PREMIER ACTE. La salle a manger de la ferme. Au fond une large fenêtre ouverte sur la nuit étoilée. Eclairage diacret sauf sur une ta- ble guéridon aupres de laquelle Luc-Robert est accoudé, lisant Monte Christo, sous l*abat-jour d'une lampe a pied. SCENE I. Lucienne entre et va prés de Luc Robert, regarde par-dessus son époule ce qu'il lit, Ie raille gentiment et comme Ie vieil- lard reprend sa lecture, elle étouffe un léger baillement et va s'asseoir a la fenêtre . SCENE II. Lucienne rêve, tout en échangeant de ternes en temps quelques mots avec Luc Robert qui répond distraitement, sans s'arrêter de lire. Ils parlent de 1'arrivée probable de Lucien, car c'est deraain 1'ouverture de la chasse. La malle poste lfamènera sans doute .... Contraste : la banalité des paroles échangées et Ie rêve que llimagination vive de Lucienne vit tout en causant. SCENE III. Les grel ts de la malle poste font sursauter Lucienne. C'est Lucien : Ie grand père et la petite fille se précipitent a la fenêtre. Entree de Lucien par la fenêtre telle qu'elle est dé- orite dans La Charrière (pages 29 et 7>Q). SCENE IV. Le souuer de Lucien. Lucienne s'en occupe, en allant et venant dans la salie et a la cuisine tandis que Luc cause avec Lucien. On ao,.rend ainsi :■■ 2. a) que Luc est Ie parrain de Luoien. b) Comment Luc aime Lucienne : en jaloux: il vit par elle et pour elle. La vie ne lui a pas été clémente, il a eu bien des traverses, raais comme Ie sort capricieux Ie récompense aujour- d'hui de ses longues peines J Quelle heureuse vieillease est la sienne, a coté de oette enfant exquise IQue jamais personne ne s'avise de la lui prendre, car il en raourrait. SCENE V. Un coup de feu part a 1'extérieur . Luc et Lucienne se mettent a rirer - "Un braconnier qui avance sur 1'ouverture ! dit Luc .- Encore un lièvrB que tu n'auras pas la peine de man- quer demain J raille Lucienne ..'.." Mais la porte s'ouvre et André paralt, guêtré, habillé en paysan cossu, un large i'eutre sur la tête, son fusil au dos. Et, gaiment, il explique que c'est lui qui a tiré :"Que voulez-vous, quand je vois quelque chose passer a portee de mon fusil, c'est plus fort que moi .... J'ai tiré 3ur un renard que j'ai surpris rodant auprès du poulailler: Ie voila I M Tout a coup il aperqoit Lucien qui était resté dans 1'ombre. Lui aussi Ie trouve grandi : c'est un homme, maintenant I Il Ie regarde avec une défianoe que la musique exprime .... Un rival ?..... Luc lui demande pourquoi il est venu .... "Pourquoi? Pour rien .... je passais, je revenais de la ville ou j'avais fusil été faire mettre mon f±i en état ..... ou plutot, si, pour quel- que chose de tres sérieux, mais qu'il ne peut pas dire devant tout Ie monde. Il Ie dira a Luc Robert si celui-ci veut bien l,accompa :ner jusqu'a la porte charretière ....".- Son embarrasmmm est vlsible, la curiosité de tous est piquée. Il sort avec Luc a rès avoir serre la main de Lucienne a la mode de la campagne et salué Lucien froidement. SCENE VI. Lucien et Lucienne restent seuls: - Quel est eet André ? demande Lucien ? - Le fils d'un riche ferraier voisin, établi dans Ie pays depuis des années et propriétaire de la ferme de X.... que tu connais . - "Tu sembles n'être pas indifférente du tout a ce gail- lard la .... hasarde gauchement Lucien. - "Oh l répond Lucienne avec une candeur entière, a quoi vas-tu penser I " Et elle eei W^~ de bon coeur. "Ce garqjon Ik ne m'est rien; il a un air terrible; il me ferait peur si j'étais femme a avoir peur ." Elle le raille gentiment, avec une verve malieieuse. "Déja quand il était petit et qu'il venait a la ferme, il avait ces yeux de violenoe et de ruse, IfacK ces allures brusques d'homme habitué a dresser des che- v£ux, bon seulement èt chasser, a faire les rudes besognes de la terre* Voyons, Lucien, rappelle tes souvenirs, tu dois te rappeler que nous avons été chez son père, a la ferme de X-.... il y a dix ans, avec grand père I" Uon, Lucien ne se rappelle pas. Mais tout naturellement, la conversation deviant un peu, ce sont leurs souvenirs d'enfanoe k eux que Lucien et Lucienne évoquent : (voir pages 54 et suivantes de la Chairrière). Ce duo, légèrement ému, des souvenirs est lnterrompu par la rentree de Luc qui revient affaro, bien qu'il s'efforce de n'en rien montrer .M 5. SCENE VII. Tout de suite, Lucienne s'en aoergoit .