GEORGES GARNIR LA LIEGEOISE COMEDIE EN TROIS ACTES D'après un roman anonyme intitulé ; "A LIEGE IL Y A 40 ANS" publié à Bruxelles en 1876. o O O O o o o o La scène se passe à Liège, aux Six Jorneaux et à Riberpré en 1836. PERSONNAGES Henriette Grosjean "18 ans Julie de Massin / 25 ans tS Û A Mme Gros je an jma/va-J^ 5 5 ans Mme Casterman - " ; . , .. 55 ans / l i joson ■ 60 ans # * le capitaine Charlier . Maurice Gros je an ' le père Bruno Qf ïÂaa C. Charles Grosjean Sj, . - / le baron de la Vequay (PiPC Jy: Jabot-Cadot il h Christophe .. o o C o o o o o g 1 û } Çjj. A il JrtML PREMIER ACTE Un salon au château des Six Jorneaux. Au fond, une terrasse abritée par une marquise en toile rayée et donnant vue sur un parc; paysage d'automne. Madame Grosjean et Madame Casteiman sont occupées à des ouvrages de main. Henriette une fois entrée, arrange des fleurs dans un vase, le conseiller lit, assis dans un large fauteuil au 3me plan. SCENE I.-Mme CASTERMA1J - Mtae GROS JE AIT - le CONSEILLER puis HENRIETTE. Mme CASTERMAN Tu sais qu'on fait des difficultés à Maurice qui se présente à la Société des Redoutes, Mme GRO S JEAN" Je sais qu'il sera mis en ballottage dimanche prochain. Qui songerait à l'écarter ? Ce n'est pas un gamin comme lui qui peut avoir des ennemis, Mme CASTERM Erreur, Madame Grosjean, Il est coincé entre les gens à particule et les gens sans particule, car il est, d'une part, citoyen bourgeois du fait de feu Jean Baptiste Grosjean son papa et d'autre part considéré comme aristocrate du fait de sa maman, née baronne de la Véquay... Mme GROSJEAN Ici présente,,.. Pourquoi n'a-t-il pas voulu que son frère Charles le présente ? Mme CASTERMA.N Parce que nobles et nobillons, bourgeois et prolétaires s'ameutent en masse contre l'aristocratie industrielle que Charles représente, la plus insolante et la plus insupportable de tous, qu'ils disent. LE CONSEILIER (qui .jusque-là est demeuré invisible au 5me plan, enfoui dans) (un fauteuil dont le dos le cache au public, se leve~ et ) ( descend "en ~scene„ " ) Ils disent : la plus insupportable et la plus insolante de tous,, Et ils ont raison, Madame Casterman; ils ont raison, ma soeur 1 Mme CASTERMAN Nature liement, vous S...., IE CONSEILIER Quoi ? Moi ? Mme CASTERM.H Vous ? Rien. Mme GROS JEAN Vous n'allez pas recommencer vous deux ? f jjb- 4 (A Henriette qui entre du jardin} les bras chargés de fleurs) Arrive Henriette, on se dispute, (Henriette entre). LE CONSEILIER (Tout à fait aimable) Ah ! te voilà, toi ! Je suis content de toi, Henriette, Je suis même si content que j'ai décidé de te confier, pour les jours de chasse, les clefs de la cave et de l'office, HENRIETTE Je suis bien honorée, mon oncle, IE CONSEILIER Tu sors de pension, Henriette et tu ignores tout de la direction d'une maison. Ecoute-moi donc bien; tu auras soin qu'il n'y ait jamais encombrement de bouteilles vides; tu les feras mettre symétriquement à part, dans le caveau destiné à cet usage, HENRIETTE Bien,mon oncle, Mme GROSJEAN Méfiez-vous, Henriette est très généreuse, elle ferait boir? aux chasseurs les trois quarts de votre cave. LE CONSEILLER Ils peuvent la "boire toute entière» Je demande seulement qu-ils la "boivent avec ordre0,„ L'ordre, il n'y a que çac,eî l'ordre mon enfant, c-est le génie0 Napoléon possédait l'esprit d3ordre au dernier degré0 La veille d'Austerlitz, il fit mettre aux arré'ts un grenadier à la guetre duquel il manquait la moitié d'un "bouton» HENRIETTE mammm ...... ■ .. . — Oui, mon oncle, LE CONSEILLER Je te montrerai , Henriette, puisque tu vas avoir la direction des vivres, mon tableau de clefs, qui est divisé en autant de compartiments qu'il y a de chambres dans le château. Chaque compartiment contient autant de caves qu'il y a d'armoires et dans chaque cave est fixé un petit crochet où l'on accroche la clef de cette armoire» Chaque case porte un numéro d'ordre correspondant à une page d'un grand livre où j'inscris tout» Il ne sort pas de la lingerie un torchon de cuisine qui ne soit porté là, (S'animant) Je pourrais dire au juste le nombre de bouteilles de chaque espèce de vin que ma cave contient» Mme GROSJEAN (bas à Mme Casterman) Il n:y a pas une naison où les domestiques volent davantage, Mne CASTERMAN C'est pain béni I (Henriette lit sous cape et fait signe à sa mère de ne pas insister) LE CONSUL LIER Voilà, Henriette5 le carnet que je viens de terminer avec le programme des trois jours d'ouverture. Lis-le tout haut pour que ta mère et Mme Casterman soient au courant et que personne ne s'avise d'y manquer, HENRIETTE (lisant) Programme de la journée du 2 septembre 1836 aux Six J orne aux Vers 6 heures, arrivée des chasseurs et de leurs femmes, pour ceux qui en ont, Evidemment«, les autres laisse2r laissez Madame Casterman Jrtae CASTERMAN ÏE CONSEI LIER HENRIETTE Ils seront d'abord introduits dans le salon où les attendront Mme Giosjean - salue, maman - Mme Casterman (Mme Casterman salue) et Henriette (elle salue). .. c Et vous, mon oncla ? Moi, je les aurai déjà reçus dans la cour, quand ils seront descendus de voiture. Julie de Massin et son mari occuperont la chambre N° 5 au bout du corridor. Son mari ? S'il vient, Vous semblez ignorer que mon gendre mène une véritable vie de polichinelle, LE CONSEI LIER Je serais bien chagriné s'il ne venait pas, Mme CASTERMAN Vous y tenez tant que ça, à de Massin ? LE CONSEILLER Je n'y tiens pas du tout, mais ça dérangerait l'ordre ,,, HENRIETTE (lisant) M, le capitaine Charlier, chambre N° 6..., Commant, le capitaine Charlier est invité ? LE CONSEILLER Il est l'invité de ton frère Maurice; c'est pour cela que Maurice a la chambre N° 5; elles communiquent,,. Tu vois, de l'ordre, toujours de 1*ordre, mon enfant. De mâme, le lieutenant Robin qui est l'invité de de Massin aura la chambre N° 3 qui communique avec celle de de Massin et de sa femme, le 2, Mme CASTERMAN (avec intention) Et si Mme de Massin vient sans son mari , elles communiqueront tout de même. LE CONSEILLER HENRIETTE (lisant) Mme GROSJEAN IE CONSEILLER Vous êtes un poison, Madame Casterman, il y a long-temps que je sais ça,. Mme CASTERMA.N Il y a longtemps que vous le dites à tout le monde je sais ça aussi s Monsieur le Conseille r9 LE CONSEILLER Depuis vingt ans que vous êtes l:amie inséparable de ma soeur, madame Casterman, sa doublure , sa confidente et sa conseillèresvc:ic iva-jamais râté, j'ose le dire, une occasion de m'être désagréable,. Mue Casterman J'ose dire égaleiœnt que, depuis trente ans que Ma Casterman est mort et que Mme Grosjean rre fait l'amitié de me considérer comme de sa famille vous n'avez jamais, chaque fois que vous l'avez pu} manqué de m''asticoter3 monsieur le Conseiller ! LE CONSEILIER Oh j vous 1 Quoi, moi ? Vous,«..„ rien; Mme CASTERMAN LE CONSEILLER Mme GROSJEAN Vous n'allez pas encore vous disputer tous deux, n'est-ce pas HENRIETTE (le papier à la main) Il reste mon frère Charles, chambre N° 7, M0 Jadot-Cabot. le tanneur d'outre-Meuse N° 8 et M, Bride lie N° 9, .IE CONSEILLER Bridelle j c?est l'invité de Charles,., c'est le banquier de Paris avec qui la maison Grosjean fait des affaires ? HENRIETTE Non, c'est le fils du banquier, Mme GROSJEAN 22 ans,., millionnaire.,. Un jeune homme charmant, Mme CASTERMAN (avec intention) C'est vrai, Henriette ? HENRIETTE (d'un ton indifférent) Maman l'assure, LE CONSEILIER Vous êtes une Marie mêle tout, Madame Casterman, o'est moi qui vous le dis, Mme CASTERMAN Oh I vous I LE CONSEILIER Quoi, moi ? Mme CASTERMAN Vous,», rien I Si on ne peut plus parler, je me tais, IE CONSEILLER C'est ça. Continue à lire, Henriette, HENRIETTE (lisant) Le premier dîner aura lieu à 7 heures. Deux coups de cloche,X o O » O 000 o SCENE II.» LES MEMES - MAURICE MAURICE (poussant la porte et entrant) Deux coups de cloche,,. C'est moi, Mme GROS JEAN (surprise) Maurice i MAURICE Bonjour, mon oncle, bonjour maman, Henriette,,, Madame Casterman mes hommages. LE CONSEILLER Comment I Tu es déjà là ? HENRIETTE Veux-tu bien retourner à Liège ! Tu ne peux arriver qu'à 6 heures, avec le gros des chasseurs,,,, Mme CASTERMAN Retourne, M, le Conseiller doit te recevoir dans la cour à ta descente de voiture, Mi~lRT.CE ( comme s 'H n'avait rien entendu-, très à l'aise et goguenard) „ Je me porte à merveille, merci bien, vous êtes tous bien bons de vous intéresser si vivement à ma personne. Mme GROS JEAN (riant) Gamin 1 (Henriette rit et serre la nain de son frère) C'est étonnant ce qu'il a pris d'aplomb depuis quinze jours qu'il fréquente l'Université. IE CONSEILIER (d'un ton plaintif) C'est charmant I C'est charmant ! Qu'est-ce qui t'a pris de devancer les autres ? MAURICE Le sentiment de la famille, (On sourit) Mme CASTERMAN Et quelles nouvelles à Lidge ? MAURICE Rien 1 Le pont des Arches est toujours sur la Meuse, les vrais étu diants sont toujours ceux qui n'étudient pas et je me suis présenté à la Société des Redoutes où je serai mis en ballotage dimanche prochain ça me procure un mal de chien, car il y aura des difficultés, Mme GROSJEAN Allons donc, c'est Un genre que tu veux te donner, personne ne songera à t'écarter, Mme CASTERMAN (haussant les épaules) A qui monsieur porterait-il ombrage ? Mme GROSJEAN Contente-toi de recommander à tes parrains de certifier partout que tu es un bon enfant. MAURICE Bonasse comme tout.., un moutard de cinq ans peut monter dessus et qui vous mange dans la main; c'est fait, maman, je vous remercie. Pou:;: défendre ma candidature j'ai le capitaine Charlier, mais je compte encore plus sur Henriette que sur le capitaine. HENRIETTE Sur moij Maurice ? MAURICE Sur toi, mon chou, je leur ai insinué que si j'étais refusé, tu renoncerais à la Redoute; or, à moins qu'ils ne soient des topinembours ils Sauront pas, j'espère, la stupidité de se priver d'une danseuse aussi distinguée,,. De sorte, chère petite Riri (il pirouette sur la pointe du pied gauche en agitant à chaque main les deux ouvrages auxquels travaillaient sa mère et Madame Casterman) Mme GROSJEAN (à Mme Casterman) Il est pantin, ma chère I MAURICE De sorte que c'est sous l'abri de tes ailes protectrices que le temple de Terpsichore me sera ouvert, (Tout le monde rit), Mme CASTERMAN Veux-tu me rendre mon ouvrage, grand éwarré.? PAULINE (entrant) C'est pour dire à M, le baron qu'il n'y a pas moyen d'ouvrir le tiroir où sont les couteaux à dessert, LE CONSEILLER Vous n'avez donc pas consulté i tableau des clefs ? PAULINE Si, justement, c'est pour ça ; on a d'abord pris la clef du fruitier, puis celle de l'armoire aux confitures, puis celle du tiroir où c met les plombs pour la chasse, LE CONSEILLER C'est charmant ! c'est charmant ! Vous, Pauline campagnarde mal dégrossie, vous aurez affaire à moi,,, Mme CASTERMAN Oh ! Vous ! LE CONSEILLER Quoi ? Moi ? Mme CASTERMAN Vous, rien 1 .vQHSEIjZBR Alors cc n:était pas la poino do m'interpeler,* ' Maur i c e lui tire la langue derrière le dos - Mme C-ros je an lui donne _ . ;une_"-'ja.pa - 11 tire sa montre, puis d'une voix de catastrophe ) X 5 "2" heures. Eh bien, ma soeur, eh bien, vous, c'est charmant, c'eit charmant. Mines GROSJEAN et CASTERM Qu'est-ce qu'il y a ? LE CONSEILIER Il y a que, dans une bonne demi-heure, les voitures arriveront et que vous n'êtes pas habillées, A quoi songez-vous ? Mme GROSJEAN Tu nous dis ça trop gentiment pour que nous ne courrions pas0 (Elle range son ouvrage dans une corbeille, Mme Casterman fait de même) Viens-tu Mme Casterman ? LE CONSEILIER Je monte avec vous. J'ai accroché les clefs de vos chambres au tableau. Je veux que vous les trouviez vous-mêmes, Mme CASTERMAN Si nous n'avons qu'une demi-heure,., (Ils sortent) LE CONSEILIER (rentrant) Je compte sur toi Henriette, ma bonne petite Henriette, o O o o o o o o SCENE III,-MA.URICE - HENRIETTE MAURICE ■'.Il allume un cigare et se renverse dans le fauteuil du Conseiller) Comment diable, t'y es-tu prise pour amadouer cet apôtre-là 1 HENRIETTE C'est bien simple, j'ai pris le parti de répondre amen à tout ce qu'il ditj je n'écoute pas un mot. Seulement, tout en laissant galo<* per mon esprit ailleurs, quand il m'interroge de la voix ou du regard, je lui dis du ton de la plus profonde conviction "sans aucun doute,mon oncle - naturellement, mon oncle"'. 0 MAUBICE Si Mon que, s'il te disait : "tu crois que je n'ai pas le sen; commun" tu lui répondrais : "c'est évident mon oncle". . ils r'.ent). Ah I Henriette, les Six Jorneaux, comme ce serait délicieux sans leur propriétaire ! Du jour où il passera l'arme à gauche, je sera fourré ici tout le temps I ( il se vautre dans on fauteuil) HENRIETTE Yeux-tu bien te taire , Maurice ! MAURICE Il ne faut pas se réjouir trop vite, il en a encore pour longtemps, En avons-nous fait dis, Henriette des parties aux Six J orne aux r „ dans les vergers, dans le pâchis, dans la grange.., HENRIETTE Te rappelles-tu, quand nous jouions au loto, l'été, dans la gloriette ? Tu trichais, Charles et moi nous te traitions de hapchard. Et la moisson, Maurice ? Te rappelles-tu l'époque de la moisson ? MAURICE Quand on faisait la fête du coq à la ferme du château chez le père Bruno ?,,. le père Bruno, les petits Bruno, avec qui on se roulait g* plie mêle sur la pelouse du parc.jjcaimaLlgs-tu que.,A_&uand nous » •««Bfat^ - .....—-----.......* ------------JfT étions en retard pour le dîner, nous n'osions plus entrer ..dans la sall-à manger, tant notre oncle était furieux i HENRIETTE ( imitât son oncle) "Si j'avais été survie point de mourir de faim en me mettant à table, il y a longtemps que j'aurai® rendu l'âme en vous attendant ! Qu'on fasse dîner ces marmots à^-lâ cuisine I" Il est tout de même de-vsnu plus facile à vivre maintenant, (Un silence) J'ài-Q on serve de lui de l'époque où j ' étais^nfant certain souvenir tellement pénible que je n'y repense jamais sans... (elle fait le geste d'écarter un mauvais souvenir ), MAURICE ir ? HENRIETTE fr^STStiTge chàquoTFoTgHgTO ".iraix que cela me pèse particulièrement des jours comme aujourd'hui, des oû"'f1!ï 15on';| o 'était au temps où mon oncle s'entendait par fa:, temant avec son feimier Bruno dont la famille avait exploité de père g;: fils les terres des Six Jorneaux et qu'il a fini par jeter dehors un matin, M/tURICE Oui, les trois garçons do Bruno frayaient avec nous sur le pied de la plus parfaite égalité. HENRIETTE Tu te souviens de Bastien ? FAURICE Oui^ Un gros rouge, pataud, tellement bon qu'il en devenait niais,.. Tu étais la dame de ses pensées... unedame de neuf ans, tu allais aux champs avec ce chevalier et vous gardiez les vaches ensemble Oui. Souvent, quand les vaches paissaient le regain derrière le potager, je passais par un trou de la haie et je me metta-fs en arrê" •V. -JtF^ devant une vigne où il n'y avait que trois grappes, trois grappes su-perbes de raisin Muscat que l'oncle réservait pour le dîner annuel offert à M. le "bourgmestre de Liège et au très notabilités. \ ,y'!* MlURiq-gi' X C'était le fruit défendu, \ K ^ HENRIETTE "v/-- J'avais souvent parlé à Bastien de l'envie que j'avais de / V tâter du Muscat... 1-1 m'en détournait tant qu'il pouvait, sachant à V quel châtiment qxi s'exposait. \ Jfilr MAURIC] Tu pris donc ton courage à deuxf\iains et tu allas un jour, cueiljtfr l'une des grappes. HENRIETTE Non... les trois à la fois... pendant que'Nde commençais à les manger, Bastion, cherchant après moi, entra dans lè\jardin par le trou de la haie, et presque en même temps, mon oncle le conseiller parut au bout de la terrasse. Je n'eus que le temps de jeter ce qui C'est, stupido hein ? MAURICE restait des trois grappes et d'aller me blottir à vingt mètres de là9 Bastien arriva à la place où j'avais jeté les grappes et les ramassa tout \oyeux; "Elle est là se disait-il. Tout à coup il vit, 3/deux ?< " j \ i de lui 5\ mon oncle furieux j les yeux lui sortant de la tête,'moi je / tremblais de tous mes membres et n'osais bouger, l'o ne le/avait saisi Bastien par les deux oreilles et le secouait vigoureusement "Ah, c'est ' & toi polissons, qui ravages ma vigne - ce n'est pas moi, disait Bastien -ce n'est pas toi ? impudent menteur ! Qui donc se3fàit-ce ?... Parleras- » M tu ? Parleras-tu:? Et il lui faisait décrire un/demi cercle à chaque question... Bastièn qui avait tordu le bout d# la manche gauche de son \ » sarrau e t le tenait\serré entre les dents, ée contentait de faire non de la tête. Mon oncle\êcumait : "Nous allons voir si je te ferai parler \ # et il le prit d'un bras' par le milieu (^f corps, le déshabilla et se mi'i à le battre jusqu'au sang%vec des bavettes de taillis,., jusqu'au sang... oui, Maurice le san|^ coulaijf.. eh bien, comprends-tu ma lâcheté, je n'ai jamais osé crier qu'ipétait innocent... "Parleras-tu" dit une dernière fois mon oncle d'ugff. voix tonnante. Bastien fit signe qu' il ne parlerait pas, alors morjfonc%3, au comble de la rage, le fit rouler d'un coup de pied dars$T la terrasse d'au-dessous, et après s'être iSr essuyé froidement le fronts se retira Vers 1a maison. Je m'approchai M aj., de Bastien honteuse et plëurante : il voulut venir à moi, mais il avait ■1 le pied foulé, il retonpa. Je sanglottais, %De rien, de rien, da Henriette" en faisant laJprosse voix,.. "De rien, faut pas pleurer corne oa, Henriette", Et a4ec le dos de son sarareauil essuyait des larme s ; Les premières qui JSui venaient (elle est très éàpe), MAURICE (doucement) _ \ "Veux-tu .no pas te laisser aller comme ça, Riyi, tu vas avoir if M %l les yeux gonflés. \ f \ / HENRIETTE (s'efforçant, de sourire) Tu es une bonne petite fille,., je ne t'ai jamais tant aimée qu'aujourd'hui, (il l'embrasse | C'est un plaisir tout de même dans une famille d'avoir un oncle comme ça... SCENE IV." MAURICE - HENRIETTE - Mme CASTERMAN JSSMBft Mme CASTERMAN : (en toilette) En voilà de la tendresse. Qu'est-ce qu 'il y a ? MAURICE : Je peux bien embrsœer ma soeur peut-être, Mme CASTERMAN : On sait bien qu'elle est ta chouchoute et que tu n'as jamais fini de la cajoler. MAURICE : Eh bien... et vous ? —Qjjgj^jgojft^ ^^^^ - .„•"' J Mme CASTERMAN : Henriette, ma ..petite, tu as les yeux rouges. J' HENRIETTE : Vous croyez ? / w ' " Jff: r*- yï' JF Jt' ~ / MURI CE : Et moi aussi r 'j ' ai les yeux rouges; nous parlions des petits W J enfants chinois , ça nous a-a-tte-adris. - jmbb—n.....iWÉiiimwiimii-wtmwmwM»^^ Mme CASTERMAN : Toi, ta mère te demande; elle m'a priée de te dire de monter dans sa chambre. HENRIETTE : (riant) Tu vas recevoir quelques bons avis sur la façon de tirer la langue à son oncle, (il sort) o o o o o o o o SCENE V.-Mme CASTERMAN - HENRIETTE Mme CASTERMAN : C'est de de Massin que vous parliez ? HENRIETTE : Si vous croyez, Madame Casterman, que les histoires de ménage de ma soeur Julie pourraient me faire pleurer... Mais je suais contente de vous voir sans témoins} j'ai quelque chose à vous dire au sujet de Julie. la veille du jour où j'ai quitté Liège, Julie, très affairé, est venue me chercher pour aller au théâtre. Pendant toute la soirée, Julie s'est montrée très agitée. Après la pièce, en sortant dans le couloir des loges, (elle hésite) La O^J■ ?aA Mme CASTERMAN : Tu te méfies de moi ? ARIETTE : Je sais que je ne puis avoir de meilleure conseillère que | vous, Madame Casterman. Eh bien donc, en sortant, il y avait une ! masse de gens dans le couloir, La main de Julie se trouva près de I la mienne et je saisis un papier qui me fut glissé entre les doigts. Mroe CASTERMAN ï Ah ! HENRIETTE : Vous pensez si j'eus vite fait d'ouvrir le papier une fois 1 seule dans ma chambre. C'était un billet au crayon écrit sur un ; feuillet détaché d'un carnet de poche. Le voilà... Lisez, Madame Casterman. Mme CASTERMAN : (lisant après avoir pris une prise) "Je serais ingrat si je remettais à demain de vous témoigner ma reconnaissance. Que vous £tes bonne d'avoir consenti, toute souffrante que vous etes £ vous rendre à maprière, Puissiez-vous éprouver un peu de bonheur vous-môme à l'idée que je ressens bien vivement le bonheur que je vous dois. HENRIETTE : Tournez la page. Mme CASTERMAN i (lisant) "Les lapins angoras viennent d'arriver d'Anvei je leur fais faire une cage digne d'eux, une cage d'acajou toute mignonne", HENRIETTE : Et vous voyez, au bas, comme signature, un signe, un trait courbé, qui ressemble à la moitié des caractères de l'alphabet. Nous quittions liège le lendemain matin pour les Six Jorneaux, Envoyer ce billet à Julie, c'était risquer de l'envoyer à son mari Mme C ASTER MA N : Il faudra le remettre à Julie tout à l'heure, dès qu' elle arrivera,.. Joli ! HENRIETTE : Joli ? Mme CASTERMAN : Je dis : Joli ! ( si le ne e ) HENRIETTE : Quelle est la personne qui aurait bien pu écrire ce billet à Julie ? Mme CASTERMAN : Tu n'y vas pas par quatre chemins quand tu interroges,. HENRIETTE ; C'est pour que vous me répondiez de la même façon. Mme CASTERMAN : D'après ce que l'on sait dos relations do Julio, ce do: être un officier, peut-être ce Robin, l'invité et l'ami do de Massin, ce serait dans l'ordre,,, peut-être le capitaine Charlier qui, m'a-t-on dit, fait la cour à ta soeur (Henriette est troublée. Cela te contrarierait si Charlier faisait la cour à ta soeur ? HENRIETTE : Mais il ne m'intéresse pas, Madame Casterman, le capitsi:^-Charlier, Mme CASTERMAN : De quelle façon ne t'intéresse-t-il pas ? Voyons, laisse-moi réfléchir, (prise) Tu as roncontré le capitaine au bal < Mmo de Marion où tu as fait ton début, puis chez les Dubollay. puis chez ta mère, la semaine suivante, à votre soirée ordinair: I du réception. Vous avez chanté, le capitaine et toi le duo de la Juive,,, J'ai vu que,., qu'est-ce que j'ai vu ? (elle cherchu; HENRIETTE : Oui, qu'est-ce que vous avez vu ? Mns CASTERMAN : J'ai vu que, pondant le duo, Julie, qui était engagéo dans une partie de whist avait de petites crispations; après le duo, elle te demanda deux fois de suite si tu no désirais pas la remplacer à la table de whist et, comme tu refusais, elle appela biusquement î%urice et lui remit ses cartes. J'entendis que Maurice, qui n'aime pas le whist, lui disait : "Quand tu auras fini de frétiller autour du capitaine, tu voudras bien reprendre ta place", HENRIETTE : Comment faites-vous pour tout entendre, sans avoir l'air d'écouter ? Mme CASTER MIN : Ce sont des dons qui se développent avec l'âgo chez les femmes qui vivent seules; leurs secrets ce sont ceux des autres (Mme Casterman sourit d'un air entendu) .HENRIETTE : Oh ! ne souriez pas commo ça, madame Casterman, vous ne croirioz pas combien c'est,., agaçant,.. Vous n'avez tout de môme pas entendu ce qui m'a échappé dans la conversation au sujet ds Vieuxtomps ? Mme CASTERMAN : Si ! Si !... Ton cuir,., HENRIETTE : Pas possible ! Mme CASTERMAN : Tu as dit, devant Julio, à M, Bridelle : "Avant hier-, j'ai assisté-z-au Concert Vieuxtemps" même que Julie s'en pâmait, HENRIETTE : Je devais être cramoisie, Mme CASTERMAN : Tu l'étais mon chou,., o o o o o o o o SCENE VI.