ODILOri-JEAÏÏ PÉRIER La Vertu par le Chant POEMES BRUXELLES OSCAR LAMBERTY, ÉDITEUR 70, Rue Veydt (Quartier Louise) ODILOM-JEAM PÉRIER La Vertu par le Chant POÈMES BRUXELLES OSCAR LAMBERTY, ÉDITEUR 70, Rue Veydt (Quartier Louise) « De quelles cérémonies l'honorer ce démon que je loge en moi, qui m'entoure et me pénètre ? De quelles cérémonies bienfaisantes ou maléfiques ? Vais-je agiter mes manches en respect ou brûler des odeurs infectes pour qu'il fuie? De quels mots d'injures ou glorieux le traiter dans ma vénération quotidienne : est-il le Conseiller, le Devin, le Persécuteur, le Mauvais? Ou bien Père et grand Ami fidèle ? J'ai tenté tout cela et il demeure, le même en sa diversité. — Puisqu'il le faut, ô Sans-figure, ne t'en-vas point de moi que tu habites : Puisque je n'ai pu te chasser ni te haïr, reçois mes honneurs secrets. » Segalen [Stèles : Stèles du Milieu.) UNE MARÉE NOCTURNE Ma chambre garde au cœur une vertu glacée; ce soir d'hiver je suis son plus rude ennemi. Mais je puise une faim de victoire et de cris dans le silence même où elle est enfoncée. Sans peur, sans joie, avec une voix mesurée mûrie et nourrissante à la façon des fruits, je dis que mon poème est heureux de la nuit. Il se forme et il monte avec un bruit d'armée. Pour ce dieu résonnant d'une excessive faim je déchaîne dans l'ombre en élevant la main une très studieuse et très ardente fête; c'est bien. J'éteins la lampe et je serre les dents : ma chambre se soulève. Avec l'aube, les vents enflent la voile. Et nous partons dans la tempête ! MIROIR Une vertu d'attention refait le monde à mon image : ce poème sans passions est le plus calme des voyages. Les yeux se ferment pour goûter mon repos au bout de l'espace; cherchez la quantité de grâce qui est dans l'immobilité. Est-il un miroir où le sage voit un sommeil plus apaisé? Où Dieu descend comme un nuage paisiblement, se reposer? — Or si je penche un regard triste sur cette eau qui contient la nuit, Dieu s'y dissout sans aucun bruit, mais mon attention subsiste... PRIÈRE POUR ÊTRE SAGE Ah! ne me soyez plus, orgueil, d'aucun secours. Cet hiver épuisant me laisse trop sincère et j'ordonne avant tout une force sévère à mon cœur fatigué d'inutiles détours. Il ne me reste plus qu'un misérable amour et le secret de l'Ange égaré sur la terre; mais écoute! Je sais une route légère, j'imite Dieu avec ce rire de velours... Que ferais-je à présent de votre 1 oui de vie? Montrez-moi le chemin des vagues endormies, laissez-moi découvrir un rivage inconnu; et que m'agenouillant sur ces plages parfaites par le bruit d'un poème et des eaux satisfaites la grâce de la mer augmente ma vertu. DÉFAITE Je ne suis pas parti : ma chambre m'a vaincu. Pourquoi si durement aime-t-elle ce corps? Pourquoi clouer au mur mes coudes prisonniers? Et pourquoi me garder debout en face d'elle? C'est vrai, j'avais menti : j'ai désiré la gloire, -— Ce besoin de m'enfuir ne fut pas un essor — mais au moins si ma voix demeure belle et fraîche ah! que l'on me soutienne un peu sous les épaules! — Appuyé aux fenêtres (et derrière cela à la nuit maritime où les mouettes souffrent), je médite un combat léger et foudroyant, un vol inattendu à l'immobilité... J'avance! Je nourris une ardeur sans égale! — Et transporté soudain de colère et d'orgueil, pour connaître les fruits que porte mon malheur, je secoue en criant ce grand arbre nocturne! la cène 17 LA CÈNE Tu ne t'es plus, Seigneur, assis à cette table. Aussi impatient de passer que le sable, parce que je suis seul je parle du bonheur. Ayant mangé ces fruits, je goûte la liqueur. Ma