B»ersonna:ïe*. Madame Marguerite. Ciska, sa fille. André, jeune marin. Maître Vandervinne, riche armateur hollandais Marins, compagnons d'André. La scène se passe à Anvers en 184. L'HEURE DE LA RETRAITE, OPÉRA-COMIQUE EN UN ACTE. ■{Le théâtre représente l'intérieur d'une maison flamande. /I gauche une fenêtre donnant sur le port ; à droite tes chambres de madame Marguerite et de sa fille. Porte au fond.) SCÈNE PREMIÈRE. MADAME MARGUERITE, CISKA. ■(Au lever du rideau, madame Marguerite est assise à droite et tri-rote ; Ciska est à la l'enètre et regarde au dehors. On entend trois -coups de canon, puis les cris des marins qui amarrent.) Introduction. CHOEUR DES MARINS AU DEHORS. (Air populaire flamand.) PREMIER COUPLET. A ma belle patrie, Salut ! A ma ville chérie, Salut! Pour quitter ce rivage Il fallut du courage, Mais le sort le voulut. 2me COUPLET. A mes amours prochaines, Buvons ! ( A mes nouvelles chaînes, Uuvons! Et remplissez mon verre De cette bonne bierre Qu'enfin nous retrouvons. marguerite. Encore un vaisseau qui entre dans le port. D'oii vient-il, Ciska? ciska. Je ne sais pas, maman ; il a le drapeau belge..... Je cherche à lire le nom.... Ah ! la Marie de Ilourgo-ijne. marguerite. Peut-être nous apporte-t-il des nouvelles de ton cousin André, mon mauvais garnement de neveu. ciska. Tu l'appelles toujours mauvais garnement, et cependant tu l'aimes bien, car tu es la première à l'informer de lui à tous les capitaines de navire. marguerite. C'est vrai, je donnerais beaucoup pour savoir où il est en ce moment, pour savoir s'il a profité de ses voyages, s'il a eu de l'avancement... Car enfin, voilà près de trois ans qu'il est parti, et, en trois ans, l'on change beaucoup, surtout à son âge. ciska. l'our moi, je suis sûre que j'aurais de la peine à le reconnaître, quoique nous ayons bien souvent joué ensemble; mais j'étais si jeune alors. J'avais à peine quinze ans, n'est-ce pas, mère ? marguerite. Oui, et à présent te voilà grande, te voilà une jeune fille, et sur le point de te marier. Quel changement en si peu d'années ! Comme le temps passe, mon Dieu ! ciska. Mais pourquoi donc, maman, dis-tu qu'André était un si mauvais sujet? 11 ne m'a jamais fait de mal à moi, autant qu il m'en souvient. MARGUERITE. Tu n'as pas besoin de savoir cela, mon enfant; tu n'y comprendrais rien d'ailleurs. Et puis, il faut, comme on dit, que jeunesse se passe. Il est sans doute bien mieux à présent, car son cœur était bon, trop bon peut-être ; la tôle un peu près du bonnet..... Enfin j'avais promis d'avoir soin de cet enfant, j'ai fait ce que j'ai pu..... Ce n'est pas moi qui l'ai obligé à partir. CISKA. Console-loi, maman, les voyages l'auront changé, sois-en sure ; un jour ou l'autre tu le verras revenir, avec le même cœur, puisque le cœur ne change pas, dit-on, et une bien meilleure tête. MARGUERITE. C'est égal, je suis inquiète..... Voilà près de huit mois que nous n'avons eu de ses nouvelles. Où peut-il être en ce moment ?..... SCÈNE II. CISKA, ANDRÉ, MARGUERITE. ANDRÉ, (qui a entendu les derniers mots.) Ici, dans tes bras, ma bonne tante. CISKA ET MARGUERITE. André ! ANDRÉ. Oui, André, qui vient en toute hâte do quitter son navire pour venir vous embrasser. Embrasse-moi donc, chère petite tante.....et toi aussi, Ciska..... Diable ! que le voilà grandie ! Mademoiselle, me permettrez-vous ?..... CISKA. Mademoiselle ! mais je suis toujours votre cousine, André. ANDRÉ. Oui, oui, ma chère petite cousine, n'est-ce pas ? Mais une jolie cousine, ma foi ! dont je suis fier. Laisse-moi donc te voir. Quelle tournure ' quelle taille ! quels beaux yeux ? CISKA (embarrassée.) André, ce n'est pas bien, vous vous moquez do moi. ANDRÉ. Non, sacrodouble ! tu es charmante. Mais pourquoi donc me regardes-tu ainsi, ma tante? Est-ce que je ne suis plus ton petit André d'autrefois? MARGUERITE. Mais j'espère bien que non. ANDRÉ. Tu espères que non ? Ah ! c'est vrai, j'oubliais ! Eli bien, lu peux être tranquille, va; je no suis plus le même qu'il y a trois ans. Et d'abord, je ne suis plus simple matelot. Le capitaine Lahire m'a pris pour son homme de confiance, son factotum. Que dis-tu de cela? hein? Il me semble que cela prouve quelque chose. Nous venons à présent do Sumatra, en droite ligne, avec une cargaison de sucre et de café pour une mai- son d'Anvers. Si je le voulais même, je pourrais rester ici, devenir premier commis dans cette maison. MARGUERITE. Et tu es resté longtemps à Sumatra? ANDRÉ. Un mois à peine : le temps de prendre notre chargement. Quel beau pays ! pas si beau cependant que Java. Ob ! Java ! c'est le paradis. Et les belles femmes qui s'y trouvent ! MARGUERITE. André!... ANDRÉ. Oh ! c'est juste.....et moi qui ne pensais pas..... MARGUERITE. André ! André ! tu n'as pas changé. Ilélas ! je le savais bien. ANDRÉ. Que veux-tu, ma tante? Puis-je m'empècher de trou ver les femmes jolies quand elles le sont réellement ? C'est tout naturel au contraire. lËomancc. PREMIER COUI'LET. Savez-vous bien qu'après des traversées De six grands mois parmi des matelots. Restant toujours dans les mêmes pensées Et ne voyant que le ciel et les flots, On croit sentir son àme se répandre : Pour un marin c'est un monde nouveau ; Tout semble au cœur plus aimable et plus tendre, Tout semble aux yeux plus riant et plus beau. CISKA fi part.) Est-ce donc là pourquoi maman l'appelle Mauvais sujet et mauvais garnement? MARGUERITE (6 André). Oui, oui, je sais, la chose est naturelle, Et, malgré moi, je t'excuse souvent. ANDRÉ. 