1 franc 75 Select- Collection J.-H. ROSNY DE L ACADEMIE GONCOURT La luciole ROMAN E. FLAMMARION, Éditeur, 26, rue Racine. La Luciole OUVRAGES DE J.-H. ROSNY AÎNÉ de L'ACADEMOE GONCOURT PUBLIÉS PAR LA LIBRAIRIE E. FLAMMARION Collection in~i8 Jéiut. ROMANS LA FILLE DES ROCS. LES PECHERESSES. LA FILLE D'AFFAIRES. UNE JEUNE FILLE A LA PAGE. LE CŒUR TENDRE ET CRUEL. LES FEMMES DES AUTRES, L'AMOUR D'ABORD. L'ETONNANT VOYAGE DE HARETON IRONCASTLB. LA JUIVE JRAEKEi, ET L'AMOUR). DANS LA NUJT DES CŒURS. ftELL HORN {roman de moturs londonienne»). LE CHEMIN D'AMOUR. LES PURES ET LES IMPURES {» »ol.) L'AMOUREUSE AVENTURE. PERDUS î Aventura héroïques Jt ta Guerrt, ... ET L'AMOUR ENSUITE. L'APPEL DU BONHEUR. I ÉNIGME DE GIVREUSE. NOUVELLES L'ASSASSIN SURNATUREL. CONFIDENCES SUR L'AMITIÉ DES TRANCHÉES. J.-H. ROSNY DE l'ACADEMIE GONCOURT La Luciole ROMAN ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR 26 RUE RACINES, PARIS POUR PARAITRE PROCHAINEMENT, le n° 283 OCTAVE M1RBEAU de l'académie Goncourt Contes de la chaumière Le Catalogue complet de SELECT-COLLECTION — qui comprend déjà plus de deux cent soixante-quinze titres — est à la fin de ce volume. Nous ne sautions trop vous conseiller de le consulter? vous trouverez, assurément, dans cette admirable liste, un certain nombre de chefs-d'œuvre du roman contemporain que vous souhaiterez lire ou relire, et que vous pourrez acquérir pour un prix relativement infime. SELECT "COLLECTION est une collection unique en Trance La Luciole LE SOIR AUX LUCIOLES Jean Savigny s'attendait à trouver un géant, mais non cas attaches de lion, cette face bar- bare, avec les yeux d'eau changeante des Cbu- rons ou des Francs Ripuaires. et cette énergie éparsc qui flambait à chaque parole, à chaque geste de Vacounine. Fait pour l'admiration, le jeune homme tressaillait de plaisir, tandis que son compagnon considérait le Slave avec le môme regard dont il eût enveloppé, chez Bar- num. l'homme à la tôle de pierre ou le monstre de Bornéo. La causerie durait depuis longtemps déjà, le crépuseule agonisait sur le lac de Lugano. Et Vacounine, continuant à fourrager sa mé- moire vaste comme une forêt, accumulait les anecdotes : — Oui, s'interrompit-il soudain, j'ai beau- coup aimé votre trère. Un de ceux qui percenl d'un regard jusqu'au fond du marécage. Ce n'est pas lui qui se la serait laissé faire par ce bourgeois chatouilleur de Michelet.. D'ailleurs, l'ai l'intuition. Il n'y a qu'à vous voir, vous courrez libre sur la steppe... Cette maison est ta «otrel Il tourna ses yeux énormes vers le compa- gnon, petit homme à besicles, faible sur jambes et au souffle ebétif : — Dégoûté, hein? clamât il... Nous ne pre- nons pas parti ; bous noua fichons de la liberté' — Quelle liberté l lit le petit homme en souriant. Celle de vivre? Je ne suis qu'un lumi- gnon qui fumet Celio de penser? Je n'éprouve jas le besoin de 1« taire en place publique. ]eîle do circuler? Je ne sors pas en temps de E pluie. Celle de gagner mon pain? Je le gagne. — Celle des autres! gronda le Slave... Il faut que chacun puisse brouter a son saoul et mugir à sa guise... Mais nous aurons l'occasion de boxer : je vous garde à dîner; nous avon3 Lampuniani... Celte voix qui, depuis deux heures, sonnait comme une cloche, lit silence. Alors commen- çai eut des minutes profondes. L'attention de Jean, détachée de Vacounine, allait se reporter vers le lac, mais une lueur mouvante la solli- cita. La petite flamme dansait sur les herbes. 11 crut voir un feu tbîteî et s'arrêta pour le considérer. La petite flamme allait, venait, capricieuse à la fois et régulière, pure et froide comme un astre. Elle accéléra son vol, elle décrivit un trait d'étoile filante. Dans la cendre du iour éteint, elle avait un charme subtil, léger, qui retenait le jeune homme. Bientôt, elle se multiplia. Sur toutes lc-3 pelouses, parmi les fantômes des thuyas, les feux s'élevèrent en longues spires, en lacis, en filets d'émeraude argentine : ce fut, sous les constellations du firmament, d'autres constellations mouvantes, dansantes, une fête d'astres minuscules donnée par l'Amour — car toutes ces lucioles n'étaient que de petits phares passionnés. « Mes premières lucioles », pensa îean. L'éclair d'une grande lanterne, allumée de- vant la maison, coupa sa rêverie. Il se retourna cl tressaillit; un homme et une jeune femmeLA LUCIOLE s'avançaient vers VaeCîinîna : l'homme, trapu comme un petit taureau, une fane couleur tabac turc, où les joue» taisaient deux caves, des jeux luisants et faux, à demi clos, des» jambes difformes de grosseur, mais aussi élastiques que Celles d'un ehat. Ile la vieille panne verle, une ceinture rouge et un chapeau conique cou- vraient ce personnage. Jean le regarda à peine. Tout le saisissement de beauté a inerte » qu'il Tenait d'éprouver à ta vue des choses, il le retrouvait en beauté humaine dans celle femme. Mais la promesse du bonheur devenait presque une souffrance devant les \eux buveurs de lumière, devant le sounre traversé d'uu éclair d'argent, devant le pâle el surprenant yisage. Et il resta figé, pendant que la voix immense de Vacounine criait : — Salut, bomo deunquente... le se! et le tabac on! bien passé sur le Kaltecé'.' Le sei- gneur Acquapendenie st-il reçu mon envoi î — Tout est parvenu, sior Vacounine! ré- pondit l'homme d'une voix terreuse. Sior* Ac- cguapendeute vous envoie des lazagnes iraîchesl — Bon. Tu passes la nuit à Lugano? ™ Non, sior Vacounine... jo dois être 4 Tavesco... — Mais tu ne pars pas tout de suite? -- Pas avant dis heures. Si vous avez quelque chose à passer, je viendrai le prendre — C'est ceia. Tu goûteras mon chianti nou- veau et la |olie si»nora un asti spumaiile qui tonne comme le canon. La jeune femme sourit, avec un geste à la fois si joli et si somptueux que Vacoumne battit des mains : — Giovanni î s'écria-t-il, celle ci est la reine dn Tessin. Gare à la marchandise! Les dents de Giovanni apparurent brillantes et cruelles, tandis qu'une férocité joviale riait autour des yeux faux. — La marchandise se garde elle-même! répondit-il. il fil signe à sa femme de le suivre et dis- parut. — C'est un homme libre! dit Vacounine. J'ai toujours eu la passion des contrebandiers. Ces gens qui ne veulent pas reconnaître la loi et qui rompent les frontières sont les seuls à pratiquer le nihilisme, car les voleurs des villes sont des propriétaires. Je confesse, ce- dendant, que Giovanni ne m'est pas sympa- thique. Sa vie privée me dégoûte II a fais une esclave de cette charmante créature — il la hait plus qu'il ne t'aime — il la lient au chenil ou à la laisse, sans répit. Elle est certainement malheureuse! Si j'étais jeune, si j'étais le Va- counme qui courait le steppe comme un cheval kirghise, il me semble que j'aurais du 1. Oa mirai scion. Squiv*lei>! de signore en ènlecte lessinois, plaisir à'risquer ' le" eântean et le fnsfî de ce. hmunepour délivrer la petite! Alaisje ne suif plus qu'un-■vieux pou... — Vous dites qu'il la bail .. Rst-ce par jalousie?demanda Jean d'une voix tremblante, Vacounine l'enveloppa d'un regard chaud et apitoyé : — l'anvre petit!., déjà l'air du lae! Pas de blague! Cet homme vous planterait un pied de ier dans la mamelle : il n'y a pas de chirur- gien qui connaisse aussi bien les bonnes places. Je ne sais pas Ou tout s'il es! jaloux, au sens où nous l'entendons Ça lui est par exemple tout à fait égal que sa femme l'aime ou le déleste — tout à (ail égal qu'elle en aime un autre En amour, il ne connaît que le physique — et la pnipriétél Son oncle Ârrnauio et lui ont établi une garde qui vaut celle de tout un collège d'eunuques. — Je ne désire rien que faire son portrait, balbutia Savigny. Vacounine se mit à rire immodérément : — Esi-ce que je m'exposerais à charnier uni petit Cauanel dans mou sein? La première vache pelée est plus intéressante à peindre que celle femme... Que la nature nous chatouille avec la beauté féminine, c'est son rôle. Mais l'art s'y ravale! — Quand le beau n'est pas fade, il reste,! aprèslout, notre principal enseignement d art!1 Le regard de cette femme, aième sur uns toile, vaut mieux que celui d'une vache. — Mon petit, ça n'est pas franc! dit ronde- ment le colosse. Vous avez envie de revoir DesoJina, —et du reste, si c'est possible. On peut la revoir , niiis quant au reste, il voua faudrait d'abord estourbtr deux hommes ; ce n'est pas vous qui le feriez et c'est ce qui ma rassure .. Malgré tout, je vous déconseille de la revoir, même avec les intentions les plus vertueuses. Ça vous gâterait le séjour et ce serait dommage : Et considérant le polit homme à besicles : — Est-ce que vous avez de l'influence sur votre ami ? . — Aucune. Je n'en ai pas sur moi-même : comment pourrais-je en avoir sur les autres? — L'ironie? — 11 y est presque insensible. ïî suit ses yeux, puis son ouïe, ensuite son odorat. D' leurs, aucun bon sens. — Ah! iecoquin, esî-il heureux! cria Vacou- nine... S'il doit mal mourir, il aura bien vécu... Quand on est comme ça — et j'étais comme ça —la Sibérie même est un parad Eh ' voilà Lampuuiani ! Un homme i prolil de César, mais aux yeux' légers e! vifs d'Arlequin, ventre en pomme, énorme bouche gourmande, venait d'appaiaiire sous la lanterne li dilatait ses narines et riait; son nez et ses paupières respiraient la joie :LÀ LUCIOLE — Beux Parisiens qui ieront de nos amis, fit le Slave en présentant les jeunes gens au gros homme. Jean Savigny flaira peut-être sur léchataud, mais il peindra bien et mangera du plaisir. Philippe Cormières mourra dans son lit. il présenta ensuite l'arrivant J — L'illustre professeur Franccsco Lampu- niani ... le seul homme d'Europe qui sache l'histoire véritable du pape Innocent X et celle de la mise à l'index des doctrines de Jansen. — Je croyais lé savoir! fît Lampuniani en soupirant... ma je viens de découvrir des docu- ments nouveaux... Voyez-vous, il n'y a pas un seul fait historique qui n'ait en lui de quoi occuper la vie rie cent hommes.,. L'histo>re, elle, ne pourrait être convenablement faite que par une dizaine de millions d'historiens et d'archéologues. Encore serait-elle à recom- mencer de fond en comble au bout de vingt ans. — Tout est dans tout l repartit Cormières ; dès lors, l'histoire entière est dans chacun de ses faits. Lampuniani se mit à rire, avec la candeur d'un enfant : — Elit Vacounine, pour 16 moment, Lam- puniani est tout entier dans son ventre. ■— A table, alors... En route, on ramassa les trois filles de l'hôte, trois vierges énormes, à profil de caniche, L; front noyé de cheveux fîaves. Elles avaient de beaux yeux de glace bleue, des peaux claires et comme tachetées de vieil or, des lèvres tri.; rondes, roses, courtes et joviales : — ia tribut dit Vacounine, avec une gaicL; tendre. Elles rirent ensemble, un rira de gorge qui leur rendait la poitrine, un rire innocent et gaas cause comme celui des nègres. __ Notre père ne nous a pas averties, fil l'une d'elles d'une vois lente... vous allez très mai manger... des choses du pays! — Salifié caviarl interrompit Lampuniani en jetant vers ce hors-d'œuvre un regard de complaisance. Et pu;», nous né masigeoas pus mai dans lé pays. Dec fleurs du iae serpentaient sur la petite plaine neigeuse de la nappe et parmi les gla- çons des cristaux. Quelque chose de |ojeux et d'intime émanait de cette salle ouverte sur ia nuit. Jean oublia pretque ia femme du contre- bandier dans le petit friss»» d'aise qu'une table Étince'ante éveille chez un homme jeune et Sensuel. Peut-être, à son issu, la présence de $nyeux mangeurs l'induisait-elle. Lampuniani disait : __Il ne faut pas faire un dieu de sou ventre! Et il mit dans son assiette une énorme cuil- lerée de-caviar, pareil â du savon noir : il l'éta- Ùïît sur son pain avec méthode. Les vierges géantes et Vacounine imitaient copieusement son exemple, tandis que Cormières, avec dégoût, se servait un globule de la mixture. Deux immenses brochets suivirent. Jean, qui se croyait gros mangeur, vit avec stupeur ces bêtes fondre en moins d'un quart d'heure. À lui seul, Vacounine en mangea trois ou quatre livres, le professeur lui tint presque tète, les vierges couvraient leurs assiettes jusqu'aux bords : — Lé poisson, c'est léger! fit remarquer Lampuniani. — U faut qu'il nage? dit Vacounine en se versant de larges rasades d'Yvorne. — Ces gens du Nord, remarqua Lampuniani, boivent trop au commencement du repas. A mon avis, il né faut pas, avec lé poisson, dépasser une bouteille par tête. ii flaira le rôti qui faisait son entrée parmi des herbes odoriférantes : — Vacountne, fit-il... je suis sobre pour ia reste... mais pour le rôti, je vous tiens tête'. C'est le mets du travailleur. Le fait est qu'il en dévora sis ou sept tran- ches, mais Vacounine en engloutit Se double. Ensuite, le Russe nettoya un poulet, puis la moitié d'un gigot do chèvre avec des platées de lazagues et de risotto. En silence, placides et souriantes, les jeunes fil les suivaient honorable- ment un si bel exemple. E les avalaient le chianti et le bourgogne comme des vignerons. Jean, daas cette atmosphère voraca, était peu à peu saisi d'admiration. Ces être3 lui semblaient d'une autre humanité, une humanité commen- çante qui, avant de conquérir les civilisations, se charge d'énergie. Quant à Cormières, il les contemplait avec une sorte d'épouvante il se sentait use pauvre, débile, presque mourant» créature devant des ours ou des morses, — et, en même temps, il se retenait pour ne pas rire. —- j'en ai assez! s'écria Lampuniani. Décidé- ment, lé Nord l'emporte. Mais aussi, vous périrez par l'estomac La gastrite étreini dé\k l'Angleterre et les tflats-Ûnis. Demain, ce sera le tsur de l'Allemagne et dé la Piussie. C'est par Sa sobriété que les races latines reconquerront le monde... — La sobriété, riposta Vacounine, est une vertu négative. Elle peut servir à prolonger des existences; elle ne préside qu'à des croissances dé biles. Selon la mode du pays, la ininestra, épaisse soupe au riz, fît alors son apparition — et le sobre Lampuniani trouva encore de la place pour une vaste assiettée Quant à Vacounine, il déclara qu'elle facilitait la digestion et vclou- lait l'estomac : il en reprit deux fois. Après ce repas de fauves, l'heure du café fut délicieuse. On le prit sur la terrasse, au clair des étoiles et des lueioles. Alternativement, le professeur et le nihiliste racontaient des arec»I LA LUCIOLE dotes. Tous deux avaient une mémoire infinie et le don des images; une bonhomie déiicieusa émanait du Latin, tandis que le Siave répan- dait une éloquence rude, pleine d'invectives, coupée dc-ci de-|à,-en aig-zag, da quelque Subtilité fumet ■— Et quelles nouvelles des Oreggiatt*? de- manda Vacounine. ~ Ils se remuent du côté de Tessere!e, dit le professeur, j'en ai des nouvelles par Gennaro Tagliamente qui prétend qu'ils prépareat un •soulèvement. Vacounine chanta en faux bourdon % lis font leurs saîes excréments, Bans des vases en porcelaine!.. *.......s < * On les guillotinera; Messieurs les propriétaire», Et le peuple sourirai — Voire peuple est une grosse bête S s'écria Lampuniani. — Oui, ouï, je sais... fit Vacounine en cli- gnant de l'œil Vous tenez à vos vignes, illustra professeur... vous y tenez plus qu'au bonheur de l'humanité. — Kh I mon ami î il y a longtemps que tous cens qui veulent ie bonheur de l'humanité devraient être dans les maisons de fous Qu'est- ce que les pauvres gens atteints de ia manie des grandeurs è côté de ces hommes-là'/ Des turios d'herbe à côté de bambous!... Sérénis- iima cousin du tzar, tous vos marchands de drogue nihiliste ou d'élhir socialiste sont des enfants qui jouent avec des allumettes... — 1!lustre professeur, vous périrez sur l'échafaud ! — Sérénissime cousin du tzar, ?ous finirez ?OHs tes douches! Vacounine jeta un tendre regard vers le gros professeur : —■ Un homme qui prépare si bien le mines- Gros*! — On homme qui îe mange avee tant de génie 1 Les grandes filles ofirirent des alcools, et de eouveau le silence du bonheur, à peine entre- coupé de la clameur plaintive da quelques gre- nouilles, régna dans le jardin de Séerie. On apercevait confusément le lac, par les inters- tices des arbres; sa face sombre, tachetée d'astres, vacillait imperceptiblement, — À propos, dit brusquement Vacounine, en *«3 tournant vers Savigny, si vous voyagez dans 1. Les « longues oreilles s, sobriquet à rasage de» êCaservateurs lessinoia. Orecthiati, en italien. 3. Plat milanais qai se fait avec des hari&oîa blancs, ie U trips coupés en fisse» SaBières» i& parmesan ci ge poivre ronge. la Vaicolla et dans les environs, Gennaro Ta- gliamente ne serait pas un mauvais guide. 11; est fin, rusé, très brave, et, si on lui est sympa- thique, il s'attache. 11 adore Lampuniani et- m'aime assez bien. Pour nous faire plaisir, il se dévouerait à votre service. Vraiment, vous yl gagnerez de voir le pays à fond, sans avoir àj redouter les tracas du « professionnalisme ».! Gennaro suivrait votre caprice, se contentant; de vous documenter au passage et de vous pré- venir des ennuis... Et de plus, cela ne coûterait; p;is cher : avec cent sous, Tagliamente est1 homme à se défrayer de tout, salaire compris...' ^ — Par exemple, intervint Lampuniani,; l'homme est un contrebandier ardent. Je ne crois pas que nulle caresse de femme pourrait; lui remplacer l'ivresse de grimper sur le Bal-' tech et d'y aller déposer son sac de tabac, de: sel ou de poiïdre. Au fond, une canaille. Je ne puis m'ernpêeher de l'aimer! j — C'est le plus honnête homme du monde, vieux propriétaire! grogna Vacounine. Son œuvre est sacrée, il fait la guerre aux gouver- nements! — Je pleurerais en le condamnant! fit Lam- puniani en roulant des yeux bouffes, mais, si j'étais juge, }e l'enverrais au ba»ne! — N'a-t-i! pas fraudé du tabac pour votre compte, sépulcre blanchi ? —• Je me suis borné & acheter du tabac pour un juge de Turin... un ami d'enfance, Ai-je à m'informer si les droits de douane ont ou n'ont pas été acquittés? Suis-je le gardien de l'Italie'i... 11 mit entre !e Slave et loi nn bastion de fumée et dit ai» Parisiens : — La tzar avait rudement bien fait d'en- voyer ce Vacounine en Sibérie!... Pour en revenir à Gennaro, je suis sûr qu'il vous plaira... Je vais vous remettre ma carte avei trois mots dessus. Ce sera le Sésame... Le professeur tira un portefeuille plus dé- iSIé qu'un lazzarone et en retira une carte minuscule sur laquelle il écrivit deux ligne* 3U erayon. ; — Voilà! Voulez-vous que j'y joigne votre ■oin, Vacounine? C'est fait. Si ça ne fait pas de bien... — Ça peut faire du mal! interrompit Vacou- nine. Nous creusons peut-être en ce moment votre fosse! Savez vous, Lampuniani, que ce jeune homme veut faire le portrait de ia Desa iina? — Un joli portrait ! dit paisiblement Lampn niani... il n'y a pas une tête de la Renaissance «i de l'Antiquité que je ne donnerais pour la sienne... — Mais regardez la jeûna homme 1 reprit le Russe. , — Eh! mon Bien, s'il n'était pas nn pe» agité, riposta Lampunianj, c'esl esolina consentait à une souffrance intermittente. La psnr et laj rage se balançaient dans son âme. Elle aimait' la via; elle savait que, si elle fuyait, Giovanni ferait tout pour la taire périr Cette certitude devait la maintenir en esclavage, taat que l'épouvante balancerait la fureur. L'étroite et vigilante surveillaacc qui s'exer- çait sur elle ajoutait à sa quasi-résignation,; Giovanni n'était pas seul à la garder. Un oncle du m:sri, homme déjà grisonnant, ne la quittait pas lorsque la contrebande exigeait une absence' de Preda. 