Georges Rodenbach LA BELGIQUE 1830-1880 Poème Historique Oui certe , heureux ceux-là dont la patrie est libre, Qui trouvent en naissant le monde en équilibre , Et dont les premiers pas les portent sans détours, De leurs calmes devoirs à leurs calmes amours ! Heureux ce peuple en joie et ce pays en fête!. . Paul Deroulkdr. (L'Hctman, acte III, scène IX.) BRUXELLES OFFICE DE PUBLICITÉ — A. N. LEBÈGUE et C"--46, rue de la Madeleine, 46 M DCCC LXXX ë-p-ÇOr0 MLPo loo la belgique 1830-1880 GAND Impr. EUG. VANDERHAEGHEN rue des Champs, 66 Georges Rodenbach 1830-1880 Poème Historique Oui certe , heureux ceux-là dont la patrie est libre, Qui trouvent en naissant le monde en équilibre, Et dont les premiers pas les portent sans détours, De leurs calmes devoirs à leurs calmes amours ! Heureux ce peuple en joie et ce pays en fête!. . BELGIQUE Paul Deroulkde. (L'Hetman, acte III, scène IX.) BRUXELLES H DCCC LXXX A LA MÉMOIRE des Frères Rodenbach LES GRANDS PATRIOTES DE 1830 JE DÉDIE CE POÈME SUR LA BELGIQUE G. R. I i 'ai fait ce rêve étrange : A l'heure coutumière Le soleil déclinait, rouge, dans la lumière. On eût dit un guerrier superbe s'affaissant Sur un champ de bataille empourpré de son sang! C'était dans une plaine où des oiseaux funèbres Sur leurs ailes semblaient apporter des ténèbres; Le vent du soir courbait de maigres épis mûrs, Et sur les horizons de gigantesques murs Se dressèrent soudain jusque dans les nuées!... Et les clartés du jour étant diminuées, Les astres de la nuit rayonnèrent plus beaux Et la lune éclaira vaguement trois tombeaux. Sous ses rayons blafards la plaine tout entière Sembla, dans le silence, un morne cimetière, Où des moulins de pierre, immobiles et droits, Avec leurs bras ouverts formaient de grandes croix. Tout à coup, comme au choc d'un ouragan qui passe, Les pierres des tombeaux volèrent dans l'espace, Et trois spectres, sortis de l'ombre au même instant, Apparux-ent, vêtus d'un linceul éclatant, Et l'un des trois, comme un tocsin de cathédrale, Fit tressaillir la nuit à sa voix sépulcrale : boduognat es frères dans la mort, je suis Boduognat, kl ^ Roi du pays Nervien, roi du pays des chênes; Je suis le vieux héros-martyr, le vieux magnat Dont les bras n'ont jamais connu le poids des chaînes! Quand César vint, quittant nos cabanes de bois, Et laissant nos vieillards, nos enfants et nos femmes Veiller dans la tranquille épaisseur de nos bois, Nous sommes allés droit à ces Romains infâmes. Les Druides, levant au ciel leurs fronts pensifs, Parés de gui, priaient les dieux dans les clairières, Et les vierges mouraient sur les dolmens massifs Pour mêler leur sang rouge au vol blanc des prières. Des alliés nombreux épaississaient nos rangs : On venait des cantons et des tribus prochaines, Car le vent leur portait avec l'eau des torrents Nos cris de liberté qui montaient clans les chênes. Romains, vous l'avez vu cet effort triomphant D'un peuple qu'on assaille au fond de ses repaires, Et qui se lève, et qui se rue, et qui défend Les berceaux des enfants et les tombes des pères ! Hélas! le Belgium vaincu, mis en lambeaux, Tomba, sans nul espoir de briser ses entraves; Mais César pour jamais gi-ava sur nos tombeaux : « Parmi tous les Gaulois ceux-ci sont les plus braves »!.. Vous, frères, qui plus tard avez vécu vos jours, Dites-moi, si la jeune et vaillante patrie Dans mes deux bras mourants est morte pour toujours Ou si les Dieux enfin l'ont vengée et guérie? van artevelde lie s'est ranimée avec moi pour souffrir. Pauvre Flandre! elle était comme une poitrinaire ^es yeux éteints, ne voulant pas mourir, Et s'abusant toujours d'un rêve imaginaire. Elle avait eu déjà de vaillants défenseurs : Breydel et de Coninck, embrassant sa querelle, Avaient voulu