2me COUPLET Si l'on n'a pas assez d'expérience, De tels combats l'on ne sort point vainqueur : Il est*si doux d'aller sans défiance, Et d'obéir à la voix de son cœur. ANDRÉ. MARGUERITE ET CISKA. ic suis Allons,J j| cst moins mauvais qu'on no pense, Et ce défaut un jour disparaîtra. Il faut user de beaucoup d'indulgence, Car bon cœur toujours "j® sauvera. MARGUERITE. Parlons d'autre chose. Sais-tu que tu es revenu bien à propos ? On dirait que tu l'avais deviné. ANDISÉ. Pour quoi donc ? MARGUERITE. Mais pour assister au mariage de Ciska, de ta cou sine. ANDRÉ. Comment ! Ciska se marie..... déjà ! MARGUERITE. f Déjà! mais elle a dix-huit ans depuis plus de Irois mois. ANDRÉ. C'est vrai, au fait. Il me semble toujours la voir comme je l'ai laissée, avec ses quinze ans. Je no réfléchis pas que trois ans changent bien dos choses, et que le coeur commence à parler haut. Eh! c'est dans l'ordre de la nature. L'amour arrive alors sans qu'on s'en aperçoive, sans qu'on s'en doute; et puis, un beau matin, on pense que le mariage est quelque chose de bien gentil; n'est-ce pas, ma petite cousine? ciska. Mais, André.....je ne comprends pas ce que vous voulez dire. ANDRÉ. Ne vas-tu pas faire la réservée avec ton cousin ! Sa-credouble! est-ce qu'il y a du mal à aimer quelqu'un, lorsque ce quelqu'un vous aime, et surtout lorsqu'il veut vous épouser? MARGUERITE. Ciska a raison; tu no sais ce que tu dis. Il ne s'agit jias ici de ces folies comme celles que tu fais tous les jours Ciska est une fille sage et bien élevée, qui ne s'amourache pas du premier venu, et qui comprend fort bien qu'il ne faut pas de ces grandes passions pour être heureuse en ménage. Entends-tu cela, mauvais sujet? ANDRÉ. Qu'est-ee à dire? Ma cousine ferait-elle un mariage de raison, par hasard ? marguerite. Précisément, monsieur l'étourdi. ANDRÉ. Un mariage de raison ! Est-il vrai, Ciska? CISKA. Je ne sais ce que vous entendez par là. Ma mère m'a dit que ce mariage me rendrait parfaitement lieu-t'-cuse, et ma mère ne peut me tromper. Couplets. MARGUERITE. Que toujours, calmes et paisibles-, l)u vrai bonheur nous jouissions, Mais gardons-nous d'être sensibles A la voix de nos passions. Ces passions, que l'on envie Lorsqu'on les voit dans les romans . Font le malheur de noire vie Et ne causent que des tourments. ANDRÉ (un peu ironiquement). C'est la morale des mamans. CISKA (i part). Aurait-il d'autres sentiments? MARGUERITE. Si l'on vivait à la manière Que nous vantent les songe-creux, 11 suffirait d'une chaumière Pour se croire vraiment heureux. Ces pauvretés, que l'on envie Lorsqu'on les voit dans les romans, Font le malheur, etc., etc. ANDRE. Et qui donc est ce futur ? MARGUERITE. C'est maître Va'ndervinne, un riche armateur d'Amsterdam, qui aime ma fille, et qui m'a demandé sa main il y a près de trois semaines. ANDRÉ. Un riche armateur!... Aie ! aïe ! MARGUERITE. Préférerais-tu qu'il fût pauvre, par hasard? ANDRÉ. Je ne dis pas cela. Mais, enfin, ce monsieur Vander-vinne, est-ce que tu l'aimes, toi, Ciska? CISKA. Mais... je crois que oui. ANDRÉ. Alors, tout est dit. Puisqu'il en est ainsi, j'arrive effectivement tout à fait à propos, et, de plus, je veux composer votre épithalame. Tu te rappelles, ma tante, les beaux compliments de nouvelle année que je t'adressais autrefois ? Tu verras que je n'ai pas oublié mon petit talent de poète. Je veux faire quelque chose de superbe pour les noces de ma petite cousine. MARGUERITE. Tiens, je vois précisément maître Vandervinno qui se dirige de ce coté. Je vais te présenter à lui. C'est un charmant homme qui te plaira bien certainement. Et puis il est riche ! riche ! On dit qu'il ne connaît pas son bien. ANDRÉ. Ce n'est pas là le plus beau de l'histoire. MARGUERITE. Tais-toi. Tu ne seras jamais qu'un fou, un écervelé. SCÈNE III. LES PRÉCÉDENTS, MAITRE VAXDERVINNE. MORCEAU D'ENSEMBLE. {Pendant la ritournelle, Marguerite et Ciska s'empressent autour de maître Vandervinne qui s'arrête, un peu essoufflé, au milieu de la scène, et s'essuie le front.) Ensemble. MARGUERITE. Salut 11 monsieur l'armateur Dont la présence nous honore. Bientôt nous lui pourrons encore Donner un titre plus flatteur. . CISKA. Salut à monsieur l'armateur Dont la présence nous honore. Je ne puis lui donner encore Un titre pour nioi plus flatteur. ANDRÉ (h part). Quoi ! c'est là son mari, et' vieux' Pour Ciska le lieau mariage! Ne pouvait-elle trouver mieux? Ali ! ma foi, c'est trop Tort, j'enrage ' VANDERVINNE (il s'assied au milieu de la scène). Air. Bonjour, bonjour ma charmante Ciska, ISonjour madame Marguerite. En ce moment, je viens de par delix Le grand bassin ; je marchais un peu vile Pour vous joindre plus lot : la faligue m'a pris. Voilà pourquoi vous me voyez assis.. Au lieu d'être à vos pieds, ma belle fiancée. MARGUERITE. Quelle tournure aimable il donne à sa pensée ! (h André) Eh! qu'en dis-tu, poète? ANDRÉ. Oh ! c'est délicieux! . Et surtout bien trouvé... pour un homme aussi vieux. VANDERVINNE (se levant). Certes, je l'avoûrai, j'aime mieux un carrosse Avec deux bons chevaux qui me mènent au pas. On peut aller ainsi longtemps sans être las. N'est-ce pas votre avis? (à ciska) Eh bien, à quand la noce? Oh! oh! vous rougissez! (à Marguerite) J'aime celte candeur, J'aime celle innocence ? Oh ! la femme charmante Que je vais avoir là ! J'aspire avec ardeur Au moment qui bientôt remplira mon attente. 0 doux espoir ! Je vais pouvoir Lui donner le titre d'épouse ! C'est un honneur, C'est un bonheur, Dont plus d'une sera jalouse. 'il (A Ciska.) Voir un époux A vos genoux Peignant son amour et sa flamme, N'est-ce pas là, Belle Ciska, Le désir secret de votre àme. Eiiseuiliic. VANDERVINNE, MARGUERITE, ANDRÉ. Voyez la pauvre enfant, Elle semble interdite, Elle tremble, elle hésite i lu' , CISKA. Oh' terrible moment! Je me sens interdite, Et je tremble, j'hésite A lui répondre franchement. CISKA. Pour obéir aux ordres d'une mère Que j'aime tant, Je veux bannir toute pensée amère En cet instant. Je me dirai, s'il me faut du courage, C'était son vœu. Mais je l'avoue, enfin, ce mariage M'effraie un peu. Ensemble. l'our obéir aux ordres d'une mère Qu'elle aime tant, Elle'bannit toute pensée amère En cet instant. Elle dira, s'il lui faut du courage, C'était son vœu, Mais je le vois, enfin, ce mariage Doit l'effrayer un peu. MARGUERITE (changeant brusquement d'expression, a Vandervinne) Maître Vandervinne, voici mon neveu André dont je vous ai parlé quelquefois. VANDERVINNE. Ah! ce jeune matelot parti pour les Indes, il y a trois ans? MARGUERITE. Précisément, maître Vandervinne ; vous avez une mémoire excellente. VANDERVINNE. Et ce garçon était sans doute à bord de la Marie de Bourgogne arrivée tantôt dans le port ? MARGUERITE. Oui, maître Vandervinne. Il est ici pour quelques jours seulement. CISKA. Pour quelques jours seulement! Est-il vrai, mon cousin? ANDRÉ. Oh ! je ne sais pas encore ; cela dépend de certaines choses... (avecintention). Je crois que ma présence était bien nécessaire ici, et que je suis