraient venus confluer, comme au XVIe siècle, les grands courants de la pensée européenne : la française par l'intermédiaire de la Belgique, l'allemande par celui de la Hollande. Une tolérance largement humaine pouvait naître du rapprochement des catholiques du Sud et des protestants du Nord. Mais pour accomplir une œuvre aussi grandiose, le temps était indispensable. La précipitation gâta tout. Il aurait fallu essayer d'une lente accoutumance, d'une assimilation graduelle, d'une marche par étapes qui eût permis aux peuples de se comprendre et de se joindre dans la communauté des mêmes destinées. En la leur imposant prématurément on la rendit impossible, et son impossibilité conduisit à la rupture. Sans doute, les premiers froissements ne parurent pas bien inquiétants. Aussi longtemps que l'opposition se confina dans le pays légal, le gouvernement en vint facilement à bout. Mais du jour où elle atteignit les masses, tout fut perdu. Ce n'était plus le fonctionnement du régime, c'était le régime lui-même qui se trouvait mis en question. Que les chefs du mouvement s'en soient nettement rendu compte, on en peut douter. Bien rares certainement étaient ceux qui, au commencement de 1830, se proposaient la destruction du royaume. Les censitaires ne souhaitaient rien au delà d'une réforme constitutionnelle et parlementaire. S'ils étaient tous gagnés au principe de la responsabilité ministérielle, aucun d'eux n'en voulait la conquête par la violence. Leur conflit avec le roi était d'ordre purement politique; leur loyalisme demeurait intact et leur agitation conforme aux lois. Leur lutte contre le gouvernement se confinait dans l'enceinte des Etats-Généraux. Ce petit groupe de privilégiés ne compte que sur lui-même. Les associations constitutionnelles qu'il organise pour agir sur les élections et diriger la propagande parmi la bourgeoisie respectent soigneusement la légalité. Les réunions de plus de vingt personnes étant interdites, elles se composent de dix-neuf membres, délibérant à huis-clos en politiciens de bonne compagnie, et, à l'exemple de leurs modèles, les doctrinaires français, profondément convaincus de leur importance. Ces modérés avaient vu tout d'abord avec satisfaction les jeunes libéraux et le clergé se lancer dans la lutte politique. Mais s'ils s'étaient flattés de trouver en eux des auxiliaires bénévoles, ils ne tardèrent pas à se détromper. Ils durent se convaincre que l'agitation, à mesure qu'elle allait s'élargissant, leur échappait. Ils la voyaient avec inquiétude affecter des allures de plus en plus populaires et démocratiques, et ses chefs, encouragés par le succès, ne prendre conseil que d'eux-mêmes. En somme, le mouvement débordait maintenant le pays légal. Entre l'opposition parlementaire des députés aux Etats-Généraux et l'opposition nationale suscitée par les partis, il n'y avait ni point de contact ni entente. Les jeunes « jacobins » ( 1 ) menaient la propagande libérale comme les curés et les vicaires, la propagande catholique, ceux-là sans s'inquiéter des associations constitutionnelles, ceux-ci sans se soucier de leurs évêques. Le nonce du pape s'effrayait de leur audace et de leur fougue. Ils placent au-dessus de tout, écrit-il, l'autorité du Saint-Siège. Mais ils sont tellement « imbus et infatués » de leur ultramontanisme libertaire et du système politique de Lamennais que si même le Saint-Siège l'essayait, il ne parviendrait pas à les modérer (2). Ils se déchaînent contre le gouvernement et ne cachent plus leur hostilité à la personne du roi. Beaucoup de prêtres cessent de prononcer son nom en chantant le Te Deum. Et la presse catholique et libérale ne montre pas plus de retenue. On distribue gratuitement les journaux dans les campagnes flamandes; pour les rendre accessibles au peuple, on traduit leurs articles les plus sensationnels que l'on glisse sous les portes des fermes. Un des plus zélés informateurs du gouvernement, l'instituteur allemand Bergman, constate que les paysans, jadis si apathiques, sont maintenant transformés en politiciens de cabarets (heethoofdige politieke tinnegieters). L'exaspération avoue-t-il au ministre van Maanen, est générale, et « si Votre Excellence me demandait dans quelle classe de la population le gouvernement compte encore des partisans, je serais forcé de répondre dans aucune» (3). Au sein du prolétariat industriel, l'effervescence provoquée par l'introduction récente de machines perfectionnées qui font appréhender aux ouvriers la perte de leur gagne-pain, favorise dangereusement les effets de l'excitation politique. Des symptômes menaçants annoncent des émeutes. Et brochant sur tout cela, une campagne dirigée de Paris s'ingénie à exploiter le mécontentement en faveur des projets d'annexion échafaudés par Polignac. Le ton des journaux français est inquiétant. Une brochure retentissante du général de Richemont démontre la nécessité pour la France de s'agrandir des Pays-Bas. Ainsi, le trouble était partout. La Belgique, travaillée tout à la fois par une opposition constitutionnelle, par une opposition nationale et par les intrigues de l'étranger, semblait destinée à sombrer dans l'anarchie. En dépit de sa confiance en lui-même, le roi se sentait déconcerté. L'œuvre dont il était si fier s'écroulait sous ses yeux, et son insuccès le compromettait devant l'Europe. En vain, il avait essayé tout à la fois de la modération et de la violence. Ses concessions n'avaient été prises que pour des preuves de faiblesse; ses rigueurs n'aboutissaient qu'à des provocations ou à des insolences. Des médailles étaient frappées en l'honneur des fonctionnaires révoqués (4), des acclamations saluaient les pamphlétaires condamnés par les tribunaux. De toutes parts et jusque parmi les industriels qui lui devaient leur prospérité, on lui rapportait des bravades insupportables. A Bruges, le président de la Chambre de commerce ayant refusé l'Ordre du Lion belgique, ses collègues lui avaient présenté en corps leurs félicitations (5). Malgré les procès de presse, les gazettes ne craignaient plus de parler haut et clair. La personne même du souverain était prise directement à partie, et en quels termes ! « Il ne faut qu'une minute, imprimait le Journal de Louvain (mai 1829), pour attacher une corde (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) « La police notait que l'on voyait circuler dans le peuple des « pièces françaises toutes neuves. » (Voyez le texte, p. 483.) — Droit et revers d'une pièce de 5 francs à l'effigie de Louis-Philippe (1830). Au droit (à gauche sur la planche), portrait en buste du roi des Français. Légende : LOUIS PHILIPPE ROI DES FRANÇAIS. Au revers (à droite), entre deux rameaux : 5 FRANCS, 1830. Pièce d'argent frappée à Paris et gravée par Nicolas Tiolier (Paris, 1784-1853). (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Bijtebier.) Croix de Chevalier de l'Ordre du Lion Belgique créé en 1815 (revers). Or. L'Ordre du Lion Belgique récompensait les civils (magistrats, fonctionnaires, etc.) qui s'étaient signalés à l'attention des autorités supérieures par la qualité de leurs prestations. L'Ordre de Guillaume, plus rare que le précédent, était réservé d'ordinaire aux membres de l'armee. de chanvre à un cou royal. Il n'en a pas fallu plus pour attacher un Capet sur la planche de la guillotine» (6). LE ROI EN FACE DE L'OPPOSITION. - Pour être exceptionnel, ce langage n'en est pas moins significatif. Il est grave surtout parce que c'est le roi lui-même qui l'a provoqué. Par son obstination à soutenir, malgré l'unanimité de l'opinion, un ministre aussi odieux que van Maanen, il a jeté aux Belges un défi qu'ils ont relevé. Son message du 11 décembre l'a mis en conflit direct avec eux. De parti pris, il s'est dénoncé comme l'organe de ce gouvernement personnel qu'ils s'accordent tous à combattre. Au lieu de laisser ses ministres le couvrir, c'est lui qui les couvre. Et comment échapperait-il désormais aux coups qu'on leur porte ? Il se fait gloire de s'y exposer couronne en tête et sceptre à la main. Les emblèmes de la monarchie sont devenus ses armes; rien d'étonnant si on cherche à les lui arracher. Fidèle à la devise de sa maison, il est d'ailleurs bien décidé à « maintenir » ce pouvoir dont il a fait l'enjeu de la lutte. S'il le faut, il n'hésitera pas à recourir à un coup d'Etat et à violer cette Loi fondamentale que l'opposition l'accuse d'ailleurs de fouler aux pieds. Il fait pressentir à ce sujet le roi de Prusse et le tsar. Les fonctionnaires disent qu'en cas d'insurrection des troupes prussiennes entreront dans le royaume, et les démentis officiels ne persuadent personne (7). En janvier 1830, le ministre autrichien écrit que le public est convaincu que le gouvernement veut provoquer des émeutes pour avoir un prétexte de changer la constitution (8). En réalité, entre le roi et l'opposition, il n'y a plus de conciliation possible. On est dans une impasse : il faut que l'un ou l'autre des adversaires capitule. Les diplomates étrangers à La Haye ou à Bruxelles ne se font aucune illusion sur la gravité du conflit. Si la légalité n'a pas encore été heurtée de front, on sent qu'elle le sera bientôt. Dès le mois de novembre 1829, le prince d'Orange reconnaît que l'on va à une catastrophe (9). « Je suis persuadé, écrit en février 1830 le chargé d'affaires du Danemark, que la marche des choses dans ce pays conduit tout droit à l'anarchie pour ne pas dire à la révolution» (10). Le Français La Moussaye ne pense pas autrement (11). En véritable parlementaire, son collègue anglais ne voit aucun remède à la situation si le roi ne prend au plus tôt des ministres responsables, n'introduit l'ordre et la clarté dans les finances et « n'adopte pas une balance parfaitement égale entre la Hollande et la Belgique » (12). L'internonce s'attend au pire, et le cardinal Albani ne se rassure qu'en songeant qu'une révolution ne serait pas tolérée par l'Europe (13). Mais parmi les chefs du mouvement, déjà les plus avancés ne s'embarrassent plus de ce scrupule. S'ils attendent, ce n'est pas qu'ils hésitent, mais que le moment ne leur semble pas venu encore de recourir à la force. Les événements de Paris ne firent donc que brusquer un dénouement qui était fatal. « Ce que la révolution belge a de plus mauvais, écrira Bartels, sa date, ne nous appartient pas... Elle est descendue dans les carrefours avant d'avoir suffisamment pénétré les esprits » (14). Cela paraît la vérité même. Les journées de juillet n'ont pas moins surpris le gouvernement que l'opposition. On flottait entre un coup d'Etat et une révolution. Elles ont empêché le premier et déchaîné la seconde. INFLUENCE DE LA REVOLUTION DE JUILLET. •— Si l'alliance des catholiques et des libéraux avait été (Bruxelles, Musée communal.) La Révolution de 1830 : groupe allégorique. Tableau peint par Adèle Kindt (Bruxelles, 1804-1884). moins solide, la nouvelle inattendue des journées de juillet eût sans doute provoqué sa dissolution. L'agitation anticléricale qui se manifesta tout de suite à Paris était bien faite pour effrayer le clergé belge. On ne constate pas cependant qu'il ait éprouvé la moindre crainte ni trahi la moindre hésitation. L'union des partis demeura aussi inébranlable après la chute de Charles X qu'elle l'était auparavant. Il n'en faut pas davantage pour montrer qu'entre les révolutionnaires de France et les mécontents de Belgique, il n'existait aucune entente. Manifestement, ceux-ci n'avaient point partie liée avec ceux-là. Loin de chercher à les imiter, ils semblent même, au premier moment, déconcertés par un événement qu'ils n'avaient pas prévu et dont la violence ne fut pas sans leur inspirer quelques appréhensions. La bourgeoisie s'effrayait du déchaînement des passions populaires. A part de rares démocrates comme de Potter et Bartels, elle ne voyait dans le peuple qu'un auxiliaire et n'entendait ni lui abandonner la direction du mouvement qu'elle avait suscité, ni les profits de la victoire. L'exemple de Paris la faisait réfléchir et la révolution, depuis son triomphe, lui paraissait moins souhaitable. Rogier écrivait dans son journal que la Belgique, plus heureuse que la France, n'avait pas besoin de faire une révolution pour acquérir la liberté (15). Par un curieux retour des choses, la conséquence immédiate des journées de juillet fut donc plutôt de calmer l'agitation que de la surexciter. On était sur le point de rompre avec la légalité : on résolut momentanément de s'y tenir. Aucune effervescence ne se manifeste. Le 3 août, le prince d'Orange et le prince Frédéric affirment à l'ambassadeur anglais que l'esprit public est excellent. Bruxelles paraît ne s'intéresser qu'à l'exposition industrielle qui vient de s'y ouvrir. Le roi, qui y est venu du 8 au 12 août, a été bien reçu. Tout au plus, pour éviter d'entendre crier « à bas van Maanen », s'est-il abstenu d'aller au théâtre. La situation reste donc ce qu'elle était : elle n'est pas meilleure, mais elle n'est pas pire. Ce que le gouvernement redoutait, ce n'était pas le soulèvement de la Belgique, mais une brusque agression de la France, à laquelle il aurait été incapable de faire face. Car l'état militaire du royaume était déplorable. Les forteresses manquaient d'artillerie. L'armée, composée de volontaires auxquels s'ajou-(Ciiché a.c.l.) taient des miliciens tirés au sort et ne se réunissant qu'un mois par an, ne comportait que trente-cinq mille hommes. La garde communale (schut-terij), organisée sur le papier en 1827, ne comptait pas. En somme, le royaume n'était pas à même de jouer ce rôle de barrière auquel l'Europe l'avait destiné. Rassuré par la tranquillité générale des dernières années, le roi avait évidemment négligé sa mission internationale au profit de sa politique interne. A l'heure du péril, il se dérobait. Sur les conseils de l'Angleterre, il en était réduit à faire le mort et à éviter toute apparence de provocation. Pour ne point irriter la France, il s'abstenait de masser des troupes à la frontière, se bornant à prendre timidement et sans bruit quelques mesures en vue de mettre les forteresses à l'abri d'un coup de main (16). Heureusement, l'avènement de Louis-Philippe (9 août) le rassurait. Il était certain que le « roi des Français », pour affermir sa couronne, éviterait avec le plus grand soin de se brouiller avec les Puissances en menaçant les Pays-Bas. Il recherchait visiblement l'amitié de l'Angleterre. On savait qu'il résistait de tout son pouvoir aux bonapartistes et aux républicains qui, sous l'influence combinée du souvenir de Napoléon et de l'idéalisme humanitaire, le poussaient à déchirer les traités de Vienne et à marcher sur la Belgique et sur le Rhin. Sa prudence et sa circonspection les exaspéraient. Ils comptaient bien lui forcer la main et tout de suite ils s'ingénièrent à se ménager des intelligences parmi les Belges, espérant exploiter leur mécontentement au profit de leurs desseins. S'ils n'avaient rien à attendre des catholiques, ils se flattaient au moins d'entraîner les libéraux et les démocrates. ATTITUDE DES FRANCOPHILES. - Il en était parmi ceux-ci qui ne s'étaient résignés qu'à contre-cœur à marcher la main dans la main avec le clergé. L'opportunité seule les avait décidés à conclure une alliance qui répugnait à leurs sentiments anticléricaux. Ils la rompraient sans doute si l'appui de la France leur assurait la victoire sans qu'il en coûtât rien à leurs principes. A vrai dire, à s'appuyer sur la France, on risquait de compromettre ou même de sacrifier l'indépendance nationale. Mais cette alternative n'était-elle pas préférable au maintien de l'oppression hollandaise ? S'unir à la France qu'était-ce autre chose que s'associer à sa mission libératrice ? La Belgique ne pouvait échapper à l'enthousiasme provoqué dans toute l'Europe par la révolution de juillet. C'était le moment où Heine la chantait comme un printemps, où Borne saluait le « pavé sacré du boulevard », (Paris, Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes.) Scène de la Révolution de Juillet à Paris : combat dans la rue Saint-Antoine (28 juillet 1830). Les cuirassiers de la garde royale, qui n'ont pu opérer la jonction avec les défenseurs de l'Hôtel de Ville, sont assaillis dans la rue Saint-Antoine par des civils qui jettent par les fenêtres des pavés, des tuiles, des pots, des meubles, etc. — Dessiné par Martinet. où le président du gouvernement provisoire de Bologne comparait les trois journées de Paris aux six jours de la création (17). Cette griserie d'idéalisme s'empara certainement de beaucoup d'esprits. Mais il serait tout à fait inexact de croire qu'elle ait suscité la formation d'un parti français travaillant, de propos délibéré, à l'annexion du pays. Il y eut des efforts isolés, mais aucune action organisée et persévérante. Encore les hommes qui entrèrent alors en rapport avec La Fayette, avec Mauguin ou le général Foy, étaient-ils loin de s'entendre. Les uns, comme Gendebien, étaient des natures ardentes et généreuses, s'abandonnant à l'entraînement général sans aucun souci d'ambition personnelle; d'autres, comme le comte de Celles et d'anciens fonctionnaires impériaux, n'exploitèrent la situation qu'à leur profit. Dans la confusion de la crise, l'intrigue collabora sous main avec l'impulsion sentimentale. A Paris, le parti du mouvement mettait tout en œuvre pour gagner les Belges à sa cause. Des banquets démocratiques étaient offerts à de Potter et à Tielemans, où l'on acclamait l'affranchissement de la Belgique. Ce que l'on apprenait justifiait les espérances les plus optimistes. Gendebien assurait à la France, en cas d'attaque, un succès complet (18). Des agents français travaillaient à Bruxelles et y « montaient les têtes ». Peut-être excités par eux, les ouvriers commençaient à protester contre la cherté des vivres. La police notait que l'on voyait circuler dans le peuple des « pièces françaises toutes neuves » (19). Toutefois, ce n'était là qu'une agitation de surface. Les informateurs du gouvernement ne lui attribuent aucune importance. Les chefs de l'opposition y sont complètement étrangers. Il leur paraît évident que le triomphe en France des idées qu'ils défendent en Belgique, assure leur succès sans qu'ils aient besoin de recourir à l'insurrection. Il augmente leur force en augmentant leur prestige. Ils sentent bien d'ailleurs que si Louis-Philippe n'ose pas les soutenir par les armes, il les soutiendra par sa sympathie. Car leur cause se confond avec la sienne. Il ne pourrait les désavouer qu'en se condamnant lui-même, puisqu'en face de Guillaume, ils se trouvent dans la même position que lui-même vis-à-vis de Charles X. Le roi des Pays-Bas hésitera certainement à refuser plus longtemps aux Belges le régime parlementaire et constitutionnel que vient d'accepter le roi des Français. Dès le 18 août, reprenant le mot de Louis-Philippe sur la Charte, le Courrier de la Meuse écrit que la Loi fondamentale va devenir enfin « une vérité ». LA MUETTE DE PORTICI. - Mais il faut se hâter car l'opinion est nerveuse et à mesure que les jours passent, elle s'énerve davantage. A Bruxelles, « on devient plus inquiet, plus remuant, et les groupes dans les rues deviennent plus bruyants ». Les journaux ne gardent plus aucune retenue. « Ils deviennent tellement hostiles au gouvernement qu'on ne conçoit pas comment, jusqu'à présent, il n'a pas eu recours à des mesures légales pour réprimer leur audace et faire cesser ce scandale » (20). C'est qu'il sait trop bien que ces mesures provoqueraient infailliblement l'éclat qu'il veut éviter à tout prix. Son mot d'ordre est de s'abstenir de toute apparence de provocation, d'empêcher tout bruit inutile. Les fêtes et l'illumination préparées à Bruxelles pour le mercredi 25 août à l'occasion de l'anniversaire du roi, sont remises à plus tard, sous prétexte de pluie. La police n'ose interdire une représentation de la Muette de Portici, annoncée pour le même jour. Elle sait pourtant que le public saisira l'occasion d'y manifester (21). Mais elle ne s'attend qu'à des criailleries et peut-être à ce que l'on réclame la Marseillaise. Les précautions qu'elle prend sont si anodines qu'elles attestent évidemment sa sécurité. La population