11 avait pour celui-ci une amitié do bandit, profonde, sauvage, indestructible. Pau- vre d'intelligence, son instinct suppléait à tout, un flair de chien, une patience de chat, une extraordinaire divinatien pour tous les senti- ments simples qui, «ans l'espèce, devaient dominer de beaucoup le-; sentiments complexes. Entre ces deux hommes, Desoima passait une existence engourdie, avec de violants réveils de Initie et de douleur. Faite peur les passions vives, et pour tous les plaisirs, capable de fidé- lité comme aussi de ténacité, ni très bonne, ni très mauvaise, prudente a travers les colères les plus aiguss, craintive avec une capacité latente de bravoure, elle se sauvait du déses - poir par imprévoyance et par la facilité des gens de sa race à goûter les petites joies maté- rielles ou à s'exalter. Ce soir, à sentir le petit bouillonnement de l'asti contre son palais, et à oonteraplcr la cage aux lucioles, elle eut un plaisir d'enfant Mais lorsque Giovanni doaoa le signal da départ, «no ombre voila ses yeux féeriques. Avec un lourd soupir, avec un petit gesto nerveux, elle tourna la tôle vers lo tac et quand elle so dis- posa a obéir, pendant deux secondes, sou regard s'arrêta sur les yeux bleus de Jean. Elle eut uu léger sourire devant cette tête très blonde, et elle avait disparu depuis longteraps qu'il res- tait immobile, la tête lui tournant, « épouvanté d'admiration ». Deux heures plus tard, tandis qu'il achevait sou dernier «gare, à l'hélai du Hante-Gcneroso, Cormiêres se mit a dire : —- Tu me rendra* eetie justice crue je ne suis guère enclin à donner des ceiîseils. J'airno mieux admirer l'incohérence humaine en géné- ral et la tienne en particulier... Cer l'incohé- rence est encore la seule ehssa qui rende ne3 actes supportables. Cependant, je t'arrêterais par tes basques plulêt que da to laisser fran- clar un pont peurri... Mon vieux, ta vas gâter un voyage qui devait être ua enchantement. Tout promettait, a tes soixante-dix kilogrammes de viande, des plaisirs exquis Cette atmosphère folle, cette douceur fougueuse, les grimaces de ce peuple te meubleraient l'imagination pour plusieurs années. Passe «pie tu "compro- mettes tout cela si lu voyage touchait à s^ fia, mais su début1.UÀ LUCIOLE i\ Jean mSetolt sa moustache, — Je ne sais pas ce que je désire, fit—il à demi-voix. — PussiWe ' il serr.it abusif de t'accuser de prévoyance. Mais moi, je sais très bien ce que in veux faire et je sais aussi que, si je nô Réussis pas à t'en détourner, je ierai comm-3 toi. Je lais ri'aiiieuis abstraction de ma car- Jusqn'à un certain point, mon embète- est égal partout; tjnuique je n'aime ni les puces, ni les nourritures tron grosses, je sais m'ariapier... Puis, au fond, j'ai l'esprit pratique d'un vagabond Hais pour toi, mon vieux, c'est Bue autre aventure 1 Tu n'aslout rie même jamais vécu parmi des verimneux et des sauvages 1 — Avec de P argent... — Non 1... Avec de l'argent tu seros exploita, tn auras des puces, tu mangeras de la cha- rogne et tu sueras ridicule. Sans compter que tu risqueras dVveiller ries convoitises qui, dans «e pays, voisinent avec le couteau. Tu n'as pas peur, boni Mais tu n'aimes pas le danger... tu es trop voluptueux pour ça 1 Avec moins d'insou- ciance, je nsquerais plu- volontiers ma vie que toi... si j'osais avoir une passion 1 — Tu vois bien noir cette nuit! ; — Pas plus que d'habitude... Et après tout s'il y avait une issue possible, je n'aurais peut- être rien dit. Mais m ne nous vois pas lutter «vec un Bas-de-Cuir de la contrebande. e jour où nous devrons tirer ensemble sur la bêle'vivante ! — On !e verra: fit Giovanni avec mie voix caressante. . lis se menaçaient ainsi,sourdement, depuis des années, chacun ayant soin d'imposer dés Kmiies précisas a ses paro'es. Leur 'haine 'était puissante et d'une admirable patience. Mais ils nVtatent, ni l'un ni l'autre, hommes à féuiiî- cher sans avoir reçu ou lancé une insulte. Chacun avait son second, qui, au besoin, le • vengerait : derrière Giovanni se tenait fonde Armanio Palmieri, dont la ruse était infinie; dêmère Tagiiamente, il y avait Salvator, à la toss redouiable par sa force, par son adresse, et par son courage beaucoup plus Iraue et d'une trempe plus solide que celui ries trois mitres. A jeun, Salvator était inoflensif — il supportait même des railleries un peu grosses, chose très raie chez les Italiens Ivre, il deve- nait irritable, mais seulement dans la première Iériode de l'ivresse. Il suffisait alors de le lisser à lui-même. D'ailleurs, les mauvais plaisants échappaient facilement à sa suscep- tibilité en parlant un peu bas, car l'ivresse dé- terminait chez le maître maçon une violente crise oratoire. D'obscures doctrines humani- ianes sortaient rie lui avec la vapeur du nos- trano. il annonçait la délivrance de ses frères, mais surtout il déclamait contre le curé Celte harangue aboutissait presque invariablement à Bne démonstration devant le presbytère Salvator commanda les cinq bocali qu'il ve- nait de gagner, et en fit boire à la ronde, Toute la chambrée, selon la coutume, ayant Ïiris une goiiée, Salvator vida ce qui restait. 1 commençait à devenir expansil : —- Sior Savigny, cria î il, vous faites hon- neur au pays .. vous nous faites honneur en acceptant notre compagnie... car nous sommes des paysans 1 — Je suis un artiste 1 hurla Panscri, le peintre d'enseignes. — Je suis l'égal de tout homme vivant 1 dit Preda — Est-ce que ce nouveau venu n'est pas un hérél.-que'i miaula une dame ravagée par les puce-*. — îl nous fait honneur! répéta Salvator.,. Nous le valons, puisque tous les hommes se valent... Mais il nous fait honneur!... iJne partie de m orra s'était engagée dans un coin de ia salle. Les voix devenaient âpres et mauvaises : — Uno... due... cinquel Les doigts agiles frappaient sur la table et la passion de ce jeu primitit allumait ries tueurs de meurtre dans les prunelles Salvator commençait à boue plus hâtivement. Ses pa- roles se multiplièrent ; elles huaient en ondes retentissantes «mï domisiaîent Tes antres ondes, lîomrae le bruit du canon !e crépitement dea fusillades. Tout à coup, le curé le hanta. Ses cheveux parurent descendre sur son front ; une colère homérique enfla ses joués flambantes; il hurla : —- Amis et citoyens, n'est-il pas temps d'en finir avec ce prêtre simoniaque'' Tous levèrent la tête, intéressés, et se hâ- tèrent de vider leurs bocali. Alors le visage de Saivalor devint solennel. Il leva les bras en silence, franchit Sa porte du cabaret et marcha vers le pre:-bytère. Le crépuscule durait encore. L'améthyste, l'amure et le cuivre pleuvaient en flaques étincelantes sur le village. Et la maison du euré apparut tout enveloppée de grand* arbres, lépreuse léyardée et charmante .^alvator élar- git ses eniambées, avec le geste d'un semeur. Quand il atteignit le mur de clôture, il S9S dressa de toute sa hauteur et poussa une cla- meur profonde : -~ Sior curalo! L'écho répéta son cri ; les vieilles femmes et les entants accoururent ; les hommes s'assem- blèrent en cercle. Et la voix du maître maçon, belle et retentissante, répéta : — Sior curalo ! Dans le merveilleux crépuscule, les arbres du presbytère, trempés de pouipre et d'Iiya- cinihe, frémissaient comme des fleurs colos- sales. Les senteurs d'à la montagne passaient en ondes légères, en remous capiteux. Et Sal- vator, inspiré, les cheveux en flammes, laissa fluer les paroles : — Curé ! je suis saoul comme un cochon, et c'est ee qui me permet de te dire des choses justes : le vin me donne la vérité ! Tts as fait un dieu de ton ventre, tu as couru dans la montagne, et je ne raconterais certes pas tes actes abominables devant nos lemmes et nos petits enfants Curé, oserais-tu seulement te présenter «levant ton évêque? Attiré par le bruit, leeuié montra un instant sa lace ronde et ses yeux noirs pleins de malice. — Il est temps que le scandale tinisse! rugit le maître maçon. Il est lemps qu'une) voix ferme intervienne... La punition te pend an neal Tu ne riras plus des pauvres qui t'écou- tent... Aujourd'hui, esclave de mes vices, ia suis incapable de l'ouvrir le ventre, mais dé- ni un... tiemain, j'irai te découdre avec mon couteau... Sa voix était devenue terrible, elle remplis- sait l'espace jusqu'aux collines; le euré i'éeou- tait d'un an recueilli : — Oui, tu as encore la nuit pour te re- pentir... tu peux encore 'demander pardon à ton créateur... Mais demain matin, par la belia Biadaae, ce couteau fera sortir tes entrailles..,!4 LA LUCIOLE H n'acheva point. Une petite main sèche et Violente l'empoignait par sa veste ; il vit devant lui la seule créature terrestre qu'il redoutât, la flkma, son épouse légitime. — A la maison! cria telle, d'une vois de pie. Salvator essaya de résister : — Femme, c'est mon devoir de parler à cet homme { — A la maison! rcpéta-t-el!e. SalvaHor senlit l'impossibilité de toute résis- tance, il se tourna seulement vers la (ouïe et dit : — Est-ce juste? Et H emboîta le pas, en répétant avec dou- ceur : —- C'est la femme qui doit obéissance à son mari. Nona!... Tu le sais, pauvre créature — je n'aurais qu'à mettre le pied sur ta nuque... ou bien à te croquer entre mes doigts comme «ne noisette!. . Mais je dois considérer, Nona, que tu liens la maison en ordre, que tu gaules mieux les châtaignes que tou es les filles de Tavosco et puis que tu m'aimes... que tu m'aimes mieux que toi, belle Nona... il n'y a pas une autre femme qui aime autant son mari... et ce n'est pas (0j qU; me couperais ies Cheveux, mon cœur chéri ! Pendant que Salvator entraînait derrière lui tout le viHage, y compris Giovanni, Jean s'était glissé furtivement auprès de l'abreuvoir. 11 espérait y rencontrer Desoliua, et peut être l'y micontrer seule 11 ne lui avait jamais parlé encore, hors les quelques mots de salutation que permettait leur rencontre chez Vacouninc. Et tout à coup, tandis que le maître maçon ïssait de i'albergo, un désir (ou lui était venu d'échanger quelques paroles avec elle, si brèves et si insignifiantes fussent-elles. Il savait bien que, soit Giovanni, soil le vieux Palmieri, observeraient de loin la jeune femme. Mais de cela il ne concevait aucune inquiétude. Le contrebandier ne se souciait pas des choses impondérables, des choses de l'âme -— et ce qui avait empêché Jean d'adresser la parole à Desolina, c'était simplement la présence de tiers. Le hasard le servit. À peine il arrivait à la fcmlainc, que Desolina y apparaissait. Elle eut une courte hésitation, en voyant qu il n'y avait personne d'autre que le forestière. Mais avec son sourire grave, où il y avait toujours un peu de défi, elle s'avança. Quoique le crépuscule lût déjà en son mi- lieu, la tentai ne s'entourait de (eux. Une nuée jonquille semblait refléter sa lumière sur elle, et elle était en face d'une grande échancrure au couchant. L'eau, par surcroît, reflétait les rayons. Desdina portait une jupe rouge et,* pour cor- sage, une chemise aux manches mi-Ion gués. dont la blancheur était éblouissante. Ses pïeàV étaient chaussés de sandales étroites, à petits talons de bois. Sur l'herbe nocturne de sa che- velure, un morceau d'étofîe soufre luisait comme une flamme. Et toutes les lueurs éparses, tout ce conflit des couteurs tombées d'un firmament en fête, toutes ces nuances délicates et profondes que l'air et les nuages distillent avec les rais détaillants du soleil, parurent comme un vêtement d'éther ajouté au costume de la Tessinoise. Une oppression délicieuse empêcha d abord Jean de rien dire. Puis, tout bas, des paroles s'échappèrent de lui sans que son cerveau parût les a voir conçues : — Rien que de regarder votre visage, si- gnera, c'est déjà du bonheur ! Elle sourit avec moins de gravilê. Sa race comprend l'emphase. Ella aime un peu de rhétorique, môme lorsqu'elle saisit mal la phrase ou que la phrase n'a point de sens. Là- bas, un atavisme d'éloquence dort au fond des âmes frustes. Desolina ne répondit n'en. Elle tendit noncha- lamment une de ses deux cruches sous le jet d'eau. Ce geste dessina des lignes nouvelles sous la chemise blanche. — Savez-vous, poursuivit le jeune homme, que je ne suis ici que pour vous? Elle haussa les épaules. — Il ne faut pas vous moquer de moi. — Vous savez biea que je ne me moque pas de vous, (jui l'oserait? Elle tourna vers lui un regard de méfiance : — Il vaudrait mieux que vous vous moquiez de moi que de me parler ainsi... Sous le regard des yeux violels, rendus plus impénésrables par les clartés changeantes du crépuscule, il devint pâle de crainte : — Je ne voulais pas vous offenser! dit-il d'un ton suppliant... — Alors, il ne fallait rien dire... Je suis honnête! Elle s'était dressée. Quels que fussent les projets imprécis qui faisaient le fond de ses rêves, elle ne mentait pas en se disant hon- nête. Plus encore, elle était orgueilleuse. A me- sure que se prolongeait son humiliant escla- vage, sa personnalité devenait plus altière, e plus indomptable en espérance ». Ceux qui on! fréquenté assidûment quelques Italiens connaissent bien ce mélange de souplesse et de fermeté. Ces âmes savent se développer dans une étroite coquille et en sortent armées pour l'essor : Desolina, si elle devait échapper à sa prison actuelle, ne le voulait qu'en plein triomphe, en pleine dignité. Elis était peut- être prêle à risquer tout, même la mort —« mais contre une liberté sans tare. Et l'idée que le forestière oserait la désirer comme les riches désirent les tilloî pauvres la soulevait d'indignation.EtJkG •— Je suis sûr que yhm êtes iionftêi»! ré- pondit il d'une voix .tremblante.---./ ■■rto ■ — Alors, qu'est-ce que vous me.vaole»-? — Rien, signura... rien que vous voir,., rien que vous dire quelquefois que vous êtes belle, — Et pourquoi le direî ; _ :-~ Est-ce que nous n'aimons pas à la dire de tOBîe chose que nous admirons? ■■■•.- / »: Elle ne comprit pas.-quoiqu'elle no fût pas setie.Cesî qu'elle ne voyait pas ce genre de rapport. La comparaison entre une jolie nlfoet un joli objet ne se présentait à ses-yeux que sous la forme d un compliment. — Je ne veux plus que vous m'en paniez, reprit-plie Je ne unis pas avoir confiance dans Un forestière — Je oe vous demande pas de confiance non plus... Et si ce a vous offense, je ne vous par- ferai plus de votre beauté Je me contenterai de vous voir. Elle se demanda si le jeune forestière !nî tendait un piège, s'il avait l'esprit de travers, ou bien si, décidément, elle ne pouvait pas comprendre. El e finit par répondre, motus fâchée, mais peut-être plus méfiante : «— 1! n'y a.personne ici qui saurait ec que vous voulez «lire! — îl n'y a donc personne ici, dit-il vive- ment, qui pourrait aimer quelqu'un tout eu Croyant qu'on ne S'aimera pas 'I Elle ne put s'empêcher de sourire. Elle com- prenait : — Alors, c'est ça que vous vouiea dire* — Oui, ce n'est que ça! — Eh bnn! on ne peut pas empêcher- un Jmnime de vous aimer. Mais ou peut vouloir qu'il ne vous le dise pas. C'est eela que je veux, gior pitiore.,. On ne doit pas me parler d'amour... Elle tourna la tête ver* sa demeure; la mé- lancolie et la rancune errèrent sur ses lèvres. Elie dit : -~ ISous avons déjà beaucoup trop parié ensemble... et pendant que nous sommes Seuls 1 Cela peut nous donner des ennuis à fous deux... Klle prit gracieusement ses deux cruches, el ajouta en s'éloignant :-■■■• — Et puis, ?ror forestière, je ne suis pas si bête! Je sais ce que ça-veut dire aimer, quand ee sont des gens riches des villes qui viennent Bous le dire. Je me planterais plutôt un couteau dans le cœur que d'être une de celles qui les écoulent. Elle éiait partie. ïl venait de voir disparaîtra la jupe rouge ei la chemise blanche. Et l'en- t où elle s'était tenue et la fontaine gero- jbteK-nt des choses de légende, fantastiques et (fonces. . il était reparti dans la direction de fo. mmli- OI/É fg taefo..C'était le Élément oft la Temme de Sa!» vaior l'entraînait an milieu desriies. Le hasard m» Jean dans le voisinage de Giovanni et son è se rencontra avec celui du contreban- dier. L'homme eut un sourire, un sourire des pommettes, et ses yeux agiles, à la fois péné- traient et fuyaient ceux du jeune homme, il grommela : __ Vous aimez les fontaines, sior piltoreî \ Une ironie profonde, une menace déoaî-: «neuse-et sourde vibraient dans sa voix C7 plutôt voulu. S'il se confiait à sa vigilance, el à! celle de l'oncle Aimanio, il ne néuliueaii pas d'inspirer la crainte comme une sûreté de plus, il n'hésita point, au reste, il devança le jeune homme. Jean rentra chez lui. îl logeait dans îe mur de Panseri. C'était, chez le peintre d'enseignes, une grande chambre dont près de la moitié: tenait sous un mur courbe. L endioit était infi- niment plus propre que S auberge. Les six Mies rie l'hôte faisaient, pour le compte des fores- tien, une chasse impérieuse à la vermine, Philippe Cormières, qui redoutait les puces et les moustiques à l'égal des lion», avait Htslilué un petit système de primes, qui surexcitait l'ardeur de" ces jeunes Te.-sinoiues II payait en sommé te repos de ses nuits Aussi le mur de Panseri, la literie, les vêtements, les demoi- selles et le père lui-même étaient devenus des déserts de veimine —- su point que Panser! s'en inquiétait un peu, car, disait-il, * quand il n'y en a pas trop, les puces, c'est bon pour la santé ». Savigny trouva Philippe qui fumait sa pipe dans la muraille. Le logis avait de vagues airs de caverne, malgré un mobilier composé d'une table de chêne brut, de trois er-caoelles, de deux lits rudimentaires. Le piàfre s'enlevait Ear larges écailles, le plancher était de terre attne, avec une toile de chanvre par-dessus. Cormières, qui se trouvait mal à l'aise avec « ceux de Taveseo », passait ses journées à iire ou à peindre le paysage. Rarement, il parlait aux aborigènes, en dehors de Panseri, de ses six filles et de Satvakir. Mais Salvator n'était Visible que îe samedi soir — et alors ii sa Eaoulait en hâte — et le dimanche : -— Tu sens i'albergo ticineseî dit Philippe... et pour mon olfactif, c'est un degré plus bas que Se troquet de Charonne etl de la Kapée... — Mais combien plus passionnant? s'écria Jean... La vie de ceux-ci est riche, pleine de nature, de sève, et si naturellement artistel.... Puis, au fond, ce sont de bonnes âmes .. un peu vives, soif — mais délicieusement sociafosl — Us me font toujours penser à ces bêtes qui grouillent lorsqu'on soulève certaines pierres, riposta Cormières... on à des cancre- lats auprès d'un four ., Comme braves gens, ils çhattriïieraksit -père et mère,,.if LÀ LTTCIOLE — Tu ne fts comprend pas! <— Oui, comme je" ne te comprends pas! — Mon. Tu ne coïncides pas, reprit Jean avec feu. Tu n'as pas le sens de leurs vibra- tions, de leurs ryihnie3 .. Tu ne saisis pas tout ce qui passe de véhément, de voluptueux, de gai, rie bouffe, sur leurs physionomies. Tu es comme un loup devant une orange — Et toi comme un sapajou devant une grimace. — Mais c'est vrai ! dit gaiement Savigny. J'ai du plaisir à les imiter... Le culte du smge pour les grimaces est d'ailleurs symbolique : c'est l'emblème de la vie sociale .. 11 lit quelques pas de droite à gauche. — Le tourment de la confidence! murmura Philippe. C'est aussi l'emblème de la vie so- ciale... Qa'est-ce que tu as besoin de déverser ce soir? — Je lui ai parlé, dit vivement Savigny. — l-.t ii faut que je le sache? Qu'est-ce que cela peut me laire d'abord, et surtout qu'esl-ce que cela peut le taire que j'en sois informé?... — Ne sois pas grognon, dit Jean, presque avec câ.inerie... e et la présomp- tion de l'étranger s'assoupit: elle accepta la (situation, sachant bien qu'elle était à l'abri do tout, sauf de son mari et d'Armanio. \ — Vous ne voulez vraiment pas me donner Id'ordres? reprit elle. — Non, répondit-il, un peu tranquillisé par jie ton de Desolina. Je ne sais pas moi-mémo ■encore comment je préférerais vous peindre... (Vos mouvements nie donneront une idée. Jusqu'alors, elle avait a peine considéré les ,« touzettes » et l'ébauche. Elle les examina. Son visage 60 fit très «toux pour les Tessi- Boises; elle les salua d'un accent qui parut plus clair, plus argentin — puis elle demeura immobile uevant la toile. Ces figures vagues, ces verts, ces rouges, ces hleus je'.