arrivé fort à propos. MARGUERITE. Oui, fort à propos pour votre mariage, maître Vandervinne, car mon neveu est poète, très-bon poète même, ot il a offert tlo composer votre épithalamc. ANDRÉ. Attendez donc, ma tante ; je ne sais pas si... MARGUERITE. Allons, allons ! pas de modestie ; tu on es bien capable, et, d'ailleurs, tu feras de ton mieux. VANDERVINNE. C'est bien, mon ami, c'est très-bien; nous pourrons reconnaître cela. Mais, à présent, parlons de choses plus imposantes. Aimable Ciska, vous savez combien je suis impatient d'être au comble de mes vœux. Madame Marguerite m'a promis pour aujourd'hui une réponse définitive ; elle m'a môme promis que vous auriez la bonté de fixer la date de notre union, et je suis venu, dans cette espérance, mettre à vos pieds mon cœur et ma fortune. Disposez de l'un et de l'autre... Vous ne répondez pas? MARGUERITE. Ma fille est une fille sage et bien élevée, maître Vandervinne, et elle a l'habitude de s'en rapporter entièrement à sa mère. C'est donc moi qui puis vous répondre en son nom, et je m'empresse d'accepter une ofi're qui nous honore toutes les deux. Ciska, remerciez monsieur l'armateur. CISKA. Mais, maman, j'ai eu à peine le temps de réfléchir. 11 faudrait au moins retarder ce mariage de quelques mois. VANDERVINNE. De quelques mois ! Oh ! charmante Ciska, vous voulez donc me réduire au désespoir, vous voulez donc me voir mourir à vos pieds ? MARGUERITE. Elle no sait ce qu'elle dit, maître Vandervinne ; hier soir encore elle était toute décidée à vous épouser quand vous le jugeriez convenable VANDERVINNE. Oui, oui, je comprends cela, dame Marguerite; les jeunes filles sont toutes les mômes; jamais elles no disent oui ; il faut qu'on les presse, qu'on les presse, et, au fond do leur cœur, elles ne peuvent s'empêcher de le désirer aussi vivement que nous. MARGUERITE. Cependant, maître Vandervinne, ma fille est une fdie sage... VANDERVINNE. Et bien élevée, nous savons cela; mais elle a dix-huit ans, et, à cet âge-là, ce serait bien le diable si elle ne songeait pas un peu au plaisir d'avoir un mari. Eh ! un mari ! Vous vous doutez bien de ce que c'est, n'est-ce pas, petite? MARGUERITE (Ins il Vandervinne) Ne parlez pas comme cela, maître Vandervinne ; voyez un peu comme elle rougit, la pauvre enfant. VANDERVINNE (liaut). Bah ! bah ! laissez-la rougir; elle n'en est pas moins contente, allez! Est-ce que c'est d'aujourd'hui que je connais les jeunes filles? On ne m'en fait pas accroire, :i moi. Et puis, la fortune, le plaisir d'aller on voiture, d'avoir une belle maison, dos domestiques, tout cela, n'est-ce donc rien? Il y en a bien qui envieront votre sort, ma belle enfant. Demandez à votre mère : elle doit le savoir, elle. CISKA. En vérité, monsieur, je ne comprends rien à ce que vous dites. VANDERVINNE. Tant mieux, tant mieux, cela viendra assez tôt. En attendant, nous pouvons vivre d'espérance, vous et moi ; car, si vous êtes jolie et adorable, je ne suis pas non plus un si mauvais parti. Eh ! eh ! je ne donne pas encore ma part au chat. Qu'en pensez-vous, dame Marguerite ? MARGUERITE Mais, certainement : vous n'êtes pas vieux du tout. VANDERVINNE. Je le crois bien. Soixante-trois ans, c'est le bel âge pour un homme. Ali ! le joli ménage que nous allons faire!... Eh bien, ce sera donc bientôt? Je vais de ce pas faire publier les bans ; et puis... savez-vous ce dont je vais m'occuper? Voilà qui va vous faire rire, Je vais acheter la corbeille de noces. Ah ! c'est alors que l'on va trouver son petit mari bien gentil, hein ? petite? MARGUERITE. Vous êtes vraiment trop bon, maître Vandervinne. VANDERVINNE (bas à Marguerite). Laissez-moi faire, laissez-moi faire, et je vous réponds que, malgré son innocence et sa timidité, votre fille sera bientôt folle de moi. (Haut.) Dame Marguerite, voulez-vous m'aider à acheter la corbeille ? 11 y a de ces objets dont un homme ne connaît ni la valeur ni l'utilité. Si vous voulez, nous sortirons ensemble. MARGUERITE. Volontiers, maître Vandervinne, bien volontiers; le temps de prendre mon mantelet... je suis à vous. VANDERVINNE. Au revoir, Ciska, ma charmante Ciska. Permettrez-vous à votre futur mari de vous embrasser?... Non?... Toujours cette pudeur exagérée ! Ah ! bah ! ce sera partie remise; un peu plus tût, un peu plus tard, il faudra bien en passer par là. Au revoir, petite. Donnez-moi donc le bras, dame Marguerite. MARGUERITE. Oh! c'est trop d'honneur pour moi, maître Vandervinne. (Ils sortent.) SCÈNE IV. CISKA, ANDIIÉ. (Moment île silence.) ANDRÉ (contemplant Ciska qui cherche a éviter ses regards). Pauvre enfant ! CISKA (sans le regarder). Pourquoi nie plaignez-vous ? ANDRÉ. Parce que tu vas épouser un homme que tu n'aimes pas. CISKA. Qui vous dit que je no l'aime pas ? ANDRÉ. Tu no peux l'aimer, c'est impossible. CISKA. Mais si, je... je l'aime. ANDRÉ. C'est impossible, te dis-je. Ta bouche n'est pas d'accord avec ton âme, Ciska, ou tu te fais d'étranges illusions. CISKA. Mais puisque je consens à l'épouser. ANDRÉ. C'est pour obéir à ta mère, comme tu le disais encore tout à l'heure, c'est parce que ta mère désire ce mariage, que toi, pauvre enfant, tu veux te sacrifier. (S'animant.) Mais songes-y bien, la mère sera la pre1 mière à regretter cette union lorsqu'elle te verra malheureuse; car tu seras malheureuse avec cet homme, hien malheureuse. CISKA. André, vous m'effrayez. Pourquoi donc serais-je si malheureuse ? ANDRÉ. Parce qu'il n'y a aucune sympathie entre un vieillard de cette espèce et une jeune fille naïve et pure comme toi. Je l'ai bien vu, moi, et tout de suite. Sa conversation te révoltait; les sentiments qu'il exprimait si brutalement ne te causaient que du dégoût ; tu étais gênée, mal à ton aise... Peux-tu le nier? CISKA. C'est vrai... oui... Hais, quand je serai mariée, ce ne sera plus la môme chose : je m'habituerai à cela. Et puis je finirai par l'aimer... comme j'aimais mon père. ANDRÉ. Oui, pauvre fille! tu t'habitueras à ces manières, à cette vie, mais ce sera en perdant peu à peu cette charmante candeur, cette pureté, cette innocence qui te fait si belle à présent, et qui te rend si heureuse. Constamment en présence de ce vieillard infirme et quinteux,tu deviendras laide et vieille avant le temps ; constamment froissée dans