-LES MEMES - PAULINE PAULINE (entrant d'un air piteux) : Mademoiselle Henriette,., la clef pour les couteaux à dessert... J'en ai déjà essayé treize,.. Mme_CA S TER MA N & HENRIETTE (riant): Cette pauvre Pauline. rlÉrEIETTE S J'y vais, Pauline, j'y vais... (elle sort à droite) c o o o o o o o SCENE VII.-Mme CASTERMAN - IE CONSEILIER, puis JULIE. LE CONSEILLER : (entrant de gauohe en coup de vent). C'est du propre s c'est du propre l Mme CASTERMAN : Qu'est-ce qu'il y a ? 3E CONSEILIER : Il y a d'abord Maurice qui force les portes et puis., savez-vous qui je viens de voir descendre de voiture dans la cour,... 9 CASTERMAN : Qui ? CONSEILLER : Julie, 30» CASTERMAN : Avec de Massin ? "j.i; CONSEILLER : Non, avec sa femme de chambre, c'est charmant, c'est charmant (criant) n'est-ce pas que c'est charmant ? Maie CASTERMAN : Mon Dieu, CONSEILLER î On peut déchirer le carnet, (il s 'assied accablé) o'JLIE (entrant) : Bonjour, bonjour, c'est moi... c'œt moi, mon oncle» (Mme Casterman l'embrasse) LE CO VEILLER (sans bouger): Je le vois parbleu bien, que c'est toi„ JULIE : Ça n'a pas 1 'air de vous faire énormément de plaisir 1 LE CONSEILLER : Si, si. Seulement, cela m'en aurait fait encore plus si tu étais arrivée à l'heure avec de Massin comme c'était conve: / «N (plaintif) Lb rdre mon enfant, l'ordre... (il l'embrasse) JUIIE : C'est facile à dire, mon oncle. LE CONSEILIER : Ton mari ne t'a donc pas communiqué le programme ? JULIE : Mon mari ! Il y a juste deux jours que je ne l'ai pas vu. La dernière fois que nous avons déjetôné ensemble, il m'a dit, en sole vant de table : "Rendez-vous samedi 6 heures, aux Six Jornea-;:: pour 1 'ouv» erture de la chasse"'. Je lui ai demandé comment on y allait, L1 a répété "Aux Six Jorneaux, samedi, rendez-vous d 6 heures .,, Mme CASTERMAN: : Pour l'ouverture de la chasse, '" 1 1 1 w jtjiie ; Et il est parti. 'jm CAS TER mN : En claquant la porte, tjlie s Je suis bien malheureuse allez,., ( graveme nt ) Non, sérieusement _ je vous assure que je le serais si je n'avais pas un caractère à ne pas l'être... j'ai attendu, cet après-midi jusque 3 heures Pas plus de mari que sur ira main.,. A 3 heures, une ordonnance apporte une lettre; enfin 1 j'ouvre... c'était un mot du lieutenant Robin, mon oncle, une lettre dans laquelle il vous prie de l'excuser; il est aux arrêts pour trois jours, IE COUSE IL 3ER i (les bras au ciel) Le lieutenant Robin 1 II nous manquait ça, il nous manquait ça,., c'est charmant, c'est charmant (criant) N'est-ce pas, mesdames, que c'est charmant ? :U1IE_ : Ah ! je l'ou biais, Charles m'a envoyé Christophe ce matin en me priant de vous dire*., jF CONSEILLER (vivement et criant) : qu'il ne viendrait pas,,. C'est charmant ! C'est charmant 1 ITIE : Non, mon oncle, qu'il viendrait, seulement qu'il serait en retard; il s'agit d'une affaire très importante, souligné deux fois. Il arrivera aussitôt qu'il pourra. rE CONSEILLER : Mais j'aime autant qu'il ne vienne pas du tout,,, JTTLIE : Oh ! ce sera comme s'il ne venait pas; il n'a que deux mots à dire à maman et il repartira aussitôt, Ji CONSEIL 1ER (criant) : Il arrivera,,, il dérangera tout le monde,., e~ on ne le verra plus. De plus en plus charmant ! Et il y a quinze, jours que je règle tout, minute par minute, service par service, plat par plat,,, "frie CASTERMAN : Il n'y a pas à dire, c'est vraiment désagréable, iT' CONSEILLER : (serrant les poings) Madame Casterman, je vous prie do vous taire, si vous continuez, je serai obligé de vous demandez de sortir de la chambre, Mme CASTERMAN : Pourquoi, mon Dieu ? ^E CONSEILLER : Je veux bien que les autres me plaignent, mais vous, non '.--'fflIE, (d'une voix douce et basse) : Il y a encore autre chose, mon onolf CONSEILLER : Quoi, quoi ? ÏÏIJE ; Bridelle , l'invité de Charles, ce jeune homme de Paris,, 0 LE CONSEILIER : Eh bien ? JULIE (lui ne ttant le bras autour du cou pour le calmer) : Charles... ne vous fâchez pas mon oncle... Charles m'a prié aussi de vous dire que M. Bridelle est grippé,,, alité, TE CONSEILIER (étouffant de colère) : Il est... il est... Mme CASTERM : Oh ! -----------/ (Le conseiller brusquement se dégage de Julie, regarde Mme Casterman et) (sort"avec fracas sans dire un mot, ) ( Les deux femmes restent un moment surprises devant la [porte fermée). o ---------------------- o o o o o o o SCENE VIII.-Mme CASTERMAN - JULIE - HENRIETTE puis PAULINE. JoLJ3E_ (l'imitant) : Charmant, mesdames ! CASTERMAN : Il faut que ce soit à lui que ça arrive, HENRIETTE (rentrant) : J'ai entendu ; je n'osais pas rentrer ! (on rit) Il y a de quoi se vexer; soyons de bon compte. Mie CASTERMAN : Le compte est facile; de six ôtez quatre : il reste Charlier et Jabot-Cadot, PAULINE (entrant) : Pardon... excuses... La femme de chambre de madame la Baronne demande ce qu'il faut faire des petites betes qui sont dans la cage. dULIE : Montez-les dans ma chambre, avec Suzanne, Pauline, et posez-les sur la commode. PAULINE (ahurie) : Bien, madame la baronne, Mme CASTERMAN : Vous voyagez avec des petites bâtes dans une cage ? JULIE : Figurez-vous : un couple de lapins angoras, HENRIETTE (sursautant et après un coup d'oeil à Mme Casterman) Des lapins angoras ? Mme CASTERMAN : En voilà une idée ? JULIE : Un cadeau que m'a fait une personne qui les a obtenus à grand peine du directeur du jardin zoologique d'Anvers, L'espèce est oxcessivenent rare; c'est mignon comme tout, rose et blanc, c'est ! bien plus gentil qu'un petit chien, ■TINRIETTE : Chacun son goût. JUIIE : Tu sais que j'ai toujours aimé beaucoup les petits lapins, HENRIETTE : Je n'en sais rien du tout et tu m'en dis la première nouvelle JUIIE : Je n'allais pas les laisser à liège; on les aurait soignés Dieu sait comme, Mme CASTERMAN. : l'air de la campagne leur fera du bien, (A Julie après un signe d'intelligence à Henriette) On peut les voir, ces lapins angoras ? _ , i H I i I JUIIE : Comment donc ! Demandez à SuzannePrenez garde de rencontrer mon oncle dans l'escalier, (Mme Casterman sort par le fond) SCENE IX.-JUIIE - HENRIETTE «MMK« HENRIETTE : Pendant que nous sommes seules,., (elle fouille dans son calepin pour y prendre le billet) JULIE : Qu'est-ce qu'il y a ? HENRIETTE : L'autre soir, quand nous avons été au théâtre,, è tu te rappelles. ? JULIE t Oui* HENRIETTE ; Au moment où nous mettions nos manteaux, on m'a glissé un billet au crayon qui, évidemment n'était pas pour moi, JUIIE : Un billet ? "HENRIETTE : Je ne me suis aperçue de l'erreur qu'en rentrant Place St-Jean et comme nous partions le lendemain de bon matin, je n'ai pas pr te le remattre. (elle le lui namet) •niLIE : Et tu l'as lu, ce billet ? HMRIETTE : Evidemment, Si je ne l'avais pas lu, je n'aurais pas pu savoir qu'il t'était adressé, ~JLIE (songeuse) : Oui, tu l'as lu, (se décidant à le lire) "Je serais un ingrat si je remettais à demain de vous témoigner,,, tatatatata,, , un peu de bonheur à l'idée que je ressens bien vivement le bonheur que je vous dois".... Et qui te fait croire, ma petite qu'il m'était adressé ? HENRIETTE (haussant les épaules) : Il n'y avait que nous deux de femmes à la sortie de la loge. JUIIE (nerveuse ) : Tiens, voilà le cas que j'en fais de ton billet, {^elle le froisse et le roule en boule entre ses deux paumes) ; HENRIETTE : De mon billot ? . i. De ton billet tu veux dire, JUIIE : Hé ! de mon billet, si tu veux... tu m'ennuies. HENRIETTE : Tu as peut-être tort, Julie, de me traiter comme une petite fille sans conséquence, et de ne pas te rappeler que j'ai dix neuf ans depuis janvier. JUIIE : Mais à la fin, pourquoi est-ce à moi que ce billet aurait été destiné ? Est-ce parce qu'un inconnu écrit qu'on s'est rendu à sa prière en allant au théâtre ? HENRIETTE : Non, c'est parce que, à l'autre page, il parle de lapins angoras (Julie rouvre vivement le papier) le lit et se tait). o o O O O o o o S CE HE X.-HENRIETTE - JUIIE - MAURICE MAURICE (entrant par la terrasse sans remarquer Julie) : Tout au bout de l'allée, avec la lunette... on aperçoit Jabot-Cadot, le roi des tanneurs de Dju d'ià, qui arrive en voiture de louage... Tiens, Julie, bonjour*.. JUIIE. : Voilà un bonjour bien sec ( ri ant ) Tu m'en veux toujours, grand rancunier de t'avoir fait jouer au whist, MLURICE : Sois tranquillfl , je te le revaudrai. J^JI'-Œ : Jabot-Cadot est tout seul ? CTRIETTE ï Naturellement, puisque les autres invités ne viennent pas. ç-JlIE : Pardon, le capitaine Charlier vient, ! y RIE TTE (d'un ton qu'elle s'efforce de rendre indifférent): C'est vrai, je n'y pensais pas, MAURICE : Mais Julie y pensait. JUIIE (agressive) : Que veux-tu dire ? HENRIETTE (agacée) ; Il veut dire que tu y pensais, JUIIE : Ce n'est pas à toi que je parle, c'est à Maurice, MAURICE : Je n'aurais pas mieux répondu qu'Henriette, HENRIETTE : Yoilà. MAURICE i Voilà, JUIIE. : Oh ! toi, Maurice, je sais que tu tiens toujours avec Henriette, (un silence), o O o O o o o o SCENE XI.-HENRIETTE - MAURICE - JUIIE - Mme GROS JEAN ». M MM» M M» Mme GRO S JEAN ( entrant) : En voilà une autre,.. le conseiller s'est enfermé dans sa chambre. Il déclare qu'il est malade, qu'il no veut voir personne, que nous n'avons qu'à nous en tirer nous-mêmes, EEKElETTE ET JULIE ï Eh bien merci, MAURICE î Comment, cela vous contraires ? Mais c'est tant mieux, on va s 'amuser, lime GRO S JEAN : Après tout,., (remontant et regardant dans la cour) Vas au-devant de Jabot-Cadot, Maurice, MAURICE : Bien maman, (il sort) Mme GROSJEAN ; Julie, si tu montais chez ton oncle ? Tâche de le déci« der à descendre, o'UHE : Je veux bien, maman. Mme GRO S JE AN : Henriette et moi nous tiendrons compagne à Jabot-Cadot, JULIE : un tanneur ça fera mieux l'affaire d'Henriette que la mienne, HENRIETTE : Pourquoi ? JULIE : A cause des cuirs, mon trésor, HENRIETTE : (du tao au tac) Un tanneur vaut bien un officier de cavalerie, Mae GROS JEAN : C'est à cause du mari de Julie que tu dis ça ? Ça n'est pas gentil, HENRIETTE : Bien maman, Mme GROS JEAN : Qu'est-ce que vous avez toutes les deux ? JULIE (saisie): Rien,.. Je vais voir mon oncle ! HENRIETTE : Oui, c'est ça. (Julie sort par la gauche). o o o o o o o o SCENE XII.- Mmo GROS JEAN - HENRIETTE - MAURICE - JABOT-CADOT MAURICE (poussant devant lui Jabot-Cadot) : Il faut l'excuser, il est un pou souffrant. JA/jv^CADOT (serrant la main à Mme Grosjean et à Henriette) : Pour vous présenter mes devoirs, belle dame, Mme GROSJEAN : Maurice vous a dit,,, les contretemps qui nous arrivent HENRIETTE ; Mon oncle est désoléc JABOT CAPOT : Faudra qu'il fasse comme moi, qu'il se console. fWIîIlî™ (liant) : Evidemment. MAUR105 : Je suis allé chez vous avant hier soir, vers 7 heures, JABOT CAPOT : C'est bien de l'honneur que vous m'avez fait, Monsieur Maurice. MAURICE ; Malheureuse ment, vous étiez sorti. JABOT CAPOT : Faites excuses, j'étais couché, Mme GROSJEAN : Comment ? Au lit à cette heure-là ? Vous étiez donc malade ? JABOT CAPOT : Non, pas moi, mais ma femme. Elle avait pris médecine et ne s'était pas levée de toute la journée... Et alors, je ras suis mis au lit après dîner pour lui tenir compagnie, MAURICE : Eh bien, ça c'est du dévouement conjugal à 24 karats, (tous les quatre rient), fume GROSJEAN De s maris comme vous, on n'en fabrique plus à la Fonderi' de canons; le moule est cassé. V( Pondant cette réplique Maurice est IAURICE : Voilà Charles et le capitaine, ils arrivent à cheval. (tous remontent et font des signes aux nouveaux arrivants qui de-) (meurent invisibles. ) Mme GROSJEAN : Quels casse-cou. JABOT CAPOT : Créhenne ! Il s'y entend à manier sa bête ! MAURICE : Il n'y a pas à dire, il a de l'allure, à cheval, le capitaine. Mme GROSJEAN (riant) : Tess tu ! Comme s'il ne savait pas qu'on le re garde. MAURICE : J'aurais beau savoir qu'on me regarde, je n'aurais tout de même p&s ce chic là. remonté sous la tente) JABOT CALOT : Moi non plus. MAURICE : Vous ! Jo le juré, (on rit) o o O o o o o o SCENE XIII.-IES MEMES - JUIIE - puis CHARLES « CHARLIER et Mme CASTERMAN - JULIE (entrant) ; Rien à faire, il dit que, puisqu'il y a des invités qui ne veulent pas se déranger, il ne se dérangera pas non plus, (d'un ton aimable) Bonjour, Monsieur Jabot-Cadot, JABOT-CALOT : Pour vous présenter mes devoirs, belle dame, .'Du moment qu'il se fait remplacer par quelques bouteilles do son Richebourg 19 et 23,... Mme GROS JEAN (sans l'entendre): Tu n'as pas insisté autrement ? JULIE. : Ce n'est pas facile de parlementer à travers une porto fermée, JABOT CAPOT : Créhenne ! Il n'a pas même voulu vous ouvrir, MATJRICE : Voici Charles et le capitaine, JUIIEr 4épanouie); Oui, oui, c'est le capitaine, (Henriette la regarde à la dérobée ), Mme GRO S JEAN : Charles ! (elle fait quelques pas à gauche de la tente hors de la vue du public pour aller au-devant de Charles et de Charlier, Mme Casterman est mêlée au groupe, ) ( Salutations, embrassades moitié dans la coulisse, moitié sur scène. Tout le monde est •5.3bout au fond sous la tente), q: .A RIES ( gaie ire nt) : Madame Casterman et toi, Henriette, et toi aussi Maurice, vous allez amuser ces messieurs cinq minutes par une conversation vive et enjouée; j'ai doux mots à dire à Julie et à maman et je m'en vais, (marques discrètes d'étonnement). HENRIETTE (bas à Maurice) : Qu'arrive-t-il ? MAURICE {à Henriette) : Pour qu'il se soit dérangé pour voir maman cinq minutes, c'est qu'il se passe quelque chose de sérieux, .(Maurice, Hpnriette & Jabot-Cadot remontent et s'éloignent par la gauche CHARLES (entraînant Mme Grosjean et Julie dans le salon) - (Premier plar à droite)-. Venez par ici. J'y vais sans préparation parce que le temps presse. Voilà, ton mari Julie est en fuite; il a quitté Liège avant-hier sans esprit de retour. Mcm GROS JEAN : de Massin en fuite ? JUilE : Eh bien, bon voyage; c'est ce qu'il avait de mieux à faire, Ivfrc GROSJEAN {à Julie) î Qu'est-ce que tu dis ? JUIIE : la situation était devenue de toute façon impossible, OHARIES : Oui, il a déguerpi sans s'occuper do sa femme et de ses créanciers.. Je sais seulement qu'il a pris le chemin de l'Espagne où son intention est d'aller se faire casser la tête au service de Don Carlos (voyant que Julie regarde au fond et observe Çharlier et Henriette). Tu n'as vraiment pas l'air de considérer ça comme une catastrophe ? JULIE ; Je m'attendais de jour en jour à ce qui arrive. Comment veux-tu que je regrette un mari comme lui ? J'ai appris depuis longtemp à la détester cordialement, Mme GROSJEAN : Mais tu ne vois pas combien ta situation va changer. Tu ne seras plus maîtresse de maison,.. Tu ne donneras plus do dîners, de réceptions... voyons, réfléchis un peu, ■OULIE : Voulez-vous que je ne mette à pleurer ? CHARLES *. Ma foi, j'aime mieux voir que tu en prends aussi résolument ton parti, Mme GROSJEAN : On dira que de Massin est absent et in "viendras habiter chez moi en attendant. C'est ton avis, Charles ? CHARTES : Oui, c'est une bonne idée, le plus pressé, c 'est de retrouver de Massin pour tirer sa situation financière au clair. On l'a vu passer avant-hier sur la route de Namur dans son phaè'tonc II a deux jours d'avance sur moi. Si tout va bien, je pourrais le rattraper sà Bordeaux, JULIE (sursautant^ : Tu pars ? Tu abandonnes tes affaires ? OHARIES : Il faua-fc bien te tirer de là, ma soeur, JuIÎCE (g_oudain^ émue) : Merci Charles, je me rappellerai toujours ce que "tu fais aujourd'hui pour moi, Mme GROSJEAJ& • viens m'embrasser mon garçon. Si ton père était encore die ce monde il aurait fait ce que tu fais là, CHARLES : Bien, bien maman... pas de scène de famille devant l'étranger qui a l'oeil sur nous.,. Maintenant que vous êtes au courant jo file à l'anglaise. J'ai tout juste le temps de coupor par le plateau pour rattraper à Amay la diligence de Namur où est déjà mon sac de nuit. Accompagnez-moi jusqu'à la grille... Ah ! il faut que je salue le seigneur châtelain, -l^'i GRO S JEAN : Il s'est terré dans son trou; il ne veut voir personne, ■JFARIES : Ça simplifie les formalités; tu lui expliqueras ce qui se pas? Tu expliqueras aussi à Henriette et à Maurice, en leur disant au revoir pour moi,.. Que je te dise encore, Julie,,, Mira GRO S JE AH : Par ici,,, (ils sortent de gauche, Mme Grosjean a pris le bras de Charles), o o o O O o o o g C E H E XIV.-HENRIETTE - CHARLIER - J/&OT-CALOT - Mme CASTERMAN l«W«M»fk ■ -;-~jS descendent en scène en causant dès que les précédents sont sortis) JABOT CAPOT (à Henriette) i Croiriez-vous, mademoiselle Henriette que di minutes avant de monter en voiture pour venir ici, je n'avais pas encore fait ma barbe ? Heureusement que je me suis rappelé que M, le Conseiller est fort regardant sur les convenances, HENRIETTE : Il aurait été certainement flatté de vous voir aussi parfai tement rasé, C'EAFTTOP : Il est vraiment empêché de dîner avec nous ? -•''.tb CASTERMAN : Il a une colérite rentrée; vous le connaissez, n'est-ce pas, monsieur Jabot-Cadot ? JABOT CAPOT : Paut pas le contrarier; tous les la Vequay ont Un coup de marteau "la vequay tiesse fêlée" c'est un dicton du pays, Excepti faite pour nadamo votre mère, bien entendu î et pour ses enfantsc. Savez-vous bien, Mademoiselle Henriette qu'on raconte à Liège que le Conseiller a l'envie de se remarier ? HENRIETTE ï Avec qui, Seigneur Dieu ? JABOT CAPOT : Avec vous, mademoiselle Henriette, (on rit) CHARLIER : Ah ! JABOT CAPOT : La farce ne serait pas mauvaise tout de même, vous seriez la baronne de La Veqay tout le long du bras, HENRIETTE : Moi ? Mme CASTERMAN (regardant Charlier) : 40,000 francs de rente, c'est joli. JABOT;CAPOT : Oh ! Oh ! Il ne faut pas dire non si vite.,, il n'a plus tant d'années à vivre... c'est une spéculation corane une autre. (Maurico rentrant va causer avec Henriette et le capitaine dans le ) (fond à gaudre. ~ ' ' ) :Irr-.r; CASTERMAN (tirant Jabot Cadot plus à droite) : C'est vrai qu'on raconte ç.a à Liège ? JABOT CAPOT : Mais oui, c'est vrai, Mademoiselle Henriette passe sa vie ici; vous ne voudriez pas que ça ne fasse pas jaser, Hra CASTERMAN : Vous n'en croyez pas un mot, je suppose ? TABOT CAPOT : pu vî, pu sot, madame Casterman, Quand un houlé solitaire qui a le sac se met en tête d'épouser, Créhenne, il a quelquefois bien plus de chance qu'un jeune,.. P'ailleurs vous savez bien qu'il y a un pacte de famille, Mme CASTERMAN (surprise) : Vous savez ça, vous ? JABOT CAPOT : de Massin le raconte à tout le monde au café : le Conseiller, lors des fiançailles de de Massin, Madame Casterman, a solennel» lement déclaré qu'il ne laisserait sa grosse fortune aux Grosjean que si les fiancés ou fiancées des enfants de Mme Grosjean étaient agréés par lui. Alors, c'est bien clair, le seul fiancé que le Seigneur châtelain daignera agréer, c'est lui-même. Mm CASTERMAN (#sant mine de rire) : Tout ce qu'on raconte tout de même (tout à coup sérieuse) Tenez, monsieur Jabot-Cadot avec votre gros bon sus, vous êtes plus malin que telle vieille femme do ma connaissance qui cependant ne passe généralement pas pour une bête, ■ :.=iPOT CAPOT (sérieusement) ï Vous n'aviez donc pas compris ça ? CASTERMAN : Je no sais pas si vous avez raison, mais jo vous garanti-bien une chose, c'est que je saurai avant une heure, ■ADOT CAPOT (triomphant) : Ah ! ah ! je le vois, vous êtes vexée de n'avoir pas vu clair, 4CASTERMAN : Venez donc un peu me parler de Mme Jabot-Cadot, Comment va-t-cllc ? (ils vont causer quelques instants au troisième plan gauche, puis gagneront le jardin et disparaîtront, Maurice les suit). SCENE XV.