-"Qu'y a-t-il ?». -Luc ne se fait pas prier longtemps. : "Il y a que André tient de lul demander earrément la main de Lucienne qu'il aime deouis toujours et qu'il lui paralt de toute logique et de toute conve- nance d'avoir a lui, car il est Ie roeilleur parti du pays et les deux families s'estiraent et se connaissent depuis des années . (Il faut que 1'on sente la une chose dont Luc ne se doute pas : c'est que c'est la présence de Lucien qui a déoidé André, si brus- que et si violent par éducation, a faire en quelque sorte acte de prise de possesslon sur Lucienne par cette demande en mariage pré- cipitée, dont il a déclaré, au reste, que son père Vlendrait Ie lendemain poursuivre la négociation). - "Voyons, dit Luc aux jeunes gens un peu interdits : est-il possible qu'André ait fait ce rêve ? ..... Tu ne als rien, Lucienne;.... Et toi, Lucien, voyons, que penses-tu ? Parle .... - Alors Lucien, aprement, avec une vivacité dont il ignore lui-meme les raisons vraies, se jette dans xhkx la conversation : "Ce rustre, épouser Lucienne, jamais .' Lucienne quitter son grand'oère, partager son affeetion avec eet étranger, folie I Luc permettre a eet inconnu de s'introduire dans son bonheur, aberration I Ion, non, oe mariage ne doit pas se faire I" - Luc est ravi, Luc approuve sans se douter plus que Lucien du vrai mobile qui fait parier ce dernier. Et Lucienne qui les a écoutés tous les deux en sllenoe parle enfin, répondant a une demande angolssée de Luc que son silenoe commenoe a inquiéter. " fion, non, elle n'épousera pas eet homme, - N'est-ce uas, demande Luc, tu ne voudrais pas quitter ton vieux bonhomrae de grand'père ?M 6. lucienne regarde Lucien, lui tend la main a la dérobée, mais loyalement et baisant son grand'-pè re au front répond : "Ion, rassure toi, grand'père I « - Tableau. Dix heures sonnent . R I D E A U . LEUXIEME ACTE . La cour de la ferme. SCENE I fluit jours se sont écoulés. Il est 7 heures du soir. Au lever du rideau, Lucienne est juchée sur la charrette de foin et travaille a un ouvrage au croohet en chantant une chanson du pays . SCENE II Lucien rentre. (voir fin page 41, pages 42, 43: la tartine) Lucien la regarde sur la charrette et e11e lui montre Ie point de vue, 1'admirable campagne au soleil couchant. Un silence. Les valets ramènent les chevaux invisibles derrière la charrette, Scène du dêtelage vespéral ......7. -"J'ai bon l " dit Lucienne. - "Tu es jolie, répond Luoien troublé - Elle se met a rire, mais elle est gênée, elle aussi. On sent qu'ils s'aiment, mais lis ne se Ie disent pas, ne serait- oe pas une vilaine chose a cause ae Luo ? Tout a coup Lucienne bat des mains : Voici Luc Robert qui revient .... Il a 1'air pré- occupé. SCENE III. Luc a des raisons d'etre préoccupé : d»abord, il est brus- quement inquiet de voir les jeunes gens cote a cote.... Et puis il revient de chez Ie père d'André a qui, nettement, il a refusé la main de Lucienne.