tes sentiments les plus doux et les plus purs, tu sentiras s'aigrir ton caractère, et tu tomberas dans le chagrin, dans le découragement, dans le marasme. CISKA- Oh ! taisez-vous, André, vous me faites peur. Je n'avais pas encore songé à ces choses. Il y a du vrai dans ce que vous me dites, et je commence à trembler maintenant. ANDRÉ. Oui, tremble, pauvre Ciska; tremble aussi de voir ta mère plus malheureuse que toi-même, lorsqu'elle s'apercevra qu'elle s'est trompée à ce point. CISKA. Mais comment donc ma mère s'est-elle trompée ainsi, elle qui ne veut que mon bonheur? ANDRÉ. A son âge, Ciska, on ne sait plus ce que c'est que l'amour; on va jusqu'il mettre en doute que l'amour, le véritable amour soit nécessaire pour être heureux dans le mariage. Ta mère a regardé M. Vandervinne comme un bon parli pour toi, parce qu'il est riche, et elle t'a sans doute répété cette grande vérité, celte maxime de haute sagesse : l'amour, la jeunesse, la beauté, tout cela passe ; il faut songer à quelque chose do plus positif dans la vie. — N'est-ce pas qu'elle t'a dit cela, Ciska? Voyons, réponds-moi franchement. CISKA. Oui; et quand elle me parlait ainsi, il me semblait qu'elle avait raison. Je ne réfléchissais pas .. ANDRÉ. Et maintenant, le crois tu encore ? CISKA. Non ; c'est singulier ; mes idées changent, mon esprit s'ouvre comme par enchantement. Vos paroles me pénètrent et me persuadent. Je sens que je n'aime pas M. Vandervinne, mais pas du tout, pas du tout. Et moi qui croyais l'aimer, ce matin encore ! Car je croyais l'aimer, vraiment, do bonne foi. Cela me semble si étrange à présent !... Quelques mots do vous, André, ont sufïi pour me faire comprendre tout cela... (Ajii'i's un moment de silence.) Comment donc savez-vollâ ainsi analyser mes sentiments, lire dans mon cœur? ANDRÉ (en souriant) C'est que j'ai aussi quelque expérience de la vie, ma chère Ciska, comme le disait tantôt maître Vandervinne. J'ai aussi connu des jeunes filles... mais, tran-quillise-toi, ce n'est pas de la même manière. Si j'ai péché, co n'est que par légèreté, par étourderie : je n'ai pas calculé la portée de mes actions ; j'ai obéi à mes sentiments, sans réfiexion, sans arrière-pensée ; mais jamais je n'ai trompé personne, jamais je n'ai fait un art de la séduction, une étude do l'amour. CISKA (avec élan). Oh ! je le crois, André, je le crois ! J'ai deviné, en vous voyant, que vous étiez bon et généreux; je me suis sentie attirée vers vous, et vous avez eu toute ma confiance. ANDRÉ. Chère Ciska ! CISKA. Oui, je ne sais quelle influence vous exercez sur moi; je vous l'avoue franchement ; cela mo trouble, et pourtant cela me rend heureuse ; je suis parfois devant vous confuse et embarrassée ; vos paroles résonnent dans mon oreille sans que j'en comprenne le sens, et pourtant je dois me rendre à ce que vous me dites. Je sens battre mon cœur à briser ma poitrine, je suis gênée, inquiète, et tout cola fait ma joie, mon bonheur..... Jamais je n'ai éprouvé pareille chose. ANDRÉ. Tu n'as pas éprouvé cela près do >1. Vandervinne ? CISKA. Oh I non. J'étais fort tranquille, fort calme près de lui. Tantôt seulement je me suis sentie pour la première fois mal à l'aise, mais c'était de dépit, de répugnance : je voyais que cet homme était réellement affreux, que je ne pourrais jamais l'aimer. ANDRÉ (se rapprochant, avec émotion). Ciska, sais-tu ce que c'est que l'amour ? CISKA (embarrassée). Mais. ... je..... Pourquoi me demandez-vous cela? ïîno. PREMIER COUPLET. ANDRÉ. Le trouble que tu sens dans l'àme, Et qui se révèle en ce jour, La pudique ardeur qui t'enflamme, C'est do l'amour. CISKA. C'est de l'amour ? andré. L'inquiétude qui t'agite Malgré toi, depuis mon retour, Ce qui fait que ton cœur palpite, C'est de l'amour. CISKA. C'est de l'amour? Ciel ! ost-il vrai ! serait-ce de l'amour? 2me COUPLET. CISKA. Quoi, vraiment! cette étrange peine Que souffre mon cœur en ce jour, Celte puissance qui m'entraîne, C'est de l'amour ? andré. C'est de l'amour. ciska. Ce sentiment qui me lourmente El fait mon bonheur tour il (oui-, Qui me rend joyeuse et tremblante, C'est de l'amour ? ANDRÉ. C'est de l'amour. Oh ! oui, c'est bien du véritable amour. Ensemble. CISKA, ANDRÉ. Doux et charmant mystère Qu'une prudence austère Nous peint avec effroi ! Mais aujourd'hui tout change, Son _ P Mon n rano° Sous la commune loi. CISKA. Mais c'est donc vous, André, que j'aime ? C'est vous, c'est bien vous, jo le vois. ANDRÉ (avec clan). J'ai fait parler, bonheur suprême! Ton cœur pour la première fois. CISKA. Mais vous m'aimez aussi sans doute !. ANDRÉ (lui prenant la main.) Sens mon cœnr battre en ce moment. CISKA (troublée et retirant sa main.) Laissez ma main.....Oh ! je redoute..... ANDRÉ. Que poux-tu craindre d'un amant? Kepi-ise de l'ensemble. Doux et charmant mystère. ANDRÉ, (voulant lui reprendre la main.) Ciska ! tu m'aimes, tu me l'as dit ! Oh ! que jo suis heureux ! CISKA. Laisse-moi ! je ne sais plus ce que je fais, ce que je dis.....j'ai peur, laisse-moi. ANDRÉ. Non, je l'aime ! je t'aime !... Désormais rien ne peut nous séparer ! CISKA. Tu m'aimes !.... est-ce bien vrai! Ah ! je sens que ma lèle s'égare..... Dieu ! j'entends ma mère !..... Que va-t elle me dire? Je ne puis supporter sa vue en cet instant..... ANDRÉ. Mais ta mère ne veut que ton bonheur, n'est-ce pas' . CISKA- Oui, oui, mais je ne puis lui dire..... Explique-lui cela, toi ; parle-lui..... Oh! je n'épouserai pas maître Vandervinne !... Non, non, je ne l'épouserai pas ! C'est impossible ! (Elle s'enfuit dans la cliambre à droite.) SCÈNE V. MARGUERITE, ANDRÉ. MARGUERITE (déposant son mantclct.l Tiens, te voilà seul, André? Où est ta cousine ? ANDRÉ. Elle vient de se retirer dans sa chambre. MARGUERITE. Vous no vous êtes pas disputés, au moins, pendant mon absence ? ANDRÉ. Non. MARGUERITE. C'est que tu es un si étrange garçon.....Enfin, mo — 23 — voilà do retour! (s'asseyant). M'a t-il fait courir ce bon monsieur Vandervinne! Il n'y avait rien d'assez beau ni d'assez riche pour lui, et., à l'heure qu'il est, il en est encore à parcourir les magasins et les boutiques. Nous avons pris une voiture, bien entendu, car à notre ;1gc... on se fatigue vite. ANDRÉ. Ma tante, c'est donc tout à fait décidé, ce mariage ? MARGUERITE. Tiens ! cette question ! Et pourquoi donc pas ? ANDRÉ. C'est qu'il me semble que vous n'avez pas bien réllé-chi, ma tante, à la terrible responsabilité que vous allez prendre, marguerite. En voici bien d'une autre ! ANDRÉ. Oui, ma tante, permettez que je vous le dise, c'est une terrible responsabilité pour vous; car c'est vous qui poussez votre fille dans les bras de cet homme, et il est impossible qu'elle soit jamais heureuse avec un vieillard de cet âge, quelque riche qu'il puisse être. marguerite. Mais, vraiment, monsieur mon neveu, vous le prenez sur un ton !... ANDRÉ. Pardonnez-moi, ma tante, si je vous offense malgré moi, mais, soyez-en sure, vous faites en ce moment le malheur do voire fille; réfléchissez-y, je vous en supplie. L'amour, quoi qu'on en dise, n'est pas une chose tellement frivole^tellement passagère, tellement inutile on mariage : et l'amour ne peut exister enire maître Vandervinne et Ciska. — u — marguerite. Ali! nous y voilà! Je suis bien honne, vraiment, d'écouter de pareilles billevesées ! Crois-tu, par hasard, que je vais prendre conseil d'un étourdi comme toi? d'un mauvais sujet? Crois-tu que jo n'aime pas assez ma fille pour savoir mieux que toi ce qui lui convient? ANDRÉ. Je ne dis pas cela, ma tante, mais vous pouvez vous tromper, et..... MARGUERITE (l'interrompant.) ... et trêve de raisonnements là-dessus! Jesaisceque je fais, et ma fille sera heureuse en dépit de toi. ANDRÉ (avec fermeté.) Votre fille ne sera pas heureuse, parce qu'elle n'aime pas ce monsieur Vandervinne. MARGUERITE (se levant.) Ah!... Elle te l'a dit? ANDRÉ. Oui. MARGUERITE. Ah ! brigand ! tu as sans doute profite" do mort absence pour lui inspirer ces idées-là, peut-être pour ta ' séduire.... ANDRÉ 'avec force) Ma tante ! (se contenant.) Ma tante, vous me jugez mal. J'aime,trop ma cousine pour vouloir, comme vous le dites, la séduire. MARGUERITE. Ah ! tu l'aimes, scélérat ! tu l'aimes ! (s'animant par cle-ftrés.) Ils croient avoir tout dit quand ils vous disent : je l'aime ! C'est l'excuse à tout. Ils vous enlèvent votre enfant, ils s'emparent de son cœur, ils la font révolter contre sa mère; puis ils vous disent : je l'aime! Et c'est pour cela que je t'ai élevé depuis la mort de ton père ? c'est pour cela que j'ai été à ton égard une seconde mère, pour être ensuite payée d'ingratitude, et me voir enlever ma fille par celui que je regardais comme mon fils ! ANDRÉ (ébranle.) Ma tante! MARGUERITE. Va, tu n'es qu'un ingrat ! Maudit soit le vaisseau qui te ramène aujourd'hui pour faire mon désespoir ! SCÈNE VI. LES MÊMES, CISKA. CISKA , (sortant de la chambre.) Maman, maman, pardonne-lui ! tu l'accuses à tort, il n'est pas coupable. C'est moi qui... MARGUERITE. Toi, fille dénaturée ! toi qui tejrévoltes contre ta mère, qui veut faire son malheur !.... CISKA. Non, maman, non, je ne ferai point ton malheur, .le me sacrifierai... j'épouserai monsieur Vandervinne. MARGUERITE. Te sacrifier! c'est cela! Elle veut me prendre par les sentiments, parce qu'elle sait que je l'aime plus quo la vie ! Non, petite sotte, tu ne te sacrifieras pas, mais tu épouseras maître Vandervinne, et tu seras heureuse malgré toi. Et quant aux sornettes de ton beau cousin, tu ne les entendras plus, car il va quitter aussitôt cette maison où il a voulu jeter le trouble et lo déshonneur. — 26 — ANDRÉ. CISKA. Ma tante ! Ma mère ! MARGUERITE (a André.) M'as-tu entendue,mauvais garnement! Va-t-en ailleurs continuer tes équipées. (A cista.j Et pour toi, tâche do l'en consoler, et bien vite, ou prépare-toi à voir ta mère mourir do douleur. {Audré sort lentement par le fond en tournant plusieurs fois la tête vers Ciska qui ne le voit pas. Marguerite sort parla droite.) SCÈNE VIF. CISKA (seule.) (Elle reste un instant la figure eaeliée dans ses mains.) Air. A peine ai-je connu l'amour Que j'en ressens l'atteinte douloureuse! Projets si doux, rêves d'un jour, Vous me rendez ma peine plus ali'reuse : Jedois vous bannir sans retour. Pilié, mon Dieu ! je suis bien* malheureuse ! Que faire, hélas! faut-il le fuir? Faut-il obéir à ma mère? Triste combat ! Pensée amère ! Je vois tout mon bonheur prêt à s'évanouir. 0 Dieu ! ma douleur est affreuse ! Pitié ! pitié ! je suis bien malheureuse ! Quoi ! renoncer à de si doux souhaits Pour épouser un homme que je liais?... Car je le hais, celui qu'on me destine!... Non... un seul sentiment dans mon âme domine : André, je t'aime!... Oh ! oui, je t'aime désormais ! ANDRÉ, (an dehors.) (Air populaire de l'introduction.) Lorsque ma voix te crie : Espoir ! Répète, ma chérie : Espoir! Sèche vite tes larmes, Nous serons, sans alarmes, Heureux avant ce soir! CISKA. C'est lui ! c'est lui ! Quel espoir ! Je puis oncor le revoir ! J'en suis heureuse d'avance. Mon cœur me le disait tout bas, Et pourtant je ne croyais pas A cette joie immense! (Elle se précipite vers la porte, et, se trouvant en face de maître Vandervinne, elle recule de quelques pas.) SCÈN'E VIII. CISKA, VANDERVINNE. VANDERVINNE. Est-ce que je vous fais peur, belle Ciska? CISKA. Mais... pas précisément, maître Vandervinne. VANDERVINNE. Vous ne semblez pas dii tout contente de me voir. CISKA. C'est bien possible. VANDERVINNE. Savez-vous que ce n'est pas fort joli, co que vous me dites là? CISKA. Vraiment? VANDERVINNE. Tiens ! Est elle drôle aujourd'hui ! CISKA. Moi, jo ne trouve pas cela drôle. VANDERVINNE. Allons, allons ! on fait la coquette avec moi parce qu'on a sans doute quelque chose à me demander. CISKA. La coquette'... avec vous?... Dieu m'en préserve ! VANDERVINNE. Enfin, vous désirez quelque chose de moi ? CISKA. Non, au contraire. VANDERVINNE. Au contraire ! Voilà que je ne comprends plus du tout. Je vous en prie, belle Ciska, expliquez-vous ; et tout ce que votre serviteur le plus dévoué peut... CJSKA (l'interrompant.) Je n'ai qu'une demande.