chasser les lâches oppresseurs Qui pour guetter son râle étaient penchés sur elle!... J'ai pris cette malade, ému de ses pâleurs, Je l'ai montrée au peuple énergique et farouche, Et le peuple en un jour brisa les Lis en fleurs Sous lesquels les Leliaerts l'étouffaient dans sa couche. Flandre! tu te levas, forte et libre au soleil, Et des larmes de joie emplirent ta paupière, Tandis qu'autour de toi, pour garder ton réveil, Se dressaient les beffrois, sentinelles de pierre. Hélas! la trahison, tel qu'un venin caché, S'insinua bientôt au fond de nos entrailles, Et Roeland, s'ébattant comme un oiseau lâché, Fit planer son grand vol d'airain sur nos murailles. Les métiers s'arrêtant et le peuple ayant faim, Les gildes du pays prirent leurs arbalètes, Car il fallait pouvoir montrer jusqu'à la fin Que toujours les Flamands étaient de fiers athlètes. Le vieux lion de Flandre, éveillé brusquement, Pour courir au combat sortit de sa tanière, Et crispant sa narine au nerveux gonflement, Belliqueux, secoua dans le vent sa crinière. • Mais, égaré, trahi, ce peuple de héros, En retombant captif, me frappa de sa chaîne; Je suis mort, pardonnant leur crime à mes bourreaux, Car j'avais plus d'amour qu'ils n'avaient eu de haine! Aujourd'hui, Léopold, ce que j'avais rêvé S'est accompli sans doute, et tu viens me le dire? Tes vaillants fils ont vu mon grand oeuvre achevé Et leurs mains ont cueilli les fruits de mon martyre? LÉOPOLD I ui! je viens de leur part vers vous, nobles héros Vous triomphez enfin! car la moisson s'est faite; Les glaives sont déjà rouillés dans leurs fourreaux Et dans tous les foyers tous les cœurs sont en fête. Aussi vous garde-t-on un touchant souvenir, Et vos gloires y sont à tel point surveillées Que pour léguer vos noms fameux à l'avenir, On les dit aux enfants, le soir, dans les veillées. Je vous ai vu revivre et surgir dans l'airain, J'ai vu la foule ardente acclamer vos statues, Remplaçant sous le ciel pacifique et serein Celles des oppresseurs qu'elle avait abattues. Car le pays souffrit des malheurs non moins grands Quand il tomba plus tard sous le joug de l'Espagne; Qu'importent au forçat des geôliers différents, S'il conserve ses fers et reste au même bagne. Mais les tyrans toujours provoquent des martyrs, Et les têtes roulant sur les places publiques Suscitent aux bourreaux de subits repentirs, Quand on vient leur voler ces saignantes reliques. De Hornes et d'Egmont, vous tous morts immortels, Dont le sang féconda notre sol comme un fleuve, Vos échafauds rougis vous ont servi d'autels Et l'Histoire a pleuré sur vous comme une veuve! Trois longs siècles après, le peuple exaspéré Se révolta, dressant partout des barricades, Pour tenter un effort viril, désespéré, Tandis que les canons détonnaient par saccades. Les Liégeois, conduits par Rogier, étaient là : Sous leurs blouses battaient des âmes héroïques; Et bientôt l'ennemi tel qu'un flot s'écoula, Tant nos conscrits d'hier avaient été stoïques! Dans le pays entier tous s'étant soulevés, Après trois jours de sang, de luttes et de transes, La Liberté naquit sur un tas de pavés, Car tout enfantement se fait dans les souffrances. — 9 — Alors sous les éclairs d'un règne qui finit, Le Congrès nous donna, comme un nouveau Moïse, Les Tables de la loi, ces tables de granit, Qui devaient nous régir dans la Terre-Promise. Cette charte est pour nous presque un second soleil, Fécondant comme lui la contrée où nous sommes, Et tous deux font mûrir, sous leur rayon vermeil, La moisson des épis et la moisson des hommes. Que ne pouvez-vous voir tout ce peuple content Sous notre ciel du Nord mélancolique et terne, Et ces grandes cités créant et s'agitant En pleine vie active, en plein progrès moderne : Là Bruxelles, vers