- Le père a óté stupéfait, puis colère, mais il a dit a Luo qu'il oraignait véritablement d'annoncer la nouvelle a Andró, si violent. "Sana doute, a persifflé le père d'André, c'est le monsieur de la ville qui est chez vous qui a enjölé vo- tre Lucienne" Luoien palit de rage : "Il a dit cela .' » Et brus- quement sa haine instinctive pour André, le rival , se complique d'un désir de vengeance contre André 1'insulteur. Cette scène ne se passé qu'entre Lucien et Luc, Lucienne étant rentree dans la maison d'habitation pour veiller au souper. A la fin de la oonver- sation elle reparatt sur le seuil : - Allons a table J SCENE IV. Luc, Lucien, Luoienne : "Uon, Luc ne mangera pas, il ne se sent pas bien, il préféré rester a 1'air, un peu. Que les jeunes gens le laissent, qu'ils aillent souper J ■ lis s'en vont, un peu inquiets. SCENE V. A peine sont-ila part is, que Luo fait venir Marjosèphe, la vieille servante de la ferme et la questionne : "Combien de temps8. les jeunes gens sont-ils restês ensemble ? Qu'a fait Lucien de toute la journée ? Ia jalousie de la passion forcenée étant ainsi dument établie pour Ie public, avec la progression que les évè- nements coraportent» Voici revenir Lucienne. SCENE VI. Elle est inquiète, Lucienne . - "Pourquoi ce malaise ? Comment se sent-il ? - Mieux dit Luc : vois-tu, Lucienne chez les vleilles gena comrae moi, les peines de coeur affectent tout de suite la san- té ..... - Mais vous n'avez pas de raison, grand'père, d'être cha- grin. Ie suis-je pas prés de vous ? Cet André, vous savez Men que je n'en veux pas - André, oul, mais ...... Mais quoi ? ..... -Mais son père mfa dit des choses .... - Quelles choses ?..... -Hien..... - Un long silence» lis attendent tous les deux qxie 1'un se décide a jjarler ... Aucun n'ose • Et Lucienne s'en va tris- tement, n'osant dire qu'elle aime "peut-être" Lucien, Ie grand' père n'osant Ie lui demander ..... SCENE VII. La nuit est venue. Tandis que Luc, songeur, remonte vers Ie fond et disparait sans que Lucienne s'en soit aperque, on voit Lu- cien et Lucienne, 1'un sortant, 1'autre rentrant, qui se rencon- trent sur 1'escalier donnant acces a la maison d'habitation. - Va lui tenir un peu compagnie, dit Lucienne : il est triste, il Het inquiet. - J'y vais, répond Lucien . Lucienne disparait et ferme la porte après elle. Lucien se dirige vers Luc, mais dans la demi obscurité André franchit la haie de droite et paratt devant Lucien .9. devant Luoien. SCENE VIII Tout de suite, André Ie prend sur Ie ton de la querelle. C'est vous que je cherchais, dit-il, a Lucien, vous qui etes un étranger, vous qui n'etes venu dans ce pays que pour y prendre une fille qui est de notre sang paysans, une fille qui awpartient de droit a ceux qui cultivent la terre .... - Je vous défends de souoconner ma conduite, répond Lucien, Si jamais vous parliez en mal de lucienne, vous trouverez qui vous réoondra . - Allons donc, crie .André, avonez que vous êtes son amant I Lucien bondit . - Mais avant qu'il ait pu toucher André, celui-ci 1'a mis en joue. Avec son fusil André saute sur lui; Ie coup part sans atteindre personne. Du monde sort de tous les batiments de la ferme, se précipite entre les deux combattants. André qui fait Ie vide au- tour de lui avec les moulinets de son arme qu'il a prise par Ie canon, est repoussé ceuendant jjusqu'a la haie qu^l enjambe d'un bond. A ce moment, il recharge vivementson fusil, ajuste une nou- velle fois Lucien frémissant mais que des valets obligent a res- ter sur Ie banc, et lui tire un coup de feu qui 1'atteint. Lucien tombe* Désordre inexprimable : tandis qu'André poursuivi par des valets tire encore des couos de feu éloignés, Lucienne et Luc sont agenouillés auprès de Lucien qui a faibli. H.B,- Il y a deux fagons de poursuivre ici 1'aotion, soit en faisant un troisième tableau qui sera expliqué plus loin; soit en la terminant sans lnterruption dans Ie decor en cours, par la donnée suivante : Quand Lucienne arrive prés de Lucien qu'elle croit mortelle- ment blessé et qui ne 1'est quelégèrement (mais il a perdu connais-10. sance elle s'agenouille