-CHARLIER - HENRIETTE - / 1>IRIETTE : Vous no dites rien, monsieur le capitaine, vous avez l'air un pou distrait. PHARLIER : Je ne suis pas distrait, je suis un peu interloqué. M. Jabot-Cadot a une conversation... pleine d'inattendus... HENRIETTE : Mon frère Charles avait recommandé une conversation vive et animée... (ils descendent au premier plan droit? Henriette s'assied et prend son ouvrage do broderie qu'elle avait laissé sur le guériden) CHARLIER : M. Jabot-Cadot l'a servi à souhait. HENRIETTE : L'idée de M. Jabot-Cadot de me faire épouser mon oncle le Conseiller no vous a pas paru amusante ? CHARLIER : Non, HENRLETTE : Vous n'aimez pas qu'on dise des enfantillages ? CHARLIER : Si... mais il y a dos choses dont on ne doit pas parler légèrement, Si j'avais une soeur cadette qui fût, comme vous une jeune fille réfléchie, et de sentiments délicats, je souffrirais de plaisanteries où son coeur serait en jeu. HENRIETTE : Jo no suis pas en jeu dans cette plaisanterie... Vous êtes drêle , monsieur le capitaine. Je me sens tout à fait à couvert des fantaisies un peu lourdes de M. Jabot-Cadot et de ses bavardages, CHARLIER : Les bavardages peuvent être amusants quand ils s'appliquent à des indifférents; ils cessent de l'être, me semblo-t-il, quand ilt se rapportent à certaines personnes que l'on... que l'on estime partie ulièroment, On souhaiterait que tout le monde montrât, en parla:" d'elle, de la discrétion et de la retenue... Ne souriez pas, mademoiselle Henriette, de ce sourire calme et narquois,.. Je serais bien malheureux si vous tourniez en dérision les paroles sincères que je viens de vous dire, HENRIETTE : Je ne souris pas; je tâche de vous comprendre. Et je me die que si je vous comprends comme vous souhaitez probablement que je vous comprenne, j'ai tort de vous écouter, C HA RI 1ER : C'est la première fois que nous pouvons nous entretenir seu] à seule; pardonnez-moi si, à travers la douceur inespéréo de causer ce soir avec vous, j'ai laissé percer uno émotion qui ait pu vous effaroucher... (un silcnoe) Vous no m'on voulez pas, mademoiselle Henriette ? '.''K&PXETTE : Je vous en veux un peu, monsieur, de la confusion où vos paroles me jettent, je vous en veux beaucoup de l'impossibilité où je suis de vous parler avec franchise, 'HARLIER : Pourquoi cette impossibilité ? j.IENRIETTE : Mais parce que,.. Oh ! j'ai l'habitude de dire tout ce que je pense - parce que je me sens ... comment dirais-je ? .... mal à l'aise vis-à-vis d'un homme dont les succès de salon sont la fable de toute la ville de Liège; je me dis qu'il a vraiment trop beau jeu d'essayer de troubler une petite jeune fille sortant de pension en lui répétant ce qu'il a l'habitude de dire à toutes les femmes à qui il fait la cour. CHARLIER : Ceux qui vous ont ainsi parlé de moi n'ont pu le faire que dans un sentiment dont le but m'échappe... HENRIETTE (gaîment) ; Mais dont l'effet ne m'impressionne pas moins, monsieur le capitaine. CHARLIER : Je n'ai qu'un désir, c'est de vous prouver l'étendue de la méprise. Pour moi la destinée d'un homme jeune et libre loin des fadaises et des intrigues do salon, c'est de faire l'offrande de ses forces et do son coeur à une jeune fille sensible et droite,., une compagne qui vivrait à côté de lui avec un air d'ami,,, et do tâcher de fixer le bonheur dans une affection stricte, fraîche et siîro, je voudrais que ceux qui vous ont parlé do moi sachent que je pense ainsi... irais je voudrais surtout que vous le sachiez, vous, mademoiselle Henriette, ETTE (un pou émue) : Pour cela, il faudrait qu'il n'y eut pas certains petits faits que le hasard m'a fait connaître; n'allez pas croire qu'ils m'aient préoccupée autrement, mais ils m'ont amenée à faire des réflexions. OH A PLIER : Pé favorable s pour moi ? HENRIETTE : Oui. CHARLIER : Je retiens tout de suite de vos paroles que tout ce que je dis ou fais ne vous laisso pas indifférente et c'est un bonheur dont je m'empare pour le moment. "'ÎTRIETTE : Voua vous contentez de peu, nais déjà vous m'en faites dire plus que je n'en ai dit, -■•..'■liliIER (souriant) : Ce que vous avez dit suffit à me donner l'espoir que vous no jugerez pas toujours défavorablement un sentiment que tout en vous , mène votre attitude on ce moment, rend plus profond, plus tendre (geste d'Henriette) et plus respectueux,.. Vous ne be i répondez pas ? IENRIBTTE (décidée) : Monsieur le capitaine , je désire que vous no me parliez plus de cette façon avant que,,, C'iiARLIER : Avant que quoi ? HENRIETTE : Avant que je me sois fait une opinion sur,., CHApLIER : Sur ? HENRIETTE : Sur les petits faits dont je vous ai parlé, CHARLIER î Mais quels petits faits ? Je gratterais la terre pour les trouver, HENRIETTE : Ne m'en demandez pas davantage (elle lui met la main sur le bras), CHARLIER i Indiquez-moi,,, c'est se taire qui est dangereux,,. C'est moi et non les autres qu'il faut questionner, mademoiselle Henriette, HENRIETTE : La directrice du pensionnat me l'a si souvent répété : une jeune fille qui sort de pension doit être prudente dans les questions qu'elle pose,. CHARLIER î Voulez-vous que je vous aide à les formuler ? HENRIETTE (gaîment) : Vous êtes vraiment trop aimable, mis je vous remercie de votre offre, parce que je ne vous y connais aucun titre. HARLIER : Justement, je cherche à en avoir un, ..ARIETTE : Je m'en aperçois bien, mais vous êtes trop pressé, monsieur le capitaine. Plus tard,,,, .PLIER : Non,,, tout de suite l Ah mademoiselle Henriette, si vous pouviez lire dans mon coeur, je crois que vous seriez touchée de voir que, depuis le jour où jo vous ai vue pour la première fois,,. HENRIETTE (faiblement ) ; Plus tard, monsieur le oapitainejMcoupant; cour-et lui montrant sa broderie). Ce sont des mouchoirs que Madame Bri-delle nous a fait envoyer de Paris,! vous voyez, un des angles porte un écusson dans lequel on peut broder ses initiales. :T;.ECTH (souriant) : Qu'on dise donc que les mouchoirs no sont pas fail pour bâillonner... si vous voulez, je vous tracerai au crayon des lettres gothiques d'un fort bel effet en broderie. (Julie est entrée avec Maurice par la terrasse et a entendu les derniers mots)> o o o o o o o o SCENE XVI.-LES MEMES - JULIE - MAURICE fIMlETTE î Je veux bien. JULIE : Moi aussi, je veux bien... Si vous ne faites la mémo offre qu'à ma soeur. CHARLIER (froid) ; Avec plaisir madame, (elle l'accapare) le soleil couchant sur les verdures,. .on d irait que la chapelle est on f§u, HENRIETTE (elle est restée en arrière avec Maurice) : Dis-moi, mon petit Maurice. Charlier. c'est vraimont ton ami ? MAURICE : Comment si èiest mon ami ! mais mon mi intime; je le vois très souvent, une foiâSpar semaine, le^'bndredi, au Vénitien, en prenant le fin petit verre, (un siCence) HENRIETTE : Dis-moi francheixnt,^^^ice, il ne t'a jamais parlé de moi MAURICE : Jamais, Henriette ! ARIETTE i Eh bien ( ell e .^embrasse ) ParleVqoi de lui... V.URICE (illuminé) : ARIETTE : Si ! y - je; ?< JrïCE : Henri,®éte ! ---------------sS ARIETTE (ffg&i-euso) : Maurice ! (ils s'éloignent bras dessus, bras I dOSS0^S), "'V ----nnniiTr I......... o o o o o o o S C E N E XVII." LES MEMES - Mme GROS JEAN & Mme CASTERMAN - JABOT CADOT Mme se GROS JEAN (entrant avec Mme Çastermn) : Suivant le programme du conseiller, promenade générale à la chapelle du Sauley jusqu'à A'heure du dîner pour se mettre en appétit. JO^ZSR î Obéissons. '.JJjJE, ^ial prenant le bras) : Militairement. ihZTRIETTE : Tu nous accompagnes, maman ? .'•ne GROS JEAN : Je n'ai pas le choix; je parie qu'il nous guette derrière ses rideaux; inutile de l'exaspérer..,. Yme CASTERMAN : Tant pis s'il s'exaspère; moi je reste, j'ai une lettre à écrire, (elle sort 1er plan droite) ,'Sortent à quatre par le fond, en causant, Mme Grosjean et Jabot-Cadot . •^dHTbord, puis Julie au bras du capitaine, puis Henriette avec Maurice ) o O O O r O O O Q SCENE XVIII.-Mme CASTERMAN - PAULINE puis le CONSEIILER. PAULINE (entrant de gauche) : Vous n'avez pas vu M. le Baron, Madame Casterman ? Mise CASTERMAN : Il est enfermé, Pauline, il ne veut voir personne. PAULINE : Nous voilà propres; la cuisinière m'envoie demander la clef de 3a serre aux raisins parce qu'il lui faudrait 48 feuilles de vigne pour cuire les perdreaux, Mme CASTERMAN : Il compte les feuilles maintenant... Eh bien, Pauline, il faudra s'en passer, LE CONSEIL 1ER (entrant) : 12 perdreaux à 4 feuilles par pardreau. .. . c'est juste... je vous autori.se Pauline, à prendre la clef 9 du 3 me casier. Allez... ire CASTERMAN (à part) : Elle va prendre la clef de la salle de bains.,. (Pauline sort). '■ •-jj CASTERMAN et LE CONSEILLER (ensemble ) î Tiens, vous voilà, vous ! Kmo CASTERMAN i Me voilà moi. LE CONSEILLER : Et moi aussi. ï'me CASTERMAN : Je n'espérais pas ce bonheur. Vous descendiez parce que vous pensiez que tout le monde était parti, LE CONSEILLER : D'après le programme, vous auriez dû.... CASTERMAN : J'aurais dû accompagner les autres au Sauley, J'ai prétexté la nécessité d'une lettre parce que je voulais vous parler. J'allais monter à votre chambre, S coïtSEILIER (stupéfait) : Vous voulez causer avec moi ? Vous ! .n# CASTERMAN ï Oui, une idée comme ça, moi causer seule à seul, dans l'intimité, il y a si longtemps que cela ne m'est plus arrivé, 'E CONSEILLER : Il y a dix sept ans. Mme CASTERMAN : Vous en avez gardé le souvenir ? TE«ONSEILLER : Je savais que vous ne manqueriez pas de me le rappeler, puisque c'est un souvenir désagréable. Mme CASTERMAN : Il me semble que c'était hier... Votre femme que j'avais aimée comme une enfant, venait de mourir; vous lui aviez fait faire son purgatoire sur terre. LE C ON SEI LIER (embarassé) : Oui... nous ne nous étions jamais compris... Mme CASTERMAN : Personne ne vous a jamais compris. Moi, surtout, je ne vous ai pas compris, quand, moins d'un an après, alors que vous me faisiez tellement horreur que je ne voulais plus mettre les pieds dans votre maison, vous avez commencé à me poursuivre de vos attentions partout où nous nous rencontrions. LE CONSEILLER ; C'était un triomphe pour vos beaux yeux; vous avez vu a vos pieds le baron Adalbert de la véquay... Une CASTERMAN Mes yeux ont eu des succès plus honorables,.. Vous m'aviez tellement tourné la tête... .... et tellement maltraité... Oui, vous aviez eu l'adresse de tellement me maltraiter. LE CONSETT,TF,P Mme CASTERMAIg LE CONSEILLEUR de tellement ne narguer, qu'un beau jour, je vous ai offert mon coeur et ma nain. Mme CASTffRM/iN (éclatant de rire) : Vous avez été bien reçu, hein ? LE_ CONSEILLER l Tellement bien que, depuis 17 ans, nous n'avons cessé de nous regarder comme'des chiens de faïence. Vous me considérez comme un noir scélérat. Mme CASTERMAN : Parfaitement. LE CONSEILLER : Et pouï&nt, vous venez de me dire que vous voulez causer avec moi dans l'intimité. Mme CASTERMiN : Oh, je n'irai pas par quatre chemins. Il s'agit d'Henriette.., Je puis m'asseoir ? TE CONSEII1ER : Oui, asseyez-vous (il s'assied également) Jm CASTERMAN (prise) : Eh bien, voilà, vous n' ignorez pas que, de toute la famille Grosjean que j'aime beaucoup, c'est Henriette que j'aime le plus'e LE CONSEILLER : Je sais quo vous êtes sa confidente et sa conseillère et que tout ce qui se passe dans la famille Grosjean vous est aussi connu qu 'à moi-même, Mme CASTERMVN : C'est ainsi notamment que je suis instruite de ce que vous avez solennellement déclaré à Mme Grosjean et à Charles lors des fiançailles de Julie,., ce que vous appelez un pacte de famille LE CONSEILLER : Ah ! vous savez ça aussi ? Vous savez tout, vous ? Mms CASTERMVN : Oui, (prise) Eh bien, je viens vous demander : pami les jeunes gens que l'on reçoit place St-Jean et qui tous, naturellement s'intéressent à l'établissement d'Henriette, en est-il un qu vous soyez disposé à agréer ? LE CONSEILLER (stupé fait) ; Commsnt dite s-vous ? Mire CASTERMVN : Il ns faut pas prendre un air effaré pour ça. Je dis.., (prise) je dis que, dans quelques jours, Henriette viendra vous annoncer son mariage, II LE CONSEILLER : Avec qui ? CASTERMAN : Elle vous le dira. LE CONSEILLER : Ce n'est pas vrai, dites, Madame Casterman ? Mge CASTERMVN : Et si c'était vrai ? LE CONSEILLER î Si c'était vrai, madame Casterman, ma bonne madame Casterrran, je serais comme un homme qui, ayant cru pousser la porte du paradis.., Mms CASTERMAN ; .... s 'apercevrait qu'il est entré en enfer avec les diables et leurs fourches,.. ( souriant) Eh bien non, ce n'est pas vrai, LE CONSEI LIER ( ahuri ) ; Eh bien, pourquoi le dites-vous ? Mira CASTERMAN : Parce que je voulais savoir... je vous ai tendu un piège d'enfant.,, vous n'êtes pas très fort, maintenant je sais. LE CONSEILLER (rageur) i J'ai toujours dit que vous étiez une vieille sorcière, (violent) Enfin, vous savez quoi maintenant ? Mme CASTERMAN (prise.) : Je sais que l'idée vous est venue de vous reme rier et je comprends tout. Ça a commencé timidement, vous n'osiez pas vous arrêter à cette idée-là.,, puis, à force de voir la personne charmante et câline, rire de ses trente-deux dents et ouvrir ses deux grands yeux pleins de lumière dans les recoins sombres de votre manoir vous avez fini par vous dire qu'il peut y avoir dans la vie autre chose que le dur plaisir de commander, de grincher et d'être désagréable à son prochain, c'est-à-dire de la joie et de la vraie tendresse et vous vous êtes surpris un beau matin à penser : "Si j'avais le projet d'épouser ma nièce Henriette est-ce que je ne serais pas ridicule à ses yeux et aux yeux du monde ?" LE COIT SEI LIER : Vous lisez dans l'intérieur des gens... Eh bien, si c'était ainsi qu'est-ce que vous diriez ? ... Ne répondez pas tro±. vite... réfléchissez, Mme CASTERMAN î C'est tout réfléchi : il n'y a rien de plus vilain au monde qu'une limace sur une rose, LE CONSEILIER : Comme ça, au moins, je suis fixé, Mme CASTERMAN : Un oncle comme vous, c'est bon à se mettre sur le bord du chemin pour regarder la jeunesse qui passe en chantant,,, c'est encore bon à faire des cadeaux. Point à la ligne. Tenez-vous pour bien honoré qu 'une jolie nièce comme Henriette consente à venir partager de temps en temps votre existence de maniaiue aux Six Jorneaux, LE CONSEI11ER : Elle y vient donc contre son gré ? Mme CASTERMAN : Elle y vient simplement, parce que vous êtes un vieux bonhomme difficile et qu'elle a besoin de faire autour d'elle do la joie et du sourire, LE. CONSEILIER ; C'est justement ça que je lui demanderais, Mme CASTERMAN : Comme nièce, elle vous l'accorde, IE COIT S El LIER ; Et, comme ..... Mme CASTERM : Comme quoi ? LE CONSEILLER (un silence.) : Eh bien, madame Casterman, je crois qu'une jeune femme s'étant décidée au mariage, pourrait parfaitement sentir en elle,., comment dirais-je... de la sympathie, une affectueuse sympathie pour un homme plus âgé qui serait désireux de lu: sacrifier, non seulement son mauvais caractère, mais sa grosse fortuné. Mme CASTERMAN ï Sa grosso for "tu no ! Nous y voilà... lo mot ost lâché,,.,. Vous vous 'êtes dit : "Je suis laid, je suis désagréable, vieux, gri* gnard, plaignard, et ridicule, mais j'ai de l'argent dans mon coffre et des terres au soleil; cela suffit à tout; Henriette est à moi ! _E CONSEILLER : permettez ! 'foc CASTERMAN : D'ailleurs si elle résiste, si elle s'écrLo qu'elle a droit à une affection jeune et ardente, qu'elle a droit à l'amour, je tire de m poche un petit papier, le pacte de famille... le mariage ou la vie l Et comme Charles est avant tout un homme d'affaire et que ma soeur le laissera faire pour avoir la paix, je puis dès-à-présent commander les musiciens". C'est bion ça, n'est-ce pas, que vous avez pensé k (un long silence) LE CONSEILLER (grave) ; Madame Casterman, je n'ai jamais dit un mot de mes sentiments à Henriette, Je voudrais que vous me disiez si son coeur a parlé,., pour un autre, Mme CASTERMAN : Et s'il avait parlé ? LE CONSEI LIER ( il se lève après un long silence) : Eh bi en , madame Casterman, s'il avait parlé, le secret que vous venez de surprendre serait à jamais enterré, il n'y aurait que vous et moi qui l'aurions su et qui l'oublierions (avec une émotion qu'il ne peut surmonter). Vous,du moins, car moi,.,, Mme CASTERMAN (saisie) : Je ne vous reconnais plus. Qu'est-ce qui a bier pu faire ce miracle-là ? LE CONSEI LIER : Son exemple. Elle met de la bonté et je ne sais quelle beauté légère sur les choses les plus banales; elle donne le goiSt du bonheur; on dirait qu'avec elle il y a toujours du soleil sur les roses. Je ne sens tout vjyant à la regarder vivre et c'est pour cela, Madame Casterman, que je ne veux pas renoncer sans savoir,,, que je n veux pas détruire, avant d'être stfr qu'il doit être détruit, l'espoir de m vieillesse. Si Henriette a fait son choix, je me mettrai comme vous dites, sur le bord de la route pour les voir passer, elle et lui Mme CASTERMVN (profondéirent émue) : Vous seriez donc capable de quoique chose qui ne serait pas do l'égoïsme ? LE CONSEI LIER î Vous cherchez des mots pour me mortifier, Mme CASTERMAN (prise) : Vous valez peut-être mieux que vos propos d'habitude. LE_CONSElLIER : Et vous que vos sarcasmes... X ffine CASIIIRMAN (sans répondre) : Yoici vos invités qui reviennent avec ces danr:s0 IE COTISEE LIER ; Je rentre dans ma chambre. Mme CASTERMAN : Vous retournez bouder. Vous aller donner une fois de plus une jolie idée do votre caractère à ces messieurs, JE COIT SEI LIER (explosion de sincérité) : C'est ça qui m'est égal, (il se dirige vers la porte). Mme CASTERMAN : Et à Henriette ? IE 1 CONSEILLER : Ah ! (un silence) Mme CASTERMAN : Vous dites ? LE CONSEILIER : Oui, Mme CAS TER MIN : Eh bien, je vais faire quelque chose pour vous,,, pendant le dîner, soyez attentif à tout ce qui se passera, LE CONSEILLER : Ça marchera tout seul; le service est réglé, bouteille par bouteille,., l'ordre,,, vous verrez,., Mme CASTERMAN : Mais non... mais non,,, soyez attentif au sujet d'Henriette (lo doigt sur le nez)... mettez vos lunettes. (Rentrent les invités, Henriette est au bras do Charlier). o 0 0 0 o o o o SCENE XIX.- LES MEMES - Mme GRO S JEAN - JULIE - MAURICE - HENRIETTE - CHARLIER et JABOT-CADOT (surprise générale en voyant le Conseiller). Mme GRO S JEAN : Eh bien, cette migraine, Adalbert, elle va mieux ? IE CONSEILIER : Ça passe, ça passe doue ement. (le s deux mains tendues ^ l'une au capitaine , l'autre à Jabot-Cadot) Enchanté de vous voir aux Six Jorneaux, monsieur Jabot-Cadot... vous aussi M. le capitaine. JABOT-CADOT : Ça sent fin bon le perdreau, ici... Créhenne ! je parie que c'est l'odeur qui vous a fait descendre, (Le Conseiller a l'air vexé, Mme Casterman rit) LE CONSEILLER : Qui est-ce qui rit ? oh vous ? Mie CAS TER MIN : Quoi moi ? LE 00IE El LIER : Vous ri on ! votre taras, Ursule, JABOT Oi-TOT i Pardon, pardon, le "bras do madame Grosjean, cTest moi qui 1 • ai, i e MAURICE ; Et l'ordre, monsieur Jabot-Cadot, qu'est-ce que vous faites de l'ordre dans la maison de mon oncle ? Œ CONSEILLER (gaîmsnt) : Bah pour une fois.,, veux-tu accepter le mien, Maurice ? jgma GROSJEAN : Adalbert, je ne vous reconnais plus,., (ils entrent tous les quatre gaîment à droite). Viens-tu Madame Casterman ? Mae CASTERMIN ( occupée à retourner des .journaux: sur la table), Me voilà, (elle ne bouge pas) JïïL'iE (A Charlier) : Votïe bras, capitaine, (il le lui offre} elle le prend et tout en s'éloignant elle observe ) (Henriette du coin de l'oeil; avant de se diriger vers la porte de"" ) (la salle à manger elle dit très haut) ) Et maintenant, capitaine, une grande nouvelle (voyant qu'Henriette les écoute) oh ! tu peux t'approcher, Henriette, Une grande nouvelle que je viens d'éprendre par Charles : mon mari, est en fuite, HENRIETTE ; Oh ! ira pauvre Julie, JULIE : Laisse donc; j'espère bien ne jamais le revoir, HENRIETTE : Si tu le prends comme ça ! JULIE : Je suis maintenant plus libre que je ne l'ai jamais été, mon cher capitaine,,. Autre chose aussi que je dois vous demander : Est-ce que la jeune salade de laitue convient à vos lapins angoras, je les ai amenés avec moi vos lapins, aux Six Jorneaux ? (ils sont près d'entrer dans la salle à manger) HENRIETTE (sourdement et do uloure us ornant) Ah I Mme CASTERMAN (se retournant inquiète vers Henriette) : Qu'est-ce qu'il y a ? HENRIETTE (la gorge serrée, lui prenant la main) Il y a que ma soeur a un amant et que cet amant c'est le capitaine Charlier, Mme CASTERMAN : Henriette. HENRIETTE î II y a aussi que le capitaine Charlier vient de me mentir pendant dix minutes. Mire CASTERM1N : Ma pauvre petite. HENRIETTE (so redressant) Qu'est-ce que cela me fait ? Mme CASTERMAN : Ma pauvre petite. 38." JTBHRIETTR Je n'aime pas qu'on me plaigne, Madame Casterman. Mao CAoTEHM; 5 Surveille-toi pendant le dîner. Il ne faudrait pas que Julio s 'aperçoive.-i, "^NEIETTE (fièrement) : Moi ? (très calme) Vous ne me connaissez pas, Madame Casterman. "Ims CASTERMA.N : Il ne faut pas non plus que le capitaine Charlier, HENRIETTE (tout à fait redressée) Le capitaine Charlier,,, Qui est-ce le capitaine Charlier ? MAURICE (apparaissant sur le seuil de la salle à manger) : Eh bien, belles dames, faut-il que je vous offre mes bras pour entrer ? RIDEAU ri DEUXIEME ACTE Le petit salon chez Mme Grosjean à Liège. Porte au fond donnant , xr l'escalier principal. Deux portes à gauche donnant l'une sur des aio~ oartlmants , l'autre sur l'escalier de service; une porte à droite condui -ant au bureau de Charles. A gauchs premier plan, un canapé, à droite v-cmier plan, un piano, Poyer allume, guéridons, tables et de nombreux Aeges, (Au lever du rideau, les personnages ci-dessous entrent et s'ins tal lo nt dans le salon. SCENE I.- Mme GROSJEAN, Mme CASTERMAN, HENRIETTE, JULIE, CHARLES et MAURICE, «MM» «•«■«■* Mme GRQSJEAN : J'avais hâte de voir se terminer ce déjeûner pondant lequel tu nous os tombé du ciel,,. Tu dois être fatigué, mon pauvre garçon, CHARLES : Mais non, mais non,.. Quoique onze jours de diligence, même dans le coupé... Vous avez défendu qu'on nous dérange, maman ? Mme GRQSJEAN : Sois tranquille, (tout le monde s'assied) JUIIE : Alors, Charles, tu as rejoint mon mari à Bordeaux ? CHARLES : Et j'ai passé la journée avec lui, MAURICE : Il a dû faire une singulière figure on te voyant ? CHARLES : Pas trop.,. Il m'a demandé avec empressement des nouvelles de vous tous. JULIE : Même do moi ? CHARLES : Do toi la première. JULIE : Il est bien bon. CHARLES : Don Carlos l'a personnellement reçu; il est enrôlé avoc le grade de capitaine. Nous avons causé peu et bien. Il a été convenu tiue la famille Grosjean s'entendrait avec ses créanciers à la condition qu'il ne reparaisse jamais à Liège, Tu auras des papiers à me remettre, Julie; je t'expliquerai ça on détail,,. Pour co qui est do sa situation vis-à-vis de l'armée belge,,, JULIE ( 1 'intorrompant) : Je te remercie Charles,}. sit'avais écoutée, je ne ne serais pas mariée à dix-neuf ans, CHARLES'-. : Il no faut pas se\ marier trop tôt; les trois quarts du tomps or fait une sottisç et, plus on est jeune, plus la sottise ost grosse. mains dan^^ros pochos ot ron.yglrsé sur sa chaiso) : lo ma-- sieurj^et mesdames, e stjsrffc scionco ot cc n?ost pas assc&. jr jr' d^fDmmo pour 1'étu<^M5r à fond... d'une vie d'homme-j "vous MAURICE entende .