n'était ni mieux informée ni plus inquiète. Nulle trace parmi elle de cette angoisse qui précède les jours d'émeute; elle est seulement curieuse de voir « s'il se passera quelque chose ». La badauderie l'attire vers un spectacle qui sera sans doute aussi intéressant dans le parterre que sur la scène. Le soir du 25 août, la salle de la Monnaie est comble. On s'y montre des dames de la société en grande toilette et des officiers hollandais en uniforme. A mesure que la représentation se déroule, à l'extérieur du théâtre s'amasse une foule de jeunes gens munis de leurs cannes et qui, visiblement, se préparent à une manifestation (22). On dit que dans les cafés voisins des inconnus distribuent de l'argent. Un piquet de gendarmerie dissiperait sans peine cet attroupement. Mais rS'.TJ7TiTJJi!i J rrv /(onr v.br.r.r.TTT-Jr^ (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles.) Médaille commémorant la représentation de « La Muette de Portici » (25 août 1830). Au droit (à gauche sur la planche), vue de la façade et d'une aile du théâtre de la Monnaie. Légende : MUETTE DE PORTICI — BRUXELLES XXV AOUT MDCCCXXX. Au revers (à droite), le lion belge et le drapeau de la liberté dont la hampe est coiffée du bonnet phrygien. Légende : COURAGE ET FORCE. — REVOLUTION BELGE 1830. — Œuvre de Maurice Borrel (Montataire, 1804-La Rue-Chevilly, 1882). Bronze. Diamètre : 49 mm. personne ne se montre. L'inertie des autorités est complète. Elles aussi attendent... Tout à coup, des acclamations frénétiques s'élèvent de la salle et se répandent sur la place. Le ténor La Feuillade vient d'entamer l'air « Amour sacré de la patrie ». Toute l'assistance est debout, étouffant sous ses voix celle du chanteur. Des jeunes gens se précipitent au dehors et, comme si elle attendait un signal, la foule aussitôt se met en branle. Elle roule vers les bureaux du National. En un instant, les vitres volent en éclats, puis on court rue de la Madeleine assaillir la maison de Libri Bragnano. Au milieu des cris et des plaisanteries, elle est dévastée de fond en comble. Des curieux se sont amassés qu'amuse ce spectacle et qui encouragent les exécutants. Une intervention énergique mettrait fin au désordre qui n'est encore que bruyant. Mais en se prolongeant l'excitation s'aggrave. Au milieu des bandes tapageuses, des figures suspectes commencent à se mêler aux « gens bien mis » qui disparaissent peu à peu noyés dans la populace et s'éclipsent. Déjà on enfonce des boutiques d'armuriers; on y enlève de la poudre et des fusils. Le tumulte se transforme en émeute et la bravade en audace. La cohue s'en prend maintenant aux autorités. Elle brise les vitres du bourgmestre et du procureur du roi. La demeure du chef de la police est dévastée. Le feu est mis à celles de van Maanen et du général commandant la ville. En route, on arrache et on foule aux pieds les armoiries royales qui décorent les magasins des fournisseurs de la cour. Surprises et ahuries, les autorités ont perdu la tête. Des forces de police, assaillies à coups de bouteilles, battent en retraite. Des détachements de chasseurs et de gendarmes n'osent charger. Plusieurs corps de garde se laissent désarmer, abandonnant leurs fusils aux agresseurs. Çà et là quelques coups de feu sont tirés sur la foule sans l'effrayer. Durant toute la nuit, la ville est au pouvoir de l'émeute. Le matin, les troupes l'abandonnent et se retirent sur la place du Palais, d'où elles ne bougeront plus. L'incapacité et la lâcheté de leurs chefs ont permis le succès d'une échauffourée qu'il eût suffi d'un peu d'énergie pour écraser. INTERVENTION DE LA GARDE BOURGEOISE. — Cependant la bourgeoisie prend peur. Le soulèvement qu'elle applaudissait la veille au soir, se déchaîne maintenant contre la propriété. On pille partout; en ville même et dans la banlieue des fabriques sont envahies; on incendie des ateliers; on brise des machines à Uccle, à Forest, à Anderlecht. Des agitateurs français fomentent visiblement le désordre. On entend crier : « Vive Napoléon ! Vive le duc d'Orléans ! Vive la France ! » en même temps que : « Vive de Potter ! » et : « Vive la liberté ! » Des groupes (Bruxelles, Théâtre Royal de la Monnaie. Vitrine des souvenirs de 1830, 1" étage.) (Cliché Bljtebler.) Costume porté par un acteur de «La Muette de Portici » représentée au théâtre de la Monnaie à Bruxelles, le 25 août 1830. Le luxe du costume et le large chapeau à plumes permettent de supposer qu'ils furent confiés au titulaire du rôle du prince Alphonse d'Aicos, tenu par le second ténor Fouchet. (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Bijtebier.) Chapeau et insigne portés par les membres de la garde bourgeoise de Bruxelles depuis le 27 août 1830. chantent la Marseillaise. On remarque aux boutonnières des cocardes bleu-blanc-rouge, et un instant les couleurs françaises ont été arborées à l'hôtel de ville. Le mouvement prend donc les allures d'une insurrection prolétarienne dirigée par l'étranger. Elle alarme en même temps les sentiments conservateurs et les sentiments nationaux de la bourgeoisie. Et contre elle, aussitôt, s'organise spontanément la résistance que les troupes ont été incapables de lui opposer. Dès le 26 au matin, quelques hommes résolus ont pris comme chef le baron Emmanuel d'Hoogvorst. Ils se rendent à l'hôtel de ville où l'échevin qui remplace le bourgmestre, prudemment parti pour la campagne, leur donne l'autorisation d'organiser et d'armer une garde bourgeoise (23). De la schutterij, dont cependant l'intervention s'imposerait, il n'est pas question. Comme l'armée, elle se dérobe; on dirait que les autorités conspirent contre la légalité. En face de l'anarchie menaçante et de l'abdication du pouvoir, il n'existe plus d'autre moyen de maintenir l'ordre que des mesures de salut public. La destitution du gouvernement est la conséquence nécessaire de son inertie. La bourgeoisie ne se soulève pas contre lui : elle prend tout simplement la place qu'il lui abandonne ou pour mieux dire qu'il lui offre. Car, épouvantés eux-mêmes par les événements, magistrats civils et chefs militaires s'empressent de se décharger sur elle de leurs responsabilités. Le dépôt d'armes de la schutterij est mis à sa disposition. Une proclamation annonce que la garde bourgeoise est constituée à « l'invitation de l'administration et des citoyens ». Les troupes resteront consignées autour du palais.. Ainsi, dans la ville abandonnée par l'autorité officielle, il n'existe plus d'autre pouvoir que le quartier-général de d'Hoogvorst. Avec autant d'énergie que d'habileté, il se met à l'œuvre. De toutes parts les volontaires affluent. Au bout de deux jours on en compte de 8 à 10,000, armés à la diable, ne disposant que de 3,000 fusils, et reconnaissables seulement au numéro de leur section qu'ils portent au chapeau. Aucun caractère de classe dans cette troupe improvisée. Les nobles, les rentiers, les industriels en redingote y coudoient les boutiquiers et les petits bourgeois et jusqu'à des ouvriers en blouse. D'anciens officiers exercent le commandement, disposent les postes, organisent les patrouilles. La bonne volonté est générale et il n'en faut pas davantage pour venir à bout d'une émeute qui, suscitée par les circonstances, ne s'est aggravée que par l'impunité, et qui suit sans conviction les meneurs étrangers qui l'excitent et les pillards qui l'exploitent. Pour en détacher les ouvriers et les sans-travail, des cartes de pain sont promises à ceux qui rentreront chez eux. L'impôt de la mouture que, par une imprudence inconcevable, la municipalité a laissé en vigueur comme, taxe communale, est supprimé. On menace de priver des secours du bureau de bienfaisance tous ceux qui auront fait partie d'un attroupement et les rassemblements de plus de cinq personnes sont interdits. Pour la plupart, les ouvriers se laissent désarmer sans résistance. Quelques coups de fusil dispersent les groupes les plus acharnés. Dès le 28, tout est rentré dans l'ordre. Les pillages ont cessé et l'on n'entend plus crier « Vive la France ». A l'hôtel de ville flotte le drapeau brabançon et aussitôt la ville se pavoise de ses couleurs; la garde bourgeoise les adopte pour ses étendards, ses chefs les portent en écharpe, d'innombrables cocardes les répandent parmi la population. De l'agitation superficielle provoquée par les émissaires des clubs parisiens, nulle trace ne subsiste. Le procureur du roi Schuermans constate son échec (24). « Si les révolutionnaires français, écrit un témoin oculaire, le ministre autrichien Mier, ont souhaité connaître l'opinion du pays, ils savent aujourd'hui avec certitude qu'il ne veut pas d'annexion» (25). BRUXELLES AU POUVOIR DE LA BOURGEOISIE. — Incontestablement, la garde bourgeoise n'obéit pas seulement à l'esprit d'ordre. Il s'allie chez elle à l'esprit national. Sa tâche serait finie si elle n'avait eu pour dessein que de rétablir la tranquillité. Maintenant que la rue est paisible, pourquoi ne confie-t-elle pas aux troupes la mission sans péril de la suppléer ? Bien plus ! pourquoi ne les a-t-elle pas appelées à la rescousse ? Or, non seulement elle ne leur cède pas la place, mais au lieu de se dissoudre, elle se renforce et atteste visiblement sa volonté de conserver le pouvoir dont elle s'est emparée. Elle est décidée à ne pas laisser les Hollandais se réinstaller dans cette ville qu'ils lui ont abandonnée. Son attitude est si résolue qu'elle en impose aux généraux réfugiés dans le palais royal. Prudemment, ils décommandent les renforts qui arrivent d'Anvers et de Gand. Ils se sentent en face d'une volonté d'autant plus impressionnante qu'elle est unanime. Pas une voix ne s'élève en faveur du gouvernement, pas une défection n'est signalée, pas un drapeau orange ne se montré. Si les troupes font un mouvement, nul doute que ce qui s'est passé à Paris ne se reproduise à Bruxelles. « Les Belges, dit Schuermans avec l'emphase de la terreur, sont courageux comme des lions quand on les excite, et ils n'hésiteront pas à tirer sur les soldats » (26). Aussi, pour la seconde fois, l'autorité capitule. Le général de Bylant promet aux « chefs de la bourgeoisie armée » de s'abstenir de toute action aussi longtemps que les habitants respecteront les autorités civiles et maintiendront le bon ordre. N'osant attaquer l'insurrection, il la reconnaît. Les événements de Bruxelles avaient éclaté à l'improviste, mais la situation était trop tendue pour que le pays ne dût pas vibrer aussitôt à l'unisson de la capitale. Louvain, Ath, Wavre et Mons sont en rumeur. Dans le pays de Liège surtout, la répercussion fut immédiate et profonde. Les tendances libérales et démocratiques dont s'était inspiré au XVIIIe siècle la révolution liégeoise, s'étaient encore renforcées durant la révolution française. Dans cette contrée essentiellement industrielle, les traditions de l'Ancien Régime avaient disparu plus complètement que partout ailleurs. L'influence du clergé et de la noblesse y était bien moindre que dans le reste de la Belgique. Nulle part l'adhésion de la bourgeoisie aux idées libérales n'était aussi complète (27). Nulle part non plus le prolétariat n'était aussi nombreux et par cela même aussi enclin à se laisser emporter par la violence. PROPAGATION DE L'INSURRECTION. - A peine les nouvelles de Bruxelles sont-elles connues, les têtes montent. A Liège, à Huy et à Verviers, les ouvriers s'assemblent en tumulte. Le mécontentement social et le mécontentement politique les lancent dans une agitation confuse dont les meneurs étrangers, les vagabonds et les pillards cherchent à tirer parti. On brise des machines, on saccage les maisons des receveurs des contributions ou des partisans notoires du gouvernement, on arrache des façades les armoiries royales. A Verviers, un drapeau français est planté sur le perron par des inconnus. Cependant, le travail cesse dans les usines et dans les mines. Déjà, dans les environs de. Liège, des bandes de houilleurs sans ouvrage se répandent par la campagne et terrorisent les fermiers. A Namur, il faut protéger les magasins de blé pour les sauver du pillage. Le mouvement se propage jusque dans l'Allemagne rhénane. Le 31 août, à Cologne, des proclamations excitent le peuple à se soulever à l'exemple des « braves Belges ». A Aix-la-Chapelle, le 1er septembre, des émeutes ouvrières éclatent provo-quées par les troubles qui • agitent Verviers (28). JL. . jKrjl En province comme à mELiâ Bruxelles, les pouvoirs offi- ciels épouvantés passent la main à la bourgeoisie. Les ^^^ troupes n'osent faire usage ^^ de leurs armes et restent ^^wfll^Vi consignées dans les caser- nés. Des « Commissions de sûreté » s'installent dans les hôtels de ville que les Ré-I '. Iflïlv VR1^ - gences leur abandonnent. ■^W^^er'A Dès le 27 août, celle de (Bruxelles, coin de la la rue de la Colline.) Marché-aux-Herbes et de (Cliché Bijtebier.) Plaque commémorative apposée à l'emplacement de la maison de la couturière qui confectionna en hâte les deux premiers drapeaux tricolores belges, le 26 août 1830. Le 26 août 1830 au matin, Edouard Ducpétiaux, rédacteur au Courrier des Pays-Bas, se rendit chez le marchand de tissus François Abts qui habitait au coin du Marché-aux-Herbes et de la rue de la Colline. Il demanda à l'épouse Marie Abts, née Ermens, native de Bonn, de lui livrer trois bandes de mérinos — une noire, une jaune, une rouge — en la priant de bien vouloir les coudre bout à bout. Marie Abts en cousut deux types qui furent attachés à deux hampes : les deux premiers drapeaux belges étaient confectionnés. Cet épisode a inspiré ie tableau du peintre Emile Ver-meersch actuellement conservé au Musée Royal de l'Armée à Bruxelles. — La maison Abts a été démolie vers 1860. En 1930, deux plaques commémoratives ont été apposées à l'emplacement de l'ancienne maison Abts, l'une en français, l'autre en flamand (non visible sur la photo). (Bruxelles, Musée communal.) Le baron Emmanuel-Constantin (Cliché Bijtebier.) van der Linden d'Hoogvorst (Bruxelles, 1781-1866), commandant en chef de la garde bourgeoise. Lithographie coloriée de Gustave Simonau (Bruges, 1810-1870). Liège, avec l'assentiment du gouverneur, est entrée en fonctions. Et, comme il arrive habituellement, cette abdication du pouvoir calme l'effervescence. Le peuple adopte les hommes nouveaux qui sont arrivés grâce à lui et leur fait confiance. Il s'abandonne à l'impression de s'être affranchi, de n'obéir plus qu'à lui-même, d'avoir recouvré son autonomie. Les couleurs françaises qui se sont montrées aux premiers jours disparaissent. A Liège, on arbore les couleurs liégeoises, à Verviers, les couleurs franchi-montoises, comme Bruxelles a arboré les couleurs brabançonnes. Et la diversité de ces emblèmes montre bien ce que cette première explosion du sentiment national a d'improvisé. Chacun agit pour soi. Il n'y a encore entre les efforts décousus d'autre lien que la communauté des aspirations. La révolution belge a pour prologue une série d'insurrections locales. Cependant, les Commissions de sûreté se mettent à l'œuvre. Elles organisent des gardes bourgeoises dont la consigne est de calmer le peuple en se le conciliant, et qui appellent à elles, sans distinction de classe, tous les hommes de bonne volonté. Leur uniforme, une blouse bleue et un bonnet de police, atteste leur caractère populaire. Elles n'ont qu'à se montrer pour mettre fin aux troubles et déconcerter ceux qui ne s'y sont jetés que par amour du pillage. Quelques mesures habiles achèvent de rétablir l'ordre. A Liège, en faveur des ouvriers le prix du pain est diminué. Bref, le 7 septembre, la vague qui s'est un moment soulevée est retombée sur elle-même. Mais le choc qu'elle a produit a suffi pour faire glisser le pouvoir des mains de ses représentants officiels dans celles de la bourgeoisie. En Flandre, le mécontentement du peuple, aussi vif que dans les régions wallonnes, s'est heurté dès l'abord à une résistance plus ferme. Aussitôt après les journées de Bruxelles, la fermentation qui s'est emparée de Gand, de Bruges et de Courtrai a été efficacement combattue. Les autorités n'ont pas abandonné le terrain. Le gouverneur de la Flandre Orientale, plus énergique que ses collègues de Bruxelles et de Liège, ne s'est pas laissé déborder par les événements. Les Régences, au lieu de céder, demeurent en place. La schutterij se rassemble; les bourgmestres font leur devoir (29). Les libéraux qui ont conservé ici, beaucoup plus qu'à Bruxelles ou dans le pays de Liège, leurs vieux principes anticléricaux, n'ont aucun motif de ménager une agitation à laquelle le clergé est favorable. Fabricants pour la plupart, ils n'ont d'autre souci que de veiller à la sécurité de leurs usines et ils sont décidés à protéger leurs machines. Il suffit que leurs ouvriers descendent dans la rue pour qu'ils se groupent autour du pouvoir. Leur attitude s'explique par des motifs de conservation sociale : elle n'a rien de politique. S'ils soutiennent le gouvernement, ce n'est pas par principe, mais parce que la cause du gouvernement, en ce moment de crise, se confond à leurs yeux avec la cause de l'ordre. A Bruxelles et à Liège d'ailleurs, les hommes qui viennent de prendre le pouvoir ne sont pas des radicaux. Leur but n'est que d'amener le gouvernement à accomplir les réformes que l'opinion exige. Ils ne songent pas à un changement de dynastie. Ce qu'ils demandent, c'est l'application « loyale » de la Loi fondamentale, c'est-à-dire son application conforme au vœu de l'union des partis : liberté complète de la presse et de l'enseignement, régime parlementaire, intervention des Belges dans l'Etat en proportion de leur nombre, suivant les principes de tout gou- (Liège, Musée Curtlus.) (Cliché Piron.) Insignes liégeois de la Révolution de 1830. Au-dessus : Médailles de la garde urbaine. Légendes : LIBERTE GARDE URBAINE LIEGEOISE ORDRE PUBLIC. — LEGION DE L'OUEST 6° COA1PAGNIE. — Au-dessous, à gauche : Insigne en bouton de manchette portant le perron liégeois; à droite ; Ecu à la devise LA MORT OU LA LIBERTE. vernement constitutionnel (30). Que cela doive aboutir à la séparation administrative, les esprits les plus pénétrants ne peuvent se le dissimuler. Mais cette séparation n'est incompatible ni avec le maintien du royaume, ni avec celui du souverain. Si elle est inévitable, d'avance on l'accepte. Ce qui est impossible, ce dont personne ne veut, c'est la conservation de ce qui est. Les Belges, dit le Courrier des Pays-Bas, « ont senti se ranimer dans leurs âmes le sentiment de leur dignité nationale. » Ils exigent des garanties et le temps presse. Le pouvoir doit agir au plus tôt, sous peine d'attirer sur lui « les plus grandes calamités ». DEPUTATIONS AU ROI. — A Liège, dès le 27 août, la Commission de sûreté a décidé d'envoyer au roi une députation, et le lendemain, à Bruxelles, une cinquantaine de notables assemblés à l'hôtel de ville ont agi de même. L'adresse qu'ils remettent à leurs délégués affirme leur fidélité au souverain, mais sous le respect de ses formes, elle laisse entrevoir la gravité de la situation. Ses signataires « ne peuvent dissimuler à Sa Majesté que le mécontentement a des racines profondes », que le « système funeste suivi par des ministres qui méconnaissaient nos vœux et nos besoins » ne peut durer plus longtemps, et qu'il importe de convoquer sans retard les Etats-Généraux (31). Une réforme est indispensable et, au bord de la guerre civile, on s'illusionne de l'espoir d'y arriver par la voie légale. Si inattendue, si grave qu'elle soit, la nouvelle de ce qui se passe en Belgique n'a pas sérieusement alarmé le roi. Les événements de Bruxelles ne lui paraissent qu'une échauffourée. L'incapacité des fonctionnaires ne l'émeut (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) « Koffij-Potjie » (sic) : caricature du roi Guillaume Ier des Pays-Bas. koffij-potjie : Espèce de cruche dont les Hollandais se servent pour prendre leur café, déclare la légende, non reproduite ci-dessus. — Lithographie anonyme, 1830 (?), extraite d'un recueil factice intitulé Album de la Révolution de 1830, vol. 6, p. 75. pas, habitué qu'il est à n'avoir confiance qu'en lui-même. Mal instruit d'ailleurs des événements, il se flatte d'en