és d'une brosse impatiente, fétonnèrent Elle savail toutefois que les tableaux commencent par du •vague, et ne dédaigna pas absolument l'artiste. — Est-ce que "vous allez me mettre là dedans'f — Non... Je vais d'abord faire une petite étude d'après vous. Elle ne cornpiit pas, mais ue crut pas devoir demander d'explication. — Je vais cueillir des fleurs! dit-elle brus- quement. Elle revint, chargée d'une moisson brillante. S'asscyant devant le peintre, cite lui lit, en silence, voir qu'elle possédait encore un autre tangage, celui de la couleur et de la tonne.' Son bouquet s'allongea, presque aussi bien assorti que par une fille du Nippon. Elle aimait,' certes, moins les dégradations nuancées que les teintes violentes, mais les contrastes obéis- saient aux règles sociétés de l'art. Lui-même ne détestait pas les grands feux de la cou- leur. Il jeta rapidement quelques touches sur un panneau Elle l'épiait en dessous, intéressée par cette chose qui se fai-ait avec elle Dans ce moment, ils furent seuts. Les tou/ettes escala- daient te Castello, et Hepa mfîme, ayant com- pris l'inutilité de la lutte, s'était éloignée. Il eut tout h coup une petite griserie semblable à celle qu'il avait éprouvée auprès de la fontaine.1 De la sentir près de lui, si loin des autres,; c'était déjà une sorte de possession. Son œil devint plus perspicace, sa main plus adroite, — et la silhouette qu'il prenait d'elle avait quelque chose de la réalité Une demi-heure se passa, dans un silence complet. Elle avait à peine bougé; elle tenait la pose, avec un inté- rêt croissant pour l'image qu'elle sentait se faire. — Vousn'êtes pas fatiguée? demanda-t-il enfin. **- Non... Appuyée contre un monticule, elle avait laissé choir le bouquet ; son attention alternait, avec des rêves n'avenir. Elle était aussi loin de lui qu'il était près d'elle. Non qu'il lui déplût, mais outre que le toresttere devait être menteur, léger, fugitif, elle ne se figurait pas ainsi le sauveur, celui qui vaincrait Giovanni — par la force, par la ruse et parla patience. Le peintre, avec la lueur auréolée de sa barbe et de ses cheveux, avec ses yeux d'agate aux étincelles fines, fon teint du Nord, lui semblait un être capricieux et faible. Elle voulait un de ces hommes hardis qu'elle connaissait bien — un agile coureur de montagne, trapu et sec, le menton solide, les yeux de poix dorée, et fort, aussi rusé quo fort, tenant bien le couteau, sachant épauler la carabine. — Nous ne ferons plus non aujourd'hui! dit il d'une voix douce. Elle le dédaignait aussi pour cette douceur; elle voulait, ou croyait vouloir un maître, car rien n'est moins sûr que notre idéal ; la réalité joue à chacun le tour do lui prouver qu'il ignore ses propres goûts. — C'est donc que vous êtes fatigué? de- manda-t-elle. Moi, je ne le suis pas. — Ce n'est pas de la fatiuue, fit-il en sou- riant. Mais le pinceau est capricieux; il ne veut plus marcher. Elle s'approcha, elle vit son ombre colorée, encore indécise, avec un visage fumeux et sans regard : — On dirait une morte, fit-elle moqueuse.2i> LA- LUCIOLE rëpoa- — Les plus belles naissent ainsi, dît-il Kilo saisit h pra près ce qu'il voulut dire. Et 13s demeurèrent rete a côie, lui si i aie d'amour qu'e! o sp tentait quelque compassion, mais «no compassion qui était juste le contraire de celle qui in pouvait conquérir Libre, elle } eût peut-et ro été plus sensible As-ervie, c'est de lui que devait venir ia pitié. Elle se disait tout bas : ■ a Povcrol a avec un imperceptible haussa* ment d'épaules. Tout à coup, file cessa de le mépriser. C'était au moment où elle ss disposait à rejoindre Armauio. Ktle donna un coup léger h sa jupe, pour chasser ia poussière des fleur». Sa bouche palpita, la frayeur dilata ses pru- nelles, qui devinrent fixes : . — Scorpionel cria-1-die, pâle el la main su-pendue Comme beaucoup de ses compatriotes, elle gvait du scorpion une horreur démesurée et presque mvslique ; elle le cro\ail capable de hier un homme, d'un coup de son crochet : — Quoi donc? lit Jean, qui no comprit pas d'abord. En srivan! la- direction du regard de Desolina, ii vit l'arachnide. — C c.-t de cela que vous avez peur? dit-il paisiblement... Et sachant qu'en tort temps, au Tessin, la bête e~t peu venimeuse, il se baissa, la prit en re ie pouce, et l'index, et la déposa dans le creux de sa main Elle regardait taire, hvp- fiotisée, tandis que trois des touzeites qui s'en revenaient voir si leur tour de pose était au poussaient: des cris d'admiration et d'épou- Tant3 : — Scnrpîone!... îl vous taera, sior pillera 1 Il se mit a riie, di .' - —- il est superbe 1 Ça ferait la joie d'un ïecî sonneur. Fins il alla le jeter dans un creux de me, Quand iî revint. I esolina était toujours immo- bile, aussi surprise que si e Se eût vu an homme s .;it la gueule tonnante d'un canon. IV LAC BB lAJGAKQ Gennaro Tagîiamente s'était levé à six ficnres, selon son habitude Le matin Ibi était, doux, à Cause de sa gourmandise et de sa pipe .. il ouvrait le jc-ar avec le miuestron et n'en cea- iiait la- préparât!*;» & railles- autres mains qr,® les siennes, car il était fin cuisinier et prenait du plaisir rien qu'à voir le plat évoluer comme une œuvre rie la nature, il découpait la tripe en lanières menues, râpait le parmesan, dosait le poivre rouge avec une minutie d'apothicaire! fit, bien entendu, tenait seshari-.-qts prêts depuis! Sa veitie Assis devant la petite marmite aient vile aux délices de la pipe et de ces infernaux cigares noirs qui terrassent un honnête homme — Eh, coûtions i s'écna Tagliarnente, comme le soleil de midi plantait son bouclier dans le ténilh!... vas-tu nous laisser mourir de faim? — J'ai de la polenta fraîclie, du macaroni, des tomates, rie l'huile de Irait, du poivre et Une pastèque fraîche eomnio le lac a l'ombre, riposta Lorenzo. lia tout cela, nous pouvons tirer un repas i — Sans compter les provisions de la grande cave ! îii Gcnnaro en montrant Se Sac — Tu y prendras selon tes vœux! dit le Pas- teur d'Âbeilies... Moi, je pêche seulement tes sembtab es, les brochets vorace», qui, si on tes laissait laire, videraient Ses eaux de leurs meil- leurs citoyens... — Va pour un brochet ! Aussi bien, c'est !e poisson que e prépare le mieux,, Arrête un peu ta machine .. — Elle ne marche plus que d'un piedî Le veut est piesque mort... Je vais toutefois ear- gtier la voi Tîji- de harpon de Tessin? Ite larges feuilles de nymphéa s'étalaient sur l'eau paresseuse On- subtil pêcheur pouvait apercevoir quelque brochet abrité sous l'un des parasols aquatiques. Le brochet, comme l'autruche, se croit à î'abri quand il dissimule sa tête. Le Pasteur eut un rire muet : uns queue, ■vibrant en hélice, dénonçait la proie immo- bile, calculant son coup, il leva le harpon sans bâte — puis, visant a quelques centimètres eu avant de la place où devait être la tête du ver.-ce, il lança l'arme d'un geste ne , aussi sûr qu'une «létente de macjiine. Le biochef, é'uu bond, s'enferra lui-même, et fcbr. i»o, ramenant peti a peu sa corde, car Sa bote résistait furieusem nt, déclara : — C'est un guerrier de quinze livres.,, ncu> ne mourrons pas de faim ! La barque à i'anere, le repas fut confec- tionné avec un entrain naïi qui plais; it au peintre. Et d'ailleurs, toujours enclin a recher- cher Ie3 petites voluptés naturelles, cet épi ode robtnson était selon son cœur, comme l'était ia barque dillorme. Malgré la petite piqûre au s.'Ui, malgré ta présence latente de la. Tessî- Boise, sa jeune sensu, lité s'amusa démau;.ép des mets simples et bien préparés^ ' sur" une table cahotante, dans lesiîpnàe embrasé du) lac. Le Pasteur d'Abeilles avait fait de I ombre, et c'est au Irais qu'us vidèrent une fiasque da Chianti, et fnmêTen! les rudes etyares : — Et v i à vivie? déclara Gennaro... ie Pas- teur d'Abe Iles a bien choisi sa parti'.. Jean le crrtyatt. Aimé par Dësmina, iî n'eût pas désiré'd'autre'vie Ooueeor de flotter, de silleran hasard, dans une ardent*- insouciance! Il semblait qu'une fontaine invis ble, i ne source cachée au fond du ciel versât, goutte à goutte, une int rissabie.jeunesse. iViais hVsobna' 1 e ail sur la terre et le ciel, et sa beauté met- tait r- j-î "de Desolma .. Jean, trop tremblant, trop avait renoncé à en faire une œuvre — d'ailleurs, îî se erejaii sincèrement trop jeune! pour faire une œuvre. Mais il s'était acharné àj la ressemblance II désirait une image qui pûtj à jamais Im rappeler le modèle, et il voulait; aussi plaire au modèle qui, visiblement, dési-j rait e se reconnaître ». tette préoccupai ion luJj donna une certaine énergie patiente et minu-j lieuse. La ressemblance vint — elle se fixa da! jour en jour. Vers la fin de la deuxième sêJ, maiuc, il dissimula le portrait è ia jeune femme : il sentait que si elle manifestait le} moindre mécontentement, tout pouvait raler.i Quoiqu'elle fût de plus en plus impatiente d& voir ia fin, elle se prêta de bonne grâce au désir du peintre. i Leurs relations s'étaient è peine améliorées.' Elle ne méprisait plus cet homme blond, mai^ elle s'en méfiait tout autant, peut être davanj taae. Quoiqu'elle lui parlât mainleriantsanS brusquerie, son ton étais contraint, sa fîguréj lointaine, ses veux absents. L'après-midi du) quinzième jour, elle reprit la pose, tandis que! Pepa, Bellinda et les autres touzettes fila par les sen'es. Comme d'habitude, Atmanio: était couché à cinquante pas, silencieux, immo- bile comme un alligator. Jean approchait de la fin du portrait, à l'insu non seulement de Deso-j lina, raiiis encore des autre> modèles qui, ellesj non plus, ne l'avaient pas vu depuis plusieurs jours. Nerveux, mécontent de tout ce qu'il découvrait de terne, de raide, de cadavérique dans son travail, il se sentait à bout de force; et de patience, il savait que s'il tentait de rien rclaire, tout allai) rater. Il fallait en finir. Il le fit à petites touches, toute sa volonté tendue. Le moment vint où il ne trouva rien à ajouter. Il déposa sa palette et se croisa les bras. — Vou* n'avez plus envie de travailler? fit" elle curieuse. 1! répondit avec découragement s — J'ai fini 1 Elle se leva d'un bond; pour la première fois, elle montra un visage animé. Ses yeux étincel dent : — Est-ce que je ressemble ? — Je ne trouve pas. Eileùi une mouede désappointement, s'avança lentement sur ta pointe de ses petits pieds flexibles, et quand elle fut devant la toile, tout son être exprima un plaisir d'enfant : — Oh! sior pittore, vous m'avez laite plus belle que |e ne suis!... — Vous trouvez que ça vous ressemble l uï-il dédaigneusement . i — Oui, oui I si elle n'était pas aussi belle, elle me ressemblerait. Il contemplait la Tessinoise avec mélancolie et satisfaction ; '■ — Elle vous ressemble comme vue image de bois pourrait ressembler à la madone ! Lé ravissement do Desolina croissait à mesure34 LA LUCIOLE te céderai à qu'elle décon?rat les détail» d'à pfirîraïl, Elle n'était pas sensible seulement à la fidélité da « rendu », elle sentait l'barmwme des couleurs et ris d'entendre ce personnage immobile et muet lui demander quelque chose. Le viens liima cinq minutes sans répondre. Pois il reprit ; — Desolina est plus belle lorsqu'on Fui voit les épaules... Est-ce qu'on ne Sait pas de por- traits avec les épaules nues? —■ Si, répliqua Jean <1e plus en plus surpris, mais commençant à flairer une a combinai- son 3. — Alors, fit le vieux, vous n'aimeriez pas mieux faire un portrait comme ça? — il faudrait que je la puisse! Et que la «ignora y consente... — On la pourrait 1 se ire le vieux..,, iflais pas sur le Castello... — El où donc? — A la casa. •Jean ne répondit pas î! éprouvait ira embarras profond à cause de la jeune femme. En-même temps, son désir était violent de la voir chez elle, de vivre parmi les choses qu'elle hamait. Armanio, qui détestait les paroles et qui sen- tait que îe peintre cèlerait, dit ex abrupto : •— Que payeriez vous pour venir à la casa 5 — Est-ce que vous me proposez d'y venir? demanda Jean avec un mélange de dégoût et d'exaltation — Peut-être! Je dois savoir d'abord! fionne- fïez-vous cent lire, tout de suite? Jean n'eut pas, comme à la première proposi- tion rie Preda, le courage de discuter. Il garda tin moment le silence, pour marquer du moins une hésitation, fuis, il consulta du regard besoihia. fille demeuiatt immobile, comme indifférente, sus perdus dans le lointain Que pensaif- clle ? Que voûtait-elle VU n'osa l'intoiroger directement, sachant d'ailleurs que si elle refu- sait, Preda saurait bien la punir, il répondit : — Je payerais cent lire le droit d'aller à la casa .. vous m'entendez bien,dii ii en élevant ta vois, car le vieux avait pris un air stupide, c'est le droit que j'achète. Je n'en profiterai peut-être pas... Le vieux pensa que le peintre était plus bête et plus fou qu'il ne l'avait cru jusqu'alors; ii répondit avec un mépris à peine déguisé — Eh bien! je veux vous vendre le droit ! Il avança la main, et devint tout pâle lors- qu'il vil tomber un billet rie cent lire — Que dois je faire? demanda Jean avec Iiumi ité, lorsque Armanio eut réintégré banc d'herbes sèches Elle parut s'éveiller en sursaut Son regard se fixa sur Jean avec une douceur apitoyée — Ils vou- ôteront la peau si vous ne veus défendez pas, fit-elle. — Pouvaient-ils demander moins lire! s'écria t-il avec vivacité. — Cent lire pour venir à la casa !i? Là LUCIOLE — Cent lire pour vivre m peu plus près de Tous! Une fortune ne payerait pas celai Il fa vil étrangement surprise, comme la jour où i! avait saisi te scorpion. Ces cent lire, pour l'imagination sauvage, représentaient une somme vague, énorme, et ia manière dont elles avaient été données semblait fantastique. Mais plus énorme, plus fantastique, paraissait l'idée qu'on ne pouvait demander moins e pour vivre un peu plus près d'elle ». Elle dit, pour l'éprouver. : ■— Je ne montrerai pas mes épaules. 1 — A vez-vouscru que je vous le demanderais? — Et si je relusais aussi de vous laisser venir à la casa? — Je n'en ferais qu'à votre volonté. — Vous ne legretteriez rien? — Si, de ne pas avoir vu l'endroit où vous vivez. — Mais les cent lire? Il sourit doucement : — Je ne regretterais pas mille lire, rien que pour avoir espéré ce qu'on m'a oiïert. Elle murmura tout bas : — Est-ce qu'on peut aimer mieux une femme? Et uns indulgence profonde entra dans son âme. Puis, élis reprit : — fi faut venir : ils m'accuseraient de voire absence. Mais pour l'amour de moi, ne vous laissez pas voler par ces hommes. le jardin de Giovanni était vaste et très doux Armanio y avait inôlé tles céréales, des plantes fourragères, ries légumes et des fleurs. Les châ- taigniers remontaient à près d'un sièele. Dans le coin où travaillait Jean, d'immenses roses trémiéres, balancées sur leurs longues tiges, voisinaient avec des ruches, et ii fallait lever la tôle pour apercevoir le clocher quadiaa- gulaire de l'église, four les gens du dehors. Dcsolina était invisible, mais Armanio et Gio- vanni pouvaient l'apercevoir par ies jours du feuillage. Ce fut plus intime que sur leCa^'ello. A celte époque, la Tessinoise était devenue presque tendre, d'une tendresse d'amie. Elle montrait du plaisir lorsque l'heure de la pose sonnait à l'horloge vétusté du village. Comme elle n'avait pas l'instinct moins subtil que ses gardiens, elle savait toujours si ceux-ci étaient ou non à portée d'entendre, elle avertissait Jean par des signes furufs. D'ailleurs, ayant lui môme l'œil perçant et l'ouïe .rapide,,Sa vigny savait géné- ralement à qu'à s en tenir. Elle laissait maintenant filtrer de-ci de-la, son rêve de délivtance, sans avouer qu'elle y mêlait la vengeance et l'amour, 11 lui dit un après-midi i — Si mm voulez fuir, je,vous y aidera!..",* comme un ami.'cetnmo un irëre... . — Un frère, dit elle en le regardant, sou-' riante. Oui, je voudrais que vous so.ez mou frère! Ces paroles blessèrent Jean au cœur. FI n'en laissa nea paraître. U reprit, avec un grand soupir : | -— Je ne souffrirais pas, très belle, si t'étais votre frère. Et cependant, c'est un souhait que je ne ferai jamais: il m'est en horreur!... Mais je puis vous servir comme je servirais un«> sœur ! — Vous lutteriez contre Giovanni pour me délivrer teiilementl 11 ne crut pas mentir lorsqu'il répondit î i — Oui. Elle demeura longtemps pensive. La bonne opinion qu'elle avait du courage et du talent de Savigny ne s'étendait pas encore à son adresse ni à sa forée. Elle était sûre qu'il devait être vaincu par le contrebandier. Elle demanda enfin : — Eh bien, que feriez-vousî ■— Ce que vous voudriez. Elle dit rapidement et tout bas S —- Est-ce que vous le tueriez? Il perçut brusquement, dans toute leur pro- fondeur, les instincts de race qui les séparaient, L'impression fut pénible, angoissante; il étouffa et devint très pâle : — Que voulez vous dire? fit-il d'une vois rauque. S'il vous attaquait ou m'attaquait, il faudrait bien se défendre. Elle eut une moue de dédain : — S'il nous attaquait, il serait trop tard! SI sentit un besoin irrésistible de savoir le fond de la pensée de Uesolina : _ — Que diriez vous à l'homme que vous aime- riez? Faudrait-il qu'il le tue? Les yeux de la Tessinoise s'animèrent comma des diamants au soleil. Puis une mollesse passa sur sa face. — Cki lo «a? dit-elle... Je le hais bien... et il mérite la mort! Personne ne sait aussi bien que moi qu'il la mérite. I! n'y a pas d'homme aussi faux Je danserais s'il "tombait dans un précipice... Pourtant, si je pouvais lui échap- per, et être sûre qu'il ne m'atteindrait point, se ne voudrais pas sa mort. Mais comment lui échapper? Je ne sais pas s'il a tué des gens. Je croisqu'il l'a fait. Ce que je sais, c'est que tous ceux (pii vivent encore et contre qui il avait juré vengeance portent des cicatrices profondes ou ne peuvent plus se servir d'un de leurs mem« fores Aucun n'a pu échapper. Il y a un homme qu'il a suivi jusqu'à Gaete qui aurait dépisté tout autre. Et il est plus terrible encore avec son Armanio... Que taire avec un tel homme? — Le monde est grand. Gaëte est à un pas d'ici. Mais on peut fuir à l'autre bout de la"LA: LUCIOLE il ferré, an Brésil, en Australie,daca FAfnque du Sud...., — A l'antre bout de !a terre? fi! elle rêveuse. Est-ce vraiment beaucoup' plus loin que Ga< îe? — Le plus proche de ces pava est trente Mis loin comme Gante, le plus lointain cinquante fois. l)es mers immenses nous ëa séparent. — C'est chez les sauvages? — Les gens y sont plus civilisés1 qu'à Ta- vesco 1 — Sairtîssima'l Ne faut-il pas une'"fortune -pour y aher? — Mille, deux mille, trois mille lire. — Je ne peux pas croire, fit elle avec impé- tuosité, que vous dépensiez tant"'d'argent... pour rien. Il sourit avec douceur : — C'est que vous n'avez aucune idée de votre puissance. ; L'italienne haussa les épaules : — Puisque vous le tenez comme pour une sœur I —- Mais par amour. Elle déchira une passe-rose avec impatience : — Est-ce qu'il y a d'autres hommes comme cela en France? — Quelques-uns! — il ne doit pas y en avoir un eouî dans la îessin. 1! resta choqué du ton dont elle avait dit cela, et se remit à peindre. Mais elle, intriguée jus- qu'à en être inquiète par cet amour trop teudro, demanda : — Est-ce que vous êtes sûr de m'aimer? — Pour être votre mari, une seule nuit, fît il avec une âpreté presque agressive, voire mari aimé, ,e consentirais à être pauvre toute ma vie. Elle baissa les yeux. Elle eut un vif frémis- sement, doi t i'étrangeté î'étonna. Et elle dit avec son sourire sombre : — Irez-vous demain à -Notre Dams de San- Bcrnardino?.,. J'y vais. Cette demande dilata îe cœur du jeune homme. C'était Sa première fois qu'elle le niêiait à un événement de sa vie. 11 fit un signe d'acquiescement, et ils se turent : le pas léger d'àrmaaio s'entendait sur la terra molle. V NOTEE-DAME DB SAN-8EBMABDÎRÔ Notre Dame 'de San-Bernardino est une petite église perdue parmi Ses chênes et les châtai- gniers, au flanc roide de la montagne. '■ Jean, parti sent, arriva de bonne heure parmi les troncs coupés qui entourent l'église. La multitude attiuait, la multitude bariolée des Lati is ru-tiques. Jean eut un tremblement lorsqu'il reconnut Pesoima Elle étaS parrru les matrones et les ton?elfes, à l'arrii're d'un' groupe tonné par Giovanni. Armamo, lJanscri, le petnlie d'en- seignes, et un gigantesque vacher dont tes bras étmcelaienl au soleil Avant la messe, on disposa les provisions de bouche. Ceux de l'aveseo avaient des tonnelets d'eau, une barrique de nostrano (vin du pays), du salami de Milan, du jambon, des harengs fumés, des châtaignes, du pain chaud qui sen- tait le tour, et les trois autres villas s, des victuailles équivalentes, uuand l'heure de la messe sonna; il y eut presque du silence La petite église regorgea : tant de souffles, tant de colloques sourds, tant de piétinements man- geaient la vois des curés et des entants de chœur Tout de suite après, commença la fêle. Jean né so figurait pas autrement les réjouis- sance» d'une misseruraie.au teints de la Home consulaire, il avait eu soin rie faire ta com- mande d'une collation au maître de l'Albergo 'Ticmese, et ouire les mets orlinaires' oe la iêfe, la nap e qui constituait sa table monirait des poulets rôtis, des confitures, une tarte co- lossale, du Lacryma Christi et de i'Asti spu- mante. Le curé, apercevant ce spectacle récon- fortant, s'écria : — Eh 1 sior pitiore, vous transportez les noces de Gam.sche dans la montagne 1 -— Vous ie3 sanctifierez par votre présence, sior eurato! — J espère les sanctifier dignement 1 fit le gras homme, dont les yeua à la llossini pétil- laient de gourmandise. Et il s'assit eiiîreGi'nnaro et Salvator, disant : -— Est ce aujourd'hui que vous allez m'ou* wir le ventre, sebismafique? — Quand Usera piein ! fil Salvattirgravement. Jean avait encore invité Pe|.»a, Be.fmua et trois autres tou/eltes Timide d'abord, le bruit de cette foule finissait par Penharoir II s'écria, an moment où hiovanni allait s'installer avec sa femme et son oncle : -— Vous voyez que j'ai ici tous mes modèles. Est-ce que vous ne voulez pas partager notre repas, avec la seu e qui manque? Preria, qui louchaii vers les bouteilles, accepta d'un signe. Cette sombre tête prit quelque hu- manité devant le vin Preria farinait religieu- sement, encore qu'il n'en abusât que ie samedi soir et le dirnan he. Jean eut llesolina en face de lui, et l'neure fut si brillante qu'il en ou- bliait le lendemain Pour ta première fuis depuis qu'il la connais- sait, elle avait changé l'ordonnance de sa toi- lette. Elle portail un corsage sombre, avec de28 LA LUCIOLE petites bretelles, d'où îa chemise n'émergeait que comme un liséré d'écume, et une jupe orange, d'un éclat extraordinaire. Sur ses c!ie« veux tordus, eiie avait planté des épingles de corail Tout lui seyait. Une lumière de gaieté émanait de sa personne bille riait aux pro- pos du curé qui avait presque de l'esprit, elle accepta plusieurs verres d'Asti spuinante, si bien que ses veux devinrent un peu plus pâles qu'a l'ordinaire, une pâleur qui éblouissait les convives. — Sior pittore, fil le euré, en entamant le dessert . puis-je vous demander quelquechose... quelque chose de délicat ?.'