îmo C^STERMAN : Tu me fais pitié, tiens, tu me fais positivement pitié. . __ CHARLES : Alors, tu t'es installée ici, Julie ? JULIE : Maman a été très bonne A-o Ho1 qt1 ff - fflHHBr ^u^Sr'-fnt _ I II II ^ "l I ___,___ __, . ^ — ...... V . I, ' '. ' - -..... second, au moyen de cloisons, un petit salon, une chambre à coucher sH^ ■ \ / \ ' \ » et un cabinet. Je m'y trouve parfaitement, mais,., (geste d'impuissance) JÏÏIIE : Oui, Charles, mais tout do me me,,, crois-tu que ce soit drôle pour moi d'aider maman à faire les honneurs de son salon, de prendre la min de celle-ci et d'embrassor celle-là en ayant l'air d'8tre dans l'enchantement, pondant qu'on murmure dans mon dos d'un air faussomont contrit : "Cetta pauvre petite madame de Massin". CHARLES : Henriette est avec toi pour te,., JULIE : Henriette, Henriette, (Henriette qui arrangeait des fleurs dans un vase, revient dans) (le dos de Julie, ) HENRIETTE : Qu'est-ce qu'on lui veut, à Henriette ? JUIIE (brusquement ) : Je sons que je te pèse sur les épaules, voilà,, que je t'ennuie. Si je te derande de m'accompagner dans les magasins, tu as l'air de me faire une grâce, Mme GROSJEAN : Tu es injuste pour ta soeur, Julie, Si elle se donnait les airs que tu dis, tu n'aurais qu'à m'en avertir, HMRIETTE : vous jure, maman... (Fme'^rôsTea?r!txri' - ± âlT \ taire), X MAURICE ï Retourne à\jx Six Jorneaux, Henriette, (A Charles) Le sanglier \ de la Yéquay ne peut jlLus se passer d'Henriette, son agnoau blanc, HMRIETTE : Figure - toi, Crnrles, qu'il-mfa fait cadeau d'une croix en brillants, agrémentée de rub^';,"aux quatre entrêmités et longue d'un Mme GROS JEAN : C 'esirun bijou de famille qui provient du chanoine tré qués de la Véquay, notre grand oncle, nous revenions un peu à do MassiK» la santé 41 > Mais oui, évidemment, personne n'a l'air do se douter ici que çayiB préoccupe tout le temps... Pense donc, Charles, no^fe avons eu hier, les fêtes officielles pour la visite du Roi léopoli et do la Roine\Marie-louis0 ; j'avais l'air de quoi, moi, sans mari ? Mme GROS JEAN : Il y a eu deux grands bals; l'un de ga/a à 1» hôtel do ville ot l'autre , non officiel, mais honoré nonobstant do la présence do leurs Majestés, au casino du Beau Mur. \ Mme CA S TER Mi il î Une lutte incroyable do luxe et de toilettes entre la bourgeoisie a.t la société. CHARLES : Vous y. etie z, Madano Casterman ? f \ J Mme CASTERMAN : J'avais accepté de chaperonner les deux demoiselles de Bellay. JUIIE (aigre) : Même %ue vous les avez perdues à l'entrée et qu'elles % > w. ' n'ont voulu revenir près de vous qu#à la sortie, \ W Mme CASTERMAN {entro ses\dents) : Chinisse ! — ^ Mme GRQSJEAN (à Charles) : Ça a f±nÊ comme une danse de guinguette. le \ # Roi et la Reine savent maintenant ce que c'est que la gaîté des liégeois lâchés dans un bal de Cour, W Mme CASTERMAN î B^n'-a* ©aie-ve-im l-ea--itêbgeoiw -pwSOts ! Un jeune homme qui poursuivait 3a pé ti tët Erne s tine de Bellay pour lui prendre \ __ W son éventail s 'est avisqf trop taè£ de faire un crochet pour éviter de bousculer le Roi, et Sa Majesté V\ reçu en plein sur le coude, f \ MAURICE : Juste sur l'o/s ! \ f V Mme GROSJEAN (A Charles) : Tu devais êtrê,. présenté comœ membre influent do la Chambre de Commerce; Julio et Henriette l'ont été à ta place, ÇHARIE S : Qu'ost-co que la Roine t'a dit, ^ônrie tte ? HENRIETTE : Ri 01/d 'historique ; Elle m'a demandé à la fin do l'entretien "Vous habitez" liège mademoiselle ?" J'ai répchadu : "Je suis campagnarde madame, et Votre Majesté est bien indulgente si Elle daigne / \ ne pas s'en être aperçue." Sur quoi la Reine a dit : "Je m'aperçois que l'air'de la campagne des environs de Liège est très favorable a ™ * \ MAURICE I .... à la beauté et à l'esprit", E31o a ajouté \ "A la beaut donner cela excusait d'avance tous les JULIE ; Si nous occupions un peu de do Mas,sin ? été obligée de l'avouer g < pour c EENRIEUSE (du tac au tac) : par exemple de l'appeler R&fne au lieu dj 1' appele%. Madame . CHARLES (riant) ; Il y a-^u quelqu'un qui l'Appelait Reine en lui MAURICE (renversé sur son siège, Ids. fnains dans les poches et les yeu.T au ciel et comme s'il n'avalisas entendu-Julie) "Quelqu'un qui lui y» , répondait : "Oui, Reine; Ken Reine; Merci bier$V Reine", CHARLES (riant plus fort) Jabot-Cadot, je parie. MAURICE : Non. CHARLES : Qui ça ? (silèneg) JULIE ï Eh bion, .moi. là. Jr Mme GROS JEAN ySi tu n'avais pas attrapé Henriette, tu n'aurais JULIE : Puisque vous vous mettez contre moi", maman/ je m'en vais dans ma chambre. Mme GROS JEAN : Du tout ! du tout! tu vas venir faire des visites avec moi Julie, C'est le jour de Mme la comtesse de Marion. JULIE : Si tu étais gentille , Henriette, tu irais avec maman, HENRIETTE : Tous mes regrots, ma chère, j'attends Stéphanie Dolhenne0 JULIE (à Charles) : Tu vois...c'est toujours comme ça... CTest bien, maman, je vais mettre mon chapeau, (elle sort) o o o o o o o o SCENE II.-LES MEMES moins JULIE, CHARLES : Mais qu'est-ce que vous avez toutes les deux ? Mne GROS JEAN : Elles ont,,, elles ont,,, elles ont que je donnerais je ne sais quoi pour que ce capitaine Charlier n'ait jamais été reçu ici. HENRIETTE : Ce n'est pas pour moi que vous dites ça, maman ? jjbs GROS JEAN : C'est pour toi aussi. HENRIETTE : Depuis le dîner d'ouverture aux Six Jorneaux, je n'ai pas échangé dix' phrases avec le capitaine. 4-3 e" Mme GROS-JEAN : Je sais, je sais; tu affectn? devant tout le monle d<= le traiter en ennemi; ça n'empêche que ce bel Almanzoe n'a d>'at^ tions que pour toi, et cela énerve Julie au plus haut point, CHARLES : Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? HENRIETTE ï Julie a eu le tort, depuis qu'elle est revenue ici, d'affecter de me traiter comme une enfant, comme une petite fille san co ns équence. Mme GROSJEAN : C'est ça; elle t'a blessée dans ta dignité ! Dans tous les cas, il faut que cela ait une fin. CHARLES (gaîmant) : Il me semble que vous exagérez tous à plaisir ce qui s'est passé durant mon absence. Mute CASTERMAN : On n'exagère pas tant que ça, (Piise) Mme GROSJEAN (sortant) : C'est tout de même maheureux d'avoir deux filles qui ne s'entendent pas. CHARTE S : Laisse-moi te dire, Henriette, ton frappe au fond) Mme CASTERMAN : On frappe, CHARLES : Il n'y a pas moyen d'être cinq minutes tranquille. Entrez,y{ entre le conseiller), o o o o o o o o SCENE III.- FAURICE, Mme CASTERMAN, HENRIETTE, CHARLES, IE CONSEILIER. MAURICE (à part) : Tiens l'ancien, qi 'est-ee qu'il vient faire 1 Mme CASTERMAN (à part ): Hum ! HENRIETTE : Quelle bonne surprise (elle s'empresse et l'embrasse). CHARLES : Hé 1 bonjour mon oncle. LE CONSEILIER : Bonjour mon grand garçon. Te voilà revenu ? CHARTES : De ce matin. LE CONSEILLER : Bonjour, madame Casterman. (à Maurice) Bonjour galopi ( à Charles) Tu me raconteras ton voyage en dînant, car je venais simplement annoncer à ta mère entre deux courses que je m'invite à dîner ce soir, HENRIETTE : Comment, vous vous en allez tout de suite comme ça ? ie CONSEILIER (très souriant) : Tu trouves que c'est trop vite ? MfURICE : Je crois bien, mon oncle, on vous attendait pour rire un , H CONSEILLER (rogue et hérissé) : Je ne tiens pas à faire rire, MAURICE : Tout mon respect, mon oncle... ce n'est pas ça que j fava;: . voulu dire,.. (approbation générale) . HENRIETTE : Nous parlions de choses sérieuses, c'est pour ça que Mauric e,.. LE CONSEILLER (bas à Mme Casterman) : Tout va bien,,, j'ai du nouveau, Mme CASTERMAN : Je suis curieuse, LE CONSEILLER : Si vous parliez de choses sérieuses, je ne suis pas de trop. De quoi parliez-vous ? (il va prendre une chaise) Mettons un peu d'ordre, sans ordre, on n'arrive jamais à rien,.. Napoléon,.. Laissez-moi d'abord m'asseoir.,, (il s'assied près do Mme Casterman) Eh bien ? De qui parliez-vous,., CHARLES : Nous venions de parler de de Massin. LE CONSEILLER : Et de Julie... HENRIETTE : Et de Julie naturellement (entre à ce moment précis Julie. toute habillée pour sortir). o Cl Q O O O 0> O SCENE IV.- CHARLES - LE CONSEILLER - Mme CASTERMAN - HENRIETTE - MAURICE - JUIIE JULIE (descendant) : Qui est-ce qui racuspote sur Julie ? c'est Henriette ! (un peu aigre mais souriante) Je t'y prends, mon trésor... Bonjour mon oncle... Je parie qu'Henriette vous parlait du capitaine CHARLIER. CHARLES : Heririe-t;te n'en avait pas dit un mot.,, c'est toi qui,... LE CONSEILIER (d'un air entendu) : Je vous en parlerai tout à l'heure moi, du capitaine Charlier. Mme CASTERMAN (prenant une prise et se carrant mieux dans son f au tue il Tiens ! CHARLES : Il me semble que le capitaine pourrait bien n'être qu'un... LE CONSEILLER (avec force) : Parfaitement... CHA RLE S .... qu'un of ficie r d e f ortune comme on en voit sortir de terre à chaque révolution. %E CONSEILLER : Parfaitement. CHARLES ; Voyons Julie, est-ce que ce beau capitaine n'est pas en ira.:-, de prendre trop de place dans ta vie ? JULIE : Il est peut-être plus dangereux qu'il en prenne une dans cell < I tj d'rienriette. ( exclanation) HENRIETTE (saisie) : Que veux-tu dire ? IE CONSEILLER : Oui, que veux-tu dire Julie ? JUIIE : C'est parce qu'Henriette a vu qu'il tourniquait autour de moi qu'elle s'est mise en frais de coquetterie pour lui. HENRIETTE : En frais de coquetterie ! MoiJ c'est un peu fort ! CHARLES ; Pourquoi prêtes-tu à Henriette d'aussi vilains sentiments ? JUIIE : Parce qu'elle est capable de les avoir. LE CONSEILLER î Voyons, voyons Julie, (Exclamation de Mme Casterman et de Maurice ) JUIIE : Tu ne sais pas toi, Charles ce qui se passe entre soeurs comme nous; les hommes ça vit en dehors de la maison... Henriette veut me faire sentir son importance. Quand ello a vu que, délaissée par mon mari, je ne jaraissais pas insensible aux attentions qu'avait pour moi le capitaine, elle s'est jetée au travers pour le plaisir de m'être désagréable, HENRIETTE : Par exemple (elle reste interdite) JUIIE. : Alors, c'est assez compréhensible , j'ai fini par m'agacer de ce manège de na chère soeur, HENRIETTE (remuée) : De ce manège,,. Mais j'espère bien que vous n'en croyez rien, n'est-ce pas, Charles, ni vous, mon oncle, LE CONSEILLER : Je vous écoute toutes les deux,,, CHARLES : Ce sont des enfantillages,,, LE CONSEIILER i C'est ce que j'allais dire,,, des enfantillages, CHARLES (paternel) : Evite donc , Riri , de te laisser aller au plaisir. Nouveau pour toi,,, de partager avec Julie les amabilités d'un homme qui, d'après ce que j'apprends n'en avait eu jusqu'ici que pour elle seule,,, (Henriette énervée ne répond pas parce que visi*-blenent trop de paroles lui viennent aux lèvres) Tu ne réponds pas Henriette ? HENRIETTE : Je ne suis plus habituée, depuis la pension, à m' emtendrs réprimander. CHARLES ; Tu te méprends : mon intention n'est pas,,, HENRIETTE : Si quelqu'un ici s'est mis en frais de coquetterie pour i.c capitaine , c 'est Julie et pas moi; depuis quinze jours, maman ^IaMO l'a remarqué , j'ai mis toute la distance que j'ai pu entre le cari« taine et moi, -voilà la vérité, IE CONSEILLER (poussant du coude Mne Casteman) : Vous entendez ? JUIIE : Mais vas-y donc, continue,,. Lève le doigt et cite des faits; "C'est Julie, monsieur le maître", HENRIETTE (redie ssée) : Tu sais bien que ce n'est pas dans mes habitudes, LE CONSEILLER : A la bonne heure Henriette, HENRIETTE : Si tu trouves que tout ce qui s'est passé n'a pas d'impor« tance, tu peux le dire tout haut toi-mêma, JULIE : L'his-toiro du bille t peut-être. ,, HENRIETTE (saisie) : C'est toi qui en parles. JUIIE : Parce que c'est moi qui l'ai reçu... Et c'est ça qui te vexe, conme tu es vexée par les cadeaux que m'a fait le capitaine. Est-"tu. contente, maintenant ? LE CONSEILIER : Ce n'est pas possibLe, voyons, mes enfants, que vous ■vous querelliez comme ça, je vous assure que vous me faites de la pei ne, MAURICE : Mais c'est Julie qui a conmencé. JUDEE : Oh I toi ! Henriette aurait cent mille fois tort que tu lui donnerais encore raison. HENRIETTE (à Julie ) : Pis tout de suite que je suis jalouse, JULIEl : Tu l'es ! tu l'es, mon bijou, HENRIETTE (avec éclat) : Oh ! mon Pieu ! non ! Oh ! mon Pieu non ! CHARLES : Jo l'espère bien, fichtre ! Des Charlier ! Une demoiselle Grosjean n'a qu'à regarder autour d'elle pour en trouver 13 à la douzaine,.,, HENRIETTE (avec éclat) : Ah ! mon Pieu ! Oui Ah ! mon Dieu ! oui ! g CONSEILIER : Permettez que je prenne ici la parole, DUS : Ah ! SB CONSEILIER : J'ai recueilli sur le capitaine quelques renseignements Mme CASTERMAN : Vous av3z fait faire une enquête ? 4%~ JE CONSEILLER : Par des gens stfrs, intelligents et discrets, par une agence (on rit discrètement). Et ce que j'ai appris I ... Save z-vous seulement qui il est, ce Charlier. Le sais-tu, toi Maurice, toi qui es son ami....? MAURICE : L'ayant vu se dévouer pour mon ballottage, je n'ai jamai. songé à lui demander son acte de naissance. LE CONSEILLER (à Maurice) : C'est bien là la légèreté de ton âge, mon enfant ! ... A la vérité, l'enquête sur ses origines n'a pas encorc abouti, mais l'agence a déjà recueilli des tas de bruits d'où il •résulte a touife le moins que le capitaine étonne beaucoup de gens. Les uns chuchottent que le gouvernement -français l'a chargé de surveiller notre fabrique de canons... CHARLES (d'un ton d'incrédulité) : Tiens ! LE CONSEILLER : D'autres, sachant qu'il a fait ses études à l'école de Dolft avant la Révolution (les bras au ciel) ne se cachent pas pour dire que c'est un agent hollandais qui encourage en secret les menées orangistes. MIURICE : Ce serait un peu fort,., vous ne trouvez pas, mon oncle ! LE CONSEILLER : Les derniers renseignements - ils datent d'hier - sont plus curieux encore, C'est une autre piste. Il paraîtrait que tous ces Charlier sont artilleurs de père en fils et que celui-ci est do la famille du Charlier qui, pendant los journées do septembre déchargeait son canon sur les Hollandais dans le parc do Bruxellois le famoux Charlier à la jambe de bois. MATJRICE 5 Comrro c'est bete (s 'excusant)... Tout mon respect, mon onclu, HENRIETTE : Peut-être bien que , dans la famille 3 ils ont tous aussi uno jambe do bois, (on rit) f'fcg. CASTERMAN : La première fois que le capitaine sera mon voisin de table, je lui pique une épingle dans le genou pourvoir s?il criera, JUHE : On vous a balte, mon oncle, LB CONSEILLER (roguo) : Je ne suis pas un homme à me laisser b>alterv JULIE_ : Vous savez los agences,,. Eh bien, moi, je no crains pas de l'avouer, co mystère qui enveloppe Charlier, un homme dont ou ne sait d'où il vient ni où il va, moij je suis pour l'extraordinaire c la vie est si terre à terre,.. Vous savez l'histoire do Gabriollo du Hennay. Elle avait épousé un officier do marine > boau comiœ le jour, marquis do je ne sais plus quoi.., qui se disait orphelin de père et de mère. Et savez-vous qui il était ? IE CONSEILLER î Oui, tout Liège a su cotte histoire... c'était lo fils clu palefrenier du Gouverneur du Limbourg, MA.UR 12 E : Créhenne ! c'est vrai, cette histoire^là ? Mme CASTERMAN : Quand ton oncle te le dit ! LE CONSEILLER : Tu entends, Henriette ? HENRIETTE : J'ontends, mon oncle. LE C ON SEI ILE R : Et ça te n'impressionne pas autrensnt ? HENRIETTE : Excusez-moi : je croyais avoir l'air impressionnée. Ça m'impressionne "beaucoup. LE CONSEILLER (s'excitant) : Je vous dis, moi, que tout, dans ce mili-taire, est étrange et suspect... Voilà un gaillard qui, avant hier, pendant qu'Henriette etsamère étaient chez moi, s'amène aux Six-Jorneaux, sans crier gare.., (exclamation) JULIE. : Tiens, tu ne nous avais pas dit ça, Henriette ! .Q] CONSEILIER. : Henriette ne vous avait pas dit ? Eh bien, il met son cheval à la fermo, va passor une demi-heure sur la hauteur de la chapelle du Sauley, puis s'en va, sans avoir parlé à personne qu'au fermier, sans s'informer de moi, sans iœ saluer, sans mé'mo saluer Henriette qui était précisément à la chapelle, n'est-co pas Honrie tte ? HENRIETTE : Oui, mon oncle. Mme CASTERMAN : Tiens,! Tiens ! JULIE. ( d'un ton d'incrédulité) s Oh ! HENRIETTE : Je ne mens jamais, moi, Julio I ^IAEjES : Tu étais dans la chapelle ? HENRIETTE : Oui, Charles, j'étais à l'orgue, ^ARLES. • Et tu n'as pas vu le capitaine qui était à la chapelle aussi HENRIETTE : Je le jure ! CHARLES : Tu n'as pas besoin do jurer; il suffit que tu répondes non,, HENRIETTE : Eh bien, je ne l'ai pas vu5 là... Comme mon oncle et comme maman, j'ai su sa visite par lo fermier, CHARLES : Mais quand vous l'avez reçu ici, il ne s'est pas expliqué ? HENRIETTE ET JULIE (ensemble) : Il n'est pas venu depuis... Mme CASTERMAN (A part - après une prise) ï Qu'est-ce que c*est que cette histoire-là ? CHARLES : Au fond, tout ce que je désirais t'entendre dire, Riri, c'est que tu ne t'intéresses pas à ce beau té hébreux, » LE CONSEILLER : C'est le principal. J'aime à voir Henriette raisonnai) CHARLES * Je suis particulièrement content de le constater parce que j'ai à lui faire une communication tout à fait sérieuse. (Mouve*» ment général de surprise) Et puisque vous êtes là, mon oncle... HENRIETTE : OU -m'effraies... CHARLES : Cela n'a rien d'effrayantj tu vas voir, en revenant de Bordeaux, je me suis arrêté à Paris chez notre correspondant, le banquier Bride lie. Il paraît que tu as fait à Liège la conquête de son fils.., HENRIETTE : Tu m'en donnes la première nouvelle. LE CONSEILLER : La finance, au point de vue du mariage, sachez-le bien tous, c'est encore pis que l'armée. CHARLES : Oh I on ne m'a pas demandé ta main, mais je sais ce que parler veut dire et, d'après les ouvertures qui ne S'ont faites, ce serait une affaire bientôt bâclée, ( exclamation) Qu'en dis-tu ? HENRIETTE î Je n'en dis rien. Je suis stupéfaite. .CHARLES : Joli homme et joli parti... Et puis il pourrait résulter de ce mariage une foule d'avantages pour l'extension des affaires i la maison Grosjean,,, LE CONSEILLER : Henriette épouserait la banque Bridelle voilà l'affaire (il hausse les épaules). HENRIETTE : Mais, Charles,"tout à l'heure, tu nous disais qu'il m* fautxqbs se nariertrop jeune, : V.ARLES : Cela dépend des cas... il s'agit ici dîun^$ë.rti brillant, tu ne trouveras rieîNd'aussi beau à Liég^s^e fléchi s bien, g?"RIETTE (ferme) : C'est to!>^réfléc|^fwCharles, je ne veux pas me marier, CHARLES : Je ne te demandâtes une repose définitive,, . HENRIETTE, : Mais moi^^ferles, je te la donne (après une hésita " Jr je ne pour3^1's me faire à l'idée de quitt'&ç Liège, CHARLES : Il /'a donc quelque chose de bien puissant^ qui t'y retient . V01 tu 50.- JIIIIE : Mais oui, il y a le capitaine Charlier. ( exclaaations ) MIETTE (se fâchant) : A la fin, Julie ! CHRISTOPHE (ouvrant la porte du fond) : Madame Gros je an fait dire à me de Massin qu'il y a cinq minutes qu'elle l'attend dans la / CHARLES (êyulie ) : C'est ça, va-t-en, va-t-/n... \ / LE CONSEILLERî Oui, oui, cours Julie... gâloppe, mon enfant... MAURICE ? Dopod^o-toi, nanan s'inpatien HENRIETTE ï Tu va^ te faire attraper. * Mme CASTERMAN : Pjàn ! Pjan ! Julie/! (Charles, Maurice e t\Herrie tte ensemble la poussent en riant vers ) ( IsTporte. \ ~T ) JUIIE. (riant aussi) î Pu mome^ que vous vous y mettez tous... Poussez pas,., poussez pa's.., Pis-moi que tu ne m'en veux pas, ma petite Henriette. HENRIETTE ; Pe rien, dej^ieri,, ma petite Julie, JUIIE î A tout à l'heure, mon\coeur, à tout à l'heure, mon agneau blanc! HENRIETTE î Reviens/nous vite, \pais-tu, binâmée ! (Julie sort par le fond ). S CE AE Y.- m LES MEMES,MINS JULIE. HENRIETTE î Pffff J CHARLES : Encore un mot, Henriette; je suis un homme de raisonnement et d'affaires et je ne m'entends guère a^x choses de sentiment comme les comprennent les jeunes filles; mais s\tu as le moindre penchant pour Charlier, eh bien, je t'en prie, mets-^e un peu dans la balance avec Bridelle. \ HENRIETTE î Combien de fois faudra-t-il que je te\répète que., IE CONSEILIER î Mais oui, Charles, ce sont des histoires ridicules et regrettables (appuyant) regrettables... HENRIETTE ? Oui, mon oncle . CHARLES : Eh bien, alors, ça simplifie beaucoup les cho$ps e t la solu- \ tion de ce côté-là alors s'impose; pour couper court s&ces racon- \ tars regrettables, je vais aller trouver Charlier dès demain et lui demander de ne plus fréquenter notre maison ÇjHARlES : Il faudrait seulement que tu saches ce que tu veux : Bride ou u ■gajaaaanft R (à Charles) : Très bien, je suis sûr qu'Henriette t'en sera tf-às reconnaissante, FggEIETTE (émue e t-vl a gorge serrée) : Eh bien oui, CharJ^fs, je t'en prie c'est ce qu'il'% a de mieux à faire, cm RIE S : Comme te voilà %iue, Henriette ! HENRIETTE (ayant peine à ne ^s pleurer) : Ne fa^f pas attention. Tu m'as surprise, je suis un peu'^erveuse .... Jffc puis, tu me parles avec une sévérité, devant tout Immonde, orf dirait vraiment que tu veux me mettre en pénitence en éloi&nant^Charlier, CHARLES : Mais c'est toi-même qui,,, c'elt avec toi-même que je suis logique, HENRIETTE (se remettant) : La logique Charles'kc'est de la brusquerie. C'est bon pour les affairés industrielles 5. avec une jeune fille, f \ il ne faut pas être brusque, \ LE CONSEILLER : Elle a rai/bn, Charles, elle a raison% CHATIES ( gaîmo nt ) : Metjbons qu'elle a raison. Donne -moi '%a main Henriette pour prouver #Cie tu ne m'en veux pas... (Henriette lui serre les / mains avec orfusion). J jf HENRIETTE : C^est toi Charles qui devrait me pardonner d'être sotte comme Ça, MAURICE : Une idée, Henriette, tu pourrais épouser notre oncle le conseiller, HARLES : Tais-toi donc, Maurice, tu n'as pas fini de faire le loustic* CONSEILLER (ému à Maurice) : Ce n'est pas sérieusement quo tu dis ça n 'est-ce pas ? -&EICE : Mais si, mon oncle, mais si , c'est un mariage que je vois très bien, demandez à Henriette si je ne lui en ai pas ôêgà parlé, ,,, & CONSEI LIER : C'est vrai HGnriQ-tte ? {IEJR3ETTE : Mais oui, mon oncle , mais oui (elle so lève et va l'ombrasso On serait très heuroux à nous doux. '^CASTERMAN : Mais oui, mais oui... : Assoz de plaisanteries, mes valises doivent être arrivées. Je t' ai rapporte un michot, Henriette, et à toi aussi Maurice, HENRIETTE (lui prenant le bras) : Que tu es gentil, Charles. CHARLES (on sortant) : Un châle indien de chez François Lravaignac ça ne vaut pas les bijoux de mon oncle, mais tu verras, Riri, c'est tout indiqué pour une corbeille de noces. (Ils sortent tous les trois). Vfi*H J^fa* ^v^ * f*. O Q O O Q O O SCENE VI.