venir à bout sans devoir employer la violence. L'ordre est donné à ses deux fils, le prince d'Orange et le prince Frédéric, de partir en hâte pour Bruxelles, à la tête de quelques régiments. Il leur suffira sans nul doute de se montrer pour en imposer aux têtes chaudes et rétablir le calme. Pas n'est besoin de leur tracer leur conduite en cas de conflit, puisqu'un conflit est trop improbable et serait d'ailleurs une provocation trop directe à la couronne pour qu'il faille y songer. Les princes quittèrent La Haye en même temps que partait de Bruxelles la députation envoyée au roi : ils la croisèrent en chemin. Les directions étaient différentes; le but était le même. Des deux côtés on voulait éviter l'irréparable : le roi, en se ramenant le peuple, le peuple, en se conciliant le roi. Mais ni l'une ni l'autre de ces tentatives ne pouvait réussir. Elles échouèrent en même temps, et leur échec eut pour résultat de hâter la catastrophe qu'elles étaient destinées à écarter. Guillaume reçut les députations de Bruxelles et de Liège le 31 août. A l'exposé de leurs griefs, à leurs accusations contre ses ministres, il ne répondit qu'en objectant la Loi fondamentale et l'impossibilité de capituler devant l'émeute. Il avait résolu de convoquer les Etats-Généraux, seuls compétents pour juger de la nécessité d'une revision constitutionnelle. Il lui était impossible en attendant de rien promettre « le pistolet sur la gorge ». Il fallait avant tout que les princes entrassent à Bruxelles à la tête de leurs troupes, et fissent cesser ainsi « l'état apparent d'obsession auquel il ne pouvait céder sans donner un exemple pernicieux pour toutes les autres villes du royaume ». Au reste, il protestait de son horreur à faire couler le sang de ses sujets (32). Mais cette protestation, si sincère qu'elle fût, laissait entrevoir qu'il s'y résignerait au besoin. Bref, la possibilité de l'entente dont s'étaient flattés les députés s'évanouit dès les premiers mots de la conversation. Ils durent s'avouer d'ailleurs que le langage du roi était le seul qu'il pût tenir. Parler autrement qu'il le fît, c'eût été donner des gages à l'insurrection. Il ne se doutait pas qu'au moment même où il exigeait qu'elle s'inclinât devant son pouvoir, elle obligeait ses fils à s'incliner devant elle. LE PRINCE D'ORANGE DEVANT BRUXELLES. — Les princes, faisant diligence, étaient arrivés à Vil-vorde, aux portes de Bruxelles, dès la soirée du 30 août. Ils disposaient de 6.000 hommes de troupes et d'une vingtaine de canons, auxquels eût pu se joindre la garnison de Bruxelles qui continuait à bivouaquer autour du palais. Peut-être un coup de force leur eût-il livré la capitale. Mais, ils ne voulaient y entrer qu'en pacificateurs. Le prince d'Orange comptait sur le prestige personnel dont il y avait joui si longtemps. Son caractère glorieux lui faisait entrevoir l'occasion de jouer un beau rôle. Dès le lendemain, il convoquait à son quartier-général le duc d'Arenberg, le duc d'Ursel et le chef de la garde bourgeoise, le baron d'Hoogvorst. Il s'étonna de les voir arriver flanqués de plusieurs officiers de la garde et tous ceints d'écharpes aux couleurs brabançonnes. Il le prit tout d'abord de très haut. Puis, suivant son habitude, il céda et recouvra sa bonne grâce coutumière. Il affecta de n'attribuer les événements des derniers jours qu'à l'exubérance d'une « multitude égarée ». Il ferait le lendemain son entrée dans la ville, à la tête de ses soldats; tout serait oublié; il demandait seulement que l'on s'abstînt d'exhiber sur son passage des « insignes non légaux ». La députation rapporta cette réponse à l'hôtel de ville. A peine connue, elle provoqua dans la population un sursaut de fureur. Permettre l'entrée des troupes, n'était-ce pas, en effet, renoncer du même coup à l'autonomie reconquise pour retomber sous le joug hollandais ? Ni la garde, ni les habitants ne balancèrent un moment. Plutôt que de céder aux exigences du prince, ils étaient prêts à la lutte. L'exemple de Paris montrait la conduite à suivre. Fiévreusement, les plus ardents commençaient à dépaver les rues et à élever les barricades. Sous la direction d'anciens soldats de Napoléon, ouvriers et bourgeois travaillaient d'un même cœur. A toutes les fenêtres se montrait le drapeau brabançon. La résolution de combattre était si évidente et si unanime, que le ministre d'Autriche, affolé, prenait la fuite avec son collègue d'Espagne. Pourtant une nouvelle députation s'acheminait vers le prince. Ce qu'elle lui dit le fit réfléchir. La joyeuse entrée qu'il se promettait quelques heures plus tôt serait donc une sanglante bataille de rues. Ses soldats réussiraient-ils mieux que ne l'avaient fait les vétérans de Charles X ? Quelle perspective d'ailleurs, pour un prince royal, que de mitrailler sa capitale ! Et puis, ne serait-il pas désavoué par son père ? Sa mission ne consistait qu'à rétablir l'ordre. Avait-il le droit de tirer ? Fallait-il demander des instructions à La Haye et, après avoir promis tout à l'heure d'entrer dans la ville, se résigner à attendre devant ses portes ? Il était brave. La perspective de payer de sa personne le séduisit. Il promit qu'il arriverait le lendemain et entrerait seul dans Bruxelles, pourvu que la députation répondît de sa sûreté. LE PRINCE D'ORANGE A BRUXELLES. - Le lendemain, en effet, suivi de quelques officiers d'ordonnance, il se présentait au pont de Laeken (33). De ce point jusqu'à l'hôtel de ville, la garde civique était alignée le long des rues, les bourgeois en habit noir, les gens du peuple en blouse bleue. De distance en distance, des bouchers pourvus de leurs haches jouaient le rôle de •V1 * • *» V ti LA l\ il. . % y > . 1 flljffe V ' 1 H J (Neufchâteau, Hôtel de ville.) (Cliché A.C.L.) Drapeau remis après la Révolution aux volontaires de Neufchâteau. (Swindon, South Marston Manor, collection major Bâtes van de Weyer.) Jean-Sylvain van de Weyer (Louvain, 1802-Londres, 1874). Portrait peint par Ramsay-Richard Reinagle (1775-Chelsea, 1862). Le portrait n'est pas daté, mais la jeunesse du modèle permet de supposer que Reinagle peignit cette toile au début de la mission diplomatique officielle de van de Weyer à la cour de Saint-James, soit vers 1832. sapeurs. Çà et là, des groupes de paysans étaient armés de piques. Derrière le cordon des gardes se pressait le peuple; les femmes garnissaient toutes les fenêtres; au-dessus de la foule, aux façades des maisons, les trois couleurs brabançonnes revêtaient la ville d'une livrée révolutionnaire. Un sombre silence régnait. Quelques cris de « Vive le prince » furent aussitôt étouffés sous les sifflets. Lui pourtant, pâle mais résolu, s'enfonçait dans la foule dont les flots se refermant derrière lui, l'emprisonnaient. Ses sourires et son amabilité ne rencontraient que visages fermés et tendus. Il s'efforçait à faire bonne mine et saluait de la main, causant avec son entourage, consentant à laisser crier « Vive la liberté », pourvu qu'on criât « Vive le roi ». A le voir ainsi, abandonné et visiblement déconcerté, des femmes pleuraient. Son supplice dura jusqu'à l'hôtel de ville, où il fut harangué par la Régence. Mais la foule devenait houleuse. Sur la place de Ruys-broeck, le prince, se croyant en péril, éperonna tout à coup son cheval et, sautant par-dessus les barricades, courut bride abattue jusqu'au palais. On ne le poursuivit pas. Là, au milieu des troupes hollandaises, sa personne était en sûreté. Mais il n'en avait pas moins perdu la liberté de sa conduite. En entrant dans la ville il avait toléré l'insurrection et pactisé avec elle. Tout ce qu'il pouvait faire, et il allait l'essayer, c'était de mettre sa responsabilité à l'abri sous une équivoque. A peine remis des émotions de la matinée, il convoquait autour de lui une commission composée du gouverneur de la province, du bourgmestre, de deux membres de la Régence sortis de leurs cachettes, du duc d'Arenberg, du duc d'Ursel, du général d'Aubremé et du baron d'Hoogvorst. Il ramenait ainsi au jour les autorités officielles qui, depuis le 25 août, s'étaient si prudemment éclipsées. Mais à côté d'elles, il plaçait le chef de la garde bourgeoise. La proclamation qu'il lança affectait, il est vrai, de ne considérer la garde que comme un auxiliaire bénévole du gouvernement. Il la remerciait au nom du roi d'avoir rétabli l'ordre et la faisait féliciter par le pauvre bourgmestre, du zèle infatigable qu'elle avait montré et d'avoir pris les armes « dans un but si louable ». Le voile était prudemment jeté sur tout le reste. Dans cette ville où le palais était le seul édifice qui n'arborât pas les couleurs brabançonnes, le prince parlait comme si chacun n'eût en vue que le service royal. Il donnait sa parole que les troupes n'entreraient pas à Bruxelles et promettait de prendre, d'accord avec la commission, « les mesures nécessaires pour ramener le calme et la confiance ». Subrepticement, le régime légal allait être restauré et l'insurrection déjouée. Le peuple s'en aperçut tout de suite. Il n'avait pas dépossédé les autorités pour leur permettre, sous le couvert du prince d'Orange, de reprendre leurs fonctions, ni rompu avec le gouvernement pour se laisser ramener sous son pouvoir. Il ne se refusait pas à une entente, mais à condition d'y prendre part et de délibérer d'égal à égal. Il fallut bien lui ouvrir le cénacle dont on avait cherché à l'exclure et se résigner à reconnaître l'existence de cette révolte que l'on se proposait, si l'on peut ainsi dire, d'escamoter. Dès le lendemain, deux nouveaux membres entraient dans la commission pour l'y représenter : un vieux jacobin, Rouppe, et un jeune libéral, Sylvain van de Weyer. Mais déjà la situation avait changé. Le soir du premier septembre, les délégués envoyés auprès du roi étaient rentrés à Bruxelles. On apprenait que leur mission avait échoué, qu'aucune concession n'avait été faite, aucune promesse donnée et qu'il fallait s'en remettre à la décision des Etats-Généraux. A l'opinion surexcitée s'imposait donc un nouveau délai. Passe encore s'il eût autorisé quelque espoir ! Mais il était trop évident que les Belges n'avaient rien à attendre en suivant la voie légale. Les renvoyer aux Etats-Généraux, c'était les soumettre au bon plaisir des Hollandais qui y possédaient la moitié des sièges. En ce moment décisif, l'absurdité de la constitution s'affirmait aussi flagrante que révoltante. Puisque l'unité du royaume imposait à la majorité de la nation le joug de la minorité, il n'était pas possible d'en tolérer plus longtemps l'existence. L'affranchissement de la Belgique était à ce prix. La dignité et la justice ne lui permettaient pas de se sacrifier au maintien de l'Etat hybride qui l'opprimait. La séparation des deux parties du royaume que dès 1815 les esprits les plus clairvoyants avaient prévue, et dont de Potter avait récemment menacé le gouvernement, apparaissait maintenant comme la solution inévitable du conflit. Elle seule pouvait encore empêcher la guerre civile et la révolution. Elle devenait l'ultimatum des partis, le programme minimum de leurs revendications. A l'agitation confuse des derniers jours, elle assignait le but auquel il fallait tendre. Il n'y avait plus d'autre alternative que de l'obtenir ou de combattre. Et des symptômes menaçants montraient qu'il fallait se hâter. La population était houleuse. On avait brûlé dans les rues le rapport de la délégation faisant part de la réponse du roi. Des attroupements tumultueux se formaient, que la garde bourgeoise ne parvenait qu'avec peine à disperser. Ses chefs commençaient à craindre pour la sécurité du prince d'Orange. Lui-même s'épouvantait de la situation qu'il s'était faite. Aussi brave qu'imprudent, il avait affronté le péril sans en mesurer la grandeur et sans prévoir les conséquences de sa conduite. Il se sentait maintenant à la merci des événements et ne songeait plus qu'à sortir du mauvais pas où il s'était jeté. Les pouvoirs officiels qu'il avait voulu grouper autour de lui se dérobaient. Il s'épuisait en conversations compromettantes avec les députés aux Etats-Généraux, avec les chefs de la garde, avec les représentants des partis. Tous s'accordaient à lui affirmer « que le désir le plus ardent de la Belgique est la séparation complète entre les provinces méridionales et les provinces septentrionales, sans autre point de contact que la dynastie régnante ». Quelques-uns même osaient le croire capable d'ambitionner le titre de roi des Belges. ORANGE CONSENT A LA SEPARATION. - Demeurer plus longtemps à Bruxelles au milieu de semblables sollicitations, devenait impossible. Il accepta de faire connaître à son père les désirs du peuple « et de les appuyer de toute son influence ». Il laissa entendre qu'il reviendrait chargé de bonnes nouvelles et les chefs de la garde bourgeoise lui promirent sur l'honneur de ne pas souffrir, en attendant, de changement de dynastie. Une proclamation qu'il apostilla des mots « conforme à la vérité », fit connaître cette convention. La commission qu'il avait créée à son arrivée fut dissoute. Et il s'empressa de partir, emmenant avec lui la garnison et abandonnant Bruxelles aux chefs de l'insurrection à laquelle il s'était si légèrement flatté de mettre fin par sa présence (3 septembre). On ne devait plus le revoir. Le seul résultat de son intervention avait été de précipiter les événements et d'accroître la confiance des hommes qui les dirigeaient. Se croyant assurés de son appui, les plus modérés d'entre eux ne doutaient plus de la solution pacifique de la crise. « Concitoyens, disait une proclamation, soyons calmes, car nous sommes forts, et restons unis pour conserver et accroître notre force» (34). Pourtant, le calme qu'ils prêchaient était impossible. La certitude de la victoire enflammait les esprits et ne permettait pas aux masses enfiévrées de contenir leur impatience. De Bruxelles, le mouvement se répandait dans tout le pays. Les insurrections locales des premiers jours s'unissaient en une même impulsion gravitant vers la capitale. Une députation liégeoise venait mettre à la disposition de « ses frères de Bruxelles tous les secours qui seraient jugés nécessaires en hommes, fusils, munitions et même artillerie ». Des localités voisines, des bandes de jeunes accouraient s'offrir aux chefs de la garde bourgeoise. Dès le 1" septembre, les premiers étaient arrivés de Wavre. La Flandre s'associait aux autres provinces. Le 3 septembre, le drapeau tricolore flottait à Grammont, le 6, à Alost, à Ninove, à Deynze; en se généralisant, les couleurs brabançonnes devenaient les couleurs belges. On n'en voyait plus d'autres dans les provinces wallonnes. Seul le Luxembourg se réservait encore. Le mot d'ordre est désormais la séparation du royaume. Personne ne croit plus à la possibilité du statu quo. C'est l'opinion des diplomates étrangers comme celle des fonc- tionnaires hollandais (35). L'impatience est d'ailleurs égale à la confiance. Un même espoir d'affranchissement et de liberté soulève le peuple et les jeunes démocrates de la bourgeoisie. A Liège surtout, l'enthousiasme déborde. Charles Rogier, endossant la blouse bleue, agit en tribun. La Commission de sûreté, désemparée, laisse faire. Il serait aussi dangereux de réprimer l'opinion déchaînée que de la laisser s'énerver dans l'attente. A Bruxelles même, la Régence écrit piteusement au roi « qu'elle adhère pleinement aux vœux des Belges » pour la séparation (36). APPEL DU ROI A LA PRUSSE. - Mais quelle décision le roi va-t-il prendre ? Il en cherchait une sans la trouver. Cet obstiné n'était pas un volontaire. Ecrasé par le sentiment de ses responsabilités envers l'Europe et envers son peuple, blessé dans son amour-propre, doutant pour la première fois de lui-même, il hésite et semble atterré. « Il n'a plus son air d'assurance, son air moqueur. On voit qu'il se sent humilié; il est entièrement à bas » (37). Un instant, au début des troubles, il avait compté sur l'aide de la Prusse. Le 28 août il suppliait Frédéric-Guillaume d'intervenir. Sans doute, il n'ignore pas que si l'armée prussienne entre dans les Pays-Bas, l'armée française y entrera aussi. Mais une guerre générale tranchera la question qu'il n'ose résoudre. Il se persuade qu'il appartient aux Puissances qui lui ont donné la couronne de le défendre à l'heure du péril. Cependant la Prusse ne marchera pas sans l'Angle- (Londres, National Portrait Gailery.) Arthur Wellesley, duc de Wellington (Dublin ou Meath, 1769-Walmer Castle, 1852). Portrait peint par John Jackson (Lastingham, 1778-Londres, 1831). (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Bijtebier.) « A Liège surtout, l'enthousiasme déborde. Charles Rogier, endossant la blouse bleue, agit en tribun...» (Voyez le texte, p. 491.) — Blouse et écharpe tricolore de Charles Rogier, commandant des volontaires liégeois arrivés à Bruxelles le 7 septembre 1830, membre du Gouvernement provisoire et du Congrès national. terre et l'Angleterre est résolue à ne pas marcher. Wellington ne veut ni rompre avec Louis-Philippe ni, à la veille des élections dont dépend son ministère, provoquer l'opinion libérale qui se prononce avec force en faveur des Belges. S'il refuse au cabinet de Paris d'entreprendre une action commune pour amener Guillaume à céder, il est pourtant décidé à ne pas tirer l'épée en sa faveur. D'ailleurs il ne croit pas que les Belges iront jusqu'à braver l'Europe et il ne les prend pas au sérieux. « Messieurs les Bruxellois, dit-il en riant, connaissent les traités aussi bien que nous, et ils ne voudront pas se faire conquérir et soumettre par les Puissances alliées» (38). Ils ne le voulaient certainement pas, mais ils le craignaient encore moins. Confiants dans l'aide immanquable de la France en cas de conflit, l'idée d'une guerre générale ne les effrayait pas plus qu'elle n'effrayait le roi. Si souvent, au cours des siècles, le sort de la Belgique avait dépendu des rivalités internationales ! Pourquoi devraient-ils sacrifier leur liberté à la paix du monde ? Il ne tenait qu'à Guillaume de la sauvegarder en leur faisant justice. D'ailleurs, il lui fallut bientôt se résigner à son sort. Le 7 septembre, Frédéric-Guillaume s'excusait de ne pouvoir lui venir en aide. A défaut de la solution militaire, restait la solution diplomatique. La constitution des Pays-Bas, découlant du traité des huit articles, il appartenait aux Puissances de prendre la responsabilité de sa révision. Elles se refuseraient sans doute à y porter atteinte et le roi, fort de leur sentence et couvert par elles, n'aurait plus qu'à l'imposer aux Belges. Il suggéra dans cet espoir, au cabinet de Londres, de convoquer à La Haye une conférence des signataires du traité. Comme la France ne l'avait pas signé, elle serait exclue des délibérations, et c'était là le principal avantage de l'expédient. Car la complaisance du gouvernement français pour les Belges ne faisait pas de doute. En dépit de ses assurances officielles, il laissait franchir la frontière aux auxiliaires que Paris envoyait à Bruxelles et il ne répondait pas aux instances du cabinet de La Haye le pressant d'interdire à de Potter de rentrer en Belgique (39). En attendant que l'Europe mît fin à ses perplexités, Guillaume se décida pourtant à une concession qui dut lui être cruelle. Le 3 septembre, il acceptait la démission de van Maanen. Ce dur sacrifice venait trop (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Bijtebier.) Sabre et fourreau offerts le 4 novembre 1830 par la ville de Liège à Charles Rogier (Saint-Quentin, 1800-Saint-Josse-ten-Noode [Bruxelles], 1885), commandant des volontaires liégeois, membre du Gouvernement provisoire et du Congrès national. tard. Qu'importait encore van Maanen à un peuple qui déjà considérait comme accomplie sa séparation d'avec la Hollande ? La surexcitation croissante de l'opinion ne permettait pas, en effet, d'attendre que ses désirs devinssent une réalité légale. Les modérés, qui avaient promis au prince d'Orange de demeurer dans l'expectative jusqu'à la décision des Etats-Généraux, étaient désormais débordés. On n'arrête pas une révolution et la révolution était commencée. Elle l'était puisque la volonté populaire s'arrogeait