récompense fut la grandeur de l'attente. L'orage peut noyer les routes éclatantes : admirable tu vins dans ma jeune saison par les portes d'Avril et le rude gazon. S — J'impose à mon plaisir cette cause pieuse. Car ces mois sont pareils aux eaux tumultueuses où l'arbre plein d'amour retombe convulsé. Qu'ils coulent! Je prévois l'abondance future, et dans tous les vergers je ressens le murmure d'une arche qui s'ébranle aux confins de l'été. SOLUTION Ancré dans ce port de feuillages ton navire calme, enlacés les arbres au-dessus pressés par les mouvements les plus sages, vas-tu n'emprunter ses mirages au Songe antique et délassé que pour d'un remords très glacé secouer l'importun nuage? Ne taris point l'amère nuit! Ce flot est tout chargé d'ennui. — Mais implore l'Océanide : par maint lieu de verdure et d'eau que d'une étoile elle te guide à son maritime tombeau. ALLUSION AUX POÈTES Désireux de tenir l'été dans ma demeure je tue un lièvre gras et l'emporte au cellier. Le goût de la saison s'y cache tout entier avec l'odeur de l'herbe et ses voix les meilleures. Sans doute, ce trésor sera bientôt pillé et comme des raisins les mouches violentes naîtront dans sa fourrure aujourd'hui rayonnante. — Mais c'est une leçon qu'on ne peut oublier. Car, mon ami, si tu implores les poètes, ils vont te révéler de dangereuses fêtes : puisant dans leur mémoire une vive beauté, ils composent des vers où brille la souffrance et montrent, orgueilleux de leur grande opulence, quelque poème lourd comme un lièvre tué. RÉCRÉATION Muse des champs je vous rejoins. Ouvrez votre aile, mon amie, nous allons conquérir la pluie et mille foudres dans les foins. Ce minuit pâle, je l'accueille, où le peuplier des jardins hésite, se plie, et soudain, pêche la lune au ras des feuilles. Mais demain, ma fidèle amie, ivres de verdure et d'émoi, nous célébrerons les prairies, nous nous baignerons dans les bois. Et si les flûtes de la vie aux cris du seigle ont répondu, je vous dirai, sans ironie, que ce Dimanche m'était dû. RETOUR NOCTURNE Ah! cytise renaissant tu te gonfles de musique! Les collines d'Occident que couronne du froment seront mes chars bucoliques. Lourds de brouillards et de nuit (0 mon maître en poésie), sages princes qu'on poursuit par la lumière et le bruit, (princes que l'on supplicie), buvons le thé violent dont les hommes froids s'enivrent! Dans un silence éclatant un dieu m'entoure, me prend, — et rit de me sentir vivre. JEUDI Saisons épuisantes, je ris d'un voyage. Quelle ombre étonnante fend le paysage! Printemps et naufrage : lueurs parallèles, tombez! Le feuillage vous mange et vous mêle. Ma sœur passagère ignorante et sage depuis ces bruyères suit plusieurs nuages d'un doigt féminin fait pour le dessin. RÉCOMPENSE 0 corps tout secoué de prochaines musiques! Lié contre la table où pèse ton sang noir, laisse-toi transporter d'un rire dramatique et de honteuse ardeur embellis ton espoir. Fils indigne de l'or natal, apôtre étrange, je désire la mer mon patrimoine bleu ; j'épuise tous mes cris dans les ailes d'un ange, je tente d'acquérir la sagesse du feu. Ah! que craindrait mon corps du printemps sur la Je vendange ma vigne avec gloire et colère, [terre? mon amour a repris la face de la nuit. — Et dans le bruit mortel que fait l'aube criante voici ! Je reconnais, généreuse et riante, la Muse au cœur flambant, la porteuse de fruits ! ITINÉRAIRE L'écume violette et crémeuse battue par le saule tenace ; le bronze creux mangé de mousses ; et la terrifiante vigueur d'un œil d'or dans l'eau pleine de feuilles : — Bassins de Flore. Ensuite l'avenue