à fairo à mon serviteur le plus dévoué, c'est que mon serviteur le plus dévoué me laisse tranquille (elle va s'asseoir a gauclie). VANDERVINNE (& part.) C'est un caprice. (Se rapprochant de Ciska; haut.) Voyons. Je sais bien le moyen de vous rendre plus aimable. (Tirant de sa poche un écrin, et le tui présentant tout ouvert.) Regardez ceci. CISKA (détournant la tête.) Non. VANDERVINNE. Oh ! ça, par exemple! une des plus belles parures que j'ai trouvées à Anvers. CISKA. Cela m'est bien égal. VANDERVINNE (ricanant.) Oh ! vous ne direz plus cela quand vous verrez arriver le reste, car ceci n'est qu'un échantillon; quand vous pourrez voir les robes de velours, et les donlelleS) et les chapeaux à plumes, et les cachemires, et les bijoux.... (riant.) Eh! eh! eh! il n'y a pas un cœurde jeune fille qui puisse tenir contre cela. CISKA. Sauf le mien, maître Vandervinne Tenez, vous avez connu beaucoup do jeunes filles, avez-vous dit; c'est possible, mais cc qui est certain, c'est qae vous ne me connaissez pas. VANDIIRV1NNE (ricanant). Ah! bah! ciska. Vous verrez. vandervinne. Je verrai ? Je ne verrai rien du tout, car vous finirez, comme les autres, par être éblouie de toutes mes richesses. CISKA (avec intention.) Vous en êtes sur ? VANDERVINNE. Oui. CISKA. Bien sur? VANDERVINNE. Oui, bien sur. Que diable ! ce n'est pas chose à dédaigner. Vous n'avez rien : je vous offre de vous rendre riches et heureuses, vous et votre mère. CISKA (pensive). Et ma mère! oui.....riches, mais non heureuses. VANDERVINNE. Et, pour garantie, je vous épouse..... Savez-vous que bien des jeunes filles n'ont pas été aussi difficiles, aussi exigeantes; savez-vous que je fais encore des conquêtes autant que j'en veux? CISKA. Libre à vous, monsieur Vandervinne ; mais, quant à moi, je n'aurai ni cette faiblesse..... ni ce courage. VANDERVINNE (Bébé). Oh ! oh ! c'est sur ce ton que vous le prenez. Comme vous voudrez ; mais rappelez-vous que j'ai le consentement de votre mère, et que, s'il le faut..... CISKA (riant). Ha! ha! ha! vous connaissez les femmes, et vous croyez qu'on peut les obliger à faire ce qu'elles ne veulent pas? VANDERVINNE (embarrassé). Mais votre mère..... CISKA. Ma mère est bonne, elle m'aime par dessus tout, et je ne désespère pas de lui faire voir que ce mariage me rendrait malheureuse. VANDERVINNE (inquiet). Pardonnez-moi, chère Ciska, si j'ai été un peu brusque, mais..... c'est que, voyez-vous, vous êtes méchante avec moi, vous me poussez à bout.....et..... Jo ne sais ce que vous avez aujourd'hui : jo ne vous ai jamais vue ainsi. CISKA. C'est que vous n'y avez jamais fait attention. VANDERVINNE. Mais, enfin, que voulez-vous donc? dites-moi ce que vous voulez ? CISKA. Ce que je veux? VANDERVINNE. Oui. CISKA. Je veux un mari qui soit jeune, et vous êtes vieux, qui soit beau, et vous êtes laid, qui soit gentil, aimable, prévenant, et vous êtes brusque, bourru, ridicule ; je veux, enfin, que mon mari m'aime, et vous ne m'aimez pas. VANDERVINNE. Je ne vous aime pas, Ciska ! Comment ! je ne vous aime pas ! CISKA. Vous ne m'aimez pas comme il faut aimer ; vous ne faites rien pour me plaire, pour vous rendre aimable; vous dites sans cesse : prenez mon argent, et moi par dessus le marché. VANDERVINNE. Eh bien, Ciska, vous avez raison, vous m'ouvrez les yeux. Et moi qui ne m'apercevais pas de cela ! Jo ne fais rien pour vous plaire, c'est vrai, je ne fais rien pour être beau, gentil, aimable. Je viens ici avec ma redingote de matin, avec mes cheveux en désordre, avec mes bottes, absolument comme si j'allais voir mes clients. Vous avez raison, Ciska, mille fois raison. Ah ! je veux changer tout cela ; vous verrez, vous verrez ! Oh ! vous finirez bien par m'aimer; je vous l'assure je VOUS l'assure ! (Il sort avec précipitation.) CISKA (seule). Ah ! ça, qu'est-ce donc qui lui prend?.....lîah ; cela m'est bien indifférent après tout.....Dieu ! ma mère I que va t elle me dire? — 3 2 — SCÈNE IX. CISKA, MARGUERITE. MARGUERITE {avec douceur). Ciska. CISKA. Maman ! MARGUERITE (se rapprochant). J'ai entendu ta conversation avec maître Vandervinne. CISKA (inquiète). Ah ! tu étais là, maman? MARGUERITE. Oui... je le vois, Ciska, tu n'aimes pas maître Vandervinne. CISKA. Oh ! non, maman, oh! non. Cela te déplaît, je le sais, cela te contrarie, cela le fait de la peine, mais..... c'est plus fort que moi. MARGUERITE. Et cependant, hier encore, ce matin même, tu ne songeais pas à cela. Car, avoue-le, tu ne m'en avais rien dit, rien fait paraître. CISKA (baissant la voix.) C'est vrai. MARGUERITE. Ciska, parle-moi franchement, je t'en supplie ! Tu sais que je l'aime, tu sais qu'en te proposant ce mariage je ne voulais que Ion bonheur. Tu le sais bien, n'est-ce pas ? CISKA (attendrie). Oh ! oui, maman, lu es bonne ! MARGUERITE. Eh bien, moi je crois que tu serais heureuse, avec maître Vandervinne, j'en suis persuadée. Tu dois avoir confiance en moi... Fais un effort sur toi-même, rassemble tout ton courage, s'il le faut absolument, et.....consens à épouser maître Vandervinne. (L'arrêtant au moment où Cisku veut répondre.) Je sais ce que tu vas me dire, mais c'est pour ton bien, mon enfant, uniquement pour ton bien que je te le demande. Je sais ce que c'est que la vie, vois-tu ; je sais ce que c'est que l'amour. Mieux vaut un bonheur calme, une existence paisible, à l'abri du besoin, que la satisfaction d'un caprice passager. CISKA (ébranlée, et se cachant la figure dans ses mains). Ma mère ! Oh ! ma mère ! MARGUERITE. Je le fais du mal, je le sais, mais c'est mon devoir. CISKA. Mais, c'est que j'aime... . que j'aime André. MARGUERITE. Tu t'imagines cela, mon enfant; tu ne peux savoir ce que c'est que l'amour. CISKA. Oh ! si, maman, oh ! si, je t'assure. MARGUERITE. Tu ne peux savoir si cet André le rendra heureuse. CISKA. Si, si, maman. MARGUERITE. Enfant ! que de chagrins tu te prépares ! Tu ne m'écoutes pas, tu ne veux pas croire à mes conseils, et,pourtant, je vois plus clairet plus loin que toi, jo ne suis pas aveugle, je ne suis pas entraînée fatale ment comme toi. Ciska, je t'en conjure, par l'amour que je te porte, car tu crois à mon amour, n'cst-ce pas?... CISKA. Oui! oui ! MARGUERITE. Je no te dis plus maintenant : fais ton bonheur...; tu ne seras pas seule à en jouir. Je te dis : rends-moi heureuse ! Car, songes-y bien, tu vas aussi me rendre heureuse. Oh ! si je pouvais te faire comprendre cela ! Mon Dieu ! mais c'est tout un avenir de joie douce et paisible, au milieu de tous les agréments, de tous les bienfaits que procure la fortune. Je me fais vieille, moi, mon enfant, sais-tu bien cela? J'ai besoin de me reposer, de n'avoir plus de souci, plus d'inquiétude, ni sur ton sort, ni sur le mien. Cela se présentait si bien !.....J'étais si contente de ce mariage! Cela comblait tous mes désirs, cela réalisait ce qu'à'peine j'avais osé rêver. Ciska!..... Ciska !,..... je t'en supplie!..... je t'en supplie!..... CISKA (d'une voix étouffée.) Eh bien, oui, maman, oui, j'épouserai maître Vandervinne.....je l'épouserai. Ductlo. S'il le faut pour ton bonheur, Je consens au sacrifice ; Mais cet homme me fait peur : Oh ! ce n'est point un caprice ! Quel malheur sera le mien ! Désormais je désespère ; J'en mourrai, je le sens bien, J'en mourrai ! ma bonne mère ! (Elle tombe affaissée sur une cliaise.) MARGUERITE (effrayée.) Que parles-tu de mourir ? Ne sais-tu pas que je t'aime? ,Te ne puis que te chérir, Mon enfant ! mon bien suprême ! 