qui se tournent tous les yeux, Fière sous ses bijoux et sa fine dentelle, Qui montre avec orgueil ses boulevards joyeux Et ses palais sculptés, dignes de Praxitèle. Plus loin Anvers, debout sur ses nouveaux remparts, Qui dans le ciel de l'art contemple ses étoiles ; Les vaisseaux de son port, venus de toutes parts, A tous les vents du monde ont fatigué leurs voiles. « Ici c'est Gand, le front enguirlandé de fleurs, Glissant sur les métiers ses doigts blancs qui frémissent Pour rattacher les fils et fondre les couleurs, Comme sur un clavier où les accords s'unissent. Là-bas c'est Liège enfin, chauffant ses hauts-fourneaux, Où le cuivre et le fer, façonnés sur l'enclume, Vont se tordre, serpents de flamme aux longs anneaux, Jetés dans la fournaise ardente qui s'allume. Au loin, sous la rougeur du soleil descendant, C'est la Meuse qui luit comme un i-uban de moire, Et, réflétant ses vieux châteaux, roule en grondant Ces squelettes noircis d'un passé plein de gloire. Tandis que dans la plaine, au milieu des roseaux, — Tel qu'un arbre couché dont s'étalent les branches — L'Escaut grossi s'étend, ayant au lieu d'oiseaux Ses navires qui font frémir leurs aîles blanches. Puis voilà les vergers en fleurs, les champs de blés Où court un frisson d'or quand le vent les agite, Et là — naseaux fumants — les grands bœufs rassemblés Qui laissent l'herbe haute et regagnent leur gîte. Voilà les moissonneurs, la race aux fortes mains, Qui, saluant au seuil des fermes les aïeules, Ramènent en chantant, le long des grands chemins, Les pesants chariots, touffus comme des meules. Soudain voici venir dans son harnais de fer Ce coursier attelé qui flamboyé et qui crache Et, menant son cortège avec un bruit d'enfer, Déroule sa fumée au vent comme un panache, Tandis que sur ses flancs deux hommes , noirs démons, L'excitant, le faisant hennir par intervalles, Le poussent à travers les entrailles des monts Jusqu'au seuil des hameaux et des cités rivales. Et voici que les mots, pour qu'ils soient entendus, Prennent une aîle et vont tout à coup par l'air libre; Le télégraphe, avec ses fils droits et tendus, Semble une lyre en fer où toute langue vibre. Ainsi nous débrouillons chaque jour les secrets De l'Inconnu, ce sphinx qui rêve et nous regarde; Et dans l'armée humaine assiégeant le Progrès Nous sommes les premiers, nous formons l'avant-garde. Le Belge est fier et libre et peut se montrer tel : Son pays est un temple, ayant le ciel pour voûte, Où chacun, construisant à sa guise un autel, S'agenouille s'il croit, reste debout s'il doute. La parole à son gré peut diriger son vol Sans jamais qu'on l'entrave ou sans qu'on s'en effraie, Et tous peuvent jeter leur graine sur le sol, Où la moisson croîtra malgré la folle ivraie. Des écoles partout se fondent à la fois, Ces serres où fleurit la jeunesse robuste, Et chacun peut, tranquille et libre dans son choix, Y placer son enfant comme un fragile arbuste. La Presse est libre aussi, cette hydre aux flancs féconds, Sans que cet autre Hercule effrayant, la Censure, Ose, dans la bataille où nous la provoquons, Lui couper une tête en bravant sa morsure. Tous enfin sont égaux sous l'abri de leur loi : — C'est par l'égalité que le progrès commence — Et dans leur vieux domaine ils ont pour père un roi Qui protège et défend cette famille immense. Ils vivent de la sorte, esclaves du devoir, Non pas dans ce bonheur simple des patriarches, Mais dans ce bonheur vrai que donne le Savoir, En jetant sous le pont du Progrès d'autres arches. Moi-même j'ai vécu toujours au milieu d'eux, Et tandis qu'embrasés comme autant de Vésuves Les peuples se tordaient dans des spasmes hideux, La paix nous imprégnait de ses calmes effluves. Pareils à des rosiers refleuris