est douloureuse comme une génisse écrasée ; la banlieue donne le vertige ; dans une nuit solide éclatent les épices ; une église pleine de sang se balance aux crocs des boucheries; parmi les autres bêtes lourdes, Marsyas pend, comme un bœuf. Le parc retourné à l'envers remue ses viscères dans l'orage; un éclair s'y jette, le harponne, le noie dans la pluie, le tenaille. Puis les prestiges avec fracas retombent sur l'herbe ; les terres redeviennent publiques. Un pont blanc comme la mort s'élève, et redescend dans les feuillages. Vais-je traverser le jardin? — Ses arbres décharnés se tordent. On crucifie à leur sommet les paons hurleurs : une agonie étourdissante se coagule dans les branches. Quant au promeneur il peut se noyer dans un étang d'absinthe noire ; se tuer, plus vite, sur les ronces ; tomber en arrière comme un cèdre et aller nourrir les marais. Moi, lâche et pratique, je préfère suivre un sentier plus rassurant vers la demeure instruite et suspendue où mon ami s'attriste encore de sucrer un thé toujours pur et d'où, selon la forme des choses, je laisse retomber dans la pluie le manque d'espoir de mon voyage. PROJETS Tout contribue au philtre où baigne le poète. Cette chambre elle-même a des vertus secrètes. Ne me détrompez pas : tenu par son odeur je trouve à votre sang une étrange vigueur. Plions ce jaune corps à des songes pratiques! Moi ne tolérant pas qu'une maigre logique ravisse un si beau prêtre au culte de l'erreur, je vous dis pastorale et pleine de fraîcheur. A nous deux, cet hiver, indifférente épouse ! Sous la tonnelle morte aux couleurs de vos blouses je saccage sans goût les appâts désolés dont votre faux renom nourrit ma vanité. Puisque l'on m'a lavé dans cette eau corrompue je vais rester longtemps au tournant d'une rue pour recevoir de vous avec placidité le philtre desséché de ma sincérité. ADIEU A L'HIVER I Autrefois je fermais la porte. Je tirais les rideaux coloriés de ma chambre : j'étais dans une jungle ardente et silencieuse, dans le pays des tapisseries. Je murmurais : — « L'oiseau mangeur d'enfants écarte l'aile et des écailles nacrées scintillent près de son cou. Le camélia et la pivoine s'exaltent, s'unissent, bavent et saignent de plaisir. Des lianes, des algues épaisses limitent plus loin ces féeries. Cela est dessiné dans les rideaux. Je le vois... » La soie bleue des murs montait droit. J'étais le prisonnier d'une chambre pleine de murmures. Assis dans un fauteuil au fond de ce royaume, j'attendais un prodige. Et je disais encore : — « Un trésor de cercles s'abaisse du plafond brumeux à mon cœur. Des fantômes pleins d'aisance montent. Le faiseur de miracles dit que je suis ailé. O allégresse douloureuse! L'huile sainte a nourri des flammes; envolons-nous!... » Je sentais la maison entière se détacher du sol avec un bruit d'étoffe caressée. Tout s'élevait, dans un balancement. Les livres imitaient les vagues. Mon navire miraculeux faisait l'ascension du ciel. Le monde élastique s'étirait autour de moi. Je m'émerveillais. En haut d'une maison flexible pareille à une graminée, je pesais moins que la fumée des cigarettes... — Je voyais Dieu. II Je suis retombé à l'aurore. La chambre cruelle me traverse d'ombre et de lumières; nul ordre ne préside au mélange des couleurs. L'encre de Chine habille les meubles et la porte ; le jour sans art jette un feu blanc dans la bibliothèque éventrée; des livres nus reposent là. Vraiment c'est un riche trésor que je rapporte de voyage! Mon œil est mangé d'étincelles, ma tête est pleine d'eau, je suis en proie aux choses. Qui parle de Printemps? Il est juste qu'il pleuve. Laissez-moi épuiser un peu toute la force et toute la vertu de mon hiver. 