.. — >'écoutez pas ce simoniaque ! s'écria Sal- vator... — Quelque chose touchant voire religion, acheva le euré... Eles-vous donc un de ces hérétiques 1 — Qu'entendez-vous par hérétique ? fit Savi- gny en souriant. — Eh l mais, un héréliauc est un hérétique... un disciple de Calvin ou de Lui lier... que diable! —- Père curé, répondit le jeune homme, |e me moque profondément de Calvin et de Luther. — Ç'e.-t bien parlé, mon (ils... Dois-je ceci' prendre que vous avez été baptisé/ — A Saint-Jacquesdu-lîaut-Pas, père euré, près du Luxembourg, à Paris. — Alors, mon fils, soupira le curé, pourquoi me laites vous le chagrin de ne jamais paraître dans mon église ? Vous ai-je lait quelque mal ou vous ai-je seulement déplu en quelque chose?.. En vérité, sior pittore, vous devriez me faire une petite visite de politesse le dimanche' Il parlait de ce ton gai et pourtant sérieux, spécial à l'âme italienne, et qui est d'un si grand renom en diplomatie. — Si vous y tenez... répondit Jean. — Autant qu'à ceoî boni eu les de délicieux Liîcryma-Chrisli... Allons, hôte généreux, soi- gnez encore la digestion de vos invités! La mienne sera parfaite si je puis espérer vous voir dans notre grande maison. Et Jean ayant acquiescé : — Savez-vous ce qui serait d'un grand exemple .. d'un très grand exemple? reprit le euré. i'ose le oire à peine... Mais, par la ma- done, que ce serait d'un grand exemple I — Un giand exemple, s'écria Salvator, ce sera le jour ou je vous ouvrirai du nombril à la gorge avec un bou couteau ! — Je sais que vous le donnerez un iour, cet exemple, maçon schisnïatique ! fit le curé, avec douceur. . Mais ce n'est pas de cet exemple-là que je parle... Je pensais seulement qu'il serait glorieux que sior Savigny aidai, ou plutôt lit 'semblant d'aider a descendre notre christ h Taveseo! Sa le voulez-vous pas, cher amphi ryon '? — Puîs-jc vous le refuser? fit Jean avec un sourire. .—- Ehi le petit cœur, s'écria Gennaro... il n'y a en lui que dû' mie!... l'ère curé, c'est Salvalor et moi qui porterons le; Sauveur... car ces autres seraient capables de'l'appuyer sur notre ami ! Il y avais dans l'accent de Gennaro îa pitié indulgente d'un primitif pour l'homme fragile des cités. Jean se figura voir cette piaé sur le visage ds hesohna 11 eut le sursaut d'orgueil plnsiqàe que les plus raffinés ont devant la femme, et, dans un mouvement irréfléchi : — Père curé! fit-il... je le porterai tout seul, votre christ... ce sera d'un bien plus grand exemple. Tous S3 regardèrent en souriint : — Ce sera trop lourd pour vous ! dit Gio- vanni avec sa grimace la'plus câline 11 faut un homme fort de nos montagnes pour faire cela. _— Le christ pèse soixante livres, povcrinol dif tcndiemciit Tagiiamenle. Et tu connais la pente !... Si tu roulais, ton sang nous retom-. lierait sur la tête. Dcsolinà se taisait, mais ses yeux se fixaient larges et brûlants sur Jean. Elle était trop de sa race contrebandière, amoureuse d'endu- rance physique et d'audace, pour être indiffé- rente à Sa discussion. El parut à Savigny que, s'il reculait, elle le mépriserait pour toujours. Et, d'un ton agressif : — Quand il pèserait quatre-vingts livres, je parie de le ramener au bas de la montagne... Père curé, votre proposition me donne des droits. Je es réclame. Je porterai seul le crucifix ! — l'er Baccol que voua écornez vite, sior pittore 1... (jue dirait ma conscience s'il vous arrivait malheur? — Elle vous absoudrait... vous travaillez pour la religion... Allez, padre. . priez pour moi... Le christ arrivera a bon port! — Ah ! peut fou, petit fou ! soupira Gennaro. Mais devant l'opiniâtreté «le Jean, tous cé- dèrent. Le regard de llesolina, où paraissait «ne obscure inquiétude, exaltait le jeune homme. De toutes paris, le repas finissait. Au brait des cuivres, des flûtes et des violons, cette multitude passionnée se leva. Tous les yeux flambaient. Une joie presque féroce entr'ouvrait les bouches et faisait vibrer les jarrets. Jean communia avec îa race. 11 eut un moment de délire et d'oubli. Ses veux se posèrent sur Desolina avec une hardiesse qui la surprit. Cependant, il n'osa pas lui demander ta pre> mière danse. H se tourna vers Pepa. Quoique celte jeune tille eût renoncé à conquérir le peintre, elle avait toujours plaisir h le regar-LA LUCIOLE" 29 dar. Ella aeeepîa avec en 'tressaillement rîa bonheur. Comme tous les..hommes de sa sorte, Jean «iansah très bien. Il emporta la Pepa dans un tourbillon, et ces rustres, qui tous oui l'art inné du rythme, admirèrent On. cercle sa ioima ; Salvator et Gennaro applaudirent : — Avec ces jarrets là, lit le colosse, je pa» fierais bien qu'il tiendra sa gageure... il n'y a que Giannino îravieri qui danse mieux 1 — Ou aussi bien! lit Gennaro. Et prliotanï de ce que Preda et Armanîo étaient à dislance, il du, près de l'oreille de Déclina : — Si l'étais femme, j'aimerais cet homme-là jusqu'à m'en damner. Elle rougit imperceptiblement, puis son re- fard tomba méprisant et dur sur le conîrebin- ier. Mais celui-ci, avec un rire de philosophe cynique: — Allons! earissima, avouez que bien des pierres sont déjà tombée» du mur qui vous séparait l'un de l'autre 1 Jean invita successivement BelHnda et deux des su filles de Panscri qui se tenaient en rang, efflanquées, rousses et stratuques Alors seule- ment, il osa s'approcher de f'esolina Elle était an peu à l'écart, seule; il lui dit : —■ Faites, Desolina, que je n'oublie jamais cette tournée 1 .. Donnez-moi la proehainedause. — Je ne puis pas la reluser à celui qui vient d'être mon hôte. Il demeura muet de saisissement, tel un homme qui aurait demanoé un royaume et i'auiait obtenu Puis, la prenant à la taille, tout soudain, il sentit son coi ps contre le sien. L'ivresse dépassa tout ce qu'il avait imaginé. Il murmura d'une voix défaillante: — Cela paye toutes les souffrances. Il dansa mal d'abord, puis il vécut dans l'ex- tase rythmée; sou bras serrait la jeune femme de plus en plus fort. Bile ne :e dérohait point; elle ne rendait pas non plus l'étreinte.. Cela ne lui était pas désagréable — surtout en consta- tant la force de son amoureux. Et quand elle sortit de ses bras, il ne lui semblait plus inté- rieur en énergie physique à tous ces hommes bruns, frénétiques et couverts rie sueur. Cependant Giovanni était venu voir danser sa femme et l'étranger. Il était méditatil et souriant. En voyant comme il la.serrait contre lui, il pensait que la source ries lire n'éiait pas tarie. Puis, une coniuse inquiétude traversa sa cervelle. La vigueur de Savigjiy lui déplut: eHe éveilla sa défiance, il eût presque tout tendu de sa femme, pourvu que le pris lui parût convenable, même des baisers sur la nouche — mais à mesure qui) spéculait davantage sur elle, il >e sentait devenir plus intraitable sur la chose ultime plutôt que cela, il eût accepté toutes les tortures et la aiurt môme. —- Armanio, dit-il tout bas à son oncle, !e coglione est plus dangereux que nom ne la croyions Paimiera cracha de mépris. — Parce qu'il a des jarrets et peut être des brasl Mais il nous montrera toujours le liane, et qui! essaye de faire un mouvement sans que je le devine! Giovanni, songeant à son couteau et à son fusil, se rasséréna. Malgré la sobriété relative de la race, la fête tournait en orgie. Des hommes vomirent, d'au- tres se soulagèrent avec cynisme et," sans la présence de-* cuiés, on eût vu reluire les cou- teaux Salvator prêchait contre les oreggiatt. Le heau-irere do Panscri, grand vacher aux bras nus, noir comme de la poix, la baibe crépue, un œil immense et de petites mains, promenait un regard d'assassin sur l'assistance. Il dansait tout seul et rejetait les filles. Puis, il raconta son histoire : — A qui était le pré. les châtaignes et la bonne maison de pierres sèches? tjui avait doublé l'héiilage de se* parents? Q i riev it y livre et y mourir tranquille'' (!hî mes amis, quand je pense a ma pauvre petite sorella pour qui, cent fois, j'aurais donné mon cœur! '.. j'étais parti pour l'Algérie, au service de la France, et j'en avais rapporté quatre cents francs ! Si vous saviez ce qu'ils m'ont coulé, . ces quatre eems francs... le les aurais eberrh.es un à un avec mes dents au iond d'un précipice qu'ils ne m'auraient pas donné tant de pense !... Oui, j'ai rôti^au soleil et pourn sur la terre... Et quand e suis revenu, j'ai acheté la prairie, et huit châtaigniers encore : jo vivais douce- ment avec ma gentille sorella! Puis, cet Italien est venu, cet homme de îa Lomhardie, car < e n'esî qu'un misérable étr nger 11 a séduit ma sœur, il m'a amolli comme la cire d'une nnhe... oui, cet homme ma persuadé que la sorella serait heureuse aec lui, et je lui ai tout donné! Et voilà qu'elle est de cenriùe dans !a terre, gens de la Val Colla, et lui, il vu dans ma casa, il fauche ma prairie et vend mes châtaignes a sou. profit, pendant que je gar le les vach s comme un pourceau... Voilà où cela mène d'accueillir un étranger, un Ita- lien ï... Son poing se tournait vers Panscri, le maître d'enseignes qui, tou riant, vidait un bocal de noslrano et racontait à Savigny, à Gennaro et au curé : — Le grand Torre, mais sûrement, il a passé à Taveseo. Moi, je l'ai connu plus loin, à- l'alhergo des Trois Chiens I! était élève d& l'Académie de Parme. Comme il avait la peau tendre, les lits de l'auberge lui écorchaient la cuisse. Pour doriinr, il prêterait donc retourner tous les soirs à Lttgauo. Et la route étant iio, voila qu'il loue Fânc du îasjunief da50 LA LUCIOLE Cadro. Il descend le premier soir sans selle. Le chemin est long, l'échiné de l'âne est maigre, l'âne peut ei Terre est si haut que ses pieds touchent la terre .. — Voyez rire ce voleur! criait le grand vacher .. Faut-il ie laisser rire ainsi sans ven- geance? — L'une, qui n'aime pas partir !a nuit, (île tout le temps entre les jambes de Torre et repart vers ie moulin. — Oui, vends mon herbe et rôtis mes châ- taignes 1 — En sorte qu'il arrive à Lngano essoufflé et écorché... — Et il est temps que ces infamies cessent !... — Aussi, le lendemain, il se procura pour le retour une selle de femme. Des cris terribles interrompirent le peintre d'enseignes. Les six filles piaillaient toutes en- semble cl l'on voyait le vacher qui, brandissant Me hachette, tentait de ee frayer passage. 11 hurlait : — Cet étranger doit disparaître ! Le peintre d'enseignes tourna des yeux in- quiets vers son beau-frère : — Eh! c'est toi, Ambrosio! dit-il... Laissez donc passer votre oncle, touzettes!... Est ce que vous ne savez pas qu'il a lait pour vous autant et puisqu'un père?. . Et moi, jusquà la fin de mes jours, je t'aimerai comme un frère chéri ? Il s'avançait vers le vacher, il lui tendait les liras. L'autre, stupide et doux, sa fureur changée en tendresse, se laissait étreindre en murmurant : — C'est vrai pourtant que tu as rendu la sorella heureuse... et quant aux châtaignes et à ta prairie... — Mais elles sont a toi, Ambrosio... Tu me les as données peut-être — mais qu'est-ce que cela fait? Ce n'est pas pour moi que je les ai prises de ta main, c'est pour ces filles de ta sœur, carissimo! — Est-ce que j'y tiens! cria le vacher.... Même sans elles, Lucio, crois-tu que je te les ôterais?... — Je connais fon bon cœur, Ambrosio!... Le grand vacher avait les yeux pleins de larmes. ean considérait la scène avec l'intérêt que lui inspiraient les actes passionnés et puérils de ces êtres, lorsqu'un vieil' homme maigre, chaussé de bottes fortes et revêtu d'un cos- funse couleur tabac, poussa devant lui une moust che barbouillée de noslrano : — Eh! c'est le Sasso d'oio! cria gaiement Tagliamente Às-tu enfin trouvé la *raie i ierre? Le Sasso d'oro* lui jeta un regard de mé- pris ; — Je ns parle pas a des gens obscurs.., je parle à ee seigneur étranger qui peut me com- prendre!... L'homme tira doucement la veste do Jean : — Venez avec moi, sior forestière .. Il s'agit de votre fortune! Je suis DavMc Spera, le fer- raio', de Sfagno, et bien connu dans les pays civilisés, car j'ai conduit Desor et Agassiz... et vous savez qu'ils ont ail que c'est le Tessin qui produit le plus d'or... Oui, je suis un ancien gui ie depuis de longues années... i Il avait attiré Jean à l'écart, il parlait d'une voix basse et furieuse : — J'ai trouvé l'affluent de l'or... C'est le Baîtech !... et la mine est dans la hauteur... je la connais, je l'ai vue. Vouiez vous vous asso- cier avec moi?... (D'un ton tragique). Avec deux cents lire, nous sommes riches!... Vous ne rne croyez pas?.. Les yeu* pâles s'affolaient: une impatience aiguë, une méfiance larouche crispaient sa lèvre : _ — Non, non, vous ne me croyez pas?... Eh bien, voyez .. Il avait tiré de sa poche une pierre ronde et jaunâtre ; il la poussa sous le ne2 de Savigny : — Mais, porca inadonna, si ceci n'est pas de l'or, je suis un cochon!... Ai-je l'air d'un fou!.. Mais, vacca, est-ce de l'or?... — C'est de l'or, intervint brusquement Gen- naro, qui voulait délivrer le jeune homme. Ma, Cristo Santo, ne le montre pas au milieu de cette foule... on te volerait! Reviens voir sior Savigny à Tavesco!... Une voix énorme se fit entendre et, se tour- nant, tous trois virent Salvator qui était monté sur une souche d'aibre. Il hurlait d'un ton jovial et formidable : — Je vais vous le dire, sior curatn, ce que sont ces Longues Oreilles .. ces hommes selon votre cœur! Gens oe la Val Colla, écoutez cette histoire .. vous pourrez la raconter dans la montagne... En ce temps, les Longues Oreilles levaient la tête... Us s'étaient fortifiés à Tesse- rete... et nous marchions sur eux en trois bandes. Toute la nuit, nous marchâmes. Une bande par Sa vallée, une par le flanc et une par te plateau. Au lever du soleil, nous voici en vue de Tesserete... Le canon seul était en retard d'ailleurs, il ne pouvait pas servir puisque nous n'avions pas de boulet.., rien que de la poudre... criais on voulait ie hisser tout de même... pour annoncer la vic- toire. C';r, de la victoire, nous étions sûrs... Oui, nous étions sûrs de prendre Tesserete.., toute l'église devait être pieirso d'oreggiatt; nous le savons par des éctaireurs, et pourtant, lorsque nous parûmes, rien ne bougea... Riee ne bougea... Rien ne bougea : les maitons i. Caillou d'or. Sobriquet donné à Da 1. Taiîlaadicr, fgrgeroa.orxu'moLfc A étaient fermées,ï les ; éhiro^s. vîïïeg.' Noos pen- sions qu'il» iious> joueraiérit an leur..., et par ta W;idone, ils nous S'ont joué!.,, Gens de la Val Golla, nous f^rhês ''avertis q^avancé'.! Noug n'avions pas fràneiii le ppçtàiL et déjà trois jeunes gens de Bellinzonà s'fiïasèbit eniiiis... et le* cœur, à nous fous, i! 'nmM tournait... Ce qu'ils avaient laissé dans S'égiise, pè'ré curé, remplissait tout le chœur, et montait jusqu'à }*H«icî — et les nez les plu-* braves n'y purent ■tenir; noua nous s.'iùMmes eoniuie les jeunes gens de Bellinznna'. :'.' bous hunes vaincus ce jour-là par la seule trace dos ôreggîatt. Des rires dominèrent le bi ait des musiques. Au reste, la féie allait finir : il n'y avait pins de vie, ni même d'eau. Peu à peu, les violes lan'juirenî, les trbnipelfés devinrent intermit- tentes et rauques, les curés comrnencèreo! da rassembler leurs paroissiens. Celui de Taveseo vint dire à Jean — Etes vous toujours décidé, siof pitfore? Des regards ironiques pesaient sur le jeune homme. Tous doutaient de son endurance, il haussa les épaules et dit ; -, —■ Je suis prêt! ! On lui mil fa blouse bleue, on lui caia la christ de plaire sur S'épaule. Satvaior et Gen- naro pir amitié, Giovanni avec l'espoir qu'il Jaillirait en route, iesohna avec le vœu pag- ne qu'il arrivât au but, surtout en haine de ton mari, Panscri comme étant son iiôiCj et le curé par devoir, lui firent escorte. Les trempettes vibraient,'la grosse caisse poussait des grondements 'sourds : et cette mu- sique si était pas sans encourager le porteur : — Courage, sior pittoré i faisait de temps *»n temos le curé. Le peuple a les yeux sur vous. 1 Pendant le premier quart d'heure, la ta ha paru! su portable. Puis fa croix commença d entailler l'épaule du jeune homme. De grosses gouttes de sueur roulaient sur son Iront Pepa et Bellinda les essuyaient avec leurs mouchoirs, tandis que Gennaro recom- mençait ses protesîaiious : : — Tu es lou, mou cœur? laisse-nous te donner «a coup de main! Mais il s'obstinait à cette tâche Elle lui sem- blait suprême, (tien d<* ce qu'il avait fait jus- qu'à ce jour n'avait excité à ce point son or- gueil. Arriver au bas da la montagne, s=»ns avoir demandé grâce, devenait une chose aussi importante pour iid que la victoire de Maren„ro pour Bonaparte. Cependant, après la demi- heure, il n'en pouvait plus. Son épaule était en san», ses reins fléchissaient; il commençait à trébucher contre les branches du sel. — Halle! fit soudain. Salvator... C'est Ici qu'an vide la dernière bouteille... Giovanni lui ieta un mauvais regard, mais ie oîosse prit délibérément ia croix et Sa déposa »atre un arbre. Puis il sortit ûn.n% faosrteîlks de nosîrâno qu'il avait racistes, et le» passa h la ronde. Cette panse sauva Jean. Quand û eut rechargé Je chri3t sur l'autre épaule, il se senîit un courage indomptable. — Il airiv ra! fit le maître maçon... Il a repris du jarret I — Pourvu qu'il ne boula pàsl murmura Giovanni. Minute à minute, hnn se sentait défaillir. L'épaule gauche à son tour saignait; il venait dans ses jambes un engourdissement de mau- vais augure. Par bonheur, la route devint un peu moins raide è! moins mauvaise. Les lrom> peites jouèrent un air de marche enlraînaut;' Salvâtôr beugla eu mesuré : ~— Encore un quart d'heure! dit le curé... Un moment de repos, mes enfants! je n'ai plus mes jarrets de vingt ans. Au fond, il désirait de tout son cœur que l'étranger réussit à* édifier les fidèles. Le christ déposé un peu vivement perdit plusieurs doigts de pied que la pasïeur fourra dans sa poche. Assis sur une souche, Jean se sentait épuiséj lit il se demandait avee angoisse s'il aurait seu- lement la force de se remet Ere en rente. — Ne reste pas assis! visu lui dire Gen- naro... Tu ne retrouverais plus tes jambes. Il se releva, titubant, mais te sourire en coin de Preda, le regard inquiet de Desoihia le galvanisèrent. — En route î fit le curé, ciui comprit que l'attente pourrait devenir nuisible en se pro- longeant On lechargea la crois; Jean m sentit comme enseveli sous un bloc de granit. Il devint complètement étranger au mécanisme de sa marche. Un instinct obscur, une opiniâtreté frénétique le conduisaient; et ses oreilles bourdonnèrent, le sang lui bondit dangereu- sement vers la tète ; s Je suis perd» t » se dit il. Il fit quelques pas encore; tout craquait; le vertige mettait une brume devant ses pru- nelles; ses (arrêta fléchirent ; le christ oscillait effroyablement... Tout à coup, la pesanteur disparut; cent voix s'élevèrent; Gennaro entraînait une tou- zetledans une danse, le curé exhala t du latin, et .Salvaior, agitant la croix en l'air, hurlait s —- Il a gagné! Il a gagné! Et presque évanoui, Je-m aperçut, parmi le» touzettes qui lui tendaient de l'eau et du via, ie sourire éfineelauî de Desoiina, VII Le vieux Palmîerj, un masque d'eserîme su»' la face» de grya gants aux. mains, entamait la " otïtôxe tranquillement ses radies, lorsqu'il entendit une voix qui s'élevait de la haie : — Barbare! Déjà du temps de Virgile, ou n'enfumait plus les abeilles! Dans cetle vallée maudite, vous avez conservé la tradition des sauvagest Araianio, se tournant, aperçut la face de poterie, les yeux cornés, la bouche hilare de Lorenzo, le Pasteur d'Abeilles : — Et que laire, selon vous? ricana le vieil homme. ,— Laisse-moi entrer, {«verras! fit l'autre. Et ça te profitera autant qu'à ces innocentes créatures! Palmieri hésita. Mais la curiosité et les pro- pos qu'on tenait sur (a science du Pasieur d'Abeilles le persuadant, il alla ouvrir une porte à claire-voie. Lorenzo entra à pas comptes : — Tu vas voir combien c'est facile... 