le droit de disposer de la nation et se substituait à la loi. L'enthousiasme national s'alliait à l'enthousiasme démocratique et le gouvernement apparaissait doublement odieux, comme l'instrument de l'étranger et comme celui de la réaction. On le méprisait trop pour le redouter. Personne ne se souciait plus des autorités, et la facilité avec laquelle elles se laissaient déposséder attestait qu'elles considéraient la séparation comme irrévocable. LES MODERES DEBORDES PAR LES VIOLENTS. — L'armée elle-même commençait à se dissoudre. Dès le 5 septembre, un manifeste était répandu parmi les troupes engageant les soldats belges à ne pas imiter « la poignée de misérables qui à Paris s'est couverte d'infamie en tirant sur les citoyens» (40), et tout de suite des bandes de déserteurs se mettaient à quitter les drapeaux. On apprenait que Louvain venait de chasser sa garnison (2 septembre). De jour en jour, l'aspect de Bruxelles devenait plus menaçant. Charles Rogier y entrait le 7 septembre à la tête de volontaires liégeois, ouvriers pour la plupart, bien armés, pleins d'élan et d'ardeur révolutionnaire (41). De Paris arrivaient pêle-mêle avec des Belges accourant au secours de leurs compatriotes, des jacobins, des vagabonds, des aventuriers, des agents politiques, pêcheurs en eau trouble, entrepreneurs d'émeutes et maîtres ès-barri-cades. Déjà des bandes indisciplinées sortaient des portes et échangeaient des coups de feu avec les avant-postes hollandais. Et à ces provocations, le prince Frédéric, toujours campé à Vilvorde, ne répondait que par la promesse de disloquer incessamment ses troupes. Le manifeste du roi convoquant les Etats-Généraux pour le 13 septembre vint à souhait pour porter l'agitation à son comble. C'était provoquer l'opinion que de lui parler, en un tel moment, de la Loi fondamentale et des traités et de lui annoncer que les Etats allaient examiner « s'il y avait lieu à modifier les institutions nationales ». C'était faire le jeu des « agitateurs » que d'engager les « bons citoyens » à se séparer d'eux. En vain d'Hoogvorst s'ef-forçait-il de calmer l'effervescence et de conserver « cette dignité qui convient à notre belle position » (42); en vain promettait-il au peuple la récompense prochaine « de son beau dévouement », les têtes se montaient de plus en plus. Déjà, sans attendre d'ordres, on abattait les arbres des boulevards et on élevait de nouvelles barricades. Les étrangers affluaient de plus en plus; ils trompaient leur désœuvrement par l'agitation politique qui s'accroissait en durant. L'état-major de la garde bourgeoise s'effrayait de leur outrance. Le 8 septembre, il faisait afficher une proclamation, où tout en les remerciant de leur zèle, il les engageait « à suspendre momentanément leur marche et à se tenir prêts à voler au secours de leurs frères de Bruxelles si l'intérêt de la patrie l'exige» (43). L'attitude du peuple avivait encore ses inquiétudes. Il défendait (Amsterdam, Rijksmuseum.) Soldat et caporal de l'infanterie hollandaise (1830). Aquarelle coloriée anonyme extraite d'un album intitulé Koninklijke Neder- landsche Armee 1830-1832, s. 1. foiio (F.M. 6480 n° 28). « d'exciter les bons ouvriers à se rassembler et à se porter à des excès », et il leur promettait du travail « pour faire disparaître le malaise qui est la conséquence nécessaire des événements qui viennent de se passer» (44). Le moment était venu où le pouvoir qu'il avait lui-même usurpé allait glisser de ses mains. En prêchant la modération et la légalité, il semblait renier l'illégalité de ses origines et sa prudence, le rendant suspect, le discréditait. Pour se maintenir, il devait se transformer : il l'essaya. Le 11 septembre, avec l'assentiment de la Régence, les huit sections de la garde nommèrent une Commission de sûreté dans laquelle une place fut faite aux éléments les plus avancés de la bourgeoisie (45). Son programme dépassait de beaucoup celui d'un simple corps municipal. Elle ne prétendait pas agir pour Bruxelles seulement. Si elle avait à veiller au maintien de l'ordre, elle devait aussi s'occuper de la séparation du royaume. Elle fut la première institution nationale que provoqua le cours irrésistible des événements. Depuis le début des troubles, les libéraux n'avaient cessé de jouer le rôle prépondérant. Beaucoup plus nombreux, mais plus conservateurs et plus timides, les catholiques les laissaient faire, se bornant à les soutenir de leur adhésion. Rien d'étonnant, dès lors, si l'influence de Paris se marque si visible dans les agitations de Bruxelles. Con- duite par des libéraux, la révolution belge devait nécessairement s'inspirer de celle de juillet. La Commission de sûreté n'est en somme qu'une réplique du gouvernement provisoire installé sous la présidence de La Fayette, à la veille de l'avènement de Louis-Philippe. LES LIBERAUX ET LA FRANCE. - L'analogie des principes explique suffisamment l'analogie des événements. L'imitation fut spontanée. Le cabinet de Paris n'eut qu'à laisser faire. Il s'abstint d'intervenir non seulement parce que son intervention l'eût brouillé avec l'Europe, mais encore parce qu'elle était inutile. « Ce ne sont pas les armes de la France, écrit très justement Mercy-Argen-teau, qui triompheront de nous (c'est-à-dire du gouvernement). Elle ne l'essayera même pas : ce sont ses principes libéraux. Il n'y a pas de force contre cela, ni moyen de se garantir » (46). Au reste, les libéraux belges étaient bien résolus, en cas d'échec, à s'unir à la France. Ils la considéraient, en quelque sorte, comme une position de repli, comme un refuge assuré. Et en cela, leurs alliés catholiques pensaient comme eux. « La presque totalité des Belges, écrit le ministre d'Autriche, ne désire pas d'être réunie à la France. Mais si leurs désirs pour la refonte entière de leur constitution et leur séparation de la Hollande rencontraient une forte opposition et s'ils prévoyaient d'être soumis par la force des armes, alors ils préféreraient devenir province française plutôt que de rentrer sous la domination de la Hollande» (47). Tout ce que l'on sait confirme l'exactitude de ces paroles. Le vœu général réclamait un gouvernement à la fois constitutionnel et national : la liberté dans l'indépendance. Ni les fonctionnaires hollandais ni les ministres étrangers dont nous possédons les témoignages ne font la moindre allusion à l'existence d'un parti travaillant de propos délibéré en faveur de l'annexion à la France. Il est certain d'ailleurs que les républicains français qui voulaient à Paris forcer la main à Louis-Philippe et le lancer dans la guerre, trouvèrent en Belgique un certain nombre d'adhérents, soit parmi les soldats et les fonctionnaires de l'Empire que Napoléon avait « ensorcelés », soit parmi (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) « Mais la foule devenait houleuse. Sur la place de Ruysbroeck, le prince, se croyant en péril, éperonna tout à coup son cheval... » (Voyez le texte, p. 490.) — Le prince d'Orange pressé par la foule et protégé par des hommes du peuple armés de fusils. Lithographie anonyme. les impatients qui doutaient de la possibilité pour les Belges de l'emporter sur le gouvernement hollandais, soit parmi les exaltés auxquels la France imposait irrésistiblement son prestige. A peine installée, la Commission de sûreté s'inquiétait de leurs menées. Le 11 septembre, elle proclamait la nécessité « de faire converger les opinions et les efforts des citoyens vers un même but patriotique, en sorte qu'ils ne soient détournés de cet intérêt légitime par aucune influence étrangère» (48). Ce n'était plus aux seuls Bruxellois qu'elle s'adressait. Elle voulait agir « de commun accord avec les autres villes », c'est-à-dire prendre la direction du mouvement national. Mais pour en assurer le succès, elle se voyait forcée à son tour de recommander le calme et la légalité. Comme d'Hoogvorst, elle se défiait des étrangers qui poussaient aux résolutions extrêmes. Elle les engageait à rentrer chez eux ou à se faire inscrire à l'hôtel de ville. Elle recommandait aux industriels de rouvrir leurs ateliers et, pour occuper les ouvriers que leur oisiveté livrait aux manœuvres des intrigants ou des impatients, elle décrétait des travaux à la porte de Hal et à la porte d'Anderlecht. TENDANCES DEMOCRATIQUES ET REVOLUTIONNAIRES. — Cette prudence n'était plus de mise. A mesure que l'agitation se généralisait et attirait à elle la « populace », elle s'imprégnait de tendances démocratiques et républicaines. Ses promoteurs Rogier, Ducpé-tiaux, Gendebien, Lesbroussart, correspondaient avec de Potter et s'enthousiasmaient à l'idée de fonder la souveraineté du peuple. Ils se laissaient entraîner par les souvenirs de la Révolution française. Déjà des clubs s'ouvraient, où dans un langage renouvelé des Jacobins, on parlait d'arrêter les suspects, de prendre des mesures de salut public et de courir aux armes contre les « tyrans ». Un manifeste accusait le gouvernement de La Haye de pousser à la guerre civile. Il faut, disait-il, « aux résolutions fortes faire succéder l'action prompte et énergique », et il encourageait les Belges à voler au secours de Bruxelles, « généreuse cité qui la première arbora le drapeau tricolore à l'ombre duquel se fonderont et se consolideront nos libertés » (49). Les nouvelles du pays entretenaient et augmentaient l'agitation. On apprenait qu'à Liège, quelques citoyens s'étaient emparés du fort de la Chartreuse (20 septembre), que le fort de Huy était tombé aux mains du peuple, qu'à Alost trois cents hussards avaient été désarmés par la foule, qu'à Mons, à Namur à Louvain, les esprits étaient aussi montés qu'à Bruxelles. Le Luxembourg, qui avait d'abord hésité, envoyait une députation chargée de réclamer la séparation du royaume. De plus en plus, les déserteurs affluaient de l'armée et le nombre des auxiliaires venus des provinces allait croissant de jour en jour. La Brabançonne récemment composée par Jenneval, remplaçait maintenant la Marseillaise. Il y était encore question du roi, mais du roi sommé d'obéir au peuple (50). Le maintien de la dynastie n'était plus qu'une formule vide. On tolérait en- core la couronne à condition qu'elle sanctionnât le fait accompli. Ainsi, à la légalité dont la Commission de sûreté s'efforçait encore de sauvegarder les apparences s'opposait nettement l'action révolutionnaire. Vis-à-vis du roi, les avancés prenaient l'attitude qui avait été au XVIe siècle celle de Guillaume d'Orange vis-à-vis de Philippe II. Sans rompre formellement avec lui, ils étaient résolus à n'en pas tenir compte et à lui imposer leur volonté. Aussi avaient-ils tout mis en œuvre pour empêcher les députés belges de se rendre à la session des Etats-Généraux. La solution légale du conflit eût sans doute rallié les modérés et restitué au gouvernement une influence que redoutaient également les démocrates et les patriotes les plus exaltés. Au point où l'on en était arrivé, il n'était plus question de s'embarrasser de scrupules constitutionnels, de Loi fondamentale et de respect des traités. La souveraineté nationale s'était prononcée, et c'était la mettre en doute que de se rendre à la convocation du roi. Mais les députés se faisaient un point d'honneur de respecter la constitution. Leur modération s'effrayait d'ailleurs de l'allure prise par les événements. Les mêmes motifs qui détournaient les démocrates d'une pacification la leur faisaient souhaiter. La séparation qu'ils voulaient comme eux, ils ne voulaient y arriver que par la voie légale. En dépit des menaces et des objurgations, ils partirent. Les cris de mort et les injures qui les accueillirent à La Haye leur montrèrent qu'ils n'y arrivaient pas en représentants du royaume, mais en ennemis. Ce n'étaient plus des partis, c'étaient deux peuples qui allaient s'affronter dans la salle des Etats. Le discours du trône qui ouvrit la session le 13 septembre détonna par son style officiel et ambigu. Rien de plus maladroit que l'affectation qu'il mettait à cacher la nécessité inéluctable de la séparation et à faire l'apologie du gouvernement au moment même où il venait de provoquer une révolution. Cette révolution, le roi, il est vrai, n'y voyait qu'une «émeute» (oproer) devant laquelle il se déclarait décidé à ne pas plier. Et cette menace, après les tergiversations dont il n'avait cessé de faire preuve depuis le 25 août, trahissait bien plus son désarroi que son énergie. Son but n'était d'ailleurs que de gagner du temps grâce à la lenteur de la procédure parlementaire et de réserver l'avenir. LES ETATS-GENERAUX VOTENT LA SEPARATION. — Les débats se déroulèrent au milieu des passions qu'attisaient encore les nouvelles arrivées de Belgique. Pendant que les députés délibéraient, le roi dévoilant son jeu, faisait attaquer Bruxelles par le prince Frédéric. Manifestement, ce n'était point des Etats mais de ses troupes qu'il attendait la réponse au discours du trône. Les fusillades du Parc en décidèrent et les Etats ne firent que ratifier la victoire des « émeutiers » dont le roi, quelques jours auparavant, parlait de si haut, quand, le 29 sep- (Bruxelles, Musée communal, ancienne collection Desamblanx.) Mouchoir patriotique aux couleurs nationales (1830). (Cliché Bijtebier.) Les trois couleurs nationales sont disposées dans le sens horizontal, la hampe à droite. Aux quatre coins : LOUVINS (sic), PATRIE — BRUXELLES, LIBERTE — MONS, INDEPENDANCE — LIEGE, ORDRE PUBLIC. Le motif décoratif propose un bouclier sur un faisceau et une épée croisés. tembre, ils se prononcèrent par 55 voix contre 43 pour la séparation des deux parties de l'Etat. Les députés belges poussèrent le scrupule jusqu'à prendre part à ce vote. A la date où il fut émis il n'était plus qu'une formalité vide de sens, la dernière manifestation d'une assemblée expirante. Le royaume des Pays-Bas avait vécu. La compétence des Etats-Généraux ne s'étendait plus en fait qu'à la Hollande. Leur convocation avait hâté la rupture qu'elle devait éviter. L'espoir même qu'elle inspirait aux modérés et aux timides avait poussé aux extrêmes, chez les avancés, l'impatience d'en finir et de couper les ponts. Les réticences et l'ambiguïté du discours du trône, dont le texte fut connu à Bruxelles dans la soirée du 14 septembre, avaient renforcé leur influence et découragé leurs adversaires. Que pouvaient-ils répondre encore à ceux qui accusaient le roi de tromper l'opinion et de préparer la guerre, et le prince d'Orange d'avoir menti en se portant fort des intentions de son père ? Le soir même, au milieu d'un banquet offert aux officiers des volontaires liégeois, Rogier faisait crier aux armes. Au dehors, la foule s'ameutait; on brûlait le discours royal et il fallut que la garde bourgeoise déblayât les abords de l'hôtel de ville où la Commission de sûreté siégeait en permanence. Les troubles s'aggravèrent le lendemain. Les Liégeois, suivis par des bandes d'étrangers auxquels s'adjoignent les démocrates de Bruxelles conduits par l'avocat Ducpé-tiaux, exigent la constitution d'un gouvernement provisoire. Le club de la salle Saint-Georges vote une adresse aux députés, les sommant de quitter les Etats-Généraux si AVIS Quelques malvcillaus excitent les bons ouvriers de cette ville à se rassembler et à se porter à des excès. Nous croyons devoir annoncer que toute tentative de cette nature sera prévenue. D'un autre côte, rien ne sera négligé pour assurer immédiatement du travail aux ouvriers désœuvrés et pour l'aire disparaître le malaise qui est la conséquence nécessaire des événemens qui viennent de se passer. Au Quartier-Général de TUotcl-dc-Ville, le 10 Septembre 1830. Le Commandant en chef de la Garde Bourgeoise, Buron VAHDERLINDEW D'IIOOGIIVORST. van de Weyer pour Bruxelles, d'Oultre-mont et Raikem pour Liège, de Stassart pour Namur, Gendebien pour Mons, van Meenen pour Louvain, de Potter pour Bruges, et le choix de ces hommes, presque tous démocrates ou passant pour tels, est caractéristique. Mais, au milieu de l'émotion générale, comment procéder à des élections ? On vit dans la fièvre et dans l'attente. Des bruits de toute sorte circulent. On raconte que dix mille gardes nationaux accourent de Paris, que le général Exelmans a passé la frontière. Seul d'Hoogvorst installé à l'hôtel de ville représente encore un semblant d'autorité au milieu de l'insurrection que la rapidité de son triomphe et l'absence de chefs font s'agiter en remous confus. (Bruxelles, collection vicomte Ch. Terlinden.) (Cliché Bijtebier.) Affiche apposée sur les murs de Bruxelles le 10 septembre 1830 et dénonçant les excès auxquels se portent « quelques malveillans » (sic). L'affiche est signée par le commandant en chef de la garde bourgeoise, van der Linden d'Hoogvorst. la séparation n'est pas immédiatement décidée. L'anarchie commence à s'emparer de la ville livrée aux auxiliaires qui continuent à y affluer du dehors. Les impôts ne rentrant plus, la caisse communale est vide et la Société Générale refuse à la Commission de sûreté l'avance de quelques milliers de florins. Cependant, l'audace des Liégeois ne cesse de croître. Le 19, ils vont faire le coup de feu contre les Hollandais postés à Tervueren et à Vilvorde, s'emparent des chevaux de la « maréchaussée » et arrêtent la diligence d'Amsterdam. La Commission de sûreté qu'ils compromettent leur inflige un blâme. C'en est assez pour qu'ils l'accusent de trahison et marchent tambour battant sur l'hôtel de ville, entraînant à leur suite des bandes du peuple. La nuit se passe en agitations et en clameurs. D'Hoogvorst tente vainement de ramener le calme; son prestige ne suffit plus à en imposer. Aucun chef ne possède assez d'autorité pour dominer les événements : ils échappent à toute direction, n'obéissant plus qu'à l'impulsion des plus violents. Au matin du 20, la garde bourgeoise se laisse désarmer par la foule, abandonne ses postes et cède ses fusils. La Commission de sûreté se dissout; l'hôtel de ville est envahi et le peuple est maître de Bruxelles. Parcourue par des bandes armées défilant en bon ordre le long des rues où toutes les boutiques ont clos leurs fenêtres, la ville présente un aspect formidable et sinistre. Nul pillage; les vainqueurs ne songent évidemment qu'à la lutte. Aux troubles des derniers jours succède un calme impressionnant. Le club Saint-Georges, où se rassemblent les chefs du mouvement, cherche à organiser un gouvernement provisoire. Des noms sont répandus parmi les masses, discutés dans les sections, inscrits sur les drapeaux des volontaires. On propose de Mérode et L'ANARCHIE A BRUXELLES. -Le moment est venu qu'espérait le roi. Il a prévu qu'en durant, l'agitation sombrerait dans l'anarchie et lui fournirait l'occasion qu'il attend. Il sait que parmi les modérés beaucoup lui reviennent, et que la terreur d'une révolution sociale les détourne de la révolution politique. Les revendications des ouvriers épouvantent les fabricants. La séparation violente des deux parties du royaume les menace d'ailleurs de perdre le marché des Indes et la protection rémunératrice de la couronne. A Gand, dès le 8 septembre, la Chambre de commerce, la Société Industrielle, les quatre loges maçonniques pétitionnent en faveur de l'unité de l'Etat, et, le 13, leur exemple est imité à Anvers. De Bruxelles, des avis parviennent au prince Frédéric, le suppliant de profiter du désordre pour entrer dans la ville, l'assurant qu'il n'y rencontrera pas de résistance. De La Haye, l'ordre lui arrive de se préparer à marcher. Il concentre ses régiments à Vilvorde et, le 21, ses patrouilles de cavalerie se répandent aux alentours de la capitale. Une proclamation annonce son arrivée « à la demande (Louvain, Musée communal.) (Cliché Raeymaekers.) Canon utilisé par les volontaires louvanistes en 1830 pour mettre en fuite les Hollandais. des meilleurs citoyens » et promet un pardon généreux dont ne seront exclus que les étrangers et les fauteurs d'actes trop criminels. Mais le même jour, le premier sang a coulé. Des Liégeois sortis à la rencontre de quelques partis de dragons ont vu tomber plusieurs de leurs hommes. La lutte est commencée et ses instigateurs sont décidés à la soutenir. Ils font demander des secours à Liège, à Louvain, à Wa-vre et jusque dans le Borinage. Des villages de la banlieue, où sonne le tocsin, des paysans se mettent en marche. Pendant que des familles aisées prennent la fuite, la ville se prépare au combat. On renforce les barricades, on en construit de nouvelles. Les anciens militaires gradés sont invités à se présenter à l'hôtel de ville. On passe en revue les compagnies de volontaires parmi lesquelles figurent nombre de soldats en uniforme au milieu des blouses bleues. D'Hoogvorst abandonne le commandement de la garde bourgeoise mais continue à en porter le costume. De Louvain arrivent trois cents hommes conduits par Adolphe Roussel. Le bruit de la fusillade crépite en dehors des murs. Le 22, deux mille hommes ont tenté une sortie vers Dieghem. Les Hollandais ne sont plus qu'à une lieue de Bruxelles. Le 23, à huit heures un quart du matin, retentit le premier coup de canon annonçant leur attaque. (Bruxelles, Musée communal.) (Cliché Bijtebler.) Morceau de l'arbre de la Liberté planté en 1830 sur la place des Palais, avec matrice de l'inscription. Réuni en comité secret le 28 juin 1876, le conseil communal de Bruxelles avait autorisé le collège échevinal à faire abattre l'arbre de la Liberté planté quarante-six ans plus tftt sur la place des Palais, devant le palais royal. En séance du 7 août de la même année, le conseil communal adopta la proposition du bourgmestre Anspach aux termes de laquelle cet arbre devait être débité en petits cubes marqués au feu et vendus au profit des pauvres de la ville. NOTES (1) A partir de 1828, c'est ainsi que les ministériels désignent habituellement les jeunes libéraux. (2) Terllnden, op. cit., t. II, p. 411. (3) Gedenkstukken 1825-1830, t. II, p. 663. (4) V. Tourneur, Catalogue des médailles du royaume de Belgique, t. I (1830-1847), p. 2, 3 (Bruxelles, 1911). (5) Archives Générales du Royaume. Chambres de commerce, n° 212. (6) De Oerlache, op. cit., t. II, p. 34. (7) Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 149, 174, 176, 179. Sur ces projets, voy. ibid., p. 379, et H. T. Colenbrander, De Belgische Omwenteling, p. 148. (8) Gedenkstukken, ibid., p. 329. (9) Ibid., t. II, p. 673. (10) Ibid., t. I, p. 436. (11) Ibid., p. 145. (12) Ibid., p. 172. Cf. ibid., t. II, p. 745. (13) Terlinden, op. cit., t. II, p. 379, 428. (14) Ad. Bartels, Les Flandres et la Révolution belge, p. 4, 6. (15) E. Discailles, Charles Rogier, t. I, p. 181 (Bruxelles, 1892). (16) Voy. les lettres de Bagot dans Gedenkstukken 1825-1830, t. 1, p. 59, 60, 61, 63. (17) A. Stem, Geschichte Europas seit den Vertràgen von 1815. 