0 pluie, je ne t'ai pas assez aimée, ô dédaigneuse, muse insociable des banlieues. Partons aujourd'hui! Que, l'aile mouillée et lourde, tu marches encore une fois dans les chemins équilibrés, dans la boue jaune. Un amour sans espoir me vient : je parcourrai des routes vides, je trouverai le Dieu nocturne. J'ai vaincu la neige et l'orage ; mais je crains le poème des feuilles, les philtres de la solitude... Me voici l'enfant de la pluie, le prêtre de l'ennui, l'ami des illuminations funèbres. Je suis retombé sur la terre et les murs de la chambre se rapprochent de moi. Il faut fumer. III Je prends la pipe de bruyère, rousse comme les bois de l'automne. Je la bourre d'un tabac fort. Grésillement. Une odeur de cassis se répand dans la chambre. adieu a l'hiver 39 Dans ma main qui aime sa douceur, ma pipe, avec un murmure, se réjouit de ma grande tranquillité. Je voudrais bien pleurer de joie et de tristesse... La pipe est si douce et si chaude, si pauvre entre mes doigts, si pleine de tendresse et de bonne volonté... Je crois qu'elle devient mon cœur... Je crois que, simplement, mon cœur est consumé dans la forme rose du feu de cette pipe... Ah! méditons encore un poème plus doux, épurons notre amour sans ombre comme la fumée du tabac. IV Je m'en irai, ai-je dit, dans les champs pluvieux, et je te fumerai, ma pipe. Je suivrai un des beaux chemins qui conduisent à la maison que j'aime, au bord des prairies creuses. Toutes les routes du monde y viennent, mes amis; je m'en vais seul, étant joyeux. Et ce cytise dépouillé qui sursaute et murmure (qui pleure à tous les angles, et tremble) comme, en riant, je le retrouve au seuil du palais de l'églogue! La grande route docile qui coule de la colline jaune, le long du sable, des ronces, du ciel, entoure comme un bras cette montagne réduite abandonnée par les lézards. Les tonnelles ruinées par la pluie s'appuyent à l'engrais profond de la banlieue, aux courbes du sable efficace. Les mousses de la sève retombent, mélangées d'eau. Et moi, plus sérieux, plus sévère, je désire des boissons intenses, des bières noires comme le sang. V Les lampions morts déteignent près de la cheminée, ridicules comme l'arc-en-ciel. Et de petites bougies tristes meurent dans le col des bouteilles avec un sifflement très pur. Ah! qu'aujourd'hui je pourrais être incomparable... Cette chambre humide mange vite les souvenirs ; elle n'en garde que l'attristante odeur ; elle isole de tout ma vertu fastueuse. Savant et dangereux docteur, je pousse une porte légère, j'écarte les volets naïfs : il pleut encore pour mon plaisir. Je vois au loin la ville comme une bête noyée. — Le poêle maladroit se gonfle de délices, se dore, et me réchauffe. Je caresse des dieux familiers dans son ventre. Il ronronne. La pluie augmente. Je suis heureux. Février 1920. Ainsi le nageur qui dévoile une âme paisible et profonde en se livrant aux vagues creuses. Ainsi le jeune homme insolent se désole devant la vie comme s'il la rendait meilleure. Entre deux heures du matin et le temps où le cœur bat moins vite, comme s'il voulait plus d'ardeur au plaisir dont parlent les hommes, comme si devant leurs bonheurs il appréciait sa tristesse, comme si beaucoup d'espérance jetait sur eux une lueur, — il voudrait connaître le vide, juger qu'il est délicieux ou s'il sait des choses meilleures. Entre deux heures du matin et le temps où le cœur bat moins vite, ce jeune homme plein de douleur ne se tourne pas vers les rêves. Que son orgueil éblouissant, radieux