-Mms CASTERMVN - IE CONSEILIER Ig CONSEILIER (d'un air de jubilation) : Eh bien ! vous avez entendu ? Km CASTERMAN : Quoi ? le CONSEILLER : Ce qu'à dit Maurice ? Et Henriette. Est-ce qu'Honrietl serait venue m'embrasser si son coeur n'était pas libre ? ?'tme CASTEEMAN (elle le regirde avec compassion) : Ah ! vous les connaissez vous , les femmes ! vous êtes un malin, vous ! LE CONSEIIIER (se rengorgeant) : Non, nais j'ai de la chance ! Mme CASTERMAN (profondément ) ; Innocent ! LE CONSEILLER (surplis) : Vous en savez plus que moi ? Mme CASTERMAN : Peut-être... (sans l'écouter). Il y a quelque chose qui n'est pas clair : c'est cette visite de Charlier aux Six Jorneaux, Que le capitaine ait été par hasard à la che-_ pelle, justement pendant qu'Henriette y était, c 'est à d'autres que moi qu'il faut le raconter. LE CONSEILLER : Eh bien ! tâchez de savoir, vous qui êtes si maligne -Je ne suis pas une vieille sorcière extralucide comme vous, moi ! Mme CASTERMAN : Pitûs toujours, ça ne ma gêne pas bruit à la por 5 à droite) la voici qui revient. Allez faire vos courses., croyez-moi, c'est ce que vous pouvez faire de mieux, O O Q O O O r---- _ SCENE VII.» LES MEMES - MAURICE - HENRIETTE 1 Henriette rentre avec Maurice) HENRIETTE (désillusionnée) : Les valises de Charles ne sont pas arrivées. .. IE CONSEILLER : Par quelles messageries devaient-elles venir ? MAURICE : A l'Hôtel de France. TE CONSEILLER : Je vais y passer. HENRIETTE : Vous feriez ça, mon petit oncle ? CONSEILLER (gentiment) : C'est sur ma route... KI'EiIETTE : Merci. Mme CASTERMAN (riant) : On n'est pas plus aimable... MAURICE : Vous êtes joliment changé tout de même... Avec tout mon respect, mon oncle,., 'lE g ON SE I LIER (sans se fâcher) : Mais non, mais non... je mots un peu d'ordre simplement,,. Je... (il s'arrête devant Henriette ? chercha des mots qu'il ne trouve pas et finit par diro) : N'oublie pas ça5 mon enfant; l'ordre... il n'y a que l'ordre,., HE NRIE TTE ( s eu rian t) : Oui, mon oncle, (elle l'accompagne jusqu'à la porte) Mme CASTERMAN : Je reviens, Henriette,., je vais remplir ma tabatière, (Mme Casterman sort avec le conseiller), o ' O O O O o o o SCENE VIII.-MAURIC E - HENRIE TTE HENRIETTE (elle paraît très souc ieuse): Tu sais que j'attends Stéphanie Delhonne ?.,, MAURICE : Ah ! Alors, je reste avec toi. HENRIETTE : Elle t'intéresse Stéphanie ? MAURICE : Elle ne m'intéresse pas du tout. HENRIE TTE : Ah J Ah! _ MAURID E : Eigure-toi, Riri, qe j'ai une amie intime que tu ne connais — * ^ \ \ pas - tu ne la connaîtras jamais.,', tu nk peux pas la connaître 54." / une intéressante orpheline qui fait de la couture à domicile pcW le compte de la maison Serpolet, Elle s'appelle I|ocadie. mWl ET TE triant ) ï Tu n'es pas gené de venir raconter des^choses comme ça à ta soeur,,» MA.URICE : Tu ne voudrais pas que je les dise à Maman jf (Henriette sourit) Eh bien, léocadie mettait la dernière-'ma in avant-hier à / une robe de commande, pendant que je faisais des bouquettes sur son fourneau, Gn apprend beaucoup de choées en regardant tiavail* \ / 1er une couturière, on apprend notamment que beaucoup de demoi~ selles de nos connaissances portent^,. . comment dirai-je... des \ f rembourrages sur la poitrine, I-D'jjTRIETTE : Des petits coussinets, q.uoi 1 ... 9: p MfJTRIQE : Des petits coussinets\ passe,.. Mais des traversins, c'est abuse r du publi c ! HENRIETTE : Et ta léocadie t'a dit à qui cette robe était destinée ? / v EURICE : Non. ------ / \ I-IE"NRIETTE : Très bien, un'bon point pour léocadie. MURI CE '.léocadie est lé. discrétion même, seulement je savais que la ■ * 1 "'■' / robe devait figurer le soir au bal de .la Redoute, Alors, j'ai fait doux échancrures à un noeud de ruban au coude du bras droiJ jr % / J'ai donné le mot à cinq ou six de mes amis - et le soir mSmo nous découvrions la robe sur les épaules de... y HENRIETTE : Do ... ? MAURICE : De Stéphanie à qui nous avons été à la file faire compliment ...... sur l'embonpoint qu 'elle avait gagné depuis peu^ -Ris donc, Riri... ça n'a pas l'air de t'amuser, ce que je te raconte-làB. , (un silence) Il y a quelque chose qui ne va pas ? HENRIETTE : Mais non,,, mais non,., MAURICE : Je ne te demande pas tes secrets, mais si tu veux me les dire.,, KM RI ET TE : Toi aussi... Mais qu'est-ce que vous avez donc tous à 'ne supposer des secrets ? MAURICE (lui prenant la main) : Des secrets pour une jeune fille, c':-des chagrins... et les chagrins, une soeur comme toi les confie à un frère comme moi.,, je ne suis qu»un gamin... il faut bien que je le croie puisque tout le monde le dit, mais si n1 importo rai voulait to faire do la peine, Riri, ah mais ! ah mais ! tu verrai HENRIETTE (émue) : Mon bon Maurice t MAURICE : Tu n'aurais qu'à me faire signe... HBT RIETTE : Eh bien... MAURICE : Eh bien ? (un long silence) HENRIE TTE : Eh bien oui, j'ai des chagrins, Maurice. MAURICE : Graves ? HBT RI ET TE : Tu les connais... Julie... MAURICE : Julie et Charlier,.. HENRIETTE : Depuis ma sortie de pension, j'avais si bon au milieu de vous tous, c'était comme un enchantenent... Julie est venuo abîmer mon bonheur et il n'y a plus de paix pour moi,,, c'est mon premier chagrin... Maurice, et j'y suis d'autant plus sensible qu 'il est plus injuste. MAURICE : Henriette, je ne sais pas bien ce que c'est que l'amour, lo vrai amour, , mais jo croîs qu'il y a du vrai amour dans ton affaire, HENRIETTE : C'est toi, mon petit frère, qui prononce co mot là devant moi ot à propos do .moi ! MAURICE : Riri amoureuse, Riri devenue la belle jeune fille qui a remplacé la Riri aux jupes courtes et aux cheveux dans le dos ! HENRIETTE : Je suis toujours Riri, avec toi co n'est pas comme avec Charles : avec toi, je suis confiante e t je parle, MAURICE (tout bas) : Alors, tu peux bien me le dire tout bas, à l'oreille , tu aimes le capitaine Charlier ? KM RIE TTE (dans son cou) î Jo ne sais pas, il y a des moments où jo lo hais; d'autres où j'ai peur de lui, d'autres où je,., où je l'aime, je crois,,, qu'est-ce que tu penses de ça, Maurice,.. Que faut-il faire ? MAURICE : Je no sais pas moi, je donne tien des conseils à Maman et aux vieilles personnes parce que je sais qu'elles ne les suivonv pas : mais à toi,.. Est-ce que tu ne lui as jamais donné à enter, dro que tu pourrais bien éprouver pour lui,,, do l'affection.,, KEN RIE TTE : A aucun moment. Et pourtant, il se peut qu'il le sache tout do même. ma.IEICE : Comment ça ? H3TRIETTE : Par une circonstance vraiment incroyable.,, ce qui s'est passé avant hier à la chapollo du Saulcy... MJBIC E ? Oui,qu'est-ce que c'est que cotte histoiro-là ? im?TRIETTB ; Eh bien, voilà : comme je regrettais de n'avoir pas mon piano aux Six Jorneaux, mon oncle avait mis à en disposition l'orge do la chapelle , que tu connais. Pondant toute une heure, je jouai les morceaux qui me passaient par la tete; dos motifs du Moïse de Rossini, du Vfeber et aussi,,, je no sais pourquoi, le Moine de Meyerboor, lo Chartreuxj Je n'aime que toi, la Reino Hortonso , tous les morceaux qu!il chante. Juge de ma stupeur quand, en rentrant au Château, j'apprends par mon oncle que le capitaine s'ost dirigé ver la chapollo, qu'il y est resté assez longtomps et que, sans parler à personne qu'au fermier, il est reparti pour Liège la figuro toute bouleversée. Alors, je me rappelai quo j'avais entendu, quand j 'ou." fini, sur les dalles du portail, le pas d'un homme marchant avec précaution,, Il était là, Maurice, il m'avait entendu chanter l'Ange gardien : "Bon ange, ah ! sauvez-moi d'un amour dangereux ! Je ne veux plus 11 aime r !.,.» MAURICE : Tu as chanté ça, Henriette ? HENRIETTE : Et le Chartreux. Je crois que le Chartreux, c'est oncoro plus comprome ttant, MAURICE : Jo crois aussi, (il réfléchit) HENRIETTE : Jo n'ai fait que jouer la musique', les paroles, jo no m: gi. souvions plus ! MAURICE : Moi, les paroles jo les savais... nais l'air. Haï RIE T TE (elle remonte au piano) : Attends, jo vais te le jouor. MAUKLOE (chantant) : Déjà le jour s'enfuit et, sur ma triste couche, Le jour retrouve enccrmon amour et mes pleurs ! • rrwfETTE (parlé) : Mon amour et mes pleurs ! MAURICE ( chantant) : Si du pauvre chartreux la prière te touche, Jo t'en prie , !o mon Dieu, rends le calme à mon coeur. HENRIETTE (crié, avcc angoisse) : Rends lo calme à mon coeur ! MAURICE ET HENRIETTE : 'Refrain ; ----J 'ai fui, pour l'oublier, mes amis, ma famille ! J'ai, pour no plus la voir, fait un pacte éternel Et quand jo viens chercher la paix dans cot asile Jo la revois partout, meme au pied de l'autel I H^METTE (parlé) : MÔnn au pied do l'autol ! Et il y était, au pied do lsautcl0„„ et moi j'étais au jubé ! ' 11 s'Gst certainement imaginé que tu 1g savais là , .. HENRIETTE l Tais-toi ! c'est à ne rendre folle... IvL'JjRICE : Il a - comment dirai-je ? il a prise sur toi... Ah, c'est un coup d'audace, Henriette... est-ce qu'on sait ? c'est vrai tout de même qu'on ne lui connaît pas do famille, que ses camarades do l1 aimé o ignorent tout de lui. .. *' ■■■ 1 "'"^"'"—iwBBHwwt.». ,. . ............. i imamwiiiiMBHnriHiMiBHtaMfftTwy^fTnr**— MIETTE : Maurice, je vais te dire quelque chose de plus; la der-fois que je l'ai vu avant qu'il vint à la chapelle, il n'a dit rapidement : "Vous vous obstinez à m'éviter... Il faut q.ue vou Hr*. • A-;' m'ontondie z%,^pendant, il le faut, Mello Henriette ! Il faut que vous sachiez le â'ecret qui ùe pèso , quand jo suis près do vous0" M- m.ÏQRI CE ; Un secret ! Il'a>,dit ça ? ... ( bru s que me nt ),..-C ' e st ridicule " W mis ,.. V JF HEiTRIETTE : Quoi ? *"% ■------------X 'V Î# MAURICE : C'est ridicule, mais le souvon^r^o ce foui lie ton du journal de la Province... cette jeune Paris^^nnôl;devenue la femme d'un soi- disant comte italien dont elle s.;! était éprise; un jour que son mari s'était endormi sur un sofa,„.:..l'es épaules et le""çou nus elle y décor w K vrit la nr.rque du bagne, .le T.E, des travaux forcê'q à perpétuité, j0' \ HENRIETTE : Je sais, jcjt#ai lu aussi, elle poussa un cri épouvantab?.< et roula évanouie ptoc le parquet, on la releva non pas nforto, mais Jr \. \ folle (un silence). Eh bien, tu as des façons do me calmer,-^ (un si---- ------- lcnce) Ecoute : jo ne suis pas assez sotte pour me figurer que Crrv. lier est un ancien forçat,,, / \ i.î-URICE ; Evidemment, moi non plus. 5TTE : Mais je suis sure que quelque c^ jgmir---—iiiHi in»imm»-rmunn invirrrr "i'JJRICE : Veux-tu que je l'interroge ? :7T'TRIETTE : Merci, jo n'ai pas peur de lui. S'il a un secret, qu'i.1 isc lo diso à moi ! SCENE IX.-HEE 3EÏÏEB « CHRISTOPHE • CHRISTOPHE (entrant) : Lo capitaine Charlier est on bas. MAURICE : Tu lui as dit que maman était sortie ? CHRISTOPHE ; Oui, il m'a demandé si M. Maurice ou Molle Henriette pouvait le recevoir, HENRIETTE (après une rapide réflexion) : Non ... écoute, tu vas t'en aller bien sagement fUmer ton cigare chez toi, (à Christophe) Priez M, le capitaine do monter (à Maurice) Tu prieras Mme Casterman de ne pas entrer ici,.. Va, mon petit Maurice. MAURICE (hésitant) : Et maman, qu'est-ce qu'elle dira ? HENRIETTE : Ça, ça s'arrangera après. MAURICE : Tu os bravo, j'aime ça, Henriette (fausse sortie ^ très agité) Tu n'aurais qu*à sonner si,,, si,,, HENRIETTE : Oui, oui, (î-aurico sort à gaucho)'. (un long silence; Henriette se regarde dans la glace et se compose) (un visage. x ) 0 o o o o o SCENE X." HENRIETTE - LE CAPITAINE (Le capitaine entre du fond - Pendant toute la première partie de) (la scène, le capitaino. très troublé , chcrche a se donner uno ) (assuranco qui effraye Henriette» ) CHARLIER : Mademoiselle HonriGtte, j'ai appris le retour do M. Charles et jo me suis permis de venir demander de ses nouvelles. HENRIETTE (très sècheirent) : C'est très aimable à vous, CHARLIER : Il a fait bon voyage ? ^NRIETTE (idem) : Très bon, je vous ramercie. SîARLIER : Je suis passé avant-hier aux Six Jorneaux en service commandé On vous l'a peut-etre dit. „è i:NRIETTE (;troublée) : Oui, je crois,,, HA RI 1ER : Je m'excuse de n'avoir pas été saluer au château M. le Baron de la Yocquay et vous-mêra , irais en service commandé on ne fait pas cg quJon veut..., HE MIETTE : Evidemment... en service commandé, 7'U'MJ-ML - J'allais relever des points stratégiques pour la carte Etat-major et notamment la hauteur où se trouve la chapelle. Hj^RffiTTE : Ah ! (troublée) Cuàeuse, n'est-ce pas la chapelle; style roman, fonts baptismaux du XlVme... CHARLIER (payant d'audace) ï Orgues remarquables... HENRIETTE : On dit qu'elles feraient honneur à une chapelle royale. CHARLIER (s'enhardissant) ; Quel bel instruisant que l'orgue ! Quelle voix grave et pénétrante sous les votftes d'une église, (un silence) Certains chants d'orgues rendraient la foi à qui l'aurait perdue; (un silence) Le hasard a fait qu'en passant avant-hier près de la chapelle du Saiey, je vous ai entendus jouer différents morceaux et f igurez-vous... HENRIETTE (effrayée) i Que quoi ? CHARLIER : Que j'ai osé croire que vous obéissiez à un souvenir. HENRIETTE ; Plaît-il ? CHARLIER : Et que j'ai espéré, en venant aujourd'hui, car ce n'est pas uniquement pour voir votre frère que je suis venu - qu'en invoquant la chapelle, vous accepteriez, à défaut d'un entretien dont je comprends les difficultés dans le lieu où nous sommes (il hésite) ■HENRIETTE : Que j'accepterais quoi, monsieur ? CHARLIER : Une lettre que j'ai écrite pour vous (il tend une lettre) la voici Mademoiselle Henriette. HENRIETTE : Monsieur (elle repousse la lettre d'un geste) . CHART.TER : Il y a autour de nous - pourquoi ne pas le dire - du mystère. Ce mystère, la lettre que voici vous l'expliquera .. elle vous dé--voilera certaines choses que je n'ose pas vous exposer, que je n'ai pas le courage de vous dire, HUNRIETTE : Je n'ai pas assez d'expérience du monde, monsieur le capitaine pour savoir si un pareil expédient est de mise ailleurs que dans les romans, mais il îie semble bien qu'une jeune fille comme moi ne doit pas s'y prêter. CHARLIER (élevant la voix) : Il faut, il faut que vous lisiez cette lettre, mademoiselle. HENRIETTE : Mais, monsieur, vous employez un ton... CHARLIER : Vous saurez... vous lirez ma lettre... (il la lui tend) gent à dire à mon frère Charles (elle se lève et se tient un instant devant lui pour lui donner congé, puis elle se dirige vers la porte), CHARLIER (d'un ton suppliant) : Henriette ! HENRIETTE (se retournant brusquement offensée ) ; Vous dites Monsieur ? CHARLIER : Henriette ! HENRIETTE : C'est la première fois, monsieur, qu'un homes autre que mes frères se permet,., CHARLIER : Pardonnez-moi,,, Quand je vous ai vue vous diriger vers la porte , c 'est tout mon être qui s'est élancé vers vous avec ce cri avec ce nom que vous donnent ceux qui vous aiment, HENRIETTE : Vous oubliez qu'ils en ont le droit, CHARLIER : Vous me faites sentir durement que je ne l'ai pas. J'ignore, Melle Henriette, quels sont les motifs qui vous font vous éloigner de moi,,, HENRIETTE î Vous venez de.m'en fournir un.,, qui suffirait à lui seul,,. .CHARLIER : Mais les autres, Melle Henriette ? HENRIE TTE : Je vous connais assez mal, monsieur le capitaine; mais il y a une chose de vous que je sais et dont vous venez de me donner une preuve, presque incroyatol® : vous avez une manie regrettable : celle d'écrire des lettres, CHARLIER_ : Je ne vous comprends pas, HENRIETTE : Alors, je vais être très nette ; direz-vous que vous n'avez jamais écrit à ma soeur madame de Massin ? CHARLIER (trè^ embarrassé) : Mademoiselle Henriette (un silence) I HENRIETTE : Vous ne répondez pas, A la première question, vous restez muet (un silence). : Il y aurait cent façons de répondre» EN RI ET TE : Il n'y en a qu'une bonne , la vraie : Un soir, au théâtre. Un billet écrit au crayon. Co billet, destiné à ma soeur, a été par erreur glissé dans ma main, [HARLIER (s 'exclamant) : Dans votre main l C'est vous qui,,, m RIE TTE : Donc je le connais, ce billet, je l'ai lu,.. Je suis convaincue que ce hillet a été écrit par vous, iARLIER (hésitant) : Vous mettez na délicatesse à une rude épreuve. Jfr^IFl'TE ; Voilà de la délicatesse qui vient à point. (prenant son parti) : Eh bien, ce billet a été, en effet, cray. onné par moi, mais non pour moi, : Comment se fait-il, monsieur, que ce billet portait un C pour paraphe, un C majuscule ? CHARLIER : Ce n'est pas un C; ce signe informe représentait ou devait représenter un R,; vous voudriez que je précise, HENRIETTE : L'initiale R, c'est monsieur ?____ CHARLIER : Robin,., un lieutenant qui fait mauvais ménage avec sa femme légitime et dont vous avez souvent entendu parler. Je venais d'arriver à Liège où je n'avais encore aucune relation quand, un soir, au théâtre, extrêmement troublé, Robin m'aborde dans le couloir des premières loges, me conte son embarras d'écrire à certaine dame pour l'excuser, pour lui expliquer je ne sais plus quoi, mais j'avais saisi sa situation, J'ai tracé à la hâte.au crayon sur un feuillet de mon carnet, quelques lignes dont le lendemain 3e ne me rappelais même plus les termes. Robin qui avait perdu la tête -pour tout dire il avait bien dîné - vous aura par erreur glissé le billet dans la main... Plus tard, j'ai appris que la dame de ses pen; 1 était Mme de Massin... c'est tout. HJ'ITRIETTE (après un silence) : Et les lapins angoras ? CHARLIER (riant) : Ah l les lapins angoras l Eh bien, voilà I Mme de MASSIN avait lu dans un journal qu'il était arrivé à Anvers quelques douzaines de lapins angoras et elle manifesta à Robin le désir d'en posséder un échantillon de choix. Sur sa demande le directeur du Jardin Zoologique, de qui j'étais connu-; m'en expédia un couple et mon ami Robin en fit hommage à Mme de MASSIN. HENRIETTE : Qui a fait entendre à tout le monde que ce cadeau lui venait de vous, CHARLIER : venait de moi, en effet, mais il n'était arrivé à votre soeur que par l'intermédiaire de Robin; si Mme de MASSIN a dit ou laissé entendre autre chose, c'est qu'elle avait peut-être des raisons qu'il m'est défendu de vous indiquer. NRIETTE : Mais qu'il n'est pas défendu de comprendre... La vie est décidément plus compliquée et moins propre qu'on se l'imagine à la pension... Si je devine bien, le capitaine Çbarlier, dans l'esprit de ma soeur, a servi au début à donner le change sur le rôle du lieutenant Robin, qui est marié; vous étiez le paravent. CHARMER : A supposer que Mme de MASSIN l'ait voulu ainsi, le capitaine Charlier, pouvait-il autrement qu'en compromettant Mine de MASS13, dissiper une équivoque qui le rendait suspect aux yeux de Melle Henriette Grosjean ? HENRIETTE (après avoir réfléchi) : Non. CHARLIER : Le capitaine Charlier devait-il trahir Mme de MASSIN ? HENRIETTE : Non (un silence) CHARLIER : Je voudrais maintenant, je n'en ai jamais eu l'occasion, vous dire d'autres choses. Je veux... je veux vous dire en toute franchise qui je suis... oui, vous le dire quoiqu'il puisse arriver... HENRIETTE (avec un haut le corps d'une brusque inquiétude) : Qui vous êtes ? CHARLIER : Toujours placé sous des regards qui épiaient vos actions, voe paroles et les miennes, je ne pouvais pas vous exposer à cette surprise... Chaque fois que j'ai tenté de vous révéler ce secret, l'émotion m'a laissé sans voix. HENRIETTE : Vous m'alarmez, monsieur... CHARLIER : Mais maintenant l'idée que vous pourriez m'éloigner de vous ne me permet plus de différer de vous dire mon nom. HENRIETTE (avec un mouvement de frayeur) : Vous ne vous appelez pas CHARLIER ? CHARLIER : Pour certaines personnes, pour vous, je ne m'appelle pas Charlier, HENRIETTE : Le nom sous lequel vous vivez à Liège est un faux nom ? CHARLIER (une pause) : Ce n'est pas sous ce nom là que vous m'avez connu. Enfant, vous m'appeliez Bastien et je vous appelais Riri. HENRIETTE (joignant les mains dans un geste de stupeur) : Bastien 1 C HARLIER : Enfants, aux Six Jorneaux on nous rencontrait toujours ensemble, courant la main dans la main, escaladant les chariots ou assis sous le grand tilleul dans la cour de la ferme du père Bruno. Enfant, je vous aimais, oh l je vous aimais de tout mon coeur, NRIETTE : Bastien 1 CHARLIER: S'il ne vous est resté de oette'époque que le souvenir oomiqu d'un petit rustre aux joues rouges, d'un gros petit lourdaud, je crains de vous paraître, en ce moment, bien téméraire... ou bien ridicule avec mes épaulettes,., HENRIETTE : Bastien I CHARLIER : Mon père, le fermier Bruno Charlier, qui avait pour propriétaire 1 ' ho aime difficile et fantasque que vous savez, reçut un soir l'ordre de quitter la ferme le lendemain avant le jour, avec toute sa famille. Il était né aux Six Jorneaux, il les quitta à regret, La mort de son frère Anselme rendait vacante une ferme à Riperpré, en Hesbaye, et mon père s'en alla, moi derrière lui, moi ne songean-qu'à une chose : c'est que je ne reverrais plus Riri, HENRIETTE : Bastien 1 CHARLIER : C'est parce que Bastien pensait toujours à elle qu'il déclara à son père qu'il voulait étudier et devenir quelqu'un, HENRIETTE ( profondément - à elle-même) î Et moi qui ait été si méchan'. avec lui,.. CHARLIER : Au bout de deux ans, travaillant nuit et jour, j'étais ad ml à l'école de Delft. Dès les premières événements de 1830, j'entrai comme sous-lieutenant dans l'armée belge, je devins aide de camp du général Thielen et, nommé capitaine, j'étais en garnison à Anvers-quand le ministre m'a détaché à la Fonderie de Canons à Liègee Vous veniez de quitter la pension et je vous ai revue, Henriette, dans c. monde où vous êtes choyée, fêtée, vous qui, depuis dix ans, étiez 1 but unique de mes efforts et de ma vie,... HENRIETTE : Et moi qui.., je ne sais plus ce que je dis.., (elle se cache la tête dans les mains) CHARLIER : Ai-je bien fait, Henriette, d'attendre que r.,>us puissions être seul à seule pour vous dire... Vous ne me répondez pas ? Pensez à ce que j'ai souffert quand, après avoir été bien accueilli par vous, j'ai constaté un changement inexplicable et brusque0 Le manège de votre soeur m'avait-il desservi dans votre esprit ? Ou plutôt, cette question m'a réveillé en sursaut combien de fois,dan? le capitaine Charlier aviez-vous reconnu le fils du père Bruno et. cette vérité découverte, en étiez-vou.s offensée ? HENRIETTE (d'une voix tremblote et qui proteste 1 : Ami... cher et lointain ami,.. CHARLIER : Je v ous aime. J'ai concentré en vous toutes mes espérances. Je vous aime loyalement, de tout mon coeur, de toute mon âme .... comme un ami, comme un frère, comme un soldat... Tout ce qui est moi... Je vous aime... H ENRIETTE (avec confiance) : Ami... CHARLIER : Vous êtes émue comme je le suis, Henriette. HENRIETTE : Mes idées ne sont plus à moi, si quelqu'un entrait... Qu'est-ce que vous avez dû penser de moi... de ma jalousie contre Julie ? CHARLIER (triomphant, avec une voix tremblante) : C'était donc de la jalousie, Henriette ? HENRIETTE : Taisez-vous, taisez-vous (un silence),. CHARLIER : C'était donc de la jalousie, Henriette ? HENRIETTE : Vous le saviez bien... CHARLIER : Je l'espérais... HENRIETTE : Pour en conclure que, moi aussi ? CHARLIER : C'est vrai que vous aussi.., Henriette ? HENRIETTE : Ah ! comme je comprends tout-à-coup pourquoi moi aussia.0 C'était le parfum des premières roses de mon enfance qui m'était monté à la tête et qui m'étourdissait î C'est pour cela que quand je vous voyais causer avec Julie 1... CHARLIER : Taisez-vous I Taisez-vous ! Bastien penser à Julie quand Riri. .. HENRIETTE : Taisez-vous... Taisez-vous... CHARLIER : Vous avez raison, ne parlons plus jamais de Julie... Est-ce que vous vous rappelez bien mon père, Henriette ? HENRIETTE (se levant et d'un ton plus dégagé) : Si je me .rappelle votre père. Est-ce que, durant mes vacanoës aux Six Jorneaux, je ne passais pas bien plus ma vie à la ferme qu'au château ? Votre père, je le vois encore dans la grande pièce commune, dallée en pierre bleue, debout ou assis sous le grand manteau de la cheminée... Je le vois, fidèle au costume du temps de sa jeunesse, avec ses culotte d'étoffe rayée, son gilet de velours et une large jaquette dont une poche contenait une épaisse tabatière et l'autre un mouchoir à car- 65.