2e Abt., t. I, p. 75 (Stuttgart, 1905). (18) De Potter, Souvenirs personnels, t. I, p. 123. Cf. Juste, Révolution belge, t. II, p. 189. De Bavay, Histoire de la Révolution belge, p. 140, attribue aux excitations françaises une importance tout à fait exagérée. L'homme le plus influent du mouvement révolutionnaire belge, Louis de Potter, était foncièrement partisan de l'indépendance. Il n'est pas douteux qu'il eût dévoilé dans ses Souvenirs personnels, si médisants à l'égard de ses anciens collaborateurs, les projets annexionnistes de ceux-ci, s'ils avaient été vraiment sérieux. (19) Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 40. (20) Ibid., t. I, p. 339. (21) Dès le 23 août, l'ambassadeur autrichien Mier parle pour ce jour-là d'un « coup monté ». Gedenkstukken 1825-1830, t. I, p. 340. (22) Voir surtout, pour les événements de cette soirée et des jours suivants, le rapport de de Knijff, le directeur de la police, au ministre van Maanen, dans C. Buffin, Mémoires et documents inédits sur la révolution belge, t. I, p. 564 et suiv. (Bruxelles, 1912), et la relation de l'Autrichien Mier, témoin oculaire. Gedenkstukken 1830-1840, t. III, p. 141 et suiv., ainsi que I' Ausfilr-liche Darstellung der Ursaclien und Begebenheiten der belgischen Révolution am 25. August und den folgenden Tagen von einem Briisseler Augenzeugen (Stuttgart, 1830). L'origine non belge de ces témoignages est une garantie de leur exactitude. (23) Les textes du temps l'appellent aussi garde urbaine ou garde civile. (24) Quelques Français, dit-il, qui parlaient en faveur de la France : « von-den geen bijval ». Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 55. Plus tard, il constate que tous les journaux sont hostiles à l'annexion. Ibid., p. 99. (25) Gedenkstukken 1830-1840, t. III, p. 143. (26) Ibid., t. IV, p. 99. (27) Bartels, Les Flandres et la Révolution, p. 19, dit que Liège est le « centre des hommes les plus capables et les plus influents dans les divers partis ». On constate que la province de Liège est « la plus exaltée dans le libéralisme ». Terlinden, op. cit., t. II, p. 409. (28) Sur cette agitation, voir Gedenkstukken 1830-1840, t. III, p. 4, t. IV, p. 68, 81, 88, 108. Lejear, Verviers, loc. cit., p. 208-215. (29) Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 82. (30) Le 31 août, le Courrier de la Meuse demande « que le gouvernement se montre désormais franchement constitutionnel, qu'il renonce sincèrement aux principes du message du 11 décembre, que les doctrines de M. van Maanen et des Nederlandsche Gedachten soient répudiées sans restrictions ». Les autres journaux ne parlent pas autrement. Tous se bornent à demander une réforme constitutionnelle. (31) De Oerlache, op. cit., t. II, p. 40. (32) De Gerlache, loc. cit., p. 48. (33) Voy. surtout les récits de Chazal (Buffin, Mémoires et documents inédits, t. I, p. 39 et suiv.) et de du Monceau (Ibid., p. 442 et suiv.), ainsi que le rapport de l'adjudant du prince, de Grovestins. Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 85. (34) J'ai surtout suivi pour ces événements, le récit contemporain des Esquisses historiques de la Révolution de la Belgique en 1830, p. 87 et suiv. (Bruxelles, 1830). Cf. Du Monceau, toc. cit., p. 475 et suiv. (35) Voy. dans Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 99, l'opinion de Schuer-mans, celle du ministre de Prusse (Ibid., t. III, p. 6) et celle du ministre d'Autriche (Ibid., p. 152). (36) Esquisses, p. 110. (37) Gedenkstukken 1830-1840, t. III, p. 153. (38) Ibid., t. I, p. 13. (39) Ibid., t. I, p. 22. (40) Esquisses, p. 124. (41) Voy. dans Discailles, Charles Rogier, t. I, p. 198, la liste de ses cent vingt-quatre compagnons. (42) Esquisses, p. 129. (43) Ibid., p. 138. (44) Ibid., p. 138. (45) Les pourparlers à ce sujet avaient commencé le 8. Voy. le curieux récit des Esquisses, p. 141 et suiv. (46) Gedenkstukken 1830-1840, t. IV, p. 109. (47) Ibid., t. III, p. 152. (48) Esquisses, p. 157. (49) Esquisses, p. 159. (50) Le texte primitif de la « Brabançonne », chanté pour la première fois par La Feuillade au théâtre de la Monnaie le 12 septembre 1830, exprime l'espoir de ... greffer l'Orange Sur l'arbre de la Liberté. Il s'achève pourtant par la menace de la faire « tomber » si le roi ne renonce pas à « l'arbitraire ». Après les journées de septembre, Jenneval modifia des paroles qui ne répondaient plus ni à la situation ni au sentiment public. Il acheva le premier couplet par ces mots : La mitraille a brisé l'Orange Sur l'arbre de la Liberté. On sait que cette seconde version de la « Brabançonne » est restée officielle jusqu'à son remaniement par Charles Rogier en 1860. Voy. Bullet. de l'Académie Roy. de Belgique. Classe des Beaux-Arts, 1922, p. 158 et suiv. CHAPITRE II LES JOURNÉES DE SEPTEMBRE fES DEFENSEURS DE BRUXELLES. - Le prince Frédéric disposait de 14,000 hommes et de 26 bouches à feu (1). C'était relativement beaucoup plus que n'en avait eu Mar-mont, deux mois auparavant, pour soumettre Paris. La nationalité hollandaise de la plupart des régiments garantissait leur fidélité. A la tête de l'état-major se trouvait le général de Constant Rebecque, celui-là même dont les habiles dispositions avaient si largement contribué, la veille de Waterloo, à l'échec de Ney aux Quatre-Bras. Les rapports arrivés de la ville en faisaient prévoir la reddition. Tout indiquait que les bandes indisciplinées de l'émeute n'oseraient affronter le choc des troupes régulières. L'imprudente démarche de Ducpétiaux, qui venait d'être arrêté comme il se présentait aux avant-postes en parlementaire, paraissait attester le découragement des rebelles. Timide, mais réfléchi et obéissant, Frédéric ne concevait aucun doute sur la mission dont son père l'avait chargé : ce serait tout au plus une opération de police. Dans Bruxelles même, les apparences justifiaient cet optimisme. Le général Valazé, qui venait d'y arriver comme ministre de Louis-Philippe, écrivait à Paris que la fin des troubles était proche, que la bourgeoisie en avait assez, que les « ouvriers guerriers » qu'il voyait passer devant ses fenêtres étaient incapables de combattre et que « les soldats entreraient dans la ville comme ils voudraient ». Ceux que le souci de leurs intérêts avait rejetés vers le gouvernement ne se cachaient plus. Dans la soirée du 22, ils avaient risqué une manifestation orangiste au théâtre de la Monnaie, et le matin du 23, on rencontrait dans les rues des dames en grande toilette, impatientes d'assister au défilé des troupes hollandaises (2). Depuis trois jours aucune autorité n'existait plus. Les bandes armées, qui avec l'appui des Liégeois et des étrangers s'étaient emparées du pouvoir, abandonnées à elles-mêmes à l'heure décisive, flottaient au hasard, n'obéissant à aucune direction, incapables, dans le décousu de leurs efforts, de prendre des mesures et de s'organiser. Les orateurs du club, les jeunes démocrates, les membres de la Commission de sûreté, bref, tous ceux qui, dans les derniers jours, avaient collaboré au mouvement révolutionnaire, sentant leur impuissance à le diriger, s'épouvantaient de leur responsabilité et de l'imminence d'une catastrophe. Pas plus que le prince, ils ne croyaient à la possibilité de la résistance. Aucun d'eux n'avait prévu une attaque en règle. Ils s'étaient flattés jusqu'au bout de l'espoir que les Hollandais ne répondraient pas à leurs provocations. De même que leurs compatriotes du XVIe siècle avaient compté sur la longanimité de Philippe II, ils avaient compté sur celle de Guillaume, si bien que l'arrivée de Frédéric les désemparait comme l'arrivée (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Bijtebier.) Gardes d'épées de volontaires de 1830. A gauche : garde du sabre offert à Charles Rogier par la ville de Liège le 4 novembre 1830; au centre : garde d'épée d'officier volontaire de 1830; à gauche : garde d'épée du capitaine Chaltin, combattant de 1830. (Amsterdam, Rijksmuseum.) Fantassins hollandais (1830) : uniformes et drapeaux des chasseurs volontaires de l'université de Leyden. Lithographie imprimée à Utrecht par J.-P. Houtman et éditée à Leyden par H.-H. Schreuder. du duc d'Albe avait désemparé leurs pères. Affronter une lutte ouverte était aussi impossible que de conseiller la soumission. Le seul parti à prendre était celui qu'avait pris le Taciturne en 1566 : se replier momentanément pour attendre la revanche et la préparer. Les circonstances donnaient raison à ceux qui, comme Gendebien, n'avaient cessé de préconiser le retour à la France et d'affirmer que d'elle seule pouvait venir le salut. Dès la soirée du 22, c'est vers elle, en effet, que s'acheminaient les agitateurs devenus les victimes de l'agitation qu'ils avaient provoquée. Les uns coururent d'une traite jusqu'à Valenciennes, d'autres s'arrêtèrent en Hainaut. Rogier parti le dernier, bourrelé par le remords d'abandonner ces Liégeois qu'il avait quelques jours plutôt amenés à Bruxelles, rôdait plein d'angoisse dans la forêt de Soignes. Personne ne s'aperçut de leur départ. La désorganisation qui les épouvantait n'était que le résultat de l'exaltation des patriotes. Ils s'y abandonnaient sans redouter l'inégalité de la lutte, sans se soucier de se subordonner à des chefs, sans compter sur rien d'autre que sur eux-mêmes. En dépit des menaces de Frédéric contre les « étrangers », aucun de ceux-ci n'abandonna la place. Décidés à risquer leurs vies, que pouvaient-ils craindre ? Le péril même où ils s'étaient placés les mettait dans l'obligation de combattre. Liégeois, Louvanistes, Tournaisiens, Namurois, paysans de la banlieue, hommes du Brabant, de la Flandre et du Hainaut prenaient position derrière les barricades ou aux fenêtres des maisons, suivant les indications des vieux soldats qui se mettaient à leur tête. Les Bruxellois disparaissaient au milieu de ces auxiliaires qui jouèrent le rôle principal dans la bataille, si bien que la capitale de la Belgique fut défendue par les Belges plus encore que par ses habitants, et que la nation tout entière collabora à sa résistance. C'est en cela peut-être que s'atteste le mieux le caractère des journées de septembre, et c'est aussi par quoi elles diffèrent de la révolution purement parisienne de juillet, à qui elles ressemblent à tant d'autres égards. Ce serait une erreur de croire, comme on l'a dit trop souvent, que les combattants sortaient uniquement de la « populace ». En réalité, ils appartenaient à tous les groupes sociaux. Il semble même que le prolétariat ne leur fournit que peu de renforts. Les ouvriers de fabrique ne furent parmi eux qu'une minorité. Pour la plupart, ils appartenaient à la classe des artisans ou à la petite bourgeoisie. On y rencontre des bouchers, des menuisiers, des peintres en bâtiments, des journaliers, des marchands de liqueurs, des boutiquiers, des commis. D'autres sont des habitants de la campagne, accourus sous la conduite du maréchal-ferrant, comme à Uccle, du vétérinaire, comme à Waterloo, de l'instituteur, comme à Gosselies. Du Hainaut, des maîtres de houillères et de verreries amenèrent des défenseurs (3). A côté d'eux, on remarque des avocats, des propriétaires, des fabricants. Ainsi parmi les combattants les rangs se confondent comme s'y confondent aussi Flamands et Wallons. Sans doute ceux-ci et particulièrement les Liégeois, furent les plus nombreux. De Gand et d'Anvers, où les Orangistes, grands industriels et commerçants, réussirent à maintenir l'ordre, il ne vint presque personne. Le sentiment catholique qui l'emportait dans les provinces flamandes, comme le sentiment libéral dans les provinces wallonnes, y poussait moins directement à la lutte. Mais le peuple s'y prononça partout en faveur de la Révolution. Durant les combats de Bruxelles, on vit à Saint-Nicolas les ouvriers des filatures agenouillés sous les plis du drapeau belge, autour d'une chapelle rustique, prier pour la victoire des patriotes (4). L'ATTAQUE DE BRUXELLES. - Les mesures prises par Frédéric pour l'attaque de Bruxelles attestent sa certitude de l'emporter du premier coup. Les troupes furent dirigées simultanément en quatre colonnes sur le front qui leur faisait face. Deux d'entre elles devaient entrer dans la ville basse par les portes de Flandre et de Laeken, puis, tournant à gauche, tomber par derrière sur les défenseurs de la ville haute, assaillis eux-mêmes par les portes de Louvain et de Schaerbeek. L'attaque principale fut dirigée sur cette dernière, d'où la rue Royale conduit directement aux palais qui constituaient son objectif. Ce fut aussi le point où se concentra l'effort de la lutte et où se prononça la victoire. Partout ailleurs l'échec des troupes fut si rapide qu'il désorganisa complètement l'ensemble des opérations (5). A la porte de Flandre, la cavalerie s'est à peine engagée entre les maisons, qu'elle recule en désordre sous la fusillade, les pavés, les meubles, la chaux vive qui s'abattent sur elle du haut des fenêtres. Même échec à la porte de Laeken, où les troupes cèdent au premier abord. A la porte de Louvain, les soldats, après s'être avancés jusqu'à la hauteur du palais des Etats-Généraux, se heurtent à une barricade et s'arrêtent. Au début, les choses avaient mieux tourné à la porte de Schaerbeek. Après en avoir démoli à coups de canon les défenses improvisées, les régiments dirigés par Constant Rebecque s'élancent au pas de charge vers la place Royale. Une fusillade terrible brise bientôt leur élan. Constant Rebecque est blessé; surpris, les officiers hésitent et se troublent. Impossible de s'arrêter pour répondre au feu des tirailleurs postés dans les maisons. Et voici que du bout de la rue le feu de la barricade construite devant la place Royale s'ajoute en front à celui qui de côté tombe des fenêtres sur les assaillants. Ils sont arrivés à la hauteur du Parc; l'abri tentateur de ses grands arbres est irrésistible et, tournant brusquement à gauche, ils s'y précipitent et s'y entassent : l'attaque est rompue. Bien plus, son succès est désormais impossible. La supériorité numérique des Hollandais était si écrasante qu'ils eussent sans doute emporté la barricade s'ils en avaient tenté l'assaut. En se réfugiant dans le Parc, ils perdaient l'avantage du nombre. Pour risquer de nouveaux efforts, il leur faudrait défiler par les ouvertures des grilles sous les coups de fusil et se laisser décimer en détail. Vainement ils exécutèrent quelques sorties, vainement aussi ils tentèrent de prendre à revers la barricade de la place Royale, en cheminant par le palais de l'hôtel de Belle-Vue. Le soir venu, ils purent se convaincre qu'ils ne passeraient pas. « L'affaire est manquée », écrit Constant Rebecque. Visiblement, l'armée s'est engagée dans un guêpier, et le plus terrible, c'est qu'elle ne peut songer à battre en retraite. Ce serait une honte intolérable de reconnaître devant l'Europe, à laquelle elle devait servir d'avant-garde contre la France, qu'elle ne peut venir à bout d'une poignée d'insurgés. Et surtout, il est trop certain qu'à la moindre apparence de recul, la Belgique entière se soulèvera. Le prince Frédéric a perdu la tête. Il comptait sur une promenade militaire et le voici lui-même presque assiégé ! Il se croit victime d'un complot. Les assurances qu'il a reçues des Orangistes ne lui paraissent plus que des machinations combinées pour l'attirer dans un guet-apens. Dans son désarroi, il se résigne à négocier avec les rebelles et, la nuit venue, se met secrètement en rapport avec d'Hoogvorst. Plus intelligent et moins désorienté, il se fût épargné (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Patrouille de volontaires belges dans les rues de Bruxelles (septembre 1830). Esquisse au crayon de Jean-Baptiste Madou (Bruxelles, 1796-1877). Témoin oculaire des événements de 1830, Madou a croqué les scènes qui se déroulaient sous ses yeux. Certaines ébauches ont été complétées par la suite; d'autres sont restées inachevées. (Bruxelles, collection A. Verbouwe.) Entrée des Hollandais à Bruxelles le 23 septembre 1830. Lithographie anonyme d'origine allemande, éditée par Ainz et C'« à Dusseldorf. Non citée par Muller. cette humiliante démarche. Elle ne pouvait qu'augmenter la résolution des patriotes. Le matin, ils avaient combattu sans espoir; l'arrêt des Hollandais leur donnait maintenant la certitude de vaincre. Leurs forces croissaient en même temps que leur confiance en eux-mêmes. L'ennemi n'ayant pas pris la précaution d'encercler la ville, l'accès en était libre du côté du sud, et sur toutes les routes se pressaient des renforts. De Nivelles, du Borinage, des bandes d'hommes armés de piques marchaient sur Bruxelles; des femmes même venaient prendre part à la lutte. D'Ath, on amenait des canons dont le peuple s'était emparé après avoir chassé la garnison. En Flandre, des paysans se mettaient en mouvement sous la conduite de leurs curés. Au début du combat, les défenseurs n'étaient encore que quelques centaines; à la fin de la journée ils étaient des milliers. Plus leur succès était inattendu, plus il était éclatant. L'enthousiasme patriotique se déchaînait et s'imposait aux irrésolus et aux timides. Les Orangistes, si arrogants quelques heures plus tôt, avaient disparu. Les promoteurs de l'insurrection ne s'étaient éloignés que parce qu'ils désespéraient de la bataille. Ils firent volte-face en apprenant qu'elle était engagée. Parti le dernier, Rogier rentra le premier dans Bruxelles au bruit de la fusillade. D'Hoogvorst, imperturbable, n'avait pas quitté l'hôtel de ville. Son adjudant, le baron de Felner, Pletinckx, Jolly et quelques