1! retourna doucement une des ruches et, avec son couteau, se mit à couper les rayons. Des abeilles mi-engourdies se posèrent sur lui et s'abstinrent rt me dé- mange... Seulement, il me fallait une bonne raison, et quand en aurai-je une meilleure? Allons, très cher, laisse un peu faire ton ami... i! prend tout sur lui... Jamais on ne devinerai Me prénds-tu pour un imbécile? La montagne ne parle pas! Un dévouement féroce éclatait dans ses paroles et sur son visage. En tout temps, cet homme ûpre, sauvage "et faux, avait été un ennemi traître et un camarade-sûr; en fout temps, il avait été ardent â servir ceus qu'il avait pri3 en affection Mais pour des raisons mystérieuses de préférence, jamais il n'avait éprouvé pour personne une amitié comparable â celle qu'il éprouvait pour Jean Savigny. Engourdi par la souffrance, le jeune liomma écouta longtemps sans protester. A fa lin, ce-* pendant, il dit : — Si c'est par amitié pour moi que tu parles ainsi, n'oublie pas, Gennaro, que rien aumoud» ne saurait me faire excuser un crime! — Un crime! ricana Tagliameute... Mais je demanderais plutôt pardon «l'avoir tué le chien de Salvator que d'avoir tué urî homme comme Preda!... Il si Ida la marche de Garibaidi et grommela : — Toujours est-il que tu ne vas pas mainte^ nant lâcher cette pauvre femme Y C'c^t elle alors' que tu condamnerais à mort... — Je donnerais ma vie pour la délivrer' cria Jean avec violence. — Ta vie! lit Gennaro en haussant les épaules... C'est pour le coup que la Desolinâ serait perdue .. Donne ce que tu as dans ta tête et dans ta poche... Il jeta un regaid hypocrite sur le jeune homme : — Tu veux la douceur, pauvre bambino. eli bien! on essayera de nouveau par la douceur. XI IA POURSUITE Desolinâ s'était montrée aussi résolue que !» fatalté avait été dure. Dès qu'elle s'apeiçutj que Preda la poursuivait — et grâce à sa vue de montagnarde, elle le sut longtemps avant: qu'il ne pût Tint rpeller —■ elle se concerta avec sa compagne. La vieille, rusée cl pleine d'expérience, comprit son rOledès les premiers; mois. Elle n'accéléra ni ne ralentit l'allure du peut cheval; lorsque le contrebandier lut assez proche, elle lit halte naturellement Gio^ vanni avait sa tète d'assassin.*!! arriva sur les deux femmes, la cravache hante, la bouche] pleine de son plus airoee vocabulaire. Mais1 l'< ttitude de la vieille, aussi bien que celle de sa temine, lui en imposa Carlolta le regardait avec un air d'étonnement et Desoliua était par- faitement calme. — Tu ne m'attendais pas! cria-t-il, avec une' fureur railleuse. — Mon! lépondit la jeune femme.. Si je1 t'avais attendu, je n'aurais pas quitté Tavesco.J Tu aurais toi-même été chercher le médecin.: Leurs regards se pénétrèrent. Les plu- vieux' juges ressentent I intluetice d'une attitude.! Preda qui, jusqu'alors, n'avait jamais vu Deso-jIl LA LUCIOLE lina employer la ruse, eut un doute, un douta qui l'irritait peut-être davantage, tout au fond» Biais qui le calmait en s suriace ». Il ricana : — Chercher le médecin? Est-ce que tout le monde ne ■ ouvait aller avertir un médecin? Et fallait-il. comir jusqu'à Lugano? — Je n'en sais rien. Je voulais être sûre d'en ramener un... car ils ne viennent pas vite quand on ne les cherche pas soi même , Et puis cela m'efiravait là-bas... Je préférais ne pas être auprès d'Armamo... je me sautais encore plus en prison qu'à l'ordinaire... Tu sais bien que ta casa me dégoûte toujours — mais avec quelqu'un qui peut y mourir, je devenais folle... Toutes les femmes sortent à Taveseo... }'ai voulu être libre au moins une loisl — Et fuir avec le loresîierel dit il haineu- sement. — Je n'aime pas les forestière! fit-elle avec dédain Tu aurais pu le savoir... Mais tu te connais mieux en marchandises qu'en femmes! —- Elle ment! pensait-il. Mais il élait assez compliqué pour virer d'une impression â une autre, et il se répétait qu'elle n'était pas menteuse Puis, à mesure qu'il était 3uprès d'elle, l'inquiétude physique s'évanouis- sait Car enfin, il n'y avait aucun doute possible : elle était intacte. — Le forestière est à Lugano ! dit-il brus- quement. Il parlait au hasard, essayant de la trou- bler. — Comment le saurais-je ? fit-elle avec indif- férence... Tout ce que j'ai appris, c'est que son ami partait hier... et je croyais que tu ne l'ignorais pas plus que personne. Preda était au courant de ce départ, mais iî n'y pensait plus. Son doute s'accentua. La voix aussii e Hesolinaagissait il croyait en connaîlre toutes les nuances, en pouvoir deviner les moi» ires altérations. 1 fit une dernière épreuve. — ?ious irons en* mble à Lugano... — Je ne puis pas m'y opposer... — Tu aurais mieux aimé y aller seule? — J'aime toujours mieux être seule qu'avec toi! Il eut une longue hésitation. D'une part, ii fiouvait apprendre quelque chose d'imprévu à a ville, d'autre part, il désirait retourner au plus vite près de Palmieri. Le vieillard était la seul être qu'il aimât . du reste, il se figurait pouvoir mieux découvrir la vérité à la maison qu'au dehors II se déci la soudain. — Carlotta, dit-il, peux-tu me promettre d'envoyer un médeein? — Je t'en enverrai autant que tu voudras, fit la vieille .. Comme je n'ai pas longtemps à rester à Lugano, je pouirai même en ramener un dans lu carriole... si ta me payes ému lire pour cela! Giovanni n'essaya pas de marchander, comme iî l'eùi fait dans une autie circonstance ; — Boni reprit-il.., Et connais-tu le docteur Rossi? — Mieux que les autres. —- Ta :he de îrouver celui là! 11 hissa Desotina sur la croupe do son rheva! et reprit le chemin de Taveseo A mesure q a 'il avançait, il se trouvait plus slupide SI continua ce| enilant !a route, d'abord en veriu de l'inertie, qui nous gouverne aussi nettement qu'elle gouverne les corps bruts, ensuite 'parce que sa visite à Lugano devenait inutile; s'il y avait quelque chose, ia vieille avait dû mainte- nant aver ir les autres. I! 'allait en prendre son parti, Prela, par tempérament comme par profession, savait admirablement accepter les situations inévitables. Il n'abandonna pas l'es- poir de démasquer sa femme, mais il sépara nettement cet espoir de l'heure présenti». — Comment cela est-il arrivé? dcmanda-t-il, lorsqu'ils s'approchèient de Taveseo. — Je n'eu sais rien. J'ai trouvé Armânio engourdi et je n'ai pas pu parvenir à l'éveiller, — Où l'as-tu trouvé? Etait-il tombé par- terre? — Non. 1! était assis dans le vieux fauteuil de la galerie... il s'est endormi en fumant sa pipe, je suppose... « Il faudra voir son tabac a, pensa le contre- bandier. — Est ce qu'auparavant il était aussi bien portant que d'habitude? — Je ne regarde presque pas Armanio. — 11 a pris son thé? Elle eut un léger frémissement : — S'il ne l'avait pas pris, c'est qu'il aurait été malade! répondit-elle avec sécheresse. ~ Enfin, 'oujours est-il que tu t'es enfuie! dit-il insidieusement. Elle ne s'émut pas plus de eeiie assertion qu'elle ne s'en était émue la première fois : —- Je t'ai dit que je voulais ramener le mé- decin... ei aussi que j'étais contente de sortir seule. Sache, Giovanni, que je sortirai seule chaque lois qu'un de vous deux ne sera pas à ma garde... Et même, si cela continue, si ta t'obslines à faire de moi une prisonnière, je finirai bien par me révoiler. — Tu sais ce que tu risques! dit-il d'un loa paisible. — Je risquerai tout ! — Eh bien, nous verrons ça, ma belle!. .Eu attendant, ne crois pas que la vent.1 m'échap- pera! Si tu as voulu partir avec le fore-liere, nous verrous à traiter chacun selon ses mérites — toi, Vautie, Gennaro .. A la frayeur qui lui souleva l'Ame, elle sentit la force- de son amour. Sa voix ne la trahit point : — Prends garde à tes menaces, Giovanni,"Là luciole il Arec toi, je n'ai pas eu un seul beau jour. Je te tuerais,que je rendrais service même à ceux qui se disent tes omis Je ce veux plus être punie sans snosii'î Je suis déjà à moitié dégoûtée de la vie. Si tu m'en dégoûtes tout à fait, je tâcherai de ue pas mourir seule. Après tout, je ne suis pas plus bête que toi; et d'ailleurs^ quand elle n'a peur de rien, une femme vaut bien un homme. Le contrebandier, malgré, ou peut-être à cause de sa finesse, vit dans ces paroles une preuve de franchise, il demeura perplexe L'in- nocence de Desolina lui parut pms probable que sa culpabilité : — Dans le brouillard, répondit-il, il n'est pas facile de distinguer un douanier d'un arbre... J'ai voulu te rattraper d'abord... j'exa- minerai ta conduite plus tard Tes menaces me font rire! Si tu es coupable, je t'enlèverai la peau à coups de tti iue... — Si je suis coupable! clit-elie lentement. Mais, j'ai été frappée mille fois sans être cou- pable, et cela, tu m'entends bien, je jure sur la Madone que je ne le souîïrirai plus! -— Noua verrons! gronda-i-il. Il était plus d'aux trois quarts persuadé. Quand Giovanni et Oesolina (entrèrent à la maison, Pa;rnieri venait de s'éveiller. il avait la tôle encore trouble. La présence de Preda contribua à lui faire reprendre connais- sance. Le contrebandier congédia la Lucia et demeura seul avec son oncie. 11 considéra us moment le vieillard en silence, avec une ten- dresse réelle, et demanda : — Est-ce que tu te souviens comment cela t'est arrivé? — Il paraît que je me suis endormi, répli- qua Àrmanio ave •■ inquiétude. — Oui, mais je voudrais savoir ce qui s'est passé auparavant. — Rien du tout. Il me semble que c'était il y a une minute... Je fumais ma pipe... -— Tu n'avais rien ressenti'.' — Je ne sais pas bien, Giovanni... peut-être que j'étais un peu lourd,., oui, peut-être... J'ai un mal de têîel -— Avant ta pipe, comment fe sentais-ta? —- Comme d'habitude, je pense. — Tu n'as aucune idée qu'on t'aurait fait quelque chose? Le vieux, pris de soupçon, réfléchit. Mais, pas plus que Giovanni, il ne songea au îhé. — Non... qu'est-ce qu'on aurait pu me faire? — As-tu gardé ton tabac? Palmien fouilla dans une poclie et retira sa blague à moitié pleine : — Voilà ce qui me reste. Le contrebandier, hanté pir le souvenir des tabacs opiacés, regarda et flaira : — On pourra fe faire examiner; dit-il.,. Et brusquement ; — _ Voyons, ml au moins, te vois d'ici leurs mai- sons Je ne dis pas qu'ils le feront, Ja m'entends bien! Mais enfin ils pourraient le faire. Tu vois, mon petit, que tu pourrais avoir à tuer. . — (ju'ont-ils à se mettre sur ma rouis I — Nos ennemis sont toujours sur nelra route, mon cmurl .. Un grand malaise envahit Pâma de-Jean. Il wa avec amertume la dtstasa» où les cir- constances S'avaient enîraîné. Gennaro tira un Brisago de sa poche, et dit : — Ne le chagrine pas... il n'y aura per- sonne sur la route... On ne peut pas avou» deux fois la mauvaise chance que tu as eue... D'ailleurs, puisque tu prends cette lois le tau- reau par les cornes, songe que nous serons, loi ei moi, tout le temps avec Desoliia, pour paier aux événement». Tu comprends, après tels, il faudra que je m'exile, à moins que je ire tua Pred» ou qu'il ne me lue. Est-ce que tu pourras m utiliser là bas, chez les toreslieri? Jean fit un signe allumai if. Le visage de; Tagli'imctite marqua une joie presque naïve :J — Alors, tu o'as plus qu'a me dire le jour,! j'y serai avec trois chevaux, je sais déjà qui me les louera... Une semaine fiévreuse se passa. Desoiina voulut tout prévoir. Outre que Preda était moins souvent en roule par cette sai-on, il ne se décidait guère pour des expéditions de longue haleine. Il en accepta une, pourtant, alléché par une prime sérieuse. Desoiina donna le signal. Malgré son premier échec, et la caractère suprême de sa nouvelle tentative, elle se sentit beaucoup moins émue que naguère. Klle se leva avec tranquillité el disposa toutes choses avee ordre. Elle songeait à peine au nareouque et beaucoup aux difficultés de la roule L'ivresse qu'elle avait éprouvée lorsqu'elle s'était sentie libre, !a reprenait tout entière, coupée par de rapides chocs dans la poitrine. Elle songeait que, celte fois, elle devait ou réus irou mourir. Une troisième issue ne se présentai! pas à son esprit Tout nouveau délai parut inconcevable, L'ironie latente des choses est sans doute une pure figure de rhétorique Mais uni, considérant Sa vie passée, en bien comme en mal, n a pas un peu l'impression d'avoir été joué par les événements? Desoiina se voyait déjà sur la renie, lorsque l'eau se mit à bouillir. Elle fil le thé, et quand il fut prêt, elle pril doucemenl la dose de nar- cotique qu'elle avait gardée II y en avait approximativement, juste ce qu'il fallait pour endormir le vieillard. Elle s'approcha de la Sable : elle étendait lestement a main lorsque Arinanio; qui était sur le seuil, lit deux pas vers le corridor Elle entendit très bien îa direction de sa marche ; elle eut un mouvement de recul, heurta une chaise... et près des deux 'liera .de la pondre se répandirent sur le carreau... Ce moment lut atroce. Les oreilles de la jeune femme tintèrent, sua cœur déianlit II lui fallut une demi-minule pour voir que le ùeiix restait sur le seuil. Son sanj-froM lui revint alors d'un seul coup, ci sans peidie un geste» elle vida ce qui restait du narcotique dm? îa îa-^e, balaya ce qui était tombé, jusqu'aux as, et versa le thé. Ensuite, îa trouble !a ne revînt, raaia non plus pour la môme ca Elle Ee répétait : __ Y en a-t-il assez? S'endormira t-il? Dans son ignorance, eilo attribuait à poudre un pouvoir presque magique : elle désespérait point. — Armani»! cria telle enfin. Le vieu*. connue d'habitude, finit sa pipe et entra. 11 était aussi loin de tout soupçon que la prendre tois. H prit paisiblement sa tasse de thé, en redemanda une deuxième Puis, comme Je temps était fsvoiable, i! alla faire quelques menus travaux au ardin. Elle !e guettait parla vitre, avec une impatience irém tique. Le vieux posément, répara des treillages, inspecta les ruches qu'il avait doublées, selon le système du Pasteur d'abeilles, tàta de-ci de la quelque mbre ou quelque plante persistante, et se décida enfin à rentrer à ia maison. Ses yeux étaient pâles, il marchait-mollement. — Je me sens lourd, marmottat-il entre ses dents... Il s'assit, il entre-ferraa les yeux. Elle te regardait; elle avait une palpitation chaque fois qu'il respirait plus fort. Un moment, lî parut somnoler • sa tête se penchait sur une épaule; il eut quelques ronflements Desolina priait. Mais comme elle se menait maintenant de la lierge, elle s'adressait au Christ : — Jésus, j'ai souffert plus qu'une créature humaine ne doit souffrirl A^ez pitié de moi, Sauveur!... faites que l'échappe à ces hommes.., car i! ne m'est plus possible de vivre avec eux... Et elle répétait avec exaltation : — Ayez pitié de moi! Ayez pitié de moi! Puis, elle récita le l'aier, les yeux ardem- ment fixés sur le vieillard. La tête se pencha davantage. Mais alors, Palmieri fit un mouve- ment brusque, ses yeux se rouvrirent; il lit un grand ellort et se leva de sa chaise : — Je suis lourd,., lourd! grommelait-il encore. Lise souvenant soudain de son attaque, il fut pris de peur. Pendant une dizaine de minutes, la lutte contre le sommeil lut vive et pénible. Ensuite il devint évident que Palmieri ne s'en- dormirait pas. Les yeux redevenaient moins ternes, les mouvements moins lourds. Il alla achever la réaction au jardin. Desolina se réfugia dans sa chambre. Un dé.-cspoir incommensurable l'v éciasa Elle ne savait pas d abord si elle n'allait pas poignarder ïe vieillard et se tuer ensuite. Puis, elle voulut se sauver quand même. Elle profiterait d'un moment où Armanio serait à l'étage pour s'en- fuir sur la roule. Peut être, après tout, ne la rattraperait-il point avant qu'elle fût parvenus h l'endroit où Jean et Gennaro l'attendaient. Eile redescendit. Une heure passa, puis une utre • à aucun moment Palmieri ne monta ecscalier. Deux fois, Desolina sortit sur le seuil, mais chatoie fois elle se vil observée. \& seconds» fois, elle fut sur le point de prendre son élan : elle se rappela l'agilité du vieil homme et elle pensa en même temps que rien n'était perdu, qui! suffisait de se procurer une nouvel e dose de narcotique : Tagliamente ou le peintre s'en chargerait... Une autre heure s'écoula : elle vit qu'il était trop tard, que tout était fini pour ce jour-là. Sun âme s'emplit de ténèbres. La lueur d'espoir qu'elle avait eue au moment où elle était devant ia porie, s'évanouit. Elle crut qu'elle ne pourrait jamais échapper et qu'il faudrait mourir. Et. réfugiée dans le coin le plus obscur de ta maison, elle p'eura longuement, elle se sentit captive de la destinée comme elle avait, (le tout temps, été captive des hommes. Xïli L ACCIDENT Un lundi du mois de décembre, Jean Savigny revenait da Lugano. C'était au début du cré* puscule. Le soleil venait de crouler derrière les cimes; une fête immense ruissela sur les pics, les neiges, les forêts et les herbages. * Les lumières de Tavesco éiincelèrent. Une fine vapeur enveloppait le village. Jean eut le frisson très doux du refuge Au sein des ténèbres, épaisses comme un univers de houille où, de-ci de là, brûlerait un corpuscule, Tavesco appa- raissait intime, délicat et frêle. Que de fois, les soirs d'été, il y avait rêvé le bonheur ! Mais, peu a peu, il l'avait exécré, comme le captif sa prison, comme le forçat son île... Après l'instinctif éclair de joie, Jean le consi- déra avec haine. Il désespéra d'en jamais reti- rer Desolina. Lorsqu'il fut assez proche, une rumeur de voix frappa son oreille. Il s'en étonna. En cette saison, Tavesco ne bougeait que les soirs du samedi ou du dimanche. Les autres jours, dès l'ombre venue, un silence presque inquiétant régnait sur le village. A mesura que Jean avançait, la rameur gran- dissait ; rumeur de foule tessinoise loquace eî perçante. « l! y a quelque chose! s se dit-il. Trop accoutumé a la tristesse,son cœur sera- plit do pressentiments funestes. Ils se préci- sèrent, lorsqu'il vit ia foule, avec des torches et des lampes, pressée auprès de ia maison de Giovanni : —- Un malheur! Sa gorge sécha, ses jambes faiblirent ; il se, souvint combien de fois Desolina avait parlé do la mort. Un moment,»! dut s'arrêter, s'appuyerLA LUGÏOLE m çerstre an© clôture : ïî ta voyait étendue, les tyeux clos pour la paix éternelle... puis, l'cieès de crainte lui rendit des forces, il s'élança. Brusquement, il ia vit Elle était devant la maison, la fa^e dorée par les lueur», immobile, les bras tombés, comme pJoyée par un rêve II la distinguait très bien; •— elle se tenait à l'écart et, par la sature du terrain, dominait la fouie. — Qu'y a t-il? s'écria-t-il, hors d'haleine. Une vieille femme se tourna vcr3 lui : ■— Giovanni Preda est mort ! ï! poussa un en de stupeur» la joie qui l'em- plit tut si violente qu'il trébucha et tomba sur- un genou. Ensuite, une curiosité extraordi- naire, un besoin infini de certitude le redres- sant, il lendit la foule des temm 3 ci des en» fonts A la lueur de3 torches, il vit Preda étendu sur te sol. La face 'lu contrebandier- était sanglante, se3 yeux mi-ebs, sa bouche igiande ouverte; il avait des morts l'aspect allongé, aplati et fantoche. La curiosité étant 'piesque ésanchée, un espace vide se iii et Jean put considérer le cadavre, il le contemplait, avide, presque avec férouté, et sans haine. La force, la ruse, la volonté qui, naguère, pesaient si lourdes sur sa destinée, n'avaient plus là que leur simui.