au printemps, Les Arts, se ranimant aux brises pacifiques, Enlaçaient au soleil leurs branchages flottants, Qui se couvraient de fleurs et de fruits magnifiques. On gardait les chefs-d'œuvre anciens soigneusement Sur les autels d'église ou les murs des musées : Là Van Eyck qui peignit, sous un bleu firmament, L'Agneau qu'entoure un chœur de blanches épousées Là Rubens, large fleuve empourpré, miroir clair Qui réfléchit des Christ portés par des hercules, Et des groupes fleuris de femmes dont la chair A le splendide éclat des rouges crépuscules. Là Teniers, esquissant sous les chênes touffus Les kermesses de Flandre autour des tables peintes, Avec leur bruit, leur danse et leurs refrains confus, Et la bière qui coule en moussant dans les pintes. On groupait les tableaux de ces peintres fameux, Comme dans un manoir les portraits des ancêtres, Pour que ceux d'aujourd'hui pussent encor comme eux Illustrer la lignée en s'inspirant des maîtres. Gallait, fouillant alors dans notre histoire en sang, Dont s'entr'ouvrait pour lui le tragique ossuaire, Ressuscitait nos vieux martyrs, en remplaçant Par des manteaux de pourpre ardente leur suaire. Leys, épris d'archaïsme, affinait ses pinceaux, Et du grand moyen-âge évoquant les coutumes, Peignait ducs et varlets, et bourgeois et vassaux, Sertis dans la monture exquise des costumes. Wiertz vivait dans un ciel mystique et réchauffant Pour mieux y dérouler ses vastes épopées, Où les guerriers Troyens et le Christ triomphant Brillaient sous les éclairs des croix et des épées. Geefs et Fraikin taillaient leurs marbres éclatants Où souriait l'Amour dans sa grâce plastique; Nos grands musiciens Fétis, Gevaert, Vieuxtemps , Par la plume ou l'archet honoraient la musique. Des poètes aussi chantaient comme un écho : Van Hasselt préludait sur sa lyre avec grâce D'une main réchauffée à la main de Hugo, Et Mathieu ciselait des odes comme Horace. Ledeganck gémissait sur les « trois villes sœurs » ; Conscience avait fait des Flandres son domaine, Et nos historiens, nos savants, nos penseurs, Fécondaient tous les champs de la pensée humaine. O la contrée heureuse et le charmant pays! Grand par le cœur, malgré ses étroites frontières, Où le peuple est docile et les chefs obéis, Et qui pour s'attrister n'a que ses cimetières. Quel entrain! Quels transports! lorsque ce peuple vient ' Fleurir et pavoiser la plus humble masure, Et prouver par ses fiers élans qu'il se souvient Et qu'à celui qui donne il rend avec usure. Il m'a si bien fêté lorsqu'après vingt-cinq ans Pas un de nos drapeaux n'était troué de balles; Des fleurs de paix avaient poussé sur les volcans, Des fleurs de souvenir sur les pierres tombales. Plus tard une Colonne, éternisant mes traits, — Superbe monument fait de pierre-et de gloire! — Montra sur ses parois les grands noms du Congrès, Inscrits là pour toujours comme dans notre Histoire. Enfin, lorsque la Sainte à qui j'étais uni Mourut devant la mer qui pleurait au rivage, Le peuple, autre océan, frappa le ciel terni D'un grand cri de prière et de douleur sauvage. A présent que je dors mon sommeil éternel Dans ce lit du tombeau qu'on dresse sous des pierres, Mon fils suit à son tour l'exemple paternel, Car il a pris mon âme en fermant mes paupières... Sous ce règne de paix, même au jour menaçant Où la guerre voisine éclata, sombre orage Qui roula tout autour de nous des flots de sang, La Belgique, témoin de ce vaste naufrage, Recueillit les mourants , transporta les blessés — Humble sœur-grise, aux mains délicates et sûres, Et leur prêchant la paix lorsqu'ils étaient pansés, Elle rouvrit les cœurs et ferma les blessures. Le Roi, loyal monarque et généreux savant Veille aux explorateurs, ces grands porte-lumières, Qui, malgré le