et nu, le protège! — Il épouse au milieu du monde sa vérité rude et brillante. Et il se réjouit d'apprendre à ceux qui vantent sa douceur, qu'il a trouvé un trésor froid dans un pays où vont ses voix, entre deux heures du matin et le temps où le cœur bat moins vite... ÉGLOGUE DÉSOLÉE Amour dont je chéris la fourrure mouillée quand remue à ton cou ce minable ornement, laisse-moi du beau corps que tu meus sagement peindre la vraie image austère et dépouillée. Je t'emporte avec moi, masque de porcelaine, silencieux esprit de la rue en été. Quand, écœurante enfin par trop de chasteté, l'odeur des eaux pénètre une terre plus saine, quand la ville mûrit comme un fruit altéré, sous la pluie et le gaz favorable aux baisers, je sais que ton œil jaune a des feux indomptables. — Mais, guerrière, ta voix qui m'enchante et m'ac-je la viens étouffer dans tes cheveux épais, [cable — et qu'un poème pur consacre notre paix. complicités 49 COMPLICITÉS Tu le vois sans t'irriter : ma fenêtre belle et sobre aux ruisseaux du jaune octobre s'égale par la clarté. Plonge alors dans mon jardin tes bras mouillés de ténèbres : le feuillage est plus funèbre que ces gestes incertains. Ce sont là deux perfidies de l'été. Je t'en préviens : déjà trop d'antiques liens à cet enchanteur te lient. Secoue un peu les trésors impalpables qu'il te donne, — et nous attendrons l'automne comme des marins au port. POUR LE PRINTEMPS J'ai longtemps résisté. Voici : on m'a vaincu. Je salue le Printemps sur l'eau, comme les autres. Je commence les chants de la faiblesse sur l'eau la plus limpide du monde. Au bord d'une rue peu fréquentée meurt le grand trouble des hommes, et les pierres bleues sont douces comme la paume des mains. Je voudrais m'asseoir sur ces dalles en fumant ma meilleure pipe; je suis paisible et ridicule. Remarquez bien dans tout ceci une tristesse profonde : un corps et un cœur qui se vident avec une mystérieuse rapidité. N'est-ce pas? J'ai vu il y a peu de temps les bornes de ma divinité; je plonge entièrement sous les hommes. Maintenant on ne voit plus que les pieds nus de l'apôtre. Ne m'entoure pas de trop d'enfants, ou bien apprends-leur mieux à lire. Que les qualités de ma phrase transportent l'ombre. Que les qualités de ma voix mûrissent dans un cœur nocturne. Imitant l'abeille je cherche la rosée et la buée. Pourrez-vous encor l'empêcher? Il faut perdre cette existence par négligence. — Ah! qui comprend que tu es triste? Je te chercherai, mon amie, je t'aimerai bien et longtemps. Regardez quel air d'héroïsme j'ai sous les rires de l'amour. „ Aidez-moi à tenir ces pivoines sublimes : le bouquet est lourd. Je sais que je voudrai mourir si vous dites le mot : prudence... — La couleur des yeux n'a pas d'importance; je voudrais une amie d'été. Or c'est le Printemps qui commence. — Soyez surnaturelle par la simplicité, Soyez miraculeuse par la tranquillité : je vous aime bien, je vous le dirai, — mais comment pourrais-je vous reconnaître? Des arbres se penchent contre l'eau et d'autres poussent dans la vase, mes rames s'embarrassent de longues herbes, l'églantine d'eau, la rose verte, s'allient dans cette profondeur pour me combattre. Voici des choses aériennes : un saule, un frêne, mes amis. Ils sont dépouillés de leur âge l'hiver joue avec leurs formes ; le bourgeon voyageur va naître à l'extrémité d'un rameau. Petite maison peinte en vert du montreur d'oiseaux; un murmure : de gros pigeons s'envolent qui ont l'air de lapins blancs. Un mouchoir mouillé qui claque les soutient dans l'air. C'est une mécanique pleine d'huile. Ils pèsent plus