et 1'aveu de son amour lui échappe a la face du grand'père, accouru aussi. C'est une révêlation pour elle, c'est une confirmation des souppons pour Ie grand'père. Kala devant 1'horreur de la mort, tout disparlt, toute jalousie s'écroule . - Et lui s'écrie : "Ah I pourquoi ma vaine tendresse, mon egoïste affection t'ont-ils privée d'un bras qui t'aurait soutenue dans la vie .' Se serais mort tranquille si tu avais èté la femme de eet homme que tu aimes sans avoir osé me Ie dire l » Et comme Luoien rouvre les yeux, et déclare qu'il n'est blessé qu'au bras, il lui donne lucienne, il bénit les deux enfants . Dans Ie cas oü cette version que je n'indique que sommaire- ment serait adoptée, la pièce se jouerait toute entière sans interruption, avec un intermède musical entre les deux tableaux, sur ld coup«^ de Cavalerria Rusticana. Sinon, Ie rideau tomberait sur Ie coup de feu d'André et 1'on jouerait un troisième acte . TROISIEME ACTE. Méme decor que Ie premier, mais par un créüuscule pluvieux. SCENE I. luc, Luoien et Lucienne finissent de souoer. Tous trois sont tristes. Lucien a Ie bras en écharpe. Il va mieux, André a quitte Ie pays; on n'a plus de ses nouvelles .11. Et Luc, naïvement, aveuglément se félicite d'avoir garde sa Lucienne; sa vleillesse, toute entière oonsacrée a la tendresse qu*il a pour elle, sera heureuse, indéfiniment, a travers Ie dé* roulement des jours et des mois et des années. Et Lucien et Lucienne se regardent, Ie laissent dire, n'o- sent toujours p&a s'avouer quTils s'aiment . SCENE II. Lucieflae quitte un instant la chambre ^our s'occuper des soins du ménage et Luc insiste davantage prés de Lucien : "Tous les ans, dit-il, quand tu viendras aux vacances, tu nous trouveras, elle et moi, pareillement heureux, car ma vie ne dépend que de son amour et je vivrai longtemps ..... toujours, puisque eet amour n'ara jamais de fin "... SCENE III. Lucienne rentre, a.-partant deux lamoes qu'elle place 1'une sur Ie guéridon, auprès duquel Luc, place comme a la Scène 1 du .remier acte, reprend sa lecture, tandis que Lucien et Lucienne entament une partie de dames, a uneautre table. Demi obsourité sauf dans Ie rayon de 1'abat jour des lampes éclairant les per- sonnages . Scène textuelle (avec la chanson wallonne) comme elle est ra- contóe aux pages 70 (fin) et 71 et 72, sauf qu'après les mots: "Je t*aime" échangés par les jeunes gens, Luc, épouvanté se léve sans mot dire. Les jeunes gens sont aussi saisis que lui. Un long silence. Dix heures sonnent» Et les jeunes gens, tremblants, lui souhaitent Ie bonsoir et prennent Ie chemin de leur chambre.18. - Laissez-moi I laissez-moi seul, a dit simnlement Luo d'une voix altérée. SCENE IV. Luc reste seul et la modulation des mots "je t'aime" grossit a l^rehestre, senfle, envahit Ie théatre, lui martèle Ie cer- veau, Ie submerge. Il üleure, et ne dit pas un mot; sa douleur erie brusquement en un long cri. Lucien inquiet vient fra^per a une des portes, Lucienne également inqulète frappe a 1'autre. Lucien entre, et il sourit, il leur sourit d'un long sourire navré il leur dit qu'ils doivent s'éoouser, qu'ils sont faits pour s'ai- mer et il leur met la main dans la main, hérolquement, parce qufil aime Lucienne. VARIANTE. Si 1'on veut forcer lTaction par un personnage nouveau, on peut montrer Ie père d'André, vieux fermier wallon, dès Ie premier acte. Il reviendra terrifié, au troisième, après la scène du jeu ,1e dame, implorer Luc Robert pour quïil pardonne a son fils. Il montre a Luc que Lucienne doit épouser Lucien ; c'est André qui Ie demande par sa bouche, André qui va partir pour l*Amérique. Lui, va rester seul tandis que Luc gardera Lucienne ... Luc ne répond pas, Ie père d'André s'en va et, quand il est parti , «n temps : les enfants entrent ; il les fiance.* m