soleil et le sable mouvant, Vont au cœur de l'Afrique arborer nos bannières. Et la Reine, imitant ces mages d'Orient, Conduits à Bethléem pour baiser les mains fraîches De Jésus qui les vit venir en souriant, Visite les enfants des pauvres dans les Crèches. Aussi comme on fit fête à leurs Noces d'argent! Comme on les acclama, ces femmes accourues De la riche cité, du village indigent, Qui déroulaient leur long cortège dans les rues ! Elles vinrent, au bruit éclatant des clairons, Présenter à la Reine un riche diadème Dont tous avaient payé sou par sou les fleurons, Comme pour témoigner que tous l'aimaient de même. Et quand, parmi le peuple ému qui s'écartait, Défilèrent au pas les enfants des écoles, On eût dit que c'étaient leurs parents qu'on fêtait, Tant le bonheur au front leur mettait d'auréoles ! Aujourd'hui l'héritier d'un empereur puissant, Sous notre arbre royal que chacun nous envie, Cueille la fleur d'amour « la Rose de Brabant, » Pour orner sa couronne et parfumer sa vie. Voilà pourquoi l'Histoire, avec son fier burin, Gravera leurs deux noms pour qu'on se les rappelle, Comme elle a buriné dans son livre d'airain Près du grand nom d'Albert le doux nom d'Isabelle!. Et maintenant, tous trois, invoquons le Seigneur Pour que sa main s'étende en paix sur la patrie, Car c'est lui qui dispense aux hommes le bonheur Et qui fait que la terre est aride ou fleurie. Veillons sur les vivants, nous qui sommes les morts, Et crions-leur parfois comme des sentinelles, — Pour épargner plus tard à leurs cœurs des remords Que Dieu pleure en voyant les haines criminelles. — ig — Seigneur, écoutez-nous! Protégez nos enfants; Puisque vous pouvez tout, faites qu'ils soient prospères; Qu'ils restent désormais libres et triomphants, Et que toujours les fils soient grands comme les pères!... a dernière Ombre ayant parlé PJS^u ^ me sembla dans la nuit brune Que sous le grand ciel constellé Où s'étalait la pleine lune, Les trois héros levant leurs mains Se saluaient dans leurs longs voiles, Et que leurs gestes surhumains Se prolongaient jusqu'aux étoiles!... Au loin dans la chaude clarté Où rayonnaient d'éclatants phares, Marchait tout un peuple enchanté Au bruit de joyeuses fanfares. Sous les arcs de triomphe ornés D'écussons et de banderolles Glissaient de grands chars festonnés Comme sous des ponts les gondoles. Les Communiers suivis des Gueux, Nos princes, nos soldats, nos peintres, Passaient comme un torrent fougueux Sous les arcs fleuris de ces cintres. Mais les modernes travailleurs, Ceux des sillons, ceux des fabriques, Semblaient plus grands, semblaient meilleurs Que tous ces géants historiques. Nos carillons, oiseaux d'airain, Du haut des beffrois, des églises, Éparpillaient dans l'air serein Leurs plus brillantes vocalises. Dans la brise un bourdonnement D'hymnes lointains flottait sans trêve; Puis tout s'apaisa lentement____ Et je m'éveillai de mon rêve. — iv ] e rêve, ô mon pays! est la réalité, Car depuis cinquante ans, la sainte Liberté, Comme une tendre épouse attentive et bénie, Fait le bonheur du peuple auquel elle est unie! Et voici qu'aujourd'hui toute haine s'endort, Et voici que pour mieux fêter ses Noces d'or, Oubliant nos combats et nos brigues contraires, Nous nous sommes tendus les mains comme des frères! wmmtmm Et nous serrant, joyeuse, entre ses bras tremblants, La Liberté, divine aïeule aux cheveux blancs, Qui voit avec orgueil sa vieillesse embellie, S'appropriant l'exemple ancien de Cornélie, Crie à l'Europe, avec des gestes triomphants : « Regardez mes trésors — regardez mes enfants »!.. FIN ! ■ . . - . - ■ DU MÊME AUTEUR Le Foyer et les Champs. Poésies. 1877. Les Tristesses. Poésies. Paris. Alph. Lemerre. EN PRÉPARATION Les Kermesses flamandes. Poème.