ïcre. Le curé, le syndic, le Sasso d'oro, Panscri, le peintre d'enseignes, ei ses sis fii es, Geunaro Tagliamciite, se détachaient dans le etair-oiiseur ; le grand Saivator agitait une torche dont les étincelles se détachaient en étoiles filantes • — Comment cela s"est-ii faitï demanda en- fm le eune homme Pansai voulut répondre ; le Sasso d'oro lui mit la main devant Sa b"uche : — Moi seul le sais! répendit-il... c'est un accident... Une i terre a roulé de la montagne, alors que nous étions au bord de l'anime... Je ne suis pas un porc fou... j'ai vu tomber la pierre et Giovanni... — Eies-vous sûr que c'est an accident? san- glota Paimien. I — Est-ce que vous aurez bientôt fini de ma demander cela ? cria te ferraio avec indigna- tion.. Suis je un vieux montagnard., un guide ■renommé? N'ai-je pas conduit Monsieur Stesor?... Je sais distinguer une pierre qui route, je pense... Je dis que c'est une pierre, ei sans voire cha- grin, sior Palmieri, je prendrais votre question en mauvaise part — Ne vous fâchez pas, tout ïe monda sait que vous êtes un homme sincère, intervint dou- cement le curé, et vous aussi, Palmieri, vous te savez. Annanio fît un signe affirmais! et, prenant la ra.iin du eadavre, il dit : — Pourquoi votre Dieu S'a-t-iî laissé mourir? Un sanglot dur lui brisa la voix ; des ieunnea pleurèrent. Mais ses ennemis -— il en'avait beauconp — l'examinaient arec une attention froide, minutieuse et satisfaite. — il faut transporter le mort dans sa mai- son, dit enfin le syndic, et si sior Palmieri et la signera Preda !e désirent, un médecin vien- dra de Lugano... Quatre hommes, les mêmes qui l'avaient rapporté de ta montagne, se saisirent du ca- davre et te transportèrent dans la maison. Pieda nétait pas roide encore; il vacillait d'une façon étrange. Palmieri suivait, en mar- mottant une prière Après que le cortège eut disparu, Jean tourna le visage vers Desolina. Elie était toujours immobile, extrêmement pâle. Quand ses yeux se rencontrèrent avec ceux du jeune homme, une joie invincible tes fit étinceier t'e fut. en tous deux, le sentiment d une aventure infinie, qui changeait la lace du ciel et de la terre —- et cetie nuit qui na- guère pesait si lourde, cette nuit de houille, sembla aussi légère que la ronde des veilleuses allumées à la cime des monts et des arbres. Lorsque Desolina fut rentrée à son tour dans sa demeure, Jean se mêla au groupe du ru ré, de Panscri.de Saivator et de Gcnuaro. Pendant quelques minutes encore, la foule persista autour de la maison. Elle s'égayait. Un désir de beuverie geimait au cœur des hommes, les femmes se sentaient dans une atmosphère en- semble mélancolique et s fériée », A ia lueur dansante des torches, aux pâles reflets des lampes, ces êtres bruns et violents, pour avoir vu un trépassé, gantaient mieux la joie de vivre .. — On dirait des guêpes sur un pot de miel î iit le Sasso d'oro, avec mépris. Sior toi e-tiere, vous voyez notre peup e les chiens sont plus tristes qu'eux devant un cadavre ! ^~— Quand cela est-ilarrivé"'... demanda Jean. — A trois heures .. sur la Vire des Chèvres. Nous nous étions arrêté» pour examiner Se3 traces d'un ébonlemenl. La pierre est arrivée, presque sans bruit, si vite qu'un bouquetin' ne l'aurait pas évitée ■— Preda a roulé au bas de la montagne, à côté de Stagno.,. Dieu seul a tout tait... — Que son nom soi! béni î murmura le curé. — Pas par toi, prêtre simoniaque, grom- mela Saivator... La fouie se divisait. Panseri, Saivator, Gen- naro, le Sasso d'oro. et Jean se dirigeaient vers i'aibergo. Quand ils furent à mi-route, Taglia- mcnle a'tira le jeune homme dans l'ombre. Là, d'une voix creuse et véhémente, il disait : — Ah ! mon cœur, mon toui petit ! Te voilà libre pourtant... il n'y a plus rien entre elle et toi... cet homme a l'ait ton bonheur en tombant de la Vire,.. Il pressait ta main de Jean avec nne vois convulsive ; il y posait lortemenl ses Iftvies ~ Tu vas vivra i... Dis-moi que tu-.es eontent,S4 LA LUCIOLE très cher... dis-moi que tu te réjouis dé l'avoir ,vu immobile... Ln porteur de torche passa, une lueur de cuivre dansa sur le visage de Gennaro. Ce visage était terrible, les joues palpitantes et retrous- sées vers les pommettes; les lèvres amincies, singulièrement retroussées contre les dents, les yeux ronds, phosphorescents et tous. Cette émotion eflrava et toucha Savigny. — Celui-là" méritait son sorti fit encore le contrebandier... IS n'y a pas une mauvaise bote dans la montagne qui ne soit bonne â côté de lui... Et lu saisi j'espère qu'il ne trouvera pas grâce devant Dieu l J'espère qu'il brûle déjà là-haut!... Il ajouta d'une vois chevrotante : — Tiens, vois-tu, sans les autres,-je l'aurais tué, celui-là, comme j'écrase une guêpe avec mon boeale... Mais tu n'aurais pas dormi tranquille... Il se mit à rire, d'un rire sauvage, joyeux, menaçant : '■ — Il Vaut micas que la montagne ait fait la besogne.;. ' Jean rôda le soir auteur de la maison de Preda, mais il n'osa ni ne voùiut y entrer avant le lendemain. Il trouva Desolina seule dans la'salle commune. Elle était grave, pûle, lointaine, dans ses vêtements noirs. Leur pre- mier geste avait été un élan l'un vers l'autre. Ce geste se fi ea : leur attitude parut soudain contrainte, leurs yeux se détournèrent, il y avait de l'effroi dans le silence qui suivit... àais, lorsqu'il ta prit dans ses bras, elle ne refusa pas seo lèvres ; leur baiser fut long, dévorant, plein de tendresse plus encore que de passion. Desolina parla la première : — Je n'ai pas dormi, dit-elle. Toute la nuit, 'j'ai cm qu'il allait se relever... Je voudrais quitter cette nvdson. — Pourquoi ne la quilterais-fo pas? Elle le regarda avec étonnemént : — Je ne peux pas. Qu'est-ce qu'on dirait si /je bissais le mort seul t — Est-ce que'lu t'occupes d'e ces gens que tu ne verras plus? > — Pourquoi ne. les verrais-je plus?... Et puis, ce serait mal S — Mal? Crois-tu devoir quelque chose à cet homme qui t'a fait tant souffrir? Elle répondit avec gravité : — On doit toujours aux morts! Il ne put s'empêcher de ssiunre : — t'as aux assassins... pas aux ennemis! — Les morts ne sont plus dés assassins I Il comprit qu'il ne devait pas la contredire. Au loinl, il trouvait du plaisir à lui voir ces scrupules : ' — Alors, tu ne quitteras la maison quand il eu sera parti... — Ouï, répoi;dit*elie» pensive.".! je vendrai ma part... Ârmanio la prendra peut-être pour de l'argent.. car il hérito la moitié de tout,1 comme moi. Et puis, je vivrai où tu voudras.,.1 —- Chère âme, dit-il en tremblant .. en es-tu1 sûre? Où je voudrai? Ne regrelleras-tu pas' Tavesco ? Elle jeta uo long regard sur le jardin: -*- Je ne peux pas regretter Tavesco... Toute ma via y a été un tourment... Je voudrais seu- lement quelquefois revoir te curé et la temme' de Salvator... Elle pariait, un peu lasse, avec un air de douceur qu'il ne lui avait jamais connu : • — Tu seras heureuse à ta manière, dit-il tendrement, et non à la mienne. — Oht je sais bien que je serai heureuse avec toi... surtout si nous pouvons vivre sans péché .. Maintenant que je suis libre, ja vou- drais ne pas offenser Dieu l Il ne comprit pas, il tourna vers elle un visage interrogateur. Elle, un peu pâle, parla plus bas: —- Jepensequetu m'aimes comme je l'aime.' El moi je t'aime pour toujours. Quand j'étais prisonnière, quand cet homme nous séparait, je ne m'inquiétais pis de vivre en païenne...1 Elle hésita II passa sur l'âme de Jean une vaste, une pesante inquiétude. Lorsque leurs bouches s'étaient réunies, il avait cru que t'aventure incertaine, morhide et douloureuse finissait. Et voilà qu'une ombre nouvelle s'al- longeait sur son amour. il dit avec fièvre : — Parle vite, bien chère. Je pensais que le bonheur était venu... Elle l'enveloppa de son profond regard noir et sairané ; ses épaules tremblaient : — Si lu m'aimes tout à lait, il est vraiment venu. Il la prit dans ses bras, avec un cri ardent, plaintif. — Es-tu ma femme, Desolina? Elle demeurait immobile, respirant à peine, Sa poitrine tumultueuse. — Que demanderais-tu h une jeune fille de ton rang? — Ah! s'écria-t-il, amer... avec une jeune fille, je n'aurais pas enduré ces longues tor- tures... Ensuite, la jeune fille serait libre... loi, c'est presque une année qu'il faudrait t'at- tendre !.,. Et que t'importe, après tout I Crois-tu que je ne tiendrai pas parole? — Sil Mais nous aurions commis le péché. — Si tu m'aimais, tu n'y penserais seulement pas! Elle demeura uns minute rêveuse. Puis, ses lèvres remuèrent elle priait. Elle dit enfin : — Mon cœur! je serai à toi si tu le veux... Mais ce sera mal, et peut-être serons-nous puai Elle le saisit avec tendresse, elle le pressaLÀ LUCIOLE U contre son sein. En lui baisant îes joues, elle tes couvrait de larmes Elle'disait : — Je veux bien être damnée pour toi, car }Q t'aime plus que tu ne m'aimes, mon cœur!... Je sais que je perdrai ton amour, si nous taisons Comme ries infidèles... El cela n'est rien, maiâ îu ne seras pas heureux... 11 ('écoutait e!i silence, sentant qu'il n'avait rien à lui répondre. Des siècles les séparaient. !I la comprenait cependant; il l'approuvait presque. Esclave, elle avait été prête à l'adul- tère, même au crime. Ni la religion, ni aucun sentiment social n'avaient alors de force contre son amour. Ou plutôt, elle avait un auire sens de la re igion et de la morale Elle priait na- guère Dieu et la Vierge rie l'aider à luir avec son amant; elle croyait sincèrement qu'ils devaient êire avec elle. H n'y avait là aucune contradiction, rien que l'adaptation souple et prompte de l'âme latine aux circonstances. Celte souplesse et cette promptitude la mettent à l'abri rie la casuistique anglaise ou du cy- nisme américain. Il considérait, avec une agitation insuppor- table, ce visage blanc et passionné, ces yeux ea feu sous les larmes. L'attente, en elle-même, lie lui taisait pas peur. Qu'il eût Desoliua près de lui, qu'il passât les heures du jour dans la lumière de sa beauté, qu'il respirât la confiance que donnent de3 mains unies et des lèvres jointes, cela pouvait après tout suffire. Ce n'est pas l'attente qui l'épouvantait, mais l'in- certitude : trop longtemps les choses avaient tourné contre eus, Ce nouvel arrêt ne semblait pas une pause, mais une couvée de hasards, de circonstances, d'hostilités sournoises. Tout ren- trait dans le brouillard, dans le mystère ter- rible 11 dit, avec un grelottement : ■— Tu seras à moi si je le veux ? Elle lui jeta un regard d'esclave. — Oui. — Tu me pardonnerais de le vouloir î — Oh I caro. mio, je le pardonnerais si (a plantais un couteau dans ma poitrine. — Slais tu serais triste .. — J'aurais ,peur de Dieu... J'attendrais îe malheur^ Alors, le cœur de Jean s'emplit d'une ten- dresse désespérée, plus grande, plus lorle que î'amour. 11 se rappela combien elle avait souffert ; il lui fut atroce de croira que lui aussi serait son tourmenteur. Tout tremblant, il cria : — Chérie 1... chérie... est-ce que ja pourrais faire mon bonheur de ta peine?... Ses propres mains le glacèrent II y eut dans îout son corps une roideur étrange et pesante ; sa bouche sentit à peins le baiser dont elle la récompensait. XI ■/ * LUGANO Il ne vonîot pan que Desolina connut ïa France par les temps froids ; il craignait aussi de la dépayser brusqueme ifl Deux maisons voisines se trouvèrent, à Lugano, au bord du lac II les loua toutes deux, vécut dans l'une, et mit Desolina dans l'autre, avee une vieille lemrne de Tuvesco et une servante, fis ne vivaient pas solitaires. Outre le Pasteur d'abeilles qui arrêtait souvent son ourqne en face ties jardins, outre Gennaro qui descendait deux ou trois fois par semaine, ils voyaient Larnpuniani, Vaeounme, et mémo les jeunes filles du nihiliste. Vacounine, dont la conduite, de cent ma- nières, contredisait les doctrines, était en accord avec lui-même sur la théorie et !a pratique du mariage. Il avait été marié librement — sans autre cérémonie que de faire casser une cruche par son beau-père. Les jeunes ourses n avaient ni vertu ni vice : elles n'attendaient guère l'amour; elles préféraient des rôtis, ries entre- mets et des truffes. Aussi, reçurent elles De-o- iina avec indifférence d'abord, puis avec plaisir, car elles avaient des cœurs mous et tendres. Maffîues, pesantes, vacillantes, avec leur marche de jeunes tapirs, elles avaient du goût. Sachant parfaitement qu'elles étaient inhabillabies, elles traînaient des tuniques de laine, des gandouras, d'amples manteaux ou des robes a ia bonne femme, et portaient des bottines d'hommes Mais elles distinguaient l'éléganee des autres créatures, Vacounine, intéressé à i'a^enir de son jeune ; mi, voulut que ces grosses filles s'occupassent de Desolina. Elles le firent avec mesure et délicatesse. Par degrés, elles modifièrent le costume de la Tes- sinoise, comme aussi elles lui enseignaient quelques usages. Leur élève fut excellente, pleine de vigilance, d'attention, de souplesse. Dès les premières indications, elle se prêta passionnément à la métamorphose, elle comprit que la moitié de l'avenir y était attaché. Et leste, et douée rie ta vive compréhension latine, aidée aussi par le 3*yihme exact, par la « logique de grâce » EX LU CI 01! —- Vous sem bîea heureuse si l'on ne com- Hieî pas de crime sur vous ou par vous! Elle laissa tomber les raisins qu'elle élevait Teis sa bouche; l'on vit trembler tout son corps : — Si'ëeoutei pas es mauvais sauvage! fît Lampuniani, avec une nuance de mécontente- ment dans la jovialité... Il n'est bon qu'à sa faire pendre ou exiler 1 Vacounine se sentit lâché contre lui-même. Il dit : — Allons prendre le café au jardin! À l'ombie "Ses grands thuyas, dans l'odeur Serveuse du café, tous eurent quelques minutes d'engourdissement. Au loin, des fusées partirent d'une barque, des feux de Bengale colorèrent l'étendue. Jean s'était rapproché de Desnlina S il la sentait mélancolique el presque craintive. Et, dans l'atmosphère sensuelle et fine, ce manque de joie était cruel. Comme elle restait silencieuse —  quoi penses-tu? lui dit-il. —- A loi 1 répondit-elle avec un faible sourire. — Ce n'est pas une raison pour être triste. — Si J'ai peur que tn ne sois pas heureux. — je ne l'ai jamais été plus doucement. Elle tourna vers lui des jeux humides : — Ksi ce bien vrai, très cher'/ Tu ne t'en- nuies pas dans ce pays? Tu ne voudrais pas en pariirï Moi, où que tu ailles, je serai bien... ^ Eile avait une voix étrange, hâtive, qui le surprit. Mais il ne comprit pas qu'elle souhai- tait le départ. 11 murmura : — Je ne m'ennuie pas du tout. Je no désire «u monde que ta présence Elle soupira et ne répondit point... Le surlendemain, Gennaro vint faire «ne tiske à Jean. Quoique son allure lut familière et son amitié démonstrative, il avait sn garder «es distances. Avec la souplesse italienne, \\ comprenait qu'il ne fallait pas traiter Desolina 'comme il l'eût traitée à Tavesco; il montrait à cet égard une circonspection extrême, évi anl, autant que possible, de se présenter lorsque Jean n'était pas seul. Maintenant qu'il ne craignait plus quelque coup rie tète du contrebandier, le jeune homme Je recevait avec plaisir. Et puis, il était touché Ce ce dévouement profond, presque animal, qui oe réclamait rien en réunir. Gennaro avait l'air soucieux. Jean connaissait ces mouvements'du Iront qui rapprochaient les yeux déjà trop proches, et ces mâeliements à »de qui faisaient saillir les mâchoiies Ta^lia- mente répondait à peine et ne regardait pas en face. Sachant qu'il aimait, dans ces mo- ments-là, à être interrogé, Jean lui demanda : — On dirait, mon vieux Gennaro, que tu as écs ennuis. Les douaniers ne t'ont pas lait de forces ? — Eu£J,fltGeDBaTO.t eûbaussaRtieséDaules^j Les braves eoglionl... m'en ont-ils fait du Ijob sang depuis la saison nouvelle 1... il mit sa main dure sur l'épaule de Jean : — C'est pour toi q te j'ai de l'ennui! Jean le considéra avec étonnement. puis ave* Inquiétude. Et qnoiqui! ne vît rien, dans sa tuelle, qui ne fût clair et rassurant, ilj €ut un petit choc au cœur : — A cause? — A cau«e du vieux Palmieri. Des choses obscures palpitèrent dans l'âme tîu jeune homme. — Qu'ai-je à faire avec le vieux Palmieri % dit il doucement. — Ilien. Seulement, je crois que le vieux1; devient lou, répondit le contrebandier en mâ-j chant plus sort... Alors, tu n'as !>as besoin! d'avoir rien â faire avec lui... Il suffit que saj lobe tourne contre toi, ou contre la signor Il a rôdé autour de ta maison. ■— Je le t^ais ; je lui ai même parié, dit Jean.., Eî je lui ai trouvé l'air stupide et irmffensif fl y eut un silence. Gennaro avait baissé la! tête ; il sifflait. Ses joues étaient dures, sài bouche féroce : : — Il aui ait pourtant bien pu crever! reprit-il.] —■ Qu'e-4 va que le pauvre diable pourrait' nous faire, Gennaro? — Un coup de lou, carissimo... Ce qui pas* sera par sa sale tête verte... Et ça ne fera! rien rie bon pour toi... Le Tessinois planta brusquement son regard) dans celui de Jean. Sa tendiesse, son anxiété,; je ne sais quelle menace lointaine, tout troubla! le jeune homme. H eut i e nouveau te frémisse^ ment de la vie barbare, tragique, sans sera-' pules : — Je suis venu te donner «n conseil, disait' Tagliamenté... Pourquoi ne partirais-tu pas! pendant quelques mois ? Le vieux s'affaiblît t\ , l'été il ne pourra pius se servir dé jambes on il sera mort... à moins qu'il ne soit dans une maison de fous... ' — Si tu le crois si faible, M n'est guère £ idré. — Eh! je sais bien que tu t'aplatirais d'an coup de poing! Mais il n'attaquerait jamais eu iace... Quand il serait iou comme dix fous,; vois-tu, il est de la race qui trappe par der- rière... Tu ne veux pourtant pas exposer la Signora ? Tout ce!a paraissait naturel, et toutefois, Jean ressentait toujours nue impression da Choses souterraines, équivoques. Etaient-ce les jeux de Gennaro, si îaux dès que la tendresse ne les animait plus, étan-ce la longue et sinistre attente?... Il ne s'attarda pas à s'analyser. Aussi bien, le départ, de toute manière, Sut; convenait . un peu de nostalgie, le besoin da- mai Ire ordre à ses affaires, .^'unissaient a ce!ta . gouvejle menase, d'autant jglus agaçante' ^u'i|fLA LUCIOLE S9 ae "pouvait, sans ridieule, s'attaquer directe- ment à Armaruo. Mais Desoiina n'en serait- elle pas attristée? il voulait le savoir sur l'heure. EUe était au jardin, parmi la gloire heureuse des roses, lorsqu'il la rejoignit. Son sourire avait de ta contrainte: toute sa personne exha- lait une mélancolie devenue habituelle, et qui, en ce moment, le frappa davantage. Elle se (enait devant lui, le visage nacré par la jeune lumière, et comme un reflet de rubis sur la chair pourpre de ses lèvres; un vol de mou- cherons dansait près de la chevolure bleuâtre : — Tu m'avais dit, l'autre soir, que tu m'ac- compagnerais volontiers, murmura-t-il... Veux- tu que nous allions à Paris? Elle marcha vers lui avec un cri léger : — Oh t tout de suite si tu veux... Et confuse, jetant ses bras autour des épaules du jeune homme : — Je n'osais pas te le demander l Il tilt heureux de ce cri, de la joie qui colo- rait la belle fleur humaine, mais, tout au fond, restaient le doute, l'incertitude, quelque chose de très confus qui rôdait dans sa conscience comme une bote à pein8 visible dans une Caverne. '  Paris, la vie fut éclatante et douce ; toute mélancolie disparut du visage de Deso- iina. Dans cette grande patrie de la femme, elto s'enivrait de découvertes. Jean mit une ardeur d'amoureux et d'entant à lui faire tout connaître de la cité, au fond si tragique, mais qui, pour les regards simples ou neufs, prend l'aspect d'un nouveau monde. I La Tessinoise, créée pour la passion, mais aussi pour l'allégresse aisée, pour l'enthou- siasme vif et confiant, se crut dans un univers 'de joie. | Jean passa presque tout l'été à Paris.  