- reaux de couleur. Si je me le rappelle... Je le vois encore me plaçant délicatement à califourchon sur Grisette, tandis que mon ami Bastien, s'aidant des pieds et des mains, montait sur Grison. Avez-vous parlé de moi à votre père ? CHARLIER : Je n'ai jamais prononcé votre nom devant lui. Je n'ai pas même osé lui dire que j'avais accepté une invitation pour l'ouverture chez votre oncle le conseiller. HENRIETTE (inquiète) : Votre père n'a pas oublié. CHARLIER (après un silence) : Il y a des injures et des injustices qu'on n'oublie pas. Mon père sait seulement que j'aime une jeune fille dont les froideurs et les dédar.ns m'ont.,, m'avaient rendu très malheureux, HENRIETTE (sans l'écouter) : Ah ! mon oncle le conseiller, avec ses manies, ses habitudes de rendre tout le monde malheureux autour de lui ... CHARLIER : C'est toute ma famille qui lui a conservé une rancune dont il ne se doute pas. HENRIETTE (sans l'écouter) : Quand je pense qu'il m'a raconté que vous descendiez de Charlier à la jambe de bois, CHARLIER (riant) : Par exemple ! HENRIETTE : Il avait fini par nous faire peur à tous. Est-ce que Maurice n'est pas allé rechercher une vieille histoire de forçat déguisé, CHARLIER (tombant des nues) : Maurice ???? Non !!! HENRIETTE : Si ! Je suis stire qu'il n'est pas loin.,., CHARLIER : Comment ! HENRIETTE : Nous étions ensemble quand vous êtes entré... Il serait derrière la porte, prêt à intervenir au moindre cri que je n'en serais pas étonnée... (Frappée d'une idée). C'est ça qui serait drôle (à Charlier) Reculez-vous... (criant) Vous oubliez, monsieur, que j'ai un frère (criant plus fort) Maurice ! Maurice 1 MAURICE (bondissant pour entrer) : Me voilà, Henriette. SCENE XI,-LES. MEMES - MAURICE HENRIETTE I II n'est pas grand mais il n'a pas peur de vous, vous savez. (A Maurice) Ah si tu savais, Maurice, ce que cet officier... vient de me dire,,, des choses.... des choses 111 MAURICE : Capitaine 1 (il fait mine de s'élancer sur lui), CHARLIER : Permettez ! Permettez I HENRIETTE : Calme-toi, Maurice, calme toi ! MURI CE : Je me calmerai si je veux, Henriette ! mais d'abord parle. HENRIETTE (menaçante à Charlier) : Vous entendez, Sêinstien ? CHARLIER : Riri ! (il lui couvre la main de baisers et finit par l'embrasser sur le front). MAURICE : Est-ce moi qui devient fou ou est-ce eux ? HENRIETTE (se ressaisissant),: Allez-vous en. (à Maurice) Conduis-le par l'escalier de service,,. On t'expliquera plus tard... CHARLIER : A demain ! demain après-midi (elle le pousse dehors). (Charlier sort avec Maurice) MAURICE (en sortant) : La Ve$ay, tiese félée 1 —-------- 0 ooo o o o o SCENE XII.-HENRIETTE puis Mme CASTERMAN HENRIETTE : Oh ! le bonheur... le bonheur... (elle pleure longuement et silencieusement, la tête dans les mains) M:at CASTERMAN (entrant de gauche) : Eh bien, vous ne faites pas de musique ? Il est parti ? (alarmée) Qu'est-ce que tu as ? Tu pleures (elle lui prend les mains) HENRIETTE (avec un grand élan se jetant à sor, oou) : Ah ! madame Casterman, Madame Casterman. ypjf CASTERMAN : C'est ça, l'explication a mal tourné. J'ai eu tort d'aller remplir ma tabatière... qu'est-ce qu'il t'a raconté, pour l'amour de Dieu le bel Almanzar ? "ISFRIETTE (s'essuyant les yeux) : Rien... rien... je ne puis pas vous dire... je vous dirai plus tard. Ine CASTERMAN : Au moins ne te montre pas comme ça; va mettre un peu d'eau fraîche sur tes yeux à la fontaine derrière la porte. HENRIETTE (riant dans sas larmes) : Mon chagrin ? Demain... demain... Madame Casterman, demain... il viendra, il vient demain après-midi.. tra la, la, la, la, la, lala (elle s'enfuit premier plan gauche en dansant comme une écolière). ivime CASTERMAN (comprenant à moitié) : Ah 1 bah I (entrent Mme Grosjean et Charles au fond). o ° o o o o o o SCENE XIII. Mme CASTERMAN - Mme GROSJEAN - CHARLES - JULIE - MAURICE - HENRIETTE - CHARLES : Alors, tu sais que notre oncle vient dîner ce soir ? Mme GROSJEAN : Oui, il paraît. JULIE (entrant deuxième plan gauche, d'une voix altérée), Le capitaine Charlier sort d'ici à l'instant, Mme GROSJEAN (saisie) : Ah I... Je ne saig pas... Eh bien, ce n'est pas la peine de gesticuler... Mme Casterman sera restée avec Henriette et lui. JULIE : Avec Mme Casterman ? Il y a une demi heure que je la vois se promener dans le jardin, Mme Casterman I Elle n'aura pas perdu son temps Henriette, pendant que nous étions chez Mme de Marion. M;-_'.e GROSJEAN (à Mme Casterman) : Tu as laissé Henriette seule avec le capitaine ? Mme CASTERMAN : Il a bien fallu, je... JULIE : Vous avez une façon de chaperonner les jeunes filles. C'est un joli métier madame Casterman. Mme GROSJEAN : Julie, je te défends tu entends, je te défends de parle: ainsi à Mme Casterman... Tu me feras sortir de mon caractère à la fin avec toutes tes bêtises. MAURICE (paraissant sur le seuil au fond) : J'annonce le très haut et -çrès puissant seigneur de la Vequay, Baron Eafouille, haricoteur tréfoncier des Six Jorneaux et autres pétaudières. Il est sur mes bottines. Le temps de donner une leçon d'ordre et de méthode à la femme de chambre qui ne lui demande rien et il est à nous» (changeant de ton) Vous en faites tous, des figures 1 Est-ce que de Massin est revenu ? (Silence, Henriette rentre du premier plan gauche), fee_GROSJEAïï (à Henriette) : D'où viens-tu ? Qu'est-ce qui se passe k (Henriette hésite) CHARLES (doucement) : Eh bien, Henriette ? HENRIETTE : Eh bien, il se passe que... Charles, tu m'as parlé tout à l'heure d'une proposition de mariage, —ttfcsatfWgifMig "yii'jj i ntMu mari©r-$—-et'- ^ repasée. J'ai beaucoup pensé, j'ai énormément pensé depuis que tu m'as dis cela, CHALIES : Ah l HVK?.IETTE : Eh bien, maintenant, jJ^^^H^MM^v^rs; l'envie de me marier m'est venue. Je suis prête à me marier, Charles 1 TOUS : Ah 1 JULIE : Et avec qui ? BE7IRIETTB : Avec le capitaine Charlier. CHARLES et %ie GROSJEAN (se regardant) : Comment ? Ivimo CASTERMAN : Binâmé Bon Dieu ! MAURICE (radieux) : Parfaitement, mesdames, parfaitement messieurs ! JULIE : Joli, Mme Casterman. Joli 1 Mme GROSJEAN : Charlier ? Te marier, toi avec un militaire, ayant l'exemple de ta soeur Julie sous les yeux ! Non, c'est bien assez d'un sacrispant dans la famille ! Jamais, Henriette, jamais, CHARLES : Quand on t'offre un parti comme Bridelle ! Jamais, Henriette* Jamais. JULIE (ricannant) : Demande donc à ton amie Mme Casterman ce qu'elle pense des traîneurs de sabre, Kir.? GROSJEAN : Oui, demande-le lui 1 HENRIETTE : Je veux bien maman, m'en rapporter à la haute sagesse de Mme Casterman, pour une foule de choses, mais ici, nous n'avons pas besoin de consulter Mme Casterman pour savoir si en peut comparer Charlier à de Massin, GI 1.0 S JEAN : Malheureuse enfant î MAïïRICE ; Tais-toi, Julie. o o 0 o o o o o SCENE XIV. LES MEMES - 1E CONSEILLER - LE CONSEILLER (entrant du fond) : Le dîner sera froid ... Il est 7 heures 5 ma soeur, je te l'ai déjà dit, ça manque d'ordre dans ta maison. Mme GROS JEAN : Hé monsieur, vous m'ennuyes 1 II s'agit bien d'ordre. Imaginez-vous que cette petite fille vient de nous annoncer son intention d'épouser Charlier 1 bE CONSEILLER (abasourdi) : Et vous m'apprenez ça comme ça ? Mme GROS JEAN : Comment voulez-vous que je vous l'apprenne ? (le conseiller est de plus en plus agité) LE CONSEILLER : Après tout ce que mon enquête nous a appris... La jambe de bois... Un homme que tu ne pouvais souffrir il y a une heure, (éclatant). Si tu l'épouses je ne vous verrai plus jamais ni l'un, ni l'autre. Jamais entends-tu, Henriette, jamais, parole de la Ve-quay. Mme CASTERMAN (au Conseiller) : C'est comme ça que vous tenez vos engagements ? Et puis, taisez-vous, ce n'est pas le moment. LE CONSEILLER (démonté) : Charmant Ursule, charmant I CHARLES (sérieux) : Henriette, ma petite soeur Henriette, écoute -moi. Il est difficile de te mettre en garde contre un entraînement de ooour tout à fait incompréhensible pour moi et nous avons déjà causé là-dessus sans beaucoup nous comprendre. Je m'en tiens pour 1s moment à la plus sérieuse objection : connais.sons-nous seulement ra famille à Charlier ? .-I-j.frïlEITE : Je la connais. MAURICE : J'en réponds 1 CHARTES (à Maurice) : Tu la connais ? ^URIÇE : Pas du tout. Mais du moment où Henriette.,. HENRIETTE : Vous la connaissez tous S Vous ne connaissez qu'elle I (exclamations) CHARLES : Tu nous ahuris. JULIE : Tu deviens folle, Henriette ? IffiKRIETTE : Non, ma chère soeur (radieuse) maman, mon oncle, Charles, Maurice, madame Casterman, ouvrez vos oreilles et tenez-vous bien : le capitaine Charlier, Bastien Charlier est le fils... le fils de votre ancien fermier Bruno, mon oncle, (exclamations) Mme GROSJEAN : Ce gros petit lourdaud de Bastien, dont tout le monde se moquait, c'est le beau capitaine d'aujourd'hui, allons donc I LE CONSEILLER : Mais oui, mais oui, le père Bruno que l'on n'a jamais appelé autrement que le père Bruno, s'appelle Charlier, c'est vrai, friir-e GROSJEAN : Moi, par exemple, je ne l'ai jamais su l Bruno, c'était Bruno I JULIE (méchamment) : Ça n'a rien d'étonnant. Est-ce que j'ai jamais su le nom de famille de ma femme de chambre ? Elle s'appelle Suzanne, et puis c'est tout... Suzanne, Bastien, Bastien, Suzanne, le prénom seulement, MAURICE : Le Roi des Belges s'appelle bien Léopold. JULIE : Oui, mais il ne sort pas de la ferme de notre oncle, CHARLES, Mme GROSJEAN et le CONSEILLER : Jamais, Jamais, Henriette ! HENRIETTE : Comme vous vous trompez sur le père Bruno et sur tout le reste 1 La grande crainte que nous ayons, le capitaine et moi, c'es' que Bruno refuse son consentement, TOUS : Pourquoi ? HENRIETTE : Parce que vous l'avez chassé, mon oncle ! LE CONSEILLER : Comme j'ai bien fait de le chasser 1 Qu'on dise encore que je n'ai pas toujours de bonnes idées, HENRIETTE : Ce n'est pas l'avis de tout le monde ! Mme GROSJEAN : Henriette ! HENRIETTE : Je me tais, maman. JULIE : Quand ce mariage sera fait, je l'irai dire à Rome ! LE CONSEILLER ; Moi aussi... HENRIETTE (à Julie) : Je t'aiderai à préparer ta valise. JULIE (furieuse avec un mauvais rire) : Ton Charlier î ton Charlier ! HENRIETTE (très calme) : Quoi, mon Charlier ? • (après un combat intérieur) : Rien, Je ne dis rien. 1 HENRIETTE : Tu fais bien. CffiHIES :Sois raisonnable, ma chère enfant. Je demande à notre oncle le conseiller de t'ammener demain aux Six Jorneaux. LS CONSEILLER : C'est ça mettons un peu d'ordre mon enfant. ffiSISl : Un conseiller c'est fait pour donner des conseils0 Mme CASIERMA.it (entre ses dents) : Ça c'est trouvé ! IE CONSEILLER : La tranquilité et la solitude des champs sont favorables aux réflexionsc Tu te promèneras au grand air; tu penseras avec une liberté d'esprit que tu ne trouverais pas ici. : Et dans toit jours nous irons tous ici, qui t'aimons, qui t:aimons autant que tu le mérites aux Six Jorneaux, nous t'écouterons avec calme et tu nous écouteras avec attention. Est-ce votre avis, maman Mue GROSJEAN TTE (tendant la main à Charles) : Je ferai comme tu le demandes Charles, mais telle que tu me vois maintenant, telle tu me trouveras dans huit jours. CONSEILLER : Nous causerons ensemble, mon enfant, nous causerons HENRIETTE : Tant que vous voudrez, mon oncle, LE CONSEILLER (à lui-même, avec force) : Oui, nous causerons. Ce n'est pas fini cette affaire-là. Et quand nous aurons bien causé^ tu s&raa d'accord pour dire avec nous tous : Jamais, Henriette, jamais ! TULIE (à Henriette) : C'est bien simple, Henriette, si tu veux passer outre notre oncle te déshérite (mouvements divers) CHARLES : Allons dîner, (personne ne bouge) CCVS : Allons dîner I (personne ne bouge, chacun étant absorbé dans ses flexions. Mme Grosjean s'est laissée tomber sur le canapé. Mme. Cas -X6.ri.ian se plante devant elle), Mine GROSJEAN (abasourdie) : As-tu vu, Madame Casterman, cette petite fille sortie hier de pension ? ■Tne CASTERMAN ; L'as-tu entendue faire face à tout le monde ? Où a-t- elle été chercher cette confiance ? %e GROSJEAN : L'amour... elle a engagé son coeur, elle ne le dégagera ASTERMAN (profondément) : Plus jamais, Madame Grosjean, c'est une Ï_R 0_X_S I E M E A C T E la grande salle de la ferme chez le père Bruno à Riberpré. Cheminée à maiitseu, deuxieme plan gauche. A droite, premier plan la porte d'entrér. principale, A droite, deuxième plan, une fenêtre donnant sur les dépendances,, Au fond, milieu, grande fenêtre donnant sur la campagne « A gauche, premier plan, porte donnant sur une cuisine et le bureau de Bruno A gauche> troisième plan, porte d'.ccès au potager. SCENE I.-CHARLIER - BRUNO IRUNO : Non, mon pauvre garçon, non, je sais que je vous ferai de la peine, mais ce sera ainsi» CHARLIER : Mais, mon père, vous ne vous rendez pas compte de ce que serait votre refus, P-UNO : Vous rendez-vous compte, vous, de ce que serait la situation de votre père dans le cortège de noce, de votre père marchant à côté du seigneur du château des Six Jorneaux ?„., Je me rappelle comme d'hier - il y a pourtant dix ans de cela - comment ça s'est passé. Votre mère - que Dieu ait son âme - venait de vous mettre coucher, votre soeur et vous. Je lisais le journal et elle cousait sous la lampe, quand le conseiller entra. C'était un an après la mort de sa femme;vses déboires politiques l'avaient aigri; il était dans un état de surexcitation incroyable. Ce soir-là, il était enragé, La yequay, tiesse féléeie, vous savez bien. Il commença par nous déclarer que personne à la ferme ne s'était jamais entendu % la culture, qu'il allait entamer la guerre contre la routine et transformer le pays à dix lieux à la ronde, Il se montait la tête ei parlant. Je finis par lui dire poliment de me laisser cultiver ses terres comme mon père me l'avait appris. Là-dessus, il me traita de vi.-2.lle bête encroûtée dans les préjugés, et, oomme votre mère sanglotait, il se mit tout à fait en colère. Il faut l'avoir regardé dans ces moments-là, les yeux lui sortent des orbites, ses lèvres sont bleues et tremblantes : je crois que votre mère se serait enfuie... Il criait "Je vous chasse, entendez-vous, je vous chasse L J'-î veux que demain, à la première heure, tout s'en aille : les oJxirettes, les chevaux, le bétail et vous avec... tout, tout, tout Ci à vous m'avez compris ?" On n'avait jamais fait de bail entre le château et la ferme; mon père avait été avant moi fermier du père et du grand' père La Vequay, mais même s'il y avait eu un bail devant tous les notaires du Condroz, je n'aurais pas voulu rester un jour de plus, Lès qu'il fut sorti, j'éveillai mes gens et, pendant toute la nuit, on fit les préparatifs. Votre mère disait cependant qu'ayant réfléchi, il viendrait me demander de rester, mais le jour parut, et il ne vint personne, CHARLIER : Je me souviens de ce départ; il pleuvait et les chariots enfonçaient dans la boue. J'étais enveloppé dans un châle de laine et serré contre ma mère. : soir-même, nous nous installions chez mon frère Anselme ici, Riberpré, CHARLIER (souriant) : Vous n'avez pas eu à le regretter, mon père, puisque vous avez presque doublé, à Riberpré, les deux cent mille francs que mon oncle Anselme vous a laissés, HRUNO : L'argent n'efface pas des affronts comme celui-là; rien que de u'en avoir parlé, je suis encore tout tremblant à l'intérieur. Non, je n'ai jamais revu le conseiller et je veux ne jamais le revoir,. Voilà, (un silence) CHARLIER : Songez, pourtant, mon père, qu'il y va de mon mariage, c'est-à-dire de mon bonheur, M. Charles, qui mène toutes les affaire; de la famille, sait qu'une rupture avec l'oncle aux écus, c'est le gros million qui s'en va à l'autre branche, 3ruf0 : Mais alors, c'est encore pis, ce n'est pas à Mme Grosjean que je devrais aller demander la main de sa fille, c'est au conseiller I (très doucement) Qu'est-ce que vous penseriez de moi, Sébastien, si j'allais m'humilier devant l'homme qui nous a traités, votre mère, moi et vous-même d'une manière insultante, afin que vous profitiez de sa fortune ? Pourriez-vous encore m'estimer et me respecter ? pHARLIER : Mais, mon père... BRUNO : Vous connaissez comme moi cet homme fantasque et orgeuilleux. Peut-on croire un instant qu'il renoncerait au plaisir de ravaler ;-on ancien fermier ? Est-ce que j'ai raison, mon cher enfant, est-que j'ai raison ? OHA.RLIER (d'une voix qu'il s'efforce d'affermir) : A la façon dont vous envisagez la situation, vous avez raison, mon père, (il s'accoude à la table, le front dans la main, réfléchissant). ^■jNO : Quand on a le bon bout dans une affaire, il faut le conserver, N1 en parlons plus, Je vais mettre mes comptes de la semaine en ordre, dans le bureau. Voulez-vous m'aider ? ça vous distraira, CHARLIER : Non, J'ai besoin de prendre un peu l'air; je vais jusqu'au potager... Je vais voir les choux frisés... (il ne bouge pas d'attitude). JOSON (entrant de gauche, premier plan) : Je peux faire les poussières. Maisse ? BRUNO : Oui. (Il sort) o 0 0 0 0 0 0 o SCENE II.- JOSON - CHARLIER (Le rôle de Joson doit être joué par une Liégeoise à l'accent prononcé, (ôt qui patoise en s'efforçant de parler français. ) JOSON (après avoir tourné quelque peu en silence) : Vous avez l'air toi éwaré, capitaine... ? Y a quelque chose qui ne va pas ? CHARLIER (distraitement) : Tout va bien, Joson, tout va bien. JOSON (tout en époussetant) : Vous avez beau avoir des épaulettes, vou n'avez pas beaucoup changé. Quand vous étiez gamin et que le maisse vous avait puni, vous vous mettiez là à la même place, sur la même chaise, la tête dans votre coude... Et quand, tout en tourniquant autour de vous, je vous demandais ce que vous aviez fait, vous me répondiez aussi : "Tout va bien, Joson, tout va bien". CHARLIER: Tu n'as pas changé non plus; tu es toujours aussi curieuse. JOSON : Si j'étais curieuse, ce n'était pas pour moi, c'était pour vous Dites que je ne vous ai pas bien souvent consolé et donné un bon avis quand vous aviez fâché yotre père 1 CHARLIER : Tu me disais toujours que mon père avait raison. JOSON : Parce que c'est comme ça, A l'église, c'est le curé qui représente le Bon Dieu, mais dans la famille, c'est le père... Est-ce qu'il n'avait pas raison votre père de vous faire dîner au pain sec quand vous profitiez de ce qu'il était sur la campagne pour vous lever à neuf heures ? CRAÏILIEE (riant) : Si, si, il avait raison, £030$ : Est-ce qu'il n'avait pas raison de répéter en mettant le doigt devant son nez ; '"Ci qui s'lève à bon matin " " Wagne on skalin; " "C'i qui s'lève trÔ so l'tard" " Wagne on patard, " CHARLIER (riant) : Oui, oui, oui. JGSCTï : Et aux Six Jorneaux ? Cri/.'RLIER : Tu te souviens encore de ce qui se passait aux Six Jorneaux JOSON : Plus on devient vieux et mieux vaut la mémoire... Vous aviez déjà douze ans, vous étiez grand et solide et vous veniez tout de même vous cacher dans mon devant-train parce qu'on vous taquinait de vous laisser mener à la baguette par Riri Grosjean. CHARLIER : Tu te souviens de ça, Joson ? JC^ON : Vous étiez tout perdu, comme tout à l'heure. Et je me souviens aussi d'un jour où Riri vous a ramené clopin, dopant, en pleurarr comme une Madeleine, parce que le conseiller vous avait jeté du haut de la terrasse du jardin où vous étiez à marauder et vous avait foulé le pied. Même que, de ce jour-là je. n'ai jamais plus voulu faire à ce vilain homme la politesse de lui dire bonjour et que, comme le Maisse voulait m'y obliger, je lui ai offert de lui rendre mon devant-train, CHARLIER (riant) : Tu vois bien que tu lui résistais, au Maisse ! JOSON : S'il avait résisté au Conseiller comme moi, c'est le conseille'' qui aurait été petit garçon au lieu que... (serrant les poings) chassé; chassé 1 Ne parlons plus de ça; mon vieux coeur saute de rage chaque fois que je me rappelle 1 CHARLIER (saisi) : A quoi vas-tu penser ? JOSON (saisie également) : Je me le demande. C'est à croire qu'il va arriver quelque chose aujourd'hui. Les vieux serviteurs sentent ça dans les maisons (un silence), CHARLIER : Je vais voir les choux frisés. JOSON : C'est ça, ça vaudra mieux, (il sort) (Joson s'approchant de la cheminée où se trouve une petite vierge sous un globe et, tout en l'époussetant dit) Au nom du père, du fils, Sai-t Esprain soit-il, Binâmée petite Sainte Vierge Marie, intercédez auprès de votre Enfant Divin s'il vous plaît, pour que Monsieur le baron de la Vequay des Six Jorneaux soit puni comme il l'a mérité, qu'il ait la goutte, le rhumatisme, la elavelée, les oreillons, le mal de dents et le mal de ventre, qu'il meure seul et solitaire après avoir été volé par son fermier, trompé par ses domestiques et bafoué par toute sa famille, dans les siècles des siècles, au nom du père, fils, Saint Esprain soit-il. o o o o ooo o S G E H E III.