0 Ciel ' si j'avais pensé Que ce fut un sacrifice, J'aurais déjà renoncé A prolonger ton supplice. (rendant ce couplet, Ciska s'est relevée et regarde sa mère avec anxiété.) Ensemble. CISKA. MARGUERITE. Oui, tu neveux que mon bien. Ne parle plus de mourir, Désormais en toi j'espère. Ne sais-tu pas que je t'aime? Je le sais, tu m'aimes bien, Je ne puis que te chérir, Je le sais, ma bonne mère. Mon enfant! mon bien suprême! (Elles tombent dans les bras l'une de l'autre.) MARGUERITE. Non, non, Ciska, non, je ne le désire plus, je renonce à l'idée de ce mariage ; je n'en veux plus, entends-tu bien ? CISKA. Tu ne veux plus.....C'est bien vrai? MARGUERITE (avecanimation.) Je ne connaissais pas tes sentiments , moi ; je me trompais, je m'abusais, sans savoir...... C'est moi qui me faisais illusion. Viens, Ciska, viens sur mon cœur (Elle l'embrasse avec effusion). Viens , ma fille chérie,.... car tu es ma fille chérie, tu es ma joie et ma consolation ! CISKA. 0 maman ! tu me rendras folle, folle de joie ! MARGUERITE. Mais peux-tu donc penser que je veuille te rendre malheureuse ? Je t'aime, Ciska, oh ! je t'aime plus que tout : je n'ai que toi au monde. Non, non, je ne veux plus que tu épouses maître Vandervinne. J'ai fait mon devoir en t'y engageant, car c'était mon devoir; mais maintenant que je n'ai plus de reproches à m'adresser, je te rends à ta liberté,..... à ton amour. CISKA. Quoi! tu consentirais?... MARGUERITE. Eh ! oui, mon enfant; est-ce que je veux autre chose que ton bonheur? N'est-ce pas mon vœu le plus cher, mon vœu de tous les jours? (Changeant de ton en apercevant André qui parait il la porte du fond, n'osant avancer.) Ah ! vous voilà, monsieur, malgré la défense expresse que je vous ai faite?.....Je m'y attendais. SCÈNE X. LES MÊMES, ANDRÉ. ANDRÉ (interdit.) Ma tante, c'est que..... CISKA (de nouveau tremblante j Ma mère !... MARGUERITE (a André.) VieilS ici, viens. (Après les avoir regardés l'un et l'autre en souriant.) embrasse la femme ! (Elle pousse Ciska dans les bras d'André.) ANDRÉ. Ma femme ! ma femme !.. 0 bonne tante ! , MARGUERITE (calme et souriante.) Oui, oui, ta femme! Que veux-tu ? Cela me prend quelquefois, la bonté. Tu m'avais crue méchante, tantôt, n'est-ce pas? Tu m'avais maudite, avoue-le. Eh bien, ce n'était que de la bonté mal tournée, de la bonté prise à l'envers. Est-ce qu'une mère peut être méchante? Je croyais voir Ciska heureuse d'une autre, façon, voilà tout; ce n'est pas ma faute... (A ciska et » André, avec bonhomie.) Écoutez donc, on s'y trompe aisément. CISKA. Bonne mère ! ANDRÉ. C'est trop de joie en un instant..... Sacredouble ! voilà que je pleure comme une femme ! MARGUERITE (sérieuse.) Une seule chose m'embarrasse, mes enfants ! c'est ce pauvre maître Vandervinne..... Je ne sais comment lui dire.....comment lui annoncer.....J'ai peur de le voir arriver d'un moment à l'autre. C'est que je lui ai donné des espérances..... ANDRÉ. Oh ! s'il n'y a que cela, ma tante, je me charge de la chose, moi ; j'irai le prévenir, et tout do suite, si vous voulez. MARGUERITE. Oui, mon garçon, charge-toi do cela ; mais avec des ménagements, de la politesse, tu entends? Nous lui devons des égards. ANDRÉ Oh! n'ayez pas peur; ce sera bientôt fait. J'aurai pour lui tous les égards dus à une grande infortune. (Il sort.) SCÈNE XI. MARGUERITE, CISKA. MARGUERITE. Il faudra bien qu'il entende raison. Mais comme il sera triste ! Tiens, Ciska, ce n'est pas pour revenir sur ce que j'ai dit, mais réellement ce maître Vandervinne est un homme d'un grand sens, un homme sérieux et respectable. Il ne voulait que ton bonheur, Ciska, et il a pour toi une amitié de père.....Tu ne l'aimais pas, soit; mais avoue que c'est ton amour pour André qui t'a fait prendre ainsi en grippe maître Vandervinne, car c'est un homme d'esprit qui n'a certainement rien de ridicule. Final. VOIX AU DEHORS. Ha! ha! ha! lia! quelle tournure! Mais voyez donc le damoiseau! Ha ! ha ! ha ! ha ! quelle figure ! Ha ! ha ! ha ! ha! le bel oiseau ! SCÈNE XII. MARGUERITE, CISKA, VANDERVINNE, (peu après) ANDRÉ: (Vandervinne a un accoutrement ridicule, souliers vernis, habit étroit, cheveux frisés, etc. ; il entre d'un air effaré.) VANDERVINNE. Les insolents ! critiquer ma tournure! l'eut-on vraiment être hèle à ce point !. Pour plaire à ma future, J'embellis ma figure, Je fais ce que nature Par erreur ne fit point. {Se tournant du côté de la porte.) Pouvez-vous donc être aussi bêtes, Tas de badauds, Tas de nigauds, Grands imbéciles que vous êtes ! Je puis être aimable et charmant, Je crois, sans votre assentiment. Ensemble. CISKA, MARGUERITE. ■ Ah ! j'étouffe de rire ! Quel projet est le sien? Serait-il en délire? C'est qu'on le dirait bien. VANDERVINNE. Qu'importe leur colère'.' Cela ne me fait rien. Je veux pouvoir lui plaire, Et je lui plairai bien. ANDRÉ, (accourant, avec une colère comique.) Quoi ! vraiment! jusqu'à cette porte, Vous êtes, monsieur, insulté. Certe ! un homme de votre sorte Devrait se trouver mieux traité. (Se tournant vers la porte.) Pouvez-vous donc être aussi bêtes ? Tas de badauds, Tas de nigauds, Grands imbéciles que vous êtes ! On peut être aimable et charmant, Je crois, sans votre assentiment. Ensemble. CISKA, MARGUERITE, ANDRÉ. VANDERVINNE. Ali! j'étouffe de rire' Qu'importe leur colère? Quel projet est le sien? Cela ne me fait rien. Serait-t-il en délire? Je veux pouvoir lui plaire, C'est qu'on le dirait bien. Et je lui plairai bien. VANDERVINNE (i Ciska, d'un air galant.) J'ai fait ce qu'exigeait de moi votre tendresse : Serai-je digne enfin d'attirer vos regards ? 