lourds que des canards. — Pigeon harmonieux, je t'aime : tu fais le bruit des navires. Avec la gorge, musique bien réglée des billes; sur les ailes naturelles, la couleur d'un beau vernis. Envolez-vous, appesantis par la crème ou par le lait des Jeudis et des Dimanches. Je vous quitte, gros amis nourris avec du maïs. Les autres pigeons vous vénèrent : vous l'emportez par la lourdeur, vous êtes bruyant par le cœur, vous avez l'aspect du bonheur. Moi je vous laisse : j'ai trop de choses à chanter. Ah! tant de choses! — La barquette sur l'eau noire (sur l'eau bleue qui a l'air noire) la barquette où je fume écrasé par le ciel. Mon amie ne veut pas ramer; je tourne dans la baie du lac. Je suis joyeux comme les arbres. La grâce de l'eau me saisit. — Tant! tant de choses! Et les réverbères, cette nuit, avec leur ombre sous leur corps comme une auréole trop grande qui est tombée et qui remue, plus doucement que dans l'automne le fin vêtement des amours. Belle ombre, il faut que je te chante! Que je te prenne autour de moi! Je suis comme une petite fille, je veux sauter à la corde dans cette ombre négligée, dans cette auréole d'air. Est-ce que tu touches la terre ce soir, corps impondérable? Plutôt n'es-tu pas au ciel dans le pays de la Lyre? Et c'est encor vous! Et c'est encor vous, maison bleue! Maison des champs et des routes que contient mon cœur. Je suis tourmenté de songes et transporté de douleur quand je revois vos avoines avec leur couleur... Les beaux bois où l'on se plonge, les coteaux qui se rejoignent... Tout ce lieu unique au monde où les dieux ont leur domaine! Maintenant, le chant d'absence... je salue un Printemps gris entre le gaz et la lune de la ville indifférente. Et la terre déchirée me révèle avec grandeur que l'angoisse est dans mon cœur comme une plante arrosée. Mars 1920. IN MEMORIAM Puisque mon frère aîné ne parle plus de gloire, laissez-moi lui donner cette chose en mémoire de tant d'incertitude et de tant de vertu : la pluie au mois d'Octobre et mon jardin vaincu. Dans ce grand atelier qu'un jour désert habite, j'allume par détresse une lampe insolite et, certain de manquer à quelque horrible loi, je m'imagine avoir une nuit devant moi. O nuit dans l'atelier, mobile et décevante! Ma solitude au moins voulut être savante ; cet enfant exilé riait de son pays, et s'il se souvenait d'avoir désobéi aux règles que gardait un brûlant paysage, il tenta d'élever tous ces parfaits ouvrages dont des socles déserts ne disent plus le sens. Hélas! a-t-il suffi de l'odeur que je sens au monde de la pluie, aux arbres de ce monde, a-t-il suffi d'un mois où notre lampe ronde sans le savoir succombe à la clarté du jour pour que ce cœur se trouve étranger à l'amour, pour que vers mon ami je me tourne et m'attriste? Quel merveilleux regret autour de toi persiste, — toi, qui fus, oubliant ton hiver et tes biens, porté vers un Printemps dont tu ne savais lien ! Ah ! si mon frère aîné ne parle plus de vie vais-je pouvoir encor louer ma fantaisie? Et ce désir secret d'un guide et d'un devoir est-ce comme un trésor qu'il faut le recevoir? Patience! à présent c'est le mois de la pluie. Je ne veux plus chanter la méchante ironie, je vis suivant les jours et comme eux indécis. Six heures du matin, d'automne et de soucis; huit heures, si j'entends les pommiers sous l'averse. Qu'avec simplicité mon passé se disperse! — Je ne puis, fin gazon, dire que je t'aimais, tristesse, j'ai laissé ton miel que je chantais... Et comme un enchanteur renonce à des prodiges, je soumets mon amour aux lois qui le dirigent. LE VOYAGEUR PRÉVOYANT Ma ville