anciens officiers étaient comme lui demeurés au poste, ne sachant que faire, ni s'ils avaient le droit de faire quelque chose. Ce droit pourtant, il fallait le prendre. Pour transformer l'insurrection en révolution, il était indispensable que des chefs décidés à en accepter la responsabilité et s'autorisant par cela même à parler en son nom, se missent à sa tête. Nul moyen de trouver ces chefs s'ils ne s'imposaient pas eux-mêmes. Au milieu du combat, ils devaient s'emparer du pouvoir comme on s'empare d'un fusil sur une barricade. Rogier le comprit sans doute et sa volonté l'em- porta. D'Hoogvorst et Jolly consentirent à former avec lui une « Commission administrative » dont les attributions, n'étant pas définies, étaient aussi vagues et aussi étendues que la tâche qu'elle assumait. Cette tâche, c'était, tout en continuant la lutte, de donner un centre de rallliement à la Belgique soulevée. Pour sauver les apparences, les Commissaires firent afficher qu'ils avaient « accepté » provisoirement le pouvoir en attendant de le remettre « à des mains plus dignes ». On ne se demanda pas qui le leur avait offert. Mais personne ne douta de leur affirmation de n'avoir agi que « dans l'intérêt de la cause nationale, dont le succès dès hier est assuré ». Et avec une confiance magnifique dans ce succès, ils décrétaient le même jour que les braves tués en combattant seraient enterrés à la place Saint-Michel et qu'un monument « transmettrait à la postérité le nom de ces héros et la reconnaissance de la patrie ». LA COMMISSION ADMINISTRATIVE. — La Commission administrative est le germe du « Gouvernement provisoire » qui fut institué le 25 septembre. Il ne diffère d'elle que par le nombre plus grand de ses membres et par le nom plus significatif que les circonstances lui imposaient. Félix de Mérode, Gendebien et van de Weyer, que Ro-gier avait devancés dans la capitale, s'adjoignirent dès leur retour aux trois Commissaires. Le Gouvernement provisoire apparaît donc comme un simple élargissement de la Commission. Il ramène aussi au pouvoir les hommes que l'émeute du 22 septembre en avait dépossédés. En venant partager les périls des combattants, ils ont conquis leur confiance. L'exaltation patriotique et la joie de la victoire font oublier le passé. Les sentiments sont unanimes que, pour la seconde fois, on accepte l'autorité par cela même qu'elle s'affirme. Pour se faire admettre de tous, il a suffi au Gouvernement provisoire de se proclamer. Il n'a d'autres titres que l'adhésion populaire et l'union des volontés. Si la nation le soutient, c'est parce qu'elle se reconnaît en lui et que pour ainsi dire il la personnifie. L'activité de la Commission administrative avait tout de suite légitimé son installation. Dès le 24, elle chargeait un révolutionnaire espagnol, don Juan van Halen, de prendre le commandement des patriotes. Sans s'inquiéter (Amsterdam, Rljksmuseum.) Le prince Guillaume-Frédéric-Charles d'Orange-Nassau, prince des Pays-Bas, second fils de Guillaume Ier (Berlin, 1797-Wassenaar, 1881), commandant les troupes hollandaises à Bruxelles du 23 au 27 septembre 1830. Lithographie d'après Vanden Kerckhoven. de leurs origines, elle acceptait les services de tous les anciens officiers belges ou étrangers qui se mettaient à sa disposition. Le 26, elle lançait une proclamation déliant les soldats belges de leur serment de fidélité et les exhortant à se rallier au drapeau national, en même temps qu'elle assurait aux officiers qui quitteraient le service un avancement de grade. Elle faisait hospitaliser les blessés dans les maisons bourgeoises. Elle organisait l'arrière de la bataille tout en parant aux nécessités les plus immédiates de l'administration. A l'ordre légal détruit, elle s'efforçait de substituer un ordre nouveau par son autorité révolutionnaire. Elle ne s'imposait pas seulement aux patriotes, les conservateurs et les Orangistes eux-mêmes se tournaient vers elle comme vers la seule force qui pût s'opposer à l'anarchie. La Société Générale, qui deux jours auparavant avait refusé tout crédit à la Commission de Sûreté, s'empressait de lui avancer 10,000 florins au lieu de 5,000 qu'elle demandait (6). La bataille cependant continuait à faire rage autour du Parc. Toutes les sorties des Hollandais étaient repoussées. Déjà des bandes de patriotes passaient à l'offensive. Le désarroi du prince Frédéric se trahissait par les contradictions de sa conduite. Une nouvelle tentative de négociation ayant échoué, il recourait brusquement à la terreur et faisait tirer sur la ville basse à boulets rouges, sans autre résultat que d'attiser l'énergie des combattants. Les nouvelles reçues de l'extérieur contribuaient encore à l'exaltation des Belges. On apprenait que le général Cort-Heiligers, venant de Maestricht à la rescousse du prince, harcelé par les paysans, repoussé à Louvain, trouvant Tirlemont en état de défense, errait aux environs de Wavre. Ses troupes désemparées ne rallièrent Bruxelles que le 27 et n'y renforcèrent que la démoralisation de l'armée. LA RETRAITE DES HOLLANDAIS. - Ainsi, les défenseurs de la capitale se sentaient soutenus par tout le pays. Leur victoire n'était plus qu'une question d'heures. Les Hollandais ne s'en rendaient que trop bien compte. L'indiscipline se mettait dans leurs rangs; les officiers ne pouvaient empêcher le pillage des hôtels qui le long de la rue Ducale bordaient les derrières du Parc. Il était évident qu'à s'obstiner à tenir cette armée impuissante sous le feu de l'ennemi on risquait de la voir se débander. Ce risque était d'autant plus grand que l'audace et la force des agresseurs s'affirmaient davantage. Leur résolution de s'emparer du Parc de haute lutte était visible. Le 26 septembre, ils avaient dirigé contre lui une furieuse attaque. Sauf Constant Rebecque, tous les généraux étaient d'accord sur l'inutilité de prolonger le combat. Le prince désespéré, se laissa convaincre. Sous le couvert de l'obscurité, l'armée décampa le 27, entre trois et quatre heures du matin. Au lever du soleil, lorsque les tirailleurs, étonnés du silence qui répondait à leurs coups de fusil se glissèrent dans le Parc, il était vide. L'échec des Hollandais s'explique certainement, en grande partie, par l'imprudence de leurs chefs, leur ignorance de l'état réel des esprits, la gaucherie de leurs manœuvres et la mauvaise qualité de leurs troupes. Il leur eût été facile de bloquer Bruxelles en occupant les routes par lesquelles ne cessèrent d'y arriver les vivres et les renforts. Isolés et affamés, ses défenseurs eussent été infailliblement contraints de déposer les armes. Permettre à la Belgique de collaborer à la défense de sa capitale, c'était rendre celle-ci imprenable, c'était aussi donner à la lutte ce caractère national qui s'y atteste d'une façon si frappante. Les volontaires des provinces, dont le sang mêlé à celui des Bruxellois coula sur la barricade de la place Royale, eurent conscience que ce qu'ils défendaient sur ce tas de pavés, c'était la patrie et la liberté. Leur courage et leur enthousiasme ne le cédèrent pas à ceux dont avaient fait preuve, quelques semaines auparavant, les révolutionnaires de Paris. Le nombre 'des morts et des blessés atteste suffisamment l'acharnement de la bataille. Pour s'en tenir aux évaluations les plus modérées, il fut de 290 ej de 373 du (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) « A la porte de Flandre, la cavalerie s'est à peine engagée entre les maisons, qu'elle recule en désordre sous la fusillade, les pavés, les meubles, la chaux vive qui s'abattent sur elle du haut des fenêtres. » (Voyez le texte, p. 500.) — «Réception des légions hollandaises à la porte de Flandre, jeudi 23 septembre 1830.» Lithographie anonyme éditée Au magasin de Caricatures, Montagne de la Cour, n° 7. côté des Belges, de 108 et de 628 du côté des Hollandais (7). Des témoins oculaires comparent la violence de la lutte à celle des combats de Saragosse (8). Le sentiment national inspira si complètement les gens de toute origine et de toute condition qui y prirent part que nul acte de pillage ou de cruauté ne souilla la victoire. Les prisonniers hollandais furent bien traités. La fureur du peuple ne s'en prit qu'à une église calviniste qui fut dévastée et à la maison d'un Orangiste qu'on incendia. En pleine bataille, le caractère national se montra aussi réfractaire aux emportements de la haine qu'aux rigueurs de la discipline. La nuit venue, les hommes descendant des barri- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) Combat entre volontaires belges et fantassins hollandais dans la rue de Louvain (23 et 24 septembre 1830). Lithographie de Jean-Baptiste Madou (Bruxelles, 1796-1877) et de Gustave Simonau (Bruges, 1810-1870). cades se retrouvaient à l'estaminet. Le verre de bière coutumier leur était indispensable à la veille de la mort. Et cette bonhomie de leur héroïsme ne fait que le rendre plus touchant. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE. - Le Gouvernement provisoire avait pris la responsabilité des journées de septembre, mais il ne les avait pas dirigées. Constitué au plus fort de la lutte, il n'avait eu qu'à laisser les événements suivre leur cours. S'il collabora à la victoire, elle ne fut pas son oeuvre et elle n'augmenta ni son prestige, ni son autorité. Pourtant il était indispensable de songer au lendemain et, sous peine de compromettre le triomphe de la Révolution, d'en guider la marche, d'en discipliner les efforts et de lui donner un programme. Maintenant que la bataille des rues était finie et Bruxelles délivrée, surgissaient dans toute leur ampleur de nouveaux devoirs : refouler l'ennemi au delà des frontières, généraliser l'insurrection, organiser le pays, faire reconnaître son indépendance non seulement par le roi, mais par l'Europe. Bref, une politique s'imposait à la Révolution, et cette politique ne pouvait qu'être l'œuvre d'un pouvoir volontairement reconnu par les vainqueurs des barricades. Aucun des membres du Gouvernement provisoire ne jouissait d'une popularité ni d'une réputation assez générales pour s'imposer et forcer la confiance et l'enthousiasme au milieu de l'anarchie menaçante (9). La notoriété de chacun d'eux se restreignait à un groupe ou à un parti. D'Hoogvorst s'appuyait sur la garde bourgeoise de Bruxelles, de Mérode n'était connu que de l'aristocratie catholique; sauf quelques militaires, personne n'avait entendu le nom de Jolly. Ceux de leurs jeunes collègues van de Weyer, Gendebien et Rogier n'avaient pas encore dépassé les limites de leur ville natale ou l'enceinte des clubs où ils s'étaient fait applaudir. Et à l'insuffisance de leur renommée s'ajoutait encore le désaccord de leurs opinions. Sauf sur la question de l'indépendance nationale, leurs idées divergeaient en tous sens. C'était un amalgame de tendances bourgeoises (d'Hoogvorst), ultramontaines (Mérode), libérales (van de Weyer, Rogier) et francophiles (Gendebien). A l'heure décisive où l'on se trouvait, le Gouvernement provisoire ne possédait évidemment pas la force nécessaire à l'accom- plissement de la tâche formidable qu'il avait assumée. Pour être à même d'agir, il devait se faire consacrer par l'adhésion du peuple. Il eut la sagesse de le comprendre. Le 27 septembre, le jour même de la victoire, il faisait afficher sur les murs l'invitation à Louis de Potter « de rentrer dans sa patrie ». On ne peut guère douter qu'il n'agit ainsi que par nécessité. Il était évident que de Potter n'avait pas besoin de cet appel et qu'il fallait s'attendre d'un jour à l'autre à le voir arriver à Bruxelles paré du prestige qui, depuis son exil, l'avait transformé en héros national. En se l'associant, les membres du Gouvernement provisoire assuraient leur existence et les moyens d'accomplir leur mission. Sans lui, ils ne pourraient rien. Avec lui, ils disparaîtraient sans doute, éclipsés par son rayonnement, mais du moins conserveraient-ils les apparences du pouvoir en attendant le moment de le ressaisir. L'habileté eut autant de part que le désintéressement dans leur conduite. Ils ne pouvaient se faire d'illusions : ou de Potter ferait partie avec eux du Gouvernement provisoire, ou il s'emparerait de la dictature. Car lui seul s'imposait à tout le pays et possédait assez d'autorité pour entraîner derrière lui toute la nation. Brugeois, il était aussi populaire à Bruxelles et à Liège, qu'à Bruges même; libre-penseur, il jouissait de la confiance des catholiques; démocrate, il s'imposait au « jacobinisme » des jeu- (Bruxelles, Musée Royal de l'Armée.) (Cliché Bljtebier.) « ... la Commission administrative... chargeait un révolutionnaire espagnol, don Juan van Halen, de prendre le commandement des patriotes. » (Voyez le texte, p. 502.) — Buste de don Juan van Halen. Type de l'aventurier, van Halen (île de Léon, 1790-Cadix, 1864) avait déjà pris part, à l'âge de quinze ans, à la bataille de Trafalgar. Rallié à Joseph Bonaparte puis à Ferdinand VII, il tomba entre les mains de l'Inquisition espagnole, servit dans les armées du tsar, revint en Espagne et s'exila à nouveau aux Etats-Unis d'où il fut rappelé à Liège par des intérêts de famille. La révolution belge de 1830 le trouva à Bruxelles. Il embrassa la cause des révoltés et devint commandant en chef des volontaires. Pendant la campagne des Dix Jours, il prit place dans les rangs des chasseurs Chasteler comme simple volontaire. — Buste de plâtre. Auteur Inconnu. nés libéraux et soulevait l'enthousiasme de la foule. Son entrée à Bruxelles, le 28 septembre, fut aussi triomphale que l'avait été, en 1577, celle de Guillaume le Taciturne (10). Depuis la frontière française il avait voyagé au milieu des acclamations, harangué par les magistrats, bombardé de fleurs, escorté par les volontaires. A Ath, sa vue avait électrisé la population au point qu'elle s'était aussitôt jetée sur la citadelle et s'en était emparée. Quand il arriva le soir à la porte d'Anderlecht, ce fut du délire. La foule traîna sa voiture à travers les rues jusqu'à l'hôtel de ville où l'attendaient les membres du Gouvernement provisoire. Pour se sentir leur maître, il n'avait qu'à écouter le bruit des vivats qui le saluaient. Dès le lendemain, il s'arrogeait le droit de parler en leur nom et de leur attribuer ses sentiments. Le manifeste qu'il fit répandre se terminait par ces mots : « Il faut vivre libres ou nous ensevelir sous des monceaux de ruines. Liberté pour tous, égalité de tous devant le pouvoir suprême, la nation, devant sa volonté, la loi... Peuple, ce que nous sommes, nous le sommes par vous, ce que nous ferons, nous le ferons pour vous. » Ainsi, le Gouvernement provisoire qui s'était institué lui-même, obtenait, grâce à de Potter, la sanction du peuple. Sans doute, plus d'un de ses collègues s'effarouchait en secret des tendances démagogiques de son manifeste. Mais au milieu de l'effervescence héroïque du moment, ce qu'il avait dit était ce qu'il fallait dire. Au surplus, il exhortait les citoyens à se grouper autour du Gouvernement provisoire « qui est leur ouvrage », et il prêchait la continuation de la lutte à outrance. Son patriotisme rassurait ceux qu'inquiétaient les menées françaises et les fauteurs d'annexion. Ce n'est point par hasard que le 28 septembre, jour où de Potter entre effectivement en fonctions, le Gouvernement provisoire prend le titre de « Gouvernement provisoire de la Belgique ». (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Réserve Précieuse, V.H. 16207.) Livre du bibliophile Van Hulthem percé par une balle pendant les combats du parc de Bruxelles. Le bibliophile Van Hulthem (Gand, 1764-1832) occupait une maison située à l'angle de la Montagne du Parc, théâtre d'un combat acharné entre Belges et Hollandais. Le médaillier du collectionneur fut complètement détruit et ses livres éparpillés en toutes directions : on en retrouva même au bas de la Montagne du Parc. Selon toute vraisemblance, les volontaires belges barricadèrent les fenêtres de la maison à l'aide de caisses dans lesquelles étaient empilés les livres de la bibliothèque de Van Hulthem. Des balles hollandaises endommagèrent plusieurs exemplaires. Le livre reproduit ci-dessus est l'exemplaire de la Vie de Sainte Aldegonde, patronne de Maubeuge du Père Triquet (Tournai, 1665, 4°) provenant de la collection de la comtesse d'Yves et acquis par Van Huithem. INSURRECTION GENERALE DU PAYS. - En se mettant ainsi à la tête de la nation, il ne faisait qu'obéir aux événements. Aux journées de Bruxelles avait répondu aussitôt l'insurrection de tout le pays. La volonté nationale s'affirmait avec tant d'énergie que nulle part elle n'eut à briser de résistances. Epouvantées par la violence et la soudaineté du mouvement, les autorités se laissaient déposséder sans protestations. Il était à peine besoin de heurter le régime : il s'effondrait de lui-même. Les troupes capitulaient devant des bandes de gardes civiques et d'ouvriers. Il suffisait de montrer de l'audace pour réussir. A Mons, le 29 septembre, le général Howen s'en laissait imposer par le jeune Chazal, lui remettait son épée et lui ouvrait la forteresse (11). Des faits analogues se passaient à Tournai le 30, à Namur le 1er octobre, à Philippeville le 3, à Mariembourg le 4, à Charleroi le 5. A Gand, une partie des troupes quitte la ville le 2 octobre; l'autre se tapit, en attendant d'en être chassée le 15, derrière les bastions de la citadelle. Des bandes de Liégeois et de Verviétois ne craignent pas d'attaquer en rase campagne, à Rocour (30 septembre), un convoi envoyé de Maestricht pour ravitailler la citadelle de Sainte-Walburge qui domine Liège et dont la garnison, bloquée par la garde bourgeoise, capitule le 6 octobre. Les nouvelles de Bruxelles n'ont pas seulement démoralisé l'armée; la désertion en masse des soldats belges et la défection de plusieurs officiers ne permettent plus à ses chefs de compter sur elle. Leur seule préoccupation est de regagner la Hollande et, en attendant, de s'abstenir de tout conflit pour éviter à leurs hommes la tentation d'une débandade. Le spectacle est lamentable et ridicule de ces belles fortifications toutes neuves, élevées pour en imposer à la France, et qui se laissent insulter par des volontaires équipés à la diable quand elles ne leur ouvrent par leurs portes. L'ARMEE REVOLUTIONNAIRE. - A mesure que l'affolement des Hollandais s'accuse plus visiblement, la confiance en soi-même grandit chez les insurgés (12). Leurs forces augmentent en même temps que leur résolution. De toutes parts, les combattants affluent : déserteurs de l'armée, bourgeois, patriotes, ouvriers sans travail, que des chefs improvisés agglomèrent pêle-mêle dans des « corps francs ». Chaque ville organise une garde civique. Une solde est payée aux hommes et, grâce à la reddition des forteresses, on ne manque ni d'armes, ni de poudre, ni même de canons. De France arrivent journellement des renforts, car si le gouvernement de Louis-Philippe est décidé à ne pas intervenir officiellement, le succès de la révolution lui est trop avantageux pour qu'il puisse s'abstenir de la favoriser sous main. Il n'ose d'ailleurs exaspérer les républicains de Paris en leur interdisant de courir à la PLAN DE LA BATAILLE DE BRUXELLES pendant les 4 mémorables journées du 7bre 1830 Avec renseigment exact de tous les lieux où se sont passés les principales scènes de cette ville pendant la révolution belge. , il.