0 Ciska ! votre vue excite mon ivresse ! Me faudra-t-il encor courir d'autres hasards ? Ensemble. ANDRÉ (il part.) MARGUERITE (4 part.) Que va t-elle répondre Que va-t-elle répondre A pareil compliment? A pareil compliment? Ah ! je voudrais confondre Je le vois se morfondre Ce trop candide amant. Ce trop candide amant. CISKA (à Vandervinne.) Ah ! monsieur, j'en suis bien fache'e, Mais, je me vois fort empêchée De satisfaire à vos désirs. VANDERVINNE. Comment ! vous vous montrez rebelle ; A l'offre de mon cœur, ma belle, A l'offre de tant de plaisirs ? (Changeant d'expression.) Non, non, non, non, c'est un caprice Non, non, non, non, vous m'aimez bien. Je ne suis plus assez novice Pour ne m'apercevoir de rien. CISKA (froissée.) Que pouvez-vous apercevoir? VANDERVINNE. Des choses!... Ne prenez point vos airs moroses, Je sais bien il quoi m'en tenir. (Tendrement.) Pour nous deux, ma Ciska, quel charmant avenir ! MARGUERITE (à part.) Mais il est fou, sur ma parole ! CISKA (à part.) Je suis confuse de mon rôle. ANDRÉ (à part.) Je lui ferai bientôt changer de ton ! (A Vandervinne.) Eh ! monsieur l'armateur, et votre épithalame ! Je n'y pensais plus sur mon âme. Écoutez donc! écoutez donc! VANDERVINNE. Ah ! volontiers, dis-nous ça, mon garçon. MARGUERITE ET CISKA (à André.) Que vas-tu faire ? Veux-tu te taire : Nous ne pouvons pas le chasser. ANDRÉ (à Marguerite et à Ciska.) Laissez-moi faire: J'ai mon affaire ; Il faut bien s'en débarrasser. MARGUERITE ET CISKA. Oui, mais encor... ANDRÉ. Ne soyez point en peine; Mes compagnons bientôt seront ici Pour terminer la scène Et m'ôter tout souci. (A Vandervinne qu'il fait asseoir à droite.) Mettez-vous là... bien : je commence. (A Marguerite et & Ciska.) Et vous, silence ! (Avec emphase.) Le dieu d'amour dépose son bandeau, Et vient s'unir au dieu de l'hyménée Pour vous tresser la chaîne fortunée.... (Changeant (l'expression.) Ah ! ce serait un pénible fardeau ! vandervinne. I Vous vous trompez, la chose est sure. Parlé. André. ( Non, pardon, c'est une figure. (Reprenant avec emphase.) .Quand une fille épouse un vieux barbon, Quinteux, maussade, affreux et ridicule, Je puis narguer, sans m'en faire scrupule, Celui qui croit à cela tout de bon. VANDERVINNE. Eli bien ? Eh bien ? Que signifie ? ANDRÉ. Mais cela se comprend fort bien. VANDERVINNE (il part, inquiet. Il se lève.) Vraiment ! je n'y comprends plus rien. De ce garçon je me défie. (A Ciska.) Répondez-moi : que signifie?.... CISKA. Mais cela se comprend fort bien. vandervinne. (A part.) Mais d'elle aussi je me défie. {A Marguerite.) Répondez donc : que signifie?..... MARGUERITE. Mais cela se comprend fort bien. MARGUERITE, ANDRÉ, CISKA. Oui, cela se comprend fort bien. SCÈNE XIIF. LES MÊMES, MARINS, compagnons d'André. VANDERVINNE. Quel monde! Oh! je n'y comprends rien. Chœur général. Mais cela se comprend fort bien. VANDERVINNE. De ce monde je me défie. Chœur. Mais cela se comprend fort bien, Mais cela se comprend fort bien. ANDRÉ. Le jour, qui lentement s'efface, A la nuit bientôt fera place : Écoutez ! Écoutez ! (On entend an dehors les tambours battant la retraite. ) ANDRÉ. Vous entendez ? VANDERVINNE. Que veut-il dire? MARGUERITE, CISKA. Vous comprenez? VANDERVINNE. Pourquoi sourire ? ANDRÉ, MARGUERITE, CISKA. Ulais écoutez ! Mais écoutez ! (Les tambours s'éloignent.) andré. Eli ! c'est l'heure de la retraite. Que rien ici no vous arrête ; Partez, partez, partez, partez ! CISKA ET MARGUERITE. Oui, c'est l'heure do la retraite. Croyez, monsieur, que je regrette L'intérêt que vous nous portez. Chœur. Oui, c'est l'heure de la retraite. Que rien ici ne vous arrête : Partez, parlez, partez, partez ! VANDERVINNE (outré). Quoi ! c'est l'heure de la retraite ! Quoi ! c'est ainsi que l'on me traite ! (il Ciska) C'est ainsi que vous me traitez ! Choeur. Partez, partez, partez, partez ! VANDERVINNE (superbe, au milieu delà scène). •le partirai, sans regrets, sans alarmes, Cruelle, car bientôt vos larmes Mo vengeront assez. Choeur. Partez, partez, parlez, partez ! VANDERVINNE (de même). Si je vous trouve aussi rebelle, Sachez-le bien, plus d'une belle Briguera mes bontés. ANDRÉ {^'approchant de Vandervinne). Mon cher monsieur, écoutez, écoutez ! (On entend de nouveau la retraite.) Voici l'heure de la retraite ! MARCUERITE ET CISKA. Oui, c'est l'heure de la retraite ! ANDRÉ. Et c'est en vain que l'on regrette Le temps de ces frivolités. Soyez sage, quittez, quittez L'espoir dont vous vous tourmentez Choeur. Oui, c'est l'heure de la retraite, Partez, parlez, partez, partez ! {Vandervinne sort confus.) SCÈNE XI.V ET DERNIÈRE. LES MÊMES moins VANDERVINNE. (Musique eu sourdine.) MARGUERITE {sérieuse, i Cista et à André) Mes enfants, je vous marie, mais à certaines conditions..... pas trop dures, rassurez-vous. Toi, Ciska, tu es jeune, sans expérience, tu ne connais André que de ce matin : il faut qu'avant de l'épouser, ïu te sois assurée de tes sentiments à son égard. Toi, André, tu as été jusqu'à présent assez léger dans ta conduite : il me faut aussi la preuve que ton amour est sérieux, que tu aimes ma fille comme je veux la voir aimée. CISKA. Oli ! maman, sois tranquille, il me rendra heureuse ; vois donc.....cela n'est-il pas écrit sur son visage, dans ses yeux ? ANDRÉ (tr&s-animé). Et moi, j'accepte tout, ma tante, car je suis loin de vouloir m'emparer de son cœur par surprise ; je veux prouver à Ciska qu'elle a eu raison d'avoir confiance en moi, et de préférer mon amour à toutes les jouissances du luxe et de la fortune. Croyez-nous, ma bonne tante, l'amour, le véritable amour vaut mieux que tout cela. (Se tournant vers ses compagnons.) Qu'en ditCS-VOUS, mes amis ? (Il prend Ciska par la main.) L'amour et la jeunesse, Voilà notre trésor : Laissons à la vieillesse Son argent et son or. Chœur. L'amour et la jeunesse, etc. ANDRE. On nous dit : l'amour passe ; J'en demeure d'accord ; Mais avant qu'il nous lasse, Soyons heureux d'abord. Chœur. On nous dit : l'amour passe, etc. ANDRÉ. L'heure de la retraite Sonnera quelque jour: La vie est ainsi faite, Et chacun a son tour. Chœur. L'heure de la retraite Sonnera quelque jour. La vie est ainsi faite, Et chacun a son tour.