-JOSON - HENRIETTE puis BRUNO '• Entre Henriette en toilette claire, plus charmante d'être mal à l'aie V 'r~ regarde autour d'elle d'un" air embarrasse et curieux pendant que ■ on remet la Vierge en place, puis elle fait : "Hem". (jëson se retourne' surprise. JOhGN : Hie ! la flairante pitite crapaude l HENRIETTE : Je voudrais parler à M. Bruno Charlier. JOSON : Qu'est-ce que vous lui voulez, à M. Bruno Charlier ? HENRIETTE : Je voudrais bien le voir... JOSON : Est-ce pour les élections ? HENRIETTE : Non. C'est pour autre chose... JOSON : Pourquoi ? HENRIETTE : C'est justement pour le lui dire que je voudrais le voir, Joson. JOSON (écarquillant les yeux) : Elle me connaît ? (Haut) Vous me connaissez ? HENRIETTE (gentiment) : Prévenez M. Bruno, JOSON (ouvrant la porte du bureau dit dans l'entrebâillement) : Il y c une jeunesse qui demande à vous parler, (Henriette demeure de plu, en plus décontenancée au milieu de la pièce) Il arrive, (Joson s'efface pour laisser entrer Bruno et son attitude montre qu'elle s'apprête à écouter la conversation, Bruno voit Henriette, s'étonne de cette figure inconnue et, rouvrant la porte du bureau que Joson a déjà fermée, dit simplement": : BRUNO : Allez, Joson, djan... djan... (il referme la porte et s'avance vers Henriette) HENRIETTE : Je suis Henriette, Henriette Grosjean, monsieur Bruno, (très vite) Ce n'est pas très comme il faut, n'est-ce pas, de vous arriver comme ça.,, mais c'est mon on,., c'est la personne chez qui suis depuis quelques jours... une personne âgée, vous savez... personne respectable... qui m'a autorisée... Je voulais vous voir.., vous parler, vous comprenez... Il y a si longtemps... Vous ne cil. ;;s rien... vous me laissez patauger,.. Vous ne voulez pas vous souvenir de moi, Monsieur Bruno ? HRHHO : Mademoiselle Henriette,. . J'ai été tellement surpris. Oui, je "ous reconnais, (il lui tend les deux: mains) « :jElx:~'IETTE : Quand je vous rencontrais, étant enfant, vous me permettiez de vous embrasser, Monsieur Bruno. PI.'JNO : De tout mon coeur, mon enfant (ils s'embrassent).. Oui, oui, je voes reconnais, vous avez les yeux de votre mère et le menton de v.vcre papa. Comment êtes-vous arrivée à Riberpré ? HENRIETTE : le cocher de mon... le cocher de la personne m'a conduits Il dételle dans la cour, voyez (éLle montre la fenêtre de droite) Vous permettez qu'il dételle ? Vous ne me renvoyez pas tout de suite ? Depuis dix ans, j'avais tellement perdu jusqu'à l'idée de vou revoir que je voudrais me rattraper, passer toute une grande heure avec vous - au moins, ::ÏlUNO : Asseyez-vous. Je n'aurais pas trop d'une heure pour vous regarder. Dix ans ! Moi aussi, j'ai un arriéré à régler... IETTE : Oh 1 vous avez entendu parler de moi par quelqu'un depuis les Six-Jorneaux ... Seulement, seulement, vous ne vous doutiez pas Ç.u:il s'agissait de moi (Bruno sourit) Vous savez il y a quelquefois comme ça des gens dont quelqu'un vous parle sans vous dire leur nom et puis, brusquement on apprend que... 5RUN0 : Mademoiselle ^enriette j'ai appris depuis ce matin par le capitaine... HENRIETTE (sursautant) ; Depuis ce matin ? Ah mon Dieu ! le capitaine est ici ? (doucement) : Il est ici. HENRIETTE (se levant, très agitée) : Ah mon Dieu ! Mais alors il faut que je m'en aille ! Si mon oncle le conseiller - Ah ! tant pis, je l'ai dit, - avait su que le capitaine était ici, certainement il ne m'aurait pas permis... BRUNO : Je n'entends pas grand'chose aux habitudes et aux finesses do votre monde. Mais vous êtes ici, ma chère enfant, dans la maison du père Bruno et les honnêtes gens n'auront jamais rien à y dire... les autres ça m'est égal. Et vous ? HENRIETTE : Moi aussi... Mais tout de môme... Alors il vous a dit... Et... et vous n'avez pas été fâché de ce qu'il vous dit, monsieur Bruno ? BRUNO : J'estime votre mère et j'ai toujours eu beaucoup d'amitié pour vous, mais... HENRIETTE : Mais ? BRUNO : Mais j'ai dit au capitaine que je refuserai mon consentement à son entrée dans la famille d'un homme qui m'a chassé, moi et les miens,(un silence - Henriette le regarde consternée) Mettez-vous à ma place. Si on avait fait à la famille Grosjean ce que votre oncle , a fait à la mienne, pourriez-vous l'oublier ? HENRIETTE ; Est-ce à une enfant de vous donner un avis, Monsieur Bruno Mettez-vous à ma place. Pourrais-je jamais, moi accepter l'idée que je ne vous aurais revu que pour mettre la discorde entre vous et votre fils. Non, n'est-ce pas?.,. Alors ?... BRUNO : Dieu m'est témoin, mademoiselle ^enriette, que je suis bien malheureux de vous faire du chagrin et encore plus d'en faire à mon fils, mais (geste.-, énergique de dénégation) BgNRIBTTE : Et moi, croyez-vous que pour rien au monde, je voudrais vous faire de la peine et en faire au... au capitaine ? Tout cela est bien difficile... Savez-vous ? C'est une vraie chance qu'il soit ici. il aura peut-être une idée, lui, une idée, pour arranger tout. BRUNO : Je ne crois pas. Il ne va pas tarder à rentrer,il est allé au potager voir nos choux frisés (avec malice). Ça vous intéresserait peut-être aussi de voir les choux frisés ? Ils ont eu le deuxième prix au dernier concours agricole à Liège. HENRIETTE (répétant machinalement): Vraiment, monsieur Bruno : le deuxième prix I BRUNO (regardant par la fenêtre et souriant) : Non, rasseyez-vous : ça ne vous intéresserait pas... ou plutôt ça ne vous intéresserait plus; voici le capitaine... HENRIETTE : Qu'est-ce qu'il va dire de me voir ici ? o 0 0 0 o o o o SCENE IV.-HENRIETTE - BRUNO - CHARLIER CHARLIER (avec une exclamation) : Mademoiselle Grosjean ? HENRIETTE : Capitaine ! CÎI>A-RLIER : Vous chez mon père ? Que se passe-t-il ? HENRIETTE (gaiement) : Mais, à part l'extrême surprise de vous y trouve il ne se passe rien d'extraordinaire, CHARLIER : Votre tranquilité me rassure,(Il lui prend les mains et les garde un peu trop longtemps dans les siennes) HENRIETTE (se dégageant) : Est-il extraordinaire qu'avec l'autorisation de mon oncle, j'aie désiré renouer connaissance avec votre père ? CHARLIER : Même si j'avais un étonnement, je l'oublierais dans la joie de vous rencontrer ici. C'OSON (entrant) : Maisse, c'est le censier d'Hannut pour les trèfles.. Eaut-il le faire entrer châl ? ÏÏFfrJNO : Nenni, (à Henriette) J'en ai pour deux minutes./' (Henriette et charlier guettent la fermeture de la porte et sitôt qu' ) (cHle" est fermée se précipitent dans les bras l'un de l'autre, ) CHARLIER : Henriette ! IFNRIETTE : Ami l o o o o 0 0 0 o SCENE V.-HENRIETTE - CHARLIER HENRIETTE : C'était bien combiné, dis ? CHARLIER : Très bien. Maurice m'a apporté hier soir à Liège le billet où tu me disais de venir ici ce matin. henriette : Je suis une jeune fille pleine d'astuce. CHARLIER : Et de décision, HENRIETTE : J'ai encore fait bien autre chose... ah ! mon ami, je t'en réserve une, de surprise 1 r1 HARLIER : Une bonne surprise au moins ? HENRIETTE : Je crois,., oui... mais je n'en suis plus très sûre... Tu vas juger... (elle tire sa montre) Dans quelques minutes, sais-tu qui sera ici ? Tu ne le sais pas ? Non ? eh bien 1 je vais te le dire : le conseiller 1 CHARLIER (sursautant) : Qu'est-ce que tu racontes ? HENRIETTE ; Je raconte que j'ai décidé mon oncle le conseiller à faire une visite à ton père... CHARLIER (effrayé) : Tu as fait cela, Henriette ? HENRIETTE : J'ai fait cela, Sébastien,.. Je me suis dit que si chacun restait chez soi, ça n'avancerait jamais; que, donc la première chose était de les mettre l'un en face de l'autre, CIIARI.IER : Ah 1 ma pauvre ^enriette, HENRIETTE : Oui, depuis que ton père m'a parlé de lui comme il l'a fait.., CHARLIER : Si tu avais entendu ce qu'il m'a dit à moi,., HENRIETTE : J'ai été trop vite, dis, Sébastien ? CHARLIER :J'en ai peur. liENRIETTE : Quand on est pressé d'arriver, on ne réfléchit pas toujour;:- au chemin que l'on prend, CHARLIER : Amie ! Amie 1 ^il lui baise les mains)) MIETTE (se dégageant) : Prends garde, CHAR LIER : Qu'as-tu bien pu dire à ton oncle pour le décider à se mettre on route ? l'hjjriette : Eh bien, je lui ai dit : "Mon oncle, vous m'avez fait remarquer que, pour procéder avec ordre et pour me faire une idée raisonnable sur la famille du capitaine, il fallait me rendre sur Place àRiberpré... charlier : La première idée était de lui ? r&^RiETTE : Il le croit... "Vous m'avez donc promis d'aller refaire connaissance avec M, Bruno. Mais ce n'est pas une petite fille comme moi oxui peut apprécier une situation; il faut votre jugement et votre expérience, mon oncle. Ilre suffit pas que j'aille là-bas, il faut que vous y veniez avec moi". Ça l'a flatté... "Je crois en effet, Henriette, m'a-t-il dit, en me tapotant les mains, que si je flisais parler adroitement Bruno , je pourrais t'éclairer sur ce orojet de mariage et te prouver qu'il ne te convient pas du tout, Je serais pas fâché de te convaincre, que rien ne répondrait moins à tes habitudes, à tes idées, à ton bonheur, que la famille de ces gens-là i ". "S'il doit en être ainsi, mon oncle, voyez quel service vous m'aurez rendu i ". CHAR LIER : Tu n'es pas manchotte comme dit Maurice... alors ? HENRIETTE : Alors, il a été convenu que je prendrais les devants par le plus court avec le cabriolet, tandis qu'il ferait le trajet ayec sa vieille mule, de manière à arriver une heure après moi. CHARLIER : Si bien, que dans son esprit, il va trouver ici un homme trop heureux de lui faire bon accueil ? HENRIETTE : Oui. CHARLIER : Le châtelain bienveillant en visite chez le bon fermier très honoré de sa visite ? HENRIETTE : Quelque chose comme ça. CHARLIER : Mon père, dès qu'il l'apercevra, n'hésitera pas une seconde, Henriette : il lui montrera la porte ! HENRIETTE (alarmée) : Ce n'est pas tout-à-fait pour ça qu'il s'est dérangé. C'est effrayant ce que tu dis là.(un silence) Que faut-il faire, mon Lieu, que faut-il faire ? CHARLIER (très agité) : Eviter d'abord à tout prix qu'ils se trouvent bec à bec, HENRIETTE : Prépare ton père; annonce-lui prudemment son arrivée... CHARLIER : J'aurais l'air de lui avoir tendu un piège, il ne le souffrirait pas. ARIETTE : Qu'est-ce que je vais inventer ? Ah ! mon ami, je me perds dans tous nos mensonges. CH.''.?LIER (riant) : Nous devrions être honteux tous les deux de mentir comme ça. HENRIETTE (riant) : Et nous ne le sommes pas. CHARLIER : Les circonstances ne permettent pas de ne pas mentir, (Il rit et lui baise de nouveau la main) Ah ! j'y pense. Il faudra: aussi dire tout de suite un mot à Joson. îEroiETTE : A Joson ? Pourquoi ? 8 81 Ëlle V0" mtrer icl * «Uer, elle est capable de lu.-.. sauter dessus, : Ah i Mon Dieu ! ; Elle me l'a annoncé 1 Tu l'as reconnue, Joson ? ■ Tout de suite. Elle ne m'a pas reconnue, elle; mais je ■^'assure que ce n'est pas faute de m'avoir regardée0 : Que dira-t-elle quand elle saura que la belle demoiselle 0 O O 0 0 0 SCENE VI.-LES MEMES - JOSON JOSON (entrant) ; Elle dira qu'elle est joliment contente de revoir Mamzelle Riri. HENRIETTE (s'exclamant et riant) : Par exemple, Joson... Comment avez-vous su ? JOSON : Il n'y a pas de secret pour les vieux serviteurs; quand il y a de l'extraordinaire dans la maison, il y a toujours une oreille qui traîne derrière une serrure, CHARLIER (inquiet) : Alors, tu as entendu tout ce que nous avons dit ? JOSON : Capitaine, je n'entends que ce que je puis entendre. Ce que je n'ai pas besoin de savoir, je ne le sais pas, CHARLIER : Est-ce que tu sais que M. de la Vequay va arriver à Riberpré JOSON : Oui, ça c'est dans les choses que je dois savoir, HENRIETTE : Pourquoi ? JOSON ; Parce que ça va me donner l'occasion, mademoiselle, de lui dire deux mots en flamand. Je n'ai plus jamais eu le plaisir de le voir depuis notre départ des Six Jorneaux, Q.IARLIER : Ecoute-moi bien, Joson. Je te défends - je te défends, tu entends bien - de dire un mot, un seul mot sous quelque prétexte que ce soit à M. de la Vequay. C'est bien compris ? JOSON : Alors, c'est à moi de voir ce qui me plaira le mieux, de garde-mon devant-train ou de parler à M. le conseiller. Je retourne vit j à la cuisine, parce que si Mamzelle Riri, elle, me demandait avec sen air gentil ce que vous me commandez avec votre air militaire, je 84c- serais capable de dire oui.., (elle sort précipitamment) : Eh bien, mon ami 1 y (y;. roulant la porte) : Et je ne veux pas dire oui^ (elle ferme : o porto déf initivement ) y7y^, > Il n?y a pas à dire : c'est bien agréable de sortir un :'.r.c'ie comme celui-là, CHARAIER t °bl ige d'attacher les domestiques pour qu'ils ne mordent pu, HENRIETTE (effrayée -pn frappe à la porte\ de gauche) : Ah ! mon Dieu oh a frappé, c'est mon oncle. c'HARLIER : J'étais plus à mon aise au siège d'Anvers,.. HENRIETTE : Explique lui... (on frappe de nouveau) "HARLIER : Entrez..(ils se composant" chacun un maintien) - o 0 0 0 0 0 0 o r SCENE VII,- CHARLIER - HENRIETTE -MAURICE MAURICE (entrant) : Bonjour, c'est moi 1 HENRIETTE : Maurice ! toi à Riberpré ? (il embrasse Henriette). MAURICE : En me levant le coeur m'a tiré après toi, Riri, Je me suis dit "Allons dire bonjour aux amoureux, ces enfants ont peut-être besoin qu'on les aide". J'ai loué une bique et,., CHARLIER : Tu dois avoir faim. MAURICE : Après trois heures de grand trot sur ma rosse, je te crois. Mais ça n'a pas d'importance, le plus pressé, c'est de vous dire qu'il y a de bonnes nouvelles pour vous deux. Grande discussion hier au dîner ; Maman s'est emportée tout à coup. Elle a dit aigrement à Charles qu'il fallait avoir perdu le sens commun pour t'envoyer aux Six Jorneaux, que c'était à elle et non pas à mon oncle à te donner des conseils... que ton brusque départ fait, à Liège, l'objet de trop de conversations. Alors, ne voilàrt-il pu Charles qui se met à sourire ? figure-toi, Riri, qu'il n'a eu d'autre occupation, depuis ton départ que de s'enquérir de la fortune du père Bruno; il paraît, Capitaine, que votre ancien es' presque millionnaire; que votre beau-frère, le baron de Gerbe est tout désigné pour représenter l'arrondissement à la Chambre, et qu'étant le plus jeune capitaine de l'armée belge, vous ne pouvez manquer, vous, d'être général à 45 ans... bref, voilà Cvarles qui lâche son Bridelle l Iffi j'.TE :En présence de cette déclaration et Maurice étant présent, (e vous permets de m'embrasser sur la joue droite, capitaine, ttkC3R..-.:E : Pardon... pardon... sur les deux joues... Quand je chaperonne moi, je suis de l'école de Mme Casterman {Charlier embrasse Henriette ) (On entend du bruit dans la cuisine) CHARLIER : Voici mon père. .-, HENRIETTE (A Maurice) : Qu'est-ce que tu vas dire à M. Bruno pour lui expliquer ta présence ? MAURICE (très à son aise) : Je ne sais pas... j'attends l'inspiration, o o 0 O OOO , o SCENE VIII.-MAURICE - HENRIETTE - CHARLIER - BRUNO (Entre Bruno qui s'arrête interdit en voyant Maurice) MAURICE : Monsieur Bruno;., j'ai l'honneur de vous saluer. BRUNO (gaiement) : Vous, vous êtes M. Maurice; vous êtes tout le portrait de monsieur Charles quand il avait 15 ans. (la main tendue' Je ne sais pas ce que vous venez faire à Riberpré, mais c'est un bon vent que le vent qui vous y a amené... MAURICE : C'est ce que j'étais en train de me dire pour mon propre compte, monsieur Bruno... Quant au motif de ma présence chez vous... eh bien, je vous le dirai en déjeûnant... BRUNO (riant) : Je venais justement prévenir Melle Henriette que le dé jeûner sera modeste, Joson est prise à l'imprévu. Vous aurez des côtelettes d'agneau, un poulet, une salade de verdure et des patates avec une sauce chaude au beurre et au vinaigre. ' (jOn entend le bruit d'une voiturej HENRIETTE : Une voiture dans la cour 1 ... Ah i Mon Dieu... c'est lu:• fUNO : Qui ça ? HENRIETTE : Je n'avais pas encore osé vous dire, monsieur Bruno,,, il. vient pour me rechercher pour causer avec vous, comme je suis venue, moi... vous n'y voyez pas d'inconvénient, n'est-ce pas ? ■ grondant) : Il ne s'agit pas du conseiller, n'est-ce pas ? Et s'il s'agissait de lui, monsieur Bruno ? I^1 • Ah J il s'agit de lui, eh bien, je ne veux pas qu'il entre ici, tête de pierre contre tête de pierre. Il m'a chassé de chez lui, je vais le chasser de chez moi. Laissez-moi passer mademoiselle Henriette, CHARLIER (très calme) : Restez père, je vais aller lui parler...1/ (Au moment où Charlier arrive à la porte, celle-ci s'ouvre et Mme ) (Casterman entre suivie .de Charles et de %ie Grosjean. ) o OOO OOO o SCENE IX.-LES MEMES - Mme GROS JEAN - CHARLES - Mme CASTERMAN Mme GROSJEAN (à Henriette) : Ah I te voilà, toi ! Et Maurice ? ... Comment ? Et le capitaine aussi ? ... un complot d'amoureux ! c'est du joli. HENRIETTE : Maman 1 (reste interdite) Mme CASTERMAN : Eh bien, tu peux te vanter de nous faire courir. ———————————— _■ (elle embrasse Henriette) CHARLES (tendant la main à Bruno) : Excusez-nous de tomber chez vous à 1'improviste, mon cher monsieur Bruno... bonjour, capitaine !... c'est la faute à Henriette... Ma mère et moi arrivons ce matin aux Six Jorneaux pour la ramener à Liège et nous apprenons qu'elle est chez vous,,. Ma foi, nous n'avons pas hésité, nous nous sommes dit que nous rentrerions à Liège en faisant un crochet par Riberpré*., Le plaisir de vous revoir vaut bien 3 heures de voiture, BRUNO : Vous êtes les bienvenus, chez moi, M. Charles, ainsi que Mme Grosjean et Mme Casterman qui n'ont pas changé depuis 12 ans... Mme GROJEAN : Je vois que nous avons d'autant mieux fait de passer à Riberpré que nous trouvons le loup dans la bergerie (elle lance un coup d'oeil à Charlier qui ne bronche pas) "'•ne CASTERMAN : Si vous n'aviez pas bien compris, le loup, c'est vous, capitaine, jfcie GROSJEAN : Le capitaine a très bien compris, sois tranquille, CHARLIER : J'ai été encore plus surpris que vous, Madame Grosjean, en LJ trouvant àRiberpré. Me lie enriette... le hasard seul... i\>:: SJEAH : Mais je l'espère bien... il ne manquerait plus que de vous ôtre donné rendez-vous. FEX7.?.1ETTE : Oh ! Maman. JHAR1IER : Oh ! Madame Grosjean. MAURICE : Vous ne voudriez pas Madame Grosjean ! JOSON (entrant avec un pilon à passer la soupe): Hie ! qui voilà. Je vais ajouter un poulet... Votre servante, madame Grosjean, madame Casterman.... •Tries GROSJEAN et CAS TER» : Joson. JOSON : Je peux bien vous dire un petit bonjour aussi, n'est-ce pas et à vous aussi, sans doute, monsieur Maurice et Monsieur Charles ? CHARLES : Toujours alerte, la brave Joson I... JOSON : Hie, grand saint Houbert, vous pouvez bien dire qu'on ne s'attendait pas à voir du si beau monde à Riberpré 1 Si on aurait su, on aurait mis son bleu caraco à rouges carreaux, pour lui faire honneur. C'est comme qui dirait un conseil de famille... Peut-être bien qu'il va se passer de graves affaires» HENRIETTE (timidement) : C'est une occasion ou jamais... JOSON ( chantant ) : Marion pleure, Marion crie âjh^ \ Marion veut qu'on la marie 0 (Bruno se retourne sur elle et la fait sortir) Je m'en vais Maisse, je m'en vais, (elle sort) filme GROSJEAN : Mon Dieu, monsieur Bruno puisque les sujets s'en mêlent, tout le monde est au courant, et s'il vous convient de causer, allons-y 1 (Bruno et Mme &rosjean se regardent un instant) Vous venez de voir enriette. Que pensez-vous d'elle, M. Bruno ? BRUNO (sérieux) : Mademoiselle Henriette a toutes les qualités qu'un père de famille peut souhaiter chez une belle fille et... 