___. ■/ ■!.. * I* '*' ' "M * * <** — * »r il (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) rescousse de leurs « frères » belges. En apparence, il ferme la frontière, mais il a soin de n'en pas surveiller tous les passages. Il laisse le vicomte de Pontécoulant lever à Paris une « légion parisienne » formée de Français et de Belges ou de soi-disant Belges habitant Paris et qui, dès le mois d'octobre, arrive en Flandre, pêle-mêle d'aventuriers, de têtes chaudes et de républicains espérant obliger la France à sortir de sa réserve en la compromettant. A leur exemple, tous les Français de Bruxelles prennent les armes ou s'offrent à diriger les opérations militaires : anciens officiers comme Mellinet et Niellon, simples intrigants comme Grégoire, idéalistes de la liberté comme ce Jenneval qui composa les paroles de la Brabançonne et qu'attendait une mort glorieuse au combat de Lierre (18 octobre). De Paris encore, Frédéric de Mérode apporte à la Révolution le prestige de son nom, et l'adhésion de ce grand seigneur catholique à la cause nationale atteste que l'union des partis demeure indéfectible. Sans doute, la plupart des chefs militaires appartiennent à l'opinion libérale et républicaine. Mais à la voix des curés, des paysans accourent renforcer les troupes. Les campagnes se soulèvent à l'exemple des villes. Un même élan entraîne en dépit de la différence des langues, du rang social et des croyances, la nation tout entière (13). Les divergences ne se révéleront que plus tard. En ce moment comme à l'époque de la Pacification de Gand, une même volonté s'impose à tous : refouler l'ennemi. Les Belges de 1830 se sont trouvés aussi unanimes contre les Hollandais que ceux de 1577 contre les Espagnols. Leur énergie soutient et renforce le Gouvernement provisoire. Le 29 septembre, il crée dans son sein, sous le nom de « Comité central », une sorte de directoire auquel sont dévolus le pouvoir exécutif et les affaires courantes. Avec de Potter, y siègent Rogier et van de Weyer, mais, pour rassurer les catholiques que pourrait effrayer le radicalisme de ces « jacobins », on a soin de leur adjoindre Félix de Mérode. Bientôt des commissions spéciales sont instituées pour les finances, les affaires militaires et les négociations diplomatiques. Des « Commissaires » sont envoyés dans les provinces à la place des gouverneurs. Au milieu du chaos de la révolution, s'organise ainsi un centre d'action, une institution permanente et acceptée de tous, qui, avec autant de zèle que d'intelligence, transforme rapidement son autorité morale en une autorité officielle. Grâce à l'assentiment des masses, le Gouvernement provisoire devient un gouvernement national, et il est admirable qu'au milieu du déchaînement des passions, jamais le pouvoir qu'il s'est arrogé n'ait été contesté ni seulement discuté. C'est qu'il justifie par les services qu'il rend la mission qu'il s'est attribuée. C'est aussi qu'il a soin de conserver étroitement le contact avec le peuple dont il est censé représenter la souveraineté, qu'il l'encourage, l'exhorte et le flatte par ses manifestes, que la simplicité de ses allures, son absence de toute étiquette, le dévouement de tous ses membres à la cause commune et leur intégrité scrupuleuse lui assurent la popularité et l'estime. Il fut dans toute la force du terme un gouvernement d'honnêtes gens et la nation lui accorda sa confiance parce qu'il la méritait. (Lithographie contemporaine. Auteur inconnu.) (Bruxelles, collection vicomte Ch. Terlinden.) (Cliché Bijtebier.) Tasse dans laquelle le prince Frédéric d'Orange but quelques gorgées de thé le 26 septembre 1830. Le 26 septembre, le prince fut l'hôte de Mme et M. Charles Eenens-Carlier en leur château de Schaerbeek. 11 y prit une collation dans cette tasse qui a été conservée parmi les souvenirs de famille. — Porcelaine de Tournai. ATTITUDE DE LOUIS-PHILIPPE. - Après les journées de Bruxelles, une question angoissante se posait. Quelle serait l'attitude de l'Europe ? On savait que le roi appelait à son aide les Puissances dont il tenait sa couronne. Une intervention de leur part éciaserait infailliblement la révolution. Se produirait-elle ? Songer à entrer en rapports avec des monarchies légitimes, le Gouvernement provisoire n'en avait ni le temps, ni la possibilité, ni d'ailleurs le désir. Il comprenait que ce n'était pas des Puissances, mais de la France que dépendait l'avenir. Si elle opposait son veto à l'invasion de la Belgique, si elle déclarait nettement que toute armée étrangère entrant dans le pays y ferait entrer en même temps l'armée française et déchaînerait ainsi une guerre générale, personne n'oserait prendre la responsabilité d'une telle catastrophe et, profitant de la crainte universelle, les Belges, n'ayant en face d'eux que les Hollandais, combattraient à armes égales. Gendebien, envoyé à Paris par ses collègues le 28 septembre, leur transmit sans retard la réponse sur laquelle ils comptaient. Louis-Philippe ne tolérerait pas d'intervention. La guerre demeurerait circonscrite aux Pays-Bas et l'indépendance de la Belgique ne dépendrait que de la Belgique elle-même. Dès lors elle ne faisait plus de doute et la certitude de la victoire allait décupler les forces des combattants. Car si le duc Bernard de Saxe-Weimar, qui avait succédé dans le commandement en chef des troupes royales au prince Frédéric, disposait encore d'environ 13,000 hommes, ils se trouvaient dans un état trop lamentable non seulement pour prendre l'offensive, mais pour opposer même une résistance efficace à la moindre agression. Démoralisés par leur défaite de Bruxelles, ne comptant plus sur leurs chefs, attaqués le long des routes par les paysans du Brabant et de la Campine, les soldats ne demandaient qu'à en finir. La désertion des Belges faisait fondre de jour en jour les effectifs, et ceux qui demeuraient sous les drapeaux n'y étaient qu'un ferment d'indiscipline et répandaient autour d'eux le « défaitisme ». Energique, hautain et brutal, Saxe-Weimar s'exaspérait vainement de voir l'armée se dissoudre dans ses mains, et de ne commander qu'une retraite sous la pression des bandes désordonnées de la « canaille » (14). A la désorganisation de la résistance correspondait le désordre de l'attaque. Du côté des Belges, nul plan d'ensemble, nul chef capable de diriger des opérations méthodiques, un armement de fortune, des corps agissant chacun pour soi et marchant en avant sans s'éclairer, sans se couvrir, avec une imprudence et une insouciance justifiées d'ailleurs par le succès (15). Et à cela s'ajoutaient encore la jalousie des officiers volontaires à l'égard des officiers de carrière que le Gouvernement provisoire, pour rester fidèle à ses promesses, récompensait par ses faveurs de quitter l'armée hollandaise, et les soupçons trop bien fondés de trahison qui trouvaient tout naturellement créance parmi des hommes inconnus les uns aux autres, recrutés au hasard et dont le passé donnait souvent naissance à des bruits fâcheux. Il avait fallu, le 5 octobre, retirer son commandement à don Juan van Halen, soupçonné de correspondre avec le prince d'Orange et d'avoir fomenté parmi les mineurs du Borinage des troubles qui ne tardèrent pas à s'apaiser à la voix de Charles Rogier (16). Mais les volontaires et les gardes civiques ne s'embarrassaient pas plus de ces intrigues que l'ennemi ne songeait à en profiter. Ils marchaient en avant, pleins d'une ardeur joyeuse, acclamés à la traversée des villages, salués du haut des églises par les drapeaux tricolores et se pressant en désordre aux trousses de l'ennemi comme des traqueurs à une battue. Dès le lendemain des journées de Bruxelles, sans ordre ni direction, ils s'étaient jetés sur les avant-postes hollandais, certains qu'ils reculeraient, et ils avaient reculé. Depuis lors, ils n'avaient plus cessé de les talonner, entrant derrière eux à Diest, à Aerschot, à Malines et croyant conquérir un terrain que l'armée se repliant sur Anvers s'empressait de leur céder. La lutte devint plus chaude lorsque les Hollandais furent arrivés sur la Nèthe. Il leur eût été facile de la défendre, mais ils étaient trop abattus pour le vouloir. L'imprudente audace des Belges aurait dû causer leur perte : elle leur donna la victoire. Le 13 octobre, Niellon, avec 2,110 hommes, marche sur Lierre. Terrorisé par l'attitude de la population qui sonne le tocsin et encourage de loin les assaillants, le commandant de la place demande à parlementer et consent à se retirer avec la garnison, dont 400 soldats se joignent à leurs compatriotes. Les efforts de Saxe-Weimar pour reprendre la ville, position essentielle à la défense d'Anvers, échouent les 18 et 19 oc- (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) « Quand il (de Potter) arriva le soir à la porte d'Anderlecht, ce fut du délire. La foule traîna sa voiture à travers les rues jusqu'à l'hôtel de ville... » (Voyez le texte, p. 505.) C'est cet instantané que représente ce fragment de lithographie, attribué à Auguste Vincent. S . /• (jÙïfc&C L Sif*V«- , rfu * /Cr\i '7M/t. , Sju. .W t /L-xt ,W*jfc} -tty, Wffr;y*-.'/- . /.' // Aavctti L /SÎO. A lu t «- 6 ' V l'H ireJ nâlîuHaJL)* eTtclëfi'uîti'venuûtdao.j SajJt'aïux) j< ■ v^ • J V a «/t. , AtJ (A/9/7AJI /C IJtHli'i-iiie/nfnT KOwJ.Hl*__. !/ /? /irCJiJeùcyttrmstrt fait l'aiHU, J'ordonnai.parrtnqtanit rtb vol cil*fa,. Ze tanpi est danc vùvl tju itt peut voir ce frvmatft Rnuxyt pour toty ours sur u/L au/rv rivayt Guùiès par l'intérêt ces hUwuùlù finûuj Sauront, n 'et fourmi pu, le dtajsr de cAaj au>. (Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Estampes.) «Le 24 novembre, par 161 voix contre 28, le Congrès écartait «à perpétuité de tout pouvoir en Belgique » les membres de la famille d'Orange-Nassau ». (Voyez le texte, p. 530). — Le « passage du Moerdijck ». Les Belges jettent aux Hollandais par delà le Moerdijck ce fromage renvoyé pour toujours sur un autre rivage, en l'occurrence un fromage de Hollande surmonté de la tête de Guillaume Ier. A l'extrême gauche, Guillaume d'Orange, fils de Guillaume Ier, s'adresse à son frère : Frédéric, qu'as-tu fait ? ô monstre sanguinaire I — Tu causas mon malheur et celui de ton père. Frédéric répond : Si le sort m'a trompé, je vous en fais l'aveu. — j'ordonnai par vengeance et le vol et le feu. — Gravure satirique anonyme. l'existence de la nation, lui est apparue comme un danger pour la liberté. Si la Belgique eût été une grande puissance, jamais elle n'eût poussé aussi loin les conséquences du libéralisme politique dont procèdent ses institutions. Mais, c'est justement parce qu'elle s'en est inspirée avec tant de logique, que sa constitution est apparue à tous les peuples comme la charte par excellence des libertés modernes. Elle pouvait leur convenir à tous parce qu'elle formulait vraiment le programme du gouvernement constitutionnel et parlementaire. Répondant au sentiment intime d'une nation traditionnellement attachée à la liberté politique, elle sut donner à cette liberté la forme qui lui convenait au XIXe siècle. Son éclectisme, ses emprunts aux constitutions et aux théories politiques de France, d'Angleterre et d'Amérique la préparaient encore à la fortune cosmopolite qui fut la sienne (9). L'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Roumanie, la Hollande elle-même devaient plus tard s'en inspirer largement. Quant aux Belges, ils furent fiers de l'œuvre du Congrès. Ils se considérèrent comme le peuple le plus libre de l'Europe et cette conviction contribua à assurer la stabilité du régime qu'ils s'étaient donné. Jamais la constitution ne fut l'enjeu des luttes de partis qui devaient, dans la suite, agiter la nation. Par cela même qu'elle était l'œuvre commune de ces partis, elle demeura au-dessus et en dehors de leurs querelles. L'influence politique qu'elle réservait à la bourgeoisie, influence qui devait devenir à la longue de plus en plus exclusive, était trop largement compensée par les droits qu'elle reconnaissait au peuple, pour que celui-ci pensât à s'élever contre elle. Comme le disait déjà Jottrand, en 1838, elle lui fournissait les moyens de partager un jour la puissance dont elle n'avait gratifié que les seuls censitaires (10). PROCLAMATION DE L'INDEPENDANCE. - Le jour même de l'ouverture du Congrès, le 10 novembre, le Gouvernement provisoire avait adhéré à la trêve imposée par la Conférence de Londres aux Belges et au roi Guillaume. Les Puissances reconnaissaient donc implicitement à la nation soulevée la qualité de belligérant. Mais elles se réservaient le droit de régler ses destinées et il n'était pas douteux que leur décision dépendrait de l'ajustage de leurs convoitises, de leurs rivalités et de leurs intérêts. La question de la Belgique étant une question européenne, les Belges n'auraient qu'à attendre la solution qu'il plairait à l'Europe de lui donner, et tout semblait indiquer que cette solution ne serait pas celle pour laquelle ils avaient pris les armes et que, dès le 4 octobre, le Gouvernement provisoire avait proclamée, c'est-à-dire l'indépendance de la Belgique. Pour éviter la guerre générale, elles s'accorderaient probablement sur un expédient qui, sans donner satisfaction complète à chacune d'elles, serait pourtant acceptable par toutes. On pouvait prévoir que tout en conservant la dynastie, elles reconnaîtraient aux provinces soulevées une autonomie plus ou moins étendue. En divisant le gouvernement du royaume, mais en maintenant la souveraineté de la couronne, les monarchies absolutistes éviteraient de reconnaître le droit à l'insurrection, l'Angleterre n'aurait plus à craindre de voir la France à Anvers, et la France elle-même, satisfaite de la disparition ou tout au moins de l'affaiblissement de la barrière élevée contre elle en 1815, se contenterait de cet avantage. Peut-être aussi, le prince d'Orange recevrait-il la Belgique à titre de royaume séparé. On savait qu'il intriguait à Londres, et ses chances de succès paraissaient considérables, car, appelé à régner un jour sur la Hollande, il réunirait tôt ou tard les deux parties des Pays-Bas sous le pouvoir de la dynastie. De quelque façon que l'on envisageât l'avenir, il apparaissait donc que la Conférence réservait au conflit l'une des deux issues que les Belges avaient rejetées : soit la séparation administrative, soit une indépendance provisoire et fallacieuse sous le prince d'Orange. L'une et l'autre méconnaissaient également le sentiment populaire et le principe de la souveraineté nationale. Elles résultaient de nécessités diplomatiques et de combinaisons d'intérêts; elles s'inspiraient de la force et non de la justice; elles sacrifiaient la Belgique à la tranquillité de l'Europe. Le Congrès s'empressa de faire entendre la voix de cette Belgique dont les Puissances prétendaient disposer sans la consulter. Le 18 novembre, reprenant la déclaration du Gouvernement provisoire et la sanctionnant définitivement au nom de la nation, il proclamait à l'unanimié des cent quatre-vingt-huit députés présents et au milieu des acclamations des tribunes, l'indépendance du peuple belge. Par égard pour l'Europe et en considération de ce que la révolution ne s'était faite que contre le roi de Hollande, cette déclaration réservait « les relations du Luxembourg avec la Confédération germanique ». Le vote du Congrès n'affirmait pas seulement les droits du peuple à disposer de soi-même, il renouait encore la tradition historique. Par-dessus les trente-six années qu'avaient duré sa réunion à la Hollande et son annexion à la France, la Belgique moderne se rattachait à cette Belgique ancienne dont l'autonomie, depuis l'époque bourguignonne, s'était conservée sous les rois d'Espagne comme sous les souverains autrichiens. En face de la Conférence, elle fondait son droit à l'existence non seulement sur sa volonté présente, mais sur son passé. Ce n'était pas une nation nouvelle qui sollicitait son entrée dans le monde, c'était une nation ancienne qui, après avoir subi des régimes imposés par la conquête ou la diplomatie, revendiquait l'indépendance dont elle avait été dépossédée. Ce que voulait le Congrès, c'est ce qu'avaient voulu en 1789 les Etats-Généraux de la Révolution Brabançonne, en 1792, le Comité des Belges et Liégeois unis, en 1814, les négociateurs de Châtillon. Ce que les querelles des partis avaient alors empêché de réaliser, on l'atteignait enfin grâce à l'union des partis dans le sentiment national. Sans doute, si le vote du 18 novembre fut unanime, les tendances ne l'étaient pas. Parmi les députés eux-mêmes, quelques-uns eussent souhaité le maintien du royaume des Pays-Bas sous une forme nouvelle, ou un retour à la France. Ces préférences s'expliquent sans peine. Les uns doutaient que la Belgique, privée des débouchés que les colonies hollandaises avaient fournis à son industrie, pût subsister par elle-même. D'autres se rappelaient la prospérité que le marché français avait jadis donnée aux fabriques. D'autres, enfin, ne croyaient pas à la possibilité d'une séparation définitive d'avec la Hollande et, plutôt que de revenir au royaume des Pays-Bas et de retomber sous le gouvernement de Guillaume, préféraient se donner à la monarchie libérale de Louis-Philippe. Ce qui est étonnant, ce n'est pas que ces divergences aient existé, c'est qu'elles n'aient pas été plus nombreuses, et que le sentiment de l'indépendance se soit manifesté si vigoureusement après tout ce que la République française, l'Empire et le gouvernement de Guillaume avaient fait pour l'anéantir. En votant l'indépendance de la Belgique, le Congrès, s'il froissait la Conférence en prenant les devants sur sa décision et en lui signifiant la volonté du peuple, la rassurait en même temps. Il faisait disparaître, en effet, la crainte des Puissances et particulièrement de l'Angleterre, de voir le pays se donner à la France, mais il laissait subsister la possibilité d'un retour sous la dynastie hollandaise, soit en la personne de Guillaume, soit en celle du prince d'Orange. Tout en admettant l'indépendance de la Belgique, la Conférence pourrait se réserver le choix de son souverain et ce choix n'était pas douteux. Dès les premières séances du Congrès, quelques membres, pour parer à ce péril, avaient proposé d'exclure la maison d'Orange-Nassau du droit de régner sur le pays. La question ayant été écartée, les Orangistes avaient aussitôt repris courage. C'est pour couper court à leurs menées et pour mettre l'Europe devant un fait accompli, que le député le plus populaire des Flandres, Constantin Ro-denbach, la reprit le 23 novembre. Elle souleva une discussion passionnée. Les adversaires de la proposition invoquaient les dangers que son vote ferait courir à Anvers et à Maestricht, les catastrophes qu'elle attirerait sur le commerce et sur l'industrie, l'effet désastreux qu'elle produirait sur l'Europe. Mais le sentiment populaire s'imposait trop violent aux députés pour les rallier à cette argumentation opportuniste. Le 24 novembre, par 161 voix contre 28, le Congrès écartait « à perpétuité de tout pouvoir en Belgique » les membres de la famille d'Orange-Nassau. LE PROTOCOLE DU 20 DECEMBRE 1830. -C'était provoquer la Conférence que d'empiéter ainsi sur les droits qu'elle s'était réservés. L'impression à Londres fut déplorable. Les libéraux, en revanche, applaudirent à cette affirmation du droit révolutionnaire. Lafayette en l'apprenant, félicita le Congrès d'avoir « si fièrement répondu à l'Europe » (11). Par bonheur, les événements tournaient à l'avantage de la cause belge. Le 19 novembre, la victoire des Whigs venait de faire succéder, en Angleterre, le cabinet Grey au cabinet Wellington et de donner le portefeuille des Affaires étrangères à lord Pal-merston. Quelques jours plus tard (29 novembre), l'insurrection de Varsovie empêchait le tsar d'envoyer ses troupes au secours de Guillaume. Il n'était plus douteux désormais que la Conférence consentît à laisser aux Belges l'indépendance qu'ils s'étaient donnée sans la consulter. Elle la reconnut par son protocole du 20 décembre. C'était reconnaître en même temps le principe de la souveraineté nationale dont cette indépendance se réclamait. De même que la création du royaume des Pays-Bas avait été en 1815 la manifestation la plus caractéristique de la réaction contre le droit des peuples, de même sa dissolution en 1830 attesta le recul de la politique monarchique et légitimiste de la Sainte-Alliance. Une ère nouvelle s'ouvrait dont la révolution belge fut le prélude. Mais par cela même que le protocole du 20 décembre avait une signification plus haute, il importait de l'entourer de plus de garanties pour en assurer la durée et l'accommoder à l'équilibre européen. Comment s'y prendre afin de conserver à la Belgique, ce point sensible de l'Occident, l'indépendance qu'elle venait de conquérir, mais qu'elle serait évidemment incapable de protéger contre les convoitises, les ambitions ou les agressions de ses voisins dont elle avait été