a des chemins serrés comme des herbes S'écoulant le long d'elle et recouvrant son corps. Tous également purs, également superbes, Ces fleuves bigarrés n'ont pas besoin de ports. Chaque jour, je le crois, contient une marée Qui grandit et m'enlève, ô lampe, à vos lueurs. Les routes que je suis ont une destinée, Je ne résiste pas à leur grande douceur. Frère de ces oiseaux qui vivent dans les vagues Je ne change le sort que s'il est sans raison. Amour il faut laisser vos attitudes vagues Si vous voulez dormir dans ma froide maison. Le mouvement de l'eau, des cités, des poèmes, Comble paisiblement un silence infécond. Le redoutable hiver se retrouve en lui-même : La mémoire est encor un grenier plus profond. Si tu veux me tenter, il te faut plus d'adresse : Laisse, je ris de toi, laisse-moi vanité! — Non ! ce n'est pas en vain que, t'ayant surpassé, Ce cœur gonflé de sang refuse la sagesse. CERTAINS ANGES I A ce travail passe une vie : mais je cherche de rue en rue le beau et clair et vieux visage d'une amitié pleine de ruses. Viens, amitié, un peu souffrante sous ces lumières hypocrites, un peu défaite, un peu troublée par le spectacle de la ville : beaucoup d'anges sont en vacances dans la banlieue que nous aimons; mais confie-toi à leur sourire brillant de bonne volonté, mais sous la tonnelle battue et fatiguée par la poussière, écoute ces deux-ci conter la grande misère des songes; écoute-les l'un après l'autre déplorer leur incertitude : un dialogue désolé se poursuit au milieu des feuilles... II Le premier ange n'a plus d'ailes; il habite un jardin public, et il dit que les jeunes filles se moquent de son beau visage; il sourit d'être si timide, il fait un geste d'indulgence, il célèbre le calme immense de son jardin avant le soir. Car cet ange modeste et sage habite à côté d'un étang et de l'étang monte un jet d'eau qui rend son âme pacifique. III Le second ange parle bas. Il dit que le Printemps est lâche; et il exprime le bonheur selon ses bonheurs d'aujourd'hui. Il dit : « Mon plaisir, le Dimanche, n'est pas celui des tristes hommes. Comment trouver quelque silence dans cette ville où bat le cœur? Quel fol amour désordonné se perd à toutes leurs minutes ! Et que de joies ils ont serrées dans une seule après-midi! — Malgré tout, aurais-je la force de combattre leur grand sourire, ces lèvres belles et humides, ces yeux où remue un peu d'or? Non ! plutôt que de rester sage dans cette vive humanité, je me compose une allégresse avec l'excès de mon orgueil. » IV Ainsi ces anges courroucés parlent aux nuits de la banlieue. — L'amitié que je poursuivais est assise entre eux sous les branches ; elle enseigne aux cœurs attentifs, avec beaucoup de patience, que les poètes et les anges se ressemblent parmi les hommes, que leur bonheur parle très bas, que leurs ailes sont abîmées, et que la meilleure des choses est le silence d'un ami. Mai 1920. MANQUE D'ILLUSIONS I Muse, rappelle-toi l'enfant aux genoux maigres que nous vîmes, gonflés de rancune et d'amour, prendre nonchalamment le chemin du retour sous mille arbres blessés de ses rires allègres ; sans trop y réfléchir aux gloires de ce corps le souvenir ajoute une Raison sereine — et pourtant nous l'avions reconnu fort humaine aussitôt qu'elle eût fait les gestes du remords... manque d'illusions Qu'en dire (si déjà nous retrouvons ces choses d'un cœur bien plus égal qu'il n'apparait souvent) sinon que des bonheurs formés logiquement nous attendent, sans doute, où tu me les proposes? Contre ma chambre nue une ville résonne d'harmonieux travaux, de sauvages loisirs. Elle veut