peina s'il entrevit i'Océan. Il s'amusait de la préfé- rence passionnée de la Tessinoise pour la ville. Cette préférence s'accommodait d'une vie simple, presque monotone. Pourvu que Deso- iina passât chaque jour par quelques rues, elle était parfaitement contente. Point dépen- sière de nature, la vue des choses lui suffisait presque toujours ; elle ne demandait pas à les posséder. Morièrcs appréciait vivement ce déta- chement. — Elis ne te ruinera pas! disait-il... Ella jprend uo plaisir infini à tout, et n'abuse de rien. Elle ne gâche rien non plus. Ii y a là une sorte de perfection dont les conséquences sont merveilleuses pour un mari. Car, mon garçon, que pourrais-tu refuser à une femme que mille hommes, à Pari3, ne demanderaient qu'à sub- merger de luxe? Tes petits trente mille livres de rentes feraient du soixante à l'heure ! L'automne approchait, Tl fui fluide el joyeus comme un printemps. Le Bois restait Irais, les pelouses semblaient reverdies, des nuages fins se hâtaient de verser leur ondée et de s'évanouir en charpie. Jean et Desoiina s'accoutumaient à leur bonheur : ils l'habitaient comme on habite sa maison natale. La date du mariage les occupa. A la fin d'octobre, on pourrait publier les bans pour lesquels Jean avait préparé toutes les pièces : la dernière qui arriva lut envoyée par le curé de Tavesco. Peut-être y avait-il toujours eu une espèce de doute dans lame de l«solina, car, lors-1 qu'elle alla se (aire inscrire à l'état civil avec Sîvigny et Modères, elle eut une sulïocafior». de joie. Comme presque tous ceux de sa caste, sa foi dans les actes officiels était absolue. — Fichtre l dit Moriôres devant ce visage tragique de bonheur... elle prend l'existence au sérieux Elle voulut prier à l'église ; elle y demeura une demi-heure, abîmée dans la gratitude. Toute la journée, elle eut un. peu de délire, Et le soir, comme Jean la quittait, elle lui dit tout bas : — Si tu savais, caro mio... J'ai eu si peur du péché I... Tous les jours, je croyais que Dieu m'abandonnerait l... Il la tint longtemps contre sa poitrine, écou- tant palpiter ce bonheur qui était son propre bonheur. Dans la rue, il marcha au hasard, énervé d'espérance. Puis, son agitation s'apaisa, il eut des rêves heureux et rassurés, il songea â l'ave ■ nir avec une en!tore douceur... Il était près de minuit quand il se trouva près de sa maison. Alors il vit, avec saisissement, une grande silhouette maigre se dresser devant lui. XVI 1,'ÉQUITOQC» Jean reconnut Gennaro Tagliamente et cela ne lui fut pas agréable. Môme, il s'irrita de la façon insolite dont le Tcssinois se présentait. — Eh 1 tu n'attendais pas ton ami, fit l'autre en lui saisissant la main avec violence... Que veux-tu, j'avais de l'ennui... je ne prenais plus de plaisir... pas même à tromper ces cogdoni de douaniers... Alors, je me suis dit : k 11 faut que je le voie, mon tout petit... Quand je l'aurai vu, j'aurai le cœur plus tranquille. » J'ai pris les trains. C'est long... je croyais ne jamais arriver au bout! Ses yeux ne se levaient p?us sur Savigny. Iliû LA LUCÎOLB svaiî le Ion volubile, les gestes vifs à froid, la face grimaçante, tuyaute, impersonnelle. Jean éprouva les mêmes défiances coaiuscs que là- bas, au Tessin, 8vaut le départ. il dit iroidement : — Vous auriez dû me provenir. — Je me le disais... Seulement, tu sais, l'écriture et Gennaro sont brouillés... Puis, je te voyais mécontent de recevoir ma lettre .. j'étais honteux de moi. ie me disais : « Quand on sera fa eà face, il excusera son ami. Qu'est- ce qui vaut une poignée rie main et les mots qu'on dit de sa voix naturelle? d Tu n'es pas fâché, canssimo? Je me tiendrai dan;-' un petit coin... tu venas, je ne t'ennuierai jamais... je ne pèserai pas plus qu'un moineau sur un châ- taignier. Sa vois s'attendrissait. Brusquement, il eut ses yeux francs, son visage d'amitié. Alors, le jeune homme sentit son mécontentement s'éva- nouir; il se rappela tout ce que le sauvage avait fait pour lui — et des souvenirs innom- brables, tout le Tessin lumineux, violent et paifumé, se levèrent dans sa tète : — Ça me fait plaisir de te voir, mon vieux Gennaro, dit-il doucement. — Ah 1 je le savais bien... je reconnais ton bon cœur! cria la drille... Vois-tu, cher petit, je ne pourrai ïamais plus vivre longtemps sans toi. . Tu m'avais dit là-bas que je pourrais travailler à Paris... Jean se souvint de ses paroles : elles étaient nettes. I) ne songea pas une minute à n'y pas faire honneur, mais il lui fut pénible d'avoir à le laire maintenant : — Sans doute, dit il d'une voix blanche... Que peux-tu el que veux tu faire? — J'aime les chevaux, répliqua Gennaro Je tes connais bien Quand j'avais vingt ans, j'ai pris soin d'une écurie. Alors, quelque ehose dans les chevaux, ça m'amuserait... — On essayera de ie trouver cela... — Pas tout de suiie, lit hâtivement le contre- bandier Je veux vivre un mois ou six semaines à mon goût. J'ai du bon papier de banque dans cette poche... Quelques vacances ne me feront pas de mal. Son regard était devenu faux. îl faisait cra- quer, en les tordant, ses mains noueuses Comme des sarments. — Comme tu voudras!... Et qu'est-ce que tu vas faire cette nuit ■ Où as-tu mis tes bagages? — J'ai suivi le conseil d'un homme de mon pays... j'ai laissé ma malle à la gare. . le pourrai la réclamer lorsque j'aurai un loge- ment. Sa voix s'embarrassa, il paria d'un ton humble — Je voudrais loger près de elle? toi... pas pour t'ennuyer, mon cœur,*, niais perur être 3 ta disposition^. Jean, .perplexe, considérait son homme. Avec son feutre vert, pointu et orné d'une plume chauve, sa veste couleur de moisissure, sesr culottes terreuses et ses bottes, Gennaro souli- gnait son origine fcl il n'inspirait pas confiance. Le masque dénonçait des violences mal conte» nues, la sournoiserie et l'amoralité. Où ie loger sans trop attirer l'attention et «ans s'exposer à quelque rebuffade'/ Jean se souvint d'un hôtel de sculpteurs, de rapius et même de modèles, qui se trouvait dans une rue pro- chaine. — Mon vieux Gennaro, dit-il, comme tu n'as p3s de malle avec toi, se loger est moins com- mode que tu ne crois. Il famlra donc une pro- fession. Je dirai que lu es un miwfèle? — Tu diras ce que lu voudras... Allons retenir ma chambre... puis tu m'indiqueras où je puis manger un morceau, car ce diable de train m'a fait un Irou de six pieds... Ce quQ j'ai mangé en mute est dans ie tram ! Jean conduisit son compagnon è l'hôtel du Rhône et de la Méditerranée. Un gros méri- dional, la ligure onctueuse comme une olive, les lèvres rissolées, vint bâiller au nez des deux hommes. Il reconnut Savigny : — Et qu'est-ce qu'il y a pour votre service? graillonna-i-il, avec une quinte de ioux qui imi- tait le bruit d'une friture — G'est ce brave garçon qui vo drait loger chez vous... Comme il ne connaît pas Paris, je Yotis le recommande. — Ah 1 vous nie le recommandez? fit le maître du Rhône et de la Méditerranée. Et ses yeux gros et malins marquèrent que la recommandation ne lui paraissait pas superflue. — Et autrement... qu'est-ce qu'il compte faire à Paris, cet homme? — Vous auriez dû le deviner, fit le peintre en souriant... 11 va me servir de modèle. — Allons! il chasse de race., il s'en tirera. D'ailleurs, puisqu'il est sous votre protection, le Rhône et la Méditerranée lui t,ont ouverts.,. Une chambre de combien? — Une trentaine de francs par mois... — Au deuxième, numéro vingt-neuf... Vo* lez-vous voir ? Gennaro alla jeter un eoup d'oeil sur la chambre, pour la forme — car, au iond, il se fût accommodé d'une étable : — $ous reviendrons plus tard, fit alors Sa- vigny. —- Le temps, il n'existe pas ici, dit l'hôte- lier. Le jeune homme éprouva un singulier soula- gement, comme s'il venait de sut monter uns difficulté considérable, il avait craint de garder son homme pour compte et, non par répu- gnance, mais par un obscur sentiment supersti- tieux, peut-être aussi par appréhension des critiques de Morière», l'idée d'avoir tieiiuarola nraroLE 61 comme hôte lui était pémblg, Aussi appela-1 il presse gaiement un cocher : — Rno (loyale... chez Air-ideî A tente tenait un bar où se mêlaient des joc- keys, dite garçons d'écurie, des entraîneurs, et dei noctambules, des chanteurs ita4ii3ns, des guitaristes espagnols, des nègres dansant Sa gigue-ou le case-tvalfc. ho Jeune homme appréhendait tout ce qui concernait ce vMai.'o de Tawesen où la vie avait été si tumultueuse, sournoise et humiliante. — KM comme tu ma regardes! lit le contre- bandier... fcan se troubla sous Se regard des prunelles vives. Il balbutia : — Quelles nouvelles lâ-bas? Salsrator n'a pas encore ouvert le < «ré? Gennaro poussa un éclat de rire cuivré nui éveilla en sursaut les jockeys et fit faire u« faux pas â l'une n*y s one le vieux Ferra i qni s'esi « écidé à entrer dans ia terre... La si- gnnra Salvator pense à vou3 bien souvent .. Il allait, aeciimulmi les paroles «iseuses. Elle l'é oulait avec indifférence. Mais lorsque Jean se retournait, leurs regards se fixaient nn moment l'un sur l'autre, ceux fie l'homme sombres, ceux île la jeune lemiao fébriles, dilatés, interrogateurs. Si Jean avait éprouvé de la crainte en annon- çant à Desolina l'arrivée du contrebandier, il enlil une vive gêne vis à vis de Morières. Avant d'aborder son ami, il décida le Tessinois à remplacer son costume d'amadou par un eom- plet quelconque. L'autre ne lit guère de résis- tance, il comprit que Paris exigeait un autie uniforme que Taveseo Une lourde étoile bleu marin, un feutre noir, lui donnèrent un aspect gauche, mais détournèrent de lui la gaieté des Troyous. Lui même éprouvait, sous ce nouveau Costume, une sensation cossue et agréable. Monères ne reconnut pas tout d'abord ce ranri escogriffe floitant dans sa veste. Quand distingua les yeux faux et la bouche sen- suelle : — Voilà une bonne idée! dît-il a Jean... Il y 8 une sorie de moraltsatiou à leur mettre de3 habits qui leur vont mal. La gaucherie est une des rouies de l'honnêteté... — Qu'est-ce qu'il vient faire à Paris? — ilien. Il paraît qu'il s'ennuyait. Morières examina attentivement le Tessinois. Hais à ce jeu, si l'autre avait eu quelque chose à cacher, Mr.rières eût été vaincu sans rémis- sion. Son observation, tout abstraite, se fût heurtée à l'instinct, et au plus subtil des ins- tincts. Gennaro, se voyant regardé, sourit : — Ton ami n'a pas conliance en moi f fît-il en fiairani le cognac .. C'est égal, caro mio, je lw jparduiiue à cause de toi. 3TVI1 L APAISEMENT Depuis l'arrivée ue Tegliamenfe, Desoîînà n'était plus heureuse. Elle avait des émotn>ns soudaines, des pâleurs, des attitudes d'attente, des yeux qui regardaient mal ou au loin, des bras abandonnés ou nerveux — et les moments Où elle échappait à tout cela, où elle venait à Jean avec des caresses, avec ries paroles véhé- mentes et tendres, avaient quelque chose de sac- , de heurté, d'illogique, qui conlrislait le jeune homme. Il admit d'abord, ou s'efforça d'admeu? e, que le» souvenirs trop précis ra; menés par Gennaro en étaient senls cause, Celte idée ne te satisfit que quelques jours, ii commença d'avoir des soupçons, on plutôt d'avoir un état d'aine soupçonneux. Mai» qu'ima- giner? Quelle cause, antre que la mémoire du, passé, pouvait assombrir la jeune femme? Ii cherchait en vain — il ne voyait que le vide. L'idée d'un secret entré Desolina ei Gennaro était franchement absurde Jean connaissait mieux que quiconque tous les «des de sa fiancée - et il savait d'ailb-ur-, avec certitude* que jamais elle ne s'était trouvée en tête à tète avec te contrebandier. Alors/ Malgré lai, il se mita épier les gestes, à éplucher les paroles, à surveiller les riémar.hes de la Tesàmoise Ce n'était pas difficile Desolina ne soriait jamais seule Mie ne sortait même jamais avec la vieille femme qui lui servait de gouvernante. H parut vile évident qu'elle B'avait aucun moyen de communication avec le contreban- dier. Pour mieux se rassurer. Jean confia fian- chement ses inquiétudes à Philippe, qui l'écouta avec une extrême attention et répliqua : — Je sui-i de ton a vis, il ne doit y avoir aucune communication particulière entre Deso- lina et ie Taghamente... — Alors, quoi'/ — Alors, nou3 avons repris pied dans la vie sauvage .. — Tu en reviens toujours là ! s'écria Savigny; avec uii peu d'humeur. Mais cela n'explique rien! Que! pouvoir veux-tu que Gennaro ait sur mon sort, s'il n'a aucun secret avee Desoina? — Je l'ignore. Je fais du symbole... Ce que tu ne peux nier, c'est le changement que laj seule appar.tion de ce montagnard a produit; sur ta fiancée. C'est un x. i\ous n'avons ni toi: ni moi les éléments pour le résoudre... Seu-! lement, tu ne le nies pas? J'appelle ça provi- soirement la vie sauvage .. Car si le même fait se produisait avec une femme et un homme de ton monde, nous aurions tout de suite une hypothèse plausible; le trouble de Desolina ne s'expliquerait guère que par une seule causa.., Or, celte cause, tu n'y as pas même songé. — Tu m'y fais songer, dit Jeau d'une voix sombre. — Naturellement! riposta Philippe,en haus- sant Ie3 épaules Mais c'est fou! Tu peux har- diment partir de cet article de foi : llesolina est désespérément fidèle... aussi fi 'èle que ce chien de Tessinois... Si ces gens font quelque chose, ce n'est pas contre toi! — Et que pourraient-ils faire pour moi! s'écria Jean avee impatience..-. Desolina est iibre. Il n'y a pas un être au monde qui puisse nous menacer... — Je ne dis pas qu'il y ah quelque chose àj faire pour toi, m que le sieur Tagliamente y songe : je tiens seulement pour impossible' lûuta menace de sa part centra ta sécurité ouLA LUCIOLE 63 ton bonheur... S'il n'y a pas on simple phéno- mène d'influence dan3 le cas de la luciole... une superstition, un pressentiment (et ça c'est bien du sauvage!)... s'il s'agit d'acte*, on peut donc éliminer les actes dirigés contre ta per- CDiine. Le cas échéant, voilà de quoi faciliter les recherches... Si tu avais seulement un ennemi, tout deviendrait clair. Comme Preda est mort, cette hypothèse tombe à l'eau... Les lèvres de Jeau se crispèrent. Il demeura quelque temp3 les yeux fixés dans le vide. D'abord il voulut garder sa pensée pour lui seui. L'entraînement des confidences en décida autrement : — li me reste un ennemi, dit-iî à voix basse... Toutefois, il est absurde d'y songer... En quoi un pauvre être tombé en décrépiiude. ignorant et stupide, peut il me menacer du du Tessinî... — Tu ne m'avais pas parlé de ça, dit Phi- lippe à voix basse... Est-ce de la vieille brute qui surveillait Desoiiaa qu'il s'agit? — Oui. — A-i-il fait acte d'inimitié? — À Lugano, il rôdait autour de «os mai- sons. Et Gennaro prétend qu'il avait de mau- vaises intentions. Alors, à cau-e d'elle... U s'arrêta, embarrassé. Philippe fumait d'un air indifférent. Puis, il se mit à dire : — C'est peut-être une fausse piste... Mais nous n'en avons pas d'aulre En définitive) est-ce que Gennaro avait l'air de redouter ses actes? — Gui... comme on peut redouter les actes d'un fou. — Alors, je ne vois que deux plans 5 suivre. Faire filer Gennaro par une agence... ou l'adresser franchement à lui... — Et selon toi, qu'est-ce qui serait pi rabie? — La faire filer. Jean suint ce conseil. Il s'adressa è une agence en renom. Pendant une semaine, il reçut chaque jour un rapport sur les démai de Tagliamente. U sut que le Tendrais rô-laii beaucoup par les rues, qu'il suivait fréquem- ment Jean lui-môme et Desoiiaa et qu'il avait i'eir de surveiller leurs maisocs. Tout cela suggérait qu'il y avait quelque chose, mais n'aiïirmait rien de précis. D'autre part la tris- tesse rie Desotina persistait. Elle avait toujours ces sursauts, ces rafales d'iaquiétnde, les brus- ques absences du regard et de la p;iro!e. De guerre lassé, le jeune homme résolut do s'adresser à Gennaro lui même. Un soir, il mena le contrebandier au bar â'Alciric Gennaro aimait cet endroit; il y était retourné deux ou trois lois seul, U y avait gagné la firmfatilfc de quelques gens d écurie, dont l'un, fils d'Anglais et d'Italienne, lu! servait de truchement. Jean attendit que la gaieté des alcools enflammât le drille. Puis, le regardant bien en face, il lui dit : — Gennaro, tu ne m'ss pas dit la vérité! Le contrebandier no changea pas de visage. Sans doute, son oeil était faux et oblique, niais la franchise n'y naissait qu'aux miaules de grande expansion. — Et en quoi ne t'ai-jô pas dit la vérité? ut- il, d'un ton paisible. — Tu avais un autre motif que l'ennui, eu Venant à Paris. — Mon cœur, je n'avais pas d'autre motif. , Jean regarda ce visage indéchiffrable, ces lèvres de ruse et ces prunelles opaques. 11 comprit que plus il dirait de paroles et plus aisément l'autre le duperait. Seule une attaque prompte pouvait réussir ; — Armanio esî h Paris l dit-il vivement. Le visage du Tessinois marqua un intérêt violent — Tu l'as vu? dit-il. — Non, mais je sais — mais nous savon* qu'ii y est. — Moi. fit mélancoliquement Gennaro, je ne le sais pas. Par mes os, cher petP, je l'ignore 1 Dis moi ce qu'on l'a dit... j'attraperai le vieux porcl — Gennaro! s'écria Jean arec violence... oses-tu me dire en face que tu l'ignores? — Que ce verre ms serve de poison, si j'en sais quelque chose l Son ton était véridique. S'il mentait, il serait maintenant impossible de le savoir. Jean lui jeta un regard suppliant : — Gennaro, je t'es supplie 1 Est-il à Paris? Une tendresse indicible rayonne sur le fauve visage, le meilleur de cet homme rescuipta toute cette chair dure et déloyale : — Crois-moi, carissima, je n'en sais vérita- blement rien! Cetie réplique mettait fin à la conversation. Jean avait repris confiance : il était d'ailleurs horriblement las de doutes et de soupçons. Aussi renonça-t-i! à faire épier le contreban- dier; les rapports de l'agence n'étaient propres qu'à l'irriter. U questionna pourtant Des mais mollement. Elle répondit : — Je te t'ai dit, chéri, c'est l'arrivée de Gennaro qui m'attriste... j'ai peur!.,. Je ne serai tranquille qu'après notre mariage. — Mais ealin, demanda Jean, est-ce qu'il t'a dit quoique chose?... t'a-t-fl apporté une nou- velle quelconque? — Il ne m'a rien dit. Et je n'ai aucune nouvelle de personne. Elle répondait avec accablement, il craignit d'insisier, il se persuada qu'elle ne souffrait vraiment que de craintes vagues :•i LÀ LUCIOLE — Désires-tu «pie Sennaro repsrte? — Nonl fit-elle plus vivement... Son départ n'arrangerait rien. Vienne seulement ie jour de notre mariage... et je croirai que Dieu est avec nous. Ce jour n'étail pas Soin. Jean se résigna à l'attendre en fataliste. Morières, à qui il avait raconté l'insuccès de ses tentatives, approuva «etlc attitude. — Ou i! n'y a rien à craindre du tout, et la lutte se passerait dans le rêve. Ou il y a quelque ehose, et tu ne découvrirais rien... que par hasard. Je dois dire que je suis assez disposé maintenant à admettre qu'il n'y a matérielle- ment rien. I.a situation n'en est pas moins agaçante pour toi. Le jour du mariage Tint. CVtait un jour de nacre, un de ces jours où le tel ni du ciel est frais, jeune et sain. Jean eut un prodigieux élan de bonheur. Ce lut comme i'ag.nie de tout ca qui, dans le passé, avait été dur, hostile ou ïaid, une immense floraison de joie. Alors, le Soir aux Lucioles, le Crépuscule «se ia Fontaine, le jour du premier baiser, ia nuit de la murt de Giovanni, où Desolma était nimbée par les torches, les lentes oscillations de l'ourque, les mots de Paris jusqu'à la venue de Gennaro, tout lui en lui une magnifique histoire rie Créa- tion, L'attente lui parut courte qui allait être ainsi payée... An moment où il se disposait à reioindr* sa iancée, on lui remit un télégramme. C'était une écriture énorme et enfantine, presque hié- roglyphique. 11 déchiffra péniblement. Cela venait de Gennaro. Le Tessinois annonçait q i'il s'assisterait pas au mariage, alln d'éviter de mauvais souvenirs à Sa signora Cette délica- tesse at'endrit Jean, el, en même temps, il se sentit délivré du seul malaise qui se mêlait à sa joie. 11 trouva Desolina aussi nerveuse nue de cou- tume, peut-être plus craintive. Elle se leva quand il parut devant elle, ses beaux bras, un moment, s'attachèrent au cou du peintre el ie pressèrent avec une force sauvage. — Ma chérie! fit-il d'une voix d'adoration... est-ce que touie cette trMe>se ne va pas fi ir? — Oh si ! cria-t-elle passionnément .. tout à l'heure, quand Dieu m'aura acceptée. Morières parut avec un sculpteur de ses amis. Pour les lemmes, il y avait ta vieille gouver- nante et la propriétaire de la ma son. A la mairie, Desolina se montra indifférente, presque glaciale. Mais dès qu'elle vit l'église, elle manqua défaillir. Elle se redressa tout de «uite, elle entra avec une grande palpitation, des yeux éblouis L'orgue enfla sa voix torren- tielle : cette vaste musique, dans l'église presque déserte, eut quelque chose de pins prolond et th plus pathétique. La transformation de Deso- lina fut extraordinaire: une séeerîté éblouis» sasite parut sur le uivin visage, tous les iroiti s'éparpillèrent en douceur, en tendre se, gi'dlitude heureuse. La cérémonie terminée, elle demeura encore quelques minutes pros», ternée, nuis elle vint à Jean et murmura : — Maintenant, earo mio.