depuis tant de siècles le champ de bataille ? Le problème était d'autant plus délicat que chacune des Puissances se réservait d'interpréter à sa manière la déclaration à laquelle les circonstances l'avaient acculée. Bien des difficultés restaient à vaincre, bien des intrigues à déjouer, avant que l'œuvre fût achevée et que la Belgique reçût enfin le statut qui devait placer sa nationalité restaurée sous la sauvegarde de l'Europe. NOTES (1) J'emprunte ces mots très justes à de Gerlache, op. cit., t. II, p. 84. (2) De Potter, Souvenirs personnels, t. I, p. 179 et suiv. (3) Histoire de Belgique, t. V, 2» édit. (Ed. Lamertin), p. 474 et suiv. (4) Je résume ici les idées qu'il exprime dans ses Souvenirs personnels, t. I, p. 179, 214, 342, t. II, p. 178, 181 et passim. (5) Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, p. 48 (Bruxelles, 1837), ne reconnaît de droits politiques qu'aux citoyens possédant «le revenu nécessaire pour exister indépendamment de toute volonté étrangère ». Il en prive les salariés comme « dépendant d'autrui ». Ses idées, qui n'envisagent le gouvernement que du côté politique, étaient celles de tous les libéraux belges. lis croyaient sincèrement instituer la démocratie (Voy. Huyttens, Congrès national, t. I, p. 248), et c'est en réalité de la vouloir instituer que le roi et les Hollandais les blâmaient. Il faut reconnaître d'ailleurs que le système électoral établi par le Gouvernement provisoire fut attaqué comme trop peu populaire par des membres du club de Bruxelles et par quelques journaux. Voy. Buffin, Documents, p. 273. Le 16 octobre, à la suite des réclamations d'un grand nombre d'habitants des campagnes, le cens fut réduit de moitié pour les électeurs ruraux. (6) L. de Llchtervelde, Le Congrès national de 1830, p. 35 et suiv. (Bruxelles, 1922). (7) De Potter, lui-même était d'ailleurs partisan du suffrage restreint. Voy. Souvenirs personnels, t. I, p. 154. Il est intéressant de remarquer que Condor-cet, dont la pensée a tant agi sur les démocrates au début du XIXe siècle, se défiait aussi du suffrage universel. Il se flattait de parer à ses inconvénients par l'élection à deux degrés. Voy. H. Sée, L'évolution de la pensée politique en France au XVIII' siècle, p. 288 et suiv. (Paris, 1925). Au contraire, les constituants de 1830, par crainte de la pression gouvernementale à laquelle se prête l'élection à deux degrés, considéraient l'élection directe comme indispensable à rétablissement de la liberté. (8) Elle fut votée par 75 voix contre 71. Félix de Mérode, s'attendant à la voir repoussée, s'écria : « 11 ne valait pas la peine de faire une révolution. » Voy. ses Souvenirs, t. II, p. 244. (9) Sur les sources de la constitution, voy. E. Descamps, La constitution belge comparée aux sources modernes et aux anciennes constitutions nationales (Bruxelles, 1887), et La mosaïque constitutionnelle. Essai sur les sources du texte de la constitution belge (Louvain, 1892). (10) Voy. sa brochure intitulée : L'association du peuple de la Grande-Bretagne et de l'Irlande (Bruxelles, 1838). (11) Lafayette, Mémoires, correspondance et manuscrits, t. VI, p. 474. TABLE GENERALE DES MATIERES DE LA FIN DU REGIME ESPAGNOL A LA REVOLUTION BELGE LIVRE PREMIER La fin du régime espagnol. Introduction ........................................................................... page 9 I. — Jusqu'à la mort de Charles II ......................................................... page 13 La paix des Pyrénées. — Intervention des Provinces-Unies. .— L'Espagne et les Provinces-Unies. — Le droit de dévolution. — La guerre de dévolution. — Misère des Pays-Bas Catholiques. — La politique hollandaise. — La guerre de Hollande. — La guerre de 1673-1678. .— Après la paix de Nimègue. — Impuissance de l'Espagne. — Guerre de 1683-1684. — Guerre de 1690-1697. — Maximilien-Emmanuel de Bavière. — La paix de Ryswyck. .— Mort de Charles II. — Notes. II. —• Les cinquante dernières années du régime espagnol.......................................... page 35 Faiblesse de l'influence espagnole. .— Détresse financière du gouvernement. — Maintien de l'autonomie du pays. — Esprit conservateur des institutions. — Projets de canaux. — Politique économique. — Le comte de Bergeyck. — Troubles à Bruxelles. —■ Stagnation artistique. — Décadence intellectuelle. — Le Jansénisme. — Notes. LIVRE II La guerre de la succession d'Espagne. I. — Le « régime Anjouin » ............................................................ page 55 Les projets de Louis XIV. ,— Attitude de Maximilien-Emmanuel. .— Esprit de régime. — Le personnel du régime. — Le Conseil du roi. .— Réforme militaire et financière. — Mécontentement du pays. — Persécution des jansénistes. — Notes. II. — La guerre de la succession d'Espagne................................................... page 65 Ramillies. — Les puissances maritimes et l'Autriche. — La conférence. — Résistance du Conseil d'Etat. — Misère du pays. — Froissements religieux. .— La Belgique barrière des Provinces-Unies. — Protestation des Belges. — Révocation du Conseil d'Etat. — Les paix d'Utrecht et de Rastadt. .— Le traité de la Barrière. — Notes. III. — Le pays de Liège ............................................................... page 79 Maximilien-Henri de Bavière. — Opposition du prince. .— Alliance du prince avec Louis XIV. — Intrigues des puissances à Liège. — Louis XIV et les Liégeois. — Insurrection contre le prince. .— Victoire du prince. — Fin de l'autonomie urbaine. — Le règlement de 1684. .— Jean-Louis d'Elderen. — Guerre contre la France. — Joseph-Clément de Bavière. — Le prince et le chapitre. — Joseph-Clément s'allie à Louis XIV. — Rapports de Liège avec l'empire. — Notes. LIVRE III Le régime autrichien. Introduction ........................................................................... page 97 I. — L'établissement du régime............................................................ page 99 Mécontentement général. — Politique de Charles VI. .— Négociations avec la Hollande. — Evacuation de la Belgique. — Réforme du gouvernement. — Impopularité de Prie. — Troubles de Bruxelles. — François Anneessens. — Projets économiques de Charles VI. — La compagnie d'Ostende. .— Opportunisme de Charles VI. — Marie-Elisabeth. — Effets salutaires de la paix. — Disparition du jansénisme. — Les protestants. — Situation de l'Eglise. — Notes. H. — La politique autrichienne et la Belgique sous Marie-Thérèse et Joseph II........................... page 121 Guerre de la succession d'Autriche. — Alliance austro-française. — Projet d'un Etat Belgique. — Rupture du traité de la Barrière. — Tentative de rouvrir l'Escaut. — Le Traité de Fontainebleau. — Notes. III. — Le gouvernement ............................................................... page 133 Caractéristique générale. — Charles de Lorraine. — Les ministres plénipotentiaires. — L'intervention de Vienne. — La nouvelle bureaucratie. __ L'autonomie provinciale. — Les Etats des provinces. — Le gouvernement et les provinces. — Situation privilégiée du Brabant. — Notes. IV. — Le mouvement économique ......................................................... page 141 Le relèvement économique. — Chiffre de la population. — Progrès de l'agriculture. — Les petites fermes. — Décadence des communautés rurales. — La législation des grains. — Routes et canaux. — L'organisation du transit. — Les manufactures nouvelles. — Les corporations de métiers. — L'industrie linière. — La draperie. Les industries du métal. — Les charbonnages. — Insuffisance du crédit. — Le paupérisme. — Notes. V. — Le mouvement intellectuel ......................................................... page 157 Influence de l'Eglise. .— Décadence de l'Université. — Etat de l'enseignement. — La « philosophie ». — L'absolutisme éclairé. ~ Cobenzl. — Anticléricalisme du gouvernement. .— L'Académie. — Réforme de l'Université. .— La police intellectuelle. — Francisation des mœurs. — La langue française. — La langue flamande. — Décadence artistique. — Les académies des Beaux-Arts. — Triomphe du goût français. — Notes. VI. — Le pays de Liège ............................................................... page 175 Liège et l'Empire. — Liège et les Pays-Bas. — Le prince et les Etats. — Georges-Louis de Berghes. — L'affaire de Herstal. — Jean-Théodore de Bavière. — Velbruck. — Caractère industriel du pays. — La politique économique. — Liberté de l'industrie. ~ Les charbonnages. — L'armurerie. — La clouterie. — La draperie verviétoise. — Le prolétariat industriel. — La vie intellectuelle. .— Propagation des idées nouvelles. .— Notes. LIVRE IV La révolution brabançonne et la révolution liégeoise. Introduction ........................................................................... page 197 I. — Les réformes de Joseph II............................................................ page 199 Les idées de Joseph II. — Joseph II en Belgique. — Le gouvernement de cabinet. — Le fébronianisme. — L'édit de tolérance. •— Suppression des couvents. — Les séminaires d'Etat. — Agitation dans le clergé. — Réformes civiles. — Débuts de l'opposition. .— Réforme générale de l'administration. — Opposition des Etats. — Agitation générale. — Reculade des gouverneurs. — Obstination de Joseph II. — Députation des provinces à Vienne. — Les préalables indispensables. — L'opposition et les griefs religieux. — Tactique de Trauttmansdorff. — Maladresse du gouvernement. .— Gravité de la situation. — Obstination de l'empereur. — Refus des impôts. — Suppression des constitutions. — Abolition de la Joyeuse-Entrée. — Soulèvement du pays. .— Notes. II. — La révolution brabançonne ......................................................... page 235 Le parti des Etats. — Le parti des patriotes. — Les patriotes. .— Le manifeste du peuple brabançon. .— Succès des révolutionnaires. .— La chute du régime autrichien. — Attitude du clergé. .— Les statistes. — Le congrès. .— Opposition des patriotes. -— Intervention de la Prusse. — Mort de Joseph II. .— Le manifeste de Léopold II. — Exaspération des patriotes. .— Mouvement dans l'armée. — Impuissance du Congrès. — Insurrection des démocrates. .— Mouvements démagogiques. .— Anarchie. Notes. III. — La révolution liégeoise ............................................................ page 255 Caractère de ses tendances. — Hoensbroech. — L'affaire des jeux de Spa. — Conflit constitutionnel. — Progrès de l'opposition. Résistance de Hoensbroech. — Intervention du peuple. — Le 18 Août. .— Assemblée des Etats. .— Exigences du Tiers-Etat. .— Emeutes populaires. — Intervention de la Prusse. — Les Prussiens à Liège. — Progrès des démocrates. — Mesures de défense. .— Notes. IV. — La restauration .................................................................. page 271 Le Congrès renforcé. .— Impuissance du Congrès. — Marche des Autrichiens. .— Léopold II. — Mécontentement général. — Influence de la France. — Les Liégeois et la France. — Intransigeance des Liégeois. — Fin de la Révolution liégeoise. — Notes. LIVRE V La conquête française. Introduction ........................................................................... page 285 I. — Jemappes ........................................................................ page 291 Mécontentement des Belges contre l'Autriche. — Le Comité des Belges et Liégeois réunis. .— Premières opérations militaires. — Dumouriez. — Projets de Dumouriez sur la Belgique. — Dumouriez et les Vonckistes. .— Les Jacobins liégeois. Les administrations provisoires et les clubs. — Opposition des conservateurs. — Annexion imminente de la Belgique. Le décret du 15 décembre 1792. — Protestations contre le décret. .— Les commissaires de la convention. — Mécontentement général. — Les votes de réunion à la France. — Retour offensif des Autrichiens. — La restauration autrichienne. — Opposition des conservateurs. Notes. II. — Fleurus ........................................................................ page 311 Les Alliés et la France. — Conquête de la Belgique. — Etat de l'opinion. — Administration de Bouteville. — Introduction de la législation française. — Situation du clergé. — Francisation de l'administration. — Disparition définitive de l'ancien régime. Les élections de 1797. .— Succès électoral des conservateurs. — Réaction conservatrice. .— Les conséquences du 18 fructidor. — Vexations antireligieuses. — Menées antirépublicaines. — La guerre des paysans. — Fin de la guerre des paysans. — Persistance du mécontentement. .— Découragement général. .— Notes. LIVRE VI Le consulat et l'empire. Le nouveau régime ........... Effets du 18 brumaire en Belgique. Caractère censitaire du régime. — Accueil favorable du régime. — torale. — L'administration locale. .— Le concordat. — Pacification religieuse. .— Bonaparte en Belgique. -des choses. .— Régularité de l'administration. — Retour de la prospérité. — Napoléon en Belgique (1810). ...... page 351 L'organisation préfec- - Acceptation de l'état — Notes. II. — La situation économique............................................................ page 367 Prospérité du pays au XVIIIe siècle. — La bourgeoisie et la Révolution. ~ La crise de 1794-1798. — La liberté économique. — La vente des biens nationaux. — Débuts du renouveau économique. — Accroissement de la population. — Le rôle de l'Etat. — Les industries textiles. — L'industrie minière. — Le travail et le capital. — Condition des ouvriers. — La libre concurrence. — Notes. Les écoles centrales. — Les lycées. — La francisation linguistique .. page 385 L'attraction de III. — La situation intellectuelle et morale Désorganisation de l'enseignement. — Paris. — La presse. — Notes. IV. — La fin du régime ............................................................... page 393 Conséquences du Concordat. -- Désaffection du clergé. .— Rupture avec le clergé. — Nouvelle crise économique. — La conscription. .— La police. — L'affaire Werbroeck. — Etat des esprits en 1813. — Les opérations militaires en 1814. — Notes. LIVRE VII Le royaume des Pays-Bas. I. — La nouvelle barrière............................................................... page 405 Les Belges et les Alliés en 1814. — Gouvernement du pays sous les Alliés. — Les Belges et la maison d'Autriche. — Inquiétudes de l'opinion. — Projets des Alliés sur la Belgique. — Les origines de l'Union Belgo-Hollandaise. .— Guillaume d'Orange et les Alliés. .— Guillaume, gouverneur de la Belgique. — Création du royaume des Pays-Bas. — Guillaume, roi des Pays-Bas. — Notes. IL — L'amalgame ..................................................................... page 419 Contraste des Belges et des Hollandais. .— Disposition des Belges. .— La loi fondamentale. .— Revision de la loi fondamentale. — La loi fondamentale revisée. — Agitation contre la loi fondamentale. .— Rejet et ratification de la loi fondamentale. — Le roi Guillaume. — Notes. L'installation du régime............................................................ page 431 Inauguration de Guillaume. — Crise économique. .— Caractère monarchique de l'Etat. — Prépondérance des Hollandais. .— Caractère napoléonien de l'Etat. — Emigrés français et libéraux. — Le roi et les libéraux. — Conflit du roi et des évêques. .— Condamnation de Monseigneur de Broglie. — La presse. — Nationalisation administrative. — Réforme de l'enseignement. Imposition de la langue nationale. — Impopularité du régime. — Renouveau économique. — Mécontentement du clergé. — Le clergé sous l'influence française. ~ Les édits de juin 1825. — Le collège philosophique. — Agitation des catholiques. — Rupture des catholiques avec le roi. — Notes. III. .............................. page 453 Louis de Potter. — Lamennais et les catholiques belges. .— - Le pétitionnement. — Attitude du roi en face de l'opposi- IV. — Les partis et le gouvernement.......................... Impossibilité de l'amalgame. — Orientation nouvelle du libéralisme. -Union des catholiques et des libéraux. — Opposition parlementaire, tion. — Imprudences du roi. — La lettre de Démophile. — Notes. V. — La Belgique de 1815 à 1830 ......................................................... page 465 Le prolétariat. — Situation de l'industrie. — Intervention du roi en faveur de l'industrie. — La Société Générale. — L'agriculture et le commerce. — Echec du gouvernement en matière intellectuelle. — Continuation de l'influence française. — La langue française. — Défaut d'influence hollandaise. — La langue flamande. — Prédominance de l'influence française. — Notes. LIVRE VIII La révolution. I. — La séparation .................................................................. page 479 Fermentation générale des esprits. — Le roi en face de l'opposition. — Influence de la révolution de juillet. — Attitude des francophiles. — La Muette de Poctici. — Intervention de la garde bourgeoise. — Bruxelles au pouvoir de la bourgeoisie. — Propagation de l'insurrection. — Députations au roi. — Le prince d'Orange devant Bruxelles. .— Le prince d'Orange à Bruxelles. — Orange consent à la séparation. — Appel du roi à la Prusse. — Les modérés débordés par les violents. — Les libéraux et la France. .— Tendances démocratiques et révolutionnaires. — Les Etats-Généraux votent la séparation. — L'anarchie à Bruxelles. — Notes. II. — Les journées de septembre ......................................................... page 499 Les défenseurs de Bruxelles. — L'attaque de Bruxelles. — La commission administrative. — La retraite des Hollandais. — Le gouvernement provisoire. — Insurrection générale du pays. — L'armée révolutionnaire. — Attitude de Louis-Philippe. — Le prince d'Orange à Anvers. — Le bombardement d'Anvers. — Intervention des puissances. — La conférence de Londres. — La suspension d'armes. — Notes. III. — Le gouvernement provisoire et le congrès national.......................................... page 517 Puissance du gouvernement provisoire. — Organisation du pays. — Proclamation des libertés. — Attitude de de Potter. — Election du Congrès National. — Ouverture du Congrès. — La Constitution belge. — Proclamation de l'indépendance. — Le protocole du 20 décembre 1830. Notes. Table des matières .................................... 533 -. -- ERRATA et ADDENDA aux notices accompagnant les illustrations 43. Au lieu de : Sous ce texte, les écussons des neuf « nations », lire Sous ce texte, les écussons des provinces des Pays-Bas. 75. Au lieu de Traitée d'Utrecht, lire Traité d'Utrecht. 134. (Référence). Au lieu de Secrétariat d'Etat et de Guerre, lire Secrétairerie d'Etat et de Guerre. (Notice). Au lieu de at l'assemble, lire a l'assemble. 168. «L'Epoux par supercherie». Au lieu de Boisy, lire Boissy. 261 et 263. La constitution du Tribunal des XXII date de 1343 et non de 1373. 269. La clé-insigne est conservée à Liège, musée Curtius. 336. Carte de ravitaillement. Au lieu de 1, 6, 11, 21 et 26 pluviôse de l'an IV (= 21, 26 et 31 janvier, 1 et 15 février 1795), lire 1, 6, 11, 16, 21, 26 pluviôse de l'an IV (= 21, 26 et 31 janvier, 5, 10 et 15 février 1796). Valable pour le début de l'année 1796, la carte a été délivrée le 15 nivôse de l'an IV ( = 5 janvier 1796). 363. Ces monnaies sont conservées à Bruxelles, Bibliothèque Royale, Cabinet des Médailles. 499. Au lieu de : à gauche : garde d'épée du capitaine Chaltin, combattant de 1830, lire : à droite : garde d'épée du capitaine Chaltin, combattant de 1830. 503. Au Magasin de Caricatures : au lieu de n° 7, lire n" 17. 515. Au lieu de : ...président du Congrès national, de Gerlache, lire président du Congrès national, Surlet de Chokier. de Gerlache lui succéda le 25 février 1831, jour de l'intronisation de Surlet comme régent. Pages L'IMPRESSION DE CE TROISIEME TOME, EDITE PAR LA RENAISSANCE DU LIVRE, A BRUXELLES, A ETE ACHEVEE EN OCTOBRE MCML. O COMPOSITION, TIRAGE DU TEXTE ET DES HELIOGRAVURES PAR C. VAN CORTENBERGH, IMPRIMEUR - HELIOGRAVEUR, A BRUXELLES. O LES CLICHES DES REPRODUCTIONS EN COULEURS ONT ETE EXECUTES PAR LES ETABLISSEMENTS A. DELOGE ET TIRES A L'IMPRIMERIE LACONTI, A BRUXELLES. M «a ïfe m. S* ■ srr i » E. j* S I /yM'x m Ur,/ ii'i i - f ! fV : A" - ... ' : -i Wi P | - m £ % ^ mk wm m* | Ç # Jfth , ''.b # je # s « _ sV