m'arracher à mon meilleur plaisir. — J'écoute s'efforcer ce monstre monotone. J'écoute, dans le ciel plus épais qu'un rideau un oiseau discordant crier qu'on se réveille, le jour industrieux monter comme une treille, et sonner le feuillage où frappe un fleuve d'eau. Muse, le cœur me fend au milieu de leur vie : je crois à la beauté des travaux patients. Si nous demeurons doux chez les hommes bruyants, est de toi qu'ils riront, ma sainte Poésie. — Ah! quittons cette chambre et suis-moi, déguisée. Si le deuil est ici la parure des dieux ils te reconnaîtront à tes splendides yeux. — Et si leur existence est toujours aussi gaie, ton corps éblouissant comme un poignard, ton par la danse terrible et le poème sombre, [corps quand tu dépouilleras les voiles et les ombres leur montrera ta vie au milieu de leur mort. Pages Adieu à l'Hiver................35 I. — « Autrefois je fermais la porte... » . . . . 35 II. — « Je suis retombé à l'aurore... ».....37 III. — « Je prends la pipe de bruyère... » . . . . 38 IV. — « Je m'en irai, ai-je dit... »........39 V. — « Les lampions morts déteignent... »... 40 Petit Jour...................43 Eglogue désolée................47 Complicités..................49 Pour le Printemps...............51 In Memoriam.................61 Le Voyageur prévoyant.............65 Certains Anges.................67 I. — « A ce travail passe une vie... ».....67 II. — « Le premier ange n'a plus d'ailes... » . . 68 III. — « Le second ange parle bas... ».....69 IV. — « Ainsi ces anges courroucés... ».....70 Manque d'Illusions...............73 I. — « Muse, rappelle-toi l'enfant... »......73 II. — « Contre ma chambre nue... ».......74 Des Presses d'Oscar Lamberty Éditeur 70, Rue Veydt (Quartier Loujse) Bruxelles Achevé d'imprimer le 10 juillet 1920 OSCAR LAMBERTY, Editeur 10, RUE VEYDT (Quartier Louise), BRUXELLES D"ecaracciolo dl Brîenza Max Deauville. . René db Masny . . Maurice des Ombiaux Prosper-Henri Devos Jean Dominique . Georges Eekhoud Georges Feld . George Frémières Charles Gheude Cécile Gilson . Albert Giraud . Franz Hellens. Joseph Jeangout Camille Lemonnier François Léonard Marcel Loumaye Georges Montgrant F.-Charles Morisseaux Jane M'Punda . Fernand Navaux Lucie Pauwels . Georges Rency. Georges Rens . Léon Souguenet Abel Torcy . . Gustave Vanzype Ernest Verlant Pour les Heures Intimes... L'Amour dans les Ruines . Le Cavalier Blanc . . . Lettres d'un Revenant. . Farces de Sambre-et-Meuse. Petit Traité du Havane. . Monna Lisa..... A rOmbre des Roses . . Kees Doorik..... Les Chants de la Misère et du Devoir . , . . . Yor....... Nos Années Terribles . v Celles qui sont restées . . Le Laurier..... Les Hors-le-Vent . . . Le Rouet d'Or .... Edénie (Tragédie lyrique) Babylone....... Le Triomphe de l'Homme . L'Ombre de la Guerre. . Le Sentier des Névroses . Bobine et Casimir . . . Histoire d'une Vie . . . Etreintes...... Françoise en Belgique . . Frissons de Vie.... La Lyre aimante . . . Les Monstres belges . . La Route de Timmimoun . A l'Ombre des Saules . . L'Exode...... L'Exil...... Les Hôtes du Soir . . . L'Œil sur les Ostrogoths . 3.5o 3.5o 3.5o 5.oo 3.5o 5.oo 3.5o 3.5o 6.00 S.oo 2.00 i5.oo 5.oo 5.oo 3.5o 3.oo 2.5o 3.5o 3.5o 2.5o 3.5o 3.5o S.oo i.5o 5.oo 3.5o 2.5o 3.5o 3.5o 3.5o 5.oo 5,oo 4.00 5.5o OUVRAGES ILLUSTRES Maurice Gauchez Charles Gheudk Théo Hannon . Baron Lahure . Edmond Picard . André Pilette . Images de Hollande. . . 2.5o Paysages de Suisse. . . 2.5o La Chanson populaire belge. 5.00 Au Clair de là Dune. . . 3.00 Lettres d'Afrique . . . 3.5o Imogène......3.00 A travers l'Afrique Equa-toriale......20.00