'ae GROSJEAN (l'interrompant avec vivacité) : compliment pour compliment, monsieur Bruno , nous savons les mérites de votre fils Sébastien, il a devant lui une brillante carrière, c'est un garçon plein d'aimables intentions... un garçon capable... -:a_RLES_ : Je tiens à vous dire, monsieur Bruno, que je me suis livré à quelques investigations, comme c'était mon devoir, sur votre situation de fortune. Eh bien 1 allons-y carrément, à la liégeoise ' c'est une demande en mariage précipitée, mais c'est une demande en règle que nous vous adressons. j (après une pause ? très lentement) : Je suis flatté, monsieur Charles, et s'il n'y avait en jeu que ces deux jeunes gens, ça ne traînerait pas, mais... (il hésite et cherche des mots, tout le monde le regarde, il a pris une figure grave) (un silence) CHARLES et Mme GROSJEAN : Mais quoi ? OîjARTIER : Mon père a malheureusement à présenter une objection si sérieuse à ses yeux, que tout ce que je lui ai dit n'a pu la lui faire abandonner (exclams.tions de surprise) CHARLES : Ah 1 Nous sommes vraiment curieux de savoir, CHARLIER : Songez, mon père, qu'il y va du bonheur de ma vie, BRUNO (à charlier) : Je sais, Sébastien, qu'il y va du bonheur de votre vie; mais ilyva aussi de l'honneur de la mienne, CHARLES : Je ne comprends pas, BRUNO : Certainement, madame Grosjean et monsieur Charles, je suis heureux de voir que mon fils a votre confiance et votre amitié cela lui fait honneur autant qu'à moi, mais, dans votre famille il y a quelqu'un de qui nous avons reçu le plus grand affront qu'un homme puisse faire à un autre homme; ce quelqu'un-là nous a chassés, ma femme, mes enfants et moi. Pour moi et pour la mémoire de ma chère et sainte femme, jamais je ne consentirai à ce que le capitaine appelle ce quelqu'un-là, mon oncle. Voilà Madame Grosjean. (silence consterné) Mme CASTERMAN : Maie justement, monsieur Bruno, un mariage, ce serait le moyen d'effacer ce mauvais souvenir... ces choses-là se voient dans les meilleures familles, BRUNO : Nous avons, nous autres du Condroz, des idées qu'on n'a peut-être pas à Liège. JHARLES : Je vous en prie Madame Casterman (à Bruno). Nous ne nous attendions certainement pas à cela, ma mère et moi, sinon nous n'aurions pas parlé comme nous venons de le faire. Si, pour ccr sentir à ce mariage, vous voulez écarter mon oncle de la famill nous serons obligés de vous demander d'oublier les... les avances que la famille Grosjean vient de vous faire un peu trop vite... Jffi-gr, CAS TERME' : Mais, à vous entendre, Charles, et à entendre M. Bruno, on croirait que le consentement du conseiller est nécessaire ? CHARLES : Il l'est. Je vais parler en toute franchise; le conseiller, qui a une grosse fortune, a dit plusieurs fois à maman et à moi, notamment lcrs des fiançailles de Julie, qu'il ne laisserait aux Grosjean ce qu'il possède que si les époux ou épouses des quatre enfants de maman sont agréés par lui,,. Or, la famille Grosjean a un rang à tenir et des intérêts à garder. Mme GROSJEAN : C'est un homme qui n'est jamais revenu sur une décision qu'il avait prise, BRUNO : C'est le seul point que j'ai de commun avec lui... HENRIETTE (épiorée) : Alors, Charles... CHARLES : Alors, Henriette (geste d'impuissance) CHARLIER : Je vous supplie, mon père, de bien peser votre décision. Voyez dans quelle situation impossible,., HENRIETTE (se dominant) : Impossible ? Lu courage devant l'ennemi l Qu'est-ce que c'est que ça ? (tous rient) MAURICE : Bravo, Henriette 1 CHARLIER (saluant militairement) : Bien, mon capitaine,,, HENRIETTE : Voyons 1 Ne serait-il pas nécessaire de savoir au juste ce que pense mon oncle avant de dire qu'il n'y a rien à faire ? Mme GROSJEAN : Chère enfant, tu as probablement beaucoup plus d'esprit que ta mère, mais je connais ton oncle pour l'avoir vu dans tellement de circonstances,,. HENRIETTE : Pas dans celle-ci, maman, pas dans celle-ci, CHARLES : Qu'est-ce que ça veut dire ? HENRIETTE : Quelque chose que sait déjà M. Bruno... quelque chose qui l'a tellement étonné que la première surprise l'a poussé à une résolution,., comment dirais-je... excessive... je peux dire excessive, n'est-ce pas, monsieur Bruno ? BRUNO : Nous autres du Condroz... HENRIETTE : Si vous n'avez pas trouvé mon oncle aux Six Jorneaux, c'est parce qu'il était en route pour Riberpré. TOUS : Allons donc 1 CHARLES : On ne nous a rien dit là-bas ? StlïnJKTTE : Personne n'a pu vous le dire là-bas, puisque c'était un se-.y.;?t entre lui et moi... (exclamation) ( à Bruno vivement ) Mon bon .i^nsieur Bruno, mon cher Monsieur Bruno.je le vois avec sa mule qui passe sous le proche... Promettez-moi que vous... BRUNO ; Mon enfant, je suis attristé de vous refuser mais... (il fait mine de se diriger vers la porte de droite) Qu'il entre, puisque vous êtes tous là, mais moi je ne le verrai pas... GHARLIER (l'arrêtant) : Ne faisons rien d'irrémédiable, mon père, BRUNO : Il se sera dit : "Bruno sera flatté de ce que je me sois déplacé 1" Eh bien, il s'est trompé : s'il vient me faire des excuses devant tout le monde (répétant) des excuses devant tout le monde, soit ! mais s'il ne vient pas faire des excuses, qu'il s'en aille. "Vous pouvez lui dire cela de ma part. (II sort au fond) CHARLES : Voilà une commission dont je ne me chargerai certainement pas. Mme GROSJEAN : Ce sera une colère terrible et tous nous serons dans l'obligation de nous en aller avec lui, HENRIETTE : Je veux bien essayer, maman, de causer avec lui. Mme GROSJEAN (à Charles) : Qu'en penses-tu ? CBARLES (hésitant) : J'aime mieux ça qu'un scandale... Mine GROSJEAN (haut) : Dans tous les cas, moi je m'en vais... Venez aussi vous autres... Que faites-vous, capitaine ? CEARLIER (à Henriette) : Que faut-il faire ? HENRIETTE : Ne pas quitter votre père. CHARLIER : Oui...il sort par la porte de la cuisine; les autres sortiront par la porte donnant sur le jardin). CHARLES : Il conviendrait peut-être que je reste avec toi, Henriette ? ivià.3 CASTERMAN : Laissez-la donc faire, Charles, vous êtes de la première force quand il s'agit de fer, de houille et de la règle de 3, mais pour le sentiment... CHARLES (se décidant) : Tu es une brave fille et une fille brave, Henriette. HENRIETTE : Dépêche-toi, le voici (elle le pousse dehors avec Maurice et Mme Casterman et descend à la porte de droite au moment où son oncle y apparaît). S CENE X.-LE CONSEILLER - HENRIETTE LE CONSEILLER : Comment, c'est toi qui me reçois ? Et le maître de céans ? TIENRIETTE : Il est occupé dans la ferme, mon oncle, il va arriver. LE CONSEILLER : Qu'est-oe qu'il a dit quand il a su que j'allais venir te reprendre ? Il a dû être content ? HENRIETTE : Mais... pas extraordinairement content. ITT CONSEILLER : Je pensais à toutes ces vieilles choses en venant ici, au fond je ne lui en veux pas, à Bruno, c'est lui mon obligé; s'il n'avait pas quitté les Six Jorneaux, il ne serait jamais venu . s'installer à Riberpré et par conséquent il n'aurait jamais eu une ferme à lui. Au "bref, je suis le bienfaiteur de sa famille. • HENRIETTE : Evidemment, mon oncle... mais il s'est senti blessé de ce départ... il arrive quelquefois qu'on ne veut pas blesser quelqu'un et qu'on le blesse tout de même.. Alors Bruno est resté fdehé contre vous. LE CONSEILLER : PSché ? HENRIETTE : Très fâché... Au point que, quand tout à l'heure, j'ai été amenée au hasard de la conversation... à lui parler des projets du capitaine.., LE CONSEILLER : Comment; tu lui as parlé de... nous avions cependant convenu que tu n'aurais même pas l'air d'y penser, au capitaine. HENRIETTE : J'y étais bien décidée, mon oncle; seulement, n'est-ce pas .... comme il était là... . LE CONSEILLER (bondissant) : Le capitaine est ici ? HENRIETTE : C'est vrai... je ne sais pas à quoi je songe... je ne vous l'ai pas encore dit... vous pensez si j'ai été surprise... LE CONSEILLER : Je le suis autant que toi... alors ? HENRIETTE : Alors, dans le trouble bien naturel où cette rencontre nou. a jetée tous les deux, nous avons été un peu plus loin que je ne l'avais arrêté avec vous et M. Bruno s'est aperçu.... LE CONSEILLER : Charmant ! C'est charmant ! Voilà quelque chose de vraiment regrettable, Henriette et si je l'avais su, je ne t'aurais certainement pas autorisée à venir à Riberpré.- Ah ! fichtre non I Ta mère et Charles me le reprocheront et ils n'auront pas tort... [[■■■s: JETTE : Oh ! Vous ne savez pas i Pigurez-vous que Maman, Charles, Maurice et Mme CASTERMAJT sont allés ce matin aux Six Jorneaux comme vous veniez de les quitter et qu'apprenant que vous étiez en route pour Riberpré, ils ont fait fouetter les chevaux : ils sont ici depuis une demi-heure» LE CONSEILLER : Elle est un peu forte, celle-là !... ZENRIETTE : N'est-ce pas qu'elle est un peu forte ! Bruno leur fait faire le tour du propriétaire. LE CONSEILLER : Tout cela va créer entre les Charlier et les Grosjean une sorte de revenez-y qui fausse tout-à-fait le sens de ma visite et de la tienne... c'est regrettable, Henriette, c'est regrettable, HENRIETTE : Qu'y ferons-nous, mon oncle ? LE CONSEILLER : Rien... allons les rejoindre (il se lève) HENRIETTE : Vous n'aimez pas mieux causer avec moi en attendant leur retour ? LE CONSEILLER (se rasseyant) : J'aime toujours causer avec toi. De toi, Henriette, tout me rend content... c'est un plaisir pour moi de t'entendre me demander quelque chose, un plaisir de te regarder quend tu passes le thé, quand tu travailles à un ouvrage de "main, quand tu mets ton chapeau ou que tu l'êtes, un plaisir de m'asseoir à côté de toi sans parler... ou mieux en parlant... j'aime encore mieux quand tu parles, car tu as alors de petites choses, des riens, de jolis gestes, des façons d'être confiante et soumise, J'ai toujours été un sauvage. Ne souris pas, je t'en prie, je suis plus malheureux que tu ne crois, HENRIETTE (sérieuse) : Qu'avez-vous, mon oncle ? IE CONSEILLER : Rien... HENRIETTE : Je ne comprends pas bien... ■oC CONSEILLER : Tu n'as pas besoin de comprendre autrement. Ce que je t'en dis, c'est pour que tu saches que mon affection pour toi est chaque jour plus profonde et plus grave, HENRIETTE : Vous m'avez toujours montré une grande tendresse. CONSEILLER (pensif) : Oui, Henriette... une grande tendresse, henriette : Pourquoi alors me faites-vous un visage attristé f j. CONSEILLER : Des idées... v ^^ 93.- ./.TvVfBTTE : Je sais biendepuis que je suis avec vous aux Six Jorneaux, vou^-irf^avez représenté,-'qu'épouser, un militaire qui va à / **** y* y:' y la guerpef, c'je^t s'exposer à'àvoir un mari borgna^ou amputé d'une x / - y j? y jambe... / y / y y LE CONSEILLER (grâfra) ••'ou de deux jambes, / / IIENRIETTB : .... mais je croyais, mon petit oncle, qj^fnos conversation -y% ce ""ijpti .frm ifF^ 1flPr'-g|i)i,' ......................................................„ ......................■„,•;,',, —..... |—rri fr-i*"' i—'ivit rr. jjjm* i*rtrrXta ' " ■ 1 ■ 1 ■ ' LE CONSEILLER : Alors, dis-moi toute la vérité, Henriette : tu poursuis donc toujours ton idée d'épouser Charlier ? HENRIETTE : Oui, mon oncle. LE CONSEILLER : Tu l'aimes ? HENRIETTE : Oui, mon oncle. LE CONSEILLER : Tu l'aimes d'amour, profondément, absolument, comme... comme tu dois savoir aimer. HENRIETTE : Oui mon oncle. LE CONSEILLER : Et c'est pour cela, me dire cela que tu m'as fait venir ici; c'est pour cela que tu voudrais que je me réconcilie avec Bruno Je suis l'obstacle 1 HENRIETTE : Oui, mon oncle.(un silence) Vous voyez si votre affection me donne de la franchise; j'avais espéré qu'en consentant à venir ici voir M. Bruno avec moi, vous reviendriez tout à fait sur vos préventions.... LE CONSEILLER (souriant) : Ça m'a coûté, je ne te le cache pas... Et ça me coûte encore plus maintenant, car, après ce que tu viens de me dire, c'est moi qui fais le premier pas vers un raccommodement. HENRIETTE : Le plus fort est fait... Et tenez, mon oncle, je suis sûre maintenant que si je vous demandais, au nom de.votre tendresse pour moi, d'exprimer des regrets... LE CONSEILLER : Des regrets ? HENRIETTE : Au sujet du départ de Bruno des Six Jorneaux. LE CONSEILLER : Pourquoi ne dis-tu pas des excuses ? HENRIETTE : Parce que c'est trop gros mot... Si ce n'était pas un trop gros mot, je vous dirais : "Mon Dieu, mon oncle, faites les lui... car enfin, la victime dans toute cette affaire, vieille de dix ans, ce serait moi, moi qui n'en suis pas responsable". LE CONSEILLER : Quel conseil me donnes-tu, alors ? ■^.T.^jy.TTE : Ce n'est pas à une enfant comme mol d& conseiller un homme comme vous, CONSEILLER : Henriette, Henriette, tu m'entraînes sur une pente. HENRIETTE : Et quand ces... regrets, ces excuses si vous voulez que j'emploie le mot - auront été exprimées Monsieur le Conseiller, je suppose un instant n'est-ce pas qu'il en soit ainsi, simplement pou voir, pour vous montrer la suite, concevez-vous la joie infinie, la gratitude éternelle de Riri pour le plus généreux et le meilleur des oncles ? CONSEILLER : Je t'aurais rendue si heureuse que ça ? HENRIETTE (frémissante) : Mon oncle... UT- CONSEILLER (doucement et posément) : Alors, si tu étais à ma place, tu ferais à Bruno des... un acte de contrition ? HENRIETTE : Devant toute la famille, mon oncle. LE CONSEILLER (criant) : devant toute la famille ? HENRIETTE : Vous ne répondez pas ?... vous ne voulez pas ? ... Ce serait vous l'ennemi de mon bonheur ? LE CONSEILLER (criant plus fort) : Moi ? HENRIETTE : Non, je suis sûre que non, après ce que vous m'avez dit... (avec des larmes dans la voix) Vous aimez trop Riri, pour cela mon oncle. ^ o O o O o o o o SCENE XI.-HENRIETTE - LE CONSEILLER - Mme CASTERMAN Mme CASTERMAN (entrant, souriante) : On m'envoie,en messagère pour savoir si la conférence est terminée. le CONSEILLER : Vous 1 Xaa CASTERMAN : Moi LE CONSEILLER (Grinçant des dents tout de suite) : J'en étais sûr 1 Elle est comprise dans la famille, n'est-ce pas, Henriette ? C'est devant elle aussi que je devrais... Regardez-moi ce sourire de vieille sorcière ! L'idée que j'ai dans cette affaire un rôle ridicule vous enchante, hein ! Tu vois, Hqj^iette, qu'elle me nargue 1 BEHïETTE : Mais non, mon onole 1 CONSEILLER : Mauvaise teigne ! me CASTERMAN : Monsieur le porc-épic, je ne suis pas venue pour m'entendre dire des injures que je dédaigne d'ailleurs, mais pour savoir si la société peut rentrer,. LE CONSEILLER (au comble de l'emportement) : Elle peut rentrer quand elle voudra. Qa m'est bien égal qu'elle rentre; elle peut rentrer à pied, à cheval ou en voiture; elle peut rentrer par la porte, par la fenêtre ou par la cheminée; ce qui est certain, c'est que, quand elle sera rentrée, elle ne me trouvera plus. HENRIETTE (épiorée) : Mon oncle, (elle le saisit par le pan de sa veste LE CONSEILLER (se dégageant peu à peu) : N^n, Henriette... Non... J'aurais tout accepté, tout avalé, mais pas le ricanement de Mme Casterman, Supporter le ricanement de Mme Casterman, c'est au-dessus des forces d'un homme... HENRIETTE : Mon oncle ! LE CONSEILLER : Je retourne aux Six Jorneaux. Au plaisir de ne plus vous revoir, (fausse sortie) Vieille chouette, (il sort suivi d ' Henriette ) Is f>Jl*f' Mme CASTERMAN : Arrivez donc. , j Xj TOUS : Eh bien ? Mme CASTERMAN ; Tout est perdu, le hibou est envolé i o o o o o o o o SCENE XII.- Mme CASTERMAN, Mme GROSJEAN, CHARLES, CHARLIER, MAURICE et BRUNO - (Ils entrent avec des exclamations) Mme CASTERMAN : Il est parti dès qu'il m'a vue entrer.en déclarant à Henriette qui court après lui, qu'il retournait aux sjjc Jorneaux. TOUS : Oh ! CHARLES (agacé mais essayant de sourire) : Alors, Monsieur Bruno, nous n'avons qu'un parti à prendre, c'est de nous en allet* derrière mon oncle. BRUNO : Mon Dieu, monsieur Charles, vous avez que le d-îner est prêt. MAURICE (dans ses dents) : Créhenne, mais je meurs de faim, moi... '.e i;l;.0S-J5A|T (timidement ) : Moi aussi, ;#3 CASTERMAN : Eh bien, et moi 1... 7,URICE : Il y a un poulet... ..HARLES : Enfin, les convenances... :;.me CASTERMAN : Eh bien, tant pis pour les convenances l ~HARLIER : Je vous en supplie, Madame ^rosjean, oubliez-les jusqu'après le poulet, o o O O o o o o SCENE XIII.-LES MEMES, puis HENRIETTE et le CONSEILLER (Henriette rentre en coup de vent, très excitée) HENRIETTE : Le voici, Mettez-vous à vos places, il veut de l'ordre I (chacun cherche précipitamment une chaise) Promettez-moi, Monsieur Bruno... vite..., que vous ne lui adresserez pas la parole.... que c'est à moi... à moi que vous direz ce que vous pourriez avoir à lui dire,., promettez-moi, mon bon petit Monsieur Bruno,.. Vous ne pouvez pas me refuser cela, BRUNO (ému) : Je vous le promets, mon enfant, (entre le conseiller) o o o o o o o o SCENE XIV,-LES MEMES - LE CONSEILLER LE CONSEILLER (entrant) : Ne dites pas un mot, ne bougez pas, ne me saluez pas ! Asseyez-vous, Bruno,.. Monsieur Bruno; faites-moi le plaisir et l'amitié de vous asseoir,.. c'est cela. C'est très simple. C'est moi, Adalbert-Joseph-Erançois baron de la Vequay, Vous me reconnaissez ? HENRIETTE (vivement) : Vous le reconnaissez. Monsieur Bruno ? BRUNO (à Henriette) : Oui, oui, je le reconnais, (Joson entre et se tient immobile) LE CONSEILLER ; Et vous vous portez bien, je le constate avec plaisir, et je vous en fais mon compliment... vous voyez ça va tout seul... II y q longtemps que nous nous sommes vus pour la dernière fois... Sans ma nièce, Henriette Grosjean (à Mme Grosjean) Bonjour, ma soeur (à Charlier) Bonjour mon grand garçon - il est probable, Monsieur Bruno, que nous aurions défuncté chacun de notre côté sans nous être revus... Mais vous ne savez pas encore, père, Monsieur Bruno, bonjour Charles... vous, derrière, Mme Casterman, hors de mes yeux,., ce que peut une jolie nièce comme elle sur une vieille bête d'oncle comme moi... BRUNO (sévère) : Il me semble, Monsieur le baron... HENRIETTE (vivement) : A moi, à moi... qu'est-ce qu'il vous semble, Monsieur Bruno ? LE CONSEILLER : Ne m'interrompez donc pas, vous allez m»embrouiller. Si vous croyez que c'est facile... Bonjour Maurice (d'un ton rogue^ laissez -moi garder le fil (il tousse). Une supposition que cette gamine-là soit venue un jour vous dire : "Père Bruno, il est entendu que vous n'avez jamais eu aucun tort vis-à-vis du conseiller, baron de la Vequay qui a été injuste pour vous; eh bien, malgré cela vous allez vous rendre chez lui et lui dire; tout est oublié, je vous fais mes excuses, serrons-nous la main". Vous croyez que vous auriez répondu "je n'y vais pas" ? Erreur... complète erreur; je ne sais pas comment la gamine s'y serait prise, mais vous y auriez été. Parfaitement. Eh bien, un homme vaut un homme, qu'il ait ou non ses quartiers de noblesse; là où Bruno Charlier qui n'a aucun tort n'aurait pu résister, le baron de la Vequay qui en a (criant) je l'avoue (voix naturelle) n'a pas résisté non plus; je suis venu, on m'a vu, je suis vaincu (il tire son mouchoir pour s'essuyer le front) HENRIETTE (s'approchant de lui, très émue) : Mon bon oncle ! Vous avez chaud, n'est-ce pas, mon bon oncle... CHARLES : Eh bien, Monsieur Bruno. BRUNO (après être resté impénétrable, parle d'une voix altérée) : Il me semble que c'est un homme nouveau que j'ai là devant moi, Monsieur le baron, un homme que je n'ai jamais vu... (Joson est allée chercher à la cheminée la statuette de la Vierge et gagne le premier plan) Qu'est-ce que tu veux, toi ? JOSON : Je vais retirer ma prière. BRUNO : Quelle prière ? JOSOIT : Une prière que j'avais faite à la Vierge Marie contre M. le baron de la Vequay. J'espère qu'il est encore temps.,., (priant, elle se signe) Binâmée Sainte Vierge Marie, veuillez bien considérer la prière que je vous ai faite tout à l'heure pour M. le conseiller baron de la Vequay, comme nulle et non afnue et faites que M. le baron aille en Paradis avec nous autres tous et moi-même aussi, s.v.p. Nom du pèreficesaintespritainsoitil. BRUNO : Voilà la réponse, Monsieur le baron 1 JIEKRIETTE (embrassant le conseiller) : Comme je vous aime, mon oncle ! Je vous aime de tout mon coeur !... LE CONSEILLER (avec un sourire) : Oui, oui, je t'entends venir; avec tes petits souliers; je vais parler, je vais encore parler (un silen-de recueillement) Cette fois-ci, Bruno , ce n'est pas pour Henriette; c'est pour moi que je vais demander quelque chose. Voyez-vous Bruno, quand on devient vieux, quand on s'aperçoit que le bout du fossé et la culbute finale se rapporchent, on se demande un beau jour ce qu'on a gagné à embêter les autres et l'on trouve qu'on n'y a gagné qu'une chose : c'est de s'embêter soi-même. L'excuse, c'est qu'on n'y peut rien; on était venu au monde avec un caractère difficile et on l'a gardé toute sa vie. L'important est que le moment vienne où l'on trouve qu'on aurait pu faire mieux qu'on n'a fait, le moment, par exemple, où l'on rencontre une jolie nièce qui sourit à l'existence et à l'amour, qui prétend être heureuse et qui lutte toute seule contre tout le monde pour le devenir. On se réchauffe,,, on comprend soudain que ce qu'il y a de meilleur dans la vie c'est d'être bon et on à l'envie de faire du bonheur autour de soi (baissant la voix) pour se racheter un peu... je le dis parce que Mme Casterman est en train de le penser... Mme CASTERMAN (d'une voix mouillée dei larmes) : Oh ! vous I LE CONSEILLER : Quoi moi ? Mme CASTERMAN (pleurant) : Vous ! rien ! (elle s'essuie les yeux) LE CONSEILLER : Bruno , quand vous parlerez de moi plus tard, avec les enfants, je voudrais que vous ne vous souveniez plus de celui qui fu~. dur et méchant pour les vôtres, mais seulement du vieux bonhomme qui vous offre maintenant une main déjà tramtlolsnte (Bruno lui prend la main dans les deux siennes) et c'est pour cela que je viens vous proposer de marier ce grand garçon-là avec cette petite fille-ci,. BRUNO (avec émotion) : Soyez heureux, mes enfants... Vous viendrez souvent me voir, ma fille ? HENRIETTE (tombant dans ses bras) : Je vous le promets, papa. Mme GROSJEAN : Il me semble que je n'ai jc.mais été à pareille fête. LE CONSEILLER : Moi non plus. (il embrasse Henriette et la serre sur sa poitrine pendant que) (Bruno' fait sur"~Ie front du capitaine, le signe de la bene- ) (diction. " ) LE CONSEILLER (à Charlier) : Embrasse ta femme : elle l'a bien gagné I l'.îiiie CÀSTJRHAN (haut) : Pour la première fois de ma vie et de la vôtre, monsieur le baron de la Vequay, je vous adresse mes félicitations, L"T. CONSEILLER : Je les prends parce qu'il ne faut jamais rien laisser traîner. RIDEAU