„ Dieu et ie bon- heur m'ont voulue 1 XVIII Uk CATASTnOPBB Quand Jean se lera le lendemain, Degoîïna était encore endormie. Tant d insomnies, tant d'émotions,et le bonheur même, l'avaient épuî-j sée Sa jeune chair reposait énergiquement. [Il la contempla longtemps dans son sommeil. Oui le sait, peu de femmes, les plus iraiehes, lea plus veloutées, en supportent victorieusement! l'éj renve. Le contour ^alourdit, ou devient stupide, vague, neutre, impers nnel, des car-j nations très fines uécèlent des tares, le graiu; de la peau est plus grossier. Desolina pouvait i.ormir. Son teint mat qui! eût pu tourner à l'ivoire, sa grâce oui eût pui dureir, sa bouche d'Anariyomène qui eût pu se, détendre, gardaient leur suprématie hardie etj délicate. G était l'élasticité de l'enfance et la'j noblesse des lignes pures. . Il mit un baiser! lunil et |oyeux sur la chevelure ténébreuse, fit' ses ablutions en silence, puis il prit les jour* Baux que la v eilie gouvernante avait mis sur la; tab e. il les lisait sans attention, les rei étant' et les reprenant, distrait par ta joie Bru:-que- ment son regard lut a! iré par un nom. Il la relut, ses yeux devinrent fixes, le pli de l'aiien^ tion prit un curacière de crainte et d'horreurj Dix fuis, quinze lois, il épela t'eutretilet oui s'insérait le nom, et chaque lois il devenaif plus pâle. Voici ce qu'il voyait s « Hier, on a retiré delà Seine, à Saini-Clouâ} t te cadavre d'un individu déjà vieux, auûà « cheveux el à la barbe blanche qui, à en juger] i par l'état des chairs, doit avoir séjourné dam': & le.au de pui* une huitaine de jours. On n'a pu', 4 relever aucune trace de violence sur le défunt,] û qui était vêtu d'un costume italien, une veste, $ et des culottes de faux velours, des bottines, a lacées, de fabrication grossière, des bas dé a coton brun, du linge assez propre, marqué- «i aux initiales A. P. Dans ie» poches de la 4 veste, on a trouvé un portefeuille contenant « plusieurs billets de banque français et suisses, « et âe% papiers établissant FidmUlé du noué LA LUCIOLE 6û % qui ss nomme Ârmanio Palmisri, origh «ï de Tavesco, en Tessin. Le corps a été trans- it porté à la morgue. Rien ne permet de croira m à un crime, les présomptions sont en faveur '* d'un accident plutôt que d'un suicide s. Une émotion siroce tordit les nerfs en peintre. 11 enîendit !e !-ang s'élancer par vagues cans «on crâne et re omber en Mlfian*. Comme en ïôve, des milliers d'éténemen's se présentèrent || sa conscience. Mais les événements ne défi- laient pas au basaid. ils étaient ordonnés, cen- tralisés, presque logiques La mort de Preda, les rôdenes d'Annanio anionr du lac, les îris- jtesses et les peurs de Dcsolina, les pas oies itéruces et ternirez, les atlitu :es singulières de j&ennaro, avaient tout le relief des choses pré- sente': En môme temps, il entendait >a voix, il voyait Se sourire sareasti jue de Philippe, i El il se répétait tout bas, mais dan» son cer- ceau cela se prolongeait étrangement : | s La vie sauvage... la vie sauvage! 9 ! Quand ii eut, non pas réfléchi, mais subi, pendant un quart d'heure, .'es souvenirs et sea pensées, i! se leva autonr tiquemcnt, il marcha Vers la chambre à coucher.' Desolina dormait encore. Il la contempla avee amour *■' terreur. Il ,-e dit : — Je ne la réveillerai pas. Qu'elle ait es repos î il eut d'el'e «ne pitié infinie, ii sut qu'elle avait souffert beaucoup, p.us encore qu'il ne l'avait imaginé, ht il ne voulait pas admettre «qu'elle lût mauvaise ni même dure: elle éiast I motié sauvage, et elle avait vécu dans une atmosphère d'effroyable contrainte. D'ailleurs, îi ne savait pas encore si ede était, en quelque manière, mêlée aux drames : il la soupçonnait seulement. Et il s'assit, ."-ombré, le cœur cha» griii, ne pouvant se résoudre, ni à l'éveiller, ni à s'éloigner d'elle. Sans doute, à travers le sommeil, finit-elle par sentir celte présence et peut être celte émotion. Elle s'agita, bainulia 'quelques s Siabes, ouvrit les yeux. Elle devina tout de suite qu il était troublé et devint pâte. Leurs yeux se pénétrèrent. Elis balbuiia : ! — Qu'as îu, earo mio? î Alors, la pitié de Jean devînt si intense qu'il *e mit à pleurer, et elle, dressée avec épou- vante, s'écriait : — Il faut me le dire... je veux le savoir, mon cœur! I Peuiêtre s'il avait pu fuir jusqu'à la chambre ,v&i:-ine, il eût gardé son secret. Mais quand la petile main «;e Desoliaa saisit la sienne, il perdit jtoule torce, il dit, tremblant de tous ses rnemb) es : — Desoiiaf, ta garais qx% 6§»aaxe s^ tu$ êio^aBDi? Il espéra qu'elle allait crier non î 11 l'espéra 8vee une énergie farouche qui rnidissail chacun es muscles M iselle ne répondit pas. Ah>> s, il fut pris d'une détresse écrasante. Et lente- ment, il répétait : — Tu le savais!... tu le savais! Elle avait baissé la tête; elle sanglotait. Pen- dant longtemps, its demeuraient sans pouvoir rien dite. Enfin eiie pari h : — Je le savais, dit elle... Mais je le savaii seulement... Il demanda d'une voix brisée : — SI te l'avait annoncé, pourtant î Elle lui jeta un regard plein d'amertume e? de douceur : — H ne m'a rien annoncé... il ne m'a jamais parlé de rien! Je l'ai deviné. Il fut sûr qu'elle ne mentait pas Sa peine fut moins affieuse. If se rappela soudain de quelle ardeur il avait lui-même souhaité la mort de Giovanni. Puis, cette mort, la- as, dans la montagne, lui paraissait moins cou- pable que l'autre. Ii ramassa le journal qu'il avait laissé tomber par terre, il le déplia : — Tu conna ssais aussi la mort de Palmiert?, Elle prit le journal avec avidité, ses yeux, immobiles, élargis, dévoraient le nom û'Ar* manie : — Je ne le savais pas, dit elle. Un moment l'ombre du mensonee passa sur son Iront, ses pupilles s'embrumèreat. Ce lut la vérité qui vint : — Je ne savais pas qu'il était mort, re>-rit- elle d'une voix brisée... mais je savais bien pourquoi Gennaro avait quitté le Tessin. — Pourquoi ne me l'< s-tu pas dit'.' cria-t-il avec désespoir... Nous aurions pu sauver cette miséralile créature. Elle haussa iristement les épaules : — Oui, caro mio, nous aurions pu le sau> ver... mais alors il n'aur it pas manq ié ta vin eu la mienne... et la mienae ce n était sien, Biais la tienne! Le silence reprit, plus long, effroyable. 11 se sentait enveloppé de crime!... Un monde le séparait de cette femme tendre, loyale, et qu'il adorait. Etait-elle eoupable? Il n'en savait rien... Elle n'avait péché par aucune autre complicité que le silence... Elle n'avait fait aucun autre mal que de se taire... Mais enfin, elle avait m... et c'était épouvantable I il voulut réfléchir ; ii »e le put. Ses idées couraient éparses comme des troupeaux saisis de panique; elles se heur*» taient frénétiquement entra elles; elles lui causaient une impression de mal physique. Il lui fut insupportable de rester là ; une f»re« invincible le poussait dehors : il sentait que, pendant des heures et des heures, il ne trouve- rait plus rien à dire à sa eompagoe. Ex, se levant, if chuchotait : ^"■s Au revoirj Desoliaa.65 LÀ LUCIOLE Elle sortit 'violemment dé la torpeur où elle était plongée, eîle se jeta sur lui, le prit contra iBlie, le serra d'une étreinte frénétique : — Ko me laisse pas seule, chéri... J'aurais si froid et si pear !.. 11 regarda arec une pitié profonde ces beaux sourire froid, amïeaï îôhî ds môme — Qu'importe Î3 vérité? Ta formule d'aï Tau! mieux que la mienne. « Comment esf-if possible qu'il n'ait rien va' songeai! Jean en remontant dans sim fiicre,* A-iil pris le ravage de nos laces pour cio bonheur? » Cela le soulagea fl songea que le remords, après tout, ne pouvait être qu'un phénomène réflexe : le rebondissement de la faute contra son auteur. Alors, la première horreur passée, cette taule étrangère a lui s'elî'aceraii. Il lut pris d'une torpeur. A la gare, il fit tout avec ordre et exactitude quoique ses *etea fussent m ehinaux, puis, sous les énormes lorts de verre de la Maison du Voyage, sifllante et pal pituite, il eut des frissons "de joie, il aspira celte fumée qui rappelle tous les raves de Vitesse et d'espace; ses yeux burent les lueurs des gros yeux électriques, et la foule l'atten- drissait presque par sa fragilité devant îea bêtes de feu et leurs durs organes. Enfin, la long obus chargé de voyageurs s'élança dans la nuit. Jean eut nn soupir de délivrance, il serra vivement llesolina contre son cœur. Dans un mouvement de bonté plus encore que d'amour, ii murmura : — Allons être heureux, chérie!... Et il lui semblait que la possibilité du bonheur al'ait croître avec la distance Elle décroissait, au contraire. Le bruit des roues, le wagon balancé, ta fuite furieuse des paysages d'ombies et de lueurs, qui fuient d'abord comme ries sources vives d'énergie, devinrent faligmts 11 sentit son cœur au tra- vers, le triste ressaut de ses veines. Alors, ce petit coupé où ils étaient confinés fut une prison. En vain filait-elle à travers l'es- paee, elle n'en éiait ni moins étroite ni moins Étouffante. Quel captif a jamais été consolé par l'idée que la terre l'emporte avec une vitesse vertigineuse? Jean voulut parler avee sa compagne, lire des journaux. Mais son es- prit était comme paralysé, tout le ramenait vers ce qui lui semblait être devenu te prin- cipe môme de son existence. « Si je pouvais dormir? .. » se dîî-îl. Il se coucha sur la maigre couchette du wagon salon, et le changement d'attitude d'abord parut lui faire du bien. Puis il lui devint intolérable d'être couché, 11 se leva, se vêtit, se glissa dans le couloir. Là, abaissant une vitre, il plongea sa tète ardente dans la nuit. L'aii le frappait comme une onde ; il lui semblait, par moments, être effleuré par les étoiles. Tout, d'ailleurs, lui apparaissait étrange, peut proche, comme si les pians avaient dis» m68 ta -ruerons paru. Et sa douleur était une partie des choses, à la fois en lui et au dehors, une âme fié- vreuse du monde. H se dit : « Si je pouvais mourir? s Cela seul lui parai doui et bon. H s'étonna même d'avoir jamais craint la mort ; il répé- tai!, on grelottant : « te piège de la vie!... Qui courrait celte çffrafante aventure... ce hasard épouvantant ^u sein de l'Inconnu, s'il avait pu choisir? Qu'est-ce que je fais dans ce train qui roule, quelles catastrophes vont surgir à l'hori- 2on' b On village passa devant lui, fuites de maisons fasses et mornes ; il songea à soutes ces vies :-e et diessa l'oreille. Itien d'abord, Un silence coupé du cri des fauves, des premières rumeurs dé la bataille nocturne où tes lorts cher'-hent ardemment le sang chaud, la chair fondante des faibles. Souiain, elle se redressa, avec un soup r, presque un cri, de délivrance. Elle entendait le bruit des ters et, sa précipitant, elle vit, au détour de la route, la silhouette équestre qui s'avançait dans les derniers ratons, si faibles, si blêmes, pourtant si nets encore. D'un élan, elle fr.mchii la dis tance, surprise d'apercevoir cetle entant en guenilles, recroquevillée contre la poitrine du peintre. Mais bien piu* l'étonnèrent le visage, les jeux, la joie intime et douce de l'aimé : — Tu viens tard, cher coeui î — Oui, fn-il tendrement... c'est qu'il a fallu aller saisir cette petiie foile dans ie rocher . 11 tendit la fi I et te et Desolina la prit avec vivacité et stupéfaction, a peu près comme elle aurait pris un fétiche. Puis, l'homme descendu à son tour, elle marcha a son bras jusqu'à la terrasse, e effrayée » de bonheur, car elle sentit bien que la joie persistait... — On fera souper l'enfant, dit le peintre rai khammès qui emmenait le cheval. Il demeura seul avej Desolina devant la nuit immense. Les grosses étoiles perçaient déjà — Aldébaran, Canelia, Arcturus — tout le vaste Univers figuré par quelques gouttes de cristal, de saphw ou de rubis. Il tenait contre lui la jeune femme, il fétreignait avec une force neuve, l'énergie de l'espérance; leurs lèvres s'épousèrent dans une promesse d'avenir. Elle dit tout bas : — Est-ce enfin le bonheur, âme chérie? — Cest l'oubli. Desolina t Alors, elle lui annonça sa grande nouvelle, l'être qui les suivrait dans la vie, et, leurs cœurs vibrant de la môme allégresse, ils te seuiirent aitachés finalement à ce pays où leur destin recommençait, ils jeiôrent sur les demi- ténèbres de la montagne kabyie un long regard passionné. El Jean voua sa postérité à la terre pleine de sève, à la sauvage et profonde Afrique où s'élabore la grande Civilisation future.SELECT-COLLECTION Publiés sou» la direction utt*»ii9S db Max Fischs* ie volume. 1 fr. 75; 1 fr. 50; 1 fr. ^U; O fr. 9S 287 VOLUMES PARUS AGITER iPaofl 184, tes exilés. ADAM (Paul) f?2. Les cceurs utiles. 15ô. Le troupeau da ClarisSÏ. $30, Les lion». A1GARD (Jean) de! Académie #ria^i4» 80. 3«nianiina AJALBEBT (Juan) de l'Àcauenua éoaco'jrt. fô-2. Sao Van Dk BARBUSSE «Henri) jg^ j Le f en (2 volumes), j^' | Clarté (2 volumes). BEAUNIER (André) 455, L'amoui et le secret. . LERNARD (TrUltta) 80. Secret d Stat. 17. Amants et voleurs. 145, L'entant prodigue da VèsiMt» it£>, féerie bourgeoise. B1NET VALMEH ti. Lucien 133. La passion. 162. Les jours sans gloire, 8^7. Le sang. BORDEAUX (Henry) OeCAc^dt'mie Praaçsiae. 176. Les Hoquevillai d. 230. La croisao des chemin». Sîï» La petite aladenioiseU*. BOURGET (Paul> Ce 1 Ai sd&mïe Français*. 89. L'envers du décor. 62. Les deux sœurs. "ft Le lantome 81. L'eau pruionde. f21 Un crime d amooT. 144 Complication» santimeataléS. 175. Le cœur et le métier. 23u] Drames da îaniille. Soi t La cœur de temmd 853. j (V TOMBUeek ito, La duchesse bleue, CAPU8 (Allrad) de l'Académie français*. 16. Faux départ. 67. hotiinson jyï. Années d'aventure». CHERAU (Gaston) de ÏAc-adem'e tioucGurt. $85» Le fiaial/eau des Fùiisalt 133. 157. 144 CLARETU. (Juloaj de 1 Acadetuie Fnuu;ai»a» 3. Le million 23. L'accusateur COLETTE 47. La retraite sentimental*. 80. L'envers du music-hall. 250 La .emiae cachée. 2*3. Cnsn 286. La maison de Claudins. COPPEE (François» d< ' A'-atl^miB Freuv*isa» 196. Le coupable 206. Les vrais nenes. 221 Lougues et brève». 251. Toute un» îeunesss» CORDAV iMionul) 21. La mémoire du cour. 72. Les irere» Jolidao 84. Les révélées. 114 Sésame, ou la maternité consentie. Les tenx do oouobast. ftianes ;euues Les cœnrs dévastés. COURTELINE lUeorcjesl) île l'A. aiiemir Gon.HHirt. 6. Les gaii.es de i escadroo. 29. Le train de 8 h 47. 54. Messieurs les rouds-da-etiir. 8*>. boubouroctie. 104 L»9 linottes. 105. Les femmes d'ami». 255. Un client sérieux. 255 An leunesse 1 .. DAUDET lAiphOQSS) 2. KobO ai Minette. 12 lartarm de Tarasyoa. 49 Tartarin sur les Alpes. 75 Fort-iarasooa. 2b. Robert âelmoat. 57. atiLO, 05. Le petit Ciiose. 102. ) Froment |eune et Risier aïnê lifà. ' (2 volumes», 216. L'immortel. 201. Les lenimes d artiste». DAUOE'Ï (Leom d 1 A>.au.uiitt évnccart, Suzanne. La lutte Le cœur et Pabsoues< La mesenteote. La décueance Dans la lumière. DELARUE-MAHDRUS fLuoi» 64. Le romau de six potitaâ allés. DuWfiAi (Maurioei 55. 105. 170. 208. 225. 242. 83. 14b. SS BUVERNOIS (Henr*. La ùoune înJortuua, Edgar EsPARBES'Gaomos *) Les demi-solde. FABRE (Ferdlaaadl 85. Julien Savignao. i'ARRERE (Clandst 54. Mademoiselle Uax, jeans (lit». 01. Du-sapt uistoires de marias. C0. L'homme qui assassina, 85. Les civilisés. 189. Fumée d'opium. 147. Les condamnèsà mort. 158. La maison des nommas vivant». 172. Les petites alliées 187 La dei mère déasss. 198 Betes et gens qui s aimèrent. 215. quatorze histoires de soldat». 226. L extraordinaire aventure dAchmet Pactia Jjacialeddino. ' 257. Histoire de très loin on d'assez pré», 200. Une leune 811e voyagea. FISCHER (Max et Alex) 14. Pour s'amu.-br en môiiags. 55. L amant de la petite Ouboi* 5s L'incouduite de Lucie, 70 La dame 1res blonde 88. Monsieur Tartempioo. 107. Camembert-sur-Ourcq. 12U> Le duel de SA. Lolotte 14o Apres vous, mon générai, !... FLAUBERT (Gusiavoi La tentation de sunt Aatoîaa, , L éducation sentiinautai» (2 vnliiiuesj. 181. ïlO. 211. 28. 199= 51. 108. 10a. 214. FRAPi£;L.aom La materuella. > liOMu iu< (E«geae} Dominique. < AUriER iTtieopititei Le roman de la momie. > ikadeiaoïseile de diaupia- { fS volumes). Parue carrée GEFFROY (Gustavaj de ( Acaduu». <>uocutat. liô. Hermine tiil'msn. GIOE tAiidré) 287. Si le grain ne ma art» 209, L'immorahste. 46. Ëdncatiou de prince. Ve.r ta s une du Gatalojuj a îa pdj« suisant®.Volumes parus dans SELECT-COLLECTION (Suite), 24 «60 a: CONCOURT' (Edmond do) 42. Les irôres Zemganno. S75. La tille Elisa. 277. La Fatigtio CONCOURT lEd. et Jules de? 8. Madame Gervaisais. GREVILLE (faeary) «8. Sonia, GYf> i. La gtngueUa. 15. Geneviève. SI. Miche. «30. L amoureux de Lia». 197. Un raté. tt7. Mademoiselle Loulou. "!*, Elles et uiil C4o. Mon ami Pierrot. 28b. La bonne iortune de Tels. 276. tax et Ella! HARAUCOURT (Edmond) 165. Dat>h, le premier homme. HABRt (Myrlam) 276. Petites épouses. HBRMANT (Abel) a? t'Acmfetnie Français*. 10. Eddy et Paddy. 69. Les Renards. 07. Le joyeux garçon, HiRSUH (Chartes-Henry! 4". Les châteaux de sable. Sî. L amonr en herbe. 131 La demoiseHe de comédie. La chèvre aux pieds d'or. Le coeui de Poupette. LAVEDAN (Henri) d* l'Académie 1 rançatsa, 11). A taLlt!.... 45. Nocturnes. MARGUERITTE (Paul) ae I Ac»déniie (Voacourt. 18. Maison ouverte. 101. La faiblesse humains. 120. La maison briiie. 142. Les sources vives. 177. Les f abrecé. 4bS Nous, tes mêies. MARfiUERlTTE (Victor) 83, Les tronUeres du cœur. 122. La rose des ruines 130 Le Talion. 15i. La terre natale. 100. Jeoues tilles. Ib2. Le soleil dans la geôle. MARGUERITTE (P. et V.) K» {écumes nouvelles. 6b Poum. W iette. 807. Van.té. S2o Le lardiu du Roi. 245. Le Prisme. ÎM». Les deux vies. MAUPASSAiVï (Guy i«> 110. detre coeur. 125 Yvette. 12» Miss Uarriet, 231 L'inutile beauté. 137. Pierre et Jean. 141. Le iiorla. 140. L«s sutuo r.arc&oîL 452. 160. 103 171. 178. 1X8 205. 209. 215 2Î8. 221. 248. 2.1» 284. 24. M, 87 89. 65. 99. 100. 111 115. 118. 123. 127. 135. 139. 145. 170. 175 180. 186. 190. 222. 270. 274. 279. 100. 167. 241. 159. 258. 52. H!3. 275. a, 5. 17. 73. 96. 203. 23. 53. Eouie de Suit. La niait on Teliier. Monsieur Parent, i-e rosier de Madame Husson. Contes du jour et de la nuit. La main gauche. Fort comme la mort. Mademoiselle Fiti. Clair de tune- Une vie. La petite Reçus. | Bel ami (2 volumes). MAURHAS (Charles) Le chemin de Paradis^ MENDtâ iCatulle) Zo'har HIRBEAU (Octave) et 1 Arau.mte Goncourt, Le calvaire. PREVOST (Ma root) oe, Acaoétaie Ftap.çaiis. Choncheite. La coniession d'un amant- Cousine Laura Le jardin secret. Les demi-viergas» Le domino |auna. Le scorpion. La princesse d Ermings, Lettres de temmes. L'automne d'une temrae. Nouvelles lettres de teimnes Deruiéies lettres de temmes. Mademoiselle J autre. L heureux ménage. Lettres à Françoise. Trois nouvelles. Lettres a Françoise mariés. La lausse bourgeoise. Pierre et Thérèse. Lettre a Françoise maman. Monsieur et Madame Moloch. IvouveLes lettres a Françoise. RACHILDE La tour d'amour. La souris japonais»; Les Rageac. REBOOX(PaUi) Le ]eune amant. Pour Jasmins. REGIME»» (Henri A3) ue (Académie Française. Los vacances d'ui> jeûna homme sage. Romaine Mirmault. L Amphisbéne. Le plateau de laqua. REIMA^O (Julos) ae i'A(.a.«!iie G-jucourt, Poil de carotte. RiCHEf 1W (Jean) e* 1 Ac-Uftiiir Fiançait*. Madame André. Césanne. Miarka, la alla & i'oars». braves gens. Flamboche. ROBERT (LoîiEë d»J On tendre. Le partage du cœur. 74. La femme reprisa. «08. Papa. 138. Réussir. 268, L'envers dune coartîsac*. RoD (Edouard) H. Dernier refuge. 79. Le menace du pasteur Naudie. ROSNÏ (J.-H.) da i'Arfi'témie Cnn-ourt 30. Le crime du docteur. 228. Les deux iemmss. 287. La Luciole. ROSNÏ atné(J.-HJ de Acatlémwinticourt. 76. Marthe Baraquia. 134 Dans les rues. 174. .. et l'amour ensuite. 191. L'amoureuse aventura. 259. L appel du bonheur. BANDEAU (Jules) de t'A-adéuiie Crantais* 27. Madeleine THEURIET( André» o* I Académie Prîtni^iftj, M** 82. 56. 41 40 57 63. t». 95. 98. 110 124. 140. 161 183 302. 212. 219. 227 246 254. 271 230. 130. 234. 04. 4. 14. 32. 44. 113 154 155. 184. 185. 194. 200 201. 204. 238. 239. 262. 203. 264. La petite dernière. Les amours d'Estéva. flcléne. An paradis des enfants. Mademoiselle (mignon. Reine dus bois La fortune d'Angéle. Madame Heurteîoup. Jeunes et vieilles barbé». Fleui de Nice. Eusébe Lombart. L'afiaire froidevills. Lys sauvage. Le (ils Maugart» Tante Aurélio. Flavie. L oncle Scipion, ..œuts meurtris. Boistleury. Chanteraine. Amour d automne. Le refuge. Villa Tranquille. VALDAGNE (Pierre» La concession de Nicaise. Touti. VANDEREM iFeruaa* Le victime «jla .Emile) Thérèse Raquin. Madeleine Férat. Contes a Ninon. Le rêve. Le vceu d une morts. .Au bonheur des damas. [ (2 volumes). iLa conquête de Plasiaas. ( (2 volumes). Nais Miconlin. | L'œuvre (a volumes). Nouveaux contes a Ninon S Le docteur Pascal. (2 volumes). {Fécondité {3 volumes) 88467, — imprùaçria Laiicsii,£ t.ru* uc flétans», farii» » 1933